(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 147) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal d'Horrues demandent que le chemin de fer projeté de Braine-le-Comte à Gand passe par Petit-Roeulx, Steenkerque et Hoves. »
« Même demande d'habitants de Steenkerque et Petit-Enghien. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Gottal. - Je prie la Chambre d'inviter la commission à faire un prompt rapport sur cette pétition pour notre rentrée après les vacances de Noël.
- Cette proposition est adoptée.
« Le conseil communal de Baelen prie la Chambre d'accorder au sieur Poucquié-Lefebvre la concession d'un chemin de fer d'Anvers vers Düsseldorf »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Coomans. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur celle pétition.
- Cette proposition est adoptée.
« Les propriétaires des maisons et terrains composant la butte de l'ancienne porte de Namur, à Bruxelles, réclament l’intervention de la Chambre pour qu'il ne soit pas donné suite au projet de faire disparaître cette butte par voie d'expropriation pour cause d'assainissement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. B. Dumortier. - Cette proposition est extrêmement sérieuse ; elle se rapporte à une affaire de la même catégorie que celle du colonel Eenens ; il est urgent que la Chambre s'en occupe puisque l'enquête a été faite.
Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.
M. Hymans. - J'appuie la proposition de M. B. Dumortier.
- Cette proposition est adoptée.
« Des blanchisseurs d'Alost présentent des observations contre une demande adressée au gouvernement et tendante à obtenir la libre entrée pour les toiles et les linges de table envoyés en blanchiment à l'étranger. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
M. de Ruddere de te Lokeren. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les conseils communaux d'Austruweel, Berchem, Borgerhout, Borsbeek, Deurne, Merxem, Edegem, Hoboken, Mortsel, Wyneghem, Wilryck et Wommelghem prient la Chambre de restreindre à 250 mètres la zone des servitudes militaires à Anvers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Istas, chef de musique pensionné, prie la Chambre de lui appliquer le bénéfice du projet de loi qui assimile les chefs de musique aux lieutenants et sous-lieutenants et d'augmenter sa pension. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
M. Moreau. - La commission a terminé son travail ; ce qu'il y a à faire, c'est de prononcer le dépôt sur le bureau pendant la discussion.
- Cette proposition est adoptée.
M. Vander Donckt (pour une motion d’ordre). - J'ai l’honneur de proposer à la Chambre de décider qu'elle siégera lundi, mardi et mercredi de la semaine prochaine,
Je fais cette proposition dès à présent, afin que chacun de nous puisse prendre des mesures en conséquence.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pense qu'il vaudrait mieux ne pas prendre cette décision aujourd'hui ; cela peut dépendre des objets qui seront à l'ordre du jour samedi. Si l'ordre du jour était épuisé, par exemple, il n'y aurait pas lieu pour la Chambre de siéger samedi. Le gouvernement est désintéressé, je fais cette observation dans l'intérêt des membres de la Chambre. Avant de décider qu'elle siégera la semaine prochaine, il faudrait savoir quels seront les objets qui resteront à l'ordre du jour samedi.
M. Vander Donckt. - L'ordre du jour est assez chargé pour ne pas pouvoir être épuisé samedi. Je maintiens ma proposition ; il y a d'autant plus lieu de l'adopter que la session actuelle sera extrêmement courte.
M. B. Dumortier. - Je regrette de ne pas pouvoir me rallier à la proposition de mon honorable ami ; la Chambre ne voudra pas revenir pour siéger lundi et mardi.
M. E. Vandenpeereboom. - Et mercredi.
M. B. Dumortier. - Il faut qu'on puisse retourner chez soi mercredi. D'ailleurs j'entends des membres qui disent : Nous nous en irons samedi.
S'il y avait possibilité de voter tous les budgets en restant trois jours de plus, oh ! je comprendrais que la Chambre restât réunie ; mais il y a impossibilité. Beaucoup de rapports ne sont pas distribués ; les sections centrales n'ont pas encore terminé leurs travaux.
M. Allard. - Je demande la parole.
M. B. Dumortier. - Il y a des budgets, comme celui des travaux publics, dont l'examen n'est pas fini en sections. II y a donc impossibilité absolue de terminer les budgets pour la Noël.
Dès lors, je ne comprends pas la nécessité de nous faire revenir lundi et mardi ; je crois dans tous les cas qu'il ne devrait pas y avoir séance mercredi afin que chacun de nous puisse retourner chez soi.
M. Allard. -Je crois qu'il ne serait pas possible à la Chambre de s'ajourner avant mercredi prochain.
Nous avons à l'ordre du jour le budget des affaires étrangères dont le rapport est distribué. Le rapport sur le budget de la guerre sera distribué ce soir au plus tard, il n'y a dans ce budget qu'une seule modification proposée par la section centrale. Le gouvernement, que j'ai consulté en ma qualité de rapporteur, adoptera le projet de la section centrale.
Je crois, par conséquent, que nous pourrons voter le budget de la guerre avant de nous ajourner. II y a aussi le budget de la Chambre.
Je demande que l'assemblée le mette à son ordre du jour le plus tôt possible.
Il faut nécessairement que le budget des dotations soit voté avant notre séparation.
Je ne m'oppose pas cependant à ce que l'on remette la décision de la Chambre à samedi. Si nous avons terminé nos travaux, rien ne s'opposera naturellement à ce que nous nous séparions alors.
M. Vander Donckt. - J'ai fait ma proposition en ce moment afin que chacun pût prendre ses arrangements en conséquence.
Si l'on ne décide pas la question maintenant, chacun sera dans l'hésitation sur le point de savoir s'il reviendra ou s'il ne reviendra pas lundi.
Je veux, du reste, éviter pour ma part, autant que possible, les crédits provisoires.
Je demande donc que l'on décide immédiatement.
M. le président. - La Chambre paraît disposée à décider samedi, mais comme l'honorable M. Vander Donckt insiste, je vais mettre sa proposition aux voix.
M. Wasseige. - M. le ministre de la justice a proposé d'ajourner la décision jusqu'à samedi. Je crois que sa proposition doit avoir la priorité.
M. le président. - Ce n'était qu'une simple observation, mais non une proposition.
M. Wasseige. - J'en fais donc la proposition formelle.
- Il est procédé au vote par assis et levé sur la proposition d'ajournement de la décision.
Elle est adoptée.
(page 148) Nombre de votants, 80
Bulletin blanc, 1
Bulletins nuls, 2
Bulletins valables, 77
Majorité absolue, 39
M. Loos obtient 54 suffrages.
Mercier, 23.
En conséquence, M. Loos est proclamé membre de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi déposée hier par M. Hymans. Elle est ainsi cornue ;
« Article unique. A partir du 1er juillet 1863, les droits d'entrée sur les poissons de toute qualité et de toute provenance, ainsi que sur les huîtres et les homards en destination des parcs et de la consommation, seront réduits au taux uniforme d'un franc par cent kilogrammes. »
Quand M. Hymans veut-il développer sa proposition ?
M. Hymans. - Je suis prêt à la développer. Mais je crois que la Chambre me saura gré de ne pas interrompre son ordre du jour et de renvoyer ces développements après la vacance de Noël.
M. Goblet. - Avant le carême ?
M. Hymans. - Oui, avant le carême.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux projets de loi approuvant deux traités de commerce, l'un entre le roi des Belges et le roi des îles Sandwich, l'autre entre la Belgique et la confédération suisse.
- Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères de la présentation de ces projets de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen des sections.
M. de Naeyer (pour une motion d’ordre). - L'ordre du jour appelle maintenant la discussion du projet de loi relatif aux traitements de la magistrature militaire. Je crois qu'il serait préférable de discuter d'abord le projet de loi relatif à l'augmentation des traitements de l'ordre judiciaire en général. La magistrature militaire est une sorte du juridiction exceptionnelle.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas de préférence ; la Chambre décidera.
- La chambre décide qu'elle s'occupera d'abord du projet de loi relatif aux traitements de l'ordre judiciaire.
M. le président. - La section centrale a modifié le projet de loi. Le gouvernement se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). Oui, M. le président.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le projet de la section centrale, auquel se rallie le gouvernement.
M. de Baillet-Latour. - En examinant attentivement le projet de loi qui vous est soumis, j'ai été vivement frappé de la part inégale qu'il fait à une classe bien respectable de magistrats. Je veux parler des juges de paix, ces laborieux et modestes arbitres, ces conciliateurs qui épargnent tant de procès aux juridictions supérieures, et qui contribuent dans une si notable proportion au maintien de l'ordre moral et matériel dans nos campagnes.
Certes, messieurs, il ne peut entrer dans la pensée de personne d'amoindrir le mérite tout particulier, la mission sui generis des juges de paix et je me hâte de dire que je n'élève aucun doute quant à l'intérêt que leur porte le gouvernement.
D'où vient donc l'inégalité frappante que fait peser sur eux le projet de loi ?
Les juges de paix sont astreints aux mêmes études que les magistrats des tribunaux. La loi organique exige qu'ils aient le diplôme de docteur en droit. Cela suppose les mêmes dépenses d'instruction et le même degré de mérite scientifique. En second lieu, la loi n'a pas créé la justice de paix comme une quatrième classe de magistrature, mais comme une magistrature à part qui requiert des qualités propres et tout à fait spéciales.
Pour nos populations rurales qui ont le bonheur de peu connaître les tribunaux des villes, le juge de paix est presque l'unique représentant de la justice humaine, le fonctionnaire qui représente au point de vue préventif et répressif, cette garantie d'ordre que tous les rangs de la société demandent pour assurer leur sécurité.
Je ne pousserai pas plus loin, messieurs, ces considérations personnelles. Elles sont sensibles à tous les esprits justes. Je passe aux faits économiques du projet de loi.
D'après les termes de comparaison que je viens de déduire, c’est traiter modestement les juges de paix que de les assimiler à la troisième et dernière classe des juges de première instance (la quatrième classe étant supprimée).
Or, dans l'état actuel des choses, les magistrats de troisième classe reçoivent 2,800 francs, et les juges de paix l,800 francs. Il y a donc une différence en moins, pour ceux-ci, de 1,000 francs.
D'après le projet de loi, les magistrats de troisième classe recevront désormais 4,000 francs, et les juges de paix, 2,400 francs ; différence eu moins pour ceux-ci, 1,600 francs.
C'est-à-dire qu'au point de vue de la proportion jusqu'ici établie, le projet constitue les juges de paix en perte de 600 fr..
Je le répète, pourquoi ce traitement inégal ? En fait, le but de la loi proposée est de tenir compte de renchérissement dans les conditions de la vie matérielle et d'augmenter en proportion les émoluments de l'ordre judiciaire comme on l'a déjà fait pour les employés et fonctionnaires de l'ordre administratif, comme il faudra le faire successivement pour tous les salariés de l'Etat, comme sont enfin forcés de le faire, et les compagnies industrielles, et les particuliers qui rétribuent des serviteurs n'importe à quel titre.
J'ai cherché, messieurs, à m'expliquer l'anomalie que je signale dans le projet de loi.
Je me suis demandé si les juges de paix n'auraient pas quelque compensation sur laquelle le gouvernement aurait compté pour rétablir l'équilibre si singulièrement rompu par le projet de loi. J'ai pensé qu'il a peut-être calculé sur le casuel attaché à leurs fonctions.
Mais ce casuel, ils en jouissent dès à présent. Il a été fixé par le tarif du 16 février 1807 et par la loi du 12 juin 1816. S'agit-il de le modifier ? De l'étendre en élevant le tarif des vacations ? Le projet de loi se tait sur ce point. Et c'est ce qui fait précisément que les juges de paix réclament en tout état de cause et que ceux de l'arrondissement de Dinant, particulièrement, dans une pétition adressée à la Chambre et qui figure au dossier de la commission, demandent en termes formels que les vacations soient portées à 3 fr. 75.
Quoiqu'il en soit, quel est, dans l'état des choses, l'importance de ce casuel ? Pour la très grande majorité des juges de paix, elle est insignifiante, et j'en connais plus d'un qui y renoncerait volontiers pour obtenir une augmentation suffisante du traitement fixe.
Il en est de même des quatre années d'études que le projet de loi d'organisation accorde aux juges de paix pour entrer dans la liquidation de la pension. Tout cela n'est pas une compensation de ce qu'on leur fait perdre.
Il y a, en Belgique, 206 juges de paix. Dans ce nombre, 39 exerçant leurs fonctions dans les grandes villes, perçoivent annuellement une somme notable de vacations.
Ce sont les privilégiés du corps. L'avantage dont ils jouissent sert à entretenir l'émulation de leurs collègues moins favorisés, par l'espoir qu'entretiennent ceux-ci de parvenir tôt ou tard à un de ces 26 sièges principaux. C'est une base de promotion qui permet au gouvernement de récompenser une science, une capacité, des services signalés.
Mais, à part ces privilégiés, il reste 167 juges de paix de cantons ruraux dont le casuel ne s'élève pas, en moyenne, au-delà de 200 à 300 fr.
Si, encore, cette somme venait accroître en réalité le revenu du modeste magistrat de campagne ! Mais, il n’en est rien. Ce casuel est absorbé par les dépenses multiples que ses fonctions lui imposent. Moyens de locomotion, rares et chers dans les campagnes ; séjours souvent obligés dans les hôtelleries, le tout pour vaquer aux ventes, aux partages, pour apposer et lever les scellés ; abonnements obligés aux recueils et documents de jurisprudence ; toutes ces dépenses réunies, qui n'ont rien de commun avec les dépenses personnelles pour la vie domestique, peuvent s'élever à près de 250 fr. Par conséquent le casuel suffit à peine pour les couvrir.
Il n'y a donc pas moyen de faire entrer le casuel dans le compte des compensations. Cela dit, le juge de paix se trouve en face d'un traitement proposé de 2,400 fr. pour subvenir aux besoins actuels de sa position et de sa famille. Eh bien, d'après les détails que j'ai recueillis de la bouche d'un certain nombre de ces magistrats, ce traitement est positivement (page 149) insuffisant. C'est-à-dire que l'augmentation de 600 fr. (soit de 1,800 fr. à 2,400 fr.) ne représente pas ce que coûte en plus au juge de paix le renchérissement de la vie actuelle. Il lui laisse encore un déficit annuel de plus de 150 francs et ne le met pas, lui et les siens, à l'abri des privations de toutes sortes que s'imposent eu ce temps-ci les honnêtes gens qui payent tout au poids de l'or et qui ne veulent pas faire de dettes.
Franchement, est-ce là le sort que l'on doit faire à cette utile et respectable classe de magistrats inférieurs dont la position, si précaire aujourd'hui, doit au contraire éveiller la sollicitude des pouvoirs publics ? Il est avéré qu'avec un traitement de 1,800 fr. le juge de paix qui n'a pas de patrimoine et qui a une famille, se trouve dans l’impossibilité de vivre et de représenter comme il convient à la gravité, à l'importance, au but élevé de ses fonctions.
Faut-il s'étonner, après cela, que des pétitions nombreuses des membres du corps aient porté, dès 1857, et en cette année 1862 encore, les doléances du corps entier devant les pouvoirs parlementaires ? Et n'est-il pas à regretter que le gouvernement n'ait pas été au-devant des plaintes et des réclamations en conservant tout simplement dans son projet de loi la proportion actuellement existante entre le traitement des juges de paix et celui des magistrats d'instance ?
Je prévois une objection. Cela chargerait le budget d'une somme plus forte. Or, en portant à 3,000 francs le traitement futur de juges de paix, au lieu de 2,400 francs que leur alloue le projet, la somme totale à ajouter au crédit pour les 202 juges de paix du pays, serait de 121,200 francs. Le pays, soyons-en certains, ne la trouvera pas exorbitante, car c'est justice de l'accorder, et tout ce qui est juste obtient toujours l'approbation publique.
Et quel temps choisirions-nous pour sanctionner une inégalité inexplicable ? Peut-on signaler aujourd'hui dans le corps des juges de paix des signes de décadence ? A-t-il moins de zèle, de dévouement, de capacité que par le passé ? A-t-on diminué ses attributions et ses travaux ?
Tout au contraire, messieurs ; depuis 17 ans des lois nouvelles, eu grand nombre, ont successivement étendu la juridiction et compliqué les devoirs des juges de paix. Je ne citerai que les lois de 1849 sur la compétence en matière répressive ; la loi de 1851 sur le régime hypothécaire ; la loi de 1854 sur la saisie immobilière ; la loi relative aux aliénés.
En présence de tant de services nouveaux imposés, il est extraordinaire qu'on ait pu songer à diminuer en fait le revenu de ces magistrats, quand la plus stricte justice exige au contraire qu'on l'augmente, et alors qu'ils sont moins rétribués que ne le sont les receveurs d'enregistrement, les contrôleurs des contributions, voire même les mécaniciens de chemin de fer, tous fonctionnaires et employés qui ne sont astreints ni aux fortes études, ni à la dépense d'un capital d'éducation comparables à ce qu'on exige des magistrats de tous rangs.
On invoquera peut-être l'exemple d'autres pays. On ne citera pas l'Angleterre où tous les salaires sont de beaucoup supérieurs à ceux du continent.
La France, sans doute, qui nous a légué le régime des justices de paix, serait un point de comparaison plus admissible. Mais au point où en sont venues les choses, la Belgique se rapproche bien plus de la vie anglaise que de la vie française. En France, malgré le renchérissement général dont elle a sa part, tout est moins cher que chez nous et par cela même les salaires peuvent s'y maintenir dans de certaines limites. D'ailleurs, dans ce vaste empire, si divers de climats, de sols, de populations, d'industries, où l'on voit, au milieu de départements riches et populeux, d'anciennes provinces pauvres encore et presque désertes, notamment dans les pays de montagne, il y a un grand choix de localité où peuvent être placés les fonctionnaires à qui l'insuffisance de leur fortune et de leurs émoluments ne permettrait pas le séjour des contrées où la vie est chère. En Belgique, l'unité de conditions physiques, la multiplicité des voies de communication, la rapidité des transports, tendent incessamment à égaliser la manière de vivre et la valeur du travail. Il n'y a donc pas de comparaison possible.
Je m'arrête sur ce point, messieurs. Il ne me reste qu'à dire quelques mots en faveur d'une autre classe de salariés qui a bien droit aussi de faire appel à votre sollicitude et à la justice du gouvernement. Je veux parler des greffiers de justice de paix. Le changement dans les conditions de la vie matérielle est le même pour eux que pour les magistrats auxquels ils sont attachés.
Leur traitement actuel est de 1,250 à 1,500 francs, casuel compris. Le projet de loi ne leur alloue qu'une augmentation de 180 à 200 francs. Ils demandent, eux, qu'on les assimile aux commis greffiers des tribunaux de première instance qui reçoivent actuellement 1,600 francs et qui vont être élevés à 2,600 francs, soit un augmentation de 1,000 francs. En recevant 1,000 francs de plus que ce qu’ils touchent actuellement, les greffiers de justice de paix n'auront encore que 2,250 à 2,500 francs. Ils resteront donc en dessous des commis greffiers des tribunaux, bien qu'ils soient chargés d’une responsabilité supérieure.
Messieurs, honoré du mandat d'un arrondissement relativement peu favorisé, je me suis fait un devoir de porter devant vous l'appel d'une classe de fonctionnaires à laquelle la société a de grandes obligations. N'oublions pas que la justice de paix, degré inférieur de juridiction, est précisément celui qui rend les services les plus effectifs. Les autres jugent les grands procès ; celui-ci évite les petits on les empêche de devenir grands. C'est bien le moins qu'on soit juste envers lui, en considération de tels résultats !
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons en ce moment contient, d'après moi, deux propositions tout à fait distinctes : d'une part, nous avons à nous prononcer sur l'augmentation des traitements des membres de l'ordre judiciaire, mais d'autre part, nous avons aussi à donner notre approbation à une nouvelle classification des tribunaux de première instance, qui fait partie de la loi en discussion.
En ce qui concerne l'augmentation des traitements, je pense, messieurs, que cette partie de la loi ne rencontrera pas d'opposition sérieuse.
Nous sommes tous d'accord que les traitements non seulement des membres de l'ordre judiciaire, mais, en général, de tous les fonctionnaires ne sont plus en rapport avec la cherté des denrées alimentaires et avec les nécessités de la vie. Depuis l'époque où les traitements ont été fixés, il s'est produit des faits nombreux dont il faut savoir tenir compte, et le rapport qui existait alors entre la valeur de l'argent et la valeur des objets nécessaires à la vie n'est plus le même.
Il y a là un mal auquel nous devons chercher à porter remède dans les limites du possible.
Ce n'est donc pas à cette partie de la loi que s'adressent les observations dont j'aurai à entretenir la Chambre. Je ne ferai qu'une seule remarque qui trouve ici sa place, elle est relative aux juges de paix. J'ai été frappé de voir que le traitement d'un juge de paix est inférieur à celui d'un commis greffier de troisième classe. Je trouve, messieurs, que cela est peu convenable ; les juges de paix sont réellement des magistrats d'un ordre plus élevé qu'un commis greffier de troisième classe.
On pourrait me dire qu'il n'y a aucun rapport entre les juges de paix et les commis greffiers, mais ils font partie les uns et les autres de la magistrature judiciaire et dès lors, je le répète, il est peu convenable que le magistrat supérieur en rang reçoive un traitement même inférieur à celui du commis greffier de la dernière classe.
Je pense donc, messieurs, qu'il y a quelque chose à faire en ce qui concerne les juges de paix, un amendement a été déposé à cet égard : je laisserai à ses auteurs le soin de faire valoir leurs motifs. Je me bornerai à dire, sans me prononcer sur le chiffre, que je suis disposé à voter une augmentation en faveur de ces magistrats.
Mais, messieurs, le projet de loi soulève une deuxième question celle qui est relative à la classification des tribunaux, et je trouve qu'elle mérite bien de faire l'objet d'un examen approfondi. Je pensais que la discussion sur cet objet était réservée pour l'époque où la Chambre se serait occupée du projet de loi de réorganisation judiciaire déposé dans la séance du 16 mai dernier ; malheureusement elle arrive maintenant d'une manière pour ainsi dire incidente.
Il y a plusieurs bases d'appréciation dont il faut tenir compte et qui doivent être combinées entre elles ; sans cela on serait exposé à commettre des dénis de justice.
L'on admettrait pour quelques tribunaux certains avantages que l'on refuserait à d'autres et l'on arriverait ainsi à l'arbitraire.
En France, lorsqu'on s'est occupé de cette question, c'est l'élément de la population qui a été pour ainsi dire l'élément dominant.
Je ne prétends pas dire qu'il y ait lieu de donner cet avantage exclusif à la population ; mais au moins il fallait en tenir compte pour tous les tribunaux, pour les uns comme pour les autres. C'est ce qu'on ne fait pas dans le projet qui nous est soumis.
Ainsi, je vois que dans un grand nombre de cas, c'est l'élément de la population qui l'a emporté sur les autres, tandis que dans d'autres on n'en a tenu aucun compte.
C'est ainsi que nous voyons un tribunal qui siège dans la sixième ville du royaume, figurer à la dernière classe.
Ce tribunal, qui a pour chef-lieu judiciaire la ville de Malines, qui compte une population de 31,000 habitants, se trouve placé au même rang que les tribunaux qui siègent dans des villes de 2,000 et même de 1,850 habitants.
(page 150) Vous avouerez que c'est là un singulier parallèle ; c'est cependant ce que fait le projet du gouvernement.
On me dira que ce n'est que du provisoire ; mais je répondrai que c'est un provisoire qui pourra devenir définitif et qui formera un précédent qu'on ne manquera pas d'invoquer.
Ce n'est que du provisoire ! mais je vois que dans les changements qui ont eu lieu, des tribunaux de quatrième classe sont placés dans la deuxième classe ; des tribunaux de troisième classe passent à la deuxième ; mais d'autres tribunaux de troisième classe, qui ont le même droit de passer à une classe supérieure, restent cependant au même rang.
Je n'appelle pas cela du provisoire ; il y avait là, je le suppose, pour adopter ces changements, des motifs péremptoires et je serais curieux de les connaître.
Si l'on voulait faire du provisoire, voici comment on aurait pu procéder :
Les tribunaux sont aujourd'hui rangés en quatre classes. On supprime la quatrième classe ; naturellement les tribunaux de quatrième classe passent à la troisième ; c'est un avantage qu'on accorde à tous les tribunaux de quatrième classe indistinctement. Qu'est-ce qui empêchait de placer les tribunaux de troisième classe dans la deuxième ? C'était une disposition uniforme qui ne pouvait nuire à personne ; et qui pouvait avoir les apparences d'une mesure provisoire.
Il y avait encore un autre mode provisoire de procéder et qui aurait pu devenir définitif : on pouvait placer dans la première classe tous les tribunaux ayant deux chambres et siégeant dans des villes d'une population de 50,000 âmes et au-dessus. Dans la seconde classe, viendraient les tribunaux ayant deux chambres et ceux ayant une seule chambre, mais siégeant dans un chef-lieu judiciaire d'une population de 25,000 à 50,000 habitants. Dans la troisième classe figureraient les autres tribunaux.
L'on pouvait faire une exception, en faveur des droits acquis, pour les tribunaux de Tongres et d'Arlon qui sont aujourd'hui de la deuxième classe.
Mais que fait-on aujourd'hui ? Je cherche en vain à me rendre compte des bases d'appréciation qui ont été adoptées et former le travail qu'on nous soumet.
On me dira : « C'est l'importance des affaires, c'est le personnel qui ont été pris en considération. »
Eh bien, je vais vous prouver que ni l'importance des affaires, ni le personnel n'ont été des bases d'appréciation, et que c'est presque toujours l'élément de la population qui l'a emporté.
Je prends pour point de comparaison le tribunal d'Anvers et celui de Mons. Dans la dernière statistique (1840 à 185-), publiée sous les auspices du gouvernement, je vois qu'à Anvers le nombre des affaires civiles a été de 2,982 et qu'à Mons il a été de 4,674, c'est-à-dire un tiers en plus, et qu'en ce qui concerne les affaires correctionnelles, à Anvers, il y en a eu 11,585, tandis qu'à Mons il y en a eu 18,293, c'est à-dire environ 7,000 en plus. Pour les travaux des parquets, à Anvers, 12,000 affaires ; à Mons, 17,155, soit 3,000 en plus.
Ainsi, vous le voyez, quant au nombre d'affaires, il est de beaucoup plus considérable à Mons qu'à Anvers, c'est-à-dire que le tribunal de Mons peut être considéré comme beaucoup plus important sous ce rapport que celui d'Anvers. Cependant, vous avez rangé Anvers dans la première classe, et vous avez parfaitement bien fait, à cause de l'importance d'Anvers comme chef-lieu judiciaire.
Je pourrais dire la même chose de Charleroi. Là aussi, les affaires ont été plus nombreuses qu'à Anvers, et cependant vous avez mis Charleroi dans la seconde classe, parce que vous avez tenu compte de l'élément de la population.
On me dira peut-être qu'on n'a pas eu égard à cet élément, mais bien à la composition du tribunal, et, en effet, dans l'exposé des motifs du projet de loi de réorganisation judiciaire, il est dit qu'on a tenu compte du personnel. Eh bien, je vais vous démontrer qu'ici encore on n'a pas eu égard à cet élément d'appréciation, qu'au contraire on a pris en considération la population et je répète que l'on a bien fait.
Je prends encore pour points de comparaison le tribunal d'Anvers, celui de Gand et celui d'Anvers. Eh bien, je vois qu'à Anvers, il y a un président, un vice-président, six juges, quatre juges suppléants, un procureur du roi, deux substituts et un greffier. A Gand, il y a le même personnel.
Maintenant, à Charleroi, je trouve : un président, deux vice-présidents au lieu d'un, sept juges au lieu de six, cinq juges suppléants au lieu de quatre, un procureur du roi, un substitut et un greffier. Vous voyez donc que le personnel du tribunal de Charleroi est plus considérable que celui des tribunaux de Gand et d'Anvers.
Eh bien, a-t-on placé le tribunal de Charleroi dans une classe supérieure ? L'a-t-on même placé au même rang que les tribunaux de Gand et d'Anvers ? Non, messieurs, les tribunaux de Gand et d'Anvers sont rangés dans une classe supérieure au tribunal de Charleroi, et encore une fois vous avez bien fait.
Pour Mons, la même particularité se présente. Le tribunal de Mons a le même personnel que les tribunaux de Gand et d'Anvers, et cependant vous ne l'avez pas placé non plus au même rang. Ici encore, vous avez donné la préférence à l'élément de la population.
Ainsi, voilà des tribunaux dont les affaires sont plus importantes que celles d'autres tribunaux, dont le personnel est plus nombreux et qui cependant occupent un rang inférieur, parce qu'on s'est basé surtout, pour établir cette classification, sur l'élément de la population.
Mais que faites-vous pour le tribunal de Malines ? Précisément l'opposé. Mais à titre égal, que fait-on encore ? Je prends Arlon. Arlon a un président, trois juges, trois juges suppléants, un procureur du roi, un substitut et un greffier. Malines a précisément le même personnel. Vous devez donc croire que l'on fait au tribunal de Malines l'honneur de le mettre au même rang que le tribunal d'Arlon ? Eh bien, il n'en est pas ainsi. On donne la supériorité à Arlon, ville de 5,500 âmes, et on place Malines, centre de population de 33,500 habitants, au troisième rang. L'on me dira peut-être que c'est parce que la ville d'Arlon est chef-lieu de province.
L'argument me semble assez mauvais et n'a pas grande valeur, mais enfin admettons-le pour un moment, et je passe au tribunal de Tongres qui n'est pas, je crois, chef-lieu de province et qui cependant figure au second rang.
Or, messieurs, je trouve au tribunal de Tongres le même personnel qu'au tribunal de Malines, et cependant on donne à Malines avec ses 35,500 habitants un rang inférieur à Tongres qui en compte 6,900.
Je doute, messieurs, que toutes ces contradictions puissent s'expliquer facilement.
Messieurs, ces considérations ne sont pas les seules que je puis présenter pour critiquer le travail du gouvernement.
Lorsqu'on s'est occupé, en France, de la question que nous discutons en ce moment, le rapporteur de la commission au corps législatif fit connaître que le commissaire du gouvernement avait soutenu, quant à la division des classes des cours et tribunaux, que si le chiffre de la population n'était pas une base infaillible, il était encore le moins incertain des éléments d'appréciation et que les traitements de la magistrature devaient être fixés d'après cette base.
Je crois que, jusqu'à un certain point, nous pouvons comparer notre législation avec celle de la France ; car elles ont beaucoup de rapports entre elles.
En France, on crut devoir prendre pour base du classement une population de 30,000 âmes et au-dessus, et récemment encore, un décret de l'empereur, du 24 septembre 1860, a augmenté le traitement de la magistrature d'après la base et les considérations que je viens d'énoncer.
Ce n'est pas seulement en France, mais encore en Belgique que les choses ont été appréciées de cette manière : Lorsqu'il s'est agi de faire passer le tribunal de Verviers de la troisième classe dans la deuxième, voici ce qui eut lieu dans la séance du Sénat du 10 février 1836 où l'on a discuté cette loi.
Le ministre de la justice de cette époque, l'honorable M. Ernst, dont on ne contestera pas la compétence en pareille matière, disait : « On a parlé de la position de Termonde. L'honorable auteur d'un amendement (le comte Vilain XIIII) voudrait faire ranger le tribunal de Termonde dans la deuxième classe, comme on propose de le faire pour le tribunal de Verviers ; il a avancé qu'il y avait plus d'affaires portées devant ce tribunal que devant celui de Verviers. J'ai déjà eu occasion de répondre hier que le fait, fût-il vrai, ne changerait rien à l'état de la question. Ce n'est pas le nombre des affaires qu'il faut examiner, mais les dépenses de la vie, le prix des denrées et des loyers. »
Vous voyez donc que partout on a été d'accord sur ce point que l'élément de la population devait être pris en sérieuse considération.
Il y a encore, pour le tribunal de Malines, une considération sur laquelle j'appelle votre attention d'une manière toute spéciale.
Les actes des juges de paix et de leurs greffiers, des officiers ministériels et des notaires sont taxés comme ceux des fonctionnaires de la même catégorie qui habitent les quatre grandes villes du royaume et les villes de Bruges, Louvain et Tournai... et pourquoi ?
Parce que le tarif de 1807 qui régit encore la matière, place les villes dont la population excède 30,000 âmes, sur la même ligne que celles où siège une cour d'appel, de sorte que la ville de Malines, avec sa population de 33,500 habitants, jouit de cet avantage.
Im en résulte cette conséquence absurde que les actes des officiers ministériels sont taxés comme si es fonctionnaires habitaient de grands (page 151) centres de population, tandis que les traitements des juges sont fixés comme s'ils habitaient de petits centres de population.
C'est précisément l'opposé pour des tribunaux d'une classe plus élevée ; là les officiers ministériels ont un tarif inférieur, tandis que les juges ont un traitement supérieur.
Je demande si, maintenant qu'on révise la loi, on peut laisser subsister de pareilles anomalies ?
Quel est le motif pour lequel les actes des notaires, des juges de paix, et des autres officiers ministériels sont taxés à un taux plus élevé à Malines, dont le tribunal est de troisième classe, que ceux des mêmes fonctionnaires de Verviers, Mons, Namur, Charleroi, Termonde, Dinant, Tongres et Arlon, dont le tribunal est de deuxième classe ?
Il n'y a pas d'autre motif que la population.
Les contradictions que je signale sont pour moi inexplicables et l'on ne peut les laisser subsister sans faire injure au bon sens et à la raison.
Est-ce à dire que je demande qu'on déclasse les tribunaux pour donner satisfaction aux justes prétentions du tribunal de Malines ? Evidemment non !
Ce que je demande, c'est que l'on fasse pour Malines ce qu'on a fait pour d'autres localités. Je demande que si le nombre des affaires et le personnel fait pencher la balance dans un sens, on mette dans l'autre plateau la population afin de rétablir l'équilibre ; en un mot, je demande l'égalité. Les membres du tribunal de Malines avaient envoyé une pétition sous forme de mémoire à la Chambre. Quand on l'a analysée, j'ai proposé le renvoi à la section centrale en ajoutant que cette requête renfermait des considérations importantes sur lesquelles j'appelais son attention.
Je regrette de devoir le dire, la section centrale n'a pas même fait, dans son rapport, l'honneur d'une mention à la pétition dont je parle ; venant de la part de respectables magistrats et renfermant des réclamations si bien fondées, je devais m'attendre à un meilleur accueil.
Je borne ici mes observations, et ma conclusion est celle-ci : Que la justice distributive exige que le tribunal de Malines soit placé dans la seconde classe. Je n'en fais pas l'objet d'un amendement, parce que je pense que quand une demande est adressée au gouvernement et à la Chambre, et qu'elle est fondée en droit et en équité, le gouvernement doit s'empresser de faire bonne et prompte justice. J'ai d'autant plus d'espoir de réussir, que c'est au ministre de la justice que je m'adresse.
M. Nothomb. - J'ai eu l'honneur, de concert avec onze honorables collègues, de vous soumettre un amendement qui tend à élever le traitement des juges de paix de 2,400 fr. à 3,000 fr., et celui des greffiers de 1,200 francs à 1,500 fr. Permettez-moi de développer rapidement les motifs qui nous ont engagés à vous présenter cette proposition. Ainsi que vient de vous le dire l'honorable comte de Baillet, notre amendement a pour but non seulement d'améliorer, dans des limites que nous croyons modérées, la position d'une classe de magistrats qui a toujours obtenu votre légitime sollicitude. Mais nous voulons en même temps faire cesser ce qui nous apparaît comme une disproportion choquante et je dirai presque une injustice eu égard à la position d'autres membres de l'ordre judiciaire.
L'honorable représentant de Philippeville a dit d'excellentes choses ; il a fourni, à l'appui de l'amendement, les meilleures raisons ; je puis donc passer sommairement sur ce que j'ai à ajouter.
Je n'ai pas besoin, messieurs, de faire ressortir devant vous l'importance des fonctions des juges de paix : elle frappe tous les esprits, et l'institution même est entrée dans nos mœurs, comme un élément judiciaire que l'on ne discute plus. On peut dire, sans s'exposer au reproche d'exagération, que l'institution dos juges de paix est la base, l'assise fondamentale de tout bon édifice judiciaire ; elle est incontestablement un des legs les plus beaux et les plus purs du siècle dernier ; c'est de plus, ne l’oublions pas, l'apanage des pays libres, des peuples qui, en possession d'eux-mêmes, règlent souverainement leurs destinées. Partout où des institutions libres fonctionnent, le système des justices de paix est organisé sur une grande et solide base. Il me suffit de vous rappeler les Pays-Bas, l'Angleterre et les Etats-Unis.
A mon sens, l'institution des justices de paix a une telle importance, que je ne crains pas de dire que tant vaut l'organisation judiciaire d'un pays, que vaut l'institution des justices de paix elle-même. C'est la mesure par laquelle on peut apprécier jusqu'à quel point les institutions sont développées dans un pays ; et partout où le système des justices de paix ne fonctionne pas encore d'une manière efficace et convenable, on le réclame sans cesse et on nous l'envie vivement.
Maintenant, messieurs, si nous nous reportons à la position qui est faite au pouvoir judiciaire par notre Constitution, nous sommes amenés à vouloir que l'indépendance constitutionnelle des magistrats ne soit pas seulement nominale, idéale, mais qu'elle soit réelle.
A côté de la liberté constitutionnelle, morale du magistrat, il faut aussi qu'il y ait la liberté que j'appelle matérielle.
Or, messieurs, j'affirme que le traitement de 2,400 fr. que le projet alloue aux juges de paix est insuffisant à leur assurer cette indépendance matérielle qui ne doit pas être séparée de l'indépendance morale et qui doit la suivre comme l'ombre suit le corps.
J'ai ensuite une autre raison de demander que l'on fasse aux juges de paix une bonne position, une raison grave, selon moi, et que je vous prie de me permettre de vous dire.
Il me semble, messieurs, qu'un grand danger menace l'institution des justices de paix, un danger qui tend à la vicier, qui pourrait la dénaturer, c'est l'esprit d'instabilité qui paraît s'emparer aujourd'hui des magistrats de cette catégorie.
Evidemment, messieurs, l'institution des justices de paix, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, n'est plus ce qu'elle était à son origine, n'est plus telle que l'a conçue son fondateur, le législateur de 1790.
Le juge de paix doit être un magistrat demeurant longtemps au milieu de ses justiciables, s'identifiant en quelque sorte avec tous les intérêts et les besoins des populations.
Il doit être fixé au sol car son rôle, vous le savez comme moi, n'est pas seulement de prononcer des jugements ou des condamnations, de faire de la juridiction contentieuse, mais il doit avant tout exercer une action amicale, paternelle. Il doit être non seulement le juge de ses concitoyens, mais aussi leur conseiller et devenir en quelque sorte leur confident.
C'est donc l'autorité morale qu'il faut par-dessus tout lui permettre d'acquérir. Or, elle n'est que le fruit, le fruit précieux du temps ; elle ne se commande pas, elle ne s'improvise surtout pas ; elle est la conséquence et la récompense de longues et cordiales relations, de services rendus et de bons conseils donnés. La tendance à l'instabilité le désir de changement que l'on remarque maintenant, les mutations fréquentes que le Moniteur enregistre journellement, font disparaître cette autorité morale ou l'empêchent même de naître. Je n'en fais de reproche à personne ; dans les circonstances actuelles, cette situation est obligée.
Aujourd'hui l'on arrive à une justice de paix avec le désir de la quitter demain. Dès lors plus de ces relations cordiales, plus de confiance ; le juge ne connaît personne, et personne ne le connaît ; il est étranger dans son canton ; il ne peut remplir que d'une manière bien imparfaite la noble et sérieuse mission sociale qui lui est confiée.
Eh bien, messieurs, pour détourner ce péril, sur la gravité duquel je vous prie de réfléchir, il n'y a qu'un moyen, c'est d'assurer au juge de paix une bonne position matérielle.
Il faut l'intéresser en quelque sorte à rester à son siège. Il ne faut pas que les nécessités de la vie s'imposent à lui impitoyables, plus fortes que sa volonté même et développent chez lui cet instinct d'inconstance, ce désir de changement qui malheureusement se manifestent maintenant. Peur cela il faut accorder, je le répète, une rétribution suffisante, et je vous le demande, le chiffre de 3,000 francs, que nous proposons, est-il trop élevé ? Nous le croyons à peine suffisant.
Tout à l'heure l'honorable comte de Baillet disait et avec raison qu'il faut faire cesser une disproportion établie par le projet de loi entre les juges de paix et les juges de première instance de dernière classe.
Rien n'est plus vrai que cette observation, rien n'est plus fondé. Remarquez, en effet, que le projet de loi porte le traitement des juges de troisième classe à 4,000 fr. (la quatrième étant supprimée), tandis que le traitement des juges de paix est de 2,400 fr., soit une différence de 1,600 fr.
Or, la loi du 20 mai 1845, qui a fixé le traitement de la magistrature, a accordé aux juges de la dernière classe un traitement de 2,800 fr. et aux juges de paix 1,800 fr., ce qui fait une différence de 1,000 fr.
Je me demande les raisons d'une pareille disproportion ; je me demande surtout ce qui peut justifier cet abandon d'un principe qui paraissait légitime en 1845 ?
En quoi la situation s'est-elle améliorée ?
Est-ce que le juge de paix ne doit pas être comme en 1845 docteur en droit, c'est-à-dire cela ne suppose-t-il pas des dépenses considérables pour arrivera obtenir un diplôme ? Est-ce que les capacités ne doivent pas être les mêmes en 1863 qu'en 1845 ? Est-ce que les attributions n'ont pas été considérablement augmentées ? Est-ce que tous les jours la législation ne les étend pas ?
Le code forestier est venu accroître leur travail. Bientôt le code rural leur imposera des devoirs nouveaux.
Je ne parle pas des interdictions et des incompatibilités que la loi leur impose. Je constate seulement qu'aujourd'hui, comme en 1845, le juge de paix doit posséder les mêmes conditions d'aptitude, qu'il doit faire les (page 152) mêmes dépenses pour arriver à cette position, que ses attributions ont été augmentées en nombre et surtout en importance, et cependant, messieurs, on ne faisait autrefois qu'une différence de 1,000 francs entre le traitement de juge de paix et celui du magistrat immédiatement supérieur et aujourd'hui on porte cette différence à 1,600 francs.
C'est, comme on vient de le dire, une anomalie, une inégalité, une disproportion que rien ne pourrait justifier..
Elle est d'autant moins explicable que les conditions de la vie matérielle sont, depuis 1845, devenues bien plus dures qu'elles ne l'étaient alors. Voyons quelques détails.
Je sais bien que l'on prétend que le séjour de la campagne est moins coûteux. Cela est vrai, je l'admets par exemple, pour les logements ; mais dans l'ensemble, c'est différent. Ainsi, par exemple, dans les chefs-lieux importants de canton, et surtout dans ceux qui sont traversés par un chemin de fer, la vie animale n'est guère moins chère que dans les villes.
C'est une chose acquise par l'expérience que les nécessités de la vie, à la campagne, sont énormément modifiées et dans une proportion bien plus forte que pour les villes. Et dans tous les cas, les fonctionnaires habitant la campagne ont une charge écrasante : l'éducation des enfants ; tenez-en compte, messieurs, la chose en vaut la peine.
Loin donc que nous demandions une chose exorbitante pour ces magistrats, s'il y avait à proposer une faveur pour quelqu'un, elle devrait être en faveur des magistrats ruraux et non en faveur des magistrats qui habitent les villes, qui n'ont pas au même degré ce souci du père de famille : l'éducation des enfants, et qui ont une foule d'avantages que ne trouvent pas ceux qui habitent la campagne et qui, pour élever leurs enfants, sont astreints à les éloigner et à s'imposer les sacrifices les plus cruels.
Peut-être nous objectera-t-on la dépense. On nous dira que nous surchargeons le budget de l'Etat ; mais remarquez, s'il vous plaît, qu'en admettant même le chiffre que nous proposons et pour les juges de paix et pour les greffiers, nous arrivons à un surcroît de dépenses de 180,000 fr. environ. Je vous le demande, en présence d'un intérêt social aussi considérable, pouvons-nous reculer devant une dépense de 180,000 fr. ?
N'est-il pas d'une importance immense pour le bien public que la magistrature des justices de paix soit bonne, soit honorable, soit dignement constituée ? Si la proposition est juste, il ne faut pas la faire avorter, parce qu'on demanderait 180,000 francs de plus, quand il s'agit d'une mesure que réclame l'équité, que commandent les intérêts les plus sacrés des justiciables.
D'ailleurs notre situation financière est telle, que la dépense nouvelle de 180,000 francs peut être votée, sans que nous ayons de ce chef à éprouver la moindre inquiétude.
Peut-être encore nous objectera-t-on le casuel. On dira que les juges de paix et les greffiers ont des émoluments qui rendent leur position tolérable. Eh bien, permettez-moi de m'expliquer sur ce casuel. J'en suis l'adversaire prononcé ; je veux le supprimer. C'est une opinion très vieille chez moi ; je l'ai soutenue il y a longtemps.
Le casuel des juges de paix blesse la dignité du magistrat ; il l'expose parfois à des soupçons injustes sans doute, mais qui n'en sont pas moins fâcheux pour sa considération. Aux yeux des populations peu éclairées il fait apparaître en quelque sorte la justice comme vénale ; et il faut le dire, ce système des émoluments, vestige d'un temps et de mœurs différentes, n'a pas été sans donner lieu à certains abus. Certains magistrats ont été tentés d'oublier qu'il fallait user du casuel avec discrétion et mesure.
Et que représente-t-il, en définitive, ce casuel ? Le tableau en est sous vos yeux. Pour trente à quarante juges il a quelque importance : pour les 170 autres, ce n'est rien, une bribe, une misère qui ne compense même pas les dépenses que le magistrat doit faire et qui, au lieu d'un bénéfice, ne lui laisse que le soupçon des justiciables qui ont dû payer.
Je propose donc le chiffre de 3,000 fr. précisément en vue d'arriver à la suppression de ce triste casuel, j'en saisirai la première occasion : elle viendra bientôt, je l'espère, lors de la discussion du projet d'organisation judiciaire. Mais dès maintenant je n'hésite pas à me prononcer sur la question en principe.
Permettez-moi d'ajouter ceci : Je suis tellement pénétré de l'importance sociale des juges de paix, que je conçois pour eux une tout autre organisation. Je l'indiquerai en deux mots : suppression du casuel ; division des juges de paix eu diverses classes ; plus faculté donnée au Roi d'augmenter le traitement des juges de paix sur place, sans déplacement au bout d'un certain nombre d'années d'exercice que la loi détermine.
C'est à ces conditions seulement que nous rentrerons dans l'esprit de l'institution et que nous fixerons les juges de paix. Et je termine par ces mots, ainsi que j'ai commencé : Sans fixité chez le juge, pas de bonne justice de paix.
Je me dispense d'insister sur l'augmentation que nous demandons pour les greffiers des justices de paix : elle est si juste, si légitime, si entièrement liée au sort des juges de paix, que j'attends, pour la justifier de plus près, qu'elle soit combattue par quelqu'un.
M. De Fré, rapporteur. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer l'amendement qui vient d'être développé par les honorables MM. de Baillet et Nothomb à la commission d'organisation judiciaire.
Messieurs, nous avons eu en section centrale un grand nombre de questions sur lesquelles la section a délibéré ; non seulement la question de savoir s'il faudrait remplacer le casuel des juges de paix par un traitement fixe, question soulevée par l'honorable M. Nothomb ; non seulement la question de savoir si les tribunaux, et par exemple, le tribunal de Malines, avaient tous été équitablement classés ; mais d'autres questions encore ont été soulevées.
La section centrale ne les a pas résolues, parce qu'elle aurait fait une chose qui n'entrait pas dans ses attributions. Quel est le but du projet de loi ? Le projet de loi est une partie détachée du grand projet sur l'organisation judiciaire. cette partie concerne les traitements des membres de la magistrature.
L'honorable ministre de la justice a pensé qu'il était juste, lorsque tous les fonctionnaires de l'Etat jouissaient, à dater du 1er janvier 1863, d'une augmentation de 25 et môme de 33 p. c, que les membres de l'ordre judiciaire fussent mis sur la même ligne.
On ne pouvait pas attendre pour l'augmentation de leurs traitements, que la commission chargée de faire rapport sur le projet de loi d'organisation judiciaire eût fait son rapport ; il fallait immédiatement et avant que le budget du ministère de la justice fût présenté à la Chambre, il fallait immédiatement détacher de ce grand projet de loi la partie qui concerne le traitement des magistrats, afin de mettre les magistrats sur la même ligne que tous les autres fonctionnaires.
Le section a donc décidé de laisser à la commission le soin d'examiner toutes les questions soulevées et de ne s'occuper que du seul objet qui lui était soumis : l'augmentation du traitement ; et afin que cette pensée fût bien exprimée, afin qu'il fût bien entendu qu'il ne s'agit que d'une loi transitoire, afin qu'il fût bien clair pour tout le monde que les questions, de quelque nature qu'elles pussent être, étaient réservées à la commission du projet de loi d'organisation judiciaire, nous avons dit dans l'article 4 de la loi :
« La fixation des traitements établis par la présente loi sera révisée par la loi d'organisation judiciaire. »
Ainsi, messieurs, la section centrale a écarté toutes ces questions, et je crois que la Chambre fera bien d'imiter la section centrale et d'écarter du débat les questions qui viennent d'être soulevées pour les laisser examiner par la commission, et quand la commission aura fait rapport sur ces questions, la Chambre discutera et avisera, car veuillez le remarquer, il n'y a pas eu de rapport sur ces questions.
Il y a, messieurs, une autre raison pour laquelle la section centrale n'a pas examiné toutes ces questions, c'est que si la section centrale s'était perdue dans de longs débats, la Chambre, à son tour, allait se perdre dans de longs débats et que nous n'arriverions pas, avant la fin de l'année, à autoriser M. le ministre de la justice à inscrire les augmentations de traitements dans son budget, car vous savez tous qu'à l’encontre de ce qui se fait pour les autres fonctionnaires de l'Etat, il faut pour les membres de l'ordre judiciaire une loi préalable pour permettre au ministre d'inscrire les traitements de l'ordre judiciaire à son budget.
Parmi les questions qui ont surgi dans la section centrale, se trouve la question des juges de paix. En section centrale, on a également demandé l'augmentation du traitement des juges de paix, mais cette proposition a été écartée, non parce que les membres de la section centrale ne comprenaient pas aussi bien que l'honorable M. Nothomb quelle est l'importance sociale des juges de paix, mais parce qu'à la question d'augmentation du traitement se rattachait une autre question beaucoup plus importante, la question de la suppression du casuel et parce que, pour savoir quel est le traitement qui doit être affecté à la fonction de juge de paix, il fallait préalablement décider la question de savoir si on ne remplacera pas le casuel par un traitement fixe, et l'on s'est dit : Laissons à la commission le soin d'examiner cette question, et quand la commission arrivera avec une solution sur cette question, la Chambre pourra l'examiner.
Voilà messieurs, pourquoi nous demandons que la question soulevée par l'amendement de M. Nothomb, de Paul et Sabatier soit renvoyée à la commission du projet de loi d'organisation judiciaire.
Maintenant, je dois faire observer, pour ce qui concerne les juges de (page 153) paix, que tandis que les traitements de tous les autres membres de la magistrature n'ont été augmentés que d'un quart, les traitements des juges de paix ont été augmentés d'un tiers ; ce qui prouve déjà toute la sympathie que le projet de loi témoigne en faveur de ces magistrats.
En 1815, comme le fait très bien observer M. Jouret, on a doublé leurs traitements et on a supprimé les classes, que M. Nothomb voudrait voir rétablir.
Enfin, messieurs, cette augmentation de traitements représenterait une différence de 180,000 fr.„ et il faudrait bien demander à M. le ministre des finances si les voies et moyens permettent une pareille augmentation pour l'exercice courant.
Il est certain que l'augmentation qui a été faite des traitements de tous les fonctionnaires de l'Etat, a été mise en rapport avec les ressources de l'Etat et que l'augmentation proposée par le gouvernement est calculée en raison des ressources dont il peut disposer, de sorte que si la Chambre vient augmenter dans une proportion beaucoup trop forte les chiffres proposés, vous venez déranger les finances de l'Etat, qui n'aura pas été mis à même de faire face à cet accroissement inattendu.
Je dirai spécialement, en réponse à l'honorable député de Malines, qu'il n'a pas plus été question, dans le rapport, de la pétition du tribunal de Malines que de toutes les autres pétitions qui ont été renvoyées à la section centrale.
La section centrale a décidé que toutes ces pétitions seraient déposées sur le bureau pendant la discussion de la loi actuelle et renvoyées ensuite à la commission de la loi d'organisation judiciaire.
De sorte que la commission verra tous les arguments présentés en faveur du tribunal de Malines comme en faveur des juges de paix et qu'elle avisera.
En résumé, messieurs, nous croyons qu'il y a lieu de prononcer le renvoi de l'amendement à la commission de la loi sur l'organisation judiciaire, et de voter le projet tel qu'il a été amendé par la section centrale.
Nous atteindrons ainsi le seul et unique but que le projet veut atteindre, celui de faire jouir, à dater du 1er janvier 1863, tous les membres de l'ordre judiciaire d'une augmentation de traitement depuis longtemps jugée nécessaire, en réservant toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de la justice.
M. de Paul. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans l'examen de la question du fond. Je veux seulement répondre quelques mots à la fin de non-recevoir que l'honorable rapporteur de la section centrale oppose à l'amendement qui vient d'être développé par l'honorable M. Nothomb.
Au sein de la section centrale, j'ai critiqué, comme tout à fait insuffisante, l'augmentation proposée pour les juges de paix et pour les greffiers. J'ai proposé d'en élever le chiffre ; mais la majorité de la section centrale ayant été d'avis que cette question trouverait mieux sa place dans la discussion de la loi générale sur l'organisation judiciaire, je n'ai pas insisté pour qu'il fût fait mention de ma proposition ; il n'en a donc pas été parlé dans le rapport. Aujourd'hui j'ai saisi avec empressement l'occasion de signer l'amendement de MM. Nothomb et collègues, qui reproduit ma proposition ; et l’honorable rapporteur nous fait l'objection qui m'avait été faite en section centrale ; il nous dit : « La question des traitements des juges de paix est intimement liée avec la question des émoluments ; cette dernière ne peut être traitée et tranchée que par la loi d'organisation ; attendons dès lors jusque-là. »
A mon avis, cette fin de non-recevoir n'est nullement acceptable. Et en effet, de quoi s'agit-il ? Il s'agit uniquement de fixer les traitements des juges de paix ; il ne s'agit pas d'autre chose.
Si notre amendement n'est pas recevable, le projet de loi du gouvernement ne l'est pas davantage. Nous ne différons que sur les chiffres ; nous disons au gouvernement : « Les chiffres que vous proposez ne nous paraissent pas suffisants ; voici les nôtres. »
Notre amendement signifie simplement ceci : « Le traitement des juges de paix sera porté à 3,000 fr. et celui de leurs greffiers à 1,500 fr. »
La question soulevée par l'amendement n'est, je le répète, qu'une question de chiffres ; si nous ne pouvons pas discuter cet amendement, nous ne pouvons pas non plus discuter les divers traitements portés au projet de loi du gouverne cent.
Car savez-vous, par exemple, quel sort sera réservé aux autres magistrats par la loi générale d'organisation ? Savez-vous si l'on supprimera la quatrième classe, si l'on maintiendra le nombre des magistrats des diverses catégories ?
D'un autre côté, quelle que soit la solution qui sera donnée à la question des émoluments, elle ne peut être un obstacle à statuer dès maintenant sur notre amendement. En effet, de deux choses l'une : ou vous maintiendrez les émoluments qui existent aujourd’hui, et alors l’état actuel des choses subsistera, et ce que nous aurons voté sera définitivement voté ; ou bien, vous ôterez aux juges de paix la jouissance de leurs émoluments ; et alors il arrivera que l'augmentation obtenue aujourd'hui sera insuffisante, qu'il y aura lieu de l’élever encore, mais nous n'en aurons pas moins fait chose utile dès aujourd'hui. (Interruption.)
Je ne parle, quant à présent, que de la motion d'ajournement ; je m'y oppose d'une manière formelle, et je demande que la discussion continue sur notre amendement, me réservant de prendre ultérieurement la parole.
M. Wasseige. - Mes observations seront très courtes, puisque le moment n'est pas venu pour moi de discuter le fond à propos de l'amendement de mes honorables amis qui n'a pas été combattu encore, et quant à la question d'ajournement proposée par M. De Fré, l’honorable M. de Paul a fait valoir la plupart des observations que je voulais vous présenter.
Je suis d'avis que si nous avons quelque chose à faire dans le projet de loi qui nous est soumis, c'est précisément de fixer les traitements des magistrats, et je ne comprendrais donc pas qu'on ajournât la discussion sérieuse de la proposition tendante à porter à 3,000 francs le traitement des juges de paix, alors qu'on n'ajournerait pas, de la même manière et pour les mêmes raisons, toutes les augmentations de traitement qui nous sont proposées. Je concevrais que les autres questions qui ont été soulevées par le discours de l'honorable M. Nothomb, si elles avaient été formulées en proposition, eussent pu ou dû être renvoyées à l'examen de la commission chargée de l'examen du projet d'organisation judiciaire ; mais mon honorable ami s'est bien gardé de faire une proposition ; il s'est borné à exposer sa manière de voir et il s'est réservé de nous soumettre ces questions au moment opportun.
Ainsi par exemple, en ce qui concerne la suppression du mode actuel de toucher les émoluments, changement dont je suis grand partisan, parce qu'à mon avis, il y a une espèce de manque de dignité à mettre, sous ce rapport ce magistrat en contact direct avec ceux envers lesquels il doit exercer son ministère, cette question, dis-je, pourra être traitée à propos de l'organisation judiciaire.
Mais si j'ai bien compris mes honorables amis qui ont appuyé l'amendement que nous discutons, cette question n'est pas de nature à exercer de l'influence sur le chiffre de 3,000 francs proposé pour le traitement des juges de paix, et sur celui de 1,500 fr. proposé pour le traitement des greffiers, et si les émoluments sont supprimés, il faudra augmenter d'autant le traitement de 3,000 fr.et celui de 1,500 fr. Nous pouvons donc très rationnellement nous occuper aujourd'hui de la majoration qui vous est proposée, comme de tous les autres traitements compris dans le même projet, et je ne comprends pas l'ajournement proposé par l'honorable rapporteur. Il est évident, en effet, que si le renvoi qu'il propose était adopté, il y aurait un très mauvais précédent contre l'augmentation sollicitée, ou tout au moins un retard non justifié et très préjudiciable aux juges de paix et à leurs greffiers, si elle finissait par être adoptée.
Le seul argument de l'honorable rapporteur a été de vous présenter un épouvantail dans la somme que l'adoption de l'amendement ferait inscrire au budget ; il vous a dit qu'il n'est question de rien moins que de trouver une nouvelle somme de 180,000 francs.
Je ne pense pas que ce soit à nous à trouver ces fonds. Si nous jugeons que le traitement des juges de paix doit être porté à 3,000 francs, il est évident que nous décidons implicitement que les fonds pour payer cette augmentation de traitement doivent être faits ; mais c'est à l’honorable ministre des finances, après s'être concerté avec son collègue de la justice, à nous en indiquer les moyens, et peut-être ne serait-il pas très difficile de trouver la somme nécessaire, soit en n'augmentant pas autant certains gros traitements, soit en diminuant le nombre des magistrats dans certains tribunaux ; tout cela serait à examiner sérieusement.
Je me bornerai à ces observations, toutes les autres raisons qui, selon moi, combattent victorieusement la motion d'ajournement, ayant été exposées par l'honorable M. de Paul.
M. Van Overloop. - Messieurs, je n'ajouterai qu'un mot aux observations qui ont été présentées par d'honorables préopinants à l'appui de l'amendement de MM. Nothomb et collègues.
La question, pour moi, est très simple : elle se résume ainsi : Est-il juste, oui ou non, d'augmenter le traitement des juges de paix, alors qu'on augmente d'une manière considérable le traitement des autres magistrats ?
Dans le projet de loi du gouvernement et dans celui de la section centrale, il n'est pas jusqu'aux commis greffiers des tribunaux de première instance qui ne voient leur traitement augmenté de 1,000 francs, et cependant les juges de paix, dont les fonctions sont beaucoup plus importantes que celles des commis greffiers des tribunaux de première instance, les juges de paix ne reçoivent pas autant que les commis greffiers. Cela est-il convenable ?
(page 154) Je ne m'appuierai pas sur l’importance des fonctions des juges de paix ; mon honorable ami, M, Nothomb, l’a fait parfaitement ressortir ; mais veuillez remarquer que le juge de paix se trouve dans une position toute différente de celle d'un juge du tribunal de première instance. En effet, le juge de paix siège seul, tandis que les tribunaux de première instance sont composés de plusieurs membres, ce qui établit une grande différence au point de vue de la responsabilité morale.
Messieurs, il y a un autre point capital que je signale à votre attention. On reconnaîtra avec moi que les questions possessoires sont peut-être les questions de droit les plus difficiles. ; or, les questions possessoires rentrent toutes dans la compétence des juges de paix.
Il est donc éminemment désirable que les juges de paix présentent la garantie de la plus grande somme de connaissances possible ; eh bien, comment pouvez-vous espérer de conserver des juges de paix parfaitement aptes, par leur savoir, à remplir leur mission, si vous n'assurez pas à ces magistrats un traitement supérieur à celui que veut lui assigner la section centrale ?
Je n'ai plus qu'un mot à dire pour répondre à une observation d'un honorable préopinant qui considère l'institution des juges de paix comme un legs de la fin du siècle dernier. Il me permettra de lui faire remarquer que le principe de l'institution des juges de paix date de plusieurs siècles dans nos Flandres. C'est donc encore une fois un bienfait dont nous ne sommes pas précisément redevables à la France.
M. le président. - La Chambre veut-elle vider immédiatement l'incident ou renvoyer la solution à l'article spécial aux juges de paix ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Laissons la discussion suivre son cours.
M. de Paul. - La question d'ajournement pourra être résolue lorsque nous arriverons à l'article qui concerne les juges de paix.
M. le président. - On est d'accord pour continuer la discussion.
M. de Naeyer. - Mon intention étant de ne pas voter le projet de loi, à moins qu'il ne subisse des modifications assez importantes, je désire motiver très sommairement le vote que je pourrai être appelé à émettre.
La nécessité d'augmenter en général les traitements qui sont à charge du trésor public ne peut être révoquée en doute par personne. Mais d'accord sur ce principe, on peut différer sur le mode d'exécution ; or, c'est là le point le plus important quant à ses conséquences financières et ce point mérite d'attirer notre très sérieuse attention.
Messieurs, l'année dernière, si je ne me trompe, on nous parlait d'un accroissement de dépense de 4 millions pour faire face aux nouveaux besoins à résulter de l'augmentation générale des traitements. Ce chiffre me paraissait déjà extrêmement élevé, et il me semblait que si l'on voulait prendre une bonne fois sérieusement la résolution énergique de simplifier les rouages de l'administration et de réduire aussi dans une certaine mesure la tutelle administrative beaucoup trop prodigue suivant moi, on pourrait aisément faire face à tous ces besoins nouveaux avec une somme beaucoup moindre.
Mais aujourd'hui, si j'ai bien compris les indications qui ont été données l'autre jour, il ne s'agit plus de quatre millions, mais de six millions, si je ne me trompe. Or, ce chiffre-là est véritablement effrayant, d'autant plus qu'il s'agit d'une dépense permanente qui doit grever à tout jamais nos finances. Dans l'état actuel de notre crédit, cela équivaut à un emprunt de 120 à 130 millions. Vous voyez donc qu'avant d'adopter des propositions de ce genre, il faut y songer sérieusement, et qu'il est de notre devoir le plus rigoureux de nous livrer à un examen très approfondi et de bien étudier la question sous toutes ses faces ; et puis il ne nous est pas permis de perdre de vue que plus nous dépendons d'argent pour améliorer la position individuelle des fonctionnaires qui jouissent d'un traitement à charge du trésor public, moins nous aurons de facilité pour améliorer le traitement des contribuables. (Interruption). Cela est évident ; ces deux choses marchent en sens inverse.
M. de Renesse. - C'est évident.
M. de Naeyer. - Je ne comprends pas,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. de Renesse vous appuie.
M. de Naeyer. - Je suis bien charmé de l'appui que l’honorable comte de Renesse veut bien donner à nos paroles.
Je voulais donc dire, messieurs, qu'en ce qui concerne la position des contribuables, il y a aussi des améliorations à introduire, améliorations que je considère comme indispensables, d'autant qu'il existe plusieurs impôts qui ne sont eu rapport ni avec les progrès de notre civilisation, ni même avec les idées modernes.
Je crois inutile d'insister sur ce côté de la question, je me borne à l'indiquer.
J'aurais désiré, messieurs, eu égard à ces considérations, que le gouvernement nous eût communiqué un état détaillé, par catégories, des traitements attachés à toutes les fonctions qui sont rétribuées par le trésor public. Si nous avions eu un pareil tableau sous les yeux, nous aurions pu mieux saisir dans leur ensemble les propositions qui nous sont faites et mieux en calculer les conséquences financières, dès lors aussi nous n'aurions pas été exposés peut-être à consacrer des anomalies, des disproportions entre les traitements alloués aux différentes catégories de fonctions, anomalies et disproportions que nous ne pourrions faire disparaître dans la suite qu'en créant de nouvelles charges, pour le trésor public ; ce n'est jamais autrement qu'on les fait disparaître.
Ainsi, on pourra trouver peut-être plus tard que tels traitements sont trop élevés comparativement à d'autres ; or, ce n'est pas en réduisant les premiers mais en élevant les seconds qu'on rétablira l'équilibre. Les précédents sont là, messieurs, ils prouvent que c'est toujours ainsi que les choses se passent. C'est là le grand inconvénient des augmentations partielles votées en quelque sorte par pièces et morceaux, sans que nous soyons éclairés sur l'ensemble de la mesure et sur le point de savoir si toutes les parties du nouveau système se trouvent en parfaite harmonie.
J'aurais voulu encore qu'on nous indiquât autant que possible les véritables bases des augmentations. Je sais bien que cela n'est pas facile ; cependant il y a certains principes qui doivent guider ici le gouvernement et les Chambres.
Il s'agirait, avant tout, de se bien pénétrer de la véritable cause de la nécessité d'augmenter les traitements. D'après moi, ce n'est pas parce que primitivement, eu égard aux circonstances qui existaient alors, les traitements auraient été fixés à un taux trop bas, qu'il y aurait aujourd'hui nécessité de les majorer.
Je ne crois pas que nous voulions aujourd'hui substituer en quelque sorte aux idées qui ont prévalu à cette époque et qui étaient les idées du gouvernement, à bon marché, un autre système, un système qui consisterait à environner les fonctions publiques d'une espèce d'appareil de luxe, et de rivaliser en quelque sorte, sous ce rapport, avec ce qui se passe chez de grandes puissances. Nous voulons, je pense, rester fidèles aux traditions de nos devanciers et aux mœurs du pays. En d'autres termes, nous voulons accorder des traitements convenables en restant dans les limites de ce qui est juste et raisonnable, et en nous rappelant que le Belge, dans son véritable type, est essentiellement, non pas avare, mais économe. D'après moi la seule et unique cause qui doit nous déterminer à accorder des traitements plus élevés, c'est le renchérissement en quelque sorte général de toutes les choses indispensables à la vie. Il n'y en a pas d'autre.
Je crois que si nous étions aujourd'hui dans la même situation que lorsque les traitements que nous allons modifier ont été fixés, nous adopterions encore les chiffres qui ont été adoptés à cette époque. Mais ne pas augmenter aujourd'hui ces traitements, ce serait, en réalité, les diminuer, parce que, avec une somme égale, on ne peut pas se procurer la même quantité d'objets qu'autrefois.
Eh bien, messieurs, telle étant la considération fondamentale qui justifie l'augmentation des traitements, il faut bien reconnaître qu'elle s'applique surtout aux petits traitements, aux traitements des fonctionnaires inférieurs, parce que ces traitements-là sont complètement absorbés par les besoins de la vie. Mais du moment que vous arrivez aux chiffres de plus de 4,000 et 5,000 francs, cette considération ne milite plus avec la même force, elle n'est plus aussi sensible, parce qu'évidemment il ne s'agit plus en général des premiers besoins de la vie ; on commence alors à toucher au domaine du luxe et, dans tous les cas, à des dépenses moins impérieuses.
Je sais bien qu'il y a, sous ce rapport aussi, des convenances auxquelles il est difficile de se soustraire, mais il ne faut cependant pas aller trop loin. Je pense que le luxe ou ce qui en approche de très près, n'est guère propre à augmenter l'estime et la vraie considération qui doivent environner les fonctions. Le luxe est une véritable calamité pour bien des familles. Nous n'avons pas à nous préoccuper des besoins qui peuvent exister sous ce rapport.
Or, messieurs, il me semble qu'en ce qui concerne le projet de loi que nous occupe notamment, on n'a pas assez tenu compte, en général, des considérations que je viens d'exposer.
Ainsi, on avait parlé d'abord d'une moyenne de 10 p. c, pour servir de base aux augmentations, moyenne qui a été adoptée en général par le département des finances pour les traitements un peu élevés, et ici je me permettrai d'ouvrir une parenthèse pour dire que le budget du département des finances est pour ainsi dire le seul dans lequel on se soit appliqué sérieusement à faire face en partie aux nouveaux besoins par le bon moyen que j'indiquais tout à l'heure, c'est-à-dire par la simplification de rouages et des écritures. Le département des finances a fait preuve à cet égard d'un zèle d'autant plus louable, qu'en général il est plus rare.
(page 155) Maintenant quant à la moyenne de 10 p. c., elle est évidemment insuffisante pour beaucoup de petits traitements, car cela se réduirait souvent à une bagatelle ; mais pour les traitements un peu élevés, cela devrait suffire, et même pour les gros traitements cette moyenne ne devrait pas être atteinte. Il me semble que dans cette dernière catégorie on pourrait s'arrêter à un maximum d'augmentation de 1,000 fr. J'ai sous les yeux un tableau qui prouve que c'est à peu près d'après ces principes qu'on a procédé au département des finances, mais dans le projet qui nous occupe en ce moment, on a considérablement dépassé ces proportions. Je citerai quelques exemples pouvant en quelque sorte servir de types.
Ainsi pour les conseillers à la cour de cassation, nous trouvons une augmentation de 18 p. c, on porte leur traitement de 9 mille francs à 11,250, c'est une augmentation de 2,250 fr. Je crois qu'en portant ce traitement à 10 mille francs on aurait fait une chose très raisonnable. Je ne puis pas passer en revue tous les traitements, j'indique les principaux, ceux qui par leur nombre pèsent le plus sur les finances. En apportant des modifications à ceux-ci, les autres devaient évidemment être réduits dans la même proportion, et les réductions quel on obtiendrait ainsi, rien que pour la cour de cassation s'élèveraient de 20 à 25 mille francs ; et remarquez qu'en général les augmentations de traitement seraient encore de 10 p. c.
Pour les cours d'appel, je présenterai une observation analogue en m'appuyant encore une fois sur les traitements qui doivent en quelque sorte servir de pivot au système.
Ainsi le traitement des conseillers des cours d'appel, qui est aujourd'hui de six mille francs, serait porté à sept mille cinq cents francs. C'est une augmentation de 25 p. c.
Il me semble qu'on aurait dû s'arrêter à un traitement de sept mille francs, ce qui faisait une augmentation fort raisonnable de 16 à 17 p. c. et je ferai remarquer que ce n'est pas à des bagatelles que je m'attache, car en adoptant la modification que j'indique comme base des traitements des magistrats de nos cours d'appel, on réaliserait une économie de plus de 50 mille francs, ainsi, qu'il serait facile de le démontrer par des calculs que j'ai sous les yeux.
- Un membre. - Et les évêques ?
M. de Naeyer. - Les évêques, on veut les augmenter plus que je ne veux le faire. Je suis loin d'approuver les propositions qui nous sont soumises.
M. Goblet. - Il faut augmenter les vicaires et les curés.
M. de Naeyer. - Ce n'est pas de ces augmentations-là qu'il s'agit ; d'ailleur sil n'y a pas de comparaison à faire entre l'ordre judiciaire et le clergé ; pour le clergé, vous avez un personnel de près de 5 mille personnes, celui de la magistrature ne s'élève guère qu'à huit ou neuf cents personnes.
Et cependant la somme proposée pour les augmentations qui sont accordées à l'ordre judiciaire est sensiblement la même que celle qui est proposée pour augmenter les traitements du clergé, même en y comprenant les évêques.
Je ne veux tirer de là aucun argument parce qu'il s'agit évidemment de deux organisations essentiellement différentes, mais il est évident qu'on a eu tort de m'opposer la considération qui vient d'être invoquée. Je reprends mon argumentation en ce qui concerne l'ordre judiciaire.
Vous voyez donc que sur ces deux chapitres, ; cour de cassation et cours d'appel, en accordant des augmentations raisonnables puisqu'elles s'élèvent encore à 10 et 16 p. c., pour des traitements déjà importants, j'arrive à une petite économie de 70 mille à 80 mille francs.
Maintenant, je crois que pour les tribunaux inférieurs en général, il est impossible de s'en tenir à une augmentation de 10 ou même de 16 p. c. Ici, j'en conviens, on peut aller jusqu'à 20 p. c. et quelquefois au-delà, parce que l'on touche plus directement à ce qu'on appelle les premiers besoins de la vie ; mais le gouvernement n'est pas du tout resté dans ces limites. On propose des augmentations de 25 p. c. et plus généralement de 30 p. c, assez souvent de 40 p. c. : il en est même qui s'élèvent à 50 et 60 p. c
Cela me paraît exorbitant, et je suis persuadé qu'en se renfermant dans les limites raisonnables que j'ai fixées plus haut, on pourrait opérer ici, tout en rétribuant convenablement les magistrats dont il s'agit, des réductions s'élevant à près de 130,000 francs ; et ce que j'avance à cet égard, il me serait bien facile de le prouver par des évaluations de détail.
En somme donc, je pense que le projet de loi qui nous est proposé entraînerait un accroissement de dépenses de 750,000 francs.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - 742,000 francs.
M. de Naeyer. - Soit. Opérer sur ce chiffre une réduction de 200 mille fr., ce serait un soulagement assez important pour nos finances. Or, dans les autres propositions qui nous sont faites, pour les traitements accordés dans l'intérieur du pays, si l'on en excepte les gouverneurs et les évêques, je ne vois nulle part des augmentations calculées dans des proportions aussi larges que celles que renferme le projet de loi ; nulle part, je pense, pour les traitements dépassant cinq mille francs on n'atteint la proportion de 25 p. c. ni même de 20 p. c.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les traitements les plus élevés dans le budget de la justice sont ceux de la magistrature et des évêques. Pour les employés de l'administration, j'ai donné toutes les indications.
M. de Naeyer. - Je ne me suis pas bien fait comprendre, je disais que les augmentations devaient être plus fortes pour les tribunaux inférieurs, qu'on ne pouvait pas se contenter de 10 p. c ; mais que quand il s'agit de traitements plus considérables, de 6 ou 7 mille francs, on pourrait se contenter en général de 10 p. c.
Or, on ne l'a guère fait dans le projet qui nous est soumis. Pour les traitements de 9,000 francs, on est allé jusqu'à 18 p. c ; pour les traitements de 6,000 fr. jusqu'à 25 p. c. et pour les traitements inférieurs de 2,800 à 5,000 fr., les augmentations s'élèvent très souvent à 40 p. c et quelquefois plus haut encore.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'augmentation proposée pour les gouverneurs n'est que de 15 p. c.
Je crois que les traitements des gouverneurs ont été réduits dans plusieurs sections. Ce n'est donc pas un exemple qu'on pourrait m'opposer.
Il y a des tribunaux qui passent de la quatrième classe à la deuxième. Pour ceux-là l'augmentation est de plus de 60 p. c.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pour un, peut-être.
M. de Naeyer. - Il y en a qui passent de la troisième classe à la deuxième. Pour ceux-là l'augmentation est de 40 p. c.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais non. Il peut y en avoir un.
M. de Naeyer. - Non, c'est assez général, et l'augmentation est en général de 30 p. c. au minimum.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela dépend de la classification.
M. de Naeyer. - Il serait trop long d'entrer dans les détails. Si M. le ministre conteste, qu'il veuille m'opposer des chiffres et je suis certain de les réfuter. Je ne veux pas abuser des moments de la Chambre par des calculs fatigants et ennuyeux.
En résumé je trouve que la proportion des augmentations est trop considérable, qu'elle n'est pas même en harmonie avec ce qui doit se pratiquer dans les autres branches des services publics.
Nous sommes, messieurs, tous pénétrés de la haute idée des fonctions de la magistrature ; on peut dire qu'elle est le pouvoir réellement tutélaire de nos intérêts les plus précieux et les plus sacrés, ce n'est pas un motif cependant pour grever nos finances au-delà des véritables besoins.
Alors qu'on n'allouait qu’un traitement inférieur à celui que j'ai l'honneur de proposer aujourd'hui, on est parvenu à attirer dans la magistrature des hommes de grand talent et qui, sous tous les rapports, font honneur au pays, et je pense que tout le monde reconnaîtra que la justice est administrée en Belgique de manière à satisfaire pleinement aux besoins du pays.
Je ne crois pas même que ce serait un but à poursuivre que d'attirer dans la magistrature toutes les plus grandes capacités du pays.
Il est évident que dans beaucoup d'autres positions sociales on a besoin aussi d'hommes de talent, d'hommes d'une haute intelligence. Il ne faut pas faire en sorte que généralement les hommes d'élite viennent se réfugier en quelque sorte dans les rangs de la magistrature.
Je crois qu'en ce qui concerne la répartition des capacités entre les différentes positions sociales, l'étal actuel des choses est satisfaisant et que la magistrature n'a pas à se plaindre d'avoir un contingent trop faible.
Veuillez remarquer, messieurs, que ces fonctions-là offrent aussi d'autres avantages qui méritent d'être pris en considération.
Nulle part il n'existe pour les fonctionnaires publics une indépendance aussi absolue. Le magistrat est inamovible, il n'a à rendre compte de ses (page 156) actions qu'à Dieu et à sa conscience. Des positions de ce genre sont assez rares dans la société, il n'est pas étonnant qu'elles soient vivement recherchées par des hommes du plus grand mérite. Vous me direz que ce n'est pas dans l'intérêt personnel du magistrat que ces avantages lui sont garantis. C'est évident, mais cependant le magistrat n'en jouit pas moins, et ces avantages exercent aussi une bien grande influence pour faire affluer vers les augustes fonctions dont il s'agit des hommes de grand mérite et remplissant toutes les conditions voulues pour former un bon magistrat.
Voilà des considérations dont il faut aussi, me paraît-il, tenir compte. Je pense qu'en ajoutant à cela les traitements que je viens d'indiquer sommairement (je n'ai pas le temps de les passer tous en revue), on peut être rassuré complètement quant à la bonne administration de la justice en Belgique.
Maintenant, quant à l'amendement proposé par quelques membres, il me serait impossible de le voter dans l'état actuel des choses.
Si l'on pouvait obtenir de cette manière - je ne sais comment cela s'arrangerait avec nos finances - la suppression du casuel, j'en serais assez partisan.
Peut-être y aurait-il moyen de percevoir ce casuel d'une autre manière au profit du trésor, mais pour le moment il me serait impossible de me prononcer sur cette question.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.