(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1621) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 21 juin.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Cortil-Wodon demandent la construction du chemin de fer de Namur à Landen. »
« Même demande d'habitants de Vedrin, Daussaux et Saint-Marc. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Fologne prient la Chambre d'accorder aux sieurs Claes et Flechet la concession d'un chemin de fer direct de Liège à Hasselt par Ans, Tongres et Cortessem.
« Même demande de conseillers provinciaux du canton de Looz. »
- Même renvoi.
« Le sieur Colson, ancien directeur de boulangerie militaire, se plaint de mesures prises à son égard par le département de la guerre et réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Teirlinck demande que le projet de loi sur l'organisation judiciaire porte le traitement des secrétaires de parquet des tribunaux de première instance au taux de celui des commis greffiers de ces tribunaux. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Des greffiers de justice de paix dans l'arrondissement de Hasselt demandent que le projet de loi sur l'organisation judiciaire porte leur traitement au taux de celui des commis greffiers des tribunaux de troisième classe, ou du moins aux deux tiers de celui des juges de paix. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Liège prient la Chambre de ne pas adopter le projet de loi qui ouvre au département de l'intérieur un crédit de 100,040 fr., pour introduire des modifications à l'armement de la garde civique. »
(page 1622) M. Lesoinne. - Je propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
- Adopté.
« Les professeurs de l'Université de Bruxelles présentent des observations sur le projet de loi concernant les jurys d'examen pour la collation des grades académiques. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants de Reckheim présentent des observations contre toute demande de chemin de for direct d'Ans à Tongres. »
« Mêmes observations d'habitants de Rixingen, Riempst, Roosheim, Herderen et Millen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lardinois réclame l'intervention de la Chambre poiu qu'on fasse répéter les expériences qui ont eu lieu au concours sur la meilleure arme de guerre. »
- Même renvoi.
M. Lesoinne. - Je demande que la commission fasse un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur De Bry demande une récompense pour sa découverte d'un canon revolver. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, les demandes de naturalisation, faites par les sieurs Tummers, Jacques-Hubert et Tummers, Jean-Henri, à Malines. »
- Pris pour notification.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 120 exemplaires de la première livraison du Bulletin des commissions royales d'art et d'archéologie. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. de Baillet-Latour, devant s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
« M. Pierre, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.»
- Accordé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :
1° Un projet de loi tendant à accorder au département de la justice un million de francs pour poursuivre, dans les prisons, le travail pour l'exportation pendant l'année courante.
2° Un projet de loi qui alloue au département de l'intérieur deux crédits supplémentaires, destinés l'un, au payement des dépenses arriérées du service annuel ordinaire de l'instruction primaire dans le Brabant ; l'autre, au renouvellement d'une grande partie du mobilier de l'hôtel du gouvernement provincial d'Anvers.
3° Un projet de loi qui accorde au département de l'intérieur un nouveau crédit de 100,000 fr. applicable aux dépenses résultant de la participation des producteurs belges à l'exposition de Londres.
4° Un projet de loi allouant au département des finances divers crédits se rapportant aux exercices 1861 et 1862 et s'élevant à la somme de 352,579 fr. 51 c. ;
5° Un projet de loi accordant au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 345,000 francs pour le service des routes et des bâtiments civils et pour la construction de deux bâtiments pour le service de la douane ;
6° Un projet de loi relatif à des travaux d'utilité publique et qui autorise la concession de diverses lignes de chemin de fer.
- Des membres. - La lecture du projet de loi sur les travaux d'utilité publique ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais donner l'analyse du projet de loi.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à concéder :
« A. Un chemin de fer d'Anvers à Hasselt par Aerschot et Diest.
« B. Un chemin de fer de Malines à Saint-Nicolas.
« C. Un chemin de fer de Hal à Ath.
« D. Un chemin de fer de Frameries à Chimay, avec embranchement sur Thuin.
« E. Un chemin de fer de Liège à la frontière de Prusse, dans la direction d'Aix-la-Chapelle et Herve, et un chemin de fer de Verviers à la Meuse en aval de Visé.
« F. Un chemin de fer de Gand à la frontière des Pays-Bas, dans la direction de Terneuzen.
« G. Un chemin de fer de Tongres à Ans par Glons, avec embranchement par Herstal sur le faubourg de Vivegnis-lez-Liège, et un chemin de fer de Hasselt à la frontière des Pays-Bas, dans la direction d'Eyndhoven par le camp de Beverloo.
« H. Un chemin de fer à la frontière française vers Dunkerque.
« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à accorder séparément la concession d'un chemin de fer de Tamines à Landen et d'un chemin de fer de Groenendael à Nivelles.
« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à concéder, 1° un chemin de fer se dirigeant de Liège par la vallée de l'Ourthe, vers le chemin de fer du Grand-Luxembourg, 2° un chemin de fer de Spa à la frontière du Grand-Duché de Luxembourg dans la direction de Weiswampach. »
Second projet :
« Art. 1er. Il est accordé au gouvernement les crédits suivants :
« A. Ponts et chaussées.
« 1° Pour la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain : 3,000,000 fr.
« 2° Pour l'achèvement du canal de Deynze à la mer du Nord : fr. 400,000 ;
« 3° Pour l'élargissement de la deuxième section et l'achèvement de la troisième section du canal de la Campine : fr. 510,000 ;
« 4° Pour l'amélioration du port de Nieuport : fr. 300,000 ;
« 5° Pour la canalisation de la Meuse depuis l'embouchure de la Sambre à Namur, jusqu'à la limite supérieure du bassin houiller de Chokier : fr. 1,400,000 ;
« 6° Pour complément des travaux destinés à relier les établissements de la rive droite de la Meuse avec le canal de Liège à Maestricht : fr. 600,000 ;
« 7° Pour la construction du canal de Turnhout à Anvers par Saint-Job in 't Goor : fr. 1,000,000 ;
« 8° Pour l'établissement d'une branche de raccordement entre le canal de Bruges à Gand et le bassin de commerce de cette dernière ville : fr. 500,000 ;
« 9° Pour la canalisation de la Mandel : fr. 1,000,000.
« B. Chemin de fer.
« 10°. Pour l'achèvement des stations et de leurs dépendances : fr. 2,500,000.
« Total : fr. 11,210,000.
« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à prendre des actions dans la société qui se formera pour l'exécution du canal de la Lys à l'Yperlée, et ce jusqu'à concurrence de la moitié des sommes nécessaires à l'exécution de ce canal.
« Art. 3. Les crédits affectés aux dépenses mentionnées aux articles 1 et 2 seront couverts par les ressources ordinaires. »
- Impression et distribution de tous ces projets de lois et renvoi k l'examen des sections.
M. Hymans. - Messieurs, avant que la Chambre aborde la discussion du crédit relatif à l'armement de la garde civique, je me permettrai de poser à M. le ministre de l'intérieur une question que je lui ai posée déjà la semaine dernière sur la pétition du sieur Montigny, armurier à Bruxelles.
Je lui ai demandé ce qu'étaient devenus les 10,000 fr. portés au paragraphe 2 de l'article 48 du budget de 1861 pour des expériences à faire en vue d'arrêter un type uniforme d'arme de guerre.
M. le ministre de l'intérieur n'avait pas sous les yeux les documents relatifs à cette affaire et il m'a répondu qu'il croyait que les 10,000 fr. votés par la Chambre n'avaient pas été destinés à être donnés en primes, au moins pour la totalité ; puis allant plus loin, il a dit qu'il n'avait pas l'intention de décerner les prix comme la commission avait proposé de le faire.
Or, messieurs, que l'on distribue les primes ou qu'on ne les distribue pas, que l'on décerne les primes comme la commission l'a décidé ou qu'on ne les décerne pas, nous nous trouvons en présence d'un crédit de 10,000 fr. qui, s'il n'est pas employé en primes, doit être disponible.
On m'a dit que le concours avait coûté des frais généraux. Je le veux bien, mais cela devait être prévu. J'ai sous les yeux le rapport officiel de la commission du tir de Tervueren. Je vois qu'avant de procéder aux expériences, elle avait décidé, en réponse à cette question qu'elle s'était posée tout d'abord ; « Quelle sera la répartition du crédit ? que l'on (page 1623) décernerait trois primes et que l'emploi du crédit aurait lieu comme suit : première prime 5,000 fr., deuxième prime 2,000 fr., troisième prime 1,000 fr., frais généraux 2,000 francs.
On avait donc prévu les frais généraux.
Les expériences terminées, la commission sachant parfaitement alors ce qu'avait pu coûter le tir, a décidé que les primes seraient décernées aux sieurs Montigny, etc., jusqu'à concurrence d'une somme de 8,000 fr. affectant toujours 2,000 fr. au payement des frais généraux du concours.
II est évident que, quelle qu'ait été la réponse de M. le ministre dans notre dernière séance, que quelles que soient ses intentions au sujet de l'emploi des 8,000 fr. à distribuer en primes, ces 8,000 fr. sont encore disponibles.
Je demande à M. le ministre de l'intérieur ce qu'il a l'intention d'en faire et s'il ne compte pas les décerner en primes, je proposerai, par voie d'amendement, dans la discussion du projet de loi que nous allons examiner tout à l'heure, de diminuer le crédit demandé pour l'amélioration des armes de la garde civique, à concurrence de la somme votée pour le concours de Tervueren, déduction faite des frais généraux.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La commission dite de Tervueren avait pour mission de rechercher quelle serait la meilleure carabine de guerre à adopter par les sociétés de tir et les compagnies spéciales de chasseurs-éclaireurs.
Comme vient de le dire l'honorable M. Hymans, le programme de cette commission portait que 8,000 fr. seraient donnés en prix ; une somme de 2,000 fr. était réservée pour couvrir les frais généraux. Lorsque les expériences ont été terminées, la commission a examiné d'abord la question de savoir si l'une des armes présentées au concours répondait à ce qu'on avait espéré ; en d'autres termes, si une ou plusieurs de ces armes pouvaient être adoptées comme type ; et cette question fut résolue négativement.
Mais la commission, considérant que les armuriers concurrents avaient fait des sacrifices et de louables efforts, a pensé qu'il serait juste de leur accorder des indemnités ; de leur décerner des primes à partager entre les différents concurrents ; au lieu donc de décerner trois prix, dont le premier eût été porté à 5,000 francs, le second à 2,000 fr. et le troisième à { 000 francs, la commission a proposé de partager les prix et d'accorder les primes suivantes, savoir : 2 de 2,500 francs, 3 de 660 francs et 2 de 500 fr. En tout 8,000 fr.
Comme je l'ai dit déjà, lorsque le rapport de la commission m'est parvenu, je n'ai pu adopter ses propositions ; j'ai voulu d'abord me rendre compte des frais qui avaient été faits ; ces frais avaient notablement dépassé les prévisions et au lieu de s'arrêter à 2,000 fr., ils s'étaient élevés à la somme de 6,554 fr. et quelques centimes.
M. Hymans. - C'est scandaleux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En présence de ce résultat, il m'était impossible de donner 8,000 francs de primes, attendu qu'on avait déjà dépensé près de 6,500 francs.
M. Hymans. - C'est scandaleux.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Permettez ! Voilà le motif pour lequel je n'ai pas pu décerner les primes proposées. L'honorable M. Hymans dit : C'est scandaleux ! Mais, messieurs, était-il possible de prévoir les dépenses à faire ?
Ainsi, on a été obligé d'acheter différents ustensiles, de faire d'assez grands préparatifs, de dresser des cibles, d'acquérir plusieurs chevalets pour faire les expériences.
C'étaient là des dépenses générales absolument indispensables. En outre on a fait imprimer le rapport et dans des lithographies fort bien faites annexées à ce rapport, on a indiqué les résultats des tirs. Enfin, il y a 'eu encore quelques autres dépenses accessoires.
Quoi qu'il en soit, ce qui m'a arrêté dans cette circonstance, c'est l'impossibilité de payer ces primes, n'ayant point de crédits suffisants ; mais jamais je n'ai dit que mon intention fût de ne pas adopter les propositions de la commission.
.L'honorable M. Hymans a perdu de vue ce qui s'est passe dans une de nos dernières séances.
« Je n'ai pas, disais-je alors, exprimé l'intention de ne pas accorder ces indemnités, mais je me suis trouvé dans l'impossibilité de les donner jusqu'ici. » Voilà mes propres paroles.
La meilleure preuve que je n'ai pas eu l'intention de ne pas accorder ces primes, c'est que j'espère pouvoir soumettre dans un bref délai à la Chambre une demande de crédit supplémentaire pour solder ces indemnités.
M. Hymans. - On a dépensé 14 mille francs pour n'avoir rien du tout.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). L'honorable M. Hymans dit qu'on a dépensé 14 mille francs pour n'avoir rien du tout. Mais est-ce donc la faute du gouvernement si les carabines n'ont pas été reconnues parfaites, si le concours n'a pas répondu à l'attente de la commission ? Toutefois, celle-ci a cru qu'il était juste et équitable de proposer de donner des indemnités aux armuriers qui avaient fait des efforts et des dépenses, et je crois que le gouvernement fait chose utile en accordant ces primes.
M. Jamar. - - Je proteste énergiquement contre l'épithète de scandaleuses appliquée aux dépenses d'une commission dans laquelle ont siégé quatre membres de cette Chambre.
Je ne connais en aucune façon le détail de ces dépenses, mais je demande, au nom de mes collègues et au mien, à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien en donner le tableau dans le projet de loi dont il vient de nous annoncer la présentation.
En attendant, je proteste de nouveau contre cette épithète qui n'aurait pas dû être prononcée, dans cette enceinte, par mon collègue de la députation de Bruxelles.
Je suis heureux, au reste, de pouvoir saisir cette occasion de répondre aux critiques acerbes dont le rapport de la commission a été l'objet.
La commission n'a vu dans la plupart de ces critiques que l'expression nouvelle de la légitime impatience d'une grande partie de la nation de voir résoudre la question de l'armement de la garde civique. '
Toutefois, je ne puis laisser sans réponse cette injuste accusation de l'honorable M. Hymans qui affirme qu'une somme de quatorze mille francs a été dépensée sans résultat.
Cette accusation n'est point fondée et je crois en vérité que mon honorable collègue n'a pas lu le rapport de la commission et a perdu de vue le but déterminé du concours.
Il s'agissait, aux termes du vote de la Chambre, de déterminer « un type d'arme de guerre destiné aux compagnies spéciales de la garde civique et aux sociétés de tir. »
Restreint dans ces limites, le but du concours est atteint, car les conclusions du rapport renferment tous les éléments d'une solution pratique, sans qu'un nouveau concours soit nécessaire.
En effet, la question la plus importante, celle du calibre, a été résolue. La supériorité des armes de petit calibre sur les armes de gros calibre a été constatée sous tous les rapports par la commission, qui recommande l'adoption du calibre de 13 millimètres.
II restait à résoudre une question fort importante également, celle du système de chargement. Deux systèmes étaient en présence, le systeme ancien et le chargement par la culasse. Les résultats des expériences ont amené la commission à partager la première prime entre deux armes da systèmes différents qui toutes deux avaient atteint un nombre de points à peu près égal dans les tirs à diverses distances dont les expériences sa composaient.
Quelle que soit celle de ces armes à laquelle le gouvernement donne la préférence pour l'armement des compagnies spéciales, il peut être certain que cet armement sera excellent, en apportant à ces armes quelques modifications faciles à exécuter.
Si la commission n'a pas déterminé elle-même le système auquel il fallait donner la préférence et s'est ainsi exposée à des critiques peu fondées, c'est qu'en dehors de la question de l'armement des compagnies spéciales, il y avait un grand intérêt industriel engagé dans cette question, celui de notre industrie armurière.
La commission devait donc agir avec une grande prudence, c'est c« qu'elle a fait.
Les expériences de tir à grandes distances ont révélé un fait fâcheux. A Liège même, dans ce grand centre de l'industrie armurière, il n'y a point un champ de tir où les armuriers pussent vérifier la valeur des diverses conditions essentielles à un tir excédant 200 mètres, le poids de la charge, la forme du projectile, le rapport de la charge, du projectile et du poids de l'arme.
Il est résulté de cette absence d'un champ de tir, qu'on établit en ce moment à Liège, je pense, que les expériences de la commission ont été une véritable révélation pour des armuriers, qui ont reconnu que des (page 1624) armes très bien fabriquées, donnant à 200 et 250 mètres des résultats remarquables, ne donnaient plus des résultats suffisants par suite des conditions défectueuses du calibre, de la charge ou du projectile. Ces armes ont été retirées du concours, quoique, sous le rapport de la fabrication de l'arme elle-même, quelques-unes eussent un mérite réel.
Fallait-il, dans ces conditions, faire un choix définitif dans les sept armes qui seules avaient subi toutes les épreuves du concours, et renoncer à profiter des avantages que l'on devait retirer infailliblement d'un nouveau concours entre un grand nombre d'armes du même calibre présentées par tous les fabricants ayant mis à profit les expériences du concours ?
La commission ne l'a pas pensé, messieurs, et elle ne regrette pas la décision qu'elle a prise.
Il est donc aussi injuste de dire que cet argent a été dépensé en pure perte, qu'il est peu parlementaire de venir traiter de scandaleuses les dépenses d'une commission, dans laquelle, je le répète, l'honorable M. Hymans aurait dû songer que siégeaient quatre de ses collègues, et des hommes honorables qui ont fait preuve, j'en appelle à M. le ministre des affaires étrangères, d'un très grand dévouement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oui, certainement.
M. Jamar. - Voilà les explications que je désirais donner à la Chambre, et qui prouvent que l'honorable M. Hymans a mis dans ses accusations une excessive légèreté.
M. Goblet. - Messieurs, il me reste peu de chose à dire après les observations que vient de présenter l'honorable M. Jamar. Il est évident que nous n'avons rien à reprocher à la commission du tir de Tervueren. Elle a parfaitement rempli sa mission et nous n'aurons pas à regretter les résultats obtenus par ces essais. Mais de ce que ceci est hors de contestation, il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu une faute commise : cette faute, c'est qu'on n'a pas distribué les prix décernés.
M. Hymans. - Il n'y a pas d'argent.
M. Goblet. - Il n'y a pas d'argent, je le veux bien. Mais l'honorable ministre de l'intérieur ne devait pas tarder aussi longtemps à venir nous demander de l'argent. Il avoue lui-même que son intention est de nous en demander. C'est une faute, selon moi, d'avoir attendu aussi longtemps.
Le rapport date du mois de décembre 1861 ; il y a un an que le tir a eu lieu.
Eh bien, en voyant l'insuffisance de fonds, on aurait évité toutes ces réclamations, qui sont justes, de la part des intéressés, en demandant un crédit supplémentaire.
II est évident, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, que toutes ces dépenses extraordinaires ne pouvaient être prévues, mais il est évident aussi que ceux qui avaient consacré leur temps et leur expérience à ce tir, qui avaient dépensé de l'argent, qui s'étaient donné beaucoup de peine, qui avaient élevé aux yeux de l'étranger, l'industrie de l'armurerie en Belgique, d'une manière considérable, devaient être récompensés et recevoir les prix qui avaient été décernés.
Du reste, M. le ministre de l'intérieur se propose de demander un crédit supplémentaire ; je crois donc ce débat sans objet en présence d'une solution dont la nécessité est évidente, quoiqu'il soit à regretter toutefois que l'on n'ait pas trouvé le moyen de rester dans les limites du crédit voté primitivement.
M. Hymans. - Je crois que si M. le ministre de l'intérieur était venu demander un crédit supplémentaire de 6,000 fr. pour payer les armuriers qui avaient obtenu des primes à Tervueren, l'honorable M. Goblet aurait été le premier à s'opposer au vote de ce crédit et il aurait bien fait.
La Chambre a voté, sur la proposition de l'honorable M. Orts et de l'honorable M. De Fré, en 1860, un crédit de 10,000 fr. pour arrêter un type uniforme d'arme de guerre destinée à l'armement de la garde civique. Voilà les propres termes dans lesquels le crédit a été voté.
Il s'agissait donc de donner à la garde civique une arme convenable, et si on avait refusé jusque-là de donner cette arme, c'est parce que le gouvernement faisait observer, avec beaucoup de raison, qu'il était utile d'armer la garde civique et la troupe, d'armes du même calibre. Ce n'est que pour cela qu'on a fait un concours. On a voulu savoir quelle serait, avec un calibre uniforme, l'arme la plus convenable à donner à la garde civique, de telle façon que les mêmes projectiles, dans le cas où la garde civique serait obligée d'entrer en campagne, pussent servir en même temps à la garde civique et à l'armée.
Eh bien, quand, après avoir voté 10,000 fr. affectés à un usage spécial, après avoir nommé une commission dans laquelle se trouvaient 4 ou 5 de nos collègues, auxquels étaient adjoints des hommes compétents ; après avoir reçu communication du rapport volumineux prouvant que tout a été fait avec le plus grand soin, on vient nous dire qu'il faut un crédit supplémentaire pour donner aux armuriers les primes auxquelles ils ont droit et tout cela pour aboutir à la balle Jansen ; j'ai le droit de parler de scandale sans incriminer aucun de mes collègues.
L'honorable M. Jamar sait très bien que je n'ai jamais eu l'idée d'incriminer...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit : « On a dîné. »
M. Hymans. - On a dîné, soit ! et je ne le trouve pas mauvais ; mais il fallait tout prévoir.
IIlne faut pas que d'une dépense de 2,000 fr., chiffre arrêté d'avance par la commission, on arrive à 6,000 francs ; c'est-à-dire à peu près à toute la somme qu'on devait consacrer au résultat du concours.
On a dépensé 6,000 fr. au lieu de 2,000 ; on a dépensé trois fois le chiffre des prévisions arrêté par la commission elle-même. J'ai le droit de dire que cela est scandaleux, sans incriminer qui que ce soit.
Si cela ne s'était passé qu'une fois, je ne dirais rien, mais c'est un principe que j'attaque.
La Chambre est saisie encore en ce moment d'un projet de loi de crédit supplémentaire au budget de l'intérieur pour le même exercice 1681.
Ce sont constamment des dépenses qui excèdent les prévisions, toujours par suite de la même cause, par suite du manque de surveillance.
En présence d'un tel état de choses, j'ai bien le droit, et il est de mon devoir de dire la vérité.
D'autres ne laissent pas échapper l'occasion de le dire pour d'autres budgets.
Ceux-là devraient être un peu plus indulgents pour des critiques sérieuses, faites sur des matières étudiées avec soin.
Je déclare, messieurs, que je proposerai de réduire le chiffre de 160,040 fr. de la somme dont on a dépassé le crédit qui avait été voté pour le concours de Tervueren.
Il m'est impossible de prendre au sérieux ce que dit M. le ministre de l'intérieur pour justifier cette dépense de 6,000 fr. On a parlé de belles lithographies qui ont été distribuées ; mais toutes ces lithographies ne valent pas ensemble 100 francs ; je les entreprendrai pour 100 francs, si vous voulez.
On vient nous dire ensuite : « Ce n'est pas la faute du gouvernement si les carabines ne sont pas bonnes. »
Mais si les carabines ne sont pas bonnes, il ne faut pas donner de prix, et il ne faut pas non plus demander un crédit supplémentaire ; le concours n'a été institué que pour donner un prix à une bonne arme ; si l'arme n'est pas bonne, il ne faut rien donner ; si l'arme est bonne, il faut donner quelque chose ; et alors un crédit supplémentaire devient nécessaire pour que le gouvernement puisse tenir ses engagements, sans quoi l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom serait obligé de payer lui-même.
Enfin, messieurs, quant à ce que j'ai dit, que le concours n'a produit aucun résultat, on répond qu'il en a produit un très grand, eq ce sens qu'on s'est entendu sur le calibre à adopter pour l'armement de la garde civique : on s'est arrêté à un calibre de 13 millimètres.
Messieurs, ne voilà-t-il pas une chose bien extraordinaire ? La commission n'a pas osé décider laquelle est préférable ou de l'arme se chargeant par la culasse ou de l'arme se chargeant par la bouche ; et dans ce rapport si remarquable qu'on voudrait représenter comme un monument littéraire, elle nous dit qu'il faudra un nouveau concours, pour arriver à un résultat définitif.
Un nouveau concours, un nouveau crédit pour l'organiser en un nouveau crédit supplémentaire de 6,000 francs pour payer les dépenses de ce nouveau concours ; et tout cela pour conclure à l'adoption de la balle Jansen, destinée à la transformation des fusils de la garde civique, transformation que cette même commission, dans son même rapport remarquable, jugeait inutile et impossible !
Et tout cela, n'avais-je pas le droit de le critiquer avec sévérité, de le qualifier de déplorable, de me servir du mot « scandale » qui est très parlementaire et qui n'a rien d'offensant pour qui que ce soit ? (Interruption.)
Je me suis servi de ce mot à dessein ; ce mot ne m'a pas échappé, ce n'est pas le résultat d'une légèreté, c'est le résultat d'une conviction profonde.
(page 1625) Je dis que le système qui est suivi au département de l'intérieur, en dehors de l'initiative du ministre, qui paralyse complètement son action, qui le rend incapable de faire quoi que ce soit dans une question quelconque ; je dis que ce système est hautement déplorable.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qu'en savez-vous ?
M. Hymans. - Ce que j'en sais ? J'en sais ce qu'en connaît toute la Chambre.
Eh ! mon Dien ! s'agit-il d'enseignement, de questions discutées par la Chambre pendant plusieurs années consécutives, examinées successivement par des commissions, toujours composées des hommes les plus honorables, les plus compétents, à quoi aboutissons-nous ? Au statu quo.
S'agit-il d'une réforme administrative, d'une réforme que tout le pays demande et qu'on sera obligé de subir un jour ? Commission, examen, rapport, statu quo !
S'agit-il d'arts industriels ? s'agit-il de constater la triste situation de l'industrie belge pour certaines catégories, de constater notre infériorité pour tout ce qui est objet de luxe pour lesquels nous étions les premiers autrefois, infériorité qui, ne vous y trompez pas, éclate aujourd'hui aux yeux de l'Europe entière ? On répond :
Mais vient le moment de la liquidation, et on est bien obligé de reconnaître que j'avais raison. Nouveau rapport, nouveau crédit, nouveau statu quo.
N'ai-je pas le droit, après de pareilles expériences, de dire qu'un tel système est déplorable et scandaleux ? J'ai le droit de le dire, je le dirai et le répéterai autant de fois que j'en aurai l'occasion ; seulement, je prierai mes honorables collègues, et surtout mes honorables amis, de ne pas prendre pour eux mes critiques. (Interruption.)
Vous défendez la commission ; c'est bien ; mais je ne m'inquiète pas de la commission, je ne me préoccupe que du principe. Je n'ai pas attaqué la commission ; j'ai attaqué la proposition qui nous est faite, j'ai attaqué le gouvernement pour avoir accepté un crédit destiné à pourvoir à une dépense complètement inutile à ses yeux. J'ai dit que dans cette matière, comme dans toutes les autres, le département de l'intérieur suit un système déplorable.
Je suis convaincu, nous sommes tous convaincus des bonnes intentions du ministre ; j'ai une confiance illimitée dans les intentions du ministre, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions, et le département de l'intérieur aussi, mais cela ne suffit pas.
Tant que le ministre, quelle que soit, du reste, l'opinion à laquelle il appartienne, quel que soit le talent qu'il possède, ne prendra pas la résolution d'ajouter un peu de caractère et de fermeté à son talent, d'imposer son initiative, nous serons bien obligés de nous résigner.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, mon intention n'est pas de prendre la défense du ministère de l'intérieur que l'honorable M. Hymans a attaqué à propos du concours pour l'amélioration de l'armement de la garde civique ; je tiens seulement, en ma qualité d'ancien ministre de l'intérieur, prenant d'ailleurs une large responsabilité dans les reproches qui sont adressés à ce ministère, je tiens seulement à dire quelques mots pour défendre une commission qu'on'a fort maltraitée.
Dans cette enceinte on entend parfois se moquer du système des commissions. Je ne sais par quoi on voudrait remplacer les commissions.
Mais dans un gouvernement représentatif, constitutionnel, où l'on n'admet pas facilement qu'un seul individu décide toutes choses, je trouve que le système des commissions est parfaitement à sa place ; et je ne doute pas que lorsque l'honorable M. Hymans sera appelé par son talent à diriger les affaires de l'Etat, il ne reconnaisse que ce rouage est indispensable en beaucoup de matières.
En ce qui concerne la question spéciale qui nous occupe, l'on a tort de reprocher au gouvernement d'avoir manqué de prévoyance. Il faudrait se rappeler que l'initiative de la dépense dont il s'agit a été prise par des membres de la Chambre ; et cela prouve que des membres de la Chambre, bien que n'ayant pas recours à des commissions, peuvent se tromper ; ce sont des membres de la Chambre qui ont proposé le crédit de 10,000 francs afin de couvrir les frais de concours et d'expériences pour arrêter un type d'arme de guerre uniforme, non pas pour toute la garde civique, comme l'a dit l'honorable M. Hymans, mais d'armes de guerre à indiquer aux sociétés de tir et aux compagnies spéciales de la garde civique.
Voilà quel était l'objet de la proposition de MM. Goblet, Orts, De Fré et Van Humbeeck.
Qu'a fait le ministre de l'intérieur qui a accepté la proposition de ces messieurs ?
Il a fait procéder au concours et aux expériences en destination desquels le crédit avait été voté.
Messieurs, qu'avait à faire le ministre de l'intérieur ? Voulait-on qu'il fit par lui-même et à lui seul les expériences qui étaient recommandées ?
Il devait évidemment recourir à une commission d'hommes expérimentés et zélés.
Eh bien, messieurs, cette commission a été composée, je ne crains pas de l'affirmer, de la manière la plus heureuse.
Elle a été formée d'hommes d'un dévouement et d'un désintéressement très rares qui se sont consacrés pendant plus de trois mois, presque chaque jour au travail important qui leur était confié.
Ce sont ces hommes dévoués et désintéressés que l'on vient ici attaquer avec une violence qui ne peut se justifier d'aucune manière.
M. Hymans. - Je ne m'adresse pas aux membres de la commission.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - A qui vous adressez-vous donc ? Vous dites qu'il y a eu des abus scandaleux. Mais qui a fait les dépenses ? C'est la commission.
En quoi consistent ces dépenses ?
La commission n'a rien demandé pour elle-même, à l'inverse de commissions dont les membres reçoivent des jetons de présence ou des gratifications.
Viendra-t-on lui reprocher des frais de voiture pour se rendre à Tervueren ? aurait-on voulu qu'elle s'y rendît à pied ou qu'elle payât ses frais de locomotion alors qu'elle s'employait au service de l'Etat ?
Il y a eu en tout 1,068 fr. pour tous les frais de cette nombreuse commission qui a travaillé avec la plus louable assiduité.
Presque tous les membres de cette commission sont des personnes qui consacrent leur temps aux affaires et dans cette circonstance, ils ont sacrifié leurs intérêts avec le plus grand désintéressement. Je suis vraiment peiné de voir comment on décourage les citoyens zélés qui donnent leur temps à la chose publique.
Les frais d'expériences étaient prévus dans le crédit même proposé par les membres de la Chambre.
Il a fallu pourvoir à l'achat et au placement de cibles et de chevalets.
On a dû réclamer l'assistance d'officiers de l'armée et leur adjoindre des soldats chargés de relever les résultats de chaque coup.
Tous ces soldats ne pouvaient être nourris et logés pour rien. Il a fallu les payer.
En outre, le rapport de la commission a été imprimé et distribué aux membres de la Chambre. Ce rapport est volumineux ; il est très remarquable, au point de vue pratique, c'est un travail très important et fortement raisonné.
L'honorable M. Hymans en parle avec trop de légèreté. Selon lui, il ne contient que de mauvaises lithographies.
M. Hymans. - Il a 25 pages.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'avez-vous lu ? Si vous l'aviez étudié, vous n'en auriez pas parlé avec tant de légèreté.
Quant à moi, je suis persuadé que tous ceux qui liront ce rapport auront pour les auteurs de ce travail beaucoup d'estime.
J'ai cru, messieurs, que je devais cette réparation aux membres d'une commission qui a été nommée par moi, quand j'étais ministre de l'intérieur.
Chaque fois que je verrai lancer d'aussi injustes attaques contre des citoyens honorables, qui, je le répète, ont fait preuve du plus grand désintéressement et du plus grand dévouement, je me lèverai pour répondre, comme je le fais.
Puisqu'on a parlé de bonnes intentions, je veux bien reconnaître que le banc de M. Hymans est pavé aussi d'excellentes intentions.
Je crois que l'honorable membre est animé d'un très bon esprit et qu'il n'a pas entendu porter atteinte à l'honorabilité de ses collègues. Je lui rends justice sous beaucoup de rapports, mais ici il est évidemment allé beaucoup trop loin dans ses attaques.
Il paraît, d'après l'honorable M. Hymans, que contre le département de l'intérieur il y a beaucoup à dire.
Nous verrons plus tard comment l’honorable membre justifiera ses critiques.
M. Hymans. - Je crois n'avoir pas besoin de me défendre contre la supposition de M. le ministre des affaires étrangères, que j'aurais voulu offenser personnellement les membres de la commission.
(page 1626) II y en a que je ne connais pas ; il y en a d'autres qui sont mes amis, et je n'ai pu avoir l'intention de leur dire quelque chose de désobligeant ; je dois persister cependant dans ce que j'ai dit.
Je suis obligé de dire encore une fois qu'on a dépensé 6,000 francs de plus qu'on ne devait, et si la commission n'a dépensé que 1,000 fr., il reste 5,000 fr. à justifier et je me joins à l'honorable M. Jamar, pour demander que M. le ministre de l'intérieur veuille bien nous transmettre ces comptes comme annexes à son prochain budget.
M. le ministre des affaires étrangères a dit quelques mots qui feraient croire que j'ai calomnié le rapport de la commission du tir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous vous en êtes moqué.
M. Hymans. - Vous m'avez accusé de l'avoir lu avec une extrême légèreté, de ne l'avoir pas étudié à fond. .
Il n'y a pas grand-chose à étudier dans ce rapport. Il n'a que 25 pages.
Je l'ai lu avec attention. S'il y a quelqu'un ici qui lit les documents de la Chambre, c'est moi, et je crois qu'il y a beaucoup d'honorables collègues qui n'ont pas même vu ce rapport, je ne leur en fais pas un reproche ; il se compose de 25 pages.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sans compter le compte rendu de toutes les opérations.
M. Hymans. - Le reste se compose d'annexés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce sont des annexes très importantes.
M. Hymans. - Oui, il y a la liste des points faits. Je suis convaincu que le relevé n'a pas été fait par un membre de la commission, mais par un commis.
Et quand ce serait le travail de la commission, le rapport n'y gagnerait rien en importance.
J'ai beaucoup d'estime pour les œuvres littéraires bien faites, mais on ne peut exiger que j'accepte sans discussion un rapport de ce genre payé par l'Etat et pour lequel on va demander un nouveau crédit de 6,000 francs.
M. Lesoinne. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de prolonger cette discussion. Je tiens seulement à répondre quelques mots à l'honorable M. Hymans qui a l'air de croire que la commission a fait perdre du temps et de l'argent tout en n'ayant obtenu aucun résultat. Messieurs, on a, selon moi, obtenu un très bon résultat.
Les sept armes qui sont restées les dernières, et pour lesquelles on a proposé des récompenses, ont donné des résultats très remarquables.
Cela a été constaté par les officiers qui faisaient partie de la commission avec nous. Si la commission a jugé qu'elle ne pouvait choisir parmi ces sept armes une arme type, c'est qu'elle a compris l'importance de l'armement du pays.
C'est qu'elle voulait que l'armement du pays fût au moins égal, sinon supérieur, à celui de toutes les autres nations de l'Europe.
Sous ce rapport, j'aurai une observation à faire sur ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable M. Jamar pour engager le gouvernement, si son intention était de faire un choix, à ne pas se borner aux deux armes que la commission a proposé de primer en première ligne, mais à examiner aussi les autres.
Mais je crois qu'il fera mieux encore de faire faire un second concours, comme l'a proposé la commission.
Si l'on a dit qu'un second concours serait utile, c'est parce que les armuriers qui avaient concouru la première fois, avaient pu tirer parti des expériences auxquelles ils avaient assisté. N'ayant aucun champ de tir pour constater le degré de précision de leurs armes aux différentes distances, il est même fort surprenant qu'ils aient obtenu les résultats remarquables signalés dans le rapport.
Il est donc permis de croire qu'un nouveau concours produirait des résultats tout à fait concluants et dont nous aurions lieu d'être complètement satisfaits.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En cette circonstance comme en beaucoup d'autres, messieurs, tout le monde a raison, excepté le gouvernement.
Dans ce qu'a fait la commission, il y a quelque chose de scandaleux et cependant, dit-on, ce mot « scandaleux » n'implique pas une idée de blâme ; la commission n'a donc pas tort ; les armuriers non plus n'ont pas tort. Le grand, le seul coupable, c'est, comme toujours, le gouvernement. Pour ma part, messieurs, je ne m'en plains pas ; il en a toujours été ainsi : les ministres passés ont eu tort ; les ministres présents ont tort, et quand l'honorable M. Hymans deviendra ministre il aura tort également.
Il est donc tout simple et tout naturel que, dans une question comme celle-ci surtout, le gouvernement serve seul de cible, et que l'on tire sur lui de but en blanc.
J'accepte parfaitement, quant à moi, cette position ; mais ce que j'accepte beaucoup moins, c'est l'espèce de feuilleton sarcastique que l'honorable M. Hymans vient de rédiger contre le gouvernement en général et contre moi en particulier. (Interruption.)
Oh ! non ! je le sais, ce n'est pas à moi personnellement qu'on s'adresse ; ce n'est pas M. Vandenpeereboom que l'on critique ; on le proclame parfaitement innocent.
C'est entendu, mais on attaque le gouvernement, et comme membre du gouvernement, je dois répondre.
Je n'accepte pas les innombrables reproches que l'honorable M. Hymans vient d'adresser au département de l'intérieur. Si je voulais le suivre sur ce terrain, nous entamerions une véritable discussion politique.
L'honorable membre critique, en effet, et la marche que suit le gouvernement et les commissions qu'il a nommées et toutes les mesures qui ont été prises.
II prétend et, sous ce rapport, je suis, à un certain point de vue, de son avis, il prétend que le département de l'intérieur est un enfer ; je partage, dis-je, un peu cette opinion ; cependant je dois ajouter que tout ne se passe pas dans cet enfer aussi mal que l'honorable membre veut bien le dire.
Messieurs, pour une fois que j'ai cru pouvoir suivre l'avis de l'honorable M. Hymans, je me trouve, de sa part, en butte à des attaques aussi violentes que si j'avais suivi de mauvais conseils.
L'honorable membre me reproche surtout d'avoir présenté le projet de loi. Fallait-il, nous dit-il, faire tant de bruit à ce propos ; fallait-il la commission de Tervueren pour présenter le projet de loi et aboutir à la balle Jansen ?
Or, je ferai remarquer, d'abord, que cette balle n'est nullement en cause ici ; que cette balle n'a rien de commun avec le concours de Tervueren ; mais je ferai observer surtout à l'honorable député de Bruxelles que le projet de loi présenté aujourd'hui n'a pas été (car j'ai voulu suivre l'avis de l'honorable M. Hymans) élaboré par une commission.
Quelques personnes se sont rendues au tir national ; elles y ont assisté à des expériences faites publiquement, et après en avoir constaté les résultats, j'ai fait immédiatement préparer le projet de loi en discussion. Si j'avais nommé une commission, ce n'est pas dans la session actuelle que j'aurais pu soumettre une proposition à la Chambre. Le reproche que m'adresse l'honorable M. Hymans ne me paraît donc nullement fondé.
Maintenant on me dit : Pourquoi le gouvernement, ce grand coupable ne disposant pas de crédits suffisants, n'a-t-il pas présente immédiatement une demande de crédit supplémentaire afin de pouvoir payer les indemnités proposées par la commission ? Mais, messieurs cela est tout simple : j'ai attendu, pour le faire, la discussion actuelle ; j'ai voulu connaître l'opinion de la Chambre ; j'ai voulu savoir si elle était d'avis de donner ces récompenses alors que le but du concours n'était pas atteint, et dès que, dans la dernière discussion, j'ai pu constater que quelques collègues croyaient qu'il y avait lieu d'accorder des primes aux. concurrents, je me suis empressé de faire droit à leur désir.
L'honorable M. Hymans veut que ce crédit soit porté dans le projet de loi actuel ; je ne m'y refuse pas ; je crois cependant qu'il vaut mieux en faire l'objet d'une demande spéciale de crédit qui, je l'espère, pourra être soumise très prochainement à la Chambre.
Le crédit que je demande ici est nécessaire pour faire face aux dépenses qui sont indiquées. Si l'on diminuait ce crédit de quelques milliers de francs, je serais réduit, ou à faire confectionner quelques carabines de moins, ou à ne pas laisser améliorer tous les fusils d'infanterie de la garde civique, et je devrais plus tard réclamer un nouveau crédit pour compléter cet armement.
Je prie la Chambre de passer à la discussion du projet de loi lui-même, je donnerai alors des explications qui, je l'espère, seront de nature à le faire adopter par la majorité des membres de cette assemblée.
- L'incident est clos.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M, Vervoort au fauteuil de la présidence.
M. Mouton. - Messieurs, le projet de loi soumis à vos délibérations a pour objet de demander à la législature un crédit de 160,040 fr., affecté à l'amélioration de l'armement de la garde civique.
Ce crédit est destiné à couvrir trois sortes de dépenses ;
1° 109,200 fr. pour transformer les fusils lisses ;
(page 1627) 2° 18,340 fr. pour rayer les mousquetons de l'artillerie et en augmenter le nombre de 250.
3° 22,500 fr. pour l'achat de 300 carabines à tige complétant l'armement des chasseurs éclaireurs.
Je laisse de côté les 10,000 fr. demandés pour frais de transport des armes et autres dépenses imprévues.
A l'appui du projet, le gouvernement invoque l'invention récente d'un projectile d'une forme particulière dont l'efficacité et la supériorité ont, d'après lui, été constatées par plusieurs expériences. Et à son tour le rapport de la section centrale n'hésite pas à qualifier de merveilleux les résultats obtenus.
Pour ma part, messieurs, je suis loin de partager l'admiration du gouvernement pour ce projectile, et ce qui est de nature à m'inspirer quelque doute sur la valeur réelle de cette invention, c'est l'expérience qui a eu lieu le 10 de ce mois au tir national, en présence de l'honorable ministre de l'intérieur et de quelques membres de la Chambre.
Comme le rapport de la section centrale n'a pas reproduit tous les résultats de cette expérience, je me permettrai d'entrer dans quelques détails.
J'emprunte à un journal spécial, la Cible, le compte rendu de cette épreuve qui a paru dans son numéro du 15 juin.
« On a commencé par tirer cinq balles avec le projectile sphérique qui ne produisirent aucun résultat.
« Après trois balles d'essai, les expériences commencèrent par le fusil de munition muni de hausse et de guidon, et chargé avec le projectile Jansen.
« Le tir avait lieu à 100 mètres de distance et 4 1/2 grammes de poudre de charge, l'arme tirée au chevalet Ladry, sur un blason d'un mètre.
« Voici les résultats obtenus :
« 20, 5 X 10,10, 10,10, 15,10, 5 = 95 points.
« La même arme tirée et chargée de même, mais avec la balle sphérique et avec culot en carton, produisit, après ses trois balles d'essai, la série de points suivante :
« 10, 15, 10, 10, 15 X X 25 X 5 = 90 points.
« Cette expérience faite, on essaya un vieux fusil de munition redressé, le canon ayant subi une épreuve de 271/2 grammes de poudre.
« La charge était de 4 1/2 grammes de poudre suisse, projectile Jansen, à 100 mètres, tiré au Ladryotir, blason d'un mètre.
« Résultat, 20, 25 X 5,10, 10 X 5, 5, 5 = 85 points.
« La même arme fut ensuite essayée avec un projectile sphérique à culot en carton.
« La première série de cinq balles produisit :
« 10, 15, 15, 20, 25 = 85 points.
« Les expérimentateurs ayant chargé ensuite avec la poudre Gérard au lieu de la poudre suisse employée par M. Jansen, la série fut continuée sans que l'arme eût été nettoyée, et elle donna le résultat suivant :
« 10, 10, 5, 5, 10, 5, 5,10 X 10 = 70 points.
« On essaye un fusil rayé jusqu'à 30 centimètres à la bouche, en employant toujours le Ladryotir, et l'arme chargée avec la balle de l'armée 4 grammes de poudre. Le résultat produit, à 100 mètres, sur un blason d'un mètre fut le suivant :
« 20,15, 20,25,15, 10, 15, 20 X X = 140 points.
« Deux balles tirées en plus donnèrent deux 25.
« Le mousqueton rayé à 100 mètres, 3 1/2 grammes de poudre, projectile Jansen, au chevalet ordinaire du tir par M. Jansen, blason d'un mètre, donna pour résultat :
« 20, 25, 20, 25, 20, 25, 20, 20, 25, 25 = 230 points.
« On voit par ce qui précède que les résultats réellement avantageux constatés par ces expériences sont tout à fait « en faveur du mousqueton rayé, » tiré avec le projectile Jansen, et avec une charge relativement faible de poudre. »
Il résulte de cette expérience comparative que le projectile Jansen appliqué aux fusils lisses n'est guère plus efficaces que la balle sphérique munie de culot et tirée dans les mêmes conditions, mais que d'autre part il y a une différence notable avec les résultats obtenus à la même distance au moyen du fusil rayé se chargeant avec les cartouches de l'armée.
Que pouvons-nous conclure de ces faits ?
C'est l'infériorité bien démontrée des armes lisses comparées aux armes rayées ; c'est que, s'il était possible de rayer les fusils de la garde civique, on obtiendrait ainsi une amélioration sérieuse, autrement décisive que celle qui consiste dans l'emploi d'un projectile quelconque, de l'avis de tous les hommes compétents et de M. Jansen lui-même. Je lis, en effet, dans une lettre qu'il adressait à M. le ministre de l'intérieur le passage suivant :
« Je n'ai jamais eu la prétention, M, le ministre, de faire des fusils de la garde civique modifiés et chargés avec ma balle, des armes meilleures que le seraient des fusils rayés ou des carabines de guerre ; mais vis-à-vis des réclamations qui s'élèvent sur les dépenses de notre état militaire qu'un armement nouveau grossirait de 8 à 10 millions, je pense avoir tiré des fusils de la garde civiquc chargés avec ma balle le meilleur parti possible.
« Que la Chambre vote demain les sommes nécessaires pour donner à la garde civique un armement pareil à celui de l'armée, j'y applaudirai comme citoyen, etc., etc. »
Du reste, messieurs, si le gouvernement et la Chambre voulaient être édifiés sur le mérite des armes rayées, ils pourraient rechercher, dans les archives du département de la guerre, les rapports faits sur les expériences qui ont eu lieu à Beverloo, il y a un an ou deux, expériences sur lesquelles on s'est fondé pour adopter la nouvelle transformation. Au besoin, ils pourraient même consulter les officiers attachés à notre manufacture d'armes, et tous les doutes seraient immédiatement dissipés.
Quoi qu'il en soit, l'exposé des motifs reconnaît implicitement la supériorité des armes rayées : c'est en quelque sorte à regret et à cause des dangers que l'opération présente que le gouvernement ne propose pas de rayer les fusils lisses. Et si le rapport de la section centrale repousse l'idée de faire rayer les armes, c'est en se fondant sur l'opinion exprimée, sur ce point, par la commission instituée, en 1860, qui déclarait que la transformation des fusils actuels de la garde civique, difficile, sinon, impossible, constituerait des dépenses superflues.
Depuis lors, messieurs, la question a fait un grand pas : une expérience récente, et je dirai complète, a démontré la possibilité de rayer les fusils.
La manufacture d'armes de l'Etat vient, en effet, de transformer pour la réserve de l'armée, d'anciens fusils qui se trouvaient dans les arsenaux ; et qui ont la même origine que les fusils actuels de la garde civique. Seulement, au lieu de la visière fixe on y a adapté des hausses mobiles pour servir aux distances de 100 à 800 mètres, hausses qui sont semblables à celles adoptées pour les fusils nouveau modèle de l'armée.
Ce fait a déjà été signalé dans une pétition adressée à la législature le 27 mai dernier, par le comité de pétitionnement de Liège.
Or, messieurs, sur 8,000 fusils ainsi transformés, il n'y en a que trois qui aient dû être rebutés après l'épreuve. C'est là, selon moi, un résultat très concluant.
Les fusils que possède la garde civique sont des fusils 77 ou Modèle français de 1815 et absolument les mêmes que ceux qui viennent d'être transformés à la manufacture d'armes.
Ils ne sont pas tous du même calibre, mais la différence de calibre n'a qu'une importance très minime : le calibre de l'arme peut varier de 17.5 à 18 millimètres sans cesser d'être dans de bonnes conditions pour recevoir la rayure, et les fusils d'un calibre supérieur à 18 millimètres ne se rencontrent que dans la proportion de 1 1/2 à 2 pour cent.
Reste maintenant à examiner la question d'argent.
Cette transformation doit-elle entraîner le pays dans des dépenses considérables qui feraient reculer tout à la fois le gouvernement et les Chambres ? En aucune façon ; et c'est là une considération, qui m'en, gage à insister davantage pour l'obtenir.
Voici, messieurs, le détail de la dépense qu'elle entraîne par arme ;
Redresser le canon, le repolir, 0,45 fr.
Rayer, 0,35 fr.
Une tête à la baguette, 0,67 fr.
Souder le guidon et le tenon, 0,51 fr.
Limer l'embouchoir, 0,05 fr.
Tir d'épreuve, 0,20 fr.
Tir d'essai, 0,40 fr.
Visière, 0,25 fr.
Total, 2,88 fr.
On pourrait même supprimer les 40 centimes qui doivent, couvrir les frais du tir d'essai, ce tir n'étant pas indispensable, ce. qui réduirait le prix de revient à fr. 2,48.
Mais admettant le chiffre de 2,88, il en résulte une diminution de 62 centimes par arme sur le chiffre du gouvernement, et cela pour une transformation complète avec visière.
En résumé donc, cette transformation présente un double avantage : elle permet de réaliser une économie en produisant un résultat meilleur, et en outre elle ne nécessite l'emploi que d'une seule espèce de munitions pour la garde civique et l'armée.
(page 1628) Dans les considérations générales qui figurent en tête de son rapport, l'honorable M. De Fré, dont tout le monde connaît les sentiments patriotiques, rappelle très heureusement l'étroite solidarité qui unit la garde civique et l'armée pour la défense de l'ordre et le maintien de l'intégrité du territoire,
A ce point de vue, l'uniformité de l'armement pour les deux éléments de la force publique est si désirable, qu'à part les autres motifs de préférence, il faudrait encore adopter la transformation que j'ai indiquée.
J'espère que ces raisons engageront le gouvernement à accueillir le vœu des pétitionnaires dont je suis l'organe et qui appartiennent à une ville dont la compétence ne saurait être récusée en pareille matière.
J'ai la conviction qu'il est possible de rayer les fusils actuels de la garde civique, mais comme il peut rester quelque doute dans l'esprit de certains membres de cette assemblée, je proposerai d'ajourner le vote sur le crédit de 109,200 francs et de charger le gouvernement de vérifier l'exactitude des faits que j'ai avancés.
Par suite de cet ajournement, il y aurait lieu de réduire à 4,000 francs en suivant à peu près une règle proportionnelle le crédit de 10,000 francs porté au projet pour transport des armes et dépenses imprévues.
M. De Fré, rapporteur. - Messieurs, en ma qualité de rapporteur de la section centrale, je dois indiquer le véritable caractère du projet de loi.
Il semblerait que ce projet a pour but purement et simplement d'introduire, dans l'armement de la garde civique, et comme amélioration de cet armement, la balle Jansen ; et que l'adoption de cette amélioration doit coûter la somme de 160,000 francs, que le gouvernement demande par le projet de loi.
D'abord la balle Jansen ne coûte rien, absolument rien au gouvernement ; le crédit demandé est destiné, en premier lieu, à armer des compagnies spéciales de chasseurs-éclaireurs, de carabiniers et d'artilleurs ; en second lieu, à faire aux armes à canon lisse de la garde civique, une amélioration qui subsistera quel que soit le projectile que vous adoptiez, que ce soit le projectile Jansen ou la balle sphérique.
S'il en est ainsi, messieurs, je demanderai ce que vient faire dans ce débat la question de la balle Jansen, au point de vue du crédit demandé. Ce qui est incontestable, c'est que la balle Jansen a fait l'objet de nombreuses expériences comparatives et que ces expériences ont eu pour résultat de faire constater la supériorité de ce projectile.
Messieurs, il y a dans le projet du gouvernement un germe, une pensée féconde ; la voici : c'est de tendre à séparer, dans la garde civique, la partie mobile de la partie sédentaire ; lorsque le gouvernement en 1848 a présenté à la Chambre un projet de loi sur la garde civique, la section centrale disait que le gouvernement se réservait pour plus tard de procéder à l'organisation de la partie mobile de la garde civique.
« Le gouvernement, disait-elle dans son exposé de motifs, pense qu'il convient de se borner momentanément à s'occuper de l'organisation générale de la garde civique ; que plus tard il sera plus facile de préparer l'organisation du premier ban, en y apportant l'intelligence, l'économie et l'utilité désirables. En faisant l'une, dit-il, on préparera les éléments de l'autre. »
Depuis ces dernières années, on a senti la nécessité d'organiser la partie mobile de la garde civique.
En présence de certaines menaces faites contre la Belgique, il y eut dans le pays un magnifique élan de patriotisme ; tout le monde se rappelle qu'en 1860, lors de l'anniversaire de la fête du Roi, il y eut dans le pays des manifestations pleines d'enthousiasme en faveur de l'indépendance du pays.
Cet élan patriotique produisit partout des sociétés de carabiniers, partout il y eut des sociétés qui s'organisèrent à l'effet de se constituer en compagnies.
On comprit alors que si la garde civique avait à servir, dans l'éventualité d'un conflit, à la défense du pays, il fallait séparer cette partie sédentaire des citoyens armés, et créer des compagnies spéciales dont la jeunesse et la virilité seraient d'une grande utilité à la défense du pays.
Aujourd'hui la partie sédentaire par sa masse rend toute la garde civique inerte ; il faut séparer ce que l'âge sépare ; la garde civique de 35 à 50 ans, d'après l'esprit de nos lois, gardera mieux le foyer domestique.
La nécessité de mobiliser la garde civique, sous l'empire de la loi de 1848, ne s'est jamais produite dans le pays d'une manière aussi évidente qu'aujourd'hui. Le gouvernement sera amené, dans un temps très rapproché, à réformer la loi de 1848 et à permettre partout l'organisation de compagnies spéciales.
Eh bien, messieurs, il y a, dans le crédit que le gouvernement demande de voter, le germe de cette pensée, il y a dans ce crédit une première satisfaction donnée à ce besoin généralement senti de créer des compagnies de gardes civiques armées de carabines rayées, et de séparer ainsi la partie sédentaire de la partie mobile.
Voilà, messieurs, quelques observations sur l'emploi de la première partie du crédit demandé ; je ne pense pas qu'il y ait dans la Chambre quelqu'un qui veuille repousser un pareil crédit. Le gouvernement va, dans certaines localités, créer des compagnies de chasseurs éclaireurs composées de volontaires animés des sentiments les plus patriotiques, ayant toute l'ardeur et la virilité possibles pour faire face aux plus graves éventualités.
Pour ce qui concerne la deuxième partie du projet, il s'agit de faire subir aux fusils de la garde civique, une transformation qui doit coûter, par arme, la somme de fr. 3-50.
On nous répond que c'est là une dépense inutile et que la Chambre ne peut pas voter cette dépense ; l'honorable collègue qui vient de s'asseoir vous a parlé de l'ajournement. Certainement il vaudrait mieux donner à tout le monde des fusils rayés, mais le gouvernement peut-il faire rayer les vieux fusils de la garde civique ?
La commission instituée par le gouvernement, et dont tout à l'heure le ministre des affaires étrangères faisait l'éloge, cette commission a déclaré que les vieux fusils de la garde civique ne pouvaient pas subir de transformation. Si cette commission était composée d'hommes compétents, le gouvernement ne peut pas prendre sous sa responsabilité une transformation déclarée dangereuse par la commission.
Le gouvernement manque, dit-il, d'argent pour faire un armement plus complet et il vous propose, en attendant, l'amélioration qu'il a développée dans son projet de loi.
Certainement l'amélioration que le gouvernement propose en laissant le canon lisse ne vaut pas le fusil à canon rayé ; les expériences qui ont eu lieu constatent la supériorité du canon rayé sur le canon lisse, c'est incontestable. Mais la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si nous pouvons faire rayer les vieux canons de la garde civique. Le système que propose le gouvernement, et qui coûte moins cher que d'acheter des fusils neufs, n'est-ce pas un système provisoire convenable ?
Messieurs, il y a une question excessivement importante, c'est celle de savoir s'il faut donner à toute la garde civique des fusils rayés ; s'il ne faut pas se borner à donner des fusils rayés à la partie active, à la partie mobile de la garde civique.
Il est certain que les fusils rayés exigent de grands soins. Tous les fusils rayés de volontaires anglais, lorsqu'ils reviennent des exercices, sont remis à la garde d'un armurier.
Cet armurier les soigne ; il veille à leur conservation. Des hommes compétents soutiennent que le soin d'une arme rayée est excessif, et que si l'on donnait des fusils rayés à tous les gardes civiques, à ceux-là mêmes qui, à cause de leur âge, ne peuvent pas rêver des batailles, qui, à cause de leur âge, ne vont pas se livrer à des exercices, au tir national, vous auriez, au bout de deux années, une perte de 50 p. c.
Pour que les fusils rayés soient utiles, il faut les donner à la partie active, à la partie mobile, à la partie virile de la milice citoyenne.
Messieurs, en attendant que toutes ces compagnies soient organisées, en attendant qu'on leur donne des fusils rayés, le gouvernement fait faire à chaque fusil une dépense de 3 fr. 50.
On nous dit : Mais les fusils qui sont à Liège ont été rayés pour la somme de 2 fr. 80. Je demanderai à l'honorable membre si, en présence du rapport de la commission qui déclare que les fusils de la garde civique ne peuvent pas être rayés, il veut prendre la responsabilité de l'opération. Je ne sais rien d'officiel de votre manufacture de Liège.
M. Muller. - On demande à vérifier.
M. De Fré. - Ce qui est officiel, c'est le rapport de la commission de 1861. Or, voici ce que ce rapport déclare : « La commission est d'avis que la transformation des armes de la garde civique, difficile, sinon impossible, constituerait des dépenses superflues. »
Ainsi, la commission compétente a déclaré, après trente jours d'expérience, qu'il n'était pas possible de rayer les fusils de la garde civique, et le gouvernement vous dit : En présence des résultats obtenus par cette commission, je ne puis prendre sur moi la responsabilité de faire rayer ces fusils.
- Un membre. - Mais à Liège on a rayé.
M. De Fré. - Je n'en sais rien.
Messieurs, le gouvernement peut-il ajourner son projet de loi ?
Voilà longtemps que l'on demandé partout l'organisation de compagnies de carabiniers. Une de ces compagnies s'est constituée à Louvain, une autre à Liège, une autre dans les Flandres. Elles demandent des armes.
Voulez-vous ajourner ? Vous avez ajourné tant de fois, ces compagnies (page 1629) spéciales attendent depuis si longtemps, pouvez-vous encore différer ? Cela n'est pas possible.
Voulez-vous faire des expériences ? Mais le gouvernement déclare qu'il ne veut pas rayer les vieux fusils. Il est donc inutile de demander un délai à la Chambre pour n'arriver à aucun résultat.
Messieurs, le changement qu’on veut apporter aux fusils existants constitue une amélioration qui restera, et si, dans l'avenir, vous avez raison, si, plus tard, il est reconnu qu'on peut rayer les vieux fusils, l'amélioration que l'on va introduire subsistera et ne fera point obstacle à cette nouvelle transformation.
Quant à la balle Jansen, le gouvernement en a fait faire l'expérience devant des hommes compétents, et il a été constaté que cette balle avait l'avantage de se prêter, par sa forme spéciale, à tous les calibres. Il y a, dans l'armement de la garde civique, trois calibres différents. La balle sphérique n'entre pas dans tous les calibres. La balle Jansen prête à tous les calibres ; c'est un avantage qu'elle a sur les autres balles. En second lieu, le recul est moindre. Tout le monde se rappelle combien, lors du concours aux fêtes de septembre, il y eut de malheureux gardes civiques qui revinrent chez eux avec l'épaule quasi démise, à cause du recul de leur arme.
Un autre avantage de l'arme que l'on propose, c'est qu'il y a économie. Au lieu d'employer 9 grammes de poudre, comme dans l'ancien système, on emploie seulement 4 grammes ; et le tir est élevé de 11 à 46.
Il y a un cinquième avantage : c'est que la pénétration de l'ancienne baïle sphérique est de 6, tandis que la pénétration avec la balle Jansen est de 13.
M. Jansen est venu offrir sa balle gratuitement ; il le cède au gouvernement et le gouvernement peut demain en adopter une autre sans devoir faire changer les fusils de la garde civique.
Si demain il était prouvé que la balle sphérique est meilleure encore que la balle Jansen, le gouvernement peut la remplacer ; et l'amélioration qu'il vous propose n'est point perdue.
Certes au point de vue d'un armement complet, le projet de loi n'est pas satisfaisant.
Il y a sans doute beaucoup de choses à dire au gouvernement pour n'avoir pas fait davantage.
Car la garde civique doit être mise, au point de vue du rôle qu'elle doit remplir, sur la même ligne que l'armée dans un pays surtout où la bourgeoisie était armée avant qu'il y eût des armées permanentes.
Toutes nos chartes confiaient la défense des libertés publiques à la bourgeoisie armée. Cela est de tradition en Belgique.
Mais, messieurs, de ce que le projet est incomplet, de ce que le crédit est trop faible, de ce que l'amélioration n'est pas assez grande, ce n'est pas une raison pour rejeter cette amélioration.
Il faut la prendre, en attendant que le gouvernement donne davantage et, nous devons, de notre côté, saisir toutes les occasions pour engager le gouvernement à compléter l'armement de la garde civique.
Ce projet de loi, messieurs, est bon et (c'est à ce point de vue surtout que je le défends) il contient en germe cette pensée féconde de la séparation d6 la partie mobile de la partie sédentaire de la garde civique.
Le gouvernement vous demande d'abord le moyen d'armer des compagnies spéciales. Il sépare ainsi la partie virile de la partie vieillie de la milice citoyenne, afin que, dans des circonstances difficiles, le pays puisse compter sur elle.
L'autre somme demandée par le gouvernement est nécessaire aussi, et vous la voterez parce que, tout en améliorant l'arme telle qu'elle existe, rien n'empêche le gouvernement de donner plus tard un armement complet et perfectionné.
La dépense faite aujourd'hui pour les canons lisses n'empêchera pas que le gouvernement utilise plus tard ce même canon pour le rayer, s'il est vrai qu'on puisse rayer les fusils actuels.
En attendant nous pouvons voter le crédit, et le gouvernement pourra pour l'avenir faire subir à l'armement de la garde civique d’autres améliorations et arriver ainsi (c'est mon vœu le plus cher) à perfectionner complètement la garde civique afin que, unie à l'armée, elle puisse, dans les jours difficiles, disputer le sol à l'ennemi, le défendre et le maintenir intact et libre.
M. le président. - Voici l'amendement déposé par MM. Mouton et Lesoinne :
« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre d'ajourner le vote sur le crédit de 109,200 francs et de réduire à 4,000 francs le chiffre mentionné pour frais de transport des armes et dépenses imprévues, de telle sorte que le crédit de 160,040 francs soit de 44,840 francs. »
M. Lesoinne. - Messieurs, l'honorable rapporteur du projet qui nous est soumis, voit dans ce projet le germe d'une réorganisation de la garde civique. J'ignore si c'est dans cette intention que l’honorable ministre de l'intérieur nous a présenté le projet de loi. J'attendrai, à cet égard, des explications.
Mais, messieurs, il s'agit de savoir si le crédit demandé doit constituer pour la garde civique une amélioration telle qu'elle justifie la dépense demandée.
Des expériences ont été faites sur la balle Jansen. Cette balle, dit-on, a donné des résultats véritablement remarquables.
Je n'ai assisté qu'a une seule expérience, c'était le 10 de ce mois et dans mon opinion les résultats obtenus avec la balle Jansen et avec la balle sphérique ont été à peu près les mêmes.
Si l'on avait tiré un plus grand nombre de coups, je suis presque certain qu'on serait arrivé à un résultat à peu près le même pour ces deux projectiles.
Mais des expériences ont été faites ailleurs ; ainsi on a tiré à 4 ou 5 mètres, avec la balle Jansen, dans une plaque de plomb.
La balle s'est présentée de flanc, tous les trous faits dans la plaque de plomb le constataient.
Et il ne peut pas en être autrement ; tout le monde sait qu'une balle longue dans un canon lisse, ne peut manquer de culbuter.
On s'est assuré aussi de la force de pénétration de la balle Jansen et de la balle en usage dans l'année, avec un fusil rayé. On a tiré dans une caisse composée de plaques de tôle de 2 millimètres d'épaisseur et séparées les unes des autres par un espace de 10 centimètres.
Cette caisse avait 50 centimètres en tout sens. On a tiré d'abord, sur une caisse à 100 mètres 24 balles Jansen ; 2 seulement ont frappé.
La première balle a traversé 2 tôles et est tombée entre la deuxième et la troisième tôle.
La deuxième a percé trois tôles et enfoncé la quatrième sans la traverser.
Pour le fusil de garde civique rayé, balle de l'armée :
La première balle a traversé 5 tôles et enfoncé la sixième sans la traverser.
La deuxième, même résultat.
La troisième perce 5 tôles et n'atteint pas la sixième.
La quatrième, même résultat.
Les deux armes ont été tirées avec 45 grammes de poudre de guerre.
La force de pénétration est donc plus grande.
L'honorable M. De Fré dit : « Cette dépense de 3 fr. 50 c. subsistera, que vous fassiez rayer le canon ou que vous le laissiez lisse. »
D'après le projet, on doit braser au cuivre un point de mire sur le canon, et si on fait cette opération, on doit chauffer tellement le canon qu'il se voilera et qu'il faudra le redresser, et après le repolir en dedans : opération qui a très souvent pour résultat de faire passer le canon au calibre de rebut.
Il n'est donc pas aussi indifférent que l'honorable rapporteur veut bien le dire de faire subir au fusil les réparations proposées.
L'honorable M. De Fré s'appuie aussi sur l'opinion émise par la commission chargée de rechercher un modèle d'arme de guerre, et qui déclare difficile, sinon impossible, de transformer les fusils de la garde civique en fusils rayés.
Messieurs, la commission qui a été consultée à cet égard, avait été instituée à l'effet de rechercher une arme type ; elle a donc été préoccupée avant tout, d'un armement nouveau, et sous l'empire de cette préoccupation, elle s'est prononcée contre toute espèce de raccommodage d'armes destinées à la garde civique.
Elle ignorait aussi qu'à la manufacture d'armes de l'Etat, on était occupé à transformer 8,000 armes ; je ne sais pas même si cette opération avait été commencée. Quoi qu'il en soit, elle a eu lieu, et sur 8,000 canons il n'y a eu que trois rebuts. C'est pour cela que nous avons fait la proposition d'ajourner le crédit demandé, afin qu'on puisse s'assurer s'il est véritablement impossible de rayer les canons.
Messieurs, quant au recul, si l'on avait employé avec le projectile Jansen, la même quantité de poudre que l'on employait pour la cartouche du gouvernement, on aurait eu le même recul. Il est connu de tout le monde, qu'une charge de neuf grammes de poudre doit donner un recul plus fort qu'une charge de 4 grammes.
Messieurs, pour moi, l'armement, non seulement de la garde civique mais de l'armée, n'est pas tel qu'il devrait être.
Déjà en 1858, j'avais dit que le calibre de l'arme était trop fort, que l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Suède, la Norvège, le Danemark., la Saxe, la Suisse avaient diminué leur calibre d'une manière notable. L'on a la preuve aussi de ce que je viens d'avancer au tir national. Les (page 1630) compagnies de chasseurs-éclaireurs de la garde civique ont les mêmes carabines que celles des chasseurs de l'armée. Il y a dans ces compagnies des tireurs habiles, eh bien, proportion gardée, bien moins de balles qui ont touché le but que pour les armes de guerre, sans distinction de calibre, qui toutes sont d'un calibre inférieur à celui de l'armée variant de 10 à 15 millimètres.
C'est pour ce motif que si on décrète un nouveau concours, je désire que M. le ministre de l'intérieur s'entende avec son honorable collègue du département delà guerre pour que ce concours soit organisé de concert avec lui.
Il ne faut pas non plus s'effrayer de la dépense qu'occasionnerait le changement total de l'armement. Si l'on avait commencé dès 1858, lorsque j'ai signalé le défaut de l'armement de nos troupes, on aurait pu avoir confectionné une assez grande quantité d'armes pour pouvoir commencer la transformation de l'armement ; on aurait pu vendre les vieilles armes à peu près au prix qu'auraient coûté les armes nouvelles.
Mais si l'on veut opérer ce changement, il faut se hâter ; car plus on attendra, plus il sera difficile de se défaire des armes anciennes.
Messieurs, le changement qu'on vous propose ne satisfera pas la garde civique ; ou en a déjà une preuve dans les réclamations qui sont arrivées à la Chambre ; et je dois dire qu'elle aura raison ; car elle se trouvera toujours dans un état d'infériorité vis-à-vis des troupes munies d'armes rayées.
J'engagerai donc M. le ministre de l'intérieur à accepter l'ajournement que nous proposons et à s'assurer auprès de son collègue du département de la guerre, s'il y a, oui ou non, impossibilité de rayer les armes actuelles.
- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.
M. Allard. - Messieurs, j'ai quelques doutes sur l'utilité des modifications que M. le ministre de l'intérieur veut introduire dans les armes actuelles de la garde civique, par suite des articles qui ont paru depuis quelque temps dans les journaux. Je crois qu'il serait très prudent d'ajourner au moins la partie du crédit proposé pour la transformation de ces armes.
En effet, messieurs, d'après les expériences qui ont eu lieu, nous voyons que, s'il y a moins de recul, ce résultat ne doit pas être attribué à la balle qui a été inventée par le sieur Jansen ; mais bien parce qu'on emploie beaucoup moins de poudre, qu'on n'en emploie que 4 grammes au lieu de 9. Selon moi, il n'y a pas lieu à modification, du moins quant à présent.
Qu'on achète des armes pour les compagnies spéciales, pour les chasseurs-éclaireurs, je l'admets ; mais que pour la garde civique en général on attende du moins que l'expérience nous ait fourni des indications plus complètes et plus décisives.
Je crois que pour la garde civique il faut conserver le canon lisse. Le canon rayé exige des soins tout particuliers que jamais les gardes civiques ne donneront à leurs armes.
Du reste, je ne vois pas ce qu'il y a de si urgent dans ces modifications. Le gouvernement français n'a encore rien fait pour la garde nationale ; en France, la garde nationale est encore armée de fusils à silex, mais nous ne la voyons pas demander des fusils à piston ou des fusils rayés.
Eh bien, messieurs, ayons confiance dans le gouvernement.
Lorsqu'il faudra mobiliser la garde civique, le premier ban sera pourvu comme l'armée, d'armes rayées.
Si l'on donne des armes rayées à la garde civique sédentaire, je le prédis, elles seront très mal entretenues et occasionneront beaucoup de réparations qui seront certainement à la charge des gardes.
Je disais qu'en France la garde nationale est encore armée de fusils à silex. J'en ai la preuve dans un programme pour une fête militaire qui doit se donner à Lille le 29 et le 30 de ce mois. J'y vois que les gardes nationaux et les sapeurs-pompiers de la France et de l'étranger sont invités à y prendre part et que les armes à silex seront seules admises. Cela prouve bien, je pense, que la garde nationale en France est encore armée de fusils à silex, et j'en conclus que la garde civique est encore mieux armée que la garde nationale de France, et qu'on peut, selon moi, laisser encore quelque temps les armes à canon lisse telles qu'elles existent. Les changements qu'on veut leur apporter ne les rendront pas meilleures, si j'en crois ce qu'en disent les hommes compétents.
M. De Fré. - Vous ne pouvez comparer la garde civique belge avec la garde nationale en France.
M. Allard. - La garde nationale de France est une garde civique. Elle ferait certainement, en cas d'invasion du territoire national, ce que serait la garde civique belge.
M. Guillery. - Elle n'a pas le même rôle à jouer.
M. Allard. - Je ne sais si elle n'a pas le même rôle à jouer. Le gouvernement français croit sans doute, comme notre gouvernement, qu'il doit d'abord faire confectionner des armes pour l'armée avant d'en faire confectionner pour la garde nationale.
Je voudrais que le département de l'intérieur ne s'occupât point des armes de la garde civique.
C'est le département de la guerre qui devrait être chargé de faire confectionner ces armes et de faire toutes les opérations nécessaires pour vérifier si l'on peut rayer les fusils, et non par des commissions qui sont composées d'hommes très honorables, je le reconnais, mais qui ne sont pas compétents pour examiner ces questions.
Nous avons une manufacture d'armes.
Pourquoi le département de la guerre n'est-il pas chargé de l'armement de la garde civique comme de celui de l'armée ? Dans tous les cas si l'on avait prié, l'an dernier, le département de la guerre de faire les expériences dont a été chargée la commission...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Elle renfermait trois officiers de l'armée.
M. Allard. - Ces expériences se seraient faites à la manufacture d'armes et n'auraient rien coûté à l'Etat tandis qu'on a dépensé maintenant des sommes considérables.
Je voterai pour l’amendement des honorables MM. Mouton et Lesoinne.
M. Hymans. - Le projet de loi qui nous est soumis nous place dans une position extrêmement délicate.
On nous demande un crédit pour améliorer l'armement de la garde civique. Il n'est personne d'entre nous qui ne désire atteindre un pareil résultat. Rien ne serait plus facile que de faire valoir à ce sujet les considérations politiques les plus élevées. Je m'en réfère, sur ce point, à l'éloquent rapport de l'honorable M. De Fré.
D'un autre côté, nous nous trouvons en présence de la déclaration de la commission du concours de Tervueren, qui a décidé que la transformation des armes de la garde civique serait ,sinon impossible, du moins des plus dispendieuses.
M. Muller. - Elle n'a fait aucun essai.
M. Hymans. - J'allais le dire.
Au commencement de cette affaire, on demandait des armes. C'était un cri général dans tout le pays. On faisait des brochures et des meetings pour demander des armes.
Le gouvernement répondait que l'armement de la garde civique coûterait trop pour que l'on pût donner des armes rayées à tous ; que la dépense s'élèverait à plus de deux millions.
Je crois que c'est encore là le principal argument qu'on oppose à l'armement de la garde civique avec des carabines rayées.
Une raison que l'on a donnée encore et que j'ai mentionnée tout à l'heure, c'est qu'il ne fallait pas adopter deux calibres, qu'il fallait que les projectiles de l'armée et de la garde civique fussent uniformes.
La raison était excellente. Seulement le projet de loi actuel ne tient plus compte des inconvénients qu'on signalait alors, puisqu'on propose de donner à la garde civique des fusils lisses, tandis que l'armée a des fusils rayés.
On fait encore valoir une troisième considération. On dit : Il est impossible de rayer les armes de la garde civique. C'est la commission de Tervueren qui le déclare.
Comme le dit l'honorable M. Muller, elle n'a fait aucune expérience. Dans son remarquable rapport, elle n'a rien dit à cet égard.
Mais en réponse à ce rapport de la commission de Tervueren, nous avons un rapport d'un comité liégeois composé, d'après les renseignements que j'ai pu recueillir, d'hommes très compétents et des plus honorables.
Ce comité vient nous dire qu'il est possible de rayer les fusils de garde civique ; que cela est tellement vrai que le département de la guerre en a fait rayer 8,000 qui se trouvaient à la manufacture d'armes, et que sur ce nombre, 3 seulement ont dû être rebutés.
Ce comité nous dit que la rayure du fusil, y compris l'épreuve de cinq balles, ne coûterait que 2 fr. 88 c. Le système Jansen, avec les balles d'essai, dit ce comité, coûterait par fusil 3 fr. 64.
Voilà déjà trois difficultés qui me paraissent assez embarrassantes lorsqu'il s'agit d'émettre un vote.
Il y a une quatrième difficulté, c'est que les expériences faites avec les balles Janssen ont parfaitement réussi à Bruxelles, tandis qu'elles ont eu beaucoup moins de succès à Liège.
D'après le comité liégeois, la balle sphérique et la balle Jansen tirées (page 1631) avec le fusil lisse et avec le fusil rayé donnent des résultats tellement pareils que d'après les expériences la balle sphérique vaut la balle Janssen.
Le fusil rayé qu'on a essayé à Liège a donné des résultats incomparablement meilleurs que le fusil lisse avec la balle Jansen.
Dans de pareilles conditions, il nous est extrêmement difficile d'émettre un vote sur ce projet de loi.
Le résultat constaté au tir national est celui-ci.
Le fusil lisse tiré par des gardes inexpérimentés donne 11 p. c. dans un blason de 50 centimètres.
Le fusil lisse avec la balle Jansen, tiré par d'excellents tireurs, donne 97 p. c. dans un blason de 1 mètre de diamètre.
Cela prouve qu'un bon tireur avec la balle Jansen obtient de meilleurs résultats qu'un mauvais tireur avec la balle sphérique.
Cela ne prouve pas le moins du monde que l'amélioration soit suffisante pour que nous adoptions le projet de loi qui nous est soumis.
L'honorable M. De Fré dit que la balle Jansen ne coûte rien, tandis qu'elle, coûte 109,040 fr.
M. De Fré. - C'est une erreur. Vous n'avez pas lu l'exposé des motifs.
M. Hymans. - Ne venez donc pas me dire que je n'ai pas lu l'exposé des motifs. Je trouve cela beaucoup plus blessant que ce que je disais tout à l'heure de la commission de Tervuerce. Je ne parle que de questions que j'ai étudiées.
Je dis que le projectile Jansen coûtera 109,040 fr. puisqu'on demande le crédit pour utiliser ce projectile. (Interruption.)
C'est pour utiliser ce projectile que le gouvernement vient demander le crédit.
M. Coomans. - Un premier crédit.
M. Hymans. - C'est ce que nous verrons plus tard.
M. Coomans. - Il en viendra probablement d'autres.
M. De Fré. - Il ne s'agit pas de la balle Jansen.
M. Hymans. - Faut-il donc que je lise et l'exposé des motifs et le rapport de l'honorable M. De Fré ? Il n'est question que de la balle Janssens et ce n'est que pour se servir de cette balle qu'il faut un guidon, une hausse graduée, etc., toutes choses qui vont nous coûter 109,000 fr. Cela est tellement vrai, que si l'on n'admettait pas la balle Jansen, il ne faudrait absolument rien.
M. De Fré. - C'est une erreur.
M. Hymans. - Enfin, quoi qu'il en soit, quel que soit le mérite de la balle Jansen et quel que soit le mérite de la rayure, on ne parviendra jamais, quelque perfectionnement que l'on apporte aux armes lisses, à donner à ces armes une valeur telle, qu'elles puissent lutter avec des armes portant à 225 mètres, distance qui est considérée comme le minimum de la portée des armes de guerre. Voilà, pour moi, la raison décisive de mon opposition au projet de loi.
Je ne nie pas qu'il y ait un avantage, un grand avantage même à diminuer le recul ; mais il suffit, pour obtenir ce résultat, de diminuer la charge de poudre, et il n'est pas besoin de commission pour décider cela.
La diminution du recul rend le tir plus facile, plus juste et plus agréable ; cela empêchera qu'on ne se fasse des bleus quand on va au tir pour faire des blancs. (Interruption.) Mais vouloir, par la diminution du recul, que les armes lisses puissent lutter contre les armes de guerre, c'est exactement comme si l'on vous proposait de diminuer le poids d'une vieille diligence pour lui permettre de lutter de vitesse avec une locomotive.
Je dis, messieurs, que, dans ces conditions, il m'est absolument impossible de voter le projet de loi.
Il n'est possible de le défendre qu'en déclarant loyalement et franchement à la Chambre et au pays qu'on ne compte pas sur la garde civique, au jour du danger, pour la défense du territoire ; qu'on la considère simplement comme une force morale destinée à maintenir l'ordre dans les villes.
On a certes parfaitement le droit de professer cette opinion ; elle a été défendue par d'excellents patriotes ; mais ceux-là ne demandaient pas d'armes perfectionnées ; il n'avaient pas même besoin de mauvais fusils : ils préféraient, pour le maintien de l'ordre, le bâton du constable au fusil du garde civique.
Cela est si vrai que, tant que les Anglais ne se sont préoccupés que du maintien de l'ordre dans les villes et qu’ils n'ont eu de milice que pour ce service, ils se sont parfaitement contentés de ces gardes désarmés ; mais quand il s'est agi de défendre le territoire anglais, le sol de la patrie, contre les attaques de l'étranger, les meilleures armes ont paru nécessaires et les plus perfectionnées n'ont paru ni trop chères ni trop bonnes pour armer les gardes.
Ce raisonnement est simple et rationnel : ou bien la garde civique doit être apte à combattre et alors il faut, comme l'honorable M. De Fré le demandait dans une brochure éloquente, qui a précédé de longtemps la présentation de son rapport sur le projet de loi actuel, des armes qui puissent lui permettre de lutter contre les armes les plus parfaites ; ou elle sera appelée simplement à maintenir l'ordre, à protéger le droit à l'intérieur, et alors ses armes actuelles, sans balle Jansen, suffiront parfaitement.
En résumé, messieurs, je voterais avec bonheur le crédit de 160,000 fr. s'il nous était demandé comme premier crédit destiné à transformer l'armement de la garde civique.
Je le répète, ce n'est qu'en vue de ce résultat que j'ai voté le crédit de 10,000 francs au budget de 1861 pour le concours de Tervueren et je suis persuadé que si les auteurs de la proposition qui a été faite alors descendaient au fond de leur conscience et de leur mémoire, ils vous répondraient que ce n'est également qu'en vue d'un pareil résultat et pas pour autre chose qu'ils ont fait leur motion.
Je voterais donc volontiers le crédit de 160,000 francs, et même plus, pour la transformation de l'armement de la garde civique ; mais je ne voterai pas le moyen terme qu'on vous propose, et qui tend qu'à ne rendre la situation plus fâcheuse, le mal plus déplorable, en les perpétuant.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le président. - Demain, messieurs, second vote du projet de loi sur la caisse d'épargne, et ensuite continuation de la discussion du projet de loi actuel. Il y a décision de la Chambre quant au premier objet.
- La séance est levée à quatre heures et demie.