(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 904) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Busscher, milicien congédié pour infirmité, demande un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Saffelaere demande des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »
« Même demande des conseils communaux de Meire, Leerdc-Sainte-Marie, Steenhuyzen-Wynhuysen. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Louvain prie la Chambre de s'occuper du projet de loi relatif aux créances de l'Etat à charge de cette ville. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Fosses, Vitrival et Auvelais demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice et une nouvelle loi sur le recrutement de l'armée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Fosses, de Roux, de Vitrival, d'Auvelais demandent qu'il soit célébré annuellement dans chaque paroisse un service funèbre pour la reine Louise-Marie. »
- Même renvoi.
« Le sieur Louis-Henri-Désiré Rivière, charpentier à Bruxelles, né à Dunkerque (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Berlemont, président de la société de Secours mutuels, à Courtrai, fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires du rapport sur la situation de cette société, pendant l'exercice 1861. »
-Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.
« Article unique. Le traité de commerce et de navigation conclu, le 20 juillet 1861, entre la Belgique et le Mexique, sortira son plein et entier effet. »
- Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal.
En voici le résultat :
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 64 membres qui ont répondu à l'appel.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. Debaets, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Henri Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, le Bailly de Tilleghem, Loos, Magherman, Muller, Nothomb, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Savart, Snoy, Tack, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Vervoort, Wasseige, Allard, Braconier, Coomans, Coppens-Bove, Crombez, Cumont, Dautrebande, David et E. Vandenpeereboom.
« Article unique. Le traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu le 4 janvier 1862, entre la Belgique et le Maroc, sortira son plein et entier effet. »
Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 72 membres présents. II sera transmis au Sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. de Baillet-Latour, de Boe, do Breyne, Dechentinnes de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Henri Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, le Bailly de Tilleghem, Loos, Magherman, Mercier, Muller, Nothomb, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Savart, Snoy, Tack, Thienpont, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Vervoort, Wasseige, Allard, Braconier, Coppens-Bove, Crombez, Cumont, Dautrebande, David et E. Vandenpeereboom.
Discussion du rapport fait sur les pétitions relatives à l’établissement des servitudes militaires et à la responsabilité des faits de guerre
M. le président. - La parole est continuée à M. de Boe.
M. de Boe. - Messieurs, j'ai cherché, dans la séance d'hier, à établir la nécessité d'une révision générale de la législation sur les servitudes militaires. J'ai justifié le système des polygones exceptionnels qui affranchiraient de ces servitudes les villages des environs d'Anvers, les villages de Merxem, Deurne, etc.. J'ai indiqué le système que je compte soutenir en matière d'indemnité.
Il y a, dans les servitudes militaires, deux choses : il y a la charge, l'interdiction de faire certaines constructions, certaines plantations sur des terrains déterminés. Cette charge est nécessairement spéciale. Mais cette charge, dans des circonstances données, peut porter un préjudice, lequel préjudice est appréciable en argent, et il n'est pas juste, il n'est pas conforme aux principes d'égalité devant la loi, il serait contraire à ce grand principe que nul privilège ne peut être établi en matière d'impôt, que la valeur pécuniaire de ce préjudice restât à la charge de quelques propriétaires déterminés.
Il faut qu'une indemnité prise au trésor et répartie sur la généralité des contribuables vienne faire cesser la lésion spéciale supportée par le propriétaire grevé.
C'est, messieurs, on vous l'a dit hier, l'opinion de la cour d'appel de Gand qui estime, que dans de nombreux cas, en droit pur et en équité, l'indemnité est due de ce chef.
Ce principe se trouve formulé d'une manière extrêmement remarquable dans un titre du Code de commerce que j'invoque volontiers en ma qualité de représentant d'une cité commerciale, le titre du jet et de la contribution.
Lorsque, pendant une tempête ou une chasse de l'ennemi, on juge nécessaire d'alléger le navire, le capitaine a le droit de faire jeter certaines marchandises à la mer, et le propriétaire de ces marchandises ne peut s'y opposer ; il est obligé de se soumettre à ce sacrifice en vertu de ce principe social que l'intérêt privé doit céder devant l'intérêt général.
Mais lorsque le navire arrive au port, on estime le dommage et l'on alloue au propriétaire lésé une indemnité dont le montant est fourni par ceux dont les marchandises ont été sauvées. Je ne vois aucune raison pour que ce principe si juste, si équitable qui était formulé déjà dans la loi Rhodienne : de Jactu, qui a traversé les siècles, ne soit pas appliqué aux servitudes militaires.
Nos adversaires s'exagèrent singulièrement les droits que la souveraineté donne à l'Etat. Lorsque celui-ci ne se borne pas à régler l'exercice du droit de propriété dans l'intérêt commun des propriétaires, lorsqu'il agit comme personnel morale, capable d'acquérir des droits sur la propriété privée, dans ce cas la position de l'Etat vis-à-vis des propriétaires privés n'est autre que celle d'un individu ; il est tenu de traiter avec le propriétaire, de s'entendre avec lui sur le prix, et ce n'est que subsidiairement, lorsque le propriétaire refuse de céder sa propriété ou d'agréer le prix qui lui en est offert et lorsque l'utilité publique est en jeu, ce n'est qu'alors que le gouvernement peut contraindre la volonté du propriétaire, en d'autres termes, procéder à l'expropriation.
Mais l'expropriation ne peut avoir lieu que moyennant juste et préalable indemnité.
Le droit de l'Etat augmente, il va jusqu'à faire fléchir la résistance du propriétaire, mais le devoir, l'obligation de payer reste la même.
(page 905) Eh bien, messieurs, quelle différence y a-t-il en fait entre le cas où il s'agit du droit de propriété et celui où il s'agit d'une servitude ? Absolument aucune.
La propriété n'a réellement de valeur que par l'usage qu'on peut en faire, et interdire à quelqu'un de réparer sa maison, de forcer à la laisser tomber en ruine, interdire à quelqu'un de construire une maison sur un terrain qui a acquis la valeur d'un terrain à bâtir, c'est léser, je ne dis pas le droit de propriété tel qu'il se trouve établi par la science ou plutôt par les subtilités de la jurisprudence, mais c'est léser la propriété telle qui la comprend le bon sens, telle qu'on la comprenait en 1848, lorsqu'on la défendit contre les violentes attaques dont elle était l'objet, telle qu'elle fut définie MM. Thiers et Troplong, dans les remarquables écrits qu'ils publièrent à cette époque.
On a fait hier, messieurs, diverses objections. L'honorable M. Royer de Behr a dit que notre système serait le bouleversement de toute notre législation sur les servitudes.
En 1843, lorsqu'on discuta au Sénat la question des indemnités pour les servitudes qu'on établirait sur les terrains qui longent les chemins de fer, on alla plus loin, on déclara que ce serait le bouleversement de tout le système de la propriété tel qu'il se trouve établi par le Code civil.
Messieurs, ce sont là des exagérations. Il est assez difficile de bouleverser la législation sur les servitudes, attendu qu'il n'y a pas de législation sur cette matière.
Tout ce qui regarde les servitudes se trouve épars soit dans le code, soit dans des lois diverses, soit dans les règlements. Aucun principe rationnel n'a jamais présidé aux dispositions sur les servitudes.
Voici ce qu'en disait-il y a une dizaine d'années, l'auteur d'un ouvrage très remarquable sur les servitudes d'utilité publique, M. Jousselin, avocat à la cour de cassation et au conseil d'Etat de France :
« En étudiant, par les données de mon état, tout ce qui se rattache à cette classe de servitudes, j'ai été frappé de l'abandon dans lequel législateurs et jurisconsultes ont laissé cette importante mesure.
« Dans la législation nul ensemble : les lois et les règlements qui concernent les servitudes d'utilité publique sont épars dans divers recueils, ou même sont restés enfouis çà et là dans les archives nationales. Aucune disposition générale qui les lie, les coordonne et en forme un corps de science, tout à faire par la doctrine.
« Dans la doctrine pour qui et par qui tout était à faire, même absence de théorie, même éparpillement de détails. Beaucoup de questions ont été traitées isolément dans une multitude d'ouvrages ; mais en droit et particulièrement peut-être dans le droit administratif les détails ne sont rien, les principes sont tout. »
Comme vous le voyez, messieurs, il n'y a en réalité pas de législation d'ensemble sur cette matière et si la proposition que nous faisons peut déterminer le gouvernement, à la suite du dépôt d'un projet de loi sur les servitudes militaires, à soumettre à la Chambre un projet de loi sur les servitudes d'utilité publique en général, notre proposition aura atteint un double but utile.
L'honorable M. Royer de Behr a dit que la construction des chemins de fer serait entravée, serait rendue impossible par l'adoption de notre système ; car, dit-on, si le principe est juste pour les servitudes militaires à Anvers, il est juste pour les autres servitudes militaires du pays, que s'il l'est pour les servitudes militaires, il l'est pour les autres servitudes d'utilité publique.
Je ne conteste pas que ce principe ne soit, dans certains cas, applicable à d'autres servitudes d'utilité publique ; je ferai seulement remarquer que de toutes les servitudes les plus onéreuses sont les servitudes militaires, parce qu'elles sont exercées plus rigoureusement et qu'elles portent sur un bien plus petit nombre de propriétaires.
En supposant que l'indemnité fût due pour tous les terrains longeant les chemins de fer, ce que je conteste, du chef de l'interdiction de bâtir, cette indemnité ne serait pas plus élevée que celle à allouer aux propriétaires des environs d'Anvers.
Il y a en Belgique 1,714,169 mètres de chemin de fer. L'interdiction de bâtir s'étend à 8 mètres de chaque côté de la ligne.
C'est donc 1,714,169 à multiplier par 16. Cela fait 27,426,704 mètres de terrains frappés d'interdiction, lesquels, divisés par 10,000 mètres, capacité d'un hectare, donnent 2,742 hectares grevés de servitudes du chef de la loi sur la police des chemins de fer. Or, comme on l'a dit hier, le nombre d'hectares qui resteront à Anvers grevés de servitudes militaires, s'élève précisément au même chiffre.
C’est-à-dire que la construction des nouvelles fortifications d'Anvers grève de servitudes une quantité d'hectares aussi considérable que celle qu'a créée la loi sur la police des chemins de fer en 1843.
Celles-ci établies sur toute la surface du pays, sur une étendue de 1,714 kilomètres courants, portent sur un nombre beaucoup plus considérable de propriétaires, et sont en conséquence, rien que de ce chef, beaucoup moins onéreuses.
Du reste, dans la plupart des servitudes d'utilité publique, comme dans les servitudes de droit commun, le propriétaire trouve une compensation, soit dans leur généralité et la réciprocité qui en est la conséquence, soit dans les avantages que lui procure le travail d'utilité dont elles ont pour but d'assurer l'usage et la conservation.
Dans le premier cas il n'y a pas lieu à admettre le principe de l'indemnité ; la liquidation des dettes et des créances à faire serait tellement générale que chaque propriétaire serait à la fois créancier et débiteur et qu'elle serait en réalité impossible.
Messieurs, on a craint des difficultés d'applications. Ces difficultés n'existent pas ; et sans entrer dans des développements à cet égard, je me bornerai à citer une nouvelle loi étrangère qui proclame le principe que nous soutenons.
C'est la loi rendue le 28 août 1860 par le parlement anglais.
Jusqu'à ces dernières années l'Angleterre protégée par la mer et les murailles en bois qui constituent sa flotte, n'avait pas de fortifications et ne connaissait pas les servitudes militaires.
Un acte de 1859 a alloué au gouvernement 2 millions de livres sterling, pour fortifier les ports de Douvres, de Portsmouth, etc. ; eh bien, le parlement a décidé, par la loi du 28 août, que l'acquisition des terrains nécessaires pour faire les fortifications et l'acquisition des servitudes nécessaires pour créer la zone défensive de la fortification seraient mises sur la même ligne.
La même loi règle l'expropriation des propriétés nécessaires à l'établissement des fortifications et la même loi règle l'établissement des servitudes militaires ; les mêmes formalités sont à remplir ; c'est le même jury qui accorde dans les deux cas l'indemnité.
On n'a vu aucune difficulté à cet égard et je ne comprends pas qu'en Belgique les tribunaux aient décidé que les lois sur l'expropriation forcée ne peuvent s'appliquer au cas d'établissement de servitudes militaires ou de servitudes d'utilité publique en général.
En Prusse, le même mouvement se produit. L'an dernier tout récemment encore, des pétitions ont été adressées à la chambre des députés, et la commission des pétitions a recommandé cette réclamation à l'attention sérieuse du gouvernement et lui a demandé de vouloir bien déposer un projet de loi qui assure aux propriétaires l'indemnité comme en Angleterre et en Hollande.
En réalité, messieurs, la grande difficulté en cette matière c'est la question financière. Eh bien, je dirai que si l'on proclame dans la loi le principe de l'indemnité, on verra disparaître une foule de servitudes.
Il en est un peu des servitudes comme du papier de banque, du papier d'Etat.
Si le gouvernement peut créer des servitudes sans qu'il en résulte pour lui aucun préjudice, il en créera beaucoup, de même qu'il crée beaucoup de papier lorsqu'il oblige chacun à le recevoir en payement au lieu d'espèces métalliques. On arrive alors à ce système désastreux de crédit qu'on appelle le système des assignats.
Mais lorsque à l'émission du papier se trouve cette garantie de la nécessité du payement en numéraire, le papier ne surabonde pas.
Eh bien, que l'on adopte le principe de l'indemnité et vous verrez le gouvernement rechercher soigneusement quelles sont parmi les servitudes celles qui doivent être maintenues ; vous verrez disparaître les 9/10 des servitudes qui grèvent les propriétés.
Ce système sera extrêmement avantageux parce que ce que fait aujourd'hui le propriétaire en vertu d'une tolérance qui peut lui être enlevée du jour au lendemain, il le fera en vertu d'un droit et il ne sera plus exposé au préjudice considérable qui résulterait pour lui de l'obligation de démolir en cas de guerre ou lorsque le gouvernement le juge convenable.,
On ne construit ni maisons, ni fermes, ni usines lorsque le droit de les conserver est aussi précaire.
Du reste, le principe ne pourrait s'appliquer qu'aux servitudes créées depuis la Constitution de 1831. (Interruption.)
M. Allard. - Et nous resterions avec nos servitudes !
M. de Boe. - Nous n'avons pas mission de réparer les injustices commises par les gouvernements antérieurs.
M. Coomans. - Si !
(page 906) M. de Boe. - Si nous entrions dans cette voie, nous n'en finirions pas.
M. Allard. - Allons donc !
M. de Boe. - Je prouverai....
M. Allard. - Nous répondrons.
M. de Boe. - Vous répondrez, soit. En attendant je dirai à l'honorable M. Allard, qui m'interrompt toujours et qui me prouve que nous n'obtiendrons pas si facilement satisfaction à nos réclamations en faveur du principe de l'indemnité qu'on le suppose à Anvers, qu'il est complètement impossible de l'appliquer aux servitudes anciennes.
A qui devrait-on l'indemnité ? Est-ce aux propriétaires actuels ? Mais presque tous n'ont acquis ces terrains que depuis l'établissement de la servitude, et par conséquent avec la dépréciation que leur faisait subir la servitude, et vous en avez la preuve dans l'historique même de cette question.
Le premier document que l'on cite est un décret de Marie-Thérèse de 1771. Je suppose que depuis cette époque la propriété a passé dans beaucoup de mains, mais d'après l'exposé des motifs de cette ordonnance, d'après les renseignements qui m'ont été fournis, d'après les documents trouvés dans les archives de Tournai, dont M. Allard est le représentant, que ce décret n'est pas le premier sur les servitudes militaires ; que ces servitudes existaient depuis longtemps en Belgique, probablement depuis l'application du système Vauban, de telle sorte que, si l'on voulait être équitable en cette matière, il ne faudrait pas accorder des indemnités aux propriétaires actuels, il faudrait rechercher ceux qui possédaient des propriétés à l'époque où les servitudes ont été établies et indemniser leurs héritiers, les héritiers de leurs donataires ou autres ayants droit ; ce qui serait absolument impossible.
Le règlement de l'indemnité ne pourrait se faire à un autre point de vue ; car il faudrait rechercher le préjudice subi par les propriétés frappées de servitudes, non pas à l'époque actuelle, mais à l'époque où elles ont été exercées pour la première fois.
Or, messieurs, comment serait-il possible d'arriver à une telle appréciation ?.
Comment déterminer aujourd'hui le préjudice causé, il y a un siècle et demi, à une propriété par l'interdiction du droit de bâtir ?
Contentons-nous d'être justes pour le présent et pour l'avenir, puisque l'appréciation du préjudice causé dans le passé nous échappe complètement.
Ce que nous vous demandons, messieurs, c'est un progrès à réaliser dans le droit. C'est de mettre la législation sur les servitudes militaires en harmonie avec les idées que l'on se fait de nos jours du droit de propriété et avec l'esprit général de la Constitution belge.
L'idée de propriété est une idée progressiste comme tant d'autres ; l'on s'en fait déjà aujourd'hui une idée bien différente de celle qu'on s'en faisait il y a 70, 50 et même il y a 20 ans.
Il y a vingt ans à peine qu'un des hommes les plus distingués de ce siècle, Macaulay, soutenait, dans la chambre des communes, à propos du projet de loi sur la propriété artistique et littéraire, que la propriété est une pure conception de droit positif, une création de la loi n'ayant d'autre but que l'utilité commune et que le législateur, sans léser aucun droit, peut y apporter telles restrictions qu'il juge convenable.
Aujourd'hui, messieurs, d'autres idées prévalent ; et vous avez appris par les journaux qu'une commission composée de jurisconsultes et des littérateurs les plus distingués a été instituée en France pour examiner la question du droit des auteurs et qu'elle s'est prononcée à l'unanimité ou tout ou moins à la presque unanimité en faveur du principe de la pérennité en matière de propriété de ce genre.
Cela prouve, messieurs, combien la question du droit de propriété a fait de progrès depuis un certain temps.
Cette manière de comprendre la propriété est, du reste, conforme à la Constitution. Le but de la Constitution, en effet, a été de garantir l'exercice sincère de tous les droits individuels, et de réagir surtout contre l'esprit de réglementation, à l'aide duquel, sous prétexte de prévenir les abus, on confisquait en réalité ce droit.
Toutes les constitutions, depuis 1789, ont proclamé la liberté des cultes, la liberté d'association, la liberté de la presse, sous cette seule réserve que je trouve précisément dans l'article 544 du code civil qui contient, dit-on, la définition du droit de propriété, sous la réserve, dis-je, du droit de l'Etat de réglementer l'exercice de ces libertés.
On sait que ce droit de réglementation avait, en réalité, en France et sous le gouvernement hollandais, délimita peu près complètement ces libertés individuelles.
Eh bien, je dis que la réglementation du droit de propriété telle qu'elle résulté des lois actuelles sur le servitudes militaires constitue une véritable confiscation du droit de propriété, car, lorsqu'un individu a acheté pour 40,000 à 50,000 fr. un hectare de terrain à bâtir et qu'il le voit, à la suite de l'exercice de la servitude tomber à 6,000 ou 7,000 fr., j'ai le droit de dire que c'est là une véritable confiscation.
Aussi, ai-je l'intime conviction que si l'attention du Congrès avait été appelée sur ce point, le Congrès eût résolu la question comme nous le faisons.
En effet, deux motifs seulement semblent s'élever contre ma manière de voir : la difficulté d'application et l'énormité de la charge financière.
Or, messieurs, le principe dont nous demandons l'inscription dans la loi n'a réellement d'importance, au point de vue de l'application des charges financières, que pour les servitudes militaires, les servitudes le long des chemins de fer et, si l'on veut aussi, les servitudes autour des bois soumis au régime forestier d'après la loi de 1854.
Eh bien, en 1830, il n'y avait pas de chemins de fer ; il ne pouvait, par conséquent, pas être question de servitudes de ce genre. La loi nouvelle sur le code forestier n'était pas faite, et quant aux servitudes militaires on ne songeait guère à en créer de nouvelles, attendu qu'il n'était guère question d'élever de nouvelles fortifications.
La Belgique était alors le pays du monde où il y avait, eu égard à l'étendue de territoire, le plus de places fortes. Tous les points de la Belgique où l'on avait pu en créer s'en trouvaient dotés.
Les quatre grandes puissances du Nord d'un côté, la France de l'autre, demandaient la démolition de la plupart d'entre elles. Le protocole du 17 avril 1830 et la déclaration faite plus tard par le gouvernement français devant la chambre des députés en font loi, et la Belgique était toute disposée à satisfaire à leurs réclamations, à rendre en conséquence à la liberté de vastes terrains grevés jusqu'alors de servitudes.
La question d'application et de charge financière n'avait donc pu arrêter le Congrès.
J'ai donc raison de dire, messieurs, que le principe de l'indemnité est conforme à l'esprit de notre Constitution et que le Congrès l'eût consacré, s'il avait eu à s'en occuper.
L'allocation d'indemnités aux propriétaires des terrains qui forment le camp retranché d'Anvers paraît d'autant plus légitime que l'adoption du système de concentration sous cette ville est en grande partie le résultat des infractions commises aux lois sur les servitudes militaires, autour des autres places du royaume et que les charges nouvelles imposées aux propriétaires des environs d'Anvers, ont pour effet de rendre libre non seulement ses terrains autour de ces places, mais encore de donner à celles-ci la sécurité des villes ouvertes.
L'arrondissement d'Anvers est un de ceux qui ont le plus souffert pour la conquête et l'établissement de l'indépendance nationale, un de ceux dans lesquels la propriété privée a subi le plus de préjudice du chef de faits de guerre depuis 1830.
Elle subit un bombardement au mois d'octobre de cette année. Elle eut son entrepôt livré aux flammes, elle vit les riches propriétés de ses polders frappées pendant de longues années de stérilité par les inondations. La citadelle de la ville ne fut rendue à la nation qu'à la suite d'un siège.
Dans la session de 1837 à 1838, M. J.-B. Nothomb soumit à la Chambre un projet de loi tendant à allouer des indemnités aux propriétaires qui avaient éprouvé des dommages lors de la révolution par suite de faits de guerre ou d'émeutes.
Le montant des dommages causés fut estimé à 28 millions, 8 millions de valeurs avaient été détruites par les émeutes et 20 millions par les faits de guerre ou de siège. Eh bien, savez-vous pour combien la province d'Anvers ou plutôt l'arrondissement d'Anvers fui compris dans cette somme ? Pour plus de la moitié, pour 11 millions ; la propriété dans les environs d'Anvers avait subi un dommage pécuniaire plus considérable que tout le reste du pays.
J'ai raison de dire que les propriétaires de cet arrondissement sont ceux qui ont le plus souffert du chef de la conquête de notre indépendance. La transformation de notre système nous impose de nouveaux sacrifices. La Chambre fera acte d'équité en compensant pécuniairement ces sacrifices à la population d'Anvers. Je fais un appel à son esprit de justice que l'on n'invoque jamais en vain.
Je passe à un autre ordre d'idées, à d'autres réclamations pour le soutien desquelles le collège des bourgmestre et échevins d'Anvers nous demanda notre concours, le 12 février dernier.
Le 17 janvier, le ministre de la guerre émettait une note d'après laquelle il déclarait que la loi du 8 juillet 1791 et l'arrêté-loi du 4 février 1815 sont applicables aux citadelles dont la zone d'action, d'après la (page 907) nature des ouvrages, doit s'étendre sur les villes auxquelles elles sont contiguës.
En conséquence, le département de la guerre déclarait vouloir maintenir à l’intérieur de la ville agrandie le rayon de servitude établi autour du fort du Nord et s'opposer à toute construction dans le rayon de 585 mètres.
Ce rayon s'étend jusqu'au bassin, la servitude aurait pour effet d'empêcher de créer de ce côté les établissements en vue desquels la ville a demandé l'agrandissement au nord. La prétention du département de la guerre a causé une vive émotion à Anvers ; il fait naître des craintes sur le rôle que les citadelles du Nord et du Sud pouvaient être appelées à jouer en cas de siège.
On a dit que si le rayon des servitudes était égal à l'intérieur à celui qui existe à l'extérieur, des fronts de défense de la place, des forts détachés, que si l'on exigeait pour les citadelles un rayon que l'on considère comme suffisant pour soutenir un siège en règle, c'est qu'on avait l'intention de soutenir dans ces ouvrages une lutte qui pourrait devenir désastreuse pour la ville d'Anvers ; que l'armée se trouvant obligée d'abandonner successivement les 8 forts, et l'enceinte soutiendrait une troisième et dernière lutte sans la citadelle du Nord.
Ces craintes ont donné lieu à des manifestations regrettables que je ne qualifierai pas autrement, ne voulant pas paraître céder à un sentiment de rancune personnelle que je n'éprouve pas.
Les servitudes, vous le savez, sont une charge très onéreuse pour la propriété dans la campagne, mais quand elles s'étendent dans les villes, elles sont désastreuses.
Dans la campagne ce n'est qu'exceptionnellement que les propriétés ont une valeur comme propriétés à bâtir ; dans l'intérieur des villes, au contraire, les propriétés n'en ont guère d'autre.
Eh bien, en vertu de la note du département de la guerre, toutes les propriétés à l'intérieur des villes, dans le rayon de 585 mètres de leurs citadelles, seraient soumises aux restrictions des lois de 1791, 1811 et 1815. Les bâtisses existantes ne seraient maintenues qu'en vertu d'une simple tolérance.
Une circulaire du 25 juillet 1861 fait connaître, en effet, que la plupart des constructions existant aujourd'hui dans la zone réservée des citadelles (585 mètres) vers l'intérieur des villes doivent être considérées comme ayant été élevées par suite d'une tolérance admise par le département de la guerre et qu'il y a lieu de les laisser subsister.
D'après l'article 3 de l'arrêté-loi du 4 février 1815 on peut d'après les circonstances du service démolir ou faire démolir ces constructions sans aucune indemnité.
Le droit que l'on revendique lie à notre cause les villes de Tournai, Charleroi, etc., qu'il léserait aussi gravement que la ville d'Anvers.
J'ai parcouru les diverses lois, arrêtés et circulaires rendus depuis 1840, depuis qu'on a remis en vigueur les dispositions relatives aux servitudes militaires en Belgique, vous savez à la suite de quelles circonstances.
Lors du conflit diplomatique que souleva la question d'Orient, le gouvernement français fit savoir au gouvernement belge que sa neutralité n'était pas une neutralité désarmée, mais une neutralité armée, que si elle n'était pas en mesure de la défendre par les armes et de s'opposer au passage d'une armée du Nord, la France prendrait position, c'est-à-dire en termes polis, qu'on occuperait notre territoire.
Je n'ai trouvé dans ces lois et arrêtés et circulaires, aucune disposition qui parlât de servitudes à l'intérieur des villes.
J'ai la conviction que si le gouvernement présente un projet de loi, ce droit de servitude n'y sera pas inscrit ou du moins que s'il se trouve dans le projet, la Chambre ne le ratifiera pas.
Quels sont les textes qu'on invoque ? C'est en vertu du décret de 1791 et de l'instruction ministérielle du 31 juillet 1812 que ces servitudes seraient établies. On invoque les articles 2 et 3 et les tableaux auxquels ils renvoyaient du décret de 1791 ; or ce décret n'a pas été promulgué en totalité en Belgique.
Les articles et les tableaux sur lesquels on se fonde, ne l'ont pas été, n'ont en conséquence pas force de loi et ne peuvent servir d'autorité légale. Quant à la circulaire du 31 juillet, ce n'est qu'une circulaire qui ne lie aucun citoyen et ne peut grever aucune propriété.
Du reste cette circulaire donne à la zone de défense des fronts de citadelle vers l'intérieur des villes le nom d'esplanade et déclare qu'il serait à désirer qu'on pût porter la limite de l'esplanade au maximum, que les anciennes ordonnances fixent à 500 mètres. Nous verrons tantôt la différence qu'il y a entre un terrain grevé de servitudes et une esplanade. Si le droit qu'on invoque se trouvait inscrit dans les articles 1 et 2 et le tableau du décret de 1791, il eût été inutile de n'exprimer qu'un désir et de s'en référer à d'anciennes ordonnances d'une valeur légale douteuse.
On a invoqué de plus l'autorité morale de la loi française de 1819. Or, il résulte clairement des dispositions de cette loi qu'on distingue entre la zone défensive d'une place à l'extérieur, et la zone défensive d’une place à l'intérieur, La zone défensive des places à l’extérieur se trouve constituée par les servitudes militaires ; la zone défensive à l'intérieur se trouve constituée uniquement par l'esplanade. L'article 3 de cette loi dit en effet :
« La tolérance spécifiée par l'article 30 du titre premier de la loi du 10 juillet 1791 en faveur des moulins et usines, pourra, lorsqu'il n'en résultera aucun inconvénient pour la défense, s'étendre à toute espèce de bâtiments ou clôtures situés hors des places ou portes, ou sur l’esplanade des citadelles.
Et l'article 6 de l'ordonnance des 1er août et 20 septembre 1821 rendue en exécution de cette loi porte :
« Les citadelles et les châteaux auront à l’extérieur les mêmes limites de prohibition que celles des places fortes dont les unes et les autres font partie. Les limites de leurs esplanades du côté des villes pourront être réduites par des fixations spéciales que nous nous réservons d'arrêter sur la proposition de notre ministre de la guerre. »
Cette loi et cette ordonnance distinguent donc bien les terrains qui se trouvent à l'extérieur et qui seuls peuvent porter des servitudes de ceux qui se trouvent à l'intérieur et qu'on appelle esplanade.
En vertu des dispositions sur cette matière, l'esplanade a toujours fait partie du domaine ; cela résulte de l'article 13 du décret de 1791, titre premier qui dit : Tous terrains de fortifications des places de guerre... tels que remparts.... esplanades.... sont déclarés propriétés nationales ; de l'article premier du titre 4, qui déclare que tous les établissements militaires... tels qu'esplanades, sont considérés désormais comme propriétés nationales, et de l'article 22 du décret français du 10 août 1853.
Il résulte de là que l'esplanade est un terrain militaire, un terrain qui appartient à l'Etat. Or, comme on ne peut avoir de servitudes sur son propre terrain, il s'ensuit qu'il n'y a pas de servitudes militaires à l'intérieur des villes.
Le département de la guerre, lorsqu'il veut avoir une zone de défense de ce côté, est obligé d'acquérir ces terrains, et alors sur ce terrain, il est libre d'interdire toute construction.
En effet, les citadelles n'ont pas le but qu'ont en général les fortifications. Les citadelles ont pour but de renforcer à l'extérieur la place à laquelle elles se trouvent adjointes ; elles ont pour but de maintenir le moral du soldat ; elles ont pour but de lui donner un refuge ou réduit, lorsque la place se trouve enlevée et de lui permettre de quitter la position, moyennant une capitulation honorable. Il suffit donc que les' citadelles puissent tenir tout au plus un jour ou même quelques heures. Il est parfaitement inutile qu'elles aient une zone d'action aussi importante que le front d'une position chargée de soutenir un siège en règle.
J'ai parlé tout à l'heure, messieurs, de l'émotion que les réclamations du département de la guerre avaient causée dans la ville d'Anvers ; la chambre de commerce de cette ville nous a transmis le vœu de voir détruire les fronts des citadelles qui menaceraient l'intérieur de la ville.
A mon avis, cette proposition est incomplète. Il est incontestable que si on rase le front des citadelles du côté de la ville, cela équivaut en réalité à la destruction des citadelles. Je viens de vous dire quel est le but de ces ouvrages.
C'est principalement d'arrêter l'ennemi victorieux, d'offrir un refuge momentané à la troupe, obligée de quitter l'enceinte de la campagne. Si ces fronts n'existent pas, évidemment il n'y a plus de refuge et partant de citadelles.
Je demanderai au gouvernement de vouloir examiner sérieusement cette question, de se demander si la suppression des citadelles équivaut, comme le soutient l'honorable député de Namur, à la destruction des fortifications d'Anvers, si ces ouvrages en un mot sont indispensables à la force défensive de la place, si, comme cela arrive très souvent en matière de fortifications, il n'y a pas lieu de créer à ce sujet un équivalent qu'on trouverait dans l'érection d'un ouvrage isolé dans les polders où le pays de Waes, à une distance suffisante de la ville, pour lui donner toute sécurité.
Paris n'a pas de citadelles, les forts détachés en tiennent lieu.
Lorsque en 1858 nous avons combattu le projet qui maintenait vers le sud la vieille enceinte espagnole, nous l'avons fait à cause du danger qu'elle pourrait faire courir à la population des faubourgs de Berchem, de Borgerhout et de la cinquième section. Si la loi de 1859 n'avait eu pour résultat que de déplacer le danger de le reporter vers nos établissements commerciaux (page 908), il est évident que le but auquel nous tendions en 1850 en repoussant le projet de loi du gouvernement ne serait pas atteint.
Notre cause en ceci comme pour les servitudes intérieures est identique à celle de beaucoup d'autres villes, Gand, Tournai, Charleroi, Namur, Huy, Liège et Diest, toutes celles, en un mot, qui sont couronnées de citadelles ou de châteaux ayant des fronts de défense tournés vers la ville sont, au point de vue des dangers dont ces ouvrages pourraient les menacer, dans la situation d'Anvers. Si leurs représentants partagent les craintes de la population anversoise, nous trouverons incontestablement dans cette enceinte de vigoureux appuis.
M. Savart. - Y a-t-il pour les villes fortes avec combinaison de citadelle une double servitude, une servitude extérieure et une servitude intérieure ?
En cas d'affirmative, quelle sera l'étendue de la zone réservée vers l'intérieur des villes ? Cette question est pour Tournai d'une actualité et d'une gravité qui méritent une attention sérieuse, à cause de sa citadelle qui se dresse menaçante vis-à-vis de la ville. Les intérêts de Tournai sont plus avant et plus vivement compromis que ceux d'Anvers même.
Ils sont compromis si son rayon réservé se déroule, jusqu'à 585 mètres.
Si la zone d'action doit, d'après la nature des ouvrages de la citadelle s'étendre vers l'intérieur de la ville jusqu'à 585 mètres, la moitié de la ville de Tournai serait comprise dans le terrain soumis aux servitudes et frappée d'interdit. Vous pouvez vous en convaincre par le plan que vous avez sous les yeux.
On ne pourrait plus faire dans cette moitié aucune construction, élévation, excavation ou réparation sans un permis exprès de l'autorité militaire, et sous les conditions dictées par l'autorité militaire.
Et quelle serait la moitié de la ville placée dans cette position gênante et périlleuse ? La plus belle moitié, celle où se trouve agglomérée la population la plus nombreuse.
Celle où s'élèvent tous les monuments qui font de Tournai une ville si remarquable, à savoir : la cathédrale, les temples dédiés à saint Quentin, à saint Piat, à saint Brice, le couvent des carmélites, les Croisiers, le séminaire épiscopal, l'hôpital Notre-Dame, l'hôpital militaire, des établissements d'arts et métiers, l'hôpital de la vieillesse, l'hôtel de ville, le Beffroi, la grand-garde, le musée des tableaux, les archives de la police, le palais épiscopal, le tribunal civil, les anciens pâtres, la poste aux lettres, la boucherie, la salle des concerts, le musée d'histoire naturelle, les hôtels des artilleurs et des pompiers, les casernes Saint-Jean, les écoles primaires gardiennes.
La cathédrale seule est évaluée à plus de quarante millions, et ce monument qui est une gloire non seulement pour Tournai mais pour le pays entier, ce monument élevé par Charles Mayac, qui a bravé des siècles, qui a été respecté par les Normands dans leurs invasions, qui a résisté aux fureurs des iconoclastes, ce monument qui doit conter aux générations futures la grandeur des générations écoulées, se trouverait exposé sur le terrain prohibé.
Les prétentions de l'autorité militaire semblent si excessives que je ne puis y croire. Je ne connais aucune loi qui puisse servir d'appui à ces prétentions.
Ni la loi de Marie-Thérèse de 1771, ni la loi de 1791, ni le décret de 1811, ni l'arrêté-loi du 4 février 1815 ne sont applicables à l'intérieur des villes qui ont une citadelle et une esplanade.
Le pouvoir de l'autorité militaire doit s'arrêter à la borne délimitative qui sépare le terrain militaire, l'esplanade, du terrain civil ; au-delà de la borne plus de servitude.
Oh plutôt dans ce cas il n'y a pas un fonds dominant et un fonds servant.
Il y a deux propriétés distinctes.
On construit une citadelle et en se réservant une esplanade, le pouvoir militaire s'est réservé ce qu'il croyait nécessaire à une bonne défense. S'il veut plus, libre à lui de poursuivre une expropriation.
Cependant, malgré l'ordonnance de Marie de 1791, ne parlant que des glacis extérieurs des places fortes, et ce mot « extérieur », mis à dessein, donnait l'idée de tout glacis à l'intérieur de nos villes ; malgré la loi de 1791, parlant du tour des villes, malgré l'arrêté du 4 février 1815, renouvellement de l'ordonnance de Thérèse, rendue applicable seulement aux bâtisses extérieures pour Anvers et les autres villes, malgré une exécution donnée dans ce sens à la loi sous plusieurs règnes, le ministre énonce dans des circulaires du 17 janvier et du 25 juillet 1861, que les lois des 8-10 juillet 1791 et 4 février 1815 sont applicables aux citadelles pour le rayon prohibé aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des villes.
Il fait connaître que la plupart (et non pas toutes, notez la réserve) que la plupart des constructions existant aujourd'hui dans la zone réservée des citadelles (585 mètres) vers l'intérieur des villes doivent être considérées comme ayant été élevées par suite d'une tolérance admise par le département de la guerre et qu'il y a lieu de les laisser subsister.
Ces circulaires ont été suivies d'actes.
Un sieur Mory d'Antoing a été autorisé par l'administration de Tournai à édifier une maison sur le terrain de la ville, contigu à l'esplanade, avec condition de respecter la borne séparative. L'autorité militaire a mis empêchement à la bâtisse. Un sieur Debled a tenté de creuser une fosse indispensable dans une maison située rue des Ingers assez loin dans le terrain de la ville, l'autorité militaire a également opposé sort veto.
Par suite de ces faits l'administration communale s'est enfin émue des prétentions manifestées par le département de la guerre. Des lettres ont été adressées au commandant du génie M. Neujean pour lui demander en vertu de quelle disposition légale avaient été prises les décisions prohibitives de l'autorité militaire.
M. Neujean a répondu qu'il attribuait les défenses à l'application des lois de 1791 et 4 février 1815.
Le conseil communal, à l'unanimité, a chargé le collège des bourgmestre et échevins d'adresser une pétition à la Chambre, de dénoncer les faits et subsidiairement, au besoin seulement, de demander l'abrogation de toutes lois qui étendraient la servitude militaire, dans l'intérieur de la ville, au-delà des bornes limitant l'esplanade.
Il est de la plus haute importance pour les habitants de Tournai de savoir si leurs propriétés bâties sont appuyées sur le terrain solide de la loi, ou vacillantes sur le terrain mouvant des concessions.
La position précaire serait trop périlleuse. Les circulaires n'anéantissent pas les lois.
Elles n'empruntent pas le même caractère d'autorité et d'immutabilité que les lois.
Je demande donc d'une manière précise à M. le ministre de la guerre si le gouvernement reconnaît oui ou non, que pour l'intérieur des villes, avec citadelles et esplanade, il n'y a pas de servitude militaire au-delà de la borne des esplanades ? S'il reconnaît que le pouvoir prohibitif du département de la guerre s'arrête à la limite de l'esplanade ?
J'attendrai les explications de M. le ministre de la guerre avant d'entrer dans un plus long débat.
Je ne veux pas abuser des moments de la Chambre, en venant faire une plaidoirie pour un procès peut-être déjà gagné,
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne demande à dire qu'un mot pour dégager de l'incident de Tournai la question qui occupe la Chambre.
Il y a eu malentendu.
La zone de servitude de la citadelle de Tournai a été parfaitement limitée par des bornes ; elle a existé de tout temps, mais l'officier commandant du génie a fait confusion.
Du moment que le département de la guerre a eu connaissance de l'erreur, il a donné ordre d'autoriser les constructions pour lesquelles on était en instance.
La circulaire dont on a parlé et que je demanderai de citer à mon tour est ainsi conçue ;
Bruxelles, le 25 juillet 1861,
« Messieurs,
« Il résulte des principes établis dans la note jointe à ma dépêche du 17 janvier 1861, n°12161, que la plupart des constructions existantes aujourd'hui dans la zone réservée des citadelles (585 mètres), vers l'intérieur des villes doivent être considérées comme ayant été élevées par suite d'une tolérance admise par le département de la guerre et qu'il y a lieu de les laisser subsister.
« En conséquence, messieurs, j'ai l'honneur de vous prier de maintenir à cet égard l'état de choses actuel et de vous borner à faire diriger des poursuites contre ceux qui élèveront des constructions non autorisées, dans les limites jugées strictement nécessaires pour la défense des citadelles vers l’intérieur des villes.
« Ces poursuites seront faites conformément à ce qui est prescrit par la circulaire du 31 octobre 1851, n°10451.
« Vous trouverez ci-joints, messieurs, ... exemplaires de la présente que je vous prie de répartir entre MM. les commandants du génie avec invitation de s'y conformer. »
Pour ce qui concerne la citadelle de Tournai, le département de la guerre n'a pas entendu porter la zone de servitude au-delà de l'esplanade qui fait partie du domaine de la guerre.
(page 990) Lorsqu'il a appris qu'on avait mis obstacle à l'exécution de certaines réparations dans l'intérieur de la ville, il a reconnu qu'on avait été au-delà de ses intentions, et il s'est empressé de rétablir les choses sur l'ancien pied.
Voici la lettre que j'ai écrite à ce sujet :
» Bruxelles, le 4 janvier 1862.
« Monsieur le directeur,
« J'ai l'honneur de vous prier de faire établir, conformément au plan calque (minute), ci-joint, et ayant égard aux observations ci-après, le plan figuratif des propriétés situées dans la zone des servitudes militaires de la citadelle de Tournai.
« 1° Borner cette zone vers l'intérieur de la ville au tracé noir pointillé indiquant la limite du domaine de la guerre (c'est-à-dire la limite de l'esplanade).
« 2° etc.
« Le ministre de la guerre,
« Signé, baron Chazal. »
Ainsi, tout est parfaitement clair, et il n'y a plus d'erreur possible.
Voilà ce que, pour le moment, je voulais répondre à l'honorable M. Savart. Plus tard je donnerai des explications complètes sur la question qui nous occupe.
M. Allard. - M. le ministre de la guerre vient de déclarer qu'il n'entend pas que les servitudes dépassent les bornes qui se trouvent au-delà du glacis de la citadelle de Tournai, c'est-à-dire l'esplanade. Il a ajouté que dès que le ministère de la guerre a été informé de l'empêchement apporté aux travaux que faisait exécuter un individu dans l'intérieur de sa propriété, située rue des Ingers, il a fait accorder l'autorisation de bâtir. Mais, messieurs, que signifie cette autorisation ? Il n'y en avait plus à donner, du moment qu'on reconnaissait que la propriété dont il s'agit ne se trouvait pas située dans la zone réservée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - On a levé l'interdiction.
M. Allard. - On a levé l'interdiction, dit l'honorable ministre de la guerre.
C'est pour avoir cette déclaration qui lève tous les doutes, que j'ai demandé la parole.
Le gouvernement reconnaît donc qu'il n'a aucun droit d'interdire les constructions au-delà des bornes séparatives de l'esplanade et des terrains de la ville.
M. le ministre dit qu'il va faire borner la zone de servitude, mais ces bornes existent depuis 1824.
II y a quelques années on a vendu des terrains qui longeaient l'esplanade ; les acquéreurs se sont adressés au département de la guerre à l'effet de pouvoir y élever des constructions ; une de ces demandes m'est tombée entre les mains et j'avoue que je n'ai pas compris qu'on les fît.
J'ai appuyé cette demande d'autorisation parce que j'ai cru que la borne étant placée contre le mur de clôture des terrains du côté de l'esplanade, le gouvernement pouvait prétendre que ce mur était mitoyen. D'après ce que vient de déclarer M. le ministre de la guerre, il ne peut plus y avoir aucun doute : au-delà des bornes tout propriétaire pourra construire sans demander l'autorisation du gouvernement. C'est bien ainsi, je pense, que l'entend le gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal) fait un signe affirmatif.
M. Jacquemyns. - Messieurs, puisqu'il y a eu erreur, excès de zèle dans l'interdiction qui a été faite à Tournai, je me plais à croire qu'il en a été de même à Gand, et je prierai l'honorable ministre de la guerre de vouloir bien s'expliquer à cet égard. Si le rayon stratégique de la citadelle de Gand devait s'étendre à 585 mètres de cette citadelle, une grande partie de la ville serait comprise dans ce rayon. On a construit un très grand nombre de maisons avec la tolérance du ministère de la guerre, mais lorsqu'il le voudra il pourra empêcher la réparation de ces maisons ; il pourra empêcher l'entretien d'usines extrêmement importantes si ces servitudes existent.
Cependant il y a peu de semaines un particulier a acheté des terrains provenant d'un jardin ; il a demandé à la ville l'autorisation de construire des maisons sur ce terrain, la ville a accordé l'autorisation, comptant bien qu'il n'existait pas là de servitudes militaires ; mais lorsque le propriétaire était sur le point de commencer les travaux, le département de la guerre s'y est opposé. Maintenant l'affaire est devant le tribunal civil, et les avocats soutiennent que les servitudes militaires n'existent pas à l'intérieur de la ville.
Je demanderai à M. le ministre de la guerre de vouloir bien nous donner quelques explications à cet égard.
La citadelle n'a point d'esplanade et de plus le terrain où l'on a interdit de bâtir est beaucoup plus bas que les fortifications de sorte que les constructions ne peuvent présenter aucun danger pour la citadelle.
(page 911) M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je prendrai des renseignements sur le fait que m'a signalé l'honorable M. Jacquemyns ; la Chambre comprendra que je ne puis pas me rappeler les faits relatifs à tous les procès-verbaux qui ont pu être dressés. Je me ferai renseigner et j'expliquerai alors cette affaire à la Chambre.
Messieurs, je n'ai pas la prétention de traiter la question des servitudes au point de vue du droit, ni au point de vue financier, je l'examinerai simplement au point de vue militaire et de manière à donner à la Chambre les explications qu'elle semble désirer.
De tout temps, on a reconnu qu'il est indispensable de maintenir autour des places de guerre un espace libre pour empêcher l'ennemi de se dérober aux vues et aux feux des garnisons.
Plusieurs ordonnances ont été rendues à ce sujet. En France, les plus anciennement connues sont celles de 1670 et de 1675.
Elles ne fixaient pas la largeur des zones de servitude ; cette largeur était à peu près abandonnée à l'arbitraire du gouverneur de la place. Cela tient à ce qu'à cette époque il n'y avait pas de règles précises sur la conduite des sièges. Chaque général, chaque commandant de troupes avait ses principes particuliers.
Ce n'est que lorsque Vauban eut fait reposer l'art d'attaquer les places sur des principes bien définis et incontestables, que l'on put déterminer la largeur précise à donner aux zones de servitude autour des forteresses Ces principes reçurent leur première application au siège de Maestricht, en 1678, et furent dès lors adoptés chez toutes les puissances de l'Europe.
En 1713, vers la fin de la carrière de Vauban, parut la première ordonnance royale qui détermina la zone de servitude et qui servit de règle à toutes les ordonnances postérieures.
Vauban posa en principe qu'on peut généralement commencer les travaux d'approche à la limite de la bonne portée de la mitraille, c'est-à-dire à une distance de 500 toises, ou 585 mètres. Or l'ordonnance de 1713 fixait la largeur de la zone de servitude à 250 toises parce qu'en comptant cette distance à partir de la crête du glacis qui se trouve à 50 toises environ du corps de place, on obtient les 300 toises demandées par Vauban.
En Belgique, une ordonnance de Marie-Thérèse du 6 mars 1771 fixa la largeur de la zone de servitude autour de toutes les places fortes du pays à 585 mètres comptés à partir du pied des glacis.
Vous voyez, messieurs, que cette ordonnance est en harmonie avec les principes posés par Vauban.
Elle demeura en vigueur en Belgique jusqu'à l'époque de la domination française.
Nous fûmes soumis alors à la loi de 1791 puis au décret impérial de 1811. L'empereur ayant jugé qu'une zone de 585 mètres n'était pas suffisante pour la bonne défense des places, la question fut agitée au conseil d'Etat, et c'est à la suite de cette discussion que parut le décret de 1811. Ce décret fixait la zone des servitudes à 1000 mètres autour des places de première classe, ainsi que devant le front d'attaque et les fronts collatéraux des places de deuxième classe ; devant les autres fronts de ces places ainsi qu'autour des places de troisième ligne, il conservait la zone de 487 mètres.
Après l'empire, le roi Guillaume prit, sous la date du 4 février 1815, un arrêté qui rétablissait les principes de l'ordonnance de Marie-Thérèse, dont il n'est, pour ainsi dire, que la paraphrase.
C'est cet arrêté qui constitue, avec la loi organique de 1791, la législation sur la matière en Belgique.
Cette doctrine a été consacrée par les jugements des tribunaux et par des arrêts de la cour d'appel de Gand et de la cour de cassation.
Messieurs, lorsqu'on établit des fortifications pour couvrir une position importante, il est évident qu'on ne peut pas permettre d'élever des constructions qui en masqueraient les feux, et qui rendraient inutiles les sacrifices que le pays s'impose dans l'intérêt de sa défense. C'est pour sauvegarder cet intérêt que les lois sur les servitudes militaires ont été faites.
Tant que ces lois existent, le ministre de la guerre a l'impérieux devoir de les faire exécuter et de prévenir, autant qu'il est en son pouvoir, toutes les infractions, tous les empiétements préjudiciables à la défense des places.
Ces infractions pouvant compromettre les plus sérieux, les plus grands intérêts du pays, le ministre de la guerre ne serait-il pas coupable de les tolérer ?
La tolérance, je dirai plus, la faiblesse que le gouvernement a montrée pendant très longtemps, en ne faisant pas observer la loi, a eu cette conséquence que la zone de servitude de nos places fortes a été envahie par des constructions, et que la plupart de ces places n'étaient plus défendables.
C'est là une des grandes raisons pour lesquelles il a fallu changer notre système de défense. La Chambre se rappellera que lors de la discussion sur l'agrandissement d'Anvers, nous lui avons fait connaître cette situation ; nous avons dit alors que presque aucune de nos places fortes ne pourrait se défendre, parce que les constructions avaient envahi la zone de servitude. Nous avons cité notamment les faubourgs de Berchem et de Borgerhout à Anvers en faisant observer que la démolition de ces faubourgs, bien que nécessaire en cas de siège, deviendrait en réalité impraticable, à cause de l'immense étendue des constructions.
Aujourd'hui que pour remédier à cette fâcheuse situation on élève, à grands frais, de nouveaux ouvrages, le ministre de la guerre ne serait-il pas coupable envers la nation s'il continuait le système de tolérance qui a prévalu jusqu'à ce jour ?
S'il laissait envahir la zone de servitude de la place d'Anvers, qui doit être la base de nos opérations militaires, ne compromettrait-il pas la défense nationale ?
Comment ! vous imposez à la nation un sacrifice considérable pour établir un nouveau système de défense parce que l'ancien a été paralysé, et l'on voudrait que ce nouveau système fût exposé à subir la même dépréciation ? Je répète que j'aurais manqué à tous mes devoirs si je n'avais pas maintenu, avec fermeté, les dispositions de la loi sur les servitudes.
Si j'avais agi autrement, le pays aurait été en droit de me reprocher cette faiblesse, de m'accuser en quelque sorte de trahison, car j'aurais sérieusement compromis la défense nationale.
Je sais que les personnes qui ne se rendent pas compte des nécessités de la défense des places pourront faire certaines objections à ce que je dis ; on demandera si les zones de servitudes sont aussi nécessaires que nous le prétendons, si quelques constructions dans les zones compromettraient la défense d'une place.
Si je ne vous donnais pour résoudre ces questions que mon opinion personnelle, elle ne pourrait pas avoir une grande autorité sur vos esprits ; mais je vous ferai connaître l'opinion qui a été émise à ce sujet par les hommes les plus compétents.
En 1819, le gouvernement français a présenté à la Chambre des députés et à la Chambre des pairs une loi sur les servitudes militaires. A cette époque, les Chambres françaises comptaient dans leur sein un très grand nombre d'illustrations militaires, des hommes qui avaient fait les plus grandes guerres de l'Europe et qui avaient acquis une expérience que nul, je crois, n'acquerra plus au même degré.
La loi avait été présentée par le maréchal Gouvion de Saint-Cyr ; un homme non moins illustre que lui était rapporteur ; c'était le général Marescot qui avait dirigé beaucoup de sièges, peut-être une vingtaine.
Après avoir démontré la nécessité des places fortes pour la garde des Etats, ce général ajoutait : « Qui veut la fin, veut les moyens. Le premier besoin des défenseurs est de découvrir tout le terrain jusqu'à la portée des armes en usage.
« Les châteaux, maisons, parcs, etc., sont des obstacles qui paralysent la défense.
« Quelque sévères que soient les lois prohibitives des constructions dans la zone de servitude, elles sont loin de pourvoir aux besoins des places de guerre. Si, par la négligence des autorités militaires, les obstacles viennent s'agglomérer autour des places de guerre, elles perdent leurs propriétés militaires.
« C'est ainsi que les forts de Bordeaux et de Sainte-Croix, les châteaux de Haa et de Trumpette ont dû être abandonnés. Les châteaux de Nantes et de Caen et la citadelle d'Amiens ont été réduits à ne plus servir que de magasins.
« La plupart de nos forteresses ne pourraient soutenir que des demi-sièges, paralysées qu'elles sont par les constructions qu'on a laissé élever autour d'elles. »
Le général vicomte Digeon disait dans la même discussion : « Le salut de l'Etat étant souvent attaché à la bonne défense des places, l'intérêt des particuliers et le droit de propriété, si respectables d'ailleurs, ne sont que très secondaires dans cette circonstance.
« Le temps de défense d'une place est calculé en raison de son importance et du but qu'on se propose. Je suppose que la défense d'une place soit calculée à 40 jours, l'ouverture de la tranchée étant estimée toujours à la distance ordinaire ; si des abris plus rapprochés permettent de commencer cette même tranchée à moins de distance, la place au lieu (page 912) de tenir 40 jours, ainsi qu'on l’avait estimé, n'en tiendra que 20, ou moins.
« De là, tous les calculs d'une campagne en défaut, la sûreté de l'Etat compromise, parce que la loi, par une indulgence coupable, n'aura pas été assez sévère à l'égard des constructions particulières. »
De son côté le général Belliard, que plusieurs d'entre vous, messieurs, ont eu occasion de connaître pendant son séjour en Belgique, disait : « De la défense plus ou moins longue d'une place dépend quelquefois le salut d'une armée, peut-être même d'un Etat.
« Dans la campagne de 1814, si Soissons avait pu tenir 24 heures de plus, l'armée de Blucher pouvait être détruite ; nous ne livrions pas les terribles batailles de Craon et de Laon et les armées étrangères se trouvaient peut-être dans une position telle, qu'elles eussent été forcées de repasser le Rhin. »
Et il ajoutait : « Plus les difficultés sont grandes pour faire le siège d'une place, plus l'ennemi est circonspect, et souvent lorsque le temps commande, on renonce à se présenter devant une place dont les abords sont difficiles et qu'on aurait attaquée si elle eût été d'un trop facile accès. »
A la chambre des députés, le général Dupont ilt valoir les mêmes considérations, et le général Gouvion-Saint Cyr, le défenseur de Dresde, alors ministre de la guerre, disait : « Il faut veiller à la conservation des moyens de défense ; de là l'indispensable nécessité de ne laisser aucun abri contre les feux d'une place dans l'étendue ordinaire de la portée des armes, d'empêcher que des constructions, de quelque nature qu'elles soient, ne puissent servir de couvert à l'ennemi, diminuer ses dangers et faciliter ses travaux. »
Aucun orateur ne contesta la vérité de ces principes. On rappela pour les prouver que lors de la défense de Lille en 1792, l'ennemi avait ouvert la tranchée pendant la nuit à l'insu des défenseurs, grâce à la protection des maisons et des rues du faubourg de Five, que du haut de ces maisons, il put dès le lendemain tuer les habitants et les assiégés jusque derrière leurs remparts et que ces derniers durent, pour les déloger, tirer à boulets rouges en même temps qu'à mitraille sur le faubourg qu'ils rasèrent.
On rappela encore qu'à Dunkerque, le duc d'York arriva de suite à l'avant-fossé à la faveur des constructions du Rosendael, et l'officier du génie auquel on reprochait la condescendance qu'il avait eue de laisser construire ces maisons, faillit payer de sa tête cette faiblesse.
Au conseil d'Etat où cette question fut agitée à la même époque, on fit valoir les considérations très remarquables et très vraies qui suivent :
« Les règles de la loi ont été éludées dans leur application, en faveur des particuliers.
« Les clôtures et constructions en bois ont servi de masques et d'enveloppes pour construire des murs, des caves et jusqu'à des bâtiments en maçonnerie. »
Permettez-moi de vous faire observer ici, messieurs, que d'après la loi, le département de la guerre peut autoriser, pour l'exploitation des terres, des constructions en bois dans la zone réservée en Belgique comme en France.
Eh bien, ces faits dont on se plaignait déjà au conseil d'Etat en 1819 se reproduisent chez nous, et j'ai été obligé de faire poursuivre un individu qui avait obtenu du département de la guerre l'autorisation de faire une construction en bois, et qui avait profité de cette autorisation pour construire à l'intérieur un bâtiment en maçonnerie.
Les mêmes fraudes, comme vous le voyez, se reproduisent dans tous les pays.
On disait encore à ce sujet au conseil d'Etat : « Les gardes du génie, dont les visites ne sont qu'extérieures, n'ont découvert ces infractions, que lorsque les constructions étaient achevées.
« A la vérité, les lois de la guerre et toutes les ordonnances permettent et prescrivent de détruire en cas de siège tout ce qui nuit à l'action des feux de la place et des sorties de la garnison, mais les réclamations des particuliers et des autorités locales, le désir de ménager une population nombreuse et qui doit seconder la garnison dans les travaux, la crainte de se livrer à des destructions inutiles ou prématurées, tout porte le gouverneur à les différer jusqu'aux approches de l'ennemi.
» Il faut alors épuiser les forces du soldat à détruire les constructions qui favorisent l'ennemi, et souvent même, comme à Dunkerque, soutenir les démolitions par des sorties plus meurtrières que le reste de la défense.
« Enfin, lorsque l'ennemi s'est retranché dans les masses des constructions, on ne peut plus l'en chasser par la force ; les sorties sont impossibles sous le feu de ses retranchements ; les feux de l'assiégé sont masqués ; les travaux de l'assiégeant sont abrégés, et la place ne remplit plus son objet, celui d'arrêter et de diminuer les forces de l'ennemi, et de laisser à nos armées le temps de se rallier, de recevoir les renforts, et de reprendre l'offensive. »
La parole des hommes qui avaient vu les choses par eux-mêmes ne me traçait-elle pas la ligne de conduite que j'avais à suivre ? Ne résulte-t-il pas des discussions de 1819, et de l'opinion des militaires les plus illustres, qu'il est indispensable de conserver autour des places fortes une zone de servitude parfaitement libre, parce que tous les efforts des garnisons ne suffiraient pas pour déblayer, au moment de la guerre, les constructions nuisibles.
Enfin, n'est-il pas vrai, comme le disait si judicieusement le général Belliard, qu'une place dont les zones de défense sont parfaitement libres, a beaucoup moins de chance d'être attaquée qu'une place dans le voisinage de laquelle l'ennemi pourrait venir s'établir à l'abri des constructions particulières ?
Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui qu'avec les perfectionnements introduits dans les armes, la défense a repris une partie des avantages qu'elle avait perdus.
L'attaque d'une bonne place est devenue une opération très chanceuse et très périlleuse. De sorte qu'on peut supporter qu'une telle place aura de grandes chances de ne pas être attaquée.
Une autre objection, messieurs, qu'on pourra me faire, c'est que la zone de servitude pourrait être moins grande, et qu'on n'a pas besoin des 585 mètres déterminés par la loi.
Eh bien, messieurs, une longue dissertation s'est produite, sur ce point, à la chambre des pairs et à la chambre des députés lors de la discussion de la loi de 1819, et les mêmes hommes qui avaient démontré la nécessité des zones de servitude ont également démontré les principes sur lesquels on doit se baser pour en fixer l'étendue.
La loi française admet trois zones de servitudes concentriques.
La première zone s'étend jusqu'à 250 mètres de la crête des glacis, et on ne peut y faire aucune espèce de construction ou d'excavation.
Le ministre de la guerre n'a pas même le droit de permettre d'ériger des bâtiments provisoires.
La deuxième zone s'étend jusqu'à 487 mètres, et le ministre de la guerre peut autoriser à y élever des constructions en bois à charge, par les propriétaires, de les démolir sans aucune indemnité, en cas de guerre.
Enfin la troisième zone s'étend jusqu'à 974 mètres et l'on ne peut y exécuter des travaux publics sans s'être concerté au préalable avec l'autorité militaire.
Voici, messieurs, ce que disait le maréchal Gouvion Saint-Cyr, au sujet de l'étendue de ces différentes zones :
« L'établissement de cette zone (la première de 250 mètres) a principalement pour but d'avoir en tout temps autour des positions fortifiées une étendue de terrain complètement disposée en faveur de la défense et où l'ennemi, dans le cas d'une attaque de vive force, ne puisse trouver un abri contre le feu de l'assiégé.
« C'est d'ailleurs sur le terrain qui avoisine plus immédiatement les ouvrages de fortification, que la défense acquiert, pendant la durée d'un siège régulier, toute l'énergie dont elle est susceptible. »
Il voulait que cette première zone ne s'éloignât pas trop de la portée ordinaire de la mousqueterie et de l'artillerie chargée à mitraille, et qu'au lieu d'avoir une largeur de 250 mètres, elle en eût 585 comme dans le système de Vauban.
Le général du génie Marescot, le général Belliard et bien d'autres généraux étaient du même avis.
Vous voyez donc, messieurs, que la largeur des zones a été fixée, non pas arbitrairement, mais en raison de la nécessité d'avoir autour de toutes les fortifications un espace libre correspondant à la portée des armes en usage.
Or, veuillez remarquer que lorsque ces zones ont été établies, on ne se doutait guère des progrès que feraient les armes de l'infanterie et de l'artillerie.
A cette époque, la bonne portée de la mitraille était de 600 mètres, et celle du boulet était de 1,000 mètres. Aujourd'hui, la simple mousqueterie porte déjà à cette distance, et l'artillerie a une portée tellement considérable, qu'on peut envoyer au moyen des schrapnells, la mitraille aux plus étonnantes distances, à 3 et 4 mille mètres.
M. Coomans. - Quelle belle servitude à établir !
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - En effet, mais cela prouve que nous restons dans des limites bien modérées.
Messieurs, on me fera encore une autre objection, on me dira que (page 913) lorsqu'on a créé les fortifications de Paris, on a établi une zone particulière qui ne s'étend qu'à 250 mètres.
L'établissement des fortifications de Paris provoqua, vous le savez, une très vive opposition ; le gouvernement tenait à soulever le moins de réclamations possible et à se montrer très conciliant.
Il y avait du reste des motifs particuliers qui justifiaient jusqu'à un certain point la diminution de la zone, le terrain sur lequel il fallait élever les fortifications était couvert de villages, de châteaux, de constructions de toute espèce, de sorte que la création d'une zone découverte de 487 mètres n'eût été réalisable que dans un avenir fort éloigné, à moins de se résoudre à des dépenses d'expropriation considérables devant lesquelles la législature aurait probablement reculé.
D'un autre côté, la ville de Paris se trouve dans une situation topographique toute spéciale.
Placé à une grande distance des frontières, Paris est le centre d'une grande puissance militaire et n'a, par conséquent, pas à craindre d'être attaqué à l'improviste ; avant que Paris soit menacé, il aura fallu de longues campagnes, car on n'épuise pas promptement une nation militaire comme la France.
En réservant une zone de 250 mètres, on savait donc qu'on aurait toujours le temps de la déblayer avant que l'ennemi pût se présenter dans les murs de Paris, d'autant plus que cette capitale compte une minime population ouvrière qui pourrait être employée à ce travail.
D'un autre côté, les environs de Paris sont très accidentés et dans les terrains accidentés il ne faut pas toujours une zone aussi étendue que dans les terrains plats et unis. Dans les parties basses et dérobées qui avoisinent les fortifications, il n'y a pas grand inconvénient à laisser construire des habitations ; mais, à Anvers, qui est dans une plaine et qui n'est éloigné que de 2 à 3 étapes de toutes nos frontières, il y aurait un inconvénient immense à ne pas réserver la zone que la loi nous accorde. Quoi qu'il en soit, messieurs, il y a eu de très sérieuses protestations contre l'exiguïté de la zone de 250 mètres qui entoure les fortifications de Paris ; aujourd'hui même elles se renouvellent fréquemment, et il vient de paraître un ouvrage du général du génie Prévost de Vernois qui élève les plus vives réclamations à ce sujet.
Vous pourrez en juger par l'extrait dont je vais donner lecture :
« Il est universellement reconnu (et cela ne peut être contesté par personne) que des remparts ne sont pas tenables, et qu'aucun soldat n'y pourra circuler, s'ils sont plongés par des édifices très élevés et situés à peu de distance de l'escarpe. C'est là un axiome que tous les sophismes du monde ne sauraient entamer.
« La loi sur les fortifications de Paris l'avait senti, et elle avait décrété qu'il y aurait autour de l'enceinte une zone de 250 mètres, mesurée à partir des saillants des glacis, où il serait interdit d'élever aucune bâtisse ; elle avait même prescrit, pour plus de sûreté, que le gouvernement achèterait, de chaque côté des routes, dans cette zone de 250 mètres, des bandes de terrain plus ou moins larges, afin d'ôter à chacun l'envie de bâtir dans la zone prohibée, car on ne bâtit guère hors des barrières que le long des routes.
« Cette loi sanctionnée par les trois pouvoirs, par quel esprit de vertige ne l'exécute-t-on pas ? on ferme les yeux sur les nombreuses contraventions qui ont lieu chaque jour ; on ne réprime rien, et l'impunité multiplie les délits dans une progression effrayante.
« Cette faiblesse inexplicable prépare la ruine de l'Etat ; elle va grever l'avenir de dépenses énormes, car, au moment du danger, il faudra bien démolir ces bâtisses, si l'on a assez de cœur pour se mettre en état de défense ; et on ne les démolira pas sans indemnité !... Il y a prévarication à rester depuis quatre ans dans cette voie fatale, et je me vois bien à regret forcé de la signaler à l'indignation des Français qui n'ont point répudié tout sentiment d'honneur, qui n'ont point encore adoré le veau d'or, et qui conservent un peu d'amour pour la patrie... »
M. Thiers dit, dans son rapport du 13 janvier 1841 :
« Les hommes de l'art nous ont démontré qu'on pouvait, sans danger pour la défense de Paris, réduire toutes les zones de servitudes à la première qui n'est que de 250 mètres.
« Mais il y avait aussi des hommes de l'art dans l'assemblée législative de 1791 et dans la chambre des députés de 1819. Ces législateurs n'avaient été guidés que par le désir d'accorder à la propriété toutes les concessions, tous les adoucissements compatibles avec le salut de nos places de guerre et l'intérêt bien constaté de la défense.
« Et le plus gros bon sens n'exigeait-il pas qu'on n'entourât pas la capitale, ce palladium de la France, de moins de précautions que le fort de Joux ? Et quel moment a-t-on choisi pour réduire les zones de servitude de Paris ?... Celui où la découverte d'armes nouvelles de grande justesse et de grande portée, de carabines avec lesquelles on est presque sûr de toucher le but à la distance de 500 ou 600 mètres, ordonnait de tâcher de reculer les limites des bâtisses, et devait faire pressentir que la loi de 1791 n'était plus suffisante !!
« D'ailleurs, quel besoin de toucher à la loi de 1791 ? Il était plus facile de l'appliquer à la capitale que d'en faire une nouvelle. Cette loi de 1791 est la sauvegarde de nos forteresses, et par conséquent de la France, car si notre pays était ouvert comme la Pologne, nous n'existerions plus en corps de nation depuis longtemps...
« Mais au moins cette loi des servitudes autour de la capitale, cette loi qui est votre ouvrage, toute mauvaise et insuffisante qu'elle est, pourquoi n'avez-vous pas même le courage de l'exécuter ? Chaque instant de retard grève le trésor public et lui cause des pertes considérables, et dans vingt ans vous aurez peut-être 200,000,000 d'indemnité à payer !... Je ne vois pas ce qu'il y a de si encourageant dans cette perspective !...
« Vous ne craignez pas d'établir des zones de servitudes le long de vos chemins de fer, sur une longueur de 1,000 à 1,200 lieues ! Vous ne craignez pas d'établir des servitudes pour l'alignement de vos rues et sur presque toutes les routes, et vous savez bien les faire respecter ; et quand il s'agit de l'existence même de la France en corps de nation, vous vous croisez les bras, et vous ne faites pas exécuter la loi... »
Vous voyez, messieurs, que les protestations contre la diminution de la zone de Paris n'ont pas manqué, et que les hommes du métier déplorent cette situation, qui serait une calamité, un malheur irréparable si nous l'appliquions à Anvers.
Il est une quatrième objection qu'on a faite et qu'on ne manquera pas de renouveler ici ; c'est que les citadelles ne jouissent pas d'une zone réservée du côté des villes. Le conseil communal d'Anvers a soutenu cette prétention et a adressé un mémoire à ce sujet au gouverneur.
Permettez-moi d'examiner un instant cette question.
La loi du 4 février 1815 dit textuellement qu'on ne pourra élever aucune construction, creuser aucune excavation dans la distance de 1,800 pieds ou 585 mètres à partir du pied du glacis le plus avancé. De toutes les places fortes du royaume, personne n'a jamais songé à nier que les citadelles ne fussent de petites places de guerre ou des postes de guerre dans le sens de la loi de 1791.
S'il en était autrement, la loi l'aurait dit, elle aurait fait une exception formelle.
Il y a des citadelles auprès de certaines villes ouvertes comme Gand, Liège, Huy, Dinant et plusieurs autres villes ; il y a également des citadelles auprès de villes fortifiées pour en augmenter la force. Les citadelles placées près des villes fortifiées comme celles qui sont placées près des villes ouvertes, sont de petites places de guerre ; et elles doivent pouvoir se défendre de tous les côtés, parce qu'elles peuvent être attaquées de tous les côtés.
Elles doivent donc avoir une zone de servitude aussi bien autour des fronts qui regardent la ville, qu'autour de ceux qui regardent la campagne. Cela est indubitable, c'était l'opinion de feu M. Mascar, c'est celle de M. de Becker et de tous les jurisconsultes qui ont été consultés à ce sujet. C'est du reste l'opinion de nos tribunaux.
Messieurs, pour contester ces droits du gouvernement, le conseil communal d'Anvers a fait valoir, dans un mémoire qu'il nous a adressé, plusieurs considérations, basées la plupart sur une définition erronée des termes dont se sert la loi.
Ainsi, d'après le conseil communal, le dehors d'une place, d'une citadelle n'est pas tout ce qui est au-dehors, à l'extérieur de la place, mais seulement la partie extérieure tournée vers la campagne.
Une fausse définition en entraîne nécessairement d'autres, et c'est ce qui est arrivé au conseil communal d'Anvers. D'après lui, le glacis d'une citadelle n'est que le terrain en pente au-delà du fossé qui va se perdre dans la campagne, mais le terrain en pente au-delà du fossé qui va se perdre vers l'esplanade n'est plus le glacis.
Mais alors comment appelle-t-on ce terrain ?
La loi dit, d'une manière générale et absolue, que la servitude commence au pied du glacis.
(page 914) Or, à moins de contester que le glacis tourné vers l’esplanade soit réellement un glacis, il n'y a pas moyen de soutenir que la servitude n'existe pas du côté de la ville aussi bien que du côté de la campagne.
D'après le mémoire, chose plus extraordinaire, autour d'une place de guerre, veut dire d'un seul côté, du côté de la campagne.
Voici le texte de la loi suivi de l'interprétation du conseil communal :
« Il ne sera fait (dit l'article 29) aucun chemin, levée, ni creusé aucun fossé ni clôture de maison autour des places de première et deuxième classe dans l'étendue de 500 toises autour de ces places et de 300 toises, autour des postes militaires.
« Art. 30. Il ne sera à l'avenir bâti ni reconstruit aucune maison ni clôture de maçonnerie, autour, etc. même dans leurs avenues et faubourgs plus près qu'à 250 toises, etc., etc., de la crête des chemins couverts les plus avancés. »
Ces expressions : « autour des places et postes militaires », « avenues et faubourgs », « chemins couverts les plus avancés », tout cela indique évidemment que la défense ne s'applique qu'à ces travaux de construction et d'excavation qui s'exécuteraient au-dehors, dans la campagne.
Il est impossible que nous interprétions la loi de cette manière. Une autre fausse définition a encore induit en erreur le conseil communal. Cette erreur provient de ce qu'il a sans doute ignoré ce que n'ignoraient pas les législateurs de 1771, de 1791 et de 1815.
L'expression de glacis extérieur qui se trouve dans l'ordonnance de Marie-Thérèse ne veut pas dire le glacis tourné vers la campagne ; mais bien le glacis le plus à l'extérieur, parce qu'il y avait à cette époque, comme il y a encore aujourd'hui, deux et même quelquefois trois glacis successifs ; le premier enveloppant le corps de place et les autres les flèches, lunettes, tenaillons qui précèdent le fossé capital.
Dès lors, je le répète, l'expression glacis extérieur ne signifie pas le glacis du côté de la campagne, mais le glacis le plus avancé.
On appelle encore aujourd'hui ouvrage extérieur, toute partie de fortification située en avant des glacis de l'enceinte.
Pour se convaincre que tel est le sens qu'il faut attribuer au texte de l'ordonnance de Marie-Thérèse, il suffît de lire l'article premier de l'arrêté-loi de 1815 qui dit que la servitude commence au pied du glacis le plus avancé.
En présence d’un texte aussi positif, il était inutile de recourir à l'ordonnance de Marie-Thérèse qui n'est plus en vigueur, pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas.
Il fallait se borner à citer le texte si précis, si clair des lois actuelles.
Messieurs, lorsque les Chambres ont voté le crédit de 48,925,000 fr. pour l'agrandissement d'Anvers, elles ont été parfaitement renseignées sur la nature et l'importance des travaux à exécuter.
Le gouvernement n'a pas laissé ignorer à la Chambre son intention bien arrêtée de construire au nord d'Anvers une vaste citadelle, située sur le territoire de la commune d'Austruweel.
Les plans et devis des travaux ont été soumis à l'examen de la Chambre, et j'ai donné aux sections des explications sur le rôle de cette citadelle.
Si l'on jette un coup d'œil sur le travail de l'honorable M. Orts, qui était rapporteur de la section centrale, on verra que cette citadelle y est mentionnée, et qu'on y indique en partie le rôle qu'elle doit remplir.
Messieurs, la citadelle du Nord à Anvers est le véritable réduit de la position ; par conséquent, le gouvernement ne peut pas songer à la supprimer ni à supprimer une seule de ses parties. Ce serait détruire toute l'économie du système ; ce serait affaiblir la position d'Anvers et exposer les habitants de la ville aux dangers qu'ils semblent redouter. Je démontrerai cela tout à l'heure.
Messieurs, pour qu'une citadelle ait une valeur réelle, il faut qu'elle puisse se défendre de tous les côtés, car elle peut éventuellement être attaquée de tous côtés. Il faut donc qu'elle soit fortifiée de tous les côtés et qu'elle ait devant chacun de ses fronts une esplanade, une zone de servitude, un terrain libre. Car, évidemment, si vous la laissez ouverte, autant vaut ne pas faire de citadelle ; elle n'a plus aucune espèce de valeur militaire. Si vous faites une citadelle et si vous ne laissez pas un terrain libre devant chacun de ses fronts, c'est comme si ces fronts n'existaient pas, leur défense est paralysée et annihilée.
Afin de vous faire bien comprendre les explications que j'ai à vous donner, j'ai fait lithographier un croquis de la citadelle du Nord et de la zone environnante dont je vous prie de vouloir bien vous partager les exemplaires.
L'heure étant assez avancée, je prie la Chambre de remettre la suite de la discussion à demain. Je suis un peu fatigué.
- La Chambre décide que la discussion continuera demain, et ne sera pas interrompue par les rapports de pétitions.
La séance est levée à quatre heures et demie.