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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 mars 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 964) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Maubach prie la Chambre de statuer sur sa demande de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Blumenthal, ancien sous-officier, demande à être admis en qualité d'employé ou d'homme de peine dans l'administration des chemins de fer. »

- Même renvoi.


« Les sieurs d'Andrimont, Jamar et autres membres du comité des charbonnages liégeois, prient la Chambre de voter les fonds nécessaires à la grande canalisation de la Meuse, de Namur à Givet. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le sieur Vanlier signale à la Chambre un acte de bienveillance du département de la guerre en faveur de son fils Jean-Baptiste, milicien de la levée de 1859. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Bachte-Marie-Leerne demande des modifications à la loi du 18 février 1845 sur le domicile de secours. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives au même objet.

Interpellation

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, dans la séance du 11 de ce mois, l'honorable M. Hymans a entretenu la Chambre de faits qui se sont passés à Malines à l'occasion de l'enterrement d'un capitaine de la garde civique qui appartenait au culte réformé.

Je n'hésite pas à le dire, il s'est trouvé, dans la foule qui se pressait au cimetière des hommes qui ont méconnu le respect qu'on doit aux morts. Je le regrette profondément.

Mais l'honorable membre a donné aux faits, auxquels je fais allusion, une importance, une portée et surtout un caractère qu'ils n'avaient évidemment pas. Que l'honorable M. Hymans me permette de le lui dire, il a été trompé par un rapport empreint d'une exagération extrême.

Interpellé à ce sujet, M. le ministre de l'intérieur a donné lecture d'une lettre qu'il avait reçue de M. le bourgmestre de Malines, mais l'honorable M. Hymans ne s'est pas contenté de cette communication et a demandé que des renseignements ultérieurs fussent fournis afin que la lumière se fît sur celle malheureuse affaire.

Je viens donc demander à M. le ministre si, comme j'ai lieu de le supposer, des renseignements nouveaux lui sont parvenus et s'il trouverait quelque inconvénient à les communiquer à la Chambre.

Lorsque l'interpellation a été faite, je me trouvais dans l'impossibilité de prendre la parole, car, quoique habitant de Malines, je n'avais qu'une connaissance très vague et très imparfaite de ce qui s'était passé ; mais les informations que j'ai prises depuis à des sources que je puis appeler authentiques, ce que j'ai lu dans des rapports et des procès-verbaux dressés par des autorités compétentes, dans des lettres et des déclarations écrites par des personnes intéressées et qui avaient été mises en cause, m'a donné la conviction que l'honorable M. Hymans a été mal renseigné.

J'attendrai, avant d'en dire davantage, que M. le ministre nous ait fait ses communications,

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comme j'ai eu l'honneur de le déclarer à la Chambre, dans une de ses dernières séances, j'ai fait connaître à M. le ministre de la justice les faits qui m'ont été signalés. Ensuite, comme je l'ai encore déclaré, j'ai demandé de nouveaux renseignements et de nouvelles explications sur ce qui s'était passé à Malines le lendemain du carnaval.

J'ai eu, en outre, l'occasion d'entretenir l'honorable bourgmestre de cette localité, et j'ai reçu aussi quelques documents concernant cette affaire.

De l'examen de ces pièces et de l'entretien que j'ai eu avec l'honorable bourgmestre de Malines, il résulte qu'il y a eu dans les récits une certaine exagération.

Je dois croire que si l'enterrement dont il s'agit avait eu lieu un autre jour que le lendemain du carnaval, ces scènes n'auraient pas eu un caractère de gravité et même n'auraient peut-être pas eu lieu.

Il est permis de croire qu'il n'y a eu en tout ceci ni préméditation ni intolérance ; car les désordres qui ont été commis ne semblent pas pouvoir être attribués à des idées pareilles.

On avait répandu le bruit dans la ville de Malines que cet enterrement se ferait d'une manière toute particulière et qu'on célébrerait des cérémonies qu'on ne pratique pas habituellement (interruption) : je donne les renseignements que j'ai, rien de plus.

D'un autre côté, messieurs, il y a une preuve assez forte qui permettrait de croire qu'il n'y a pas eu d'idées préconçues de tolérance ou d'intolérance : la foule, en suivant l'enterrement, passa devant l'hôpital civil de Malines et, ayant remarqué des religieuses, leur adressa des paroles grossières et des injures ; il n'y avait donc chez elle pas plutôt des idées d'une tolérance contre les protestants que contre les catholiques.

J'ajouterai encore que d'après tous les renseignements reçus, la police aurait été avertie un peu tard, et que dès qu'elle a eu connaissance de l'enterrement elle a envoyé sur les lieux les hommes dont elle pouvait disposer ; elle a fait ainsi tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher les troubles.

Dans l'enquête, messieurs, qui a été ouverte on a entendu plusieurs personnes au témoignage desquelles on pouvait ajouter foi.

Le pasteur anglican, par exemple, a déclaré que, d'après lui, il y avait dans les comptes rendus certaines exagérations ; il a ajouté que lui-même n'a eu aucune crainte, qu'il n'a pas cru à la gravité de ces troubles. D'un autre côté, le commandant de la garde civique a fourni une déclaration de laquelle il résulte que son épaulette n'a pas été arrachée, mais qu'en faisant, un brusque mouvement pour repousser la foule, un passant de son épaulette s'était détaché.

Enfin, messieurs, le père du défunt déclare qu'il ne croyait pas qu'il y eût eu préméditation dans cette affaire, qu'il n'a pas reconnu d'esprit d'intolérance parce qu'il croyait que ces gens-là n'étaient pas capables d'établir une distinction entre la tolérance et l'intolérance.

Le père du défunt même a saisi cette occasion pour remercier M. le bourgmestre de Malines d'avoir bien voulu autoriser l'enterrement du corps à côté des autres corps de la famille, et de n'avoir pas exigé que son fils fût déposé dans l'endroit du cimetière spécialement réservé, ensuite d'un règlement nouveau.

Voilà les renseignements que j'ai reçus ; ils sont tous à peu près concordants.

Je pense donc qu'en ceci il n'y a pas de reproche à faire à M. le bourgmestre de Malines ; mais je persiste à penser que les faits qui se sont passés sont extrêmement sérieux, extrêmement regrettables ; que violer le lieu du repos des morts est un fait de la plus haute gravité ; l'enquête judiciaire est poursuivie, et s'il y a des coupables, ils seront punis conformément aux lois.

Quant à moi je me borne et je crois devoir me borner à faire connaître les renseignements administratifs que j'ai reçus, sans vouloir en rien empiéter sur l'enquête judiciaire.

M. Hymans. - Messieurs, nous assistons ici à un singulier spectacle. Lorsque il y a huit jours, j'ai demandé des explications à M. le ministre de l'intérieur sur les faits qui s'étaient passés à Malines, ces faits avaient déjà huit jours de date ; les trois honorables représentants de Malines étaient présents à la séance ; pas un seul d'entre eux ne s'est levé pour contester ce que j'avais avancé, pour protester contre les scènes déplorables dont la ville de Malines avait été le théâtre.

Je ne puis pas admettre que les représentants de Malines ne fussent pas instruits de faits aussi graves, qui s'étaient passés huit jours auparavant et que la presse avait signales à l'attention du public.

On me dit que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, est membre du conseil communal de Malines ; il était donc obligé de savoir ce qui s’était passé.

(page 965) M. Vanden Branden de Reeth. - J'étais membre du conseil communal de Malines, il y a dix-huit ans.

M. Hymans. - Une enquête judiciaire est ouverte, on procède également à une enquête administrative, et aujourd'hui, on vient, devant la Chambre, essayer d'atténuer la gravité des faits, d'atténuer l'impression qu'ils ont produits, par une espèce d'enquête officieuse qui n'a pour moi qu'une très médiocre valeur et qui ne m'empêchera pas de persister à dire que les désordres dont le cimetière de Malines a été le théâtre, sont un scandale public et une honte pour le pays.

La façon d'agir de l'honorable membre me paraît très peu régulière. La justice est saisie, et je ne sais jusqu'à quel point il est convenable que nous discutions aujourd'hui des faits qui sont soumis à une instruction judiciaire.

- Un membre. - C'est vous qui avez soulevé la question.

M. Hymans. - C'est moi qui ai soulevé la question ; j'étais sûr que vous m'adresseriez ce reproche ; vous voulez peut-être faire croire aussi que c'est moi qui ai inventé l'affaire de Malines..

Je n'ai attaqué personne dans l'interpellation que j'ai faite à M. le ministre de l'intérieur ; je lui ai demandé des explications ; je lui ai demandé s'il avait reçu des renseignements ; et c'est seulement après que M. le ministre de l'intérieur eut donné à la Chambre lecture d'un document officiel, d'une lettre adressée à lui, ministre, par M. le bourgmestre de Malines, que je me suis permis de critiquer vivement la négligence de ce magistrat, en prenant pour texte de mes critiques ses propres déclarations. Cette lettre qui est évidemment la pièce la plus importante du procès, qui a paru dans les Annales parlementaires, qu'on ne parviendra pas à détruire, est un aveu qui a produit dans cette Chambre et au dehors la plus vive impression, est un tissu de contradictions, la preuve la plus flagrante de la faiblesse dont l'autorité a fait preuve dans cette circonstance.

Les déclarations faites dans cette lettre ne sont détruites en rien par les déclarations que M. le ministre de l'intérieur vient de faire aujourd'hui.

Comment ! messieurs, M. le bourgmestre de Malines n'était pas informé de ce qui devait se passer, et il déclare lui-même à M. le ministre de l'intérieur que le bruit s'était répandu en ville que cet enterrement devait donner lieu à des pratiques extraordinaires dont on n'avait pas l'habitude même aux enterrements de protestants, si rares à Malines où il y a une population anglaise assez considérable.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il n'en a eu connaissance qu'après..

M. Hymans. - Il n'a su que cet enterrement devait avoir lieu qu'après la cérémonie, qu'après que les désordres avaient été commis, et on le remercie de ce qu'il avait accordé, probablement après l'enterrement, l'autorisation spéciale d'enterrer le protestant dans une place déterminée du cimetière.

Est-il possible de venir amuser la Chambre avec de pareilles explications ?

Le colonel de la garde civique vient déclarer qu'on ne lui a pas arraché son épaulette. J'en suis heureux pour cet officier, car une injure de ce genre serait la plus sanglante qu'un officier pût recevoir. Je serais désolé qu'u, officier de la garde citoyenne supportât bénévolement un pareil outrage ; mais que signifie l'explication donnée ? Le passant d'une épaulette s'est détaché alors que l'officier était violemment heurté par la foule ?

Cette foule qui bouscula l'officier était-elle animée, par hasard, d'intentions bienveillantes ?

Le ministre protestant vient déclarer, lui aussi, que les choses sont beaucoup moins graves qu'on ne l'a dit.

Mon Dieu ! ce ministre a fait preuve, dans cette circonstance, de vertus évangéliques. Il pratique largement le pardon des injures et je suis heureux de l'entendre tenir ce langage. Mais vous voudrez bien admettre que si l'on avait bousculé à Malines la procession de Montaigu comme on a bousculé les protestants assistant à l'enterrement d'un de leurs coreligionnaires, quo si l'on s'était livré, à l'occasion de cérémonies quelconques du culte catholique, à des violences beaucoup moins graves que celles qui ont eu lieu dans cette circonstance, vous ne vous renfermeriez pas dans un si grand calme et vous ne viendriez pas invoquer, pour disculper la population de Malines, cette fantastique excuse d'une orgie.

J'avoue que cette excuse de l'orgie, d'une surexcitation extraordinaire résultant de la célébration du carnaval et se produisant vingt-quatre heures après que le carnaval était fini, c'est ce qui m'indigne le plus dans cette déplorable affaire.

On voudrait nous représenter la population de Malines comme étant en quelque sorte coutumière des plus indignes excès, puisque l'on dit qu'il y avait à cet enterrement plus de 3,000 personnes appartenant à toutes les classes de la société ; cela se trouve inscrit en toutes lettres dans l'épître du bourgmestre.

3,000 personnes, le dixième d'une population de 30,000 âmes, ont été naturellement sans aucune provocation, sans préméditation, terminer une nuit d'orgie dans un cimetière, et par hasard sur la tombe d'un protestant.

Je doute, messieurs, pour ma part, que les habitants de Malines se montrent très flattés de l'opinion que leur premier magistrat et leurs représentants viennent professer publiquement sur leur compte dans cette enceinte. (Interruption.) On tente de prouver que ce n'était pas l'intolérance qui égarait la population de Malines. La population de Malines est-elle donc plus sauvage que la plus sauvage des Ardennes ? (Interruption.) Ceci n'est qu'une métaphore," t je professe personnellement la plus grande estime pour la population des Ardennes.

On voudrait faire croire que la population de Malines ne sait pas même distinguer la tolérance de l'intolérance.

La population de Malines serait tellement abrutie qu'elle ne saurait pas distinguer le culte catholique du culte protestant. Mais si ce n'était pas l'intolérance qui égarait cette population, faites-nous donc l'honneur de nous dire ce qui l'égarait ?

Etait-ce l'amour du désordre ? Etait-ce une honteuse ivresse ! Les 3,000 habitants de Malines, appartenant (ce n'est pas moi qui le dis), à toutes les classes de la société, s'étaient-ils enivrés pendant toute la durée des jours gras et malgré leur acte de contrition du matin, du mercredi des Cendres, étaient-ils encore ivres à 4 heures de l'après-midi ?

Messieurs, si vous acceptez une pareille explication, libre à vous ; toutes les opinions sont permises. Quant à moi, je ne me prononce pas sur ces faits ; je ne viens pas chercher à expliquer ce qui s'est passé à Malines, la justice est saisie ; mais en tout état de cause vous voudrez bien admettre une chose ; c'est qu'il y a eu troubles, c'est qu'il y a eu des désordres graves, des manifestations indignes commises dans un cimetière ; c'est qu'il y a eu violation de la liberté des cultes ; et enfin que l'autorité n'a, rien fait pour l'empêcher.

Il y a eu, et cela résulte encore de la lettre de M. le bourgmestre de Malines, que n'infirment pas les déclarations du ministre protestant, il y a eu un prêtre qui a failli tomber dans une fosse, sous la pression d'une multitude égarée.

Je n'admets pas qu'il suffise de quelques phrases pour venir expliquer et tenter de justifier ce qui s'est passé. Cela est complètement impossible.

Vous ne ferez accroire à personne que la police ne sût pas ce qui allait se passer, alors que 3,000 perturbateurs appartenant à toutes les classes de la société. (Interruption.) (Je cite la lettre même de M. le bourgmestre), vous ne prétendrez pas, dis-je, que la police ne sût pas ce qui allait se passer, alors que 3,000 individus surexcités par une nuit d'orgie, c'est, encore le bourgmestre qui le dit, suivaient un cortège funèbre. Je ne considère nullement comme une justification ce qu'est venu nous dire tout à l'heure M, le ministre de l'intérieur.

On dirait véritablement que parce que la foule a insulté en même temps des sœurs de charité catholiques, ce qu'elle a fait à l'égard de protestants en soit plus excusable et qu'il s'établisse là une espèce de compensation ! Ces excuses ne sont pas plus sérieuses que les explications du bourgmestre et ne sauraient atténuer en rien l'importance des faits.

Quoi que l'on dise, il est parfaitement établi qu'une atteinte grave a été portée à la libre pratique des cultes, à la liberté des consciences, la plus précieuse de nos libertés constitutionnelles.

Je suis, dans cette circonstance, l'exemple des amis de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth.

Je me rappelle l'indignation dont ils ont fait preuve à propos d'un bourgmestre de village qui avait, de bonne foi, délivré des certificats de bonne vie et mœurs à quelques vauriens.

- Un membre. - Des assassins !

M. Hymans. - A des hommes qui n'étaient pas des assassins à l'époque où les certificats ont été délivrés.

Je suis donc l'exemple de l'honorable M. Wasseige qui faisait un crime à ce bourgmestre de village d'avoir délivré de bonne foi de faux certificats, et je déclare que, pour ma part, si cela dépendait de moi, le bourgmestre d'une grande ville qui aurait laissé trois mille individus envahir un lieu de sépulture sans rien faire pour l'empêcher, sans avoir pris des précautions pour faire respecter la liberté des cultes et assurer la sécurité publique, ce magistral, fût-il mon ami intime, il ne conserverait, pas pendant vingt-quatre heures le mandat qu'il tient de la confiance du gouvernement.

(page 966) M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, M. le ministre de l'intérieur a reconnu qu'il y avait une certaine exagération dans le récit fait par l'honorable M, Hymans. Après avoir examiné toutes les déclarations recueillies dans les pièces authentiques que j'ai sous les yeux, j'irai plus loin, et je dirai que cette exagération était excessive.

Quand je parcours maintenant tout le récit fait par l'honorable M. Hymans, d'après les informations qui lui avaient été fournies, je suis autorisé à dire qu'il n'en reste absolument rien. Tous les détails dont il s'est plu à l'orner, toute la mise en scène disparaît.

Plus de tambour-major conduisant un millier d'individus accompagnant une dépouille mortelle, en huant et chantant, pendant tout le parcours du cortège.

Plus de foule ameutée vociférant devant un temple ! Plus de forcenés arrachant des voiles et des crêpes aux parents et amis du défunt.

Plus d'officiers de la garde civique voulant maintenir l’ordre dépouillés de leurs épaulettes par des émeutiers.

Plus de pasteur menacé d'être jeté dans une fosse.

Plus de père obligé de sauter par-dessus la fosse où l'on venait de descendre le cercueil de son fils !

C'étaient là cependant tous les détails les plus émouvants et les plus dramatiques du récit, ceux qui ont le plus impressionné la Chambre.

Tout se réduit à un moment de tumulte occasionné par la foule, parmi laquelle se trouvait quelques ivrognes attardés de la veille, qui était le mardi gras.

C'était déjà trop, je le reconnais, mais il y a loin de ce fait isolé et imprévu à cette violation de la liberté des cultes et aux actes de profanation et d'intolérance douta parlé l'honorable M. Hymans.

Messieurs, ne voulant pas me borner à de simples allégations, et ne voulant pas non plus encourir le reproche de venir ici dénier des faits sans fournir les preuves de mes dénégations, permettez-moi de vous lire quelques extraits de procès-verbaux dressés par des autorités compétentes ; c'est l'enquête administrative qu'a réclamée l'honorable M. Hymans. Vous y verrez quelle était la nature des cris et des chants dont il a tant été question.

Voici des extraits du procès-verbal, adressé par l'autorité compétente :

«1° Le sieur Joseph Cauwenberg, commis aux écritures à l'hôtel de ville, a déclaré qu'il a suivi le cortège funèbre de M. Wildey, jusqu'au cimetière ; qu'étant arrivé près de la grille, il a vu 5 ou 6 individus, pris de boisson, qui, dès qu'ils se trouvaient hors du cimetière qu'ils venaient de quitter, se sont mis à siffler et à chanter à haute voix ; que ces mêmes individus, parmi lesquels il a reconnu le nommé Pierre Neetens, ont pris le chemin longeant le mur de clôture du cimetière dans la direction du cabaret het Stroohuisken, et ce pendant que le chapelain anglican récitait ses prières sur la tombe.

« Pierre Neetens, ci-dessus désigné, interrogé en présence du témoin Cauwenberg, avoue que, après avoir quitté le cimetière, il a en effet chanté à haute voix, ainsi que ses camarades au nombre de quatre.

« Ce fait, quoique ne tombant pas sous l'application de l'article 264 du Code pénal, est cependant de nature à admettre que le bruit causé par Neetens et consorts a dû indubitablement être entendu à l'intérieur du cimetière pendant la cérémonie, et que l'on a pu croire qu'il s'y commettait. »

Voilà les 2,000 à 3,000 ivrognes de l'honorable M. Hymans réduits à 5 ou 6 individus ! Est-il nécessaire de faire ressortir l'exagération ? Je continue la lecture des dépositions.

« 2° Deux agents de police, Adam et Alsteen, qui étaient de service, l'un, rue d'Adeghem, et l'autre, à la Dyle, le 5 courant, de midi à quatre heures, déclarent que, à partir de deux heures et quart jusqu'à ce que le corps de M. Wildey est sorti de la mortuaire, ils se sont tenus à cet endroit, sans qu'ils aient eu à constater le moindre désordre.

« 3° L'agent de police Keyarts se trouvait Marché aux Graines le 5 courant, de midi à quatre heures. Il déclare avoir vu passer le cortège tout entier et n'avoir rien remarqué de contraire au respect dû aux morts.

4° M. Guillaume-Auguste Hannaert, propriétaire, raconte avec impartialité qu'il a vu passer le cortège dans les rues et qu'il n'a été témoin que d'une foule paisible ; qu'il avait devancé le cortège au cimetière où il a vu et entendu des ivrognes causant à haute voix et avec peu de respect pour les morts ; qu'il n'y a remarqué aucun désordre ni entendu aucun cri hostile, quoiqu'il y soit resté jusqu'après l'inhumation. »

Messieurs, j'appelle particulièrement votre attention sur la position et }e caractère des personnes dont je vais vous lire la déposition :

«1° M. Hammelrath, lieutenant adjudant de place à Malines, déclare avoir accompagné le cortège de M. Wildey, à partir de la mortuaire, rue d'Adeghem, jusqu'au cimetière. Cet officier déclare, en outre, qu'il n'a pas vu le prétendu tambour-major pendant le trajet, qu'il n'a entendu ni huées ni chansons ; qu'à la porte du temple protestant, la foule se heurtait pour y entrer ; qu'il a conseillé aux gardes civiques de mettre la baïonnette au canon et qu'il a fait fermer la porte de l'église ; qu'au cimetière, il est resté à vingt pas de la fosse et qu'il n'y a entendu ni cris ni huées.

« 2° M. Von Carlowitz, lieutenant-colonel commandant de place, fait la même déclaration, y ajoutant qu'un hourra a accueilli la décharge faite à la mortuaire.

« 3° M. Denis, lieutenant-colonel commandant la garde civique, déclare qu'on n'a pas arraché son épaulette ; que se trouvant près de la fosse et la foule se pressant sur lui, il s'est retourné et par un mouvement violent des bras, il a repoussé ceux qui se tenaient derrière lui ; que, soit par ce mouvement, soit qu'il ait heurté quelqu'un, le passant de son épaulette s'est détaché, mais que celle-ci est restée suspendue à l'agrafe.

« M. Denis déclare, en outre, comme M. Hammelrath, qu'il n'a pas vu le prétendu tambour-major marcher, soit en tête du cortège, soit à côté de la dépouille mortelle.

« Il déclare qu'il est faux de dire que des forcenés aient arraché les voiles et crêpes que les parents portaient à leurs chapeaux, et qu'il est également faux que le père du défunt ait dû sauter par-dessus la fosse. »

Je dois faire observer ici que M. le colonel de la garde civique appartient notoirement à l'opinion libérale, mais cela prouve, en cette circonstance, que l'on peut être, ce dont je n'ai jamais douté, libéral et loyal à la fois.

« 4° M. Wildey, père, déclare qu'il ne croit pas que des crêpe3 et voiles des parents ont été arrachés, mais simplement enlevés par le mouvement de la foule ; qu'il est faux que lui, Wildey, père, ait été obligé de sauter par dessus la fosse où l'on venait de descendre son fils.

«5° MM. Moens et De Bruyne, employés au secrétariat, et l'agent de police Noëth se trouvaient au perron devant l'hôtel de ville au moment du passage du convoi. Ils déclarent que la foule était grande, mais qu'il n'y avait point de désordre. »

Messieurs, l'on a parlé de l'intolérance et du fanatisme de la population de Matines, voici une déclaration émanée des chefs des familles anglaises résidant à Malines que je signale à votre attention ; elle me semble donner un démenti assez formel aux injures qui viennent de lui être adressées.

« En présence des insinuations malveillantes qui se font jour à l'occasion des regrettables scènes lors de l'enterrement de T. Wildey, protestant et capitaine de la garde civique, nous soussignés, qui résidons à Malines depuis nombre d'années et qui appartenons au culte anglican, nous croyons de notre devoir de rendre hommage à la vérité, en déclarant que les autorités locales, et en particulier M. le bourgmestre Broers, ont toujours fait respecter le libre exercice de leur culte et même qu'elles en ont facilité les moyens en y appropriant, avec le concours de notre congrégation, une ancienne chapelle.

« Malines, le 17 mars 1862.

(Signé) Goddyn-Welch, T. Wildey, Sam Enderby John J. Colsbrook, Robert Simpson. »

Voici encore une déclaration d'un honorable chef d'une des familles hollandaises protestantes qui depuis longues années habite Malines :

« Je me plais à rendre hommage à la vérité en déclarant par la présente, qu'en ma qualité de protestant demeurant à Malines depuis vingt-quatre ans, j'ai eu dans ma famille des décès et des mariages où la cérémonie religieuse a été observée dans toutes ses formes et qu'à cette occasion, je n'ai jamais eu à me plaindre du moindre désordre causé par des curieux, qui en pareille circonstances, ne font jamais défaut.

« Je me plais à reconnaître également que, dans toute occasion où j'ai dû avoir recours à l'autorité locale, celle-ci m'est toujours venue en aide avec empressement et bienveillance.

« En foi de quoi, j'ai délivré la présente déclaration.

« A Malines, le dix-sept mars 1800 soixante-deux.

« (Signé) J.-P. Westrik. »

En présence de démentis aussi formels, aussi catégoriques, il m'est impossible de ne pas présenter une observation.

Il me semble qu'avant de signaler à la Chambre et au pays des actes qui, par leur nature, doivent y causer une grande émotion et avoir du retentissement, avant de représenter une partie de la population d'une ville se (page 967) livrant à des actes d'intolérance et de fanatisme, avant de lui jeter à la face l’épithète de forcenée, avant de la comparer à une horde de sauvages et capable des derniers excès, il faut être bien sûr de ce que l'on avance, et ne pas se faire l'écho hasardé du premier correspondant venu.

L'honorable M. Hymans ne s'est pas borné à raconter ; mais avant de s'être livré à un examen complet de l'affaire, avant d'avoir recueilli les renseignements que lui-même réclamait, il conclut déjà et sa conclusion est un blâme formel à l'adresse d'un honorable magistrat.

Les prérogatives dont nous jouissons sont grandes, mais l'irresponsabilité qui couvre nos paroles nous impose des devoirs que nous ne devons jamais perdre de vue. Nous ne devons pas oublier que lorsque nous venons traduire à la barre de cette Chambre un fonctionnaire, un magistrat, un citoyen, c'est un absent que nous attaquons, c'est un homme qui n'est pas ici pour se défendre. Le faire à la légère, sans preuves suffisantes, sur une simple dénonciation, faite peut-être dans un but hostile, c'est commettre un acte qu'il me serait permis de qualifier sévèrement.

Mais si en accusant M. le bourgmestre de Malines d'avoir failli à ses devoirs, l'honorable M. Hymans a cru rester dans la limite de ses droits de représentant, j'use à mon tour des miens en venant le défendre et en repoussant les attaques dirigées contre son administration.

Peu de magistrats communaux ont fourni une carrière plus honorable que M. le bourgmestre de Malines. Son zèle, son dévouement à la chose publique, son activité et sa modération, ses connaissances administratives sont connus de tous et je le dis sans crainte d'être démenti par personne, les hommes de toutes les opinions lui rendent justice, à de bien petites exceptions près.

Prononcer un jugement, comme l'a fait l'honorable M. Hymans, ayant de connaître toutes les circonstances qui se rattachaient aux faits qui se sont passés à Malines, avant d'avoir recueilli tous les renseignements qui pouvaient l'éclairer, c'est manquer aux convenances les plus vulgaires, et c'est aussi faillir à ses devoirs, comme il en a adressé le reproche, si injustement, à M. le bourgmestre de Malines.

M. Orts. - Nul plus que moi ne comprend la réserve qu'impose aux membres de cette Chambre l'irresponsabilité, l'inviolabilité de la tribune.

Tout le premier j'admets qu'alors que la conscience nous fait un devoir d'apporter à cette tribune la dénonciation d'abus graves, il nous faut parler, mais qu'il nous faut nous montrer aussi réservés dans nos appréciations et dans nos critiques que nous faisons bien en nous bornant à attirer l'attention publique et l'attention du gouvernement sur les faits dénoncés.

J'appuie donc la théorie professée par l'honorable député de Malines, mais je renvoie à l'honorable membre le conseil qu'il veut bien nous donner, et je lui dis :

Avant de se permettre de condamner l'usage que fait un de ses collègues du droit qu'il possède de signaler à la conscience publique et à l'attention du gouvernement des excès que toutes les opinions condamnent, avant de reprocher à un membre de la Chambre comme un abus, le libre exercice de sa prérogative, il faudrait attendre que des faits authentiques, des instructions judiciaires, des instructions présentant des garanties sérieuses et non pas des témoignages de complaisance mendiés par ceux qui ont plus besoin d'être disculpés que l'honorable M. Hymans, il faudrait attendre que des témoignages irrécusables et impartiaux aient fourni à la Chambre le moyen d'asseoir un jugement.

En disant cela à l'honorable membre et surtout à ses honorables amis qui l'applaudissaient avec tant d'énergie, je me permettrai de rappeler que lorsque l'opinion libérale s'est trouvée en présence d'abus du même genre dénoncés par un ami de l'honorable membre, l'opinion libérale n'a pas condamné à priori et sur des certificats de complaisance le représentant qui avait dénoncé les faits. Nous sommes, à gauche, plus justes et plus calmes.

En 1857 ce n'était pas la liberté religieuse, la liberté de conscience qui avait reçu, dans une de nos grandes villes, une grave atteinte et cela à la suite de troubles populaires, c'était la liberté d'association, c'était la liberté constitutionnelle de manifester ses opinions en d'autres matières que les matières si délicates de la conscience, de la religion. Des hommes qui consacrent leurs efforts à propager un grand principe économique et politique s'étaient présentés à Tournai. Ils y avaient organisé, en vertu de leur droit de citoyens belges une réunion qu'on dénonça sous le nom de meeting.

Le mot ne m'effraye pas plus que la chose ; mais on l'avait choisi pour imprimer à la réunion un caractère peu favorable. A propos de ce meeting, des scènes regrettables se passèrent à Tournai ; la populace empêcha ces citoyens d'user de leurs droits, comme à Malines la populace méconnut la liberté des cultes et des consciences. L'autorité locale tournaisienne, à la différence de l'autorité locale de Malines, prévint d'abord dans la mesure du possible et réprima les excès.

Qu'advint-il ensuite au sein du parlement ? Cette répression fut l'objet des accusations les plus violentes au sein de cette Chambre. On parla de femmes foulées aux pieds par la gendarmerie, on cita des enfants et des vieillards blessés par la force publique. On affirma que des coups de sabre avaient été largement distribués. Un enfant était tué, une femme avait le doigt coupé, une seconde était morte de ses blessures. Le tableau des violences exercées par la police locale couronnait la description des horreurs commises par la gendarmerie.

Et lorsque des membres de cette Chambre répondaient à ces accusations portées à la tribune par l'honorable M. Barthélémy Dumortier. L'autorité locale, le bourgmestre, le procureur du roi vous démentent. Attendez une enquête ! l'honorable membre ripostait :

« Je ne crois pas aux certificats du bourgmestre, je crois aux renseignements personnels que j'ai reçus, je crois aux journaux qui ont signalé les faits ; si vous croyez le bourgmestre, moi, je crois la Feuille de Tournai. » L'enquête judiciaire fût instituée après ce vif débat. Elle vint établir plus tard que l'autorité locale était parfaitement dans son droit et dans la vérité ; que la gendarmerie accusée dans cette enceinte et qui pouvait se défendre moins encore que le bourgmestre de Malines, que la gendarmerie n'avait jamais foulé aux pieds ni sabré personne, qu'il n'y avait pas eu de coups donnés, qu'il n'y avait pas eu de personnes blessées... (Interruption.) Ce n'est pas moi qui l'ai démontré, ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est l'instruction judiciaire, c'est l'autorité judiciaire à Tournai.

Lisez le rapport fait à la chambre du conseil du tribunal de Tournai, par le juge d'instruction, lisez l'instruction qu'il résume et vous y verrez 50 témoins entendus, et que disaient ces 50 témoins ? Ils ont dément d'une voix unanime l'existence d'une blessure portée à un citoyen quelconque.

Tous les médecins des hôpitaux, tous les médecins particuliers ont été appelés devant la justice, et tous ont déclaré qu'ils n'avaient soigné ni dans leur clientèle publique, ni dans leur clientèle privée, aucune personne blessée dans les troubles. Cela est écrit dans la procédure que j'ai citée.

La chambre du conseil de Tournai l'a reconnu par l'ordonnance de non-lieu qu'elle a rendue, après l'instruction faite.

Cette ordonnance de non-lieu fut confirmée par arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, mais elle déplaisait si fort à l'un des magistrats qui y avait participé sans partager l'opinion de ses collègues, à un magistrat, ami politique de l'honorable M. B. Dumortier, qu'elle donne lieu à un fait inouï dans les annales judiciaires de notre Belgique.

Ce magistrat refusa, lui, minorité isolée, d'apposer sa signature au bas de la sentence.

Eh bien, messieurs, après ces épreuves solennelles, je le demande, un seul membre de la gauche s'est-il jamais levé pour reprocher à l'honorable M. Dumortier, qu'induit en erreur par des renseignements qu'il croyait exacts, il avait rempli son devoir de député consciencieusement en venant de bonne foi signaler les faits à la Chambre ?

Nous avons respecté le devoir parlementaire et celui qui le remplissait, parce que nous avions la conviction que notre honorable collègue était consciencieux jusque dans l'abus de sa prérogative.

Messieurs de la droite, qui applaudissiez tout à l'heure, jusqu'au jour où l'enquête judiciaire aura donné un démenti aux paroles de M. Hymans et prouvé son erreur, si elle la prouve jamais, vous posez un acte qui contraste singulièrement avec la conduite tenue par nous de la gauche, dans la circonstance que je viens de rappeler.

Vous condamnez sans entendre, vous blâmez de parti pris un adversaire politique. Vous posez un acte qui n'est pas juste, qui n'est certes pas un acte de bon collègue.

M. Hymans. - Je remercie mon honorable ami M. Orts, des paroles bienveillantes et généreuses qu'il vient de prononcer ; je l'en remercie, moins pour moi, que pour la Chambre tout entière, que pour la liberté de la tribune, que pour le droit qu'a tout représentant de la nation de traduire à la barre de cette Chambre les abus qui se commettent sur un point quelconque du pays.

Je n'ai cependant rien à retirer de ce que j'ai dit, rien des faits que j'ai allégués, rien des appréciations que j'ai formulées et j'attends avec une entière confiance que l'instruction judiciaire se termine, me préoccupant très peu des observations et de la mercuriale de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth. J'ai à peine besoin de le dire, j'accepte la responsabilité tout entière de mes paroles et de mes actes, dans cette enceinte comme hors de cette enceinte. Je ne me suis jamais caché derrière aucune (page 968) espèce d'irresponsabilité quand j'ai cru devoir attaquer quelqu'un ou quelque chose, dévoiler un abus, dire mon opinion sur un homme ou sur une institution. Que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth se le tienne pour dit et qu'il en fasse ce qu'il voudra.

Comme lui, j'ai quelquefois poussé loin la défense de ma dignité personnelle ; comme lui, je suis allé, dans certaine circonstance, jusqu'à accepter une place sur le banc de la police correctionnelle plutôt que de subir une injure.

Que la Chambre le sache, il y a ici deux hommes qui ont été condamnés par la justice pour avoir su accepter la responsabilité de leurs actes et de leurs paroles ; c'est M. Van den Branden de Reeth et moi. Mais moi, je n'ai été condamné que pour avoir souffleté un laïque qui m'avait insulté ; l'honorable membre a été condamné pour s'être livré à des voies de fait sur la personne d'un prêtre dans les rues de cette même ville de Malines qu'il représente. (Longue interruption.)

Je ne sais pas si je dois faire au discours de l'honorable M. Van den Branden l'honneur d'une réponse ; je ne parle pas de ce qui me concerne personnellement, mais des faits qui se sont passés à Malines. Il manque au discours de l'honorable membre un couronnement. Il devrait nous dire que les perturbateurs de Malines, les trois mille individus que le bourgmestre a avoué comme ayant troublé l'ordre devant le temple et au cimetière ont suivi pieusement le cortège funèbre en chantant des litanies.

D'après l'honorable membre, nous avons tous rêvé, il ne s'est rien passé à Malines. La police, qui n'était pas là, le déclare. Le commissaire de police, sur la conduite duquel il y a une enquête à faire, le bourgmestre chef de la police qui est précisément incriminé dans cette circonstance, viennent nous dire que tout s'est passé dans le meilleur ordre, que tout le monde a fait son devoir.

Messieurs, les renseignements que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth vient de vous faire connaître, pourraient avoir quelque valeur s'ils s'étaient produits en dehors de toute espèce d'intervention officielle du premier magistrat de la ville de Malines.

Les témoins de l'honorable M. Vanden Branden sont respectables : les miens le sont tout autant. Je ne leur ai pas demandé d'écrits, je ne leur ai pas demandé leur signature ; j'ai eu une confiance entière dans leurs paroles. Ils ont affirmé les faits, et, jusqu'à preuve authentique du contraire, je maintiens les faits comme exacts, sauf quelques exagérations qui ont pu se glisser dans mon récit, par exemple l'histoire de l'épaulette qui n'a pas été arrachée, mais qui est tombée.

Et je demande quel est l'homme de bon sens dans cette Chambre et dans le pays qui voudra admettre qu'un cercueil sortant d'une maison mortuaire ci devant faire un trajet de 20 minutes, la garde civique étant présente et faisant réclamer l'intervention de la police, c'est le bourgmestre qui le déclare, 3,000 personnes se présentant au cimetière, y pénétrant violemment, exposant le pasteur protestant à tomber dans la fosse, c'est encore le bourgmestre de Malines qui le déclare ; quel est l'homme de bon sens, dis-je, qui voudra admettre que dans tout cela il n'y a eu que le fait de cinq ou six ivrognes ?

Cela n'est pas sérieux ; cela ne peut se concevoir et je ne comprends pas qu'un homme aussi sérieux que l'honorable M. Vanden Branden vienne prendre sur lui la responsabilité de telles déclarations. Je ne comprends pas non plus l'espèce de persistance que l'on met à défendre dans ce cas l’autorité qui a failli à son devoir.

L'honorable préopinant s'est livré tout à l'heure à quelques plaisanteries de très mauvais goût sur le chef de la garde civique de Malines, disant en paraissant nous faire une immense concession, que l'on pouvait être à la fois libéral et loyal.

M. Vanden Branden de Reeth. - J'ai dit que je n'en doutais aucunement.

M. Hymans. - Vous avez cru peut-être faire une grande concession en ne disant pas que l'on pouvait être libéral et déloyal et dans votre pensée sans doute, l'homme déloyal eût été moi. Cela prouve que l'on apporte dans cette question des préoccupations politiques que, je le déclare, je n'y ai pas un seul instant apportées. (Interruption.)

Les réclamations qui se produisent sur les bancs de la droite prouvent à l'évidence que si, pour mon compte, je n'ai pas vu dans cette affaire une question politique, on y a vu au contraire une question politique de l'autre côté de cette Chambre.

La politique n'est pour rien dans tout ceci ; il ne s'agit que du respect qui est dû à la liberté des cultes.

J'ai blâmé aussi vivement les injures adressées à des sœurs de charité que celles dont la dépouille mortelle d'un protestant avait été l'objet.

Je vous prie de croire que lorsque j'affirme cela, je le fais en toute sincérité.

Je ne comprends pas la persistante que l'on met à venir défendre ceux qui ont laissé profaner dans cette circonstance le cimetière de Malines.

Il y eut un temps où, sur les bancs de la droite, la liberté des cultes et même de cultes qui n'en étaient pas, de cultes en quelque sorte interlopes, trouvait d'éloquents défenseurs. Au Congrès, ce fut un membre du parti catholique et l'un de ses membres les plus éminents, l'honorable comte Vilain XIIII qui vint dénoncer la violation dont avait été l'objet à Bruxelles la pratique du culte saint-simonien.

Messieurs, en répondant au premier discours de l'honorable M, Vanden Branden de Reeth, j'ai dit que je croyais qu'il ne fallait pas discuter maintenant les détails de cette affaire, qu'il fallait que la justice suivît son cours. Elle le suivra, nous saurons bientôt à quoi nous en tenir sur l'affaire de Malines. Mais malgré tout ce qu'on a dit et tout ce qu'on pourra dire, je persiste dans mon opinion : que l'autorité communale de Malines a été en faute en n'empêchant pas les désordres qui ont eu lieu.

Ce n'est certainement pas la faute de cette administration si ces excès n'ont pas été plus loin, c'est grâce au bon esprit chez cette population que je n'ai pas attaquée, que j'ai défendue au contraire contre les déclarations de son bourgmestre et de ses honorables représentants, c'est grâce au bon esprit de cette population que les désordres n'ont pas été plus graves. Ce n'est pas à la police ni au bourgmestre de Malines que nous en sommes redevables.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne m'attendais pas à avoir à prendre part à ce débat, et j'ai été fort étonné d'être forcé en quelque sorte de m'y mêler.

Les faits signalés dans une séance précédente par l'honorable député de Bruxelles qui vient de se rasseoir, paraissaient avoir, du moins d'après le récit qu'il en avait fait, et je suis convaincu qu'il était parfaitement consciencieux dans ce récit, un grand caractère de vérité. Mais aujourd'hui, d'après les déclarations données par l'honorable ministre de l'intérieur sur pièces officielles, puis d'après les documents lus tout à l'heure par mon honorable collègue et ami M. Vanden Branden de Reeth, il est résulté à toute évidence que l'honorable membre avait été indignement mystifié et qu'en définitive il y avait dans tout ceci une exagération extrême, une exagération incroyable.

Il est resté démontré que le père lui-même du défunt venait contester la vérité des faits qui avaient été énoncés à cette tribune.

Or je ne connais rien au monde de plus fort qu'une pareille déclaration. Lorsque le père du défunt vient déclarer que les faits tels qu'on les a rapportés sont exagérés, sont faux, je dis qu'en définitive il est superflu de venir dans cette enceinte présenter les populations sous un caractère aussi déplorable, de venir représenter la Belgique comme atteinte de fanatisme, de venir représenter les habitants de Malines comme des sauvages. Je laisserai à d'autres et notamment aux députés du Luxembourg, le soin de répondre à ce qu'on a dit de la sauvagerie de leurs commettants,

M. d'Hoffschmidt. - Cela n'est pas sérieux.

M. de Moor. - C'est une plaisanterie.

M. Hymans. - Oui, c'est une plaisanterie ; nous nous en sommes expliqués.

M. B. Dumortier. -Sans doute c'est une plaisanterie, mais tout est plaisanterie dans ce qu'a dit l'honorable M. Hymans.

Je ne m'attendais donc pas à prendre la parole, après les déclarations qui venaient de présenter sous un jour nouveau, mais en même temps réduire à très peu de chose, à un acte de curiosité ou à un acte d'ivrognerie ce qui s'était passé à Malines. La foule était considérable, mais il y a dix jours, nous assistions au service du très regretté sénateur, M. le comte de Marnix. Mais moi-même, j'ai vu fermer devant moi la porte de l'église où je ne pouvais pas entrer, tellement la foule était considérable.

Ces faits se produisent tous les jours, et il n'y a là ni fanatisme, ni religion, ni rien de semblable.

Mais comme on savait sans doute que la position était mauvaise, qu'on avait pris une position qu'il était impossible de soutenir devant les déclarations officielles dont on nous a donné connaissance, un autre honorable député de Bruxelles est venu à la rescousse à son collègue, pour mettre en jeu son très humble et très obéissant serviteur, comme si j'avais quelque chose de commun avec les faits qui se sont passés à Malines, comme si j'étais pour quelque chose dans cette affaire.

Mais il fallait un dérivatif ; la position était mauvaise ; et ce dérivatif, on l'a trouvé en croyant frapper sur mon dos.

Je dis que c'est là une pitoyable tactique, indigne du talent de l'honorable membre, indigne de l'homme qui a présidé à nos débats.

Restez dans la discussion qu'on a soulevée, si vous avez quelque chose (page 699) à dire, mais ne venez pas, vous, soulever une discussion qui n'est pas à l'ordre du jour et au sujet de laquelle nous n'avons pas en ce moment les pièces nécessaires pour vous répondre.

Mais qu'un jour soit fixé, et je suis prêt à soutenir le débat contre l'honorable membre. Je prouverai alors que l'honorable membre a dit une foule de choses erronées.

Vous viendrez peut-être avec les témoignages judiciaires. Mais que prouvent des témoignages judiciaires ?

M. de Moor. - C'est une insulte à la justice.

M. B. Dumortier. - Comment ! n'y a-t-il pas eu des témoignages judiciaires, infirmant le fait, que des frères de la doctrine chrétienne avaient été mis sur le gril au village de Jemmapes, et cependant n'en est-il pas moins vrai que des frères de la doctrine chrétienne ont été grillés ?

Oh ! je le sais, quand il s'agit d'un protestant, vous, les tolérants du libéralisme, vous venez défendre avec une chaleur extrême les principes de la liberté des cultes ; mais quand il s'agit d'un catholique, vous restez froids et muets.

Ayez donc la même sympathie pour les uns et pour les autres. Appliquez ces grands principes de la liberté des cultes que vous développez si bien, appliquez-les, soit qu'on porte atteinte aux droits des individus, soit qu'on lèse ceux d'associations religieuses. Mais jamais votre voix ne s'est élevée pour flétrir les actes dont ont à se plaindre les associations religieuses.

Je le répète, messieurs, il a fallu un dérivatif, pour détourner l'attention d'une question qu'on jugeait insoutenable ; et l'on n'a rien trouvé de mieux que de mettre en cause celui qui a l'honneur de vous parler en ce moment.

Mais j'ajourne l'honorable membre au jour qu'il lui plaira de fixer, et je prouverai à l'évidence qu'il n'y a pas eu à Tournai ce qu'on a prétendu qu'il s'y était passé ; qu'il n'y a pas même eu d'émeutes. Des membres de la société par la réforme douanière, arrivés à Tournai, avaient eu l'imprudence d'ameuter contre eux la population ouvrière ; j'ai ici par hasard une pièce que j'ai toujours conservée ; cette pièce, c'est l'affiche que les membres de l'association douanière qu'on a fait apposer partout sur les murs. (L'orateur lit la pièce.)

Quand on se permet de pareils mensonges, n'est-ce pas dire aux ouvriers d'une cité éminemment industrielle et manufacturière : « Nous voulons vous enlever votre pain. » Dès lors est-il surprenant que les ouvriers s'émeuvent ?

Mais il n'y a eu aucuns désordres commis à Tournai ; mais il y a eu de la peur chez les membres de l'association ; rien que de la peur.

Encore une fois, je discuterai la question avec l'honorable membre au jour qu'il voudra ; mais ne venez pas détourner notre attention des faits qui occupent la Chambre en ce moment. Il s'agit de l'affaire de Malines.

Eh bien, l'affaire de Malines se réduit à presque rien ; il y a eu là un fait regrettable, que je déplore, que je blâme, mais qui n'était nullement de nature à revêtir les proportions colossales qu'on lui a données, qui n'autorisait nullement à qualifier à cette tribune, comme on l'a fait, la population de Malines et une grande partie de la population belge.

M. de Theux. - Messieurs, j'aurais voulu, pour prendre part à cette discussion, attendre les résultats de l'enquête administrative et judiciaire ; mais en présence de l'importance que la presse anglaise a donnée à l'affaire de Malines, je ne puis garder le silence.

Messieurs, il fut un jour où au sein du parlement d'Angleterre, on attaqua la bravoure du militaire belge, l'honneur de notre armée.

Et l'on oubliait que la bravoure du militaire belge avait aidé à arrêter une seconde invasion des troupes françaises en 1815.

D'unanimes protestations se sont élevées dans les deux Chambres belges contre les imputations dont la Belgique avait été l'objet dans le parlement britannique ; notre armée s'en est émue, et, finalement, on a reconnu, en Angleterre même, que cette attaque était une lâcheté.

Aujourd'hui, on accuse une population entière d'intolérance.

Eh bien, voyez jusqu'où va cette intolérance : c'est le gouvernement belge et c'est moi qui ai eu cette initiative, c'est le gouvernement belge qui a proposé au budget de l'Etat un traitement pour les ministres anglicans, pour les ministres d'un culte professé par des étrangers et exercé par des ministres étrangers.

Y a-t-il un seul pays au monde qui ait donné l'exemple d'une pareille tolérance, et c'est la presse anglaise qui s'élève contre notre intolérance !

Eh bien, je le demande à tout homme de bonne foi ; connaît-il un seul pays où la tolérance de culte à culte soit poussée aussi loin qu'en Belgique ?

Dans le fait qu'on vous a dénoncé, y a-t-il eu agression d'un culte contre un autre ?

Non ; s'il y a eu parfois quelques désordres, c'a été à l'égard du culte catholique.

Dans certaines circonstances, nous avons eu à regretter des faits déplorables ; mais en signalant ces faits à l'autorité, en les blâmant, nous n'avons pas été jusqu'à dire que c'était une honte pour le pays.

Et voilà ce qu'on vient vous déclarer à propos du fait qui s'est passé à Malines, que les autorités compétentes ont expliqué et qui n'a jamais eu ces grandes proportions qu'on a voulu lui donner ; ce fait a eu pour origine, non des idées d'intolérance, mais uniquement la curiosité de la foule qui voyait enterrer peut-être pour la première fois un personnage important du culte anglican, cérémonie qu'on disait devoir être accompagné de circonstances toutes particulières.

Messieurs, je termine ici mes observations. Je m'en réfère à l'impartialité du gouvernement et de l'autorité judiciaire pour les enquêtes à faire, et j'espère qu'il en résultera à la dernière évidence une nouvelle preuve que la Belgique est véritablement un pays modèle quant à la tolérance pratique de culte à culte.

M. Orts. - Messieurs, je n'entends pas prolonger le débat au fond ; mais je dois deux mots de réponse, pour ainsi dire personnelle, à l'honorable M. Dumortier,

L'honorable membre me reproche très vivement de l'avoir mis en cause dans ce débat, où je n'avais aucune raison plausible de l'attirer.

Ce n'est pas à moi que ce reproche devrait être adressé. J'ai répondu à l'honorable M. Vanden Branden de Reeth qui blâmait d'une manière excessivement acerbe l'usage fait par un de ses collègues de la liberté de la tribune ; j'ai répondu en disant que je trouvais ses critiques injustes et prématurées, peu compatibles avec le respect que nous devons avoir les uns pour les autres dans l'exercice de nos prérogatives parlementaires communes, et mettant la conduite de l'honorable membre et de ses amis qui l'avaient applaudi avec une insistance très marquée sur tous les bancs de la droite, en regard de la conduite que nous avons tenue sur les bancs de la gauche à une autre époque et à propos de la violation d'une liberté non moins précieuse que la liberté religieuse, j'ai dit que nous nous nous étions montrés plus généreux et que personne d'entre nous ne s'était cru le droit d'infliger une leçon de convenances parlementaires à l'honorable M. Dumortier.

Nous avons reconnu au contraire qu'il avait usé d'un droit, qu'il en avait usé consciencieusement tout en se trompant et, que s'il avait été victime d'une erreur évidente, judiciairement démontrée, ce n'était pas sur lui qu'il fallait rejeter le blâme, mais bien sur ceux qui l'avaient trompé.

Je disais encore à l'honorable M. Vanden Branden de Reeth : En 1857 nous avions des démentis judiciaires à opposer aux allégations de l'honorable député de Tournai, tandis qu'il n'avait lui, M. Vanden Branden de Reeth, fondé sa mercuriale et son sermon que sur les déclarations de gens qui sont les premiers intéressés à se disculper des accusations de l'honorable M. Hymans, c'est-à-dire la police de Malines depuis en haut jusqu'en bas, du sergent de ville au bourgmestre.

L'honorable M. Dumortier a donc tort de m'imputer son intervention dans ce débat ; elle était nécessaire, j'ai dû le nommer pour rappeler au souvenir des honorables membres de l'assemblée les faits et l'époque dont je voulais parler et leur permettre d'en contrôler l'exactitude.

Je n'ai pas blâmé M. Dumortier alors et je ne l'ai pas fait davantage aujourd'hui.

L'honorable membre me porte maintenant un défi. Il me somme de prendre jour pour aborder à nouveau cette vieille discussion ; il veut vous démontrer que je me suis trompé.

Si la Chambre, qui a déjà, depuis l'ouverture de la session, consacré beaucoup de jours à des débats dont l'utilité ne m'a pas toujours semblé démontrée, veut nous écouter, l'honorable M. Dumortier et moi, discutant sur les événements de Tournai auxquels j'ai fait allusion, je suis à sa disposition. Qu'elle fixe le jour et l'heure du rendez-vous.

M. H. Dumortier. - Dans une séance du soir.

M. Orts. - Mais puisque M. Dumortier me provoque à ce duel parlementaire, je dois lui dire que si le combat a lieu, je réclame le choix des armes, car je suis l'offensé. C'est lui qui m'appelle en champ clos. Mon arme sera l'enquête judiciaire. Libre à lui de s'en servir, comme moi et contre moi, mais s'il la récuse d'avance, il est impossible que nous combattions.

Je tiens, moi, aux dépositions des 50 témoins entendus devant l'autorité (page 970) judiciaire sous la foi du serment. Je les estime plus croyables que les renseignements puisés par l'honorable M. Dumortier dans les gazettes publiées à Tournai à l'époque de 1857,

Je les maintiens supérieures à des assertions pas même signées d'un nom connu, à des assertions anonymes que ne cautionne pas même la parole d'honneur d'un honnête homme, bien loin d'un serment judiciaire ; à des assertions démenties le jour où l'honorable M. Dumortier les reproduisait dans cette chambre par une lettre de M. le procureur du roi, M. Hubert, lue à la tribune, de M. Hubert qui ne peut certainement être suspecté de partialité aux yeux de l'honorable M. Dumortier ; par une lettre encore de l'honorable sénateur-bourgmestre de Tournai, M. de Rasse, qui était également lue dans cette enceinte.

L'honorable M. Dumortier a d'ailleurs déplacé la question qui s'élève entre nous et c'est par quelques mots sur ce point que je finis.

Ce que je propose de discuter avec lui, ce n'est pas la question de savoir s'il y a eu ou non des troubles à Tournai, mais la question de savoir si, comme il l'affirmait sur la foi de nombreux renseignements qu'on lui avait donnés, les gendarmes avaient chargé la population paisible, avaient fait usage de leurs armes, sabré et foulé aux pieds de leurs chevaux les vieillards, les enfants et les femmes...

M. B. Dumortier. - Le fait est vrai.

M. Orts. - ... s'il était vrai qu'un gendarme gravissant à cheval les marches de l'église Saint-Brice, en avait chassé le sabre à la main les enfants et les femmes qui s'étaient réfugiés au seuil du temple ? Car, voilà ce qu'avait affirmé l'honorable membre, et ce qui avait été démenti par 50 témoins, par tous les médecins de Tournai, par les déclarations du procureur du roi et du bourgmestre de Tournai, par l'ordonnance de la chambre du conseil de cette ville et par l'arrêt conforme de la chambre des mises en accusation de Bruxelles.

Sur ce terrain, j'attends l'honorable M. Dumortier de pied ferme au jour qu'il lui plaira choisir d'accord avec la Chambre.

M. B. Dumortier. - L'honorable membre se place sur un terrain excessivement commode.

Il veut que l'on examine cette affaire et il veut en même temps soustraire l'affaire en elle-même à l'examen de l'assemblée. Quant à moi, c'est précisément l'affaire elle-même que je veux examiner.

Vous faites des enquêtes judiciaires ce que vous voulez ; quand il s'agit de l'affaire de Tournai c'est très important, quand il s'agit de l'affaire de Vencimont cela ne signifie rien.

M. Orts. - Je n'ai rien dit dans cette affaire.

M. B. Dumortier. - J'appelle, quant à moi, l'examen de cette affaire. Le jour où on l'examinera, il sera démontré jusqu'à l'évidence que les assertions de l'honorable membre sont complètement inexactes et que la gendarmerie s'est conduite à Tournai d'une manière barbare.

Ce qui est vrai, c'est que le procureur du roi, j'étais son ami, a eu grand tort de vouloir justifier la conduite de la gendarmerie, qui a été inqualifiable. Elle a chargé, sans sommation, sans avoir été attaquée, la population et l'a frappée à coups de plat de sabre et même à coups de pointe. Il y a eu de nombreux citoyens blessés.

M. Orts. - Il y a un arrêt qui dit le contraire.

M. B. Dumortier. - Faites une enquête et vous verrez.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai nulle envie, messieurs, de continuer ce débat, mais quand j'entends l'honorable M. Dumortier venir répéter les accusations qu'il a produites à une autre époque, je dois dire que ses assertions sont complètement et absolument démenties par l'enquête judiciaire qui a été faite et par la décision rendue par la chambre du conseil.

Je dois protester contre les paroles qui, je le répète, sont en opposition manifeste avec toute l'instruction qui a été faite de cette affaire.

M. Vanden Branden de Reeth. - La seule objection qu'on ait faite à mon discours, c'est que les déclarations que j'ai lues à la Chambre avaient été faites par des personnes intéressées.

Ces déclarations, messieurs, sont du pasteur anglican, du père du défunt, du colonel commandant de place, de l'adjudant déplace, du colonel de la garde civique.

Je demande si ce sont là des personnes qui sont intéressées à se justifier ou à se défendre de quoi que ce soit.

Lorsque l'enquête judiciaire aura lieu, ces mêmes personnes devront être entendues. Est-il à supposer qu'elles puissent faire, devant le juge d'instruction, une autre réponse que celle qu'elles ont faite devant le commissaire de police !

Voilà tout ce que j'avais à dire.

- L’incident est clos.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la justice

Discussion générale

M. Coppens. - Messieurs, en rendant hommage au ministre qui, en 1848, a importé une nouvelle industrie dans le pays, je ne puis cependant pas permettre que cet état de choses se perpétue.

Voilà 14 ans que cette industrie est dans le pays ; il ne faut pas, à mon avis, que l'Etat devienne fabricant.

On pourra m'objecter que c'est pour l'exportation qu'on travaille et que l'industrie privée peut également s'emparer de cet objet et faire la même chose.

Si les conditions de travail étaient les mêmes pour tous ceux qui veulent entreprendre cet objet, je dirais que l'on a raison ; mais ici le capital et la main-d'œuvre sont hors de concours pour l'industrie privée. Le capital ne rapporte aucun intérêt. En outre, la main-d'œuvre est à vil prix dans la prison. Comment donc voulez-vous que l'industrie privée lutte avec un établissement qui n'a pas d'intérêt à payer de son capital et qui possède une main-d'œuvre si réduite ?

Je sais que la position est difficile pour le gouvernement ; je sais qu'il est bien difficile, quand un genre de travail a été implanté dans une prison, de le remplacer par un autre genre de travail. Mais il y aurait moyen, je pense, de concilier les nécessités de l'industrie et celles du gouvernement, et ce moyen m'est indiqué par une expérience qui a été faite en France.

Dans la maison centrale de Montpellier, on a mis en adjudication public des travaux du genre de ceux-ci exécutés par les détenus.

Si ce système était adopté ici, le fabricant devenu adjudicataire pourrait reprendre tout l'actif du magasin et pourvoir à tous les besoins de la fabrication.

L'Etat, de son côté, n'aurait plus qu'à surveiller les opérations de l’industriel adjudicataire, les capitaux qui lui sont aujourd'hui nécessaires pourraient recevoir une autre application.

J'attendrai les explications de M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a un point incontestable et qui n'est mis en doute par personne ; c'est qu'il faut soumettre les prisonniers au travail. C'est là évidemment le point de départ.

La nécessité du travail est commandée par deux raisons principales : d'abord, parce que le travail sert à moraliser, et, en second lieu, parce qu'il faut, autant que possible, procurer aux individus, pour l'époque de leur sortie de prison, le moyen de gagner leur existence et empêcher ainsi qu'ils ne commettent à leur sortie, par nécessité, des faits de nature à les faire condamner de nouveau.

Du moment que l'on est d'accord sur ce point, qu'il faut faire travailler, il devient impossible de ne pas s'exposer aux reproches qui sont formulés périodiquement quand il s'agit du travail dans les prisons ; car nous ne pouvons pas inventer un travail productif sans rencontrer de concurrence.

A une autre époque, les prisonniers étaient occupés à la fabrication d'objets destinés à la consommation intérieure du pays. On a réclamé très vivement, et l'on a soutenu que ce travail des prisons faisait concurrence à l'industrie privée, et qu'il fallait, par conséquent, introduire dans les prisons un autre genre de fabrication qui soit moins préjudiciable à nos industriels, un genre de travail qui fasse une concurrence moins sérieuse aux fabricants du pays.

Qu'a-t-on fait alors, messieurs ? On a commencé la fabrication des toiles pour l'exportation et aujourd'hui on en fabrique pour une valeur d'environ un million par an. Or, je le demande, que peut faire une fabrication maintenue dans des limites aussi restreintes, sur la production générale du monde entier ?

Evidemment, cela ne peut pas nuire à l'industrie privée ; cela ne peut lui nuire sous aucun rapport. Ce n'est pas, si j'osais le dire, ce n'est pas une demi-goutte d'eau dans la grande mer industrielle de l'Europe et des autres parties du monde.

Il y a plus, messieurs, c'est que l'exemple qui a été donné par l’établissement de Saint-Bernard, établissement qui est à la tête de la fabrication des prisons, a fait à la Belgique énormément de bien. Il a eu pour résultat de faire connaître nos toiles et il a même contribué à perfectionner la fabrication en général. De sorte que, sous ce rapport, l'industrie du pays n'a pas à se plaindre.

Maintenant on nous conseille de mettre le travail des détenus en adjudication publique.

Mais, messieurs, nous avons essayé de ce système ; tous les ministres successivement l'ont fait ; on a essayé à diverses reprises de mettre les prisonniers à la disposition de certains industriels, et les résultats de ces tentatives ont été très insignifiants. Moi-même j'ai eu l'occasion de constater que ce mode est à peu près impraticable.

(page 971) Et la raison en est simple, c'est que la population des prisons change très fréquemment, qu'en entrant le prisonnier ne connaît pas son métier et que souvent il quitte la prison quand à peine il le connaît.

L'honorable membre nous dit que pour l'Etat, le capital employé était gratuit, que la main-d'œuvre était à vil prix. Mais, messieurs, le travail d'un prisonnier ne peut pas être comparé au travail d'un ouvrier libre. Les conditions de travail sont toutes différentes pour l'un et pour l'autre. A son entrée en prison le détenu, je viens de le dire, est un véritable apprenti ; son travail laisse naturellement beaucoup à désirer et produit des déchets souvent considérables, et les heures du travail des prisonniers sont limitées. D'un autre côté, le prisonnier n'a pas le stimulant de l'ouvrier libre.

Vous ne pouvez donc pas assimiler le travailleur libre au prisonnier.. Je comprendrais qu'on parlât du bas prix du travail dans les prisons et que l'on tînt compte du capital engagé, si c'était à l'intérieur même du pays que nous faisions la concurrence à l'industrie privée ; ensuite, je le répète, tous nos produits sont exportés, et ce n'est certes pas cette minime production dont je vous indiquais tout à l'heure l'importance qui peut nuire le moins du monde à l'industrie du pays.

Je crois donc que le système suivi jusqu'à présent est celui qui a produit les meilleurs résultats ; et il serait impossible, je pense, d'en trouver un autre qui conciliât aussi bien les intérêts des industriels avec les nécessités de la moralisation des prisonniers.

M. Coppens. - M. le ministre nous dit qu'il faut tenir compte de la main-d'œuvre du prisonnier ; que la main-d'œuvre du détenu ne peut pas être comparée à celle du travailleur libre. Je ne l'ai pas contesté, messieurs. Je n'ai pas contesté non plus l'inconvénient de devoir changer le genre de fabrication introduit dans les prisons. Mais M. le ministre n'a pas fait connaître son opinion sur le moyen que j'ai indiqué de parer à cet inconvénient et qui m'a été suggéré par ce qui se passe dans la maison centrale de Montpellier. Ce moyen consisterait à mettre le travail des détenus en adjudication publique. Il me semble que l'on concilierait ainsi l'intérêt de l'Etat et celui de l'industrie privée.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ignore dans quelles conditions le gouvernement français a pu mettre en adjudication le travail des prisonniers dans la prison de Montpellier ; je ne sais si les résultats obtenus ont été bons ou mauvais, mais je dis que la chose a été souvent tentée en Belgique et qu'elle n'a produit que de très médiocres résultats. Ainsi, à Namur, à la prison des femmes, le système a été essayé et les résultats n'ont pas été merveilleux.

Voici un autre fait : à Saint-Hubert, des prisonniers ont été mis à la disposition de la maison Collard de Bruxelles, moyennant un prix convenu.

Eh bien, une année ne s'était pas écoulée que cette maison a renoncé en présence des inconvénients qu'elle a rencontrés.

En présence de ces résultats, vous comprenez, messieurs, qu'on n'a pas poussé plus loin les expériences.

M. Rodenbach. - Je ne désapprouve pas ce que vient d'énoncer, M. le ministre de la justice, mais il pourrait songer à employer les prisonniers à d'autres travaux. En Suisse, on les fait travailler à l'agriculture et il paraît qu'on s'en trouve très bien ; je ne dis pas qu'il faut le faire, niais qu'on examine si on ne pourrait pas le faire.

Ceux qui ont voyagé en Suisse ont vu passer 50 individus escortés par des gardiens qui les conduisaient aux champs où on les fait travailler rudement ; je ne dis pas que ce n'est pas difficile, mais enfin en Suisse on a trouvé moyen d'employer les prisonniers aux travaux de l'agriculture.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'emploi des prisonniers aux travaux agricoles a été examiné en Belgique et reconnu impraticable en tant qu'il devrait être appliqué à tous les condamnés.

A Saint-Hubert, il y a de jeunes délinquants qu'on applique aux travaux de l'agriculture.

Mais on ne peut pas prendre les forçats de Gand pour les employer aux travaux agricoles, car il n'y aurait de sécurité pour le pays qu'à la condition d'établir un gardien ou un gendarme à côté de chaque prisonnier. (Interruption)

On a supprimé les barres, les chaînes, les boulets, est-ce qu'on veut les rétablir ? La Chambre se soulèverait contre le retour d'un pareil système.

M. de Haerne. - Ce n'est pas la première fois que la question dont il s'agit est soulevée dans celle Chambre, et chaque fois on a reconnu que le gouvernement devait ménager l'industrie privée. C'est un principe que nous admettons tous, mais en cette matière comme dans d'autres, il faut tenir compte des nécessités du service, du travail nécessaire à.la moralisation des prisonniers.

Il y a ici une servitude semblable à celles dont on a parlé ces jours-ci, ce sont des nécessités auxquelles le gouvernement ne peut pas se soustraire, il faut lui donner quelque latitude à cet égard.

J'abonde, pour le fond, dans le sens de l'opinion exprimée par M. Coppens, mais je ne puis désapprouver ce qu'a fait le gouvernement. On a tenté des essais de différentes fabrications ; on a essayé, à notre demande, de mettre le travail des prisons en adjudication totale ou partielle. Mais on a trouvé qu'il n'y avait pas de meilleur moyen que celui auquel on s'est arrêté.

On emploie, il est vrai, en partie du fil étranger, mais sans préjudice réel pour nos filatures.

En effet, les produits sont exportés sur des marchés où nous n'allions pas précédemment et où nous subissons la concurrence anglaise.

Ces produits sont destinés à l'exportation transatlantique ; on a créé par là une nouvelle exportation ; chose qui n'a pas été assez mise en lumière.

On a cité l'exemple de la France. Permettez-moi, messieurs, de citer l'Angleterre.

Pendant longtemps les prisonniers n'ont pas été employés à fabriquer des produits de l'industrie anglaise ; les industriels luttaient toujours contre l'introduction de leur industrie dans les prisons, dans les écoles de réforme et dans les institutions subsidiées par le gouvernement.

Mais l'administration anglaise, forcée par la nécessité, à partir de 1857, a admis le travail industriel dans les écoles de réforme, dans les écoles dites industrielles, qui ressemblent à nos ateliers d'apprentissage, sauf que dans quelques-unes il y a des enfants détenus par jugement.

On a établi le travail agricole dans quelques-unes de ces écoles, et te travail industriel dans d'autres ; le gouvernement anglais va plus loin ; pour assurer l'éducation industrielle, littéraire et religieuse, il va jusqu'à payer les métiers et un tiers de la matière première, mais tout en sauvegardant autant que possible le principe de la liberté industrielle qui est plus respecté en Angleterre que partout ailleurs.

Je demande que le gouvernement belge fasse aussi tout ce qu'il peut pour sauvegarder la liberté industrielle et pour concilier ce respect avec les nécessités du service.

- La discussion générale est close.

Vote des articles et vote sur l’ensemble

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la justice un crédit supplémentaire d'un million de francs, à titre d'avance, pour l'exercice courant.

« Cette somme sera ajoutée à celle qui est portée à l'article 58, chapitre X du budget du département de la justice, pour l'exercice 1861. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera affecté à poursuivre, dans les prisons, le travail pour l'exportation. »

- Adopté.


« Art. 3. Une somme d'un million de francs sera portée au budget des voies et moyens pour 1861. »

- Adopté.


« Art. 4. Il sera rendu compte des opérations aux Chambres législatives dans la session de 1861-1862. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

En voici le résultat :

82 membres répondent à l'appel.

80 membres répondent oui.

2, MM. Coppens et Janssens répondent non.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van dc Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Beeckman, Braconier, Coomans, Crombez, Dautrebande, David, Debaets, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Loos, Magherman, Mercier, Moucheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch et Vervoort.

Projet de loi approuvant le traité d’amitié, de commerce et de navigation conclu avec la Bolivie

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

(page 972) L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Art. unique. Le traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu, le 17 août 1860, entre la Belgique, sortira son plein et entier effet. »

Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 73 membres présents.

Ces membres sont : MM. Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Alp. Vandenpeereboom, Ern. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Beeckman, Braconier, Coomans, Coppens, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, Dechentinnes, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, Henri Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, J. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Loos, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch et Vervoort.

Projet de loi accordant un crédit spécial au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Braconier. - Messieurs, je regrette que le crédit que sollicite le gouvernement pour l'augmentation du matériel des chemins de fer ne soit pas plus considérable et que M. le ministre des travaux publics n'ait pu se rallier à la proposition de la sixième section, qui demandait de porter à 2,500 le nombre de waggons à construire ; je le regrette, parce que le chiffre de 1,200, dans ma conviction, est insuffisant et que dans un temps très rapproché, les mêmes plaintes fondées et les mêmes réclamations que celles que nous avons entendues se produire depuis déjà longtemps se renouvelleront ; je le regrette encore parce que la régularité, la facilité et le bas prix des transports, contribuent d'une manière efficace au développement du mouvement commercial et industriel du pays, en même temps qu'à l'augmentation des recettes du chemin de fer.

En examinant les rapports de la section centrale nous voyons que l'augmentation du trafic de 1859 à 1861 a été de 30 p. c. environ, tandis que le nombre des waggons ne s'est accru que de 10 à 11 p. c., soit un déficit de 20 p. c., sur le matériel nécessaire pour faire face à l'augmentation normale des transports.

M. le ministre nous avoue en outre, dans l'exposé des motifs du crédit sollicité, que cette extension des transports eût encore été plus considérable, si le matériel n'avait pas fait défaut, et j'ajouterai que cette extension aurait été encore plus considérable si l'industrie et le commerce du pays n'avaient pas été dans un état de crise que nous connaissons tous.

L'on fait erreur, messieurs, lorsque l'on suppose qu'un crédit semblable à celui que l'on demande, peut figurer dans un article de dépenses. Quant à moi, je dis que c'est un capital placé à un intérêt usuraire. M. le rapporteur de la section centrale l'a du reste parfaitement fait ressortir dans son rapport ; il a établi par des chiffres et des calculs irréfutables que le prix d'achat d'un waggon est remboursé à l'Etat après deux années de service. J'avais donc bien raison de dire que c'est une magnifique opération, au point de vue financier, en même temps qu'un service signalé rendu à l'industrie et au commerce de la Belgique.

Mais, messieurs, on me fera l'objection que si le matériel est par trop considérable, il y aura des moments de chômage, qu'alors le capital employé pour la confection de ce matériel ne produira pas intérêt et qu'il y aura perte pour le pays. Je crois que nous n'en sommes pas encore là, que nous en sommes même très loin. Je crois que si le matériel du chemin de fer était plus considérable, l'administration du chemin de fer chercherait à attirer vers sa ligne des transports qui lui échappent actuellement ; et quand je dis qu'ils lui échappent, je ne me sers pas de mot propre ; je devrais dire : des transports qu'elle évite à défaut de matériel.

Voici un fait, entre autres, que je pourrais citer, qui vient à l'appui de ce que j'avance.

Comment se fait-il que les charbons que l'on expédie du bassin de Liège pour Bruxelles, arrivent avec avantage par la ligne de Liège à Namur et puis par la ligne de Namur à Bruxelles au lieu de prendre la ligne directe de l'Etat ? Il est certain que si l'Etat avait un matériel suffisant, il serait à même de transporter le charbon de Liège à Bruxelles dans les mêmes conditions que la compagnie de Namur à Liège et la compagnie de Namur à Bruxelles qui ont un plus long parcours.

Il est certain d'un autre côté que ces deux compagnies ne travaillent pas pro Deo, qu'elles ont un bénéfice sur ces transports, bénéfices que l'Etat pourrait réaliser d'autant plus que le parcours sur sa' ligne est moins long.

Ceci me paraît tout à fait élémentaire, et' je crois qu'il y a une quantité d'autres transports que l'Etat pourrait attirer vers sa ligne et qui lui échappent aujourd'hui.

Je dirai même que la situation où se trouve actuellement le chemin de fer de l'Etat peut se résumer de la manière suivante : ce n'est pas l'administration du chemin de fer qui cherche à attirer les transports et à faire produire sa ligne, ce sont les industriels qui sollicitent en payant la faveur de se servir du chemin de fer. Et encore cette faveur ne leur est-elle pas toujours accordée. Ils doivent quelquefois attendre très longtemps pour se procurer le matériel qui leur est nécessaire.

Je le demande si une situation semblable, ne répondant pas aux besoins du commerce et de l'industrie, peut être tolérée plus longtemps, surtout dans le moment actuel, où les barrières douanières qui séparent les peuples tombent de tous côtés, où toutes les nations sont appelées à concourir avec leurs produits sur les marchés étrangers.

Si la Belgique reste en arrière dans l'organisation de ses moyens de transport, si elle ne les complète pas d'une manière efficace, comment voulez-vous que l'industrie belge soutienne à l'étranger la lutte avec les industries similaires des autres pays ?

Je ne fais aucune espèce de proposition d'augmenter le nombre des waggons que demande le gouvernement. Je voterai le crédit sollicité, espérant toutefois que dans un avenir rapproché M. le ministre des travaux publics reconnaîtra la nécessité de demander un nouveau crédit, que je voterai encore avec d'autant plus de plaisir, qu'il sera pour moi la preuve convaincante que le commerce et l'industrie belges marchent dans une voie de prospérité et que le chemin de fer tend à augmenter ses recettes.

Avant de terminer, j'ai encore une observation à présenter à M. le ministre des travaux publics.

Il s'agit du matériel des chemins de fer concédés qui est dans une position aussi mauvaise, si pas plus mauvaise que celle du matériel de l'Etat.

Je comprends que l'Etat ne peut pas, seul, augmenter le matériel, à la décharge des compagnies concessionnaires. Jusqu'à présent toutefois, cela ne s'est pas fait, attendu que dans le décompte des transports, l'Etat est débiteur envers les compagnies.

Aujourd'hui, M. le ministre n'a plus les mains liées comme précédemment ; il aurait eu, je l'avoue, mauvaise grâce de dire aux compagnies d'augmenter leur matériel, quand lui, tout le premier, ne faisait rien pour ses lignes.

Puisque M. le ministre donne aujourd'hui une première preuve de son désir de mettre le matériel du chemin de fer de l'Etat en harmonie avec les besoins du service, je lui demanderai si le moment n'est pas opportun pour exiger des compagnies qu'elles aient un matériel suffisant.

Je crois qu'il en a le droit ; dans mon opinion il n'y a aucun doute à cet égard car si on accorde la concession d'un chemin de fer, c'est pour que le concessionnaire rende tous les services qu'on est en droit d'attendre de la ligne concédée, c'est-à-dire pour qu'il exécute tous les transports qui se présentent.

Et qu'on ne vienne pas dire, par exemple, comme on l'a dit dans une autre circonstance : Nous avons un matériel suffisant pour l'été, mais il nous manque du matériel pour l'hiver.

Cela s'applique au transport des marchandises, mais je pourrais retourner l'argument quant au transport des voyageurs et dire : En hiver le matériel est plus que suffisant, mais en été il est loin de répondre aux besoins du trafic. Accepteriez-vous des conditions semblable d’exploitation ?

En résumé, messieurs, je crois que le gouvernement a le droit d'obliger les compagnies à compléter leur matériel et si M. le ministre n'est pas suffisamment renseigné sur l'état des choses, je le prierai de faire une enquête surtout en ce qui concerne les compagnies contre lesquelles s'élèvent les plaintes les plus vives.

Je crois, en second lieu, messieurs, que dans les actes de concession à intervenir ultérieurement, il serait nécessaire de stipuler, dans un article spécial, la condition expresse que la compagnie sera obligée d'avoir un (page 973) matériel suffisant pour satisfaire aux besoins du commerce et de l'industrie.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, je ne puis pas laisser passer sans quelques observations les paroles que vient de prononcer l'honorable membre. Il a dit, messieurs, que l'Etat refusait, en quelque sorte, les transports qui lui étaient offerts...

M. Braconier. - J'ai dit qu'il ne cherche pas à acquérir les transports.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - ... que l'industrie s'adressait à l'Etat alors que l'Etat devrait s'adresser à l'industrie, et que, même quand l'industrie s'adressait à l'Etat, l'Etat était impuissant à accepter les transports qui venaient à lui.

C'est contre cette allégation, messieurs, que je dois m'élever.

Le fait n'est point exact en lui-même, et je puis affirmer que, pour ma part, loin d'attendre que les industriels vinssent à l'Etat, je me suis toujours évertué à aller au-devant des industriels. Après avoir fait un assez grand nombre de traités particuliers, j'ai, dans le but d'attirer des transports, régularisé des réductions de prix consenties à quelques-uns en substituant autant que possible à ces traités des tarifs spéciaux.

Il est évident, en effet, que ces tarifs n'ont été introduits que pour augmenter le mouvement sur notre chemin de fer.

En poursuivant ce but, messieurs, je me suis dit : Si les tarifs réduits réussissent, l'administration pourra momentanément se trouver dans l'embarras, ne pas avoir tout le matériel qu'on réclamera d'elle ; mais il sera constant dès lors que l'administration pour opérer des transports, c'est-à-dire pour faire entrer de l'argent dans les caisses de l'État, n'a qu'à construire du matériel.

Or, cela étant prouvé, j'étais persuadé d'avancé qu'elle ne s'adresserait pas en vain aux Chambre, pour obtenir le matériel nécessaire.

En théorie donc, messieurs, il n'est point exact que l'Etat ne soit pas allé au-devant des industriels.

En fait, je puis encore affirmer que, sauf certaines périodes de l'année, l'administration s'est en général trouvée à même de satisfaire à toutes les demandes de transport qui ont été faites.

Certainement il y a chaque année aux mois d'octobre, de novembre et de décembre, une presse très grande ; il y a à cette époque pénurie extrême de matériel ; mais pendant le reste de l'année l'administration s'en jusqu'ici trouvée en mesure, je le répète, de satisfaire aux transports qui lui ont été offerts.

L'honorable membre a cité certains transports qui auraient pris une route plus longue que celle de l'Etat, entre autres des charbons provenant du bassin de Liège qui auraient emprunté la ligne de Liège à Namur et la ligne de Namur à Bruxelles ; je crois, messieurs, que le fait, tel qu'il est énoncé, n'est pas exact ; il s'agit probablement de transports provenant de la ligne même de Liège à Namur et ayant, quant à la longueur du parcours, intérêt à se diriger de préférence par Namur. S'il en était autrement, je puis encore dire que le fait signalé ne proviendrait pas d'une insuffisance du matériel du chemin de fer de l'Etat, mais qu'il serait la conséquence de certaines combinaisons de tarifs entre les compagnies en cause.

Quant à l'insuffisance du crédit, je ferai valoir devant la Chambre les observations qui ont entraîné la conviction de la section centrale ; c'est d'abord, comme l'explique le rapport de cette section, que l'administration pourra, au moyen du crédit, faire confectionner, non pas 1,000, mais 1,200 waggons.

C'est ensuite qu'on ne doit pas mettre en rapport ce chiffre de 1,200 waggons nouveaux avec le chiffre de 6,000 waggons que nous possédons ; que les waggons à construire pourront avoir un tonnage beaucoup plus considérable que la moyenne du tonnage des waggons qui sont aujourd'hui à la disposition de l'administration. De cette manière nous n'aurons pas seulement 1,200 waggons de plus, nous en aurons à peu près 2,000.

Enfin, et c'est une objection essentielle sur laquelle j'appelle toute l'attention de la Chambre, c'est que si le budget des travaux publics qui va venir à l'ordre du jour, est voté par la Chambre, tel qu'il est proposé, en ce qui concerne les augmentations de certains crédits pour le personnel, je pourrai, aussitôt que le besoin s'en fera sentir, organiser un service de nuit à peu près complet dans un délai fort court, dans le délai de quelques jours.

Et quelle est la dépense que j'aurais à faire pour cela ? Uniquement la dépense du personnel roulant et celle du combustible.

Si les propositions faites au budget sont adoptées, les services de nuit que je pourrai organiser dans les huit jours augmenteront peut-être d'un tiers le matériel.

Dans cet état de choses, nous pouvons nous en tenir aux propositions que m'a faites l'administration, et que je n'ai pas modifiées. La Chambre peut être assurée que par ce moyen il sera pourvu dans une large mesure aux besoins nouveaux qui peuvent se manifester.

- La discussion générale est close.

On passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département des travaux publics un crédit spécial de cinq millions huit cent quatre-vingt-dix-neuf mille francs (5,899,000 fr.), destiné à l'extension et à l'amélioration du matériel d'exploitation des chemins de fer de l'Etat ainsi qu'au remplacement des ponts provisoires établis sur la Sambre.

M. Braconier. - Je ne tiendrai pas longtemps la Chambre ; je n'ai à dire qu'un mot. M. le ministre des travaux publics n'a pas répondu à une de mes observations que je considère comme capitale ; il s'agit de l'obligation à imposer aux compagnies concessionnaires d'avoir un matériel suffisant.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, c'est intentionnellement que je n'ai pas répondu, car je n'ai pas à faire, à cet égard, une réponse très satisfaisante à l'honorable membre.

Nous avons en théorie le droit d'obliger les compagnies. En effet, dans presque tous les cahiers de charges, il n'y a pas de stipulation expresse quant au matériel ; mais il y a cette stipulation que le nombre de convois devra toujours être mis en rapport avec les besoins du commerce et de l'industrie ; d'où la conséquence que les compagnies doivent se mettre en mesure de satisfaire à tous les besoins, c'est-à-dire d'avoir la matériel nécessaire.

Jusque-là tout est au mieux ; mais ce qui l'est moins, c'est que dans les cahiers des charges, il n'y a pas de sanction bien expresse à cette obligation des compagnies.

Je m'empresse, toutefois, de déclarer que, dans la mesure des droits qui sont attribués au gouvernement par les cahiers de charges, mon département veillera avec sollicitude à ce que les compagnies soient constamment pourvues d'un matériel en proportion avec l'importance de leur trafic.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Cé crédit sera couvert au moyen de bons du trésor. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 71 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ce sont : MM. Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Vande Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Beeckman, Braconier, Coppens, Crombez, Dautrebande, David, Debaets, de Boe, de Breyne, Dechentinnes, de Florisone, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, Janssens, J. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Loos, Magherman, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch et Vervoort.

Projet de loi relatif aux concessions de péages

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, d'après, les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi concernant les concessions de péages.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.

La séance est levée à cinq heures.