(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 139) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Janty, huissier de la justice de paix du canton d'Ypres, prie la Chambre de réviser la circonscription des deux cantons de cette ville. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Keymolen demande un congé de quelques mois pour Jean-Baptiste Debouck, son gendre, milicien de la classe de 1862. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Waelhem prie la Chambre de faire opérer la transcription littérale des anciens registres de l'état civil, de décider qu'il en sera dressé des tables alphabétiques et d'ordonner que les registres primitifs et une copie de ces tables seront déposés au greffe du tribunal de l'arrondissement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Delang, journalier à Hermalle-sous-Argenteau, demande un congé définitif pour François Joseph-Taverne, son fils adoptif, milicien de la levée de 1862. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Rens, Veuylsteke et autres membres d'une société littéraire flamande à Gand, proposent des modifications au projet de loi relatif aux jurys d'examen pour la collation des grades académiques. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le conseil communal de Lanaken demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subsidier les travaux d'entretien de la voirie vicinale et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le conseil communal de Moll prie la Chambre d'accorder au sieur Boucquié-Lefebvre la concession d'un chemin de fer d'Anvers vers Düsseldorf. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Ophals se plaint qu'on ait vendu, sans son consentement, une maison, sise à Haï, qui lui appartenait. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Steenkerque réclame l'intervention de la Chambre pour que le chemin de fer de Braine-le Comte à Gand passe par Petit-Roeulx, Steenkerque et Hoves. »
« Même demande du conseil communal d'Hoves. »
- Même renvoi.
« Le sieur Joostens demande la révision de l'article 35 de la loi sur la contrainte par corps. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Zolder prie la Chambre d'allouer au budget de l'intérieur un crédit pour aider cette commune à supporter les frais d'entretien de la route de Curange à Bolderberg. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le conseil communal de Cachtem demande que le chef-lieu de la justice de paix d'Ingelmunster soit transféré à Iseghem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandervoorst demande que le gouvernement prenne des mesures pour faire disparaître le grief de la langue flamande en matière d'enseignement moyen. »
- Même renvoi.
« Les greffiers de justice de paix de l'arrondissement de Tournai présentent des observations sur le chiffre proposé pour leurs traitements.»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Jamar, rapporteur. - Par pétition datée d'Aubel, le 26 novembre 1862, le sieur Willems prie la Chambre de modifier ou d'interpréter législativement le décret du 27 prairial an IX concernant le mode de transport des journaux.
Messieurs, le 7 septembre dernier, deux préposés des douanes dressaient un procès-verbal à charge de deux porteurs d'un journal, Die fliegcnde Taube, pour avoir transporté et distribué des numéros de ce journal.
Le procès-verbal transmis au parquet de Verviers fut l'origine de poursuites qui aboutirent à un jugement prononcé le 24 octobre dernier, condamnant les deux prévenus à 150 fr. d'amende chacun.
Le fait incriminé et puni étant prévu, disait le parquet du tribunal de Verviers, par le décret du 27 prairial an IX qui était encore en vigueur et dont la force obligatoire était confirmée par l'article 9 de la loi du 22 avril 1849 sur la réforme postale.
C'est en suite de ce jugement que le pétitionnaire s'est adressé à vous pour vous demander de modifier et d'interpréter législativement le décret du 27 prairial an IX.
Cette pétition ne pouvait manquer, messieurs, d'éveiller votre sympathique attention. Vous avez décidé qu'elle serait l'objet d'un prompt rapport, Tout ce qui touche en effet à la presse, tout ce qui pourrait entraver l'exercice des libertés que le Congrès s'est efforcé de lui assurer ne pouvait manquer d'éveiller votre sollicitude pour la défense des droits inscrits dans l'article 18 de la Constitution.
Les faits qui se sont passés à Verviers portent atteinte sinon à la liberté de la presse, au moins à son développement. Aussi l'exhumation un peu inopinée du décret de prairial an IX serait un acte grave s'il n'était le résultat d'un excès de zèle des agents de la douane et, de la part du parquet de Verviers, soit d'un oubli complet, soit d'une interprétation étroite des instructions formelles, émanées du département de la justice.
En effet, dès 1835, le ministère de la justice prescrivait à tous les officiers et agents de police judiciaire de ne poser aucun acte qui pourrait gêner l'usage en vertu duquel le transport des journaux par les messageries était toléré.
Deux documents récents prouvent que si l'opinion du département de la justice s'est modifiée à cet égard, c'est dans un sens plus libéral encore.
Ainsi nous lisons dans une dépêche adressée le 22 septembre 1862 par l'honorable M. Tesch, ministre de la justice, à son collègue des travaux publics, l'extrait suivant :
« Je pense, M. le ministre, que les motifs qui ont donné lieu à la tolérance du transport des journaux par la voie de la messagerie militent pour le transport des journaux par toute voie quelconque et qu'il importe de tenir compte du fait patent signalé par votre département, de la distribution des journaux faite ouvertement et sans entraves, et qu'au surplus il serait peu équitable de sévir contre le transport, irrégulier peut-être, des journaux en province, tandis que le colportage des feuilles publiques est ouvertement pratiqué et notamment de la capitale dans les communes suburbaines et réciproquement des faubourgs dans la ville. »
L'autre document est une circulaire adressé par M. Fassiaux, directeur général des postes, aux agents des postes, en exécution de la dépêche qui précède.
Cette circulaire est ainsi conçue :
« Bruxelles, le 22 novembre 1862.
« Par la dépêche reproduite ci-dessus en extrait, le département de la justice a fait connaître le véritable caractère de l'avis relatif au transport des journaux par messageries, inséré au Moniteur du 4 juin 1835 et mentionné dans la circulaire du 21 avril 18587 n°531, page 247 du premier vol du résultat des instructions.
« Il résulte de cette dépêche :
«1° Que, d'après l'esprit dudit avis dicté dans l'intérêt de la liberté de la presse, la tolérance du transport des journaux est générale n'importe par quel moyen il s'effectue ;
« 2° Que les motifs qui ont donné lieu à cette tolérance militent aussi pour la libre distribution des journaux.
« En portant cette interprétation à la connaissance des agents de l'administration, je les invite, selon les ordres de M. le ministre, à s'abstenir, (page 140) à l'avenir, de prendre aucune mesure ou de donner leur concours à aucun acte ayant pour but d'entraver soit le transport, soit la distribution des journaux en dehors du service des postes.
«. Le directeur général. Fassiaux.»
Ces deux documents, messieurs, ne peuvent laisser aucun doute dans votre esprit sur l'intention bien arrêtée de l'autorité supérieure de ne plus se prévaloir en aucune façon du décret de prairial an IX.
Toutefois, il semble, messieurs, à votre commission, qu'une condition aussi essentielle au libre développement de la presse que la liberté absolue du transport des journaux, ne devrait pas être seulement une tolérance de l'administration, mais un droit consacré d'une manière formelle par une loi.
Persuadée, d'après les documents dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner lecture, qu'elle était en communauté complète de sentiment avec le gouvernement, votre commission, messieurs, vous propose le renvoi de cette pétition à MM. les ministres des travaux publics et de la justice, avec demande d'explications.
M. Rodenbach. - Je crois qu'il est inutile de demander de nouvelles explications à MM. les ministres Déjà en 1835, M. Ernst a donné partout des instructions pour que les journaux puissent circuler librement, et MM. les ministres de la justice et des travaux publics sont trop amis de la liberté pour mettre la moindre entrave à cette circulation.
Nous voulons tous la liberté de la presse, proclamée par le Congrès national ; toutes les opinions dans cette Chambre doivent la vouloir. On peut porter les journaux à domicile ; on peut les transporter par chemin de fer ; il faut employer tous les moyens pour que la presse soit libre et c'est ce que nous avons montré en supprimant le timbre des journaux.
Je me plais à croire que l'on cherchera en Belgique tous les moyens possibles pour faciliter les communications de la presse, et qu'on en fera autant avec nos voisins, les Allemands et les Français.
Déjà un honorable député de Bruxelles, M. Hymans, en a parlé. Il faut rendre libres à l'entrée les journaux et ne pas exiger de droits.
Je crois donc qu'au lieu de demander des explications à MM. les ministres, la pétition pourrait être renvoyée, purement et simplement ou déposée au bureau des renseignements.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Rodenbach. - Un de mes voisins me dit que les tribunaux condamnent. Mais depuis que le tribunal de Verviers a condamné, des instructions ont formellement exprimé l'opinion du ministère, il y a une interprétation de la loi. Dès lors nous sommes tous d'accord. Il est inutile de demander de nouvelles explications.
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - S'il entrait dans les intentions des honorables membres désignés dans le rapport de la commission des pétitions, de donner les explications demandées, je désirerais ne prendre la parole qu'ensuite.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis donner d'autres explications que celles qui se trouvent consignées dans la lettre que j'ai écrite à mon honorable collègue des travaux publics, lorsque j'ai été consulté sur cette affaire.
J'ai déclaré que, dans mon opinion, il ne fallait porter aucune atteinte à la libre circulation des journaux, qu'il fallait permettre de les distribuer comme les éditeurs le jugeaient convenable.
Voilà l'opinion que j'ai manifestée à mon collègue, M. le ministre des travaux publics. Si j'avais été consulté plus tôt, j'aurais fait arrêter les poursuites. Que voulez-vous que je dise de plus ? A l'avenir, après les circulaires qui ont été faites, l'opinion du gouvernement étant connue de tout le pays, la loi de prairial ne sera plus appliquée. Les journaux circuleront avec toute la liberté possible.
Je n'ai pas d'autres explications à donner.
M. Coomans. - Je ne puis que rendre hommage à la conduite libérale tenue par le gouvernement dans le fait qui nous occupe. Mais je ne puis pas du tout me rallier à l'opinion exprimée par M. le ministre de la justice, qu'il n'y aurait pas autre chose à faire qu'à enregistrer au Moniteur sa déclaration avec le rapport de la commission des pétitions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit un mot de cela.
M. Coomans. - Comment ! Je croyais avoir entendu que vous n'aviez rien à ajouter, après ce que vous avez dit et fait.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai dit que je n'avais pas d'autres explications à donner, que cela m'était impossible.
M. Coomans. - Moi, j'ai besoin d'autres explications. Je trouve que la prétention du gouvernement est peu constitutionnelle. Quoi ! il dépendrait d'un ministre d'exécuter ou de suspendre une loi ! Mais c'est le grand grief des Russes contre le tzar ; il y a en Russie des lois très libérales, mais elles ne signifient pas grand-chose parce que c'est la bureaucratie qui en règle l'application.
La Chambre se souviendra peut-être qu'il y a un an j'ai eu l'honneur d'appeler son attention sur le point dont il s'agit. J'ai constaté, à cette époque, que la loi de prairial an IX a été constamment violée et j'ai ajouté que, d'après le ministre et d'après moi, cette violation était très excusable, puisqu'il était impossible de ne pas la commettre. Eh bien, les vrais principes, le bon sens, la liberté exigent que lorsqu'une loi est reconnue mauvaise, elle soit supprimée ou modifiée.
Cette loi de prairial an IX était déjà, selon moi, absurde et despotique en l'an IX ; elle l'est bien davantage aujourd'hui. Effacez-la de nos codes. Mais il ne suffit pas d'une explication de ministre, ni de plusieurs circulaires pour offrir à la presse et à ses lecteurs les garanties dont ils ont besoin ; car, en définitive, s'il plaisait au successeur de l'honorable ministre de retirer cette circulaire ou cet avis et d'en rédiger une autre, où l'article premier du décret de prairial serait déclaré obligatoire, l'honorable M. Tesch ne se croirait pas responsable de ce revirement d'opinion et on exécuterait la loi de prairial dans toute sa teneur, c'est-à-dire dans toute son absurdité. On ne saurait assez relire le texte, qui est formel : (L'orateur donne lecture de l'article premier de la loi du 27 prairial an IX.) Voilà l'article premier du décret du 27 prairial an IX et je ne conçois pas qu'un ministre constitutionnel ose venir prétendre ici qu'il suffit d'une circulaire ou même d'une simple déclaration faite de son banc pour suspendre l'exécution d'une loi.
Mais l'honorable ministre s'adjuge ici un privilège que le Roi lui-même ne possède pas ; l'article 67 de la Constitution porte :
« Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. »
Avec la doctrine de l'honorable ministre, on effacerait d'un trait de plume l'article 67 de la Constitution. C'est vraiment trop fort.
De deux choses l'une : ou cette loi existe aujourd'hui, et il serait difficile de le nier, et, dans ce cas, vous devez la faire exécuter, bien que vous ayez le droit d'en suspendre l'exécution.
Vous devez la faire exécuter ; mais il y a plus : tous vos subordonnés doivent la faire exécuter, et si vos subordonnés faisaient de vos circulaires l'usage prescrit par la Constitution, s'ils les foulaient aux pieds et s'ils s'en rapportaient au texte ou à l'esprit incontestable de la loi, ils agiraient sagement, en bons citoyens et en bons fonctionnaires.
Messieurs, il est vraiment étrange d'entendre dire dans une Chambre belge, en 1862, que l'on peut, par une circulaire, suspendre l'exécution d'une loi, mais vous la suspendez dans un cas et vous ne la suspendez pas dans un autre...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Moi, j'ai dit cela ?
M. Coomans. - Vous avez dit que vous n'aviez pas d'autres explications à fournir à la Chambre que celles que vous aviez déjà données ; et moi je prétends qu'il faut venir ici avec un projet de loi qui modifie ou qui révoque le décret de prairial, car vous n'aviez pas le droit d'empêcher les poursuites ridicules, qui ont eu lieu, qui devaient avoir lieu. Absurda lex, sed lex. Eh bien, supprimez l’absurda lex sous peine d'entendre dire que les circulaires ministérielles sont plus absurdes encore.
Les considérations émises dans le rapport de la commission, je les trouve justes et constitutionnelles ; elles ne sont susceptibles que d'une solution : Ou le retrait immédiat de la circulaire inconstitutionnelle dont on nous a fait imprudemment l'éloge ; ou bien le retrait de la loi de prairial.
Il faut que tous les journaux belges sachent à quoi s'en tenir et que tous soient bien persuadés qu'il ne peut dépendre de la volonté arbitraire de n'importe qui, d'appliquer la loi à l'un et de ne pas l'appliquer à l'autre.
Je demande formellement ou le retrait immédiat de la circulaire inconstitutionnelle du gouvernement ou la promesse de celui-ci, de nous présenter sans retard un projet de loi ordonnant de ne plus poursuivre les journaux qui se seront distribués de la manière qu'ils jugeront la plus convenable à leurs intérêts et à l'intérêt du public.
M. Goblet. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Rodenbach, dans l'intérêt de la liberté de la presse, a proposé à la Chambre d'ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau des renseignements. Je crois que la proposition de l'honorable membre va à l'encontre de son but, et qu'il vaut beaucoup mieux se rallier aux conclusions du rapport de la commission.
(page 141) Je n'irai pas jusqu'à accuser la conduite du ministère d'être inconstitutionnelle dans cette circonstance ; mais il est évident que, dans ce qui s'est passé, il y a un fait qui nous choque et que désapprouve M. le ministre lui-même.
Les circulaires dont l'honorable rapporteur nous a donné lecture tout à l'heure, les paroles qu'a prononcées M. le ministre de la justice indiquent manifestement que la volonté du gouvernement est que de pareilles poursuites ne se renouvellent pas, et que s'il avait pu prévoir que de semblables poursuites dussent être intentées, il aurait fait ce qui aurait dépendu de lui pour les empêcher....
M. Coomans. - Il n'a pas ce droit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la question. Attendez.
M. Goblet. - En tout cas, je crois que la pétition doit être renvoyée au gouvernement, non seulement afin qu'il donne des explications à la Chambre, mais aussi pour qu'il veille à ce que de pareils faits ne se reproduisent pas. Si une proposition de loi est nécessaire, qu'on en soumette une à nos délibérations. Y a-t-il un autre moyen de porter remède à l'état de choses qui nous est dénoncé ? Qu'on y ait recours, mais il est évident qu'il y a là une violation de la liberté de la presse et que le fait constitue, en outre, une injustice criante.
Il y a des individus qui colportent les journaux sur tous les points du pays, et jamais un fait comme celui dont il s'agit ici ne s'est produit, c'est-à-dire que jamais aucune poursuite n'a été dirigée contre des porteurs de journaux, par application d'une loi purement fiscale.
Je répète, messieurs, que ce sont là des anomalies choquantes, non seulement au point de vue de la justice, mais encore au point de vue des idées libérales qui constituent la base de nos institutions. Je crois donc qu'il est bon de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice, afin qu'il prenne les mesures nécessaires pour empêcher le retour de pareils faits.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Coomans, pouf se livrer à toute l'indignation dont il a fait preuve tantôt, a dû se mettre à côté des faits et à côté de tout ce que j'ai dit ; car il n'y avait évidemment rien ni dans les faits ni dans mon langage qui autorisât l'honorable membre à crier à la violation des lois, à la violation de la Constitution.
Messieurs, quels sont les faits ?
Vous savez, pour remonter à 1830, qu'un décret du gouvernement provisoire a déclaré, article 2 : « Toute loi ou disposition qui gêne la libre manifestation des opinions, la propagation des doctrines par la voie de la parole, de la presse et de l'instruction, est abolie. »
On s'est demandé si, en présence de cette déposition, l'on pouvait maintenir une entrave à la circulation des journaux, à l'instrument, si je puis ainsi dire, qui reproduit la pensée.
En 1835, la question a été posée au gouvernement de l'époque, de M. Ernst, alors ministre de la justice, a été d'avis qu'il n'y avait pas lieu d'exécuter, en ce qui concerne les journaux, la loi de prairial. Depuis lors on a laissé à la libre concurrence le transport des journaux, des imprimés, en un mot de tout ce qui est de nature, comme le dit le décret du gouvernement provisoire, à propager la pensée. Voilà les faits dans toute leur simplicité.
Depuis 1835, depuis que M. Ernst avait, en qualité de ministre de la justice, fait connaître son opinion, et je ne sais pas même si c'est par une circulaire ou par une déclaration à son collègue des travaux publics, depuis 1835, dis-je, la libre distribution des journaux n'avait rencontré aucune difficulté.
Cette année, par hasard, surgit une saisie dans l'arrondissement de Verviers ; un procès-verbal est dressé, des poursuites ont lieu et elles sont exercées à l'insu du ministre de la justice.
Le département de la justice est consulté ultérieurement et, se rappelant la circulaire de 1835, il déclare que la mesure prise à cette époque l'a été dans l'intérêt de la presse, de la distribution des journaux, de la propagation de la pensée et qu’il y a lieu de maintenir cet état de choses, d'autant plus qu'à Bruxelles les journaux sont distribués librement, de la capitale dans les faubourgs, des faubourgs dans la capitale, et qu'il n'y a pas lieu de ne pas appliquer ce régime à toutes les autres parties du pays.
Voilà, messieurs, ce que le ministre de la justice a répondu à son collègue des travaux publics, sans écrire de circulaire à ce sujet.
Je ne comprends donc pas que l'honorable M. Coomans vienne ici crier si fort que le ministère suspend les lois par des circulaires, qu'il viole l'article 67 de Constitution, etc., etc. Messieurs, tout cela est un hors d'œuvre des mieux caractérisé.
M. Coomans. - Tout cela s'applique parfaitement à la circulaire de 1835.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - D'abord, je le répète, je ne sais pas si, en 1835, il y a eu une circulaire ou une simple lettre au ministre des travaux publics.
Mais je déclare que vous venez un peu tard en 1862 me faire la guerre à moi, pour venir m'attaquer à propos d'un fait qui remonte à 1835 et qui m'est étranger, pour soutenir que je viole la Constitution et cela est étrange surtout de la part de l'honorable membre que nous avons entendu, dans cette enceinte, prêcher ouvertement la violation du décret même dont nous nous occupons.
Vous-même vous provoquiez à la violation de cette loi. Je ne comprends pas votre sortie. Quand on pousse à la violation des lois comme vous l'avez fait si souvent dans cette enceinte, il ne faut pas se montrer si susceptible et s'indigner, surtout quand on n'a aucune raison pour le faire.
Depuis 1835 les départements de la justice et des travaux public ont toujours été d'avis qu'il fallait laisser à la presse, à la propagation de la pensée la plus grande liberté ; leur opinion est que ce qui a été pratiqué depuis 1835 à l'égard des journaux doit être maintenu.
Un mot maintenant quant à la nature de la loi de prairial.
Celte loi consacre un droit au profit de l'Etat pour le transport des lettres ; ce n'est pas une de ces lois qui règlent le droit des citoyens, lois auxquelles personne n'oserait toucher ; c'est une loi en faveur de l'Etat et qui est considérée comme une simple disposition fiscale.
Qu'a fait le département de la justice ? Il a été favorable à la presse, il a donné à une disposition exclusivement introduite dans l'intérêt du trésor une interprétation favorable à la presse.
Assurément, de ce chef aucune critique ne peut être dirigée contre lui.
M. Jamar, rapporteur. - Contrairement à l'opinion de l'honorable M. Rodenbach, qui trouve que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible, l'honorable M. Coomans trouve que la circulaire ministérielle de 1835 et les documents dont j'ai eu l'honneur de vous donner lecture constituent l'abomination dans la désolation.
Le système suivi par te gouvernement est digne de l'administration russe ; il y a quelque chose d'arbitraire, de despotique dans cette manière d'agir.
Je dois dire que la pétition qui nous occupe a été examinée avec le plus grand soin par la commission.
Elle n'a rien trouvé qui justifiât les accusations de l'honorable M. Coomans.
Elle a trouvé que la pétition signalait un fait regrettable, mais elle n'a pas songé un instant à en faire remonter la responsabilité au gouvernement. Les explications demandées ne doivent pas porter sur le fait, qui est parfaitement clair pour tout le monde, mais sur l'opportunité de modifier, comme le demande le pétitionnaire, le décret de prairial an IX.
M. Coomans. - Il m'est impossible de me déclarer satisfait du discours que vient de prononcer M. le ministre de la justice, dans lequel je n'ai trouvé que des erreurs et des violences. C'est en effet une très grave violence de la part d'un ministre que d'accuser un représentant de la nation d'exciter à la violation continuelle des lois, surtout quand ce ministre s'abstient de citer un seul fait pour prouver cette monstrueuse accusation.
Je vous défie de citer un seul fait pour motiver l'insulte que vous m'adressez ; c'est l'insulte la plus grave qu'on puisse adresser à un membre de cette Chambre que de dire qu'il excite à la violation des lois.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez provoqué à la violation de la loi sur les passeports ; vous vous êtes vanté d'avoir refusé de montrer votre passeport à un agent de l'autorité qui vous le demandait.
M. Coomans. - Ah ! M. le ministre, vous omettez de dire que j'ai soutenu que l'exhibition forcée de passeports était inconstitutionnelle pour les citoyens belges. J'ai soutenu qu'on n'avait pas le droit d'exiger un passeport d'un citoyen belge dans son pays.
M. de Naeyer. - C'est vrai.
M. Coomans. - J'ai soutenu que c'était vous qui étiez dans l'illégalité en exigeant ce passeport sous peine d'expulsion, ce qui était mon cas puisqu'en descendant de convoi à Verviers, je fus menacé par la police d'être reconduit en Prusse, c'est-à-dire expulsé de mon pays, si je ne montrais pas un passeport. Voilà la prétention monstrueuse que j'ai repoussée, mais j'ai reconnu aussi que vous aviez le droit, dont on abusait ridiculement, d'exiger des passeports des étrangers à leur entrée en Belgique. Au fond j'avais si bien raison, que, quelques mois après, vous l'avez confessé, puisque vous avez supprimé ce que vous aviez déclaré insupprimable.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela n’est pas exact.
M. Coomans. - IL n’est donc pas vrai que j’aie provoqué à la violation des lois dans la question des passeports. Au contraire, j’ai cherché (une ou deux mots illisibles) au respect de la loi de de la Constitution.
Si vos autres preuves ont la valeur de celle-ci, je vous plains d’avoir provoqué les mots que je vous ai reprochés.
Mais selon M. le ministre, j’ai au moins provoqué à la violation du décret du 27 prairial an IX.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Encore oui.
M. Coomans. - Comment M. le ministre peut-il s'exprimer de la sorte, quand il vient prétendre que ce décret n'a plus force de loi ?
Comment ai-je pu provoquer à la violation d'une loi qui n'existe plus, d'après vous ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous prétendez qu'elle existe.
M. Coomans. - Je crois que cette loi existe, mais je vous ai dit qu'elle était impraticable, et à l'impossible nul n'est tenu. J'avais tellement raison que vous-même le reconnaissez aujourd'hui.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais je ne le reconnais pas.
M. Coomans. - Vous-même reconnaissez qu'on peut librement transporter partout les journaux en dépit du décret de prairial.
Si vous aviez tenu ce langage l'année dernière, je n'aurais pas réclamé, et le tribunal de Verviers n'aurait pas fait ce qu'il a fait, car la condamnation qui est intervenue, c'est M. le ministre de la justice qui l'a provoquée par son langage de l'an dernier.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qu'est-ce que j'ai dit l'an dernier ? Je vous défie de le citer.
M. Coomans. - Relisez nos Annales. Je maintiens donc mon défi de justifier l'outrage qu'il m'a jeté à la face quand il a dit que je provoque constamment à la violation des lois.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.
M. Coomans. - Et si l'honorable ministre ne peut justifier son langage, je le livre à la justice parlementaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et moi je livre à cette justice tout ce que vous avez dit.
M. Coomans. - J'y consens. Maintenant, dit M. le ministre, le décret du 27 prairial an IX a été rédigé à l'avantage du gouvernement, c'est-à-dire du trésor public, et il peut dépendre du gouvernement de modifier l'application d'un décret porté en sa faveur. Mais, messieurs, c'est là une exorbitance.
Quoi ! l'honorable ministre pourra décharger certains journaux de cette obligation plus ou moins légale de l'impôt, il pourra dans certaines villes exiger l'application du décret de prairial an IX et il pourra s'en abstenir dans d'autres !
C'est, je le répète, le régime du bon plaisir pur et simple. Nous voulons, nous, que les mêmes citoyens jouissent des mêmes droits.
Je vous ai lu tout à l'heure l'article 67 de la Constitution. Voici l'article 112 :
« Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts.
« Nulle exemption ou majoration d'impôt ne peut être établie que par une loi. »
Or, de quel droit exempteriez-vous un journal du payement du droit de poste alors que vous n'en exempteriez pas un autre ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais qui donc a fait cela ? Qui donc a soutenu cela ?
M. Coomans. - M. le ministre me demande qui a fait cela.
Je ne sais pas qui l'a fait, mais je sais qui l'a dit. C'est lui.
Il vient de dire immédiatement que le gouvernement, le fisc a le droit de renoncer en tout ou en partie à un monopole établi en sa faveur.
Mais il est impossible que des journaux prudents et bien avisés se contentent d'une semblable déclaration.
J'ai dit aussi qu'il y avait des erreurs dans le discours de M. le ministre de la justice.
Je suis particulièrement à même de les signaler.
A en croire M. le ministre, depuis 1830 et surtout depuis 1835, la poste a laissé libre la distribution des journaux, notamment depuis la circulaire de 1835.
Il n'en est rien, messieurs, mes souvenirs de journaliste vont assez loin. J'appelle toute l'attention de la Chambre sur ce que je vais lui dire.
Il y a 20, 22 et 23 ans, l'abus a duré plusieurs années, divers journaux, paraissant le soir, et n'étant pas dans la possibilité d'être expédiée par la poste, avaient trouvé convenable et profitable de se servir des diligences de nuit de la maison Van Gend.
Les journaux étaient confiés par gros paquets à cette maison, qui en faisait la distribution, conformément à ses engagements. Mais qu'a fait la poste ?
Elle est intervenue. J'affirme qu'elle est intervenue, car elle est intervenue auprès de moi et elle nous a dit : Vous expédiez vos journaux par les messageries. C'est votre intérêt, car la distribution est accélérée et vous ne payez pas autant à cette entreprise que vous payeriez à la poste. Vous ne payez que 50 à 70 centimes pour un paquet de journaux. C'est plus économique ; mais nous avons droit à nos centimes et vous les payerez ou nous ferons dresser procès-verbal, nous vous ferons mettre à l'amende.
Voilà le langage que la poste a tenu, et ce langage a si bien convaincu plusieurs éditeurs et rédacteurs de journaux qu'ils ont payé double port, c'est-à-dire d'abord à la maison Van Gend et ensuite à la poste, pour des journaux non distribués par celle-ci.
Ainsi voilà un fait important dans ce débat et qui prouve que M. le ministre a été fort mal renseigné.
Maintenant il faut de la bonne foi en tout.
Le parquet de Verviers a bien fait de poursuivre, le tribunal a bien fait de condamner, car la loi est formelle.
M. Muller. - Du tout.
M. Coomans. - Vous m'obligez à la relire. (L'orateur donne lecture de la loi.)
M. Muller. - Lisez le décret de 1830.
M. Coomans. - e tribunal de Verviers n'avait pas lu, selon vous, le décret de 1830 ? C'est flatteur pour lui.
M. Muller. - Il l'a interprété comme vous.
M. Coomans. - Il est donc diversement interprétable. Je n'aime pas les décrets qui sont susceptibles dotant d'interprétations.
M. Allard. -Il ne faut pas de loi alors. Tous les jours les tribunaux interprètent des lois.
M. Coomans. - J'ai dit que la loi était précise : « Il est défendu à tout entrepreneur de voitures publiques et à toute personne étrangère au service des postes, de s'immiscer dans le transport des lettres, des journaux, feuilles à la main, etc. »
L'honorable ministre veut établir une distinction entre les journaux et les lettres, sous prétexte que la libre circulation de la pensée est garantie par le décret de 1830. Mais on dépose la pensée tout aussi libre et même plus libre dans les lettres que dans les journaux. De quel droit maintiendrez-vous la défense de faire transporter des lettres par n'importe qui, alors que vous n'insisterez pas sur la défense du transport des journaux ?
On me fait observer, il est vrai, que l'honorable ministre a soutenu que la jurisprudence en cette matière est très variable. Or notre devoir, à nous, est de fixer le sens des lois, afin que les tribunaux ne puissent pas se tromper très consciencieusement. En somme, il faut, quand une loi est reconnue inapplicable, ou simplement douteuse, la remanier, et il ne suffit pas d'une parole du ministre pour nous donner à ce sujet les apaisements auxquels nous avons droit.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je suis réellement étonné de la proportion qu'il plaît à l'honorable M. Coomans de donner à ce débat.
Qu'est-il arrivé en fait ? Une pétition a été adressée à la Chambre. Le rapport a été fait aujourd'hui. On a demandé le renvoi de la pétition aux ministres des travaux publics et de la justice avec demande d'explications.
Je n'ai fait aucune objection aux conclusions du rapport. J'ai accepté le renvoi, je ne m'y étais nullement opposé, lorsque l'honorable M. Coomans a demandé s'il ne conviendrait pas au ministre de donner aujourd'hui des explications à la Chambre. Ces explications, je les ai données ; que pouvais-je faire de plus ? Je répondais au désir manifesté par l'honorable M. Coomans lui-même.
Je disais que, dans mon opinion, le décret de prairial ne devait plus être appliqué aux journaux, que c'était l'avis que j'avais émis antérieurement, lorsque j'avais été consulté sur cette affaire.
Voilà tout ce que j'ai dit dans la première réponse que j'ai faite à l'interpellation de M. Coomans lui-même.
Maintenant, il convient à l'honorable M. Coomans de continuer à soutenir que je prétends avoir le droit d'abolir les lois par des circulaires, que je viole la Constitution, que j'entends permettre à certains journaux d'être transportés par la voie des messageries, que j'entends le défendre à d'autres, et exempter certains individus de l'impôt, tandis que l'on n'en exemptera pas d'autres. Mais tout cela est dans l'imagination de l'honorable M. Coomans.
Ce sont des intentions et des distinctions qu'il m'attribue à plaisir pour (page 143) pouvoir les réfuter, pour crier à l'iniquité, à l'illégalité. Mais dans tout ce que j'ai dit, il n'y a rien de ce que me prête l’honorable M. Coomans.
J'ai accepté le renvoi. Il y a lieu d'examiner si le décret de 1830 est réellement abolitif de la loi de prairial ou s'il faut proposer une disposition nouvelle. Voilà la position que j'ai prise dès le début de cette discussion, et ce que fait l'honorable M. Coomans est un véritable hors d'œuvre.
Maintenant l'honorable M. Coomans prétend qu'il n'y a pas de raison de faire une exception en faveur des journaux et de ne pas la faire en faveur des lettres, que les lettres contiennent aussi l'expression de la pensée.
Dois-je réfuter une semblable assimilation ? Qui sait donc ce qu'il y a dans une lettre ? Y a-t-il un régime spécial pour les lettres ? N'y en a-t-il pas un, au contraire, pour les journaux ? Ce sont deux choses qui ne peuvent être comparées.
L'honorable M. Coomans vient de dire que j'ai soutenu que la jurisprudence était très douteuse sur la question du transport des lettres. Qu'ai-je dit ? Un jour, l'honorable M. Coomans a agité (je crois que c'est lui) la question de savoir si l'on pouvait transporter des lettres par des exprès, et j'ai dit, à cette époque, que la jurisprudence, sur ce point spécial, avait varié. Elle a fini par se fixer en ce sens qu'il est permis de faire transporter des lettres par des exprès. Je ne pense pas avoir rien dit d'autre ici.
Je ne veux pas continuer ce débat. Je le répète, on lui donne des proportions qu'il n'a pas. On renverra la pétition au gouvernement et le gouvernement examinera. C'est ce qu'il a dit dès le principe.
M. Coomans. - Je n'insiste pas sur ma proposition du dépôt de la pétition au bureau des renseignements par les motifs que j'ai exprimés.
D'ailleurs je défie tous les ministres présents et futurs, de mettre des entraves à la liberté, à la circulation des journaux.
M. le ministre vient de déclarer qu'il ne se refusait pas à ce que la pétition lui fût renvoyée. Je retire donc ma proposition.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Asper, le 12 novembre, des membres du conseil communal d'Asper prient la Chambre d'annuler une délibération prise par ce conseil, le 20 mars 1862, et portant nomination d'un membre du bureau de bienfaisance.
Messieurs, voici en deux mots ce dont il s'agit. Dans la commune d'Asper, le conseil communal, quatre membres seulement étant présents, a nommé illégalement un membre du bureau de bienfaisance. Le conseil communal de cette commune se compose de neuf membres ; mais par suite du décès d'un conseiller il n'y en a que huit en fonctions aujourd'hui.
Ces huit membres avaient procédé à l'élection du membre du bureau de bienfaisance.
Mais comme on prévoyait qu'il y aurait partage des voix, quatre membres avaient voté pour l'homme le plus âgé de la commune, pour un vieillard âgé de 80 ans ; les quatre autres, pour l'emporter, choisirent un homme étranger à la commune, qui avait 90 ans.
Vous voyez où mènent les malheureuses dissensions dans les communes, puisqu'elles vont jusqu'à faire dire membres d'un bureau de bienfaisance des hommes de 80 et de 90 ans.
Ces deux hommes ayant obtenu parité de voix, une réclamation fut adressée à la députation permanente, par laquelle les quatre membres opposants prétendaient que l'élection n'était pas valable ; qu'on n'avait pas procédé régulièrement ; que les opérations devaient être recommencées.
La députation permanente de la Flandre orientale, consultée sur ce qu'il1 y avait à faire, prescrivit, comme de droit, qu'il fallait procéder à un scrutin de ballottage et qu'en cas de parité des voix, il fallait prendre pour membre du bureau de bienfaisance le plus âgé des deux candidats.
Cette décision est conforme à la jurisprudence constante en fait d'élections en général et aux articles 36 de la loi électorale et 42 de la loi communale, et votre commission partage cet avis.
En présence de cette décision, le conseil communal est de nouveau convoqué et dans cette réunion ne comparaissent que 4 membres ; ces 4 membres procèdent à la nomination du même candidat comme membre du bureau de bienfaisance ; de là une nouvelle réclamation par les autres 4 membres est adressée à Sa Majesté pour faire annuler la résolution du conseil communal.
Cette pétition fut renvoyée à M. le ministre de la justice, qui, n'ayant examiné que le premier point, déclare les pétitionnaires non recevables, mais quant au deuxième point, celui de la nomination par 4 membres, M. le ministre ne prend aucune décision. Or, il est évident qu'une nomination faite par 4 membres dans un conseil composé de 8 membres, ne peut être valable, à moins qu'il n'y ait trois convocations consécutives et qu'à cette troisième convocation il soit satisfait aux prescription de l'article 64 de la loi communale, qui veut que les lettres de la troisième convocation rappellent textuellement les deux premières dispositions du présent article 64 de la loi communale.
Mais ce qui est plus frappant dans cette pétition, c'est que les pétitionnaires donnent l'extrait du procès-verbal de cette séance, où il est dit :
« Les autres objets à l'ordre du jour sont renvoyés à une prochaine séance vu que le conseil n'est pas en nombre compétent pour délibérer. »
Evidemment, les membres présents se condamnent par-là eux-mêmes et prouvent la nullité de la nomination qu'ils ont faite d'un membre du bureau de bienfaisance.
La commission propose, messieurs, le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, les faits, tels que vient de les exposer l'honorable M. Vander Donckt, ne sont pas tout à fait exacts, ou, pour mieux dire, son exposé est incomplet, comme il le reconnaîtra bientôt lui-même.
Le conseil communal d'Asper était appelé à nommer un membre du bureau de bienfaisance. Les membres du conseil communal se sont divisés par moitié. Quatre ont porté leurs voix sur un candidat, quatre les ont portées sur un autre candidat.
La question s'est donc présentée de savoir s'il fallait procéder à un ballottage.
On s'est adressé à la députation permanente, qui a décidé la question affirmativement, et je pense que la commission des pétitions partage cette manière de voir, c'est-à-dire que dans ce cas il faut suivre le principe consacré par l'article 42 de la loi communale et procéder à un ballottage ; s'il y a encore parité de suffrages, c'est le plus âgé qui l'emporte.
Voilà, messieurs, la décision prise par la députation permanente le 2 mars. Cette décision est portée à la connaissance du conseil communal qui, le 20 du même mois, s'est réuni à nouveau pour cet objet. Mais le nombre des membres présents n'était que de 4, tandis que le conseil se compose de 9 membres.
On procéda néanmoins à la nomination, et c'est ici que l'exposé de l'honorable M. Vander Donckt est incomplet ; les 4 membres qui n'avaient pas assisté à la séance et dont l'opinion avait été condamnée par la députation permanente adressent une requête au gouvernement afin de faire annuler la délibération de la députation permanente, qui avait admis en principe que la nomination devait être faite conformément à l’article 42, et ils adressent une autre requête à la députation permanente contre l’élection faite par 4 membres seulement.
Dans la réclamation adressée au gouvernement on mentionne bien que la nomination a été faite alors qu'il n'y avait que 4 membres présents, mais ce n'est point contre ce fait que la réclamation est dirigée. Ce fait a été porté devant la députation, qui a statué.
La situation est donc celle-ci : la question de savoir si, en cas de parité, de suffrages, il faut procéder à un ballottage ; cette question a été résolue conformément à l'avis de la commission des pétitions.
Quant à la deuxième délibération, celle du 20 mars, elle a été déférée à la députation, mais la décision prise par la députation, le gouvernement n'en a jamais été saisi, et par conséquent n'a pas eu à statuer.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, je vais donner lecture d'un passage de la pétition où les signataires disent le contraire de ce que vient de dire l’honorable ministre de la justice :
Messieurs, la commission a examiné ce second point, et elle a pensé que la nomination de ce membre était évidemment contraire aux lois existantes ; il fallait donc, à tout prix, recommencer le ballottage et, ainsi que l'a fort bien dit M. le ministre de la justice, prendre ensuite les mesures qui sont d'une jurisprudence généralement reçue dans tous nos comices électoraux et dans les corps constitués.
Nous nous sommes donc crus fondés à proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, pour s'expliquer sur le second point.
Le premier point a été écarté par la commission des pétitions. Nous nous sommes dit : « Les pétitionnaires sont dans leur tort. » Mais pour le second point, ils sont évidemment fondés dans leur réclamation, et c'est un point à examiner.
M. le ministre de l'intérieur, après avoir pris les informations qu'il jugera nécessaires, se prononcera sur la question dont la solution ne nous semble pas pouvoir être douteuse.
(page 144) M. Muller. - Le ministre de l'intérieur n'a rien à décider maintenant.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Comment ! dans ce cas je rappellerai à la Chambre qu'il ne faut pas perdre de vue le dernier paragraphe de l'article 87 de la loi communale qui est ainsi conçu :
« Après le délai de quarante jours fixé dans les deux paragraphes précédents, les actes mentionnés dans ces mêmes paragraphes ne pourront être annulés que par le pouvoir législatif. »
C'est donc bien le pouvoir législatif qui doit décider si, dans cette circonstance, on a contrevenu à la Constitution et aux lois qui régissent les élections, on procédant à la nomination d'un membre du bureau de bienfaisance par quatre voix, là où huit membres sont en fonctions, sans se conformer aux dispositions de l'article 64 de la loi communale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable rapporteur ne veut pas tenir compte de la marche qu'il y avait à suivre et qui a été suivie. La décision qui a été prise le 20 mars est celle que l'honorable membre trouve irrégulière ; c'est la décision qui a été prise, alors qu'il y avait seulement 4 membres présents.
A qui l'examen de cette question devait-il être soumis ? était-ce directement au gouvernement ? Non ; c'était évidemment à la députation ; c'est ce qui a eu lieu. La dépuration a été saisie, et a rendu sa décision. Qu'y a-t-il à faire ? C'est de déférer celle-ci au gouvernement si on le croit nécessaire et si on est encore dans les délais. Le gouvernement ne peut pas s'occuper de la délibération du conseil communal en laissant à l'écart la décision de la députation qui l'aurait confirmée.
Je répète que les pétitionnaires devaient ou doivent, s'ils sont dans le délai voulu, déférer la décision de la députation au gouvernement, et c'est alors seulement que le gouvernement examinera cette décision et statuera. Voilà la marche à suivre, il n'y en a pas d'autre.
M. Julliot. - Messieurs, je pense avec l'honorable ministre de la justice qu'il n'a ni à improuver ni à approuver cet acte.
Une délibération d'un conseil communal, prise contrairement à la loi alors même que la députation permanente l'a revêtue de son approbation par son silence, n'a aucune valeur, cette résolution n'existe pas.
Je lis à l'articl 64 de la loi communale : Le conseil ne peut prendre de résolution si la majorité de ses membres en fonction n'est présente. Cependant, après la troisième convocation elle pourra délibérer quel que soit le nombre des membres présents.
Il faut que les membres présents forment la majorité, sauf que si, après une deuxième et une troisième convocation, le conseil communal n'est pas en nombre, il peut délibérer, quel que soit le nombre des membres présents.
Or, ces trois convocations ont-elles été faites, oui ou non ?
M. Vander Donckt, rapporteur. - Non. Une seule convocation a été faite.
M. Julliot. - Le conseil, au début de la séance, constate qu'il est minorité et renvoie les affaires à l'ordre du jour, à une séance suivante ; néanmoins il procède à la nomination d'un membre du bureau de bienfaisance.
Je dis donc qu'aucune résolution n'a été prise, elle n'a pas été possible, la députation n'avait pas de base pour valider cet acte par son silence, il n'y avait pas d'acte aux yeux de la loi communale, il n'y a rien, dans l'impuissance d'une résolution toute nomination devient impossible. Le silence approbatif de la députation n'a pu faire naître ce qui n'existait pas, et le membre nommé à ce bureau de bienfaisance est un intrus sans qualité qui doit quitter sa place aussitôt que l'erreur est reconnue. La députation, par l'organe de son président, aurait dû faire connaître au conseil communal de cette commune, qu'il n'y avait pas de résolution et que c'était à recommencer. J'appuie donc ce renvoi avec demande d'explications.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Messieurs, pour prétendre qu'en cas de parité de voix, il faut un ballottage, on invoque l'article 42 de la loi communale, et on soutient qu'il faut procéder aux élections dont il s'agit, comme on procède aux élections des membres du conseil communal. On va même plus loin ; de même que pour le conseil communal on procède au ballottage, quel que soit le nombre des électeurs présents, on doit, dit-on, appliquer le même principe aux élections à faire par le conseil communal.
Cette opiunon, qu'il suffit de 4 membres présents, peut être une erreur ; c'est possible, mais je n'examine pas la question ; dans ce cas, on peut la dénoncer au gouvernement, celui-ci examinera et statuera.
Mais on ne peut pas prétendre que, lorsqu'une députation a validé une délibération d'un conseil communal, prise même contrairement à la loi, il ne faudra aucune espèce d'acte pour que cette délibération soit considérée comme nulle. S'il y a un autre acte contre lequel on ne s'est pas pourvu, cet acte doit être exécuté. La seule marche à suivre, c'est de se pourvoi contre la décision de la députation et de la faire réformer.
M. Julliot. - Messieurs, j'ai fait partie pendant 15 ans d'une députation permanente ; nous avons beaucoup approuvé, beaucoup annulé ; mais nous avons reconnu que nous ne pouvions pas approuver ce qui n'existait pas ; notre imagination n'allait pas jusque-là.
Or, il est évident, d'après le texte de la loi communale, que toute délibération quelconque prise par un conseil en minorité est nulle parce que la loi dit en termes exprès, que cette minorité ne peut prendre aucune résolution.
Dès lors, sur quoi la députation permanente a-t-elle pu délibérer ? Sur rien, puisque rien n'existait légalement ; les prescriptions de la loi indispensables à l'existence d'une délibération d'un conseil communal ne peuvent entraîner l'approbation de l'autorité supérieure. Car elle ne peut changer la loi, ces résolutions n'existent pas au vœu de la loi.
Or, un citoyen nommé membre d'un bureau de bienfaisance par un conseil communal en minorité n'a pas de nomination, et ce simulacre d'acte posé est radicalement nul et comme non-avenu.
Il est du devoir du gouvernement d'informer le collège communal que ce citoyen n'est pas membre de cette administration et qu'ils ont à procéder à une nouvelle nomination réelle, conforme à la loi.
Le gouvernement ne doit pas mettre d'amour-propre dans cette question et il serait regrettable que les principes du droit administratif et politique en Belgique fussent torturés à tel point. Il reste donc au gouvernement le devoir de faire dire à ce membre sans nomination qu'il n'a qu'à se retirer provisoirement, sauf à se faire élire en conformité de la loi.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Quand bien même nous discuterions encore plusieurs jours, il resterait incontestable, et cela n'est pas contesté que le membre du bureau de bienfaisance dont il s'agit a été illégalement nommé et que cette nomination n'a aucune force légale.
Maintenant, M. le ministre prévoit le cas où les pétitionnaires seraient encore dans le délai voulu pour réclamer. Mais, messieurs, c'est précisément le contraire que prévoit l'article 87 de la loi communale, c'est-à-dire que la législature a le droit d'annuler même une décision d'une députation permanente. Le dernier paragraphe de l'art. 87 est très explicite à cet égard, il porte : Après le délai de 40 jours fixé par les deux paragraphes précédents, les actes mentionnés dans ces mêmes paragraphes ne pourront être annulés que par le pouvoir législatif. Donc le pouvoir législatif a, en tout état de cause, le droit et le devoir d'annuler une nomination illégalement faite.
Nous persistons dans les conclusions de la commission.
- La discussion est close, la Chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
M. le président. - Un membre de la Chambre a déposé entre mes mains un projet de loi ; ce projet sera communiqué aux sections.
M. le président. - Maintenant, messieurs, la Chambre ne trouverait-elle pas convenable de passer à la discussion du projet de loi sur le contingent de l'armée ?
- Voix nombreuses : Oui ! oui !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas sur cet objet que j'ai demandé la parole.
Je n'assistais pas à la dernière séance, dans laquelle on a voté le budget des voies et moyens. A l'occasion de la discussion de ce budget, l'honorable M. Julliot a rappelé qu'une pétition avait été adressée à la Chambre par un sieur Brenier, de Furnes, au sujet de l'application de la loi de 1817 sur les successions. L'honorable membre a pensé que cette pétition, renvoyée aux ministres des finances et des affaires étrangères, était restée sans suite jusqu'à ce jour, bien que la Chambre l'eût renvoyée avec demande d'explications.
L'honorable membre est dans l'erreur : ces explications ont été données, depuis le 6 mai 1862, par le ministre des finances, ainsi que le constatent les Annales parlementaires, page 1184 ; et, par dépêche du 18 juin 1862, également mentionnée aux Annales parlementaires, p. 1591, M. le ministre des affaires étrangères a déclaré adhérer aux explications données par le ministre des finances.
M. Julliot. - Je l’ignorais.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous en avertis pour que vous puissiez examiner la réponse faite par le gouvernement.
M. Allard. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la guerre pour l'exercice 1863.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et le budget mis à la suite de l'ordre du jour.
(page 145) M. le président. - La section centrale conclut unanimement à l'adoption du projet de loi.
La discussion générale est ouverte.
M. Coomans. -Je regrette que cette discussion s'ouvre en l'absence de M. le ministre de la guerre, mon intention étant de présenter quelques observations qui le concernent. Mais comme l'intention de la Chambre n'est pas, je pense, de retarder pour moi le vote du projet de loi, je soumettrai ces observations, en priant M. le ministre de la guerre ou l'un de ses collègues de vouloir bien me donner des explications.
Je savais depuis longtemps que l'on refusait l'autorisation de se marier à des miliciens renvoyés dans leurs foyers en laissant une légère dette à la masse, jusqu'à ce que cette dette fût apurée ; mais je ne me doutais pas que les exemples de ce traitement odieux, infligé à tant de nos compatriotes, fussent aussi nombreux qu'ils le sont.
Depuis plusieurs mois il m'est arrivé des plaintes nombreuses à ce sujet ; je les résumerai en deux mots : beaucoup de ces miliciens, renvoyés de guerre lasse dans leurs foyers, quoiqu'ils fussent débiteurs de la masse, parce qu'on reconnaissait l'impossibilité où ils étaient de s'acquitter, beaucoup de ces miliciens, dis-je, se sont vu refuser le certificat LL, parce qu'ils avaient une dette à la masse ; et ils ont été avertis qu'ils ne recevraient ce certificat que lorsqu'ils auraient acquitté leur dette.
Or, savez-vous à combien s'élevait cette dette ? Pour l'un à 38 francs, pour un autre à 31 francs, pour un troisième à 27 francs, pour un quatrième à 13 francs !
Je cite de mémoire, parce que je n'ai pas mes notes sous la main, ne m'attendant pas à ce que ce projet serait discuté aujourd'hui (Interruption.)
Si l'honorable M. Allard voulait bien ne pas m'interrompre, il pourrait me répondre tout à l'heure plus facilement et plus justement.
Je disais donc que je suis obligé de citer mes chiffres de mémoire, mais je préviens le ministère que je suis à même d'apporter des preuves à l'appui de mes assertions. Donc beaucoup de ces miliciens ne devaient que des sommes insignifiantes comme celles que je viens de citer et ils ont été avertis qu'ils ne recevraient l'autorisation de se marier que lorsqu'ils les auraient acquittées.
Or, plusieurs d'entre eux ne les ont pas payées, par une excellente raison, et ils n'ont pas pu se marier.
Je n'insisterai pas sur l'inhumanité de ce procédé ; mais je répéterai ce que j'ai eu déjà l'honneur de dire à la Chambre, que ce procédé est illégal.
J'ai prié, sommé plusieurs fois M. le ministre de la guerre de me dire sur quelle disposition légale il appuyait le droit qu'il s'adjugeait : 1° de retenir sous les drapeaux, au-delà du temps ordinaire de service, des miliciens qui étaient endettés envers la masse, 2° de refuser l'autorisation de se marier aux miliciens congédiés définitivement.
Veuillez remarquer, messieurs, que le droit accordé au ministre de la guerre d'interdire le mariage des miliciens avant l'expiration des huit années de service qui leur sont légalement imposées est basé sur cette considération qu'il n'est pas bon, au point de vue militaire, que des miliciens se marient avant que leur temps de service soit complètement expiré.
C'est une thèse à examiner dont la solution n'entre pas dans le cadre de mes observations. Mais il n'est pas question de cette idée dans la catégorie des faits qui m'occupe.
En effet, le ministre de la guerre ne dit pas au milicien : Vous ne vous marierez pas, parce que l'intérêt public ou celui de l'armée s'y oppose ; non, il lui dit simplement, brutalement, je l'ai lu : Vous ne vous marierez pas, parce que vous devez 15 francs, 30 francs à la masse ; vous vous marierez quand vous aurez payé.
Je prétends que c'est là une illégalité flagrante : quand le ministre sera présent, s'il le désire, je développerai mes remarques ; je les appuierai des considérations qui me paraîtront de nature à l'édifier encore davantage.
Je voudrais que le gouvernement me dît, dès à présent, sans consulter le ministre de la guerre, qu'il reconnaît qu'il est odieux de priver des citoyens belges les plus estimables des fonctionnaires parce qu'ils travaillent gratis, du droit le plus naturel, du droit de se marier, et cela parce qu'ils ont une dette de 15 ou 30 fr. ; et cela quand le gouvernement est en train de distribuer libéralement des millions à tous les fonctionnaires.
Puisqu'il y a six millions de trop dans le trésor, je voudrais qu'on y trouvât quelques milliers, que dis-je ! quelques centaines de francs pour permettre aux miliciens l'accomplissement d'un droit et souvent d'un devoir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - M. Coomans pourrait renouveler son observation quand viendra le budget de la guerre.
M. Allard. - Tout à l'heure j'avais interrompu l'honorable M. Coomans pour l'engager à réserver ses observations pour la discussion du budget de la guerre ; la distribution du rapport pourra avoir lieu dans un jour ou deux et la discussion pourra commencer cette semaine. Je n'ai pas voulu interrompre l'honorable membre pour l'empêcher de parler, mais pour lui faire remarquer que les observations qu'il voulait faire, il pourrait les présenter dans quelques jours.
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole.
M. Coomans. - Puisque M. le ministre de la justice demande la parole, j'aime mieux l'entendre.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si vous désirez m'entendre, je vais commencer par vous dire que le reproche d'illégalité que vous adressez au ministre de la guerre n'a aucun fondement. Vous soutenez qu'il commet une flagrante illégalité quand il refuse au milicien le droit de se marier, tant qu'il n'a pas payé ses dettes à la masse. Lisez la loi de 1847, vous venez que le ministre ne fait que se conformer à cette loi.
Voici ce que j'y lis :
« En temps de paix, la durée du service des miliciens est fixée à huit ans, qui prendront cours à dater du 1er avril de l'année dans laquelle ils auront tiré au sort.
« Toutefois les miliciens appartenant à la 6ème, 7ème et 8ème classe qui formeront la réserve, obtiendront des congés illimités. Ils pourront contracter mariage en prouvant, par un certificat de leur chef de corps, qu'ils ont soldé leur dette à la masse. »
Quand viendra la discussion du budget de la guerre et que M. Coomans soutiendra encore que le ministre refuse des congés aux uns et en donne aux autres, qu'on devrait les tirer au sort, je lui démontrerai également qu'il n'y a pas un mot de fondé dans cette observation.
M. Coomans. - Je connaissais parfaitement cet article et je vous dirai pourquoi je ne l'ai pas lu. Pourquoi n'en ai-je pas fait mention ? Parce que je savais que cet article est souvent violé par M. le ministre de la guerre et que je m'en applaudissais. (Interruption.)
Comment ! il résulte de la loi que le ministre ne peut pas donner d'autorisation de se marier avant la libération financière du milicien. Ou l'article qu'on vient de lire n'a pas de sens ou il signifie que les miliciens des trois dernières classes ne pourront pas obtenir le certificat nécessaire pour se marier, s'ils n'ont pas apuré leur masse. Il n'en est rien, j'en loue M. le ministre de la guerre, je lui en fais honneur, il a souvent violé cet article. Ce que je lui reproche, c'est de ne pas le faire plus souvent. Voilà la portée de ma réclamation.
Vous voyez, messieurs, que je connaissais cet article aussi bien que tous les autres. La Chambre peut être sûre que je ne prendrais pas la parole sur une question si je ne la connaissais pas, et celle-ci je m'en occupe depuis vingt-huit ans.
C'est un fait que très souvent au ministère de la guerre on accorde des autorisations spéciales, quoi qu'en dise M. le ministre de la justice, à des miliciens qui n'ont pas soldé leurs dettes à la masse ; qu'on les renvoie chez eux et qu'on les autorise à se marier quoique endettés. La loi de 1847 et d'autres prescriptions sur la milice ne sont pas interprétées dans un sens absolu ; MM. les ministres de la guerre m'ont accordé ces congés et ces autorisations à moi-même ; ils ne m'ont pas dit alors que j'excitais à la violation des lois.
Ce que je trouve mauvais, c'est qu'on ait deux poids et deux mesures, c'est qu'on refuse les congés et les certificats aux uns et qu'on les accorde aux autres, alors que les uns et les autres sont dans la même situation, c'est-à-dire ont des dettes à la masse. (Interruption.)
Puisqu'on.me provoque, j'affirmerai en pleine connaissance de cause, que le département de la guerre renvoie souvent en congé des miliciens qui n'ont pas soldé leurs dettes à la masse ; j'ajoute que cela est conforme à la loi, que le contraire serait illégal, attendu qu'aucun article de loi ne permet au ministre d'exercer la contrainte par corps sur des miliciens endettés. (Interruption.) Oui, il arrive souvent que le ministre renvoie en congé illimité des soldats endettés, tantôt sur la demande de quelque personne influente, tantôt parce que le soldat est recommandé par ses propres chefs, ou quand on sait que sa famille est hors d'état de payer sa dette. J'en sais gré au ministre, mais je désirerais que ce procédé fût (page 146) généralisé, je voudrais qu'il n'y eût plus de favorisés, que les mêmes principes fussent appliqués à tous, et principalement en faveur des pauvres et des fa nies.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il sera toujours impossible à l'honorable membre de mettre d'accord son second discours avec le premier.
M. Coomans. - Peut-on, oui ou non, accorder l'autorisation ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable membre a commencé par dire qu'il voudrait bien savoir où M. le ministre de la guerre puisait le droit de refuser à des miliciens le certificat LL, sous prétexte qu'ils ont encore des dettes à la masse.
Voilà littéralement vos paroles, et c'est lorsque vous vous êtes exprimé de cette manière que j'ai envoyé chercher la loi de 1847.
Vous avez alors mis le gouvernement en demeure de s'expliquer dès aujourd'hui, de dire l'opinion qu'il a sur la légalité de la mesure que prenait le ministre de la guerre.
Voilà ce que vous avez fait et ce qui dénotait, de votre part, l'ignorance la plus complète de l'article que je viens de citer. Cela est de la dernière évidence.
Il est clair que si vous n'aviez pas posé la question sur ce terrain, l'idée ne me serait pas venue de faire chercher la loi pour vous répondre.
Mais vous avez attaqué la légalité de l'acte ; vous avez demandé au gouvernement de s'en expliquer dès maintenant et je vous prouve, la loi à la main, que cette mesure est parfaitement légale et que M. le ministre doit s'y conformer.
Maintenant vous venez de justifier encore ce que je vous reprochais tantôt, c'est de pousser à la violation des lois. Votre discours est la justification la plus complète de ce que je vous ai dit tantôt.
Comment ! vous félicitez hautement le ministre de violer la loi après l'avoir accusé d'une illégalité !
Si féliciter hautement quelqu'un, dans l'enceinte du parlement, de violer la loi, n'est pas mériter le reproche que je vous adressais tout à l'heure, je n'y comprends plus rien.
M. Coomans. - En bonne compagnie.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En bonne compagnie ?
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
M. Coomans. - Nous l'avons tous demandé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai rien demandé de semblable. Je n'ai jamais demandé qu'on violât la loi.
J'ignore si M. le ministre.de la guerre, dans d'autres circonstances, permet à des miliciens de se marier lorsqu'ils ont des dettes à la masse.
Je ne sais s'il interprète cette loi comme étant facultative pour lui ; mais vous ne pouvez demander où il puise son droit de refuser le certificat LL en présence de la loi de 1847 qui le lui donne de la manière la plus absolue. Quand les chefs de corps ne donnent pas l'attestation qu'il a été satisfait à toutes les dettes à la masse, il est évident que le ministre a le droit de refuser l'autorisation de mariage.
Ainsi, je le répète, votre second discours n'est pas en harmonie avec le premier où vous avez accusé d'illégalité les actes posés par le ministre.
M. Coomans. - Ce sont des horreurs.
« Art. 1er. Le contingent de l'armée pour 1863 est fixé à quatre-vingt mille hommes. »
- Adopté.
« Art. 2. Le contingent de la levée de milice de 1863 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1863. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal.
Nombre de votants, 66.
Ont répondu oui, 64.
Ont répondu non, 2.
En conséquence la Chambre adopte.
Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui : MM. de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Moreau, Muller, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tesch, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom,, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Overloop. Van Renynghe, Wasseige, Allard, Beeckman, C. Carlier, Carlier-Dautrebande, Crombez, de Baillet-Latour et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Coomans et Grosfils.
M. Allard. - Messieurs, il est 4 1/2 heures et je crois que la Chambre ne sera pas disposée à aborder aujourd'hui la discussion du projet de loi portant l'augmentation des traitements de la magistrature militaire.
- Plusieurs membres : Pourquoi pas ?
M. Allard. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de voter un petit feuilleton de naturalisation qui est à l'ordre du jour depuis longtemps et qui ne contient que 5 noms.
- Cette proposition est adoptée.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants, 59
Majorité absolue, 30.
Jean-Gustave-Adolphe Kliemann, sergent-major au 3ème régiment de ligne, né à Bautzen (Saxe), le 12 juillet 1856, obtient 48 voix.
Mathias Neyen, concierge, né à Luxembourg, le 4 octobre 1821, domicilié à Bruxelles, 49.
Pierre-Antoine De Borgie, ouvrier tailleur, né à Weert (partie cédée du Limbourg), le 1er juin 1814, 50.
Jean-Nicolas Degros, cultivateur, né à Harlange (grand-duché de Luxembourg), le 28 août 1829, domicilié à Tintange (Luxembourg), 50.
Emmanuel-Hyacinthe-Victor-Damien Farinaux, soin-instituteur, né à la Haye, le 21 avril 1835, domicilié à Malines, 49.
- En conséquence, ces demandes sont prises en considération ; elles seront transmises au Sénat.
M. le président. - Il vient d'être déposé un amendement au paragraphe 5 du tableau joint au projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire. Il est ainsi conçu :
« Les soussignés proposent de rédiger cette disposition comme suit :
« Juges de paix fr. 3,000
« Greffiers, fr. 1,500.
« Signé : Nothomb, de Paul, Sabatier, d'Hoffschmidt, de Moor, Van Overloop, de Baillet-Latour, Ch. Lebeau, H. Dumortier, de Muelenaere Coomans et Thibaut. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à quatre heures et demie.