(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 75) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les huissiers exerçant dans le ressort du tribunal de première instance d'Ypres demandent la révision du tarif de leurs honoraires et la diminution du nombre des huissiers près les tribunaux civils. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Le conseil communal de Wilderen prie la Chambre de voter un crédit pour aider cette commune à pourvoir aux frais d'entretien des chemins pavés et empierrés. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Charles Bevière demeurant à Bruxelles, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger.»
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
M. Sabatier. - Messieurs, si l'honorable ministre de l'intérieur avait éprouvé, par hasard, quelque hésitation à donner les explications que vous connaissez sur la pétition de Marchienne, je ne mets pas en doute que cette hésitation viendrait à cesser par le fait même de la discussion qui s'est produite depuis deux jours sur la question du travail des enfants dans les manufactures.
Nous avons, me semble-t-il, beaucoup de peine à nous mettre d'accord et nous sommes dans la position des autorités qui ont été consultées sur l'avant-projet fait sur cette matière, c'est-à-dire dans la position des chambres de commerce et des députations permanentes qui, vous le savez, ont émis les opinions les plus diverses.
Cependant, quelle que soit la divergence des idées émises dans cette enceinte sur la question de savoir s'il faut une réglementation ou s'il n'en faut pas, et sur la façon dont elle serait pratiquement appliquée, il est un point acquis au débat, c'est que pour beaucoup d'industries nous avons pu agir à peu près comme les algébristes quand il s'agit de résoudre un problème, c'est-à-dire que nous avons réussi à éliminer un certain nombre d'inconnues pour rendre la solution du problème plus facile, plus commode.
Ainsi nous avons désintéressé ou à peu près dans la question de la limitation de l'âge et du nombre d'heures de travail, l'industrie houillère, l'industrie de la fonte et du fer, l'industrie verrière, la mécanique et d'autres encore.
Je dirai même que, pour peu que nous fassions encore un très léger effort, nous arriverons à opérer une élimination dans l'industrie textile même, dans cette industrie qui s'est adressée à la Chambre pour obtenir la réglementation de l'âge et du nombre d'heures de travail, dans cette industrie, enfin, qui est venue dans son ensemble nous demander des armes contre elle-même pour réprimer des abus qu'elle signalait à la Chambre.
L'honorable M. Jacquemyns, dans le discours qu'il a prononcé hier, a pris soin d'opérer déjà l'élimination d'une des blanches de l'industrie textile ; je veux parler du lin.
Ce n'est pas sans une vive satisfaction que j'ai appris de lui que dans cette industrie du lin, on avait spontanément réduit à 11 le nombre d'heures de travail quotidien, soit une heure de moins que ce que le Cercle commercial de Gand considérait comme devant constituer un progrès social.
Je remercie d'autant plus l'honorable membre de ce qu'il a bien voulu nous apprendre à ce sujet, que ma thèse ne s'en porte que mieux.
En effet, le lin est parmi les industries textiles la moins protégée. Elle a vu appliquer depuis un grand nombre d'années l'article 40 de la loi sur les entrepôts, ce qui ramène cette industrie à une lutte qui se rapproche du libre échange dans toute sa pureté.
Depuis qu'on a appliqué à l'industrie du lin cet article 40 qui a sauvé les Flandres, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu l'industrie se développer d'une manière étonnante. Des fils que l'on ne faisait jamais et qui pouvaient, par l'application de l'article 40, entrer désormais sans droit en Belgique, ont été confectionnés dans le pays même.
Les fils fins, les fils russias, tous les numéros qui pouvaient entrer dans le pays ont été fabriqués en Belgique par suite de la concurrence étrangère.
Ainsi, je puis dire que ma thèse ne se porte que mieux par le fait que nous a indiqué l'honorable M. Jacquemyns, puisque, d'après ce fait, le progrès industriel qui naît de la concurrence doit amener l'amélioration de la classe ouvrière. Voilà le problème résolu pour cette industrie. Ou a fait des progrès, on a augmenté considérablement cette industrie et l'on a limité spontanément les heures de travail à onze. Il me semble que c'est là un très grand succès pour l'industrie linière et pour la thèse que j'ai défendue.
Messieurs, puisque j'ai parlé de la thèse que j'avais essayé de défendre devant vous, je dois ouvrir une parenthèse avant d'aller plus loin et rectifier quelque peu un des arguments présentés par l'honorable M. Hymans.
L'honorable membre me prête une idée que je n'ai pas précisément énoncée, et je vous avoue que je tiens à la rectifier parce que je n'ai pas de propension à me poser ici ni ailleurs en Fontanarose qui guérit les maux passés, présents, futurs et nouveaux au moyen d'une seule et même pilule. Je vais donc replacer la question de la manière que je l'avais posée dans la séance d'avant-hier.
L'honorable membre dit : Je n'admets pas que le bien-être, la richesse, la prospérité, soient une garantie de moralité, au contraire. Je répondrai à l'honorable membre : Ni moi non plus. Je n'ai jamais compris que la libre concurrence, amenant le développement de l'industrie et la hausse des salaires, fût une cause de moralisation des classes ouvrières, si l'on n'y ajoutait pas l'instruction.
M. Hymans. - Elle ne viendra pas d'elle-même.
M. Sabatier. - Elle viendra par le fait des communes et du gouvernement ; et c'était tellement bien mon idée que j'ai commencé par dire qu'une loi intervenant qui permettrait aux enfants de rester désœuvrés en dehors de l'atelier, serait plus nuisible qu'utile, et j'ai reconnu que par le manque d'instruction suffisante, les ouvriers n'étaient malheureusement pas préparés à recevoir utilement des salaires élevés et que l'on pouvait constater que, dans les hausses subites de salaires, les ouvriers se rendaient souvent au cabaret et y dépensaient tout le produit de ces hausses.
Je dis donc, et sur ce point je crois que tous les orateurs que vous avez entendus sont d'accord, il y a une corrélation intime, étroite entre la possibilité de réduire le nombre d'heures de travail qui est le résultat du progrès industriel, et l'instruction primaire à donner aux jeunes ouvriers. C'est le seul moyen de moraliser les classes ouvrières. Je doute qu'il y eu ait d'autres.
Je ferme la parenthèse et je reprends les observations que je comptais présenter en réponse surtout à ce qu'a dit l'honorable M. Jacquemyns, avec lequel seul je suis en complet désaccord.
Nous sommes donc en présence de l'industrie cotonnière seulement, puisque, en dépit de la crise qui frappe presque toutes les industries autres que celle-là, on en est arrivé, tout en étant obligé de vendre sans obtenir un prix rémunérateur, à maintenir les salaires à un taux très élevé.
Quant à l'industrie cotonnière, une chose extrêmement remarquable se passe, c'est qu'elle est venue elle-même dénoncer à la Chambre ses propres abus, qu'elle est venue nous demander des armes contre elle-même, donnant à entendre que les chefs de cette industrie ne se croyaient pas assez forts pour réprimer spontanément lesdits abus.
Je dois dire que, dans cette situation, la question devient bien facile à résoudre. D'un côté se trouve une industrie qui se dénonce elle-même et, d'un autre côté, la Chambre, qui pourrait fort bien répondre : Puisque vous connaissez si bien le mal et le remède, pourquoi ne faites-vous pas cesser le mal en y appliquant vous-même le remède ?
Cette industrie est du reste dans une position qui demande de fixer plus particulièrement l'attention.
Ainsi, messieurs, elle occupe, relativement à d'autres industries, un (page 76) assez grand nombre d’enfants n'ayant pas 12 ans et le plus de jeunes gens de 12 à 18 ans ; elle fonctionne dans des conditions hygiénique, qui laissent à désirer. Quels que soient les efforts des industriels pour assainir les salles de travail, on ne s'y trouve pas moins dans une atmosphère dont la température est assez élevée, et l'on y respire le duvet qui s'échappe incessamment du coton.
J'ai parlé du nombre d'enfants n'ayant pas 12 ans. J'ai trouvé à cet égard des renseignements utiles dans la pétition du Cercle commercial de Gand ; je crois que toutes les industries du pays n'emploient pas un pour cent d'enfants n'ayant pas 12 ans et que l'industrie cotonnière en emploie 2 1 /2 à 3 p. c.. c'est-à-dire que, sur 11,000 et quelques enfants, il y en a qui n'ont pas 12 ans, dans une série de 26 ateliers.
Quant aux jeunes gens de 12 à 18 ans, il y en a 20 à 22 p. c.
Par conséquent, messieurs, la réforme qu'on réclame de la Chambre ne produirait qu'un effet assez médiocre, puisqu'elle ne s'appliquerait qu'à 2 1/2 ou 3 p. c. du personnel des fabriques.
De 12 à 18 ans les jeunes gens oublient ce qu'ils ont appris avant 12 ans.
Je demande par conséquent quel est le progrès qui consiste à exiger des jeunes gens de 12 à 18 ans, 14 heures de présence dans l'atelier, c'est à-dire 15 heures entre le moment où l'on sort de chez soi et le moment où l'on y rentre. Je demande-quel progrès il y a à ne pas permettre aux jeunes gens d'aller s'instruire, et cependant, nous sommes tous d'accord sur un point, c'est que l'instruction primaire doit aider puissamment à la moralisation des classes ouvrières.
L'honorable M. Jacquemyns a présenté divers arguments auxquels je vais tâcher de répondre.
J'avais dit que le progrès industriel, stimulé par la concurrence, doit amener une position meilleure pour les ouvriers, qu'elle doit amener une augmentation des salaires et une diminution des heures de travail. L'honorable membre croit, au contraire, que plus on perfectionnera les machines, plus on sera tenté de prolonger le travail parce que, dit-il, l'outil remplaçant l'ouvrier sous le rapport de la force physique, cet ouvrier voit son rôle se borner à voir le fil se former et se tordre sous ses yeux sans faire autre chose que de surveiller passivement.
Ici je ne suis pas d'accord avec l'honorable membre ; il a d'abord oublié que dans l'industrie linière on avait réduit spontanément le travail à 11 heures. Puis il y a un fait que je trouve encore indiqué dans l'enquête industrielle française à laquelle j'ai fait allusion il y a deux jours.
Il est résulté des dépositions faites, que par l'introduction des métiers perfectionnés appelés Self acting, on en était arrivé en Angleterre à n'employer que 50 ouvriers et même 35 ouvriers pour 10,000 broches, tandis qu'en Belgique, on en emploie 80.
Je comprends très bien que si on améliore l'outillage, en ce sens qu'une partie du travail de l'homme sera faite par la vapeur, et si alors il reste le même nombre d'ouvriers, je comprends très bien que ces ouvriers auront moins à faire ; mais je ne vois pas en quoi consisterait le progrès, si, au moyen de l'amélioration de l'outillage, on ne diminuait pas le nombre d'ouvriers.
A mesure que l'on perfectionne l'outillage, on doit pouvoir produire à plus bas prix ; dès lors la consommation se développera, et en ce qui concerne la Belgique elle se trouvera de plus en plus en présence d'un immense marché étranger, l'industrie prendra de l'extension au profit de la main-d'œuvre.
Une conséquence de ce fait que je me borne à indiquer, c'est que l'ouvrier intelligent sera beaucoup plus recherché ; la sensibilité des organes, de l'outil perfectionné étant plus grande ; et la surveillance étant plus difficile, il faudra que l'attention de l'ouvrier soit plus tendue, et elle ne pourra se développer que par l'instruction. Donc l'intérêt général, l'intérêt social qui exige que l'ouvrier s'instruise, est d'accord avec l’intérêt des maîtres.
L'honorable membre nous dit encore que l’effort physique fait par les ouvriers cotonniers est moindre que celui des ouvriers des houillères et des forges et que par conséquent les premiers doivent se contenter d'un salaire moins élevé que les derniers.
Je ne dis pas le contraire. Mais la question n'est pas de faire une comparaison entre les salaires réalisés par les ouvriers de toutes les industries ; la question est de savoir si en prenant pour point de départ le salaire qu'on paye aujourd'hui dans l'industrie cotonnière, le progrès industriel n'amènera pas une hausse de ce salaire. L'ouvrier gagnant plus, serait moins enclin dès lors à exploiter ses propres enfants, à les envoyer dans les ateliers avant l'âge de 12 ans.
L'honorable membre pense que les Anglais ont réglementé le travail et que le progrès n’est venu qu'après. Mai», pour ceci encore, là n’est pas la question. Il ne s'agit pas, en effet, de savoir si la réglementation du travail a précède le progrès on si c'est le progrès qui a précédé la règlementation du travail.
Cela ne fait absolument rien dans la solution du problème qui nous occupe, seulement on a lieu de s'étonner qu'une industrie qui avoue elle-même, bien sincèrement, je le reconnais, que les progrès réalisés on Angleterre, quant à la réglementation du travail ou quant à l'amélioration de l'outillage, sont importants, ne cherche pas à se les approprier. Le fait est que les progrès sont là, et, sous le rapport de l'avantage à en retirer, je n'apporte aucune lumière nouvelle : je m'en rapporte purement et simplement à ce qu'a dit le Cercle commercial et industriel de Gand. Ainsi, dans un rapport qui a été présenté à ce Cercle par une commission générale prise dans son sein, voici ce que je trouve :
« En Angleterre, le travail des jeunes gens et des femmes n'est que de 10 heures. Sous l'influence de cette législation, la production anglaise a grandi, même sans changer ni la vitesse des métiers, ni la force des moteurs, ni la qualité des matières premières. Sous un autre rapport, il a été reconnu que pour certaines fabriques bien organisées, rien que la réduction d'une heure sur la durée des travaux avait triplé le nombre des ouvriers fréquentant les écoles libres du soir. »
La commission fait ainsi ressortir la stérilité d'une instruction, que l'ouvrier contraint peut difficilement aimer ; elle appuie toute émulation propre au maintien spontané et au développement de l'instruction chez les adolescents et les adultes.
Le rapport en question constate que, dans les écoles gratuites, deux tiers au moins des jeunes gens, qui savaient lire et écrire à 11 ans, perdent ces notions avant 16 ou 18 ans.
Il me semble que c'est là un enseignement suffisant : n'attendez donc pas la réglementation du travail ; commencez par en réduire la durée à dix heures, et vous pouvez être certains de réaliser à votre tour les progrès constatés en Angleterre, puisque, dans le même rapport, on reconnaît que telle a été la conséquence de la réglementation.
Vous le voyez, du reste, le Cercle commercial et industriel de Gan reconnaît la corrélation qui existe entre les progrès du travail et ceux de l'instruction primaire. Je n'ai pas dit autre chose.
La discussion, messieurs, me paraît épuisée et je crois pouvoir m'arrêter ici. Je finirai par l'observation que j'ai présentée en commençant mon discours, et je dis que l'industrie cotonnière est à peu près la seule véritablement intéressée dans la question qui nous occupe. Eh bien, puisque cette industrie elle-même nous a si bien expliqué quel est le mal et quel est le remède qui lui convient, il me semble qu'elle a une marche extrêmement simple à suivre, c'est d'appliquer le remède pour guérir le mal.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, la discussion sur l'intéressant objet qui nous occupe, a été déjà longue et je n'ai pas la prétention d'y jeter de nouvelles lumières. Ce serait là un double motif pour garder le silence, si je ne puisais dans mon rôle de rapporteur la mission de résumer les éléments du débat et d'en dégager l'impression qu'il a dû produire sur la Chambre. Une impression favorable ou défavorable aux vues des pétitionnaires est, en définitive, le seul résultat auquel puisse aboutir la discussion dans les conditions où elle s'est présentée ; permettez-mio donc de solliciter, pendant quelques instants, votre attention.
La commission chargée du rapport sur la pétition des industriels de Marchienne-au-Pont ne s'est pas dissimulé toutes les difficultés de la question soulevée par les pétitionnaires, mais en reconnaissant ces difficultés, elle n'a pas cru qu'une solution fut impossible. Elle avait proposé le renvoi de la pétition au ministre de l'intérieur dans une pensée d'encouragement et dans une pensée d'espérance.
Ces conclusions ont été modifiées par la Chambre ; celle-ci a ordonné le renvoi avec demande d'explications ; si j'avais assisté à la partie de la séance pendant laquelle cette décision a été prise, j'aurais combattu la demande d'explications parce que, d'après les précédents, une seule explication était, d'après moi, possible : c'était la présentation d'un projet de loi, et cependant nous devons reconnaître que cette présentation immédiate est impossible.
La Chambre a demandé des explications, néanmoins. Aujourd'hui je m'en applaudis ; dans les explications données par le ministre de l'intérieur perce, en effet, une pensée de découragement que je ne soupçonnais nullement.
Il est donc utile de saisir l'occasion de cette discussion pour combattre cette pensée de découragement.
Aux explications est venu se rattacher le système de l'inaction érigée en principe, système préconisé par l’honorable M. Sabatier, qui l’a placé (page 77) sous la protection des considérations les plus élevées au fond et les plus séduisantes dans la forme. C'est encore un motif pour moi de prendre la parole ; il faut combattre l'impression que le prestige de la parole de cet honorable collègue a pu produire sur vos esprits.
Il faut faire en sorte que cette impression ne devienne pas définitive. Si la discussion avait été close après le discours de l'honorable M. Sabatier, la Chambre serait peut-être demeurée dans la conviction qu'il n'y avait rien à faire.
Heureusement plusieurs orateurs ont relevé les arguments présentés par M. Sabatier ; je m'en réjouis, ils ont abrégé pour moi une tâche que je n'aurais pu remplir à moi seul que d’une manière incomplète et dont je n'aurais pu m'acquitter avec le talent qu'ils y ont apporté.
Un fait domine toute cette discussion, si l'on en écarte le discours prononcé hier par M, Julliot ; le droit du législateur d'intervenir en cette matière a été maintenu hors de toute contestation ; d'ailleurs ce droit est incontestable. Ici comme ailleurs, l’intervention du législateur se légitime en premier lieu par un principe ; en second lieu, par des faits qui exigent un appel à ce principe.
Ici le principe est que l'enfant ne constitue pas pour le père une propriété sur laquelle il ait le droit d'usage et le droit d'abus.
Si l'homme jouissant de toute sa capacité doit être libre de faire ses conventions comme il l'entend, l'incapable doit être protégé. Cette protection ne peut pas être exercée en général par la société, mais seulement par celui à qui la nature et la loi après elle ont donné cette mission ; cependant il faut que la société intervienne quand le protecteur naturel et légal manque à ses obligeons envers l'incapable.
Voilà le principe, il ne peut donc s'appliquer qu'à ceux dont la capacité n'est pas entière.
Je n'admets pas dès lors l'extension de la réglementation au travail des adultes, extension admise par l'honorable M. Jacquemyns pour prévenir certains abus. Aller jusque-là, ce serait empiéter sur la liberté des conventions. Le principe me paraît ainsi parfaitement établi et justement limité.
L'honorable M. Julliot nous reproche de faire de l'enfant une propriété aux mains de l'Etat.
Non, l’enfant ne peut être la propriété de l'Etat, mais il ne peut pas non plus être la propriété du père.
Remontons à l'origine même du principe. Généralisons-le.
Le droit de chacun dans la société est limité par le droit d'autrui. Pour ceux qui ont réduit l'intervention de l'Etat aux proportions les plus minimes, celle règle doit encore exister.
Lorsque le droit d'autrui est lésé, la restriction à la liberté individuelle est légitimée par cela même.
Ainsi le droit du père est limité par le droit de l'enfant.
Mais le père exerce à la fois son propre droit et celui de l'enfant ; il peut se trouver placé entre sa conscience et son intérêt. S'il écoute la voix de l'intérêt au lieu de celle de sa conscience, au grand détriment de l'enfant qu'il doit protéger, l'intervention de la société se trouve parfaitement légitimée.
Je n'insiste pas plus longtemps sur ce point.
Le principe étant démontré, y a-t-il des faits qui exigent qu'il y soit fait appel ? Ces faits paraissent parfaitement établis, ils sont dénoncés par ceux mêmes qui s'en rendent coupables.
Ce sont les industriels gantois qui font appel à une intervention législative ; ce sont eux-mêmes qui signalent des abus si graves, que, d'après l'honorable M. Sabatier, la mesure réclamée par eux ne serait pas même un vrai progrès, qu'elle serait encore une inhumanité.
Une intervention législative, au moins partielle, est donc légitimée en fait comme en droit.
On nous dit bien que les industriels pourraient agir par eux-mêmes.
Soit, j'admets même que cela vaudrait mieux, mais ils ne le font pas, ils déclarent qu'ils ne peuvent pas le faire : ce ne sont pas eux qui souffrent ; ce sont des tiers incapables auxquels la société, à défaut des parents, doit protection.
Du moment que les industriels qui peuvent remédier à l'abus ne le font pas, l'intervention législative est légitimée encore une fois.
Reste à savoir si une pareille loi doit être générale ou demeurer spéciale.
C'est un point sur lequel j’insisterai tout à l'heure.
Le gouvernement ne peut contester les différents principes que je viens d’exposer. S'il le faisait, il se mettrait en désaccord avec ses précédents ; il a fait étudier la question plusieurs fois avec l'espoir fondé d'arriver à une solution ; il reconnaissait par conséquent qu'en pareille matière une intervention législative peut être parfaitement légitime.
Mais aujourd'hui le gouvernement, s'il faut apprécier ses explications comme je l'ai fait, semble tout au moins douter qu'il y ait quelque chose à faire, et pour légitimer ses doutes, il expose différentes considérations que je vais brièvement rencontrer.
Les doutes proviennent d'abord de ce que les diverses autorités consultées se trouvent en désaccord sur les moyens à employer. Ils proviennent ensuite de ce que dans d'autres pays on n'a guère réussi à faire tourner au profit de l'instruction, la restriction apportée au travail des enfants et qu'ainsi le but principal que l'on poursuit ne s'est pas trouvé atteint.
Enfin ces doutes reposent sur la divergence des législations étrangères, qui prouve, selon le gouvernement, que l'expérience n'est pas faite sur les différentes questions à résoudre par les disposions provoquées.
Par ces différentes considérations ainsi résumées, le gouvernement conclut à l'abstention, c'est-à-dire qu'après avoir signalé les difficultés, il recule devant ces difficultés.
Certes, il a raison de reculer pour le moment ; mais il aurait tort de reculer pour toujours, de renoncer à toute étude ultérieure et de proclamer qu'il n'y a décidément rien à faire.
Ce qui paraît singulier, dans ces explications du gouvernement, c'est qu'en concluant à l'abstention, il invoque le grand principe de la liberté du travail.
Ce principe ne me paraît être arrivé là que pour relever un peu la phrase dans laquelle il se trouve invoqué.
Si, en effet, le principe de la liberté du travail s'opposait à une réglementation du genre de celle qu'on nous demande, les explications du gouvernement devraient avoir des conclusions absolues ; il devrait dire : Le principe s'oppose à l'intervention réclamée, la question ne doit plus être étudiée et n'aurait jamais dû l'être.
C'est ce qu'il ne dit pas, et sentant qu'en invoquant la liberté du travail, il se met en contradiction avec ses précédents, il termine par un correctif qui n'est pas heureux.
« Le gouvernement ne perdra pas de vue cette grande question ; dès qu'il pourra la résoudre d'une manière efficace sans froisser trop fortement les intérêts qui y sont engagés, il s'empressera de réclamer le concours de la législature. Sans froisser les intérêts qui y sont engagés ! C'est contre ce membre de phrase que je proteste. Si des intérêts peuvent être froissés par la législation proposée, comme celle-ci ne doit s'attaquer qu'à des abus, les intérêts vivant d'abus seraient les seuls menacés, et ceux-là n'ont droit à aucun ménagement.
Je reprends maintenant brièvement l'examen des objections fournies par le gouvernement dans ses explications.
Les autorités consultées sont en désaccord, c'est vrai. Ce désaccord porte surtout sur deux points : celui de savoir à quelles industries la loi devrait s'appliquer ; celui de savoir s'il faudrait organiser un régime d'inspection pour assurer l'exécution de la loi.
La question de savoir à quelles industries la loi devrait s'appliquer est en d'autres termes celle de savoir s'il faut procéder par une loi générale ou par une loi spéciale.
A cet égard on est arrivé à une solution, qui sans être parfaite paraît cependant acceptable.
Trois systèmes ont été successivement proposés. D'après un premier système on ferait une loi générale embrassant dans ses prescrits toutes les industries ; mais le gouvernement en vertu d'un droit puisé dans une disposition de cette loi aurait pu y consacrer des dérogations par arrêtés royaux.
D'après un second système, il y aurait eu autant de lois spéciales que d'industries dans lesquelles des abus auraient été signalés.
Le troisième système, le plus récent, celui qui a été proposé par le conseil supérieur d'industrie, consisterait à faire une loi dans laquelle se trouveraient seulement des principes généraux, relatifs à la matière.
Ces dispositions générales seraient appliquées par le gouvernement en tout ou en partie et successivement à chaque industrie dans laquelle des abus seraient signalés.
Sans contredit, messieurs, ce troisième système est le meilleur ; il respecte les principes que j'ai énoncés en commençant ce discours ; et ces principes seuls peuvent légitimer l'intervention de la législation et de l'Etat.
Le système qui consisterait à faire une loi générale, sauf à laisser au gouvernement le pouvoir d'établir des exceptions par arrêté royal, renverse les termes vrais dans lesquels doivent se trouver les deux intérêts en présence, la société d'une part, l'industriel de l'autre.
(page 78) Ce système met la preuve de l'abus à charge de l'industriel, c'est alors en effet l'industriel qui devra solliciter l'exception et qui devra fournir la preuve qu'il y a lieu à exception.
Le contraire seul est juste.
La preuve de l'abus est à la charge du gouvernement ; il ne doit recourir à la disposition qu'il a le droit d'appliquer que lorsque l'abus sera manifestement démontré.
Le système de faire autant de lois spéciales qu'il y a d'industries engendrerait un morcellement de la législation excessivement défectueux ; puis, il rencontrerait des obstacles presque insurmontables. Avec une loi générale, sauf à en graduer l'application et à ne l'appliquer qu'aux industries dans lesquelles il y a abus, on n'aurait qu'une seule lutte à soutenir contre les intérêts engagés dans la question. Mais en faisant autant de lois spéciales qu'il y a d'industries donnant lieu à des abus, vous aurez autant de luttes à soutenir contre les intérêts engagés que de lois spéciales à faire, par conséquent autant d'obstacles à la réalisation du bien que vous voulez obtenir.
Je crois donc que sur le point de savoir s'il faut procéder par voie générale ou par voie spéciale, l'étude de notre question est arrivée plus loin que le gouvernement ne le croit.
Un autre point a donné lieu à de graves divergences parmi les autorités consultées sur la question.
Je veux parler de la répugnance pour un régime d'inspection, répugnance légitime aux yeux de ceux qui la croient fondée sur le respect de la liberté individuelle. Mais qu'a de commun la liberté individuelle avec l'abus de la personne d'êtres incapables de se protéger eux-mêmes ? Il n'y a que ces abus qui aient l'inspection à craindre. La liberté individuelle n'a rien à voir dans ceci. Les Anglais l'ont parfaitement compris et ils ont le respect de la liberté individuelle et le respect du domicile autant que nous l'avons en Belgique ; c'est même là un des signes principaux de leur caractère national.
Ils ont si bien compris la distinction, qu'ils ont une organisation administrative excellente quand il s'agit d'inspecter le travail des enfants dans les manufactures, tandis que dans cette France, si habile en matière administrative, si la loi de 1841 n'a pas produit tous les effets que l'on en attendait lorsqu'elle a été promulguée, c'est qu'on a laissé dans un état d'imperfection complète les rouages administratifs destinés à en assurer l'observation.
L'honorable M. Julliot disait hier : En Angleterre, oui, on a la réglementation du travail des enfants dans les manufactures, on a l'inspection pour assurer le contrôle du gouvernement sur la conduite des industriels ; mais, en Angleterre aussi, on a la taxe des pauvres. Est-cela ce que vous voulez ?
M. Julliot. - Cela est évident.
M. Van Humbeeck. - L'honorable M. Julliot maintient son argument. Je ne l'en félicite pas. Cet argument n'a rien à faire dans la question.
D'abord, historiquement, la taxe des pauvres est ancienne ; la réglementation du travail des enfants dans les manufactures est moderne.
Ensuite, quel est le grand reproche fait à la taxe des pauvres ? Est-ce le reproche d'être une institution de charité publique ? Oh ! non. Car la charité publique, malgré les inconvénients qu'elle présente à côté des bienfaits qu'elle consacre, existe dans tous les pays ; et s'il est souhaitable de la voir restreindre dans certaines limites, personne ne souhaite de la voir disparaître entièrement.
Non, l'inconvénient de la taxe des pauvres c'est d'empêcher l'essor de la prévoyance, c'est d'entretenir au contraire l'imprévoyance des classes ouvrières.
Eh bien, la réglementation du travail des enfants dans les manufactures doit produire un effet diamétralement opposé. Le père sachant qu'il ne pourra employer son enfant comme il l'entendra, au détriment de cet enfant même, sera rappelé par cette prohibition à ses devoirs de chef de famille, qui, mieux compris, raviveront chez lui au lieu de le comprimer le sentiment de la prévoyance.
Une réglementation du travail des enfants dans l'industrie, loin d'avoir les inconvénients de la taxe des pauvres, aurait ainsi l'avantage de préparer au sein des classes inférieures le développement de cette prévoyance qui seule, lorsqu'elle sera généralisée, empêchera une intervention exagérée de l'Etat dans les affaires d'intérêt individuel.
Le gouvernement dit encore qu'il est extrêmement difficile de faire tourner au profit de l'instruction les restrictions que l'on apporterait au travail des enfants.
Mais à cet égard, dans cette discussion même, on a déjà proposé différents systèmes ; et aucun d'eux ne fournit une solution complète, chacun d'eux cependant présente des éléments propres à amener une solution future.
L'honorable M. de Haerne nous a parlé du système de half-time suivi en Angleterre. J'ajouterai que ce système est celui que présentait, en 1848, la grande commission qui, après avoir procédé à une enquête minutieuse sur la condition des enfants dans les manufactures, avait présenté un avant-projet de loi sur la matière.
Un autre système a été proposé par M. Cumont. Il consiste à donner aux autorités communales le droit de refuser des livrets aux enfants ayant atteint l'âge d'admission dans les fabriques et ne sachant pas cependant lire et écrire.
L'honorable M. Cumont avait à peine formulé son système que, je ne sais de quel point est partie l'interruption, on a dit : Qui nourrira l'enfant ? L'objection est sérieuse, moins cependant qu'on ne se le figure.
Mais enfin, elle est sérieuse. Eh bien, je crois qu'il y a moyen de la faire disparaître. Il suffit de compléter le système présenté par M. Cumont ; on refusera le livret à tout enfant qui à l'âge voulu pour l'admission ne saura pas lire et écrire, à moins que le père ou le tuteur de cet enfant ne s'engage à lui faire suivre une école publique ou privée ; si plus tard l'enfant cesse de suivre l'école publique ou privée qu'il s'est engagé à suivre, le livret pourra lui être retiré.
Le système ainsi complété n'est plus atteint par l'objection émanée d'un honorable interrupteur et peut fournir un élément de solution.
Mais la difficulté de combiner la diffusion de l'instruction avec les restrictions apportées aux heures de travail réside surtout dans deux causes générales.
La première de ces causes, c'est que les heures d'école ne s'accordent pas avec les heures de repos des jeunes travailleurs ; par conséquent, il leur est à peu près matériellement impossible de mettre ces heures de repos à profit pour acquérir l'instruction. Mais est-ce là une réforme qu'il soit impossible de faire ? N'y a-t-il aucun moyen d'arriver à mettre les heures où l'enseignement est accessible en rapport avec celles où le repos est permis aux jeunes travailleurs ? II y a certainement là une difficulté, il y a à lutter contre des usages enracinés, contre des usages établis depuis longtemps ; mais d'impossibilité, il n'y en a pas, et si l'honorable M. Hymans ne s'est pas trompé sur les progrès qu'il nous a indiqués comme réalisés dans les méthodes d'enseignement élémentaire, la solution de cette question sera même bientôt facile.
La seconde difficulté, ce sont les obstacles qui s'opposent à un contrôle de l'Etat, c'est l'excessive difficulté de constater si réellement les enfants admis dans les manufactures vont à l'école. A cet égard j'appelle votre attention sur le système proposé il y a dix-huit ans en France par un homme dont j'ai cité le nom dans mon rapport, par M. Léon Faucher.
Ce système paraît très simple ; il serait peut-être moins praticable en Belgique qu'en France, quoique selon moi, moyennant quelques modifications il puisse être pratiqué chez nous ; ce système si simple n'a jamais cependant été accepté, peut-être parce qu'il aurait trop réussi.
Le système de M. Léon Faucher fonde le contrôle sur un double recensement. Les inspecteurs d'université feraient faire par les instituteurs le recensement des enfants qui fréquentent leur école.
Les inspecteurs délégués par le conseil des manufactures pour s'assurer des contraventions à la loi sur le travail des enfants, feraient faire de leur côté le recensement des enfants employés dans les fabriques. Ce double recensement fait, il suffirait de collationner, et à l'instant même on constaterait si la disposition de la loi qui veut faire tourner la diminution des heures de travail au profit de l'enseignement, reçoit réellement son exécution.
En Belgique ce système paraît, au premier abord, rencontrer quelque difficulté par l'existence des écoles privées.
Mais sans porter la moindre atteinte à la liberté d'enseignement, ne pourrait-on pas imposer aux instituteurs privés l'obligation de faire le recensement de leurs élèves ? On impose une obligation analogue à beaucoup de professions, et jamais il n'est venu à l'idée de personne de voir là une atteinte à la liberté de l'industrie. Cette obligation imposée aux instituteurs privés ne rendrait-elle pas applicable à la Belgique la mesure que préconisait Léon Faucher pour la France ?
Resteraient les parents qui veulent que leurs enfants apprennent à lire et à écrire sans fréquenter aucune école ; pour ceux-là on aurait le moyen indiqué par l'honorable M. Cumont ; à ces enfants on ne donnerait des livrets que lorsqu'il auraient prouvé qu'ils savent lire et écrire.
Si ces différentes considérations, messieurs, sont exactes, il n'est vraiment pas aussi difficile qu'on le pense de faire tourner au profit de l'instruction la diminution de la durée du travail des enfants.
(page 79) Je ne me préoccupe pas beaucoup, messieurs, de la diversité des législations étrangères ; les législations variant suivant les pays, parce que les abus qu'elles ont à réprimer varient également. Votre législation belge sur le travail dans les manufactures ne sera pas la même que la législation de tel ou tel autre pays, précisément parce que les circonstances dans lesquelles vous l'édicterez ne sont pas les mêmes.
Le gouvernement s'effraye donc trop des difficultés, et il a tort d'invoquer la liberté du travail, qui n'est pas en question.
Dans ces difficultés je vois un motif de rechercher la solution plus activement et non pas un motif de s'abstenir.
Si le gouvernement n'a pas démontré que l'abstention fût le seul parti à prendre, voyons si cela aura été mieux démontré dans les observations présentées par l'honorable M. Sabatier.
Cet honorable collègue a basé son raisonnement sur deux sortes de motifs : les uns sont spéciaux à l'arrondissement de Charleroi, spéciaux aux industries qui ont leur siège dans cet arrondissement ; ceux-là, nous n'avons pas à nous en occuper, si ce n'est au point de vue d'une question de détail, celle de savoir si la loi devra être générale ; mais je dois m'attacher aux arguments que l'honorable membre a présentés avec un caractère de généralité.
D'après l'honorable M. Sabatier, il ne faut rien faire, parce que la solution de la difficulté va se présenter d'elle-même. La liberté des échanges amènera le progrès de l'industrie, le progrès de l'industrie amènera l'augmentation des produits, l'augmentation des produits amènera la diminution des heures de travail, la diminution des heures de travail amènera la hausse des salaires et de ces divers éléments combinés naîtra nécessairement la diffusion de l'instruction.
Certes, messieurs, si tous les phénomènes économiques et moraux, qui doivent procéder de la liberté des relations commerciales, établie à l'intérieur et à l'étranger, si tous ces phénomènes, dis-je, devaient se produire à la fois, les espérances de l'honorable M. Sabatier ne seraient encore fondées que d'une manière relative ; même alors, l'honorable membre se serait encore préoccupé d'un résultat dont on approchera tous les jours sans l'obtenir jamais d'une manière complète. Il se serait, dans ce cas même, appuyé sur un idéal et non sur une future réalité.
Mais, messieurs, les bienfaits de la liberté des relations ne se produiront pas tous simultanément, et aussi longtemps qu'ils ne se seront pas produits tous, une loi comme celle dont nous nous occupons sera parfaitement justifiée.
Si la génération qui verra diminuer les heures de travail en même temps qu'elle verra baisser les salaires, si cette génération n'est pas déjà instruite, elle ne saura pas apprécier les avantages de l’instruction et profiter ainsi des améliorations de sa position matérielle. Il faudra ainsi voir passer deux générations de travailleurs avant que la transformation prophétisée par M. Sabatier se réalise.
Je dis plus, messieurs, le progrès de l'industrie sans le progrès de l'instruction est précisément eu qui a donné lieu aux abus contre lesquels nous nous soulevons ici. D'où est provenue l'extension donnée au travail des enfants en Angleterre ?
Les taxes extraordinaires qu'on imposait aux manufacturiers à la fin du siècle dernier et au commencement de ce siècle, afin d'aider la nation à soutenir la guerre contre la France, ces taxes ne permettaient plus aux industriels de conserver leurs anciens prix de revient en employant des ouvriers adultes.
Pitt leur indiqua alors comme ressource un recours au travail des enfants ; ils prirent le ministre au mot ; le travail des enfants fut introduit ; les manufacturiers y trouvèrent leur profit ; la paresse des pères y trouva souvent son profit aussi, mais la moralité des familles n'y gagna point. Les pères qui, pour s'éviter un travail personnel, se plaçaient dans la dépendance de leurs enfants, n'eurent plus sur eux une autorité suffisante, et cela a contribué puissamment à amener l'immoralité si souvent reprochée aux populations ouvrières de la Grande-Bretagne.
Une autre cause qui a fait pousser à l'excès l'abus du travail des enfants, c'est que les manufacturiers voulaient arriver à une augmentation de production et en même temps se dégager de certaines préoccupations que le soin général de leurs affaires les empêchait de suivre ; pour cela les manufacturiers se reposèrent sur un régisseur payé à raison de la quantité des produits fabriqués. Plus les produits étaient abondants, plus le régisseur touchait d'appointements.
Le régisseur alors abusait du travail des enfants pour arriver à augmenter ses appointements.
Cet abus se transmit bientôt de manufacture à manufacture et contribua aussi énormément à produire cet étal de choses déplorable, contre lequel le père de sir Robert Peel protestait déjà en 1810 et qui a été successivement l'objet de diverses dispositions législatives, dont la plus ancienne remonte à 1819.
La nécessité d'augmenter la production et de diminuer le prix de revient peut se rencontrer sons un régime de liberté commerciale, comme sous un régime restrictif.
Par conséquent, aussi longtemps que les pères de famille n'auront pas compris d'une manière complète leurs devoirs envers leurs enfants ; aussi longtemps qu'ils ne seront pas devenus eux-mêmes un obstacle à ce qu'on abuse du travail de ces êtres incapables de veiller à leurs propres intérêts, le travail des enfants dans les manufactures peut être inhumainement exploité, et il peut être utile de le réglementer.
J'ai dit, messieurs, qu'il faut compter aussi avec la paresse des pères. En eftet, on a constaté en France et en Angleterre que cette paresse des pères était pour beaucoup dans la situation déplorable de leurs enfants.
En Angleterre et en France, principalement à Rouen, il était des pères de famille à qui leurs enfants tenaient lieu de rentes ; ils les envoyaient au travail avant l'âge où ils pouvaient humainement les y envoyer, afin d'avoir pour eux le privilège de ne plus rien faire.
Ce fait peut se produire très facilement, quand l'industrie est en progrès, le progrès tendant, comme le faisait observer l'honorable M. Jacquemyns, à remplacer de plus en plus l'action de la force humaine par celle des machines et par conséquent à rendre les manufactures de plus en plus accessibles à l'enfant.
Messieurs, je borne là les considérations que j'avais à présenter sur cette matière, que je n'ai pas la prétention d'avoir épuisée après ce discours, pas plus que je n'en avais la prétention après avoir rédigé mon rapport sur la pétition du conseil communal de Marchienne-au-Pont. J'ai voulu récapituler les points les plus importants du débat ; il m'a semblé qu'en les faisant passer sous vos yeux, il pouvait se dégager de cette discussion une impression d'encouragement et d'espérance, c'est-à-dire le seul résultat que nous puissions ambitionner dans les conditions où nous nous trouvons placés.
Je suis obligé, messieurs, en terminant, de dire un mot d'une proposition faite par l'honorable M. Julliot. Cet honorable membre, comme conclusion de son discours, demande le dépôt de la pétition du conseil communal de Marchienne-au-Pont au bureau des renseignements. L'honorable M. Julliot trompe sur la situation du débat. La Chambre s pris une décision : elle a renvoyé la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications ; ces explications ont été fournies ; nous délibérons aujourd'hui sur ces explications, à l'occasion d'un crédit supplémentaire pour l'instruction primaire ; mais nous ne devons plus statuer sur la pétition ; la Chambre a statué déjà.
M. Julliot. - Je retire ma proposition qui n'a plus de raison d'être puisque la Chambre a statué sur la pétition.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, les longs débats qui ont eu lieu dans cette Chambre à l'occasion de la question de la réglementation du travail des enfants dans le manufactures et les explications écrites que j'ai eu l'honneur de donner sur la pétition du conseil communal de Marchienne-au-Pont, pourraient me dispenser, à la rigueur, de prendre la parole dans cette discussion ; je pourrais me référer purement et simplement à ces explications et aux arguments qui ont été produits par plusieurs honorables orateurs qui ont parlé avant moi. Cependant, messieurs, qu'il me soit permis de soumettre à la Chambre quelques observations et de démontrer combien les hésitations et les doutes du gouvernement sont fondés dans une matière aussi importante.
Je n'examinerai pas dans ses principes la question de réglementation qui nous occupe ; je n'examinerai ni les droits et les devoirs des pères de familles, ni les droits et les devoirs de la société, ni les droits de l'enfant. D'après nous, la solution de cette grave question dépend exclusivement du point de vue auquel le législateur se place, c'est-à-dire du système gouvernemental et social, si je puis m'exprimer ainsi, qu'il est décidé à suivre.
En effet, deux voies s'ouvrent devant nous : l'une est la voie de l'intervention du gouvernement ; l'autre est la voie de la liberté.
Si nous suivons la première, il est logique et juste que nous réglementions le travail des enfants et des femmes dans les usines et dans les manufactures et bien d'autres choses encore ; si, au contraire, nous adoptions l'autre système, il devient illogique et peu juste de faire une pareille réglementation.
Quant à moi, tout en reconnaissant qu'il faut agir avec prudence et modération, je pense qu'il n'est pas possible à un homme d'Etat, à un législateur d'appliquer tantôt l'un tantôt l'autre de ces systèmes.
(page 80) Le législateur qui suivrait tantôt l'un, tantôt l'autre, s'exposerait à faire dérailler le char de l'Etat, comme le mécanicien s'exposerait à faire dérailler sa locomotive s'il la lançait sur une voie dont les rails ne seraient pas parallèles.
Quand donc on adopte un système, il faut le suivre, avec persévérance sauf dans des cas tout à fait graves, tout à fait exceptionnels.
Dans une de nos dernières séances, l'honorable M. Hymans, mû par d’excellents sentiments, nous a fait, en fort bons termes, un tableau pittoresque des douceurs de ce qu'on appelle parfois le bon vieux temps ; il nous a dépeint le bonheur des familles d'alors ; il nous a dit comment le travail était réglementé.
Mais, veuillez-le remarquer, messieurs, l'organisation du travail à cette époque n'était qu'un détail de l'organisation générale de la société ; nos ancêtres étaient logiques ; ils réglementaient le travail, la cloche en fixait les heures : mais ils réglementaient tout.
Ainsi, pendant qu'on limitait les heures de travail dans une localité, on y assurait à ce travail une protection ; non seulement on avait soin d'entourer les villes de hautes murailles, mais encore on établissait des tarifs d'octroi qui étaient de véritables tarifs de douane. On allait plus loin encore ; les transactions sur les foires et marchés n'étaient pas libres. On ne pouvait pas, dès l'ouverture des marchés, vendre ses produits à tout le monde ; les bourgeois de la commune étaient seuls autorisés à acheter durant la première heure, puis venaient les marchands de la ville, puis les marchands étrangers.
Nos ancêtres étaient donc logiques lorsque de conséquence en conséquence ils en arrivaient à réglementer tout.
Pour assurer l'exécution de leurs ordonnances, le magistrat des villes était obligé d'avoir recours à des pénalités souvent très dures et dont le moindre défaut n'était pas de donner une large part à l'arbitraire.
Du reste, je me hâte de le reconnaître, l'honorable M. Hymans ne veut pas restaurer ces vieux monuments ; il les admire plutôt en archéologue qu'en homme d'Etat.
Je me borne à rappeler ces anciennes keuren et à constater que le système de la réglementation était poussé à ses dernières limites.
Aujourd'hui, messieurs, il n'en est plus ainsi ; cet ancien régime a complètement disparu. Joseph II, le premier, y a pratiqué une large brèche : 1789 a renversé ce vieux monument, et il a bien fait ; et 1795, et il a très mal fait, a guillotiné ceux qui l'avaient soutenu.
Il serait très difficile, de nos jours, de faire des emprunts à ce qu'on appelle parfois encore le bon vieux temps, et de retrouver parmi ces ruines quelques débris isolés qui puissent servir à reconstituer l'édifice de la société moderne.
Mais admettons un instant qu'il soit possible de décréter en principe la réglementation du travail dans les usines et dans les manufactures ; admettons que nous trouverions dans le pays une grande opinion pour réclamer cette mesure et dans cette Chambre une majorité pour la décréter ; eh bien, dès ce jour-là nous nous heurterions contre des difficultés sans nombre dans l'exécution.
Voyons d'abord ce qui se passe dans des pays voisins. Déjà, en l'a dit, en France et en Angleterre, des lois ayant pour objet de réglementer le travail des enfants ont été portées et vous avez pu tous reconnaître (les explications que j'ai fournies à la Chambre en sont une preuve nouvelle) que ces lois n'ont pas produit le bien qu'on en pouvait attendre. En Angleterre, les rapports des inspecteurs constatent que, malgré les efforts les plus persistants, on n'est point parvenu à obtenir les résultats qu'en espérait le parlement ; et le parlement lui-même a été amené pour ainsi dire de session en session à modifier les bills portés antérieurement.
Je vous le demande : si, dans les pays voisins, on n'a pas pu atteindre le but que l'on avait en vue, croyez-vous qu'on puisse mieux réussir en Belgique, dans notre pays où les idées de liberté et d'indépendance individuelles ont fait de si grands progrès, surtout dans ces derniers temps, et où les idées de liberté commerciale et industrielle sont aujourd'hui généralement admises !
D'ailleurs, messieurs, et ce débat le prouve, le principe d'une pareille loi étant adopté, il serait encore difficile de se mettre d’accord sur son exécution. Ainsi les opinions diffèrent sur la question de l'âge : d'après les uns, l'enfant avant l'âge de 8 ans ne devrait pas être admis dans les manufactures, d'après les autres, on pourrait étendre la limite d'âge jusqu'à douze ans.
L'honorable M. Cumont, désirant probablement transiger entre ces deux opinions, propose l'âge de onze ans.
On n'est pas plus d'accord sur d'autres points ; les uns demandent que la loi s'applique à tous les travailleurs, même aux ouvriers adultes ; les autres qu'elle n'atteigne que les enfants au-dessous d'un certain âge. Quant à la durée du travail, ici on propose la limite de douze heures, là celle de dix heures. En un mot, sur ce point comme sur les autres, il y a désaccord complet.
Enfin, il est une autre question très importante et dont vient de parler l'honorable M. Van Humbeeck, c'est celle de savoir à qui s'appliquerait la loi. D'après l'honorable M. Hymans, si je ne me trompe, la loi devrait être générale ; elle devrait s'appliquer à tous les établissements industriels. D'autres honorables membres demandent que la loi ne soit applicable qu'à certaines catégories d'usines, à celles par exemple qui sont mues par la vapeur à feu continu. Là encore il y a dissentiment, et il faut bien le reconnaître, il y a de grands inconvénients dans l'un et l'autre système.
Ainsi, par exemple, si l'on applique la loi à toutes les industries, vous serez forcés d'organiser une espèce d'inquisition jusqu'au sein des familles ; vous arriverez à contrôler le père qui se fait aider par ses enfants dans l'exécution de ses travaux. Est-ce là ce que nous devons admettre ? Je ne le pense pas. Si, au contraire, vous restreignez la loi aux grandes industries, mais vous n'aurez pour ainsi dire rien fait.
L'honorable M. Sabatier vient de vous le prouver ; il vous a dit que déjà pour la plupart des grandes industries on ne réclamait plus de loi sur le travail des enfants ; que cette loi ne paraît plus réclamée que, pour une seule industrie, pour l'industrie cotonnière, qui s'exerce principalement à Gand et qui n'emploie guère que 300 enfants ! A quoi bon faire une loi dans de pareilles conditions et pour un fait aussi exceptionnel que celui que je viens d'indiquer. ?
Ce n'est pas tout, messieurs, qui veut la fin doit vouloir les moyens. Si donc vous faites une loi, il faut que vous puissiez l'exécuter. Or, ici encore, je le demande, comment, en supposant qu'on se mette d'accord sur les dispositions d'une pareille loi, comment serait-il possible de la faire exécuter ? Je sais qu'on pourrait y mettre pour sanction certaines pénalités ; rien de plus facile que de dire « quiconque fera telle chose sera puni d'un emprisonnement de... », mais il faut arriver à constater les délits, et comment le ferez-vous ? Vous n'y parviendrez qu'en prenant des. mesures qui bien certainement ne seraient pas acceptées par le pays. Ainsi, les hommes spéciaux qui ont examiné de plus près cette question sont d'accord que pour faire exécuter la loi il faut astreindre les industriels d'abord à tenir un registre indiquant les noms, prénoms, âge sexe de leurs ouvriers.
M. Vermeire. - Cela existe.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ensuite à arrêter en quelque sorte des règlements d'ordre intérieur pour leurs ateliers, règlements à soumettre probablement à l'approbation d'une autorité quelconque !
En troisième lieu, et c'est ici le point capital, il faut nécessairement un contrôle. Cette surveillance sera exercée ou par des inspecteurs spéciaux ou par la police locale ; quand ce contrôle sera établi, il faudra pour qu'il puisse être exercé, que ces inspecteurs ou cette police aient le droit de visite à toute heure de jour et de nuit dans tous les établissements et usines. Convenons, messieurs, que ce serait là une surveillance qui soulèverait de vives et justes réclamations.
Mais il est, dit-on, un certain genre d'établissements où la réglementation semble plus nécessaire ; ce sont les ateliers d'apprentissage, les écoles-manufactures ; ici encore se présenteraient de grandes difficultés. Je reconnais qu'il y a quelque chose à faire pour ces établissements, pour les écoles-manufactures ou dentellières, par exemple, quoi qu'en ait dit l'honorable M. de Haerne.
M. de Haerne. - Je n'ai pas dit en général ; j'ai dit qu'il y a dans ces établissements, de beaux exemples à suivre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. de Haerne a dit qu'il y a dans ces établissements de beaux exemples à suivre Je le crois ; je sais qu'il y a des établissements modèles, mais je sais aussi que ce sont des exceptions, ces exceptions confirment la règle, et beaucoup d'établissements d'apprentissage laissent énormément à désirer. Je me suis demandé si l'on pourrait au moins réglementer dès maintenant le travail des enfants employés dans ces établissements ; et je n'hésite pas à dire que là encore on rencontrerait de graves difficultés.
Il est facile sans doute de prescrire certaines règles aux ateliers d'apprentissage placés sous la surveillance des communes ; mais en serait-il de même pour les établissements libres, si nombreux dans nos Flandres ? Pourrait-on imposer des inspecteurs, des contrôleurs aux écoles dentellières ? Je ne dis pas que vous provoqueriez une révolution, mais vous feriez naître bien certainement du mécontentement dans toutes nos communes, et l'exécution des règlements serait pour ainsi dire impossible.
Vous le voyez, messieurs, si le gouvernement, à la suite de ses explications, ne conclut pas, d'une manière formelle, c'est qu'il n'est pas démontré, (page 81) quant à présent, qu'il soit nécessaire de proposer ni possible de faire voter et exécuter une loi ayant pour objet de réglementer le travail des enfants dans les manufactures. Messieurs, si en entrant dans la voie de la réglementation, on voulait être logique, de conséquence en conséquence, on serait entraîné très loin. Après le travail des enfants dans les manufactures, il faudrait régler les contrats d'apprentissage, ensuite ne serait-il pas juste de régler aussi le salaire des ouvriers.
M. Van Humbeeck. - Non ! don !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous avez dit qu'il faudrait régler les contrats d'apprentissage, ne faudra-t-il pas modifier la législation sur les livrets d'ouvriers ?
Ces livrets aujourd'hui constatent que l'ouvrier en quittant l'atelier n'a pas de dettes, ne faudra-t-il pas qu'ils constituent une espèce de diplôme, que le travailleur devrait produire pour entrer dans une fabrique quelconque ?
Ce sont là des prescriptions qui nous mèneraient très loin. Avant d'entrer dans cette voie, si j'hésite, vous comprenez que ce n'est pas sans raison.
Les heures de travail de l'enfant réglées, les heures de liberté seraient consacrées à l'instruction, c'est fort bien ! Tous les enfants seraient instruits, c'est notre vœu à tous. Mais comment arriver à ce résultat maintenant ?
D'abord les locaux d'école sont insuffisants dans le pays ; les communes et le gouvernement ont de grandes dépenses à faire avant qu'on puisse admettre dans les écoles tous les enfants de 7 à 12 ans ; ensuite s'il était décidé que les enfants ne seront admis dans les ateliers que quand ils sauront lire et écrire, en présence de la Constitution qui proclame la liberté de l'enseignement, comment constater le degré d'instruction de ces enfants ?
Par des certificats ? Mais le premier venu peut se donner le titre de maître d'école. Pourrait-il délivrer des certificats ? Ces certificats devraient être homologués, et par qui ? Par un jury ?
Mais il y a plus de 2,500 communes en Belgique, il faudrait donc créer un pareil nombre au moins de jurys à ajouter aux nombreux jurys qui existent déjà.
Messieurs, pour le moment il y a, je pense, autre chose à faire pour vulgariser l'enseignement primaire, déjà d'honorables orateurs ont indiqué plusieurs moyens pratiques.
Je crois que c'est dans cette voie que nous devons persévérer ; les bourgmestres, le clergé, les administrations charitables peuvent contribuer puissamment à populariser l'enseignement.
Quand l'honorable M. Hymans dit que l'homme du peuple ne comprend pas le bienfait de l'instruction, il juge apparemment un peu au point de vue de ce qui se passe dans les grandes villes, où. cela peut être vrai ; mais dans les communes, les bienfaits de l'instruction sont appréciés presque par tout le monde.
M. de Theux et M. Rodenbach. - C'est vrai ! c'est vrai !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai eu l'occasion de rencontrer souvent des pères de famille qui étaient fiers de montrer leurs enfants sachant lire, écrire et calculer. Ils déploraient de n'avoir pas vécu à une époque où l'enseignement fût gratuit. Je les ai vus conduire leurs jeunes fils devant des affiches, les leur faire lire et s'humilier en public pour ne pas avoir reçu d'instruction.
- Un membre. - On n'est pas plus ignorant dans les grandes villes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est une question. Je pourrais démontrer que le nombre des miliciens illettrés est plus considérable dans les grands centres de population que dans les petites villes, que dans les localités de moyenne importance surtout, et je n'en fais pas un grief aux capitales.
Dans les petites villes tout le monde se connaît ; là l'action du bourgmestre est plus efficace ; et, les locaux d'école y sont en général suffisants. Mais pour encourager le développement de l'enseignement primaire, on peut avoir recours à d'autres mesures encore que celles indiquées jusqu'ici : qu'on donne des récompenses à la fin de l'année aux enfants ; qu'on récompense les parents, les mères de famille qui conduisent leurs enfants à l'école ; qu'on donne aux enfants qui les fréquentent avec assiduité des livrets à la caisse de retraite ; non seulement, vous populariserez l'instruction, mais encore les idées d'ordre et d'économie. Ce que je vous dis là, messieurs, ce sont des choses très pratiques qui ont été appliquées et qui ont obtenu les meilleurs résultats. Je pourrais citer des petites villes où cela se pratique et où un grand nombre de jeunes gens en ont largement profité ; là des enfants après avoir reçu un premier livret de 24 fr. de rente, l'ont porté par leurs économies à 150, 200 et jusqu'à 300 fr.
Je pourrais vous dire que dans une des localités où l'on a appliqué ces mesures, au moment du tirage au sort, il ne se trouve en général que cinq miliciens sur cent qui ne savent ni lire ni écrire.
Ce ne sont pas des utopies, mais des moyens pratiques, qui peuvent être appliqués dans toutes les localités du pays.
D'ailleurs vous le savez, les bureaux de bienfaisance peuvent exercer une grande influence sur les enfants et sur les parents secourus ; ils doivent d'abord leur donner de bons conseils, et à la rigueur ils peuvent avoir recours à des moyens de coercition ; ils ont le droit de priver de secours dans certaines limites les familles qui n'enverraient pas leurs enfants aux écoles communales.
Messieurs, je tenais à présenter à la Chambre ces observations, parce que je voulais démontrer que les hésitations du gouvernement sont légitimes et fondées.
Je suis, sous ce rapport, d'accord avec l'honorable M. Van Humbeeck lui-même. L'honorable membre a reproché au gouvernement de n'avoir pas conclu. Dans son rapport il n'a pas plus conclu que moi, d'où nous devons tous conclure, je pense, qu'il est impossible de conclure, quant à présent, à quoi que ce soit en cette matière.
Messieurs, j'ai, quant à moi, une confiance illimitée dans la liberté. Je suis convaincu que la liberté peut momentanément produire quelques inconvénients, mais je suis convaincu aussi qu'à la longue les progrès qu'elle fait sont beaucoup plus stables et plus durables.
La réglementation produit des effets immédiats, mais qui ne durent pas.
Les lois que l'on a faites, parce qu'elles n'étaient pas en harmonie avec les mœurs formeraient des bibliothèques entières, et si vous examinez ces vieux bulletins de lois, vous êtes étonné de voir qu'on y a prévu tant de choses et qu'on en a exécuté si peu.
Du reste, pourquoi n'aurait-on pas confiance dans la liberté ? Déjà nous en voyons les heureux résultats. Nous rencontrons tous les jours des industriels intelligents qui joignent à leurs ateliers des écoles. Ces industriels, comme l'a très bien fait remarquer l'honorable M. Vermeire, méritent des récompenses toutes spéciales ; car ils marchent dans la voie de la liberté, et ils ont le courage de limiter eux-mêmes le travail de leurs ouvriers et de leur donner en même temps l'instruction.
Si les faits que je constate étaient contestés, je suis certain que d'honorables membres se lèveraient pour affirmer que je suis dans le vrai, à moins toutefois qu'ils n'hésitent à faire leur propre éloge.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur cette question qui a occupé si longtemps la Chambre, mais si j'ai indiqué toutes les difficultés que rencontrerait dans la pratique l'application d'une loi réglementant le travail, je comprends aussi combien il est désirable de pouvoir soustraire à l'ignorance et affranchir d'un travail au-dessus de leurs forces, les femmes et les enfants du peuple ; cette importante question continuera donc à faire l'objet des études et des préoccupations du gouvernement.
Permettez-moi maintenant de vous faire observer que l'objet principal en discussion, objet très intéressant, puisqu'il s'agit de l'instruction des enfants pauvres, n'a pour ainsi dire pas été traité.
Je vous demanderai la permission, messieurs, de dire quelques mots encore au sujet de ce projet de loi.
Messieurs, personne jusqu'ici n'a pris la parole contre la demande de crédit de 345,163 fr. et j'en remercie la Chambre.
Il est donc inutile que je défende le projet de loi, mais, l'honorable M. Henri Dumortier a présenté quelques observations, du reste frappées en général, pour me servir d'une expression chère à l'honorable M. Rodenbach, au coin de la pratique et de là science administratives.
Je partage donc à beaucoup d'égards les idées émises par l'honorable député de Courtrai.
Il est cependant un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec lui.
M. Dumortier a reproché au gouvernement, en termes bienveillants du reste, d'être sobre de renseignements, d'en être tellement avare qu'il a été presque impossible de juger la situation.
Messieurs, ce reproche n'est pas fondé.
Le ministre de l'intérieur, dans l'exposé des motifs du projet de loi, a résumé la comptabilité générale ; il ne pouvait guère faire plus. S'il avait voulu publier tous les détails, il aurait été amené à faire imprimer de nombreux documents remplis de détails peu intéressants pour la Chambre.
Il importe peu en effet, à la Chambre, de connaître combien on a dépensé pour le chauffage des écoles d'Onkerzele, de Vencimont et de toutes les autres communes du pays. Des renseignements généraux peuvent seuls être utilement produits.
D'ailleurs, je me suis empressé de déposer sur le bureau tous les (page 82) renseignements demandés, et je crois que personne, excepte l'honorable M. Henri Dumortier, ne les a consultés !
Toutefois, messieurs, je me réserve de faire résumer ce travail par province et de donner ainsi à la Chambre les moyens d'apprécier les dépenses faites dans les diverses parties du pays.
M. H. Dumortier. - Très bien.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L’honorable député de Courtrai nous a dit que les dépenses relatives à l'enseignement primaire sont, avant tout, communales, et que l'Etat ne doit intervenir qu'en cas d'insuffisance des ressources locales.
C'est parfaitement exact. Mais l'honorable membre n'est peut-être pas tout à fait dans le vrai lorsqu'il émet l'opinion que ces ressources locales restent stationnâmes. Qu'elles ne progressent pas rapidement, soit, mais il n'est pas exact de dire que les communes n'augmentent pas leur part d'intervention.
En 1861, la part d'intervention des communes dans les dépenses de l'instruction primaire, service ordinaire, a été de 2,888,000 fr. ; en 1862 elle s'est élevée à 3,033,000 fr.
Voilà donc en une seule année une augmentation de 145,000 fr. fournie par les communes et dont 103,000 fr. sont portés aux budgets ; le reste provient du produit de l'accroissement des donations, des legs ou des excédants de comptes.
L'Etat, pendant ce temps, a, de son côté, augmenté son intervention dans une proportion beaucoup plus forte.
Le trésor public intervenait, dans les dépenses du service ordinaire de l'instruction primaire, en 1861, pour 1,332,000 fr., et en 1862, pour 1,677,000 fr., si le crédit qui vous est demandé est voté ; en une seule année, l'augmentation des crédits affectés à ce service est donc de 345,000 francs pour l'Etat et de 145,000 pour les communes, soit 490,000, ou en chiffres ronds, de 500,000 francs !
L'honorable M. Rodenbach vient de dire en m'interrompant tout bas que dans cette somme sont comprises les allocations ordinaires pour les bâtiments d'écoles. Mais les augmentations des traitements anciens et les chiffres des traitements accordés à des instituteurs nouvellement nommés s'élèvent seuls à 365,000 fr. en une année.
Si l'on peut progresser ainsi pendant quelques années encore, on parviendra dans un temps rapproché à assurer à tous les instituteurs un traitement en rapport avec les exigences de leur position et les besoins de la vie.
La Belgique, messieurs, n'est pas avare lorsqu'il s'agit de voter des dépenses pour l'instruction primaire ; l'accueil que vous faites à toutes nos propositions faites pour assurer le développement de cette branche du service, en est une preuve. En 1862, on dépensera, pour le service ordinaire seul de l'enseignement primaire, une somme de 4,950,000 fr. et dans cette somme les traitements des instituteurs, casuel compris, figurent pour 3,857,000 fr.
Je crois utile de signaler ces chiffres et d'indiquer les sacrifices que s'imposent l'Etat, les provinces et les communes ! Il faut que l'on sache au dehors qu'en Belgique l'on ne néglige rien pour vulgariser l'enseignement gratuit, l'enseignement des enfants pauvres surtout.
Le système financier de la loi de 1842 a été attaqué par l'honorable M. Henri Dumortier, et, en effet il n'est pas irréprochable.
L'article 23 de cette loi oblige le gouvernement à intervenir lorsque les ressources des communes et des provinces sont insuffisantes.
Ce système donne lieu à des inconvénients sérieux. D'abord il ouvre une large porte à l'arbitraire ou, si l'on veut, aux questions d'appréciation. D'un autre côté, il n'est pas de nature à stimuler le zèle des communes.
En effet, quand les ressources d'une commune sont-elles insuffisantes ? C'est une question à apprécier, et qui peut l'apprécier ? Evidemment ce n'est pas le gouvernement, il est placé trop loin. Ce sont donc les députations permanentes, et il est certain qu'elles ne l'apprécient pas toutes de la même manière. Ainsi dans telle province, et c'est ce qui a donné lieu ici à des observations, des communes reçoivent des subsides qu'elles ne recevraient pas si elles se trouvaient dans telle autre province. C'est là une grande difficulté. Comment peut-on en sortir ?
M. H. Dumortier. - En présentant une rédaction claire et précise de l'article 23.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vais y venir. Autre inconvénient, avec la loi en vigueur, les communes ne sont pas stimulées à s'imposer des sacrifices ; du moment qu'il est reconnu que leurs ressources sont insuffisantes, elles n'ont plus qu'un seul intérêt, celui de faire le plus de dépenses possible. C'était l'Etat qui paye, les communes pousseraient ainsi les dépenses à un taux tellement élevé, qu'il faudrait bien enfin y mettre bon ordre.
L'honorable M. Dumortier me disait tantôt ; modifiez la rédaction de l'article 23. Mais c'est une assez grosse question !
M. Grosfils. - Nous le voulons bien.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous, oui, mais ce n'est pas à ce point de vue que je parle.
M. H. Dumortier. - Alors nous ne serions certainement plus d'accord.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Nous nous occupons uniquement des modifications à faire à l'article 23 de la loi et je ne sais pas si l’on trouverait dans cette Chambre une majorité pour voter pareilles modifications et pour décréter, par exemple, le système proposé dans le temps par l'honorable M. Piercot.
La Chambre hésiterait, je pense, à imposer aux communes de nouvelles charges et ferait peut-être bien, car si les communes étaient trop directement intéressées dans les dépenses relatives à l'instruction primaire, elles y mettraient de la parcimonie, et la position des instituteurs pourrait en souffrir.
Du reste, messieurs, tout en maintenant la loi telle qu'elle est aujourd'hui, on peut y introduire de notables améliorations administratives. On peut tracer certaines règles. Je m'occupe activement en ce moment de cet objet.
On ne peut augmenter sans doute le minimum du traitement des instituteurs, il est fixé par la loi. Mais je crois qu'il sera possible de fixer un maximum auquel les instituteurs auraient l'espoir d'arriver. Les traitements varieraient d'après l'importance des écoles et pourraient s'élever de 850 à 1,400 francs, casuel compris et indépendamment de la jouissance du logement et du jardin.
Enfin, je ne désespère pas, messieurs, d'arriver à pouvoir assurer en moyenne, dans peu d'années a tous les instituteurs un revenu de 1,000 fr., composé du traitement fixe, du casuel et de l'indemnité du logement, et si nous en arrivions là, ce serait un beau résultat.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce traitement, comme je viens de le dire, se composerait de deux éléments, un élément fixe garanti par la commune ou l'Etat, et du casuel, se composant du minerval, de la rétribution, payée pour les pauvres ; l'instituteur aurait ainsi intérêt à faire fréquenter son école.
Enfin, messieurs, un vice a été signalé par l'honorable rapporteur : les instituteurs attendent souvent trop longtemps avant de recevoir leur traitement. Je compte parer aussi à cet inconvénient et prendre des mesures pour faire payer les instituteurs tous les mois.
J'ai cru, messieurs, devoir vous donner ces renseignements, il est bon que les instituteurs sachent qu'on s'occupe d'eux avec sollicitude, et que l'Etat, malgré les grands sacrifices déjà faits, est disposé à en faire d'autres encore, s'il est jugé nécessaire, pour améliorer leur position dans la mesure du juste et du possible. Quant à moi, je me ferai un devoir de continuer à marcher dans cette voie, et j'espère que la Chambre voudra bien m'y suivre et m’accorder toujours son bienveillant et efficace appui.
M. Hymans. - Messieurs, je ne puis laisser se terminer cette discussion, sans protester contre les singulières doctrines qu'on a prêtées aux défenseurs de la réglementation et entre autres contre le sentiment qui m'a été prêté par 1 honorable M. Julliot et par M. le ministre de l'intérieur.
Parce que, avec l'immense majorité des hommes raisonnables et des hommes pratiques, je crois que l'Etat doit venir en aide au développement de la santé morale, on me représente ici comme le partisan des abus d'un autre âge. D'après l'honorable M. Vandenpeereboom, je veux ressusciter le bon vieux temps, et d'après l'honorable M. Julliot, je veux faire déclarer que l'enfant est la propriété de l'Etat.
Je n'ai rien dit de tout cela. J'ai protesté contre l'habitude que l'on a, quand on discute de pareilles questions, d'invoquer à tout propos les traditions nationales. J'ai dit que les traditions nationales n'étaient pas la liberté absolue, et M. le ministre de l'intérieur s'est chargé tout à l'heure de prouver combien j'avais raison. Mais de là à vouloir rétablir les corporations, à vouloir ramener les abus d'un autre âge, il y a un abîme.
J'ai dit simplement que dans le bon vieux temps il y avait de bonnes choses que nous ne devrions pas oublier et que nous ne devrions pas repousser avec une espèce de dédain par trop moderne.
Quant à l'honorable M. Julliot, je ne sais pas précisément à quelle école il appartient. Mais je puis lui affirmer que des mesures tendantes à réglementer le travail des enfants dans les manufactures ont été produites (page 83) dans tous les pays, d'abord par des économistes. Elles ont été produites on Angleterre, par sir Robert Peel ; elles ont été produites d'abord en France par M. de Sismondi, et j'irai plus loin, cela dût-il faire bondir l'honorable M. Julliot sur le banc où il siège avec moi, M. Michel Chevalier, qui est certes un économiste qu'il respecte, n'a pas craint tout récemment, dans un travail que j'engage beaucoup l'honorable M, Julliot à lire, à se prononcer catégoriquement en faveur de l'enseignement obligatoire.
La doctrine de l'honorable M. Julliot, s'il en a une, c'est la non intervention en toute chose. Eh bien, je me rallierai de tout cœur à la doctrine de l'honorable membre, quand le monde sera parfait. Mais, en attendant, il reste à l'Etat beaucoup de choses à faire ; et quoique M. le ministre de l'intérieur ait dit tout à l'heure que personne n'avait conclu dans ce débat, je crois que l'honorable M. Van Humbeeck et moi, nous avons parfaitement conclu dans ce sens que nous désirons que le gouvernement présente le plus tôt possible, une loi, des mesures législatives tendantes à réglementer le travail des enfants dans les manufactures. Et, certes, nous sommes bien en droit de demander qu'on en vienne à cette solution après vingt-deux ans d'attente. Car, voilà, je crois, vingt-deux ans que la première commission chargée d'étudier cette question a été instituée.
Maintenant, puisque nous discutons un crédit relatif à l’enseignement primaire, qu'il me soit permis de rappeler à M. le ministre de l'intérieur quelques-unes des observations que j'ai présentées dans mon discours et qui se rapportent exclusivement à l'enseignement primaire.
J'espère que M, le ministre voudra bien étudier ou plutôt faire étudier les réformes qu'on est sur le point d'introduire en Angleterre dans l'enseignement primaire. J'ai la conviction que si ces réformes pouvaient être introduites chez nous, le problème de l'instruction primaire serait considérablement simplifié.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Le budget du ministère de l’intérieur pour l'exercice de 1862, fixé par la loi du 17 mars dernier (Moniteur, n°79), est augmenté d'une somme de trois cent quarante-cinq mille cent soixante-trois francs huit centimes (fr. 345,163-08), à ajouter à l'article 101, pour compléter la part contributive de l'Etat dans les dépenses du service annuel ordinaire de l'enseignement primaire. »
- Adopté.
« Art. 2. Le crédit susmentionné sera couvert au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1862. »
- Adopté.
Il est procédé au voie par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 80 membres présents.
Ce sont : MM. de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos. Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tesch, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Allard, Bara, Beeckman, Carlier-Dautrebande, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré et Vervoort.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Dixmude, le 12 novembre 1862, le sieur Delhaye demande exemption du droit de barrière pour les étalons.
Par pétition sans date, des propriétaires, cultivateurs et industriels à Ville-en-Hesbaye demandent la suppression des barrières.
Même demande de propriétaires, cultivateurs et industriels à Petit-Hallet, Avin, Waleffe, Ligney, Geer, Tourinne, Omal, Eghezée, Corchys, Wamont, Bierwart, et du conseil provincial de Namur.
Messieurs, la première requête demande la suppression du droit de barrière pour les étalons ; cela conduit à demander l'exemption pour les juments, puis pour les hongres et ainsi de suite.
Toutes ces demandes ayant pour objet la suppression des barrières émanant en général des localités industrielles, et je pose en fait que la taxe des barrières est très favorable à l'agriculture.
En effet, messieurs, le droit de barrière est payé par ceux qui font usage de la chaussée.
D'après les uns, messieurs, le droit de barrière est le plus juste des impôts, d'après les autres, c'est un abus d’un autre âge qu'il faut abolir à tout prix ; mais les partisans de l'abolition des barrières oublient que cela conduit directement à la suppression des péages sur les voies navigables.
Il y a déjà longtemps, messieurs, que des rapports de pétitions ont été faits sur cette question ; à plusieurs reprises la Chambre a renvoyé ces pétitions à M. le ministre des finances, et dans la séance du 2 février 1861, l'honorable ministre a présenté à la Chambre un travail remarquable intitulé ; « Documents relatifs aux droits de barrières. » Voici quelques passages de ce document :
« Voyons maintenant quelles seraient, pour la Belgique, les conséquences de la suppression de la taxe des barrières.
« Abolition de l'impôt le plus juste, le plus rationnel, puisqu'il se perçoit pour l'entretien et l'amélioration de la chose dont celui qui paye l'impôt fait usage et que par là il détériore.
« Impossibilité de maintenir le système de concession qui fait la prospérité de l'Angleterre, auquel la Belgique doit déjà un certain nombre de ses routes et qui est appelé à contribuer puissamment au perfectionnement de ses communications, car il serait impossible aux routes concédées ou à péages de soutenir la concurrence avec les routes que l'on parcourrait gratuitement.
« Nécessité de créer de véritables impôts pour remplacer le péage des barrières et assurer la conservation et le perfectionnement de nos routes.
Inconvénients graves résultant de la suppression d'un fonds spécial aux routes, suppression dont les pernicieux effets en France sont signalés, par les hommes qui ont fait une étude spéciale du système de communications, comme la principale et peut-être l'unique cause du mauvais état des routes de ce pays.
« Ralentissement et peut-être cessation des travaux de construction de routes neuves, car chaque communication nouvelle, devant être entretenue sans rien produire, viendrait aggraver les charges générales.
« Nécessité pour les provinces et les communes de renoncer à la construction de routes provinciales et communales, car ou des barrières seraient établies sur ces routes, et alors il en serait comme des routes concédées, elles ne pourraient soutenir la concurrence avec les routes libres de l'Etat ; et l'on renoncerait à y établir des barrières, et alors la province ou la commune aurait à supporter la charge des réparations et de l'entretien sans rien percevoir.
« Nécessité, si l'on veut être équitable envers tous, de supprimer les péages sur les voies de navigation et même sur les chemins de fer, si un jour le gouvernement renonçait en faveur de l'industrie particulière au transport des voyageurs et des marchandises. Car pourquoi devrait-on payer pour parcourir un chemin de fer, pour naviguer sur une rivière ou un canal, tandis que la circulation sur les routes ordinaires serait gratuite ?
« Il m'importe surtout d'insister sur la corrélation qui existe entre la loi des barrières et le système des concessions ; la taxe des barrières, c'est le système des concessions appliqué à l'Etat ; le système des concessions, c'est la taxe des barrières avec ou sans augmentation appliquée aux particuliers. C'est dans le Hainaut que la loi des barrières a soulevé le plus de réclamations, et cependant c'est dans cette province que le système des concessions a reçu le plus de développement. »
« Paragraphe VI. Si l'on s'en rapporte aux opinions défavorables à la taxe des barrières qui sont mentionnées dans ce paragraphe, elle est vexatoire, onéreuse, odieuse, attentatoire à la liberté. Elle prête à la fraude, elle n'est pas proportionnée aux revenus et aux capitaux. Elle pèse presque tout entière sur les habitants des campagnes. C'est un vestige de la féodalité qui met obstacle aux liaisons, établit une séparation entre les villes et les campagnes, et entrave le développement du commerce, de l'industrie et surtout de l'agriculture. Enfin, la nécessité de supprimer les barrières résulte des changements que les chemins de fer ont apportés à la circulation.
« Au contraire, si l'on en croit les partisans du droit de barrière, ce droit ne porte pas atteinte à la liberté ; les ennuis et les embarras qu'il cause sont compensés par le bon entretien des routes ; aucun impôt n'est plus juste et plus rationnel. Il n'atteint que celui qui peut le payer, il s'est identifié avec nos mœurs et nos habitudes ; c'est le prix d'un service rendu, c'est l'indemnité de l'usure des routes, payée par celui qui cause cette usure. C'est aux barrières que nous devons le bon système de communication dont nous jouissons ; leur suppression aurait pour résultat : d'abolir (page 84) le système des concessions, de ralentir et d'empêcher peut être la construction de nouvelles routes, de conduire à la suppression des péages des voies navigables, voire même de ceux du chemin de fer, et de la taxe des timbres-poste, de priver le trésor de ressources dont il ne peut se passer. Enfin la suppression du droit de barrières, après s'être heurtée à toutes ces difficultés, rencontrerait dans les routes concédées un obstacle que l'un des défenseurs de ce droit dit être à peu près insurmontable et qu'un autre proclame impossible à vaincre.
« En un mot, selon les uns, le droit de barrière est le plus détestable des droits, et il doit de toute nécessité être aboli ; selon les autres, il n'en est pas de meilleur, et son abolition est impossible. »
Messieurs, en présence de ce rapport ; en présence des opinions divergentes qui se sont produites sur l'abolition de la taxe des barrières, votre commission a cru devoir conclure au dépôt des pétitions au bureau des renseignements, et elle s'est fondée sur ce principe :
Pourquoi faut-il que ce soit toujours à propos d'une pétition qu'on invite l'honorable ministre des finances à modifier ou à supprimer entièrement une loi qui procure au Trésor une ressource importante ? La Chambre a manifesté le désir que la commission fût plus rigoureuse dans les conclusions qu'elle présente, puisque le renvoi à un ministre préjuge en quelque sorte la question et semble avoir cette signification : que la Chambre est favorable à la pétition.
D'ailleurs, comme la Chambre est divisée sur la question et que l'on n'est pas d'accord sur le principe, la commission a cru qu'il n'y avait pas d’autre parti à prendre que de déposer les pétitions au bureau des renseignements. Quand la question sera mûre, quand M. le ministre des finances croira pouvoir proposer de réduire ou de supprimer le droit de barrière, il n'aura pas besoin de ces pétitions.
Je conclus donc au dépôt au bureau des renseignements.
M. de Montpellier. - Messieurs je ne puis pas me rallier aux conclusions de la commission des pétitions. Ces conclusions me semblent beaucoup trop sévères. Il me paraît, lorsqu'une assemblée aussi imposante qu'un conseil provincial croit devoir nous soumettre des idées en matière d'impôts, il y a un autre accueil à lui faire que d'ordonner le dépôt de sa pétition au bureau des renseignements ; on sait ce que signifie un dépôt au bureau des renseignements !
Je n'entrerai pas maintenant dans de longues considérations contre l'impôt des barrières ; je me bornerai à dire que c'est un impôt onéreux, vexatoire et immoral.
Il est onéreux, et pour le prouver, je n'ai besoin que de citer les chiffres qu'i se trouvent dans la brochure de M. de Mevus où il est dit que le produit d'une barrière sur les routes de l'Etat est en moyenne 1,830 fr. et les frais de perception de 357 fr.
Il est vexatoire par son mode de perception, et il est immoral parce que la plupart des bureaux de barrières, étant des débits de boisson, donnent en général des tentations à certaines classes de voyageurs qui n'y résistent pas.
Messieurs, chaque fois qu'on parle de la suppression des barrières, M. le ministre des finances répond toujours qu'il est facile d'émettre le vœu de supprimer un impôt, quand on n'indique pas en même temps le moyen de le remplacer.
Eh bien, messieurs, le conseil provincial a trouvé ou a cru trouver ce moyen en proposant un impôt sur le tabac, surtout sur le tabac de luxe ; ce serait un impôt de 67 centimes par habitant.
Donc, en considération de l'importance du sujet, je propose le renvoi des pétitions à M. le ministre des finances, avec demande d'explications.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai donné des explications.
M. de Montpellier. - Mais acceptez alors au moins le renvoi pur et simple à votre département.
M. Vermeire. - Messieurs, je viens appuyer la proposition qui a été faite par l'honorable M. de Montpellier.
Ce n'est pas la première fois que la question des barrières a été traitée dans cette Chambre. Un rapport a même été présenté par le gouvernement. Mais je ne puis pas admettre les conclusions de la commission des pétitions.
On dit que l'abolition de cette taxe est impossible ; mais d'autres taxes ont été abolies, taxes qui pesaient principalement sur les villes ; or quand dans le principe on soutenait qu'il y avait lieu de supprimer les taxes, on objectait aussi que l'abolition en était impossible.
On croit que l'impôt des barrières est supporté principalement par les industriels ; eh bien, je ne pense pas que les industriels en aient réclamé la suppression. C'est surtout le conseil supérieur d'agriculture qui, traitant au point de vue agricole cette importante question, a conclu à ce que l'impôt des barrières disparaisse. C'est surtout à l'agriculture que cette taxe est onéreuse ; il y a donc lieu d'en faire cesser la perception, sauf à, y substituer un autre impôt, si c'est nécessaire.
Du reste, l'impôt des barrières n'est pas établi partout ; ainsi, je ne pense pas qu'en France il y ait une taxe des barrières.
On objecte que les routes ne seront plus entretenues, si l'impôt cesse d'être perçu. Mais il n'en est rien : les routes seront entretenues comme elles le sont aujourd'hui. Si ce sont des routes communales, les communes ont le plus grand intérêt à ne pas les négliger. Ainsi, les voies vicinales empierrées sont aussi bien entretenues que les autres voies. Ce n'est donc pas là une raison pour ne pas abolir la taxe sur les barrières.
Du reste, maintenir la taxe des barrières, c'est maintenir une institution surannée qui jure avec l'ensemble des idées qui prévalent aujourd'hui dans la société.
M. Moncheur. - Messieurs, je ne me prononce pas d'une manière absolue et positive sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de supprimer le droit de barrière. Mais je demande formellement que les pétitions dont la Chambre est saisie à cet égard soient renvoyées à M. le ministre des finances.
Ces pétitions, notamment celle qui émane du conseil provincial de Namur, doivent tout au moins avoir les honneurs de ce renvoi, et ne pas être enterrées au bureau des renseignements. Je ne demande pas que M. le ministre des finances nous donne immédiatement des explications sur l'objet de ces pétitions. Je craindrais que ces explications ne fussent identiquement les mêmes que celles qu'il nous a fournies antérieurement ; mais j'ai lieu de croire qu'après la lecture de l'important travail du conseil provincial de Namur, il pourrait modifier son opinion et nous donner, même spontanément, des explications nouvelles sur la grave question de l'abolition de l'impôt des barrières.
Messieurs, lorsqu'un corps aussi élevé qu'un conseil provincial s'est occupé, pendant deux sessions consécutives, d'une question d'impôt aussi importante que celle dont il s'agit, lorsque après de longues discussions il est arrivé à une conclusion formelle et lorsque ce corps vient, à l'unanimité de ses membres, vous proposer, comme le fait le conseil provincial de Namur, un système qu'il croit bon, juste, utile, vous ne pouvez pas, croyez-le bien, messieurs, opposer à une semblable pétition la formule du dépôt au bureau des renseignements, formule qui indique, en général, un assez mauvais accueil.
Quelque sévérité qui semble avoir été recommandée à la commission des pétitions, au sujet de requêtes qui ne mériteraient pas d'occuper sérieusement les moments de la Chambre et d'être renvoyées à l'examen spécial des ministres, je suis étonné qu'on ait cru devoir appliquer cette sévérité à une pétition émanée d'un conseil provincial ; jamais, j'en suis certain, l'intention de la Chambre n'a pu être d’étendre la rigueur nouvelle à des pétitions aussi graves, aussi importantes, rédigées avec autant de soin que l'est celle du conseil provincial de Namur.
Je n'entrerai pas, messieurs, dans la discussion du fond de la question ; car, je le répète, mon opinion n'est pas arrêtée sur cet objet. Cependant qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots aux considérations qui viennent d'être développées devant vous, et qui militeraient pour l'abolition du droit de barrière.
Un des vices principaux de ce droit, c'est de frapper d'une taxe égale et les matières premières et les produits fabriqués. Or, vous comprenez que, sous ce rapport déjà, le droit n'a pas le caractère d'égalité que tout impôt doit avoir. Il n'est point juste de frapper également des matières brutes, des matières pondéreuses et de peu de valeur, et des matières fabriquées, des matières que la main de l'homme a transformées en objets de valeur.
M. Muller. - Ce sont les matières pondéreuses qui détériorent le plus les routes.
M. Moncheur. - En second lieu, il est clair que dans les pays où le transport des matières premières est frappé d'un impôt considérable sous forme de droit de barrière, l'industrie est dans un état d'infériorité relle comparativement aux pays où le transport des mêmes matières est libre.
Maintenant, messieurs, le conseil provincial de Namur ne s'est pas borné à demander vaguement l'abolition du droit de barrière ; mais il a indiqué un système tout entier. En regard de la suppression de l'impôt des barrières, il propose de créer un fonds spécial appelé fonds des routes et qui pourrait être d'environ trois millions de francs. Ce fonds servirait à rendre à l'Etat, aux provinces, aux communes et aux propriétaires de routes une somme égale à celle qu'ils perçoivent actuellement du chef de la taxe des barrières.
(page 85) Le fonds des routes pourrait être alimenté surtout, selon le conseil, au moyen d'un impôt sur le tabac. Certes, c'est là un système qui mérite au moins d'être étudié ; nous manquerions donc non seulement aux procédés les plus simples envers un corps très respectable, mais encore à notre devoir, si nous ne renvoyions pas la pétition dont il s'agit, et celles qui tendent au même but, à M. le ministre des finances.
M. Guillery. - Je reconnais avec les honorables préopinants, que nous devons accueillir avec infiniment d'égards une pétition émanée de douze communes et du conseil provincial de Namur. Mais s'il est impossible de discuter incidemment la question que les honorables pétitionnaires soumettent à la Chambre, l'occasion de discuter cette question, en discutant si on le juge à propos notre système général d'impôts, va se présenter incessamment lors de la discussion du budget des voies et moyens. Il y aurait donc moyen tout à la fois de témoigner combien nous sommes disposés à encourager tous ceux qui veulent appeler l'attention de la Chambre sur d'utiles réformes et d'amener une discussion efficace ; ce serait d'ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du budget des voies et moyens.
- Quelques membres. - Appuyé !
M. Vander Donckt, rapporteur. - Je répondrai en peu de mots aux honorables membres qui s'opposent aux conclusions de la commission.
D'abord, l'honorable M. Vermeire nous a dit que la taxe des barrières pouvait parfaitement être supprimée. Mais il a eu soin de ne pas parler des routes concédées ; il a parfaitement passé sous silence ce côté de la question, qui est la véritable pierre d'achoppement.
L'honorable M. Moncheur signale, comme impôt à établir en remplacement de la taxe des barrières, la création d'un impôt sur le tabac.
Mais, messieurs, à propos de la loi portant abolition des octrois communaux, l'honorable ministre des finances a étudié cette question à fond et bien qu'il eût besoin de beaucoup de ressources pour réaliser sa réforme, il a dû reconnaître que l'établissement d'un impôt sur le tabac offrait de telles difficultés qu'il ne pouvait pas y recourir, et force lui a été de chercher d'autres ressources. Et ce serait à propos de la taxe des barrières qu'on voudrait ressusciter l'idée de cet impôt ! Mais, messieurs, les difficultés que M. le ministre des finances a rencontrées ne sont pas aplanies ; elles existent aujourd'hui comme à l'époque de la suppression des octrois ; de sorte qu'il n'est pas exact de dire que l'idée d'imposer le tabac permet aujourd'hui de résoudre la question de l'abolition du droit de barrière.
Je le répète, d'ailleurs, messieurs, les conclusions de la commission sont surtout basées sur la division qui règne dans cette Chambre sur cette question, et sur cette considération que, cette question étant controversée, il y avait lieu d'ordonner le dépôt au bureau des renseignements des pétitions qui pourraient nous être adressées sur cet objet, fût-ce de la part d'un conseil provincial, attendu que c'était le seul moyen d'empêcher que nous ne soyons assaillis de pétitions du même genre.
Du reste, beaucoup de personnes ne demandent l'abolition de la taxe des barrières que parce que c'est une charge ; mais tout homme raisonnable sait aussi qu'il est impossible de conduire le char de l'Etat sans finances ; et il est prudent, dès lors, de ne pas toucher aux impôts auxquels les populations sont habituées et de les maintenir tout au moins jusqu'à ce qu'on ait trouvé de bons moyens de les remplacer.
Je maintiens donc les conclusions de la commission.
M. Moncheur. - En présence de la persistance de l'honorable rapporteur dans les conclusions qu'il a formulées, je ne puis me dispenser de prendre de nouveau la parole.
Je ne serais pas éloigné de me rallier à la proposition de l'honorable M. Guillery, qui tend au dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens. Cependant je préfère le renvoi à M. le ministre des finances.
L'honorable M. Vander Donckt craint que si les conclusions qui tendent au dépôt des renseignements ne sont pas adoptées, la Chambre ne soit assaillie de pétitions sans valeur. Mais, messieurs, cette crainte est étonnante ! Est-ce donc que des actes des conseils provinciaux peuvent donner lieu à de pareilles appréhensions ? Est-ce que ces corps s'assemblent tous les jours ? Les craintes de l'honorable rapporteur sont donc chimériques.
Je ne veux pas amoindrir l'importance de certaines pétitions individuelles ; mais vous avouerez qu'un corps comme un conseil provincial a une autre autorité qu'un simple particulier et que les pétitions qui émanent de lui méritent bien autrement a priori de fixer l'attention de la législature.
Je persiste donc, de mon côté, à demander le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, ce qui n'empêchera pas la Chambre de traiter cette question dans la discussion du budget des voies et moyens.
M. de Montpellier. - Si je ne me trompe, M. le ministre des finances a accepté ce renvoi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, j'accepte tout.
M. de Montpellier. - Dans ce cas, je me rallie à la proposition de renvoi pur et simple.
- La Chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.
La séance est levée à 5 heures.