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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 25 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1635) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Marlinne prient la Chambre d'accorder aux sieurs Clacs et Flechet la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Liège par Tongres et Ans. »

« Même demande des membres du conseil communal de Roclenge. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi des travaux publics.


« Les membres du conseil communal de Neufchâteau demandent que le projet de loi concernant les travaux publics comprenne la concession, sur le territoire belge, du chemin de fer projeté de Sedan vers Coblence, par Herbeumont, Neufchâteau et Bastogne.

« Même demande des membres du conseil communal de Bertrix, Libret, Cugnon, Orgeo. »

M. de Moor. - Messieurs, un grand nombre d'autres pétitions ayant le même but et émanant aussi d'administrations communales du Luxembourg, ont été renvoyées à la commission des pétitions, qui a terminé aujourd'hui son rapport et qui conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics. Il est probable que ce rapport ne sera discuté qu'après le vote du grand projet de travaux publics déposé hier.

Je demanderai donc à la Chambre d'ordonner le dépôt, sur le bureau, des pétitions dont on vient de présenter l'analyse, et je prierai M. le ministre de vouloir bien en prendre connaissance.

M. le président. - Ne pourrait-on pas renvoyer ces pétitions à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi ?

M. de Moor. - C'est indifférent, M. le président, pourvu que le gouvernement prenne connaissance des pétitions concernant un projet de chemin de fer nullement abandonné jusqu'ici.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et adopté.


« Les huissiers audienciers du tribunal de première instance d'Audenarde demandent la révision des tarifs de leurs émoluments, des lois sur le Pro Deo, et un traitement fixe pour le service intérieur du tribunal. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur Neut appelle l'attention de la Chambre sur la manière inexacte dont les noms de quelques membres du Parlement sont orthographiés dans le Moniteur belge et les Annales parlementaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Greulle se plaint de vexations dont elle a été l'objet de la part d'agents de la police de Bourg-Léopold. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Leroy demande que le traitement des géomètres de deuxième classe en service sédentaire soit porté au même taux que celui des géomètres de deuxième classe en service actif. »

- Même renvoi.


« Le sieur Roumy demande que le projet de loi sur l'organisation judiciaire porte le traitement des secrétaires de parquet des tribunaux de première instance au taux de ceux des commis greffiers de ces tribunaux. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.


« M. de Lexhy, retenu chez lui par une affaire importante, demande un congé de deux jours ; il ajoute :

« Je regrette d'autant plus de ne pouvoir assister à la séance de demain, que j'aurais tenu à honneur de donner mon vote au projet de loi si éminemment civilisateur des caisses d'épargne et de retraite. »


« M. Nélis devant s’absenter pour affaires, demande un congé de deux jours, il ajoute :

« Je regrette, M, le président, de ne pouvoir prendre part au vote de la loi sur les caisses d'épargne ; je tiens à déclarer que mon vote aurait été approbatif. »

- Ces congés sont accordés.

Proposition de loi relative à la composition des cours d’assises

Rapport de la section centrale

M. Muller. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui avait été chargée d'examiner le projet de loi présenté par M. Guillery, relativement à la composition des cours d'assises. La section centrale conclut au renvoi à la commission spéciale à laquelle la Chambre a confié l'examen du projet de loi d'organisation judiciaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi instituant une caisse d'épargne et de retraite

Second vote des articles

Article 2

« Art. 2. Des succursales seront établies dans toutes les localités oh il est possible de s'assurer le concours de personnes bienfaisantes, des communes ou des établissements publics.

« Les conventions conclues pour l'érection des succursales ou des caisses auxiliaires, sont soumises à l'approbation du ministre des finances. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je proposerai de dire : « Le concours des communes, des établissements publics ou de personnes bienfaisantes. »

- L'article, ainsi modifié, est définitivement adopté.

Article 7

L'article 7, amendé au premier vote, est définitivement adopté.

Article 9

« Art. 9. Le directeur général est nommé et peut être révoqué par le Roi.

« Son traitement et son cautionnement sont fixés par arrêté royal.

« Le directeur général ne peut, pendant la durée de ses fonctions être membre de l'une ou de l'autre Chambre.

« Le membre de l'une ou de l'autre des deux Chambres, nommé directeur général, cesse immédiatement ses fonctions législatives.

« Le directeur général, nommé membre de l'une ou l'autre des deux Chambres, n'est admis à prêter serment en cette qualité qu'après avoir déclaré qu'il opte pour ce dernier mandat. »

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je viens proposer à la Chambre un changement de rédaction à l'arricle. 9, tel qu'il a été adopté au premier vote.

L'avant-dernier paragraphe de cet article est ainsi conçu :

« Le membre de l'une ou de l'autre des deux Chambres, nommé directeur général, cesse immédiatement ses fonctions législatives. »

Je propose de remplacer ce paragraphe par la disposition suivante :

« Un membre de l'une ou de l'autre des deux Chambres ne pourra être nommé aux fonctions de directeur général qu'une année au moins après la cessation de ses fonctions législatives. »

Voici en peu de mois le but de son amendement ; les auteurs de la proposition adoptée au premier vote ont eu pour but d'étendre le système de la loi de 1848, sur les incompatibilités, aux fonctions de directeur général. Dans le système de cette loi, on a voulu que l'indépendance des membres de la législature fût garantie de deux manières ; qu'ils n'eussent pas à se défendre contre des craintes que leur position pourrait leur inspirer ; qu'ils n'eussent pas non plus à se préoccuper d'espérances qui pourraient les empêcher de remplir leur rôle de législateurs comme ils le devraient.

La rédaction adoptée au premier vote ne fait passer ce système que partiellement dans la loi actuelle. Le directeur général étant nommé et pouvant être révoqué par le gouvernement n'a pas paru assez indépendant pour remplir avec toute la dignité voulue les fonctions législatives.

Faut-il admettre, d'un autre côté, que le gouvernement puisse nommer à ces fonctions un membre de l'une des deux Chambres ?

Je ne le crois pas ; il est de la dignité de la législature de ne pas admettre de semblables nominations. Le membre de l'une des deux Chambres qui accepte des fonctions rétribuées autres que les fonctions politiques, pour lesquelles des exceptions ont été admises par la loi de 1848, verra toujours, à tort ou à raison, suspecter sa détermination.

Il faut, sous peine de n'adopter qu'une demi-mesure, voter l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

Je comprends parfaitement qu'on repousse en entier le système d'une extension de la loi de 1848 sur les incompatibilités ; mais l'admettre seulement jusqu'au point où il a été admis au premier vote, c'est s'arrêter en bon chemin. Ce serait regrettable. Je persiste donc à proposer d'étendre entièrement aux fonctions de directeur général, le système admis en 1848 pour les fonctions salariées.

- L'amendement est appuyé.

(page 1636) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck aggrave celui de l'honorable M. Tack.

M. Van Humbeeck. - Oui.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai combattu l'amendement de l'honorable M. Tack ; à plus forte raison dois-je combattre celui de l'honorable M. Van Humbeeck, qui l'aggrave.

D'après l'amendement de M. Tack, le membre de l'une ou de l'autre Chambre nommé directeur général cesse immédiatement ses fonctions législatives. Cette disposition est semblable à celle qui se trouve insérée dans la loi de 1850, sur la Banque Nationale.

La Chambre en 1850 n'a pas été au-delà.

Aujourd'hui on demande plus. On demande qu'un membre de l'une et de l'autre Chambre ne puisse être appelé aux fonctions de directeur général de la caisse d'épargne qu'une année après la cessation de son mandat. Je vois moins encore la nécessité de cette nouvelle garantie que celle de la disposition de l'amendement principal.

M. Coomans. - C'est le droit commun.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le droit commun lorsqu'il s'agit d'emplois salariés par l'Etat...

M. Coomans. - C'est la même chose.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... sauf les exceptions contenues dans la loi de 1848 pour les ministres, les gouverneurs et les agents diplomatiques.

Ici il ne s'agit pas d'agents salariés par l'Etat. Il s'agit d'une fonction que confère le gouvernement, qui aura, je le reconnais, une assez grande importance, à laquelle un traitement assez élevé sera nécessairement attaché. Par conséquent, les raisons d'influence qu'on suppose et qui ont fait adopter la loi sur les incompatibilités, s'appliquent à un certain degré mais à un degré moindre, aux fonctions dont nous nous occupons.

Maintenant, supposons qu'une personne révèle à la Chambre des aptitudes toutes particulières pour s'occuper de pareilles matières, pour gérer d'une façon remarquable une pareille institution ; cette personne sera exclue d’une manière absolue, non pas par l'incompatibilité, non pas parce que ses fonctions ne pourraient s'exercer en même temps, mais parce que les fonctions ne pourraient lui être conférées qu'un an après la cessation de son mandat ; il faudrait, si l'on voulait utiliser son aptitude, laisser les fonctions vacantes pendant un an au moins, et encore on en serait moralement empêché, par la crainte que l'on ne vienne accuser le gouvernement d'avoir laissé la place ouverte pour éluder la disposition prohibitive de la loi.

La Chambre avisera sur cette disposition. Je ne crois pas qu'elle ail une grande utilité pratique, et c'est à ce point de vue surtout qu'elle doit être envisagée.

M. de Brouckere. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire.

Je me rappelle parfaitement que lorsque l'honorable membre qui a présenté l'amendement dont nous nous occupons, a développé sa proposition, il a déclaré qu'il l'avait copiée dans la loi de 1850, en tant qu'elle concerne le directeur de la Banque Nationale.

M. Tack. - C'est cela.

M. de Brouckere. - L'honorable membre l'a déclaré très nettement, très explicitement. Par conséquent, son intention n'a pas du tout été, en proposant son amendement, de demander l'application pure et simple du système de 1848 au directeur de la caisse d'épargne, et les membres de la Chambre qui ont voté la disposition présentée par l'honorable M. Tack l'ont votée dans ce sens.

Selon moi, l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck n'est donc pas acceptable. (Interruption.)

M. De Fré. - Vous voulez dire qu'il n'est pas recevable.

M. de Brouckere. - Non, non ! Il est parfaitement recevable. Je l'entends en ce sens que la majorité s'est prononcée après avoir entendu les explications de l'honorable M. Tack, qu'elle a su parfaitement ce qu'elle votait et que son intention n'a pas été de voter le système complet de 1848.

M. Coomans. - Messieurs, il me semble qu'il ne s'agit pas de savoir quelles ont été les intentions intimes de l'honorable M. Tack, lorsqu'il a présenté son amendement, ni où cet honorable membre a puisé son amendement.

C'est par trop rétrécir la question. Nous devons examiner si cet amendement est suffisant, s'il peut atteindre le but que nous avons en vue. Voilà la question.

Quant à moi, je me soucie très peu de lire dans le cœur de mes confrères lorsque j'examine leurs amendements. Je lis leurs écrits ; c'est plus parlementaire. Il est évident que l'exception établie par la loi de 1850 était déjà fort étroite.

L'exemple n'est pas bon. Le modèle que nous avons à suivre, c'est la loi générale de 1848 sur les incompatibilités. Or, n'est-il pas clair que lorsque vous suspectez assez, en général, les membres de la Chambre pour ne pas permettre qu'ils obtiennent une simple place de juge de paix un an avant la cessation de leur mandat, selon le système des incompatibilités décrétées en 1848, pour ne pas leur permettre d'obtenir une place quelconque, quel que soit le traitement qui y soit attaché, n'est-il pas clair qu'à fortiori ces mêmes raisons subsistent pour la place de pacha que vous allez créer au centre de la caisse d'épargne ? M. le ministre des finances vient de nous dire, en effet, qu'un traitement élevé sera attaché à cette fonction, et elle n'exigera pas des talents et une application fort extraordinaires. Bref, ce sera une des positions les plus enviées du pays. (Interruption.)

Mais, il me semble que l'opposition qui est faite à l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck justifie un peu mon observation. En vérité, il serait de la dignité de la Chambre d'accueillir à l'unanimité et en quelque sorte, par acclamation, toutes les exceptions de ce genre, toutes les interdictions formulées contre elle. Il faut y aller franchement. Je conçois parfaitement qu'on puisse ne pas approuver la loi de 1848 ; je conçois parfaitement qu'on puisse la trouver presque injurieuse pour la représentation nationale ; je conçois parfaitement qu'on puisse dire, avec une apparence de raison, que les électeurs seuls devraient être juges de la question de savoir si un député mérite leur confiance, oui ou non. Mais je conçois aussi les raisons graves qu'a eues le législateur pour rédiger la loi de 1848 ; ces raisons, je les trouve bonnes, quant à moi, et je désire qu'on maintienne le principe dans toute sa pureté. En un mot et pour en finir, j'engage M. le ministre des finances, si la place n’est pas encore promise à l'un de nous, à adhérer immédiatement à l'amendement de l’honorable M. Van Humbeeck. (Interruption.)

Quant à moi, elle ne m'est pas promise et je voterai pour l'amendement sans m'imposer le moindre sacrifice. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ne nous injurions pas.

M. Coomans. - Je n'injurie personne, mais je tiens aux principes.

M. Tack. - Comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere, mon intention n'a pas été d'aller au-delà de la loi de 1850. Mais je ferai remarquer à la Chambre que, dans mon amendement, j'avais compris non seulement le directeur général, mais aussi les membres de l'administration de la caisse d'épargne et c'est ce qui m'avait principalement déterminé à rester dans les termes de la loi de 1850.

A présent, il est évident que l'amendement de l’honorable M. Van Humbeeck est toujours discutable et recevable puisqu'il s'agit d'une modification à un amendement adopté au premier vote.

M. de Brouckere. - Je suis parfaitement de cet avis.

M. Guillery. - Je ne suis pas partisan de la loi sur les incompatibilités ; je dirai même que j'en ai toujours été l'adversaire. Je n'y trouve qu'un bon côté, c'est l'interdiction qu'elle contient, relativement aux membres de la Chambre, d'accepter des nominations faites par le gouvernement, et, sous ce rapport-là, je trouve même qu'elle ne va pas assez loin.

Je voudrais, quant à moi, que cette loi, si elle doit être modifiée un jour, comme je l'espère, fût modifiée en ce sens que la plupart des fonctionnaires publics pussent être élus membres de la Chambre, attendu que les électeurs sont souverains ; je voudrais qu'on n'exclût que les fonctionnaires publics dont l'emploi est tout à fait incompatible avec le mandat de représentant.

Mais je voudrais que l'on renforçât la loi actuelle pour ce qui concerne l'interdiction pont je parlais tout à l'heure.

Ainsi, il y a des fonctions très lucratives qui ne sont pas rétribuées par le trésor public, et pour celles-là, par une singulière lacune, la loi sur les incompatibilités n'a pas défendu que le représentant pût les accepter avant une année écoulée.

J'ai voté contre l'amendement de M. Tack, parce que je voterai toujours contre toute disposition qui tendra à étendre le principe des incompatibilités entre le mandat de représentant et les fonctions publiques ; mais je demanderai l'interdiction, pour les membres de la Chambre, d'accepter les fonctions de gouverneur de la caisse d'épargne ; je vais vous dire pourquoi.

Il ne suffit pas que les membres de la Chambre soient à l'abri de tout reproche, il faut qu'ils ne donnent pas prise à la critique. Sous certains rapports, les membres de la Chambre, s'ils ont quelque talent, sont plus en évidence que toute autre personne. Si des fonctions publiques peuvent leur être conférées, les jeux du gouvernement tomberont naturellement sur de personnes qui chaque jour ont eu occasion de faire valoir les qualités qui les distinguent sous ce rapport, il y a privilège !

Interdisons toute espèce d'acte qui pourrait donner matière à critique.

(page 1637) Plaçons-nous non pas au-dessus de la critique, nous ne pouvons pas aspirer à cela, mais au-dessus de tout soupçon.

Il n'y a là rien d'injurieux pour personne. La loi qui a consacré le principe des incompatibilités parlementaires, n'a été considérée comme injurieuse pour personne. La loi qui défend aux magistrats de juger des parent» n'a pas davantage été considérée comme injurieuse ; c'est un principe absolu que le législateur pose parce qu'il prend l'humanité pour ce qu'elle est, qu'il ne veut pas faire les hommes meilleurs qu'ils ne sont ; en toute circonstance, il faut que la position du magistrat et du fonctionnaire soit complètement nette.

Je demanderai la division ; j'appuierai la proposition de M. Van Humbeeck, en continuant à repousser celle qui a été adoptée au premier vote.

M. de Brouckere. - Je désire faire remarquer à la Chambre que si nous soutenons la disposition adoptée au premier vote, c'est pour ne pas tomber dans une inconséquence.

Ce serait en effet une inconséquence de nous montrer plus sévères vis-à-vis du directeur de la caisse d'épargne que nous ne l'avons été, en 1850, vis-à-vis du directeur de la Banque Nationale ; ce serait une véritable inconséquence, ce serait revenir...

M. Coomans. - Nous avons commis une faute.

M. de Brouckere. - C'est aujourd'hui que vous voudriez nous ; en faire faire une, nous ne la ferons pas.

Ce serait revenir sur ce que nous avons fait en 1850.

Nous avons parfaitement bien fait alors ; je m'engage à le démontrer si la discussion était reportée sur ce terrain ; nous avons bien fait d'agir comme nous l'avons fait à l'égard du directeur de la Banque Nationale, ce serait nous mettre en contradiction avec une loi existante, parfaitement motivée, que de décider aujourd'hui le contraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois le moment inopportun pour discuter la question des incompatibilités parlementaires ; il faudrait l'embrasser d'une manière générale pour le faire utilement.

Aujourd'hui, c'est un cas spécial qui se présente, et, pour le cas spécial, je pense qu'il n'y a pas lieu d'aggraver ce qui a été fait dans une circonstance analogue à l'égard du gouverneur de la Banque Nationale.

J'ai entendu l'honorable M. Guillery dire qu'il était l'adversaire de la loi sur les incompatibilités, mais qu'il admettait le principe de l'amendement proposé par M. Van Humbeeck ; qu'il me permette de faire remarquer qu'il y a là une certaine contradiction. Si les fonctionnaires peuvent être admis dans la Chambre, si on supprime l'interdiction prononcée par la loi, sauf l'exception des fonctions qui sont, par leur nature même, incompatibles avec celles de député, ils seront néanmoins, vis-à-vis du gouvernement, dans cette position de dépendance relative, puisque celui-ci aura toujours une action sur eux. Ils dépendront, dans certaine mesure, du gouvernement, car leur avancement ne peut pas être interdit, s'ils sont admis dans la Chambre.

Or, si l'avancement ne peut leur être interdit, si une promotion peut leur être ultérieurement accordée, même avec justice, comme à tous les fonctionnaires publics, s'ils ne sont pas de ce chef frappés d'incapacité, il arrivera qu'ils recevront l'équivalent d'une fonction conférée, alors cependant qu'ils ne peuvent pas être nommés directement à une fonction, c'est-à-dire qu'ils tombent dans le cas exceptionnel qu'indique l'honorable M. Van Humbeeck et auquel se rallie l'honorable M. Guillery.

Il me semble que, pour être conséquent, il faut se placer sur le terrain où je me suis placé moi-même.

Nous ne voyons pas la raison de cette incompatibilité ; elle n'est pas suffisamment démontrée à nos yeux. Elle l'est d'autant moins, qu'il s'agit de fonctions tout à fait exceptionnelles. Il y en a trois ou quatre analogues pour tout le pays, et supposer que trois ou quatre fonctions de ce genre, en admettant qu'elles fussent conférées à des membres de la Chambre, ce qui est une exception dans l'exception, pussent exercer une influence quelconque sur les affaires parlementaires, cela me paraît extrêmement exagéré.

Le principe des incompatibilités appliqué aux fonctionnaires publics, qui pourraient entrer en grand nombre dans la Chambre, et y exercer une influence par l'action que le gouvernement exerce sur eux, ce principe, dis-je, se comprend.

Il peut, en effet, y avoir un grand nombre de personnes dans ce cas. Mais nous aurons pour toute exception le gouverneur de la Banque Nationale et le directeur de la caisse d'épargne ; les autres personnes chargées de missions analogues ne sont pas exclues ; on ne les a pas même comprises dans la loi de 1848. Il y aura deux fonctions exceptées, voilà tout.

Cela est de trop peu d'importance à mes jeux, pour que j'insiste davantage.

M. Van Humbeeck. - L'honorable M. de Brouckere craint qu'en votant mon amendement, la Chambre ne commette une inconséquence. Il ne comprend pas que la Chambre puisse faire, pour le directeur de la caisse d'épargne et de retraite, autrement que pour le directeur de la Banque Nationale. Ce raisonnement pourrait, par respect pour la logique, nous entraîner de faute en faute.

Je comprends que le moment n'est pas opportun pour discuter toute la question des incompatibilités. Cependant il est évident pour tout le monde que l'inconséquence n'est pas du tout où la voit l'honorable préopinant.

L'inconséquence, c'est plutôt de se montrer d'une sévérité excessive pour des emplois qui ne sont que secondairement lucratifs, si je puis m'exprimer ainsi, pour les places de juge de paix que citait l'honorable M. Coomans, pour des places de commissaire d'arrondissement, pour toute autre place qui met un homme à la tête d'une partie de l'administration, tandis qu'on se montre excessivement indulgent pour des places telles que celle de gouverneur de la Banque Nationale, qu'on se montre disposé à être indulgent pour celle de directeur général de la caisse d'épargne, qu'on l'est pour les positions des notaires, plus lucratives que les emplois salariés par l'Etat.

C'est là qu'est l'inconséquence ; elle n'est pas dans l'amendement, que j'ai eu l'honneur de proposer. Je persiste dans cet amendement.

M. Guillery. - Je tiens à ce que ma pensée soit bien comprise.

Je ne trouve pas que le mandat législatif soit incompatible avec la plupart des fonctions publiques ou avec certaines fonctions publiques, si l'on veut, parce que je crois qu'un fonctionnaire public peut avoir autant d'indépendance de caractère qu'un médecin, un commerçant, un avocat ou un propriétaire. Les électeurs me paraissent les meilleurs juges en pareille matière. Si donc, à part certains fonctionnaires qui, à raison de leur position administrative, peuvent avoir une influence particulière, les électeurs veulent envoyer des fonctionnaires à la Chambre, ils sont les meilleurs juges. Mais je voudrais que le fonctionnaire, une fois à la Chambre, ne pût rien recevoir du gouvernement, et que celui qui est appelé à des fonctions aussi élevées que celles de membre de législature, renonçât à tout espoir d'avancement ou d'avantage quelconque émané du gouvernement.

Je n'ai pas à développer ici quel serait mon système à cet égard, ce serait trop long pour un débat incidentel ; mais pendant qu'un représentant est en fonction, je voudrais qu'il ne pût rien recevoir du gouvernement.

Tel est mon système. Par conséquent je trouve qu'un représentant ne doit pouvoir être nommé ni gouverneur de la Banque Nationale, ni gouverneur de la caisse d'épargne ; mais je ne vois pas pourquoi le gouverneur de la caisse d'épargne, connu du public, ne pourrait pas accepter les fonctions de représentant si les électeurs l'honoraient de leur choix. Ce sont là deux questions tout à fait distinctes.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement.

79 membres sont présents.

32 adoptent.

46 rejettent.

1 (M. de Haerne) s'abstient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Van Renynghe, Verwilghen, Beeckman, Coomans, Coppens, de Gottal, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, B. Dumortier, Frison, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Laubry, Loos, Magherman, Mercier, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van de Woestyne et Van Humbeeck.

Ont voté le rejet : MM. Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Carlier, Cumont, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Moor, de Paul, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, Dupret, d'Ursel, Frère-Orban, Grandgagnage, Hymans, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Lejeune, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirson, Rogier, Sabatier, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen et Vervoort.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai fait connaître à l'occasion de l'amendement de mon honorable ami M. Tack.

- L'article 9 est définitivement adopté.

Article 10

« Art. 10. Le conseil général veille à ce que des succursales soient établies conformément à l'article 2.

« Il arrête les règlements organiques et conclut toutes conventions relatives à la caisse, sauf l'approbation du gouvernement.

« Il donne son avis sur l’acceptation des dons et legs au profit de la caisse.

« Il fixe, sous l'approbation du ministre :

« Le taux de l'intérêt à bonifier pour les sommes déposées ;

« Les conditions des emprunts à contracter éventuellement par la caisse, et celles de l'émission des inscriptions.

« Il détermine le montait du fonds roulant, celui des capitaux à placer et celui de la réserve.

« Il juge en dernier ressort toutes les contestations et réclamations vidées par le conseil d'administration, et dont il y a appel. »

- Cet article est définitivement adopté.

Article 17

« Art. 17. L'administration de la caisse adresse au gouvernement, tous les mois, un état présentant la situation de l'établissement et de ses succursales. Cette situation sera publiée mensuellement au Moniteur.

« Tous les ans, le gouvernement présente, en outre, à la législature, un rapport détaillé sur la situation de l'institution. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut dire à la fin du premier paragraphe : « Cette situation est publiée... » au lieu de : « sera publiée. »

- L'article est définitivement adopté avec cette rectification.

Article 20

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'article 20 a donné lieu à un échange d'observations. On s'est demandé si les intérêts devaient être calculés sur les fractions de franc. J'ai déjà expliqué que l'article 20 ne comporte pas ce sens. Mais, pour éviter toute espèce de doute, je proposerai à la Chambre, s'il n'y a pas d'opposition, d'ajouter à l'article 20 un paragraphe ainsi conçu :

« L'intérêt ne se calcule pas sur les fractions de franc. »

- Cette proposition est adoptée.

Article 26

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A propos de l'article 26, on a demandé s'il était bien entendu que la conversion en fonds publics de la partie des dépôts qui excéderait 3,000 fr., sera faite pour le compte du déposant. C'est là le sens de l'article 26 : la caisse sera débitrice envers les déposants pour cette partie de leurs versements, non plus de numéraire, mais de titres de la dette publique.

Article 28

« Art. 28. La part de l'actif destinée à être placée provisoirement est utilisé d'une des minières suivantes :

« 1° Escompte de lettres de change et billets à ordre ;

« 2° Avances sur effets de commerce, bons de monnaie ou d'affinage du pays ou de l'étranger ;

« 3° Avances sur warrants ;

« 4° Avances sur fonds publics belges ou des Etats étrangers, des communes ou des provinces, actions ou obligations de sociétés belges.

« Ces placements et la réalisation se font par les soins et à l'intervention de la Banque Nationale, qui en tient des comptes et des portefeuilles distincts et indépendants des siens. »

- Cet article est définitivement adopté.

Article 30

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, avant que l'on passe à l'article 32, j'ai une observation à faire sur l'article 30. Cet article n'a pas été amendé, mais s'il n'y a pas d'opposition, je désire faire disparaître un pléonasme qui s'y est glissé.

Il est dit, à la fin du paragraphe premier : « et conserve la garde », c'est « conserver la conservation ». On pourrait dire : « et à la garde. »

- Cette modification est adoptée.

Article 32

« Art. 32. Le fonds de réserve est destiné à faire face aux pertes éventuelles de la caisse d'épargne, et à rembourser au gouvernement celles qu'il aura supportées en exécution de la garantie prêtée par lui.

« Tous les cinq ans, le gouvernement peut, le conseil général entendu, décider qu'une portion du fonds de réserve sera répartie entre les livrets existants depuis un an au moins, au marc le franc des intérêts bonifiés à chacun pendant les cinq dernières années. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il avait été convenu qu'on examinerait de nouveau cet article au second vote.

Après avoir réfléchi sur les objections qui avaient été faites contre le mode de répartition des bénéfices accumulés à la réserve j'ai acquis la conviction qu'on devait maintenir le système qui a été déjà adopté par la Chambre.

On faisait d'abord remarquer que les bénéfices pouvaient avoir été acquis à 1 aide de fonds qui auraient été retirés, et qui ne participeraient en aucune façon aux bénéfices du fonds de réserve,

On faisait observer en second lieu que la disposition proposée aurait pour résultat d'engager les détenteurs d'un grand nombre de livrets présentant très peu de valeur, à les maintenir à la caisse d'épargne, afin de profiter des bénéfices acquis précédemment et dont la répartition ne peut avoir lieu que tous les 5 ans.

Quant à la première objection, il paraît impossible d'y faire droit ; il faudrait pour cela qu'on créditât tous les livrets de la caisse d'épargne annuellement, pour tous les bénéfices qui auraient été réalisés et portés à la réserve ; les détenteurs de ces livrets se retireraient ensuite, et quand la répartition se ferait, il faudrait qu'on fît appel à ces livrets, pour leur donner la quotité de bénéfice dont ils auraient été crédités.

D'ailleurs, l'injustice que l'on a cru voir dans ce système n'est qu'apparente. On forme ici une véritable association entre les déposants ; les bénéfices leur appartiennent, mais le contrat, qui est ici la loi, stipule que ceux qui trouvent bon de se retirer avant que la répartition ait lieu, abandonnent leur droit à leur part du fonds de réserve. Ce n'est donc pas injuste. Chacun peut réserver son droit.

A la vérité, on peut dire qu'il s'agit ici d'une catégorie d'associés qui peuvent être dans la nécessité de retirer leurs épargnes. Mais le déposant qui l'aura été pendant quatre ans, par exemple, et qui voudrait retirer son dépôt, pourra, en laissant à son livret, ne fût-ce qu'un franc, continuer à recevoir les bénéfices au marc le franc des intérêts qui lui auront été bonifiés pendant les cinq dernières années.

Reste l'inconvénient signalé, à savoir qu'on pourrait avoir, en ce cas, un grand nombre de livrets présentant de petites sommes, maintenus à la caisse d'épargne uniquement en vue de la répartition des bénéfices. Il y aurait un inconvénient réel, s'il fallait ouvrir des comptes ; mais maintenir les comptes ouverts pour de petites sommes, n'offre aucune difficulté et n'est pas non plus une charge trop onéreuse pour la caisse d'épargne. Ce serait, d'ailleurs, un moyen légitime de conserver son droit aux bénéfices de la réserve.

Par conséquent, à ces divers points de vue, il y a lieu de maintenir la proposition qui consiste à ne faire opérer la répartition que tous les cinq ans, au marc le franc des intérêts qui auront été alloués à chacun des livrets pendant les cinq dernières années.

- La discussion est close.

L'amendement introduit au premier vote dans l'article 32 est définitivement adopté.

Articles 41, 46, 47 et 53

« Art. 41. Toute somme versée qui est insuffisante pour acquérir une rente de douze francs aux conditions demandées et au profit de la personne désignée, est déposée provisoirement à la caisse d'épargne. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre sait peut-être qu'une difficulté s'est élevée entre le département des finances et l'administration de la caisse actuelle de retraite, sur le point de savoir s'il fallait admettre pour base des tarifs la somme versée ou la rente à acquérir. L'administration de la caisse prétend qu'il serait beaucoup plus facile pour le public de savoir qu'au moyen du versement d'une somme de... on acquiert une rente de... que d'être obligé d'acquérir une rente déterminée.

On a objecté à cela qu'il y avait des difficultés pratiques ; mais on pourrait concilier le tout en laissant à un arrêté royal le soin de fixer la quotité de la rente, point qui n'a, du reste, aucune importance législative. On pourrait donc retrancher de l'article 41 les mots : « de 12 francs. » On ne déterminerait pas dans l'article quelle doit être la quotité de la rente.

Si cette suppression est adoptée, il faudra, comme conséquence, modifier le deuxième paragraphe de l'article 46 de la manière suivante :

« L'arrêté royal déterminera le taux de l'intérêt, la table de mortalité d'après laquelle les tarifs auront été calculés, le minimum des rentes, celui des versements. »

On supprimerait également dans le premier paragraphe de l'article 47 les mots : « Le minimum de chaque rente est fixé à 12 francs. »

Enfin, dans l'article 53, au n°20, on retrancherait également la mention « de la rente de 12 francs ».

De cette façon, la question serait parfaitement intacte, et l'on pourra se décider pour l'un ou pour l'autre système, selon qu'on le jugera le plus avantageux.

M. Coomans. - Si j'ai bien compris M. le ministre des finances, il supprime à l'article 47 la rente minimum de 12 francs, mais il maintient la rente maximum de 720 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui.

M. Coomans. - Alors, pas d'objection.

- Les diverses propositions que vient de faire M. le ministre des finances sont mises aux voix et adoptées.

Article 45

L'article 45, qui a été amendé au premier vote, est ensuite mis aux voix et définitivement adopté.

Article 52

(page 1639) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la Chambre a adopté au premier vote l'article 52 sans amendement. Il ne peut donc pas être question de l'amender, s’il y a une seule réclamation, et je n'insisterai pas si quelqu'un forme opposition.

Je vais dire l'objet de la proposition que j'ai à présenter.

L'honorable M. Jamar m'a fait remarquer que la disposition porte que l'ayant droit qui a réservé le remboursement du capital en cas de décès, peut, à l'époque fixée pour entrer en jouissance de la rente, affecter ce capital, en tout ou en partie, en augmentation de la rente acquise, sans qu'elle puisse, en aucun cas, être supérieure à 720 fr.

Il a demandé pourquoi il fallait attendre l'époque fixée, et en second lieu si par les mots, « à l'époque fixée », on entendait que ce fût au moment de l'entrée en jouissance même ; s'il ne le pouvait plus le lendemain, ou un mois après.

Messieurs, après avoir examiné cette disposition, on a reconnu que l'on pouvait, sans le moindre inconvénient, permettre à toutes les époques, au propriétaire d'un capital réservé, c'est-à-dire d'une nue-propriété, d'affecter cette nue-propriété à l'acquisition de nouvelles rentes pour lui ou pour un tiers, ou à l'accroissement de rentes déjà acquises. Les limitations qui se trouvent dans le projet de loi ne se justifient pas. Aussi, si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, nous accorderons une facilité plus grande, à celui qui se sera réservé un capital au décès du rentier ; nous lui permettrons de disposer, à toute époque, du capital, soit pour constituer de nouvelles rentes à son profit ou au profit de tiers, soit pour augmenter les rentes acquises.

Tel serait l'objet de la disposition que j'aurai l'honneur de soumettre à la Chambre s'il n'y a pas d'opposition. Elle serait conçue comme il suit :

« Le capital réservé pour être remboursé au décès du rentier, peut toujours être affecté, en tout ou en partie, soit à la création de rentes nouvelles, soit à l'augmentation de la rente acquise, dans les limites tracées par la loi. »

- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée sans opposition. Elle remplacera l'article 52.

Article 60

« Art. 60. Le conseil d'administration statue, conformément au dernier alinéa de l'article 10, sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application des articles 50, 54 et 57, sauf appel au conseil général dans la quinzaine de la notification de la décision par lettre chargée. »

- Adopté.

Article 66

« Art. 66. Des arrêtés royaux fixent les dates auxquelles les dispositions de la loi sont successivement appliquées. Celés de la loi du 8 mai 1850 restent en vigueur jusqu’à ce qu'elles aient été respectivement remplacées par la mise à exécution des dispositions nouvelles.

- Adopté.

Article 67

« Art. 67. Le gouvernement est autorisé à faire l'avance des sommes nécessaires pour couvrir les frais de premier établissement de la caisse d'épargne.

« Un crédit spécial de 50,000 fr. est alloué à cet effet au ministère des finances. »

- Adopté.

Article 28

M. B. Dumortier. - Messieurs, avant que la loi soit votée, j'aurai une explication à demander à M. le ministre des finances.

L'article 28 a été voté un peu rapidement, et je n'ai pas pu faire alors mes observations, mais elles peuvent naturellement se produire maintenant.

Cet article autorise la caisse à faire des avances sur les fonds publics belges ou des Etats étrangers.

La caisse pourra donc opérer sur les fonds des Etats étrangers.

Or, cela est interdit par des circulaires à toutes les administrations publiques. Il y a interdiction pour elles de faire des placements en fonds étrangers.

Je ne demanderai pas, messieurs, la suppression de cet article qui a été définitivement voté, mais je demanderai à M. le ministre des finances comment il entend que ces acquisitions se fassent.

La plupart des fonds étrangers ne sont pas cotés à la bourse, puisque le gouvernement interdit la cote d'un grand nombre de fonds étrangers dans les bourses de Belgique.

Comment est-il possible alors qu'on emploie les fonds de la caisse d'épargne à l'achat de valeurs qui ne sont pas cotées à la Bourse ?

J'avoue que je me comprends pas que l'on fasse des avances sur des fonds dont la valeur n'est pas déterminée par la cote des bourses.

M. H. Dumortier. - On ne fera pas d'avances alors.

M. B. Dumortier. - C'est justement pour savoir comment on entend opérer en pareil cas que je fais mon interpellation..

Lorsque le gouvernement interdit la cote de certains fonds étrangers, je demande à quel taux, dans quelles conditions la caisse fera des avances sur ces fonds.

Je voudrais, d'un autre côté, que M. le ministre des finances voulût nous donner les détails qu'il nous avait promis sur les relations de la Banque Nationale avec la caisse qu'il s'agit de créer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je croyais avoir expliqué suffisamment quelles seraient les relations de la Banque Nationale avec la caisse d'épargne. J'ai répondu aux questions qui ont été posées à ce sujet, mais je n'ai rien entendu de précis.

La Banque Nationale est tenue, d'après la loi de son institution, de faire le service de la caisse d'épargne. On a demandé si ces services seraient gratuits. J'ai répondu affirmativement. C'est une condition onéreuse de l'institution.

Maintenant, y a-t-il d'autres détails que l'on désire connaître sur les rapports entre la Banque et la caisse d'épargne ? Je ferai en sorte de les donner si l'on veut préciser.

Une disposition de la loi, l'article 39, porte que les rapports entre la caisse d'épargne et la Banque Nationale sont réglés par le gouvernement, en exécution de l'article 11 de la loi du 5 mai 1850.

Il y aura des dispositions de détail à prendre, sur lesquelles je ne crois pas devoir entrer dans des explications. Ce serait parfaitement inutile, et je pense que la Chambre a très bien compris, d'après les principes posés dans la loi, comment ces rapports seront réglés.

La caisse d'épargne décide de toutes les opérations qu'elle veut faire. Elle charge la Banque de faire certaines catégories d'opérations, comme elle charge la caisse des dépôts et consignations, en vertu de la loi, de faire certaines opérations pour son compte.

J'ai expliqué comment la caisse d'épargne pourrait faire des opérations en pleine sécurité par l'intermédiaire de la Banque Nationale, parce que la Banque peut lui servir de complète garantie.

Je pense que ces explications suffiront à l'honorable membre.

M. Tack. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier demande comment il se peut qu'on autorise la caisse à faire des avances sur des fonds étrangers.

Il vous dit que des circulaires interdisent aux établissements publics de faire des placements en fonds publics étrangers, et il a prétendu qu'on ne devrait pas autoriser la caisse d'épargne à faire ce qui est interdit à d'autres établissements publics.

D'abord, messieurs, il ne s'agit pas pour la caisse d'épargne des placements qui sont indiqués à l'article 29 ; là, on stipule qu'il s'agit de fonds publics belges ou d'autres valeurs garanties par l'Etat. (Interruption.)

Mais ce sont des placements provisoires ; il ne s'agit pas ici d'acheter des fonds publics, mais uniquement de faire des avances sur fonds publics, ce qui est fort différent. Que ces fonds soient cotés à la bourse ou qu'ils ne le soient pas, là n'est pas la question ; il s'agit uniquement de faire des avances sur fonds publics, et cette opération ne donnera jamais lieu à aucune difficulté, attendu qu'il est toujours possible d'apprécier la valeur des fonds publics non cotés.

Je pourrais citer beaucoup de fonds, et des meilleurs aux yeux de l'honorable M, Dumortier, qui, pour des raisons spéciales, ne sont pas cotés à la Bourse et qui cependant sont des fonds très courants. Ainsi, la question de la cote est tout à fait indifférente, et j'espère que le temps viendra où nous verrons cotés à la Bourse tous les fonds publics que l'on jugera convenable de présenter sur le marché.

Ensuite, il s'agit ici d'une garantie supplémentaire, comme tout le monde peut s'en convaincre.

Un particulier, très solvable d'ailleurs, veut faire un emprunt à la caisse d'épargne, et, indépendamment de sa solvabilité, il donne en gage des fonds publics, comme supplément de garantie. Voulez-vous donc que ce particulier, par cela seul qu'il ne possède que des fonds publics étrangers, ne puisse faire aucune opération avec la caisse d'épargne ? Je ne trouverais, dans une telle conclusion, rien de juste, rien de rationnel et rien de nécessaire.

M. Tack. - C'est moi, messieurs, qui avais demandé à M. le ministre des finances quelques explications au sujet des relations à établir entre la Banque Nationale et la caisse d'épargne. L’honorable M. Dumortier insiste auprès de M. le ministre des finances pour qu'il entre dans quelques détails à cet égard.

Je ferai remarquer que M. le ministre avait formellement promis de nous donner des renseignements détaillés à propos de l'article 39, portant : « Les rapports entre la caisse d'épargne et la Banque Nationale sont réglés par le gouvernement, eu exécution de l'article 11 de la loi du 5 mai 1850. »

(page 1640) J'avais, pour ma part, exprimé quelques doutes au sujet de l'interprétation à donner à cet article 11 de la loi du 5 mai 1850.

Il me semblait que, sainement entendu, cet article devait être interprété en ce sens que c'était à la législatures à régler les rapports entre la Banque et la caisse d'épargne, attendu que c’est ainsi que l'on a procédé en ce qui concerne l'organisation du service du caissier de l'Etat. L'article 39 de la loi actuelle m'avait paru une dérogation à la loi de 1850 plutôt que l'exécution de cette loi.

Au surplus, ce qui m'avait alors déterminé à réclamer des explications c'est que j'avais cru voir un certain danger à ce que les intérêts de la Banque fussent confondus avec ceux de la caisse d'épargne.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Aussi, ne sont-ils nullement confondus.

M. Tack. - Je ne partage pas cette manière de voir. On peut se demander d'abord si la caisse d'épargne escomptera des effets créés en vue d'opérations de commerce. (Interruption.)

C’est le meilleur des placements parce que c'est le plus solide et le plus facilement réalisable. On conçoit aisément que des employés de la Banque Nationale soigneront avant tout les intérêts de cet établissement ; c'est leur devoir, parce que la Banque Nationale doit se préoccuper avant tout des intérêts de ses actionnaires.

Comment donc voulez-vous que la Banque Nationale fasse un choix entre les traites qui lui conviennent et celles qui conviennent à la caisse d'épargne ? Il serait préférable de dire que la caisse d'épargne n'escomptera pas de traites de ce genre et qu'elle ne fera autre chose que la commandite des affaires industrielles.

M. Allard. - Mais, M. le président, allons-nous recommencer la discussion générale ?

M. le président. - On a demandé des explications ; mais il est certain qu'on ne doit pas rentrer dans un débat qui a été clos.

M. Tack. - L'honorable M. Dumortier a cru devoir demander des explications à M. le ministre des finances ; les réponses de M. le ministre ne m'ayant point paru satisfaisantes, j'ai dû nécessairement insister pour obtenir de nouveaux renseignements. Au surplus, je me conformerai à la décision de la Chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dois rappeler que les observations de l'honorable membre ont été présentées déjà dans la discussion générale, et je m'étais réservé d'y répondre lorsque les articles 27, 28 et 29 seraient mis en discussion. Avant même que ce moment fût venu, j'ai donné les explications promises.

L'honorable membre a fait aussi une autre observation ; il a dit : Aux termes de l'article 11 de la loi de 1850, les rapports entre la caisse d'épargne et la Banque Nationale doivent être réglés par une loi. J'ai également répondu à cette observation. Mais je n'avais nullement promis de donner encore de nouvelles explications à propos de l'aricle. 39 ; et cela est si vrai qu'en effet l'honorable membre ne m'en a plus demandé quand nous avons discuté cet article.

M. Tack. - Cela m'était échappé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Constatons donc que vous ne m'en avez pas demandé.

M. Tack. - J'en avais demandé antérieurement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas sur ce point spécial.

M. Tack. - Vous m'aviez renvoyé à l'article 39.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J’ai répondu à toutes vos observations. Maintenant, voulez-vous encore une nouvelle réponse ? Je dis que la loi actuelle, en admettant même votre interprétation de l'article 11 de la loi de 1850, établit les rapports entre la Banque Nationale et la caisse d'épargne. Il y a une série de dispositions qui établissent ces rapports, et l'article 39 vient en outre déléguer au gouvernement le droit de compléter ces rapports, car évidemment il y a des dispositions réglementaires à prendre indépendamment des dispositions de principe insérées dans la loi.

Je ne puis pas faire connaître l'arrêté réglementaire, puisqu'il n'existe pas encore ; mais quel que soit le sens que vous donniez à l'article 11 de la loi de 1850, il est clair que la loi actuelle y pourvoit suffisamment, et que l'article 39 de la loi nouvelle confère au gouvernement un pouvoir parfaitement licite, celui de régler les rapports entre la caisse d'épargne et la Banque Nationale.

Maintenant, quant aux valeurs (point sur lequel nous nous sommes déjà expliqués), je dirai que rien n'est plus simple que l'opération qui doit se faire entre la caisse et la Banque : ou il s'agit d'escompter des valeurs qui rentrent dans la catégorie de celles que la Banque elle-même peut escompter, et alors le simple endossement de ces valeurs par la Banque fait que la Banque en devient garante envers la caisse d'épargne ; ou il s'agit d'opérations que la Banque elle-même ne peut pas faire, c'est-à-dire l'escompte d'effets que la loi lui interdit de négocier, et alors la caisse d'épargne, devant opérer par l'intermédiaire des comptoirs de la Banque, ces comptoirs deviennent également ducroire de la caisse, parce que ces comptoirs sont des sociétés particulières, non liées avec la caisse d'épargne par la même loi qui règle les opérations de la Banque Nationale.

Il me semble que ces explications sont de nature à satisfaire complètement les honorables membres.

M. le président. - La parole est à M. Tack.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !

- La discussion est close.

M.E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

En voici le résultat :

81 membres répondent à l'appel.

61 répondent oui.

18 répondent non ;

2 s'abstiennent.

La Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Renynghe, Van Volxem, Vervoort, Allard, Ansiau, Carlier, Coppens, Cumont, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Moor, de Paul, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, Devaux, de Vrière, d’Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, Dupret, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Yan Humbeeck et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non : MM. Verwilghen, Beeckman, Coomans, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, B. Dumortier, d'Ursel, Frison, Janssens, Landeloos, Magherman, Mercier, Royer de Behr, Snoy, Tack, Vanden Branden de Reeth et Vander Donckt.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Renesse. - Messieurs, je me suis abstenu pour ainsi dire dès le commencement de la discussion du projet de loi, tenu en suspens que j'étais en quelque sorte, entre les vigoureux athlètes qui d'un côté appuyaient la loi et d'un autre côté la combattaient, notamment entre mes deux honorables amis de Courtrai.

J'aurais voulu voter pour la loi, parce que j'admets une certaine intervention du gouvernement dans cette matière ; j'aurais voté particulièrement pour la révision, dans un délai de 5 ans, de l'article 26, concernant les dépôts illimités, si l'amendement de M. le ministre des finances, relatif à cette révision, avait été mis aux voix.

Mais l'intervention du gouvernement, telle qu'elle est organisée par la loi, me paraît trop forte. En conséquence, je n'ai pas pu donner mon assentiment au projet ; j'ai craint que ce ne fût un précédent qu'on invoquerait en d'autres matières en faveur du système de centralisation, qui tend à dénaturer nos précieuses institutions.

M. de Smedt. - La création d'une caisse d'épargne et de retraite fonctionnant sous le contrôle et la garantie du gouvernement remplit une lacune et doit rendre d'utiles services à la classe nombreuse des travailleurs et des petits rentiers, je n'ai pas cru devoir voter contre une loi qui, envisagée dans son ensemble, mérite toutes nos sympathies. Je n'ai pas voulu non plus voter pour, parce que le gouvernement, selon moi, va trop loin dans son système de garantie. Si le projet nous revient du Sénat modifié dans son article 26, j’espère pouvoir lui donner mon entier assentiment.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur, pour l’armement de la garde civique

Discussion générale

M. Mouton. - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable rapporteur de la section centrale s'est attaché à vous démontrer que la balle Jansen dont j'avais critiqué l'application aux fusils lisses n'avait rien à faire dans le débat, que les améliorations proposées produiraient leur effet quel que fût le projectile à employer.

S'il en est ainsi, messieurs, je ne m'explique pas comment cette balle (page 1641) fait en quelque sorte tous les frais de l'exposé des motifs, comment on a soin de relater minutieusement tous les résultats obtenus dans des expériences successives pour arriver ensuite à nous proposer des modifications qui doivent en rendre l'usage meilleur.

Quoi qu'il en soit, sans vouloir examiner de plus près quelle est la valeur de la balle Jansen comme justesse de tir et comme force de pénétration, je maintiens comme un principe incontestable et incontesté que les fusils rayés sont de beaucoup supérieurs aux fusils lisses, et que l'on peut rayer la plupart des fusils de la garde civique.

L'honorable M. De Fré m'oppose ici le rapport de la commission instituée en 1860 : je rends très volontiers hommage aux lumières de cette commission ; mais elle s'est bornée à exprimer une opinion, sans se préoccuper du genre d'améliorations à introduire ; elle n'a fait aucun essai pour justifier sa manière de voir.

L'autorité de la commission n'infirme donc aucunement le fait que j'ai cité, à savoir que depuis 1860 l'on a rayé, à la manufacture d'armes de l'Etat, des fusils qui sont dans les mêmes conditions que ceux de la garde civique.

Je ne considère pas non plus comme sérieuse l'objection qui consiste à dire qu'il ne faut pas d'armes rayées, parce qu'elles exigent de grands soins. La loi ordonne deux inspections annuelles ; que ces inspections se fassent convenablement ; qu'au besoin même, on adjoigne, comme cela se pratique à Liège, un armurier pour la vérification de l'état d'entretien des armes, on préviendra ainsi les détériorations qu'une visite faite à la légère pourrait laisser passer.

Mais en tout cas, messieurs, si cette objection était fondée, elle s'appliquerait également aux mousquetons de l'artillerie que le gouvernement propose de faire rayer, et aux carabines des chasseurs-éclaireurs qui sont toutes rayées.

L'honorable membre m'a aussi prêté fort gratuitement l'intention de rejeter le projet de loi en entier.

J'ai dit, et je le répète, que j'acceptais les crédits destinés à l'achat de mousquetons et de carabines, mais que je ne pouvais me rallier au crédit de 109,200 fr. que sous le bénéfice d'une vérification, à l'effet de constater la possibilité de rayer les armes lisses. Tel a été l'objet de l'ajournement que j'ai eu l'honneur de proposer avec mon honorable collègue, M. Lesoinne.

Enfin l'honorable membre, en terminant son discours, a parlé de la responsabilité grave qui pèserait sur le gouvernement faisant rayer des fusils d'une solidité douteuse.

Messieurs, cet argument, qui serait de nature à faire impression s'il était fondé, se réduit à rien : en effet, il ne faut pas perdre de vue que pour opérer la transformation dont j'ai parlé, après avoir rayé les canons, ils subissent une épreuve de 27 1/2 grammes de poudre. Un canon qui a résisté à cette épreuve peut certainement supporter la charge ordinaire de 4 grammes. Ainsi l'honorable ministre de l'intérieur montrerait pour les gardes civiques une sollicitude plus grande que le ministre de la guerre pour les soldats, qui eux aussi sont des citoyens comme nous et auxquels il n'hésiterait pas à confier les fusils transformés pour la réserve. L'argument n'a donc aucune valeur.

Je crois avoir rencontré les principales objections de l'honorable rapporteur. J'insiste de nouveau pour que le gouvernement consente à ajourner le vote sur le crédit de 109,200 fr., seul moyen d'éclairer la Chambre et le pays sur cette question si importante de l'armement de la garde civique.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, la discussion d’hier n'a pas été placée, je pense, sur son véritable terrain ; on a beaucoup parlé d'un projectile, la balle Jansen, qui n'était qu'un objet accessoire, mais on s'est très peu occupé de la question principale, l'amélioration des armes de la garde civique. Je demanderai à la Chambre la permission de rappeler les précédents de cette affaire, et de ramener la discussion sur son véritable terrain.

Depuis quelques années, messieurs, et récemment encore, un grand nombre de membres de la garde civique ont demandé qu'on améliorât les fusils dont se sert l'infanterie de cette garde ; des pétitions ont été adressées dans ce but au gouvernement et aux Chambres.

Lors de la discussion de l'adresse et de celle du budget de l'intérieur, la question a été soulevée dans cette enceinte ; je me suis engagé alors à examiner les demandes et à résoudre, si cela était possible, la question, avant la fin de la session actuelle ; j'ai voulu tenir ma promesse ; et le projet de loi que nous examinons a été présenté.

Messieurs, les critiques dont l'armement de la garde civique a été l'objet ont été examinées par le gouvernement. J'ai déjà eu l'occasion de faire connaître les vues du gouvernement en cette matière ; il pense qu'il n'est ni possible ni nécessaire de donner, quant à présent, à la garde civique sédentaire des armes à longue portée.

Il estime qu'il est de l'intérêt du pays de pourvoir d'abord à l'armement de la force publique, qui doit tenir campagne en temps de guerre, c'est-à-dire de la garde civique mobilisée et de l'armée. C'est vers ce but que tendent les efforts du gouvernement.

Je crois avoir déjà eu l'honneur de le dire à la Chambre : il faut pour l'armement de l'armée 68,892 fusils et de plus une réserve de 103,337 fusils, soit trois fusils de réserve pour deux soldats. Au commencement de cette année, le département de la guerre pouvait disposer de 103,918 fusils et tous ses efforts tendent à faire compléter cet armement.

N'est-il pas nécessaire d'assurer l'armement de l'armée et de la garde civique mobilisée avant de donner des armes à longue portée à la garde civique sédentaire ? Du jour où une partie de la garde civique serait mobilisée, elle recevrait des armes en tous points semblables à celles de l'armée.

On m'objectera peut-être qu’elle ne pourrait faire un usage utile de ces armes, puisqu'elle n'en connaîtrait pas le maniement ; mais avant d'entrer en campagne, la garde civique devrait être exercée et apprendre autre chose encore que le maniement du fusil rayé. La différence entre le mouvement du fusil lisse et du fusil rayé est, du reste, très petite, et la garde civique devrait, je le répète, avant d'entrer en campagne, s'habituer aux manœuvres et faire des exercices préparatoires.

Ainsi donc, si le gouvernement ne remet pas immédiatement ces armes rayées à la garde civique, c'est parce qu'il désire en conserver un approvisionnement complet, pour pouvoir, au moment du danger, les remettre à la garde civique mobilisée et à l'armée.

Si l'on voulait, dans ce moment, fabriquer des fusils rayés pour tous les gardes civiques sédentaires, on devrait s'abstenir d'en faire pour l'armée, car on emploie aujourd'hui tous les ouvriers dont on peut disposer.

D'un autre côté, les fusils à longue portée sont-ils indispensables à nos gardes civiques sédentaires ? les fusils à canon lisse ne peuvent-ils suffire ?

Si je suis bien informé, un certain nombre de ces gardes ne demandent pas de fusils rayés ; ils se contentent parfaitement de l'armement actuel, parce qu'ils comprennent qu'un fusil rayé exige plus de soins. Cette catégorie de gardes civiques ne sont pas de ceux qui fréquentent le tir, qui aiment les parades et les manœuvres. Ce sont de bons pères de famille qui exécutent la loi comme elle doit être exécutée et qui, en cas de danger, seraient les premiers à venir rendre des services pour le maintien de l'ordre, s'ils y étaient requis.

Mais tandis que nous laissons à ces gardes civiques leur arme, nous donnons aux hommes qui font partie des compagnies spéciales des armes perfectionnées qui sont excellentes.

Déjà nous avons environ 1,950 carabines et mousquetons. Si le projet de loi est voté, ce nombre sera porté à 2,500 ; de sorte que l'on aura immédiatement 2,500 gardes, pris dans l'élément le plus jeune, le plus actif, le plus énergique qui auront des armes perfectionnées et à longue portée.

Plus tard, si quelques modifications étaient apportées à l'organisation de la garde civique, si l'on étendait le nombre des compagnies spéciales, si l'on divisait la garde civique en deux bans, il serait possible, peut-être, de donner à l'élément jeune de la garde des armes perfectionnées, des carabines ou fusils rayés ; mais, pour pouvoir les leur donner, il faut que nous puissions les faire faire aujourd'hui.

Comme on ne pourrait actuellement pourvoir tous les gardes de fusils rayés, le gouvernement a pensé qu'il était de son devoir d'améliorer, autant que possible, les armes actuelles, les armes à canon lisse.

Le fusil à canon lisse présente, dit-on, deux inconvénients : d'abord le tir n'en est pas juste ; en second lieu, le recul est excessif. Le gouvernement, autant qu'il est en lui, cherche à y apporter, sous ce double rapport, des améliorations.

Quelles sont les modifications qu'il se propose d'y introduire ?

Il a le projet d'ajouter aux fusils une hausse graduée. Un grand nombre de gardes ont demandé cette amélioration,

Il se propose en outre de placer un point de mire non plus sur l'embouchoir, attendu que ce point de mire est mobile, mais sur le canon même. C'est encore une amélioration incontestable ; tous ceux qui ont manié un fusil savent qu'un point de mire placé sur une partie mobile ne peut donner la même sûreté qu'un point de mire fixe.

Le gouvernement a aussi l'intention de faire redresser et calibrer les canons. On ne peut nier que ce ne soit là encore une amélioration.

Enfin le gouvernement se propose de remplacer les canons qui seraient défectueux. Peut-on dire que ce ne soit encore là une modification utile ?

(page 1642) Toutes les modifications donc que l'on veut apporter aux fusils de la garde civique n'ont évidemment qu'un but, c'est de rendre ces fusils meilleurs. On ne soutiendra pas que le fusil sera plus mauvais, parce que le point de mire sera placé à l'extrémité du canon plutôt qu'à l'embouchoir, que l'arme de la garde civique sera plus mauvaise parce que l'on aura réformé les mauvais canons et qu'on les aura remplacés par des canons neufs.

M. Coomans. - Ils ne sont pas plus mauvais, mais ils doivent être meilleurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela va de soi ; quand je dis qu'ils ne sont pas plus mauvais, je veux dire qu'ils seront meilleurs ; tous ceux qui ont manié une arme admettront que, dans ces conditions, les fusils seront meilleurs que dans les conditions actuelles.

Quant au recul, il n'y a qu'un moyen de l'empêcher : c'est d'obtenir un projectile qui exige, pour produire le même effet, une charge de poudre moindre.

Plusieurs projectiles d'invention nouvelle ont été essayés. Un projectile à culot en carton a produit de bons effets. La balle Jansen a, quoi qu'on en dise, donné d'excellents résultats. Cette balle n'exige qu'une charge de quatre grammes et produit, comme je l'ai dit, un tir très régulier.

A cet égard, il ne peut y avoir de doute, car la régularité du tir est un fait matériel ; c'est un fait palpable pour tout le monde, qui ne peut être révoqué en doute.

Ainsi, il est évident qu'avec ce projectile et l'arme légèrement modifiée, comme je viens de le dire, au lieu de placer dans la cible 11 balles sur 100, on en a placé en moyenne, dans une cible de 50 centimètres, de 45 à 50 sur 100. Vingt expériences de ce genre ont été faites, et l'honorable M. Mouton et l'honorable M. Lesoinne voudront bien reconnaître que ces expériences, dont ils ont été témoins, ont été faites avec une parfaite loyauté. Elles ont été faites au chevalet, et les résultats avec l'une et l'autre des deux balles ont été excellents.

M. Mouton. - Je nie l'excellence du résultat.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Mouton a cité un extrait d'un journal spécial. Eh bien, ce journal constate que, dans une première épreuve, 9 balles Jansen sur 10 et, dans une seconde épreuve, 8 balles sur 10 ont atteint le blason ; enfin, que sur 10 balles sphériques chargées avec un culot en carton, 7 ont été logées dans le blason.

Ces résultats ne peuvent être niés. Mais je n'insiste pas sur ce point, car la balle Jansen, pas plus que la balle à culot de carton, n'est en cause ici. Il s'agit d'améliorer les fusils de la garde civique et d'adopter le projectile reconnu le meilleur.

Il n'y a donc aucune décision prise pour telle balle plutôt que pour telle autre ; on adoptera, je le répète, la balle qui sera jugée la meilleure.

M. Guillery. - Il n'y a pas d'engagement pris de la part du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En effet, que demain on nous présente un projectile meilleur et nous l'adoptons. Je n'ai pris aucun engagement, ni en ce qui concerne le projectile, ni en ce qui concerne le changement à faire aux fusils.

Si l'on me démontre qu'il est possible de faire mieux et à meilleur compte, j'en serai heureux ; car, passez-moi cette plaisanterie, je ne suis pas janséniste, bien que je sois né dans la ville dont Jansénius fut évêque.

Je n'ai pris qu'un seul engagement, c'est d'améliorer autant que possible l'armement de la garde civique.

Cet engagement, je l'ai pris, et en demandant le crédit, je prouve que je veux tenir ma parole.

Mais, nous objecte-t-on, pourquoi ne pas faire rayer les armes de la garde civique ? Cela ne coûte que 2 fr. 88 c. ! Le département de la guerre fait transformer tous les anciens fusils.

Messieurs, si ces allégations étaient exactes, le gouvernement n'hésiterait pas un instant, en supposant toutefois qu'il ne fallût pas, avant tout, compléter l'armement de la garde civique à mobiliser et de l'armée ; mais ces allégations sont erronées.

D'abord il n'est pas possible de faire rayer toutes les armes de la garde civique ; je ne nie pas qu'il soit possible d'en transformer une partie, mais il est impossible de les faire rayer toutes.

Le département de la guerre, dit-on, a fait transformer tous ses fusils ! Non, messieurs ; le département de la guerre qui a fait rayer récemment 8,000 fusils à canon lisse, en avait fait rayer 10,000 auparavant.

Mais pour trouver ces 18,000 fusils on a été obligé d'en réformer 50,000.

On en a déjà vendu 20.000 parce qu'ils ne pouvaient pas subir l'opération du rayage.

Il est évident, que si l'on eût pu les transformer, le département de la guerre ne les aurait pas vendus. Indépendamment de cela il reste 30,000 fusils que l'on pourra vendre pour le même motif.

M. Coomans. - Il faut dire cela en comité secret : vous dépréciez la marchandise.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai jamais fait l'article. Je dis donc que ce sont des fusils qu'on ne peut pas rayer et que c'est pour cela qu'on les vend.

Dans quelques armées on se sert encore de fusils lisses : il y a même des militaires qui prétendent que pour tirer à de courtes distances les fusils lisses valent mieux que les fusils rayés. C'est là une opinion et toutes les opinions sont respectables !

Il reste encore en magasin 58,000 fusils lisses qui, en grande partie, seront rayés.

Si, en ce qui concerne les fusils de l'armée, il faut renoncer à transformer plus de la moitié des canons lisses, la proportion doit être bien plus défavorable pour les armes de la garde civique, car dans l'armée on soigne mieux l'armement que ne peuvent faire nos soldats citoyens.

Dans l'armée, dès qu'une pièce de l'armement a éprouvé la moindre détérioration, cette pièce est remplacée ; les fusils peuvent être considérés presque toujours comme neufs.

D'honorables collègues ont dit : la transformation des fusils à canon lisse ne coûte que 2 fr. 88 c. J'ai voulu m'éclairer à cet égard : je me suis adressé au département de la guerre, et l'honorable général Chazal m'a communiqué le décompte de ce qu'on avait payé pour rayer les 10,000 fusils dont j'ai parlé tout à l'heure : cette transformation, messieurs, a coûté en moyenne non pas 2 fr. 88 c, mais 10 fr. 94 c.

Et encore dans ce prix ne sont pas comprises certaines réparations extraordinaires, telles que le renouvellement des crosses, en certains cas.

Vous le voyez donc, messieurs, il n'est pas possible de faire rayer tous les fusils à canon lisse de la garde civique, ni d'en faire transformer une partie dans les conditions que l'on a indiquées.

Il est un point sur lequel je suis parfaitement d'accord avec les honorables députés de Liège, c'est que, surtout pour tirer à de grandes distances, le fusil rayé vaut mieux que le fusil à canon lisse ; mais puisqu'on ne peut donner actuellement à l'infanterie de la garde civique des armes rayées, n'est-il pas sage et raisonnable de s'attacher à améliorer l'armement actuel ?

Je ne puis donc pas me rallier à l'amendement présenté par les honorables membres.

Cet amendement tend à faire ajourner la question. Je ne dis pas que la solution que la Chambre va donner à cette question sera une solution définitive. Mais nous faisons un premier pas ; nous améliorons ce qui est ; de nouvelles améliorations deviendront possibles ultérieurement aussi bien pour l'armement de l'armée que pour celui de la garde civique.

On propose, messieurs, de former une commission. N'est-ce pas occasionner de nouveaux retards ? Puis, qui consentira à faire partie de cette commission ? On n'est pas toujours reconnaissant des services rendus en pareille circonstance !

Je prie donc la Chambre d'accorder au gouvernement le crédit qu'il demande ; il pourra ainsi donner des armes perfectionnées aux compagnies spéciales et améliorer les fusils de l'infanterie de la garde civique.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je n'ai qu'une simple observation à faire.

Lorsque les gardes civiques se rendent au tir, il leur est enjoint de payer une certaine rétribution, un ou deux centimes par cartouche. Ce n'est pas l'importance de cette rétribution qui provoque les plaintes, mais il m'a été dit que des gardes peu zélés en prennent prétexte pour refuser de se rendre au tir.

Ils disent que le chef de corps peut parfaitement bien ordonner des tirs et des exercices, mais qu'en aucun cas il ne peut forcer les gardes à payer.

Je pense, messieurs, que la somme qui provient de là est très minime, et je soumets l'observation à M. le ministre de l'intérieur, comme ayant un caractère sérieux, puisqu'elle m'a été communiquée par des chefs de corps.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je crois que la garde civique, lorsqu'elle se rend en corps au tir national, ne paye rien ; mais lorsque les gardes civiques s'y rendent en amateurs, ils sont astreints à payer une rétribution en vertu d'une disposition du règlement, C'est à (page 1643) l'aide de cette rétribution, qui n'est que de quelques centimes par série de cinq balles, qu'on couvre les frais du tir. Si la Chambre désire que cette légère taxe ne soit plus perçue, je le veux bien ; mais il faudra alors que chaque année la Chambre ait la complaisance de voter un crédit pour faire face à la dépense.

M. H. Dumortier. - Je crois que l'honorable membre se trompe ; les gardes ne doivent pas payer, quand ils se rendent en septembre au grand tir ; mais je parle des tirs qui ont lieu à la demande des chefs de corps, en dehors du grand tir national ; je crois qu'on exige un centime par cartouche à ces tirs-là.

Des gardes civiques saisissent ce prétexte pour entraver ces exercices qui leur sont demandés par des chefs de corps.

M. Lesoinne. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vient de dire qu'il ne faut pas en ce moment donner à la garde civique des armes à longue portée.

Messieurs, je conçois que pour ceux qui ne se servent de leurs fusils que pour la parade et pour faire l'exercice ; je conçois, dis-je, qu'on leur laisse des armes dont le tir n'offre pas de précision. Mais je vois beaucoup de gardes civiques qui vont au tir national pour s'exercer au tir, et pour eux il vaudrait beaucoup mieux qu'ils eussent des armes rayées que des armes à canon lisse.

M. le ministre de l'intérieur dit que pour l'armée il faut 172,000 fusils rayés, et que l'on n'en a encore que 109,000, si j'ai bien compris. Eh bien, comme je l'ai dit encore dans la séance d'hier, j'engage très fort le gouvernement à cesser toute espèce de fabrication d'armes du calibre actuel ; je répète que le calibre actuel ne vaut rien ; il met notre armée dans une position d'infériorité vis-à-vis de celles de autres puissances ; c'est pourquoi je répète qu'il fera bien d'arrêter la fabrication des armes du modèle actuel.

C'est du moins mon opinion ; je crois qu'elle est partagée par tous les hommes pratiques. Le calibre est trop fort ; la trajectoire est tellement courbe, que l'espace dangereux, c'est-à-dire, l'espace où un homme peut être atteint est très limité.

Par conséquent, loin d'engager le gouvernement à poursuivre la fabrication des fusils jusqu'au nombre de 172,000, je l'engage, au contraire, fortement à s'arrêter et à chercher un autre modèle.

Je l'ai dit hier et je répète que si on avait commencé dès 1858 des expériences pour établir un modèle nouveau, on aurait pu vendre les armes actuelles, et au moyen du produit de cette vente, faire confectionner des armes nouvelles.

Je dis que cette question est d'une importance extrême au point de vue de la sécurité de notre pays.

Quant aux gardes civiques qui s'exercent au tir, je crois qu'on trouverait encore parmi les armes qui sont dans leurs mains, assez de fusils susceptibles de supporter l'opération du rayage.

C'est pour que M. le ministre de l'intérieur puisse s'assurer du fait, et il a le temps de s'en assurer, que nous avons proposé l'ajournement.

Quant à la dépense que, d'après le M. le ministre de l'intérieur, entraînerait la transformation des armes de la garde civique, j'étais allé aux informations dans les bureaux du département de la guerre ; je savais qu'on avait dépensé en moyenne une somme beaucoup plus considérable. Mais il ne s'agit pas d'une réparation pareille ; il s'agit de la réparation que M. le ministre de l'intérieur propose par son projet de loi ; cette réparation est toute différente de l'autre ; or, les calculs qui ont été présentés à cet égard par l'honorable M. Mouton sont parfaitement exacts.

La réparation proposée par M. le ministre de l'intérieur ne coûtera, tout compris, que 2 fr. 85 c.

Messieurs, je crois en avoir dit assez pour justifier notre demande d'ajournement : M. le ministre de l'intérieur n'aura pas besoin d'un temps très long pour s'assurer de la chose, et dans le courant de la session, il pourra sans doute encore demander les fonds à la Chambre pour faire faire les réparations nécessaires.

Comme beaucoup de gardes s'exercent pour le tir national, il est de toute nécessité qu'ils aient des armes de précision. D'après les expériences auxquelles j'ai assisté, les fusils à canon lisse, comparés aux armes rayées, donnent un très mauvais résultat ; les tireurs se servant d'un fusil à canon rayé, tirent à 225 mètres avec beaucoup plus de précision que les tireurs qui ont un fusil à canon lisse ne le font à 100 et même à 60 mètres.

M. Goblet. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour combattre la motion d'ajournement de la partie principale du projet de loi.

Je commencerai par féliciter M. Je ministre de l'intérieur de ce que l'on se soit pour cette fois abstenu d'invoquer des secrets d’Etat, alors qu'il s'agit de la défense nationale, et je suis heureux de voir des membres de cette Chambre prendre une part active à la discussion de ces questions spéciales.

Les paroles de l'honorable député de Liège qui vient de se rasseoir produiront un effet salutaire et elles auront du retentissement dans le pays.

Comme lui, je suis convaincu que l'armement de notre infanterie est des plus défectueux, et comme lui j'engage le gouvernement à s'occuper vivement de cette grave question.

Messieurs, la motion d'ajournement a un caractère qui m'oblige à la repousser.

L'adoption de cette motion découragerait les membres de cette Chambre qui, depuis nombre d'années, luttent, je ne dirai pas contre le mauvais vouloir du gouvernement, mais contre son inertie fâcheuse, quand il s'agit de l'organisation et de l'armement de la garde civique.

Après les paroles que M. le ministre de l'intérieur a prononcées tout à l'heure, après l'assurance qu'il nous a donnée, de n'avoir pris aucune espèce d'engagement, quant au caractère spécial de l'amélioration à introduire dans l'armement, je ne vois pas pourquoi nous ajournerions un crédit qui, en définitive, est fort minime.

Pourquoi ne pas mettre dès à présent à la disposition du ministre 160,000 francs qui ne peuvent pas suffire, il est vrai, à l'armement complet de la garde civique, mais qui sont destinés à commencer une œuvre que M. le ministre de l'intérieur nous a promis de poursuivre jusqu'au bout ?

L'armement de la garde civique est vicieux ; mais ce qui l'est plus encore c'est son organisation. Or, comme l'a dit l'honorable rapporteur, le projet de loi qui est en discussion est un premier pas vers une organisation meilleure ; c'est un premier pas dans l'armement des compagnies spéciales ; c'est un premier pas dans l'armement de la partie de la population destinée à agir plus vigoureusement que la garde civique sédentaire.

Il y a, messieurs, dans le projet de loi, une pensée plus élevée encore, à laquelle nous devons applaudir, c'est le point de départ, l'organisation de la garde civique.

Une fois entrés dans cette voie, nous pouvons espérer marcher en avant, tandis que si nous ajournons, le ministère de l'intérieur viendra peut-être argumenter plus tard de l'indifférence ou du mauvais vouloir de la Chambre pour ne pas poursuivre cette affaire.

Peut-être y trouvera-t-il des motifs de dire que l'impossibilité d'améliorer l'armement de la garde civique ne vient pas de lui, et nous retomberons dans la position fâcheuse où nous étions autrefois, dans cet état d'inertie et d'apathie dont il a été impossible de tirer le gouvernement jusqu'aujourd'hui.

Faites bien attention, messieurs, que c'est la première fois qu'un crédit sérieux est demandé à la Chambre pour l'amélioration de l'armement de la garde civique.

Abstraction faite des reproches que l'on peut faire à l'amélioration indiquée, je ne dis pas proposée, puisque aucun engagement n'est pris, il est évident qu'il y a un progrès sérieux et que de plus un certain nombre d'armes perfectionnées seront données à la garde civique.

M. Mouton. - Je n'ai pas critiqué cette partie du projet.

M. Goblet. - Vous l'ajournez tout entier.

M. Mouton. - Pardon !

M. Goblet. - Je partage l'opinion de l'honorable M. Lesoinne. Je pense que si l'on pouvait donner immédiatement des fusils rayés à tous les gardes civiques, ce serait parfait ; mais la question, pour moi, n'est pas là en ce moment.

L'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable chef du département de la guerre, avant lui, ont déclaré qu'il est impossible de donner des fusils rayés à tous les gardes civiques. L'honorable ministre des finances ne croit pas avoir de fonds pour cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande pardon ; il n'a pas été question d'argent.

M. Goblet. - Tant mieux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une question de temps.

M. Goblet. - On pourra pousser la fabrication avec plus d'activité qu'on ne l'a fait jusqu'ici.

Il est donc matériellement impossible de donner des fusils rayés à tous les gardes civiques en ce moment, quels que soient les motifs de cette impossibilité.

Dans ce cas, je dis qu'à défaut de l'excellent, j’accepte ce qui est meilleur, et prenant acte de la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, qui s'engage à poursuivre celte amélioration jusqu'à son parfait achèvement (page 1644) et de donner successivement à la garde civique le plus de fusils rayés possible, je crois qu'il ne peut être qu'utile de mettre à la disposition de M. le ministre de l’intérieur les 160,000 fr., qui lui permettront de mettre à profit les bonnes intentions que, jusqu'à présent, on ne peut méconnaître.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai quelques mots à dire en réponse à l'honorable préopinant.

II a parlé de l'inertie et de l'apathie qu'avait rencontrées l'organisation de la garde civique de la part du département de l'intérieur.

J'aurais voulu que l'honorable membre précisât les faits.

A ma connaissance, toutes les compagnies spéciales qui ont demandé à se former dans de bonnes conditions, soit dans le sein de la garde civique, soit en dehors de la garde civique, ont été autorisées par le gouvernement.

Il n'en est du reste pas un aussi grand nombre qu'on l'imagine qui aient cherché à se former en dehors de la garde civique. Il n'en est, je pense, qu'une seule qui soit parvenue à se former, et encore avec beaucoup de peine, non pas à cause de l'inertie, de l'apathie du gouvernement, mais parce qu'elle n'avait pu réunir les éléments nécessaires.

M. Goblet. - Le gouvernement a laissé faire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le gouvernement n'a pas empêché de faire. Il a de plus favorisé autant qu'il l'a pu l'organisation de compagnies spéciales au sein de la garde civique, et ces compagnies spéciales dont il autorisait, dont il provoquait la formation, ont reçu l'armement qui leur convenait, ont reçu les unes des mousquetons, les autres des carabines.

Maintenant vient la question des fusils rayés. On se plaint que la garde civique ne soit pas armée de la même manière que l'armée. Mais lorsque la garde civique aura à faire le même service que l'armée, elle sera armée de la même manière. Il va de soi que si la garde civique était mobilisée, si elle devait entrer en Campagne, elle recevrait les mêmes armes que l'armée active.

Mais en temps de paix, si l'on avait un nombre suffisant de fusils rayés, faudrait-il en remettre à tous les gardes civiques du pays ?

Si les gardes civiques étaient consultés sur ce point, je crois que beaucoup ne se soucieraient pas de recevoir des fusils rayés (interruption) qui exigeraient d« leur part un entretien beaucoup plus difficile et plus coûteux.

Voilà ce que beaucoup de gardes m'ont déclaré à moi-même.

Dans tous les cas, il y aura égalité d'armement pour la garde civique et pour l'armée lorsqu'il y aura égalité de service.

Faut-il en temps de paix remettre des fusils rayés à tous les gardes civiques ? C'est une question réservée. Je répète que beaucoup de gardes ont fait cette déclaration qu'ils ne les désiraient pas pour le service ordinaire.

S'agit-il maintenant des gardes qui veulent se servir de fusils rayés au tir, alors qu'ils ne sont armés que de fusils lisses. Ils en trouvent au tir. Ils peuvent s'exercer là avec des fusils rayés.

Je tiens surtout à établir que le gouvernement, loin de combattre, à toujours favorisé l'établissement de compagnies spéciales.

M. Goblet. - Je n'ai pas parlé de cela.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez dit que le gouvernement commençait à sortir pour la première fois de la position d'inertie qu'il avait prise.

M. Goblet. - J'ai dit qu'il présentait pour la première fois une demande de crédit considérable pour l'armement de la garde civique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et qu'il sortait de l'apathie qu'il avait montrée vis-à-vis des compagnies spéciales.

MM. Goblet. - Je n'ai pas parlé des compagnies spéciales. J'ai parlé de la garde civique en général et de l'organisation du premier ban. Il ne faut pas me prêter des opinions que je n'ai pas émises.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez parlé de l'élément jeune et actif.

Or, je répète qu'en ce qui concerne l'organisation des compagnies spéciales, le gouvernement n'a jamais cessé d'en favoriser la formation.

Voulez-vous parler maintenant de l'organisation générale de la garde civique, c'est autre chose.

Faut-il la modifier ?

M. Goblet. - Certainement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est là une autre question.

Il y a une loi qui date du commencement de notre organisation politique, elle a été plusieurs fois modifiée, elle l'a été en 1848, époque où l'élan patriotique nous poussait très loin, où les imaginations étaient très agitées.

Eh bien, à cette époque la loi fut maintenue dans les conditions très sages, selon moi, où elle avait été faite en 1831 : Elle conserva à la garde civique ses éléments ; l'élément jeune et l'élément composé d'hommes d'un âge plus mûr, capables, au besoin, de contenir les jeunes.

Je crois qu'il est très utile de conserver ces deux éléments, à côté de compagnies spéciales dans lesquelles peuvent entrer des jeunes gens.

Je crois qu'avant de changer l'institution de la garde civique, telle qu'elle existe, on fera bien d'y réfléchir. Je ne pense pas que le pays aurait beaucoup à gagner à voir détacher entièrement du sein de la garde civique ce qu'on appelle l'élément jeune de telle manière que vous ayez une garde civique composée en partie de jeunes gens et en partie de ce qu'on appellerait les papas. (Interruption.) Vous riez, messieurs, cependant cette réflexion est très sérieuse. Il ne faut pas croire qu'une garde civique ainsi divisée présenterait autant de solidité et de sécurité qu'on en rencontre dans son organisation actuelle.

Si l'on proposait une garde civique composée seulement de jeunes gens, je le concevrais, mais alors n'ayez pas une fraction de garde civique composée de vieux qui deviendraient l'objet du dédain des autres et qui n'offriraient aucune force pour l'accomplissement de leur mission.

Que l'on organise, si on le peut, d'une manière permanente, de nouvelles compagnies spéciales, rien de mieux ; mais qu'on n'aille pas du moins diviser la garde civique en deux bans comprenant des bataillons composés exclusivement de jeunes gens et d'autres bataillons composés d’hommes mariés ; c'est là un changement d'organisation auquel j'engagerais la Chambre à songer sérieusement avant de le décider.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'entends dire très souvent, à propos de la garde civique, qu'on ne fait pas pour elle les dépenses qu’on devrait faire ; que l'on a de l'argent pour tout, excepté pour cela.

Je dois protester, messieurs, contre une pareille supposition. Jamais aucun crédit demandé pour la garde civique n'a été ni contesté, ni refusé. On suppose que l'armement est une question d'argent ; on se trompe complètement : ce n'est pas du tout une question d'argent ni pour l'armée, ni pour la garde civique, mais c'est une question de fabrication. On aurait des millions tout à fait disponibles, qu'il serait impossible, absolument impossible, de se procurer des fusils en ce moment, non seulement dans le pays, mais à l'étranger.

C'est surtout dans la situation si favorable où nous nous trouvons, pour la fabrication des armes, que l'on peut constater cette impossibilité.

La Belgique, le pays de Liège en particulier, est l'un des plus grands producteurs d'armes ; mais il ne peut pas suffire à tout ; on a refusé des commandes d'armes sur la place de Liège.

Les plus grands pays, qui sont même dans les meilleures conditions, ne peuvent arriver à se procurer les armes dont ils ont besoin. Ainsi, l'Angleterre, qui ne manque ni d'argent ni de moyens de fabrication, j'imagine, l'Angleterre qui a des fabriques colossales, qui possède la manufacture d'Enfield, qui est une fabrique modèle et qui emploie les procédés de fabrication les plus perfectionnés, l'Angleterre ne peut pas se procurer toutes les armes dont elle a besoin, et depuis un assez grand nombre d'années, malgré ce que produisent les manufactures d'Enfield, de Manchester et d'autres localités, elle a fait des marchés avec plusieurs de nos fabricants, qui continueront à lui fournir des armes pendant un assez grand nombre d'années encore,

Il ne s'agit donc pas d'une question d'argent ; toute la difficulté réside dans l'impossibilité absolue de trouver le nombre d'ouvriers nécessaires pour satisfaire à toutes les commandes. On ne peut pas prendre des ouvriers à d'autres industries et les transformer en armuriers.

La question d'argent est donc sans aucune influence ici. On ne peut se procurer des armes rayées que dans une certaine mesure, et c'est pour ce motif que l'armée elle-même n'a pas encore son armement complet.

Le crédit qui est demandé a pour objet de faire ce qui est pratique et possible dans les circonstances actuelles ; c'est pourquoi le projet de loi a été soumis à la législature.

M. Hymans. - Je viens ajouter quelques considérations très courtes à celles que M. le ministre de l'intérieur a fait valoir en faveur de l'ajournement du projet. (Interruption.)

Oui, messieurs, c'est ainsi, et je vais le démontrer. Le discours que M. le ministre de l'intérieur a prononcé tout à l'heure est, pour moi, un argument péremptoire en faveur de l'ajournement du crédit.

En effet, il résulte de ce discours que le gouvernement n'a pris aucune espèce d'engagement envers personne, que le gouvernement ne sait pas encore d’une manière bien précise ce qu'il veut faire.

Il est disposé à accepter toute nouvelle proposition qui pourra lui sembler utile et qui lui sera faite dans un avenir prochain. Par conséquent, (page 1645) il me semble que rien n'est plus facile que d'adopter la proposition des honorables MM. Lesoinne et Mouton qui désirent que des expériences se fassent à la manufacture d'armes de Liège, afin qu'il soit bien constaté si les fusils lisses de la garde civique ne peuvent pas être rayés. Le discours de M. le ministre de l'intérieur s'écarte complètement de l'exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis.

On m'a dit hier que je n'avais pas lu les pièces sur lesquelles je discutais ; mais je commence à croire que M. le ministre de l'intérieur, s'il les a lues, a oublié ce qu'elles contiennent. (Interruption.) L'exposé des motifs est ainsi conçu :

« Le gouvernement a reconnu la nécessité de pourvoir à l'amélioration de l'armement de la garde civique. Il croit aujourd'hui y être parvenu, sans constituer le pays dans des dépenses considérables.

« Une invention récente lui est venue puissamment en aide : la Chambre, dans sa séance du 12 février dernier, a déjà écouté avec intérêt quelques communications que le gouvernement avait cru devoir lui faire à ce sujet.

« Cette invention consiste dans la fabrication d'une balle nouvelle, dont l'efficacité et la supériorité ont été constatées par plusieurs expériences résumées dans une note annexée au présent exposé. »

Et l'honorable M. De Fré, allant plus loin encore, nous dit dans son rapport :

« Il faudrait donc un armement nouveau, des fusils rayés entièrement neufs, pour donner à la garde civique le moyen d'accomplir sa mission patriotique ; mais le gouvernement recule, pour le moment, devant le chiffre élevé de pareilles dépenses. L'amélioration qu'il propose et qui ne constituera pas, dit-il, le pays dans des dépenses considérables, permettra à la garde civique de se servir avec succès des fusils à canon lisse.

« Le gouvernement propose donc d'adopter la balle Jansen et de faire subir à chaque fusil une amélioration qui n'occasionnerait qu'une dépense de fr. 3-50 par arme. »

Ainsi l'on nous demande 109,000 fr. pour mettre les fusils lisses de la garde civique à même d'être utilisés avec le projectile Jansen.

Voilà bien le fond du projet, et cependant d'après le discours de M. le ministre de l'intérieur, il ne s'agit plus de la balle Jansen.

En deux mots, il s'agit de donner au gouvernement un blanc-seing de 160,000 francs pour l'amélioration de l'armement de la garde civique. Ce blanc-seing, la Chambre l'accordera si elle le croit utile ; quant à moi, il m'est impossible d'y consentir.

J'ai la conviction intime (et en parlant ainsi je me conforme à l'appréciation des hommes les plus compétents que j'ai consultés sur ce point) que les modifications qu'on propose d'apporter aux fusils de la garde civique sont une véritable plaisanterie ; que la balle Jansen est contraire aux principes les plus élémentaires de la balistique, en vertu desquels, le centre de gravité doit être en coïncidence avec le centre de figure, et qu'avec un canon lisse, dépourvu de tout mouvement giratoire, il est impossible que la balle arrive dans la cible avec la pointe en avant.

On en a fait l'essai à Liège ; il résulte des pièces qui nous ont été soumises que la balle se présente sur la cible de flanc ; ceux qui l'affirment proposent d'en fournir la preuve.

M. le ministre n'ayant pris aucun engagement vis-à-vis de personne, nous pouvons, en toute tranquillité de conscience, ajourner le projet à la condition que le gouvernement s'entoure de fonctionnaires du département de la guerre et d'employés de la manufacture d'armes habitués à ce genre d'expériences et vienne nous dire, à la fin de la session, s'il est possible de rayer les fusils de la garde civique.

M. Goblet. - Je demande à dire quelques paroles qui ont trait à une réponse toute personnelle que m'a faite l'ancien ministre de l'intérieur, aujourd'hui ministre des affaires étrangères.

J'ai combattu la proposition d'ajournement qui, ce me semble, devait l'être également par le gouvernement, et je me suis trouvé malheureusement en butte seul aux attaques du ministre des affaires étrangères, pour une chose que je n'avais pas dite.

Je n'avais pas parlé des compagnies spéciales ; si j'ai parlé de la partie jeune et active, ce que je ne me rappelle pas, j'en ai parlé certes moins longuement que M. le ministre de l'intérieur actuel. J'ai soutenu que le département de l'intérieur avait jusqu'ici montré de l'inertie relativement à l'armement de la garde civique, que c'était la première fois qu'un crédit un peu considérable était demandé pour cet objet, qu'il ne serait pas prudent à la Chambre de repousser un pareil projet, et pas autre chose.

Quant à l'organisation de la garde civique que j'ai déclarée et que je soutiens défectueuse, je suis convaincu, quoi qu'en dise l'honorable M. Rogier, que si on la divisait en deux bans, et que l'on rendît le premier ban plus habile et plus apte an service actif, tout en gardant la partie plus âgées pour former la garde sédentaire, on aurait une force plus utile à la défense nationale.

Si M. le ministre croit que l'organisation de la garde civique est une question tranchée par la loi de 1853, il doit se rappeler qu'elle modifie beaucoup la loi de 1848, et qu'il n'y a pas lieu de s'en féliciter.

Du reste, si on diffère sur les modifications à introduire dans l'organisation, ne serait-il pas préférable de les mettre en discussion pour arriver à bonne fin, plutôt que de repousser et de remettre toujours les questions qui se rattachent à cet objet important.

M. Jamar. - Je désire répondre quelques mots à M. le ministre des affaires étrangères. L'honorable ministre a mis en doute un fait qui pour moi est certain, c'est l'unanimité des réclamations des gardes au sujet de l'armement.

M. le ministre a eu deux ou trois occasions, comme ministre de l'intérieur, de pouvoir apprécier ces sentiments par lui-même.

Chaque fois qu'il arrivait au tir national pendant les fêtes de septembre, de toutes les bouches sortait le même cri : Donnez-nous d'autres armes !

J'ai assisté deux ou trois fois à l'inauguration du tir national, et toujours constaté l'unanimité de ces réclamations.

Je ne serais pas étonné, au reste, que l'honorable ministre ne soit pas fixé sur le véritable esprit des gardes.

A cet égard, s'il voulait des données plus certaines, il serait sage de modifier le système d'inspection admis au département de l'intérieur.

En effet, la direction de la garde civique au ministère de l'intérieur est confiée à un homme qui pense que le système actuel est excellent, et qu'il ne faut pas toucher à l'organisation de la garde telle qu'elle existe, parce que c'est la meilleure ; et c'est le même homme que vous nommez inspecteur et qui doit rendre compte des résultats des mesures qu'il propose.

Si vous voulez être fixé sur l'esprit qui anime les gardes, il y a là des modifications sérieuses à introduire.

J'appuie de toutes mes forces les considérations qui ont été présentées, par l’honorable M. Lesoinne.

Nous allons voter un crédit pour les armes des compagnies spéciales. Il serait fâcheux que, pour conserver l'unité de calibre avec les carabines dont sont armés les chasseurs éclaireurs, nous adoptions définitivement ce calibre de 17 millimètres, que condamne non seulement le rapport de la commission du concours de Tervueren, mais tous les travaux des commissions instituées dans les divers pays de l'Europe pour étudier cette grave question. J'adjure M. le ministre de l'intérieur de ne point prendre à cet égard de résolution définitive sans peser mûrement la valeur des considérations présentées par mon collègue de Liège, l'honorable M. Lesoinne. Je crois que l'adoption définitive du calibre de 17 millimètres serait une faute dont nous ne tarderions pas à nous repentir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne crois avoir rien dit de désobligeant, de personnel pour l'honorable M. Goblet dans la première réponse que j'ai faite. En ce qui concerne les fusils rayés, je répète que beaucoup de gardes m'ont déclaré à moi-même, non pas à l’inspecteur, que pour le service ordinaire, ils préféraient le fusil lisse au fusil rayé, qui serait pour eux une cause de dépense et de soins dont ils sont bien aises de s'abstenir.

Quand la garde civique aurait-elle à se plaindre de l'infériorité de ses armes vis-à-vis de l'armée ? Du jour où elle serait appelée à rendre les mêmes services que l'armée. Or, du jour où elle devrait entrer en campagne, elle recevrait les mêmes armes ; mais pour le service de la police des rues, si elle était appelée à le faire, je ne vois pas en quoi le fusil rayé lui serait plus utile que le fusil lisse.

J'admets que ceux qui fréquentent le tir aiment mieux tirer avec le fusil rayé. Pour cet exercice-là, pour ce plaisir-là, les gardes qui veulent se servir de fusils rayés peuvent s'en procurer au tir.

Je me demande pas mieux, au surplus, que de voir la garde civique bien armée ; c'est une question de temps. (Aux voix ! aux voix !)

- M. Prévinaire, qui a demandé la parole, y renonce.

La clôture est prononcée.

Vote des articles et vote sur l’ensemble

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement proposé par MM. Mouton et Lesoinne. Il est ainsi conçu ;

« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre d'ajourner le vote sur le crédit de 109,200 francs et de réduire à 4,000 francs le chiffre mentionné pour frais de transport des armes et dépenses imprévues, de telle sorte que le crédit de 160,040 francs soit de 44,840 francs. »

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

(page 1646) En voici le résultat ;

71 membres prennent part au vote.

47 répondent non.

24 répondent oui.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté pour l'amendement : MM. Verwilghen, Allard, Braconier, Coomans, de Boe, de Bronckart, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Dupret, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Janssens, Landeloos, Lesoinne, Magherman, Mouton, Muller, Sabatier, Snoy, Vanden Branden de Reeth et Van de Woestyne.

Ont voté contre l'amendement : MM. Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Beeckman, Carlier, Coppens-Bove, Cumont, de Breyne, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Ridder, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Volkaersbeke, Laubry, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Loos, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck et E. Vandenpeereboom.


L'article premier du projet de loi est mis aux voix ; il est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit extraordinaire et spécial de cent soixante mille quarante francs, pour améliorer et compléter l'armement de la garde civique. »

- Cet article est adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen de bons du trésor. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.

64 membres sont présents.

48 votent pour le projet.

15 votent contre.

1 (M. Muller), s'abstient. E

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Allard, Beeckman, Carlier, Coppens-Bove, Cumont, de Boe, de Breyne, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Naeyer, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, B. Dumortier, Henri Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Volkaersbeke, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Loos, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, Alph. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet : MM. Braconier, Coomans, de Bronckart, de Moor, de Smedt, Dupret, Hymans, Landeloos, Lesoinne, Magherman, Mouton, Sabatier, Snoy, Vander Donckt et Van de Woestyne.

M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Muller. - Messieurs, j'approuvais une partie du crédit demandé par le gouvernement, celle qui est destinée à rayer un certain nombre de fusils de la garde civique ; je désapprouvais l'autre partie destinée à maintenir les fusils lisses ; j'ai donc cru devoir m'abstenir,

- La séance est levée à cinq heures.