(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1859) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l’appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les huissiers audienciers près le tribunal de première instance de Dinant demandent qu'il leur soit accordé un traitement fixe, que le salaire des actes d'avoué à avoué soit augmenté et qu'il leur soit alloué une indemnité pour inscription des actes au répertoire et usure du timbre. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi d'organisation judiciaire.
« Le sieur J. Delvaux prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une pension ou un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur de Hauser-Dcpresscux renouvelle sa demande tendante à ce que M. le ministre de l'intérieur applique au commissaire de l'arrondissement de Liège, l'arrêté royal du 30 juin 1846, qui défend aux commissaires d'arrondissement de participer à l'administration ou à la direction de toute société ou établissement industriel. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Snellaert et Van Acker, membres du Vlaemsch Verbond à Gand, demandent qu'il soit tenu compte de la langue flamande pour l'examen des candidats en sciences, lettres, médecine, philosophie, etc. »
« Même demande des sieurs Vanden Berghe, Van Mullem et autres membres du Vlaemschen Broederbond, à Bruges. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les jurys d'examen.
« Le sieur Janssens-Simons fait connaître à la Chambre qu'il a décliné et décline encore l'honneur d'entrer comme administrateur de la société qui a obtenu la concession d'un chemin de fer de Tamines à Landen. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d'Ortho demande qu'une station du chemin de fer de l'Ourthe soit établie sur le plateau entre Hampteau et Hotton. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Beersel demande que le chemin de fer d'Anvers à Lierre passe le plus près possible de cette commune et au moins à l'ouest de la route provinciale de Lierre vers Aerschot. »
- Même renvoi.
Rapport sur la pétition d’Uccle relative au respect de la liberté des cultes
(page 1866) M. de Haerne. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, lorsqu'un honorable membre de cette Chambre a dit que la question des sépultures, dont il s'agit, ne touchait pas au dogme. Avant de répondre à cet honorable membre, je crois devoir poser la question de fait d'une manière nette, afin de la débarrasser de certains détails accessoires que l'on a accumulés autour d'elle pour en rendre la solution plus difficile.
Je ne crains pas de dire, messieurs, que la question telle qu'elle se présente est très simple, du moins pour les autorités locales quant aux devoirs qu'elles avaient à remplir. De quoi s'agit-il, en effet ? Il s'agit de savoir s'il fallait dans cette circonstance respecter les usages reçus, consacrés dans l'endroit, les antécédents connus de tout le monde, s'il fallait se conformer à des circulaires émanées de l'autorité ministérielle, de (page 1867) l'autorité du gouverneur, sans s'appuyer sur un homme qu'on appelle son supérieur immédiat.
La règle était tracée hiérarchiquement. Il n'y avait qu'une chose à faire pour l'autorité locale, c'était de suivre les précédents établis.
En fait la question était simple et claire pour l'autorité ; mais qu'a-t-on fait ?
On a voulu aller à l’encontre de tous les usages établis et au-devant de ce que l'on devait bien envisager comme un scandale futur.
Il n'est pas nécessaire, je crois, messieurs, de vous citer les pièces auxquelles je viens de faire allusion ; vous connaissez tous les circulaires émanées de M. de Haussy et de M. Liedts, vous connaissez l'opinion de M. Tielemans, de M. de Brouckere ; eh bien j'aurais voulu que l'autorité locale se fût conformée à ces précédents.
La chose me paraissait très simple. Mais on a cherché des difficultés là où il n'y en avait pas.
La Chambre me permettra de réfuter quelques objections avancées à ce sujet. Dans la séance d'hier, un honorable député de Bruxelles nous disait que la liberté des cultes a aboli le décret du 23 prairial an XII.
Messieurs, en vérité, je ne comprends rien à ce langage.
La liberté des cultes, telle qu'elle a été proclamée toujours, dans tous les pays constitutionnels, c'est la liberté pour chaque culte de régler ses affaires intérieures pour autant qu'il ne trouble pas l'ordre public. Ici quelle est la liberté des cultes qu'on nous propose ? D'après les notions assez vagues, assez obscures que nous a données l'honorable député de Bruxelles, la liberté des cultes, c'est la confusion des cultes, c'est l'amalgame de tous les cultes, c'est l'absorption de tous les cultes positifs dans le culte de la raison. Voilà ce que c'est que la liberté des cultes, d'après la notion que l'honorable membre nous en a donnée hier.
Ce n'est pas ainsi qu'on a entendu en aucun temps la liberté des cultes, ce n'est pas ainsi qu'on l'a comprise au Congrès et que l'entendent les jurisconsultes tant français que belges qui se sont occupés de la matière.
Ce qu'on veut au fond, c'est le retour à une loi dont la date seule doit faire connaître l'esprit non seulement antichrétien, mais je dirai révolutionnaire, qui l'a dictée.
Le système qu'on veut établir à la place du décret de l'an XII, c'est le système de la loi du 12 frimaire an II, c'est-à-dire le système qui remonte aux années les plus néfastes de la révolution française, au régime de la terreur ; c'est sous ce régime qu'on jetait aux vents les cendres des rois, au nom de la liberté, de l'égalité hypocritement proclamées par le pouvoir le plus démocratiquement despotique.
La loi n'a jamais été mise sérieusement en pratique, tellement elle était odieuse même sous le régime de la terreur.
Voilà le régime que l'on veut substituer à celui de la loi de prairial an XII.
M. Hymans. - Cela se fait à Paris.
M. de Haerne. - Savez-vous ce qui se passe en cette matière à Paris ? Il y a à Paris quelques cimetières communs où l'on ne bénit que certaines fosses. Pourquoi ? Parce que parmi les défunts qu'on enterre dans ces cimetières particuliers, il y en a une masse dont on ne connaît pas le culte ; il y en a plus qui ont vécu en païens qu'il n'y a de véritables chrétiens. Voilà la raison pour laquelle on n'y applique pas la division par cultes, d'après le décret de prairial an XII. Mais on y trouve aussi des cimetières confessionnels, notamment pour le culte catholique.
Mais Paris n'est pas la France, Paris n'est pas la Belgique, Paris n'est pas le monde. Or, le système que nous soutenons est le système généralement adopté dans le monde, et qui a été suivi, à certains égards, dans l'antiquité. C'est le système des enterrements par division de cultes.
Cela se fait à Paris ! Mais sommes-nous Français ? Voulez-vous chez nous établir des usages tels, qu'on doive désirer l'annexion d'une loi française, pour faire demander peut-être l'annexion d'autres choses ?
Du reste, en France, telle n'est pas la loi générale ; je le démontrerai tout à l'heure d'une manière formelle.
Messieurs, voyons maintenant ce qui s'est passé à Uccle ; on s'est beaucoup occupé de certaines circonstances particulières.
A Uccle, a-t-on dit, il n'y a qu'un culte. Or, d'après le décret du 23 prairial an XII, il ne faut pas de séparation dans le cimetière.
Messieurs, à l'exception de quelques villes et d'un petit nombre de villages, on doit dire qu'en Belgique c'est partout la même chose comme à Uccle. C'est aussi l'état général des 9/10 des départements de France.
Eh bien, le décret aurait donc été fait pour de rares exceptions tant en France qu'en Belgique, si l'objection avait quelque fondement.
Si le décret ne prescrit pas formellement la division là où il n'y a qu'un seul culte, pourquoi cela s'est-il fait ? C'est parce que, de fait, dans tous les cimetières religieux, il y a au moins deux divisions, deux parties. Tous les cimetières religieux, à quelque culte qu'il appartiennent, ont une partie profane.
Or, messieurs, s'il faut respecter d'après le décret du 23 prairial an XII les divisions établies dans les cimetières, lorsqu'il y a plusieurs cultes dans une commune, pourquoi ne respecterait- on pas les exigences du culte là où il n'y en a qu'un seul ?
Est-ce que par hasard les habitants d'un village, d'une ville seraient dans une condition inférieure parce qu'ils sont tous unis dans une même foi ?
Non, messieurs, cela n'est pas admissible et par conséquent cet argument n'a aucune valeur. C'est le sens d'une décision du conseil d'Etat de 1831.
Le fait est là qui domine la question. Partout où il y a un cimetière religieux, il y a une partie profane destinée aux enfants morts sans baptême et aux personnes qui ont repoussé formellement, notoirement, le culte catholique.
Un culte positif a ses lois, quel qu'il soit. Il repousse ceux qui rejettent ces lois. Pourquoi ?
Est-ce qu'il les repousse parce qu'ils embrassent d'autres lois ? Non, mais parce qu’il n'embrassent pas les siennes.
C'est parce qu'ils protestent contre les siennes, et sous ce rapport tous ceux qui protestent contre le dogme catholique sont des protestants aux yeux de l'Eglise, et souvent pires que les protestants proprement dits.
Je dis donc que ceux qui se séparent par la protestation philosophique, dans l'appréciation de laquelle je ne dois pas entrer, sont mis sur la même ligne que les protestants proprement dits, à Uccle comme ailleurs.
Mais, dit-on encore, et c'est là une assez grosse objection, d'après ce que j'ai vu dans quelques journaux, à Uccle, il n'y a pas de place convenable pour les enterrements à faire en dehors de l'Eglise.
L'honorable M. Hymans nous dit qu'il est allé voir et qu'ii en juge ainsi.
Je n'avais pas besoin, pour ma part, d'aller vérifier la chose, parce que je connais depuis longtemps la commune d'Uccle, où j'ai des amis et que j'y ai vu depuis longtemps l'endroit réservé aux enterrements profanes. Ce n'est pas la première fois qu'il s'y présente des inhumations de personnes décédées en dehors du giron de l'Eglise. Plusieurs corps sont enterrés dans l'endroit réservé.
Je suis cependant retourne à Uccle, précisément parce que, d'après quelques antécédents, je m'attendais à ce que l’honorable M. Hymans fît cette visite et je puis déclarer que l'honorable membre n'a pas bien pris ses mesures. Dans ce qu'il appelle un coin, je trouve un espace de 250 pieds carrés.
M. Hymans. - Vous avez de bien petits pieds !
M. de Haerne. - On ne plaisante pas dans une matière aussi grave. Vous perdez de vue l'assertion du doyen dans sa lettre à M. Sterckx, où il dit qu'il y a une bande réservée à côté de cette place profane, bande qui a la même contenance que la place même.
M. De Fré. - C'est une erreur.
M. de Haerne. - Il y a une bande à côté de la place réservée, M. le curé d'Uccle le dit dans sa lettre.
M. Hymans. - Il en dit bien d'autres.
M. de Haerne. - Il me l'a affirmé de nouveau quand j'ai été le voir.
M. Hymans. - Allez voir.
M. de Haerne. - Je l'ai vue, et je déclare que c'est ainsi, et j'ajoute que cette bande supplémentaire se fait remarquer en ce qu'on n'y a pas fait d'inhumations.
M. Hymans. - Vous enverrez les morts au ciel sous bande.
M. de Haerne. - Ce jeu de mots n'est pas digne de la Chambre.
La chose est sérieuse, et ce qui le prouve, c'est qu'on vous permet d'y enterrer comme en terre profane. Cette place réservée se trouve à côté de l'entrée principale. Elle ne présente donc rien d'inconvenant.
Mais, messieurs, si la place, d'après vous, n'est pas convenable, à qui la faute ? Est-ce au clergé ? Est-ce le clergé qui doit avoir soin des inhumations profanes ? Nullement, c'est l'autorité locale ; pourquoi donc n'y a-t-elle pas songé plus tôt ? Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a déjà eu des enterrements en cet endroit ; et ce n’est qu'en dernier lieu qu'on a songé à soulever cette question.
Je respecte la mémoire du colonel qui a été enterré dernièrement à Uccle ; mais ]e dois dire que, d'après tous ses antécédents et d'après ce qu'en m'a rapporté de ses opinions, je ne puis pas lui attribuer des goûts aristocratiques. Or, savez-vous ce que vous faites ? Vous ne voulez pas le confondre avec les personnes enterrées dans la place réservée parce que cet endroit ne serait pas convenable pour lui ; eh bien, vous faites de (page 1868) l'aristocratie au profit des restes d'un homme de mœurs simples et démocratiques. Mais encore une fois, si cette place réservée n'est pas convenable, c'est l'autorité locale qui aurait dû y pourvoir, soit en s'entendant avec la fabrique, pour agrandir le cimetière, soit en établissant un cimetière spécial, chose à laquelle nous ne nous opposons pas le moins du monde.
- Voix à gauche. - Evidemment non.
M. de Haerne. - Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ici un fait qui me revient à la pensée. Pourquoi M. le colonel de Moor, dont je respecte, je le répète, la mémoire, devait-il avoir une distinction plus grande que celle qui a été accordée à un regretté collègue, M. Destriveaux, que j'ai vu à son lit de mort ? J'ai été appelé par la famille lorsque tout espoir de guérison était perdu ; cet homme m'a reçu de la manière la plus amicale et j'ai été très satisfait de son accueil, des égards qu'il m'a témoignés ; mais il m'a déclaré qu’il ne pouvait pas se rallier à mes sentiments, ni se rendre à mes remontrances.
J'ai respecté ses intentions. Mais cet homme a-t-il demandé à être enterré en terre sainte ? Pas le moins du monde ; mais la famille, et je l'en loue, a fait tous les efforts possibles pour le faire admettre en terre sainte. J'ai fait ce que j'ai pu pour lui procurer cette satisfaction, mais les prescriptions de l'Eglise sont formelles ; la chose n'était pas possible. Pourquoi donc n'a-t-on pas agi pour un colonel comme on l'a fait pour un représentant du peuple ? Voilà, messieurs, de l'aristocratie de la pire espèce ; c'est de l'aristocratie présentée sous le manteau de la démocratie.
Mais, c'est une flétrissure devant l'opinion publique, dit-on. Messieurs, c'est un point que je dois nécessairement toucher parce qu'on s'attaque ici à l'honneur même du culte. S'il y a, par-ci par-là, parmi les catholiques comme parmi les personnes appartenant à d'autres cultes, à d'autres opinions, comme parmi les libres penseurs, des gens exagérés et ignorants qui attaquent d'autres personnes sans raison, faut-il s'en prendre aux chefs du culte, au culte lui-même ? N'est-ce pas une injustice aussi grande que si nous vous attributions toutes les extravagances débitées dans votre camp ?
Et quand nous entendons dire qu'il faut étouffer le catholicisme dans la boue, est-il juste que nous fassions remonter ces excès jusqu'à vous ?
Savez-vous, messieurs, ce que dit l'Eglise par rapport aux personnes dont il s'agit ? L'Eglise recommande à tous les fidèles le respect à ces morts comme aux autres.
Seulement elle dit : « Je m'abstiens quant aux suffrages publics et officiels symbolisés dans la bénédiction sépulcrale, parce que mes suffrages ont été répudiés et que je ne puis pas en faire un objet de dérision aux yeux du public.
Savez-vous ce qui arriverait si l'Eglise s'accommodait aux remontrances et aux sollicitations des familles à cet égard ? Mais on accuserait ses ministres de faire des enterrements un objet de spéculation en vue des revenus des services. On dirait que l'Eglise spécule sur des cadavres.
M. Hymans. - On sait bien que cela n'est pas !
M. de Haerne. - Vous dites que l'enterrement séparé est une flétrissure, mais d'où vient la flétrissure ? Voulez-vous le savoir ? Elle vient de ceux qui veulent forcément, contre toutes les habitudes, contre tous les usages, contre tous las sentiments populaires, qui veulent forcément, dis-je, enterrer en terre sainte des hommes qui ont repoussé les lois de l'Eglise, les doctrines, les enseignements de l'Eglise.
Vous profanez les choses saintes, vous commettez aux yeux de la religion un sacrilège et savez-vous ce qui en résulte ?
C'est que ceux qui passeront devant cette tombe, diront : « C'est une tombe sacrilège à tout jamais. » Voilà une véritable flétrissure ; mais elle ne vient pas du côté des catholiques.
Un militaire, comme feu le colonel de Moor, au sens droit, loyal et juste, doit protester du fond du tombeau contre cette injustice, contre cet outrage fait à sa mémoire.
On parle de déshonneur, je viens de faire voir que l'Eglise n'a pas le moindre intérêt à infliger un déshonneur à celui qu'elle regrette de n'avoir pu admettre au cimetière catholique.
Elle lui refuse ses prières et ses suffrages publics immobilisés dans le cimetière ; mais elle engage les fidèles à donner à cet homme le secours de leurs prières privées.
Elle leur dit en parlant de ceux qui sont enterrés en terre profane : Dieu seul les jugera, et n'oubliez pas qu'ils reposent, après tout, à côté de ceux de vos enfants qui sont morts sans baptême.
V a-t-il là de l'intolérance ?
Voilà, messieurs, le langage de l'Eglise. Les fidèles le comprennent et les hommes sensés parmi les catholiques raisonnent de la même manière. Il n'y a que les ignorants qui raisonnent autrement, et il faut bien les supporter dans la classe dont vous parlez comme dans d'autres.
La pétition qui nous est soumise, dit-on encore, nous engage à faire procéder à l'exhumation. Cela n'est pas, et l'honorable M. Vander Donckt l'a expliqué d'une manière claire et catégorique.
Les pétitionnaires, messieurs, ce sont les membres du conseil de fabrique d'Uccle ; ils réclament sous deux rapports, comme catholiques et comme chefs de la fabrique ; comme catholiques, ils demandent la condamnation du fait au point de vue de la liberté des cultes ; comme administrateurs responsables de la gestion des biens de l'église, ils demandent que leur propriété soit respectée et, sous ce dernier rapport, ce n'est pas devant la Chambre, mais c'est devant les tribunaux qu'ils entendent faire valoir leur droit.
En droit canon, messieurs, la profanation qui a eu lieu n'est pas de la catégorie de celles qui entraînent la nécessité de rebénir le cimetière. Je sais qu'en France on a ordonné des exhumations dans des cas semblables pour avoir une réparation plus complète. Mais, je le répète, cette violation du terrain sacré n'entraîne pas la nécessité de rebénir le cimetière, et sous ce rapport, il n'y a pas nécessité d'ordonner l'exhumation.
Aussi, le clergé d'Uccle ne le demande en aucune manière, je puis m’attester.
Il demande la condamnation de l'acte, pour en prévenir le retour.
Messieurs, en commençant ce discours, j'ai eu l'honneur de vous dire la raison principale pour laquelle j'ai pris la parole.
C'était surtout pour me placer au point de vue du dogme, parce qu'on a dit que le dogme n'était pour rien dans la question. La Chambre voudra bien m'accorder quelques instants d'attention pour me permettre de développer mes idées à cet égard.
Je m'étonne, messieurs, que cette objection soit venue d'un homme qui a des connaissances historiques très étendues, tout le monde le reconnaît. Je ne réclame pas de lui des connaissances tout aussi développées en matière de dogme, cependant le dogme se rattache ici d'une manière fort étroite aux faits historiques.
Je ne puis donc me rendre compte de l'objection faite par l'honorable membre.
L'histoire proteste contre une telle allégation. Tous les auteurs qui ont écrit sur la matière, en France, en Belgique, en Allemagne, affirment que la question des sépultures est une question religieuse avant tout. Elle est mixte, il est vrai, mais la religion a un droit positif, inaliénable dans la sépulture.
Il n'y a qu'une voix à cet égard. Dans tous les temps, dans tous les pays on a reconnu cette vérité.
Permettez-moi, messieurs, de faire quelques observations qui n'ont pas été suffisamment mises en lumière par les auteurs auxquels j'ai fait allusion, en ce qui regarde la séparation des enterrements d'après les cultes ou d'après les mérites qu'on suppose aux morts.
Ainsi, en Egypte, on peut voir encore aujourd'hui à côté de Memphis l'immense plaine circulaire des momies, appelée Bacchara, d'un diamètre de quatre lieues, séparée de la ville par un lac.
Après la mort, vous le savez, on subissait un jugement, et d'après ce jugement, si on était trouvé fidèle aux lois de l'Egypte, on passait le lac dans une barque dont le batelier, en langue égyptienne, s'appelait Charon ; et lorsqu'on n'était pas trouvé juste devant le tribunal, on était relégué de l'autre côté de la ville dans un endroit appelé Tartare.
Les autres grandes villes avaient aussi leurs nécropoles et suivaient les mêmes usages qui révèlent la distinction des âmes, par la séparation de sépultures
Les seuls mots de Charon et de Tartare vous en disent assez pour expliquer les fables de la Grèce sur ce point. Ce ne sont que des fables ; mais ces fables sont l'enveloppe, l'écorce grossière mais précieuse du dogme universel.
Passons à Athènes ; rien n'y était plus sacré que la sépulture. A Athènes les hommes coupables de sacrilège étaient condamnés à être enterrés hors de la terre de l'Attique, consacrée à Minerve. Les criminels étaient jetés dans un gouffre appelé Barathron.
L'histoire nous rapporte, d'après Xénophon, que les huit généraux vainqueurs aux Arginuses furent condamnés à mort, pour avoir négligé de recueillir les corps des Athéniens submergés et de leur donner la sépulture nationale.
Ainsi, les cendres des justes, des hommes de mérite sont honorées, celles des coupables sont flétries. On voit ici au fond la même croyance que chez les Egyptiens. Ce dogme mystérieux admis chez les anciens remonte aux premiers temps du monde. Il a été puisé, en ce qu'il a de plus élevé, d'abord par les Israélites et par les chrétiens plus tard, dans un livre (page 1869) sacré, que lord Byron appelle le plus ancien drame et peut-être le plus ancien poème du monde, le livre de Job, que le poète anglais a trouvé trop sublime pour avoir osé le traduire, et dont la pensée fondamentale présente la résurrection heureuse comme récompense de la vertu.
Voilà comment le dogme se mêle à cette grande question des sépultures dans les annales du christianisme primitif et dans celles du christianisme actuel. Dans l'ancienne Rome, même respect pour les tombeaux, fondé sur les idées religieuses de la Grèce et de l'Egypte. A Rome les douze Tables proclament l'inviolabilité des sépultures. Voici le texte : Fori bustive aeterna auctotitas esto : Les sépultures sont déclarées inviolables comme le Forum.
Cicéron s'explique en ces termes qui font comprendre toute la force de la loi : Sepulchrorum sanctitas in ipso solo est, quod nulla vi moveri nec deleri potest.
Les Romains appelaient les lieux de sépulture des lieux sacrés, des lieux religieux, mis hors du commerce ou en mainmorte, comme on dit aujourd'hui.
Voyez ce qui se passe en Chine ; les 400 millions d'hommes qui habitent ce vaste pays ont conservé, depuis les temps les plus reculés, le culte des tombeaux, le culte des ancêtres.
Leur superstition pour une sépulture distinguée les entraîne à des dépenses extraordinaires, à un luxe exorbitant. Dans quelque endroit dumnonde qu'ils se trouvent, ils expriment, avant de mourir, le plus vif désir d'être transportés dans leur patrie pour être inhumés dans la terre du céleste empire.
La sépulture est aussi une chose sacrée chez les Indiens, autre peuple dont l'origine se perd dans la nuit des temps.
Les mahométans n'ont pas moins de vénération pour les tombeaux.
A Constantinople, à Smyrne, on voit, en dehors de l'enceinte habitée, de vastes nécropoles où sur chaque tombeau s'élève un cyprès, emblème de l'immortalité. Ces lieux de sépulture séparés sont consacrés aux populations musulmanes.
Les israélites et les chrétiens ont établi partout et dans tous les temps, autant qu'ils ont pu, des sépultures confessionnelles, oh ils ont proclamé par des inscriptions, des signes et des ornements funéraires, les dogmes fondamentaux de la religion révélée. Les mystères, qu'on célébrait sur les tombeaux au fond des catacombes, sont l'expression la plus éloquente des sentiments qui animaient les fidèles dès l'origine du christianisme.
L'Eglise y était en quelque sorte enterrée avec les martyrs. Dès qu'elle put sortir de ces mystérieux souterrains, elle fonda ce qu'elle appelait des cimetières, dont l'étymologie seule révèle un dogme.
Le cimetière, c'est un dortoir, d'après la signification originelle du mot ; c'est un lieu où l'on repose momentanément en attendant le réveil que les chrétiens appellent la résurrection. En flamand comme dans la plupart des langues du Nord, le cimetière, c'est le jardin, le prolongement de l'église, et une preuve que cet endroit est sacré aux yeux des chrétiens, c'est que la consécration ou la profanation des églises entraîne la consécration ou la profanation des cimetières contigus.
Le cimetière, c'est une église souterraine ; c'est pour cela que dans les cimetières on ne peut pas enterrer ceux qui ont rompu avec l'Eglise, on ne le peut pas, parce que c'est l'Eglise même.
La consécration du terrain commun des inhumations représente la communion des fidèles. C'est pour cela que l'Eglise permet le renouvellement des fosses dans le terrain bénit, qui est le caveau commun, où s'unissent ainsi, après quelques années, les restes mortels de ses enfants, pour figurer le corps mystique dont ils sont les membres. Cette sainte égalité n'a pas été admise dans plusieurs autres cultes tant anciens que modernes, qui ont consacré, comme à Rome, l'immobilité de chaque tombe.
La bénédiction du cimetière commun figure, par une manifestation à la fois matérielle et spirituelle, l'Eglise même, dans son unité mystique de l'avenir aussi bien que du présent ; et vouloir établir un autre système en limitant l'action religieuse à la bénédiction de chaque fosse, c'est, à mon avis, vouloir briser l'unité de l'Eglise catholique dans un de ses plus augustes symboles.
Avant d'aller plus loin, messieurs, avant de vous démontrer que tous les chrétiens cherchent à se procurer partout des lieux de sépulture séparés, je dois répondre à une objection, que j'entends faire à l'instant même, objection qui avait été présentée dans la séance d'hier, et qui tend à combattre ce que je viens d'avancer.
On nous a dit qu'il y a des enterrements faits en terre sainte, de personnes mortes hors du giron de l'Eglise, avec le concours du clergé catholique.
On a cité à ce sujet des fails qui se seraient passés à Namur. Eh bien, messieurs, je trouve dans un journal de Namur, l’Ami de l’Ordre d’aujourd'hui, une protestation énergique signée par tous les cures de la ville de Namur contre les assertions du journal qu'on avait invoque hier ; je ne lirai pas cette pièce pour ne pas trop prolonger ce débat. Tout le monde pourra lire cette protestation.
Je n'abuserai pas de l'attention que la Chambre veut bien m’accorder en ce moment. .
Messieurs, à entendre nos adversaires, on dirait que c’est en Belgique seulement qu'on met en avant cette idée de sépultures séparées par cultes.
Les cultes, a-t-on ajouté, n'ont pas de prétention à faire valoir à cet égard. L'inhumation est une affaire civile.
J'ai déjà eu l'honneur de vous faire voir que cette dernière assertion est formellement contraire aux idées des anciens et des modernes.
Pour ce qui regarde les peuples modernes, j'ose dire aussi qu'il n y a à cet égard d'exception dans aucun pays.
En Angleterre, pays constitutionnel, où l'on pratique sans doute la liberté des cultes, et que souvent on nous propose avec raison pour modèle, les cimetières, en général, sont des propriétés qui appartiennent soit à des cultes particuliers, soit à d'autres corporations ; mais avec division, d'après les cultes établis. Voilà le système anglais.
En Hollande, c'est au fond le même système que celui que nous avons en Belgique et il n'y est jamais l'objet du moindre trouble.
J'ai ici une lettre d'un respectable doyen de Hollande qui m'écrit comment ces choses se passent dans ce pays ; la lettre est rédigée en hollandais, je n'en donnerai pas lecture, plusieurs membres de la Chambre ne comprenant pas cette langue ; mais je garantis la fidélité de la traduction. Mon honorable correspondant m'apprend qu'en Hollande il y a des cimetières qui appartiennent soit an culte catholique, soit à d'autres cultes ; il y a ensuite des cimetières communs ; mais dans les cimetières communs, ou communaux, si l'on veut, il y a séparation pour les diverses opinions religieuses.
Les catholiques qui refusent les secours de l'Eglise sont enterrés, non pas en terre sainte, mais dans la partie réservée du cimetière catholique, ou, si les protestants y consentent, dans le cimetière protestant ; ils sont envisagés comme protestants ; en effet, le protestantisme est tellement devenu vague dans ses doctrines, que le baptême est le seul signe distinctif ; les protestants admettent donc assez généralement dans leur cimetière tous ceux qui, ayant été baptisés, ne sont pas admis dans le cimetière catholique.
Eh bien, l'honorable auteur de la lettre m'apprend que jamais, en Hollande, on n'a eu à déplorer la moindre violence pour refus de sépulture religieuse.
En Allemagne les cimetières sont établis à peu près sur le même pied. Je pourrais citer des pièces émanant de l'autorité épiscopale de Bonn : mais je ne veux pas abuser de l'attention de la Chambre ; au fond, je le répète, c'est le même système. Permettez-moi cependant de vous citer encore un fait très remarquable sous ce rapport.
Les usages catholiques ou plutôt les usages chrétiens, car toutes les communions chrétiennes sont d'accord au fond avec les catholiques, les usages chrétiens se sont étendus jusqu'en Amérique.
Je tiens en mains les décrets du concile plénière de Baltimore du 26 septembre 1852, approuvés à Rome, ayant par conséquent un caractère doctrinal aux yeux du monde catholique ; ils sont signés par le cardinal Fransoni, au nom du Saint-Siège.
Parmi les décrets du concile plénière de Baltimore, c'est-à-dire d'un concile embrassant dans sa juridiction toute l'étendue des Etats-Unis, je trouve ce qui suit : permettez-moi de vous lire d'abord la texte latin je le traduirai ensuite :
« Decret. III... Ritus ecclesiasticos nolumus adhiberi in sepultura fidelium, quandocumque eorum corpora sepeliuntur in cœmeteriis sectarum ; vel etiam in cœmeteriis profanis, quando adsunt cœmeteria catholica »
Voilà la décision prise par le concile :
« Les rites ecclésiastiques ne peuvent être appliqués à la sépulture des fidèles lorsque leurs corps sont ensevelis dans un cimetière de sectes ou dans un cimetière profane, alors qu'il y a des cimetières catholiques. »
Il résulte de là, messieurs, qu'aux Etats-Unis, il y a d'abord des cimetières catholiques, ensuite des cimetières de différentes sectes et enfin des cimetières communs ; et l'Eglise y a absolument les mêmes prescriptions que celles qui existent parmi les catholiques d'Europe, c'est-à-dire qu'elle ne veut pas que ses cérémonies soient appliquées à ceux qui ne se conforment pas au culte catholique.
Il s'ensuit que le clergé refuse son concours pour la bénédiction d'une fosse particulière, là où il y a des cimetières qui lui appartiennent.
(page 1870) Voilà la loi en Amérique, pays de liberté, que nous avons pris pour modèle en formulant notre Constitution.
En France, on trouve le même usage, comme je l'ai déjà fait voir, en répondant aune interruption concernant Paris, qui constitue une exception qui s'explique de la manière la plus naturelle.
On a vanté hier ce qu'on appelle la tolérance des protestants ; on a dit qu'ils admettent dans leurs cimetières non seulement ceux qui protestent contre le culte de leurs ancêtres et qui, par conséquent, sont protestants, mais encore les grecs schismatiques, les socialistes, les solidaires.
Mon Dieu ! il n'y a là rien qui doive étonner comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, vu l'esprit vague du protestantisme qui n'a qu'un seul point de ralliement, c'est la protestation contre notre culte.
Mais, messieurs, cette tolérance ne s'applique pas à tous les rites protestants ; car il y en a qui se rapprochent bien plus du riet catholique que des autres rites protestants.
Ainsi les anglicans ont en beaucoup de choses à peu près le même rituel que les catholiques. C'est au point qu'on confondrait facilement leurs cérémonies pour l'enterrement avec les nôtres.
Ils n'admettent pas du tout les membres des autres communions dans leurs cimetières, en vertu même de leur rituel, vu qu'ils conservent beaucoup de formalités empruntées aux catholiques et par lesquelles ils s'éloignent complètement des autres rites protestants.
Donc ne généralisez pas.
La question du baptême est presque toujours décisive pour les protestants. Mais, messieurs, je ne veux pas m'appuyer seulement sur l'exemple des anglicans. Il y a des protestants qui poussent l'exclusion en matière d'inhumation, jusqu'à l'intolérance. Vous savez qu'en Amérique, il y a des protestants qui ne veulent pas même admettre les hommes de couleur dans leurs cimetières. C'est là une véritable intolérance, parce que cette pratique n'est fondée que sur des préjugés inhumains.
Voici ce que je lis dans un ouvrage très estimé qui a été publié cette année. C'est le livre de M. Carlier, intitulé : De l'esclavage dans ses rapports avec l'opinion américaine ?
« En 1837 (dit l'auteur, page 353, on voyait à Philadelphie, suspendue au porche d'un temple presbytérien une affiche, sur laquelle se trouvait la formule d'un contrat de concession applicable aux lots de terre à vendre dans un certain cimetière. On y avait inséré la clause suivante :
« Aucune personne de couleur et aucun individu, qui aura été soumis à une exécution ne seront enterrés dans ce lot. »
Voilà ce qu'on avait affiché à la porte d'une église presbytérienne, à Philadelphie.
C'est bien là de l'intolérance, comme le dit aussi M. Carlier, d'autant plus qu'on fonde cette odieuse exclusion sur le prétendu dogme de la distinction originelle entre la race noire et la race blanche.
M. Moreau. - Il ne s'agit pas de cela.
M. De Fré. - Il s'agit de la loi.
M. de Haerne. - Il s'agit de répondre aux objections qui n'étaient pas non plus dans la loi. La Chambre comprendra que j'ai le droit de repousser les attaques dirigées contre l'opinion que je défends.
On dit encore qu'on craint l'arbitraire du ministre du culte appelé à décider. C'est, je pense, ainsi que s'est exprimé l'honorable M. Hymans.
Mais, messieurs, on peut toujours recourir à l'autorité supérieure. C'est ce qui se fait dans beaucoup de cas, et l'on n'a aucun intérêt à agir autrement.
On a parlé aussi d'un fait qui s'est passé à Ixelles il y a quelques années, d'un enterrement forcé qui a eu lieu dans un caveau ; mais, messieurs, on a oublié de dire qu'il y a eu protestation de la part du curé.
Comment voulez-vous qu'il s'oppose autrement à ce qui se fait s'il n'a pas la force en main ?
On a tiré un argument de ce fait en faveur de la promiscuité des tombeaux, on a dit que le cimetière n'avait pas pour cela été débénit.
Mais, messieurs, je vous l'ai déjà dit : Il y a des cas où la profanation est telle, qu'il y a lieu d'après les lois de l'Eglise de procéder à une nouvelle bénédiction mystique, mais il y a d'autres cas où il n'y a pas lieu à renouveler la consécration.
Je ne veux pas entrer dans des explications théologiques à cet égard, parce que cela serait critiqué dans le public et que c'est en dehors de nos habitudes ; mais tout cela est positivement établi dans le droit canon. Il n'y a en tout cela rien d'arbitraire.
Pour ce qui regarde le cas d'un enterrement réprouvé par l'Eglise dans un caveau concédé, il a été résolu dans notre sens par un ancien ministre de la justice, M. de Haussy. Cet honorable fonctionnaire a déclaré que, dans un cas semblable, il faut supposer, alors que la défense n'aurait pas été faite, avant la concession, d'enterrer dans le caveau concédé, des personnes mortes en dehors du giron de l'Eglise, il faut supposer que cette réserve existe. Voilà ce qu'a dit l'honorable M. de Haussy.
Messieurs, je vais vous citer un autre fait, en réponse directe à ce qu'a dit l'honorable M. Hymans. L'autorité de M. de Haussy est sans doute acceptable par nous tous sur ce point, et je crois qu'elle ne peut être suspecte aux yeux de nos adversaires ; mais je vais vous citer une autorité plus grave, plus importante, en ce qu'elle est au-dessus de toute discussion d'esprit de parti en Belgique.
C'est une décision prise l'année dernière en France par le conseil d'Etat, sous la date du 17 juillet.
Voici quel était le cas. Dans une commune du département du Finistère, appelé Kerfeunteun, près de Quimper, la famille Caratsch avait obtenu la concession d'un caveau.
La fabrique d'église, en accordant la concession, n'avait fait aucune réserve. Il y avait dans la famille des catholiques et des protestants. Le père vient à mourir et le fils exige l'enterrement du corps de son père dans le caveau. Le maire fait opposition ; la famille en réfère au préfet du Finistère ; le préfet confirme la décision prise par le maire ; la famille en appelle au conseil d'Etat et le conseil d'Etat, par une décision du 17 juillet 1861, signée Napoléon III, décide qu'il n'y avait pas lieu de faire cette inhumation, à cause du respect dû au culte en cette circonstance.
M. Hymans. - Sommes-nous Français ?
M. de Haerne. - Etrange interruption ! Non, nous ne sommes pas Français, et j'ai eu soin de m'appuyer tout d'abord sur la circulaire de M. de Haussy ; mais je suis bien obligé d'opposer des arguments pris en France à ceux qui n'en invoquent guère d'autres et qui s'appuient sans cesse sur de prétendus usages français, comme leur étant favorables.
Oui, c'est en France que vous cherchez votre appui ; mais, comme je l'ai fait voir, dans la France de 1793.
Je dois le répéter encore, le système qu'on nous oppose n'est autre chose que le système de l'époque de la Terreur, du 12 frimaire an II, système qui a été flétri par l'opinion française, par l'opinion du monde entier, comme attentatoire à la liberté des cultes.
Dans le même document que je viens de citer à propos de l'affaire du département du Finistère, je trouve un commentaire de Dalloz, où il fait remarquer que les défenseurs de M. Caratsch s'appuyaient sur le décret de frimaire an II ; mais ce système, dit-il, établi au nom de la liberté, était la négation de la liberté et c'est pour cela qu'on y a substitué le système du 23 prairial au XII. Voilà le langage de ce grand jurisconsulte, comme on peut le voir dans le commentaire de la décision du conseil d'Etat dont je viens de parler.
Messieurs, je ne puis terminer sans citer une autorité qui ne sera certes pas suspecte aux yeux de mes honorables adversaires ; c'est celle de M. le ministre actuel de l'intérieur.
L'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom a reconnu le principe que je défends ici, dans une lettre qu'il a écrite le 3 mars 1852, et dans laquelle ii demandait, en qualité de bourgmestre d'Ypres, l'agrandissement des cimetières de cette localité.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est comme membre de l'administration communale.
M. de Haerne. - Cette lettre est signée Alph. Vandenpeereboom pour les bourgmestre et échevins. L'honorable M. Vandenpeereboom demandait dans cette pièce l'agrandissement du cimetière, qui est, disait-il, la propriété des quatre fabriques d'église d'Ypres.
Et il alléguait un argument dont je dois conclure qu'il respectait la division établie pour les cultes ; car il disait en parlant au gouverneur : Si l'on refusait le droit d'acquisition aux fabriques d'église, ii en résulterait que les habitants d'Ypres manifesteraient une préférence pour la terre de l'église. Voilà une phrase que je trouve dans sa lettre.
Eh bien, messieurs, si les inhumations pouvaient se régler administrativement sans l'intervention de l'autorité ecclésiastique au point de vue religieux, les habitants d'Ypres pas plus que ceux d'aucune autre localité n'auraient de préférence à faire valoir à cet égard.
Donc, puisqu'on disait que les habitants d'Ypres auraient pu manifester une préférence pour la terre de l'église, il en résulte évidemment qu'il doit y avoir une séparation ; et que la terre qui aurait été acquise par la commune et qui n'aurait pas reçu la bénédiction de l'église n'aurait pas inspiré la même confiance et aurait pu être abandonnée pour les sépultures.
Si l'administration pouvait niveler toutes ces choses, évidemment il n'y aurait pas la moindre réclamation à faire de ce chef.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il peut y avoir préférence.
(page 1871) M. de Haerne. - Mais cela ne pourrait pas être invoqué comme un droit ; et c'est votre principal argument ; c'est là ce que vous alléguiez pour que l'acquisition se fit au nom des quatre fabriques d'église et non par la commune.
Messieurs, d'après les considérations que je viens de présenter, et les détails que j'ai fournis, il est bien évident que, dans tous les temps, dans tous les pays, l'opinion générale a attribué aux lieux de sépulture un caractère religieux.
Les jurisprudences belge et française sanctionnaient la séparation des sépultures d'après les cultes ; toutes les grandes autorités que j'ai citées (et j'aurais pu en citer bien davantage encore, si je n'avais craint d'abuser de la patience de la Chambre), toutes les autorités que j'ai citées, les Tielemans, les de Brouckere, les Liedts, les de Haussy, se prononcent formellement dans ce sens.
Ce n'est que depuis fort peu de temps, messieurs, il faut bien le reconnaître, qu'on a suscité des difficultés sous ce rapport ; ce n'est que depuis fort peu de temps qu'on affiche des prétentions contraires à notre système, consacré en Belgique par les traditions séculaires, par toutes les lois et particulièrement par l'édit du 26 juin 1784 émané de Joseph II.
J'ai la conviction profonde, et je le dis sans crainte comme sans passion aucune, que ces prétentions qu'on élève aujourd'hui ne prévaudront pas en Belgique. Non, elles ne prévaudront pas contre la Constitution, contre l'opinion publique qui partout se déclare énergiquement pour la liberté des cultes entendue dans le sens sérieux et véritable du mot ; elle se prononce partout pour cette liberté sacrée léguée par nos ancêtres et consacrée par notre Constitution et qui veut maintenir inviolable la sainteté des tombeaux.
(page 1859) M. Carlier. - L'honorable préopinant qui vient de se rasseoir, nous a annoncé, au début de son discours, qu'il entendait dégager la question des éléments hétérogènes, dont mes honorables amis, MM. De Fré et Hymans se seraient plu à la compliquer hier. Je regrette de devoir le dire, messieurs, avec toute la déférence dont je désire entourer la personne et les paroles de l’honorable préopinant, il me semble qu'il a bien peu réussi dans l'accomplissement de cette partie de son programme.
La question que nous avons à examiner est d'une extrême simplicité, j'espère le démontrer tout à l'heure à la Chambre ; et si un élément doit y rester complètement étranger, c'est l'élément religieux, que l'honorable préopinant a surtout introduit dans la discussion, par le discours que nous venons de lui entendre prononcer.
L'honorable préopinant a laissé presque entièrement de côté la question de droit, la question constitutionnelle surtout qui se rattache à ce débat ; et je le répète, c'est au point de vue religieux qu'il s'est exclusivement placé. Je ne suivrai pas son exemple.
Puisque j'ai dit que la question est extrêmement simple, je réduirai mon argumentation à des limites extrêmement restreintes.
Pour moi, toute la question que soulève l'acte posé par le bourgmestre d'Uccle se résume dans l'interprétation à donner au décret du 23 prairial an XII et particulièrement aux articles 15, 16 et 17.
Un point important de la question, c'est la manière dont il faut définir le droit de propriété de la fabrique sur le cimetière. Ce droit a été parfaitement défini dans la séance d'hier par l'honorable M. De Fré. Ce n'est pas une propriété absolue qu'exerce le conseil de fabrique, mais une administration dans des limites restreintes.
Il est hors de toute discussion que le conseil de fabrique ne peut disposer à son gré du cimetière dont il est propriétaire, qu'il ne peut l'employer qu'à l'inhumation des citoyens et pour l'inhumation des citoyens non de la façon capricieuse dont voulait le faire le conseil de fabrique d'Uccle, mais de la façon prescrite par le décret de l'an XII.
Qui est juge de la façon dont l'inhumation doit avoir lieu ? L'autorité locale qui exerce le pouvoir, la police sur les cimetières ?
En effet le décret de l'an XII ordonne que le cimetière soit divisé et non pas consacré en autant de parties qu'il y a de cultes exercés dans la commune. A Uccle, les cultes professés dans la commune ne sont pas nombreux ; sans s'occuper du nombre de cultes ainsi professés, le conseil de fabrique s'est contenté de se réserver la presque totalité du cimetière et d'en retrancher une faible partie, un terrain exigu très peu convenable, très peu digue des citoyens qu'on pourrait y placer ; il a cru qu'il avait ainsi satisfait aux prescriptions légales qu’il avait à observer.
Je crois qu'en agissant ainsi le conseil de fabrique d'Uccle s'est préparé la discussion actuelle et les désagréments qu'elle suscite. Si chacun des cultes professés dans la commune d'Uccle avait eu sa part du cimetière convenablement disposée, certainement la famille de Moor ne serait pas venue occasionner le débat actuel.
Mais à côté de ce droit de propriété de la fabrique d'Uccle et de la façon dont ce droit doit être exercé, interprété, vient se placer l'autorité qui domine en cette matière toutes les décisions à prendre ; c'est l'autorité communale, le pouvoir qui lui est déféré par le décret de l'an XII.
D'honorables membres disaient que cette autorité n'est attribuée à l'administration communale qu'en vue de la salubrité publique et que du moment que l'autorité communale satisfait aux règles de la salubrité publique, elle a rempli son devoir, épuisé sa mission ; que, cela fait, elle n'a plus de pouvoir, que son autorité a cessé. C'est une erreur ; si on admet cette doctrine, on aboutit à une décision erronée.
Le décret de l'an XII n'a pas accordé ce pouvoir à l'administration communale au point de vue de la salubrité publique seulement, mais il le leur a surtout attribué afin que les autorités publiques eussent soin d'accorder à la cendre des morts le respect, la décence qui doivent les entourer.
Quand le décret de l'an XII est ainsi interprété, il l'est d'une manière conforme à sa lettre et à son esprit.
Ce décret déclare qu'il appartient au pouvoir communal de prendre des mesures pour que les cendres des morts soient entourés du respect qui leur est dû et que le cimetière ne présente pas pour les citoyens dissidents un lieu qui ne serait pas convenable.
Il appartenait donc au bourgmestre d'Uccle, c'était même pour lui un strict devoir de prendre, dans les circonstances qui se sont présentées lors des obsèques du colonel de Moor, les mesures qu'il a prises.
Quoique à ce propos, on nous adresse le reproche de faire de la démocratie aristocratique, je dois dire que dans l'inhumation on doit avoir égard à la position des personnes et au rang qu'elles ont occupé dans la société pendant leur vie ; qu'il s'agisse du colonel de Moor ou de tout autre, cette position doit être prise en considération.
Il se présente dans l'affaire d'Uccle des particularités qui rendaient le devoir du bourgmestre plus impérieux.
Le colonel de Moor était un bon et loyal militaire et avait obtenu des distinctions que chacun de nous révère ; il était officier de l'ordre de Léopold et décoré de la croix de Fer pour les services qu'il avait rendus à la révolution ; il avait, obtenu un grade élevé dans l'armée. Ces circonstances me semblent, non pas de nature à commander des mesures spéciales, mais à entrer pour quelque chose dans les motifs qui ont pu déterminer le bourgmestre, mais cette considération, pour moi, est extrêmement secondaire.
J'admettrai même volontiers que, aux yeux de la loi, elle ne devait exercer aucune influence dans les mesures qui ont été prises par le bourgmestre. Mais il est une autre circonstance, circonstance très importante dans ce débat, qui à elle seule suffisait, qui à elle seule devait nécessairement entraîner la décision prise par M. le bourgmestre.
On a beaucoup parlé de la liberté de conscience dans cette affaire ; M. le bourgmestre d'Uccle avait à respecter la liberté de conscience, je le veux bien, mais je diffère quelque peu de l'honorable membre sur la manière dont il faut entendre la liberté de conscience.
Si au nom de la liberté de conscience vous voulez interdire l'entrée du cimetière au citoyen qui, aux yeux du curé, n'a pas parfaitement rempli (page 1860) ses devoirs de chrétien, je dis que votre liberté de conscience est de l'intolérance.
La liberté de conscience devait être appliquée en ce sens que M. de Moor étant catholique aux yeux de son bourgmestre, il n'était pas permis à celui-ci de s'enquérir si M. de Moor avait satisfait aux prescriptions de la religion, aux devoirs que la religion commande, il lui suffisait que M. de Moor fût catholique pour qu'une part du cimetière catholique lui fût attribuée, pour qu'une tombe lui fût assurée dans le cimetière catholique.
Et maintenant, messieurs, se présente cette question capitale, selon moi, de savoir si cette autorité du bourgmestre, disant que M. de Moor, né catholique, doit être inhumé dans le cimetière catholique, devait être contrôlée par le clergé, si le bourgmestre d’Uccle, pour prendre la mesure qu'il a prise et qu'il a très légalement prise, à mes yeux, devait se mettre d'accord avec le clergé d'Uccle, avec M. le curé d'Uccle.
Dans le système préconisé par une brochure qui nous a été distribuée à tous, système admis par nos honorables adversaires, c'était à M. le curé d'indiquer au bourgmestre s'il pouvait ou non, faire inhumer dans le cimetière catholique la dépouille mortelle de M. de Moor ; sur ce point il m'est tout à fait impossible d'être d'accord avec nos honorables adversaires.
L'autorité communale est souveraine maîtresse de décider à cet égard et de prendre toutes les mesures qu'elle croit convenables et qu'elle croit légales. Eh bien, dans l'occurrence, le bourgmestre d’Uccle n'a pas cru qu'il dût se soumettre à l'approbation du curé, il n'a pas cru qu'il dût se mettre d'accord avec le curé.
Je crois que le bourgmestre d'Uccle a parfaitement fait ; je crois que s'il avait agi autrement, il aurait soumis l'autorité locale à la volonté du clergé, qu'il aurait soumis le pouvoir civil à l'autorité religieuse. Ii eût manqué à tous nos principes, il eût manqué à nos principes constitutionnels, il eût manqué aux principes les plus sacrés que nous avons à défendre dans cette enceinte.
Ainsi donc, messieurs, au double point de vue de la propriété des cimetières et du pouvoir que doit exercer l'autorité locale en semblable matière, j'estime que cette affaire doit avoir une solution extrêmement simple.
Le droit de propriété de la fabrique ne pouvait pas l'empêcher de donner un lieu de sépulture dans la partie réservée au culte catholique à la dépouille du colonel de Moor. Quant à l'autorité communale, il lui appartenait à elle seule, sans qu'elle eût besoin de se mettre d'accord avec le clergé, d'user du droit que la loi lui donne et d'ordonner l'inhumation de M. de Moor dans le cimetière catholique.
Le bourgmestre d'Uccle s'est donc conformé, en tous points, à l'esprit et à la lettre du décret qui régit cette matière et je ne puis, messieurs, aboutir qu'à cette seule conclusion : L'ordre du jour pur et simple.
D'après la commission, la pétition de la fabrique d'Uccle devrait être renvoyée à MM. les ministres de la justice et de l'intérieur avec demande d'explications.
Je ne puis, pour le moment, admettre cette conclusion, car j'ai la conviction que les principes du décret de prairial an XII ont été sainement interprétés et appliqués par l'autorité locale.
M. le ministre de l'intérieur va, sans nul doute, nous donner son opinion sur cette affaire.
J'attendrai ses explications avant du me rallier à l'avis de la commission, et je me réserve jusque-là de vous proposer l'ordre du jour pur et simple.
M. de Theux. - Messieurs, la question qui s'agite dans cette enceinte a la portée d'une question constitutionnelle.
En effet, messieurs, il s'agit essentiellement d'une pratique d'un culte, conséquemment de la liberté d'un culte.
L'honorable M. de Haerne vous a démontré tout le côté religieux des inhumations dans tous les cultes en général, mais spécialement dans le culte catholique, le seul évidemment qui soit en cause dans cette discussion.
Je dis, messieurs, qu'au point de vue du culte catholique, il s'agit de l'une de ses pratiques et qu'on ne peut pas y porter atteinte sans violer la liberté constitutionnelle des cultes.
Voici ce que porte l'article 14 de la Constitution :
« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »
Ainsi, messieurs, l'exercice du culte est parfaitement garanti soit qu'il s'agisse de processions, soit qu'il s'agisse de l'administration des sacrements, soit qu'il s'agisse des inhumations.
Le décret de 1804 a parfaitement reconnu que la question des inhumations a un côté religieux, car pourquoi divise-t-il les cimetières en autant de compartiments qu'il y a de cultes différents dans la commune ? Evidemment parce que c'est une question éminemment religieuse.
Ce décret, messieurs, de quelle manière a-t-il été appliqué et interprété en France et en Belgique sous les divers régimes ? En France, sous le gouvernement du premier empire, sous le gouvernement de la restauration, sous le gouvernement de juillet et sous le gouvernement du deuxième empire, il a été appliqué constamment et d'une manière uniforme dans le sens du respect des cultes en ce qui concerne les inhumations.
En Belgique, il en a été de même sous les divers ministères, sous le gouvernement des Pays-Bas, comme sous le gouvernement belge.
En France, le conseil d'Etat a été saisi de cette question plusieurs fois. Je citerai deux décisions ; la première surtout, dont il n'a pas été donné une connaissance étendue à la Chambre, mérite d'être lue en entier, parce que là tous les cas qui peuvent se présenter pour les inhumations se trouvent clairement résolus.
La décision à laquelle je fais allusion remonte à l'année 1831, c'est à dire à une époque très voisine de la révolution de juillet, à une époque où le pouvoir civil n'était guère favorable au culte catholique.
Voici comment la question a été portée devant le conseil d'Etat : Une commune du diocèse d'Orléans venait d'acquérir un cimetière. Avant de le bénir, l'évêque fit demander au maire qu'il voulût bien faire établir dans ce nouveau terrain, assez vaste pour cela, deux divisions ou réserves de peu de dimension et bien distinctes, l'une pour la sépulture des habitants non catholiques, et l’autre pour les enfants morts sans baptême. Le prélat citait l'article 15 du décret du 23 prairial an XII, comme ordonnant cette réserve pour les non-catholiques et, en second lieu, les lois ecclésiastiques, spécialement les rituels et les anciennes ordonnances non abrogées, comme exigeant la dernière réserve demandée.
« En effet, quand un enfant mort sans baptême reçoit la sépulture dans un cimetière, l'Eglise tient ce cimetière pour interdit, et on ne peut plus y faire aucune cérémonie religieuse. »
Notez qu'il s'agit d'un enfant mort sans baptême, et appartenant à une famille catholique. Ces enfants-là peuvent appartenir aux familles les plus pieuses, les plus honorables de la paroisse.
Mais si l'enfant n'obtient pas la sépulture religieuse, c'est que, n'ayant pas été baptisé, il n'est pas associé au culte catholique.
« Le maire se refusa à opérer ces réserves. Sur les réclamations de l'autorité ecclésiastique, intervint alors l'avis du conseil d'Etat ci-après et ultérieurement, une décision du ministre des cultes. »
Ainsi, l'autorité locale était ici d'un avis contraire à celui du curé et de l'évêque ; mais les ministres et le conseil d'Etat partagèrent l'avis de l'évêque diocésain et se prononcèrent pour l'exécution pure et simple du décret. Notez que le cimetière était communal, comme les cimetières le sont en France.
Voici l’avis du conseil d'Etat du 29 avril 1831 :
« Avis au comité de l’intérieur du consul d’Etat, du 29 avril 1831.
« Les membres du conseil du roi, composant le comité de l'intérieur, qui, sur le renvoi ordonné par M. le ministre de l'instruction publique et des cultes, ont pris connaissance d'un rapport relatif à la sépulture des enfants morts sans avoir reçu le baptême ;
« Vu les lettres du préfet du Loiret et de Mgr l'évêque d'Orléans, qui ont donné lieu à ce rapport ;
« Vu le décret impérial du 23 prairial an XII, concernant les sépultures ;
« Vu l'article 5 de la Charte constitutionnelle ; »
Vous voyez que j'avais raison d'élever la question à la hauteur d'une question constitutionnelle ; le conseil d'Etat de France avait fait de même. Remarquons, messieurs, la dernière partie qui va suivre ; ceci est tout à fait applicable au cas particulier dont il s'agit :
« Considérant que la liberté des cultes est un des principes fondamentaux de notre droit public ;
« Considérant que l'article 15 du décret du 23 prairial an XII dispose que, dans les communes où l'on professe plusieurs cultes, chacun d'eux doit avoir un lieu d'inhumation particulier, et que, dans le cas où il n'y aurait qu'un seul cimetière, il doit être divisé en autant de parties qu'il y a de cultes différents ; mais que la loi ne parle d'aucune autre subdivision. Que si dans les cimetières catholiques il y a des lieux particuliers affectés à différentes sépultures, on ne voit pas qu'il ait été jusqu'à présent question de leur donner des enceintes spéciales ;
« Sont d'avis
« Que l'autorité civile a rempli le vœu de la loi lorsqu'elle a fait établir dans les cimetières des divisions pour les différents cultes ; que toutefois, dans l’exercice qui lui appartient de la police des cimetière, elle doit demeurer étrangère aux observances particulières à ces cultes, elle ne (page 1861) doit pas s'opposer à ce que, dans l’enceinte réservée à chaque culte, on observe les règles, s'il en existe, qui peuvent exiger quelque distinction pour les sépultures. »
Or, dans le cimetière dont il s'agissait, on établissait deux divisions distinctes pour la sépulture, l'une pour les enfants nés de parents catholiques, mais non baptisés, l'autre pour les personnes baptisées, mais qui sont décédées en dehors du culte.
Voilà les deux divisions dans le cimetière catholique, indépendamment des subdivisions qui avaient été faites pour les autres cultes. Ainsi, la question a été clairement posée et résolue de la manière la plus nette ; et c'est dans ce sens que tout homme qui désire sincèrement la liberté des cultes et l'observance de la Constitution et des lois, doit agir dans l'exercice de ses fonctions.
L'honorable M. de Haerne a cité le décret de 1861. Il s'agissait d'un habitant qui avait obtenu une concession de sépulture dans un cimetière catholique ; le fils voulut faire enterrer, dans le caveau de famille, le défunt qui avait la concession, mais qui était protestant.
Le maire s'y opposa ; le conseil d'Etat et l'empereur approuvèrent la résistance du maire.
Messieurs, on nous objecte que le décret de 1804 est impraticable, qu'il peut y avoir une quantité de cultes différents dans la même commune qu'il peut y avoir aussi des libres penseurs n'appartenant à aucun culte ; qu'il est impossible de morceler ainsi un cimetière.
Ma réponse à cette objection est extrêmement simple, je la puise dans un décret spécial rendu en matière de culte.
Pour qu'un culte ait droit à un temple, à des ministres salariés, et conséquemment à un cimetière séparé, il faut qu'il y ait un nombre suffisant d’habitants pratiquant ce culte. Et voilà pourquoi dans nos communes nous n'avons en général que des cimetières catholiques. Mais que fait-on ?
Comme tout cadavre doit être enterré dans le cimetière, on détermine dans le cimetière une partie non bénite où sont enterrés tous ceux qui sont nés hors du culte catholique ou qui, y étant nés et baptisés, ne l'ont pas professé.
Il n'y a donc réellement que deux subdivisions à établir : l'une, pour les enfants appartenant à des familles catholiques, mais sans qu'il en résulte le moindre déshonneur pour la famille ; l'autre pour les personnes qui n'appartiennent pas au culte catholique.
Mais, nous dit-on, il faudrait - c'est le dernier orateur qui semble admettre ce principe - il faudrait que les diverses parties du cimetière fussent d'une grandeur égale et fussent également bien entretenues.
Messieurs, il serait absurde que dans les communes qui ne comptent qu'un seul culte et où n'a lieu que fort rarement une inhumation dans la partie non bénite du cimetière ; il serait absurde que cette partie non bénite eût la même étendue que la partie bénite.
D'ailleurs, il est évident que ce n'est pas l'étendue plus ou moins grande de la partie non bénite du cimetière qui en fait l'honorabilité.
Maintenant que cette partie du cimetière doive être convenablement entretenue, il n'y a pas le moindre doute. Le bourgmestre, qui a la police du cimetière, peut veiller à ce que toute plante exotique qui offusque la vue, en soit ôtée et que le terrain soit dans un état d'entretien convenable ; non seulement nous ne nous y opposons pas, mais nous le désirons sincèrement.
La famille de celui qui est inhumé dans ce lieu a intérêt à ce qu'il soit maintenu dans un état convenable, et s'il n'en est pas ainsi avant la sépulture, cela peut toujours se faire au moment de la sépulture.
Ainsi, quand on viole la liberté des cultes sous ce prétexte, je dis que ce n'est qu'un vain prétexte, qu'il n y a pas de sincérité, et qu'on réclame pour le mort ce qu'il n'a pas voulu de son vivant, c'est à-dire l'adjonction, la participation au culte catholique.
Messieurs, en Belgique quelques auteurs qui font autorité, MM. Tielemans et de Brouckere dans leur Répertoire administratif ont notamment tranché la question. Je me dispenserai d'en donner lecture. Ces avis ont été imprimés dans les journaux et il est facile à chacun de les consulter.
J'ajouterai seulement, messieurs, que cette opinion a d'autant plus de poids qu'elle a été émise à une époque rapprochée de la promulgation de notre Constitution qui décrète la liberté complète des cultes, car on doit tenir compte à un certain degré du temps où les opinions ont été émises, aussi bien que de la qualité des personnes qui les ont émises.
Or, on ne supposera pas que les auteurs de ce Répertoire soient favorables au culte catholique par privilège.
L'honorable M. de Haussy a décidé la même question en ce qui concerne la concession de sépulture.
L'honorable M. Nothomb, ministre de l'intérieur, dès 1843, avait donné des instructions ayant pour objet de faire réserver dans les cimetières de toutes les communes un lieu convenable pour l'inhumation de ceux qui ne meurent pas dans la pratique de la foi et de la morale de l'Eglise catholique.
M. Liedts, gouverneur de la province de Brabant, qui est aussi un jurisconsulte éminent et qui a été plusieurs fois ministre, a donné les mêmes instructions.
Comment donc peut-il encore exister un doute sur le sens pratique du décret de 1804 ?
Tous les ministres de l'intérieur et de la justice en Belgique, les ministres du culte et de l'intérieur en France, le conseil d'Etat et toutes les administrations en général, se sont conformées aux dispositions de ce décret.
On a eu bien soin de distinguer dans le décret de 1804 ce qui est resté en vigueur de ce qui a été abrogé.
Ainsi par exemple, il est évident que le droit qui avait été donné d'après ce décret aux maires d'inviter un autre ministre du culte à faire la cérémonie, est aboli en France depuis la Charte constitutionnelle, comme il l'a été par la Loi fondamentale des Pays-Bas et par notre Constitution.
Mais la partie du décret relative aux terrains consacrés par la bénédiction du prêtre à l'usage exclusif de ceux qui meurent dans le sein de la pratique et de la foi catholique, a été maintenue.
Aucune Charte, ni aucune Constitution n'y a porté obstacle ; bien au contraire, l'article 15 en a reçu une nouvelle sanction.
Il y a conformité à cet égard dans les opinions des jurisconsultes qui se sont occupés de la question.
L'administration communale de Bruxelles a appliqué également le décret de cette manière.
Les paroisses de Bruxelles avaient des cimetières qui leur appartenaient d'ancienne date. L'autorité communale a, de commun accord avec MM. les curés, désigné une partie de ces cimetières pour les divers cultes qui sont pratiqués dans la capitale. Il y eu a plusieurs qui ont leur temple et qui, par conséquent, avaient droit à un cimetière spécial. Elle a désigné, en outre, une partie spéciale du cimetière catholique pour ceux que le clergé ne considérait plus comme appartenant à leur culte et aussi pour les enfants morts sans baptême.
C'est un fait qu'on peut vérifier et dont j'affirme l'existence.
Maintenant nous venons à quelques autres objections. On nous a dit : Mais le colonel de Moor avait été baptisé.
Messieurs, cela n'est point sérieux, car vous admettrez que s'il avait embrassé un autre culte, la famille n'aurait pas pu réclamer le cimetière catholique. Mais, à plus forte raison, s'il n'a adopté aucun culte, s'il s'est borné à renoncer au culte catholique, comme il l'a fait de la manière la plus formelle, car personne n'oserait affirmer qu'il ait voulu participer au culte catholique, si l'on renie tout culte positif, à plus forte raison renie-t-on le culte catholique. Peu importe alors le baptême que l'on a reçu antérieurement.
Une seconde objection est celle-ci. Il doit être inhumé dans le cimetière catholique.
Nous ne nous y opposons en aucune manière, mais dans la partie non bénite.
Voilà, messieurs, comment se concilient tous les principes.
Il est évident qu'on ne pourrait enterrer aucun habitant d'une commune en dehors d'un cimetière, à moins qu'il n'eût choisi lui-même sou lieu de sépulture en dehors.
Mais tout en ayant droit à être enterré dans le cimetière, il n'a droit à l'être que dans la partie qui n'est pas réservée exclusivement à un culte déterminé auquel il n'appartient pas.
Messieurs, je m'étonne que l'on tienne à honneur dans une famille de faire enterrer dans un cimetière catholique celui qui n'a plus voulu suivre ce culte. Quel honneur prétend-on lui faire ?
Il faut donc qu'on se dise que l'inhumation dans le terrain bénit réhabilite la mémoire du mort. Mais le mort n'a pas voulu cette réhabilitation.
Et de quel droit la famille est-elle plus susceptible que le défunt ne l'était ?
Si c'était un honneur pour lui de ne plus croire à l'Eglise catholique, de ne plus remplir ses devoirs religieux, de quel droit lui inflige-t-on l'humiliation de l'enterrer dans un cimetière d'un culte dont il se faisait un honneur de ne plus vouloir ?
C'est lui qui est juge de ce qui est honorable pour lui. Ce n'est pas la famille qui en est juge posthume.
(page 1862) Messieurs, il n'existe peut-être pas de pays où il y ait une harmonie plus grande entre les autorités des divers cultes qu'en Belgique. Jamais il ne s'élève de contestation entre ces autorités. Il n'existe peut-être pas de pays non plus où il y ait entre les simples citoyens plus d'esprit de concorde, plus d'esprit de tolérance, chacun, conservant ses croyances et ses opinions. Et cependant, dans ce pays, l'on veut encourager ce que je ne puis appeler autrement que des démonstrations anticatholiques. Quel motif a-t-on ou quel but poursuit-on, en froissant l'opinion de l'immense majorité de nos populations ?
On vénère le lieu d'inhumation de ses coreligionnaires comme on vénère son culte, et que gagnerait-on à violer ce sentiment religieux ? Certes, je ne puis admettre que personne, dans une intention politique, veuille anéantir le sentiment religieux, et que ce soit là un moyen déjà éloigné et indirect de parvenir à son anéantissement. Mais ce serait absurde autant qu'inconstitutionnel. Aucun gouvernement, aucun homme haut placé ne peut avoir une telle pensée.
Messieurs, que vient-on nous dire encore ? Qu'il y a aujourd'hui beaucoup de mécréants, qu'il y a des associations de solidaires, et que conséquemment tout cela est incompatible avec le décret de 1804. Mais cet argument n'est que ridicule.
Est-ce que, en 1804, date du décret sur les sépultures, il n'y avait pas, en France, toute espèce de cuite ? N'y avait-il pas une quantité de catholiques qui avaient renoncé à la foi et qui ne pratiquaient plus la morale catholique ?
Mais il y en avait à cette époque, en France, beaucoup plus qu'aujourd'hui en Belgique. Cela n'a pas empêché le gouvernement impérial de faire le décret de 1804.
Mais la situation actuelle, sauf la profession publique de solidarité, a existé de tout temps. De tout temps il y a eu des gens qui ont renié formellement le culte catholique, qui même se sont associés pour ne pas recevoir les sacrements à l'article de la mort. J'en ai connu quatre, il y a quarante ans, qui avaient fait ce pacte et qui l'ont tenu jusqu'à l'heure finale.
Cela prouve seulement qu'il n'ont aucun droit à la participation du lieu consacré par l'Eglise à l'inhumation de ses membres. Mais cela ne signifie rien de plus.
Il y a maintien de leurs droits d'être enterré dans un lieu décent ; dans une partie du cimetière catholique, s'il n'y en a pas d'autre, s'il n'y a un espace suffisant pour qu'on ne doive pas violer des sépultures de. fraîche date. Voilà tout ce que le décret de prairial exige dans un intérêt de police.
J'espère donc que le décret de 1804 conservera sa force pleine et entière, que les autorités publiques voudront bien se pénétrer de l'impérieux devoir pour elles de s'y conformer, et surtout qu'il ne viendra dans la pensée de personne de proposer aux Chambres d'abroger ce décret ; proposition que je considérerais comme portant une atteinte grave à la liberté des cultes et comme froissant éminemment l'esprit religieux de nos populations et le respect pour les cendres de leurs coreligionnaires.
(page 1863) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, ce n'est pas sans éprouver une émotion profonde, que je prends la parole en ce moment.
La question qui se débat devant la Chambre est évidemment une question des plus délicates, car elle touche aux intérêts et aux sentiments les plus respectables de l'homme, aux sentiments religieux, aux sentiments de la famille.
Vous comprendrez, messieurs, qu'en présence d'une pareille question, j'éprouve une émotion fort légitime ; je sollicite donc votre bienveillante attention pour un instant.
Mais, quelque grave que soit la question, il n'en est pas moins, je pense, de mon devoir d'exprimer nettement et clairement mon opinion sur cette matière si importante.
Messieurs, il est inutile de rappeler à la Chambre les détails de l'incident d'Uccle. Les faits sont parfaitement connus. La correspondance a été imprimée, et ce serait faire perdre à la Chambre un temps précieux que de rentrer dans ces détails.
Je dois cependant, avant d'entrer au fond de cette discussion, repousser les reproches qui ont été adressés à l'honorable bourgmestre d'Uccle ; reproches vifs et, permettez-moi de le dire, parfois cruels, puisque pour se venger de lui, on n'a pas craint de rappeler de tristes, de douloureux souvenirs. En tous cas, les reproches adressés à cet honorable magistrat l'ont été avec une légèreté blâmable, une légèreté extrême.
Comment ! c'est lorsqu'une question de l'importance de celle que nous discutons en ce moment est soulevée, c'est lorsque les opinions sont controversées, c'est quand de nombreux précédents ont été posés en sens divers, c'est quand à la suite de discussions solennelles qui ont eu lieu à diverses époques dans cette enceinte, on n'a pu parvenir à un résultat, c'est dans une pareille position qu'on injurie cet honorable magistrat, qui, fidèle à ses convictions et partageant l'une des opinions émises, met en pratique les principes qu'il croit être les seuls vrais !
A ce seul point de vue, je crois devoir repousser les reproches faits au bourgmestre d'Uccle, reproches qui, en tous cas, étaient prématurés et articulés avec une légèreté extrême, je le répète.
Mais je ne me borne pas à plaider, en faveur de cet honorable bourgmestre, les circonstances atténuantes.
- Plusieurs membres. - On ne l'a pas attaqué ici.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas à ce qui s'est dit dans cette enceinte que je fais allusion. On l'a peut-être un peu attaqué ; on n'y a pas mis de violence, mais on a été peu bienveillant pour lui.
M. B. Dumortier. - On ne discute pas ici des questions de bienveillance, mais de justice.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Eh bien, on a été peu juste. (Interruption.)
M. Muller. - Un ministre a bien le droit de défendre un fonctionnaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vous en prie, ne m'interrompez pas. Je traite une question très grave ; je veux être très calme. Je dis que lorsqu'un bourgmestre, lorsqu'un chef d'administration est attaqué injustement, j'ai le droit de le défendre comme je le juge convenable, et je puis dire qu'on a été léger en accusant le bourgmestre d'Uccle, qui pouvait consciencieusement partager une opinion défendue par des hommes très compétents. Je répète donc que je ne veux pas plaider les circonstances atténuantes pour justifier l'honorable bourgmestre d'Uccle. Car je me hâte d'ajouter très carrément, très nettement, que si j'avais été à sa place, j'aurais agi comme lui.
J'aurais agi comme lui, parce que, pendant les dix-huit années que j'ai eu l'honneur, et l'on vient de le rappeler, de faire partie d'une administration communale, cette administration a interprété et appliqué les principes comme les a interprétés et appliqués M. le bourgmestre d'Uccle. Ce n'est pas après avoir fait de cette question un examen sérieux, et permettez-moi de vous le dire, consciencieux, après avoir appliqué ces principes, que j'aurais pu me donner un démenti à moi-même, lorsque arrivé au pouvoir je suis amené, par suite des circonstances, à m'expliquer sur ces faits.
L'honorable bourgmestre, du reste, car je veux agir vis-à-vis de la Chambre avec une entière franchise, connaissait ce qui se pratiquait à Ypres, avant de prendre une décision en ce qui concerne l'enterrement du colonel de Moor. Je ne crois pas devoir laisser ignorer cette circonstance à la Chambre.
L'honorable bourgmestre étant venu me voir, m'a demandé ce que je pratiquais moi-même, quand je faisais partie de l'administration communale d'Ypres : je lui ai répondu qu'il devait savoir ce qu'il avait à faire, qu'au bourgmestre appartenait la police des inhumations ; mais que, quant à moi, quand j'avais l'honneur d'être le premier magistrat d'une importante commune du pays, j'appliquais le décret dans le sens qu'il l'a pratiqué lui-même.
- Un membre. - Et le curé protestait chaque fois.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, le curé a protesté !
Je dois à la vérité de le reconnaître.
Lorsqu'un pareil enterrement se faisait, un respectable prêtre, le doyen d'Ypres, venait chez moi et déclarait qu'il protestait.
Le bourgmestre lui répondait qu'il lui donnait très volontiers acte de cette protestation, et cela se passait, veuillez-le croire, sans violence et sans irritation.
Vous voyez donc, messieurs, que, chez moi, cette opinion n'est pas née d'hier, que je ne dois pas être placé dans cette catégorie de personnes que l'honorable M. Julliot appelle, si je ne me trompe, des docteurs sans expérience.
Cette opinion est très ancienne chez moi.
Je pense, et c'est ce que je vais chercher à démontrer à la Chambre, je pense que certaines dispositions du décret de prairial an XII sont abrogées par notre Constitution, que notamment l'article 15 de ce décret est difficilement conciliable avec notre pacte constitutionnel, que l'application de cet article est souvent difficile et parfois impossible, que l'article 15 n'était pas applicable au cas qui s'est présenté à Uccle ; que l'inhumation des corps est un acte civil, complètement indépendant de l'exercice d'un culte quelconque, soit catholique, soit protestant ; enfin, que, dans les conflits qui peuvent se présenter et dans les difficultés qui peuvent surgir, c'est l'autorité communale seule qui a l'autorité, la police et la surveillance des inhumations.
Messieurs, le décret du 23 prairial an XII et une foule d'autres dispositions législatives ou réglementaires de cette époque, ont été, personne ne pourra le nier, dictées par un esprit tout autre et des idées toutes différentes de celles qui ont présidé à la rédaction de notre Constitution de 1831. Le législateur de l'an XII et celui de 1830 étaient dans des dispositions toutes différentes. Je n'ai pas besoin, je pense, de le démontrer, il résulte de cette divergence de principes que la Constitution a nécessairement abrogé une grande partie de ces décrets, un grand nombre des dispositions prises au commencement de ce siècle. Sous ce rapport, nous serons tous d'accord, je pense.
Mais la dissidence commence lorsqu'il s'agit de déterminer quelles sont les dispositions encore en vigueur et quelles sont les dispositions abrogées. Chacun juge cette question au point de vue où il se trouve placé par ses études et par ses idées.
Chez les uns, on se préoccupe des droits de ce qu'on appelait autrefois le bras séculier, chez d'autres on n'a pas oublié que la liberté n'est pas le privilège et que certains cultes, privilégiés autrefois, ne sont plus que libres aujourd'hui.
En ce qui concerne spécialement le décret de prairial an XII, il y a dissentiment évident, les opinions sont extrêmement partagées, les publicistes et les jurisconsultes ne sont pas d'accord ; dans cette Chambre même, les opinions ont toujours été divisées et les débats qui ont eu lieu n'ont jamais pu aboutir jusqu'ici à aucun résultat ; enfin, dans la pratique, les administrations communales diffèrent essentiellement dans les systèmes qu'elles adoptent.
Nul, je pense, ne soutiendra que le décret de prairial an XII est encore applicable en entier. Il est évident que les articles 18 et 19 sont abrogés ; qui pourrait songer à requérir aujourd'hui un prêtre pour célébrer les funérailles d'un citoyen quelconque ? Sous ce rapport, nous libéraux, nous sommes parfaitement d'accord avec vous. Mais nous ne le sommes plus lorsqu'il s'agit de l'article 15. Dans mon opinion et dans celle, je pense, d'une grand nombre de mes amis politiques, l'article 15 a été abrogé par notre Constitution.
- Plusieurs membres. - C'est évident.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'espère pouvoir le démontrer tantôt ; mais avant tout, messieurs, je tiens à prouver que cet article 15, fût-il encore en vigueur, est inapplicable en Belgique, et qu'il ne le serait, en aucun cas, à des incidents semblables à celui qui s'est produit à Uccle et dans d'autres localités.
Que dit, en effet, l'article 15 ?
« Dans les communes où l'on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d'inhumation particulier, et dans les communes où il n'y aurait qu'un seul cimetière, on le partagera. »
Donc et nous sommes d'accord, je pense, avec plusieurs membres de (page 1864) l'opposition, il ne suffit pas, pour que le décret soit appliqué, qu'il y ait dans une même commune plusieurs personnes appartenant à des cultes différents ; mais il faut encore qu'il y ait un ou plusieurs cultes professés. En d'autres termes, il faut qu'il y ait des temples et des ministres.
Sous ce rapport, il n'y aura pas de dissentiment entre nous, car à toutes les époques et avant même la promulgation du décret, sous l'ancien régime, c'est toujours ainsi que l'on a procédé. Dans la plupart de nos villes de Flandre, par exemple, à l'époque où. elles étaient occupées par les troupes hollandaises, en vertu du traité de la Barrière, il y avait autant de temples que de sectes protestantes dans les garnisons et autant de cimetières que de temples.
Mais, du jour où Joseph II fit raser les fortifications de ces places pour en chasser les garnisons étrangères ; du jour où les protestants quittèrent le pays, le clergé lui-même ou les communes supprimèrent les temples et les cimetières des protestants, et, dès lors, ces cimetières cessèrent d'exister et ne furent plus rétablis.
Messieurs, le même fait se reproduisit plus tard : de 1815 à 1830, nous vîmes dans la plupart de nos villes créer, dans les cimetières catholiques, une section pour les protestants appartenant à la garnison.
En 1830, le clergé et les autorités communales, comprenant fort bien que l'article 15 du décret de l'an XII s'appliquait seulement aux cimetières séparés, lorsque des cultes sont professés et ont leur temple, firent supprimer les cimetières protestants ; et, sauf dans quelques localités, ils n'ont pas été rétablis.
Aujourd'hui même, un grand nombre d'administrations communales semblent comprendre qu'il est parfaitement inutile de faire une distinction dans les cimetières ; et sur 3,000 cimetières peut-être que compte le pays, c'est à peine s'il en est un dixième où il existe des endroits séparés pour l’inhumation des individus qui appartiennent à des cultes dissidents ou qui n'appartiennent à aucun culte quelconque. (Interruption.)
C'est un fait ; il prouve que, dans la pratique, on interprète le décret comme je viens de le faire moi-même ; c'est-à-dire qu'il ne doit y avoir de distinction pour les différentes croyances que lorsque plusieurs cultes sont professés dans la commune.
Messieurs, appliquons à Uccle le principe que je viens déposer. Dans cette localité, devait-il, pouvait-il même y avoir des cimetières distincts ? Je réponds non, car à Uccle, ou ne professe qu'un seul culte.
Mais je demanderai en vertu de quelle disposition légale cela pourrait être ? Vous invoquez le décret de l'an XII ; veuillez m'indiquer des dispositions de loi quelconque qui autorisent l'administration communale ou le conseil de fabrique à séparer le cimetière dans des cas semblables à celui d'Uccle.
Je vous prie de vouloir bien me dire où se trouve ce texte formel qui impose ou qui permette seulement à un bourgmestre d'ordonner pareille séparation, alors qu'il n'existe pas de cultes ou de temples différents dans la commune.
On a cité beaucoup d'auteurs français ; on a emprunté beaucoup d'arguments à la France : vous avez même invoqué des auteurs romains. Permettez-moi de vous dire aussi que le plus grand nombre des auteurs français établissent de la manière la plus positive que la loi n'autorise pas la subdivision d'un même cimetière en plusieurs compartiments.
Leur opinion est basée d'abord sur la loi, qui ne contient aucune prescription à cet égard ; ensuite, sur des documents officiels ; ils soutiennent enfin ce principe, parce que l'enterrement dans un endroit séparé, dans un coin du cimetière, impliquerait une idée de flétrissure pour ceux qui y seraient inhumés ; et pourquoi ? Parce que, autrefois, le refus de sépulture ecclésiastique dans le cimetière était une peine canonique. Or ces idées existent encore au sein de nos populations. D'après cela, à Uccle, il ne pouvait pas y avoir de séparation dans le cimetière, et il n'était pas possible d'enterrer le colonel de Moor ailleurs que là où on l'a déposé.
Mais, messieurs, si vous raisonniez autrement, si vous prétendiez qu'il doit y avoir autant de lieux réservés qu'il y a de sectes différentes dans les communes, que deviendraient donc vos cimetières ? Ce seraient de véritables échiquiers.
Ainsi, dans des villes comme Bruxelles, comme Ostende, par exemple, où il y a beaucoup d'étrangers, vous seriez obligés de faire autant de divisions qu'il peut y avoir de sectes. D'ailleurs, les autorités qui seraient disposées à établir de pareilles distinctions se trouveraient parfois dans des positions fort difficiles.
Des questions de cette nature sont des questions d'appréciation très délicates. A qui appartient-il de les résoudre ? D'après vous, c'est au ministre du culte ; d'après nous, à l'autorité civile. Le ministre du culte, dites-vous, est seul appréciateur de la position religieuse du défunt, lui seul peut décider à quel culte tel ou tel citoyen a appartenu ; et, comme conséquence de cette prérogative, c'est au ministre du culte seul qu'il appartient de désigner l'endroit où les cadavres doivent être inhumés.
Si vous admettiez ce système, qu'en résulterait-il ? C'est que la police des cimetières appartiendrait au clergé.
Et, je vous le demande, en présence de cette conséquence, que devient l'article 16 du décret de prairial an XII, qui dit positivement : L'autorité, la police et la surveillance des cimetières entrent dans les attributions des autorités communales ?
Il peut, messieurs, surgir des conflits de toute espèce dans notre pays, surtout dans l'état actuel de notre législation, car il n'en est pas ici comme autrefois en France, nous n'avons pas de religion d'Etat, de cultes autorisés. En Belgique tous les cultes peuvent exister, la pratique d'aucun ne peut être interdite et chaque secte d'une même religion peut avoir ses temples, ses ministres, son culte public ; or il peut y avoir entre ces sectes des conflits fréquents.
Je suppose le cas où deux ministres du culte repoussent un corps ; vous avez un cimetière partagé en deux sections, l'une pour les catholiques, l’autre pour les protestants ; les ministres catholiques et les ministres protestants repoussent également le cadavre, où le placerez-vous ? Ou bien faudra-t-il faire une nouvelle catégorie par ceux qui sont repoussés par les ministres des deux cultes ? Je retourne la question : Je suppose deux ministres qui se sont approchés du lit d'un mourant, je suppose que l'un et l'autre soutiennent que le corps du défunt leur appartient et le réclament, cela s'est présenté, qui décidera ?
M. Julliot. - La famille.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En vertu de quoi ? Vous qui, hier, déniez à la famille de Moor le droit de réclamer l'enterrement d'un de ses membres dans le cimetière des catholiques, vous reconnaissez aujourd'hui aux familles des droits que vous leur refusiez hier. Singulière contradiction ! Le cas dont je viens de parler peut se présenter, il s’est même présenté, d’autres conflits peuvent surgir.
Voici un fait tout récent qui s'est passé à Gand ; dans cette ville, il existe un seul cimetière protestant, les protestant sont divisés en trois sectes, chaque secte a son ministre, son temple et son culte distinct. La question de savoir lequel des trois ministres serait dépositaire de la clef unique du cimetière a été posée au bourgmestre, fallait-il donner la clef au pasteur le plus ancien ?
Le ministre de la secte ne faisant pas partie de l'union des églises protestantes de Belgique, devait-il, en tout cas, être exclu ?
Le bourgmestre de Gand, qui connaît les prescriptions du décret de prairial, n'a pas hésité un instant ; aux termes de l'article 16 de ce décret, c'est au chef de la commune qu'appartient la police des cimetières, il conserva donc la clef, se réservant de régler tout ce qui concerne les inhumations.
Mais si, au lieu de confier à l'autorité communale la police et le soin de trancher les conflits, vous donnez ces droits aux ministres des cultes, où arrivons-nous ?
Nous arrivons à l'impossible, à l'absurde. Qui jugera, en effet ? formerez-vous une espèce de jury, de cour spirituelle ?
Par respect pour la liberté de tous les cultes, appellerez-vous à y siéger, à côté du ministre catholique, le ministre protestant, les ministres des autres cultes ?
Laisserez-vous décider par ce collège, dans les divers cas, en quel lieu plutôt qu'en tel autre on inhumera un cadavre ? Ce serait absurde.
Si vous laissiez aux ministres du culte le droit d'indiquer le lieu où l'on doit inhumer, vous violeriez l'article 16 du décret de prairial an XII, et vous rendriez impossible la solution des conflits qui peuvent s'élever dans un pays comme le nôtre, où l'on peut pratiquer des cultes différents à l'infini.
Mais ce n'est pas le seul motif pour lequel je revendique, pour l'autorité communale, le droit de police sur les lieux d'inhumation.
Des abus très graves se commettent alors que cette autorité ne tient pas d'une main ferme les rênes de l'administration et ne fait pas prévaloir les vrais principes en matière d'inhumations. Je pourrais vous citer de nombreux exemples d'abus scandaleux ; je me bornerai à vous faire connaître trois faits qui vous prouveront qu'il est indispensable que le bourgmestre ait la police absolue des cimetières.
Voici un fait qui s'est passé dans la Flandre orientale, dans la commune de Saint Laurent.
On s'avisa de créer, dans un hospice privé, un cimetière spécial consacré aux personnes mortes dans l'établissement.
(page 1865) Ce ne fut pas sans peine que l’on parvint à faire comprendre aux administrateurs de cet hospice l'illégalité de leur conduite et à empêcher que ce cimetière ne fût encore employé aux inhumations.
Voilà un fait qui prouve combien l'absence d'autorisé peut entraîner d'inconvénients.
Autre fait : En 1845, à Saint-Pierre-Capelle, un individu mort sans avoir reçu les sacrements, est enterré au bord d'un chemin public.
Si le bourgmestre avait tenu la main à l'exécution du décret de l'an XII, il aurait fait enterrer le cadavre dans le cimetière commun ; mais le gouvernement intervint, il ordonna l'exhumation du corps, il le fit placer dans la terre bénite.
M. B. Dumortier. - Pardon ! La terre sainte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Au milieu du cimetière. Voici la lettre que le commissaire d'arrondissement écrivait au bourgmestre de cette commune ;
« Soignies, 30 décembre 1845.
« Monsieur le bourgmestre,
« J'ai transmis à M. le gouverneur votre réponse au sujet de l'inhumation de Handtschutter en dehors du cimetière de votre commune.
« Par dépêche en date d'hier, ce haut fonctionnaire me charge de vous rappeler que la police des cimetières appartient aux administrations locales et non aux membres du clergé. Vous devrez faire préparer dans le cimetière une fosse pour de Handtschutter et le faire exhumer pour le placer dans cette fosse.
« Vous ferez en sorte, cependant, de ne pas donner à cette translation de la publicité et de la faire faire sans éclat, pour éviter tout trouble ou rassemblement.
« Le commissaire royal d'arrondissement, « (Signé) Le Roy. »
Vous ne contesterez pas le fait ? Vous reconnaissez donc qu'il y avait abus ; mais pourquoi y a-t-il eu abus ? Parce que l'autorité communale n'avait pas exercé ses droits, n'avait pas fait son devoir, n'avait pas exigé l'enterrement dans le cimetière.
Mais voici un autre fait que je vais citer encore, ce sera le dernier ; il s'est produit dans une commune de la Flandre occidentale.
- Un membre. - A quelle époque ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En 1848, mourut un brigadier pensionné.
M. Wasseige - C'était un brigadier des douanes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, un brigadier des douanes en retraite. Vous avez raison.
Ce brigadier, homme très honorable, s'appelait de Pruyssenaere. Il n'avait pas, avant de mourir, reçu les secours de la religion, on l'enterra, j'hésite à le dire, à côté de l'école communale, dans un endroit qui, d'après les rapports de la gendarmerie, était destiné aux enfants de l'école pour y faire leurs besoins.
Ainsi cet homme, honorable du reste, parce qu'il n'était pas mort dans le giron de l'Eglise, avait été enterré dans cet endroit immonde, par les ordres, je ne veux pas dire de qui. (Interruption.) Eh bien, je vais vous lire un document officiel. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Voici le rapport du commissaire d'arrondissement :
« Ypres, le 7 janvier 1848.
« Monsieur le gouverneur,
« Le nommé Jacques-Antoine de Pruyssenaere, brigadier de la douane en retraite, est mort subitement en la commune de Wulverghem, le premier de ce mois.
« Non seulement, M. le curé a refusé de prêter son ministère pour procéder à son enterrement, mais il s'est opposé à ce que le défunt fût inhumé dans le cimetière communal.
« Par suite de cette opposition, M. le bourgmestre m'a fait demander ce qu'il avait à faire, et par lettre en date du 2 de ce mois, j'ai fait savoir à ce fonctionnaire qu'il devait laisser M. le curé maître de prêter ou non son ministère, mais qu'il était du devoir de l'autorité civile de faire porter, présenter, déposer et inhumer le défunt au cimetière de la commune (article 19 du décret du 23 prairial an XII) ; par la même lettre, j'invitai le collège à se conformer à la loi.
« Quoique cette lettre ait été communiquée à M. le curé, dans le but de lui faire comprendre combien étaient peu fondées ses prétentions, il a persisté à déclarer aux magistrats communaux, qu'ils n'avaient point à s'occuper de cet objet, et qu'il opposerait la force à quiconque voudrait faire procéder à l'inhumation dans le cimetière.
« En présence de ces menaces et nonobstant mes ordres, on a eu la faiblesse de laisser enterrer le défunt hors du cimetière.
« Aussitôt que j'ai été informé de ce fait, j'ai envoyé sur les lieux un brigadier de gendarmerie à l'effet de constater au juste où et comment cet enterrement s'était fait, et cet agent m'a transmis un procès-verbal, en date du 4 de ce mois, duquel il résultait que le défunt était enterré en dehors du cimetière et dans un endroit où les élèves de l'école allaient habituellement déposer des ordures.
« J'ai pensé, M le gouverneur, ne pas pouvoir laisser passer un acte tout à la fois aussi inconvenant et aussi contraire aux dispositions de la loi.
« En effet, il résulte de la combinaison des divers articles du décret du 23 prairial an XII, que les inhumations doivent être faites dans les cimetières, l'exception consacrée par l'article 14 de ce décret prouve assez la généralité du principe. Sans doute ce soin appartient en général à la famille, mais à défaut il est du devoir de l'autorité civile de faire inhumer le défunt dans le cimetière communal (article 19 dudit décret).
« Il importe peu d'examiner ici si la commune est propriétaire ou non du cimetière, puisque dans tous les cas les lieux de sépulture, qu'ils appartiennent à la commune ou non, sont soumis à l'autorité, police et surveillance des administrations locales.
« Les droits de l'autorité civile étant donc incontestables, j'ai cru en cette circonstance devoir les conserver intacts et les faire respecter.
« C'est dans ce but que je suis allé hier, jeudi, à Wulverghem, où j'avais fait venir un certain nombre d'agents de la force publique ; j'ai d'abord invité le collège échevinal à faire transférer le cercueil dans le cimetière de la commune, et ce collège, faisant droit à cette demande, a pris un arrêté qui ordonne cette translation immédiate. Cet arrêté a reçu son exécution en ma présence et malgré les protestations et les menaces de M. le curé, qui, dans cette affaire a tenu une conduite inqualifiable.
« Cet acte de réparation a obtenu dans la localité un assentiment général, j'ai suivi le cercueil avec tout le collège échevinal, le secrétaire et quelques amis du défunt, le reste de la population assistait à la cérémonie dans un pieux silence, et malgré la conduite provocatrice de M. le curé aucun habitant n'a manifesté de marques de blâme envers l’autorité.
« Je crois, M. le gouverneur, m'être conformé aux disposition de l'article 133 de la loi provinciale, qui me prescrit de veiller à l'exécution des lois de l'administration générale, aux fins d'assurer ici l'exécution générale de celles des dispositions du décret du 12 prairial an XII qui sont encore en vigueur.
« Je pourrais faire valoir des raisons de fait qui militaient spécialement en faveur de cette exécution dans le cas actuel, mais je me borne à faire remarquer qu'il n'arrive que trop souvent ici que, pour les motifs les plus futiles, des personnes sont enterrées dans des lieux immondes, voire même le long de la voie publique, et que j'ai saisi cette occasion pour empêcher le retour de ces actes d'intolérance qui attirent, du reste, la réprobation générale sur ceux qui s'en rendent coupables.
« Agréez, etc. »
Ce rapport est daté de 1848 et signé : Carton. (Interruption.)
M. de Pruyssenaere n'a pu être enterré qu'au milieu des catholiques, attendu qu'il n'y avait pas de partie réservée.
M. B. Dumortier. - Il n'y a pas un cimetière où il n'y ait une partie réservée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je connais beaucoup de cimetières où il n'y a pas de partie réservée. (Interruption.)
C'est, dites-vous, contraire au droit canon ; j'avoue que je n'ai pas fait une étude approfondie des canons de l'Eglise, mais je constate un fait.
Du reste, messieurs, le rapport dont je viens de donner lecture fut adressé au gouverneur et celui-ci sanctionna, approuva complètement la conduite du commissaire d'arrondissement.
Voici ce qu'il écrivit :
« Bruges, le 18 janvier 1848.
« M. le commissaire,
« J'ai reçu par le courrier de ce matin, 10 janvier, votre lettre du 7, n°1607, au sujet de l'inhumation du sieur de Pruyssenaere, décédé subitement à Wulverghem et qui avait été enterré hors du cimetière communal.
« Je ne puis, M. le commissaire, qu'approuver la conduite que vous avez tenue en cette circonstance, conduite qui est entièrement conforme aux dispositions de la loi.
« Le ministre d'Etat, gouverneur, (Signé) Comte de Muelenaere. »
Ces faits et ces documents prouvent, d'une part, qu'il se produit (page 1866) fréquemment des abus alors que l'autorité communale n'exerce pas d'une manière absolue la police du cimetière et, d'autre part, que l'autorité civile supérieure, quels que fussent les hommes au pouvoir, a toujours exigé que les personnes décédées même hors du giron de l'Eglise fussent enterrées dans le cimetière commun, et, dans les deux cas que je viens de citer, je puis certifier que l'inhumation a été faite au milieu du cimetière.
Afin de démontrer que le clergé peut intervenir pour régler certaines inhumations, on a argumenté d'un autre principe. On a dit que la propriété des anciens cimetières appartient aux fabriques d'église, mais je crois que cet argument est aujourd'hui abandonné par tout le monde : on a reconnu que la propriété ne confère aucun droit de police. Il y a, du reste, un récent arrêt de la cour de cassation qui a parfaitement défini les principes en cette matière.
En tous cas, la police est réservée à l'administration communale.
Ici, messieurs, je dois répondre un mot en passant à l'honorable chanoine de Haerne. Cet honorable collègue a cru trouver, dans une lettre écrite par l'administration communale d'Ypres en 1852, un argument contre la thèse que je défends ici.
J'ai déjà eu l'honneur, lors de la discussion de l'adresse, de donner des explications à cet égard. J'ai toujours soutenu ce que je soutiens aujourd'hui, j'ai toujours soutenu qu'il était assez indifférent que la propriété du cimetière appartînt à la fabrique ou à la commune, parce que, dans mon opinion, la propriété ne conférait aucun droit de police et que l'autorité communale, en tous cas, avait seule le droit de régler les inhumations comme elle l'entendait ; si j'ai parlé de la terre de l'Eglise et de la préférence qu'on pouvait avoir pour la partie du cimetière appelée bien d'Eglise, parce qu'il appartient à la fabrique, c'est parce que ces préférences peuvent faire surgir des difficultés administratives ; ces préférences se manifestent souvent ; telle famille désire que ses membres soient enterrés dans tel endroit, telle autre famille préfère tel autre cimetière, et lorsqu'on veut appliquer la loi d'une manière égale pour tous, sans distinction, on évite ces difficultés.
Je crois donc, messieurs, que l'argument produit par M. de Haerne ne prouve pas grand-chose.
J'ai démontré, je pense, que d'après le décret de l'an XII la police ne peut pas appartenir au clergé et je maintiens que l'article 16 doit être entendu dans le sens le plus large, c'est-à-dire que l'autorité, la direction et la surveillance du cimetière doivent appartenir exclusivement à l'administration communale, sans que les ministres des différents cultes puissent avoir quelque chose à y voir.
En effet, messieurs, où trouverions-nous un arbitre plus sûr que le bourgmestre ? II est le bourgmestre de tout le monde, le bourgmestre des protestants, le bourgmestre des catholiques, le bourgmestre de ceux qui croient, le bourgmestre de ceux qui ne croient pas. En outre le bourgmestre est un fonctionnaire respectable, il est électif et si les catholiques pensent qu'il applique mal certaines lois, quand le moment des élections arrive, ils l'éliminent.
On sait qu'ils ne s'en font pas faute, quand l'occasion se présente.
Vous voyez donc, messieurs, que le bourgmestre, le tuteur de tous, le chef de la commune, le fonctionnaire responsable, doit avoir seul et peut seul utilement exercer la police des cimetières.
Mais, dira-t-on, le bourgmestre doit suivre certaines règles, observer certaines lois.
Ici se présente la question de savoir si l'article 15 du décret est ou n'est plus applicable sous notre régime constitutionnel. La question est controversée, je le sais ; certains bourgmestres pensent que oui, d'autres, et ces derniers sont en assez grand nombre, sont d'opinion que cette disposition n'existe plus, ou que, si elle existe, ce n'est que pour le cas où différents cultes sont professés dans la commune.
Quant à moi, j'ai toujours pensé et je pense encore qu'aux termes de notre Constitution il doit y avoir égalité pour tous les citoyens après leur mort comme de leur vivant.
J'ai toujours admis qu'en présence de la séparation complète du pouvoir civil et de l'autorité religieuse, en présence de la liberté de conscience, aucune autorité ne peut pas plus s'enquérir de savoir quels ont été les derniers sentiments d'un mourant que de savoir quelle a été sa pensée religieuse pendant sa vie.
Je crois qu'aux termes de la Constitution l'on ne peut faire après la mort d'un individu, une espèce d'enquête inquisitoriale pour savoir quelle a été la dernière pensée du mourant.
Et, messieurs, ce système n'entrave en rien la liberté des ministres des cultes : entre le fait civil, reconnu civil, de l'inhumation et l'exercice du culte, il y a une distance immense.
Qui donc empêche le ministre du culte de pratiquer telle cérémonie qu'il juge utile, qu'il juge convenable, dans l'église d'abord ; ensuite en accompagnant le convoi funèbre ; enfin au lieu du repos même ?
Qui donc pourrait se plaindre d'un empêchement qui aurait été suscité sous ce rapport à un ministre d'un culte quelconque ? Eh bien, messieurs, comme l'a dit hier l’honorable M. Julliot « au point de vue constitutionnel il n'y a pas de pouvoir religieux en Belgique, les religions sont un fait constaté, rien de plus. »
Ce fait ne donne à aucune autorité quelconque le droit de faire une enquête pour savoir dans quels sentiments est mort celui qu'il s'agit d'enterrer.
Messieurs, tout conflit serait évidemment évité si l'on pouvait parvenir à procéder aux cérémonies religieuses sur la tombe de la personne décédée. Je n'ai pas le droit d'examiner si cela est canoniquement possible, cet examen n'entre pas dans mes attributions.
Je me bornerai à constater un fait, le fait de Paris, dont on a déjà parlé. M. de Haerne a donné à cet égard quelques explications, mais je me permets de lui dire qu'elles ne sont ni complètes ni satisfaisantes. Si le fait n'existe pas partout, ii existe au moins quelque part, et dès lors on peut dire qu'il existe.
Dans quelques circonstances, en Belgique, le clergé s'est montré sous ce rapport beaucoup plus tolérant ; je connais plusieurs faits, je n'en citerai qu'un seul et l'honorable M. Dumortier pourra me rectifier s'il y a lieu : c'est un fait qui s'est passé à Tournai.
A Tournai il existe plusieurs cimetières, un cimetière protestant et deux cimetières catholiques, mais qui sont la propriété de la ville l'un et l'autre.
Dans ces cimetières, on enterre sans distinction de cultes les personnes qui viennent à mourir, selon qu'elles meurent sur la rive droite ou sur la rive gauche du fleuve.
Il y a quelques années, un homme très bien posé, M. L. S. refusa les secours de la religion ; il fut conduit directement au cimetière du sud et placé dans un caveau, concédé pour deux personnes. Sa femme mourut trois ans après et fut enterrée près de son mari dans le même caveau et la terre fut bénite par le prêtre catholique.
Je cite ce fait uniquement pour établir que, dans certaines circonstances le clergé a cru devoir bénir des fosses à côté desquelles on avait enterré des personnes décédées sans avoir reçu les secours de l'Eglise.
Si l'on pouvait généraliser cette mesure, il n'y aurait, à mon avis, plus de conflit possible en Belgique, et l'on arriverait à la conciliation de toutes les opinions.
Messieurs, j'ai toujours interprété le décret de prairial an XII de la manière que je viens de le faire ; les principes que je viens de développer devant la Chambre, je les ai constamment professés.
C'est après un examen sérieux et je puis dire consciencieux, que je me suis tracé une règle de conduite. Je conçois que dans cette Chambre il y ait une opinion contraire à la mienne ; je conçois que l'on me combatte et même que l'on me combatte avec une extrême vivacité ; je respecte les opinions des autres ; mais je demande à mes honorables contradicteurs de vouloir bien être convaincus que les miennes sont sincères, loyales et consciencieuses.
Si l'on vient à me démontrer que j'erre, j'abjurerai mon erreur à l'instant même. En attendant cette démonstration, je crois devoir persévérer dans les principes que j'ai exposés, les seuls vrais, les seuls constitutionnels, les seuls pratiques dans notre pays.
(page 1891) M. Nothomb. - Messieurs, pas plus que M. le minière de l'intérieur, je ne désire passionner ce débat ; qu'il se rassure donc, je tâcherai d'être aussi calme que lui, car s'il est une discussion qui doive conserver ce caractère, c'est bien celle-ci. Certes, je suis opposé à la plupart des considérations que l'honorable ministre vient de présenter ; mais il y en a une que j'approuve complètement : c'est que nous sommes devant une question grave, sérieuse, redoutable, et qui remue les sentiments les plus intimes du cœur humain. (Interruption.)
Je vous en prie, ne m'interrompez pas ; quand je reproduis les paroles de M. le ministre, quand je dis avec lui que c'est une question grave, qui réveille ce qu'il y a de plus élevé chez l'homme, je ne comprends pas pourquoi je provoque vos exclamations. Si une telle question ne vous paraît pas sérieuse, émouvante, poignante même, je vous plains.
M. de Mérode-Westerloo. - Oui, poignante.
M. Nothomb. - Messieurs, j'avouerai franchement qu'après les paroles de l'honorable ministre, je ne m'attendais pas à lui voir prendre une position aussi décidée, aussi tranchée.
La difficulté est des plus sérieuses, c'est M. le ministre qui le proclame ; il ajoute qu'elle est controversée, qu'elle divise, ailleurs comme chez nous, les meilleurs esprits, la doctrine, la jurisprudence, les philosophes, les moralistes, les libres penseurs ; et cependant M. le ministre vient de la résoudre d'une façon que j'ai le droit de qualifier de trop leste.
Le gouvernement n'a pas toujours été, ce me semble, aussi prompt. Naguère on discutait ici la même question ; et le renvoi proposé aux ministres de la justice et de l'intérieur a été accepté par eux, après qu'ils en eurent reconnu les difficultés et avoué qu'elle méritait le plus attentif examen. La Chambre a, dès lors, demandé des explications, il y a de cela plus d'un an ; le pays avait le droit d'y compter ; elles n'ont pas été données. Nous les attendons toujours.
Devant cette attitude si nouvelle et si absolue de M. le ministre, mon étonnement est donc légitime.
C'est cette impression que je me borne à constater.
Je vais maintenant réfuter le discours de M. le ministre de l'intérieur, en le suivant point par point. Je compte, messieurs, sur votre indulgence, puisque, sans avoir pu me préparer, je n'ai devant moi que les notes que j'ai tenues à mesure que l'honorable ministre parlait.
M. le ministre s'étonne d'abord qu'on invoque constamment les lois émanées du régime français ; il nous dit : « Il n'y a pas d'analogie entre l'époque de l'an XII et l'époque actuelle, vous ne devez pas vous appuyer sans cesse sur des dispositions législatives qui remontent à soixante ans. »
Messieurs, cela est vrai, et sur ce point je me rencontre encore avec M. le ministre. Aussi ai-je été fort surpris d'entendre hier l'honorable M. De Fré invoquer d'un bout à l'autre de son discours et les discussions du tribunat, les rapports et la législation de l'an XII, et je me proposais précisément de faire ressortir ce qu'il y a d'erroné dans cette argumentation de l'honorable membre.
Oui, il y a une différence, et elle est immense, entre l'esprit de la législation de l'an XII et la nôtre ; rien de plus vrai ; mais cette différence est toute en notre faveur ; elle est pour nous le plus victorieux des témoignages.
Ce que la législation de l'an XII permettrait peut-être de nous contester ne devrait plus l'être sous notre libre régime.
Un changement est survenu radical, absolu, sans précédent, un abîme entre 1804 et 1830 ; la séparation entre l'Etat et l'Eglise ; l'indépendance mutuelle des deux autorités spirituelle et temporelle est le grand fait qui domine la Constitution et la société belges ; en 1804, l'Eglise était dans l'Etat ; aujourd'hui elle est émancipée de cette tutelle et lorsque nous réclamons pour notre culte, comme pour tous les cultes, les droits de la liberté, ce ne sont pas les principes de la Constitution impériale, ce sont ceux de la nôtre, de celle de 1831 que nous invoquons.
M. le ministre, entrant dans la discussion du fond, vient de déclarer qu'à son sens la plupart des dispositions du décret de l'an XII sont abrogées.
A peine y en a-t-il une seule qui ait trouvé grâce à ses yeux. C'est l'article 16, mais de cette seule disposition, M. le ministre va tirer un immense parti. M. le ministre ne garde qu'une arme ; vous allez voir jusqu'où elle porte et avec elle, il peut s’écrier comme la Médée antique : Moi seul et cela suffit ! Je vais le démontrer.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est la bonne.
M. Nothomb. - Je le crois bien. Nous allons voir comment vous la rendez bonne pour vous, mais comment aussi vous la rendez funeste à toutes les libertés religieuses.
Pour l'honorable ministre, l'article 15 est donc aboli, mais alors qu'il veuille bien d'abord se mettre d'accord avec ses amis politiques qui ont parlé hier.
L'honorable M. De Fré a soutenu qu'on a très bien appliqué l'article 15. L'honorable M. Hymans a dit la même chose.
Pour ces collègues, l'article 15 conserve toute sa vigueur. Pour le ministre il n'existe plus. Voilà, messieurs, une contradiction flagrante que je constate, mais que je n'ai nullement mission de concilier.
En tout cas, cette opinion de M. le ministre est nouvelle. Il a le mérite de l'invention. Je n'avais jamais jusqu'ici entendu dire que l'article 15 fût abrogé, et dans tout ce qui a été dit ou écrit sur le décret de l'an XII, depuis les arrêts de la jurisprudence, les traités des auteurs, jusqu'aux actes les plus ordinaires de l'administration, partout et toujours l'on a considéré l'article 15 comme ayant conservé toute sa vigueur.
Eh bien, messieurs, malgré tout cela, je vais faire, pour le moment, à l'honorable ministre, une très grande concession.
Croit-il par hasard nous embarrasser, en disant que l'article 15 du décret de l'an XII a disparu ? Croit-il ainsi nous enlever quelque chose de notre droit ?
Son illusion serait grande et je vais la dissiper immédiatement. Admettons que l'article 15 ait disparu. Mais est-ce que l'article 14 de la Constitution disparaît aussi ? De celui-là il n'est pas si facile d'avoir bon marché. Il n'y a pas moyen de dire qu'il est aboli. Il existe. Il proclame et garantit la liberté des cultes, la liberté de conscience.
Quand il n'y aurait que cette seule disposition, la force en est telle, qu'elle suffit pour investir chaque culte du droit d'avoir un lieu d'inhumation particulier.
La liberté des cultes, messieurs, n'est pas une chose purement théorique ; elle doit se manifester par quelque chose de matériel, d'extérieur, de palpable. C'est par la possession des temples et des lieux de sépulture.
Le cimetière comme l'église est incontestablement le signe, la sanction visible de cette liberté de conscience et de culte.
Ainsi donc, ayez raison, M. le ministre, je le veux bien ; faites disparaître l'article 15 du décret de l'an XII ; mais laissez-nous l'article 14 de la Constitution et tout culte, qu'il soit catholique, protestant ou israélite, proclamera sa liberté religieuse avec toutes les conséquences qui en dérivent, et entre toutes la faculté de posséder un cimetière particulier.
L'honorable ministre, après avoir énoncé cette idée générale, est descendu à des détails que la grandeur de la question, qu'il me permette de le lui dire, me paraissait devoir écarter. Je suis cependant obligé de l'y suivre.
II nous dit qu'il ne pouvait y avoir à Uccle un terrain réservé. Pourquoi donc, s'il vous plaît ?
Dans tous les lieux d'inhumation du pays, non seulement il peut y en avoir un, mais généralement il y en a un.
C'est un fait constaté. A peu d'exceptions près, il y a dans tous les cimetières en Belgique un endroit destiné à ceux qui meurent en dehors du culte dominant et aux enfants non baptisés. Il y a partout ce que l’honorable comte de Renesse appelait hier le terrain neutre, comme je le disais moi-même ici il y a plusieurs années.
- Un membre. - Cela n'est pas dans la loi.
M. De Fré. - Ni dans l'esprit de la loi.
M. Nothomb. - Nous verrons cela plus tard, j'y arriverai. Patience, je vous prie.
Toutes les administrations se sont attachées à faire établir dans chaque cimetière ce terrain réservé, cette portion neutre, et permettez-moi de vous lire à cet égard une circulaire qu'un des prédécesseurs de M. le ministre adressait, le 4 janvier 1843 aux gouverneurs.
Vous verrez, messieurs, combien la question préoccupait dès ce temps le gouvernement et combien il tenait à ce que les autorités exécutassent sous ce rapport ce qui leur est impérieusement prescrit par les lois ;
Après avoir rappelé l'article 15 du décret de l'an XII, le ministre continue ainsi :
« L'intention du législateur, en insérant cet article dans le décret, a été évidemment de garantir à chaque culte la pratique libre et à l'abri de toute violation.
« L'autorité ecclésiastique a toujours, et à bon droit, tenu au maintien de cette prérogative, et a invoqué, dans diverses circonstances, les dispositions qui, dans chaque rite, régissent les inhumations.
« Le clergé catholique en particulier, considérant l'individu appartenant à ce culte, mais décédé sans le secours de la religion, comme ayant cessé de faire partie de la communion catholique, a toujours tenu qu'il ne pouvait être inhumé que dans un endroit spécial et réservé du cimetière commun.
(page 1892) « Pour me mettre à même de prendre des mesures qui préviennent le retour des difficultés qui se sont déjà présentées à ce sujet, je vous prie, M. le gouverneur, de vouloir bien m'adresser un état de toutes les communes de votre province, contenant les renseignements indiqués dans le modèle ci-joint sur l'exécution de l'article 15, du décret du 23 prairial an XX. »
Voilà donc, messieurs, près de 20 ans que l'on recommande l'exécution du décret. Je crois que, dans la plupart des cimetières, on y a satisfait, et si on ne l'a pas fait, on a bien mauvaise grâce de reprocher à la communion catholique d'Uccle un état de choses dont elle n'est pas responsable, et de s'en autoriser pour se permettre contre elle des attentats injustifiables.
L'exécution de la loi appartient au pouvoir exécutif, et s'il y a de la culpabilité, elle remonte aux ministres qui se sont succédé depuis bientôt 20 ans, et l'honorable ministre actuel en a sa part.
Mais en fait la situation n'est pas telle qu'on le dit, et j'affirme que dans le plus grand nombre des communes il y a un endroit réservé pour les morts que l'Eglise n'accepte pas.
L'honorable ministre reproche à quelques-uns de mes amis d'invoquer constamment des auteurs français. Nous suivons en cela l'exemple de nos contradicteurs qui l'ont fait dès hier. L'honorable M. Hymans l'a fait, et plus tard j'aurai à expliquer le sens d'une citation qu'il a empruntée à un jurisconsulte français.
D'ailleurs, cet argument ne signifie rien ; si ces auteurs ont raison, qu'ils viennent du Nord ou du Sud, qu'importe ! écoutons-les et de ce qu'ils seraient Français, je ne vois pas qu'il faille dédaigner leur opinion.
Au surplus, nous avons cité aussi des autorités belges ; je viens de lire une circulaire de M. Nothomb, de 1843 ; on a rappelé celle de M. Liedts de 1851, l'un et l'autre prédécesseurs de M. le ministre de l'intérieur.
On a invoqué également l'opinion d'un ancien ministre de la justice, de l'opinion libérale, M. de Haussy.
Enfin, on a rapporté l'opinion d'un jurisconsulte justement estimé, l'un des auteurs du Recueil de droit administratif. M. Tielemans est aussi explicite qu'il est possible de l'être sur le principe en discussion, et je vais vous relire le passage dont il s'agit.
« Lorsqu'un cimetière, dit M. Tielemans, a été consacré à un culte, l'autorité civile ne doit plus désormais y faire enterrer des individus que l'autorité religieuse repousse comme étrangers à sa communion.
« Ceci est encore une conséquence de la consécration, et c'est pour ce motif qu'il est nécessaire de réserver dans tout cimetière catholique a une partie de terrain non consacré pour l'inhumation de ceux que l'autorité religieuse a refusé d'enterrer en terre sainte. »
Il est impossible, vous en conviendrez, d'être plus clair, plus catégorique, plus formel. Je crois ainsi avoir déféré au désir de M. le ministre, et il ne se plaindra plus de n'entendre citer que des autorités françaises. Je lui laisse l'embarras du choix parmi les sommités de l'administration ou de la science en Belgique.
M. le ministre objecte que le décret serait inexécutable à Uccle. Je réponds par les faits : la division est si bien possible qu'elle y existe...
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas la division prescrite par la loi de prairial.
M. Nothomb. - Mon Dieu ! ne vous embarrassez donc pas de difficultés purement imaginaires. Vous dites que la place serait insuffisante ; mais raisonnons un peu d'après la nature des choses. Il n'y a, à Uccle, qu'un seul culte professé et, dès lors, il n'y a pas lieu de partager le cimetière entre plusieurs cultes.
Une seule portion réservée, et tout est dit. Pourquoi donc rêver des difficultés et vous arrêter à des chimères ? Ce n'est pas digne d'un gouvernement.
L'honorable ministre revendique ensuite, et ici nous rentrons dans le côté élevé de la question, revendique un grand pouvoir au profit du représentant de l'autorité civile, du bourgmestre de la commune. Le ministre du culte, dit l'honorable M. A. Vandenpeereboom, ne peut pas décider la question où le mort sera enterré ; ceci appartient exclusivement au bourgmestre en vertu de son droit de police. Entendons-nous, messieurs, ceci devient grave ; énoncé d'une manière aussi absolue, ce principe est faux ; il convient de distinguer entre le côté religieux de l'inhumation et le côté purement temporel.
Ce sont cependant ces deux points que l'on ne cesse de confondre depuis que nous discutons. Réclamant pour le bourgmestre ce droit de police, vous dites qu'il lui donne le pouvoir de faire inhumer dans n'importe quelle partie du cimetière un défunt quelconque et que l'Eglise repousse.
Ah ! messieurs, ce n'est plus là le droit de police, c'est le droit d'omnipotence ; c'est tout bonnement l'absorption par l'autorité laïque du principe religieux, c'est en définitive, résoudre la question par la force.
Si le droit de police va jusqu'où vous prétendez, dites-moi, de grâce, où il s'arrêtera, et quand vous aurez défini ses limites, nous commencerons seulement à nous comprendre. Mais je vous défie de tracer ces bornes ; vous seriez entraîné vous-même plus loin que vous ne voulez aller. Cela est évident, messieurs. Jugez-en vous-mêmes : si le bourgmestre a le droit, au nom de sa prérogative de police, de désigner, même dans le terrain consacré, un lieu d'inhumation, est-ce que vous pourriez lui refuser l'entrée de l'église, le pouvoir d'y présenter le cadavre d'un homme appartenant à n'importe quel culte, de s'emparer des ornements sacrés, de mettre un protestant parmi les catholiques, un juif parmi les protestants, un catholique parmi les israélites ?
- Voix à gauche. - Allons donc !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mais non !
M. Nothomb. - Vous dites non. Oh ! je sais très bien que si j'avais toujours devant moi l'honorable M. Vandenpeereboom, ces craintes seraient prématurées ; mais nous stipulons pour l'avenir, et je dis, moi, que votre droit de police n'étant pas défini et ne pouvant pas l'être, il est absolu, il est absorbant ; c'est du despotisme.
M. De Fré. - Bravo !
M. Nothomb. - Votre ironie n'y fait rien : le droit de police comme vous l'entendez va fatalement jusque-là. (Interruption.)
M. B. Dumortier. - Dans la cathédrale de Tournai, on est venu accomplir des cérémonies religieuses.
M. De Fré. - Calmez-vous.
M. Nothomb. - Que voulez-vous, messieurs ! je me défie beaucoup de cette police-là ; je crains que malgré vous, je l'accorde, elle ne dégénère en odieux abus.
C'est cette police qui a partout et toujours tué la liberté ! (Interruption.)
Oui, un gouvernement qui irait jusque-là serait lui-même un gouvernement policier.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Policé !
M. De Fré. - Il ne se fait pas fossoyeur.
M. Nothomb. - Il se fait policier, le pire des régimes ; à vous entendre, je m'effraye de plus en plus de cette prérogative que vous voulez accorder à l'autorité locale.
Restez gouvernement digne ; laissez à la police ce qui lui revient et à l'autorité spirituelle ce qui est son droit ; ne confisquez pas l'une par l'autre. Messieurs, j'aurai l'occasion, dans le cours de cette discussion, de montrer jusqu'où vont les droits et les devoirs de la police, d'indiquer les limites qui doivent être observées. J'abandonne momentanément ce point.
M. le ministre, continuant la discussion des détails, a parlé de deux prêtres se disputant en quelque sorte l'âme d'un pauvre moribond.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pas l'âme ; le corps.
M. Nothomb. - Je trouve ces paroles en dessous de la question. Je regrette vraiment que M. le ministre soit descendu à ce petit argument. Il est de la famille de celui de l'honorable M. De Fré, qui faisait intervenir hier le nom d'un personnage auguste.
C'est d'un goût équivoque. Il faut laisser cela en dehors du débat.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Parce que cela vous gêne.
M. Nothomb. - Pour vous. Discutons gravement une question grave et parlons dignement dans une question qui alarme justement la conscience publique.
L'honorable ministre a beaucoup insisté sur de prétendus abus qu'il a cités ; je me demande, après l'avoir écouté attentivement, ce qui, dans ces abus, vrais ou non, pourrait justifier la moindre entrave à la liberté religieuse.
Je veux même admettre que, dans les cas signalés, quelque ministre des cultes ait eu tort, ait outrepassé son pouvoir, qu'est-ce que cela prouverait contre le principe fondamental de la liberté ? Faut-il sacrifier la liberté à cause des abus qu'elle peut entraîner ? C'est sous ce prétexte que beaucoup de libertés ont succombé et succomberont encore ; on les calomnie avant de les frapper. C'est une vieille tactique de ceux qui ne les aiment pas.
On a rappelé un fait qui s'est passé à Saint-Pierre-Capelle, en 1845. Le clergé local avait, paraît-il, fait enterrer un individu en dehors du cimetière . C'était un abus et un acte d'intolérance.
Qu'a fait le gouvernement ? Il a ordonné la réintégration du corps dans le cimetière, par l'excellente et péremptoire raison, qu'il n'y a pas d'autre place pour enterrer que le cimetière. C'était son devoir. Mais le gouvernement s'est bien gardé de prescrire l'inhumation dans le terrain (page 1893) béni ; cela ne le regardait pas. Voilà ce qu'ont fait mes amis en 1845, et rien n'est plus simple ni plus régulier.
Vos exemples, vos précédents, M. le ministre, si complaisamment invoqués ne prouvent donc rien ; vous enfoncez des portes ouvertes ; ils ne légitiment surtout pas votre entreprise attentatoire à la liberté des cultes. Si, ailleurs, on a inhumé dans un lieu inconvenant, on a eu tort, c'était odieux ; on a réparé le mal. Le clergé n'y était d'ailleurs pour rien. La lecture que nous venons d'entendre le démontre ; mais encore une fois, cela n'a rien de commun avec la question, et les faits rappelés sont tout à fait en dehors de la discussion actuelle. Laissons-les ; il n'ont rien de sérieux.
M. le ministre a dit en finissant que la question de propriété est indifférente ; je suis, en partie, du même sentiment ; je le constate volontiers.
La propriété du cimetière serait à la commune, que cela ne prouverait rien contre nous. Tout culte a droit à un lieu d'inhumation particulier, qu'il appartienne à la commune ou à la fabrique, peu importe ; si la commune est propriétaire, elle doit ce terrain comme la fabrique ; une fois qu'il a reçu cette attribution, il appartient immuablement et exclusivement au culte auquel la dévolution en a été faite.
En tout cas, la question de propriété ne peut pas faire obstacle à la division ou séparation du cimetière ; n'importe le propriétaire, le partage est obligatoire. Le propriétaire est obligé, aux termes du décret de l'an XII, de disposer pour chaque culte un lieu d'inhumation particulier.
M. le ministre revenant encore une fois sur ce qui paraît son objet de prédilection, sur l'article 16 du décret, le caresse, le commente, et s'écrie enfin qu'il doit être interprété de la manière la plus large. L'aveu est précieux et quelque peu naïf.
Par suite de cette interprétation large et en vertu de votre droit de police, vous avez tout, vous n'avez pas besoin d'une loi nouvelle ; vous seriez bien bon d'en proposer une.
Si l'article 16 peut avoir la portée que vous lui donnez, vous êtes de fait souverain maître dans l'église comme hors de l'église ; si vous avez le pouvoir de faire enterrer dans le cimetière catholique, protestant ou israélite l'individu que les ministres de ces cultes repoussent, que vous manquera-t-il ? Rien. Où vous arrêterez-vous ? Nulle part. On envahira plus tard l'église. (Interruption.)
Vous dites non, mais puisque vous exercez le droit de police de la manière la plus large, c'est-à-dire illimitée, si vous vous arrêtez c'est que vous le voudrez bien.
D'autres iront plus loin et franchiront aussi bien la porte de l'église que celle du cimetière, car le cimetière c'est l'église, comme l'église est le cimetière.
- Un membre. - C'est ce que nous contestons !
M. Nothomb. - Mais cela est si vrai que si on enterrait encore comme autrefois dans les églises, vous pourriez faire enterrer un dissident dans une église !
M. De Fré. - La loi le défend.
M. Nothomb. - Je le sais bien. Je fais une hypothèse pour montrer jusqu'où l'on pourrait abuser de votre doctrine ! Ce serait une odieuse violation !
Et qu'est-ce donc que le cimetière, si ce n'est la partie en dehors de l'église, la continuation, le prolongement, le complément de l'église, formant avec elle un ensemble indivisible ?
Et qu'est-ce qu'un culte sans cimetière ? Sans cimetière, pas d'église, pas de culte. Pouvez-vous avoir la prétention de mieux le savoir que les catholiques, les protestants, les israélites, tous proclamant à l'envi que le cimetière est une expression essentielle, nécessaire de la liberté de leur culte ?
M. le ministre soutient encore qu'il doit y avoir égalité entre les morts comme entre les vivants. C'est très juste. Seulement, par votre interprétation, vous détruisez cette égalité en introduisant, parmi ceux qui ont professé tel culte, une personne étrangère à leur culte. L'égalité cesse par l'intrusion forcée d'un dissident.
M. le ministre a terminé son discours en préconisant le système de la bénédiction séparée des tombeaux. C'est une question peu connue en Belgique ; je doute cependant que nos croyances, nos mœurs et nos sentiments permettent d'établir ce système ; en tout cas, il faudrait encore le consentement de chaque culte ; vous ne pouvez pas, malgré les ministres des différents cultes introduire dans les cimetières qui leur sont affectés des personnes étrangères à leur communion. Nous tournons ainsi dans le même cercle.
Ce serait, d'après M. le ministre, un moyen excellent d'opérer la conciliation des idées.
Je ne le crois pas ; le moyen me paraît impliquer une espèce d'indifférentisme contraire à nos mœurs et le sacrifice d'un droit auquel chaque culte attache avec raison le plus haut prix.
Je termine ici, ayant je pense, rencontré la plupart des considérations de M. le ministre, et comme il est cinq heures, je vous demande la permission de continuer dans la séance de demain.
-La séance est levée à 5 heures.