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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 juillet 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page ) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le bourgmestre et des habitants de Nosseghem demandent que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain passe par Nosseghem, et que le tracé proposé par le lieutenant Outier obtienne la préférence. »

« Même demande du bourgmestre et d'habitants de Sterrebeek. »

- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi de crédit pour l'exécution de travaux publics.


« Le sieur Pâques, pharmacien à Liège, demande que les pharmaciens ne soient pas appelés à faire partie de la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des officiers pensionnés demandent que le montant de leurs pensions soit mis en rapport au taux où elles étaient proportionnellement en 1814. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Donck demandent que le chemin de fer d'Anvers à Hasselt passe par Haelen et Herck-la-Ville, pour de là se diriger sur Hasselt. »

- Même renvoi.

« Le sieur D. Trognée se plaint de ce que le bourgmestre de Grand-Rieu se soit refusé à faire les publications de mariage de son fils Jules, né à Hestrud (France), parce qu'il ne produisait pas le certificat LL, exigé par la loi sur la milice. »

- Même renvoi.

Rapports de pétitions

Rapport sur la pétition d’Uccle relative au respect de la liberté des cultes

(Voir page 1873.) M. le président. - La parole est continuée à M. Nothomb.

M. Nothomb. - Messieurs, je reprends mon discours au point où votre bienveillance, dont je vous remercie vivement, m'a permis de m'arrêter hier.

J'ai essayé de vous démontrer que la doctrine de M. le ministre de l'intérieur est beaucoup trop absolue, que le droit de police, tel qu'il l'entend, est le pouvoir de tout oser contre les franchises religieuses, qu'il conduit aux entreprises les plus dangereuses, qu'il recèle au fond une atteinte radicale contre la liberté des cultes dont il serait la négation.

Permettez-moi, messieurs, d'insister encore quelques instants sur ce point. Toute la question est maintenant là. Elle est condensée dans ce droit de police si fièrement inauguré par M. le ministre ; la discussion a enfin pris un corps. C'est un grand pas de fait pour l'éclaircir.

L'honorable ministre invoque en sa faveur l'article 16 du décret de l'an XII, le seul article qui ait à peu près trouvé grâce à ses yeux. Il mène, selon moi, tel que vous l'interprétez, aux conséquences les plus extrêmes. Il permettrait, s'il était ainsi accepté par la majorité de cette assemblée, d'agir, quant aux cimetières, d'une manière souveraine, et bientôt on en viendrait à vouloir agir contre le culte lui-même.

Je sais bien, j'aime à le redire, que telles ne sont pas les intentions de M. le ministre de l'intérieur.

Il a protesté hier contre de pareilles suppositions.

J'ai accueilli ses paroles avec satisfaction, mais j'eusse préféré qu'il se fût abstenu de la déclaration même qui éveille nos inquiétudes. On fait vite du chemin sur une pente pareille.

Qui donc eût pu prévoir, il y a douze ans, alors que d'honorables ministres qui appartiennent à l'opinion politique de M. le ministre de l'intérieur soutenaient ce que je soutiens aujourd'hui, quand l'honorable M. de Haussy décidait la question comme nous, quand plus tard ce sentiment était reproduit par M. Liedts et trouvait des adhérents parmi les hommes les plus distingués du parti libéral, qui donc je le répète, eût pu croire qu'en 1862 on viendrait revendiquer, au nom de la police, un pouvoir qu'il y a 12 ans, tout le monde lui refusait ? Il y a 12 ans on déniait à la police le droit de disposer du cimetière ; aujourd'hui on le lui accorde. Que demandera-t-on dans 12 ans contre l'église ?

On glisse rapidement dans cette voie.

Relisez, messieurs, le texte de cet article 16. Il porte ce qui suit :

» Les lieux de sépulture, soit qu'ils appartiennent aux communes, soit qu'ils appartiennent aux particuliers, seront soumis à l'autorité, police et surveillance des administrations municipales. »

Or, si vous pouvez invoquer, avec l'étendue que vous y donnez, cet article 16, quant aux cimetières publics, vous pouvez aussi le faire vis-à-vis des cimetières des particuliers, car la disposition range sur la même ligne et les uns et les autres en les soumettant au même régime.

Donc si votre système est vrai, si votre prétendu droit va aussi loin, vous traiterez ces cimetières particuliers comme les autres. Et dès lors, non seulement vous pouvez faire inhumer qui bon vous semble dans un caveau de famille, mais encore dans un cimetière particulier. Ceci devient ni plus ni moins qu'une véritable expropriation !

Ah ! je vois l'honorable ministre qui me fait un signe négatif.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas dans la loi.

M. Nothomb. - Mais du moment que vous invoquez l'article 16 vous ne pouvez pas le scinder.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'un est un cimetière public, l'autre est un cimetière privé.

M. Nothomb. - A votre point de vue, c'est tout un. C'est là le danger de la position que vous prenez. Je m'obstine à vous le signaler. Vous ne voulez pas le voir. Je répète pour la dixième fois, que je crois que de telles extrémités ne sont pas dans votre pensée ni dans celle d'aucun membre de cette Chambre, mais il y a dans la conduite des choses humaines des lois fatales ; la logique des partis est inexorable, et ce qui apparaît aujourd'hui comme impossible, peut paraître tout simple dans des temps futurs.

C'est donc une véritable expropriation que vous voudriez indirectement (page 1894) sanctionner. Eh bien, je dis qu'une pareille conséquence suffît à elle saule pour condamner votre théorie.

Et, messieurs, puisque nous en sommes sur ce point, ne convient-il donc pas de tenir aussi compte de la propriété dans le chef des fabriques d'église ?

Les cimetières, en Belgique, peuvent leur appartenir et leur appartiennent en grande partie. Les fabriques les ont acquis jadis à titre onéreux en vertu de l'ordonnance de Joseph II de 1784.

La fabrique possède au nom de la communauté catholique, comme le consistoire pour les protestants ; il en est de même des israélites. C'est une situation dont il faut évidemment tenir compte, et l'on ne peut la méconnaître sans entamer le principe même du respect dû à toute propriété.

Prenons le cas pour la fabrique d'Uccle. Elle y représente la communauté catholique et elle est propriétaire du cimetière.

Comment pourriez-vous y porter la main ? Et si vous le faites, par un acte pareil à celui qui a été posé, en disposant malgré elle d'une portion de ce terrain qui est le sien, comment nier l'attentat à la propriété ? Voilà où est le côté judiciaire de la question.

Que pouvez-vous demander au propriétaire d'un cimetière, commune ou fabrique, quel qu'il soit ? Rien que ceci : qu'on assure un lieu d'inhumation particulier aux croyants de chaque culte professé dans la commune et une place réservée décente pour une certaine catégorie d'individus sans culte.

Du moment que le propriétaire se soumet à cette obligation de démembrement, à cette espèce de servitude, tout est dit, votre rôle est épuisé, non seulement votre rôle, mais votre droit, et vous ne pouvez aller au-delà.

Or, je ne sache pas qu'à Uccle, pas plus que dans les autres communes, on se soit refusé à obtempérer à cette prescription. Le gouvernement n'est plus recevable à demander davantage à ce propriétaire, et c'est un abus de pouvoir que de le contraindre à subir l'inhumation d'une personne étrangère à son culte.

Messieurs, quand je me représente toutes les conséquences de la déclaration faite hier par M. le ministre de l'intérieur, je ne puis m'empêcher, non seulement d'en être surpris, mais de profondément la regretter ; il me semble qu'elle est imprudente, et, malgré les intentions de l'honorable ministre, elle peut devenir une excitation à la reproduction d'autres fâcheux conflits de même nature.

Ce n'est pas de la réserve gouvernementale. Comment ! dans une question aussi grave, aussi délicate, que vous-même déclarez être très controversée, vous venez inopinément, à l'étonnement général, déclarer que le bourgmestre d'Uccle a bien fait et qu'à sa place vous auriez agi de même. C'est franc, je le reconnais ; c'est loyal, je l'admets ; mais je suis obligé de dire ce que j'en pense ; que cela est téméraire, imprévoyant, point gouvernemental, et que vous donnez à des imitateurs, qui seront peut-être trop nombreux, un trop facile prétexte de créer de semblables et d'aussi regrettables scandales.

Ainsi, messieurs, ne soyez pas surpris de l'insistance de nos paroles ; vous excuserez du moins le temps que je vous retiens et la longueur de ce discours. Ce n'est plus le simple incident d'Uccle que nous discutons ; nous sommes devant tout un système, c'est toute une théorie gouvernementale qui se dresse menaçante devant nous.

La question a désormais de vastes proportions auxquelles certainement personne ici ne s'attendait, et que surtout, j'ose l'affirmer, le pays ne désirait pas.

Messieurs, ai-je besoin de vous dire que nous ne défendons pas seulement la liberté catholique, mais la liberté de tous les cultes reconnus ; en revendiquant la liberté pour les consciences catholiques, nous la revendiquons au même titre pour tous les autres croyants, pour les protestants comme pour les israélites.

Et pourquoi ? Parce que c'est notre devoir, parce que la Constitution l'exige, parce qu'avant tout notre drapeau, c'est la tolérance. (Interruption.) Comment ! ce mot vous effarouche, vous oubliez donc l'histoire du passé et surtout celle de nos jours ?

M. Ch. Lebeau. - Quand on les brûle.

M. Nothomb. - Quand on brûle quoi ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les protestants.

M. Nothomb. - e rappelez pas cela, car je pourrais vous montrer d'autres et de plus récents bûchers. (Interruption.)

Laissez-moi m'expliquer. Je dis que le drapeau que nous portons c'est le drapeau de la tolérance. Je fais appel au passé et plus encore au présent. (Interruption.)

Il me serait facile de faire une revue rétrospective et de vous signaler où il y a le plus d'intolérance.

Je répète que le principe qui s'est le plus tôt dépouillé de l'intolérance, c'est le principe catholique.

En voulez-vous une preuve irréfragable ? Voyez notre propre Constitution, œuvre d'une majorité catholique.

M. De Fré. - Elle a été foudroyée.

M. Van Humbeeck. - Et l'encyclique ?

M. Nothomb. - Ni foudroyée, ni condamnée. On y a inscrit les principes de la tolérance la plus large. (Interruption.)

Vous voulez absolument ouvrir une parenthèse : soit. Cela me convient, malgré la fatigue et la longueur.

Voyons donc ce qui se passe dans différents pays de l'Europe. Faisons-y, si vous le voulez, bien, un petit voyage. Que trouvons-nous ? C'est dans les pays catholiques que la tolérance a fait le plus de progrès dans les institutions politiques.

En Belgique, en France, en Portugal, même en Espagne. (Interruption.) Oui, en Espagne, où il y a eu, je crois, un ministre appartenant au culte israélite. Me montrerez-vous la même chose dans les pays non catholiques ?

Voulez-vous que je cite un autre pays catholique où la tolérance brille aujourd'hui d'un haut éclat ? C'est l'Autriche. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Oui ! oui !

M. Guillery. - Et le concordat autrichien ?

M. Nothomb. - Vous oubliez l'histoire d'hier, mais je vous la rappellerai.

Je dis que de tous les pays de l'Europe, après la Belgique, celui où il y a le plus de liberté réelle et le plus de tolérance religieuse, c'est l'Autriche actuelle. (Interruption.)

Nierez-vous que l'on y trouve dans les fonctions publiques des partisans de tous les cultes ? La chambre des députés renferme plusieurs israélites.

Tournez maintenant vos regards vers l'Europe non catholique. Vous découvrirez à vos portes un pays, éclairé d'ailleurs, où existe encore cette triste et regrettable situation que l'on doive discuter, en pleine Chambre, si les israélites seront admissibles aux fonctions publiques ; cela s'est vu naguère en Prusse.

M. Van Humbeeck. - Simple question politique.

M. Nothomb. - Qui les domine toutes. En Suède les catholiques et les israélites sont bannis, honnis ; à peine s'ils y sont traités comme des hommes.

M. Guillery. - Et à Rome ?

M. Nothomb. - Les juifs ont trouvé leur premier asile dans la Rome des papes. Si je devais répondre à toutes vos interruptions, nous n'en finirions jamais.

Ces exemples puisés dans l'histoire suffisent à montrer qu'en général, c'est dans les pays catholiques qu'on est entré le plus largement, le plus franchement dans la voie de la tolérance ; je vous défie de me réfuter à cet égard.

Et même dans ce noble pays d'Angleterre, rappelez-vous ce qui s'est passé naguère ; rappelez-vous comment le baron de Rothschild est entré, après 4 ans et je ne sais combien de tentatives, à la chambre des communes ? par un subterfuge peu digne d'un grand peuple.

- Une voix. - Par la petite porte.

M. Nothomb. - C'est cela, par la petite porte.

Je ne veux pas insister sur ce qu'était la position des catholiques anglais avant le bill de 1831.

Eh bien, messieurs ; que dites-vous maintenant ? Il me semble que vous ne riez plus autant.

Je regrette vraiment de m'être laissé entraîner à cette digression ; mais pour des choses historiquement aussi vraies, je ne m'attendais pas à ces fatigantes interruptions, ni à ces rires peu convenables, ni surtout aux singulières erreurs dans lesquelles mes honorables interrupteurs ont versé.

Maintenant je désire rencontrer quelques-uns des arguments produits dans la séance d'avant-hier, par d'honorables collègues et entre autres par MM. De Fré et Hymans.

L'honorable M. De Fré nous adresse ce virulent reproche : « Vous outragez l'humanité ; vous imprimez une flétrissure au défunt ; vous violez les tombeaux. »

Autant d'erreurs que de mots ; autant d'inconséquences que d’expressions.

Comment ! messieurs, ce serait la faute des catholiques que cette flétrissure à la mémoire du défunt ; c'est nous qui attenterions à la liberté de conscience du défunt ! Mais vous avez donc oublié les faits ? Est-ce nous qui forçons un homme qui pendant toute sa vie a repoussé un culte, d'entrer, après sa mort, dans un cimetière consacré à ce culte ?

Si c'est une flétrissure d'être enterré dans la partie non bénite du cimetière, cela revient à dire que vous blâmez indirectement la conduite de celui qui pendant son existence a répudié un culte. Comment ce qu'il (page 1895) n'a pas considéré comme une flétrissure pendant sa vie, deviendrait-il une honte pour lui après sa mort ? C'est vous qui faites ici le procès au défunt. Eh quoi ! vous prétendez qu'être inhumé en dehors du terrain consacré, est une flétrissure ; c'est avouer implicitement que le défunt a mal agi. C'est vous qui le condamnez.

M. De Fré.- Il ne s'agit pas de cela, mais de l'inhumation que vous avez ordonnée en 1855 ; voilà la flétrissure.

M. le président. - N'interrompez pas.

M. De Fré. - J'y suis forcé par les erreurs qu'on me prête.

M. Nothomb. - Vos interruptions allongent le débat, mais ne m'empêcheront pas de dire tout ce que je pense. Je regretterais surtout qu'elles me fissent sortir du calme dont je me suis fait une loi.

M. De Fré. - Soyez exact, au moins.

M. Nothomb. - L'honorable M. De Fré vient de dire que ses paroles s'appliquaient à l'incident de St-Pierre-Cappelle. Mais non ; il a dit, d'une manière générale, que la flétrissure consistait dans le fait d'enterrer quelqu'un dans la partie non bénite du cimetière.

M. De Fré. - Je n'ai pas dit cela.

M. Nothomb. - Vos paroles sont là et je les ai recueillies pendant que vous parliez ; je fais appel au souvenir de la Chambre.

Maintenant vous revenez à l'affaire de St-Pierre Cappelle de 1855. ne croyez pas qu'elle me gêne. J'ai soutenu alors exactement les mêmes principes qu'aujourd'hui ; ils sont consignés tout au large aux Annales parlementaires.

La discussion a été très vive à cette époque ; j'avais pour contradicteur un homme qui exerçait avec une grande ardeur le rôle de chef de l'opposition. Nous avons poussé la controverse jusqu'au bout.

Il s'est présenté une question théorique au point de vue de l'exhumation ; j'ai dit que c'était la sanction inévitable en droit strict. J'ai rencontré des obstacles ; je les ai respectés. Qu'ai-je fait, en agissant ainsi ? J'ai comme gouvernement tenu compte des circonstances ; c'est de la prudence élémentaire ; je n'ai pas voulu briser cette résistance ; j'ai préféré, je le déclare sans hésiter, j'ai préféré paraître inconséquent, mais rester tolérant.

Je ne regrette rien dans ma conduite d'alors.

L'honorable M. De Fré a fait valoir une autre considération en nous disant que les cimetières appartiennent aux habitants, aux paroissiens, que chacun y a sa part, que le prêtre ne peut, en excommuniant l'un d'eux, le priver de cette part ; et l'honorable député de Bruxelles s'écrie alors que son argument est irrésistible et qu'il défie tous les jurisconsultes du monde d'y répondre. Ce sont les expressions dont l'honorable membre s'est servi.

Eh bien, dussé-je troubler cette assurance, je ne trouve pas l'argument si formidable et je me permets d'y opposer ceci :

En supposant que chaque paroissien ait une part dans le cimetière, celui qui pendant toute sa vie s'est séparé du culte, s'est donc séparé de la paroisse et dès lors a renoncé par cela même à cette part de propriété. En d'autres termes, si une part est attribuée aux croyants, celui qui cesse d'être croyant doit perdre les avantages attachés à cette qualité.

L'honorable M. De Fré a invoqué l'opinion de Ségur et de Tortalis, et nous a lu quelques passages de leurs travaux sur le décret de l'an XII.

Cependant l'honorable membre n'ayant pas lu tout le passage de Portalis, permettez-moi de le compléter ; vous verrez que la signification en change quelque peu. Toutefois je n'y attache pas grande importance, je l'ai dit déjà, parce que ces documents se rattachent à un ordre de choses politiques qui s'est entièrement modifié chez nous ; en ce temps-là l'Eglise était subordonnée à l'Etat, à ce point que l'autorité civile pouvait ordonner à un prêtre d'accorder son ministère pour l'inhumation du corps.

L'honorable membre nous a lu ceci :

« Le convoi et l'inhumation sont des actes civils qui appartiennent à la police et que la police peut ordonner par des considérations déduites du devoir de veiller à la santé publique.

« Les obsèques religieuses consistent dans la présentation du corps à l'église, dans les prières pour les morts et l'accompagnement des prêtres qui suivent le convoi et assistent à l'inhumation. La sépulture, en ne comprenant sous ce rapport que le convoi et l'inhumation, ne peut être refusée à personne... »

Tout cela est vrai, et nous n'en contestons pas une virgule ; l'inhumation, pure et simple, est un acte de police et la sépulture ne peut être refusée à personne. Avons-nous jamais dit le contraire ?

Mais voici maintenant la fin de ce passage de Portalis : « Il en est autrement des obsèques religieuses, on ne peut, sans doute, refuser injustement ces obsèques ; mais l'Eglise a des règles d'après lesquelles les obsèques religieuses ne sont point accordées aux personnes mortes sans baptême ou à celles qui par la notoriété de droit seront reconnues appartenir à un culte différent. Il serait impossible de violenter, sur ces objets, la conscience des prêtres. »

Or, nous soutenons qu'aux yeux des fidèles d'un culte quelconque, l'inhumation d'un dissident dans leur cimetière constitue précisément la violence que Portalis repousse si énergiquement. Violenter la conscience du ministre du culte, qu'il soit catholique, protestant, israélite, devant la Constitution c'est la même chose, et violenter cette conscience, c'est porter atteinte à la liberté, à l'indépendance du culte dont ce ministre est le représentant.

L'opinion de Portalis, de ce grand esprit, si catholique et si tolérant à la fois, qui a lutté toute sa vie pour la liberté des cultes et des consciences, loin de vous servir, vous condamne au contraire.

D'ailleurs, voyez la pratique et les traditions du gouvernement français ; je ne veux pas choisir mes exemples ni sous le premier empire, ni sous le second. Non. Mais je m'adresse au régime libéral et constitutionnel de la restauration et de 1830. Eh bien, partout vous trouverez la confirmation de notre opinion.

Un honorable préopinant vous a déjà fait connaître l'avis du conseil d'Etat de 1831 et une circulaire du ministre de l’intérieur de 1847, l'un et l'autre document favorables à notre système. Il y a plus, messieurs ; en France on a été bien plus loin au-delà même de ce nous voulons : en 1837, le ministre de la justice, a ordonné l'exhumation d'un protestant inhumé, malgré le clergé, dans un cimetière catholique. Le gouvernement a vu dans le fait une violation de la Charte et l'exhumation a été opérée.

N'avons-nous pas, messieurs, cent fois raison d'invoquer en notre faveur la pratique du gouvernement français, du régime français de la charte, libéral, modéré et sous lequel, en 1837, l'autorité laïque n'était certes pas à la merci du pouvoir spirituel ?

J'ai maintenant à répondre quelques mots à l'honorable M. Hymans qui nous a opposé l'autorité d'un jurisconsulte, justement considéré, et que moi-même, j'ai invoquée ici dans une autre circonstance : celle de M. Gaudry, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, à Paris, auteur d'un traité spécial sur la législation des cultes.

Voici ce passage : « Si, dans une paroisse catholique, le cimetière est en général la sépulture des individus morts dans le culte catholique, i[ est aussi la sépulture de toute personne décédée, quel que soit son culte ; ce n'est donc ni un lieu spécialement affecté au culte, ni un immeuble utile ; c'est une sépulture des citoyens. »

Je réponds à l'honorable M. Hymans par ce que je viens de dire à l'honorable M. De Fré. Ce passage ne prouve rien. Tout ce qu'il contient est exact. Nous l'admettons parfaitement et nous nous le pratiquons : mes honorables amis n'ont pas fait autre chose, en 1845, quand ils ont fait réintégrer dans le cimetière un individu qu'on avait abusivement enterré en dehors.

Mais, veuillez-le remarquer, l'auteur s'occupe dans ce passage de tout autre chose : il traite de la propriété des cimetières ; question qui n'est pas en France la même que chez nous ; là les cimetières appartiennent généralement aux communes. Chez nous c'est l'inverse. M. Gaudry dit simplement que le cimetière doit servir de lieu d'inhumation à tous ceux qui meurent dans la commune. Nous ne cessons pas de tenir le même langage ; et la citation que vous faites n'a pas d'autre portée.

Mais voulez-vous savoir le sentiment de l'auteur sur le point qui présente le plus d'analogie avec la difficulté actuelle ? Quelques passages de son livre vous l'apprendront. Permettez-moi de lire.

L'auteur discute le cas où l'on aurait présenté, malgré le clergé, un cadavre dans l'église. Un fait de ce genre s'était passé quelque part en France. Vous voyez, messieurs, que je ne soulève pas des hypothèses absolument impossibles.

Si cette prétention inouïe de présenter à l’église, nonobstant le refus du clergé, le corps d'un défunt, a surgi dans la cervelle d'un maire français, est-il donc impossible qu'elle soit imitée par un bourgmestre belge ? Il y a donc, dans le passage que je vais lire, un côté pratique et d'une application éventuelle dans l'avenir .

« Lorsqu'un individu a protesté de son opposition à une religion, et s'en est séparé autant qu'il était en lui, pourquoi vouloir imposer à son cadavre des prières que, vivant, il aurait répudiées »

- Plusieurs membres. - Les prières !

M. Nothomb. - Pour les croyants, c'est la même chose. (Interruption.) L'inhumation, dans le terrain béni, est un acte religieux, au même titre que la prière ; cet acte tient au culte, à l'essence du culte, n'importe lequel ; cela se sent, cela est évident. Vous ne voulez pas le voir, je le sais bien ; je renonce à vous convaincre. Je continue ma lecture :

« Pourquoi forcer le prêtre à recevoir mort celui que la religion avait (page 1896) condamné pendant sa vie ? Le refus des prières ecclésiastiques n'empêche pas la pompe des obsèques. Le prêtre est donc le seul juge des cas où les prières de l'Eglise doivent être accordées ou refusées. »

- Plusieurs membres. - On est d'accord.

M. Nothomb. - Non, Car le cimetière c'est la terre avec la prière permanente. Vous ne pouvez participer à ces prières sans le clergé, et vous les dérobez en quelque sorte quand vous enterrez dans un lieu béni sacré par l'église.

L'auteur continue :

« Cependant l'article donne lieu à des difficultés : il n'est pas douteux que l'autorité civile puisse faire le transport, le dépôt et l'inhumation avec la pompe qu'elle jugera convenable : tout cela est en dehors des cérémonies religieuses.

« Mais que signifie ce mot : présenter ? Signifie-t-il que l'autorité civile fera ouvrir les portes de l'église, qu'elle y déposera le corps et qu'elle célébrera à sa manière une sorte d'office religieux ? »

« Dans le cas où le curé, ou tout autre prêtre délégué, refuserait les prières, un maire aurait-il donc le droit de déposer le corps dans l'église ?

« D’abord, quel serait le but ? Si le prêtre refuse le concours de ses prières, des laïques pourraient donc y suppléer dans une cérémonie publique ! Ce serait une odieuse profanation ; car les prêtres sont les ministres nécessaires de tout culte religieux. Un laïque ne pourrait s'arroger des fonctions ecclésiastiques, sans une usurpation sacrilège de pouvoirs.

« Toute cérémonie religieuse est impossible.

« La famille, les amis auront du moins la consolation de prier dans l'église sur le corps de leur parent, de leur ami ! Voilà déjà la cérémonie funèbre réduite à un concours muet. Mais un concours de citoyens dans l'église est un acte religieux, et tout acte religieux dans l'église s'accomplit sous la surveillance des ministres du culte. S'il en était autrement, qui empêcherait la profanation des choses saintes confiées à leur vigilance ? Qu'arrivera-t-il si l'on transporte à l'église un individu non chrétien ? S'il est accompagné de non chrétiens ? Si on le fait pénétrer jusque dans le sanctuaire ? Si l'on s'empare des vases sacrés, des vêtements ecclésiastiques ? Si au lieu de prier tout bas, on prie à haute voix ? Si ces prétendues prières sont des blasphèmes ou des imprécations ? C'est le maire qui deviendra le juge de la convenance ou de l'inconvenance de ces actes ! »

Eh bien, je le demande, peut-on soutenir que l'inhumation dans un cimetière consacré dans un terrain béni n'est pas un acte de religion ?

Messieurs, le système que nous combattons se présente sous trois faces différentes ; le côté légal, constitutionnel et politique. Permettez-moi de l'apprécier franchement à ce triple point de vue.

Pour le côté purement légal, le décret de l'an XII suffit à lui seul à résoudre la question. Le texte en est clair et précis. Que veut l'article 15 ? Il prescrit que pour chaque culte il y aura un cimetière. S'il y a plusieurs cultes, à chaque culte, un cimetière particulier, et s'il n'y a qu'un cimetière, un partage entre les différents cultes. Ainsi, autant de cultes, autant de lieux d'inhumations particuliers, avec entrée particulière. Le décret ajoute même que le terrain doit être calculé en proportion du nombre de croyants de chaque culte.

Donc, messieurs, ce qui domine, c'est le droit pour chaque culte à un lieu d'inhumation particulier. Le législateur a eu soin d'exprimer sa volonté sous différentes formes, presque d'une manière minutieuse, car vous retrouvez dans les quelques lignes qui composent l'article 15, les mots « particulier » et « entrée particulière ». C'était déjà la pensée de l'ordonnance de Joseph II de 1784, qui ordonnait, article 21, de réserver, dans les cimetières appartenant aux catholiques, un terrain pour les protestants.

Le législateur s'attache, avec obstination en quelque sorte, à bien déterminer qu'il faut à chaque culte un lieu d'inhumation particulier. Quoi de plus clair ? Et que voulez-vous au contraire ? Faire de ce lieu d'inhumation particulier, un lieu d'inhumation commun. C'est dénaturer complètement la pensée, le but et l'expression du législateur de l'an XII. Tout ce que celui-ci règle d'une manière exclusive, on essaye de le généraliser. Où le législateur a introduit la spécialité, vous substituez la promiscuité. Cela me paraît évident et j'ose croire qu'il y a peu d'esprits juridiques qui se refuseront à partager mon opinion. Car si tel n'est pas le but du décret de l'an XII, je demande à quoi il peut servir ? Il ne signifierait absolument rien.

Le législateur aurait fait une chose absurde, si commençant par proclamer la séparation et la particularité des lieux d'inhumation, il permettait qu'on en fît des lieux communs, des cimetières omnibus.

Quant au côté constitutionnel, tout a été dit à cet égard. Ou l'article 14 de la Constitution n'est plus qu'un mot, ou il faut garantir la liberté des cultes en maintenant aux fidèles de chaque communion le droit de l'exercer par l'inhumation de leurs morts ; c'est la conséquence d'ailleurs inévitable de la séparation des deux autorités.

L'article 14 de la Constitution disparaîtrait en fait, si un cimetière affecté à une communauté déterminée, pouvait, malgré celle-ci, servir à une communauté d'un autre culte.

Comment, dans votre système, maintiendriez-vous la liberté des cultes qu'assure l'article 14 de la Constitution, par exemple, aux israélites, dont les cérémonies religieuses pour les inhumations sont si différentes des nôtres ?

Vous pourriez donc introduire dans le cimetière israélite le corps d'un chrétien, d'un non-croyant, ou vous permettre tout autre acte de police ? Mais dès lors la liberté de l'israélite disparaît. Et ainsi des protestants, ainsi des catholiques.

On l'a fait remarquer avec raison, et c'est je crois, l'honorable M. Julliot, en procédant comme à Uccle, on commet une violation de la liberté des cultes, non seulement vis-à-vis de la communauté catholique, mais encore vis-à-vis du défunt.

Comment ! voilà un homme qui, pendant toute sa vie, s'est déclaré libre penseur, qui a protesté constamment, ostensiblement, dans la plénitude de sa force, de son intelligence comme à son heure dernière, qu'il repousse tout culte positif. Cet homme meurt, et sa volonté, qui devrait être sacrée au nom de la liberté de conscience, que devient-elle ? Vous-mêmes, par votre acte, vous méconnaissez cette volonté, vous l'inhumez parmi les fidèles et dans un terrain dont il a expressément refusé le contact. Si ce n'est pas là une violation de la liberté de conscience, je ne sais plus comment en imaginer une.

Elle n'est pas moindre, cette violation vis-à-vis de la communauté religieuse, dont on n'a pas respecté le lieu d'inhumation particulier, comme dit le décret de l'an XII.

En d'autres termes, vous vous immiscez, vous, autorité laïque, dans les choses du domaine spirituel.

Or, toute immixtion de ce genre vous est interdite et c'est pour l'interdire que l'article 14 de la Constitution a été fait. Sinon il ne signifie rien.

Les conséquences de ce système, messieurs, apparaissent d'elles-mêmes. Il conduirait fatalement, plus ou moins rapidement, d'empiétement en empiétement, d'entreprise en entreprise, à l'absorption de la liberté religieuse consacré par la Constitution.

On a déjà beaucoup parlé dans cette discussion des droits et des devoirs de l'autorité laïque en cette matière. Ils sont très simples, ils sont connus, ils sont définis partout. Ils n'ont surtout pas l'importance que M. le ministre de l'intérieur y attache.

Quel est le rôle de l'autorité laïque ? C'est de veiller, d'agir au besoin pour que chaque culte ait un lieu d'inhumation particulier, et d'empêcher que l'on ne puisse, soit directement, soit indirectement, nuire à la liberté de ce culte. Elle doit aussi se préoccuper d'un terrain réservé convenable pour les dissidents.

Ces obligations pour l'autorité civile dérivent nécessairement du principe de la liberté des cultes. Car cette liberté doit avoir une sanction. Il ne suffit pas de dire aux citoyens d'un pays : Vous avez la liberté des cultes et de conscience, il faut encore leur accorder, et leur assurer surtout, les moyens de la pratiquer. Ces moyens je les ai déjà indiqués. C'est entre autres la libre disposition du cimetière. Où cela n'est plus, la liberté a cessé.

D'ailleurs, de ces devoirs de l'autorité laïque, la communauté religieuse n'a pas à s'occuper.

Ni catholiques, ni israélites, ni protestants, n'ont à établir le terrain réservé aux dissidents, il suffit qu'ils le laissent délimiter dans leur cimetière. C'est l'affaire de l'autorité communale, et si celle-ci a été négligente, n'en rendez pas le culte responsable.

Est-il donc si difficile d'avoir, dans chaque cimetière, un terrain réservé ou un endroit pour les cultes différents de celui de la majorité ?

M. le ministre de l'intérieur le croit. Je crois tout le contraire ; il suffit d'un peu de bonne volonté et... d'un arpenteur pendant une heure.

Je ne suis pas seul à croire à cette facilité. Je lisais hier qu'un honorable membre du Conseil provincial du Brabant a fait la proposition que voici :

« 1° Il est urgent, en suivant la voie d'interprétation, ou, au besoin, par voie d'autorité, d'introduire invariablement dans la pratique les principes de l'article 15 du décret du 23 prairial an XII, en ce sens que chaque culte aurait son lieu de sépulture distinct ;

« 2° D'indiquer des règles fixes pour l'inhumation, par l'autorité communale, des morts qui ne seraient réclamés par les ministres d'aucun culte, ni par les membres d'aucune communion ni association, ou que la (page 1897) famille du défunt demanderait à faire inhumer par les soins de la commune ;

« 3° Il devrait y avoir également pour ces inhumations un lieu séparé, indépendamment de celui où l'on aurait habitude d'enterrer les personnes mortes d'une manière à laquelle l'opinion publique attache une espèce de réprobation. »

Cette proposition, qui est d'un bon citoyen, qui s'inspire d'un sentiment libéral et tolérant, me paraît parfaitement acceptable et d'une réalisation peu difficile. Elle satisferait, je pense, tous les intérêts, et je la recommande à M. le ministre.

Laissez-moi maintenant, messieurs, pour terminer, vous dire quelques mots du côté qui me paraît le plus grave dans la question, de son côté politique.

Souffrez que je vous en exprime toute ma pensée, franchement, loyalement ; le débat a pris des proportions telles, malgré nous, que c'est devenu pour nous un devoir de nous expliquer sans réticence.

Je n'entends d'ailleurs blesser personne et je crois aux intentions loyales. Mais j'ai le droit de caractériser selon ma conscience un système qui, je l'espère, ne sera pas celui de la majorité de cette assemblée.

Je me le demande depuis deux jours : Où voulez-vous en venir ? Ce conflit est regrettable et malheureux ; il l'est pour les deux opinions qui divisent le pays pour tout le monde ; pourquoi le faire naître ? Pourquoi le perpétuer ?

Qu'espérez-vous y gagner ? Ne voyez-vous pas que vous entrez dans la voie de la persécution religieuse ? (Interruption.) Qu'est-ce donc alors ?

Je n'ai pas d'autre mot ; Aimez-vous mieux que je dise que c'est une tracasserie antireligieuse, une mesquine vexation ? Eh bien, messieurs, je crois plus vous respecter, je crois être plus dans le rôle parlementaire, en appelant cela de la persécution religieuse. Je donne au système son nom élevé et véritable.

Et comment se révèle ce système ? Il se produit sans grandeur, sans franchise, sournoisement en quelque sorte ; il se développe par de petits moyens : Si la loi de l'an XII est mauvaise, changez-la ; mais changez-la par une loi nouvelle, ouvertement, au grand jour en appelant la discussion. Il y aura à cela une certaine dignité.

Votre système, je le devine et le dévoile d'un seul mot : C'est la sécularisation à outrance, c'est la domination de l'autorité laïque sur les choses qui touchent à la religion, c'est l'immixtion par l'application abusive de textes de lois, pour tout dire c'est la tyrannie sous le manteau de la légalité ; le plus étroit, comme le plus insupportable des régimes ?

Ne permettez pas, vous gouvernement, que des autorités inférieures appliquent des lois en les falsifiant dans leur esprit ; ce serait autoriser les plus fâcheux abus.

Considérez, messieurs, ce qui se fait depuis quelques années ; partout le système que je dépeins se produit par l'emploi de moyens, petits ou indirects. C'est ainsi qu'il a usurpé contre nous la liberté de la bienfaisance ; alors aussi l'on a commencé par des circulaires, puis sont venus les arrêtés royaux, et finalement quand le pouvoir judiciaire nous eut donné raison, après qu'il vous eut formellement condamnés, vous avez eu recours, par un vrai stratagème légal, à une loi prétendument interprétative. Votre procédé a manqué de grandeur, de franchise et de dignité.

Puis est venue la question de la liberté de la chaire ; elle a succombé sous votre dernier vote du Code pénal : encore incidemment et indirectement.

Aujourd'hui, c'est des cimetières qu'il s'agit. On avait annoncé bruyamment un projet de loi sur la matière. Le projet n'est pas venu, mais les moyens habituels n'ont pas manqué ; des actes sont posés par les autorités inférieures, le gouvernement laisse d'abord faire, puis il approuve, et je m'attends à voir paraître, sous peu, une circulaire de M. le ministre de l'intérieur, donnant son adhésion à tout ce qui s'est fait et lui imprimant un caractère général, comme règle d'administration pour l'avenir.

Le tour sera fait ; la question des cimetières sera tranchée. Vous n'aurez plus besoin de loi.

Et voyez, messieurs, cette tendance se fait jour partout. Il y a peu de temps, j'ai remarqué dans le Moniteur, au commencement de mars dernier, un tout petit extrait d'un arrêté royal, mais bien gros de signification. Il autorise la ville de Bruxelles à exproprier un terrain appartenant à la fabrique de Sainte-Gudule, pour agrandir le cimetière.

C'est encore trancher par voie d'autorité une question vivement débattue et que vous connaissez, la compétence des fabriques d'église à agrandir les cimetières qui leur appartiennent.

Dans le cas que je signale, la fabrique était prête à agrandir, elle avait acheté le terrain nécessaire ; ce terrain, la commune est autorisée à le prendre ; la question est résolue et la fabrique ne sera probablement pas même reçue à débattre son droit devant les tribunaux. (Interruption.)

Je doute qu'on permette pas à la fabrique de faire décider par le pouvoir judiciaire si, oui ou non, elle est apte à agrandir son cimetière. Enfin le système s'est récemment révélé pour les biens d'église que pour la première fois l'honorable M. Orts a qualifiés de biens laïques.

M. Orts. - Cela est vieux de 1789.

M. Nothomb. - Ainsi, partout, en toute chose, sous toute forme, tantôt audacieux, tantôt timide, aujourd'hui publiquement, demain clandestinement, je retrouve votre système d'empiétement administratif. Et devant une pareille situation, comment voulez-vous que les catholiques et bientôt tous ceux qui professent un culte positif ne soient pas alarmés ? Comment voulez-vous que du fond de leur conscience inquiétée ne sorte pas ce cri douloureux : Vivants, nous sommes opprimés ; morts, profanés !

Le champ du suprême asile envahi, ce sommeil de la mort troublé, ces inquiétudes des familles, ces dangers pour la paix publique, comment tout cela, messieurs, ne vous frapperait-il pas ? Comment ne seriez-vous pas effrayés de la route où l'on vous convie ? Comment pourriez-vous méconnaître que l'on touche aux instincts les plus élevés, à la libre la plus intime du cœur humain, celle dont le plus grand poète contemporain, qui montra aussi plus d'une des qualités de l'homme d'Etat a dit :

« Tant peut sur les humains la mémoire chérie.

« C'est la cendre des morts que créa la patrie ! »

Touchante pensée à laquelle M. de Lamartine a donné une forme splendide !

Tel est ce système délétère ; c'est de lui qu'on peut dire avec raison : Partout où il passe il laisse une servitude et son souffle est mortel à toute liberté.

L'honorable M. De Fré s'écriait avant-hier : Ah ! si un étranger venait en Belgique et qu'il assistât à cette profanation des tombeaux, il mettrait notre pays au ban de l'Europe. C'est vrai, messieurs, hélas ! c'est trop vrai ! mais autrement et bien plus que vous ne le pensez.

Je m'empare de votre image et je la continue ; oui, cet étranger voudra lire notre Constitution ; il la trouvera admirable, superbe, proclamant toutes les libertés imaginables ; mais s'il va au fond des choses, s'il y trouve le système que je combats, si ce système a prévalu, la déception de l'étranger sera profonde ; il verra que ce régime cache un monstrueux mensonge, une hypocrisie politique sans précédent.

Il se tromperait, cependant il y a un précédent ; mais pour le trouver, il faut remonter à Rome, à la Rome des Césars. Eux aussi avaient maintenu le nom de toutes les libertés publiques ; il y avait encore des tribuns, des consuls, des censeurs, des comices, un forum !

Oh ! César Auguste avait été un habile homme, il avait soigneusement conservé toutes les fonctions républicaines... de nom, il y avait toujours des consuls, des tribuns, des censeurs ; il se fâchait quand un sénat trop complaisant lui proposait d'abolir ces vieilleries inutiles ; non, il conservait tout, mais il se faisait nommer et ses successeurs après lui, consul, tribun, grand-prêtre à la fois ; le grand historien a dépeint cette situation ; vous connaissez ces pages qui seront la flétrissure éternelle de toutes les tyrannies hypocrites.

On vit alors le masque de la liberté, et la réalité dans l'oppression.

Ainsi sera-ce dans votre système.

Seulement chez nous, César ce sera l'Etat.

Nous aurons toujours une constitution magnifique ; ce sera la théorie ; et de l'autre côté un gouvernement jaloux de toutes les libertés publiques et les ayant absorbées toutes : ce sera la pratique.

Est-ce donc là, messieurs, votre idéal ? Eh bien, s'il devait être atteint, si cet esprit de vertige devait aller jusque-là, prenez-y garde !

Ce qu'on aime dans la patrie, ce n'est pas uniquement le ciel qui nous couvre, le soleil qui nous éclaire, le sol que nous foulons. Non. C'est autre chose. Ce qu'on y aime par-dessus tout, c'est le développement des intérêts moraux, la sphère ouverte aux aspirations légitimes de l'âme, le respect de tous les droits en un mot ; ou y aime se sentir un homme libre dans un pays libre. Où cela n'est plus, et votre système y mène fatalement, l'esprit patriotique s'attiédit, s'étiole, décline peu à peu et meurt. Ne l'oubliez pas : l'esclave n'a pas de patrie.

(page 1873) M. Pirmez. - Messieurs, je n'ai à présenter à la Chambre que de bien courtes observations.

On vient de le faire remarquer, le débat s'est beaucoup agrandi.

Un fait spécial était d'abord seul en discussion ; il a servi d'occasion à des appréciations générales relativement à toute notre législation sur les cimetières.

Le conflit d'Uccle est, à mon sens, né d'une position essentiellement fausse.

Il n'y a, dans cette commune, qu'un cimetière, exclusivement catholique.

Il est divisé, il est vrai, en deux parties, mais cette division n'empêche pas qu'il ne soit affecté à un seul culte ; elle se pratique en vertu des lois de ce culte : une des parties renferme la dépouille mortelle des personnes qui meurent avec les secours de l'Eglise catholique, l'autre est destinée aux corps de ceux que frappe la peine canonique de l'inhumation en dehors de la terre bénite.

Or, on avait à inhumer à Uccle un homme qui n'était plus catholique, qui avait renoncé de telle sorte à cette religion qu'on ne cite aucun lien qui l'y rattachait.

Il fallait nécessairement que M. le colonel de Moor fût inhumé, et par conséquent que lui, non catholique, prît place dans le cimetière catholique.

L'autorité communale devait choisir entre les deux parties de ce cimetière pour l'inhumation du colonel de Moor ; elle n'avait pas d'autre choix, et quel qu'il fût, il entraînait des inconvénients sérieux.

Si elle le faisait inhumer dans la partie non bénite du cimetière, elle imprimait une espèce de flétrissure à la mémoire du défunt puisqu'elle le mettait à côté des catholiques que leur religion frappe d'une peine infamante ; si au contraire on optait pour l'inhumation dans la partie bénite, on froissait le sentiment religieux de ceux qui pratiquent le culte auquel est affecté le cimetière.

Donc, des deux côtés, il y avait nécessairement un inconvénient sérieux, découlant directement de l'état de choses existant dans cette commune.

Le bourgmestre a choisi la place du cimetière où sont inhumés le plus grand nombre d'individus, celle qui, à part quelques cas très rares, sert chaque fois qu'un décès arrive dans la commune.

Déclarerons-nous sa conduite illégale ? La chose n'est pas possible, car la loi l'obligeait à faire faire l'inhumation, et elle lui donnait l'autorité sur le cimetière où elle devait avoir lieu.

Dirons-nous qu'il a mal usé de cette autorité, parce que sa décision entraînait un résultat regrettable ? Mais il faudrait pour cela que la décision contraire à celle qu'il a prise fût exempte d'inconvénients sérieux, ce qui n'est pas.

Je ne crois donc pas que la Chambre puisse, dans de pareilles circonstances, infliger un blâme.

L'appréciation générale de notre législation sur les cimetières a certainement une importance beaucoup plus grande que la discussion d'un fait particulier ; de cette appréciation, doit naître la solution de questions qui ne se présenteront jamais sans soulever quelque irritation.

Je ne veux pas m'arrêter à une discussion juridique de cette législation, rappeler les interprétations qui ont été données à la loi par telle autorité ou tel jurisconsulte, je veux seulement constater à cet égard un grand fait que personne ne peut méconnaître. Ce fait est que depuis plus d'un demi-siècle, les cimetières sont divisés par cultes et que chaque culte est à peu près le maître de la partie du cimetière qui lui est attribuée.

Je sais très bien que dans certaines localités on s'est écarté de la règle et que parfois ces distinctions n'ont pas été observées.

Mais ces exceptions n'ont qu'une importance très minime auprès de ce grand fait qui les domine complètement.

Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, à Bruxelles, le cimetière est encore divisé aujourd'hui d'après les différentes croyances, et on a arrangé les choses de manière à assurer une place parfaitement convenable à chaque individu qui meurt ; il me paraît impossible de penser que ce qui se fait dans la capitale aux yeux de tous et sans réclamation de personne, sont en contradiction, soit avec la Constitution, soit avec la loi.

Je ne veux pas discuter si le système est bon ou non, mais n'est-il pas certain qu'on ne peut le changer autrement que par une nouvelle loi ?

Dans beaucoup de localités les choses ne sont pas arrangées de manière que l'application du système soit exempte d'inconvénients.

Ainsi, dans beaucoup de communes, la place réservée à ceux qui ne meurent pas avec les secours de l'Eglise, n'est pas convenable ; c'est là un grand abus ; car si on réclame la liberté des cultes pour ceux qui croient, il faut qu'il y ait une liberté égale pour ceux qui ne croient pas ; il faut que jamais un individu ne soit, à cause de ses opinions religieuses ou philosophiques, inhumé dans des conditions telles, que l’inhumation soit une flétrissure pour lui et pour sa famille.

Je comprends parfaitement que, dans l'état actuel de notre législation, lorsqu'il n'y a pas dans le cimetière une place convenable pour l'inhumation d'un individu qui meurt en dehors de l'Eglise, on le fasse par nécessité inhumer dans la partie bénite du cimetière.

Mais cette infraction au principe général que l'on a appliqué jusqu'ici doit être rigoureusement restreinte à ce qu'exige le respect dû au défunt. Lorsqu'une place convenable existe dans le cimetière pour les individus morts en dehors du sein de l'Eglise, le bourgmestre userait mal de son autorité s'il faisait l'inhumation dans la partie réservée aux catholiques, plutôt que dans l'autre partie où il serait aussi honorablement enterré.

Que faut-il faire aujourd'hui pour éviter des conflits toujours regrettables ?

La mesure la plus immédiate doit être de surveiller les communes, d'exiger que toutes, sans aucune exception, aient un emplacement décent pour y enterrer ceux qui ne font pas partie de l'Eglise.

Lorsque cet emplacement n'existera pas dans le cimetière d'une commune, s'il s'élève un conflit, la responsabilité doit en retomber sur ceux qui d'avance n'auront pas préparé le cimetière de manière à éviter les difficultés.

La loi de prairial an XII est une loi, tout le monde le reconnaît, qui a été faite en dehors des idées constitutionnelles qui nous régissent aujourd'hui.

II n'est donc pas étonnant que cette loi qui se trouve transplantée sur un sol nouveau, sous un régime que ses auteurs ne prévoyaient pas, laisse à désirer dans l'application. Mais si elle doit être changée, il ne faut pas que ce soit par des décisions isolées, mais par une loi qui y substitue un système en harmonie avec nos libérales institutions.

.Je n'ai pas à émettre une opinion sur la loi qui doit être adoptée ; je dirai cependant que nous devons être d'accord sur deux points : assurer, dans les cimetière ?, une place convenable et donner à tout citoyen, (page 1874) quelle que soit son opinion, les moyens de se faire inhumer dans les conditions qui lui paraissent les plus convenables.

La réunion de ces deux conditions est certainement la réalisation du système de liberté le plus complet.

Je tenais, messieurs, à émettre cette opinion pour donner sa véritable signification au vote que je me propose d'émettre.

Je n’avais pas d'autre but en demandant quelques instants d'attention.

.M. Dechamps. - Messieurs, comme M. le ministre de l'intérieur et tous les orateurs qui m'ont précédé, je désire aussi que le calme qui a jusqu'ici régné dans le débat, continue à y présider.

Pour moi, messieurs, je me suis bien promis de ne pas faire intervenir de noms propres dans cette discussion.

Je viens défendre des principes constitutionnels ; je ne viens pas attaquer des personnes, et je veux respecter des intentions que je dois supposer sincères.

Messieurs, deux systèmes sont en présence.

Nous croyons, nous, que pour que la volonté des mourants soit religieusement exécutée, que la liberté de consciente soit maintenue, que la liberté des cultes soit respectée, que la tolérance large et vraie soit pratiquée, nous croyons qu'il faut la séparation des cimetières par culte. Nous croyons que chacun doit pouvoir reposer, dans la mort, à l'ombre du drapeau religieux ou philosophique sous lequel il a vécu et combattu, au nom de ses convictions.

Nous voulons des cimetières catholiques, des cimetières israélites, des cimetières protestants, des cimetières pour les cultes professés.

Nous voulons, pour ceux qui meurent en dehors des communions religieuses, un emplacement convenable, décent, respecté, non pas un lieu infamant et frappé de flétrissure, comme on l'a dit, mais un lieu en rapport avec l'honneur des familles et avec la dignité de la tombe.

Je suis complètement d'accord avec l'honorable M. Pirmez à cet égard. Il faut la liberté des cultes pour les croyants, mais il la faut aussi pour ceux qui ne croient pas.

Dès 1843, comme on l'a déjà fait remarquer, le ministre de l'intérieur, M. Nothomb, a rappelé ce devoir impérieux aux administrations municipales.

S'il y a des abus, et je dois croire qu'ils sont bien rares puisque M. le ministre de l'intérieur, en fouillant dans les archives administratives, n'a pu en trouver que deux, s'il y a des abus, ils doivent être sévèrement réprimés.

Ce sont les administrations municipales qui sont ici exclusivement responsables, et ce qu'il y a faire - c'est un conseil que je donne au ministère - c'est de les avertir pour que la loi et les règlements soient religieusement exécutés pour tous.

Mais parce que je veux cela, je ne veux pas détruire le principe de la loi, de toute la législation qui veut la séparation des cimetières par culte, par croyance, par foi religieuse et par foi philosophique, si ce mot pouvait être employé.

Voilà, messieurs, notre doctrine ; voici la vôtre.

Vous voulez, au moins ce système a été défendu par plusieurs, et même, à mon extrême surprise, par M. le ministre de l'intérieur, vous voulez un cimetière commun pour tous les cultes, sans distinction de croyance, sans distinction d'opinion, par conséquent sans destination religieuse, sans caractère religieux ; vous voulez des cimetières sécularisés. (Interruption.)

Voilà les deux systèmes en présence.

Voyons, messieurs, lequel de ces deux systèmes est en harmonie d'abord avec la loi, - question légale, - en harmonie avec la liberté de conscience, la liberté des cultes, - question constitutionnelle, - et avec la tolérance sainement comprise et sincèrement pratiquée.

La question légale a été traitée avec une grande supériorité par mon honorable ami M. Nothomb qui vient de se rasseoir. Il me laissera peu de chose à dire après lui, je n'aurai qu'à résumer ma pensée. Cette question légale me paraît tellement claire qu'il suffit d'ouvrir la loi et de la lire sans prévention pour être convaincu.

Quels sont nos principes ?

Comme je viens de le rappeler, nous voulons des cimetières séparés par culte, avec caractère religieux. Vous voulez des cimetières communs à tous les cultes, la sécularisation.

Que dit la loi ? Lisez l'article 15 du décret de l'an XII.

Dit-il ce que vous dites ou dit-il ce que nous disons ?

Lisez : « Il faut, dit cet article, qu'il y ait autant de cimetières ou de parties de cimetières qu'il y a de cultes professés dans la commune ; ces parties distinctes des cimetières doivent être séparées par des clôtures, des haies ou des murs ; et il exige des entrées particulières. »

N'est-ce pas là notre principe, la séparation des cimetières par cultes, n'est-ce pas la condamnation formelle de la doctrine que le ministre semble professer ? Devant la clarté du texte légal, toute controverse est impossible.

M. le ministre de l'intérieur a tellement bien compris qu'en présence de ce texte si clair, aucune subtilité ne pouvait tenir contre l'évidence, qu'il a dû recourir à ce que je me permettrai d’appeler une énormité juridique.

Il a soutenu ce que personne avant lui n'avait osé soutenir, que l'article 15 du décret de prairial an XII était abrogé.

Pour appliquer le système qu'il veut faire prévaloir, il a été forcé de pousser sa logique jusqu'à cette hérésie juridique.

Messieurs, l'honorable M. Nothomb a fait prompte et complète justice de cette erreur qu'aucun jurisconsulte certainement ne pourra défendre après M. le ministre de l'intérieur. Il vous a démontré que l'Empire, la Restauration, le gouvernement de juillet, le gouvernement des Pays-Bas et celui de la Belgique depuis 1830, que toutes les administrations, tous les ministères avaient toujours considéré l'article 15 comme n'étant pas abrogé.

Les provinces et les administrations municipales l'ont toujours compris ainsi. Ouvrez les règlements des administrations municipales sur les inhumations et vous reconnaîtrez que l'article 15 du décret du 23 prairial an XII a été considéré comme non abrogé, comme existant.

Messieurs, j'ai sous les yeux le règlement d'une administration municipale, qui certes ne vous paraîtra pas suspecte au point de vue des idées qui nous divisent. C'est le règlement de la commune de Saint-Josse-ten-Noode dirigée par une administration dont le libéralisme ne pourra être mis en doute :

Je lis dans ce règlement :

« Vu les décrets du 23 prairial an XII, arrête :

« Art. 2. L'autorité communale pourvoit elle-même à l'inhumation des morts qui ne seraient réclamés par aucune communion ni association, ou que celles-ci demanderaient à faire inhumer par les soins de l'autorité communale. »

Voilà le principe proclamé par Portalis, cité tout à l'heure par M. Nothomb. Poursuivons :

« Art. 3 et 4. Le cimetière communal, tel qu’il existe actuellement, est divisé en deux parties. Ces deux parties sont séparées par une haie... La partie ci-dessus décrite, la première, est destinée aux inhumations pour les communions et associations autres que la communion catholique romaine, et à celles qui ont lieu à la diligence exclusive de l'autorité communale. L'autre partie est destinée aux inhumations pour la communion catholique romaine. »

Ce règlement communal de 1859 a été approuvé par l'autorité supérieure.

Voilà, messieurs, le décret de l'an XII, que l'on dit abrogé, régulièrement exécuté par une commune qui a la réputation d'être une des plus libérales du pays.

Toutes les communes, en général, sauf peut-être la commune d'Ypres, quand M. le ministre de l'intérieur en était le bourgmestre, ont rédigé leur règlement sur les inhumations, conformément à cette règle. Le fait général, comme vient de le rappeler l'honorable M. Pirmez, le fait général en Belgique, comme en France, sauf quelques rares exceptions, c'est la séparation des cimetières par culte.

Messieurs, j'abandonne l'opinion isolée de M. le ministre de l'intérieur et je ne m'y serais pas même arrêté aussi longtemps, si sa déclaration était celle d'un simple membre de cette Chambre ; mais ici c'est un ministre qui parle ; on pourrait considérer ses paroles comme une déclaration ministérielle destinée, contrairement, j'aime à le croire, aux intentions de M. le ministre, destinée à provoquer des conflits aussi inévitables que fâcheux dans les 2,500 communes du pays.

Mais je suppose qu'en l'absence du chef du département de la justice, l'opinion exprimée par l'honorable M. Vandenpeereboom est tout individuelle et n'engage pas le gouvernement.

J'abandonne donc cette opinion isolée et j'aborde les arguments qui ont été présentés par d'autres orateurs qui ont parlé dans les séances précédentes.

Quelles sont les objections ?

On nous dit : Le décret de prairial an XII suppose, à la vérité, la séparation des cimetières par culte, mais il garde le silence sur l'inhumation de ceux qui meurent en dehors de tout culte. Il y a donc là une lacune évidente ; comment faut-il la combler ? Voilà la question.

Eh bien, messieurs, quelle est votre conclusion ? Votre conclusion, au lieu de s'inspirer de la Constitution et de chercher à concilier le décret de l'an XII avec notre Charte en en étendant le principe, votre conclusion c'est, au lieu d'étendre le principe de la loi, c'est de le détruire.

(page 1875) Il y a une lacune dans le décret ; le décret a gardé le silence sur ceux qui meurent en dehors de toute communauté religieuse ; et que faites-vous pour combler cette lacune ? Vous détruisez le principe même du décret, la séparation des cimetières par culte. Je livre cette conclusion à votre bon sens, à votre raison.

La conclusion logique est celle qui et écrite dans la circulaire de l'honorable M. Liedts, dont l'opinion est souvent respectée par les deux côtés de cette Chambre.

Permettez-moi de citer un passage de cette circulaire sage et judicieuse :

« Comme il peut s'élever des difficultés, dit-il, au sujet de l'emplacement à déterminer pour le creusement de la fosse destinée à recevoir le corps d'une personne à laquelle, pour des motifs qu’il n’appartient pas à l'autorité civile d'apprécier, la sépulture ecclésiastique aurait été refusée, il ne sera pas inutile de rappeler que d'après l'esprit de l'article 15 du décret du 23 prairial an XII, il convient que dans chaque cimetière une portion de terrain soit réservée pour l'inhumation de ceux que l'Eglise rejetterait de son sein.

« L'usage qui consacre cette règle, est attesté par le passage suivant du Répertoire administratif, de MM. Tielemans et Ch. de Brouckere. »

M. Liedts cite un passage de M. Tielemans oit il est dit « que l'inhumation des morts doit être envisagée comme un acte mixte, auquel le magistrat et le prêtre devaient simultanément prêter leur ministère. »

Voilà donc l'article 15 du décret de l'an XII déclaré par MM. Liedts et Tielemans non abrogé et l'acte d'inhumation envisagé comme un acte mixte et non comme un acte exclusivement civil, comme l'ont affirmé U ministre et quelques orateurs dont je combats l'opinion.

Ainsi, messieurs, cette difficulté au fond n'en est pas une ; elle a été depuis longtemps et constamment résolue conformément à l'opinion que nous défendons : il faut étendre le principe de la loi de prairial dans le sens de la liberté religieuse ; mais il ne faut pas en détruire le principe fondamental sous le prétexte d'une tolérance menteuse.

Messieurs, voyez où vous entraîne la logique de votre principe : vous devez aller jusqu'à l'infraction formelle de la Constitution, jusqu'à autoriser l'intervention directe de l'autorité civile dans le domaine de la conscience et de la religion.

D'après vous, il faut laisser le droit à l'autorité municipale de décréter la religion des citoyens ; il faut, selon l'expression de l'honorable M. Carlier, il faut que l'autorité civile dresse les statistiques religieuses des communes, pour savoir dans quelle religion chaque habitant est né. Voilà, messieurs, où vous êtes entraînés.

M. Carlier. - Je n'ai pas dit cela.

.M. Dechamps. - Je ne crois pas vous avoir mal compris. Ce n'est pas l'autorité religieuse, selon vous, qui est appelée à décider si tel individu a vécu et est mort en dehors de l'Eglise, c'est à l'autorité municipale que vous confiez ce soin.

L'autorité municipale devra déclarer catholique, malgré l'autorité religieuse, malgré la volonté même du défunt, celui qui, né dans cette religion, sera mort hors du giron de l'Eglise.

Vous chargez donc officiellement l'autorité civile de décréter la religion des citoyens. Eh bien, n'est-ce pas là manifestement violer la liberté des cultes ?

Mais, messieurs, comme l'a dit déjà l'honorable M. Nothomb, si ce droit pouvait exister, vous entreriez à pleines voiles dans le système des abus dont on s'est plaint si longtemps en France et que le décret de prairial suppose. Si l'autorité municipale a le droit, parce qu'un citoyen est né catholique, d'exiger une inhumation catholique dans un cimetière consacré et bénit par l'Eglise, elle a également le droit d'exiger des prières des cérémonies religieuses autour de ce cercueil déclaré catholique par et l'administration communale. (Interruption)

Vous arriverez, comme le suppose le décret de prairial, en cas de refus de sépulture religieuse par un ministre du culte, à commettre un autre ministre du culte, pour présider aux obsèques religieuses.

N'oubliez pas, messieurs, qu'en France, cette conséquence a été traduite en fait ; et qu'en Belgique nous avons assisté, dans plusieurs cités, à des scandales de ce genre. C'est contre ces scandales que M. de Cormenin a aiguisé ses plus sanglantes ironies.

Ainsi, messieurs, la loi est manifestement vous et manifestement pour nous. Et non seulement la loi est claire, mais la jurisprudence a été constante.

En Belgique, sous tous les ministères, cette jurisprudence a été suivie : les commentateurs sont unanimes : on vous a cité MM. Liedts, Tielemans et de Brouckere ; on a cité M. de Haussy ; je pourrais citer aussi M. Faider qui déclare qu'il est faux de soutenir que les cimetières sont des lieux publics sans destination religieuse. Tous sont d'accord que les cimetières doivent conserver leur caractère religieux, que partout la séparation par culte, prescrite par la loi, doit être observée, et qu'en conséquence un emplacement spécial doit être réservé pour ceux qui meurent en dehors des communions religieuses.

A côté de la loi et de la jurisprudence, il faut placer le fait général, le plus éloquent des interprètes, fait qui confère le principe que nous défendons.

Voilà la question légale.

La question constitutionnelle est double. La liberté de conscience, en quoi consiste-t-elle ? Elle consiste à pouvoir vivre, à pouvoir mourir comme on le veut, et en obéissant à ses seules convictions.

M. De Fré. - Oui, mais sans être flétri.

.M. Dechamps. - Cette flétrissure, c'est vous qui vous la donnez vous-même, et ce n'est pas nous, à coup sûr, qui prétendons l'infliger. La liberté de conscience veut que l'on ne puisse pas forcer un individu à entrer dans le temple pour y faire acte de foi religieuse ; mais elle consiste aussi à ne pas forcer un cadavre à faire cet acte de foi religieuse par sa présence dans un cimetière consacré par un culte qu'il a toujours repoussé.

J'ai un grand respect pour les familles, mais j'ai un plus grand respect encore pour la liberté de conscience des individus.

Quand un individu a déclaré, d'une manière délibéré, vouloir vivre et mourir en dehors d'un culte, c'est violenter sa volonté et sa conscience que de forcer ses restes à reposer dans un lieu consacré, béni par le culte qu'il a librement renié.

La liberté des cultes, en quoi consiste-t-elle ? Je me permets de faire une observation préalable qu'on oublie trop : il ne s'agit pas de savoir ce que vous pensez des dogmes ou de la discipline le tel ou tel culte, il s'agit de savoir ce que disent et ce que proclament les cultes eux-mêmes, afin, non pas de les juger, mais afin de respecter leur liberté.

La question, au point de vue de la liberté des cultes, est donc celle-ci : Aux yeux des croyants de tous les cultes, le cimetière est-il exclusivement un lieu public et profane où l'autorité communale est seule maîtresse absolue, selon l'expression de M. De Fré ou bien, est-il un lieu consacré et bénit, une terre sainte, le res sacra et le locus religiosus des anciens ? Voilà la question.

Le monde païen comme le monde chrétien n'ont qu'une seule voix pour y répondre : C'est un lieu saint, et l'inhumation est avant tout un acte de religion.

Parlons d'abord des protestants. ! L'honorable M. Hymans vous a parlé d'un fait relatif à un cimetière protestant. Il a cité un Russe appartenant au culte grec non uni, mort à Bruxelles et qui, après avoir reçu les secours religieux du ministre protestant, avait été inhumé dans le cimetière de cette communion dont il ne faisait pas partie.

Mais est-ce à l'autorité municipale que la famille a demandé la permission d'enterrer ce Russe dans le cimetière protestant ? Non c'est à M. Vent, au ministre protestant, et le ministre russe l'en a remercié. Ce n'est donc pas l'autorité civile mais l'autorité religieuse qui a été appelée à juger et à décider. Je le demande à l'honorable M. Hymans, si l'autorité municipale avait voulu faire enterrer les restes de ce Russe dans le cimetière protestant, malgré le ministre de ce culte, celui-ci n'aurait-il pas protesté comme nous protestons ? Et il aurait eu raison ; on aurait violé la liberté de son culte.

Pour les israélites, les faits deviennent plus formels et plus éclatants.

Je me suis rendu ce matin chez un membre du consistoire israélite.

Je lui ai demandé quelle était la croyance juive, quel était le riet religieux des juifs en matière de sépulture. Voici ce qu'il m'a répondu :

D'après leur croyance, il n'est jamais permis de remuer la cendre des morts ; ils en concluent qu'on ne peut pas inhumer le corps d'un israélite décédé à une place où une inhumation antérieure quiconque aurait eu lieu. Quand toutes les places du cimetière ont été occupées par des inhumations, on ferme ce cimetière, il reste sacré, et il faut ouvrir un cimetière nouveau. Voilà la foi des israélites.

Je demande à M. le ministre de l'intérieur, comment il pratiquera son système sans violer manifestement la liberté religieuse des juifs.

Ce cimetière commun à toutes les croyances, à toutes les opinions est radicalement impossible, si l'on veut ne pas violer la croyance des juifs. D'après le décret de prairial an XII, les inhumations (quelques mots illisibles tous les 5 ans, il le faut bien ; un juif ne peut pas permettre qu’un des siens soit enterré là où un autre cadavre (quelques mots illisibles.

Il faut dune pour les israélites un cimetière spécial et distinct ; sans cela, leur foi religieuse en matière de sépulture, serait profondément blessée et la liberté religieuse ouvertement méconnue.

Vous le voyez, messieurs, ce ne sont pas seulement les catholiques que (page 1876) vous blesseriez profondément, en érigeant un système de cimetière commun et sans caractère religieux, mais ce sont les protestants et les juifs, ce sont tous les cultes professés en Belgique et qui protestent ensemble contre ce qu'ils considèrent comme une atteinte portée à la liberté de leur foi.

J'ai parlé des autres cultes, permettez-moi de dire quelques mots de celui pratiqué par l'immense majorité des Belges.

Les premiers autels chrétiens ont été érigés dans les catacombes, au milieu des tombes des premiers fidèles et des premiers martyrs. Les tombeaux et les basiliques se confondaient.

Plus tard, on a creusé les tombes sous les dalles des temples ; puis, comme aujourd'hui encore presque partout, le clocher de nos églises s'est élevé au milieu de nos cimetières comme le phare de la mort, selon l'expression de Chateaubriand. Quand plus tard encore, et pour des motifs d'hygiène et de salubrité publique, on a ordonné que les cimetières fussent établis en dehors des murs des cités populeuses, on laissa à ces cimetières leur empreinte religieuse ; partout vous y voyez une chapelle funéraire ou un calvaire, qui domine le cimetière entier, ou une grande croix qui projette son ombre sur toutes les tombes. Voilà le cimetière catholique, c'est notre église souterraine, c'est, selon l'expression flamande et germanique, le jardin de l'église, c'est la terre sainte ; ce n'est pas un lieu public comme le cimetière du Père-Lachaise, où j'ai vu causer et rire, c'est un lieu religieux où l'on se découvre en entrant, où l'on s'agenouille et l'on prie.

Voilà nos cimetières, et nous avons le droit d'exiger, comme les protestants et les israélites, que ces cimetières consacrés comme nos églises soient réservés à la famille religieuse catholique. Un cimetière consacré et réservé est une condition presque aussi essentielle de la liberté de notre culte, qu'une église consacrée dans laquelle les fidèles se réunissent.

Le principe de la sécularisation des cimetières est faux et impossible, aussi longtemps que la liberté des cultes ne sera pas effacée de notre Constitution.

Aucun législateur, à aucune époque, n'a osé proclamer le principe exorbitant en faveur duquel, j'ai à le déplorer, un conseil provincial a émis un vœu irréfléchi. Quand je dis qu'aucun législateur ne l'a osé, je me trompe. Il s'est trouvé un jour une assemblée parlementaire qui l'a fait aux jours des plus sanglantes persécutions religieuses que l'histoire mentionne ; c'était la Convention, le 2 décembre 1793.

Des citoyens, blessés des profanations de tombeaux qui marquèrent cette époque, s'adressèrent à la Convention française pour demander la séparation des cimetières par culte.

La Convention repoussa cette demande ; voici le décret qu'elle porta le 12 frimaire an II.

« La Convention, considérant qu'aucune loi n'autorise à refuser la sépulture, dans les cimetières publics, aux citoyens décédés, quelles que soient leurs opinions religieuses et l'exercice de leur culte, passe à l'ordre du jour. »

Voilà' bien votre principe, et M. De Fré demande aussi qu'on passe froidement à l'ordre du jour sur la pétition de la fabrique d'Uccle. (Interruption.)

Mais écoutez : La Convention française a ajouté ces mots à son décret : Elle déclare que le présent décret ne sera pas imprimé ! La Convention, à coup sûr, avait acquis le droit de ne pas rougir et acheté celui de ne plus avoir de pudeur politique, et cependant elle comprit que ce décret allait blesser au cœur les populations religieuses de la France, elle recula, rougit, eut peur, et ordonna que ce décret que vous exhumez ne serait pas imprimé ; elle se cacha. (Longue interruption.)

M. De Fré. - C'est une erreur.

.M. Dechamps. - Non, ce n'est pas une erreur ; je lis le décret, il est sous mes yeux.

M. Hymans. - Il a été inséré au bulletin.

.M. Dechamps. - Oui, comme document historique, et sans cela je ne l'aurais pas lu ; mais il a été publié avec cette mention : Il ne sera pas imprimé.

Je dis, messieurs, qu'après avoir adopté le système de la Convention du 12 frimaire an II, vous devrez aller plus loin, vous devrez, par une conséquence logique, faire comme elle et admettre sa loi du 3 nivôse an III. Cette loi porte que « aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, » par conséquent dans un cimetière que vous considérez comme un lieu public.

La Convention a été parfaitement logique avec ses principes, en portant ce décret de l'an III, et vous ne le seriez pas, si, adoptant le système des cimetières communs à tous, sans distinction de culte et d'opinion, vous permettiez que des signes particuliers à un culte spécial donnassent leur caractère religieux à vos cimetières sécularisés.

Vous pourriez peut-être tolérer des symboles religieux sur des tombes isolées, mais vous serez entraînés à ne pas permettre, au milieu des cimetières, ces chapelles funéraires, ces calvaires qui les dominent, et ces grandes croix qui font découvrir au loin aux voyageurs qui passent, l'emplacement des cimetières chrétiens.

Messieurs, permettez-moi de vous le d're, c'est toujours le même système :

Cimetières communs pour tous les cultes et pour ceux qui n'en ont pas, cimetières sans caractère religieux ; écoles communes où l'enseignement est approprié à tous les cultes, d'où tout enseignement religieux positif est banni, où tout catéchisme et dès lors tout signe particulier à un culte, comme le crucifix, doit être exclu, où le prêtre n'ayant plus aucune mission religieuse à y remplir, ne pourra plus entrer. Ecoles sécularisées comme cimetières sécularisés. Voilà, pour quelques-uns, le beau idéal de la liberté ! Et nous disons, nous, que c'est la violation de la liberté religieuse, que c'est l'hostilité déclarée par l'Etat à tous les cultes, que c'est le froissement des consciences et le mépris de la Constitution, nous disons avec Cormcnin : « C'est toujours cette liberté des cultes, non pas pour les fidèles, mais pour les infidèles des cultes, non pas pour consacrer l'indépendance du prêtre, mais la violence des laïques. »

Messieurs, si j'étais ici dans une chaire religieuse ou philosophique, il ne me serait pas difficile de vous faire comprendre que ces croyances, qui sont considérées par quelques-uns comme des préjugés vieillis, tiennent par leurs racines profondes aux bases des dogmes religieux et à la plus haute philosophie.

Nous croyons, nous chrétiens, non seulement à l'immortalité de l'âme, mais à la consécration des corps et à leur résurrection finale affirmée par le Christ ; nous y croyons avec tous les siècles chrétiens, avec tous les peuples que le christianisme a civilisés ; nous y croyons avec Origène et Descartes, avec Augustin et Bossuet, avec Chateaubriand, de Maistre, Tocqueville et Lacordaire, avec les illustres chrétiens de tous les âges ; nous voulons que nos corps reposent à côté de ceux qui ont partagé la même foi et la même espérance et qui forment notre famille religieuse.

C'est là, messieurs, notre croyance ; que vous la trouviez mauvaise ou sublime, il importe peu en ce moment ; c'est notre foi, et vous avez promis, en jurant la Constitution, de la respecter et d'en maintenir la liberté. (Interruption.)

On parle de tolérance, mais dans tous nos cimetières n'y a-t-il pas des caveaux de famille ? Vous avez vraisemblablement les vôtres, comme j'ai le mien. Nous tenons, par un sentiment intime et profond, nous tenons à reposer dans la mort à côté de nos pères, de nos mères, de nos frères, de nos sœurs ; oseriez-vous appeler ce sentiment un préjugé et ce désir et cette volonté un acte d'intolérance ? Et cependant, messieurs, dans ces caveaux de famille on n'admet que des membres appartenant à cette famille.

Un orateur éminent, siégeant sur les bancs ministériels, a dit un jour que la paroisse était la commune religieuse. Eh bien, les croyants de cette paroisse constituent une famille religieuse que rattachent les liens de l'âme les plus étroits et les plus sacrés.

Le cimetière religieux et distinct, n'est-ce pas à eux leur caveau de famille, et n'ont-ils pas le droit d'y reposer avec les seuls membres appartenant à cette famille religieuse et catholique, sans que ceux qui ont voulu rester étrangers à cette famille puissent y venir mêler leurs cendres ? Y a-t-il là la moindre trace d'intolérance ? L'intolérance, voici où je la vois et je la signale : c'est de vouloir forcer les sépultures des familles religieuses, en violant la liberté de leurs cultes, c'est de vouloir, au nom d'un despotisme sans grandeur, introduire dans les cimetières réservés aux cultes ceux qui ont protesté pendant leur vie et à la mort, de leur volonté libre d'y rester étrangers. (Interruption.)

Messieurs, je me résume, je dis que le texte de la loi est pour nous et contre vous, que la jurisprudence est pour nous et contre vous. J'affirme que le principe que nous défendons est seul compatible avec la liberté de conscience, avec la liberté des cultes et avec la tolérance sincèrement pratiquée. (Interruption.)

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, les honorables MM. Nothomb et Dechamps ont tour à tour développé, en fait de sépultures, un système que je ne puis admettre et que je viens combattre. Je ne suivrai pas les honorables membres dans leurs digressions historiques et politiques. Je m'attacherai uniquement à examiner la question au point de vue de la législation actuellement existante.

II est possible que s'il s'agissait de faire une législation nouvelle sur les (page 1877) sépultures, nous pourrions nous trouver d'accord et nous rencontrer en certains points avec nos honorables contradicteurs.

Mais il ne s'agit pas de savoir ce que la loi actuelle aurait dû proscrire, aurait dû ordonner en matière de sépulture ; il s'agit de savoir ce qu'elle a fait, ce qu'elle a voulu, afin que nous puissions apprécier si réellement les marguilliers de la paroisse d'Uccle ont tort ou raison, lorsqu'ils se plaignent que le bourgmestre de la commune a fait inhumer le colonel de Moor contrairement à la loi sur les sépultures, contrairement à la Constitution, en matière de liberté religieuse. Voilà la véritable question ; je ne veux pas en sortir.

Pour soutenir que l'honorable bourgmestre d'Ucclc a violé la loi sur les sépultures, on prétend que la fabrique est propriétaire du cimetière et qu'à ce titre elle a le droit de s'opposer à la sépulture de toute personne qui n'appartiendrait pas au culte catholique et qui n'y serait pas reçue.

Pour justifier cette prétention, on dit que le défunt est né dans la religion catholique, qu'il l'a pratiquée pendant un grand nombre d'années ; mais comme dans les derniers temps il avait cessé de le faire, qu'au moment de sa mort il n'a pas réclamé ni reçu les secours de la religion catholique, il n'était plus catholique.

Or, s'il n'était plus catholique, non seulement on ne pouvait pas contraindre le clergé à remplir sur sa tombe des cérémonies religieuse ; mais on ne pouvait pas l'inhumer dans le cimetière destiné à l'inhumation des catholiques ; si on l'a fait, on a violé la loi, c'est-à-dire le décret du 23 prairial an XII qui est la législation encore en vigueur.

Pour prétendre que le défunt n'était pas catholique ou n'était plus catholique, on dit que le curé de la paroisse a seul le droit de le juger sur ce point.

Messieurs, je comprends qu'en présence de la Constitution, le ministre du culte, comme tout citoyen, ne puisse pas être astreint à remplir en faveur de qui que ce soit une cérémonie religieuse quelconque. Mais quand une personne est née dans une religion et qu'elle ne l'a pas abjurée jusqu'à ses derniers moments, je dis qu'en face de la loi civile, le prêtre n'a pas le droit de dire que « cette personne a cessé d'appartenir au culte catholique. »

Le prêtre peut ne pas remplir les cérémonies religieuses, peut refuser les sacrements de l'Eglise, mais il n'a pas le droit, légalement partant, de dire à quelqu'un : Vous n'appartenez plus au culte catholique. Ce droit, s'il existait, serait exorbitant, souvent abusif. Il suffirait, pour la victime, d’être mal avec un prêtre, ou d'exercer une profession libérale.

J« pourrais citer beaucoup d'exemples ; je me bornerai à rappeler ce qui s'est passé à la mort d'une personne habitant une localité de la province de Hainaut.

Cette personne, qui imprimait un journal, tombe malade ; elle fait appeler un prêtre à ses derniers moments. Le prêtre se rend au lit du mourant. Celui-ci exprime le désir de se confesser. Le prêtre lui demande : « Voulez-vous renoncer à imprimer désormais le journal libéral que vous éditez ? » Ceci est historique ; je l'affirme ; et sur la réponse du moribond, qu'il ne pouvait faire cette promesse, parce que l'impression de ce journal était le soutien de sa famille, le prêtre a dû, à regret peut-être, forcé en cela par les ordres de ses chefs, refuser au moribond les secours de la religion.

Et qu'a fait l'autorité ? Croyez-vous que parce que le prêtre avait refusé au mourant les secours de la religion, on ait enterré cet homme dans le lieu réprouvé qui existe dans certains cimetières ? Non, messieurs, il a été enterré dans le cimetière catholique, parce que ce n'est pas le refus du prêtre d'administrer les sacrements qui avait fait de ce catholique un hérétique, un homme qui avait abjuré sa religion, soit pour en adopter un autre, soit pour n'en suivre aucune.

Messieurs, on a cité tout à l'heure l'opinion d'un grand homme d'Etat, celle de M. Portalis. Que vous dit Portalis ? Il appelle dissidents ceux qui sont nés sans baptême ou qui ont adopté un autre culte. Or, je comprends que, dans ces deux cas, vous puissiez dire qu'il n'y a pas là un catholique ; car si l'individu n'a pas reçu le baptême, il n'est pas entré dans la famille catholique ; et s'il a abjuré le culte catholique pour en adopter un autre, l'adoption de ce nouveau culte lui fait perdre la qualité de catholique. Mais quand il n'a pas abjuré son culte, je dis que le refus du prêtre de lui administrer les secours de l'Eglise n'a pas pour effet de transformer cet homme en un hérétique, alors qu'il n'a jamais abjuré sa religion.

Sans doute, au point de vue spirituel, les prêtres peuvent dire que cet homme n'est pas un bon catholique ; mais au point de vue du droit, et de la loi civile, je dis qu'il n'a pas cessé d'être catholique parce qu'il plaira au prêtre de le juger ainsi.

Je passe sur ce point, car il est certain que nous ne nous entendrons pas avec nos honorables adversaires.

Ils ont prétendu et ils prétendront toujours qu'il appartient au prêtre seul de dire quand un homme est catholique et quand il ne l’est plus. C'est ce que je nie, et sur ce point nous ne serons jamais d'accord et je n'ai pas la prétention de les convaincre.

Messieurs, on invoque, à l'appui de la prétention des pétitionnaires, le droit de propriété du cimetière dans le chef de la fabrique de l'église d'Uccle.

On prétend, c'est l'honorable M. Nothomb, je crois, qui l'a prétendu, que dès l'instant que la fabrique est propriétaire du cimetière, l'autorité communale ne peut en user, sans lui laisser sa destination primitive, c'est-à-dire l'inhumation des catholiques exclusivement. Eh bien, messieurs, c'est là une hérésie au point de vue de la loi. Le décret de prairial an XII que je n'ai pas à justifier et que nous devons prendre tel qu'il est, n'a pas distingué entre le cas où un cimetière appartiendrait à la commune et le cas où il ne lui appartient pas.

Dans tous les cas, soit que le cimetière appartienne à la commune, soit qu'il ne lui appartienne pas, l'usage du cimetière est dévolu à l'autorité communale pour l'inhumation des citoyens décédés dans la commune, de telle sorte que c'est elle qui a en définitive le domaine utile de la chose tant que le cimetière conserve cette destination. Voici, en effet, messieurs, ce que porte l'article 16 :

« Les lieux de sépulture, soit qu'ils appartiennent aux communes, soit qu'ils appartiennent aux particuliers, seront soumis à l'autorité, police et surveillance des administrations municipales. »

M. de Naeyer. - Est-ce là le droit d'en disposer ?

M. Ch. Lebeau. - C'est le droit d'user du cimetière, d'en jouir selon sa destination, c'est-à-dire pour l'inhumation des morts. Tout le décret le prouve. Voici ce que porte l'intitulé du titre premier : « Des sépultures et des lieux qui leur sont consacrés. »

Le titre 4 a pour intitulé : « de la police des lieux de sépulture ». C'est sous ce dernier titre que se trouve l'article 10. Vous allez voir par l'article 19 que la commune peut tout, en fait de destination de cimetière.

Lorsque le ministre d'un culte (dit cet article) « sous quelque prétexte que ce soit, se permettra de refuser son ministère pour l'inhumation d'un corps, l'autorité, civile, soit d'office, soit sur la réquisition de la famille, commettra un autre ministre du même culte, pour remplir ces fonctions, dans tous les cas, l'autorité civile est chargée de faire porter, présenter, déposer et inhumer les corps. »

Comme on le voit par cet article combiné avec l'article 15, tout cimetière, qu'il appartienne à la commune ou à la fabrique, est affecté à l'inhumation des morts à quelque culte qu'ils appartiennent.

Dans le système de nos adversaires, il semblerait que dès l'instant qu'un cimetière appartient à une fabrique, l'autorité communale n'a pas le droit d'en disposer pour l'inhumation des morts des différents cultes ; mais alors il faut aller jusqu'au bout. Vous devez pousser votre système jusqu'à décider qu'on n'a pas le droit de diviser le cimetière en autant de parties qu'il y a de cultes, qu'on n'a pas non plus le droit de le diviser en cimetière bénit et en cimetière non bénit.

Si par cela même que le cimetière appartient à la fabrique, elle a le droit d'empêcher qu'on n'y puisse inhumer des personnes qui ne seraient pas catholiques, elle a le droit de s'opposer à la division des cimetières d'une manière quelconque.

Mais, messieurs, les biens des fabriques sont des propriétés qui appartiennent à la communauté des habitants avec une affectation spéciale.

Ainsi, si une église appartient à la fabrique, les personnes qui ne font pas partie de votre communion catholique, ont néanmoins le droit d'aller dans l'église. Ils ne violeront pas par leur présence le droit de propriété de la fabrique.

C'est donc à tort qu'on prétend que si la fabrique est propriétaire du cimetière elle peut, en vertu de ce droit, empêcher l'inhumation de toute personne qui n'appartient pas au culte catholique.

Je crois avoir démontré que c'est là une hérésie, et je le répète, si le système de nos adversaires était fondé, il faudrait le pousser jusqu'aux conséquences que je viens d'indiquer.

Mais j'ai entendu d'honorables adversaires reconnaître que la question de propriété des cimetières est chose indifférente, que peu importait que le cimetière fût la propriété de la fabrique ou de la commune, que la question était la même parce que l'usage et la destination en sont affectés à un service public, l’inhumation des morts.

Messieurs, on a soutenu que le cimetière était dans les deux cas une dépendance du culte auquel il était affectée absolument comme l'église. On a soutenu en second lieu que les inhumations étaient des (page 1878) cérémonies religieuses ou tout au moins des cérémonies mixtes, partie religieuses, partie civiles.

Messieurs, je dois dire qu'il n'y a pas un mot dans le décret qui fasse supposer que le cimetière soit une dépendance des temples religieux, qu'il soit consacré au service du culte comme les temples. Et, en effet messieurs, le titre premier porte : « Des sépultures et des lieux qui leur sont consacrés. »

Il était bien facile, messieurs, au législateur de dire, si telle avait été son intention : « des sépultures et des lieux qui leur sont consacrés comme dépendances du culte. » Mais on s'en est bien gardé.

Voyons maintenant l'article premier.

« Aucune inhumation n'aura lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques et généralement dans aucun des édifices publics, clos ou fermés où se réunissent les citoyens pour la célébration de leur culte. »

On ne peut donc plus inhumer dans les édifices consacrés au culte.

A la vérité, on dira : Mais il ne s'agit là que des édifices et des endroits clos où l'on se réunit pour les cérémonies religieuses.

M. de Haerne. - C'est la loi romaine.

M. Ch. Lebeau. - Nous ne sommes pas sous le droit romain.

Les articles 7, 8, 9 et 10 du décret sont d'ailleurs positifs, ils prouvent que les cimetières sont des lieux séculiers, comme le disait tout à l’heure M. Dechamps et non des choses consacrées aux cultes.

Sans doute on divise bien les cimetières en autant de parties qu'il y a de cultes professés dans la commune, mais la partie qu'on destine à l'inhumation des sectaires de telle ou telle religion plutôt que de telle autre ne sont pas pour cela des dépendances du culte, des accessoires des temples religieux. On divise les cimetières, non pour en faire des accessoires des temples, mais pour empêcher qu'il n'y ait des luttes, des collisions entre les partisans des différents cultes, qui pourraient se rencontrer dans le cas de plusieurs inhumations simultanées.

M. de Haerne. - On réglera les heures.

M. Ch. Lebeau. - Cela n'empêchera pas les rencontres et les collisions, et c'est pour cela que le décret exige la séparation au moyen de murs, de haies ou de fossés ; il veut même qu'il y ait une entrée particulière, et l'on a soin de dire dans l'article 17 que l'autorité communale a une mission toute spéciale d'empêcher qu'il ne se commette dans les lieux de sépulture aucun désordre, et c'est dans le but de prévenir ce désordre que dans l'article 15 le législateur a ordonné la division du cimetière en autant de parties qu'il y a de religions professées dans la commune.

Ce qui prouve que réellement les cimetières ne sont pas affectés, comme on le prétend, au service des cultes, c'est que les fabriques restent complètement étrangères à l'administration, à la police des cimetières communaux ; elles n'ont rien à y dire ; ce ne sont pas elles qui en font les frais ni qui en retirent les revenus quand il y en a ; preuve évidente que réellement les cimetières ne sont pas des lieux affectés spécialement au service de tel ou tel culte ; ce sont des lieux réservés à l'inhumation des fidèles et des sectaires des différentes religions ; cela n'autorise cependant pas les administrations du temporel de ces cultes à prétendre que ces lieux sont les dépendances de chacun de ces cultes.

La preuve encore, messieurs, que réellement les cimetières ne font pas partie des choses affectées aux cultes, c'est qu'on a délégué le droit de les administrer, d'en faire la police, d'y exercer la surveillance à l'autorité civile.

Evidemment, tout cela échapperait à l'autorité civile si réellement les cimetières étaient des dépendances des temples religieux. Comme nous l'avons dit, il faut diviser les cimetières en autant de parties qu'il y a de cultes professés dans chaque commune. Cela est prescrit par le décret du 23 prairial an XII.

Mais, messieurs, quand, dans une commune, on ne professe qu'un seul culte, doit-on faire des divisions dans le cimetière ? On l'a prétendu. On soutient qu'il faut diviser le cimetière, non pas en parties affectées aux sectaires de différents cultes, puisqu’il n’y en a qu’un de professé, mais en partie bénite et non bénite, celle-ci étant réservée aux personnes qui meurent en dehors du giron de l’Eglise. Eh bien, je demanderai à mes honorables adversaires quelle est la disposition du décret qui ordonne une pareille division. Le décret de l'an XII, messieurs, est complètement muet sur ce point : la pluralité des cimetières ou la division du cimetière quand il n'y en a qu'un c’est là l'exception. La règle, c’est qu'il n'y ait qu'un seul cimetière.

« Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, dit l'article 15, chaque culte doit avoir un lieu d'inhumation particulier. »

Ainsi messieurs, ce n'est que dans les communes où l’on professe pluieurs cultes que chacun d'eux doit avoir un lieu d’inhumation particulier.

« Et dans le cas où il n'y aurait qu'un seul cimetière, ajoute l’article on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune. »

Ainsi il est évident que ce n'est que par exception, et quand il y plusieurs cultes professés dans la commune qu'il faut diviser le cimetière, mais, du moment qu'il n'y a pas plusieurs cultes, il ne doit y avoir qu’un seul cimetière, sans division aucune. Mais, dit-on, le cimetière réservés aux inhumations des fidèles catholiques doit être séparé en deux parties dont une destinée à l'inhumation des personnes que la religion catholique repousse. De ces deux parties l'une est bénite, l'autre ne l'est pas.

Je n'admets pas que la bénédiction d'un terrain puisse créer un droit pour les ministres catholiques ; ils ont le droit d'accomplir pour l'inhumation des fidèles catholiques toutes les formalités religieuses qu’il convient, mais l'accomplissement de ces formalités ne crée aucun droit vis-à-vis de l'autorité civile.

Ce n'est pas parce qu'un terrain aura été bénit par le clergé qu’il en résultera un droit exclusif au profit des catholiques. L'autorité n'est pas liée par cette cérémonie religieuse, elle n'a pas moins le droit de faire inhumer les corps conformément à l'article 19, même ceux auxquels les ministres du culte refusent de prêter leur ministère.

S'il en était autrement, qu'arriverait-il lorsqu'il s'agirait d'exécuter les dispositions du décret relatives aux concessions de terrain dans les cimetières ?

Des concessions de terrain pourront être accordée, dit l'article 10 de ce décret, lorsque l'étendue des lieux consacrés aux inhumations le permettra.

Or qu'arrivera-t-il quand des membres d'une famille appartiennent aux différents cultes ?

Refusera-t-on de les inhumer dans le même caveau ?

Pour soutenir l'affirmative, on a dit qu'on portait atteinte à la liberté religieuse quand on venait inhumer dans le cimetière catholique des personnes qui ne professaient pas ce culte ou ne lui appartenaient pas. On dit ensuite que les catholiques formaient une sainte famille, qu’on ne pouvait pas inhumer auprès d'un catholique une personne qui n'avait pas professé ce culte pendant sa vie.

Eh bien, messieurs, ce système est condamné par l'article 10 du décret de l'an XII. Cet article ne distingue plus. Ainsi quand le chef d’une famille aura acquis dans un cimetière une concession, un terrain, qu’il aura construit un caveau pour la sépulture de toute sa famille et qu’un membre sera mort sans avoir reçu les secours de la religion, nul ne pourra s'opposer à ce qu'il soit inhumé dans le caveau de famille.

Si le contraire était vrai, il ne serait pas permis au mari qui aura un caveau d'y faire inhumer sa femme, si elle ne professe pas sa religion ou si en mourant elle n'avait pas reçu les secours de la religion, car il faudrait bien admettre cette conséquence.

Ainsi des époux qui auront vécu dans la meilleure intelligence, on les séparera après leur mort. Voilà la conséquence du système de nos honorables contradicteurs.

Quant à moi je soutiens que l’inhumation est un acte de l'autorité civile. Sans doute je reconnais avec mes honorables adversaires que la cérémonie religieuse peut s'ajouter au fait de l'inhumation qui est dans les attributions de l'autorité civile, mais les cérémonies religieuses ne donnent pas le caractère à l'acte, qui est essentiellement civil de sa nature.

L'article 19 dont j'ai déjà donné lecture est précis à cet égard ; il porte que dans tous les cas, c'est-à-dire que la cérémonie religieuse ait eu lieu ou non, l'autorité civile est chargée de faire porter, présenter les corps au lieu d'inhumation.

Ainsi c'est à l'autorité civile qu'on a confié le soin et le droit de faire inhumer les corps, la cérémonie religieuse ne vient qu'accompagner le fait de l'autorité ; les ministres du culte viennent prêter leur concours à un acte de l'autorité civile, comme pour le mariage.

L'article 17 me suggère un autre argument. Voici ce qu'il porte :

« Les autorités locales sont spécialement chargées d'empêcher qu'il ne se commette dans les lieux de sépulture aucun désordre, ou qu'on s'y permette aucun acte contraire au respect dû à la mémoire des morts. »

Or, je me demande si ce ne serait pas violer cet article que d'inhumer un homme honorable dans un lieu réprouvé, comme on voudrait le faire.

Comment ! un homme entouré pendant toute sa vie, comme le colonel de Moor de l'estime de ses concitoyens, vient à mourir. Une foule de citoyens, composée probablement de catholiques, accompagnera sa dépouille mortelle jusqu'à la tombe, et vous voudriez qu'on eut dû inhumer cet homme honorable dans un endroit que le préjugé populaire (page 1879) considère comme ignominieux, où l'on n'enterre que les hommes morts d'une mort honteuse.

Eh bien, je prétends que dans ce cas on aurait posé un acte contraire au respect dû à la mémoire des morts, et je n'hésite pas à dire que le bourgmestre d'Uccle, en refusant d'inhumer le colonel de Moor dans ce lieu réprouvé, a agi conformément à la loi, conformément au vœu de la famille et au sentiment de l'opinion publique.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits, personne ne demande la parole, la discussion est close.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande la parole.

M. le président. - M. le ministre, vous ne voulez pas rentrer dans la discussion ?

- Plusieurs voix. - Parlez, parlez ! la discussion n'est pas close !

- D'autres voix. - La clôture a été prononcée.

M. le président. - J'ai déclaré la discussion close.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, mon intention était de répondre aux discours qui ont été prononcés dans cette séance, mais puisque la discussion est close, je n'insiste pas.

Je me rallie aux conclusions de la commission des pétitions je puis d'autant mieux le faire et renoncer actuellement à la parole que des explications seront données et qu'alors une nouvelle discussion pourra avoir lieu.

Quelle que soit notre opinion, il est évident, messieurs, que la question soulevée est extrêmement importante ; il serait très désirable que dans cette nouvelle discussion, on pût se mettre d'accord ou, tout au moins, arriver à un résultat quelconque par un vote.

M. Nothomb. - Tâchez d'empêcher le retour de choses pareilles.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il est bien entendu que rien n'est préjugé. Je n'ai rien à empêcher, rien à ordonner.

.M. Dechamps. - La discussion a été déclarée close je n'y rentrerai pas. M. le ministre a fait une déclaration importante que nous avions besoin de connaître : il se rallie à la proposition de la commission à laquelle nous avions donné notre appui ; je m'en réjouis. Mais je demande à MM. De Fré et Carlier qui ont proposé l'ordre du jour pur et simple en opposition avec les conclusions de la commission, s'ils retirent cette proposition.

M. Carlier. - Je me suis réservé, dans la séance d'hier, de proposer l'ordre du jour pur et simple. En présence des explications que vient de donner M. le ministre de l'intérieur, je déclare ne pas user de cette réserve, et si la Chambre a compris mes paroles en ce sens que je faisais réellement la proposition d'ordre du jour pur et simple au lieu de l'annoncer seulement comme c'était ma pensée, je déclare retirer cette proposition.

- Le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice, proposé par la commission des pétitions, est mis aux voix et adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. Hymans (pour une motion d’ordre). - D'après une décision de la Chambre, nous devons aborder demain la discussion du second projet de loi des travaux publics. Il me paraît très difficile d'aborder cette discussion en l'absence de M. le ministre des finances. Le projet de loi implique toute notre situation financière. L'honorable ministre, éloigné de nos travaux par une douloureuse circonstance, ne pourra revenir prendre part à nos débats avant mardi. Je propose de remettre à ce jour la discussion du projet des travaux publics. Cette proposition ne peut rencontrer d'opposition sérieuse. La Chambre ne pourra, dans aucun cas, terminer ses travaux cette semaine. Le projet des travaux publics nous prendra certainement plus de deux jours.

D'autre part, il est à la connaissance de tout le monde que le traité de commerce avec l'Angleterre est signé, il sera soumis demain à la Chambre.

Enfin nous avons amplement de quoi remplir les séances de demain et après-demain par la discussion de divers petits projets de loi. Ce que je propose est donc uniquement une interversion de l'ordre du jour et la Chambre, j'espère, n'y verra pas d'inconvénient.

M. Rodenbach. - Messieurs, remettre à mardi le projet de loi de travaux publics, c'est vouloir nous retenir ici pendant une grande partie du mois d'août. Nous pouvons aborder ce projet immédiatement ; si M. le ministre des finances n'est pas ici, il y a d'autres ministres qui ont signé le projet de loi, notamment M. le ministre des travaux publics ; ils le soutiendront. D'ailleurs, messieurs, cette discussion ne sera pas très longue, l'honorable M. Frère ayant déclaré que les finances sont en très bon état.

Je sais parfaitement qu'on va déposer demain le traité de commerce conclu avec l'Angleterre ; mais messieurs, ce projet de loi, qui est de la plus haute importance pour tout le pays devra être examiné en sections et en section centrale, et il faudra toujours que la Chambre s'ajourne pour quelque temps après le vote du projet de loi de travaux public ; ce sera donc perdre du temps que de renvoyer ce projet à mardi.

M. B. Dumortier. - Je ne pense pas non plus, messieurs, qu'il y ait lieu d'adopter la motion de l'honorable député de Bruxelles. Nous avons à regretter l'absence de l’honorable ministre des finances, qui est retenu par une circonstance douloureuse. Mais cela ne doit pas plus nous empêcher de discuter le projet de loi des travaux publics, que l'absence de l'honorable M. Tesch ne nous a empêchés de discuter la question sur laquelle la Chambre vient de statuer.

L'honorable ministre des travaux publics est parfaitement à même de défendre son projet.

Je dois d'ailleurs, messieurs, repousser une pensée qui semble avoir été émise tout à l'heure.

On voudrait, à ce qu'il paraît, faire examiner immédiatement le traité avec l’Angleterre. Eh bien, je dis que ce serait là un acte que le pays ne pourrait point assez flétrir. Comment ! on ferait voter un projet de loi qui peut compromettre l'industrie, le travail national, la vie de nos ouvriers, on ferait voter un tel projet de loi par une Chambre fatiguée par 9 mois de session ! Cela n'est pas possible !!

Si le traité avec l'Angleterre est présenté, c'est alors surtout que la Chambre doit se séparer pour un temps moral, afin que d’une part les représentants puissent se retremper au contact de leurs commettants et que d'autre part l'opinion publique ait le temps de se former sur un acte qui peut avoir une portée aussi considérable.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La Chambre est parfaitement libre de prendre telle décision qui lui convient et le gouvernement se conformera à la décision de la Chambre.

Mais je dois répondre un mot à l'honorable M. Dumortier. Il ne peut pas être question de discuter d'urgence le traité entre la Belgique et l'Angleterre ; toutefois, il est évident qu'on doit l'examiner.

Voici donc, messieurs, ce que l'on pourrait faire. Si la Chambre discutait mardi prochain le projet de loi de travaux publics, on pourrait pendant cette discussion examiner le traité en section. Le traité sera probablement déposé demain et il pourra être distribué demain soir ou après-demain matin ; on aura ainsi le temps d'en prendre connaissance et l'on pourra aborder la semaine prochaine l'examen dans les sections. Ensuite lorsque la section centrale sera formée, la Chambre pourrait se séparer pendant que cette section s'occupera du traité.

Celle-ci serait autorisée à faire imprimer et à faire distribuer son rapport à domicile et la Chambre reviendrait pour discuter le traité dans un temps déterminé.

La Chambre pourra parfaitement utiliser ses séances de demain et d'après-demain ; il y a à l'ordre du jour plusieurs projets urgents ; il y aura sans doute aussi des rapports de pétitions à faire et à discuter.

M. Orts. - Messieurs, je comptais présenter quelques-unes des observations que vient de vous soumettre M. le ministre de l'intérieur ; je ne les répéterai pas. Je ferai seulement remarquer que la proposition de M. Hymans se justifie, quant au projet de loi des travaux publies, par des considérations toutes-puissantes et que les observations de l'honorable M. Dumortier n'ont pas renversées le moins du monde.

La présence de M. le ministre des finances est, selon moi, indispensable pour la discussion de ce projet de loi.

En effet l'exécution des travaux publics dont il est question implique nécessairement l'intervention des finances de l'Etat.

Si des amendements se produisent en vue d'augmenter les travaux publics en ajoutant à ceux que propose le gouvernement d'autres travaux qu'il ne propose pas, il faut que le représentant du trésor public nous dise si la situation de nos finances permet cette aggravation de dépenses. Il ne suffit pas, en effet, d'apprécier ces travaux nouveaux au point de vue de leur utilité, il faut encore examiner s'il est possible de les payer, si bons et si utiles qu'ils puissent être.

Or, messieurs, il est certain que des amendements seront présentés dans ce but. (Interruption.)

J'entends dire autour de moi que plusieurs amendements sont annoncés dès à présent.

Eh bien, quelque compétent que soit M. le ministre des travaux publics pour juger, appuyer ou combattre ces propositions nouvelles, il est indispensable d'avoir à côté de lui le représentant du trésor public, de le consulter sur la question de savoir ce que les finances du pays permettent ou ne permettent pas d'entreprendre.

(page 1880) La situation financière est si bien engagée dans ce débat, que le mot « emprunt » a été prononcé dans la discussion préparatoire des sections ; bien à tort, selon moi, mais il a été prononcé.

Dès lors, M. le ministre des finances doit être ici pour nous dire si derrière le projet il y a, oui ou non, des emprunts.

L'honorable M. Dumortier reconnaîtra sans peine qu'il est impossible d'exiger avant mardi la présence de M. le ministre des finances ; il n'y a pas deux manières d'apprécier les circonstances douloureuses qui l'éloignent de la Chambre. Que M. Tesch n'ait pas assisté à la discussion qui vient de finir, peu importe à l'affaire. Tout le monde connaît aussi la cause de son absence. Mais il n'y a aucune analogie entre les deux discussions ; il s'agissait aujourd'hui d'une pétition sur laquelle on proposait de demander des explications ultérieures au gouvernement Pour soutenir ce débat, il suffisait et au-delà, comme l'expérience l'a bien prouvé, de la présence de M. le ministre de l'intérieur.

Reste maintenant la question du traité avec l'Angleterre. Sur ce terrain, je dirai à l'honorable M. Dumortier qu'on ne peut pas se le dissimuler, les convenances diplomatiques les plus notoires commandent de ne pas retarder ces sortes de discussions. La Chambre l'a toujours compris et pratiqué ainsi vis-à-vis des nations les plus petites comme pour les plus grandes, et ce n'est pas à un pays ami comme l'Angleterre que la Chambre voudra manquer d'égards.

L'honorable M. Dumortier voit dans le traité une calamité publique. Je n'entends pas discuter un acte dont la Chambre n'est pas saisi. Je me borne à déclarer que, pour bien des populations laborieuses, un traité libéral avec la Grande-Bretagne sera un bienfait précieux.

Vienne la discussion, et je défendrai cette croyance avec autant de fermeté de conviction que l’honorable M. Dumortier peut en avoir quand il considère le traité comme détestable ; l'avenir apprendra qui de nous deux a raison,

M. B. Dumortier. - Les honorables députés de Bruxelles, qui insistent pour prolonger indéfiniment la session, peuvent avoir de très bons motifs pour ne pas être fatigués : ils habitent la capitale ; ils ne sont point séparés de leur famille, ils viennent ici fort commodément quand leurs loisirs le leur permettent ; je conçois que pour eux nos séances soient un agrément dont ils désirent ne pas être privés ; mais nous, membres étrangers à la capitale, séparés de nos familles, nous devons avoir sous ce rapport un sentiment tout opposé, nous devons désirer rentrer dans nos foyers pour nous retremper auprès de nos commettants.

Je m'oppose donc de toutes mes forces à la précipitation que l'on veut apporter à l'examen du traité avec l'Angleterre, je m'oppose surtout à ce que cet examen puisse commencer dans les sections dès la semaine prochaine ; la Chambre ne peut s'occuper d'un projet aussi important, qu'après s'être éclairée de l'opinion de ses commettants ; il faut qu'elle sache avant tout ce que le pays exige en pareille circonstance.

Je demande que le pays soit consulté sur une affaire qui se rapporte à ses plus grands intérêts.

M. Guillery. - Messieurs, je suis véritablement surpris de l'émotion causée par la proposition de l'honorable M. Hymans. En effet, cette proposition n'a pas d'autre but que de demander à la Chambre de discuter les objets à l'ordre du jour qui se trouvent après le projet de crédit pour l'exécution de travaux publics, et qui doivent nécessairement être votés avant notre séparation, de manière que la motion ne nous engage pas à rester un jour ni une heure de plus que nous devrions le faire, en commençant dès aujourd'hui la discussion du projet de crédits pour travaux publics, si M. le ministre des finances pouvait être à son poste.

Nous avons là 5 ou 6 objets que nous ne pouvons pas ajourner, sur lesquels nous devons en tout cas statuer, puisqu'il s'agit notamment de crédits supplémentaires.

Maintenant en ce qui concerne le traité avec l'Angleterre, il n'y aura rien de préjugé par la décision que la Chambre prendra.

La Chambre restera entière dans son droit de décider si la discussion du traité aura lieu dans la session ou sera ajournée. Nous ne connaissons pts le traité ; nous ne savons quels engagements, quelles obligations peut avoir contractés le gouvernement. Il est donc tout à fait inutile de s'occuper aujourd'hui incidemment de cet objet.

Quant à présent, la proposition de l'honorable M. Hymans se réduit à ceci, et je la précise de cette manière avec l'assentiment de l'honorable membre :

Fixer à mardi prochain la discussion du projet de crédits pour l'exécution de travaux publics, et passer immédiatement à l'objet qui suit celui-là dans les bulletins de convocation.

- La proposition de M. Hymans est mise aux voix et adoptée.

La Chambre décide qu'elle se réunira demain vendredi en séance publique, à 2 heures.

La séance est levée à 4 1/2 heures.