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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14 mai 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1261) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., fait l'appel nominal à' deux heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.


M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des fabricants, négociants et exportateurs, intéressés à l'industrie linière, demandent que l'établissement du Phœnix, à Deurne, soit affranchi des servitudes militaires dont il se trouve frappé par suite des nouvelles fortifications d'Anvers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Grez-Doiceau prient la Chambre d'indemniser les cultivateurs du tort que leur causent les plantations sur les routes de l'Etat et des provinces, si l'on accorde une indemnité aux propriétaires de terrains frappés de servitudes militaires. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Wespelaer demande des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Lezaack prie la Chambre de statuer sur sa pétition par laquelle il demande le payement du prix qu'il a obtenu au concours institué pour rechercher la meilleure arme de guerre. »

- Même renvoi.


« Des industriels, propriétaires et cultivateurs dans l'arrondissement de Verviers et dans les cantons de Vielsalm et d'Houffalize prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de jonction Belge-Grand-Ducale. »

- Même renvoi.


« La commission belge de l'exposition universelle de Londres adresse 118 exemplaires du catalogue des produits de l'industrie et des œuvres d'art, envoyés par la Belgique à l'exposition universelle de Londres. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, une demande de grande naturalisation du sieur de Cunchy, Ferdinand-Hilarion-Guislain, propriétaire, demeurant à Villers-sur-Lesse. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« MM. Dechamps, Dautrebande, Kervyn de Volkaersbeke et de Vrière, retenus par une indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Projets de loi érigeant les communes d’Auderghem et de Framont

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai l'honneur de déposer :

Un projet de loi tendant à séparer le hameau d'Auderghem de la commune de Watermael-Boitsfort ;

Un projet de loi tendant à séparer la section de Framont de la commune d'Anloy (province de Luxembourg).

- Il est donné acte à M.' le ministre de la présentation de ces projets de loi. Ils seront imprimés et distribués.

M. de Brouckere. - Je demanderai le renvoi de ces deux projets à des commissions spéciales.

M. Allard. - Nommées par le bureau.

- Les deux projets sont renvoyés à des commissions qui seront nommées parle bureau.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. de Paul. - J'ai l'honneur de déposer deux rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués. Ils seront mis à la suite des objets à l'ordre du jour.

- M. Ernest Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

Rapports sur des pétitions

Discussion du rapport sur les pétitions d’Anvers

M. le président. - La parole est à M. Devaux.

M. Devaux. - Messieurs, je n'ai pas voté la loi qui a décrété la grande enceinte, la citadelle du Nord et tout le système des fortifications d'Anvers, en voie d'exécution dans ce moment. C'est une des raisons pour lesquelles je prends la parole. Je l'aurais prise depuis l'origine de ces débats qui datent déjà de quelque temps dans la Chambre ; mais depuis quelque temps aussi, ma santé ne m'a pas permis de parler sur des matières qui exigent quelques développements.

J'ai hâte, messieurs, de repousser bien loin de moi la solidarité de beaucoup de choses qui se disent aujourd'hui contre les fortifications que je n'ai pas votées, et à propos de ces fortifications.

Si je n'ai pas donné mon vote à la loi, ce n'était pas pour plaire ou déplaire à telle ou telle localité ; pas plus que pour plaire ou déplaire à telle ou telle influence extérieure.

Je n'ai pas cru que la dépense qu'on allait faire excédât les ressources financières du pays. Je trouverais assez difficile à expliquer comment une dépense qui ne nécessite pas une augmentation d'un denier des contributions peut excéder les ressources publiques.

J'ai refusé mon vote à la loi par le seul motif qui me paraît légitime en pareille circonstance, par un motif puisé dans l'intérêt de la défense nationale.

J'étais convaincu que la défense du pays devait être centralisée sur un point. Mais on ne m'avait pas convaincu que ce point dût être Anvers plutôt que Bruxelles.

Mais, messieurs, si ce dissentiment a existé entre moi et la majorité à cette époque, si je me suis abstenu au vote, aujourd'hui que la loi est votée, qu'elle est en cours d'exécution, je croirais trahir mes devoirs de représentant et de citoyen si je demandais que l'exécution en fût suspendue ou si j'y apportais des obstacles.

Messieurs, je n'inculpe pas les intentions.

Mais si l'on voulait imaginer un moyen de nuire à la Belgique, de lui faire perdre en un jour ce qu'elle a gagné d'influence morale par les trente années de son honorable existence politique, certes on ne s'y prendrait pas autrement.

Placez-vous au lendemain du jour où vous auriez décidé, directement ou indirectement, que le système des fortifications d'Anvers ne sera pas achevé, et demandez-vous quel serait l'effet de cette décision en Belgique et à l'étranger.

N'y aurait-il pas dans le pays un véritable découragement ? Ne serait-ce pas comme si vous aviez déclaré que vous désespérez de son indépendance ? Et au-dehors ne seriez-vous pas la risée de l'Europe ?

Je regrette que ce qui est si évident n'ait pas été compris partout.

Encore une fois, je n'inculpe par les intentions des pétitionnaires et je prie surtout l'honorable bourgmestre d'Anvers d'être convaincu que je ne méconnais ni son honorable caractère ni les efforts qu'il a faits pour que les choses se passassent à Anvers comme elles auraient dû se passer ; mais je crois qu'il est indispensable qu'on dise à cette tribune qu'il y avait autre chose à faire pour un corps composé d'hommes aussi considérés, pour un corps aussi haut placé que le conseil communal d'Anvers, que de nous adresser la pétition dont nous sommes saisis.

Je regrette qu'on ait oublié dans quelle position l'on se mettait soi-même, dans quelle position on nous mettait quand à propos d'une loi qu'Anvers a arrachée à la Chambre et dans laquelle la Chambre a fait à cette ville des sacrifices énormes, on vient lui reprocher avec amertume d'avoir cédé à des vœux qu'on lui exprimait naguère avec tant d'ardeur.

On a été, à Anvers, jusqu'à décerner une médaille aux représentants qui avaient défendu la loi. Le conseil communal lui-même, si je ne me trompe, leur a voté des remerciements à l'unanimité, moins une voix, qu'on me dit être celle du rédacteur de la pétition qui nous est soumise. On se donne beaucoup de peine pour prouver qu'on n'a pas connu les proportions de la citadelle du Nord, et à quoi conclut-on ? A la fois à la démolition de la citadelle du Nord et de celle du Sud. Comme si on pouvait prétendre aussi n'avoir pas connu la citadelle du Sud ; comme si le ministre de la guerre l'avait dérobée à tous les yeux, ou, comme si cette citadelle, qui existe depuis des siècles, venait de sortir de terre !

Tout cela est fort regrettable, il faut le dire ; le conseil communal d'Anvers, qui a tant de titres à l'estime de ses concitoyens, a subi une influence qui devait rester bien inférieure à la sienne, celle d'une assemblée tumultueuse. Dans un pays de libres institutions comme le nôtre, il faut avoir plus de fermeté. Je le dis sans aigreur, et j'ajouterai même qu'il faut juger le conseil communal d'Anvers avec indulgence, il s'est (page 1262) trouvé dans des circonstances fort difficiles et aussi imprévues que nouvelles.

II faut tenir compte de l'inexpérience où l'on est de ces assemblées populaires appelées meetings, où le premier venu est admis à venir disserter sur les affaires publiques.

C'est un genre de liberté dont on a peu usé encore en Belgique. On n'a pas encore appris à distinguer l'usage de l'abus, ce qui en doit être écouté ou méprise.

Il en était ainsi autrefois de la presse. Au commencement du régime nouveau, la presse, délivrée tout à coup des entraves qu'elle avait subies jusqu'alors, délivrée d'une législation menaçante, et mise en possession d'une liberté presque illimitée ; la presse se livrait à de grands abus ; de mauvais journaux traînaient tous les jours dans la boue les meilleurs citoyens ; on était très ému de ces attaques et on leur accordait une grande importance.

On a fini par distinguer dans l'usage de la liberté de la presse ce qui est respectable et ce qui ne l'est pas, ce qui doit être pris au sérieux et ce qui n'a droit d'émouvoir ni de toucher personne.

Il y a de ces attaques de journaux auxquelles personnes ne fait plus attention et dont on ne se donne pas même la peine de prendre connaissance. Il peut y avoir des meetings fort peu respectables.

Pour faire un meeting, il suffit de faire appel aux curieux. Si l'on veut du bruit, à l'aide de quelques centaines de francs on paye des ouvriers pour siffler, hurler et applaudir.

Les hommes sages et considérés n'y sont pas toujours ceux qui se mettent le plus en avant.

Les plus passionnés s'y portent les premiers, ainsi que les moins réfléchis ; puis viennent, pour y jouer un rôle actif, ceux qui aiment le bruit, ceux qui ne parvenant pas à être quelque chose ailleurs trouvent là un moyen de se faire valoir ; parfois aussi, surtout s’il s'agit de politique, on pourra rencontrer là une espèce de gens qui se trouvent aujourd'hui dans beaucoup de villes d'Europe, ce sont les honorables affidés des polices étrangères ou ceux qui se recommandent à leur générosité.

En Angleterre il y a aussi des meetings ; mais là on a appris à distinguer entre eux ; là des autorités constituées ne craignent pas d'être d'une autre opinion.

Sur 100 meetings qui ont lieu en Angleterre, 99 échouent et un seul se fait écouter.

Messieurs, on devrait bien se dire à Anvers qu'une ville ne réunit pas longtemps une réputation de sagesse commerciale avec une renommée de turbulence politique. Ce sont deux choses qui s'excluent vite ; le commerce, et surtout le commerce étranger fuit ce qui ressemble au désordre.

Je puis le dire, moi représentant de Bruges. Bruges était plus riche, plus renommée qu'Anvers ; si elle ne l'est plus, c'est en grande partie parce qu'elle n'a pas su se préserver des désordres intérieurs ; et c'est en grande partie parce que le commerce étranger n'y a plus trouvé cette tranquillité qu'il aime, qu'il s'est transporté à Anvers et qu'Anvers s'est élevé sur les ruines de Bruges. Le commerce d'Anvers devrait s'en souvenir. Ce ne serait pas la peine de s'être fait, par d'aussi longs et de si estimables efforts, une belle réputation sur toutes les places de l'Europe, pour la laisser compromettre en un instant par quelques hommes passionnés ou par quelques brouillons.

Que veut-on ? On se plaint qu'Anvers soit aujourd'hui fortifiée ; on se plaint de cette charge qui pèse sur cette ville de préférence à toute autre. Mais est-ce bien réellement une charge ? Combien de fois en un siècle, en deux siècles, y aura-t-il danger pour cette ville ? Je suis si convaincu qu'il y a dans cette position plus d'avantages que d'inconvénients, que je l'accepterais à l'instant pour le chef-lieu de mon arrondissement.

Il est évident que cette capitale militaire de la Belgique doit attirer à elle un grand nombre d'établissements militaires, d'industries et d'intérêts qui se rattachent à l'armée et qui contribueront à la prospérité de la ville. Et quand nous aurons la guerre, qu'est-ce qui arrivera d'abord ? Sera-ce le siège d'Anvers ? Non. D'abord on se battra dans le reste du pays. Il y aura des échecs et des succès. Les villes de la frontière seront envahies avant Anvers ; elles seront rançonnées quand Anvers sera gardé. Il arrivera dix fois que les villes de la frontière et même de l'intérieur seront assujetties à des contributions énormes quand Anvers qui exciterait si fort les convoitises de l'étranger, si elle n'était pas protégée par ses fortifications, y échappera.

Mais je suppose que ce soit une position onéreuse et périlleuse pour une ville. Sur qui la charge et le danger doivent-ils peser ? Cette question peut-elle se décider autrement que par l'intérêt stratégique du pays ? Voudrait-on que pour défendre le pays on fortifiât non les points les plus favorables, mais les localités qui s'accommodent le plus d'être entourées de remparts ?

Mais dit-on : Anvers ne peut être fortifiée parce que c'est une ville commerciale.

Je ne comprends pas l'objection. Ce serait une raison de plus pour qu'elle supportât cette charge, si c'en est une, plutôt qu'une ville qui se trouve dans une situation moins favorable.

Comment ! vous jouissez de la plus belle position de la Belgique, vous jouissez, à raison de votre position territoriale, de l'Escaut qui est toute votre richesse et quand ce même Escaut devient une position stratégique vous vous écriez : A moi les avantages de l'Escaut, mais ses charges à d'autres !

Si, à part l'intérêt stratégique, une ville devait être choisie pour supporter de préférence à d'autres les dangers ou les charges de la défense nationale, il y aurait encore équité à choisir Anvers ou Bruxelles, parce que la première de ces deux villes a la plus belle position géographique du pays et que l'autre en a la plus grande position politique.

Messieurs, il n'était vraiment pas besoin de faire tant de bruit pour obtenir d'un pouvoir aussi paternel que les Chambres belges ce qui est raisonnable. Tout le monde, le gouvernement le premier, était bien disposé pour Anvers.

On s'est ému à Anvers, et cela paraît assez naturel, lorsqu'on a appris que les nouveaux bassins et les bâtiments dont ils vont être entourés, tombaient dans le rayon des servitudes militaires.

Le gouvernement, avant toute discussion, a consenti à raccourcir ce rayon et à mettre les bâtiments de commerce en dehors des servitudes. N'est-ce pas là une satisfaction considérable ? Or, que répond la pétition ?

Elle répond au gouvernement : Vous êtes en contradiction avec vous-même.

Ainsi, messieurs, quand le gouvernement ne cède pas, on lui reproche d'être dur ; quand il cède, on lui crie qu'il est inconséquent !

Pour les servitudes extérieures, messieurs, tout le monde est d'accord que, pour les établissements qui existent, on usera de la plus grande tolérance.

On n'a pas intention de nuire à ce qui existe. Mais faut-il que les biens ruraux, les terres sans bâtiments, soient déchargés de toute servitude militaire ? Est-ce une grande perte pour ces terres qui ne peuvent pas servir aujourd'hui de terrain à bâtir, d'être privées du droit d'avoir des bâtiments ? Non, dit-on ; ce n'est pas pour aujourd'hui, mais pour l'avenir que nous réclamons.

Quand, dans la nouvelle enceinte, Anvers se sera développée et que la population voudra s'étendre au-dehors, les terres extérieures acquerraient une plus grande valeur si l'on pouvait y bâtir. C'est de la perte de cette augmentation éventuelle de valeur que l'on se préoccupe. Mais, messieurs, remarquez que c'est se préoccuper, encore une fois, d'un bénéfice qui doit venir du progrès de la prospérité commerciale d'Anvers, c'est-à-dire de l'Escaut, dont on accepte les avantages, mais dont on repousse les charges, parmi lesquelles il faut ranger les servitudes militaires.

Si les servitudes extérieures diminuent, dans l'avenir, la valeur des propriétés du dehors, elles augmenteront, dans l'avenir aussi, la valeur des propriétés intérieures. Car, si en empêchant de bâtir en dehors de l'enceinte elles retiennent à l'intérieur la population qui voudrait se porter au-dehors, elles augmentent évidemment, par ce surcroît de population à l'intérieur ; et, par conséquent, s'il y a des propriétaires qui perdent, il y en a d'autres qui gagnent.

Seulement, ceux qui gagnent sont probablement à peu près tous Anversois, puisque leurs propriétés sont dans la ville, tandis que, parmi ceux qui perdent, il y en a beaucoup qui ne sont pas d'Anvers, puisque leurs terres sont situées dans diverses autres communes rurales.

Messieurs, j'espère que nous nous occupons pour la dernière fois de cette affaire ; et il me semble que la Chambre a fait à Anvers et au droit de pétition une concession suffisante et leur a accordé assez de temps.

Nous pouvons espérer, je pense, que les hommes sages et raisonnables, qui sont en si grand nombre à Anvers, sauront reprendre l'ascendant qui leur revient et ne se laisseront pas faire la loi par des influences peu dignes d'eux et qui n'ont pas le droit de se mesurer avec la leur.

Je m'arrêterais ici, messieurs, si à cette question d'Anvers on n'en avait rattaché une autre.

Depuis quelque temps, j'entends dire qu'il faut réduire les dépenses militaires, que cette opinion gagne, et pour qu'elle gagne davantage, on répète ici qu'elle est celle des sept huitièmes du pays.

(page 1265) On espère sans doute que si, loin de Bruxelles, on lit dans les journaux que, dans la Chambre, on pense que telle est l'opinion du pays, c'est un moyen de la répandre plus sûrement.

Messieurs, vous avez entendu hier de la bouche de M. Coomans un discours dont je m'occuperai peu. L'orateur vous a exposé son système. Ce système, c'est bien autre chose que la démolition des fortifications d'Anvers, que la démolition de la citadelle du Nord. C'est la suppression de toute espèce de fortification dans le pays ; bien plus, c'est l'abolition de l'armée, c'est la défense de la Belgique abandonnée à qui voudra, à des volontaires ; et ces volontaires, pour être plus redoutables, seront exercés dix ou quinze jours par an.

M. Coomans. - Avec une armée permanente. Citez exactement.

M. Devaux. - Je cite exactement. Vous avez aboli la conscription, vous n'admettez que des volontaires. Il manque quelque chose à ce système qui fait consister le salut du pays dans son plus grand affaiblissement militaire. L'auteur de ce système devrait prescrire à ses volontaires, quand l'ennemi se présentera aux frontières, d'arborer ses couleurs, de mettre la crosse du fusil en l'air et de se coucher à plat ventre pour lui faciliter l'entrée du pays. Le système serait complet.

L'orateur a eu raison de jeter le ridicule sur le discours de l'honorable M. De Fré, discours que l'assemblée a écouté avec émotion, noble et éloquente expression des sentiments d'un cœur honnête et profondément belge.

Je comprends que, pour propager de pareilles idées, il faille faire la guerre à de tels sentiments.

Le patriotisme, le courage, le dévouement, la défense nationale ! Sentimentalisme ! Grands mots !

Messieurs, il y a une région de la société ou les sentiments les plus généreux et les plus honnêtes du cœur humain sont qualifiés de sentimentalisme, où l'honneur, la probité elle-même sont appelés de grands mots, des niaiseries.

Je ne pensais pas que ce fût à ces sources impures qu'une assemblée législative dût puiser ses inspirations.

Messieurs, heureusement quelque foi qu'on ait dans certains procédés oratoires, la puissance des calembours et des farces parlementaires n'est pas assez grande pour détruire ce qu'il y a de plus honorable dans le cœur de l'homme.

Comment a-t-on le courage de produire de telles choses devant une assemblée belge et ne prévoit-on pas l'accueil qu'elle doit y faire ?

Croit-on la Belgique assez imbécile pour ne pas reconnaître où de pareilles idées conduisent ?

Je ne m'occuperai pas davantage de ce discours ; si je devais m'y arrêter plus longtemps, j'aurais peine peut-être à maintenir mon indignation dans les bornes où je désire que mes paroles se renferment par respect pour la Chambre.

Je passe à autre chose.

Les dépenses militaires sont fortes, il est naturel que sur ces dépenses, sur les diverses subdivisions qu'elles comportent, sur des questions précises d'organisation militaire, des divergences d'opinion surgissent dans une assemblée délibérante.

Il est extrêmement naturel que sur une organisation qui comprend des centaines de questions, on ne soit pas toujours d'accord ; il est possible que tel représentant désirerait que telle arme fût plus ou moins développée, tel grade plus ou moins nombreux.

Je trouve cela, messieurs, très légitime, et loin de moi l'idée de vouloir jeter le moindre blâme sur des opinions de ce genre.

Si ces questions étaient remises en discussion, il arriverait, comme cela est déjà arrivé, que sur plusieurs d'entre elles, ce serait la majorité qui déciderait et il faudrait bien que la minorité acceptât la décision de la majorité. Nous ne pouvons pas être unanimes sur des choses aussi compliquées.

Seulement, remarquez-le, on a examiné l'ensemble de ces questions il y a quelques années, avec un désir bien vif d'arriver à des économies, et qu'est-il arrivé ? C'est qu'en les approfondissant, on en est venu non à une économie, niais à une augmentation de dépenses. Si l'on en revenait à un nouvel examen radical de toute l'organisation militaire, ‘ ai idée que c'est là qu'on en arriverait encore ; et par une raison assez simple : c'est qu'à mesure que les progrès de la civilisation avancent, il est des besoins qui augmentent dans l'administration de l'armée comme ailleurs.

Ainsi, pour ne citer que deux exemples, les logements militaires qui ont existé de tout temps, sous tous les gouvernements, sous tous les régimes, qui sont devenus une charge tellement légère, que beaucoup d'entre nous ne se souviennent pas quand ils l'ont supportée, l'on veut se délivrer de cette charge légère, on veut en délivrer le pays.

C'est là une question comme une autre. Mais qu'en résultera-t-il ? Une dépense de plus pour l'Etat qui prendra les logements à sa charge.

On appelle la milice l'impôt du sang ; on veut que le milicien soit indemnisé. C'est peut-être un progrès, je n'en sais rien ; nous examinerons. Et remarquez que ce sont ceux-là mêmes qui se plaignent des charges militaires, qui demandent cela. Qu'en résultera-t-il ? Des charges nouvelles évidemment. Si chaque militaire doit être indemnisé d'une manière quelconque, l'armée coûtera davantage.

Voilà comment les exigences de la civilisation qui vont en augmentant en ce qui concerne le bien-être, l'aisance des citoyens, amènent aussi une augmentation des dépenses militaires, et une législation militaire révisée à dix ou douze ans de distance risque fort d'être plus onéreuse que l'ancienne.

Mais, enfin, messieurs, je comprends que, sur des points spéciaux, il y ait dissentiment.

Je comprends qu'on dise : Nous voulons tous la défense nationale ; mais personne ici ne veut de dépenses superflues ; il faut le strict nécessaire et rien de plus.

Ce langage, c'est celui que nous devons tenir ; mais, pour cela, si l'on demande des diminutions de dépenses, on doit nous dire sur quoi elles vont porter ; il faut dire et discuter quels sont les points de dépenses qui sont excessifs, qui sont inutiles. Si l'on ne fait pas cela, si l'on veut réduire les dépenses militaires, sans égard aux besoins de la défense, alors, messieurs, on réduit l'armée au-dessous de ce qu'elle doit être. On refuse de satisfaire aux besoins de la défense nationale.

Si l'on veut réduire le budget de la guerre par cette seule raison qu'il s'élève à 32 millions et sans consulter les besoins, pourquoi alors s'arrêter à 29 millions plutôt qu'à 25, à 25 plutôt qu'à 20 ? Le moindre de ces chiffres est trop élevé s'il va au-delà des besoins de la défense du pays, le plus élevé n'est pas excessif, si en réalité il ne dépasse pas ces besoins. Avant donc de réduire le chiffre général de la dépense, prouvez quelle en est la partie inutile.

Je cherche sur quoi l'on s'appuie pour soutenir que ce qui existe est exagéré.

Jusqu'à présent je n'ai entendu alléguer que trois raisons.

La première, c'est que les dépenses du budget de la guerre sont excessives, parce qu'elles prennent une part trop grande du budget général de l'Etat, qu'elles absorbent, comme on dit, le plus clair du revenu public.

La seconde raison, c'est que la Belgique étant un pays neutre, n'a pas à faire pour la guerre d'aussi grandes dépenses que les autres Etats et qu'elle peut se reposer pour sa défense sur ceux qui lui ont garanti sa neutralité.

La troisième, c'est qu'en définitive, les dépenses du budget de la guerre sont trop grandes, que le pays en est accablé, qu'elles dépassent ses ressources.

Permettez-moi d'examiner brièvement ces trois raisons. D'abord les dépenses militaires absorbent une grande partie du budget.

En effet, le budget de la guerre absorbe un peu plus du cinquième du budget général.

Cela est-il extraordinaire ? Est-ce que les autres peuples en sont quittes à moins ? Font-ils moins de dépenses ? Croyez-vous que la proportion des dépenses militaires au revenu soit en faveur des autres nations ?

Comparons, pour diverses nations, cette proportion des dépenses du budget de la guerre et de la marine avec le budget général de l'Etat.

La Belgique, messieurs, paye, pour le budget de la guerre, 21 p. c. de son budget total ; la Hollande, 25 p. c. ; la France, 26 p. c, et vous savez de quel budget ; la Prusse, 27 p. c. ; l'Angleterre, 30 p. c ; la Russie, 40 p. c. ; l'Autriche, 45 p. c.

Pourquoi, si le budget de la guerre absorbe jusqu'à 30 et 40 p. c. du revenu d'autres Etats, est-il extraordinaire qu'il en exige 21 p. c. chez nous, c'est-à-dire moins que partout ailleurs ?

Mais est-ce là, messieurs, quelque chose de nouveau dans le monde, n'est-ce que d'aujourd'hui que les Etats consacrent à de tels besoins une grande part de leurs ressources fiscales ? Jamais il n'en a été autrement, et par une raison bien simple.

Pourquoi les gouvernements existent-ils ? Pourquoi les Etats se forment-ils ?

Mais avant tout, pour se défendre contre l'ennemi extérieur et pour garantir l'ordre au-dedans. Les deux dépenses primordiales de l'Etat sont les dépenses de la guerre et les dépenses de la justice.

Aussi, si vous remontez plus haut, vous trouverez que ces dépenses indispensables prennent une bien plus grande part dans la dépense générale (page 1264) des Etats qu'aujourd'hui. Les dépenses des autres ministères se sont développées bien plus tard que celles de la guerre et de la justice, à l'exception du ministère des finances, chargé avant tout de pourvoir aux besoins de la justice et de la guerre. Les dépenses des ministères des travaux publics, de l'intérieur, des affaires étrangères sont nées plus tard, et à mesure que la société elle-même fait des progrès ; car ce sont là des dépenses utiles, mais non indispensables.

On se plaint que le budget de la guerre comprenne un cinquième des dépenses de l'Etat. Ce n'est pas là ce qu'il y a d'extraordinaire ; ce qui est plus nouveau, c'est que le pays soit assez riche pour pouvoir consacrer quatre fois plus que le budget de la guerre à des dépenses utiles, mais non indispensables.

Mais, dit-on, il y a une immense différence entre la Belgique et les autres nations ; c'est qu'elle est un pays neutre et que sa neutralité est garantie par l'Europe. C'est un pays neutre.

La neutralité, messieurs, bien loin de diminuer les dépenses de la défense du pays, les augmente.

Il n'est pas difficile de le faire voir. Qu'est-ce que la neutralité ? C'est l'interdiction, en cas de guerre, de faire cause commune avec l'une des parties belligérantes.

Mais si nous ne pouvons pas nous joindre à l'une des parties belligérantes, nous ne pouvons faire avec aucune d'elles d'alliance préalable à la guerre qui nous permettrait en cas d'attaque de ne pas résister avec nos forces seules.

Si nous n'étions pas neutres, la guerre venant à éclater entre les grandes puissances et des dangers s'élevant pour nous, nous ferions un choix, nous contracterions une alliance avec l'une d'elles, et à l'ouverture même de la guerre un auxiliaire nous prêterait son appui. Il faut s'adresser, dit-on, aux puissances qui ont garanti notre neutralité. Mais si notre nationalité est menacée, ce sera précisément parce que ces puissances seront en guerre entre elles.

Dans cette situation, nous ne pouvons pas espérer qu'elles se mettront d'accord pour nous protéger, ni pour nous donner un appui collectif.

Il faut donc s'adresser à quelqu'une d'entre elles pour qu'au nom de la neutralité garantie, elle nous protège contre les autres. Cette puissance nous répondra qu'elle n'est engagée à défendre notre neutralité, que si elle est attaquée ; que, vouloir qu'elle nous envoie une armée avant toute agression, c'est demander au nom de notre neutralité qu'elle soit la première à la violer.

Ainsi donc, pour réclamer l'exécution des garanties stipulées, il faut que nous soyons à même de supporter le premier choc. Avant cela, nous ne pouvons avoir comme auxiliaire auprès de nous aucun des belligérants.

Voilà, messieurs, la grande différence qu'il y a entre la Belgique neutre et un Etat qui pourrait faire avec l'un des belligérants une alliance offensive et défensive.

La neutralité, en cas de guerre, est une belle et respectable position quand elle est armée. Quand elle ne l'est pas, elle a toujours été méprisée et méconnue.

Je n'ai pas besoin de rappeler l'exemple de la république de Venise qui a été cité si souvent, mais à nous-mêmes qu'est-il arrivé ? Chaque fois que depuis 1830, il s'est présenté des symptômes de guerre générale et que la Belgique a voulu sonder les intentions de ses voisins, quelle est la première question qui lui a été faite ? Toujours on nous a demandé si nous avions pris les dispositions nécessaires pour nous défendre nous-mêmes. C'est-à-dire que les puissances veulent savoir si elles seront auxiliaires, ou si elles ont à défendre un pays qui ne se soucie pas de sa propre existence. Et cela est juste ; un pays qui n'a pas le courage de se défendre, qui trouve que cela coûte trop d'argent ou trop d'efforts, un tel pays n'est pas digne d'être une nation, il ne mérite que de devenir une annexe, un accessoire.

Toute la question est là. La Belgique veut-elle, oui ou non, être indépendante ? Si elle le veut, sachons, sans tergiverser, faire les frais de notre indépendance, sinon couvrons-nous la tête d'un voile, reconnaissons que nous ne sommes pas nés pour être des citoyens libres et courbons-nous sous la domination d'un maître étranger.

Mais, dit-on, nous sommes écrasés par les dépenses du budget de la guerre, la Belgique succombe sous ce fardeau qui excède ses forces. Quoi ! la Belgique succombe ! Quoi ! elle est écrasée et épuisée ! Ose-t-on le dire ? Ne consacrons nous pas chaque année des millions à des travaux d'utilité publique auxquels nos ancêtres n'auraient osé penser ?

Depuis 30 ans la Belgique n'est-elle pas un des pays les plus prospères, les plus riches, le pays le plus riche, peut-être, du continent ?

Le poids des impôts n'a fait que diminuer, car il est relatif à la fortune publique qui est doublée ou triplée, tandis que le taux des impôts est resté le même.

Mesurez l'impôt foncier à la valeur actuelle de la propriété, mesurez l'impôt personnel à la valeur locative, à la richesse mobilière, et dites si les impôts n'ont pas considérablement diminué comparativement à la valeur de toutes choses.

Les dépenses d'Anvers, comme je le disais tout à l'heure, n'augmenteront pas d'un denier les charges des contribuables.

Que vient-on dès lors s'apitoyer sur le sort des contribuables, dans les meetings et ailleurs, où, la plupart du temps, ce sont ceux qui ne payent pas de contributions qui s'en plaignent le plus ?

M. Coomans. - Ils ont le droit aussi de se mêler de politique tout comme vous et tout comme moi.

M. le président. - 'interrompez pas ; vous êtes inscrit.

M. Devaux. - Messieurs, je suppose qu'on diminue les dépenses de la guerre de 3 millions ; je suppose qu'on affronte l'effet moral d'une pareille diminution ; eh bien, en résulterait-il un dégrèvement d'impôts pour le contribuable ? Pas le moindre.

A l'instant même ces 3 millions seraient employés à des dépenses utiles, mais non indispensables, à des travaux publics que nous avons différés jusqu'à présent. Il n'en entrerait rien dans la poche des contribuables.

Mais, dira-t-on, les travaux publics sont des dépenses reproductives.

Je demanderai si les dépenses que l'on fait pour maintenir l'ordre intérieur, la sécurité extérieure et l'indépendance du pays sont des dépenses improductives.

Y a-t-il des dépenses plus productives que celles qui sont employées, sans exagération, à solder ce qui est nécessaire à l'existence d'une armée défensive dans un des pays les plus menacés de l'Europe ?

Je sais qu'on essaye d'envelopper dans une même réprobation les armées conquérantes et les armées défensives et qu'on prodigue à toutes deux la qualification de force brutale. C'est confondre le brigandage avec la défense de la propriété, la violence avec le droit.

Il n'y a pas de plus nobles et de plus utiles dépenses que celles que nécessite une armée défensive dans un pays menacé. Comme il n'y a pas de plus beau rôle, dans un tel pays, que celui de consacrer sa vie, dans les rangs de cette armée, à la défense de l'honneur, de l'existence et des libertés de la nation.

Notre bonne et honnête Belgique ne se défie pas assez des suggestions de l'étranger.' C'est de là que viennent beaucoup de ces inspirations économiques.

On y a la plus tendre sollicitude pour nos finances, et on nous plaint de consacrer à d'inutiles précautions de défense, tant d'argent qui pourrait être mieux employé.

Ces raisonnements ressemblent à ceux que ferait volontiers contre les verrous et les serrures, cette estimable classe de la société qui n'a pas d'intérêt à ce que nos portes soient exactement closes.

Il y a trop longtemps, pourrait-elle dire, que dure cette stérile lutte des voleurs et des propriétaires ; que d'argent perdu en serrures et en verrous ! dans chaque maison, il y en a à la porte d'entrée, aux portes de chaque chambre, à chaque armoire, à chaque tiroir, à chaque coffret. Quelle dépense pour une seule maison ; quelle dépense pour une ville comme Bruxelles ; pour un pays tout entier, ce sont des millions perdus. Abolissez ces vieilleries ; consacrez cet argent à rendre vos maisons plus agréables, à y vivre plus heureux, et quand vous y serez plus attachés, vous n'aurez pas besoin de serrures pour les défendre contre les voleurs, vous les chasserez à coups de poing ?

Les voleurs, messieurs, ce sont les conquérants, et les portes qu'ils voudraient voir rester ouvertes, ce sont celles des petits Etats qu'ils convoitent.

L'indépendance du pays, n'cst-elle pas une richesse ? (Je veux dire ici une richesse matérielle. On ne m'accusera pas de faire du sentimentalisme et de grands mots, je parle aux bourses et non aux cœurs). Doutez-vous qu'une invasion ne coûtât des centaines de millions à la Belgique, riche comme elle l'est aujourd'hui ?

Mais ce serait là seulement un à-compte ; car viendraient ensuite les dépenses ordinaires.

Je fais, messieurs, cette terrible supposition ; je suppose le nom belge rayé de la carte de l'Europe ; nous sommes réunis à un de nos voisins, à la Prusse, à la Hollande, à la France ou à l'Angleterre.

Dans cette situation que coûteraient aux Belges déchus les dépenses du budget de la guerre de l'Etat auquel ils seraient accolés ? En voici le compte :

Si nous étions Prussiens, à supposer que le pays conquis ne payât pas (page 1265) plus que l'ancienne Prusse et que nous fussions traités sur le pied de l'égalité, à supposer que le pays ne payât pas à raison de sa richesse, mais de sa population, ce qui nous serait très favorable, nous payerions 35 millions, au lieu de 32 ; de plus, chacun de nos concitoyens serait soldat ; c'est alors qu'il ferait beau parler de l'impôt du sang.

Si nous étions Hollandais, combien payerions-nous, à raison de notre population, pour les dépenses de l'armée de terre et de mer ? 32 millions ? non ; 36 millions.

Si nous étions Français, si nous contribuions au budget français, non pas à proportion de notre richesse, encore une fois, mais seulement à proportion de notre population, nous payerions 62 millions.

Si nous étions Anglais, nous payerions 112 millions.

Oui, voilà ce que nous payerions ! non pas pour une armée chargée de garder notre nationalité, notre honneur, nos richesses, nos libertés ; mais pour une armée chargée de nous priver de tous ces trésors, de nous pressurer, de nous museler et de nous tenir sous le joug de nos maîtres.

Et ce ne seraient pas là nos seules pertes matérielles (je ne parle pas des autres).

La Belgique ne serait-elle pas privée à la fois et d'un gouvernement plein de sympathie pour ses moindres intérêts et d'une législature toujours aux aguets des besoins qui se révèlent ? Mettrait-on encore ces soins et cet argent à fertiliser des bruyères, à étendre les routes de toute espèce, à rendre les rivières navigables, à améliorer les ports et les côtes ?

Tout cela que deviendrait-il avec une administration indifférente ou hostile, et un pays mort ?

Que deviendrait l'esprit d'entreprise ? Que deviendrait le crédit des établissements industriels dans cette situation précaire, où comme autrefois nous serions redevenus, pour des siècles peut-être, le champ de bataille de l'Europe ?

Messieurs, quand le Congrès a fondé l'indépendance de la Belgique, il n'a pas fait à la nation l'outrage de se demander si elle avait assez de générosité, de cœur pour la défendre. Elle était écrite en lettres de feu dans toutes les âmes. 1Iln'a pas supputé ce qu'elle nous coûterait.

Il ne s'est pas demandé si, plus menacés que les autres, nous étions incapables de faire autant qu'eux pour notre défense. Il n'a pas cru que nous fussions plus avares ou plus lâches que les autres peuples du monde civilisé. Le congrès a fait œuvre glorieuse. Déjà la postérité qui a commencé pour lui, lui a élevé un monument de reconnaissance. Si un jour, messieurs, on vient vous proposer de réduire votre armement au-dessous des besoins de la défense du pays, une Chambre belge, je le dis avec confiance, n'échangera pas les glorieuses traditions du Congrès contre les malédictions de la postérité et une honte éternelle.

M. Coomans. - Je ne trouve pas mauvais que nous nous disions un peu de temps à autre nos vérités. Cela soulage les cœurs, et cela éclaire.

L'honorable M. Devaux vient de me prodiguer ses leçons critiques avec cette aménité de forme, avec cette politesse exquise, avec cette bonté rare qu'on admire en lui depuis trente et quelques années. (Interruption.)

Je ne m'en plaindrai pas, parce qu'il me fournit l'occasion d'exercer ma revanche, de lui dire quelques vérités dures, mais bonnes. Il les recevra de ma part.

Mais j'ai d'abord à rectifier quelques-unes de ses assertions et à réfuter quelques-uns de ses sophismes.

L'honorable membre a éprouvé le besoin, et je m'en félicite, de dénaturer complètement et audacieusement ce qu'il appelle mon système militaire.

Si, se conformant à l'invitation que je lui avais adressée hier par anticipation, d'exposer exactement ma manière de voir, il avait soumis à la Chambre des idées que je professe depuis 28 ans (preuves écrites et imprimées en main), il n'aurait pas eu l'occasion de répéter les banalités que nous venons d'entendre.

M. Dolez. - Ce que vous dites prouve que vous ne comprenez pas ces sentiments-là !

M. Coomans. - Je maintiens le mot banalités. Quant à mes sentiments il ne le cèdent à aucuns autres.

M. le président. - Ne faites pas de personnalités, M. Coomans.

M. B. Dumortier. - II n'y a pas là de personnalités.

- D'autres membres. - Certainement non.

M. de Moor (s'adressant à M. Coomans). - Vous dites des trivialités.

M. Coomans. - Votre interruption en est une bien pauvre, monsieur !

M. Devaux a osé dire hier que je dégradais la Chambre, et je ne pourrais pas dire qu'il nous a débité des banalités ?

M. Allard. - Vous dites des trivialités.

M. Coomans. - Et vous les redites, monsieur, ce qui est pis.

Si donc M. Devaux ne m'avait pas attribué un système faux que je repousse, il n'aurait pas eu un prétexte pour répéter toutes ces banalités, le mot est bon, et pour réinsérer au Moniteur les déclamations stéréotypées que j'y ai lues cent fois.

M. H. Dumortier. - C'est cela.

M. Dolez. - Vous auriez dû tâcher de les comprendre.

- Un membre : Et de vous convertir.

M. Coomans. - Je fais de mon mieux, mais nul n'est tenu à l'impossible.

A en croire M. Devaux, je ne veux pas de défense nationale !

Cette calomnie, cette grossière et méchante calomnie, il l'a ramassée dans des journaux amis qu'il a tort de payer pour nous opposer de pareilles assertions.

Moi je ne veux pas de défense nationale ! Tous les pétitionnaires ne veulent pas de défense nationale ! Les Anversois, leurs défenseurs ici et du dehors ne veulent pas de défense nationale !

Mais toute la seconde moitié du discours de M. Devaux est un outrage, une injure inique non seulement pour moi mais pour la Chambre et pour les pétitionnaires grands et petits.

Comment ! vous auriez besoin de prouver dans une Chambre belge qu'il faut maintenir la nationalité et l'indépendance ! Vous auriez besoin de toutes ces phrases pour nous convaincre !

Vous estimeriez assez peu votre auditoire pour juger nécessaire cette humiliante plaidoirie ! Vos leçons sont inutiles, insultantes. (Interruption.)

Je dis que votre argumentation est un outrage pour nous tous, pour tous nos compatriotes, parce que je ne connais pas un seul Belge qui ne veuille non seulement l'indépendance mais la défense nationale, la plus honorable et la plus ferme. Il n'y en a pas d'assez stupide, d'assez lâche pour renoncer aux bienfaits de l'indépendance et de la liberté !

Voilà mon opinion et je redis que votre argumentation est un outrage pour la Chambre, pour le pays, pour Anvers, pour les milliers, j'allais dire pour les millions de Belges qui croient que nos dépenses sont trop élevées, que nos charges militaires sont lourdes, mal réparties et inefficaces, et je m'étonne que cette partie de votre discours ait été applaudie, car elle l'a été, hélas ! sur quelques bancs.

Je m'en afflige, on n'applaudit pas à des leçons qu'on a pas méritées ; on les repousse comme superflues et injurieuses.

Quoi ! je ne veux pas de défense nationale ? Je veux, d'après M. Devaux, que lorsque l'ennemi se présentera à la frontière, nos défenseurs, si nous en avons, ce qui me déplairait, semble-t-il dire, mettent la crosse en l'air et demandent grâce ; je ne veux que des volontaires qui se sont exercés une dizaine de jours, des volontaires impuissants et incapables !

M. Allard. - Vous avez dit quinze jours.

M. Coomans. - Dix ou quinze jours. Voilà l'allégation complètement inexacte de M. Devaux. J'emploie le mot inexact pour rester parlementaire.

Qu'ai-je soutenu depuis vingt-huit ans ?

Qu'il nous fallait une bonne armée de 25,000 à 30,000 volontaires bien exercés, bien disciplinés, bien payés, bien pensionnés, bien dévoués, servant de longues années, 20 à 30 années, sans interruption, avec la certitude d'être récompensés selon leur mérite. J'ai soutenu cela et pas autre chose. Je voudrais créer le noble métier des armes, comme vous dites, noble métier qui n'existe en Belgique que dans vos discours d'apparat, car vous n'avez que des soldats forcés. J'aime mieux les volontaires.

M. de Renesse. - Cela coûterait beaucoup plus cher.

M. Coomans. - C'est une autre question ; et je vais vous prouver que, pour moi, la question d'argent a toujours été secondaire...

- Plusieurs voix. - Ah, ah !

- D'autres voix. - Mais oui. Laissez parler.

M. Coomans. - ... toujours secondaire, je l'ai toujours dit ; mais laissez-moi du moins m'expliquer, vos interruptions me prouvent que vous avez peur des explications. (Nouvelle interruption.)

J'ai dit, avec des autorités très respectables, que 25,000 à 30,000 volontaires bien dévoués, parce qu'ils seraient bien traités, bien disciplinés et bien exercés ; parce qu'ils resteraient sous les armes 20 à 30 ans, fourniraient une armée bien supérieure, comme valeur militaire, à la nôtre.

J'ai dit cela et j'ai été approuvé par des autorités très compétentes. J'ai ajouté, depuis 28 ans : Ces 25,000 à 30,000 volontaires, quelque bons qu'ils (page 1266) soient, cette année modèle, vouée surtout aux armes spéciales, ne suffisent point ; il nous faut encore 70,000 à 100,000 autres.

Eh bien, vous les aurez comme on les a ailleurs (interruption), et si vous ne les trouvez pas, c'est que la Belgique n'est pas digne de conserver le bienfait de son indépendance. Mais pourquoi ne les trouveriez-vous pas ? On les trouve bien en Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse. Pourquoi ne pourriez-vous pas organiser la défense nationale sur une plus grande échelle ? Pourquoi ne trouveriez-vous pas 50,000, 60,000, 80,000 hommes valant ce que valent les volontaires anglais et américains ? Eh bien, messieurs, 25,000 à 30,000 hommes d'armée permanente, 90,000 à 100,000 volontaires bien exercés, sorte de premier ban de la garde civique, voilà bien plus que vos 100,000 hommes actuels.

Maintenant on m'interrompt pour me dire : « Cela coûterait beaucoup plus cher. » C'est une autre question ; je ne le crois pas, mais c'est possible, et je dis : Soit, cela coûterait plus cher financièrement, mais vous posséderiez une grande force défensive et vous auriez du moins supprimé la conscription. (Interruption.) Ah ! la conscription, voilà, au fond, le principal grief de l'honorable M. Lebeau contre moi. L'honorable M. Devaux vient de le dire. (Interruption.)

Oh ! Devaux ou Lebeau c'est la même chose.

M. J. Lebeau. - J'y tiendrais à grand honneur.

M. Coomans. - Oh ! soit, mais je ne vous en complimenterai nullement ni l'un ni l'autre. L'honorable M. Devaux vient de nous dire que si l'on indemnisait les miliciens forcés, il en résulterait de nouvelles charges pour les contribuables ; le système d'indemnité ne paraît pas lui sourire. Ah ! messieurs, voilà bien cette impitoyable doctrine qui, tout en mettant beaucoup de cœur et d'âme dans ses discours, en met très peu dans ses actes publics et dans ses lois.

Eh quoi ! quand on vous parle justice, équité, vous répondez argent ! Vous voyez quelque inconvénient à une indemnisation des services militaires, un inconvénient financier, et cela vous suffit pour rejeter un système qu'on dit le gouvernement disposé à présenter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Devaux a dit que c'était à examiner.

M. Devaux. - C'est ce que j'ai dit.

M. Coomans. - Vous n'en avez pas moins ajouté qu'il en résulterait des charges nouvelles et vous vous en montrez effrayé.

M. Dolez. - C'était pour répondre à votre argumentation.

M. Coomans. Messieurs, je l'ai déjà dit, le point de vue qui domine tout ici, comme dans toutes les questions, le point de vue auquel je me place, c'est la justice : la question d'argent est toujours secondaire.

Et s'il est juste (et je vous défie de me prouver le contraire), s'il est juste d'indemniser nos soldats, il ne vous est pas permis de dire que vous examinerez la question ; vous devez dire qu'elle est tout examinée en principe et que vous devez les indemniser.

En France et ailleurs on a soulagé le fardeau de la conscription, on paye convenablement les soldats, on rémunère leurs services. Jamais doctrinaire n'a proposé d'en faire autant chez nous. Quand la justice coûte trop cher, ils refusent de la rendre.

Autre grief de l'honorable M. Devaux contre moi : il y a toujours eu des logements militaires, dit-il, il faut les conserver.

M. Devaux. - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - Vous n'avez pas dit qu'il y avait toujours eu des logements militaires ?

M. Devaux. - Oui ; mais je n'ai pas dit qu'il fallût les conserver.

M. Coomans. - Voulez-vous bien me dire alors ce que vous avez dit ? Entendez-vous supprimer les logements militaires ? Parlons franchement.

M. Devaux. - Je n'ai énoncé là-dessus aucune opinion.

M. Coomans. - Eh bien, moi, je vais vous dire ce que j'ai compris. Vous avez dit que si l'on indemnisait les familles qui logent des militaires, il en résulterait de nouvelles charges pour le trésor.

M. Devaux. - Précisément !

M. Coomans. - Même argument que pour la conscription ; argument mauvais, argument pitoyable, argument inique ; parce que vous devez indemniser les logeurs, la Constitution vous y oblige et la justice aussi. Et puis que vous dit l'honorable M. Devaux ? « Il y a peu de logements militaires ; beaucoup d'entre vous ont perdu le souvenir de cette charge.» Mais, messieurs, voilà encore de l'iniquité ; c'est précisément parce que cette charge pèse toujours sur les mêmes familles qu'elle constitue une véritable iniquité. Eh ! cette, charge n'est pas aussi faible qu'on le dit, puisque M, le ministre de la guerre nous a prouvé, il y a quelques mois, que si l'on indemnisait équitablement les familles frappées de cette charge, il en résulterait une dépense nouvelle de près de 300,000 francs pour le trésor public. Or, cette somme est considérable quand elle est puisée dans un petit nombre de poches ; l'impôt est donc lourd, arbitraire, et votre argument ne vaut rien.

Je profite de cette occasion, messieurs, pour prier très instamment M. le ministre de la guerre de ne pas ajourner davantage la présentation du projet de loi qu'il nous a promis. L'état actuel des choses est une iniquité révoltante ; c'est aussi une injustice inconstitutionnelle. L'indemnité juste est prescrite par la Constitution ; l'indemnité que l'on accorde aujourd'hui est dérisoire (74 centimes pour nourrir et héberger un homme) ; elle n'est pas celle que prescrit la Constitution.

Je n'ai pas demandé, comme m'en accuse l'honorable M. Devaux, la suppression des logements militaires. J'ai dit qu'il fallait indemniser avec équité ceux qui avaient la charge de ces logements ; et j'ai ajouté, il est vrai (et je maintiens cette déclaration), que si l'indemnité se faisait trop attendre, il y aurait à consulter les tribunaux sur la grave question de savoir si le gouvernement peut prélever, même la nuit, un impôt extraordinaire et arbitraire sur un petit nombre de citoyens.

M. Orts. - Les tribunaux ont déjà répondu contre vous, deux ou trois fois.

M. Coomans. - Nous les consulterons une quatrième fois.

M. Orts. - Eh bien, ils vous condamneront une fois de plus.

M. Coomans. - J'en doute, pour l'honneur de nos lois et de notre civilisation. Quoi qu'il en soit et pour en revenir à l'objection à laquelle je réponds, j'espère que l'honorable M. Devaux laissera de côté désormais cette indigne accusation qu'il ose lancer non seulement à moi, mais à une foule de citoyens, de lésiner sur les frais de la défense nationale, ; car je puis lui répondre comme je l'ai fait hier à l'honorable M. De Fré : cet argument porte beaucoup plus loin qu'il ne le pense ; cet argument atteint en pleine poitrine la plupart de ses amis politiques qui ont voulu comme moi diminuer les dépenses de l'armée, et réformer les charges militaires. Non, la question ne doit pas être posée comme le fait l'honorable M. Devaux, car alors la réponse serait unanime.

Voulez-vous, dit-il, conserver votre indépendance ?

Oui, sans doute aucun ; mais n'est-il pas permis de se demander si les moyens que vous proposez ne sont pas trop coûteux vu leur inefficacité probable, j'admire l'étrange abnégation avec laquelle l'honorable M. Devaux vient se combattre lui-même.

C'est manquer de patriotisme, selon lui, que de révoquer en doute l'efficacité des fortifications d'Anvers.

Or, il n'est pas un membre qui ait combattue avec plus de force que M. Devaux les fortifications d'Anvers ; il a soutenu que le système était mauvais, qu'il fallait fortifier Bruxelles ; il a fait à ce sujet, en 1859, un tableau déchirant à arracher des larmes à tout le monde, il a montré les Chambres, les fonctionnaires, la population de Bruxelles, des milliers de familles éplorées prenant en hâte la route d'Anvers avec femmes, enfants, berceaux et tout le reste. C'était lamentable. Ce discours de M. Devaux a produit ici même un effet des plus attendrissants.

Je vous émeus encore en vous le rappelant ! Les fortifications d'Anvers étaient la ruine de Bruxelles, la fuite de l'armée !

Toutefois, la Chambre n'a pas cru M. Devaux ; elle a voté les fortifications d'Anvers.

Aujourd'hui, il vient les défendre avec cette chaleur imprudente du néophyte qui se frappe lui -même à tort et à travers.

Aujourd'hui, d'après lui, nous manquerions de patriotisme parce que plusieurs d'entre nous, sinon moi, avons l'opinion qu'avait l'honorable M. Devaux en 1859.

Laissez de côté les phrases banales et donnez-nous des arguments sérieux ; celui-là ne l'est pas ; ce qui est surtout loin d'être sérieux dans le discours de l'honorable membre, ce sont les chiffres : la Belgique, selon lui, ne paye que 21 p. c. de son budget des recettes pour la guerre ; les autres pays payent davantage ! Je ne sais pas où il a puisé les chiffres dont il nous a fait l'exhibition, ils datent au moins de 25 ans, il les aura trouvés dans de vieux papiers réunis il y a un quart de siècle.

Il y a 25 ans notre dépense militaire n'emportait peut-être que 21 p. c. de notre budget ; mais aujourd'hui c'est bien autre chose ; notre dépense militaire est de 33 p. c. du budget général des recettes et de 60 p. c. du chiffre des contributions.

Il est facile à M. Devaux de transformer en impôts l'argent que le ministre des travaux publics ramasse dans les caisses du chemin de fer, comme si le chemin de fer était un impôt. Voilà l'étrange calcul de M. Devaux.

En France l'Etat n'exploite pas de chemins de fer, il n'opère pas de recettes considérables du chef des chemins de fer ; dès lors le citoyen (page 1267) français supporte en apparence une part contributive plus élevée pour le budget de la guerre ; mais en Belgique, où l'Etat perçoit des millions du chef des chemins de fer, le résultat doit être différent.

La vérité est qu'aucun pays civilisé n'est frappé de charges militaires aussi lourdes que la Belgique.

L'honorable M. Devaux ne s'est préoccupé que de l'effet qu'il peut produire sur quelques membres complaisants de cette Chambre ou en dehors sur la partie du public qui accepte les faits allégués sans les contrôler.

Je pourrais ajouter d'autres considérations encore pour démontrer que l'honorable membre est tout à fait étranger à des calculs financiers, ce qui ne m'étonne guère ; mais ce qui est plus surprenant, c'est que l'honorable membre paraisse ne pas connaître ou avoir oublié notre droit public.

D'après l'honorable membre, la Belgique n'a pas le droit d'avoir des alliances ni de contracter des alliances, mais elle aurait pourtant, dans certains cas, le droit de faire la guerre.

La Belgique n'a pas le droit de s'associer à des belligérants, cela est vrai, mais si j'ai bien compris l'honorable membre, la Belgique pourrait se trouver dans la nécessité de faire la guerre pour son propre compte.

M. Devaux. - Une guerre défensive.

M. Coomans. - Evidemment, je crois qu'elle a le droit de se défendre et quand elle rte l'aurait pas, j'espère bien qu'elle le prendrait. Cela va sans dire.

Mais l'honorable membre se trompe quand il prétend que nous n'avons pas d'alliés au point de vue de la guerre défensive ; nous avons cinq alliés puissants ; Cinq grandes nations nous sont unies par les liens les plus étroits ; elles nous ont dotés de la paix perpétuelle ; elles nous ont défendu, heureusement, de faire la guerre ; elles se sont engagées à nous maintenir en paix. Que d'autres trouvent cela humiliant, moi je m'en applaudis.

Je m'étonne que cette position éminemment pacifique soit interprétée par M. Devaux, comme nous imposant des charges écrasantes.

D'après M. Devaux, nous devons faire des dépenses militaires d'autant plus fortes que nous sommes un pays neutre, et notre budget de la guerre doit être d'autant plus élevé que nous ne pouvons pas faire la guerre ! Ceci est un paradoxe peu sérieux, mais ruineux.

Il m'a toujours paru qu'un Etat neutre n'était pas tenu d'avoir sur pied autant de troupes qu'un Etat belliqueux. Je dois ajouter que telle a toujours été l'opinion du peuple belge et même de ce parlement. Prétendre que la paix doit coûter plus cher que la guerre, c'est une nouveauté prêchée par l'honorable membre, c'est la seule nouveauté que j'aie trouvée dans son discours.

Non, la Belgique n'a pas le droit de faire la guerre, autrement que pour se défendre, Dieu sait quand et contre qui, c'est pourquoi je regrette que nous ayons un département de la guerre et un ministre de la guerre.

Je crains que cette seule formule département de la guerre, ministre de la guerre n'ait influé beaucoup sur nos dépenses militaires. L'influence des mots est terrible.

J'aurais voulu que nous n'eussions qu'un ministre de la force publique, c'eût été plus logique, plus simple, plus économique, moins tyrannique ; j'aurais laissé à d'autres puissances l'honneur périlleux d'avoir un ministre de la guerre.

- Un membre. - Pourquoi pas un ministre des armes ?

M. Coomans. - Des armes, il nous en faut certainement ; aimez-vous mieux : ministre des armes ? Soit ; mais quant à ministre de la guerre, je désire que ce nom soit changé. Un ministre de la guerre dans un pays condamné (je m'en félicite) à une paix perpétuelle est une fâcheuse anomalie.

L'honorable membre s'est fort effrayé, ou au moins s'est montré très indigné de la liberté grande qu'ont prise les Anversois, et du mauvais exemple qu'ils ont donné en se réunissant en meeting pour discuter leurs intérêts les plus chers.

L'honorable M. Devaux trouve évidemment que cela est fâcheux, et ce qui l'a particulièrement frappé, c'est que, dans ces meetings, il y ait, dit-il, si peu de contribuables. Il soupçonne même qu'il n'y en a eu guère.

Ceci devient assez grave. Je m'y arrête un instant.

M. Devaux. - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - Vous avez dit, je pense, qu'il n'y avait guère de contribuables dans ces meetings.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En général,

M. Coomans. - En général, n'importe le chiffre.

M. Devaux. - J'ai dit que ceux qui criaient le plus dans l'intérêt des contribuables, très souvent ne payaient pas de contributions.

M. Coomans. - Ce n'est pas mon cas, hélas !

D'ailleurs, tous les Belges sont contribuables, les petits plus que les grands.

Messieurs, il se cache sous ces observations de l'honorable membre, une sorte de prétention inconstitutionnelle que je ne suis pas fâché de combattre par avance.

Je n'admets pat cette doctrine des doctrinaires, que la politique belge ne doit être faite que par des censitaires, par des électeurs.

Je n'admets pas la souveraineté du corps électoral.

Selon moi, les électeurs sont des délégués, des délégués des non-électeurs, et les non-électeurs ont autant le droit de se mêler des grands intérêts belges que les électeurs. Je dirai même que c'est pour eux un devoir.

Car les électeurs ont besoin d'être éclairés par les non-électeurs, de même que nous avons besoin d'être éclairés, non seulement par les électeurs que nous consultons trop exclusivement, mais par les non-électeurs aussi.

Et d'ailleurs je ne connais personne en Belgique qui ne soit contribuable. (Interruption.) Puisque l'honorable membre m'y force, je lui dirai qu'à mon sens les contribuables, qui ne paraissent pas l'être, le sont souvent bien plus que les autres.

- Un membre. - Allons donc.

M. Coomans. - Je suis fâché de devoir le dire ; mais enfin le cercle des observations de l'honorable membre a été très large et force m'est de l'y suivre.

Tout le monde est contribuable en Belgique, même ceux qui ne figurent pas sur les listes électorales et même ceux qui ne figurent sur les listes d'aucun receveur des contributions. On est au moins contribuable indirectement, ne fût-ce que par la douane, par les accises, et Dieu sait si l'accise est assez considérable chez nous !

Pour moi, loin de m'affliger des meetings, je regrette qu'il n'y en ait pas davantage. Je voudrais que les citoyens belges s'occupassent plus que jamais de leurs affaires, de celles du pays, et que la coutume des meetings devînt plus générale. Je voudrais en voir jusque dans les villages. Il n'y a rien de plus constitutionnel que les meetings. Notre Constitution si large, si admirablement libérale, nous permet de faire une foule de choses dont nous avons parfois le tort de nous abstenir. La liberté des meetings, mais c'est le complément de la liberté de la presse, de la liberté d’association, de la liberté de l'enseignement, etc.

Et je ne m'effraye pas de quelques gros mots qui peuvent se dire soit dans la presse, soit dans des associations, soit dans des meetings. Je trouve qu'il est bon d'ouvrir toutes les soupapes de l'opinion publique. Nos mœurs peuvent supporter bien des choses qui paraissent anarchiques ailleurs.

L'honorable membre, au lieu de traiter si sévèrement les meetings d'Anvers, aurait mieux fait de lire attentivement certaines bonnes choses qui s'y sont dites.

Après tout, nous ne sommes pas infaillibles, ni les électeurs non plus. Nous ne représentons pas seulement les électeurs ; nous représentons les non-électeurs, la nation entière ; et pour ma part, j'écouterai toujours avec un très vif intérêt toutes les manifestations de l'opinion publique, pourvu qu'elles se renferment dans la légalité, et si c'est possible, dans les convenances. Ce que je tiens surtout à exclure, c'est la force brutale, ce sont les pavés. Mais quant aux coups de langue ou de plume, cela ne tue personne, et je crois que nous devons nous montrer très tolérants à ce sujet.

Un mot encore sur la défense nationale.

Nous nous trouvons toujours devant cette étrange pétition de principe : des hommes qui sont patriotes, je le veux bien, mais qui sont aussi bien orgueilleux et bien exclusifs nous disent sans cesse : Votez cela, approuvez cela, ou bien nous conclurons contre vous, que vous n'êtes pas partisans de la défense nationale.

Je le répète, nous voulons tous la défense nationale et la plus efficace, la plus sérieuse possible, et vous n'avez pas besoin de nous décrire la position déplorable où serait la Belgique après la conquête, pour nous inspirer le dégoût d'une invasion et d'une annexion. Mais la question est de savoir si votre défense nationale en est une, et voilà ce que je nie.

Je regrette de ne pas avoir sous la main les belles phrases de 1859, parties de la bouche de l'honorable membre contre les fortifications d’Anvers en faveur d'une défense nationale plus centrale.

(page 1268) Elles me viendraient bien à point contre ses belles phrases d'aujourd'hui.

Permettez-donc à des adversaires des fortifications d'Anvers de se croire aussi bon citoyens que vous. Et pensez-vous donc que la défense nationale ne serait pas plus assurée avec cette excellente armée de 25,000 à 30,000 mille volontaires dont je vous ai parlé tout à l'heure, avec les 100,000 peut-être, les 200,000 volontaires qui sortiraient comme de terre au jour du danger ?

Croyez-vous donc, pour le dire franchement, que je n'aurais pas plus de confiance dans ce second système militaire, le mien, que dans le premier, le vôtre ? Mais en définitive, j'ai beau examiner votre système, je n'y vois jamais que l'absence de la défense nationale. Il m'est impossible de concentrer la défense nationale dans un fort, une citadelle. La défense nationale, c'est la défense de la nation. Or, vous l'abandonnez, vous ne sortirez jamais de là, tandis que, dans ma pensée, vous n'auriez pas dû abandonner la frontière ni la plupart des forteresses que vous démolissez. En armant convenablement les citoyens, vous auriez pu résister aussi longtemps, peut-être plus longtemps qu'à Anvers, et certes plus honorablement.

Vraiment, ce que M. Devaux appelle mon système, cela est-il nouveau ? A-t-il raison de me faire tant d'honneur ? N'y a-t-il que de mauvais citoyens qui professent une pareille idée ?

Mais, messieurs, c'est un système pratiqué depuis des siècles. D'abord, la Belgique l'a pratiqué et très glorieusement pratiqué dans les temps anciens, mais il se trouve pratiqué aujourd'hui dans les deux mondes.

En Angleterre, ce pays que l'honorable M. Devaux nous vante si souvent, en Angleterre, il n'y a que des volontaires. En Amérique - et il paraît qu'on y répand beaucoup de sang, qu'on n'y fait pas la guerre pour rire - en Amérique, il n'y a que des volontaires, et autant que je puis en juger de loin par les journaux, il paraît que ces hommes ne manquent ni de cœur, ni d'âme, ni d'habileté.

Ce système est aussi pratiqué en Suisse et depuis des siècles, depuis Guillaume Tell. N'est-ce pas un patronage honorable ?

Mais de quel droit n'attribuez-vous pas aux volontaires autant de patriotisme qu'a vos conscrits forcés ?

- Un membre. - Vous n'aurez pas de volontaires.

M. Coomans. - Je sais bien que ce système ne convient ni à MM. les doctrinaires ni à d'autres qui considèrent les choses à un point de vue étroit ; je sais bien que loin de vouloir armer la nation belge sérieusement, quoique économiquement, on recule sans cesse ; on a peur même de la garde civique, on n'ose pas l'armer !

Quant à former des bataillons de volontaires, des bataillons sérieux, ce que je désire de tout mon cœur, ce que j'appelle de tous mes vœux, ce qui aurait, je pense, un grand succès en Belgique, je suis presque certain qu'on n'en fera rien.

On veut laisser le monopole de la défense nationale à l'armée. Or, je n'aime pas plus ce monopole que tout autre. La tâche est trop glorieuse pour ne pas être ambitionnée par tous les Belges ; elle est aussi trop délicate pour être abandonnée à la classe militaire proprement dite.

Messieurs, je finis. J'avais l'intention d'être assez dur pour l'honorable membre ; il l'a été pour moi à l'excès ; il m'a froissé dans ce que j'ai de plus cher, dans mes sentiments les plus intimes, sentiments qui valent les siens ; je dis les siens, pour rester modeste ; mais je me bornerai à lui dire que je n'accepte pas ses leçons inconvenantes et prétentieuses ; que je le prie de ne pas exercer sur moi les petits sévices parlementaires qu'il a exercés depuis si longtemps sur tous les bancs de cette Chambre et dont le succès n'a pas été tel, qu'il doive y trouver de l'encouragement à recommencer. La Chambre n'est pas une école, la férule n'y est pas de mise ; elle me déplaît surtout dans la main de M. Devaux.

J'ajouterai que l'influence des idées de l'honorable membre, idées qu'il défend avec beaucoup plus de talent que d'urbanité, m'a toujours paru déplorable.

Je pense que l'influence de ce qu'on appelle la doctrine ou les doctrinaires, que je nomme moi les hommes qui n'ont pas de doctrines fixes, je pense que cette influence a été fatale à la Belgique.

Les doctrinaires ont fait mentir la devise nationale, ils ont profondément divisé le pays, ce qui est très contraire aux intérêts de la défense nationale, ils ont provoqué les scissions et la désaffection.

Ils ont, sous des apparences libérales, dont trop d'hommes ont été dupes, toujours soutenu des idées illibérales, toujours défendu le pouvoir fort, toujours empêché les réformes les plus justes, les plus populaires.

Ils ont maintenu un mauvais système d'impôts et se sont opposés aux réformes financières qui étaient possibles et équitables. Je suis bien persuadé qu'ils n'admettraient ni une réforme large de la loi de milice dans le sens d'une indemnité raisonnable ou des enrôlements volontaires, ni la suppression de l'impôt sur le sel, ni la réduction des droits sur la bière et sur toutes les denrées alimentaires de premières nécessité, choses que je voudrais voir se réaliser dans mon pays.

J'ai donc toujours été, même avant d'avoir l'honneur de siéger dans cette enceinte, opposé aux doctrinaires, j'ai même eu maintes fois l'occasion de manifester ce sentiment, car, Dieu merci, je ne cache pas mes opinions, je ne les ai jamais cachées et je les ai défendues de très bonne, de trop bonne heure peut-être dans la presse française et flamande. J'ai fait la guerre aux doctrinaires, sans masque, sans peur, avec fermeté, avec loyauté.

Je suis persuadé que l'honorable M. Devaux s'en souvient et me tient rancune. Peu m'importe ; il ne m'a jamais intimidé, il ne m'intimidera point et je le combattrai encore, lui et ses doctrines. (Interruption.)

Oui, je l'avoue, je combats M. Devaux depuis 28 ans ; je m'en honore. Libre à lui de trouver l'occasion présente favorable pour essayer de se venger, mais j'espère que cette tentative ne sera pas couronnée de succès.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois, M. le président, que l'objet qui est à l'ordre du jour est la question de savoir si on doit ou si l'on ne doit pas démolir les citadelles d'Anvers ?

M. le président. - Précisément.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'avais fini par l'oublier un peu ; l'honorable membre qui vient de se rasseoir a, dès hier, complètement déplacé la question.

M. le président. - M. Devaux s'en était aussi écarté.

- Des membres. - Très bien !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je pense que M. le président, pas plus que les honorables membres qui disent : Très bien ! ne m'ont entendu. J'ai dit que, depuis hier, M. Coomans avait déplacé la question, et M. Devaux n'a fait aujourd'hui que répondre à M. Coomans.

M. Rodenbach. - M. Coomans a répondu à M. De Fré.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. De Fré a traité la question des citadelles, qui était à l'ordre du jour, et il a développé son opinion en faveur de la défense nationale ; c'est là tout le fond du discours de l'honorable membre.

Maintenant, à propos de l'objet à l'ordre du jour, quelle question n'a pas été traitée par l'honorable M. Coomans ? Je devrais m'engager dans une discussion sans fin, si je voulais le suivre dans toutes ses digressions.

L'honorable membre a fait, en terminant tout à l'heure, le procès à toute la politique de la Belgique, à tous les hommes qui se sont succédé aux affaires depuis 1830 ; parmi ces hommes, il a dû comprendre sans doute ses honorables amis, qui ont été fort longtemps au pouvoir ; ces hommes n'ont rien fait ; ces hommes ont repoussé toute espèce de réforme, toute espèce d'amélioration ; ils n'ont voulu proposer aucune de ces mesures qui seraient si populaires, si sympathiquement accueillies selon l'honorable M. Coomans.

Eh bien, que l'honorable membre en fasse un grief à ses amis ; qu'il commence surtout par faire lui-même son mea culpaû. Quoi ! l'honorable membre qui vient de parler des impôts qui pèsent sur les objets de première nécessité, et qui demande des dégrèvements sur les denrées alimentaires, l'honorable membre a-t-il oublié qu'il a été notre adversaire le plus acharné lorsque nous avons voulu faire abolir la loi sur les céréales ? A-t-il oublié qu'il a, dans cette enceinte, combattu à outrance toute mesure que nous avons proposée dans ce sens ? Il n'y a eu de réformes présentées en ces matières que par nous seuls...

M. Coomans. - Nous attendons encore votre réforme industrielle promise il y a dix ans.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle a été votée l'an passé, avec notre dernier traité ; mais, vous le voyez, messieurs, à chaque interruption ce serait un nouveau thème de discussion et je n'en finirais pas.

Messieurs, l'honorable membre, à propos de cette question des citadelles, a traité la question des dépenses militaires ; il l'a introduite dans le débat ; il s'est attiré aujourd'hui une réplique vigoureuse, éloquente, et qui, par son caractère sérieux, forme un heureux contraste avec le discours que vous avez entendu hier. C'est grâce aux éloquentes et patriotiques paroles de l'honorable M. Devaux, que l'honorable membre a dû changer de système...

M. Coomans. - Il est bien vieux, mon système.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous voulez la défense nationale...

M. Coomans. - Par la nation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous voulez la défense nationale comme tout bon citoyen, comme tout bon patriote, dites-vous. Mais c'est avec une armée de volontaires que vous voulez organiser cette (page 1269) défense, c'est en soufflant sur les fortifications qui existent dans le pays, c'est en nous conviant à les établir dans les sables de la Campine.

M. Coomans. - Diest n'est-elle pas dans la Campine ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a compris ce que vous demandiez, lorsque vous exprimiez le désir que votre souffle fût assez puissant pour faire tomber nos fortifications ! Si, au lieu d'essayer d'agiter le pays par ces mots : Réduction des dépenses militaires...

M. Coomans. - Charges militaires. C'est tout autre chose.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dépenses militaires ou charges militaires, comme vous voudrez. Mais, au lieu d'essayer d'agiter le pays par ces vaines promesses, que ne lui faites-vous entendre les paroles que l'on a réussi à vous arracher aujourd'hui ? Que ne lui dites-vous :

« La question de dépense m'importe peu ; c'est de la défense nationale que j'ai souci avant tout ; ce ne sont pas des réductions de dépenses que je viens présenter au pays ; il se peut que, dans mon système, les dépenses ou les charges militaires seront plus considérables qu'elles ne le sont aujourd'hui ; mais le système que je préconise est plus juste et plus efficace. »

Parlez ainsi au pays ; tenez-lui ce langage. Mais, au lieu de lui tenir un pareil langage, vous essayez d'exciter les mauvais appétits, en lui parlant de la réduction des dépenses...

M. Coomans. - Des charges.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et c'était là tout le thème de votre discours d'hier.

M. B. Dumortier. - C'était votre thème, M. le ministre, il y a dix ans.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'y viendrai tout à l'heure ; soyez tranquille, je ne ménagerai aucune espèce de réponse.

Mais, encore une fois, c'était le thème de votre discours d'hier. Hier encore vous disiez : « Si l'on pouvait réduire les impôts, si l'on pouvait faire disparaître l'accise sur le sel, abolir quelques-uns des autres impôts d'accise, alors la Belgique deviendrait le pays modèle ; elle serait comme une espèce de Bétique, une Salente, elle serait ce pays merveilleux, rêve des philosophes, et qui n'est encore réalisé nulle part... » Voilà ce que vous faisiez entendre hier. C'est donc en vue d'obtenir la réduction des dépenses militaires que vous parlez dans cette enceinte, et que vous essayez de produire de l'agitation au-dehors ; c'est en représentant les charges militaires comme excessives, que vous essayez de faire prévaloir votre système.

Or, qu'est-il résulté de la discussion d'aujourd'hui ? L'honorable membre veut avoir une armée permanente composée de volontaires, plus tous les citoyens armés...

M. Coomans. - Pas du tout ; plus des volontaires.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ayez parlé de 25,000 à 30,000 volontaires comme armée permanente, et de 100,000 volontaires comme armée de réserve...

M. Coomans. - Oui ; c'est le système anglais et le système américain.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, je vous dirai tout de suite que le système anglais et le système américain sont les deux systèmes militaires les plus chers du monde entier. Voilà ce qu'il faut ajouter à votre thème, et alors nous pourrons discuter. Je conçois que vous défendiez ce système ; je ne dis pas qu'il n'y ait pas de raison pour le soutenir ; mais ne promettez pas au peuple ce que vous ne pouvez pas lui faire obtenir, ne lui faites pas entrevoir des réductions de dépenses ; annoncez-lui, au contraire, des augmentations de charges s'il se rallie à vos idées.

Les dépenses, dans votre système, seraient, en effet, beaucoup plus considérables, les charges beaucoup plus lourdes.

Il est assurément impossible d'avoir une armée de volontaires de 25,000 à 30,000 hommes, au même prix qu'une armée de 25,000 à 30,000 miliciens. Nous n'aurions pas à beaucoup près les volontaires dans les mêmes conditions que les miliciens... (Interruption.) Vous n'aurez plus la milice me dites-vous ; soit ! Encore une fois, votre système est discutable, mais je dis qu'en le préconisant, vous ne pouvez pas promettre au pays que sa réalisation aura pour conséquence une réduction des dépenses militaires. Il faut avoir le courage et la franchise de lui dire que ce système lui coûtera plus cher.

Je suis donc fondé à dire que vous trompez la nation, lorsque vous affirmez qu'avec votre système vous obtiendrez la réduction des dépenses actuelles. Je dis que, sans entrer dans l'examen des organisations, le système actuel, comparé au vôtre, est celui qui coûte le moins. Cessez donc enfin ces vaines déclamations qui n'ont d'autre but que d'égarer l'opinion, je ne sais dans quel intérêt, en faisant miroiter l'appât de prétendues réductions de nos charges militaires, que vous savez parfaitement n'être pas plus possibles dans votre système que dans celui qui existe aujourd'hui.

Maintenant, on nous parle de l'état du pays ; on le représente comme succombant sous le poids des impôts. C'est un fardeau qu'il ne peut plus supporter, au dire de l'honorable membre.

Messieurs, c'est vraiment la chose la plus étrange et la moins concevable qu'une pareille allégation, qui est une contre-vérité évidente pour tout homme impartial. Bien loin d'avoir subi dans leur ensemble une aggravation quelconque, les impôts en général ont diminué proportionnellement, d'une manière très sensible.

L'impôt foncier est moins élevé en Belgique qu'il ne l'était en 1800.

La loi sur les patentes date de 1819, et certainement la quotité de l'impôt n'est plus aujourd'hui dans le même rapport qu'à cette époque, avec les bénéfices réalisés.

La loi sur la contribution personnelle date de 1822. Elle comportait un principe qui lui permettait de fournir successivement des ressources nouvelles au trésor, à mesure du développement de la richesse publique. Mais, par une disposition prise en 1831, on a, en quelque sorte, immobilisé cet impôt.

Je reconnais que nous avons dû proposer quelques impôts nouveaux ; mais ils compensent à peine la réduction de charges qui a eu lieu depuis 1829. D'autres impôts ont d'ailleurs disparu ; les droits de douane ont été réduits ou supprimés pour beaucoup d'articles de notre tarif. Enfin, tout récemment encore, en 1860, par la loi qui a aboli les octrois, l'ensemble des charges publiques a été de nouveau diminué de 2 à 3 millions annuellement.

Voilà la situation exacte ! Et c'est en présence de ces faits incontestables, que l'on s'en va prêchant à tous propos que le pays succombe sous le poids des impôts, et que l'on proclame que les charges militaires sont excessives, eu égard à nos revenus.

Voyons donc, messieurs, quel est, par rapport à nos ressources, la dépense de notre état militaire.

Ici l'honorable membre nous dit : « Que me parlez-vous de nos ressources ? Le chemin de fer fournit des revenus importants au trésor. Je les écarte, j'en fais fi. Je m'occupe exclusivement des impôts, et je compare nos dépenses aux impôts. » La proportion est alors plus forte et l'honorable membre triomphe, de telle sorte que si, par un bonheur providentiel, nous trouvions par nos chemins de fer, par nos domaines, par nos revenus, de quoi faire face à toutes nos dépenses, sans impôts ou avec une somme d'impôts excessivement minime, l'honorable membre viendrait signaler cette position comme extrêmement malheureuse, parce que les dépenses de notre état militaire formeraient une somme double ou triple du reste des impôts que nous aurions conservés.

Cet argument serait-il sérieux ? Pourrait-il être produit devant la Chambre ? Je ne pense pas que personne le pût écouter sans rire.

Il faut, messieurs, comparer nos dépenses à nos ressources, quels que soient les moyens à l'aide desquels nous obtenons ces ressources. Tant mieux si nous les obtenons autrement que par l'impôt. Je ne veux pas entrer dans les détails de toutes ces comparaisons ; mais voyons si notre position est alarmante, si nos charges militaires sont devenues excessives par rapport à nos ressources,

Pendant 9 années, de 1831 à 1839, les dépenses militaires se sont élevées à 454 millions, soit à 50,440,000 fr. par an.

Savez-vous, messieurs, ce que cela représente par rapport aux ressources ? 58 p. c. des ressources ordinaires, et 32 p. c. de l'ensemble de nos dépenses. On dira peut-être qu'alors l'indépendance de la Belgique n'était pas reconnue, que nous étions dans une sorte d'état de guerre et que nos dépenses militaires devaient par conséquent être plus considérables. Soit, tenons cette période en dehors de nos calculs.

En 1840, notre dépense militaire tomba à 30,759,000 fr., c'est-à-dire 30 pour cent de nos ressources, et 30 pour cent de l'ensemble de nos dépenses.

De 1842 à 1851, les dépenses - je parle des dépenses ordinaires et extraordinaires - ont varié entre 26,180,000 et 35,165,000 fr. La proportion, quant à nos ressources, est de 22 p. c, et, quant aux dépenses, de 28 p. c.

De 1852 jusqu'à ce jour, les dépenses ont augmenté. Il y a eu la réorganisation de l'armée, les dépenses urgentes et extraordinaires pour la défense du pays, pour le matériel de l'artillerie et du génie, pour les fortifications, pour l'augmentation de la masse du pain et de la masse des fourrages.

Eh bien, messieurs, malgré toutes ces augmentations, quelle est la proportion des dépenses militaires par rapport à nos ressources et à nos (page 1270) dépenses ? Par rapport aux ressources, 21 p. c. Relativement aux dépenses, 28 p. c.

Voilà la vérité ! Voilà ce que contestait tout à l'heure l'honorable M. Coomans. Et maintenant, si l'on retranche les dépenses extraordinaires pour le matériel du génie et de l'artillerie, qui ne sont pas des dépenses permanentes, j'imagine ; si l'on retranche la dépense pour les fortifications d'Anvers, car, apparemment, nous n'aurons plus à en faire de pareilles ; si l'on retranche ces grandes dépenses extraordinaires qui ne peuvent plus se représenter, le budget étant ramené à 34 ou même à 35 millions, ce sera, par rapport à nos ressources, 21 p. c. et par rapport à la dépense générale 25 p. c. tout au plus.

Voilà la situation dans sa plus rigoureuse exactitude.

Est-ce à dire qu'il ne faille point apporter en cette matière, comme, en toutes les autres, la plus grande économie ? Mais nous avons toujours été de cet avis. Toujours, nous avons déclaré dans cette Chambre qu'il ne fallait pour les dépenses de la guerre, comme pour tous les autres services publics, - et pour celui-là surtout - faire que ce qui était rigoureusement nécessaire ; mais nous avons toujours soutenu aussi que, quelle que fût la situation, il fallait savoir faire tous les sacrifices nécessaires pour y faire face.

Mais non ! me dit-on, ce n'est pas là la thèse que vous avez soutenue. On me disait hier encore, on me répétait tout à l'heure que j'avais soutenu qu'il fallait à tout prix ramener le budget de la guerre à 25 millions, que cette limite des dépenses militaires entrait spécialement dans nos vues.,

Vingt fois déjà nous avons dû faire l'histoire de ce budget de 25 millions. Il faudra bien la refaire encore ! A une certaine époque, les finances étaient dans un état très précaire ; des ressources devaient être créées pour faire face à des besoins impérieux ; une fraction de la gauche déclarait que des réductions étaient possibles sur les dépenses militaires, et que, partant, il n'y avait pas lieu de voter de nouveaux impôts aussi longtemps que ces réductions n'auraient pas eu lieu. D'autre part, à droite, une minorité imposante se refusait absolument, sauf un membre, l'honorable M. de Decker, à voter de nouveaux impôts, pour quelque motif que ce fût.

Il fallait sortir de cette situation.

Messieurs, pas d'impôts, pas d'argent, un trésor vide, c'était le sacrifice de l'armée comme de tous les autres services publics. Qu'a fait le cabinet ?

Est-il venu proposer, il en avait le pouvoir si telle avait été sa pensée, de ramener le budget de la guerre à 25 millions ? Pas le moins du monde. Il a dit qu'il entrait dans ses vues de réduire le budget de la guerre à 25 millions, si c'était une chose reconnue praticable. Et, en conséquence, il a proposé d'instituer une commission chargée d'examiner toutes les questions relatives à notre organisation militaire.

A la suite de cette motion, qui avait été très vivement combattue et que quelques-uns de nos amis repoussaient comme étant compromettante et même dangereuse (le résultat a prouvé que nous avions raison et qu'ils se trompaient), la situation a changé complètement.

Quelle a été la conséquence de la simple adoption de la motion ? C'est que, immédiatement, les ressources qui manquaient au trésor ont été votées par la majorité, qui avait loyalement accepté cet examen et qui n'avait pas entendu imposer la réduction de la dépense en tout état de cause, même s'il était démontré que cette réduction était impossible. C'est là, messieurs, ce que l'honorable M. Coomans nous signale, pour la vingtième fois, comme étant l'une de nos contradictions.

Mais il ne s'en étonne guère, car, nous dit-il, nous tombons dans bien d'autres contradictions. Ne sommes-nous pas tombés dans cette étrange contradiction, de venir proposer une grande enceinte après l'avoir combattue, après avoir déclaré que jamais nous ne proposerions un semblable travail ; bien plus, selon l'honorable membre, qui répète un propos tenu ailleurs, après avoir pris l'engagement de ne pas le faire...

M. Coomans. - C'est M. Verhaegen qui l'a dit et pas moi ; vous n'avez jamais pris d'engagement envers moi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous feignez de ne pas entendre et de pas comprendre. J'ai dit que vous répétiez un propos tenu ailleurs.

M. Coomans. - Je me trouve ici en bonne et nombreuse compagnie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais je suis dans la vérité en disant que vous répétiez un propos tenu ailleurs.

Déjà mon honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères, interrompant hier l'honorable M. Coomans, a fait justice de cette assertion ; les Annales parlementaires, par parenthèse, m'attribuent l'interruption ; mais l'honorable M. Coomans, même assistant aux débats, n'entend pas ou feint de ne pas entendre ce qui lui est objecté, ou bien il tient pour non advenues les preuves qui lui sont apposées. Ce n'est pas la première fois, je le répète, que j'entends la même objection de sa part. Dans la séance du 19 mars, il l'a déjà produite et j'en avais déjà fait justice. J'ai dit à l'honorable membre que la grande enceinte était si peu exclue des projets du gouvernement, que l'exposé des motifs de la loi en contient la mention expresse. L'exposé des motifs porte :

« La question du système défensif d'Anvers, combiné avec l'agrandissement de cette ville, après avoir été tenue en suspens pendant plusieurs années, ne pouvait plus être ajournée.

« Le gouvernement l'a examinée avec toute l'attention dont elle est digne, et avec la ferme volonté de ne rien négliger pour concilier à la fois les intérêts du commerce et de la population avec ceux de la défense du pays.

« Le plan qu'il a cru devoir adopter se lie à l'agrandissement général de la ville ; mais outre la difficulté d'affecter immédiatement des sommes considérables à une extension qui donnerait à la ville une superficie environ six fois plus grande, il y a aussi à prendre en considération les perturbations profondes qui résulteraient, pour la valeur vénale des propriétés, d'un changement qui ne serait pas suffisamment ménagé.

« Le gouvernement pense que l'agrandissement proposé répond le mieux aux besoins actuels ; mais l'emplacement des forts détachés a été déterminé de manière à faire système avec la grande enceinte future. »

Voilà ce qui est signé de nous tous, et de moi en particulier, et ce qui ne me paraît pas du tout se concilier avec la thèse que vous soutenez, et d'après laquelle nous nous serions déclarés, en 1858, les adversaires absolus de toute grande enceinte quelconque. Cette prétendue déclaration n'existe, et tout au plus, que dans votre imagination.

M. Coomans. - Il y a autre chose encore.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, sans doute, il y a autre chose encore, et je vais m'en occuper immédiatement.

Ainsi M. le ministre de l'intérieur, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, parlant dans la séance du 21 juillet 1858, examinait diverses hypothèses et il arrivait à celle-ci :

« La quatrième hypothèse, c'est la grande enceinte, destinée à remplacer la vieille enceinte. Eh bien, je l'ai déjà dit : cette dernière hypothèse, nous ne la repoussons pas ; nous sommes prêts à l'accepter en principe.

« Mais nous déclarons que nous ne sommes pas suffisamment éclairés sur la question. Nous déclarons qu'au point de vue financier, nous ne savons pas encore en quoi consiste le concours efficace de la ville d'Anvers, condition sine qua non imposée à la ville d'Anvers par la section centrale qui est favorable à la grande enceinte. Les hommes spéciaux ne sont pas non plus d'accord sur le tracé définitif de ce grand travail. »

Est-ce clair ? Mais il y a encore autre chose.

M. Coomans. - Certainement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que je dis : Il y a autre chose encore. Vous m'opposez, en la dénaturant, une phrase que j'ai prononcée, et vous m'accusez d'avoir déclaré qu'aucun ministère ne serait disposé à proposer la grande enceinte. J'avais beau vous interrompre et vous dire : La grande enceinte qui avait alors été étudiée, et qui devait absorber des sommes considérables, puisqu'il s'agissait de 80 millions, et que personne sans doute n'entendait proposer. - Non, dites-vous ; ce n'est pas de cela qu'il s'agit ; il s'agit d'une grande enceinte quelconque, n'eût-elle dû coûter que dix millions ; vous ne vouliez pas de grande enceinte, c'était chose dangereuse, impossible. - Eh bien, messieurs, je vais vous faire juge de la loyauté de discussion de l'honorable membre. Je lirai dans un instant le paragraphe d'où il a extrait le lambeau de phrase qu'il répète constamment.

Après avoir établi, dans la séance du 29 juillet 1858, que l'agrandissement au nord avait été accepté par les autorités d'Anvers, je faisais remarquer avec étonnement qu'un projet dans ce sens était à peine déposé, que l'on demandait l'exécution immédiate d'une grande enceinte, et je poursuivais en ces termes : « Le gouvernement, cette fois encore, va-t-il repousser les demandes d'Anvers ? Va-t-il dire dès ce moment et sans autre examen - il en avait le droit - c'est assez, vous reconnaissez vous-même qu'un agrandissement plus considérable est une question d'avenir ; on avisera plus tard.

« Non, le gouvernement consent encore à faire étudier cette question.

« On l'examine, mais surtout quant aux dépenses qu'entraînerait l'extension sollicitée. Il en résulte, messieurs, que la charge qu'il faudrait s'imposer de ce chef serait tellement considérable, que je ne crois pas qu'on trouve un ministère disposé à la proposer. »

Qu'est-ce que cela signifie pour tout homme de bonne foi ? C'est que la (page 1271) grande enceinte, préconisée alors, étudiée par le génie militaire, surtout quant à la dépense, devait entraîner une charge trop considérable pour que l’on pût songer à la proposer. Pour l'honorable membre, cela signifie que dans ma pensée une grande enceinte quelconque était une chose inutile, dangereuse et à jamais proscrite.

Nonobstant mes déclarations si précises, il n'y a pour l'honorable membre que quatre mots dans toute cette phrase ; il n'en reste que ce lambeau isolé qu'on ne trouverait pas un ministère qui fût disposé à proposer une grande enceinte.

Messieurs, qu'est-ce que c'est qu'une discussion conduite avec une pareille loyauté ? Il faut bien le dire, elle devient impossible.

J'ajoutais :

«... Si ce temps était venu, et il n'est pas venu, de s'occuper de l'exécution d'une grande enceinte, le concours financier de la ville qui serait nécessairement réclamé... par un concours réel et efficace, c'est-à-dire des écus levés pour exécuter ces travaux que l'on demande dans l'intérêt de la ville...

« Le gouvernement vous déclare que son projet n'est pas un obstacle à la réalisation, dans l'avenir, d'une grande enceinte ; il vous déclare que tous les travaux qu'il fera pourront se concilier avec une grande enceinte...

« Je concevrais l'opposition aux plans du gouvernement si ces plans étaient tels qu'ils ne permissent jamais à la ville de s'étendre au-dehors. Mais il n'en est rien. »

Voilà, messieurs, quels étaient les hommes qui s'étaient engagés à tout prix, dans toutes les conditions possibles, qui s'étaient engagés irrévocablement à ne jamais proposer l'exécution d'une grande enceinte ! J'espère que cette fois sera la dernière que j'aurai à m'expliquer sur ce point avec l'honorable membre.

Messieurs, je puis maintenant, je crois, dire quelques mots de la question qui est réellement en délibération. Cependant, j'ai auparavant un reproche à repousser encore. D'après l'honorable M. Loos, c'est par la faute du gouvernement que tout ce que nous voyons est arrivé ; c'est à nous qu'il faut tout imputer.

J'ai lu que c'est grâce à l'obstination du gouvernement, qui avait rejeté les demandes les plus légitimes de la ville d'Anvers, qu'on avait poussé la population ou une partie de la population anversoise à demander la démolition des citadelles. Messieurs, j'en demande bien pardon à l'honorable membre, mais je vais déclarer ici une chose qui peut-être étonnera : c'est que, jusqu'au jour où il y a eu un premier meeting à Anvers, j'ai complètement ignoré qu'il y eût de la part de cette ville une prétention quelconque sur laquelle le gouvernement eût à statuer.

M. Loos. - Ce n'est pas ma faute à moi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais pas à qui en revient la faute, mais je dis que, ni officiellement, ni officieusement, ni verbalement, ni par écrit, ni d'une façon quelconque, je n'ai entendu parler alors d'une question concernant Anvers sur laquelle le gouvernement eût à statuer. Voilà la vérité.

M. Loos. - Vous me forcez donc à dire ce qui s'est passé. Eh bien, je le ferai ; je suis inscrit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vous force absolument à rien ; je réponds à un reproche ; je repousse la position que l'on me fait. On fait du gouvernement le point de mire de toutes les attaques ; on le représente comme ne voulant rien faire, comme provoquant le mécontentement et la résistance ; il faut cependant bien qu'il ait le droit de se défendre.

M. Vervoort. - Depuis très longtemps le gouvernement s'est occupé d'un projet de loi sur les servitudes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'a pas été question de cela.

Or, le jour où une émotion s'est manifestée à Anvers, je me suis rendu au département de la guerre pour savoir d'où naissait cette émotion. J'ai appris que la seule question qui eût été agitée était relative à la servitude de la citadelle du Nord ; j'ai appris que le département de la guerre était disposé à restreindre la zone à 250 mètres.

C'était là la seule réclamation qui eût été adressée au gouvernement ; toutes les autres se sont produites sans qu'on se soit adressé au gouvernement.

Ainsi, chose étrange, pour la question d'indemnité, personne ne s'est adressé au gouvernement ; on s'est adressé directement à la Chambre, et on a été jusqu'à faire un grief au gouvernement de ce que la Chambre n'avait pas statué assez promptement sur les pétitions.

C'était donc à la Chambre qu'on s'était adressé et pas au gouvernement, et le jour où il a fallu se prononcer, le gouvernement n'a pas apporté le moindre retard à émettre son opinion sur la question. Mais avant ce jour, l'agitation était née. Du reste, le gouvernement ne pouvait pas plus accueillir les réclamations faites de ce chef, que celles qui ont été formulées en même temps relativement à la démolition des forteresses. Quant à cette démolition, est-il juste qu'on puisse répandre constamment au sein des populations ces affirmations singulières, que la construction de la citadelle du Nord ne devait pas avoir lieu ; que le gouvernement a trompé la Chambre et le pays en leur laissant ignorer qu'il dût être établi à Anvers une citadelle aussi considérable que celle qui s'y élève actuellement. (Interruption.)

Je sais que les honorables collègues, membres de la députation d'Anvers, ne soutiennent pas cette prétention ; mais à Anvers on la soutient ; on la soutient aussi dans la pétition qui nous est adressée ; il y est dit textuellement qu'on a ignoré l'existence de cette citadelle et que si par hasard quelques membres de la Chambre ont pu soupçonner le projet d'ériger une citadelle quelconque, ils ne se doutaient pas que ce travail pût avoir un caractère aussi formidable que celui qui s'exécute en ce moment.

Rien n'est donc plus important pour le gouvernement que de faire connaître la vérité sur ces étranges allégations, surtout en dehors de cette enceinte.

Eh bien, messieurs, je puis déclarer et prouver que rien n'a été plus connu que l'existence de cette citadelle. Permettez-moi de vous rappeler que, dans la discussion de 1858, l'un des arguments opposés par le commissaire du Roi au projet alors produit sous le nom de Keller et Cie c'était l'absence d'une citadelle, d'un réduit ; il citait à ce sujet les opinions de divers ingénieurs, notamment de Gassendi ; il citait également l'opinion de l'honorable général Goblet. « Si l'on conservait Mons, disait ce dernier, il faudrait le compléter par une citadelle conformément aux principes militaires invariablement applicables aux places de grande étendue. »

Le commissaire du roi, s'appuyant sur ces autorités considérables, ajoutait :

« Il résulte de là que le système de grande enceinte de la section centrale, que ce système n'est pas complet et qu'il y manque une chose importante.

« Si l'on construit la grande enceinte, vous devez, pour être d'accord avec vos principes, y créer un grand réduit, et j'ajoute que ce réduit est d'autant plus indispensable que notre enceinte est plus faible. »

Or, à peine la Chambre s'était-elle prononcée et avait-elle rejeté la projet de petite enceinte, que, dès le mois d'octobre 1858, (erratum, page 1301) on imprimait en faveur d’Anvers, tout le monde sait aux frais de qui, un nouveau plan de la grande enceinte dans lequel on avait fait droit aux objections qui s'étaient produites dans le sein du Parlement ; on avait fait disparaître la pointa de Berchem, qui avait été l'objet des plus vives critiques dirigées contre le tracé.

On avait établi une citadelle au Nord avec cette mention formelle inscrite sur le plan : « Citadelle du Nord », et ce plan que je remets sous vos yeux a été envoyé à tous les membres de la Chambre.

M. B. Dumortier. - Je ne l'ai pas reçu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je l'ai reçu ainsi que beaucoup de mes collègues.

Quelques mois après, le 4 mars 1859, on a complété cette publication en indiquant d'une manière plus exacte encore les projets formés ; et sur ce nouveau plan figurent encore, avec la grande enceinte, la citadelle du Nord.

Voilà ce qui était publié aux applaudissements d'Anvers et envoyé à chacun de nous. Et non seulement les plans indiquaient positivement la citadelle du Nord, mais un mémoire était produit à l'appui de ces plans pour préciser l'objet de chaque construction et sa raison d'être ; on prévoyait quelles objections seraient probablement faites, pourquoi on ne manquerait pas de dire à Anvers que la citadelle menacerait la ville et les établissements maritimes ; ce à quoi l'auteur du plan répondait qu'il était impossible de supposer que jamais les feux fussent tournés du côté des établissements maritimes.

M. Loos. - Ils sont à 900 mètres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne signifie rien dans la question ! 900 mètres, 500 mètres ou 2,000 mètres, cela est tout à fait indifférent, avec une artillerie qui porte à plus de 5,000 mètres !

On a donc formellement indiqué l'objet de la citadelle au mois de mars 1859. Au mois de juin ou de juillet 1859, le gouvernement se décide à proposer ce plan de grande enceinte, plan qu'il avait élaboré et soumis à une commission de 27 officiers généraux, qui l'avaient examiné et (page 1272) approuvé définitivement. C'est le plan qui s'exécute aujourd'hui. Il comprend la citadelle avec la grande enceinte.

Que fait alors le gouvernement ? Il communique ce plan à l'autorité communale d'Anvers avant d'en saisir la Chambre. Et pourquoi soumettait-il ce plan à l'autorité communale d'Anvers avant d'en saisir le parlement ? Parce que son concours était réclamé ; le conseil communal d'Anvers devait apprécier si le plan lui convenait. Voyons quelle a été cette appréciation.

La ville d'Anvers, à la vue de ce plan, fait, une offre de 9 millions pour l'acquisition des terrains ; et après un simple échange de lettres, après quelques observations rapidement débattues, parce que cette affaire était traitée avec l'honorable bourgmestre, qui montre toujours beaucoup de zèle, beaucoup de soins et de persistance, comme chacun le sait, l'offre est portée à dix millions et immédiatement acceptée.

Voici la lettre officielle écrite par l'autorité communale d'Anvers, le 12 juillet 1859 :

« Monsieur le Ministre,

« Par la lettre que, sous la date du 8 de ce mois, vous nous faites l'honneur de nous adresser, vous considérez comme insuffisante la somme de neuf millions que nous avons offerte pour les terrains militaires composant les travaux de défense de la place.

« A la réception de votre dépêche susdite, nous nous sommes donc immédiatement réunis et nous avons résolu de saisir le jour même le consei communal de la proposition de payer au gouvernement une somme de dix millions dans les délais fixés par notre lettre du 1er courant.

« Le conseil ayant été réuni samedi soir, nous lui avons soumis cette proposition, en l'appuyant de tout notre pouvoir, sans lui dissimuler cependant l'importance du sacrifice auquel nous l'invitions à souscrire.

« Le conseil appréciant comme nous toute la gravité des circonstances et ne voulant à aucun prix que l'insuffisance de son concours puisse servir de prétexte à la non-exécution du plan conçu par le gouvernement, le conseil, disons-nous, n'a pas hésité à souscrire à la proposition du collège et nous a autorisé à traiter avec le gouvernement pour la cession, etc.

«... Le conseil nous a chargé de stipuler avec le gouvernement :

« 1°...

« 2°...

« 3°...

« 4° Que les quais à l'usage du commerce et de la navigation pourront se prolonger jusque devant LA CITADELLE DU NORD. »

Il me semble que la citadelle du Nord était donc parfaitement connue avant même que le plan fût soumis aux Chambres.

Nous étions ainsi parfaitement d'accord avec l'autorité communale d'Anvers, comme cette lettre le démontre à toute évidence.

La Chambre est ensuite saisie du projet, le plan lui est soumis. Ce plan comprenait la citadelle du Nord. Personne ne dit rien ; tout le monde l'accueille. L'honorable M. de Gottal invoque aujourd'hui sa jeunesse, sa candeur, qui ne lui a pas permis alors d'apprécier tout cela ; il nous a un peu cru sur parole, parce qu'il était encore novice ; maintenant il ne nous croira plus que sous bénéfice d'inventaire. Soit ! Mais enfin il a vu, tout le monde a vu, la section centrale a vu.

La section centrale ne s'est même pas contentée de la production des plans ; elle a demandé le devis détaillé. On lui a produit ce devis détaillé, qui contient l'énumération de toutes les dépenses à faire pour la citadelle du Nord. Tous les membres de la section centrale ont vu ce devis détaillé, et malgré la jeunesse de l'honorable M. de Gottal, il faut bien encore que cela soit.

M. de Gottal. - Etait-il possible de voir dans ce devis que la citadelle serait entourée de tous côtés d'inondations et que l'attaque ne serait possible que du côté de la ville ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne connaissiez pas encore alors l'art militaire, vous ne connaissiez pas la stratégie. Vous avez fait depuis de grands progrès. Mais, quoi qu'il en soit, je constate que les faits n'ont jamais été dissimulés.

M. de Gottal. - Je vous félicite si vous voyez tout cela dans un devis.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous plains, si vous êtes réduit à soutenir que vous n'avez connu ni la situation ni la destination de la citadelle.

Voici maintenant que l'on posait des questions au gouvernement, et le gouvernement ne va pas, j'imagine, dissimuler sa citadelle du Nord.

« Déjà le ministre de la guerre, en sections, avait donné sur certains points et verbalement des assurances rassurantes, écarté l'hypothèse d'une augmentation de l'armée, d'un changement d'organisation et d'autres dépenses encore. La section centrale ne s'est pas contentée de cette unique garantie ; elle a voulu prendre des sûretés complètes pour les points particulièrement importants, et s'est adressée, par écrit, au chef du département de la guerre, en lui demandant également communication des plans généraux de la place agrandie.

« Cette communication lui a été donnée, et le ministre a répondu aux questions posées, dans les termes suivants par sa lettre du 4 août 1859.

« La question de la marine militaire est tout à fait indépendante de la question de la fortification d'Anvers. Qu'on agrandisse Anvers ou qu'on le laisse tel qu'il est, cela n'aura aucune influence sur la question de la marine.

« Une marine militaire serait très utile pour la défense de l'Escaut ; mais elle serait bien plus utile et même indispensable pour atteindre ce but, si on laissait les rives de ce fleuve dans l'état où elles sont aujourd'hui.

« On peut donc dire que si l'on adopte le système que nous proposons, la défense de l'Escaut sera beaucoup plus efficace sans marine qu'elle ne l'est aujourd'hui.

«Cela se conçoit facilement, puisque dans notre système sont compris des forts, des batteries ET LES FRONTS DE LA CITADELLE DU NORD qui battent toutes les passes du fleuve. »

Voilà ce qui se trouve consigné dans le rapport de la section centrale, sur lequel la Chambre a été appelée à statuer.

M. Orts. - Page 157 des Annales parlementaires.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Immédiatement, car tout le monde était prêt, plans et devis, et la rapidité avec laquelle on a marché le prouve suffisamment, le département de la guerre annonce la mise en adjudication prochaine des travaux ; et qu'indique-t-il dans ce document imprimé, répandu partout, dans Anvers, à profusion ?

Que l'on met en adjudication « une nouvelle citadelle à établir au nord de la ville entre l'Escaut et en deçà du village d'Austruweel. »

Ce n'est pas tout.

On nomme une commission mixte pour examiner quelles doivent être les modifications à introduire dans les chemins, les voies de communication, les cours d'eau, etc., par suite de la construction de ces nouveaux travaux. Dans cette commission se trouvaient entre autres, M. Moretus, M. Cogels, M. Vanderlinden, échevin de la ville d'Anvers, l'un des signataires de la pétition, M. Coveliers, bourgmestre de Berchem, M. Mellaerts, bourgmestre de Borgerhout.

Cette commission se réunit le 6 mars 1861, et voici ce que nous lisons dans son procès-verbal. La ville d'Anvers a reconnu l'exactitude de ce procès-verbal, par lettre du 22 mai 1861, dont copie a été transmise en même temps que le procès-verbal lui-même au ministère de la guerre :

« M. Vanderlinden, échevin de la ville d'Anvers et l'architecte de la ville font observer qu'il leur paraît que l'exécution du plan projeté pour la chaussée de Lillo donnerait lieu à de graves inconvénients, attendu que le long de cette route, qui est le passage obligé des charrettes à foin provenant des polders, il y aura des fossés très profonds pour la citadelle du nord.

« A la demande de MM. Moretus et J. Cogels, M. le capitaine Ablay donne des explications détaillées sur les moyens projetés pour l'écoulement des eaux du polder d'Austruweel et de Ferdinand.

« Il explique notamment que le cours du Vorscheschyn, réunira l’avant-fossé de la citadelle du Nord, et débouchera dans l'Escaut par l'une des écluses militaires à établir.

« M. Moretus, au nom du polder, qui est l'administration la plus intéressée, déclare que le projet le satisfait complètement. »

Ainsi, voilà, j'imagine, une série de documents assez concluants, documents authentiques, prouvant non seulement l'existence, mais la parfaite connaissance de la citadelle du Nord par tous ceux qui se prétendent surpris aujourd'hui de sa construction.

Après cela, comme vous l'a dit mon honorable collègue M. le ministre de la guerre, on ne se faisait pas faute de parler dans tous les journaux de l'état d'avancement des travaux. On a vu également les expropriations qui ont été faites et qui comprennent 132 hectares.

C'est en vain que l'on vient objecter aujourd'hui que l'on ne savait pas alors quelle était l'importance de cet établissement, car qu'est-ce donc que cette importance peut faire à la question ?Si, au lieu de 132 hectares, la citadelle ne comprenait que 50 hectares ; si, au lieu d’être où elle est, elle avait été établie à deux cents mètres plus loin, est-ce que les conditions ne seraient pas identiques au point de vue où l'on se place, au point de vue de l'attaque et de la défense ? On n'a soupçonné les inconvénients que l'on semble redouter, que quand on a soulevé la prétention relative à ce qu'on appelle les servitudes intérieures. Mais à propos de ces servitudes, c'est la loi qui parle ; (page 1273) ce n'est pas le ministre de la guerre, ce n'est pas le gouvernement qui créent ces servitudes ! On se plaint donc d'avoir mal compris la loi ou bien l'on soutient que nous lui donnons une fausse interprétation. Il est vrai qu'à Anvers on prétend que ces servitudes sont illégales ; mais n'est-ce pas une grande erreur ? Les servitudes intérieures résultent de la loi de 1791, qui s'applique à toute espèce de points fortifiés.

M. de Boe. - Pourquoi ne l'applique-t-on pas ailleurs ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous ai déjà expliqué dans quelle mesure cette application est possible et ce qui existe en fait.

Voici, par exemple, un arrêté du président de la république française, des 19 avril-21 mai 1849, qui met la citadelle de Langres au rang des places de première classe, par ce motif « qu'il est nécessaire d'appliquer aux terrains qui environnent la citadelle de Langres, les servitudes défensives auxquelles sont soumis les terrains situés autour des places de guerre de la première série. »

Et, messieurs, il y a si peu de doute à cet égard que lorsque l'on a voulu consacrer par une disposition légale, ce qui existait en fait, ce qui se déduisait déjà d'une ordonnance royale de 1821, la nécessité de restreindre les zones de servitude du côté des centres importants de population, on n'a fait que confirmer le principe en y faisant une exception.

La loi des 10-20 juillet 1851 dispose dans son article 6 que a lorsqu'il sera possible de réduire l'étendue des zones des servitudes du côté de quelque centre important de population, sans compromettre la défense ou porter atteinte aux intérêts du trésor, cette réduction pourra être prononcée par un décret du président de la république. »

La commission chargée de l'examen du projet de loi, justifiait ce paragraphe en disant : « qu'il n'était pas possible de définir législativement, d'une manière rigoureuse, les cas où cette disposition sera nécessairement appliquée. » Elle ajoutait que l'on accordait la même faculté par le paragraphe 3 « de réduire ou d'atténuer la rigueur des servitudes intérieures, » en permettant au gouvernement de restreindre, par un acte administratif, et suivant les cas dont il reste juge, la largeur de la rue militaire qui borde le talus intérieur des remparts.

Ainsi, messieurs, vous voyez que, en principe, il n'y a pas, en France, de doute sur ce point.

M. Coomans. - Cette loi n'existe pas en Belgique.

M. de Gottal. - Je ne vous connaissais pas un si grand amour pour les lois françaises.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La loi principe, la loi de 1791 est la même dans les deux pays. Le doute, messieurs, ne résulte que d'une équivoque ; parce que la loi dit : « autour des places de guerre » on veut qu'il ne puisse y avoir de servitudes qu'autour des villes fortifiées ; mais les lois militaires entendent par place de guerre tout point fortifié destiné à servir à la défense. (Interruption.) J'ai déjà expliqué cela.

M. B. Dumortier. - Restez à Anvers, et ne venez pas dans nos villes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais je n'insiste pas sur le point de droit ; pourquoi ? Par une raison toute simple : je l'ai déjà dit dans cette Chambre, il est absolument impossible, au milieu d'une population agglomérée, là où les constructions existent, d'appliquer ces servitudes ; elles ne sont pas appliquées en France, elles ne le sont pas du moins en Belgique, elles ne l'ont jamais été, elles ne sauraient l'être qu'aux terrains non bâtis autour des citadelles, et j'ai ajouté, quant au point qui nous occupe, que c'est un grief sans fondement, puisqu'on admet la réduction de la zone jusqu'au Vosscschyn.

M. de Gottal. - Ce n'est qu'une tolérance.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le ministre de la guerre ne peut pas changer la loi, et il a dit que si l'on proposait de modifier la loi dans ce sens, il ne s'y opposerait pas.

Mais, messieurs, dans le cas particulier qui nous occupe, il y a quelque chose de plus extraordinaire : on parle de servitudes intérieures comme s'il s'agissait de terrains d'Anvers ; or, il s'agit de terrains de la commune d'Austruweel.

M. de Gottal. - Nous avons à défendre ses intérêts comme les autres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne parle pas des représentant d'Anvers ; ils ont à défendre tous les intérêts du pays ; je parle de l'émotion qui s'est produite à Anvers, je parle des personnes qui se sont chargées de défendre les intérêts spéciaux dont il s'agit, et je dis que les autorités sur le territoire desquelles la servitude existe, n'ont pas réclamé. Je dis qu'une servitude établie sur le territoire d'Austruweel ne peut pas, au point de vue d'Anvers, s'appeler une servitude intérieure,

M. Loos. - Et si nous avons nos établissements commerciaux à Austruweel !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne peut faire que la servitude de la citadelle du Nord devienne une servitude intérieure pour Anvers.

Maintenant, messieurs, que nous demande-t-on ? le renvoi de la pétition au ministre de la justice et au ministre de la guerre, avec un considérant certes des plus étranges : « Considérant qu'il y a lieu de nommer une commission... » Qui nommera cette commission ? Le gouvernement déclare qu'il ne peut pas refaire une nouvelle enquête, parce que l'enquête est faite depuis longtemps. Qui donc nommera la commission ?

« Commission dans laquelle, ajoute le considérant, seront représentés un certain nombre de membres de la Chambre. »

C'est une invitation au gouvernement de nommer une commission pour faire une enquête sur une question à l'égard de laquelle il n'y a plus lieu d'enquérir, et de faire figurer dans cette commission un certain nombre de membres de la Chambre.

Une semblable motion ne peut évidemment être accueillie. La Chambre ne peut pas procéder de la sorte. Si la Chambre croit qu'elle doit, dans les circonstances actuelles, faire une enquête, qu'elle décrète cette enquête et qu'elle la fasse elle-même ; qu'elle décide, ce sera son pouvoir, je ne dis-pas son droit, qu'elle décide qu'alors qu'une loi régulièrement votée, qui a reçu la sanction des trois branches du pouvoir législatif, est en pleine voie d'exécution, que cette loi sera mise en suspicion et qu'il y a lieu, pour l'une des branches du pouvoir législatif d'enquérir, soit ! Mais une invitation adressée au gouvernement de nommer une commission pour examiner une question qui, certes, a été suffisamment examinée, suffisamment mûrie et discutée, je dis que cette motion ne saurait être accueillie.

J'ajouterai encore que l'objection qui a été faite contre la demande de suspendre les travaux, s'applique de plein droit à la proposition actuelle, qui n'est qu'une autre forme de demander la suspension de ces travaux.

Je prie la Chambre, dans l'intérêt de la paix publique, de mettre enfin un terme à cette malheureuse question, de prendre une décision nette et catégorique qui exclue toute espérance de voir démolir des travaux pour lesquels le pays s'est imposé si justement, avec tant de raison pour sa défense, avec tant de considération pour les intérêts mêmes de la ville d'Anvers, de si grands sacrifices, que l'on voudrait aujourd'hui rendre tout à fait stériles.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Thienpont. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.


M. le président. - Au commencement de la séance, la Chambre a laissé au président le soin de nommer deux commissions, chargées d'examiner respectivement les deux projets de loi relatifs à des séparations de commune, et qui ont été présentés par M. le ministre de l’intérieur. Le président a composé ces deux commissions ainsi qu'il suit.

Projet de loi portant érection de la commune d’Auderghem : MM. de Brouckere, Van Humbeeck, Beeckman, Goblet et de Rongé.

Projet de loi portant érection de la commune de Framont : M. de Moor, d'Hoffschmidt, L. Orban, de Baillet-Latour et de Montpellier.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.