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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 novembre 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 21) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 5 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Osteux, négociant à Poperinghe, demande que le cuir découpé puisse entrer en Belgique et y être ouvragé à charge d'exportation. »

M. Van Renynghe. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission de l'industrie, en la priant de vouloir bien faire un rapport sur cette pétition le plus promptement possible.

L'objet en est urgent, car il intéresse un nombre considérable d'ouvriers qui doivent trouver, dans l'industrie dont il s'agit, des moyens d'existence pour eux et leurs familles.

- Le renvoi est adopté.


« Le conseil communal de Munsterbilsen demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subside les travaux d'entretien de la voirie vicinale et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »

« Même demande du conseil communal de Sutendael. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Jules Emile de la Bruhere, demeurant à Louvain, né à Baarle-Nassau (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Van Campenhout, ancien surveillant, et chef peseur de l'administration du chemin de fer de l'Etat, demande la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Eynthout demandent la prolongation jusqu'à Gheel de la chaussée de Hasselt à Vorst. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mols-Marchal fait hommage à la Chambre de son plan d'ensemble pour une nouvelle Bourse à établir à Bruxelles. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Moreau, rappelé par une indisposition de sa femme, demande un congé. »

- Accordé.


« Par lettre datée de Cannes, M. J. Lebeau demande un congé dont il ne peut déterminer la durée. »

- Accordé.

Projet de loi interprétation de l’article 69, paragraphe 2, n°8, de la loi du 22 frimaire an VII, sur l’enregistrement

Discussion générale

M. Pirmez, rapporteur. - Vous avez, messieurs, aujourd'hui à remplir une mission purement judiciaire. L'application de la loi du 22 frimaire an VII sur l'enregistrement a soulevé une difficulté sur laquelle les tribunaux ne sont pas parvenus à se mettre d'accord ; vous êtes appelés à la trancher par une loi interprétative.

Le gouvernement vous a soumis un projet de loi qui, suivant la tradition gouvernementale vous propose de sanctionner le sentiment de la cour de cassation.

La commission chargée d'examiner ce projet de loi ne s'est pas dissimulé combien était grave l'autorité sous les auspices de laquelle se présente ce projet ; mais elle a pensé qu'elle remplirait mal sa mission en s'en référant sans examen à l'un des corps judiciaires engagés dans ce débat.

La Constitution nous charge d'examiner et de résoudre les conflits qui s'élèvent sur l’interprétation des lois ; notre devoir est de nous livrer à l'étude la plus impartiale de la question à résoudre pour en rechercher la solution vraie et la proclamer ensuite.

Le débat dont nous sommes saisis présente des circonstances particulières, par les divisions qu'il a fait naître, non seulement au sein des corps judiciaires, mais au sein même de l'administration des finances.

Lorsque les actes sur lesquels on veut percevoir un droit de cautionnement ont été présentés au receveur de l'enregistrement, ce droit n'est pas été perçu, le receveur a pensé qu'il n'y avait pas lieu de le réclamer.

En cela, il est d'accord avec certaines décisions du département des finances. En effet, par deux circulaires antérieures, il avait été décidé qu'il n'y avait pas lieu de percevoir ce droit.

C'est après l'enregistrement des actes que les employés supérieurs de l'administration ont fait envoyer une contrainte pour exiger le payement d'un droit proportionnel.

Le tribunal de Liège, sur les conclusions du ministère public, prononça l'annulation de cette contrainte ; l'affaire fut portée devant la cour de cassation ; M. l'avocat général Faider conclut au rejet du pourvoi, c'est-à-dire qu'il fut d'avis qu'il n'y avait pas lieu de percevoir le droit que réclame le fisc.

La cour de cassation fut d'un avis contraire et cassa le jugement du tribunal de Liège.

L'affaire fut renvoyée devant le tribunal de Namur.

Devant le tribunal de Namur, le ministère public, représenté par un jurisconsulte distingué, qui a été appelé depuis à une des fonctions les plus éminentes de la magistrature, conclut à l'adoption du sentiment du tribunal de Liège et de M. l'avocat général Faider.

Le tribunal de Namur se rangea aux conclusions de M. le procureur du roi Wurth.

La question revint de nouveau devant la cour de cassation, et M. le procureur général Leclercq conclut, dans un réquisitoire qui est l'étude la plus approfondie de la question, à l'adoption d'un système diamétralement contraire à celui que le premier arrêt de la cour de cassation avait consacré.

Ces conclusions ne furent pas suivies ; l'arrêt cassa le jugement du tribunal de Namur.

Il est remarquable que lors de toutes les décisions judiciaires qui ont été rendues, les officiers du ministère public ont conclu contre le système que défend le gouvernement. Depuis que le pouvoir législatif est saisi du conflit, la divergence d'opinion n'a pas cessé.

Votre commission a examiné le système du gouvernement et elle vient à l'unanimité vous proposer d'adopter la solution contraire à celle qu'il propose.

Vous connaissez, messieurs, la question qui vous est soumise. Elle se résume en des termes extrêmement simples. Voici le fait :

Dans le cahier des charges d'une vente d'immeubles, on lit :

« Si un ou plusieurs adjudicataires usent de la faculté de nommer commands, ils seront solidairement tenus avec eux au payement et à l'exécution de la présente vente. »

La déclaration de command a lieu.

Voici la question :

Faut-il percevoir un droit de cautionnement sur l'engagement de l'adjudicataire primitif ?

D'après le système des tribunaux.de Liège et de Namur, il n'y a pas là de cautionnement, mais une codébition solidaire.

D'après le système de la cour de cassation, il n'y a pas codébition solidaire, mais un engagement principal et une fidéjussion.

Vous avez à choisir entre ces deux solutions.

M. le ministre de la justice, dans son discours d'hier, vous a dit que le simple bon sens résolvait cette question, qu'il suffisait de l'examiner avec un peu de raison naturelle pour en voir la solution.

Messieurs, avant d'étudier dans ses éléments juridiques cette question, permettez-moi de l'examiner comme l'a fait M. le ministre de la justice, et de voir si au point de vue du simple bon sens la question doit recevoir la solution qu'il lui donne.

La question est, ne l'oublions pas, de savoir si nous sommes en présence de deux débiteurs solidaires ou d'un débiteur principal et d'une caution.

Je prends le texte du cahier des charges, « Si un ou plusieurs adjudicataires usent de la faculté de nommer commands, ils seront solidairement tenus avec eux au payement et à l'exécution de la présente vente.»

Qu'est-ce qui vous révèle l'existence d'un cautionnement ? On ne le voit pas, mais on le trouve bien moins encore quand on se rend compte de la succession des faits.

Au premier moment il n'y avait qu'une seule personne obligée, l'adjudicataire.

(page 22) Bien certainement dans l’instant du contrat de vente il n'y avait pas de caution.

Il est impossible qu'il y ait une caution obligée seule. La caution suppose un débiteur principal.

Ainsi donc au moment du contrat il n'y a pas de difficulté ; l'adjudicataire est débiteur principal ; pas autre chose.

Mais qu'a-t-on voulu par la clause du cahier des charges ? Une seule chose sans doute, c'est que la déclaration de command, dont l'effet ordinaire est de décharger complètement l'adjudicataire, n'eût pas son effet, mais que l'adjudicataire demeurât obligé et que son obligation existante fût maintenue malgré la déclaration de command qui dans l'ordre naturel des choses devait amener son extinction.

C'est là l'idée qui se présente d'abord.

Remarquez-le bien, messieurs, quand il y a un débiteur principal et une caution, l'engagement du débiteur principal précède toujours celui de la caution ou tout au moins il lui est simultané.

Ce n'est que lorsque l'engagement principal existe qu'on peut cautionner cet engagement, parce qu'on ne conçoit pas de cautionnement qui n'ait pour objet la garantie d'un engagement réel.

Or, d'après le système du gouvernement, ce serait le contraire. Nous aurions d'abord la fidéjussion, puis viendrait l'engagement du débiteur principal.

Or, n'cst-il pas évident que cette supposition heurte la raison, et qu'il est bien plus naturel d'admettre que l'adjudicataire, engagé d'abord, demeure débiteur principal et qu'on lui adjoint un second débiteur principal, c'est-à-dire un codébiteur solidaire ?

Mais cette idée que c'est le premier engagement de l'adjudicataire qui survit à la déclaration de command, s'impose tellement d'elle-même, que M. le ministre de la justice, à son insu peut-être, l'a accueillie dans la rédaction même du projet.

Et en effet, que lisons-nous dans ce projet ? Que « l'article 69, paragraphe 2, de la loi du 22 frimaire an VII, est applicable aux stipulations en vertu desquelles le commandé (c'est-à-dire l'adjudicataire) reste, après la déclaration, tenu solidairement, avec son command, au payement du prix de vente envers le vendeur. »

Ainsi, d'après le projet de loi lui-même, c'est la conservation d'une obligation que consacre la clause spéciale du cahier des charges. L'adjudicataire obligé d'abord reste obligé malgré la déclaration de command ; son obligation, comme je le disais, survit à la déclaration de command.

Mais s'il en est ainsi, je demande comment il est possible que cette obligation existant déjà avant celle de command devienne une obligation accessoire. Elle est antérieure à l'engagement du command qu'on nous donne comme seule principale, et elle en serait un accessoire, c'est-à-dire qu'elle aurait existé sans qu'il y eût une obligation principale.

Cela est impossible.

El voyez où conduit ce système !

Le gouvernement nous déclare dans son projet de loi que l'adjudicataire reste tenu, et il prétend percevoir un droit parce qu'il reste tenu. Mais sur quoi porte donc le droit ? Mais sur la conservation d'une obligation. Or, je ne connais pas de disposition dans nos lois fiscales qui impose le maintien d'un engagement. Toutes les dispositions de la loi sur l'enregistrement frappent la création des droits ; on atteint les contrats à leur naissance, jamais pendant leur vie.

Cette obligation sur laquelle on veut percevoir un droit de cautionnement existe par l'acte d'adjudication.

On reconnaît que cet acte ne pouvait donner lieu au droit de cautionnement et incontestablement si la déclaration de command n'était pas intervenue, il n'y aurait pas eu lieu à réclamation du droit.

Mais l'obligation de l'adjudicataire n'est pas frappée antérieurement de ce droit. C'est parce qu'elle ne s'éteint pas, qu'on veut percevoir le droit.

Or, cela est contraire à tous les principes de la matière. La cour de cassation de France, dont on a invoqué l'autorité, a compris cette difficulté, et voyez comment elle l'a résolue. Elle déclare que l'obligation, de principale qu'elle était, devient accessoire.

Mais comment cela peut-il se faire ?

N'est-il pas impossible qu'une obligation complète par elle-même, renfermant en elle tous les éléments d'existence, devienne incomplète et n'existe que par relation à un autre engagement ? On peut concevoir qu'une obligation accessoire se substitue à une obligation principale ; mais non qu'une obligation perde son caractère essentiel.

Et voyez à quelles conséquences on arrive dans le système que M. le ministre de la justice donne comme si naturel.

C'est qu'au lieu de cette idée si simple de la conservation de l'obligation primitive, de cette survivance de l'obligation de l'adjudicataire, à la déclaration de command, nous arrivons à cette complication de devoir reconnaître une première obligation de l’adjudicataire, durant 24 heures et s’éteignant alors pour faire place à un engagement tout nouveau.

Si nous nous plaçons encore au point de vue des faits et si nous examinons ce qu'ont voulu les parties, mais leur intention paraît manifeste ; la société venderesse n'a voulu qu'une chose, c'est de conserver dans tous les cas son droit contre l'adjudicataire, elle n'a pas voulu se livrer à l'inconnu de la déclaration de command.

Cette intention ne se réalise que si vous supposez que l'obligation de l'adjudicataire demeure obligation principale.

Si vous accueillez le système du gouvernement, vous admettez que l'obligation de l'adjudicataire en devenant accessoire, est soumise à toutes les vicissitudes de l'engagement du command. Vous allez ainsi directement contre le but que les parties se sont proposé.

Mais, messieurs, ce mode d'examiner la question à vue de pays ne pourrait pas être le véritable terrain du débat. C'est une question juridique que nous avons à résoudre ; et nous devons surtout la résoudre d'après ses éléments juridiques.

On a souvent fait remarquer, messieurs, que la nature ne renferme pas des êtres séparés en catégories tellement tranchées que leur classification soit toujours aisée ; il n'y a jamais, entre les différents genres, dans lesquels les espèces de la création ont été distribuées, des démarcations parfaitement nettes ; tout dans la nature se relie par des transitions. Si quelquefois on se trouve en présence d'espèces parfaitement caractérisées, on arrive bientôt à d'autres qui semblent participer à la fois de plusieurs de celles qui ont été prises pour type.

Il en est de même dans la science du droit. Les contrats sont classés par catégories ; d'ordinaire on connaît parfaitement s'il y a codébition solidaire, ou une obligation principale et un cautionnement ; à la première vue on s'assure si l'on est en présence de deux débiteurs principaux ou si d'un débiteur principal et d'une caution.

Mais la volonté de l'homme, dans l'infinie multiplicité d'engagements que provoque l'intérêt en produit qui semblent participer de l'un et de l'autre genre.

Le contrat qui nous est en ce moment soumis en est un exemple. Quelle règle devons-nous suivre, pour savoir dans quel genre nous le rangerons ?

Il faut, messieurs, prendre garde de confondre les caractères naturels et ordinaires d'un contrat avec les caractères essentiels. Les caractères naturels peuvent nous manquer, la codébition solidaire peut avoir toutes les apparences du cautionnement, sans que pour cela l'essence même du contrat soit changée, comme le cautionnement peut revêtir l'aspect d'une codébition. Mais les deux contrats ont chacun une note essentielle ; c'est elle qu'il faut tâcher de saisir.

Quel est le caractère essentiel de la codébition solidaire et quel est le caractère essentiel du cautionnement ?

Mais, messieurs, c'est sur ce caractère précisément que le gouvernement et la commission ne sont pas d'accord.

Le gouvernement regarde comme un caractère essentiel de la codébition, cette circonstance, que tous les obligés soient intéressés dans l'affaire.

Dans l'opinion de la commission, au contraire, le caractère de la codébition solidaire est que les deux obligés soient obligés principaux, sans qu'il faille se préoccuper de l'intérêt qu'ils ont dans l'affaire.

M. le ministre de la justice me fait signe que tel n'est pas le système du gouvernement ; qu'il ne considère pas cette circonstance de l'intérêt de tous les obligés comme étant le caractère de la codébition solidaire. Mais s'il en était ainsi, il n'y aurait eu aucune raison pour casser les décisions des tribunaux de Liège et de Namur. Qu'ont décidé en effet ces jugements ? Ils ont décidé que l'adjudicataire était obligé principal et direct et ils en ont conclu qu'il n'y avait pas de cautionnement.

Pourquoi donc a-t-on cassé les décisions ? La raison, M. le ministre de la justice l'a développée ; c'est parce qu'en vertu des effets de la déclaration de command, les adjudicataires n'avaient aucun droit à la chose vendue. Partant de cette prémisse, il a conclu qu'ils n'avaient aucun intérêt dans la transaction ; et c'est parce que n'ayant aucun droit à la chose vendue, ils n'ont pas d'intérêt dans le contrat, qu'on a décidé et qu'on veut nous faire décider qu'il est absolument impossible qu'ils soient obligés principaux.

Voilà donc la seule raison qui ait fait déclarer que la décision des tribunaux était contraire au droit, il n'y en a pas d'autre.

Et bien, messieurs, nous pouvons démontrer à l'évidence, croyons-nous, que cette circonstance, que l'on considère comme une circonstance essentielle de la codébition solidaire, n’en est pas le caractère.

(page 23) Il y a des codébitions solidaires dans lesquelles tous les obligés n’ont pas d'intérêt dans l'affaire,

Il suffit pour cela de lire l'article 1216 du Code civil.

Que porte cet article ? Si l'affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concernait que l'un des coobligés solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne seraient considérés, par rapport à lui, que comme ses cautions.

Ainsi la loi suppose que plusieurs coobligés solidaires peuvent ne pas être intéressés dans l'affaire ; elle suppose donc qu'on peut dans une acquisition n'avoir aucun droit à la chose vendue, sans cesser cependant d'être codébiteur solidaire. La loi réglant le recours contre le coobligé intéressé de ceux qui ne se sont obligés que pour lui les assimile à des cautions, ce qui prouve qu'ils ne sont pas des cautions. Et nous voyons même les rédacteurs du Code prendre soin d'éviter toute fausse interprétation à cet égard.

La section de législation du tribunal fit un amendement à l'article 1216 : au lieu de « qui ne sont considérés que comme des cautions », dire « qui ne sont considérés » par rapport à lui que comme des cautions.

« L'addition des mots, par rapport à lui, préviendra toute espèce de doute sur le véritable sens de la disposition ; ce n'est, en effet, que par rapport à celui pour lequel la dette a été contractée solidairement, que les autres codébiteurs solidaires sont ainsi considérés. Par rapport au créancier, tous, sans aucune distinction, sont débiteurs principaux et obligés comme tels. »

Eh bien, d'après cette déclaration formelle, n'avez-vous pas le droit de dire : L'adjudicataire primitif, le sieur Lepourcq, est un obligé vis-à-vis de la société venderesse ; son engagement est un engagement direct, se soutenant par lui-même, et non pas un engagement accessoire. Seulement, s'il est obligé de payer, il aura son recours contre la société de la Vieille-Montagne, acquéreur, qui, ayant la chose, devra nécessairement l'indemniser de ce qu'il aura à payer.

Le texte est donc formel et il faudrait rayer l'article 1216 du Code civil pour pouvoir déclarer qu'il est impossible qu'on soit débiteur principal quand on n'est pas intéressé dans une affaire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai jamais soutenu cela.

M. Pirmez, rapporteur. - Mais je vais plus loin, et je dis que le système du gouvernement serait une véritable révolution en matière de codébition solidaire ; que si le gouvernement veut être logique, il doit percevoir le droit de cautionnement toutes les fois qu'il y a codébition solidaire, quelles que soient les circonstances de l’engagement.

Posons une hypothèse :

Deux individus, par un même acte, achètent deux hectares de terre ; ils s'engagent solidairement à payer de ce chef dix mille francs. S'il est vrai que l'on ne peut pas être coobligé solidaire quand on n'est pas intéressé dans une affaire ; que, dans ce cas, il y a nécessairement cautionnement, mais il faudra décider que chacun des deux adjudicataires est acquéreur pour moitié et qu'il est caution de l'autre pour l'autre moitié. Telle est, messieurs, la conséquence logique, inévitable du système du gouvernement.

En effet, que nous dit M. le ministre de la justice ? - Mais, comment voulez-vous, nous dit-il, que l'adjudicataire, qui n'est pour rien dans la chose vendue, soit obligé comme acquéreur ? Comment voulez-vous que lui, qui ne prend rien du bien, ait une obligation principale vis-à-vis du vendeur, ? Il ne peut pas être tenu en vertu du contrat de vente puisqu'il n'acquiert pas.

Mais cet argument, je vais l'employer pour la codébition solidaire, dans les termes de l'hypothèse que j'ai posée.

Je dirai avec la même raison à l'un des deux acquéreurs que je suppose : Vous n'êtes acquéreur que pour moitié ; vous n'avez le droit d'exiger que la moitié du bien, rien de plus, vous n'avez aucun droit à l'autre moitié ; vous êtes obligé à la totalité du prix, donc vous êtes caution pour cette autre moitié.

Comment serait-il possible, en dehors d'un cautionnement, que vous fussiez tenu à tout le prix, vous qui n'avez droit qu'à la moitié du bien Il est absurde de supposer qu'on puisse être tenu pour une chose qu'on n'acquiert pas. Or comme vous n'avez acquis que la moitié du bien, vous n'êtes acheteur que pour moitié, vous n'êtes donc obligé, comme acquéreur, que pour 3,000 fr., et comme caution de votre coacquéreur pour les 5,000 fr. restants.

Voilà, messieurs, où mène le système du gouvernement.

Si l'on adoptait ce système, on serait nécessairement conduit à percevoir le droit de cautionnement dans tous les cas où il y a solidarité. En effet, s'il y a deux acquéreurs, vous percevrez d'abord le droit d'enregistrement pour la totalité du prix de vente, et vous percevrez ensuite la moitié du droit de cautionnement sur la part de chacun des deux acquéreurs. (Interruption.)

Je sais bien que le gouvernement n'admettra pas cette conséquence ; pourtant elle découle nécessairement du principe qui veut qu'on ait un intérêt dans l'affaire pour qu'on soit considéré comme codébiteur

Mais j'applique le principe à notre espèce. Je suppose que l'adjudicataire, au lieu de déclarer command pour le tout, n'ait déclaré command que pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes du bien et demeure acquéreur pour un centième, que fera le gouvernement ? Est ce qu'il considérera que l'adjudicataire est encore caution ? Non sans doute ; l'adjudicataire a un intérêt dans l'affaire, il n'y aura plus de cautionnement, mais une acquisition. Il faut donc que dans ce cas le gouvernement déclare qu'il ne percevra pas de droit de cautionnement.

Mais quelle contradiction pourtant ! Comment ce qui est vrai pour le tout devient-il faux pour la partie ? Comment admettre que si l'adjudicataire est caution pour le tout, quand il ne conserve rien de l'acquisition, il doit l'être pour la part du command, s'il retient une partie de l'acquisition ?

Disons, messieurs, que l'intérêt de l'obligé n'est pas le caractère séparant la codébition du cautionnement. Il y a une autre différence entre ces contrats. Dans la codébition solidaire, l'obligation de chacun est indépendante de celle de l'autre ; elle a directement pour objet la chose, et a ainsi une existence propre. La caution, au contraire, ne s'oblige qu'indirectement à la chose, et en s'en référant à une autre obligation existante.

Il ne faut pas confondre deux choses très distinctes : l'obligation pour autrui et l'obligation à la dette d'autrui ; on peut s'obliger principalement pour un autre, comme accessoirement dans son propre intérêt.

Les tribunaux ont décidé dans notre espèce qu'il y avait engagement principal.

Il faut, pour casser ces décisions, ériger en vérité juridique que l'engagement principal est impossible de la part du commandé qui devient sans droit à la chose vendue.

C'est parce que nous ne pouvons admettre ce point, qu'il nous paraît impossible d'accueillir le projet du gouvernement.

Messieurs, je ferai valoir une dernière circonstance ; c'est que le système que nous présentons a déjà presque l'appui d'une décision législative ; il a été examiné dans la discussion de la loi sur les expropriations forcées ; on a décidé qu'il n'y avait pas lieu de percevoir le droit de cautionnement sur l'engagement de l'adjudicataire qui demeure toujours garant du command.

Si vous admettez que, dans les ventes volontaires, le droit de cautionnement doit être perçu, vous déclarez imposable ce qui ne l'est pas dans les ventes forcées. Voici ce que dit la loi de 1854.

L'article. 47 porte : en réglant le droit de déclarer command :

« L'adjudicataire sera garant de la solvabilité et de la capacité civile de son command, sans toutefois que cette garantie donne lieu à un droit d'enregistrement particulier. »

Aussi en matière de vente sur expropriation forcée, toujours le command est garant de la solvabilité de l'acquéreur : on n'a pas voulu qu'on perçût le droit d'enregistrement du chef de cautionnement. Aujourd'hui nous déciderions qu'on le percevra dans tous les cas de vente volontaire où la même disposition sera admise par les parties. Les principes ne sont-ils pas les mêmes, que la vente soit volontaire ou forcée ? Je ne vois pas pourquoi on introduirait cette bizarrerie dans notre législation. Je pense que, pour l'éviter, vous adopterez le projet que nous avons eu l'honneur de vous soumettre.

M. Notelteirs. - Messieurs, le motif qui me détermine à adopter les conclusions du rapport de la commission, c'est que je considère le commandé comme l'obligé principal et définitif vis-à-vis du vendeur. Le commandé tient la faculté de nommer un command non pas d'une stipulation convenue avec le vendeur, mais de la loi. C'est avec le commandé eu nom personnel que le vendeur contracte. Pour le vendeur, la nomination du command est en quelque sorte res inter alios acta. Elle ne doit pas même lui être notifiée.

Le commandé n'est pas un porte-fort qui garantit l'acceptation de l'acquéreur pour lequel il accepte, qu'il nomme dans le contrat de vente et que le vendeur connaît par conséquent an moment de contracter.

Il n'est pas non plus un fondé de pouvoirs, simple instrument d'un mandant connu.

Le commandé contracte en son nom personnel. Il s'oblige directement (page 24) envers le vendeur ; mais il se réserve une faculté, non pas celle de se dégager des obligations qu'il a contractées envers le vendeur, mais celle de faire passer la propriété de l'objet acheté directement de la tête du vendeur sur celle du command.

Je sais bien que, dans ce système, il faut admettre une fiction qui n’est pas entièrement conforme aux principes du droit ; mais il ne faut pas oublier que la nomination de command a été introduite, non pas par la loi ni par la science du droit, mais par la pratique. Aussi les anciens auteurs s'accordent à dire que c'est un usage contraire au droit pur, contra juris rationem, dit Faber.

La faculté de nommer command a été introduite pour faciliter la vente des biens et pour exempter d'un second droit de mutation le placement qu'un acquéreur parviendra à trouver pour l'objet de son acquisition pendant le délai accordé pour l'exercice de cette faculté.

La loi des 13 septembre-16 octobre 1791 est, je pense, la seule disposition législative sur la matière, au point de vue du droit civil. Elle accorde la faculté à tout acheteur et en limite l'exercice à six mois. Elle dit expressément que le bien appartiendra au command, libre de tout droit réel qui, du chef du commandé, pourrait le grever ; mais c'est à tort, à mon avis, qu'on infère de cette loi la libération du commandé vis-à-vis du vendeur.

C'est aussi à tort qu'on invoquerait l’article 709 du Code de procédure. Cet article est relatif à l'avoué qui, de par son office, n'est pas un commandé, mais un fondé de pouvoirs au mandant duquel la faculté de nommer son command peut être réservée à son tour.

Si la loi fiscale a, dans un but fiscal, réduit à 24 heures l'exercice de la faculté de nommer command, elle n'a cependant pas enlevé à cette faculté son caractère propre qui la distingue du mandat.

J'ai dit, messieurs, que l'élection de command ou d'ami est née de l'usage et de la pratique et pour faciliter les ventes ; et si je consulte la pratique, j'y trouve que le système qui décharge de plein droit le commandé conduit à l'abolition de l'usage de nommer command. En effet, dans ce système ou bien le commandé a le droit de se décharger en nommant un command quelconque et, dans ce cas, il peut rendre la vente illusoire, en nommant un command insolvable, ou bien le vendeur peut refuser le command nommé et, dans ce cas, il peut rendre illusoire la faculté de nommer command.

Je crois donc que vis-à-vis du vendeur le commandé reste débiteur des obligations de son contrat et que l'affirmation expresse de cette obligation qui résulte de la nature du contrat ne peut pas donner ouverture au droit de cautionnement.

Ce système, la chambre l'a presque consacré une première fois par la loi du 18 août 1854. L'article 47 de cette loi dit que l'adjudicataire sera garant de la solvabilité' et de la capacité de son command, sans toutefois que cette garantie donne lieu à un droit particulier d'enregistrement,

L'honorable rapporteur a donné pour motif de cette disposition que « l'obligation de garantir prise par l'adjudicataire n'est qu'une conséquence légale de l'adjudication, et que dès lors elle ne constitue pas un cautionnement particulier distinct de l'acte lui-même. »

Je sais bien que l'on peut trouver une distinction entre l'obligation du commandé au payement du prix et celle de rester garant de la solvabilité et de la capacité du command ; mais cette distinction n'est-elle pas subtile ? Et en finissant, je fais remarquer qu'en général les anciennes coutumes comme les anciens auteurs qui ont admis dans le chef du commandé l'obligation de garantir la capacité et la solvabilité du command ont fini par reconnaître que la nomination du command n'entraîne pas la libération du commandé de ses obligations envers le vendeur pour le prix de vente.

Projet de loi approuvant la convention littéraire conclue avec la Russie

Rapport de la section centrale

M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné la convention littéraire entre la Belgique et la Russie.

Projet de loi interprétation de l’article 69, paragraphe 2, n°8, de la loi du 22 frimaire an VII, sur l’enregistrement

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Pirmez a fait remarquer en commençant que dans les différents degrés de juridiction que cette affaire a subis, les organes du ministère public qui ont eu à donner leurs conclusions se sont toujours prononcés dans le sens des conclusions admises par la commission. Ainsi il a dit que M. Faider avait conclu contre l'opinion que le gouvernement vous propose de consacrer ; que, M. Wurth, procureur du roi à Namur, avait adopté la manière de voir de M. Faider ; qu’enfin, M. Leclercq avait fait un réquisitoire dans un sens opposé à celui qu'a admis la cour de cassation.

Je ne veux pas contester le mérite des honorables magistrats cités par M. Pirmez ; mais je ne puis m'empêcher de faire une observation : c'est qu'il n'admet pas lui-même les raisons données par M. Faider, à l'appui de son opinion ; il en combat, dans son rapport, au moins une grande partie.

Les arguments qui font la base du réquisitoire de M. Faider, vous les discutez, vous les combattez, vous dites qu'ils ne sont pas fondés ; ceci enlève à son opinion l'autorité que vous y attachez.

M Faider, je l'admets, est d'une opinion contraire à celle de la cour de cassation, mais je fais observer que les raisons données par ces magistrats ne sont pas admises par la commission elle-même.

M. de Naeyer. - C'est une erreur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voici ce que dit M. Pirmez dans son rapport.

M. Pirmez. - Il ne combat pas toutes les raisons.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais vous soutenez dans votre rapport que la raison donnée par M. Faider n'est pas fondée.

« On a soutenu, dites-vous, que la caution cesse d'être juridiquement une caution quand elle s'oblige solidairement. M. l'avocat général Faider a adopté ce sentiment. S'il était fondé, il en résulterait que la stipulation de solidarité trancherait à elle seule la question en faisant disparaître le cautionnement. On aurait une solution très simple de la contestation.

« Nous avons déjà dit que nous ne partagions pas ce sentiment et que nous pensions au contraire, avec l'arrêt des chambres réunies de la cour suprême, que l'assimilation n'est jamais complète, et que l'essence même du contrat de cautionnement ne tombe pas sous la stipulation de solidarité. »

M. Pirmez. - Voulez-vous me permettre de lire d'autres passages ?

« Cette conséquence que le système de la cour de cassation tendrait à imposer toute obligation solidaire découle nécessairement de la doctrine de la cour de cassation, comme l'ont fait successivement observer M. l'avocat général Faider et les magistrats du tribunal de Namur, elle constituerait une véritable révolution, non seulement dans la perception des droits, mais encore dans la qualification des engagements. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est donc établi que vous n'admettez pas l'opinion de ceux que vous invoquez, comme autorité.

M. Muller. - Il y a des différences entre les deux arrêts de la cour de cassation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Pirmez a parlé aussi de l'administration ; il a dit qu'elle avait changé de système. Il est vrai qu'à une époque déjà reculée, il y a eu des instructions dans un sens différent de celui qui prévaut aujourd'hui, mais les dernières instructions, qui remontent, je pense, à 1839, ont été données dans le sens d'une exécution de la loi conforme à l'interprétation que nous proposons de lui donner.

Voyons, messieurs ; les arguments de fond qu'a fait valoir l'honorable M. Pirmez.

L'honorable membre prétend que l'obligation principale réside dans le commandé, que cette obligation principale prend sa source dans le cahier des charges et que c'est à l'obligation du commandé que vient se joindre l'obligation du command.

Eh bien, messieurs, cela est complètement inadmissible en présence des termes mêmes de la clause du cahier des charges qui porte :

« Si un ou plusieurs adjudicataires usent de la faculté de nommer commands, ils seront solidairement tenus avec eux au payement et à l'exécution de la présente vente. »

En effet, si l'obligation prend sa source dans le cahier des charges, si c'est le commandé qui est l'obligé principal, il ne faut pas dire que le commandé sera solidaire avec l'acquéreur ; mais c'est l'acquéreur qui, ne devenant débiteur dans ce système qu'après le commandé, devrait devenir solidaire avec celui-ci.

La phrase devrait être reversée. Telle qu'elle est rédigée, elle prouve que c'est bien l'obligation qui naît de la vente, l'obligation de l'acquéreur, qui est l'obligation principale, et la rédaction est bien sous ce rapport en harmonie avec la nature des choses.

Mais, dit l'honorable M. Pirmez, une caution suppose nécessairement une dette principale. Or, au moment où cette stipulation a été faite, il n'y avait pas encore de dette principale. Comment pouvez-vous admettre qu'il y ait caution alors qu'il n'y a rien à cautionner ? Que l'honorable M. Pirmez me permette de le dire, cela est un peu de la subtilité.

Le cahier des charges a stipulé pour le moment où il y aurait une (page 25) dette ; l'article 6 n'a eu et n'a pu avoir d'effet qu'au moment même où la vente était parfaite ; au moment où il y avait un acquéreur ; au moment où existerait une dette, et c’est à ce moment que la garantie a commencé. Cela me semble d'une évidence incontestable.

- Un membre. - C'est conditionnel.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est tellement conditionnel que si l'adjudication n'avait pas eu lieu, toutes les obligations disparaissaient immédiatement.

Votre raisonnement est vrai, il vient même à l'appui de mon système. Il y a deux actes, le cahier des charges et l'adjudication, et ces deux dettes seront de natures différentes : l'une ne pouvant jamais donner lieu qu'à une action purement personnelle contre le commandé, l'autre pouvant donner lieu à l'action en payement contre l'acquéreur, et en outre à une action en résolution de vente. Cela seul ne vous prouve-t-il pas clairement que le commandé et le command ne sont pas tenus au même titre ?

Et si vous aviez une assignation à libeller contre eux, vous n'invoqueriez pas vis-à-vis d'eux les mêmes motifs et ne prendriez pas contre eux la même conclusion.

L'honorable M. Pirmez me suppose, pour me combattre, une théorie que je n'ai pas défendue, et que la cour de cassation n'a pas plus admise que moi.

L'honorable M. Pirmez dit : « Tout le raisonnement du gouvernement repose sur cette idée, qu'on ne peut pas être obligé principal, mais simplement obligé comme caution quand on n'a pas un intérêt dans l'affaire. »

Je n'ai jamais soutenu cela ; j'ai dit hier tout le contraire. J'ai dit qu'on pouvait, dans certains cas, être obligé principal, alors qu'on n'avait pas intérêt dans l'affaire. Mais dans quelles conditions ? C'est lorsque la chose est clairement stipulée dans l'acte. Vous avez dit qu'alors même que l'adjudicataire ferait déclaration de command, il serait tenu, en qualité d'acquéreur, comme débiteur principal.

M. Pirmez. - Vous en faites une question de fait ; n'oubliez pas que les tribunaux de première instance ont souverainement jugé ce point dans notre sens.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur. Je serais tenté vraiment de croire que vous n'avez pas lu l'arrêt de la cour de cassation ; il répond à ce que vous dites ; il déclare au contraire que le jugement du tribunal de Namur n'a pas constaté cela en fait, mais qu'il l'a admis comme une conséquence de la clause 6 du cahier des charges, et cette induction tombait sous la censure de la cour de cassation.

Voici ce que dit la cour de cassation sur ce point :

« Attendu, à la vérité, que l'on peut déroger au principe commun d'après lequel la qualité d'acquéreur s’efface complètement dans l'adjudicataire qui a déclaré command, et que l’on peut stipuler que, nonobstant la déclaration de command, l'adjudicataire et son command seront conjointement ou solidairement acquéreurs, mais que le jugement attaqué ne constate pas en fait qu'une telle dérogation a été stipulée ; qu'à cet égard, il importe de ne pas confondre les faits constatés par le jugement avec la conséquence juridique qu'il en a tirée ; que ledit jugement se borne à constater en fait qu'aux termes de l'article six du cahier des charges dont il s'agit, l'adjudicataire Lepourcq était solidairement tenu, avee son command, au payement et à l'exécution des conditions de la vente ; qu'ensuite, il décide en droit, qu'en vertu de la solidarité ainsi stipulée, Lepourcq étant débiteur direct et solidaire, ne peut joindre à cette qualité celle de caution pure et simple. »

Comme on le voit, le tribunal de Namur a admis que la clause 6 du cahier des charges portant que l'adjudicataire serait tenu solidairement, celui-ci était obligé principal, or, cette conclusion est juridiquement fausse, et comme je viens de le dire, elle tombait sous la censure de la cour.

On n'a donc pas déclaré, et la cour de cassation le constate, qu'on a dérogé, par une stipulation expresse, aux règles ordinaires en matière de command ; la cour de cassation a eu soin de dire que cela n'était pas constaté par le jugement. Je soutiens donc encore et je répète aujourd'hui ce que j'ai dit hier, qu'on peut être obligé principal sans que l'on ait un intérêt dans l'affaire, mais qu'il faut que cette qualité soit prise dans l'acte, qu'on s'engage comme débiteur principal. Or, vous vous trouvez ici en présence d'une simple clause de solidarité, dans une adjudication avec faculté d'élire command et non pas en présence d'un engagement où l'on a clairement accepté la position de débiteur principal.

L'article 1216 a donc sa raison d'être, et il trouve son application, par exemple, dans le cas que vous avez cité, de deux individus qui achètent ensemble une propriété, et s'engagent solidairement à la payer, car dans ce cas tous deux se seront engagés comme acquéreurs et tous deux seront débiteurs principaux.

L'objection qu'on nous faisait que, si notre système était vrai, il y aurait lieu pour le gouvernement de percevoir un droit aussi souvent qu'il y aurait une obligation solidaire, tombe. Il n'y aurait pas lieu de percevoir le droit quand ceux qui se seront engagés, ou auront acheté, auront pris la position d'acquéreurs ou de débiteurs principaux.

Mais, en présence d'une simple clause de solidarité, dans une adjudication avec faculté d'élire command, les cours et tribunaux ne peuvent voir qu'un cautionnement.

Messieurs, le dernier argument qu'a fait valoir l'honorable M. Pirmez, c'est que déjà cette question a été décidée par la Chambre.

Ce n'est pas là une objection sérieuse. Lorsqu'on a discuté la loi sur l'expropriation forcée, on a imposé à l'adjudicataire la responsabilité de la solvabilité, et de la capacité civile de son command. C'est là une disposition toute nouvelle, une responsabilité qui dérive de la loi même, et qui en principe ne doit pas donner lieu à un droit d'enregistrement, et on l'a dit dans la loi. Mais on ne s'est pas occupé de la loi de frimaire, de son interprétation.

Aussi la cour de cassation a-t-elle rencontré cet argument dans ces termes :

« Attendu qu'on argumenterait en vain de la loi du quinze août mil huit cent cinquante-quatre, dont l'article quarante-sept établit simplement à charge de l'acquéreur une garantie spéciale de solvabilité et de capacité, garantie qui dès lors résulte de l'adjudication même, et ne peut être soumise à un droit d'enregistrement distinct de celui-ci auquel celle-ci est assujettie. »

Il n'y a donc aucune analogie entre les deux cas ; ils sont tout à fait différents. Je persiste donc à demander que la Chambre adopte le projet du gouvernement.

(page 27) M. Guillery. - La Chambre peut voir, par les discours qu'elle vient d'entendre et par les documents qui lui ont été soumis, que jamais question n'a donné lieu à un controverse plus complète que celle qui lui est soumise en ce moment. D'un côté, la cour de cassation ; de l'autre, les officiers du parquet de cette cour et notamment le savant procureur général dont je n'ai pas besoin de rappeler le mérite ; puis les tribunaux de première instance et les officiers du parquet près de ces tribunaux.

Dans l'administration de l'enregistrement, nous voyons que le receveur n'avait pas perçu le droit, que c'est l'administration supérieure qui, la première, en a eu l'idée.

Ainsi division complète.

Eh bien, messieurs, pour ceux qui ne se rendent pas un compte exact des difficultés juridiques soulevées devant la Chambre, il est, ce me semble, un axiome qui doit les guider ; c'est que, dans le doute, on décide contre le fisc ; dans le doute, on ne perçoit pas le droit ; dans le doute, il faut se prononcer en faveur du débiteur. Cet axiome est aussi ancien que la science du droit.

Il me semble, messieurs, qu'il y a une raison péremptoire qui justifie la doctrine émise à la fois par les officiers du parquet près la cour de cassation et, si je dois en croire certaines indiscrétions, par la plus forte minorité possible de la cour de cassation, ainsi que par les tribunaux de première instance.

L'article 11 de la loi du 22 frimaire an VII porte que lorsque, dans un acte quelconque, il y a plusieurs dispositions indépendantes ou ne dérivant pas les unes les autres, il est dû pour chacune d'elles et selon son espèce un droit particulier.

Ainsi donc, messieurs, pour qu'il y ait lieu apercevoir un double droit, il faut non seulement qu'il y ait dans un acte plusieurs dispositions différentes, mais il faut qu'elles soient indépendantes et qu'elles ne dérivent pas les unes des autres ; si elles dérivent les unes des autres, si les unes sont la conséquence des autres, il n'y a lieu qu'à la perception d'un seul droit.

Cette règle est fondamentale.

L'article 10 avait déclaré que, dans le cas de transmission de biens, l’obligation consentie par le même acte pour tout ou partie entre les contractants, ne peut être sujette à un droit particulier d'enregistrement, et l'article 11 pose le principe, dont je viens de parler et qui, dans la jurisprudence a reçu une très large application. Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, on ne soumet qu'à un seul droit d'enregistrement le jugement du tribunal de commerce, qui joignant l'exception d'incompétence au fond, prononce par deux dispositions distinctes.

Ainsi, messieurs, il faut non seulement que le fisc prouve, dans l'espèce qui nous occupe, qu'il y a deux dispositions ; il faut qu'il prouve que ces deux dispositions ne dérivent pas l'une de l'autre, que la disposition que le lien de droit en vertu duquel l'avoué commandé est tenu suivant M. le ministre de la justice, suivant l'administration de l'enregistrement, suivant la cour de cassation, est tenu comme caution, il faut que l'on prouve que cette disposition n'est pas la conséquence nécessaire de la position qu'il occupait, de la position de commandé.

Eh bien, messieurs, que s'est-il passé ? L'article 6 du cahier des charges porte que si un ou plusieurs adjudicataires usent de la faculté de nommer commands, ils seront solidairement tenus avec eux au payement et à l'exécution des conditions de la vente.

Pour justifier la perception d'un double droit, il faut imaginer deux opérations qui, en réalité, ne sont pas faites ; imaginer que le commandé, après avoir nommé son command, a été déchargé d'une obligation, puis que par une deuxième obligation, il se trouve tenu comme caution.

II faut que l'on suppose que la première obligation s'efface et qu'il est ni ensuite, par une convention ou par un acte quelconque, un nouveau lien. Or ce n'est pas ce qui s'est passé.

La déclaration de command est elle-même une exception, c'est un privilège.

Je suis avoué, je viens acquérir en vertu de l'article 6 du cahier des charges, je suis adjudicataire. D'après la règle générale, si je voulais revendre à la société de la Vieille-Montagne, il faudrait que je fisse une deuxième vente. Eh bien, la loi, par exception et pour favoriser les adjudications publiques, a décidé que l'avoué adjudicataire pourrait déclarer command, que dans ce cas il s'effacera, et que le command déclaré sera censé avoir été adjudicataire dès le principe.

Voilà la fiction delà loi.

La Vieille-Montagne aurait été ici dans le même cas que si elle s'était rendue adjudicataire directement, sous l'article 6 du cahier des charges.

Que dit cet article ? Il dit que l’avoué ne sera pas déchargé complètement ; qu'à la différence de ce qui se parce ordinairement en matière de command, il restera débiteur, que son obligation subsistera malgré la déclaration de command ; que la déclaration de command sera inopérante pour lui, qu'elle n'aura d'autre effet que de donner un débiteur déplus au vendeur.

« Si un ou plusieurs adjudicataires usent de la faculté de nommer commands, ils sont solidairement tenus avec eux... »

L'adjudicataire, après avoir été proclamé tel, nomme son command au lieu d'être déchargé complétement, comme il l'aurait été en vertu d'un cahier des charges ordinaire, il reste débiteur, en vertu de la clause dont il s'agit ici ; il n'est pas effacé comme il le serait par une déclaration de command ordinaire.

Il n'y a donc pas là un contrat de cautionnement, il n'y a pas là de convention nouvelle, il n'y a pas là un fait postérieur qui vient lier l'adjudicataire à son command et qui vienne le constituer caution ; il y a un seul et même fait dont les conséquences sont tracées par le cahier des charges.

Il n'y a pas une obligation nouvelle, il y a l'absence de libération, l'absence de décharge, et c'est cette absence, cette négation que l'on veut frapper d'un droit.

Eh bien, alors même que le système soutenu par le gouvernement serait fondé en droit civil, il n'a rien été dit qui me montre que les deux clauses prétendues soient indépendantes ou ne dérivent pas l'une de l'autre, comme l'exige l'article 11 de la loi du 22 frimaire an VII.

Aux doutes sur la question de droit civil proprement dite, vient donc se joindre plus qu'un doute sur l'application de la loi de frimaire an VII.

Bien que l'argument tiré de l'article 1216 ait été développé de la manière la plus complète, je crois néanmoins devoir y revenir, parce que je le trouve péremptoire, et je n'ai pu admettre la réfutation qu'on en a essayée. Et pour le dire en passant, je dois relever ce qu'a dit M. le ministre de la justice du rapport de la commission. Le rapport de la commission n'a pas du tout contesté les arguments produits par les autorités qu'elle a invoquées, il ne les a point combattus ; mais sur un point accessoire, l'honorable rapporteur s'est trouvé en dissentiment avec l'un des officiels du parquet qui a porté la parole devant la cour de cassation.

Mais effacez cet argument du réquisitoire de M. Faider et vous n'en arrivez pas moins à la même conclusion. C'est un argument qui n'est pas essentiel et que M. Faider aurait pu retrancher de son réquisitoire, sans qu'il eût dû pour cela changer d'opinion.

Messieurs, l'argument que je désire rappeler en terminant est puisé dans l'article 1216 du Code civil. Cet article est ainsi conçu :

« Si l'affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concernait que l'un des coobligés solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui ne seraient considérés, par rapport à lui, que comme ses cautions. »

On aura beau dire que la position n'est pas identiquement la mêmes, on aura beau chercher des exemples d'application de cet article en dehors de celui qui nous est fourni par l'adjudication faite à la Vieille-Montagne ; il n'en est pas moins vrai que l'article 1216 a prévu l'hypothèse dans laquelle un débiteur solidaire peut ne pas être intéressé dans la dette ; c'est-à-dire dans laquelle un débiteur solidaire ne joue en réalité qu'un rôle de caution. Voilà un débiteur solidaire qui n'est que caution parce qu'il n'est pas intéressé dans la dette, qui ne figure que pour donner au créancier une garantie, qu'il sera payé par les autres débiteurs et qui, cependant ne perd pas sa qualité de débiteur.

Il est dans la nature de l'obligation solidaire d'être toujours un peu un cautionnement. « Nous sommes trois codébiteurs solidaires ; mes codébiteurs sont insolvables ; je paye la dette, mais en la payant, je n'ai payé que comme caution de mes codébiteurs ; j'ai payé une dette qui ne me concernait pas, pour les deux tiers, pour les neuf dixièmes, ou même pour le tout. »

Il y a donc plus ou moins de cautionnement dans une obligation solidaire, et ce qui prouve que dans la pensée du législateur cette circonstance ne peut pas donner lieu à une perception de droit, n'altère pas nature de l'obligation, c'est que lors de la discussion de l'article 1216, le conseil d'Etat, sur la proposition d'un de ses membres, a modifié le texte primitif. Ce texte portait : « qui ne sont considérés que comme des cautions. »

Le conseil d'Etat ajouta à ce texte les mots : « par rapport à lui », afin de bien constater que l'obligation ne changeait pas de nature, que si les codébiteurs pouvaient avoir entre eux des rapports différents, ils n'en restaient pas moins tous des débiteurs principaux et obligés, comme tels par rapport au créancier.

Or, quel est l'argument de la cour de cassation ? C’est que le défaut (page 28) d'intérêt de l'un des codébiteurs solidaires le rend caution. L'article 1216 est donc la réfutation péremptoire de ce système.

Messieurs, je terminerai là les observations que je voulais présenter à la Chambre, vous avez sous les yeux, messieurs, les discussions savantes qui ont eu lieu devant les tribunaux ; vous avez entendu les orateurs éminents qui ont pris part à ce débat ; je ne voulais que présenter quelques observations. Messieurs, j'insiste de nouveau sur ce point que dans le doute il faut se décider en faveur du débiteur, aux termes de l'article 1162 du Code civil, que dans le doute il faut décider contre le fisc. J'insiste surtout sur l'interprétation des termes de l'article 11 de la loi du 22 frimaire an VII, qui ne permet de percevoir le droit que quand il s'agit de dispositions différentes et ne dérivant pas les unes des autres.

(page 25) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Aucune des observations que vient de présenter l'honorable M. Guillery ne me paraît fondée.

Il insiste surtout sur cette considération, que, dans le doute, il faut toujours se prononcer contre le fisc.

Mais, messieurs, autre chose est une controverse, et autre chose est un doute. Quand en matière pénale ou fiscale on parle de doutes qui doivent déterminer l'abstention, il s'agit d'un doute sur l'existence d'un fait et non pas de difficultés d'interprétation.

Si le système de M. Guillery était vrai, chaque fois qu'il y aurait recours aux tribunaux, l'on pourrait dire qu'il y a doute, et dès lors il faudrait décider qu'il n'y aura pas lieu de percevoir le droit. Cela n'est pas admissible.

L'honorable M. Guillery soulève un autre doute, un doute qui naît de l'article 11 de la loi de frimaire ; il prétend que la convention qui donne lieu au débat actuel, dérive nécessairement de la position du command. C'est résoudre la question par la question. Il faut en définitive en revenir à savoir quelle est la nature de la clause du cahier des charges.

Si c'est, comme le prétend mon honorable contradicteur, une obligation principale, évidemment le droit proportionnel ne doit pas être perçu ; si c'est, au contraire, un cautionnement, il s'agit alors d'une convention accessoire qui ne dérive pas nécessairement et inévitablement du contrat de vente et c'est une convention accessoire qui est soumise à un nouveau droit. L'argument de l'honorable M. Guillery n'est donc qu'une pétition de principe.

Messieurs, on est revenu sur l'article 1216 du Code civil. Je dois m'être bien mal expliqué pour n'avoir pas été compris par l'honorable préopinant.

J'ai dit à satiété qu'à mes yeux il pouvait y avoir un débiteur solidaire sans qu'il eût intérêt dans l'affaire ; mais j'ai dit dans quel cas l'article 1216 recevra son application. Ce cas n'est pas celui d'une affaire de command où l'on se trouve simplement en présence d'une clause de solidarité.

- La discussion est close.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

Le projet de la commission est mis aux voix par appel nominal.

67 membres répondent à l'appel nominal.

1 membre (M. Goblet) s'abstient.

40 membres répondent oui.

26 répondent non.

En conséquence, le projet de la commission est adopté.

Ont répondu oui : MM. Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Renynghe, Vermeire, Wasseige, Beeckman, Braconier, Coppens, de Boe, Dechentinnes, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, (page 26) de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B, Dumortier, H. Dumortier, Grandgagnage, Guillery, Laubry, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non : MM. Orts, Rogier, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Allard, Bara, Ch. Carlier, Crombez, de Breyne, de Florisone, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Frison, Grosfils, Jacquemyns, Jamar, J, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange et Loos.

M. le président. - La parole est à M. Goblet, pour donner les motifs de son abstention.

M. Goblet. - Les doutes que j'avais sur la question n'ayant pas été dissipés par la discussion, j'ai cru devoir m'abstenir.

- Plusieurs membres. - A demain.

M. le président. - La Chambre paraît désirer de remettre la séance à demain. (Oui, oui !) A quelle heure veut-elle fixer sa séance de demain ? Il y a des travaux en sections et en section centrale. La Chambre veut-elle se réunir demain à 3 heures ? (Oui, oui !)

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à cinq heures.