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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1505) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Wychmael déclarent s'engager à céder gratuitement les terrains communaux incultes qui pourraient être empris pour la construction du chemin de fer de Liège à Tongres et de Hasselt à Eyndhoven par Zonhoven, etc., si la législature accorde un minimum d'intérêt à la société concessionnaire de cette ligne. »

« Même déclaration des membres des conseils communaux de Petit-Brogel, Overpelt, Hamont, Achel et Neerpelt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. de Renesse. - Messieurs, plusieurs conseils communaux de la Campine limbourgeoise s'adressent à la Chambre pour appuyer la demande de concession faite par la société de Bruyn-Houtain, Delwart et Cie d'un chemin de fer international plus direct de Liège par Glons, Tongres et Hasselt vers la frontière hollandaise dans la direction d'Eyndhoven. Ces pétitions se rapportent à un projet de chemin de fer qui sera soumis à la Chambre par le grand projet de travaux publics, que l'honorable ministre des travaux publics doit présenter sous peu de jours.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de vouloir ordonner le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, ainsi que quelques autres requêtes qui concernent la même voie ferrée, analysées dans des précédentes séances.

- La proposition de M. de Renesse est adoptée.


« Les membres de l'administration communale de Sainte-Marie présentent des observations contre la demande ayant pour objet le rétablissement de l'arrondissement de Virton. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'une commune non dénommée présentent des observations contre toute demande d'un chemin de fer direct d'Ans à Tongres. »

- Même renvoi.


« Le sieur Clerckx, juge de paix du canton d'Achel, demande que le projet de loi qui institue une caisse générale de retraite et d'épargne autorise le gouvernement à ériger des succursales de caisses d'épargne dans les bureaux d'enregistrement ou de poste aux lettres, et donne aux tuteurs le droit d'y déposer les deniers appartenant aux mineurs. »

M. de Renesse. - Messieurs, le sieur Clerckx, juge de paix du canton d'Achel, province de Limbourg, adresse à la Chambre quelques observations qui se rapportent au projet de loi instituant une caisse générale d'épargne ; ces observations me paraissent fondées, puisqu'elles tendent à autoriser le gouvernement à établir des succursales de caisse d'épargne dans les bureaux d'enregistrement ou de poste aux lettres, et de permettre aux tuteurs d'y déposer les deniers appartenant aux mineurs.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de vouloir ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau de la Chambre, pendant h discussion du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Saint-Médard demandent que le projet de loi concernant l'exécution des travaux publics comprenne la concession du chemin de fer de Sedan vers Coblence par Longlier et Bastogne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Nieuport demandent la construction d'un chemin de fer de Furnes à Nieuport. »

« Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Schoore et St-George. »

M. de Smedt. - Des habitants de Nieuport et des communes environnantes demandent la construction d'un railway reliant ces communes au réseau général de nos chemins de fer.

Déjà plusieurs pétitions ayant le même but nous ont été adressées. Comme M. le ministre des travaux publics déposera, dans le plus bref délai, le grand projet de travaux, j’espère que la Chambre autorisera la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur ces requêtes.

- Cette proposition est adoptée.


« Le bourgmestre et des habitants de Moxhe demandent la construction du chemin de fer de Namur à Landen. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Bertrée. »

- Même renvoi.


« M. Dechentinnes, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

« M. Kervyn de Lettenhove, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit de 550,205 francs au département des travaux publics. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Proposition tendant à régler l’action en dommages-intérêts contre un ministre

Prise en considération

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai reçu de l'honorable M. d'Anethan une réclamation contre une assertion contenue dans le discours que j'ai prononcé dans la dernière séance. Je crois qu'il est convenable que je donne lecture à la Chambre de cette réclamation :

« Monsieur le ministre,

« Je lis dans les Annales parlementaires le passage suivant d'un discours prononcé par vous, le 7 juin :

« Entre autres faits, un ministre avait ordonné l'expulsion d'une femme étrangère ; on a soutenu que cette expulsion était illégale ; les tribunaux même ont jugé qu'elle était illégale. Quelqu'un s'est-il levé pour demander la mise en accusation de M. d'Anethan, qui avait signé l'arrêté d'expulsion ? »

« Vous avez commis, en vous exprimant ainsi, une erreur involontaire qu'il m'importe de rectifier. La personne à laquelle vous faites allusion, n'a pas été expulsée en vertu d'un arrêté royal contresigné par moi ; elle a été expulsée en vertu d'un ordre donné directement par M. l'administrateur de la sûreté publique, qui a toujours agi, et agit, je pense, encore de son chef à l'égard des étrangers qui ne sont pas considérés comme résidant en Belgique.

« Il ne pouvait donc être question ni de provoquer ma mise en accusation, ni même de me demander des dommages et intérêts.

« Après avoir rectifié votre allégation, permettez-moi, M. le ministre, de la compléter.

« La personne qui, à tort ou à raison, se prétendait victime d'une expulsion illégale, a cité l'administrateur de la sûreté publique, signataire de l'ordre d'expulsion, devant les tribunaux, et ce fonctionnaire, malgré des précédents nombreux, malgré sa bonne foi évidente, a été condamné à trois cents francs de dommages et intérêts.

« Je ne pense pas que cette décision judiciaire soit très favorable à la thèse que vous avez défendue.

«. La publicité qu'ont reçue vos paroles, autorise la publicité que je compte donner à ma réponse.

« Agréez, etc.»

Messieurs, je donne bien volontiers à l'honorable sénateur, ancien ministre de la justice, la satisfaction de communiquer à la Chambre sa réclamation. Mais il m'est impossible d'aller au-delà. Je croirais tomber dans la plus grave hérésie constitutionnelle, si j'admettais la thèse qui est soutenue par l'honorable sénateur. Je tiens qu'en sa qualité de ministre de la justice, il était parfaitement responsable des actes de ses subordonnés ; et ce ne peut-être que par inadvertance que l'honorable baron d'Anethan fait remarquer que l'ordre n'avait pas été signé par lui, qu'il n'avait été signé que par son subordonné, que dès lors sa responsabilité n'était pas engagée, et que, par conséquent, il ne pouvait être question pour lui ni de mise en accusation, ni même de responsabilité civile. L'erreur est manifeste ; la théorie de l'honorable sénateur est la négation même de la responsabilité ministérielle.

Si l'on se plaignait d'un acte de quelque agent de mon administration, je ne serais certainement pas reçu à venir répondre : C'est le (page 1506) directeur général, c'est le secrétaire général, c'est l'inspecteur ou le contrôleur qui a exécuté cet ordre, qui a donné cet ordre, et je n'ai pas, dès lors, à m'en préoccuper. Je ne serais pas écouté si j'émettais une pareille opinion.

L'honorable ministre de la justice, comme tout ministre, avait assurément le droit de désavouer son agent, s'il reconnaissait que cet agent avait agi contrairement à ses ordres, ou même sans ses ordres ; mais aussi longtemps que l'agent n'est pas désavoué, c'est au ministre que remonte la responsabilité, et, par conséquent, j'ai eu le droit de poser la question qui se trouve dans mon discours, et la conclusion que j'ai tirée de l'exemple invoqué, est parfaitement juste. Messieurs, le fait auquel j'ai fait allusion a donné lieu à une contestation judiciaire. La personne qui se trouvait frappée de l'arrêté d'expulsion, ou, si l'on veut, de la mesure d'expulsion (ne jouons pas sur les mots), s'est pourvue devant les tribunaux ; elle s'est pourvue d'abord en référé devant le président du tribunal d'Anvers, et a demandé qu'il fût sursis à l'exécution de la mesure. M. le président du tribunal d'Anvers, statuant sur la référé, a accueilli cette demande.

On s'est pourvu en appel contre sa décision, et la cour, en vertu du principe que je défends, quant à la responsabilité ministérielle, a réformé l'ordonnance du président du tribunal d'Anvers, jugeant que c'était là un acte du pouvoir exécutif, que les tribunaux sont incompétents pour apprécier. Voici l'arrêt :

« Attendu que, dans l'état actuel de la législation et des arrêtés royaux pris pour son exécution, l'expulsion des étrangers est dans le domaine du pouvoir exécutif, et, au nom de ce pouvoir, confiée à l'administration de la sûreté publique, sous l'autorité immédiate du ministre de la justice ;

« Attendu que l'action de l'intimée étrangère, telle que cette action est libellée, notamment dans ses conclusions reprises en l'ordonnance dont est appel, a pour véritable but ou objet d'obtenir du pouvoir judiciaire une défense directe à l'autorité qui, comme administration de la sûreté publique, c’est-à-dire donc au nom du ministre ou du pouvoir exécutif, a décerné l'ordre d'expulsion dont il s'agit au procès, d'exécuter cet ordre, de donner suite au moyen de contrainte ou de force employé en terme d'accomplissement de cette expulsion à laquelle l'intimée se refusait ; que c'est aussi le sens et la portée de ce qui a été octroyé au dispositif de l'ordonnance a quo, d'après les motifs qui s'y trouvent développés ;

« Attendu que c'était là, de la part de la demanderesse en référé, réclamer de la justice, non simplement la solution ou déclaration d'un droit civil, mais une disposition qui caractériserait, de la part de l'autorité judiciaire un acte de suprématie d'un des pouvoirs sur l'autre, une invasion, par voie de commandement, de l'un dans le domaine ou le cercle, des attributions de l'autre ;

« Attendu qu'il en naîtrait une perturbation d'autorité essentiellement subversive du principe constitutionnel ou fondamental de l'égalité et de l'indépendance respective des pouvoirs qui, tous, sans distinction, émanent de la même source ;

« Qu'il suit de là que l'action dont il s'agit, d'après sa tendance positive et son objet direct, devait être écartée comme sortant de la compétence du juge civil, et parlant qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance déférée par l'appelant ;

« Attendu, au surplus, que cette appréciation nette et nécessaire de la position respective des pouvoirs dans l'ordre constitutionnel ne laisse, pour aucune hypothèse, les citoyens ou les individus qui se trouvent sur le sol belge, à la merci des abus des agents responsables du pouvoir, puisque la Constitution a donné la liberté du droit de plainte, et a établi dans la Chambre législative même une garantie puissante pour le droit discrétionnaire d'accuser à raison des actes abusifs qui émaneraient des ministres responsables ;

« Attendu que l'intervention n'a point été contestée et que, notamment, l’intimé n'a indiqué ni plaidé aucun moyen de non-recevabilité.

« Par ces motifs, M. l'avocat général Graaff entendu et de son avis, recevant l'intervention et statuant, entre toutes les parties, la cour dit que le juge a quo était incompétent ; en conséquence met à néant, comme excès de pouvoir, l'ordonnance dont il est fait appel ; condamne l'intimée à tous les dépens ; ordonne la restitution de l'amende, s'il en a été consigné. »

L'acte est ici bien caractérisé et la responsabilité en incombait à M. le ministre de la justice. La question a été soumise à la Chambre, c'est-à-dire que des interpellations ont été adressées à l'honorable M. d'Anethan, comme ministre de la justice, aux mois de janvier et de février 1847, et jamais, dans les discussions qui ont eu lieu, le ministre n'a décliné en aucune façon la responsabilité de cet acte. J'ai donc en le droit de taire remonter cette responsabilité jusqu'à lui ; j'avais parfaitement posé la question et je la maintiens.

Il set vrai qu'après avoir échoué dans cette action, la personne expulsée a intenté une action en dommages-intérêts à M. l'administrateur de la sûreté publique.

Or, devant les tribunaux, ce fonctionnaire n'a excipé ni de l'ordre, ni de l'autorité du ministre ; il n'a pas invoqué la protection de son supérieur hiérarchique ; il a accepté cette position personnelle, et n'a excipé ni de sa bonne foi, ni d'une erreur, puisqu'il prétendait que son droit était de faire ce qu'il avait fait.

Dans cette situation, les tribunaux l'ont condamné à des dommages-intérêts, parce que l'acte contre lequel on réclamait était le fait personnel d'un agent qui n'était couvert par aucune espèce de protection de son supérieur hiérarchique, et qui dès lors n'était pas à l'abri des poursuites, aux termes de l'article 24 de la Constitution.

Cependant, condamné par la cour d'appel à des dommages-intérêts, en son nom personnel, l'administrateur de la sûreté publique s'est pourvu en cassation, et là, il a indiqué comme moyen de cassation que l'acte en question était un fait du pouvoir exécutif dont il n'était pas responsable ; il a prétendu, mais tardivement, que la personne responsable était son supérieur hiérarchique.

La cour de cassation a écarté alors ce moyen par une fin de non-recevoir, parce qu'il n'avait pas été produit devant la cour d'appel.

Voici, quant à ce point spécial, les motifs de l'arrêt :

« Attendu que les articles 90 et 134 de la Constitution ne sont applicables qu'aux cas de responsabilité encourue par les ministres ; qu'aux termes des articles 114 et suivants du Code pénal, ces hauts fonctionnaires ne sont responsables des actes de leurs agents que pour autant que ces actes sont posés en exécution d'ordres donnés par eux, relativement à des objets sur lesquels il leur est dû obéissance hiérarchique ; qu'en l'absence d'un pareil ordre, l'acte incriminé n'est imputable qu'à l'agent, qui seul doit en répondre devant la justice ;

« Attendu que, dans l'espèce, il n'est point allégué que le demandeur aurait fait procéder à l'arrestation de la demanderesse en exécution d'un ordre du ministre de la justice ; qu'ainsi les articles 90 et 134 précités n'étaient point applicables à la cause et n'ont pu être violés ;

« Sur le deuxième moyen, fondé sur la fausse application et la violation de l'article 21 de la Constitution et des art 1370, paragraphes 2 et 4, 1382 et 1383 du Code civil, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur responsable alors qu'il a agi au nom du ministre de la justice pour des objets du ressort de celui-ci et pour lesquels il lui devait obéissance hiérarchique ;

« Attendu que ce moyen, par lequel le demandeur cherche à établir que c'est à tort que la cour d'appel l'a déclaré civilement responsable d'un fait qui, légalement, ne pouvait être imputé qu'à son supérieur hiérarchique, présente une exception qui n'a pas été invoquée devant les juges du fond et qui, par conséquent, ne peut pas, pour la première fois, être présentée devant la cour de cassation ; que ce moyen est donc non recevable. »

Voilà les faits auxquels j'avais fait allusion, et dans le détail desquels je n'étais pas entré, parce qu'ils étaient inutiles à l'argumentation que je soumettais à la Chambre ; ces arrêts expliquent parfaitement comment les faits se sont passés, et ils confirment la doctrine que j'ai soutenue.

Cette doctrine n'était pas de nature à soulever les susceptibilités de l'honorable M. d'Anethan, qui, d'ailleurs, ne s'en plaint pas ; cette doctrine lui était applicable comme à tous les ministres ; je le défendais en même temps que je défendais mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre.

(page 1518) M. de Gottal. - Messieurs, certes personne de nous ne s'attendait à voir imprime à ce débat le caractère irritant qu'il a pris à la dernière séance, Quant à moi, je ne pensais pas qu'à l’occasion d'un projet de loi réglant l'exercice de l'action civile en dommages-intérêts contre un ministre, pour faits de son administration, nous avions ici à refaire l'examen et à reprendra la discussion de tous les faits qui s'étaient passés.

Tel ne semble pas avoir été l'avis de MM. les ministres des affaires étrangères et des finances.

Il a fallu recommencer le système précédemment employé par M. le ministre de la guerre, lors de l'examen de la première pétition ; il a fallu s'occuper énormément du pétitionnaire, chercher à le discréditer aux yeux de la Chambre et du pays. Et tout cela à propos de la discussion d'une pétition où l'on demande les moyens d'obtenir une réparation, et cela à propos de la demande de prise en considération d'un projet de loi.

Je partage, messieurs, sur ce point, la manière de voir de M. le ministre des affaires étrangères qui vous a dit que, quant à lui, il pensait que ce projet de loi pouvait être parfaitement examiné sans entrer dans l'examen des faits qui s'étaient passés.

M. le ministre des finances n'a pas été de cet avis ; il a cru devoir s'animer bien fort ; il a cru devoir s'écrier que ce serait une lâcheté de sa part que de ne pas venir défendre ici M. le ministre de la guerre.

Certes, messieurs, ce n'est pas le courage qui, dans cette circonstance ni dans la première discussion, a manqué au ministère.

Jamais je n'en ai douté, je dirai même que c'est plus que du courage, c'est de l'audace, de l'audace portée au plus haut point.

Je pensais, messieurs, je le répète, que la question pouvait être examinée indépendamment des faits qui s'étaient accomplis, mais je pense aussi, comme l'a dit l'honorable M. Goblet, que c'est à l'occasion de ces faits que le projet de loi a été présenté, et ce sont ces faits, pour me servir de l'expression de M. le ministre des finances, qui ont donné lieu à cette motion.

Dans l'opinion de l'honorable M. Goblet, c'était au gouvernement de présenter ce projet de loi immédiatement après les arrêts de la cour militaire et de la cour de cassation.

Je partage cette opinion, et je crois que le pays y aurait vu une grande et sage mesure de la part du ministère. Il aurait reconnu que si les gouvernements peuvent commettre des fautes et des erreurs (et je me sers ici de termes très adoucis) ils sont aussi prêts à les réparer.

Tel n'est pas cependant l'avis de l'honorable chef du cabinet qui a dit que c'est à ceux qui avaient tant passionné ce débat, qui avaient mis tant de persévérance dans leurs attaques, qu'incombait ce devoir.

C'est donc un devoir que nous remplissons, et je m'étonne que, dans un passage de son discours, l'honorable ministre vienne nous demander pourquoi nous ne venons pas nous déclarer satisfaits.

Nous avons, a-t-on dit, mis de la passion dans ce débat, dites de la conviction ; nous avons mis de la persévérance dans nos attaques, dites dans nos justes réclamations comme vous dans vos illégalités.

Je ne veux pas ici rencontrer l'espèce d'apologie que l'honorable chef du cabinet a faite du gouvernement.

Je ne suis pas venu l'attaquer, mais je ne sache pas que, parce que je fais partie de la majorité parlementaire, parce que j'appartiens au parti qui est au pouvoir, je doive approuver aveuglément tous les actes du ministère.

Je comprends autrement ma mission, et, dans ce cas, je crois avoir servi mon parti en cherchant à prévenir les fautes d'un ministre. C'est ce que j'ai cherché à faire, je ne puis assez le répéter ; j'ai appelé l'attention du cabinet sur les faits qui allaient se passer. Mais un ministre ne pouvait avoir tort !

Je me demande d'où venait dans la séance dernière cette indignation de l'honorable ministre des finances alors que la veille il n'avait pas cru devoir dire un mot lorsque j'avais nettement déclaré qu'un citoyen avait été distrait de son juge naturel, qu'on avait violé son domicile, qu'on avait porté atteinte à la liberté individuelle ; faits constituant, comme je le soutiens encore aujourd'hui, des violations flagrantes de plusieurs articles de notre pacte fondamental.

Et le lendemain il s'écrie que c'est immoral que de le prétendre. Quoi ! l'on ose accuser un ministre d'avoir violé la Constitution. C'est immoral !

Mais lorsque après les avertissements qui se sont fait entendre de toutes parts, tant au-dehors que dans cette enceinte, alors qu'aucune voix ne s'est élevée pour défendre le ministre, alors que M. le ministre de la justice lui-même a dit que, dès le commencement de cette affaire, il avait des doutes à cet égard, vous n'en persévérez pas moins dans la voie arbitraire où vous étiez entré ; vous n'en continuez pas moins à infliger à un citoyen des tortures morales. Qu’est-ce donc, n'est-ce pas plus qu'immoral ? C'est une indignité.

Comment ! c'est par la force brutale qu'on fait exécuter les actes despotiques qu'on venait de commettre ; c'est à la gendarmerie que l’on confie le soin d'arrêter à Anvers et de conduire à Diest un officier qui comptait 30 ans d’honorables services, et je rends ici justice à l’officier qui a été chargé de de cette pénible mission, il y a mis tous les égards possibles ; mais il n'en est pas moins vrai qu'il avait reçu l'ordre d'employer la force en cas de résistance, et que ce n'est que sur sa déclaration écrite que le pétitionnaire, voulant éviter des malheurs et ne pas exercer sa juste colère contre ceux qui ne faisaient que remplir un devoir, s'est laissé conduire à Diest.

Mais, je vous le demande, messieurs, qu'est-ce donc qui nécessitait cette manière de procéder, cette espèce d'outrage qu'on infligeait à un officier, car vous ne pouvez ignorer, ni vous, ni votre jurisconsulte, vous ne pouviez ignorer cette loi de 1836 dont vous venez de faire un usage si inique ; vous ne pouviez ignorer qu'une absence de quinze jours du lieu de sa résidence pouvait pour l'officier, aux termes de cette loi, entraîner la perte, la cassation de son grade.

Pourquoi, après avoir fait arrêter une première fois le pétitionnaire qui était retourné le même jour à Anvers, pourquoi a-t-on attendu le treizième jour, la veille du débat à la Chambre, pour le ramener à la citadelle de Diest ?

Comment expliquer ce fait, si ce n'est qu'on ne voulait pas user de cet article 2 de la loi de 1836, parce que, pour l'appliquer, il fallait recourir à un conseil d'enquête établi par l'article 3 de cette loi, conseil devant lequel l'officier eût pu présenter sa défense et où il lui eût été permis de faire condamner alors déjà ce système qui devait être condamné à peu de temps de là par la cour militaire.

Cette arrestation, cette détention, vous le voyez, messieurs, sont de véritables tortures morales parfaitement inutiles et qui ne peuvent s'expliquer que d'une seule manière ; c'est qu'on avait espéré que, dans un moment de trouble, d'abattement peut-être, M. le lieutenant-colonel Hayez se serait soumis, et, de cette manière, reconnaissant le système suivi par M. le ministre de la guerre, l'illégalité se fût trouvée couverte !

Je le sais bien, à cette époque où les faits se sont produits, la pétition avait déjà été adressée à la Chambre ; mais qui donc à la Chambre eût osé, sur ce point, attaquer un ministre ? Et si quelqu'un se fût trouvé assez audacieux pour le tenter, le ministre n'aurait-il pas eu facilement raison des arguments qui auraient pu lui être opposés ?

Mais cette fois le bon droit a triomphé ; on ne pouvait opposer le secret d'Etat pour se refuser à la production des pièces. Et quand ces pièces ont été produites, n'a-t-on pas dit qu'elles étaient inexactes, alors que, pendant six mois elles avaient reposé au département de la guerre sans soulever aucune observation ? N'est-on pas allé jusqu'à dire que les inscriptions qui s'y trouvaient semblaient avoir été faites pour les besoins de la cause, paroles imprudentes que je n’ai point laissé de relever et que M. le ministre de la guerre n'a pas laissé de faire disparaître des Annales parlementaires ?

Et, après cela, quand une voix s'élève ni pour oser dire la vérité, et pour signaler une violation manifeste d'un principe constitutionnel, on vient s'écrier que c'est immoral !

Oh ! ce mot vous n'auriez pas dû le prononcer ; s'il est quelque chose d'immoral dans cette affaire, le pays jugera si c'est sur vos bancs ou sur ceux où je siège qu'il faut le chercher.

Oui, la tactique que l'on a suivie était fort habile, et on ne l'abandonne pas encore aujourd'hui : il fallait, comme je l'ai dit, chercher à dénigrer le pétitionnaire ; il fallait faire que personne ne pût plus s'intéresser à lui, mais je l'ai dit alors et je le répète encore aujourd'hui, il nous faut faire abstraction complète du pétitionnaire, dont l'honorabilité, du reste, est incontestable.

M. le ministre des finances lui-même l'a reconnu ; ce que nous avons à examiner, c'est la conduite, ce soin les actes d'un ministre vis-à-vis d'un citoyen.

On est revenu sur les précédents ; je ne pense pas que la Chambre veuille recommencer la discussion qui a eu lieu à ce sujet ; je crois avoir démontré ce qu'il y a de dissemblable dans les précédents qu'on a invoqués.

D'ailleurs le considérant même de l'arrêt de la cour de cassation qu'on invoque, fait justice de cette foule de précédents que l'on avait si habilement présentés mais si peu justifiés.

(page 1519) Mais qu'importent ces précédents ? fussent-ils tous réels, identiques au cas présent, les actes posés n'en seraient pas moins illégaux.

Au moins, dira-t-on, ces précédents expliquent l'erreur du ministre, démontrent sa bonne foi. C’est toucher une corde bien délicate, sur laquelle peut-être il serait préférable de ne pas trop appuyer.

Oui, j'accorderais volontiers que c'est, versant dans cette erreur, que le ministre a pris l'arrêté royal du 2 novembre 1801. Peut-être même encore celui du 21 novembre. Mais depuis ?

S'il est de l'homme de se tromper, vous savez également ce que c'est que de persévérer dans son erreur, il n'est de pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir, de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre. C'est ainsi que tous les avertissements présentés à la Chambre et au-dehors n'ont pu faire revenir le ministre du système qu'il avait adopté.

Pour lui il s'agissait de faire triompher l'autorité sur la rébellion, c'est-à-dire le despotisme sur le bon droit.

Je ne reviendrai plus sur cette discussion, où vingt fois j'ai relevé le erreurs commises par le ministre de la guerre et que je ne veux m'expliquer qu'en supposant que le ministre n'avait pas examiné les pièces.

L'erreur, comme je viens de le dire, peut avoir existé au moment où les arrêtés furent pris. Le Code de 1810 prévoit le cas d'une arrestation arbitraire et admet l’excuse. Il ressort de l'article 115 que, d'après certaines dispositions du sénatus-consulte de l'an XII, le fait pouvait être excusable quand il y avait eu mise en liberté en se rendant aux invitations faites à ce sujet et qui devaient se faire dans certaines formes.

Personne n'a oublié les réclamations sans nombre parties de tous les bancs de cette Chambre et adressées au ministre pour que le pétitionnaire fût mis en liberté, pour qu'on le traduisît devant la haute cour militaire.

On nous a dit que les hommes compétents avaient déclaré qu'il y avait impossibilité de le faire ; cependant, l'homme compétent qu'on aurait dû consulter le premier et dont, sans doute, on avait négligé de prendre l'avis, était d'une opinion contraire ; je veux parler de M. Houyet, l'auditeur général. On ne le consulta que tout en dernier lieu, alors que l'on prévoyait la résolution que la Chambre allait prendre, et ce n'est qu'alors que, contraint et forcé, on consentit à traduire le lieutenant-colonel Hayez, devant la cour militaire.

Je ne veux pas revenir sur toute la discussion à laquelle les faits ont donné lieu, mais je ne puis laisser sans réponse un nouvel exposé de ces faits présenté par M. le ministre des finances. Il a qualifié de faveur la nomination du pétitionnaire au grade de lieutenant-colonel, en mai 1859. C'est inexact, s'il est vrai que M. Hayez fut alors promu à ce grade, il faut ajouter aussi qu'il le fut à son tour de rôle à l'ancienneté., En ne le nommant pas à cette époque lieutenant-colonel, on aurait commis une injustice que rien n'eût justifiée, car cet officier jouissait d'un état de service des plus honorables.

L'honorable ministre des finances est venu reproduire ici ce que je ne puis m'empêcher de qualifier de mauvaise plaisanterie, quant à l'important commandement de la place de Termonde, confié au lieutenant-colonel Hayez, poste d'honneur pour la conservation d'une place qui importait si fort à la conservation de notre indépendance nationale, et qui, comme je l'ai dit, avait peur se défendre un sous-officier, un caporal et huit hommes.

L'honorable ministre des finances a cru devoir également insister sur la répugnance que cet officier aurait montrée à se rendre à son poste, du moins à y rester. Cette résistance était inutile, je dirai même qu'elle n'était pas habile ; pour me servir d'un proverbe : Il n'est pas prudent de parler corde dans la maison d'un pendu.

Il ne fallait pas faire de cette répugnance un grief si grand à un lieutenant-colonel, dors qu'un officier supérieur avait donné ce triste exemple.

J'eusse voulu le passer sous silence, mais votre insistance et le terrain moral sur lequel vous aimez à placer la question, me forcent à parler.

L'honorable ministre a cru devoir vous lire la lettre que M. le ministre de la guerre a écrite au lieutenant colonel Hayez, en date du 2 décembre 1859. A mon tour, je me permettrai de vous relire la lettre, des plu convenables, en réponse à laquelle celle du ministre a été écrite. Voici cette lettre qu'écrivait le pétitionnaire au département de la guerre :

« Avant de soumettre à votre approbation une nouvelle demande de congé, je crois devoir porter à votre connaissance les motifs puissants qui me font agir. Je me trouve dans l'obligation de vous les adresser par écrit, n'ayant pu réussir dans les diverses tentatives que j'ai faites pour avoir l'honneur d'être admis eu votre présence.

« Eloigné depuis 1845 du service de la troupe et placé en 1852 en qualité de sous-directeur à l'arsenal de construction d'Anvers, et cela à la sollicitation pressante du directeur actuel, je me suis vu privé de cette position au mois de mai dernier

Vous le voyez, une position importante, ce commandement important à Termonde, on le confia à un officier qui, depuis 1845, c’est-à-dire depuis seize ans, se trouvait éloigné de a troupe. Ceci peut vous donner une idée de l’importance de ce commandement.

« L'époque à laquelle j'ai cessé d'appartenir à l'arsenal de construction ne doit-elle pas me faire envisager mon déplacement comme une véritable disgrâce ? En effet, m'ôter à l'établissement auquel j'étais attaché depuis sept ans, et où, par conséquent, je devais au moins avoir acquis quelque expérience, au moment où le travail allait y être plus que doublé, n'était-ce pas me donner certificat très clair d'incapacité ?

« J'ai payé pendant 13 ans mon tribut au service de la troupe et j'y ai contracté une maladie de poitrine qui m'a laissé cette partie trop faible pour que je puisse encore donner à ma voix l'étendue nécessaire au commandement des manœuvres, et lorsque j'ai été déplacé, il ne me restait plus que trois années à servir pour atteindre l'âge voulu pour la mise à la pension de retraite.

« J'avais donc tout lieu d'espérer d'être maintenu dans le poste que j'occupais, ou tout au moins d'y être rappelé aussitôt après que mon inutilité à Termonde eût été bien constatée, puisque je n'ai réellement été remplacé à l'arsenal qu'au mois de septembre dernier, je pouvais l'espérer, à moins cependant que les rapports de mon chef immédiat ne m'aient été défavorables au point de faire regarder mon éloignement comme un avantage pour l'arsenal.

« Ne croyez pas, mon général, que mon désir de rester à Anvers, où tous mesintérêts matériels sont cependant réunis, soit mon seul mobile aujourd'hui ; je suis assez soldat pour savoir qu'il me faut aller là où je reçois l'ordre de me rendre et je ne balancerais pas un instant à sacrifier ma vie, si un tel sacrifice pouvait être utile à mon pays. Mais là position qui m'a été faite, je ne puis la regarder que comme une humiliation que mes antécédents semblaient devoir m'épargner.

« Puisqu'il paraît impossible, pour le moment, de me rendre mes anciennes fonctions ou de me détacher à un titre quelconque à l'établissement que je ne demandais pas à quitter, accordez-moi du moins de nouveaux congés qui ne font tort à personne et qui me soustraient, au moyen d'un sacrifice pécuniaire, à l'espèce de ridicule qui s'attache toujours à des fonctions qui n'ont plus de raison d'être.

« Cet appel que j'adresse à votre justice, à votre loyauté et non au ministre de la guerre, c'est celui d'un homme de cœur profondément blessé et découragé d'une humiliation par laquelle il était loin de s'attendre à voir terminer sa carrière militaire, et j'ose espérer, mon général, qu'il ne vous sera pas fait en vain. »

Vous savez, messieurs, la réponse qui a été faite à cette lettre, et où, entre autres passages, je lis celui-ci :

« Cette conduite, M. le lieutenant-colonel, n'est pas celle d'un militaire dévoué à ses devoirs et je ne puis que vous exprimer tout le mécontentement qu'elle m'inspire. »

Vous le voyez, messieurs, M. Hayez éprouvait une vive répugnance à conserver le poste de Termonde, et cette répugnance, devait-on la qualifier aussi durement, devait-on en faire l'objet d'un grief aussi grave à M. le lieutenant-colonel Hayez, lorsque l'autorité supérieure avait donné le triste exemple d'une pareille désobéissance, d'une pareille insubordination ?

C'était en 1850, je pense ; le général Chazal fut désigné pour le commandement territorial dont la résidence était à Anvers. La capitale, le voisinage de la cour présentait, sans doute, à M. le général Chazal des avantages, des agréments qu'il ne devait pas trouver à Anvers. Il refusa de se rendre à son poste, et cependant nous ne trouvons nulle trace qu'il y fut conduit par la gendarmerie.

Cette conduite, je ne la qualifierai pas. Je ne veux pas relire le passage de la lettre que M. le ministre de la guerre écrivait, à la date du 27 septembre 1850, et que je viens de rappeler.

Le pétitionnaire, a dit M. le ministre des finances, et il a insisté sur ce point, a obtenu consécutivement plusieurs congés. Ceci vous explique encore l'inutilité de la position qu'on lui avait faite à Termonde. Et ces congés ont fourni à M. le ministre des finances l'occasion de vous dire : Si des membres mieux inspirés (que nous sans doute) avaient accusé le ministre de faiblesse en faveur de ses subordonnés, une pareille accusation n'eût-elle pas été trouvée fondée, n'eût-elle pas trouvé de l'écho ?

Messieurs, c'en est trop. Je conçois que l'on cherche à excuser les fautes commises par le ministre, je conçois qu'on cherche à les pallier, j'y donnerais volontiers la main ; mais qu'on saisisse, à propos de cette affaire, l'occasion de faire ici son éloge, cela dépasse tout, et vraiment à entendre les honorables ministres des affaires étrangères et des finances, il ne resterait à la Chambre qu'à voter une couronne civique à (page 1520) M. le ministre de la guerre, en attendant la statue, qu'au dire de l'honorable M. Lebeau, les Anversois lui élèveraient un jour,

Je ne suivrai pas M. le ministre des finances dans les rapprochements qu'il a faits entre la position d'un magistrat qui agit conformément à la loi, dans les limites de la loi, et la position d'un ministre qui foule la loi aux pieds. Ces rapprochements manquent de justesse. Ce sont, du reste, des hors d'œuvre qui n'ont pas à prendre place dans la discussion actuelle.

Je ne rencontrerai pas non plus les citations qui ont été produites devant vous pour vous prouver que jamais, à aucune époque, on n'a demandé la mise en accusation d'un ministre, ni celle de M. d'Anethan, ni celle de M. Nothomb.

Quant à M. d'Anethan, les explications que M. le ministre vient de fournir suffisent.

Quant au fait qui aurait pu donner lieu à une demande de mise en accusation de M. Nothomb, je n'ai pu le retrouver.

Du reste, ces citations ne sont pas encore ici à leur place, en ce sens qu'il ne s'est nullement agi démettre le ministre en accusation.

Une seule observation, quant à la poursuite qui a été intentée par l'étrangère expulsée par M. Hody.

M. le ministre des finances a dit, au commencement de la séance, que le ministre aurait pu être accusé dans cette Chambre d'avoir commis un acte illégal.

Mais la question ne pouvait se présenter devant la Chambre au point de vue de la réparation civile, seul point de vue auquel nous avons à l'examiner aujourd'hui.

La réparation civile avait été obtenue contre l'administrateur de la sûreté publique, M. Hody.

Quant à la prise en considération, messieurs, à laquelle le gouvernement ne s'oppose pas, l'honorable ministre a appelé l'attention spéciale des sections sur le point de savoir si le projet de loi n'est pas inconstitutionnel. L'honorable ministre ne s'est pas prononcé.

De mon côté, je ne puis qu'engager les sections à examiner mûrement cette question.

Seulement, je ferai remarquer que les dispositions du projet de loi présenté se trouvent reprises dans les idées émises au Congrès, je n'ai fait que reproduire des opinions professées par des hommes éminents de cette assemblée.

A moins donc qu'on ne taxe nos constituants d'inconstitutionnalité, je tiens le projet présenté pour parfaitement conforme à la Constitution.

Encore quelques mots, messieurs, et je termine.

L'honorable ministre des affaires étrangères a cru devoir nous donner quelques conseils, qui, je n'en doute pas, sont inspirés par les meilleures intentions ; il me permettra cependant de ne pas en tenir compte. L'opposition, a-t-il dit (c'est ainsi qu'il nous désigne), l'opposition doit être satisfaite. Est-ce de l'opposition, messieurs, que de venir blâmer ici ce qui a été condamné par des arrêts de la cour militaire et de la cour de cassation ? L'opposition, a-t-il ajouté, a obtenu un très beau succès, elle s'est fait une très belle position.

Je ne comprends pas, messieurs, ces paroles. Ce n'est pas une vaine satisfaction d'amour-propre que nous sommes venus chercher ici, nous sommes venus appuyer la réclamation d'un citoyen qui était lésé ; ce que nous sommes venus demander, ce sont des garanties pour tous les citoyens et non pour le pétitionnaire lui seul ; nous l'avons fait pour qu'à l'avenir on sache que la responsabilité ministérielle, inscrite dans la Constitution et que l'on invoque si souvent, n'est pas un vain mot, une lettre morte.

Nous avons cru devoir défendre les droits des citoyens, vous ne pouvez nous en vouloir de ce qu'ils soient plus sacrés à nos yeux qu'aux vôtres.

Vous nous qualifiez d'opposition. C'est ainsi du moins que le fait l'honorable ministre des affaires étrangères. L'honorable ministre des finances me semble avoir été plus heureux dans son expression, lorsqu'il a dit que c'étaient ses amis qui les premiers étaient venus porter et défendre les réclamations du pétitionnaire en cette enceinte. Mais que vous nous appeliez opposition ou amis, nous n'en croyons pas moins faire notre devoir et nous saurons l'accomplir jusqu'au bout.

Je ne répondrai pas à certaines insinuations par lesquelles M. le ministre des affaires étrangères a terminé son discours en disant que ce serait autre chose que la défense des grands principes de liberté, de sûreté individuelle qui nous aurait fait agir. Nous n'avons aucun compte à rendre à ce sujet et nous n'avons à prendre conseil, dans cette affaire comme en toute autre, que de notre conscience.

Ce que nous avons voulu faire décider ici, c'est la question de savoir s» les ministres sont au-dessus de la loi ou s'ils ne doivent pas la respecter comme tous les autres citoyens, et si les infractions qu'ils commettent ne doivent pas entraîner pour eux les mêmes conséquences sinon des conséquences plus rigoureuses.

M. le ministre des affaires étrangères est venu déclarer que le pétitionnaire, comme nous, doit se déclarer satisfait puisque les actes commis par M. le ministre de la guerre ont été constatés comme illégaux, puisqu'il est démontré aujourd'hui que le pétitionnaire avait le droit de résister, que le ministre avait tort. Je n'hésite pas à dire que si ce système pouvait être admis par la Chambre ce serait là un déni de justice auquel je ne pourrais jamais me rallier.

(page 1506) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je veux relever quelques erreurs qui viennent d'être commises par l'honorable préopinant. Je serai extrêmement bref.

L'honorable membre s'est fort indigné de ce que, prétendument, j'aurais dit qu'il y a quelque chose d'immoral à dénoncer à la Chambre un acte arbitraire ou une arrestation illégale.

Je n'ai absolument rien dit de semblable. J'ai dit simplement qu'assimiler une erreur, un acte posé de bonne foi, à un crime ou à un délit et le traiter comme tel, serait contraire à tonte notion de bon sens et de morale. Voilà, messieurs, ce que j'ai dit et ce que je maintiens.

L'honorable membre vient de dire aussi que j'ai parlé d'une faveur faite au lieutenant-colonel Hayez, en ce qui concerne la promotion dont il a été l'objet de la part du ministre de la guerre en-1859. Je ne pense pas avoir prononcé le mot « faveur ».

M. de Gottal. - Il est possible que vous vous soyez servi des expressions : « Marque de bienveillance ».

(page 1507 M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez : Il faut être exact. Votre argument ne vaut rien du tout. Je ne me sus pas servi du mot « faveur », j'ai parlé uniquement du fait de la promotion, sans m'occuper des motifs pour lesquels la promotion a eu lieu. L'honorable membre, en supposant que j'avais parlé de faveur, a dit : « Il y avait si peu faveur que la promotion a eu lieu à l'ancienne.»

Or, l'honorable membre ignore sans doute que, dans l'armée, les promotions aux grades supérieurs sont toutes faites au choix. Je ne sais si M. Hayez était ou non le plus ancien ; ce fait est indifférent puisqu'il ne peut être une raison du choix. M.Hayez, pas plus que tout autre officier supérieur, n'a donc pu, comme l'a avancé l'honorable M. de Gottal, avoir été promu à l'ancienneté.

L'honorable membre, reproduisant la plaisanterie qu'il avait déjà faite, et qui n'en est pas meilleure pour être à si deuxième édition, a répété encore que ce poste d'honneur de Termonde, assigné au lieutenant-colonel Hayez, n'était qu'un poste où il s'agissait de commander quatre hommes et un caporal !

Messieurs, je ne discute pas ce point, je ne veux pas vous démontrer que divers officiers et même, des généraux sont, dans certaines positions, absolument sans troupes ; cela importe peu. Mais ce qui importe considérablement, c'est qu'un militaire ne puisse pas venir dire : «J e n'accepte pas le poste où vous m'envoyez, il n'y a pas assez d'hommes à commander. »

Avant tout, et dans tous les cas, un soldat doit obéir.

J'ai dit que les sections feraient bien d'examiner la question de constitutionnalité du projet de loi que l'honorable membre nous a soumis. Il me répond que ce projet de loi est fondé sur les opinions émises par un certain nombre de membres du Congrès, dans la discussion de l'article de la Constitution dont nous nous occupons. Mais il y a eu des opinions individuelles, il y a eu même des amendements formulés ; ces amendements ont été rejetés, et nous sommes aujourd'hui en présence du texte de la Constitution, tel qu'il a été admis par la majorité du Congrès.

C'est ce texte, et ce texte seulement que nous avons à apprécier.

Enfin, l'honorable membre a dit que, d'après la doctrine que nous défendons, les ministres seraient-au-dessus de la loi, en dehors de la loi, dans une position exceptionnelle et privilégiée, et qu'il déplorerait pour son pays qu'une pareille situation pût être sanctionnée par la Chambre.

Eh bien, c'est que l'honorable membre n'a pas suffisamment médité la Constitution, et étudié l'organisation des pouvoirs dans un pays constitutionnel comme le nôtre. Car, s'il avait approfondi cette organisation, il aurait vu qu'en effet les ministres sont, et cela de par la Constitution elle-même, dans une position exceptionnelle, privilégiée ; il le sont à ce point, aux termes de l'article de la Constitution que. l'honorable membre devrait avoir lu, que même pour les crimes et délits de droit commun, il y a encore des réserves à leur égard. Ne vous étonnez donc pas, je vous prie, qu'il puisse se rencontrer des cas où un ministre, posant tel ou tel acte, ne soit pas dans les mêmes conditions que les autres citoyens.

Vous, représentant, est-ce que vous ne jouissez pas d'une position privilégié-, exceptionnelle ? Ne peut-il pas arriver que, de cette tribune, vous lanciez des accusations qui compromettent la considération, l'honneur, les intérêts même d'un particulier ? Quel recours aura-t-il contre vous ? Aucun. Vous avez une disposition constitutionnelle qui vous déclare inviolables, qui vous met au-dessus de la loi commune. Ne vous étonnez donc pas que les ministres qui, non seulement ont le titre de représentant, mais qui, comme ministres, font partie du pouvoir exécutif, ne soient pas non plus exactement assimilés aux autres citoyens, pour les actes qu'ils posent dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans les discussions concernant la personne du pétitionnaire. Cela me serait difficile, cette personne m'étant complètement inconnue. Je ne m'occuperai que de la question de droit constitutionnel, dont la solution est dévolue à l'appréciation de la Chambre. C'est dans la discussion de cette question que j'entends me renfermer exclusivement ; j'entends aussi n'y consacrer que des considérations fort brèves.

J'ai pour cela une double raison : d'abord, c’est qu'il n’y a pas jusqu'à présent d'opposition de la part du gouvernement à ce que la proposition de loi déposée par les honorables MM. de Gottal et Goblet soit prise en considération. Le gouvernement se réserve seulement de faire subir une transformation à cette proposition de loi, soit lors de l’examen dans les sections, soit lors de la discussion publique.

Ma seconde raison, pour être bref, c'est qu'en définitive M. le ministre des finances qui, sur la question de droit constitutionnel, a été l’organe principal du gouvernement en cette matière, s'est borné à formuler des doutes, à soumettre des questions à l'attention de la Chambre, ne donnant pas, jusqu'à présent du moins, comme des opinions inébranlables les idées exprimées par lui au nom du gouvernement.

Messieurs, je suivrai la marche qui a été suivie par M. le ministre des finances ; je soumettrai, à mon tour, à la Chambre une théorie constitutionnelle que je crois préférable à celle qui a été exposée au nom du gouvernement.

A mon tour, j’appellerai sut cette théorie l'attention bienveillante de mes honorables collègues.

Toute la question de droit constitutionnel se résume, en définitive, dans l'interprétation de trois articles, les art. 24, 90 et 134. Examinons-les successivement et tâchons d'en préciser la signification.

L'article 24 de la Constitution porte :

« Art. 21. Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »

Quelle est l'origine de cet article ? D'après la constitution française de l'an VIII, qui avait été en vigueur en Belgique, des poursuites étaient impossibles contre un fonctionnaire, sans une autorisation préalable du conseil d'Etat. On a voulu débarrasser, à l'avenir, de cette entrave le particulier qui aurait à se plaindre d'un fonctionnaire qui croirait avoir, soit à provoquer contre lui des poursuites publiques, soit à lui intenter directement une action civile.

Mais on a cru qu'à ce principe d'égalité une restriction était nécessaire ; elle s'est formulée dans le paragraphe final ; elle a été stipulée en faveur des ministres.

Or, messieurs, la disposition de la Constitution de l'an VIII, que l'article 24 de la Constitution abolit en principe, permettant seulement de la rétablir pour les fonctionnaires qui sont au sommet de la hiérarchie ; cette disposition de la Constitution de l'an VIII, dis-je, admettait la nécessité d'une autorisation, tant pour l'action publique que pour l'action civile.

D'après l'article 24 de la Constitution, los lois pourront donc décréter la nécessité d'une autorisation, tant lorsqu'il s'agira de poursuivre un ministre par la vois répressive que lorsqu'il s'agira d'intenter contre lui une action civile.

Il y a, d'ailleurs, les mêmes raisons ; elles ont été exprimées au Congrès par l'honorable M. Lebeau.

Un ministre contre lequel une action civile pourrait être intentée, sans aucune entrave, sans aucune formalité, ce ministre pourrait être soumis à des procès vexatoires qui pourraient, dans un moment donné, compromettre même de graves intérêts publics.

Ainsi, nous inspirant de l'article 24 de la Constitution, nous ne pouvons que constater la nécessité d'une autorisation préalable, tant lorsqu'il s'agit de l'action publique que lorsqu'il s'agit de l'action civile.

Maintenant quelle organisation a reçue cette exception qui forme la phrase finale de l'article 24 ?

Nous avons d'abord l'article 90 de la Constitution. Cet article porte :

« Art. 90. La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors l'exercice de leurs fonctions.

« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. »

Comme organisation du principe posé dans la phrase finale de l'article 24, l’article 90 ne consacre donc qu'une chose : il détermine, pour le cas de l'action publique, par qui l'action publique devra être autorisée et quelle sera la juridiction qui sera appelée à y statuer.

Pour l’action civile, l'article 90 laisse entièrement en suspens la question de savoir quel pouvoir devra l'autoriser, la question de savoir quel sera le juge compétent pour la connaître. Ce sera à la loi à régler cet objet.

Le texte de l'article 90 démontre parfaitement qu'on n'a pas entendu y donner en termes exprès, à la cour de cassation exclusivement, le droit de juger une action civile qui pourrait être intentée contre un ministre ; abstraction faite de toute poursuite répressive. On n'a introduit la Cour de cassation comme pouvoir destiné à juger les ministres qu'à défaut de trouver dans notre organisation politique un pouvoir qui correspondît à 1a cour des pairs de France. On a agité la question de savoir si le Sénat ne devrait pas connaître de ces jugements, on a objecté que le Sénat étant un corps électif, n'étant pas un corps composé de membres inamovibles, ne pouvait être appelée à jouer en Belgique le rôle que la chambre des pairs remplissaient en France, lorsqu’elle se transformait en cour des pairs, en haute cour de justice dans certaines circonstances données.

Donc, le juge compétent pour l’action civile isolée n’est pas déterminé par l’article 90 de la Constitution ; le pouvoir qui devrait autoriser l’action civile isolée, n’a pas non plus été déterminer par cet article. Les discussions démontrent cependant, et j’aurais l’occasion d’y revenir, que la nécessité en était en général regardée comme constante, sans qu’on entendît à cet égard lier les législatures civiles.

Ce point, qui avait fait l'objet de quelque discutions au Congrès, a été laissé en suspens.

Voilà donc une première organisation incomplète de l'exception consacrée à la phrase finale de l'article 24 de la Constitution.

Cette organisation se complète en certains points par l'article 134 de notre pacte fondamental, ainsi conçu ;

« Art. 134. Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine.

« Néanmoins, la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sons préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales. »

De quoi s'occupe cet article ? Il ne s'occupe évidemment, messieurs, que de l'action publique. Pour l'action publique, on n'a pas voulu laisser en suspens la question de savoir quel pouvoir devrait autoriser les poursuites, quelles peines seraient prononcées et dans quel cas les poursuites devraient être autorisées. Nous ne trouvons, encore une fois, dans l'article 134 pas plus que dans l'article 90, des dispositions qui organisent l'exception consacrée par la phrase finale de l'article 24, en ce qui concerne l'action civile.

Mais, messieurs, où les principes des actions civiles sont-ils déposés ? Ils sont déposés dans la loi générale. Il ne reste à organiser pour une semblable action que la compétence et la procédure.

Les lois qui fixent la procédure, les lois de compétence sont applicables après leur promulgation à des faits accomplis avant leur promulgation ; elles se prêtent à de semblables applications sans passer pour être rétroactives.

Devant la demande dont nous sommes saisis nous pouvons donc faire une loi qui règle la compétence et la procédure quant à l'action civile à diriger contre le ministre. Elle pourra s'appliquer et s'appliquera, si la Chambre ne décide le contraire en termes exprès, à des faits émanés du ministre avant sa publication.

C'est à faire cette loi que les honorables MM. de Gottal et Goblet nous ont conviés par leur proposition.

En définitive, la confection d'une semblable loi ne soulève que deux points à résoudre.

Maintiendra-t-on la nécessité d'une autorisation pour l'action civile comme elle est expressément exigée par la Constitution pour l'action publique ? Dans ce cas, de qui émanera cette autorisation ? J'ai déjà donné mon opinion. C'était, je crois, celle de la majorité du Congrès.

D'après la lecture des articles, je crois qu’il y a les mêmes raisons que pour l'action publique d'exiger la même autorisation. Quant au pouvoir qui devra la donner, il me semble également que ce doit être la Chambre ces représentants ; dans le système de notre pacte fondamental, elle est toujours considérée comme la branche du pouvoir ayant les racines les plus populaires et représentant la société de la façon la plus directe.

Le second point à résoudre est de savoir quelle juridiction connaîtra des faits.

Je ne crois pas qu'il y ait ici nécessité de maintenir la cour de cassation comme juridiction exceptionnelle.

Je vous ai démontré comment la cour de cassation avait été appelée à juger l'action publique dirigée contre les ministres.

En l'absence d'une chambre inamovible, on ne trouvait plus de pouvoir correspondant à la cour des pairs de France, et cependant on voulait, pour ces accusations, une juridiction revêtant un caractère de majesté tout exceptionnel.

La cour des pairs en France n'a jamais été appelée à connaître des actions civiles conférées isolément.

Je ne crois pas non plus qu'il y ait lieu de déférer à la cour de cassation des actions civiles prises isolément.

Tout ce que nous avons à faire en principe du cas qui se présente, c'est une loi en deux ou trois articles, déterminant la nécessité d’une autorisation, le pouvoir qui sera appelé à la donner et la compétence des tribunaux ordinaires pour statuer sur l'action.

Devons-nous, cette loi faite, donner l’autorisation demandée par le pétitionnaire ?

C'est ce que nous aurons à examiner plus tard ; nous n'avons pas à nous en occuper aujourd'hui ; l'autorisation donnés en l'absence d'une loi qui la rende efficace serait sans effet.

A cette théorie constitutionnelle que je recommande à l’attention de la Chambre, M. le ministre des finances en a préféré une autre. D’après lui, la proposition de loi de MM. Goblet et de Gottal devrait renfermer la nomenclature de tous les cas de responsabilité ; il invoque à cet égard le texte de l’article 90 d la Constitution, dont le deuxième alinéa porte :

« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. »

Cela veut-il dire que tous les cas dans lesquels le ministre peut être civilement responsable devront être énumérés dans une loi ?

Il me semble que c'est donner à ces termes une portée qu'ils ne comportent pas.

Je crois que les cas de responsabilité, dont on a voulu parler, sont les cas où les ministres pourront être attraits en justice répressive pour des faits qui n'entraîneraient pas de semblables poursuites contre d'autres citoyens. (Interruption.)

Sans cela vous arrivez à cette conséquence que vous devriez non seulement faire une loi dans laquelle seraient prévus les faits spéciaux que les ministres pourraient commettre comme ministres, mais dans laquelle vous devriez encore énumérer tous les faits qui se trouvent dans votre Code pénal et dans les lois générales.

En lisant la première partie de l'article 90 on se sent invinciblement porté à mettre l'action civile sur le même pied que les crimes et délits commis par les ministres en dehors de leurs fondions.

Maintenant si vous voulez rattacher la fin du deuxième alinéa sur la poursuite des parties lésées au commencement de ce même alinéa, je réponds qu'il n'y a pas de relations grammaticales possibles entre les termes du commencement et ceux de la fin.

Du reste, indépendamment de la question du texte, il y a une raison pour qu'aux yeux du Congrès il parût impossible de déterminer tous les cas, toutes les circonstances de nature à engager la responsabilité civile d'un ministre. C'est qu'il est aussi impossible de faire une loi déterminant tous les cas pouvant engager la responsabilité civile d'un ministre qu'il est impossible de faire une loi déterminant tous les cas qui engagent la responsabilité civile d'un simple citoyen.

Dans le code civil français il y avait un article qui formulait le principe général, l'article 1382 :

« Celui qui par son fait aura causé un dommage à autrui, sera tenu de le réparer. »

Que l'on cherche à spécifier en détail tous les cas dans lesquels un pareil principe est applicable, on ne fera plus une loi, mais un recueil de jurisprudence, qui sera dans tous les cas incomplet, où il y aura toujours des mailles par lesquelles certains coupables pourront s'échapper.

Parmi les législations étrangères, il y en a une dans laquelle ou a voulu spécifier tous les cas où la loi serait applicable ; c'est le code prussien.

Il consacre à l’énumération de ces cas, 136 articles,

Ces 136 articles ont le grave inconvénient d'obscurcir les principes en prétendant les développer et de présenter une énumération incomplète qui ne peut pas remplacer des principes clairs, nettement formulés et facilement applicables.

Je ne crois donc pas qu'il faille commencer par la confection d'une loi déterminant tous les cas où la responsabilité civile d'un ministre peut être compromise, avant de procéder à la confection d'une loi de compétence et de procédure.

M. le ministre des finances est allé plus loin ; selon lui, il n'y a pas de responsabilité civile pour un ministre en dehors des infractions susceptibles d'être poursuivies par l'action publique. M. le ministre des finances n'a pu, me semble-t-il, invoquer en faveur de cette théorie ni le texte de la Constitution, ni les discussions qui ont précédé le vote de la Constitution, ni les législations antérieures, ni les principes généraux. Au contraire, partout où nous allons puiser, nous trouvons des arguments qui réfutent sa théorie.

Je viens déjà de vous donner lecture de l'alinéa de l'article 90 de la Constitution où il est question du mode de procéder contre un ministre, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. On admet donc que ces deux espèces de poursuites sont parfaitement indépendantes l'une de l'autre. Il est vrai qu'il y a une autre manière de lire cette disposition ; on peut dire qu'on règlera le mode de procéder « soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soi sur la poursuite des parties lésées dans le cas d’accusation (note du webmaster : un mot, commençant par « a » est illisible). »

Mais alors on ne lit plus le texte de la Constitution, on lit un texte de (page 1509) fantaisie, qu'on substitue au texte réel ; on lit l'interprétation qu'on veut faire prévaloir. Quant à moi, messieurs, plutôt que de chercher cette interprétation dans des mots arbitrairement ajoutés au texte, je préfère la chercher dans les discussions du Congrès ; là je trouve plutôt une tendance à laisser entièrement libre l'action civile, même contre un ministre ; l’honorable M. de Theux avait même proposé un amendement, d'après lequel l'action d'un particulier contre un ministre ne devait être soumise à aucune autorisation. Cet amendement a été rejeté, il est vrai ; mais en le rejetant le Congrès n'a pas rejeté le principe ; il a voulu laisser intacte la question de savoir si la législation future devrait exiger ou non l'autorisation.

Mais de la subordination de l'action civile à l'exercice de l'action répressive contre les ministres, de cela il n'y a aucune trace dans la discussion du Congres.

Dans les législations antérieures, nous trouvons encore la preuve que la théorie de M. le ministre des finances n'a jamais semblé prévaloir. Dans l'article 116 du Code pénal, il est question des peines à infliger au ministre qui aurait autorisé un acte contraire à la Constitution. Le ministre peut prétendre que la signature lui a été surprise ; en dénonçant l'auteur de la surprise, il échappe à la poursuite.

Lorsque cet article a été discuté au conseil d'Etat, M. Cambacérès a eu soin de faire remarquer que c'était là un cas d'excuse ; que si cette excuse soustrayait le ministre à toute poursuite publique, elle laissait intacte la question des dommages-intérêts, parce que l'excuse, ce sont à peu près ses propres termes, détruit l'infraction, mais non la faute qui peut vouloir une réparation.

Vous voyez donc, messieurs, que le texte de la Constitution, que les discussions qui l'ont précédée, que les législations antérieures, que rien enfin n'autorise la théorie absolue de M. le ministre des finances.

Quant aux principes généraux, il est à peine nécessaire de les invoquer : c'est un principe de justice éternelle que tout tort doit être réparé ; ce n'est que par une disposition formelle qu'on y peut dérober.

Je borne là, messieurs, mes considérations. J'ai dit en commençant quelles étaient les raisons qui me portaient à croire que le moment n'est pas venu de s'occuper des transformations que peut avoir à subir la proposition de loi dont nous nous occupons.

Le moment n'est pas venu d'en préciser toute la portée, imitant M. le ministre des finances, j'ai cru pouvoir dès maintenant soumettre à la Chambre quelques principes, sur lesquels j'appelle la bienveillante attention pour le moment où la proposition serait examinée dans les sections. J'ai dit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce débat me paraît un peu prématuré. Le gouvernement a accepté la prise en considération de la proposition, et ce n'est réellement que quand les sections seront saisies et lors de l'examen par la Chambre que nous pourrons aborder les nombreuses et sérieuses questions que cette proposition soulève.

Cependant, messieurs, je ne puis pas laisser passer sans réponse les principes soutenus par l'honorable M. Van Humbeeck, je ne puis accepter les arguments qu'il a fait valoir en faveur de la proposition déposée par les honorables MM. Goblet et de Gottal.

Selon l'honorable M. Van Humbeeck, il ne s'agit que de voter, d'adopter le projet de loi, il ne s'agit que de déterminer quel sera le tribunal compétent, pour juger de l'action civile qui serait intentée à un ministre.

Messieurs, je crois que l'honorable M. Van Humbeeck fait beaucoup trop bon marché du paragraphe 2 de l'article 90 de la Constitution. Sou système ne peut se soutenir qu'à la condition qu'on supprime ce paragraphe, tout au moins, qu'en en dénaturant le sens, en isolant les dernières dispositions de ce paragraphe des premières, qu'en supposant que la dernière partie de ce paragraphe n'a aucun rapport avec tout ce qui le précède.

Or, cela n'est pas admissible. Il suffit de lire le paragraphe 2 de l'article 90, pour se convaincre qu'il faut un projet de loi pour déterminer les cas de responsabilité avant de déterminer la juridiction qui doit en connaître.

Ce paragraphe porte, en effet : « Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et la manière de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. » Ainsi, messieurs, la Constitution s'est chargée elle-même de vous indiquer l'ordre dois lequel vous devez procéder.

Après avoir déclaré que la Chambre peut mettre les ministres en accusation, elle dit ce qu'il reste à faire : la législature déterminera les cas de responsabilité, puis elle déterminera les peines à infliger et ensuite elle fixera le mode de procéder contre eux « soit sur l’accusation admise par la Chambre, soit sur la poursuite des parties lésées. » Comment est-il donc possible de méconnaître un texte aussi évident, une marche que la Constitution vous trace d'une manière si claire et si péremptoire ? Est-ce ainsi qu’on propose de procéder ?

Non, on propose de le faire au rebours de ce que prescrit la Constitution. L'on dit : Il suffit de déterminer le mode de procéder contre les ministres. Vous laissez de côté les deux premières obligations qu'impose la Constitution, la détermination des cas de responsabilité et les peines à infliger. Vous commencez par la fin ; vous voulez déterminer une juridiction, sans dire dans quel cas elle pourra s'exercer. Cela n'est pas sérieux, cela n'est pas constitutionnel.

Ainsi, messieurs, quant à ce point, il me paraît hors de doute que l'honorable M. Van Humbeeck est dans une erreur complète et que le projet, tel qu'il est présenté, ne peut se soutenir.

Mais, dit l'honorable M. Van Humbeeck, si vous voulez une loi qui détermine tous les cas de responsabilité, vous exigez l'impossible ; il faudra faire tout un recueil de jurisprudence pour les cas de responsabilité civile, et reproduire toutes les lois répressives, pour les cas de responsabilité pénale.

Messieurs, je ne pense pas que ce soit là ce que la Constitution a voulu en exigeant que la loi détermine les cas de responsabilité.

Il y a certaines règles qu'on peut tracer, certains principes généraux qui détermineront la responsabilité ministérielle, sans que l'on ait besoin de spécifier chaque cas spécial, comme le croit l'honorable M. Van Humbeeck.

Une matière analogue et régie par le Code de procédure, c'est la prise à partie des magistrats.

La loi ne spécifie pas les cas, elle déclare que la prise à partie peut avoir lieu en cas de dol, de fraude, de concussion.

Pourquoi dans une loi sur la responsabilité ministérielle, en supposant un instant que les ministres puissent être responsables en dehors des infractions aux lois pénales, pourquoi ne suivrait-on pas les mêmes règles ?

Vous pourriez donc faire une loi sur la responsabilité ministérielle, sans être exposé, comme vous l'avez dit, à faire un recueil de jurisprudence, et sans avoir besoin d'insérer toutes vos lois pénales dans la loi sur la responsabilité ministérielle.

Maintenant un mot pour en finir sur ce qu'a dit M. Van Humbeeck, en répondant à mon collègue, M. le ministre des finances, qui avait dit que, d'après la Constitution, le ministre n'est responsable que quand il y a infraction à la loi pénale.

M. Van Humbeeck trouve qu'interpréter ainsi le texte de la Constitution, c'est lui donner non pas son sens véritable, mais un sens de fantaisie.

Je dois cependant lui faire observer que cette interprétation est en tous points conforme à la lettre de l'article 90 même, et qu'il trouve un appui dans l'article 134 qui suppose expressément qu'il ne s'agit que de crimes ou de délits, qui ne s'occupe de la responsabilité des ministres et de leur jugement qu'à ce seul point de vue.

J'admets que l'article 134 est transitoire, mais il n'en indique pas moins la pensée du législateur. L'on ne peut pas supposer qu'il ait admis pour la période transitoire d'autres cas de responsabilité ou moins de cas de responsabilité que pour la période définitive.

Nous retrouvons au surplus l’interprétation que nous défendons dans un document important du Congrès.

L'honorable M. de Brouckere, alors ministre des finances, a présenté, d'après l'ordre du gouvernement provisoire, un projet de loi sur la responsabilité ministérielle. L'article 13 et avant-dernier indique clairement que ce n’était que dans les cas de crime ou de délit que la responsabilité ministérielle était engagée.

L'article 13 porte : « Immédiatement après la clôture des débats, le président pose les trois questions suivantes :

« Tel acte est-il coupable ? l'accusé en est-il l'auteur ? l'acte a-t-il été posé de mauvaise foi ? La condamnation ne sera prononcée que quand ces trois questions auront été résolues affirmativement.

Vous voyez qu'on suppose l'infraction à la loi pénale ; on exige le fait criminel et l'intention de le commettre.

Rien n'indique, dans les débats du Congrès, qu'on se soit écarté de ces idées ; et tous les amendements que l'on aurait pu interpréter dans le sens d'une responsabilité en dehors d'une infraction à la loi pénale ont été rejetés.

Je n'en dirai pas davantage. Quand viendra la discussion du projet, nous reprendrons ce débat et il nous sera facile de démontrer l'inconstitutionnalité de la proposition qui vous est soumise.

M. Coomans. - Je regrette qu’en l’absence de M. le ministre de la guerre, l’un de ses honorables collèges présents ne se soit pas levé pur me donner la satisfaction que j’ai réclamée à la séance de samedi.

(page 1510) M. Hayez a été retenu illégalement sous les armes ; comme beaucoup d'autres militaires ont été et sont dans le même cas, je reviens à la charge et je mets positivement en demeure le gouvernement de me fournir, enfin, les explications que je sollicite depuis si longtemps... (Intervention.) Je ne demande que cinq minutes pour démontrer fort clairement que nos lois de milice sont complètement violées depuis trente ans, au détriment de milliers de citoyens laborieux. (Interruption.)

Tous les citoyens belges sont égaux devant la loi, du moins d'après ce que dit la loi. Devant des abus criants je considère comme un strict devoir de soutenir, en toute occasion, la thèse que je me suis imposée ; ma démonstration sera aussi évidente pour le moins que toutes celles que vous avez entendues, de part et d'autre, dans l'affaire Hayez.

Voici comment sont conçus les articles des lois de 1817 et de 1818 sur les congés temporaires à délivrer aux soldats.

L'article 169 dit : « Dans les temps ordinaires trois quarts au moins du nombre total de la milice nationale seront renvoyés dans leurs foyers munis de congés. »

Voici l'article 170 : « Le quart qui peut rester en service sera composé en premier lieu des réfractaires qui ont été incorporés sans concourir au sort, en second lieu des miliciens qui désirent rester au service et enfin des remplaçants.

« Si le quart requis n'est pas complété par ce moyen, il y sera suppléé entre les volontaires et autres miliciens par la voie du sort, sous l'inspection de l'officier commandant du corps, en observant que ceux désignés ainsi par le sort pour rester au service seront de droit compris les années suivantes dans le nombre de ceux à qui il sera accordé un congé, à moins qu'ils ne préfèrent rester sous les drapeaux. »

Ainsi s'exprime la loi de 1817.

Voici maintenant la loi de 1818 qui la confirme sur le point qui m'occupe :

« Art. 7. Pour compléter le quart de la milice nationale, qu'il nous est loisible de tenir réuni, conformément à l'article 208 de la loi fondamentale, seront désignés en premier lieu : les hommes qui, ayant voulu se soustraire au service, ont été incorporés, sans qu'ils aient tiré au sort ; ensuite ceux qui ont été incorporés pendant l'année courante, puis ceux qui désirent rester au service, et enfin les remplaçants.

« Si, après cette opération, le quart ne se trouve pas complet, le nombre manquant sera pris dans celui des autres miliciens par tirage au sort, sous la surveillance du commandant du corps. »

A cet égard, je ne connais pas d'autre disposition légale ; j'ose affirmer qu'il n'en existe pas. Donc celles que je viens de vous lire sont encore en vigueur.

Il est impossible que des textes de loi soient plus clairement écrits. La loi nous dit nettement quels sont les hommes dont peut se composer l'effectif sous les armes. Ce sont : les hommes qui, ayant voulu se soustraire au service, ont été incorporés, à savoir : les réfractaires ; ensuite ceux qui ont été incorporés pendant l'année courante, c'est-à-dire ceux qui reçoivent l'instruction ; puis ceux qui désirent rester au service, ce qui est fort naturel, et enfin les remplaçants. Voilà les éléments de l'effectif sous les armes. Les hommes supplémentaires ne peuvent être désignés que par le sort.

Or, que fait le gouvernement ? Aux quatre catégories légales, il en ajoute une cinquième : celle des miliciens qui ont des dettes. Ceci est une illégalité flagrante et odieuse. Si le législateur avait considéré la dette du soldat envers sa masse comme une cause de service obligatoire, il l'aurait dit.

II n'en a rien dit dans aucune des lois en vigueur,

M. J. Lebeau et M. Guillery. - Cela n'est pas à l'ordre du jour.

M. Coomans. - C'est parfaitement à l'ordre du jour, à moins que l'honorable M. Lebeau ne prétende qu'il ne s'agit ici que de réprimer les infractions commises par un ministre à l'égard de gros fonctionnaires.

M. Guillery. - Nous ne discutons pas une loi sur la milice.

M. Coomans. - Vous faites une loi de responsabilité ministérielle, et je déclare, qu'à mon sens, le milicien Deswerts a aussi bien le droit de demander une réparation civile à M le ministre de la guerre que M. Hayez. Il a exactement le même droit, et nous ne parlons pas seulement en faveur des officiers supérieurs ; nous parlons, nous devons parler en faveur de tous les membres de l'armée. (Interruption.)

Mais, messieurs, je suis peiné, froissé, presque indigné du peu de bienveillance avec lequel vous écoutez la preuve la plus péremptoire que jamais on ait pu vous donner d'une illégalité. (Nouvelle interruption.)

M. le président. - M. Coomans, je vous fais remarquer qu'il s'agit de la prise en considération de la proposition de loi de MM. de Gottal et Goblet.

M. Coomans. - M. le président, je ne perds pas ce point de vue. Je viens démontrer par des arguments ad hoc qu'il y a lieu de prendre en considération le projet de loi. (Interruption.) Quand vous avez parlé pendant de longues séances de M. Hayez et en faveur de M. Hayez, vous pouvez bien me permettre de vous parler ici de 5,000, 6,000, peut-être 8,000 miliciens qui sont arbitrairement traités et dans une situation pire que celle de M. I lavez.

Les congés doivent se distribuer par la voie du tirage au sort ; on les donne par faveur. La dette n'est pas une cause légale de service, et vous maintenez sous les armes les endettés. Cela est illégal et odieux.

Du reste, vous avez un excellent moyen de prévenir désormais mes réclamations, qui, je vous en avertis, se reproduiront bien souvent encore, au risque de vous ennuyer, si vous n'employez pas ce moyen.

Ce moyen, c'est de me réfuter. Prouvez-moi que l'on a le droit d'exercer la contrainte par corps sur des miliciens qu'on a endettés sans leur assentiment, et je me tais.

M. de Brouckere. - Vous, vous exercez la contrainte sur nous. (Interruption.)

M. Coomans. - C'est mon droit, c'est mon devoir, je parlerai malgré vous, contre vous. (Interruption.)

- Un membre. - Occupez-vous de l'affaire Hayez.

M. Coomans. - Est-il donc si digne de la Chambre de s'occuper exclusivement de la question de savoir si un certain nombre de pièces de 5 francs sortiront de la poche de M. le général Chazal pour entrer dans celle de M. Hayez ? Cela ne m'intéresse pas. Je ne puis croire que tel soit le but du projet de loi. Si vous croyez que M. le général Chazal a violé la loi, qu'il l'a violée d'une façon telle, qu'il doive en rendre compte à la justice de votre pays, mettez-le en accusation.

Alors je prendrai part à ce débat. Mais aujourd'hui vous vous bornez à prévoir le cas où une certaine somme d'argent sera donnée par tel haut fonctionnaire à tel subordonné. En vérité, je ne puis me passionner pour si peu. (Interruption.)

Messieurs, je parle argent aussi. Je viens vous prouver que vous occasionnez par votre tolérance un tort énorme à des milliers de Belges.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a des précédents.

M. Coomans. - Sans doute, et cette question n'est pas politique. C'est pourquoi vous devriez tous m'écouler de sang-froid. (Interruption.) On me dit que mes amis politiques ont aussi toléré cette violation de la loi. Soit. Je regarde mes amis politiques comme aussi coupables que vous, plus coupables même, parce qu'ils ont pris l'initiative de l'abus.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ajournez ces observations jusqu'à la loi sur la milice.

M. Coomans. - L'honorable ministre des affaires étrangères me conseille d'ajourner ceci jusqu'au jour où l'on présentera le projet de loi sur la milice. Je ne demande pas mieux, mais c'est parce que je ne vois pas venir ce projet, que je saisis toutes les occasions qui se présentent de renouveler mes réclamations. Ah ! si MM. les ministres veulent déposer, cette semaine, le projet de loi qu'ils nous avaient promis pour Pâques, tout au plus tard pour la Trinité, je me rassieds. (Interruption.)

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous avez raison, M. Coomans, continuez.

M. Coomans. - Bien que ce projet de réforme de la milice nous ait été promis pour Pâques, dès le mois de janvier, il n'est pas encore déposé. J'espère qu'il viendra ; il est temps. Est-ce ma faute si tant de solennelles promesses n'ont pas été tenues ?

Pour le moment, je me borne à maintenir que c'est une grave illégalité de garder de force sous les drapeaux des hommes pour l'unique raison qu'ils ont des dettes à la masse. Cela est illégal, je le répète pour la centième fois, parce que ce service supplémentaire très dur et même ruineux pour beaucoup d'homme', n'a pas été prévu par la loi, n'est pas permis par la loi, donc est condamné par la loi.

Maintenant un dernier mot sur François Deswerts, une des victimes de l'application arbitraire d'une lot déjà trop arbitraire. (Nouvelles interruptions)

S'il vous plait, messieurs, Deswerts, n'est pas un lieutenant-colonel, mais c'est un Belge, sa famille est pauvre, très pauvre, mais honnête (interruption) et la loi peut être violée au détriment d'un pauvre aussi bien et plus facilement qu'au détriment d'un riche.

Voici les faits, ils ont été mal exposés, l'autre jour, quand on m'a contredit très à la légère.

Je m'efforcerai d'être très bref si vous ne m'obligez pas à être long. Aussi bien je dirai toujours tout ce que j'ai à dire.

(page 1511) En 1860, un enfant unique tombe au sort, il se présente devant le conseil de révision, et prouve qu'il est enfant unique. Le conseil lui donne un congé d'un an. Il prouva en cette année 1860 que sa mère avait plus de 60 ans.

L'année suivante, il comparait devant la conseil pour avoir à renouveler cette preuve qu'il était enfant unique, c’est-à-dire que sa mère ne lui avait donné ni frère ni sœur depuis un an. (Interruption..)

- Un membre. - C'est absurde.

M. Coomans. - Messieurs, c'est la loi : Absurda lex, sed lex.

On lui avait dit que, comme enfant unique, il était définitivement exempté du service. Se croyant libéré, il ne fournit pas le nouveau certificat. Il eut tort, on le lui prouva bien, car il fut incorporé.

Jusque-là les faits se passent assez légalement.

L'incorporation était absurde, mais légale. Sur les plaintes réitérées de François Deswerts et des deux vieillards dont il était le seul soutien, qu'arrive-t-il ? Nous signalons les faits au gouvernement et à la Chambre, il y a 5 mois ; le gouvernement reconnaît que ces faits sont très fâcheux, qu'il ne peut pas libérer le milicien, ce qui est vrai, mais il nous assure qu'il lui donnera des congés successifs de manière à le laisser chez lui. Eh bien, ces congés promis, accordés peut-être, n'ont pas eu d"effet.

L'autorité communale d'Anvers, l'honorable M. Loos en tête sollicite le renvoi de Deswerts dans ses foyers, et l'autorité communale d'Anvers n'obtient pas même de réponse.

Deswerts est maintenu de force au régiment, il y est encore et Dieu sait combien de temps il y restera, puisqu'il ne sera congédié que lorsqu'il aura payé 85 fr. ! Et ses parents n'ont pas le sou, ni lui non plus. Privés depuis un an de leur enfant unique, leur seul gagne-pain, les deux malheureux vieillards seraient déjà morts de faim, si leur misère n'avait été soulagée. Voilà un beau texte à plaintes, voilà de quoi invoquer la justice si elle ne coûtait pas si cher ! Mais Deswerts est un pauvre diable !

M. le président. - M. Coomans, cela ne se rattache pas directement à l'objet qui nous occupe ; tâchez de vous renfermer dans la question de la prise en considération.

M. Coomans. - On a expliqué dix fois l'affaire Hayez et on n'a jamais été interrompu. (Interruption.)

Il s'agit de la responsabilité ministérielle, et mon intention est, puisque M. le ministre des finances a déclaré tantôt que les ministres sont responsables de tous les actes de leurs subordonnés, mon intention est de faire intenter un procès par Deswerts à l'honorable ministre de la guerre pour obtenir la réparation du dommage injustement causé. Vous voyez que je suis tout à fait dans la question, au cœur de la question posée par la proposition de loi.

Maintenant, messieurs, je vous le demande, quand il est démontré que la loi a été violée ou tout au moins méconnue, quand cela est démontré aux ministres eux-mêmes qui le reconnaissent, qui en font l'aveu en pleine Chambre, qui promettent à un représentant d'avoir égard à la réclamation, de renvoyer dans ses foyers un malheureux qui n'a rien obtenu de l'Etat, ni appointement, ni pension, ni décoration, et quand ce même homme est maintenu de force dans une situation illégale, je demande si mon droit n'est pas de signaler de pareilles monstruosités et si votre devoir n'est pas de m'écouter ?

M. H. Dumortier et M. Kervyn de Volkaersbeke. - Très bien !

M. Coomans. - Je reviendrai sur tout ceci à la prochaine occasion.

M. Guillery. - Messieurs, je serai très bref, car, ainsi qu'on l'a dit, le débat est un peu anticipé, il est cependant des théories tellement importantes, qu'il est impossible qu'elles se produisent, devant la Chambre sans donner lieu à quelque discussion.

D'abord je rappellerai à l'honorable préopinant qui prend à tache de rapetisser souvent les questions, qu'il ne s'agit pas uniquement de pièces de 5 fr. pour lesquelles il paraît professer tant de dédain, mais qu'il s'agit d'une grande question de principe. Il s'agit de savoir comment un citoyen lésé peut obtenir réparation de l'injustice commise à son égard.

Quelque opinion que l'on ait, que l'on considère la loi qu'il s'agit de faire comme ayant ou comme n'ayant pas un effet rétroactif, personne ne peut contester qu'il y a ici un débat grand, sérieux et digne de toute l'attention de la Chambre.

Si la Chambre, par intervalle, s'est occupée de questions peu dignes d'elle, je ne crois pas que ce soit à l'honorable membre à le lui reprocher.

On a dit, messieurs, du projet de loi présenté, qu'il consacrait un principe de rétroactivité, que la Constitution jusqu'à ce qu'une loi ait été faite sur la responsabilité ministérielle, laisserait les citoyens désarmés, lorsqu'ils seraient victimes d'actes arbitraires d« la part des chefs du pouvoir exécutif.

Il faudrait, pour qu'un citoyen pût obtenir réparation, que le fait dont il aurait à se plaindre fût assez grave pour entraîner la mise en accusation. En dehors de cette mise en accusation, le citoyen se plaindrait en vain ; il n'aurait qu'une satisfaction morale, comme les ministres n'auraient qu'une responsabilité morale qui leur pèse déjà si lourdement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous avons l'article 114.

M. Guillery. - Oui, vous avez la mise en accusation, mais la mise en accusation suppose un fait d'une très haute gravité, et je me place dans l'hypothèse où le fait n'est pas assez grave pour entraîner la mise en accusation.

On peut supposer aussi le cas où même, en présence d'un fait des plus graves, la Chambre, corps politique avant tout, ayant à apprécier les circonstances ou les services rendus par le ministre, l'importance qu'il y a de le conserver aux affaires, à raison de la situation du pays, où la Chambre, dis-je, usant de son droit, juge qu'il n'y a pas lieu de prononcer la mise en accusation quelque grave que puisse être le fait incriminé

Cela peut se présenter, mais en dehors de cela, en dehors de l'action criminelle, il y a l'action du citoyen lésé, et ce n'est pas l'action consacrée par la Constitution ou par le Code civil, c'est l'action de droit nature et, à moins qu'on ne me montre dans une de nos lois une disposition expresse qui interdise au citoyen de demander réparation du dommage qu'il a souffert, je dis que c'est là un droit sacré. Quiconque a souffert un dommage a le droit de demander réparation.

Les ministres sont sous ce rapport sur la même ligne que les particuliers. Il y a une exception, c'est qu'ils ne peuvent être poursuivis qu'avec l'autorisation de la Chambre ; mais cette exception vous ne pouvez pas l'étendre, elle doit rester renfermée dans les limites tracées par la Constitution.

On a, messieurs, défendu déjà cette théorie qui serait désastreuse, car enfin, d'après ce que nous avons entendu dire, dans ces deux dernières séances, sur la difficulté qu'il y aurait de faire une loi sur la responsabilité ministérielle, d'après tous les obstacles que rencontre déjà la proposition si simple de MM. Goblet et de Gottal, d'après ce que nous voyons depuis 32 ans, nous devons croire que jamais il n'y aura une loi sur la responsabilité ministérielle, de manière que le vœu de l'article 90 ne sera jamais rempli et que les cas qu'il prévoit ne se réaliseront jamais.

Pour moi, je comprends l'aricle. 90 comme l'honorable M. Van Humbeeck ; je pense que si « une loi doit déterminer les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, » il y a là une question de procédure d'abord, ensuite des cas de responsabilité ministérielle tout à fait spéciaux qui ne peuvent concerner que les ministres ; mais que, pour ce qui est de droit commun, les ministres sont tenus des actions en dommages-intérêts comme les simples particuliers.

S'il en était autrement, un ministre pourrait ordonner une arrestation arbitraire dans les circonstances les plus graves.

Les fonctionnaires inférieurs attraits devant les tribunaux devraient, d'après la jurisprudence comme d'après les termes précis des articles 113 et 114 du Code pénal, être mis hors de cause ; les fonctionnaires inférieurs, agissant d'après les ordres du ministres, sont couverts par le ministre ; . dis lors le citoyen serait sans réparation, à moins que la Chambre ne consentît à mettre le ministre en accusation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mettez-nous en accusation.

M. Guillery. - Je comprends pourquoi vous dites : « Mettez-nous en accusation. » Lorsque l'autre jour vous disiez à l'honorable M. Van Overloop : « Faites usage de l'article 90 ; mettez-nous en accusation, » vous saviez fort bien qu'il n'en était pas question. S'il en était question, vous seriez beaucoup plus prudents.

Personne n'a voulu aller jusque-là ; personne n'a demandé la mise en accusation de M. le ministre de la guerre ; personne n'a vu dans les faits qui lui sont reprochés avec raison, un caractère de criminalité assez grave pour provoquer sa mise en accusation.

Est-ce à dire pour cela qu'un particulier doive souffrir, parce que le délit commis à son égard n'est pas un peu plus grave, parce qu'il n'a pas été un peu plus maltraité ? Si l'arrestation arbitraire avait eu un caractère plus criminel, il y aurait mise en accusation et dès lors la partie lésée exercerait une action civile devant la cour de cassation. Mais elle serait complètement désarmée d'abord parce qu'en ne trouve pas au fait un caractère criminel, et ensuite parce qu'on se souvient des services rendus par M. le ministre de la guerre.

(page 1512) On a soutenu cette thèse que, comme il n’y avait pas de loi définissant les crimes et délits ainsi que les actes de responsabilité des ministres, on ne pouvait pas appliquer l’article de la Constitution ; on l’a soutenue en 1830, on l’a soutenue devant la cour des pairs, lorsque les ministres de Charles X ont été traduits devant elle. On a dit : « Il y a bien l’article 56 de la charte de 1814 qui parle de la responsabilité ministérielle, mais en l’absence de toute loi, vous ne pouvez caractériser l délit, vous ne pouvez appliquer de peine ; ce serait de la rétroactivité. »

Qu'a fait la cour des pairs ? Elle a répondu par un arrêt qui condamne de trahison, délit qui n'existait pas dans la législation criminelle ; qui applique la peine de la détention perpétuelle qui n'existait pas non plus.

II entrait donc dans les attributions de la cour des pairs d'alors, comme il entre aujourd'hui dans celles de la cour de cassation, de caractériser un délit non prévu, de créer une peine.

Ce fait était beaucoup plus grave, cette décision avait bien un caractère de rétroactivité bien plus spécieux que ne l'aurait une loi autorisant simplement des poursuites contre un ministre pour un fait dommageable.

Messieurs, qu'est en définitive la proposition de loi qui vous est soumise ? C'est une loi de procédure. une loi qui fixe les attributions, qui détermine le tribunal qui aura à connaître de l'action civile ; et qui dispose eu même temps que l'action civile ne pourra être intentée qu'avec l'assentiment de la Chambre. C'est une loi de compétence.

Les lois de compétence ne sont jamais rétroactives. Est-ce que les crimes et délits sous l'empire de la législation où le jury n'existait pas, n'ont pas été jugés par le jury ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Personne n'a soutenu cela.

M. Guillery. - L'honorable ministre de la justice a dit qu'il y aurait un effet rétroactif dans le fait de porter aujourd'hui une loi qui attribuât à un tribunal le droit de connaître d'une action civile intentée pour actes de son administration accomplis antérieurement à cette loi.

MjT. - Jamais je n'ai soutenu cela.

M. Guillery. - Tant mieux ! Donc, selon vous, la proposition de loi ne doit être repoussée que parce qu'il n'y a pas jusqu’à présent de loi qui détermine les cas de responsabilité ministérielle...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et parce qu'il reste à examiner, s'il y a d'autres cas de responsabilité quant aux crimes et délits.

M. Guillery. - Soit ! vous admettez donc que pour les crimes et délits il y a responsabilité ; pour ce cas, vous voulez bien admettre qu'un ministre puisse être poursuivi ; mais en cas de dommage, en cas d'application de l'article 1382 du Code civil, vous voulez que le citoyen reste complètement désarmé ; il l'a été pendant 32 ans, et il le sera à toujours, puisqu'on nous présente cette loi sur la responsabilité ministérielle comme hérissée de tant de difficultés qu'on ne peut guère espérer de la voir déposer par le gouvernement, et que quand nous prendrons l'initiative d'une proposition de loi, on nous objecte qu'elle ne peut pas aboutir.

Messieurs, je crois que l'article 90 de la Constitution ne peut autoriser un principe en suite duquel les ministres seraient affranchis de toute espèce de responsabilité civile pour leurs actes, sauf le cas d'un crime ou d'un délit ; c'est là une doctrine contre laquelle je veux protester. Voici quelle en serait la conséquence étrange.

Dans l'affaire qui a été rappelée au commencement de la séance, on a poursuivi M. l'administrateur de la sûreté publique en dommages-intérêts pour une expulsion illégale ; ce qui prouve, en passant, le peu de fondement de la thèse qui a été développée dans la dernière séance et d'après laquelle il faudrait mauvaise foi pour qu'il veut poursuite... ! A coup sûr, ici personne n'a accusé M. l'administrateur de la sûreté publique de mauvaise foi, et cependant il a été condamné à 300 fr. de dommages-intérêts sur la poursuite de la partie lésée.

Si l'administrateur de la sûreté publique avait excipé de l'ordre du ministre de la justice, non seulement il n'aurait pas été poursuivi, mais le ministre lui-même ne l'aurait pas été, et la partie lésée aurait été complètement désarmée pour demander réparation des persécutions dont elle avait été illégalement l'objet ! Enoncer cette théorie, n'est-ce pli la juger ?

Comment ! l'administrateur de la sûreté publique, agent indépendant du ministre de la justice...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'est pas indépendant.

M. Guillery. - Il n'est pas indépendant en ce sens qu'il doit obéir au ministre de la justice, mais il est indépendant en ce sens qu'il ordonne une expulsion de son autorité privée. (Interruption.)

C'est dit dans l'arrêt de la cour de cassation ; c'est M. Hodv lui-même qui le déclare devant la cour d'appel par l'organe de son conseil ; et cela est constaté, je le répète, par l'arrêt de la cour de cassation. Il me semble que si quelqu'un devait le savoir, c'est bien M. Hody.

Voici ce que nous lisons dans l'arrêt de la cour de cassation.

(L'orateur donne lecture de cet arrêt.)

Ainsi même en cassation, où l'on invoque comme moyen de cassation, que l’administrateur de la sûreté publique avait agi sous l'autorité du ministre, on n'a pas été jusqu'à prétendre, que ce fût sur l'ordre du ministre qu'il avait agi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est comme cela cependant.

M. Guillery. - Mais alors je trouve étonnant que tout le monde se soit trompé.

C'est d'abord l'administrateur qui ne connaît pas le premier mot de ses fonctions, qui ne donne pas à son conseil, l'un des premiers avocat du barreau de Bruxelles, les instructions qui lui permettent de comprendre ce qui s'est passé.

C'est par générosité que M. Hody s'est fait condamner. Puis cette générosité en appel s'évanouit en cassation. Avouez que c'est étrange !

Enfin il faut dire que tout le monde s'est trompé. Il faut également admettre que M. le ministre de la justice d'alors ne s'est nullement préoccupé de ce procès, qu'il n'a pas donné d'instructions à l'avocat chargé de le plaider, qu'il ne s'est nullement inquiété de l'arrêt qui pouvait intervenir sur un point aussi important.

Ainsi, messieurs, la condamnation est due à cette circonstance que l'administrateur de la sûreté publique n'a pas dit à la justice ce qui était vrai, qu'il a laissé croire qu'il agissait sous son autorité privée.

Cette circonstance vous prouve, une fois de plus, combien il est nécessaire qu'on admette le principe que les ministres sont responsables, car s'il avait fait valoir ce que, suivant vous, il aurait dû faire valoir, la responsabilité du ministre, Mlle Jones aurait été désarmée ; elle n'aurait pas eu de dommages-intérêts.

Et il n'eût pas été possible de créer une loi qui lui eût donné le droit de poursuivre le ministre devant les tribunaux, parce que cette loi aurait dû avoir un effet rétroactif, et que, selon vous, il faudrait faire une loi qui ne s'appliquerait qu'aux événements à venir.

Cette doctrine, nous ne pouvons la laisser passer sans protestation.

Pour nous, il est évident que le principe de l'article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute de qui.... » est un principe de droit naturel et qu'il est applicable aux ministres comme aux autres fonctionnaires de l'Etat.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) et M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et aux représentants aussi ?

M. Guillery. - Il n'est pas appliqué aux représentants pour les cas exceptés par la Constitution.

Il est clair que lorsque la Constitution dit que les représentants ne pourront être poursuivis pour les opinions manifestées dans cette enceinte, la question n'est pas discutable.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La Constitution dit qu'une loi déterminera les cas pour les ministres.

M. Guillery. - Oui, pour le cas de responsabilité ministérielle, il n'est dit nulle part que le dommage ne sera pas réparé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut une loi.

M. Guillery. - Si l'on était venu dire au Congrès que les ministres ne seraient pas responsables des dommages causés par leur fait, il n'y aurait eu qu'une voix contre une pareille théorie.

Je viens de vous démontrer que souvent en cas de délit d'arrestation arbitraire, le ministre ne serait pas poursuivi criminellement parce qu'il se pourrait que la raison d'Etat empêchât de poursuivre.

Il n'y aurait donc aucune réparation matérielle, il n'y aurait qu'une réparation morale.

Pour me servir d'une expression qui a été déjà employée, je déclare que je trouverais cela souverainement immoral.

- La discussion est close.

La prise en considération est mise aux voix par assis et levé.

Elle est adoptée.

La proposition sera soumise à l'examen des sections.

Les conclusions de la commission des pétitions tendantes au dépôt de la pétition du sieur Hayez au bureau des renseignements sont mises aux voix et adoptées.

La séance est levée à 4 3/4 heures.