(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 2003) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Ruelle réclament contre les mesures prises par le gouvernement provincial du Luxembourg au sujet de l'école des filles établie dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des libraires et directeurs de vente de livres demandent une disposition fixant le sens de la loi du 5 juillet 1860, qui autorise la suppression du droit d'enregistrement sur les ventes publiques de marchandises réputées comme telles dans le commerce.»
- Même renvoi.
« Le sieur Parmentier-Dutoit, électeur à Moorseele, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir du bourgmestre de la commune la communication du registre des délibérations du conseil. »
- Même renvoi.
M. Tack. - Messieurs, le pétitionnaire dénonce à la Chambre des faits graves : le refus d'un bourgmestre de communiquer à l'un de ses administrés le registre de délibération du conseil communal, malgré le texte formel de la loi communale et les injonctions qui ont été adressées à ce magistrat par l'autorité supérieure.
je demande qu'il soit fait sur cette pétition un prompt rapport afin que nous soyons en mesure d'apprécier la valeur et la portée des griefs qu'elle articule.
M. H. Dumortier. - J'appuie la proposition de mon honorable collègue M. Tack.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Sacré, imprimeurs-éditeurs, à Bruxelles, se plaignent d'erreurs commises à leur égard par les employés du timbre. »
- Même renvoi.
« Le sieur Deridder adresse à la Chambre un exemplaire d'une requête présentée au conseil communal de Gand, pour les ouvriers de cette ville, et demande qu'elle soit recommandée au gouvernement. »
- Même renvoi.
« Les habitants de Cruyshautem prient la Chambre d'ajourner à 2 ans la ratification du traité de commerce avec l'Angleterre, si elle croit devoir l'approuver. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité.
« M. d'Ursel demande un congé. »
- Accordé.
M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le crédit de 70,000 francs au département des travaux publics.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Van Volxem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur une demande en naturalisation.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - M. de Rongé a déposé un sous-amendement à celui de M. Vandenpeereboom, consistant à ajouter après les mots : « fils et tissus de coton » ceux-ci : « et des tissus mélangés. »
M. Kervyn a déposé un amendement consistant à ajourner à deux ans la ratification du traité.
- Ces amendements sont appuyés, ils feront partie de la discussion.
M. B. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Puisque M. le ministre des affaires étrangères est. à son banc, je désire lui demander une explication sur un fait qui a une grave importance. Il s'agit d'un article publié récemment par l’Economist anglais ; on sait que ce journal est d'ordinaire bien informé, qu'il a une valeur réelle, et qu'il jouit d'une grande considération en Angleterre.
Ce journal a consacré quelques lignes au sujet du traité actuel, j'en a trouvé dans les journaux belges la traduction :
« Un traité a été conclu avec la Belgique, lequel est favorable aux intérêts de nos fabriques en général, mais dont les détails ne peuvent, d'après un arrangement avec la Belgique, être publiés en Angleterre, avant que les ratifications aient été échangées. »
On reconnaît donc dans cet article qu'il y a un mystère. (Interruption.) M. le ministre peut en rire, mais je crois qu'il ferait mieux de répondre.
M. Muller. - On peut faire l'un et l'autre.
M. B. Dumortier. - On reconnaît donc en Angleterre, je reprends ma phrase, qu'il y a un mystère sur lequel on ne peut pas éclairer le public anglais avant que les ratifications aient été échangées.
Maintenant nous sommes en droit de nous demander : Quel est donc ce mystère ? C'est précisément ce que je viens demander à M. le ministre des affaires étrangères. Au reste, la seule manière de le savoir, c'est de le demander à M. le ministre lui-même.
Existerait-il un traité secret entre l'Angleterre et la Belgique ? Existerait- il des conditions secrètes qu'on ne peut pas révéler ?
Voilà, messieurs, une position qui peut se rencontrer.
Ou bien ce traité, que l'on déclare avantageux à l'Angleterre, serait-il considéré par les Anglais eux-mêmes comme tellement désavantageux à la Belgique qu'on n'ose révéler à l'Angleterre les avantages qu'on lui fait. (Interruption.)
Je trouve ces rires inconvenants, et l'honorable M. Hymans qui rit ainsi aux éclats, ferait bien mieux de retenir ses rires et de répondre, s'il le peut. Cela vaudrait mieux.
M. Hymans. - C'est Rambler qui vous a dit cela.
M. B. Dumortier. - Ce n'est pas plus Rambler que Jean Bonus.
Je dis que la Chambre a le droit de savoir quels sont les motifs qui empêchent l'Angleterre de communiquer au public les avantages qui lui sont faits.
Des deux choses l'une, ou bien il y a des conditions secrètes qu'on ne veut pas révéler, ou l’on reconnaît en Angleterre que le traité est tellement désavantageux aux intérêts belges qu'on n'ose pas sonner les grosses cloches de crainte d'éveiller nos susceptibilités.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je donnerai avec le plus grand plaisir et aussi sérieusement que possible une réponse à l'honorable M. Dumortier.
Il vient de nous lire un article de l’Economist anglais d'où il résulterait que le gouvernement anglais aurait conclu avec la Belgique un traité tellement avantageux à l'Angleterre...
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez dit : tellement avantageux à l'Angleterre que le gouvernement anglais n'oserait pas le publier.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si vous n'avez pas dit cela, je n'ai pas à répondre.
M. B. Dumortier. - Le journal dit que d'après un arrangement conclu avec la Belgique, les détails ne peuvent être publiés avant que les ratifications soient échangées.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez commenté cela.
M. B. Dumortier. - Mais quels sont ces arrangements ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable M. Dumortier a lu l'article de l’Economist, puis il y a joint la glose, le commentaire. Ce commentaire est celui-ci :
L'Angleterre aurait conclu avec la Belgique un traité tellement avantageux qu'elle n'oserait pas en publier les dispositions dans la crainte d’exciter les susceptibilités et les clameurs de la Belgique. C'est bien cela, je pense.
(page 2004) Eh bien, messieurs, nous avons les meilleurs rapports avec les ministres anglais, et ces rapports se sont consolidés pendant la période de la négociation à laquelle j'ai assisté. Je les crois pleins de bon vouloir pour nous. Mais je suis convaincu que si les ministres anglais croient avoir fait un bon traité avec la Belgique, ils ne s'abstiendront pas pour cela de le livrer à la publicité, et nous n'avons pas à y trouver à redire.
Mais il y a un mystère et il faut que le ministre des affaires étrangères l'explique.
J'en demande pardon à l'honorable M. Dumortier, mais je ne puis pas l'expliquer attendu que je ne connais rien de plus de ce mystère que lui-même, que je ne connais pas l'ombre d'article secret, d'article réservé.
L'exposé des motifs et la note complémentaire que la Chambre a sous les yeux, énoncent tout ce qu'il y a dans le traité, ni plus ni moins, il n'y a pas l'ombre d'articles secrets.
- Plusieurs membres. - C'est d'ailleurs impossible.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sans doute ; mais on ne serait pas fâché de trouver un grief de plus à ce traité. Mais il n'y a rien de tout cela. Je ne sais pas si le traité n'est pas encore publié par le gouvernement anglais. Le parlement a clos sa session. Le traité a été signé l’avant-veille de cette clôture ; de manière que le ministère l'a annoncé mais non déposé. Dans tous les cas, on sait que le parlement anglais n'a pas, comme le parlement belge, à intervenir dans l'approbation des traités.
Je crois que cette réponse satisfera l'honorable membre. S'il a encore quelque chose à me demander, je lui répondrai.
M. le président. - M. de Rongé a déclaré retirer l'amendement qu'il avait présenté hier.
M. B. Dumortier. - M. le ministre ne répond pas à la question que j'ai posée. Il faut qu'il nous dise s'il y a ou s'il n'y a pas de condition secrète.
- Plusieurs membres. - Il ne peut pas y en avoir.
M. B. Dumortier. - Vous n'êtes pas, messieurs de la gauche, chargés de répondre pour le ministre ; vous n'avez pas procuration pour cela. C'est au ministre que j'adresse ma question.
L’Economist dit que, d'après un arrangement conclu avec la Belgique, le traité ne peut être publié actuellement. M. le ministre nous dit qu'il nous a communiqué les pièces ; mais il ne répond pas à cette question : y a-t-il, qui ou non, un arrangement conçu avec la Belgique, en vertu duquel l'Angleterre ne publie pas les pièces ?
M. de Brouckere. - Mais non !
M. B. Dumortier. - L'honorable M. de Brouckere pense-t-il qu'il est encore ministre des affaires étrangères ? Répondez pour les actes de votre ministère, mais ne répondez pas pour ce qui ne vous concerne pas.
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
M. B. Dumortier — Je sais ce que vous allez m'objecter. Je sais qu'il y a un article de la Constitution qui dit que les conditions secrètes ne peuvent porter atteinte aux conditions patentes. Je connais la Constitution aussi bien que vous. Mais il s'agit de savoir si le dire de l’Economist est vrai ou si c'est une erreur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je déclare à l'honorable M. Dumortier que l’Economist se trompe de la manière la plus complète et la plus grossière, s'il suppose qu'il existe entre le gouvernement belge et le gouvernement anglais un arrangement ridicule, par suite duquel le gouvernement anglais s'engagerait à ne pas publier le traité. C'est une absurdité telle, que je m'étonne que l'honorable M. Dumortier la relève et l'accompagne de commentaire.
M. B. Dumortier. - Cela peut être vrai ; si cela ne l'est pas, tant mieux.
M. Orts. - Etes-vous sûr de l'exactitude de votre traduction ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'apprendrai une chose à l'honorable M. Dumortier, c'est qu'en Angleterre, on recule si peu devant la publicité, que toutes les pièces quelconques d'une négociation, à mesure qu'elles arrivent au Foreign office, sont immédiatement imprimées et servent à l'usage de tous les ministres.
Ainsi il n'y a aucun motif de supposer possible l'arrangement ridicule dont on parle.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.
- Plusieurs membres. - Assez ! assez sur ce point !
M. de Brouckere. - Je renonce volontiers à la parole. Cela ne vaut pas une discussion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je me rappelle qu'au moment de la signature du traité, j'ai dit à lord John Russell : Je désire soumettre le traité au parlement belge avant que vous le livriez à la publicité. Voilà tout ce qui a été dit. C'était une question de convenance.
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi.
La parole est à M. Coppens-Bove.
M. Coppens-Bove. - Messieurs, le gouvernement en prenant en considération la proposition nouvelle des industriels gantois, a compris à la fin combien la demande d'un délai était juste et raisonnable.
Je regrette beaucoup que le gouvernement n'ait pas été pénétré plus tôt de cette idée, il eût évité une reprise de négociations, devenue bien difficile après la signature du traité.
Je regrette que le gouvernement n'ait pas accueilli la réforme par disposition législative. Cette manière de traiter est, je pense, la seule rationnelle pour un petit pays.
C'était l'aspiration de ceux qui suivent les idées du libre échange, et j'espérais que les pétitionnaires, en la proposant, auraient eu leur appui.
A toutes les époques, l'industrie gantoise admettait l'union la plus large des peuples, mais elle a toujours dit qu'elle ne pourrait l'accepter avec l'Angleterre qu'après avoir traité avec les puissances continentales, notamment avec la France et le Zollverein.
Le gouvernement, pressé par le cabinet anglais, a cédé, entre autres motifs, par la crainte d'une guerre de tarifs que l'Angleterre pourrait nous susciter.
Cette crainte, je ne la partage pas, quand je consulte le tableau des exportations vers ce pays.
L'exposé des motifs, accuse une exportation de 95 millions.
Il y est porté pour une valeur de 37 millions d'objets manufacturés, chiffre qui se réduit à environ 25 millions, tenant compte des marchandises expédiées en transit et par déduction d'une grande partie de l'article qu'on déclare exceptionnel.
Il y a donc une exportation d'au moins 70 millions consistant en denrées alimentaires et matières premières.
En présence d'un pareil résultat, toute crainte à cet égard disparaît, car l'Angleterre, dans tout état de cause, ne peut nullement se passer des produits de cette nature, c'est un intérêt vital pour elle.
L'Angleterre veut s'emparer des marchés, tantôt par la force, tantôt par la ruse ; en Belgique, elle veut y parvenir par le sentiment.
Je vois dans le dernier paragraphe de l'exposé des motifs qu'elle a touché le cœur de notre Gouvernement qui s'est laissé prendre par motif de reconnaissance.
Les sympathies de l'Angleterre à notre égard sont très prononcées ; je crains de sa part un amour effréné et je crains que dans un de ses transports, à force d'amour, elle ne finisse par nous étouffer.
L'Angleterre ne connaît pas le sentiment, et la pensée de son gouvernement se trouve tout entière dans un ouvrage intitule : « De l'influence des capitaux anglais sur les industries européennes, publié en 1847, par Charles Wilson. J'y trouve ce passage :
« Armée de son or, d'une supériorité maritime écrasante, d'un réseau de positions fortifiées sur tous les grands passages du commerce du globe, du talent supérieur de ses hommes d'Etat, dégagée de tout scrupule, l'Angleterre tient dans ses mains les destinées du monde ; elle peut et elle veut exploiter le genre humain tout entier à son profit. Pour l'Angleterre il n'y a pas de devoir, il n'y a pas même de droits, il n'y a que des intérêts. »
Vous voyez, messieurs, combien nous sommes éloignés de la question du sentiment et quels sont les vœux et les aspirations de cette grande Angleterre.
Examinons maintenant la position de l'industrie cotonnière des deux pays.
Le commerce anglais rend à l'industrie de son pays des services et des secours que l'industrie belge attend encore du commerce de ce pays.
Anvers qui se dit la métropole commerciale de la Belgique, qu'a-t-elle fait pour l'industrie. Rien.
Je me trompe, elle se déclare libre-échangiste ; pourquoi ?
Parce que, n'étant que commissionnaire, elle s'attend à plus d'affaires de l'étranger que de son propre pays et partant plus de frais de commission à encaisser.
A l'appui de ce que j'avance, j'ai pour moi une autorité qu'on ne récusera pas.
En 1856, lors du 25ème anniversaire du règne de Sa Majesté, j'avais l'honneur de présider le tribunal de commerce de Gand.
Voici, entre autres, la paroles que Sa Majesté m'adressait.
« J'ai une bonne nouvelle à annoncer pour l'industrie de votre ville ; Anvers, qui jusqu'à maintenant s'est bornée au rôle de commissionnaire, prendra plus à cœur, je l'espère, celui d'armateur et d'exportateur. »
C'est donc à l'absence du concours de la métropole commerciale, (page 2005) qu'on doit attribuer principalement le manque de relations nécessaires à l'industrie pour l'exportation de ses produits.
Si le commerce d'Anvers avait, depuis nombre d'années, suivi l'exemple du commerce anglais, il serait parvenu à nous créer des relations et l'industrie aurait été mieux préparée à la grande lutte qu'on nous propose aujourd'hui.
C'était donc à elle, libre échangiste, de nous dire : N'ayez pas peur d'ouvrir votre marché intérieur à l'Angleterre ; nous sommes à même de le remplacer par de bonnes relations établies à l'extérieur qui vous compenseront largement de la perte de votre marché.
On m'objectera peut-être que récemment, dans une délibération du conseil communal de Gand, un industriel a déclaré accepter la lutte sans crainte.
Eh ! messieurs, on rencontre partout des utopistes, qui sont enthousiastes de théories nouvelles, et surtout, attachant énormément de prix a passer pour des hommes du progrès, en assument légèrement les conséquences et voient tout en beau par l'effet d'un mirage trompeur.
Je considère ces adeptes comme entachés d'une forte dose de suffisance, et leur conseille de bien méditer la fable de La Fontaine, intitulée : la Grenouille qui veut se faire aussi gros que le bœuf.
Pour moi, j'ai malheureusement la conviction que le traité avec l'Angleterre met l'industrie cotonnière à sa merci, qu'elle ne pourra continuer d'exister que jusqu'au jour où l'industrie britannique aura décidé de son existence.
Et comment voulez-vous que la lutte soit possible, avec une puissance industrielle qui possède 40 millions de broches contre 700 mille en Belgique, ce qui lui permet de produire en trois semaines ce que produit notre pays en une année entière ?
Dès 1842, sir Robert Peel assurait aux industriels que nul ne pourrait désormais leur faire concurrence sur les marchés étrangers.
M. Charles Dupin, dans un discours à l'Institut de France, disait :
L'Angleterre est arrivée à cette condition de progrès incessant par des causes que tout le monde comprend.
Un mot explique tout, c'est un pays sans point de comparaison.
La politique, les sciences, les caractères y sont dirigés vers la grandeur matérielle.
L'aristocratie y possède des richesses royales, et elle a toujours appliqué ces richesses à l'industrie comme les classes moyennes.
Le pays possède un gouvernement de tradition qui ne perd jamais de vue le développement des intérêts matériels.
Guerre, diplomatie, ascendant de sa presse et de sa tribune, tout a un même but, l'extension de son industrie ou la destruction des industries rivales.
L'Angleterre reste ce qu'elle a toujours été, ne faisant rien du tout d'une pièce, prenant conseil des circonstances, rédigeant ses lois au fur et à mesure de ses besoins, émancipant, protégeant ou repoussant d'après le bien et l'utilité du pays.
Elle en donne encore la preuve aujourd’hui, en exceptant une quinzaine d'articles, sous la dénomination de droit fiscal, droits de timbre, droits de fabrication ou de production, qui pour moi ne sont en réalité que de la protection déguisée.
Maintenant abordons le chapitre de ses avantages, notamment :
1° Par les fers et les fontes qui lui procurent ses mécaniques et ses machines à plus bas prix.
2° Par ses charbons qui sont à plus bas qu'en Belgique ;
3° Par les établissements montés sur une vaste échelle, elle possède des filatures d'au moins 300,000 broches.
Au moyen de l'esprit d'association poussé à l'extrême, les capitaux anglais ne trouvent que deux moyens de placement : les actions industrielles et les fonds publics.
4° Par le prix du coton en laine, qui de place à place est toujours en leur faveur.
Le grand assortiment de leur marché leur procure un grand avantage par le choix.
Pour le coton des Indes la différence est encore plus grande, nous sommes sous ce rapport leur tributaire.
5° Les industriels sont dégagés de leurs produits par l'exportateur.
6° La valeur de leurs produits est réglée à 90 jours, ce qui leur permet de renouveler leurs capitaux 4 fois l'an.
7° De plus ils ont en outre à exploiter leur marché intérieur, un marché dans leurs colonies et convoitent les marchés du continent pour solder leur surplus.
Tous ces. avantages se résument en leur faveur au minimum de 10 p. c.
La conséquence qui en résulte est celle-ci ; pour qu'il y ait protection égale envers les deux pays, les chiffres accordés à la France étant suffisants, devaient être majorés vis-à-vis de l'Angleterre, pour atteindre le même but, car avec les mêmes chiffres, notre protection envers l'Angleterre est presque nulle.
On nous oppose toujours l'intérêt du consommateur, voyons à quoi se réduit cet intérêt à l'égard de l’industrie cotonnière.
Je trouve dans le relevé officiel de 1860 une importation brute en kilog de 15,418,286, à déduire au minimum, 10 p. c. pour déchet. 1,541,826. Net : kilog. 13,876,458.
La population s'élevait, à cette époque, à 4,731,957 habitants.. Ce qui ne fait pas tout à fait 5 kil. par tête.
En admettant gratuitement une protection de 23 centimes au kil., il en résulte que le consommateur belge payerait, pour conserver le salaire de plusieurs milliers de travailleurs, une somme de 75 centimes par an.
Y a-t-il un Belge, quelque pauvre qu'il soit, qui puisse en souffrir, qui puisse même s'apercevoir de ce sacrifice, je vous le demande, l'intérêt du consommateur, est-ce un argument sérieux ?
La concurrence intérieure suffit amplement à mettre l'intérêt du consommateur à couvert.
Je regrette de voir que le gouvernement abandonne le principe de la solidarité des industries. Le gouvernement est dans l'erreur quand il nous dit dans son exposé des motifs :
« La filature intéresse principalement le capital depuis qu'elle a fait appel à la mécanique. Le tissage à la main, au contraire, est avant tout une affaire de salaire, et son domaine est encore des plus étendus en Belgique. »
La filature ne peut pas fonctionner et n'a jamais fonctionné sans être mécanique ; et le tissage pour toutes les étoiles unies, qui forment la grande masse des produits et qui font l'objet de la plus grande concurrence avec l'Angleterre, est devenu tout à fait mécanique et intéresse également le capital comme la filature.
On applique déjà le tissage mécanique même aux étoffes mélangées.
L'industrie du tissage à la main ne dessert que les seules qualités qui ne peuvent se faire mécaniquement.
Du reste, la plupart de nos établissements possèdent la filature et le tissage.
Le gouvernement en adoptant le principe par division pour la matière première crée un système qui, par son application, tend à sacrifier l'une industrie par l'autre.
Je proteste contre la prétendue faveur d'un délai de deux ans portée à l'article 22 parce que ce délai n'est pas accordé sur les fils simples qui forment l'objet principal de l'industrie.
Par toutes les considérations que j'ai émises, j'ai la conviction que l'existence de notre industrie est très précaire.
Je crains que la Belgique ne se trouve compromise par un traité de dix années, j'aurais désiré un terme plus rapproché.
Le gouvernement, en présentant le traité dans les circonstances si cruelles dans lesquelles se trouvent notre industrie, assume une grande responsabilité.
Quant à la proposition faite par mon honorable collègue Vandenpeereboom, je ne puis m'y rallier, le vote du traité devant précéder les négociations.
Pour finir, je déclare que si la majorité se prononce en faveur du traité, je devrai le subir, mais je ne puis l'accepter.
Je voterai contre.
M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, je me proposais de présenter d'assez longues considérations sur le traité qui nous est soumis ; mais l'opposition à cet acte international s'affaiblissant de plus en plus, je crois qu'il est inutile d'entrer dans de bien longs développements pour le défendre. Je me bornerai donc à quelques observations.
Nous avons appris hier que les industriels gantois sont entrés en pourparlers avec M. le ministre des affaires étrangères ; qu'ils se sont entendus avec lui pour que certaines modifications fussent apportées à l'article 22 du traité.
M. le ministre a promis d'employer tous ses efforts pour atteindre ce résultat. On peut compter sur les promesses qu'il a données. Dès lors, messieurs, je crois que l'on peut espérer que nous arriverons à une approbation à peu près complète du traité.
Il est vrai que l'honorable M. Kervyn, dans la séance d'hier, a exprimé fort peu de confiance dans le résultat des négociations nouvelles à (page 2008) intervenir ; je ne partage point, à cet égard, son opinion ; j’ai pleine confiance, quant à moi, dans le résultat de ces négociations.
Je fonde cette confiance d'abord sur ce que les propositions à faire au gouvernement anglais n’ont rien d'onéreux pour l'Angleterre, qu'elles se compensent même d'une manière complète en avantages pour ce pays, comme en concessions pour la Belgique.
Je fonde aussi cette confiance sur les bons rapports qui existent entre les deux gouvernements, entre les deux ministères, et je pourrais même citer plus haut que le ministère, si je ne désirais rester dans les limites que la Constitution assigne à nos débats.
On a cité hier, messieurs, avec éloge, éloge mérité, l'attitude des ouvriers gantois dans la crise qu'ils subissent, leur patience, leur calme, qu'ils savent si bien maintenir, l'absence de plaintes de leur part. Je m'associe complétement à cet éloge.
Par cette attitude les ouvriers gantois ont su mériter la sympathie générale et le pays en a donné des preuves. Si au contraire ils s'étaient livrés à des violences, ces sympathies leur auraient manqué et ils eussent empiré leur triste situation.
Mais qu'il me soit permis de faire l'éloge de MM. les industriels de Gand. Dans cette circonstance, au lieu de se livrer à de violentes récriminations, au lieu d'accuser le gouvernement et la « perfide Albion », ils sont venus trouver M. le ministre des affaires étrangères, ont recherché avec lui les meilleurs moyens d'améliorer encore le traité et sont arrivés à une entente avec le gouvernement.
Ils ont parfaitement compris qu'il y avait impossibilité, après l'adoption du traité du 1er mai avec la France, de repousser les demandes de l'Angleterre et de conserver la protection exagérée dont l'industrie gantoise a joui jusqu'aujourd'hui.
Dès lors ils ont compris qu'il fallait bien se préparer à la lutte, qu'il fallait chercher à améliorer encore leur industrie, plutôt que de faire une opposition qui ne pouvait aboutir à aucun résultat. Quant à moi, comme député de la nation, je remercie les industriels de la grande ville de Gand du noble exemple qu'ils viennent de donner.
Du reste, messieurs, plus les idées du libre-échange se répandent dans l'Europe entière, plus on éloigne ces craintes exagérées qui ont toujours été provoquées par un abaissement de tarif.
Je me rappelle qu'autrefois, lorsqu'un traité a été conclu, accordant certains avantages au pays avec lequel la Belgique l'avait négocié, toujours les industries qui se croyaient atteintes, se sont dites complètement sacrifices.
Ainsi, par exemple, en 1846 on a discuté la convention du 13 décembre 1845, conclu entre la Belgique et la France. Des pétitions nombreuses ont été adressées alors à la Chambre. L'industrie de la laine se disait complètement sacrifiée. La convention rencontra d'ardents adversaires dans cette enceinte. Un député de Gand disait que le traité « avait soulevé un vif sentiment de répulsion et de regret dans les Flandres. »
Un député d'Anvers disait que, plus il examinait la convention, plus il la trouvait honteuse et humiliante.
Un honorable député de Tournai attaqua la convention avec une grande force. Il la proclamait ruineuse pour l'industrie linière, désastreuse pour le pays.
Eh bien, toutes ces prévisions ne se sont pas réalisées ; l'industrie de la laine est devenue plus prospère qu'elle ne l'était auparavant.
En 1851, le gouvernement avait conclu un grand traité avec la Hollande. On prétendit alors que ce traité serait la ruine de notre commerce ; des orateurs se sont écriés qu'il équivalait à la fermeture de l'Escaut, que la main qui l'avait signé, aurait dû plutôt se dessécher. Ceux qui faisaient partie de la Chambre à cette époque se rappellent les déclamations violentes qui fuient dirigées contre cet acte diplomatique ; et cet acte était cependant indispensable. Alors nous étions sous le régime des droits différentiels ; ce régime n'étant pas accepté par la Hollande, s'il n'y avait pas de traité, la Hollande eût immédiatement adopté contre nous des mesures de représailles, comme elle l'avait fait en 1846.
La situation n'est plus la même aujourd'hui, nous n'avons plus le système des droits différentiels ; par conséquent, nous pouvons nous passer d'un traité avec les Pays-Bas.
Eh bien, en dépit de toutes ces déclamations, en dépit de toutes ces craintes qui, j'aime à le croire, étaient sincères, le commerce s'est développé ; le traité n'a pas été la fermeture de l'Escaut, et la marine et le commerce s'en sont fort bien trouvés.
Chaque fois qu'il s'est agi d'abaisser des droits protecteurs, nous avons vu les mêmes réclamations ; toujours certaines industries ont prétendu qu'elles étaient frappées d'un coup mortel, et toujours les craintes ne se sont pas réalisées.
En France, ç'a été la même chose. Sous le gouvernement de juillet, la coalition des intérêts industriels a toujours empêché l'abaissement des droits ; chaque fois qu'une proposition était faite par le gouvernement, les mêmes craintes, les mêmes exagérations étaient formulées, et le gouvernement d'alors reculait devant les majorités qui avaient exprimé ces craintes.
N'a-t-on pas entendu un illustre maréchal de France, le maréchal Bugeaud, s'écrier par exemple qu'il aimerait mieux une invasion de cosaques que l'invasion du bétail étranger en France ? Eh bien le bétail étranger, depuis un certain nombre d'années, entre en France ; l'agriculture n’en souffre pas et les consommateurs y trouvent cet avantage d'avoir de la viande en plus grande quantité et à meilleur compte.
Une grande réforme douanière a eu lieu en France par suite de son traité avec l’Angleterre. Alors aussi on a entendu les plus vives réclamations, les plus grandes doléances : l'industrie métallurgique, l'industrie cotonnière, toutes les industries pour ainsi dire se sont crues grandement menacées par l'abolition des droits prohibitifs dont elles jouissaient depuis si longtemps.
Il serait difficile, surtout en Belgique, de pouvoir parfaitement apprécier quelles ont été les conséquences du traité anglo-français sur la situation de l'industrie de cette grande nation.
Mais qu'avons-nous vu ? C'est que l'industrie métallurgique, par exemple, celle qui était le plus portée autrefois en faveur de la prohibition, bien loin qu'elle ait eu à souffrir du traité, se trouve dans une situation satisfaisante, à ce point qu'elle ne peut pas même faire face à toutes les commandes.
Ainsi, toutes ces craintes qui se sont manifestées pendant toute la durée du gouvernement de Juillet, n'aurait aucune espèce de fondement. Il ' est vrai que l'industrie cotonnière éprouve de vives souffrances. Nous avons lu aussi le discours dont a parlé hier notre honorable député de Gand, discours prononcé au corps législatif de France par M. Pouyer-Quertier, l’un des grands industriels de ce pays.
Cet orateur a fait entendre, en effet, les plaintes les plus amères ; il a attribué au traité conclu avec l'Angleterre la position qui est faite en France à l'industrie cotonnière. Mais nous avons vu aussi la réplique de M. Baroche, et, pour ma part, il m'a semblé que sa réplique avait été victorieuse.
On ne peut pas nier les souffrances de l'industrie cotonnière ; mais ces souffrances existent également en Angleterre ; elles y sont même plus vives qu'en France et en Belgique, et cependant l'Angleterre inonde, dit-on, le monde de ses produits manufacturés.
Eh bien, quant à moi, j'ai la plus grande espérance, au point de vue des intérêts gantois, qu'il en sera de même du traité anglo-belge, et qu'au bout d'un certain nombre d'années, grâce à l'énergie de nos industriels et aux perfectionnements qu'ils apporteront dans leur fabrication, grâce aussi à la situation intérieure de la Belgique, qui possède le fer et la houille à bon marché, grâce à des voies de communication extrêmement perfectionnées, et aux institutions qui peuvent aider encore l'industrie, j'ai la confiance, dis-je, qu'après un petit nombre d'années, toutes ces craintes s'évanouiront également.
Messieurs, je ne m'occuperai plus maintenant que d'un article du traité qui a une très grande importance ; je veux parler de l'article relatif au péage de l'Escaut.
Je commencerai par féliciter mon honorable ami M. le ministre des affaires étrangères d'avoir introduit cette question dans les négociations. Ç'a été une très heureuse idée, et si nous n'avions pas saisi cette occasion, peut-être eussions-nous dû attendre bien longtemps encore avant d'obtenir la réparation qui nous est due.
Ce péage a été imposé par le traité de 1839, c'est une de ces trois conditions exorbitantes dont la Belgique a été la victime alors. On nous a imposé l'abandon de deux demi-provinces, le payement de cinq millions de florins de la dette hollandaise ; non content de ces conditions si onéreuses, on frappe l'Escaut d'un péage, espèce de vassalité au profit de la Hollande.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Imposée à l'Escaut ; les navires de toutes les nations sont soumis à ce péage.
M. d’Hoffschmidt. - Oui, mais c'est nous qui payons ; nous avons vu la Belgique accepter très généreusement le remboursement par son trésor. Combien nous a coûté cette gracieuseté depuis 1839 ? Plus de 20 millions. Voilà donc cette condition qu'on avait ajoutée aux autres conditions étrangement onéreuses que la conférence a imposées au détriment de la Belgique.
Il faut convenir qu'on nous a fait payer extrêmement cher notre entrée dans la famille des nations européennes. Si nous avions fait notre révolution 30 plus tard, on n'aurait pas songé un instant à nous imposer des conditions semblables.
(page 2007) Le principe des nationalités a fait depuis lors un immense progrès. Nous avions des motifs puissants et légitimes pour faire notre révolution, mais grâce à la ténacité d'un souverain étranger, on nous a imposé un traité que nous avons dû accepter, mais qui renferme les dispositions les plus exorbitantes.
Ce sont là de puissantes considérations pour que, dans la conférence admise en principe par l'Angleterre, on en finisse avec ce malheureux péage qui fait tache dans le système libéral qui existe dans le monde entier. C'est le seul qui existe encore sur l'embouchure des fleuves ; on a racheté celui qui existait sur le Sund et sur l'Elbe. Pourquoi n'adopterait-on pas le même principe en ce qui concerne celui de l'Escaut ?
J'espère qu'il en résultera pour nous la liberté complète de l'Escaut, qui sera suivie de l'abolition des droits de tonnage. Le commerce belge et le port d'Anvers se trouveront alors dans les meilleures conditions.
Je terminerai, messieurs, en disant deux mots sur le traité. Il me semble que par les négociations, sauf l'amélioration de l'article 22, le gouvernement a obtenu tout ce qu'il pouvait obtenir.
On désirait que le traité fût retardé ; c'est quinze mois après celui du 1er mai, qu'on est venu le présenter à la Chambre. On a désiré des mesures transitoires, on en a obtenu.
On a désiré que le rachat du péage de l'Escaut fût inséré dans le traité ; il y figure implicitement.
Quant à la nécessité du traité, elle est incontestable. Un traité avait été conclu avec la France ; pourquoi n'en aurions-nous pas fait avec l'Angleterre ?
On l'avait annoncé dans l'exposé des motifs du traité du 1er mai. La section centrale, dont je faisais partie, avait compris que le traité avec l'Angleterre devait suivre celui avec la France. Elle l'avait dit dans son rapport, personne ne l'ignorait ; et ceux qui viennent s'y opposer aujourd'hui auraient dû en combattre le projet alors et commencer par s'opposer l'année dernière au traité français. Que reste-t-il à faire pour la Chambre ? C'est à prendre ou à laisser ; chacun est libre.
Je crois que peu de personnes voudront prendre cette position vis-à-vis de l'Angleterre, chez laquelle nous exportons annuellement pour près de 100 millions de nos produits. Je crois que bien peu de membres voudraient prendre cette altitude et politiquement et commercialement
Quand on vient proposer d'ajourner à deux ans le traité, je dis qu'une pareille proposition n'a rien de sérieux.
Après la signature d'un traité, peut-on dire à un gouvernement : Je viens demander de reporter l'exécution à deux années plus tard ; les membres de l'opposition, s'ils venaient au pouvoir, n'oseraient pas faire une pareille proposition à un gouvernement comme celui de l'Angleterre.
Je trouve que ce traité est conforme à toutes les idées commerciales qui dominent de plus en plus en Europe et j'engage le gouvernement à continuer à marcher d'un pas prudent, mais ferme, dans la voie du progrès et de la liberté.
M. Hymans. - Tout à l'heure, l'honorable M. Dumortier, à propos d'un petit accès de rire qui m'avait pris pendant son discours, m'a dit que je ferais mieux de lui répondre. Je ne pouvais pas le faire à l'instant, n'ayant pas les pièces sous les yeux ; je suis allé les chercher à la bibliothèque et je suis à même de prouver à l'honorable membre qu'il était mal renseigné quand il a parlé d'un prétendu traité secret avec l'Angleterre.
L’Economist du 2 août dernier a dit en effet que les stipulations du traité anglo-belge, par suite d'un arrangement conclu avec la Belgique, devaient rester secrètes jusqu'après l'échange des ratifications.
Mais l’Economist en parlant de la sorte a dit une sottise, il s'est trompé d'une façon inexplicable pour un journal sérieux ; tandis qu'il disait le 2 août que le traité anglo-belge devait rester un secret, le 6 août, M.L ayard, sous-secrétaire d'Etat des affaires étrangères, donnait connaissance à la chambre des communes de tous les détails de la convention. Les ratifications n'étant pas échangées, il ne pouvait communiquer à la Chambre le texte même du traité.
L'honorable M. Dumortier, qui a des amis dans le parlement anglais (interruption), qui a, du reste, une grande expérience des affaires parlementaires, devrait savoir qu'en Angleterre les traités ne sont pas soumis aux ratifications des chambres et qu'ils ne leur sont soumis que lorsqu'ils sont passés à l'état de fait accompli.
M. B. Dumortier. - Tout le monde sait cela.
M. Hymans. - Si vous le savez, pourquoi avez-vous fait votre motion d'ordre ?
M. B. Dumortier. - Vous venez de dire vous-même que ma citation était exacte.
M. Hymans. - Sans doute ; mais elle est du 2 août, et puisque vous êtes si bien au courant de ce qui se passe à propos du traité anglais, vous auriez dû savoir que, le 4 août, le gouvernement anglais avait donné connaissance du traité à 1a chambre. C'est un détail que vous n'auriez pas dû ignorer, avant de venir entretenir la Chambre d'une chose que vous ne connaissiez pas. (Interruption..)
M. B. Dumortier - Vous m'avez dit tout à l'heure que je ne vous empêcherais pas de parler. Vous ne m'empêcherez pas non plus de m'expliquer.
M. Hymans. - Dans une question aussi grave, il ne faudrait avancer des faits qu'avec la parfaite certitude qu'ils sont exacts. Or, l’Economist qui, le 2 août, représentait le traité anglo-belge connue un mystère, l'a publié lui-même dans son numéro du 9, et je ne crois pas sans intérêt de faire connaître à la Chambre les réflexions dont il accompagne le résumé de cet acte diplomatique, qui, d'après M. Dumortier, serait une humiliation pour nous.
« Les dispositions du traité de commerce avec la Belgique sont plus satisfaisantes que nos fabricants n'avaient osé l’espérer. M. Layard, au parlement, lundi soir, a confirmé en tous points le résumé du traité que nous avait donné notre correspondant" et ce traité est beaucoup plus favorable que nous n'avions osé l’espérer en mars dernier. »
M. B. Dumortier. - Ah ! ah !
M. Hymans. - Comment ! vous venez prétendre que le gouvernement a livré la Belgique pieds et poings liés à l'Angleterre ; que nous avons été livrés à la discrétion des fabricants anglais, des intéressés qui siégeaient au sein même de la chambre anglaise, et un journal anglais, organe presque officiel du commerce, nous apprend qu'après seize mois de négociations, les industriels anglais ont obtenu des conditions plus favorables qu'ils n'avaient osé l'espérer...
M. B. Dumortier. - C'est ce que nous reprochons au traité.
M. Hymans. - « Toutefois, continue l’Economist, tandis que nous accordons à la Belgique tous les privilèges que nous avons donnés à la France, la Belgique frappe deux catégories de produits anglais plus lourdement que les produits français similaires. Ni les fils de coton, ni les tissus mélangés ne sont admis aux conditions accordées à la Franco. Mais encore le droit proposé est tellement au-dessous de celui que nous avons payé jusqu'à ce jour, que nous pouvons nous féliciter de l'avoir obtenu de la justice et de la sagesse de la Belgique. »
Comme ce langage dit bien que nous nous sommes humiliés, que nous nous sommes jetés aux pieds de l'Angleterre ! L’Economist se félicite de ce qu'on ait obtenu des concessions, de la justice et de la sagesse du gouvernement belge.
Or l’Economist ne partage pas tout à fait en matière commerciale les opinions de l'honorable M. Dumortier, et s'il dit qu'on a obtenu ces conditions de la sagesse de la Belgique, c'est parce qu'il sait que le libre échange est la condition du progrès commercial et industriel et que la Belgique en accordant à l'Angleterre les avantages qu'il constate, n'a pas fait pour son compte une mauvaise affaire.
« En résumé, dit l’Economist, nous sommes placés sur le pied de la nation la plus favorisée. »
L'honorable M. Dumortier ne trouvera pas mauvais que l'on place l'Angleterre en Belgique sur le pied de la nation la plus favorisée...
« Et tandis qu'au début de la session, nous avions presque abandonné l'espoir de voir la Belgique accéder aux demandes de l'Angleterre, nous pouvons aujourd'hui raisonnablement féliciter les marchands anglais des perspectives qui leur sont ouvertes. »
Eh bien, messieurs, je le demande, le ton de cet article est-il hostile à la Belgique ? Se vante-t-on-de nous avoir sacrifiés, de nous avoir humiliés ?
Et reste-t-il quelque chose de ce mystère que nous révélait, tout à l'heure, l'honorable M. Dumortier ?
Je crois avoir satisfait d'une manière complète l'honorable membre qui me demandait de lui répondre.
Je me permettrai maintenant de dire quelques mots sur le traité.
Je ne viens pas faire un long discours. Je ne sais pas ce que je pourrais ajouter au rapport si remarquable de mon honorable ami M. Orts et aux discours de l'honorable ministre des affaires étrangères et de l'honorable M. d'Hoffschmidt.
Je tiens, cependant, à dire que je considère le traité que nous venons de conclure avec l'Angleterre comme un événement politique, industriel et commercial dont nous devons nous féliciter à plus d'un titre.
D'abord, c'est là le côté politique de la question, le traité implique la reconnaissance du principe du rachat du péage de l'Escaut, par la première puissance maritime de l'Europe et du monde, par un gouvernement dont la décision dans cette matière sera en quelque sorte une loi pour les autres nations.
(page 2008) C’est là un événement heureux ; personne ici ne le conteste. On ne pourrait trop féliciter M. le ministre des affaires étrangères d'avoir posé les négociations sur ce terrain. Il y aurait là-dessus à faire beaucoup de belles phrases, je vous en fais grâce.
Le traité, messieurs, sert, d'un autre côté, d'une façon tout à fait incontestable les intérêts des consommateurs belges, les seuls intérêts dont nous ayons à nous préoccuper dans cette enceinte. Nous n'avons pas à nous occuper des intérêts d'une industrie spéciale. Nous ne devons pas plus, dans cette circonstance, nous arrêter devant certaines industries que nous ne nous sommes arrêtés devant la question des sucres, quand il s'est agi de la loi sur les octrois ; que l'on ne s'est préoccupé des intérêts des omnibus et des diligences quand on a décrété l'établissement du chemin de fer.
C'est assez vous dire que j'aurais voté le traité tel qu'il nous a été présenté, même sans l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom auquel je me rallie d'ailleurs très volontiers.
Cependant, je ne puis que féliciter la Chambre et le pays de l'accord assez imprévu et très heureux qui est intervenu entre le gouvernement et l'industrie gantoise.
Je crois que tout le monde dans cette enceinte et dans le pays sera heureux de voir ratifier ce traite sans qu'il laisse derrière lui aucun souvenir pénible, sans qu'il crée de déception pour personne, sauf, bien entendu, messieurs, les déceptions politiques, et celles-là je l'avoue, m'inquiètent assez peu quand elles se renferment dans le camp de nos adversaires. (Interruption.)
J'ai entendu avec beaucoup de plaisir l'honorable M. E. Vandenpeereboom faire une profession de foi dans le sens de la liberté commerciale.
L'honorable député de Gand, en agissante la sorte, s'est montré fidèle à ses antécédents d'homme politique, et je suis à peu près convaincu, même malgré le langage de l'honorable M. Kervyn, hier, et de l'honorable M. Coppens-Bove, aujourd'hui, que l'honorable M. E. Vandenpeereboom a rendu fidèlement les sentiments et les opinions de ses commettants ; et comme ce fait que j'avance parait surprendre l'honorable M. Kervyn, je vais le lui prouver par des pièces officielles.
On a fait, en 1856, une enquête sur la réduction des tarifs ; cette enquête a été publiée et distribuée aux membres de la Chambre. Or, à la page 253 de cette enquête, vous trouverez l'avis de la chambre de commerce de Gand sur la révision du tarif des douanes.
Voici comment s'exprime cette chambre de commerce qui, je pense, représente assez fidèlement les intérêts de MM. les industriels gantois : « Il nous paraît évident que le perfectionnement des moyens de communication entre les diverses nations du continent tend à renverser les douanes. Déjà le tarif est jusqu'à un certain point devenu, dans des pays voisins, une lettre morte, et chaque jour il tend à le devenir davantage.
« Lorsque les relations commerciales étaient fort restreintes, les voyages et le transports lents et difficiles, les douanes, même intérieurs, étaient possibles. Celles-ci sont tombées autant devant le principe que devant l'impossibilité de les maintenir. »
Cela était dit quatre ans avant l'abolition des octrois,
« Il paraît donc sage, aujourd'hui continue la chambre, de se préparer pour l'époque où les douanes nationales, qu'elles soient fiscales ou protectrices, subiront le même sort. Nous sommes sur la pente qui conduit au libre échange, pris dans son acception la plus large ; tous nous en avons le sentiment.
« La libre entrée des produits de l'industrie cotonnière, établie en même temps en Belgique et dans les pays limitrophes, n'offrirait plus, de l'avis des industriels, de danger, par la raison que la diminution que pourrait subir la consommation intérieure de quelques-uns de ses produits serait compensée par l'extension du marché pour tous les autres. Mais ces industriels voient un danger à se trouver privés d'une portion plus grande du marché intérieur sans aucune compensation probable.»
La chambre de commerce de Gand déclarait donc, en 1856, qu'elle acceptait tous les principes de la liberté commerciale, seulement elle s'opposait à la révision du tarif douanier sans réciprocité. Elle ne voulait pas d'une mesure qui ouvrît aux produits étrangers le marché belge sans que les fabricants belges pussent, à leur tour, aller chercher des compensations sur le marché étranger, et cela est si vrai que, dans une lettre adressée, le 8 novembre 1856, à la chambre de commerce de Gand, par quarante fabricants de cette grande ville, on lit :
« Pourquoi toucher au tarif ? Si les nouveaux droits sont assez élevés pour empêcher les marchandises étrangères d'entrer, le changement est inutile. Si le droit s'est abaissé de manière à permettre à l'étranger de partager notre marché, le changement devient nuisible, car toute marchandise manufacturée qui entrera sera autant de main-d'œuvre enlevé aux ouvriers du pays
« Nous nous opposons donc à tout changement au tarif actuel existant.
« Il ne faudrait pas conclure de là que l'industrie de Gand est restée stationnaire et redoute l'abaissement et même la suppression de ses barrières ; elle déclare ici, puisqu'on a tant parlé de libre échange depuis quelque temps, qu'elle est prête à accepter le libre échange, pourvu que la France et l'Allemagne l'acceptent simultanément. »
M. B. Dumortier. - Ah ! ah !
M. Hymans. - Simultanément ; je suppose bien que cela ne veut pas dire le même jour ; cela ne veut pas dire qu'on traitera avec la France, l'Angleterre et l'Allemagne en une heure, comme le ferait peut-être l'honorable M. Dumortier. On réfléchit plus que cela, quand on traite pour un peuple. Cela ne veut pas dire que par un coup de baguette magique, par une espèce de fantasmagorie, toutes les barrières de douane viendront à tomber. Cela veut dire : à condition que l'on marche dans la voie de la liberté commerciale, à condition que, progressivement, les barrières de douane viennent à tomber les unes après les autres.
Eh bien, les vœux des industriels gantois sont bien près d'être accomplis. On a traité avec la France ; les barrières fiscales sont tombées de ce côté. On vient de traiter avec l'Angleterre, et l'honorable M. Dumortier, qui lit avec attention les journaux, qui y voit même quelquefois ce qui ne s'y trouve pas, doit savoir qu'on est en négociation avec le Zollverein.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et avec l'Italie.
M. Hymans. - Et avec l'Italie, et que ces négociations promettent l’issue la plus favorable.
Ainsi les vœux de la chambre de commerce de Gand et des quarante industriels gantois, parmi lesquels figuraient notre honorable et regretté collègue M. Manilius et ceux-là mêmes qui pétitionnent aujourd'hui, ou qui ont prononcé dans les meetings les discours les plus féroces contre le traité avec l'Angleterre, ces vœux sont réalisés et nous pouvons, sans aucune crainte et sans aucune inquiétude, approuver le traité avec l'Angleterre.
Nous venons d'ailleurs de le constater, il y a longtemps que l'industrie gantoise s'est préparée à soutenir cette formidable concurrence de l'Angleterre qu'elle redoutait si fort, il y a quelques années, et qu'elle prétend redouter encore aujourd'hui.
Les fabriques gantoises ont fait d'immenses progrès, et l'on peut le dire avec orgueil, la ville de Gand compte aujourd'hui dans ses murs deux ou trois établissements industriels filatures et établissements de tissage, qui n'ont de rivaux ni en Angleterre ni peut-être dans l'Europe entière. Ceux-là n'ont pas à redouter la concurrence dont on paraît si effrayé.
Messieurs, je ne comprends pas vraiment qu'on vienne encore nous parler de l'imprévu dans cette question. On ne savait pas que le gouvernement allait traiter avec l'Angleterre ? Mais on ne parle que de cela depuis deux ans.
On savait si peu qu'on allait traiter avec l'Angleterre que l'on a fait du traité une arme électorale. Vous saviez à merveille qu'il était question d'un traité ; et que le gouvernement, dans ces circonstances, n'abandonnerait pas les principes qu'il a tant de fois affirmés dans cette enceinte.
Il y a plusieurs mois du reste, à propos de ce traité si imprévu, un grand meeting a eu lieu à Bruxelles, dans la salle gothique de l'hôtel de ville. De nombreux industriels gantois y assistaient et ont pris la parole.
On y paraissait même assez persuadé, non seulement que le traité allait se faire, mais qu'il était déjà fait.
Voilà comme quoi l'on ne s'attendait pas à un traité avec l'Angleterre.
D'ailleurs, en supposant que le traité avec l'Angleterre n'eût pas été fait, nous eussions eu une révision de tarif.
Avec ou sans traité, le régime protecteur dont MM. les industriels gantois ont profité pendant si longtemps, devait cesser d'exister. Ils le savaient et ne s'en effrayaient pas.
La cause de la liberté commerciale est gagnée en Europe. Elle est gagnée en France, dans ce pays qui fut pendant si longtemps le boulevard de la protection, et vous voudriez qu'elle ne fût pas gagnée en Belgique !
Elle y est gagnée auprès des populations, et tous les discours de l’honorable M. Dumortier, quoique éloquents qu'ils soient, ne mettront pas obstacle à son triomphe.
Messieurs, de ce que je viens de dire, il résulte suffisamment que j'aurais voté le traité, et de très bon cœur, sans même l'accord qui est intervenu entre le gouvernement et l’industrie gantoise. On a essayé de nous attendrir en parlant de la crise qui règne en ce moment à Gand, et je me suis permis hier, quand l'honorable M. Kervyn développait ce thème, de l'interrompre, en disant que si la crise n'existait pas, il aurait crié plus fort. (page 2009) L'honorable membre n'a pas compris mon interruption, et peut-être avait-elle besoin d'être expliquée.
Je dis qu'il aurait crié plus fort, et il aurait eu raison : le traité avec l'Angleterre dans un moment où les établissements étaient en pleine activité ; dans un moment de prospérité considérable, aurait évidemment provoqué de l'hésitation, des difficultés, des chômages et alors l'honorable membre aurait eu raison de se plaindre ; aujourd'hui que le travail est réduit dans toutes les manufactures, le traité ne peut occasionner aucune perturbation.
Les honorables membres qui se font une arme de la gêne des populations ouvrières, n'ont pas lu le rapport de mon honorable ami M. Orts. Ils y auraient vu que la crise est p'us forte en Angleterre qu'elle ne l'est en Belgique ; que les ouvriers anglais souffrent au moins autant que les nôtres et que l'Angleterre, cette redoutable ennemie, n'est aujourd'hui qu'une ennemie désarmée.
Et c'est dans ce moment que nous hésiterions à traiter ? C'est dans un moment où l'Angleterre a de la peine à suffire à la consommation de son propre marché que nous irions nous effrayer de voir inonder le nôtre de ses produits ?
Je crois avoir eu parfaitement raison de dire à M. Kervyn qu'il aurait crié plus fort si la crise n'avait pas existé, si le traité avait été proposé dans un moment de grande prospérité industrielle.
Je crois du reste qu'on exagère les craintes que provoque la concurrence anglaise. J'admets que vous ne puissiez pas aller faire la guerre à l'Angleterre sur son propre marché, mais il est bien certain que nous luttons avec elle sur les marchés étrangers.
M. de Brouckere. - Et sur le sien.
M. Hymans. - Je n'ose pas aller jusqu'à l'affirmer. Je veux bien concéder à nos adversaires que nous ne pouvons pas lutter contre l'Angleterre sur son propre marché, mais ils ne me contesteront pas que nous luttons contre elle
La preuve que nous pouvons lutter contre l'Angleterre pour les tissus de coton, c'est que nous le faisons pour d'autres produits ; les draps de Verviers, par exemple, vont parfaitement trouver leur placement dans les contrées les plus lointaines, au-delà de l'Océan, et jusqu'aux extrémités de l'Asie.
Quoi qu'il en soit, messieurs, il résulte des explications échangées hier entre M. le ministre des affaires étrangères et les honorables membres de l'autre côté de cette Chambre, que nous allons négocier de nouveau avec l'Angleterre sur un point spécial. Pour ma part, j'ai confiance dans l'issue de ces négociations, (Interruption.)
Je comprends parfaitement que le gouvernement ne s'engage à rien, mais enfin, l'année dernière, on a négocié sur un point accessoire, il est vrai, du traité avec la France, il s'agissait de la propriété littéraire ; on a réussi, et je ne sais pas pourquoi, dans la circonstance actuelle, on ne réussirait pas encore.
Tout au moins trouvera-t-on chez l'Angleterre autant de bon vouloir que l'on en a trouvé à Paris.
Le grand argument qu'on nous oppose à ce propos, c'est celui-ci : Vous n'avez pas de compensation à offrir à l'Angleterre. Nous en avons, et je me permettrai ici de faire un petit hors-d'œuvre à propos de poisson.
Nous n'avons pas, dit-on, de compensation à offrir à l'Angleterre. Je crois que nous en avons en ce qui concerne la pêche. (Interruption.) Nous pouvons renoncer au droit d'entrée sur le poisson. Le poisson est un objet de consommation, un élément très important de l'alimentation publique, et à ce point de vue, nous devons nous en préoccuper. Je ne comprends pas que lorsqu'on dégrève les articles manufacturés, lorsqu'on va jusqu'à réduire et à supprimer les droits sur des objets de luxe, on laisse subsister des droits à l'entrée du poisson, qui est un objet de première nécessité dans un pays industriel, démocratique et.... catholique. (Interruption.)
Messieurs, vous êtes saisis d'une pétition d'un certain nombre de marchands de poisson de la capitale.
M. Orts. - Et de Bruges.
M. Hymans. - Cette pétition a fait l'objet, de la part de la section centrale, d'une observation que j'avoue ne pas trop comprendre et sur laquelle je demanderai un mot d'explication.
La section centrale dit que la question du poisson, des huîtres et des homards est une question douanière que le traité a laissée intacte et que le gouvernement belge peut résoudre quand il veut. Cela est parfaitement vrai, en ce sens que l'Angleterre n'aurait pas à se plaindre de la réduction des droits d'entrée sur le poisson, sur les huîtres et sur les homards, mais nous avons une convention de pêche avec l'Angleterre, cette convention vient d'être prorogée pour dix ans par un protocole que le gouvernement nous a communiqué comme annexe à l’exposé des motifs du traité, et pour donner quelque chose à nos populations, il faut que sur ce point nous engagions des négociations.
Messieurs, ce que je comprends le moins dans toute cette matière, c’’est qu’en Belgique, il puisse encore exister un droit différentiel sur les huîtres, selon qu’elles entrent dans le pays en destination des parcs ou pour la consommation.
Je n'ai pas fait, comme l'honorable M. B. Dumortier, une étude spéciale des mollusques...
M. B. Dumortier. - Je croîs que l'honorable membre s'y serait trouvé lui-même, si je m'en étais occupé.
M. Hymans. - Je ne comprends pas pourquoi l'honorable M, Dumortier s'insurge à propos d'un mot qui rappelle son plus beau titre de gloire.
J'ai toujours entendu dire que l'honorable membre était un savant naturaliste, et que c'est à raison de ses connaissances en zoologie qu'il a été nommé membre de l'Académie royal, des sciences de Belgique. Il ne pouvait donc y avoir rien de blessant dans le mot que j'ai employé. (Interruption.)
J'ai dit que je n'avais pas fait, comme l'honorable M. Dumortier, une étude spéciale des mollusques ; l'honorable membre m'a adressé une injure, je lui réponds par une politesse.
Messieurs, je disais que je ne m'explique pas le maintien du droit différentiel qui existe sur les huîtres, selon qu'elles entrent en Belgique, en destination des parcs ou en destination de la consommation.
La raison qu'on fait valoir à l'appui du maintien de ce droit, c'est que les huîtres sont un objet de luxe. Mais si les huîtres sont un objet de luxe, c'est parce qu'elles coûtent cher ; et elles coûtent cher parce qu'elles sont frappées d'un droit très élevé.
Mais les huîtres ne sont pas nécessairement un objet de luxe, et la preuve, ce qu'il est des populations nombreuses, en Europe et ailleurs, pour lesquelles elles constituent un aliment précieux.
J'ai sous les yeux une statistique, d'où il résulte qu'aux Etats-Unis on fait en moyenne une consommation d'huîtres évaluée à une somme de 20 millions de dollars, plus de 100 millions de francs. On ne prétendra pas sans doute qu'un objet, dont la consommation comporte une somme de p'us de 100 millions de francs, soit précisément un objet de luxe.
D'autre part, le droit fiscal qu'on maintient est tout à fait contraire à l'esprit du traité que nous avons conclu avec l'Angleterre. L'Angleterre doit désirer la réduction de ce droit, comme des droits sur tous les poissons.
L'Angleterre doit désirer tout autant que le consommateur belge que l'on supprime le droit différentiel sur les huîtres.
Messieurs, permettez-moi de vous dire quelques mots sur ce droit qui est un des plus curieux articles de notre législation douanière. Ce droit n'existe que pour protéger les parcs d'Ostende. (Interruption.)
Je m'attendais à voir venir une interruption du banc de la dépuration d'Ostende. Le droit, je le répète, n'existe que pour protéger l'huître nationale. Pardon, je me trompe, ce n'est pas une huître nationale, c'est une huître nationalisée...
M. de Renesse. - Et engraissée.,
M. Hymans. - Pas toujours.
Je me demande dans quel intérêt existe cette protection exorbitante ; car les huîtres en destination des parcs ne payent qu'un pour cent, tandis que les huîtres en destination de la consommation en payent 12. C'est un droit différentiel énorme. Je ne sais pas si l'huître s'améliore dans les parcs ; mais assurément ce n'est pas une raison pour la protéger ; car si elle devient meilleure, les consommateurs l'achèteront de préférence.
Le droit n'a aucune raison d'être, et l'on s'en passe si bien, que les propriétaires des parcs d'huîtres d'Ostende établissent des parcs en Hollande, notamment à Scheveningue, là où ils ne jouissent d'aucune espèce de protection, et simplement parce qu'ils peuvent plus facilement expédier leurs huîtres de Scheveningue que d'Ostende vers le même pays. Ils font donc là une bénéfice sur leurs produits, sans jouir d'aucun droit protecteur.
Accorde-t-on cette prime exorbitante aux huîtres pour protéger le travail national ?
Messieurs, il résulte des renseignements que j'ai recueillis, que les huit parcs aux huîtres et aux homards d'Ostende emploient en moyenne trois ouvriers par jour ; de temps en temps on emploie, pour décharger les bateaux, des ouvriers supplémentaires, pendant quelques heures : en somme, le travail national est représenté ici par 21 ouvriers.
Le droit que l'on maintient est d'autant plus extraordinaire qu'il n'y a pas de concurrence possible, même sans protection !...
(page 2010) M. Van Iseghem. - C'est une erreur.
M. Hymans. - Croyez-vous qu'on puisse établir un parc d'huîtres à Bruxelles.
M. Van Iseghem. - A Nieuport.
M. Hymans. - Il faudrait un chemin de fer. Mais la concurrence est impossible, à Anvers par exemple.
M. Van Iseghem. - Et Blankenberghe.
M. Hymans. - Au point de vue du trésor, je suppose que M. le ministre des finances considère ce droit sur les huîtres comme très peu important ; il sait mieux que moi ce que ce droit rapporte ; ce doit être très peu de chose. On paye 12 p. c. sur les huîtres introduites pour la consommation. Mais que font les Ostendais ? Ils les déclarent invariablement en destination des parcs.
D'après l'arrêté royal de 1844, les huîtres, chose singulière, ont droit, comme les grands pouvoirs de l'Etat, à une escorte ; les huîtres doivent être escortées par les officiers de la douane, depuis le port jusqu'au parc ; on constate qu'elles entrent réellement dans le parc, et c'est sur cette circonstance qu'on se fonde pour n'exiger que le droit d'un p. c.
Mais les huîtres qui sont entrées dans le parc avec escorte en sortiront demain sans escorte, pour être livrées à la consommation, sur les marchés belges et sur les marchés étrangers, sans avoir éprouvé dans les parcs ni agrément ni amélioration.
En résumé, on ne paye jamais que le minimum du droit ; la différence qui existe entre le droit qui frappe les huîtres destinées aux parcs et celles qui sont déclarées en consommation est trop grande, du reste, pour que l'on puisse songer à en importer directement pour la consommation.
Quant à l'intérêt de la navigation, il est évidemment réel et tout à fait hors de cause, car il résulte encore des renseignements que j'ai recueillis que, pour la pêche du homard, par exemple, il n'y a qu'un seul navire belge qui navigue.
Les homards et les huîtres sont introduits en Belgique par des cutters anglais, et il va de soi que cette navigation ne pourrait qu'augmenter pour votre pays si l'on établissait l'égalité des droits. Deux mots encore, messieurs, pour achever ma démonstration. Les parcs aux huîtres sont encore protégés d’une autre façon : d'après nos lois douanières, les huîtres ne peuvent pas être importées en quantités inférieures à huit tonneaux.
Il est tout simple que les petits marchands ne puissent pas importer des huîtres par quantités aussi grandes ; on importe donc constamment en destination des parcs. En somme le droit qui protège les huîtres destinées aux parcs n’a pas la moindre raison d’être, c’est tout simplement un monopole et l’un des plus injustifiables qu’on puisse imaginer, par la raison que l’huître est un aliment populaire.
Je proteste contre ce monopole institué en faveur des possesseurs de parcs aux huîtres d'Ostende, et j'appuie les pétitions dont la section centrale s'est occupée, pétitions aux termes desquelles il faudrait établir un droit uniforme sur les huîtres et sur les homards. Seulement, d'après moi, ce droit même serait beaucoup trop élevé, et je serais heureux de le voir disparaître tout à fait.
M. le ministre des finances me fait un signe dé dénégation ; il doit savoir cependant que ce droit ne rapporte guère au trésor. Et, d'ailleurs, il y a un moyen d'établir une compensation ; c'est de réduire d'autant la prime dont jouit la pêche nationale.
Je demande donc que l'on veuille examiner cette question. L'Angleterre ne peut pas être placée dans une position d'infériorité comparativement aux autres nations ; pour les huîtres qui nous arrivent par la Hollande, les droits sont encore plus élevés ; on ne peut donc attendre que d'une mesure générale un effet salutaire dans l'intérêt des consommateurs, le seul dont je m'occupe ici.
J'ai parlé spécialement des huîtres, mais la question des poissons en général occupe une grande place dans nos relations avec l'Angleterre, et je recommande cet objet à la sollicitude de M. le ministre des affaires étrangères. J'espère que, fidèle aux sentiments démocratiques dont il a toujours fait preuve, il voudra bien tenir note de mon indication.
M. B. Dumortier (pour un fait personnel). - L'honorable membre qui vient de se rasseoir a commencé le discours si facétieux qu'il a prononcé en m'accusant très vivement de ne pas avoir lu les documents que j'ai cités au commencement de la séance. Vous auriez dû, a-t-il dit, lire ces documents et ne pas parler de ce que vous ne connaissez pas.
Messieurs, c'est là une manière de locution qui n'est généralement pas admise dans la bonne société et qui devrait bien moins encore trouver place dans une assemblée comme celle-ci.
Du reste l'honorable membre, qui est si peu gêné pour donner des démentis, n'a point tardé à s'en donner un à lui-même et à prouver que j'avais parfaitement raison en donnant la traduction exacte et conforme à ce que j'avais dit de l’Economist et en accompagnant cette traduction d'un autre article de l’Economist dans lequel on dit que les conditions stipulées par le traité sont plus satisfaisantes pour l'Angleterre qu'elle n'aurait osé l'espérer.
Voilà donc où était le mystère ; voilà pourquoi l’Economist, dans son premier article, ne voulait pas qu'on publiât le traité en Angleterre avant les ratifications, afin qu'on ne sût pas en Belgique que l'Angleterre avait obtenu des conditions qu'elle n'aurait osé espérer.
Ceci, messieurs, répond complètement aux sarcasmes que l'honorable membre a bien voulu m'adresser.
Ces sarcasmes, je n'y répondrai pas ; mais je dirai que quand on accuse ses collègues, on doit réfléchir à ce qu'on dit et ne pas se donner le malin plaisir de se donner un démenti après avoir accusé un de ses collègues d'irréflexion, accusation que je livre à l'appréciation de l'assemblée.
Quant aux facéties auxquelles l'honorable membre s'est livré sur les questions des huîtres, des homards, des mollusques, etc., je m'abstiendrai d'y répondre ; je dirai seulement que les ouvriers belges apprendront certainement avec une bien vive satisfaction qu'on leur servira désormais des huîtres à chaque repas en échange du travail qu'on va leur enlever, avec la participation de l'honorable membre lui-même.
M. Van de Woestyne. - Je crois devoir renoncer à la parole ; en présence de l’attitude de la Chambre, et de l’adoption, par le gouvernement, des propositions formulées par l’industrie cotonnière, je n’ai plus qu’à me rallier à la proposition de l’honorable M. E. Vandenpeereboom. Je le fais d’autant plus volontiers que je crois que plus la majorité que réunira ce traité sera grande, plus le ministère aura de force pour continuer les négociations.
M. Vermeire. - Je crois, messieurs, en présence de la situation de la discussion que je n'ai pas besoin de défendre le traité. Je renonce donc à la parole.
M. Royer de Behr. - Personne n'attaquant le traité et la Chambre paraissant disposée à le voter aujourd'hui, je dirai comme l'honorable M. Vermeire : je renonce à la parole.
M. Nothomb. - Imitant l'exemple de mes honorables collègues, je renonce également à défendre un traité dont l'adoption me paraît assurée dès maintenant.
M. de Brouckere. - A l'exemple des honorables membres, je renonce également à la parole.
M. de Haerne. - J'aurais voulu dire quelques mots pour motiver mon vote, mais vu l'attitude de la Chambre et l'impatience qu'elle éprouve, je renonce à la parole. Cependant, si les dispositions de la Chambre se modifiaient, je me réserve de demander la parole.
M. Cumont. - Je commencerai par déclarer que je voterai pour le traité, parce que je le considère, en général, comme avantageux pour le pays.
Je ne suis pas de ceux qui supposent que le gouvernement néglige les intérêts de la Belgique, comme quelques membres le prétendent. J'ai, au contraire, la conviction que le gouvernement sait défendre nos intérêts avec tout le dévouement et l'énergie désirable, et qu'il ne cède devant aucune pression. J'en ai une nouvelle preuve dans la bienveillance avec laquelle l'honorable ministre des affaires étrangères a promis d'appuyer, par tous les moyens en son pouvoir, les propositions qui ont été faite par les députés de Gand, afin d'obtenir une prolongation au terme proposé dans le projet de loi.
J'ai à prier l'honorable ministre des affaires étrangères de bien vouloir prêter le même appui bienveillant à une proposition que j'ai à faire au sujet de la classification faite aux fils de lin ; classification, qui n'est pas convenablement faite pour les intérêts bien entendus de notre industrie linière. Après l'industrie cotonnière, celle des fils de lin est certainement une des plus importantes du pays. A Gand, cette industrie procure du travail au tiers des ouvriers de cette importante ville manufacturière.
Voici les changements qu'il conviendrait d'apporter aux propositions stipulées dans le traité.
Jusqu'à 20 mille mètres, les fils anglais pourraient entrer sans aucun droit.
De 20,000 à 40,000 mètres, on admettrait le droit de 30 francs proposé.
De 40,000 à 80,000 mètres, le droit devrait être porté à 45 francs. On reporterait ainsi sur cette catégorie les 15 francs qu'on abandonne sur la première pour toutes les catégories au-dessus de 80,000 mètres, entrée libre.
Cette proposition est de nature, je pense, à être admise par le gouvernement anglais, car tout en réglant la tarification convenablement aux intérêts belges, elle ne blesse en rien les intérêts de l'Angleterre.
(page 2011) Le temps n'est plus où l'on pouvait espérer d'abuser le pays en présentant la perfide Albion comme un ogre dont l'appétit vorace ne tendait qu'à dévorer les industries de tous les autres peuples, car l'expérience nous a prouvé que nous pouvions lier avec les perfides insulaires des relations fort avantageuses. Pour ce qui concerne l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, nous avons des industries qui fleurissent par les relations qui nous sont ouvertes par l'Angleterre.
D'abord les dentelles noires de Grammont qui ne subissent pas le malaise qui pèse sur un grand nombre de nos industries, ne doivent leur état relativement satisfaisant qu'au débouché que leur offre l'Angleterre, et le houblon, cette branche de commerce si importante pour Alost, l'Angleterre est pour elle le marché le plus avantageux qui existe. Pendant les années 1854 et 1855 nous en avons exporté en Angleterre pour plusieurs millions de francs.
Cette exportation se faisait dans des conditions tellement avantageuses, que plusieurs de nos cultivateurs, pour une seule récolte, recevaient une somme suffisante pour acheter le terrain qui avait produit le houblon, et cependant à cette époque notre houblon payait à l'entrée eu Angleterre un droit de deux livres.
Aujourd'hui l'Angleterre a décrété que le mois prochain nos houblons pourront entrer libres de tout droit ; il en résultera inévitablement que nous aurons vers ce pays des moyens d'exportation presque permanents au lieu de ceux que les droits antérieurs ne nous procuraient qu'à des intervalles souvent assez éloignés.
Je voterai donc de grand cœur pour le traité, parce que je le considère comme éminemment avantageux pour le pays.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Tack. - Je demande la parole.
M. Van Iseghem. - Messieurs, un honorable membre a attaqué l'industrie huîtrière d'Ostende. J'espère que la Chambre me permettra de répondre.
- Plusieurs voix. - Parlez ! On n'insiste pas sur la clôture.
M. le président. - Si on n'insiste pas pour la clôture, la parole est à M. Tack.
M. Tack. - Je demande à pouvoir dire quelques mots à propos de l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom. Je conçois les alarmes de l'industrie gantoise et j'approuve hautement les députés gantois de venir prendre ici énergiquement la défense de cette industrie. Je compatis autant que personne à la triste position des ouvriers de Gand ; mais il n'y a pas que l’industrie cotonnière qui souffre.
- Un membre : Toutes souffrent.
M. Tack. - Oui, et plus spécialement l'industrie des étoffes mélangées.
Or, l'industrie du tissage des étoffes mélangées est très importante ; elle a pris depuis longtemps un développement considérable ; je dis, sans crainte d'être démenti, qu'on peut la comparer avec avantage à celle de la filature. Il y a cette seule différence entre les deux industries, c'est que la filature de coton est concentrée dans une seule ville, la ville de Gand, celle du tissage des étoffes mélangées est disséminée dans une grande partie ou pays. Elle s'exerce à Braine-le-Comte, à Renaix, à Saint-Nicolas, dans l'arrondissement de Courtrai et principalement parmi la population si nombreuse de Mouscron. On la retrouve aussi dans l'arrondissement de Bruxelles.
Que l'on protège la filature du coton, c'est très bien, mais que ce ne soit pas au détriment d'autres industries. Le traité de commerce, tel que nous le propose le gouvernement, forme un ensemble, c'est un tout qui a été débattu, examiné contradictoirement dans l'intérêt de toutes nos industries. Si par une mesure introduite incidemment, vous en brisez l'harmonie, si vous détachez un anneau de la chaîne, vous rompez la chaîne même ; si, détruisant l'économie de l'ensemble, vous venez, après coup, favoriser une industrie, vous vous exposez à en écraser d'autres. C'est ainsi qu'en favorisant la filature de coton vous nuisez au tissage des articles mélangés.
Que le gouvernement se mette d'accord avec lui-même. Le traité était logique, rationnel tel qu'il nous l'a présenté. L'est-il encore quand vous le modifiez pour venir établir des droits protecteurs eu faveur d'une industrie, sans songer aux compensations auxquelles d'autres peuvent prétendre à la suite de ces changements ? On l'a si bien compris, qu'on a fait une réserve pour les tissus de coton. Pourquoi donc ne pas faire la même réserve en ce qui concerne les tissus mélangés ? Où est la différence ? (Interruption.)
Que nous demande-t-on ? Au fond nous l'ignorons. On nous dit : Nous nous contentons d'un droit de balance pour les n°70 et au-dessus, à cet égard nous faisons un sacrifice.
Permettez-moi de faire observer que le sacrifice n'est pas très grand ; en définitive les filatures de coton ne produisent pas considérablement de fils n°70 et au-dessus, et quant à nous, les bases de notre fabrication reposent sur les n°20, 30 et 42.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous êtes protégé par le droit.
M. Tack. - Du tout. Permettez ! Qu'en sera-t-il en ce qui concerne les numéros inférieurs à 70 ? Sera-ce le tarif général que l'on va appliquer pendant deux années, aux fils de coton de la catégorie des numéros au-dessous de 70, ou bien admettra-t-on des droits inférieurs au tarif général, par exemple au droit de 80 fr. par 100 kilog. ?
Mais en supposant que les filateurs fassent cette concession de 20 p. c, encore la protection sera-t-elle exorbitante, si vous ne faites rien en même temps pour l'industrie du tissage des étoffes mélangées. Ajoutez à cela qu'il a été commis, au détriment du tissage, une erreur manifeste qui vous a déjà été signalée ; j'entends parler des dispositions de l'article 22.
Vous le savez, le rapport entre le droit spécifique et le droit à la valeur ne concorde nullement. Ainsi, pour les tissus légers, le droit de 1 fr. 80 par 100 kilog. ne représente ni 22 1/2, ni 20, ni même 15 p. c ; il ne représente, pour certains tissus, que 9 p. c.
Vous avez voulu ménager une période transitoire à l'industrie du tissage des étoffes mélangées ; avec la disposition de l'article 22 aggravée par la modification que vous introduisez dans le traité en faveur de la filature, vous aboutissez à un résultat contraire.
Vous faites en même temps de la protection et du libre échange contre nous ; c'est trop à la fois. J'admets que vous fassiez l'un ou l'autre, du libre échange ou de la protection, mais dans ce dernier cas de la protection égale pour tout le monde. Hors de là, il n'y a qu'injustice et privilège.
L'attitude que prend le gouvernement nous met dans un grand embarras, nous qui désirions voter le traité de commerce tel qu'il a été négocié. Mais maintenant qu'on en change complètement les conditions, on nous fait naturellement hésiter, on nous jette dans la perplexité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qu'y a-t-il de changé ?
M. Tack. - Vous vous engagez à négocier en faveur de la filature de coton et vous espérez réussir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est qu'un délai.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Supposons que nous réussissions. Placez-vous dans cette hypothèse.
M. Tack. - Eh bien, quelle sera notre position dans ce cas ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Celle où vous vous trouvez aujourd'hui.
M. Tack. - Non ! vous maintenez les droits tels qu'ils existent aujourd'hui pour deux années, sur les fils et tissus de coton et vous les abaissez sur les tissus mélangés.
Voilà la différence de traitement que vous appliquez aux deux industries.
Avez-vous entendu les intéressés d'autre part, ou vous êtes-vous bornés à écouter les doléances des filateurs ? Je constate que vous n'avez tenu compte que des démarches des filateurs.
M. Jacquemyns. - Tout est en faveur du tissage.
M. Tack. - Erreur.
Je demande qu'on ne stipule pas à nouveau sans entendre les intéressés qui représentent le tissage des étoffes mélangées, qu'on les écoute avant de faire une proposition quelconque au gouvernement anglais. Je voudrais qu'on nous donnât les mêmes espérances qu'aux industriels de Gand, qu'on nous plaçât sur la même ligne, et c'est pourquoi je reprendrai l'amendement qui vous avait été présenté par l'honorable M. de Rongé, et qu'il a retiré tantôt. Je propose d'ajouter à l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom, après les mots : « fils et tissus de colon » ceux-ci : « et des étoffes mélangées de coton. »
L'amendement serait donc rédigé comme suit :
« Si, d'accord avec le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne, les droits fixés par le traité pour l'importation en Belgique des fils et tissus de coton et des étoffes mélangées de coton d'origine britannique, sont modifiés, le nouvel arrangement pourra être mis en vigueur par arrêté royal. »
Je ne vois pas pourquoi le gouvernement s'opposerait à l'adjonction de ces mots.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je prends la parole pour déclarer qu'il m'est impossible d'accepter cet amendement.
J'ai, messieurs, été jusqu'où je pouvais aller en faisant hier la déclaration que la Chambre a entendue ; mais augmenter encore le nombre des (page 2012) objets qu'il faudrait comprendre dans la nouvelle négociation spéciale que le gouvernement a pris l'engagement de poursuivre, c'est ce qui n'est pas possible. Je regrette que l'honorable député de Courtrai ait repris l'amendement que l'honorable M. de Rongé a abandonné.
J'ai dit que j'éviterais les discussions techniques sur la question des tissus mélangés. Ce n'est pas dans les dispositions d'esprit où se trouve la Chambre que j'entreprendrai aujourd'hui ce que j'ai omis de faire hier. Je dois seulement dire que le droit temporaire est très favorable aux tissus mélangés de qualité inférieure et moyenne, notamment aux industries qui se pratiquent dans les diverses localités qu'on vient d'énumérer.
Je regrette que les soins spéciaux et persévérants que j'ai donnés à cette partie du traité soient aujourd'hui si mal appréciés.
Les tissus mélangés ne figuraient pas dans les négociations premières. Ils étaient sur le même pied que les autres produits belges. Ce n'est que dans les derniers temps que nous avons mis en avant nos prétention., quant aux tissus mélangés, et là nous avons obtenu un véritable succès. Si j'avais pu prévoir que les efforts que j'ai faits en faveur des tissus mélangés seraient aussi mal appréciés, je me serais abstenu.
M. Debaets - ous auriez très mal fait.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On soutient que les résultats obtenus sont tout à fait illusoires !
M. H. Dumortier. - Quels sont ces succès, quels sont ces avantages ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est d'avoir tiré les tissus mélangés du droit commun pour les soumettre à un régime spécial transitoire, à un régime de faveur exceptionnelle.
M. H. Dumortier. - La faveur est celle des autres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Maintenant, messieurs, permettez-moi deux mots d'explication.
Deux droits transitoires seront établis pour les tissus mélangés : l'un à la valeur, l'autre au poids.
Les fabricants de tissus légers se plaignent. Ils disent que par le système adopté ils ne seront pas suffisamment protégés.
Il serait, messieurs, impossible de discuter dans cette séance, ni dans deux, ni dans trois séances, les diverses prétentions mises en avant, les assertions les plus contradictoires produites par les intéressés. Je tiens que, pour la généralité des tissus importés, le tarif est suffisamment protecteur.
Je ne citerai qu'un exemple.
Ce matin l'on a distribué sous la forme de bulletin anonyme ce petit carré de papier où l'on ne se montre pas très bienveillant pour l'administration et notamment pour les hommes techniques qui conseillent le ministre ; on les accuse tout simplement d'ignorance.
M. H. Dumortier. - Cela n'a pas été distribué.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cela n'a pas été signé ; mais je pense que cela a été distribué. Du reste, la même assertion a été produite ailleurs.
On accuse le gouvernement d'avoir attribué à certaines pièces d'étoffe un poids de 3 kilog., alors que ces pièces ne pèsent que 1,500 grammes, un kilog. et demi ; et l'on s'écrie : « Qui donc a pu affirmer au ministre que ce genre de pièce pesât 3 kilog. ? Pour avancer un fait aussi matériellement impossible, il ne faut avoir aucune connaissance de la marchandise dont on s'occupe. On peut affirmer avec certitude. »
Messieurs, l'on me demande où j'ai pris ce poids de 3 kilog. que j'attribue à un tissu qui ne pèserait que la moitié. Je ne veux pas invoquer ici le témoignage des hommes qu'on appelle théoriciens, des hommes de l'administration qui, depuis nombre d'années, s'occupent des questions industrielles, mais qui s'en occupent à un point de vue général et à un point de vue parfaitement désintéressé.
L'opinion de pareils hommes ne compte pour rien. Il ne faut écouter, paraît-il, dans ces questions que l'opinion des hommes pratiques, c'est-à-dire des hommes intéressés. Or, cette opinion est aussi variable, aussi diverse que les intérêts mêmes qu'elle représente. Quant à moi, j'ai beaucoup de confiance dans l'opinion des hommes désintéressés en ces sortes de questions, et je soutiens qu'ils n'ont aucun motif de tromper le gouvernement dans les renseignements qu'ils lui donnent. Ce n'est cependant pas l'opinion d'un théoricien que j'ai prise, mais celle que je vais citer est parfaitement conforme à l'opinion des hommes qui m'ont renseigné.
Je tiens en main une lettre de Bruges, et par une coïncidence que j'appellerai heureuse, il s'agit précisément dans cette lettre des mêmes tissus quant au poids, quant à la longueur et quant à la valeur, que ceux mentionnés dans la note anonyme. Il s'agit d'une pièce d'orléans mesurant 35 mètres, c'est-à-dire 36 yards, valant 40 fr. et qui a été pesée par le fabricant lui-même qui m'adresse une réclamation d'autres chefs. Or, quel est le poids que ce fabricant, qui n'est pas un théoricien, a trouvé ? Précisément trois kilogrammes,
On me demande où j'ai trouvé mes trois kilogr. Voilà où je les ai trouvés et je livre la lettre de l'homme pratique à ceux qui pourraient douter de mes paroles.
Messieurs, si le gouvernement n'a pas réussi dans la négociation spéciale qu'il a entreprise en ce qui concerne les tissus mélangés, eh bien, je vais faire une offre aux représentants des tissus mélangés, s'ils ne sont pas satisfaits, c'est de supprimer cette partie du traité, de se placer dans le droit commun, de se contenter des 15 p. c. ad valorem. Et encore beaucoup d'autres tissus n'ont pas un droit permanent de 15 p. c. ad valorem. Voulez-vous cela ? Rien de plus simple ; vous me rendrez grand service. Car si j'avais à proposer à l'Angleterre le sacrifice de ce tarif différentiel pour les tissus mélangés que j'ai eu tant de peine à obtenir, je ne mettrais pas en doute le succès de la négociation, que j'ai promis d'entamer, en ce qui concerne les fils et les tissus de coton.
Mais l'on se gardera bien de me prendre au mot ; on conservera parfaitement la protection, tout en disant qu'elle est illusoire.
Du reste, je le répète, je ne puis à aucun prix accepter l'amendement de l'honorable M. Tack.
M. Van Iseghem. - L'honorable M. Hymans vient de faire un long discours pour se plaindre de la légère protection dont jouit l'industrie huîtrière. Cette protection peut être calculée à 20 centimes par 100 huîtres. C'est bien peu de chose, pour les propriétaires qui ont mis de grands capitaux dans cette industrie.
Il y a environ vingt ans, cette même question a été soulevée à la Chambre. A cette époque, si mes souvenirs sont exacts, le gouvernement a ordonné une enquête qui a été faite par notre regretté collègue M. le comte de Muelenaere, alors gouverneur de la Flandre occidentale, et cette enquête a prouvé de la manière la plus évidente qu'il fallait à l'industrie huîtrière une certaine protection en vue de conserver aux huîtres d'Ostende leur bonne et ancienne réputation.
C'est une erreur de croire que les huîtres ne s'améliorent pas dans les parcs d’Ostende. La preuve de cette amélioration est dans la grande réputation dont jouissent ces huîtres en Allemagne et à Paris.
Il existe des parcs à Dunkerque, et on peut en établir dans tous les ports de mer en France, à Calais, à Boulogne ; et nonobstant les parcs de Dunkerque, Paris tire, par préférence, une grande quantité d'huîtres d'Ostende à cause de leur bonne qualité.
A Ostende les huîtres s'améliorent et se purifient dans les parcs, aucun endroit n'est mieux situé, le port se trouve pour ainsi dire dans la mer, l'eau y est très pure et une grande différence existe entre un pareil parc et un port dont le chenal a une certaine longueur. Dans ces derniers, il y a trop d'eau douce.
Les poissonniers de Bruxelles voudraient pouvoir faire venir les huîtres directement de Londres et ils les vendraient probablement pour des huîtres d'Ostende. Cela est impossible aujourd'hui, parce que, s'ils le faisaient, les parcs d'Ostende leur feraient concurrence et les empêcheraient ; je comprends qu'ils sont contraires à l'existence des parcs.
Sans les huîtrières, le commerce des huîtres est impossible.
Dans les fortes gelées, on ne peut pas transporter les huîtres par mer et les débarquer ; les huîtrières mêmes ne peuvent alors en recevoir, et du moment que, pour plaire aux poissonniers de Bruxelles, on aura supprimé les droits, les parcs disparaîtront promptement, et dans cette position, je demande où on chercherait alors les huîtres.
Les pétitionnaires de Bruxelles disent aussi que les huîtres qu'on mange à Londres n'ont pas séjourné dans nos parcs, qu'elles sont cependant aussi bonnes que celles qui ont reçu le prétendu baptême des parcs d'Ostende. (Interruption.)
M. Goblet. - C'est de la réclame.
M. Van Iseghem. - Ce n'est pas de la réclame. J'ai le droit de répondre à l'honorable M. Hymans.
Je dis donc que cela n'est pas étonnant. La preuve, c'est que les huîtres qui se mangent à Londres proviennent des criques de la Tamise, de Bournhem, de Colchester, etc. ; de ces endroits, elles sont transportées directement à Londres et n'ont pas supporté le voyage de mer, comme les huîtres qui arrivent sur le continent. »
Tout le monde sait, et beaucoup en ont fait la triste expérience, que ceux qui mangent des huîtres, immédiatement après leur débarquement, en sont souvent indisposés ; c'est une preuve nouvelle qu'on a besoin des parcs d'Ostende.
L'honorable M. Hymans nous dit aussi que les propriétaires des parcs d'huîtres d'Ostende ont l'intention d'établir des parcs à Scheveningue. Cela est vrai. Ces propriétaires se sont vus menacés d'un droit (page 2013) considérable de 10 fr. par 100 kilog. qu'on voulait mettre sur les huîtres, ce droit aurait empêché le transit vers l'Allemagne et la France, et dans le but de conserver les relations qu'ils ont créées avec tant de peine, ils ont cherché à obtenir des concessions pour établir des parcs à Scheveningue. Si le gouvernement devait prendre une telle mesure, elle serait fatale pour nos parcs, et de son côté le chemin de fer serait aussi privé des transports.
L'honorable membre dit encore que les propriétaires des parcs d'Ostende exercent un monopole.
Le monopole n'existe pas. Depuis 5 à 6 ans on a accordé quatre nouvelles concessions.
Une preuve qu'il n'y a pas de monopole, c'est que dernièrement à la fin de la saison, les huîtres ont été vendues à Ostende 2 fr. 70 par 100 et certainement les intermédiaires de Bruxelles n'auront pas diminué leur prix ; au lieu d'un monopole, il y a une véritable concurrence ; elle était tellement forte que les mêmes huîtres se vendaient à ce moment à Londres à 42 shillings le bushel, ce qui correspond au prix qu'on les vendait à Ostende.
Il est inexact de dire, comme les poissonniers de Bruxelles le prétendent dans leur requête, que les huîtres d'Ostende se vendent à meilleur compte à l'étranger qu'à Bruxelles. Le prix en est le même, mais la grosseur est différente. Les uns demandent de petites huîtres, les autres des grandes.
Le monopole n'existe pas ; on peut établir des parcs partout le long de la côte, aux environs d'Ostende, à Blankenberghe, etc., et je crois qu'ici je serai d'accord avec mon honorable contradicteur. Lui-même a parlé de l'intention que quelques propriétaires ostendais avaient de creuser desparcs à Scheveningue. Du moment qu'il admet qu'ils puissent exister dans les dunes de Scheveningue, ils peuvent exister dans les dunes beiges, et l'expérience en a été faite.
En ce qui concerne les homards, cette précieuse nourriture nous arrive de la Norwége.
Je ne dirai rien en réponse à la quantité de 8 tonneaux qu'on doit importer, ni aux convoyeurs ; ces deux mesures sont les conséquences du système ; l'administration a le droit d'exiger que les huîtres entrent dans les parcs ; l'honorable M. Hymans peut être assuré qu'elles n'en sortent pas le lendemain, elles y restent aussi longtemps qu'il est nécessaire.
L'honorable membre a parlé aussi de faire de nouvelles concessions à l'Angleterre sur le poisson, en vue d'obtenir certains avantages pour les fils. Ceci est impossible, et, pour ma part, je m'y oppose formellement. Déjà par la mise en vigueur à la frontière anglaise du tarit franco-belge, le poisson frais sera admis au droit de 6 fr., réduction de plus de la moitié ; c'est un immense avantage que nous accordons à l'Angleterre, et les industries maritimes ont autant de droit que les houilles et toutes les autres industries de conserver une faible protection.
J'espère que le tarif douanier sur les huîtres fera conservé ; la différence du droit est d'environ 20 c. par 100 huîtres ; pourquoi le changer, compromettre ainsi une industrie, sans avantage pour les consommateurs ?
En finissant, si plus tard le gouvernement voulait absolument changer notre législation des huîtres, je l'engagerai, avant de le faire, de procéder à une enquête sur cette industrie, et en même temps je verrai avec plaisir l'honorable M. Hymans faire partie d'une pareille commission.
M. H. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, je m'oppose à la clôture. Je voudrais répondre aux observations présentées par. M. le ministre des affaires étrangères en réponse à celles qui ont été faites par mon honorable collègue M. Tack. Je serai très bref, puisque la Chambre montre tant d'impatience pour terminer cette discussion ; mais on ne doit pas perdre de vue que l'industrie des tissus mélangés est d'une importance considérable pour une grande partie de l'arrondissement que nous avons l’honneur de représenter dans cette Chambre, et M. le ministre n'a pas réfuté d'une manière péremptoire les observations de l'honorable M. Tack. Nous tenons d'autant plus à nous expliquer sur ce point que la solution de cette question spéciale pourrait exercer une certaine influence sur notre vote quant à l'ensemble du traité de commerce.
M. Coomans. - J'ai le droit de le dire, il est étrange, messieurs, qu'un traité qui est reconnu comme très important et par le ministère et par vous et par le pays tout entier, ne soit pas discuté librement. (Interruption.)
Non, ce n'est pas une discussion libre que celle où chaque orateur qui se lève est interrompu par les cris : « La clôture ! Aux voix ! » et je suis convaincu que beaucoup de membres renoncent à la parole peur ne pas être dans la position désagréable, ridicule d'un orateur qui s'impose à l'assemblée et qui brave son impatience impolie.
Je considère, messieurs, comme très petite la discussion de détails à laquelle on s'est livré et où l'on a parlé de fils divers, d'huîtres, etc., de tout, excepté des principes et de la justice.
Je désire donner mon opinion sur le traité et les motifs de mon vote. Je tâcherai d'être court.
M. B. Dumortier. - Je crois que la Chambre ne voudra pas clore un débat qui ne fait en quelque sorte que s'ouvrir. Elle ne le voudra pas lorsqu'il s'agit des intérêts matériels de plusieurs de nos plus importantes cités et d'une grande partie du pays.
La Chambre ne peut pas refuser d'entendre la voix de ceux qui n'approuvent pas le traité. Je désire parler contre le traité, et je prie M. le président de m'inscrire.
- Plusieurs membres. - Continuons.
M. Goblet. - Je n'insiste pas sur la demande de clôture, quoique je me sois levé pour l'appuyer ; mais je dois répondre à l'honorable M. Coomans, que nous n'avons pas été les premiers à demander la clôture ; le combat a cessé, en quelque sorte, faute de combattants, et la première personne qui a parlé de la lassitude de la Chambre, c'est un honorable député de Gand qui est certainement bon juge de la question de savoir s'il faut continuer ou ne pas continuer la discussion. Après cet honorable membre, huit orateurs ont successivement renoncé à la parole. Voilà pourquoi nous avons demandé la clôture.
Du reste, je le répète, je n'insiste pas.
M. d’Hoffschmidt. - Dans la séance d’hier, M. le ministre des finances a présenté un projet de loi portant une allocation de 100,000 fr., pour travaux d’agrandissement de la maison pénitentiaire de Saint-Hubert. La chambre a renvoyé ce projet à l’examen d’une commission, qui s’est réunie ce matin et qui m’a chargé de présenter son rapport à la Chambre.
Le principe des travaux pour lesquels le crédit est demandé a déjà été voté deux fois par la Chambre, en 1861 et en 1862. Les travaux ayant marché beaucoup plus rapidement qu'on ne l'avait supposé, il est nécessaire de voter des fonds dès maintenant, au lieu d'attendre le budget de 1863 ; sans cela, les travaux devraient être suspendus.
Il importe donc que la Chambre statue sur ce projet avant de se séparer. La commission en propose l'adoption.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si l'on terminait aujourd'hui le traité avec l'Angleterre, je pense qu'il pourrait convenir à la Chambre de voter également la loi de crédit sur laquelle il vient d'être fait rapport. Vu l'urgence, et eu égard aux explications qui ont été données, on pourrait le faire sans attendre l'impression et la distribution du rapport.
M. Jacquemyns. - Messieurs, en présence de l'impatience de la Chambre, je serai très bref.
Je comptais voter contre le traité, et je l'aurais fait à regret ; l'amendement de mon honorable collègue et ami, M. Vandenpeereboom, me permettra d'émettre un vote approbatif.
J'ai été réellement peiné qu'une voix se soit élevée contre cet amendement, et après les preuves touchantes de sympathie et de sollicitude fraternelle qui ont été données, dans toutes les parties du pays, aux ouvriers gantois, je m'attendais à voir la Chambre tout entière adopter la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom.
Je n'aurais pas cru surtout que l'opposition pût venir de la part de l'industrie du tissage, qui depuis de longues années a été l'objet d'une extrême sollicitude de la part de l'honorable ministre des affaires étrangères, alors qu'il était ministre de l'intérieur ; dans le traité, le tissage a encore recueilli des marques de bienveillance très prononcées.
Ces marques d'intérêt ont été données non seulement à l'industrie des tissus mélangés, mais encore au tissage des toiles. Malgré un abaissement considérable des droits d'entrée sur les fils en général et surtout sur les fils de lin, malgré l'exemption de tout droit, en vertu de l'article 40 de la loi sur les entrepôts, en faveur des fils destinés à fabriquer des toiles pour l'exportation, le tarif accorde une protection notable à la fabrication des toiles.
J'appuie la proposition de l'honorable M. Coomans en faveur de l'industrie des filatures de lin.
Si cette proposition n'était pas accueillie, je me réserverais, dans des circonstances plus favorables, de revenir sur l'application de l'article 40 au fil de lin employé au tissage des toiles destinées à l'exportation.
Je demanderais notamment que le gouvernement voulût renoncer à accorder cette exemption sur le fil de lin, dans les cas où il aurait acquis la conviction complète qu'une très notable partie de ce fil est employée à h fabrication des toiles consommées dans le pays.
M. Coomans. - Messieurs, je résumerai en très peu de mots le discours que j'avais l'intention de prononcer.
(page 2014) Le ministère a déclaré hier qu'en réalité et virtuellement le traité avec l'Angleterre a été voté le jour même où fut voté le traité avec la France.
Le ministère eut été plus dans le vrai s'il avait dit que le traité avec l'Angleterre a été voté par la Chambre et par lui-même, le jour où a été supprimée toute espèce de protection douanière pour l'agriculture, c'est-à-dire en 1848 et 1849.
Les avertissements n'ont pas manqué, à cette époque, aux industries manufacturières, surtout aux industries urbaines. Ces avertissements ont été donnés d'abord par tous les hommes prévoyants, par moi et plusieurs de mes honorables amis, et il faut le dire, par les ministres eux-mêmes.
Je me rappelle parfaitement un discours remarquable prononcé à cette époque par M. le ministre des finances, discours dans lequel l'honorable ministre démontrait que la suppression de la protection douanière pour l'agriculture impliquait la suppression de la protection douanière pour l'industrie manufacturière.
Les députés de Gand et ceux d'autres villes, qui réclament aujourd'hui, ont fait alors la sourde oreille. Ils ont toujours espéré le maintien du régime inique qui pesait sur les producteurs agricoles.
Il est bien vrai que j’avais prévu moi-même que le gouvernement ne réaliserait pas ses promesses aussi vite qu'il s'y était engagé.
En effet, au lieu d'appliquer à l'industrie manufacturière le régime imposé à l'agriculture ; de l'appliquer, dis-je, au bout de 2 ou de 3 ans, ce qui était déjà une grande concession, on a attendu 13 ou 14 ans ; et encore cette application des grands principes professés par le ministère est-elle très incomplète, très inconséquente et très arbitraire.
Je trouve étrange que ceux qui se disent avec quelque raison les représentants des industries urbaines, et surtout ceux qui se disent libéraux, viennent se plaindre aujourd'hui du traité ; je trouve, moi, que le gouvernement a fait trop peu au point de vue de l'équité et de la justice et qu'il est grand temps que les Belges obtiennent l'égalité devant la douane comme ils possèdent déjà l'égalité devant les autres impôts, devant la justice, devant les lois civiles, etc.
Si la liberté commerciale gêne nos grandes villes, tant pis pour elles ; ce sont elles qui l'ont proclamée, exigée ; elles doivent supporter la loi qu'elles ont faite.
II fallait discuter toutes ces questions il y a 13 ou 14 ans ; aujourd'hui nous n'avons plus à discuter qu'une date.
Il y a assez d'années que nous avons réclamé le droit commun ; pour ma part, je l'ai toujours demandé avec MM. les ministres et avec quelques députés libéraux ; mais vous ne l'avez jamais voulu accorder, vous comptiez frapper l'agriculture au profit des manufactures. Cette iniquité a duré trop longtemps, Force vous est enfin d'y mettre un terme. Voilà la vérité. (Interruption.)
Messieurs, voyez l'ingratitude des villes manufacturières : elles en sont venues à se plaindre de ce que les mêmes ministres qui avaient tant crié contre les droits différentiels, n'établissent pas pour elles des droits différentiels assez protecteurs. (Interruption.)
MM. les ministres se vantent d'avoir inséré dans le traité des droits différentiels.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Temporaires.
M. Coomans. - Temporaires, me dit M. le ministre des affaires étrangères. Je le sais bien. Une injustice est toujours une injustice, temporaire ou non. Votre protection temporaire est une protection hypocrite. (Interruption.) Je fais de l'histoire...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A votre façon.
M. Coomans. - A ma façon... à la façon de tout le monde ; c'est l'histoire du Moniteur.
Est-il vrai oui ou non que vous avez, il y a 14 ans, dépouillé de toute protection douanière l’industrie agricole ? Cela est vrai, vous ne pouvez le nier.
Est-il vrai qu'à la même époque vous aviez promis d'appliquer bientôt, dans une certaine mesure, les mêmes principes à l'industrie ? Cela est vrai, vos discours d'alors vous empêchent de le nier.
Est-il vrai que vous ayez rempli cette promesse dans un délai convenable ? Non ; vous ne la remplissez en partie qu'aujourd'hui et à contre-cœur.
Je n'ai pas dit autre chose.
Je répète donc que les députés représentant l'industrie manufacturière et surtout les députés libéraux qui ont fait du libéralisme contre les trois quarts de la population belge, sont très mal venus à se plaindre de la manière cruelle, selon eux, dont le gouvernement applique aujourd'hui ses principes à l'industrie manufacturière ; selon moi, le gouvernement a été trop bon, trop lent, trop partial dans l'application de ces principes,
Maintenant voterai-je le traité ? Evidemment non ; je ne puis pas voter un traité qui froisse les principes dans chacun de ses articles. Les droits différentiels que vous avez arrachés à l'Angleterre, varient de 5 à 50 p. c. ; ils créent des faveurs injustifiables.
C'est pour cela que vous avez ces discussions désagréables. Ces droits différentiels qui varient dans une proportion si considérable, entretient une inégalité scandaleuse dans l'application des principes.
Messieurs, il y a, dans le traité, un engagement très grave, très fâcheux au sujet du péage de l'Escaut.
Mon intention était de proposer dès cette année au gouvernement et à la Chambre de modifier l'état actuel des choses, quant aux péages de l'Escaut, état de choses que je n'hésite pas à qualifier de scandaleux. Encore s'il ne s'agissait que de continuer à rembourser ce péage au pavillon belge ; mais le rembourser à la Hollande, qui en reçoit le montant, et aux cinq grandes puissances qui l'ont consacré à notre détriment, c'est par trop fort !
Eh bien, que faites-vous par votre traité ? Vous vous engagez à rembourser aux navires de l'Angleterre le péage de l'Escaut aussi longtemps que vous le rembourserez aux navires belges ; c'est excessivement grave ; vous diminuez la liberté du parlement, vous l'empêchez de supprimer le remboursement du péage, non seulement vis-à-vis de l'Angleterre, mais vis-à-vis de toutes les autres puissances.
Vous ne pouvez évidemment pas excepter l'Angleterre ni toute autre grande puissance étrangère de la faveur du remboursement ; vous êtes moralement liés envers toutes.
- Un membre. - Le péage sera racheté.
M. Coomans. - C'est là une éventualité et non une promesse. SI par malheur le rachat du péage tarde à s'effectuer, ce que je crains beaucoup, s'il est renvoyé aux calendes grecques, voyez l'énorme contribution que vous maintiendrez à la charge de la Belgique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pas du tout. Le péage disparaîtra le jour où nous aurons cessé de le rembourser sur nos propres navires.
M. Coomans. - Evidemment, mais je ne crois pas que cela soit possible.
Je déclare, quant à moi, qui suis ennemi du péage, qu'il ne me semble pas possible d'en supprimer le remboursement pour le pavillon belge.
M. de Boe. - Il n'est pas possible d'établir à cet égard une différence entre le pavillon belge et le pavillon étranger. Le port d'Anvers est surtout desservi par des navires étrangers. La part de la marine nationale est insignifiante.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce que dit M. Coomans n'a pas de sens précis.
M. Coomans. - Je suis satisfait, mais étonné d'entendre un député d'Anvers plaider pour la suppression complète, absolue, radicale du péage de l'Escaut.
M. de Boe. - Oui, mais en attendant que la suppression générale ait eu lieu par conventions diplomatiques, je désire que le remboursement du péage continue à se faire pour tous les pavillons dans l'intérêt du commerce anversois.
M. Coomans. - Au fond vous confirmez mon langage. Inutile de m'apprendre que notre pavillon national est bien déchu ; je ne le sais que trop. Mais c'est précisément cette décadence du pavillon national qui conseille, ce me semble, de ne rembourser qu'à lui seul le péage de l'Escaut. cette protection lui serait très utile. Or, le traité nous l'interdit. (Interruption.)
- Un membre. - Vous êtes libre de supprimer le remboursement du péage pour tous.
M. Coomans. - Je dis que nous ne sommes pas libres, matériellement libres de supprimer le péage de l'Escaut pour le seul pavillon national, et l'honorable député d'Anvers vient de dire que le péage continuera d'être généralement remboursé jusqu'à ce que le rachat se soit effectué, c'est à-dire qu'on nous renvoie à des temps que je n'ose préciser.
En résumé, messieurs, voici les motifs de mon opposition au traité : je m'y oppose, d'abord, parce que les droits sont inégaux, c'est-à-dire injustes.
En second lieu, parce que vous vous engagez à rembourser le péage à l'Angleterre aussi longtemps que vous le rembourserez au pavillon belge ; en troisième lieu, parce que je ne voulais pas de traité du tout. (Interruption.)
Je m'étonne que cette opinion paraisse étrange à MM. les ministres ; ils l’ont eux-mêmes professée et, selon moi, avec infiniment de raison ; ils ont déclaré qu'il ne fallait pas faire de traité ; qu'il convenait que la Belgique fit des tarifs à sa guise, des tarifs uniformes pour toutes les (page 2015) nations, et qu'elle agit un peu comme la Hollande qui ne fait pas de traité et qui s'en trouve parfaitement bien.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, tenant compte de l'impatience de la Chambre, je serai extrêmement concis ; mais je ne puis laisser sans réponse les assertions au moins téméraires de l'honorable préopinant.
L'honorable M. Coomans a prétendu tantôt qu'il faisait de l'histoire ; quant à moi, j'appelle cela un roman.
Il vous a raconté qu'à une certaine époque, nous avons dépouillé l'agriculture de tous droits protecteurs, et que nous avons promis, en même temps, d'opérer une réforme générale des tarifs, réforme qui a bien tardé à s’accomplir.
L'honorable membre, messieurs, me paraît avoir oublié qu'à l'époque à laquelle il a fait allusion, au lieu d'être, comme aujourd'hui, un prétendu libre-échangiste, il était un protectionniste exagéré.
M. Coomans. - J'ai toujours voulu la justice, l'égalité pour tous : ni protection, ni prohibition, peu importe.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'aviez point alors ce que vous voulez bien appeler aujourd'hui des idées libérales : vous étiez un protectionniste ardent, et vous déclariez que le système du libre échange était absurde.
M. Coomans. - Pas du tout !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous le déclariez ridicule, impossible à maintenir. Vous disiez que vous en provoqueriez en certains cas l'application, pour démontrer, par ses résultats, l'immense déception qui devait en résulter pour le pays.
M. Coomans. - Voilà du roman.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout ! C'est de l'histoire fort impartiale, très véridique, et pour le prouver, je n'aurais qu'à reproduire textuellement vos propres discours. Vous étiez alors, je le répète, le prohibitionniste le plus ardent ; vous faisiez alors cause commune avec l'honorable M. Dumortier. Aujourd'hui vous vous séparez de lui, vous tirez sur lui et vous trouvez que l'honorable M. Dumortier qui, en définitive, est resté conséquent avec les idées qu'il a toujours préconisées et qui se trouve aujourd'hui à peu près seul pour les défendre dans cette Chambre, joue un rôle qui n'est guère soutenable. Mais vous n'êtes arrivé à ce point, que parce que vous avez vous-même changé d'opinion.
M. Coomans. - Jamais !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos dénégations ne sauraient détruire les faits positifs que je rappelle.
En effet, à cette époque, vous avez combattu à outrance toutes les réformes proposées par le gouvernement. A cette époque, champion déclaré de la protection et de la prohibition, vous vous êtes fait l'adversaire implacable de toute espèce de proposition présentée par nous dans cette Chambre pour arriver à modifier dans un sens libéral notre ancien régime commercial.
La première réforme qui a été proposée était relative à l'agriculture ; il s'agissait du droit sur les céréales, du droit sur le bétail. Qui avons-nous rencontré comme notre adversaire le plus obstiné ? Le libre-échangiste d'aujourd'hui, l'honorable M. Coomans.
M. Coomans. - Pas du tout. Je demande la partie pour un fait personnel.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh ! mon Dieu ! les Annales parlementaires sont là ; il suffit de les ouvrir pour constater l'exactitude de ce que j'avance.
Lorsque nous avons commencé à démolir l'édifice des droits différentiels, qui, selon ses promoteurs, aurait dû faire le salut de la Belgique, qui avons-nous encore rencontré pour adversaire ? Toujours l'honorable M. Coomans, qui prétendait que ce magnifique système était le palladium de la prospérité industrielle et commerciale du pays.
L'honorable M. Coomans, à cette époque, voulait des traités. C'était la conséquence des idées qu'il défendait avec une si grande ferveur ; aujourd'hui, il n'en veut plus, et il fait néanmoins appel à son opinion d'autrefois, comme si les idées qu'il exprime actuellement en étaient la conséquence logique. (Interruption.)
L'honorable M. Coomans voulait des traités comme ses honorables amis. C'est nous, disait-on, à cette époque, qui venions ébranler toute la politique commerciale de la Belgique, système si sagement et si péniblement élaboré pendant de longues années. Comme corollaire de ce système, on avait, en effet, conclu des traités importants, et l'on faisait reposer toute l'économie de cette politique commerciale sur les trois grands traités qui existaient alors. Quant à nous, qui voulions établir un système plus en harmonie avec les saines idées économiques qui ont triomphé depuis, tous étions dénoncés comme devant compromettre par notre témérité tous les intérêts belges.
Nous n'avons pas reculé devant ces attaques ; nous avons annoncé que nous voulions des réformes prudentes, successives, et qui, loin de compromettre aucun des intérêts du pays, fussent, au contraire, de nature à servir véritablement tous les intérêts de l'industrie et du commerce de la Belgique. Nous avons fait tous nos efforts pour réaliser ce programme, et pour faire passer nos convictions dans les esprits même les plus prévenus. Nous avons réussi. Nous avons inauguré l'ère des réformes ; nous avons fait adopter par les Chambres les mesures les plus difficiles, parce que c'étaient les premières, et qu'elles devaient servir, par leurs résultats, à éclairer l'opinion.
Nous avons eu un bonheur bien grand, celui de voir nos successeurs, qui autrefois ne partageaient pas nos idées, persévérer à leur tour dans la politique commerciale que nous avions fait prévaloir. Revenus au pouvoir, nous avons continué l'œuvre si heureusement commencée ; nous avons continué à appliquer les principes que nous avions toujours défendu dans cette enceinte. Ils se sont trouvés plus particulièrement exprimés dans le traité conclu récemment avec la France, lequel, comme nous l'avons déclaré alors, devait être étendu un jour à l'Angleterre.
C'est cette extension qui vous est actuellement soumise. Et quel est, encore une fois, l'adversaire de ce nouveau traité, qui cependant semble devoir faire passer dans la pratique les idées auxquelles l'honorable membre est converti ? C'est encore l'honorable M. Coomans. Il n'admet pas ce traité ! Et pourquoi ? quels sont ses griefs contre lui ? Ah ! c'est que ce traité renferme encore des droits différentiels. Des droits différentiels ! Mais lesquels ? Je nie qu'il y en ait dans le traité. (Interruption)
Ne jouons donc pas sur les mots. Il n'y a pas de droits différentiels, en ce sens que le tarif qu'on va établir n'est pas de nature à créer des droits différents, suivant que les importations proviennent de tels ou tels pays.
Ce que vous qualifiez si improprement de droits différentiels, n'est qu'une courte période de transition, ménagée en faveur d'une industrie digne de toute la sollicitude de la législature, pour arriver ensuite à l'uniformité des droits pour tout le monde. Ce n'est donc pas là ce que, dans le langage économique, on peut appeler des droits différentiels.
- Plusieurs voix. - C'est évident.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est tout simplement l'ajournement de certaines dispositions du traité.
A entendre l'honorable membre l'on dirait que toute l'économie du traité, dans son ensemble, repose sur des prétendus droits différentiels, tandis qu'il n'y a, en définitive, que trois articles pour lesquels des délais sont stipulés. Le langage de l'honorable M. Coomans est de nature à me faire soupçonner qu'il n'a pas même lu la disposition qu'il critique.
Mais il a fait valoir encore un autre grief, à propos du péage de l'Escaut. L'honorable ministre des affaires étrangères, persévérant dans une politique suivie depuis longtemps par son département, devait croire que le résultat auquel il était parvenu serait accueilli avec faveur par l'unanimité de cette assemblée.
En effet, mon honorable ami a obtenu un succès qui dépasse les espérances de toutes les personnes qui s'intéressent à cette importante question, en faisant reconnaître le principe du remboursement du péage par les puissances étrangères elles-mêmes, remboursement que nous opérons depuis 1840. C'est un grand succès que d'avoir été assez heureux pour faire admettre, en principe, qu'une négociation européenne aura lieu relativement à ce péage. C'est un succès auquel, j'en suis convaincu, applaudira la Chambre tout entière, bien entendu à l'exception de l'honorable M. Coomans.
Je disais tout à l'heure que je soupçonnais fort l'honorable membre do n'avoir pas lu la disposition du traité dans laquelle il a découvert les fameux droits différentiels sur lesquels il motive son opposition. Eh bien, je le soupçonne également de ne pas s'être donné la peine de lire la disposition relative au péage de l'Escaut.
Il aura lu dans les journaux une critique aussi malveillante que peu fondée, qui représente la disposition dont il s'agit comme un engagement irrévocable pris vis-à-vis de l'Angleterre de lui rembourser le péage pendant dix ans ; cette critique affirme qu'en définitive, on s'est lié, envers l'Angleterre, et que, loin d'avoir obtenu un avantage, la Belgique a cessé d'être libre de prendre une résolution, quant au remboursement du péage de l’Esacut.
Je dis, messieurs, qu'il faut n'avoir pas lu la disposition pour émettre (page 2016) une pareille opinion. En vertu des précédents traités, le remboursement était une obligation formelle de la Belgique vis-à-vis de l'Angleterre ; nous étions liés définitivement et irrévocablement sous ce rapport. Qu'a-t-on substitué à cette situation ? On y a substitué une déclaration d'où il résulte que nous ne serons plus tenus de rembourser le péage aux navires anglais, dès que nous cesserons de le rembourser à nos propres navires.
D'où il résulte évidemment qu'il dépend du gouvernement et des Chambres, quand on le voudra, tous les jours, à toute heure, de supprimer cette charge, de s'affranchir de l'obligation de rembourser le péage aux navires anglais.
Mais, a dit l'honorable membre, quand on l'a interrompu pour lui signaler son erreur, cala n'arrivera pas ; on ne consentira jamais à ne pas rembourser le péage aux navires belges. Que l'honorable membre se détrompe ; cela pourra fort bien arriver. Pour que cette mesure présentât les inconvénients qu'il semble prévoir, il faudrait que le pavillon national constituât en grande partie l’importance du mouvement maritime du port d'Anvers. Mais son observation n'a pas de portée, puisque les navires belges sont en très petit nombre, et qu'ils entrent pour une bien faible part dans le mouvement de ce port, et ainsi le remboursement du péage aux navires nationaux ne représente qu'une fraction relativement minime de la somme payée pour le remboursement total. Vous voyez donc, messieurs, que l'honorable membre s'est complètement trompé.
L'honorable M. Coomans a rappelé que j'ai dit à une certaine époque qu'il ne fallait pas faire de traités, que désormais les rapports de la Belgique avec les puissances étrangères devaient être réglés par les tarifs, sur un pied d'égalité pour toutes les nations et non au moyen de droits différents ; il a conclu de cette déclaration qu'il y avait inconséquence de ma part à soumettre aujourd'hui à la législature un traité avec l'Angleterre.
L'honorable membre se trompe encore ; ce que nous avons combattu et ce que nous persistons à combattre, ce sont les traités différentiels, les traités dérivant des droits protecteurs, accordant à certaines nations des avantages que nous refuserions à d'autres. Mais quant aux traités qui n'ont pas d'autre objet que de faire passer les principes généraux dans nos relations commerciales avec les autres nations, et de recevoir en échange certains avantages de ces nations, nous avons toujours trouvé ces traités excellents. C'est pourquoi nous en avons conclu récemment un avec la France, et c'est pourquoi encore nous venons d'en conclure un autre avec l'Angleterre.
Nous étendrons successivement ce système à d'autres pays, et quand des négociations auront eu lieu avec les principaux Etats, qu'il sera sans intérêt de négocier avec les autres puissances, les principes de notre nouvelle politique commerciale seront rendus d'application générale par la législature, et ainsi sera opérée la réforme à laquelle nous travaillons depuis tant d'années.
M. Coomans. - D'après M. le ministre, j'aurais été un protectionniste fanatique et j'aurais prétendu que l'application des principes libéraux au travail belge occasionnerait la ruine du pays.
Il n'en est rien, je mets M. le ministre au défi de prouver quoi que ce soit de ses allégations. Je n'ai jamais été prohibitionniste, j'ai toujours combattu l’échelle mobile sur les céréales, j'ai toujours été partisan du droit fixe ; j'ai été prohibitionniste, mais moins que MM. les ministres.
Quand ils sont venus proposer un droit d'entrée de 50 centimes par hectolitre sur les céréales, je proposais, il est vrai, 1 fr. 50 c, la différence n'était pas grande, mais j'ajoutais que je consentirais volontiers au droit de 50 centimes et même à la suppression de tout droit, si les industries urbaines voulaient se contenter d'une protection de 10 p. c. Le gouvernement en maintenait une de 50 à 100 p. c. ! Au point de vue des principes, j'étais loyal et logique, car je disais que, quel que fût le régime économique qu'on adoptât, il fallait qu'il fût le même ou à peu près pour toutes les industries parce que la justice l'exigeait. Je déclarais à cette époque, comme je le dis encore, que le régime protectionniste modéré pouvait convenir à la Belgique, mais que j'étais prêt à adopter le régime de libre échange. (Interruption.) Je puis le prouver, car en août 1851 j'ai proposé une réforme douanière libérale que le ministère a pratiquée pour les 7/8 depuis lors. (Interruption.)
Voici a que j'ai toujours dit, que je mettrais au-dessus de tous les principes mêmes de l'économie politique, la justice et l'équité, que je respectais l'économie politique, mais que je respectais bien plus la justice. C'est là la cause de la guerre assez longue, assez vive que j'ai soutenue contre MM. les ministres.
Ils proclamaient des principes qu'ils se gardaient bien de pratiquer, tandis que moi je voulais pratiquer leurs principes et les miens.
N'est-ce pas alors que l'honorable ministre, je le rappelle puisqu'il m'attaque, a dit en froissant beaucoup de membres de cette assemblée, non pas moi, que la protection était le masque de la prohibition ? Ce masque, l'honorable ministre l'a conservé,
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Coomans. - Je dois insister sur ce point. Si l'on se bornait à m'accuser d'ignorance, d'inconséquence, je pourrais me taire ; mais quant au fond d'un reproche il y a une accusation aussi grave que celle qui vient de se produire, je dois protester.
J'ai toujours dit depuis que je siège dans cette Chambre qu'il fallait adopter certains principes et les appliquer à toutes les industries, non pas d'un seul coup, il est vrai, car je reconnaissais que c'était trop pour les industries manufacturières. Je soutenais que lorsqu'on maintenait une protection de 100 p. c. pour ces industries, on pouvait accorder 5 p. c. à l'agriculture, et jamais mes prétentions n'ont dépassé ces 5 p. c. Ce n'est pas là de la prohibition. Ce n'est pas même de la protection, c'est de la pure fiscalité.
Maintenant, pour être conséquent, j'ai demandé l'application des principes de justice. Nous y venons lentement, mais j'espère que nous y arriverons définitivement.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Coomans. - Quant au péage de l'Escaut, je maintiens simplement ce que j'ai avancé.
En somme le traité est une sorte de réparation accordée à nos agriculteurs ; si je ne m'y associe pas par mon vote, c'est parce qu'elle est incomplète, insuffisante et parce que notre liberté d'action est entamée.
M. Tack. - Messieurs, je reconnais avec M. le ministre des affaires étrangères qu'il est de toute impossibilité de discuter ici des questions relatives au rapport entre le droit à la valeur et le droit spécifique. Ces questions ne peuvent se discuter qu'entre hommes spéciaux et en dehors de cette enceinte.
Mais je persiste à dire que, d'après les données que j'ai indiquées tout à l'heure, les tissus légers mélangés sont sacrifiés.
On nous accorde une période transitoire de deux ans, pendant laquelle nous payerons 22 1/2 p. c., puis 20 p. c, pour aboutir à 15 p. c. ; mais, d'un autre côté, on nous enlève le bénéfice de cette période transitoire, puisque l'on maintient, ou à peu près, le droit actuel sur les fils de coton.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce sont les tissus mélangés qui sont le mieux protégés.
M. Tack. - Cela dépend des appréciations.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il n'y a qu'une voix à cet égard.
M. Tack. - Je ne m'explique pas pour quel motif M. le ministre refuse d'adopter ma proposition. Quelle en est la portée ?
C'est de laisser toute latitude au gouvernement, de lui fournir le moyen de sauvegarder les intérêts de l'industrie du tissage des étoffes mélangées ; je ne demande pas qu'il prenne un engagement quelconque, mais qu'avant de conclure définitivement il entende la voix des hommes compétents dans la matière.
L'honorable ministre a posé lui-même l'hypothèse de la renonciation à ce qu'il appelle le bénéfice du droit spécifique ; quand ce ne serait que pour cette seule hypothèse, il faut que nous lui conférions les pouvoirs nécessaires pour modifier le traité.
Ou bien M. le ministre pense que l'on pourrait, sans ajouter une clause supplémentaire dans l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom, atteindre le résultat que j'ai en vue. M. le ministre des finances me répond : Certainement. Sa parole me suffit et dès lors je consens à retirer mon amendement.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Tack. - Cela vous prouve que je ne forme pas dans ce débat, comme l'a dit l'honorable M. Jacquemyns, une voix discordante. Je n'ai pas entendu combattre à toutes fins l'amendement de M. Vandenpeereboom. J'ai voulu, simplement, le compléter au point de vue de l'industrie de l'arrondissement que je représente. Deux honorables orateurs ont demandé tantôt que les catégories admises pour l'exportation des fils en France soient également adoptées pour l'introduction des fils anglais en Belgique ; il ne m'ont pas paru insister beaucoup sur leur manière de voir.
M. de Naeyer. - Si, si.
M. Tack. - Du moins ils n'ont guère développé leurs idées, je puis donc m'abstenir de m'en occuper.
Quant à ce qu'a dit l’honorable M. Jacquemyns de l'application aux fils de lin de l'article 40 de la loi sur les entrepôts, je ne m'y arrêterai pas davantage. L'honorable membre se propose de choisir un autre moment pour (page 2017) discuter cette question ; soit, je me promets de lui répondre ; j'ajouterai cependant que j'avais pensé qu'en présence du vœu formulé par toutes les sections et par la section centrale pour le maintien de l'application de l'article 40 aux fils de lin, l'honorable membre n'aurait plus eu le courage de soulever la question qu'il vient de toucher.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. le président. - La parole est à M. H. Dumortier.
M. H. Dumortier. - J'y renonce.
M. de Haerne. - J'ai renoncé tantôt à la parole en disant que c'était à cause de l'impatience de la Chambre d'en finir, mais que j'espérais que, si d'autres orateurs étaient entendus, je pourrais aussi m'expliquer. Depuis lors cinq ou six membres ont parlé, je pense que l'on voudra bien aussi me permettre de présenter quelques considérations.
Je me bornerai à répondre à quelques critiques qui ont été produites tout à l'heure par d'honorables membres qui ont combattu l'amendement de l'honorable M. Tack, que j'avais signé avec lui.
- Un membre. - Il est retiré.
M. de Haerne. - Oui, mais les objections contre l'article 40 ne sont pas retirées, les attaques contre le tissage subsistent. (Interruption.) Et puisque l'on a écouté mes adversaires, j'espère que l'on voudra bien m'entendre aussi. (Interruption.)
M. B. Dumortier. -La tribune n'est donc plus libre !!
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais si.
M. B. Dumortier. - Puisque vous voulez le libre échange, laissez donc librement échanger les idées.
M. de Haerne. - Si je consens avec les honorables MM. Tack et H. Dumortier à retirer l'amendement, c'est par un motif tout à fait différent de celui par lequel on a cru nous émouvoir de l'autre côté de la Chambre.
Vous avez fait une espèce de menace, et c'est à cette menace que je dois répondre. Je dirai d'abord qu'en signant l'amendement je croyais faire chose utile à l'industrie gantoise.
Je croyais qu'en développant l'industrie si importante des tissus mélangés nous eussions pu y trouver de nouvelles ressources pour la ville de Gand et d'autres villes et donner de l'ouvrage aux ouvriers qui en manquent aujourd'hui.
Vous savez, messieurs, que par suite de la crise de l'industrie cotonnière d'autres industries, notamment celles du lin et de la laine, se développent en Angleterre, en Allemagne et ailleurs.
Le but que nous devons poursuivre c'est de propager en Belgique des industries qui puissent suppléer à l'industrie du coton. En soutenant l'industrie des étoffes mélangées, je voulais donc subvenir aux besoins de l'industrieuse cité de Gand.
On me dit : Si vous soutenez votre principe formulé dans l'amendement, il arrivera que vous perdrez le bénéfice de l'article 40, qu'on ne permettra plus l'emploi du fil étranger sans droits, pour l'exportation.
C'est une menace que je ne puis accepter, d'abord parce qu'elle est indigne de l'homme qui l'a proférée, parce qu'elle ne répond pas à ses sentiments ordinaires.
Je dirai que le retrait de l'application de cet article serait aussi nuisible à l'industrie de la filature du lin qu'à l'industrie du tissage. Voilà ma conviction, car vous n'ignorez pas que c'est depuis l'application de l'article 40 au tissage que l'industrie linière a pris un grand développement en Belgique, développement auquel, comme conséquence, a participé la filature indigène, d'abord par l'exportation, car dans les catégories de toiles qu'on exporte et qu'on n'exportait pas autrefois, se trouvent des produits qui sont fabriqués avec du fil indigène, l'un article entraînant l'autre pour compléter les assortiments.
Ensuite ce progrès s'est communiqué aux filatures du pays par l'impulsion que l'emploi du fil étranger a donnée aux filatures belges. Mais il y a plus, le tissage dans l'arrondissement de Gand consomme beaucoup de fil irlandais, et il ferait taire au besoin l'intérêt purement imaginaire de certains filateurs. Le tissage, du reste, est moins menacé du retrait de l'article 40 que d'autres industries qui en réclament également le maintien et qui nous soutiennent dans cette question.
J'invoque ici l'opinion du gouvernement lui-même, consignée dans le rapport de la section centrale. Que dit le gouvernement ? Il dit que, par suite de l'abaissement des droits sur les fils étrangers, il y a moins de raison que par le passé pour retirer l'article 40. (Interruption de M. le ministre des finances.)
Vous avez très bien expliqué la chose, et c'est parce que j'approuve vos paroles que je me plais à les répéter.
Ainsi, messieurs, si je renonce à l'amendement en faveur des étoffes mélangées, ce n'est pas à cause de la vaine menace qui nous est faite, mais à cause des explications que vient de donner l'honorable ministre des affaires étrangères, et parce que je ne veux pas compromettre les nouvelles négociations à entamer en faveur de l’industrie gantoise, que je désire favoriser.
Je n'ajouterai plus qu'un mot ; je ne comprends pas cet antagonisme entre les diverses cités, entre les diverses fractions du pays en matière d'industrie. Au fond, nous voulons, les représentants de Gand comme ceux d'autres arrondissements des Flandres, une protection sage et modérée, qui n'est pas entièrement abandonnée par le traité.
Nous tenons compte des circonstances, et si les circonstances viennent à changer, si la guerre, par exemple, amenait un état tout différent dans le monde et particulièrement en Angleterre, nous serions les premiers à vous appuyer dans les mesures nouvelles que vous réclameriez, comme nous l'avons toujours fait. L'Angleterre songe à protéger ses ouvriers en détresse par des subsides, vu l'insuffisance de la taxe des pauvres. Ne pourrions-nous pas nous trouver dans la même nécessité ? C'est surtout à cause de cette situation que je trouve les changements proposés dans le traité trop brusques. Toutefois, je ne rejette pas le traité, je l'adopte pour des raisons purement politiques, qu'il est inutile d'expliquer. Ainsi, nous pourrions être amenés, comme l'Angleterre, à un système de protection par subsides ; pourquoi donc ne pas nous donner la main ? Au fond, il n'y a pas de pays qui ne protège ses industries, soit directement, soit indirectement, par la douane, par l'impôt, par des subsides ou des cotisations. Il faut donc s'entendre et je ne comprends pas l'opposition qui nous est faite dans ce moment quant au tissage. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - J'invite l'assemblée au silence.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole ! Est-ce que nous discutons encore ? Ces cris sont réellement scandaleux.
M. le président. - M. Dumortier, vous m'interrompez, lorsque je m'adresse à la Chambre. Vous n'avez pas la police de l'assemblée.
M. B. Dumortier. - Non, M. le président. Mais je n'entends pas les paroles de mon honorable ami, bien que je me trouve sur le même banc.
M. le président. - Je saurai lui maintenir la parole, sans avoir besoin de vos avertissements.
M. de Haerne. - Je m'étonne de cette impatience après que j'avais renoncé à la parole sur l'ensemble du traité. (Interruption.)
Lorsque l'honorable M. Orts nous a proposé, la semaine dernière, de commencer la discussion lundi, il nous a dit que nous continuerions probablement jusqu'à jeudi. C'est pour cela que nous avons repris nos séances dès lundi, contrairement à l'habitude.
M. le président. - M. de Haerne, occupez-vous de la question.
M. de Haerne. - M. le président, puisqu'on m'interrompt, je dois bien dire pourquoi je crois devoir maintenir mon droit de parler et de défendre une des principales industries du pays contre d'injustes attaques.
Je dirai donc, en terminant, que je donne les mains à l'industrie gantoise, et que je repousse, comme contraire à ses intérêts, toute espèce de menace dirigée contre d'autres industries.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix ! La clôture.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. Debaets. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole sur la clôture.
M. Debaets. - Si M. le président veut m'accorder la parole sur la clôture, cela reviendra au même ; car je n'ai que deux mots à dire à la Chambre.
- Plusieurs membres. - Parlez ! Parlez !
M. le président. - M. B. Dumortier est inscrit avant vous.
M. B. Dumortier. - L'honorable M. Debaets n'ayant que deux mots à dire, je lui cède mon tour de parole, bien entendu en réservant mes droits.
M. le président. - Dans ce cas, si l'on n'insiste pas sur la demande de clôture, la parole est à M. Debaets.
M. Debaets. - La Chambre est fatiguée. J'aurais désiré motiver d'une manière complète le vote que je me propose d'émettre.
En présence de la lassitude de l'assemblée, je ne ferai pas un discours ; mais la Chambre comprend que je lui dois au moins une déclaration.
Je déclare donc que j'aurais voté le traité, même sans l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom. Je déclare, en même temps, que je ne voterai pas contre cet amendement, quoique je le considère comme inopérant et tout à fait inoffensif. Je le voterai, quoique je n'y voie qu'une fiche de consolation sans résultat pour ceux qui y fondent quelque espoir.
Je fais mes réserves quant à la question que j'ai soulevée dans une autre occasion, celle de savoir si l'abaissement des tarifs, par voie législative, ne serait pas une mesure désirable. La Chambre désirant clore ses travaux, cette question ne saurait être utilement discutée aujourd'hui. Dans tous les cas, nous nous trouvons devant un acte du (page 2018) gouvernement. Le gouvernement nous demande la ratification ou le rejet de cet acte. La Chambre doit émettre un vote. En toute hypothèse, je voterai pour le traité.
M. le président. - La parole est à M. B. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Messieurs, quand j'ai eu l'honneur de faire remarquer à la Chambre que la clôture demandée ne me paraissait pas rationnelle dans la situation de la discussion, et dans la situation où se trouve le pays, la Chambre s'est rendue à cette raison et il y a eu en quelque sorte un engagement d'honneur de laisser continuer le débat. C'est sur cet engagement que j'ai cédé mon tour de parole à mon honorable ami M. de Haerne et ensuite à mon honorable collègue M. Debaets.
Quant à moi, j'ai à m'exprimer contre le traité, et je demande à la Chambre de bien vouloir m'entendre.
J'ajouterai que je ne me contenterai pas de quelques paroles, que je désire examiner le traité dans son ensemble, dans ses détails et dans ses effets.
Or, je demande à l'assemblée si, à présent qu'il est près de cinq heures, quand depuis une heure et demie ou interrompt à chaque instant les orateurs qui parlent et l'on étouffe leur voix par des réclamations de clôture, il est possible à un orateur qui veut examiner le traité, de le faire sérieusement. J'en ai pour plus d'une heure à parler.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. B. Dumortier. - Je demande, vu l'heure avancée, la remise de la discussion à demain.
Je crois que la loyauté exige qu'on n'étouffe pas la voix de l'opposition dans une question aussi grave.
- Plusieurs membres. - Parlez !
M. Orts. - Comme la Chambre veut continuer la discussion et que plusieurs membres paraissent décidés à ne pas revenir demain, je propose d'avoir une séance du soir.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! continuons jusqu'à six heures.
M. le président. - M. Dumortier a demandé la remise de la discussion à demain. Je mets cette proposition aux voix. Que ceux qui l'adoptent... (Interruption.) veulent bien se lever.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal ?
M. le président. - Désire-t-on l'appel nominal ?
M. Dolez. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Dolez. - Le vote par assis et levé a eu lieu, et on ne peut pas demander l'appel nominal entre deux épreuves.
M. le président. - J'allais commencer l'épreuve, et avant l'achèvement de ma première phrase, j'ai entendu demander l'appel nominal.
M. Guillery. - L'honorable M. Dolez n'a pas entendu que l'honorable M. de Naeyer avait demandé l'appel nominal avant le commencement de l'épreuve ; je puis en témoigner.
M. Coomans. - Je dois reconnaître que l'honorable président a très régulièrement agi ; il a dit : « Je vais mettre la proposition aux voix » et à peine avait-il prononcé les premiers mots de cette phrase, que cinq ou six d'entre nous ont demandé l'appel nominal. Alors l'honorable président conformément, à la fois, au règlement et aux convenances, a déclaré que l'appel nominal aurait lieu. J'insiste donc sur l'appel nominal.
M. le président. - M. Dolez, insistez-vous ?
M. Dolez. - Non, M. le président.
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix par appel nominal.
77 membres sont présents.
50 adoptent.
27 rejettent.
En conséquence, la proposition est adoptée.
Ont voté l'adoption : MM. Ansiau, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, de Baillet-Latour, de Boe, de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Vrière, B. Dumortier, H. Dumortier, Goblet, Grandgagnage, Guillery, Jacquemyns, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Lesoinne, Loos, Magherman, Mercier, Moreau, Mouton, Notelteirs, Nothomb, Royer de Behr, Tack, Thienpont, Van Bockel, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Overloop, Vermeire et Wasseige.
Ont voté le rejet : MM. Braconier, Carlier, Cumont, David, de Bronckart, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Grosfils, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Lange, J. Lebeau, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem et Vervoort.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.