(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 831) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est adoptée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des membres du conseil communal d'Assenede demandent la construction du chemin de fer de Gand à Terneuzen projeté par le sieur Deschamps. »
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, le conseil communal d'Assenede en appelant de tous ses vœux la prompte présentation d'un projet de loi de concession du chemin de fer de Gand à Terneuzen, insiste sur l'utilité qu'il y aurait à accorder aujourd'hui cette ressource aux ouvriers.
Cette considération me semble légitimer un prompt rapport et je prie la Chambre de vouloir bien l'ordonner.
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des membres du conseil communal de Grand-Rieu se plaignent de ce que, malgré leur opposition, le bourgmestre et un échevin se sont fait autoriser à vendre au profit de la commune la moitié des affouages et demandent qu'il ne soit pas procédé à cette vente. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des huissiers à Malines prient la Chambre d'élever les tarifs de leurs émoluments et d'allouer aux huissiers audienciers un traitement fixe et annuel pour le service intérieur du tribunal. »
- Même renvoi.
« Les brigadiers et gardes forestiers du cantonnement de Neufchâteau prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Même renvoi.
« Le sieur Noël demande que le gouvernement présente le projet de loi sur la milice ou qu'il déclare si, dans son opinion, la conscription pourra être entièrement supprimée et le recrutement de l'armée remplacé par un moyen quelconque. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Schaerbeek présentent des observations contre le projet conçu par le conseil communal, d'ouvrir une rue derrière le chœur de l'église de Sainte-Marie, prient ta Chambre de décréter des garanties et de préciser davantage les cas et la nature des propriétés auxquelles la loi du 1er juillet 1858 peut être appliquée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Musch renouvelle sa demande tendante à ce que la Chambre intervienne pour que le bénéfice de la loi de 1842 soit appliqué aux enfants de la partie des communes de Saint-Josse-ten-Noode et d'Etterbeek qui a été annexée à la capitale. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction ? la demande de naturalisation ordinaire du sieur Granjean, Jules-Marie-Eugène, cultivateur, demeurant à Cugnon, province de Luxembourg. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Wasseige demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
« M. Muller, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. de Renesse, devant s'absenter pour quelques jours, demande un congé. »
- Accordé.
« M. de Man d'Attenrode demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
M. de Boe dépose sur le bureau diverses demandes de naturalisation ordinaire.
- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
(page 846) M. Thibaut. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier j'ai commencé l'examen d'une question très grave, celle des développements que le gouvernement se propose de donner à l'organisation de l'enseignement primaire communal dirigé par l'Etat.
J'ai dit que l'opinion libérale est beaucoup plus exigeante aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1860. J'ai rappelé que l'honorable M. Orts, en 1860, se bornait à demander l'égalité entre les élèves sortis des écoles normales dirigées par l'Etat et les élèves des écoles privées adoptées, dans le recrutement du corps des instituteurs.
J'ai dit aussi que l'honorable membre indiquait deux moyens suffisants d'après lui, l'un comme l'autre, pour sortir de la situation qu'il considérait comme mauvaise.
Aujourd'hui, messieurs, on propose d'employer simultanément ces deux remèdes, et l'un des deux, comme je l'ai dit, à une dose plus forte qu'en 1860.
J'en ai conclu que l'égalité, entre les écoles normales dirigées par l'Etat et les écoles privées adoptées, but avoué en 1860, ne suffisait déjà plus et que le but serait dépassé.
Enfin, messieurs, j'ai dit que les progrès de la centralisation expliquaient seuls les propositions du gouvernement, et j'ai montré ces progrès de la centralisation, d'abord dans la définition toute nouvelle que M. le ministre de l'intérieur a donnée de l'école adoptée et dans les conséquences de cette définition.
Maintenant, messieurs, je dois vous parler d'une autre prétention nouvelle aussi, et par laquelle le gouvernement parvient à étendre l'action du pouvoir central sur l'instruction primaire.
Messieurs, le ministre ne se contente plus, pour l'application de l'article 3 de la loi de 1842, de procéder par décision spéciale pour chaque école, ni d'accorder ou de refuser l'autorisation d'adopter une école privé' quand la commune s'engage à donner plus qu'une modique subvention pour l'instruction des enfants pauvres.
Depuis quelques années, le ministère libéral pose en principe que toute commune est tenue d'établir et d'entretenir une école communale lorsqu’elle a des ressources suffisante*-s. Peu importe, dans ce cas, que les écoles adoptées satisfassent à tous les besoins ; satisfassent aux conditions légales et se soumettent aux conditions et restrictions arbitraires que j'ai indiquées.
Cette prétention, on vous l'a dit, est exposée dans le cinquième rapport sur l'instruction primaire et M. le ministre de l'intérieur l'a maintenue dans la discussion.
L'école communale est la règle, a dit M. le ministre, pour toutes les communes. L'école adoptée n'est qu'une exception introduite dans la loi en faveur des communes pauvres seulement.
Je ne discute pas, messieurs, cette question ; mais en regard de votre système, permettez que je place aussi le nôtre.
Nous reconnaissons qu'en fait l'école communale domine ; elle est la règle, si vous le voulez. En principe, nous nous référons à ce passage du premier rapport sur l’enseignement primaire dont les honorables MM. Dechamps et Wasseige vous ont fait connaître la teneur.
Il est bon cependant que j'en rappelle encore les termes. L'honorable comte de Theux disait :
« Rien de plus clair que les trois premiers articles de la loi. Le législateur ménager des deniers des contribuables n'a point voulu décréter des dépenses inutiles, mettre à la charge des budgets des frais que l'instruction privée pourrait lui épargner ; il dit aux communes : « Profitez d'abord des ressources que vous trouvez à votre portée dans la localité même. »
Tel est, messieurs, l'esprit de la loi de 1842. J'ai trouvé dans le dernier rapport, page CXIV, une décision de principe, qui n'est que l'application de cette interprétation de la loi, à un cas spécial soumis au ministre de l'intérieur de 1857, l'honorable M. de Decker.
Ce document, qui porte la date du 21 avril 1857, n'a pas été produit dans la discussion générale ; il me paraît cependant trop important pour que je n'en donne pas lecture.
Un inspecteur provincial avait soumis les questions ci-après :
1° Le gouvernement a-t-il le droit de s'opposer à l'organisation d'une école communale dans une localité où il existe des institutions privées suffisantes pour l'instruction des enfants et que l'on pourrait adopter en exécution de l'article 3 de la loi du 23 septembre 1842 ?
2° En supposant que le gouvernement n'ait pas ce droit, la commune qui, en pareille circonstance, aurait elle-même créé une école, pourrait-elle exiger de l'Etat des subsides nécessaires pour suppléer à l'insuffisance des ressources locales applicables aux besoins de l'établissement ?
Le ministre a répondu :
« En ce qui concerne la première question, je pense qu'elle doit être résolue négativement par le motif qu'aux termes de la loi (articles 1 à 4) l'organisation des écoles communales est obligatoire pour les communes qui ne jugent pas à propos de profiter des moyens d'instruction que les institutions libres mettent à leur disposition.
« Quant à la seconde question, il y a lieu, me paraît-il, de la résoudre conformément au précédent rappelé dans le troisième rapport triennal, p. CXCI, n°190. Il résulte du passage cité que l'Etat ne devrait pas accorder un subside supérieur à celui que la commune aurait été en droit de réclamer, si elle s'était bornée à adopter un établissement libre, au lieu d'organiser elle-même une école à grands frais et sans nécessité. »
Cette décision de l'honorable M. de Decker concorde parfaitement avec les règles établies par l'honorable M. de Theux dans le premier rapport.
Ainsi, messieurs, toute commune, qu'elle soit riche, qu'elle soit pauvre, peut demander l'autorisation d'adopter une école privée ; la loi ne distingue pas, la question de savoir s'il y a lieu d'accorder l'autorisation n'est pas une question qui doive être résolue par les chiffres des comptes ou du budget de la commune ; la loi charge le gouvernement de constater par ses inspecteurs si, oui ou non, l'école privée réunit les conditions légales.
Dans l'affirmative, et lorsque l'école privée procure en outre des avantages que l'école communale n'offrirait pas au même degré, le gouvernement est moralement obligé d'en autoriser l'adoption ; il ne peut s'y refuser sans manquer à ses devoirs.
Voilà comment nous interprétons la loi de 1842.
M. le ministre de l'intérieur, au contraire, prétend que quand même l'école privée réunirait les conditions légales, quand même la députation aurait autorisé l'adoption, quand même les habitants et le conseil communal manifesteraient le désir de conserver l'école privée, quand même les inspecteurs constateraient les heureux résultats qu'elle produit, dans ces circonstances, M. le ministre de l'intérieur déclare qu'il retirera l'autorisation et forcera la commune à établir une école communale dès que les ressources de la commune paraîtront suffisantes.
Or, comme le gouvernement, à défaut de ressources locales, peut accorder des subsides et fournir ainsi dans tous les cas les ressources suffisantes pour établir et entretenir une école communale, il lui sera facile d'écarter radicalement, et quand il le voudra, toutes les écoles adoptées.
Le gouvernement interprète donc la loi de 1842 dans le sens le plus favorable à la domination du pouvoir central.
Je rappelle enfin, pour compléter le tableau, que le gouvernement rend à peu près illusoire le droit que la commune puise dans le paragraphe 3 de l'article 10 de la loi de 1842, qui est ainsi conçu :
« Toutefois les conseils communaux pourront, avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l'accomplissement de cette condition. »
C'est-à-dire, d'avoir fréquenté avec fruit pendant deux années au moins une des écoles normales.
En fait, les candidats non diplômés sont exclus à peu près partout, quelle que soit leur capacité, quel que soit leur mérite.
(page 847)
Tels sont, messieurs, les progrès des idées de centralisation, ils devaient nécessairement produire des propositions en faveur de l'extension de l'enseignement normal dirigé par l'Etat.
« Nous voulons, disait en 1860 M. le ministre de l'intérieur, former un plus grand nombre d'instituteurs, parce que les instituteurs manquent et qu'à chaque instant nous sommes forcés de prendre des instituteurs en dehors de l’enseignement normal. »
En vain l'honorable M. de Decker répondit que le nombre des élèves des écoles normales du pays est tel, que leur placement comme instituteurs est forcément ajourné pendant plusieurs années ; en vain cet honorable ancien ministre de l'intérieur ajouta que pour ne pas éloigner de l'enseignement les aspirants instituteurs diplômés, on avait dû leur continuer la jouissance de leurs bourses pendant deux et trois ans, jusqu'à ce qu'on trouvât le moyen de leur donner une position dans l'instruction ; eu vain il énuméra d'autres mesures que le gouvernement avait été obligé de prendre pour prévenir la désertion qui affligeait le corps enseignant ; la Chambre adopta l'amendement de l'honorable M. Orts, sous prétexte que les instituteurs manquaient dans le pays.
On nous a reproché avec beaucoup de vivacité le vote que nous avons émis sur cet amendement. Un seul mot nous justifiera.
L'amendement n'était autre chose que le signe de la réconciliation de l'honorable M. Orts avec la fraction libérale qu'il appelait lui-même en 1859 le jeune libéralisme.
Envers notre opinion, cet amendement était une machine de guerre, et ce qui le prouve, c'est que le gouvernement, encouragé par l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Orts, nous propose aujourd'hui une réorganisation complète des écoles normales dirigées par l'Etat.
Les locaux des écoles normales de Lierre et de Nivelles, d'après les explications qui ont été fourni à l'appui du budget, sont agrandis. Dans quelques jours ces deux écoles pourront porter le nombre de leurs élèves à 360 au lieu de 218.
Les sections normales de Bruges et de Virton sont transférées dans des locaux spéciaux et peuvent recevoir 90 élèves au lieu de 30.
Enfin le gouvernement a décidé en principe l'organisation de cours normaux à Gand et à Huy, et l'on compte sans doute aussi qu'ils pourront réunir, comme ceux de Bruges et de Virton, 90 élèves.
Nous arrivons ainsi à un total de 540 élèves normalistes au lieu de 248 pour le cours complet de trois années ou de 180 élèves par année au lieu de 85.
Les sept écoles normales adoptées comptaient au 1er janvier 1860, 412 élèves ou 137 élèves par année.
Enfin quelques élèves reçoivent l'instruction dans une école normale érigée à Luxembourg.
D'après ces données, messieurs, 320 jeunes gens se trouveront chaque année prêts à combler les vides du corps enseignant.
Je n'ai pas l'intention de m'occuper des écoles de filles. Cependant je dirai, en passant, que le gouvernement donne des encouragements à treize écoles normales de filles qui renferment une population de 322 élèves. Mais je laisse de côté les institutrices et je demande comment le gouvernement s'y prendra pour placer ces 320 aspirants instituteurs.
L'offre des instituteurs, si je puis ainsi parler, doit se régler sur la demande, c'est-à-dire sur les besoins réels.
Or, je pense que l'offre surpassera la demande malgré les efforts qui ont été faits pour restreindre le nombre des écoles adoptées, et quels que soient les privilèges qu'on ait accordés aux candidats diplômés sur les autres candidats aux places d'instituteurs.
Si je prouve cela, messieurs, j'aurai prouvé en même temps que le gouvernement a forcé la demande des normalistes, afin d'avoir un prétexte, plausible d'en augmenter le nombre.
Mais je vais plus loin et je crois pouvoir démontrer que les normalistes vont se trouver en nombre tellement considérable, que nous pouvons dès maintenant prévoir une centralisation complète de l'enseignement primaire et le monopole de l'enseignement normal dans les mains de l'Etat.
Messieurs, je dois nécessairement raisonner d'après les renseignements qui se trouvent dans le cinquième rapport triennal. Or, le relevé des nominations d'instituteurs et sous-instituteurs pendant la période des années 1855, 1856 et 1857, donne les résultats suivants :
Pour les villes : 20 instituteurs, 59 sous-instituteurs.
Pour les communes rurales 587 instituteurs, 317 sous-instituteurs.
Totaux : 607 instituteurs, 376 sous-instituteurs.
Moyenne par année : 202 instituteurs, 125 sous-instituteurs, soit 327.
En 1857 pour les villes et communes rurales réunies, les nominations d'instituteurs et sous-instituteurs atteignent un chiffre de 300.
Mais, messieurs, quand on décompose ce chiffre de 327 ou de 300 nominations à faire annuellement, on s'aperçoit bientôt qu'il ne peut être accepté comme constituant le déficit ordinaire et régulier du personnel enseignant.
Pendant la période triennale de 1855-57, les nominations ont eu lieu pour les causes suivantes :
Ecoles de création nouvelle, 229
Nominations par suite de démission, 645
Nomination par suite de révocation, 16
Nomination par suite de décès, 93.
Total, 983.
Ainsi pendant cette période, sur 983 nominations, il y en a eu 645 par suite de démission, la moyenne par année est de 215.
En 1857, les démissions sont au nombre de 210.
Evidemment, messieurs, ce chiffre doit diminuer dans une forte proportion.
Au 31 décembre 1857, on comptait 3,373 instituteurs et sous-instituteurs en exercice ; les démissions seules ont donc atteint le quinzième de ce nombre, presque 7%.
Ce fait extraordinaire s'explique par des causes qui n'existent plus ou qui n'agiront plus avec la même intensité.
Je n'en citerai que deux :
Beaucoup d'instituteurs abandonnaient l'enseignement parce qu'ils trouvaient plus d'avantages dans une autre carrière.
Aujourd'hui les instituteurs sont, en général, convenablement rétribués. Ils le seront mieux encore si l'amendement de M. Guillery est adopté.
En second lieu, parmi les instituteurs qui datent d'une époque antérieure à la loi organique de l’enseignement primaire, il en est beaucoup qui se sont retirés parce qu'ils étaient devenus insuffisants. Ils sont remplacés par des instituteurs jeunes, instruits et capables.
Ainsi le personnel enseignant se perfectionne chaque jour, et sa situation pécuniaire ne laisse plus guère à désirer.
Je crois donc être large, très large en supposant une démission sur 30 instituteurs. Mais pour éviter toute objection j'admets même qu'il y en ait une sur 25 instituteurs.
Voilà une première rectification.
En voici une seconde.
Pendant la période triennale de 1855-57, 229 instituteurs ont été nommés à des places de création nouvelle : moyenne par année 76, en 1857 le chiffre descend à 56.
Il a évidemment diminué depuis, car le cinquième rapport constate qu'il ne restait à organiser que 20 écoles pour les garçons et 106 écoles pour les enfants des deux sexes.
Je serai donc encore très large en portant à 10, annuellement, le nombre d'écoles de création nouvelle. Mettons 15, si vous voulez.
Les chiffres rectifiés selon les probabilités les plus favorables pour le placement des aspirants instituteurs diplômés seront donc ceux-ci :
Nominations à faire annuellement par suite de la création d'écoles primaires nouvelles, 15.
Par suite de démissions, 134.
Par suite de révocations (chiffre de 1857), 4
Par suite de décès (c'est également le chiffre de 1857, 30
Total, 183
Ou 5 1/2 p. c. du nombre des instituteurs.
C'est-à-dire qu'un instituteur nommé à 21 ans, se retirera à 46.
Eh bien, dans cette hypothèse, le chiffre de 645 démissions pour la période triennale 1855-1857, descendra à 402, qui donne une moyenne par année, de 134 au lieu de 215.
Dans la discussion de 1842, on a admis comme un fait vrai, constaté par la statistique, que le déficit régulier et annuel du personnel enseignant est de 5 p. c, mes chiffres dépassent cette proportion ; je puis donc les considérer comme inattaquables.
Ainsi la situation, telle que les propositions du gouvernement vont la créer, la voici :
Les écoles normales et les sections normales fourniront 320 aspirants pour 183 places ; excédant annuel, 137 élèves ; 137 élèves sortant chaque année des écoles normales ne trouveront pas d'emploi dans l'enseignement primaire.
(page 848) Que ferez-vous alors ?
En 1855 ou en 1854, le gouvernement a décidé que les élèves admis dans les écoles normales avec jouissance de bourses, devraient s'engager par écrit à rester pendant 5 ans, après leur sortie de l'école, à la disposition du gouvernement, sous peine d'être tenus de rembourser les subsides qui leur auraient été alloués.
Je suppose que cet arrêté sera modifié ; on laissera les élèves normalistes qui ne trouveront pas à se placer immédiatement dans l’enseignement primaire, libres de chercher ailleurs un travail qui les fasse vivre, et les instituteurs seront libres aussi de quitter la carrière de l’enseignement quand ils le voudront.
Mais cela ne suffira pas. Que ferez-vous, lorsque les excédants de plusieurs années vous présenteront 400 à 500 candidats qui vous demanderont des places ou des secours ?
Les précédents l'indiquent assez. La nécessité de placer les instituteurs vous fournira l'occasion et le motif de supprimer de fait l'adoption des écoles privées dans toutes les communes où elles sont établies ; vous retirerez partout l'autorisation d'adopter ces écoles ; et vous pourrez le faire d'autant plus facilement que la loi vous a remis le soin de décider, chaque année, s'il y a lieu ou s'il n'y a pas lieu de maintenir l'autorisation ; vous créerez par cette mesure environ 300 écoles communales nouvelles, et vous aurez à pourvoir à un nombre à peu près égal d'instituteurs en chef et de sous-maîtres.
Vous refuserez également l'agréation à tous les instituteurs non diplômés que les communes jugeraient à propos de nommer.
Ainsi, le développement excessif des écoles normales dirigées par l'Etat achèvera l'œuvre de destruction de l'article 3, ainsi que de l'article 10, paragraphe 3, de la loi de 1842.
Les écoles normales adoptées ne seront-elles pas menacés à leur tour ? Pour moi, je prévois qu'elles n'auront plus qu'une existence bien précaire.
En effet, lorsque dans les écoles normales dirigées par l'Etat, on formera annuellement 180 à 190 instituteurs, on prétendra, dans un temps qui ne peut être éloigné, que ce nombre suffit à tous les besoins.
J'ai dit quelle doit être, dans mon opinion, l'étendue de ces besoins. J'ai indiqué le chiffre de 183 places vacantes ou de 5 1/2 %.
Pendant la discussion de 1842, l'honorable ministre de l'intérieur M. Nothomb n'allait pas aussi loin ; il supposait que chaque année 5% seulement des places deviendraient vacantes et qu'ainsi pour fournir au recrutement d'un personnel composé de 3,373 instituteurs, comme il l'était à la fin de 1857, il suffirait de trouver 108 candidats.
Il n'a jamais promis, quoi qu'on en dise, de réserver les 2/3 des places vacantes aux élèves des écoles normales de l'Etat.
Il ne pouvait le promettre, puisqu'il laissait la liberté du choix aux communes.
Il a dit seulement que c'était être très large que de supposer que le gouvernement fournirait les 2/3 des candidats, et il suffirait pour cela, selon l'honorable M. Nothomb, en supposant 168 places vacantes annuellement, de 112 candidats sortant des écoles normales de l'Etat.
En 1846, l'honorable M. de Theux supposait de son côté que, le quart des places vacantes serait donné par application de l'article 10 à des candidats non diplômés et que les trois autres quarts seraient partagés entre les élèves des écoles normales dirigées par l'Etat et les élèves des écoles normales adoptées.
Dans cette hypothèse les 108 places vacantes se répartiraient entre 65 candidats sortant des écoles dirigées par l'Etat, même nombre sortant des écoles adoptées et 42 candidats non diplômés.
Quoi qu'il en soit, messieurs, si les propositions nouvelles du gouvernement sont admises, vous aurez 180 candidats à placer, indépendamment des 110 élèves sortant des écoles adoptées et des candidats non diplômés.
Lorsque toutes les écoles primaires adoptées seront devenues écoles communales et officielles, le personnel enseignant s'élèvera peut-être à près de 4,000 instituteurs. Alors, messieurs, les places vacantes pourront aussi atteindre annuellement le chiffre de 200.
Mais dans cette hypothèse même, 120 candidats diplômés ne seront pas pourvus. Plusieurs prendront sans doute d'autres carrières. Cependant beaucoup attendront 1, 2 ou 3 ans dans l'espoir d'une nomination, et s'ils devaient restituer les subsides à la faveur desquels ils ont étudié, ils attendraient certainement plus longtemps.
Si 25 p. c. attendent 3 ans, 50 p. c. pendant 2 ans et 75 p. c. pendant un an, après ces 3 années, vous auriez 180 anciens aspirants et 320 nouveaux aspirants. soit en tout 500 candidats pour 200 places à accorder.
Eh bien, messieurs, le gouvernement se trouvera inévitablement poussé alors à refuser son concours pour maintenir la prospérité des écoles normales adoptées ; il sera poussé à refuser des bourses d'études aux jeunes gens fréquentant ces écoles, comme il l'a fait pour les jeunes gens qui étudient dans les universités libres.
Ces écoles normales adoptées deviendront des écoles libres et l'alliance entre la liberté et l'Etat sera brisée.
Le gouvernement fera plus encore.
Il défendra aux communes de choisir des instituteurs ailleurs que dans les écoles normales dirigées par l'Etat. Il ne permettra de prendre dans les écoles privées que par exception et en attendant que l'Etat ait créé une section normale nouvelle. Pour justifier tout cela on ne sera pas embarrassé de trouver un texte de loi et d'y donner une interprétation qui sera toujours bonne si elle est approuvée par la majorité.
Messieurs, la situation vers laquelle nous conduit le système du gouvernement peut donc être résumée en deux mots.
Centralisation et monopole.
Centralisation de l’enseignement primaire. Monopole de l'enseignement normal dans les mains de l'Etat. Lutte de l'Etat, avec le trésor public pour auxiliaire contre la liberté.
Messieurs, je livre ces observations à votre examen. J'engage la Chambre, si elle ne partage pas toutes mes craintes, si elle n'est pas convaincue, comme moi, qu'en votant le nouveau crédit demandé par le gouvernement elle se lance sur une pente dangereuse, à prendre tout au moins le temps d'examiner et de réfléchir.
Bientôt le sixième rapport sur l’enseignement primaire pour la période triennale de 1858 à 1860 sera distribué.
Ajournez, messieurs, jusqu'après la publication de ce rapport la question des écoles normales.
Rien ne presse puisque en 1860 le gouvernement n'avait pas même pris l'initiative d'une augmentation de crédit et que s'il accepta les 12,000 fr. que lui offrit l'honorable M. Orts, il ne laissa pas supposer que cette somme serait insuffisante.
Rien ne presse, parce que c'est seulement le 20 novembre dernier que M. le ministre de l'intérieur a demandé une augmentation de crédit de 145,520 fr.
Ajournez le vote sur cette dépense jusqu'à ce que la situation de l'enseignement primaire et les faits des dernières années soient connus. C'est ce que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre.
Si l'ajournement n'était pas accueilli, je reprendrais comme amendement le chiffre primitif porté au budget sous le littera de l'article 99.
(page 834) - M. E. Vandenpeerebooom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. le président. - Voici, messieurs, la proposition de M. Thibaut.
« J'ai l'honneur de proposer l'ajournement du vote sur la demande de 145,520 fr. destinés à augmenter le crédit porté à l'article 99, littera B, et subsidiairement, j'ai l'honneur de proposer à l'article 99, litt. B, le chiffre primitif de 129,800 fr. »
Il me semble, M. Thibaut, que vous devriez choisir entre vos deux amendements. Je ne puis les mettre tous les deux aux voix simultanément. Vous pourriez reprendre l'un, si l'autre n'est pas adopté.
M. Thibaut. - Je comprends parfaitement cela, M. le président. Aussi, j'ai eu soin de dire que c'est pour le cas où ma première proposition serait rejetée que je reprends par amendement le chiffre primitif du budget.
Je crois que le chiffre pétitionné actuellement par le gouvernement n'est pas un amendement, parce qu'il a été accueilli par la section centrale. Cela a été décidé antérieurement pour d'autres cas semblables.
Le chiffre du gouvernement n'est donc plus celui qui est porté au projet de budget ; et je reprends le chiffre du budget comme un amendement.
M. le président. - Ensuite, M. Thibaut, il faudrait aussi assigner une date à votre ajournement.
M. Thibaut. - Jusqu'à la publication du sixième rapport sur l'enseignement primaire.
M. le président. - Les amendements de M. Thibaut ont été développés ; sont-ils appuyés ?
- Plusieurs membres se lèvent.
M. le président. - Les amendements sont appuyés ; ils font partie de la discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Dans la séance d'hier, l'honorable M. de Florisone, à l'occasion de la discussion de l'article 99, littera D du budget, a fait quelques observations qui dénotent de sa part une connaissance réelle des besoins de nos communes rurales.
L'honorable membre appelle l'attention de la Chambre et du gouvernement sur la situation dans laquelle se trouvent un grand nombre de maisons communales. Le mal qu'il a signalé est réel.
Vous n'ignorez pas, messieurs, que dans la plupart de nos communes rurales les maisons communales ne répondent aucunement à leur destination : les séances des conseils communaux sont tenues bien souvent dans des salles basses, malsaines et où les membres du conseil ont parfois même de la peine à se placer. Vous n'ignorez pas non plus qu'en général il manque un local pour le dépôt des archives.
L'honorable représentant d'Ypres a indiqué divers moyens pour remédier à ce mal : il a cru qu'on pourrait adjoindre à la maison d'école des salles pour les réunions du conseil, et du collège, pour le secrétariat et pour le dépôt des archives. Il a pensé aussi que, dans les chefs-lieux de canton, quand le gouvernement accorde des subsides pour la construction des salles destinées aux séances des justices de paix, on pourrait, dans ces mêmes locaux, réserver des salles pour les services communaux.
Messieurs, je le reconnais, la situation signalée par l'honorable M. de Florisone existe dans un grand nombre de communes rurales. Il serait fort à désirer que l'on pût établir partout des locaux pour le dépôt des archives communales et pour le classement des registres de l'état civil.
Il serait encore à désirer, comme l'a dit l'honorable membre, qu'on pût avoir une espèce de secrétariat permanent dans nos grandes communes.
Aujourd'hui lorsqu'un habitant de la commune, et plus encore un étranger a besoin d'un document quelconque, il a souvent beaucoup de peine à se le procurer ; il ne sait où s'adresser, il perd souvent beaucoup de temps en recherches stériles.
Les observations présentées par l'honorable représentant d'Ypres méritent donc d'être prises en considération, et sans m'engager ici je puis dire, dès à présent, que dans quelque temps lorsque nous aurons à rechercher s'il n'est pas nécessaire de voter de nouveaux crédits pour la construction des bâtiments d'écoles, cette question sera sérieusement examinée.
Beaucoup d'hommes spéciaux pensent qu'il n'y a aucun inconvénient à joindre l'école communale à la maison commune ; l'école serait ainsi plus directement surveillée par les autorités communales, et peut-être, en résulterait-il quelque bien.
Messieurs, je répondrai maintenant au discours, ou plutôt à une partie du discours qu'a prononcé l'honorable M. Thibaut ; je dis, une partie du discours, car, dans la séance d'hier et au commencement de celle d'aujourd'hui, l'honorable membre a recommencé la discussion générale, close pourtant, sur la question de l'instruction primaire.
Il a reproduit, en partie, les arguments que les honorables MM. Wasseige et Dechamps avaient fait valoir et que j'ai combattus longuement, trop longuement peut-être,
Je crois qu'il serait parfaitement inutile de recommencer cette réfutation ; cela n'apprendrait évidemment plus rien à personne et je fatiguerais bien inutilement la Chambre.
Je ne suivrai donc pas l'honorable membre sur le terrain où il s'est aventuré, et ce motif est le seul qui me détermine à ne pas répondre à cette partie de son discours.
M. Thibaut. - Je n'ai pas discuté ; je n'ai fait qu'exposer.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je me bornerai à justifier en peu de mots la demande de crédits faite par le gouvernement en faveur de l'enseignement normal.
Ces crédits, messieurs, s'élèvent comme charge ordinaire à 72,520 fr. et comme charge extraordinaire à 73,000 fr. Les crédits nouveaux se subdivisent comme suit :
1° 15,000 francs destinés à l'entretien du matériel de nos écoles normales, augmentation de crédit rendue indispensable par suite de l'agrandissement des locaux des écoles de Lierre et de Nivelles. Ces villes ont considérablement agrandi les locaux de leurs écoles normales et l'Etat doit en entretenir le mobilier, en vertu des conventions existantes.
D'autre part, on a, en exécution de la loi, adjoint des sections normales aux écoles moyennes de Bruges, de Huy et de Virton, et là il faut donner un supplément de traitement au personnel enseignant. Enfin il y aurait une augmentation de 39,000 à 40,000 fr. pour bourses et subventions à accorder soit aux élèves des écoles normales de l'Etat, soit aux élèves des écoles normales adoptées, pour garçons et pour filles.
Voilà, messieurs, quelle est la répartition du crédit ordinaire.
Quant au crédit extraordinaire de 73,000 fr., il serait consacré, à concurrence de 60,000 fr., à l'achat de l'ameublement des quatre sections normales à adjoindre aux écoles moyennes ; et de 13,000 fr. pour couvrir les frais d'acquisition du mobilier nécessaire aux écoles.de Lierre et de Nivelles.
Il est un point, je pense, sur lequel tout le monde est d'accord : tout le monde a voulu jusqu'ici et veut encore que l'instruction primaire se propage autant que possible en Belgique ; qu'il soit, sous ce rapport, satisfait à tous les besoins.
Eh bien, si l'on veut propager l'instruction primaire, la première chose qu'on puisse et qu'on doive réclamer, c'est le nombre d'instituteurs nécessaire.
L'honorable chanoine de Haerne, dans une de nos dernières séances, a constaté lui-même que le nombre des instituteurs, en Belgique, était insuffisant.
C'est un fait, messieurs, qu'on ne peut nier : l'expérience le prouve tous les jours ; tous les jours vous voyez des communes demander des instituteurs diplômés et ne pouvoir en obtenir.
C'est donc afin de permettre à l'instruction primaire de prendre tout le développement qu'elle doit avoir que le gouvernement a demandé ces augmentations de crédits.
J'ajouterai qu'en agissant comme je l'ai fait, je me suis conformé à une intention clairement manifestée dans les dernières discussions de la Chambre. Il est vrai qu'un simple crédit de 12,000 francs avait été voté, mais il n'est pas moins vrai qu'à cette époque la Chambre a reconnu qu'il (page 835) fallait augmenter notablement le nombre des instituteurs communaux. Ces instituteurs, messieurs, manquent non seulement pour le service de l'instruction primaire proprement dite, mais encore pour un autre service qui commence seulement à s'organiser, je veux parler du service de l'enseignement moyen.
Il est surtout une catégorie d'instituteurs qui manquent ; ce sont les instituteurs ou régents sachant parler le flamand ; le nombre en est très insuffisant ; aujourd'hui, le gouvernement est très souvent (et on lui en fait un grief) dans l'impossibilité de trouver pour les écoles moyennes des instituteurs ou des régents sachant le flamand ; je ne dirai pas sachant enseigner le flamand, mais sachant seulement le parler. II en résulte que dans les provinces flamandes il y a des écoles qui n'ont pas même de régents qui connaissent la langue du pays et sachent s'entretenir avec les pères et les mères de famille. C'est un mal réel.
M. H. Dumortier. - Cela prouve une fois de plus que nos réclamations sont fondées jusqu'à un certain point
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Sans doute c'est ce que j'ai dit ; c'est parce que ces réclamations sont fondées que je cherche à y faire droit en augmentant le nombre des instituteurs et régents flamands.
Puisque M. Henri Dumortier m'appelle sur ce terrain, je dirai que j'ai donné des instructions positives et pressantes à M. le directeur de l'école de Lierre, et que je l'ai chargé d'engager des jeunes élèves nés en Flandre à suivre les cours de l'école supérieure de Nivelles afin de pouvoir être nommés régents dans nos écoles moyennes. Ce besoin se fait de plus en plus sentir.
L'Etat a créé les écoles moyennes que la loi autorise ; aujourd'hui les communes reconnaissent l’utilité de ces écoles ; le nombre des écoles de l’Etat étant complet, elles demandent à créer des écoles moyennes communales ; il faudra pour ces écoles des instituteurs du deuxième degré. Jusqu'ici cette catégorie d'instituteurs a fait plus ou moins défaut.
Messieurs, d'après l'honorable M. Thibaut, le nombre des instituteurs que nous voulons créer sera trop considérable, nous ne pourrons parvenir à les placer tous promptement.
Je ferai observer que le chiffre indiqué est un maximum ; si on trouve que ce nombre est trop grand, on diminuera les admissions. Mais ces chiffres ont été calculés d'après les besoins présumés. Je ne puis pas suivre l'honorable membre dans ses calculs, il m'a été impossible de saisir les détails à une simple audition.
D'après l'honorable membre, il y aurait 20 écoles à créer encore, mais il n'a pas bien compris, je pense, les indications consignées à cet égard dans le rapport triennal. (Interruption.)
Il y a, en effet, 20 communes qui n'ont pas satisfait encore aux obligations de la loi, parce que, dans ces 20 communes, il n'existe pas de local d'école ; mais il y a un nombre bien plus grand de communes où il faut créer de nouvelles écoles. Dans plusieurs localités, il faut doubler, tripler le nombre de ces écoles pour assurer complètement le service de l’enseignement primaire.
M. Thibaut. - Il manquait 106 écoles de filles et 20 écoles de garçons.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ainsi dans nos communes populeuses il faut plus d'une école. L'effectif des élèves qui fréquentent les écoles s'accroit chaque année de 6 mille environ ; il faut donc créer de nouvelles écoles. D'ailleurs les bienfaits de l'instruction primaire sont tous les jours mieux appréciés : les parents envoient leurs enfants aux écoles avec plus d'assiduité qu'autrefois ; d'un autre côté, les perfectionnements introduits dans l'enseignement exigent qu'on y place un nombre de professeurs plus considérable ; il est reconnu qu'un professeur ne peut donner l'enseignement qu'à un nombre déterminé d'élèves, et il n'est pas rare de voir aujourd'hui un seul professeur pour 90 ou 100 enfants et même davantage. Ces classes doivent être dédoublées ; qui veut la fin doit vouloir les moyens. Si vous voulez avoir une bonne instruction provisoire, il faut un nombre de professeurs suffisant pour donner une instruction solide. Le chiffre des instituteurs qui pourra être formé est à peu de chose près celui indiqué par l'honorable député de Dinant ; mais ne perdons pas de vue qu'il y a un déchet dont il faut tenir compte ; ce déchet, si je puis m'exprimer ainsi, peut être évalué à 8 ou 10 p. c., suivant les années
Tout indique donc que la situation actuelle ne peut plus être maintenue. En 1860, le nombre des élèves normalistes est de 705, dans trois ans il pourra être, comme l'a indiqué M. Thibaut, de 550 à 580 pour les écoles de l'Etat et à peu près dans la même proportion pour les écoles normales adoptées.
Mais aujourd'hui cette proportion est toute différente ; je ne dirai pas qu'elle doit être renversée, mais qu'elle ne peut pas être maintenue. Les établissements de l'Etat compteraient 269 élèves normalistes et les écoles épiscopales 434 ; cette différence était plus grande encore jadis, je pense ; on y a déjà en partie remédié.
Mais si nous augmentons le nombre des élèves normalistes dans les écoles de l'Etat, c'est pour une autre raison : l'honorable M. Dechamps a reconnu que ces écoles sont excellentes, et présentent toutes les garanties désirables ; pour ce motif beaucoup de communes, usant de la liberté que la loi leur donne, demandent des élèves sortant des écoles normales de l'Etat.
II n'est pas rare de lire, dans les journaux, des annonces portant que telle place d'instituteur est vacante et qu'on donnera la préférence, à mérite égal, à des élèves sortant des écoles de Lierre ou de Nivelles.
Voilà les motifs qui ont engagé le gouvernement à déférer aux réclamations qui ont surgi dans cette Chambre et au-dehors, car, je le répète, beaucoup de communes demandent des instituteurs sortant des établissements de l'Etat. Le nombre en est insuffisant, et chaque fois qu'on s'adresse à ces établissements pour avoir des instituteurs, ils ne peuvent en fournir.
Vous aurez remarqué, messieurs, dans les notes publiées à l'appui du budget, que sur ses fonds le gouvernement fait une part aux écoles adoptées et aux écoles des filles ; une partie du crédit pour bourses sera donc distribuée aux élèves des écoles de l'Etat et aux sections normales annexées aux écoles moyennes de Bruges, Virton et Huy, et plus tard à la section normale qui sera adjointe à l'école de Gand, sauf à solliciter de nouveaux crédits, si cela est nécessaire.
Une partie de l'augmentation sollicitée est destinée aussi aux écoles normales adoptées.
En acceptant le règlement proposé par le gouvernement, MM. les évêques ont manifesté le désir de voir augmenter les subventions accordées à ces écoles ; et dans le crédit de 40 mille francs pour subventions et bourses, une somme de 10 mille francs sera attribuée aux écoles normales épiscopales ; une autre part sera donnée aux écoles privées adoptées pour les filles ; le reste de la somme sera distribué aux élèves des écoles normales de l'Etat et des sections normales.
Il me semble que cette répartition est équitable, qu'une bonne justice distributive y a présidé et que le gouvernement n'a pas gardé tout pour lui sans rien donner aux autres.
Je crois qu'il est inutile d'entrer dans de plus grands détails. J'ai dit qu'il y avait nécessité d'augmenter le nombre des élèves diplômés ; en général, la commune sera toujours libre d'y faire son choix, mais il est désirable, en principe, que les communes puissent choisir des instituteurs diplômés.
Je ne dis pas qu'il faut les y contraindre ; qu'il ne faut pas faire, usage quelquefois du dernier paragraphe de l'art. 10. Mais cet usage deviendra chaque jour moins fréquent, parce que les communes comprendront elles-mêmes qu'il vaut mieux avoir un instituteur muni d'un diplôme que d'en avoir un qui n'en a pas.
Je prie donc la Chambre de voter les augmentations de crédit demandées dans le but que j'indique.
(page 841) J'éprouve le besoin, messieurs, d'entrer dans quelques détails au sujet des dépenses de l'instruction primaire en général et de l'instruction donnée dans les écoles normales en particulier, pour faire voir que la Belgique ne reste pas en arrière, sous ce rapport, vis-à-vis d'autres pays, chose que l'on conteste trop souvent dans cette enceinte, dans les journaux et dans le public.
Et savez-vous ce qui en résulte, messieurs. Comme dans tous les pays on attache aujourd'hui la plus haute importance à l'immense question sociale de l'instruction populaire que l'on cherche à développer partout autant que possible, il résulte de là, grâce aux exagérations qui se produisent (page 842) souvent, qu'on nous fait passer à l'étranger comme les plus arriérés de l'Europe on matière d'instruction primaire.
Mou patriotisme se révolte quand je lis de pareilles choses dans les journaux d'Angleterre, dans les rapports officiels adressés à la Chambre des communes. C'est ainsi qu'à côté des attaques qu'on dirige contre nous, contre notre armée, contre notre Parlement, du haut de la tribune anglaise, ou vient glisser dans des rapports officiels que nous sommes aussi des retardataires en matière d'instruction.
Si la chose était vraie, je m'inclinerais devant le jugement de l'Europe ; mais cela n'est pas, je proteste contre cette allégation et je déplore que des honorables membres de cette Chambre et surtout les journaux tombent dans ces exagérations et commettent sans le vouloir, sans doute, la plus grande imprudence sous ce rapport.
Je mis particulièrement allusion à un rapport que j'ai vu dernièrement et qu'adressait M. Arnold au conseil privé d'Angleterre.
Dans cette pièce officielle pour établir une comparaison entre l'état de l'instruction primaire en Belgique et celui qui existe en Hollande, on s'attache uniquement à la question des miliciens ; on cite les paroles d'un orateur hollandais que l'on ne nomme pas. Mais j'ai recherché, dans les débats des états généraux de Hollande, le nom de cet orateur ; c'est M. Wintgens qui, dans la séance du 14 juillet 1857, se plaint de ce qu'en Hollande, il y a beaucoup de miliciens qui ne savent ni lire ni écrire. Il en conclut que l'instruction publique perd dans les Pays-Bas. M. Arnold, Sans doute pour consoler les Hollandais, dont il avait visité les écoles desquelles il parle avec amour, cite l'exemple de la Belgique, comme étant trois fois plus arriérée quant à l'instruction des miliciens.
Comme preuve, il invoque l'ouvrage de M. Laveleye sur les débats relatifs à l'instruction primaire en Hollande, ouvrage remarquable sous plus d'un rapport, mais où j'ai trouvé, je dois le dire, des inexactitudes.
M. Arnold aurait dû comparer les statistiques générale des deux pays. En 1857,1a Hollande avait 12.07 élèves primaires sur 100 habitants ; la Belgique en avait 11.10. La différence n'est pas grande en faveur de la Néerlande ; mais celle-ci n'en avait plus que 10.19 en janvier 1859, pendant que la Belgique avait progressé. Cette décadence en Hollande peut être attribuée d'après un fonctionnaire néerlandais, M. Van Hoylema, à la loi de 1857, qui renforce le caractère mixte des écoles on matière religieuse, comme l'avoue M. Arnold.
A propos de l'ignorance des miliciens, permettez-moi de faire une observation ; c'est que, sous ce rapport comme sous d'autres, nous améliorons l'état des choses en Belgique. Avant-hier encore je suis allé prendre des renseignements au ministère de la guerre et j'ai appris qu'en fait il y avait progrès, surtout dans les écoles de régiment ; et c'est ce qu'on perd toujours de vue.
Les Hollandais se plaignent que les choses aillent de mal en pire, et d'après nos rapports officiels, les choses s'améliorent chez nous, bien que nous ayons encore beaucoup de chemin à faire.
Voilà la vérité.
Ensuite, de ce que les miliciens déclarent qu'ils ne savent ni lire ni écrire, faut-il en conclure que les écoles ne sont pas fréquentées ? C'est une exagération encore, et je vais vous le prouver.
Je ne vous lirai pas ce que j'ai lu dans un rapport officiel touchant les déclarations faites par des officiers français sur l'instruction des miliciens en France, où se produisent pour ce pays les plaintes que nous entendons chez nous.
Beaucoup de miliciens déclarent ne savoir ni lire, ni écrire, espérant ainsi se soustraire à certaines conséquences du service militaire.
D'un autre côté ou m'a assuré qu'il y en a qui parlent ainsi, parce qu'ils se laissent entraîner par un certain nombre d'ignorants.
Il y a une espèce d'embauchage dans les cabarets ; les plus ignorants sont les meneurs, ils disent : Nous ne savons ni lire ni signer, et ils entraînent les autres à faire la même déclaration qu'eux.
Il est constant que cela se passe en France. On peut croire qu'il en est de même en Belgique.
Voici un fait que j'ose assurer. Par cela seul que les miliciens viennent déclarer qu'ils ne savent ni lire ni écrire, ils ne faut pas en conclure qu'ils n'ont pas fréquenté l'école.
Remarquez, messieurs, que souvent on quitte l'école à douze ans, surtout quand on se lance dans l'industrie ; on comprend qu'alors les jeunes gens oublient ce qu'ils ont appris ou le retiennent tellement mal qu'ils n'osent déclarer ce qu'ils savent. Nous avons appris l'algèbre, la géométrie, 1'histoire, les analyses grammaticale, logique, littéraire. Mais si nous étions immédiatement placés devant un examinateur, nous hésiterions souvent à répondre, dans le cas où nous n'aurions pas entretenu ces études, depuis un certain temps. Eh bien, l'écriture, la lecture, l'arithmétique sont autant pour les campagnards, pour les ouvriers que l'algèbre, la géométrie, la trigonométrie pour nous.
Il ne faut donc pas s'étonner qu'après six ou sept ans, ces jeunes gens ne sachent plus lire et écrire correctement.
Mais, je le répète, il n'en résulte pas qu'ils n'ont pas fréquenté l'école ; il en résulte qu'ils ne sont pas assez instruits. Cela tient, surtout en Belgique, au grand développement de l'industrie, et pour Bruxelles, cela tient aussi à la grande dissipation qui est inhérente à toute capitale, comme on le remarque aussi à Paris, à Londres, à Berlin même, malgré les grands progrès qu'on a faits en Allemagne en matière d'instruction primaire qui y est obligatoire.
A Berlin, on comptait en 1858 11.69 élèves primaires sur cent habitants ; en Belgique, il y eu avait 11.16 en 1857.
Je dis donc qu'il ne faut rien exagérer. Il ne faut pas même décrier, à ce sujet, les statistiques, qui ne renseignent que les faits déclarés, et qui résument une espèce de raisonnement, dont il faut bien connaître les prémisses, comme il faut les peser pour tout autre raisonnement.
J'ai cru devoir, messieurs, appuyer sur cette idée, parce que je crois que le pays doit connaître la vérité à cet égard.
Pour que les miliciens soient plus généralement instruits, il ne suffit pas d'avoir des écoles primaires ; il faut aussi avoir des écoles d'adultes, du dimanche ou du soir.
En ce qui concerne la dépense, on a fait entendre encore que nous ne faisions pas assez et c'est sur ce point-là surtout que je demande à m'expliquer devant la Chambre.
Nous faisons beaucoup et nous avons fait beaucoup pour l'instruction primaire, j'ose le dire, en égard surtout à l'époque récente à laquelle la loi a été votée, circonstance sur laquelle je me permets d'appeler de nouveau votre attention, comme j'ai eu l'honneur de le faire dans la séance de samedi dernier.
J'ose dire que nous avons fait plus que la plupart des autres nations, et je n'en connais pas où le gouvernement ait fait autant qu'il a fait en Belgique, en si peu de temps.
On a parlé hier des Etats-Unis d'Amérique. C'est le seul pays que l'on ait cité pour faire voir qu'il fallait considérablement augmenter l'allocation pour les écoles primaires.
On a dit que la seule ville de New-York a un budget de l'instruction primaire égal à celui de toute la Belgique. Messieurs, je ne contesterai pas directement l'allégation de l'honorable député de Bruxelles auquel je réponds, mais je crois trop à son patriotisme pour ne pas être persuadé que si je pouvais prouver qu'il y a erreur de sa part il n'hésiterait pas à accueillir mon opinion dans l'intérêt de l'honneur de la Belgique.
Car il s'agit d'une question d'honneur, je le répète, dans les parallèles que l'on fait aujourd'hui entre les différents pays, par rapport à cette grande question sociale.
Eh bien, messieurs, j'avais lu des ouvrages relatifs aux Etats-Unis d'Amérique et à l'instruction primaire de ce pays comme j'en ai lu sur les autres pays.
L'idée m'était restée que c'était une erreur qu'avait avancée l'honorable M. Guillery. J'ai eu le temps de vérifier les faits, et voici ce que je lis dans un ouvrage publié en 1856, par M. Henri Carey, et intitulé The past, the présent and the future. Le passé, le présent et l'avenir, page 297 :
« Les taxes, pour l'Etat de New-York furent évaluées par M. Chevalier en 1846, de la manière suivante :
« Taxes fédérales, 1,40 dollar par tête
« Taxes d'Etat, 0,19 dollar par tête
« Taxe de comté, 0,31 dollar par tête
« Taxe locale d'écoles (local school-tax), 0,09 dollar par tête, soit 47 centime de franc par tête.
« Total 1,99 dollar, soit 10,50 par tête. »
En estimant la population de New-York à 900,000 habitants, on obtient un chiffre de 81,000 dollars, soit 425,250 fr. pour la somme que cette ville consacre à l'instruction primaire, aux écoles élémentaires, qui y sont presque toutes privées, comme en Angleterre, ce qui n'empêche pas qu'elles soient subsidiées, comme elles le sont dans le Royaume-Uni.
La nation américaine, dit encore M. Carey, en citant M. de Beaumont, marche d'elle-même par nature et par passion.
L'auteur ajoute que celle évaluation est à peu près la moyenne pour les divers Etats et qu'elle n'a pas subi de changement matériel depuis dix ans, c'est-à-dire qu'en 1856 elle était à peu près la même qu'en 1846.
Nous trouvons donc 9 centièmes de dollar, c'est-à-dire 47 centimes par (page 843) tête aux Etats-Unis, et si la ville de New-York payait davantage, ce ne n’était qu’une exception.
Eh bien, messieurs, en Belgique le budget général de l'instruction primaire pour 1857 s’élève à fr. 5,229,551.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est maintenant 6 millions.
M. de Haerne. - Oui, c'est 6,300,000 francs mais je prends le chiffre de 1857, parce que l’ouvrage que je viens de citer se rapporte à la même époque.
Je sais, messieurs, que le chiffre que j'ai indiqué pour la Belgique comprend aussi le minerval et les rétributions des bureaux de bienfaisance, et comme je veux être de la dernière exactitude, je retranche ces deux catégories de dotations pour n'admettre que les taxes proprement dites, c'est-à-dire les taxes communales, provinciales et générales. J'arrive ainsi pour 1857 à une somme de 4,018,191 francs, laquelle divisée par le chiffre de la population, qui est de 4,577,000 âmes, donne une moyenne de 87 centimes par tête.
C'est-à-dire qu'en Belgique nous payons à peu près le double de ce qu'on paye aux Etats-Unis en général et dans l'Etat de New-York en particulier.
Je ne sais pas à quelle source l'honorable député de Bruxelles a puisé ses chiffres.
En supposant avec lui que la ville de New-York fasse les sacrifices particuliers dont l'auteur américain M. Carey n'a pas fait mention, je ferais remarquer que New-York est une ville exceptionnelle dans le monde ; il n'y a guère que Calcutta qui puisse lui être comparé pour l'immense et rapide développement de la population.
En 1800, il n'y avait à New-York que 60,000 habitants. Aujourd'hui il y en a 900,000. C'est une agglomération d'étrangers, d'individus de toutes les races, de toutes les nations.
Pour moraliser une semblable population, il faut des efforts gigantesques et dès lors il ne serait pas étonnant que l'on s'imposât de ce chef des sacrifices tout à fait extraordinaires.
Mais, messieurs, vous savez qu'à New-York le prix des loyers est quintuple de ce qu'il est à Bruxelles et que la monnaie y a une valeur relative beaucoup moins grande qu'en Belgique.
Ne disons donc pas, messieurs, qu'en Belgique on ne fait pas ce qu'on doit faire pour l'instruction publique. Je le répète, nulle part on n'a fait davantage eu égard aux circonstances.
Maintenant, si je compare notre budget à celui d'autres pays, j'arrive à des résultats beaucoup plus favorables encore pour la Belgique.
Ainsi, par exemple, la Prusse qui sans aucun doute a l'enseignement primaire le plus développé, le mieux organisé qui se trouve en Europe ; la Prusse ne dépense que 300,000 thalers sur le budget de l'Etat pour toute l'instruction primaire, sur une population de près de dix-huit millions d'âmes. Cette somme fait 1,125,000.francs, c'est-à-dire moins que la part contributive de l'Etat belge dans l'instruction primaire ; la Prusse, pour près de dix-huit millions d'âmes, ne paye pas autant que l'Etat belge pour 4,577,000 âmes.
C'est qu'en Prusse les écoles privées ont pris un grand développement et que la commune y fait presque tout pour l’enseignement populaire. Voilà le secret ; tandis que chez nous, ainsi que je l'ai dit dans la séance de samedi, la loi ne fonctionneras encore depuis beaucoup d'années et que nous avons à faire une longue expérience, pour arriver au point où en sont la Prusse, la Suisse et d'autres pays.
En Hollande, pays qu'on cite ainsi, pour sa bonne organisation de l'instruction primaire, bien qu'à cet égard, s'il m'était permis d'entrer dans tous les développements, je pourrais faire une comparaison favorable pour la Belgique, mais je m'écarterais trop de mon sujet ; en Hollande, le budget total pour l'instruction primaire est de beaucoup supérieur à celui de la Belgique, comparativement à la population.
Ici je donne la main à l'honorable M. Guillery : les instituteurs hollandais sont beaucoup mieux rétribués qu'ils ne le sont en Belgique. Je désirerais de tout mon cœur qu'ils pussent l'être mieux en Belgique, comme je forme le même vœu pour les secrétaires communaux et pour d'autres fonctionnaires ; je souhaite qu'ils soient rétribués d'après leur mérite.
En Hollande le traitement minimum de l'instituteur est de 400 florins, c'est-à-dire 850 francs environ ; le minimum du traitement du sous-maître y est de 200 florins. Mais ce chiffre est presque toujours dépassé.
Ainsi dans les écoles de La Haye, les instituteurs en chef qu'on appelle hoofsonderwyzers touchent de 1,000 à 1,200 florins.
Ces instituteurs se trouvent dans une bonne position, dans une position qui répond à la dignité de leur état ; et c'est là une des raisons pour lesquelles l'enseignement primaire est plus avancé en Hollande qu'il ne l'est dans d'autres pays.
Mais à qui incombe cette dépense ? Voilà la question. Je n aimerais pas qu'on pût dire que la Belgique est moins avancée que la Hollande en fait de liberté communale.
Mais le fait est qu'en Hollande l'instruction primaire est communale avant tout, et c'est à la commune à supporter la dépense principale de ce chef.
C'est ce que je vais avoir l'honneur de vous démontrer. Voyons le budget de l'instruction primaire en Hollande, pour l'année 1858-1859 :
Je donne d'abord la part contributive de l'Etat (bijdragen van het rijk), cette part est de 200,292 fl.
Voilà ce que donne l'Etat sur un budget global de 2,273,756 ftorins.
Ce qui pour une population de 3,500,000 âmes à peu près, est un chiffre bien supérieur au chiffre total de la Belgique. Mais par contre la part contributive de l'Etat est un peu plus que le 1/10 du budget total, taudis qu'en Belgique l'Etat donne plus que le quart du budget général de l'instruction élémentaire ; ainsi, en Belgique, l'Etat fait beaucoup plus pour l'intruction primaire que l'Etat en Hollande ne fait pour le même service.
M. Guillery. - Cela n'est pas contesté.
M. de Haerne. - Je tire de là la conclusion qu'en Belqique l'Etat fait assez, puisqu'il fait plus que la plupart des autres gouvernements.
M. Guillery. - La Chambre avait décidé d'abord qu'on discuterait mon amendement ; et puis M. le ministre de l'intérieur n'a plus parlé de cet amendement ; il a été entendu que cet amendement ferait l'objet d'une discussion spéciale, et alors M. le président a donné la parole à l'honorable M. Thibaut, pour parler sur l'augmentation demandée pour l'enseignement normal primaire, et maintenant voilà l'honorable M. de Haerne qui discute mon amendement.
M. de Haerne - L'observation de l'honorable. M. Guillery est fondée ; je suis prêt à m'y soumettre, mais reconnaissons-le, il y a un peu de confusion dans le débat. L'honorable M. Guillery a parlé hier ; puis l'honorable M. Thibaut ; M. le ministre de l'intérieur vient de répondre à l'honorable M. Thibaut ; vous comprenez que je suis lancé malgré moi dans une double discussion.
Mon but principal est d'arriver aux écoles normales ; j'aurais encore bien des choses à dire au point de vue général, mais je vais me borner aux écoles normales.
Si on ouvre ensuite une discussion spéciale sur l'amendement de l'honorable M. Guillery, je demanderai à pouvoir faire encore quelques observations.
Je reconnais les bonnes intentions de l'honorable membre ; comme lui, je désire qu'on fasse pour les instituteurs tout ce qu'il est possible de faire.
Mais pour moi toute question est de savoir si l'impulsion doit venir de l'Etat, ou si les communes ne doivent pas être stimulées avant tout. J'admettrais une large augmentation de subsides, si les communes et les provinces étaient tenues d'en faire autant et qu'on ne leur accordât les fonds qu'à cette condition. Cela devrait faire l'objet d'une négociation préalable. J'avoue que les instituteurs sont mal rétribués. Ici, messieurs, je m'arrête...
- Des membres. - Continuez.
M. de Haerne. - Je suis aux ordres de la Chambre ; je reconnais avec l'honorable M. Guillery que la discussion marcherait plus régulièrement si on séparait les questions dans le débat.
- De toutes parts. - Continuez.
M. de Haerne. - Puisque la Chambre m'y autorise, je veux établir que la question soulevée par l'honorable M. Guillery consiste à savoir, non pas si les instituteurs doivent être mieux rétribués, mais si c'est à l'Etat ou aux communes à faire les plus grands sacrifices ; ou bien encore si l'Etat en augmentant son chiffre ne devrait pas mettre à cette augmentation la condition que les communes auront à augmenter leur quote-part dans le même proportion ; alors nous pourrions nous entendre ; c'est ainsi qu'on procède quand il s'agit de subsides pour construction d'églises, de monuments de toute sorte.
Voulez-vous savoir quel inconvénient je crains si l'Etat fait trop pour les provinces et les communes, c'est que les provinces et les communes feront de moins en moins, et je vais vous en donner la preuve par des chiffres.
Voici, messieurs, ce qui se présente dans le budget de notre instruction publique.
C'est que si nous comparons les allocations faites en 1855, en 1856 et en 1857 par les provinces, par les communes et par l'Etat, nous trouvons (page 844) que l'Etat a constamment augmenté les chiffres tandis que les provinces et les communes ne l'ont pas toujours fait.
A part une année, les communes ont diminué leurs chiffres et les provinces les ont diminuée chaque fois.
Les provinces ont toujours diminué leur chiffre, les communes l'ont fait deux fois sur trois alors que l'Etat augmentait.
Voilà la situation que vous faites aux communes et aux provinces. C'est un grave inconvénient.
M. Guillery. - C'est une grave erreur.
M. de Haerne. - Voici les chiffres :
En 1857, les budget communaux donnaient fr. 1,955,085 et l'Etat fr. 1,464,000.
En 1856 l'Etat n'avait donné que fr. 1,356,461. Les communes avaient donné 2,000,562 fr., c'est-à-dire qu'en 1857, pendant que l'Etat augmentait de 128,000 fr., les communes diminuaient de 45,000 fr.
En 1856 elles augmentèrent de 228,000 francs. C'est l'exception dont je viens de parler ; mais de 1856 à 1857 les communes n'ont pas suivi l'exemple de l'Etat dans les augmentations pour le budget de l'instruction.
Quand je dis que la diminution a été la règle en dehors du budget de l'Etat, j'entends parler tout à la fois des provinces et des communes. Les provinces ont successivement réduit leur part contributive alors que celle de l'Etat, accroissait, pendant les trois années mentionnées.
Les chiffres provinciaux ont été pour 1855 de 631,886 francs, pour 1856 de 601,948 francs et pour 1857 de 598,555 francs.
On voit que les administrations inférieures cherchent à économiser aux dépens de l'Etat. C'est l'effet naturel de la centralisation.
L'Etat a toujours augmenté de 1855 jusqu'en 1857 et il augmente encore tandis que les communes et les provinces n'ont pas suivi ce mouvement, sauf une exception que je viens d'indiquer.
C'est là un grand inconvénient, c'est ce qu'on appelle la centralisation, mouvement que les communes et les provinces ne sont que trop disposées à suivre lorsque l'impulsion vient d'en haut.
C'est un mal que nous devons d'autant plus chercher à éviter que l'instruction primaire doit avoir un caractère éminemment communal. C'est ce que l'on remarque dans les divers Etats.
Ainsi par exemple en Amérique il n'y a que des taxes locales. Ni les comtés ni les Etats particuliers ni l'Union ou la Confédération n'interviennent. Ce sont des taxes purement locales.
M. Guillery. - C'est une erreur. Les Etats interviennent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a des dotations.
M. de Haerne. - Je voudrais voir la démonstration de ce que vous avancez, M. Guillery. Avant que l'honorable membre entrât dans la salle, j'avais cité un auteur américain, M. H.-C. Carey, dont je dois, jusqu'à preuve du contraire, admettre l'opinion.
Si vous pouvez citer d'autres autorités, je serais charmé de les connaître.
M. Orts. - L'ouvrage que vous avez cité remonte à 1846.
M. de Haerne. -Non, il est de 1856.
M. Orts. - Mais il parle de l'époque de 1846.
M. de Haerne. - Il cite M. Michel Chevalier et il ajoute que tout ce que M. Michel Chevalier disait pour les taxes n'a guère varié eu dix ans.
Je ne sais d'ailleurs comment les Etats-Unis pourraient intervenir plus largement dans l'enseignement primaire, puisque toutes les taxes réunies ne montaient en 1856, toujours d'après M. Carey, qu'à environ 2 dollars, soit 10 fr. 50 c. par tête.
J'ai cet ouvrage chez moi et je puis le montrer aux membres qui désireraient en prendre connaissance.
Du reste, l'Amérique n'est pas le seul pays qui doive nous servir d'exemple. Je dirai encore qu'en France l'Etat n'entrait que pour 2,130,865 fr. dans le budget de l'instruction primaire de 1857, qui était de 29,924,420 fr.
En Suisse dans quelques cantons, les Etats contribuent plus largement qu'en France et qu'en Hollande. Mais dans le canton de Vaud par exemple en 1859, l'Etat n'a donné 3ue 46,666 fr. et les communes 298,577 fr. c'est-à-dire que l'Etat y fait moins, relativement aux communes, qu'en Belgique.
Dans le même canton plus de la moitié des instituteurs ne touchent qu'un traitement qui ne dépasse pas 522 fr. Et cependant on y compte près de 15 enfants sur cent habitants à l'école, bien qu'il y ait diminution depuis quelques années. Voici les chiffres des élèves primaires : 1846, 34,781 ; 1855, 30,930 ; 1858, 0,480..
L'instruction y est obligatoire ; mais on ne peut pas réaliser le vœu de la loi, La prospérité des écoles réside avant tout à l'intervention des communes.
Messieurs, comme il y a un peu de confusion dans cette discussion et qu'il était assez difficile de séparer complètement les dépenses relatives à l'instruction primaire en général de celles qui sont relatives à l'instruction normale, j'ai donné d'abord mon opinion sur les dépenses en général.
Maintenant je dois en venir à ce qui concerne les écoles normales. C'est un sujet très important, qu'il doit être permis de traiter à propos du nouveau crédit proposé.
Permettez-moi, messieurs, d'entrer dans quelques détails sur les diverses écoles normales qui existent en Europe pour faire voir que la question des écoles normales est extraordinairement compliquée, qu'elle demande à être touchée d'une main très habile, très prudente, et que, sous ce rapport, il ne faut pas d'emblée, sans réflexion, répudier l'élément de la liberté pas plus dans son action que dans les rétributions que la liberté peut raisonnablement exiger.
L'élément religieux, fondé chez nous sur la liberté, est regardé partout comme essentiel.
C'est assez vous dire, messieurs, que mes tendances sont en cette matière comme dans l'instruction en général pour la liberté avant tout.
En Angleterre d'abord il n'y a que des écoles normales libres ; toutes sont privées et cependant le gouvernement y contribue dans une proportion très forte. Il fait une très grande dépense pour les écoles normales. Il y avait trois grades d'admission des élèves, mais on avait remarqué que l'instruction était beaucoup trop développée, et surtout trop élevée.
Ainsi, par exemple, on exigeait de la part des candidats non seulement la connaissance approfondie des matières que l'instituteur doit enseigner dans les écoles primaires, mais on demandait ce qu'on appelle hard work, un travail fort, c'est-à-dire une étude qui se rapportait au latin et aux sciences.
Il fallait du latin ; l'algèbre et Euclide, c'est-à-dire ce que nous appelons la géométrie élémentaire.
Tout cela entrait dans les cours normaux.
Aujourd'hui il n'y a qu'une plainte en Angleterre, dans, les journaux surtout ; on dit que les normalistes sont trop enseignés ; le mot n'est pas très correct, mais c'est celui dont on se sert : overtaught.
Cela n'est pas, cependant, il faut le dire, tout à fait exact pour les trois degrés.
Je trouve même un peu et exagération dans les articles des journaux sous ce rapport parce qu'ils ne distinguent pas entre les trois degrés.
L'ensemble de ces matières n'est exigé que pour le premier degré. On a cependant jugé à propos d'introduire un quatrième degré pour rendre la chose encore plus facile. Mais il y a un correctif à cette complication d'études, c'est que les élèves sortant des écoles normales peuvent fonctionner avant même d'être diplômés.
Ils subissent un certain examen de sortie, mais ils passent encore trois ans à l'école avant d'être diplômés. On ne reconnaît l'instituteur que par la pratique de l'enseignement. Tel est le système en Angleterre.
Les écoles normales de France sont assez connues ; je n'ai pas besoin de m'étendre à ce sujet. Je dirai seulement qu'on n'est pas trop exigeant en France, en ce qui concerne les études dans les écoles normales ; on exige seulement de la part des candidats la connaissance approfondie de ce qu'on doit enseigner dans les écoles primaires, parce qu'on tient avant tout à la pratique.
En Hollande, les écoles normales ont été instituées en vertu de la loi de 1857 ; elles ne sont pas toutes organisées, je crois même qu'il n'y en a qu'une seule qui le soit tout à fait, c'est celle de Harlem.
Là, il n'y a qu'une heure de leçon le matin et deux heures l'après-midi, pour les élèves des 2ème, 3ème et 4ème années ; pour les élèves de la première année seulement, toute la matinée est consacrée aux leçons ; mais les élèves des 2ème, 3ème et 4ème années sont envoyés, en dehors des heures de classe, dans les écoles de la ville pour s'y livrer à la pratique de l'enseignement.
Vous le voyez, messieurs, ce système ne ressemble en rien au nôtre ; et cependant, la Hollande s'en déclare satisfaite.
Cela prouve, une fois de plus, combien cette matière est délicate et varie d'un pays à un autre, combien il faut mettre du prudence à y toucher, contrairement aux habitudes.
En Suisse, vous le savez, il y a une loi spéciale d'instruction primaire pour chaque canton.
D'après cette loi, l'examen requis pour l'admission n’est pas plus sévère qu'en France : il roule sur les mêmes sujets ; mais les écoles normales n'y sont pas du tout organisées d'une manière systématique, (page 845) comme on pourrait le croire : il y a une large part faite à la liberté et aux nécessités locales. Ainsi, à l'école normale de Lausanne, il y a trois ans d'études ; il n’y a point d'école pratique annexée à l'école normale, tandis qu'en Hollande, presque tout est dans la pratique. Les élèves instituteurs de Suisse se placent dans les divers cantons et recherchaient naturellement les postes les mieux rétribués.
A Fribourg, il n'y a pas d'école normale pour le canton : les instituteurs pour la partie française se forment dans des établissements privés qui tiennent lieu d'écoles normales privées et qui sont reconnus par l'Etat ; et cependant l'instruction primaire y est très développée. Quant aux instituteurs pour la partie allemande, ils sont formés dans les écoles normales de la partie allemande de la Suisse.
La loi requiert partout le certificat, mais vous allez voir comment cela se modifie dans la pratique : cette obligation est loin d'être absolue.
Ainsi, dans le canton de Vaud, si renommé pour l'instruction primaire, cinq ans d'exercice dans une école publique suffisent pour exempter légalement le candidat de l'obligation du certificat.
C'est donc une institution privée qui fonctionne là à la place de l'école normale ; et lorsqu'il n'y a pas de candidats diplômés qui se présentent, comme cela arrive fréquemment surtout quand les salaires ne sont pas élevés (ce qui est souvent le cas en Suisse comme en Belgique), alors la commission locale est autorisée par la loi à examiner et à élire elle-même d'autres candidats, qui peuvent être maintenus sans diplôme et qui, après 5 ans d'exercice, sont admis définitivement avec exemption de tout diplôme. Voilà ce qui se passe en Suisse. J'ajoute que les auteurs que j'ai lus à ce sujet font remarquer que, dans ce cas-là même, l'examen n'est pas très difficile.
La première chose que l'on a en vue, c'est d'avoir des instituteurs ; c'est de combler les lacunes qui existent, et puis on cherche les meilleurs instituteurs après avoir satisfait aux besoins les plus urgents. Voilà le système.
Je regrette d'avoir été bien long déjà, mais, avant de finir, j'ai encore un mot à ajouter concernant les écoles normales de l'Allemagne. Elles méritent, à tous égards, une étude sérieuse.
L'Allemagne et la Suisse sont les pays qui ont le plus de réputation sous le rapport des écoles normales.
Ainsi, je crois pouvoir examiner d'une manière toute particulière ce qui se rapporte, à ces institutions telles qu'elles fonctionnent en Allemagne.
En Prusse, d'abord, les écoles normales sont très remarquables et, on doit le dire, elles exercent une grande influence sur l'état général de l'instruction primaire. Mais on y admet aussi des candidats non diplômés ou non normalistes.
Le programme est très étendu ; voici de quoi il se compose : la religion, d'abord, puis la langue allemande, la pédagogie, la géographie de l'Allemagne, l'arithmétique, la géométrie, des notions de l'histoire naturelle, la calligraphie, le dessin, le solfège et le chant, enfin ce qui se rattache au jardinage.
Il y a deux examens ; en pratique ils ne sont pas trop rigoureux ; depuis 1851 une instruction sévère fait dépendre l'admission ou la promotion de l'instituteur de sa conduite et de ses opinions politiques. (Interruption.)
C'est en Prusse que cela se pratique.
Les écoles normales n'appartiennent pas toutes à l'Etat. Il y a deux écoles privées en Saxe, pays qui compte 1,800 mille habitants.
Les années d'instruction varient de deux ans à quatre ans, suivant les pays.
Dans le choix des livres pour les écoles normales, on fait une attention toute particulière, non seulement à ce qui concerne l'élève normaliste, mais à l'influence qu'il peut exercer plus tard sur les mœurs du peuple.
D'après cela, chose qui va vous étonner et que je trouve aussi un peu exorbitante, en vertu des derniers règlements pris à l'égard des écoles normales en Prusse, la prétendue littérature moderne allemande (c'est ainsi qu'on la qualifie) est exclue de l'école, parce qu'on la trouve dangereuse ; on cherche à introduire l'esprit chrétien (das Kirchenleben) sur tous les points de l'Allemagne.
On y fait, par la main du gouvernement, ce que nous voulons faire par l'action de la liberté religieuse. Il est, messieurs, un point important sur lequel j'appelle l'attention de la Chambre et des hommes qui ont la pratique de la matière : Il y a des plaintes très vives quant à la préparation nécessaire pour arriver aux écoles normales.
Voici l'inconvénient qui se présente : on n'admet les élèves à l'école normale qu'à 18 ans, et souvent les jeunes gens quittent les écoles à 14 ans ; dans l'intervalle, ils se décident à ce que vous appelez avec raison le sacerdoce de l'enseignement, mais très souvent les sujets se sont dissipés et ils laissent beaucoup à désirer, vice qui a frappé le gouvernement prussien, et auquel il a cherché à remédier.
Voici de quelle manière : On a formé des institutions préparatoires aux écoles normales qu'on appelle Proseminar.
Ces institutions sont privées ; elles sont un intermédiaire dont tout le monde comprendra l'importance. C'est un noviciat pour l'école normale.
On les a centralisées en Prusse ; mais en Saxe les établissements sont toujours privés et ont pour but de préparer les jeunes gens aux écoles normales.
En Prusse, ces institutions étaient privées comme elles le sont encore en Saxe ; mais petit à petit le gouvernement prussien les a soumises à son contrôle, parce qu'il voyait une tendance dangereuse au point de vue politique chez les élèves peu disciplinés, qu'on appelait par dérision die Wilde (les sauvages) ; elles furent soumises à l'action du gouvernement qui centralisa ces établissements préparatoires à l'école normale. Les élèves s'étaient trop émancipés avant d'y entrer et' avaient trop peu l'esprit de l'état auquel ils étaient appelés pour qu'on pût les admettre à l'école normale.
Indépendamment de la dissipation à laquelle ils avaient pu s'abandonner, ils n'avaient pas les connaissances nécessaires ; ils avaient oublié une partie de l'instruction primaire ; ils n'étaient plus si forts que les élèves sortant de l'école élémentaire. Cela explique jusqu'à un certain point l'ignorance de nos miliciens.
En Prusse comme en Saxe, cela s'était rencontré. Voyez comme tout cela est complexe ; il ne faut pas seulement des écoles normales, mais encore des institutions qui tiennent les élèves qui se destinent à l'enseignement primaire dans un état continuel de préparation. C'est une chose qui a frappé tous les esprits sérieux en Allemagne ; on a obvié jusqu'à certain point aux inconvénients, mais on ne les a pas fait disparaître tout à fait.
Il s'est présenté un inconvénient particulier en Prusse ; les anciennes écoles normales étaient des espèces d'académies scientifiques ; elles avaient des prétentions extraordinaires à la science ; c'étaient des universités au petit pied ; les élèves sortis de ces institutions voulaient enseigner ce qu'ils avaient appris et donner à l'enseignement primaire une extension non seulement ridicule mais même dangereuse.
Mais il y eut, comme dit un auteur anglais, M. Pattison, une réaction, et cette réaction, dans les écoles normales de Prusse, a eu pour but d'améliorer l'enseignement et d'apaiser les alarmes politiques du gouvernement à l'endroit de ces institutions et surtout à l'égard de l'esprit qui régnait au milieu de ces jeunes gens. On prohiba la littérature classique moderne, non seulement dans les cours, mais dans les lectures. Voilà pourquoi les institutions privées en Belgique surtout ont une grande valeur, parce que les précautions à prendre, dans de sages limites, sont plus facilement admises par les personnes qui revendiquent leurs droits politiques, dans les institutions privées que dans les institutions publiques.
En résumé, messieurs, la question des établissements normaux préoccupe toute l'Allemagne au double point de vue de l’enseignement et de la politique.
En Saxe on n'a pas trouvé assez d'instituteurs, on a dû former un établissement pour recevoir des jeunes gens plus avancés en âge et qu'on appelle Nebelenseminar, destiné à des personnes de 25 à 30 ans. Les vocations sont souvent rebelles à la centralisation allemande ; elles naissent plus facilement en Belgique sous l'inspiration de la liberté combinée avec l'esprit religieux.
II y a une autre question que l'on a traitée dans une séance précédente, c'est celle de l'entretien et du progrès de l'instruction chez les instituteurs déjà formés, par l'utile institution des conférences.
C'est encore là un objet qui mérite toute la sollicitude du gouvernement et de la législature. Il y a en Allemagne ce qu'on appelle die Forlbildung.
Il y a des conférences paroissiales présidées par le pasteur de l'endroit ; des conférences de district, également présidées par un des pasteurs de la circonscription ; il y a des conférences de département ; il y a des conférences générales.
Mais savez-vous ce qui est résulté de ce luxe de conférences ? C'est que les instituteurs ont formé des associations particulières et qu'aujourd'hui il y a des assemblées générales d'instituteurs qui paraissent dangereuses au gouvernement et contre lesquelles il croit devoir se prémunir. La Prusse a même défendu à ses instituteurs la fréquentation de ces (page 846) conférences libres, parce qu'on y trouve un esprit trop démocratique, un esprit qui a une tendance socialiste.
Cela me rappelle ce qu'on a constaté en France en 1848 ; c'est qu'un beau matin, l'on a appris que la plupart des instituteurs formés dans les écoles normales n'avaient pas un esprit assez solide, étaient socialistes et c'est ainsi qu'on a expliqué en grande partie la révolution de 1848.
Je dis donc que cette matière est très complexe ; que l'on doit, dans l'application, avoir égard aux circonstances qui se présentent, aux antécédents, aux traditions ; ne rien innover trop brusquement, ne pas apporter des changements imprudents à ces institutions précieuses, qui rendent tant de services, respecter la liberté, ne pas trop centraliser, pour éviter les inconvénients que j'ai eu l'honneur de faire ressortir.
Sans admettre tous les procédés des pays étrangers en cette matière, procédés qui sont souvent contraires à nos institutions, je crois pouvoir conclure, messieurs, de l'ensemble des faits que j'ai passés en revue, que l'esprit religieux, appuyé sur la liberté, doit faire chez nous pour les écoles normales et pour l'enseignement primaire en général, ce que certains gouvernement cherchent à introduire, souvent sans succès, par la centralisation.
(page 835) M. le président. - La discussion devient, un peu complexe, comme vient de le dire l'orateur.
Je crois qu'il serait temps d'en revenir à l'amendement de M. Guillery. La Chambre, je crois, n'a pas l'habitude de discuter par paragraphes ; elle discute et vote des articles. Depuis quelque temps, nous avons une. discussion générale sur chaque chapitre, et ensuite une discussion générale sur chaque article. Je propose d'en revenir à la discussion de l'amendement de M. Guillery.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il y a aussi l'amendement de M. Thibaut.
M. le président. - La discussion de cet amendement se rattache a celle de l'article lui-même ; il tend à l'ajournement d'une partie du crédit demandé. Mais je le répète, il n'est pas dans les habitudes de la Chambre de discuter par littera ; la discussion, me paraît-il, est déjà assez longue.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande la parole sur l'amendement de M. Guillery.
M. le président. - Et sur l'article. Je ne pense pas que la Chambre veuille établir comme jurisprudence de discuter par littera.
M. Goblet. - Dans la séance d'hier, la Chambre a décidé qu'on aurait, par exception, si vous le voulez, je le veux bien aussi, une discussion spéciale sur l'amendement de M. Guillery.
M. le président. - Je le sais ; mais je ne crois pas que la Chambre ait voulu établir un précédent. Nos discussions ont été trop longues pour ne pas faire des réserves formelles à cet égard.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
(page 836) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Dans la séance d’hier, j'ai fait connaître, sur l’interpellation de l'honorable M. Rodenbach, que le gouvernement ne pouvait se rallier à l'amendement de l'honorable M. Guillery.
L'honorable membre propose d'augmenter de 667,811 francs le crédit de 1,332,289 fr. pour les besoins annuels de l'enseignement primaire et pour donner des subsides aux communes ; le crédit serait donc porté au chiffre rond de 2 millions.
Je reconnais tout d'abord et bien volontiers que l'honorable M. Guillery a appuyé son amendement sur des motifs grands et généreux. Je partage les sentiments qu'il a proclamés et, comme lui, je suis parfaitement sympathique aux instituteurs primaires : comme lui encore, je désire pouvoir améliorer leur position.
Si donc je ne puis pas me rallier à l'amendement de l'honorable membre, c'est que je pense qu'il faut attendre les propositions des communes et des provinces pour l'exercice 1862, et j'ajouterai que le gouvernement se propose de prendre encore l'initiative de dépenses autres que celles demandées par l'honorable député de Bruxelles.
Messieurs, l'honorable M. Guillery nous a donné, en quelques mots, un aperçu de ce qui avait été fait en Belgique pour favoriser le développement de l'enseignement primaire.
Après lui, l'honorable M. de Haerne vient de vous dire quels sont les sacrifices que le pays s'est imposés. Les faits qu'on a cités sont à peu près exacts, et montrent un des côtés de la question. Cependant, je vous demanderai la permission de donner quelques renseignements officiels sur les sacrifices faits par les provinces, par les communes et par l'Etat depuis l'année 1842 jusqu'à ce jour.
Que la Chambre ne s'effraye pas ; je ne serai pas long. Je ne donnerai que des résultats généraux.
Je tiens à fournir ces explications, parce que les faits que je vais citer sont honorables pour les communes belges, pour les provinces et pour la législature ; ils sont honorables, car ce n'est pas une question de parti. Toutes les opinions qui se sont succédé au pouvoir, je dois le dire, ont reconnu que l'instruction publique était un besoin et qu'il fallait autant que possible pousser à son développement.
Messieurs, est-il nécessaire de vous rappeler la triste situation dans laquelle se trouvait l'instruction primaire de 1830 à 1842 ? Vous vous rappelez que des tentatives d'organisation de cet enseignement avaient été faites sous le gouvernement hollandais et qu'une réaction violente, après 1830, avait démoli, si je puis parler ainsi, ce que le gouvernement hollandais avait pu faire. Les écoles fondées sous le nom de nederlandsche schoolen, étaient fermées ; beaucoup de communes, de villes même n'avaient pas d'écoles dignes de ce nom ; des villes ayant une population de 18,000 à 20,000 âmes, n'avaient que des écoles du soir mal tenues ; elles suivaient de mauvaises méthodes et elles employaient des livres surannés, ridicules, qui ne convenaient pas à l'enseignement de la jeunesse.
Il était donc temps que la loi de 1842 intervînt. Sans cela, nous aurions été exposés, suivant une expression énergique de l'honorable M. de Decker, à créer une population de crétins pour notre pays.
Messieurs, vous ne l'ignorez pas, les dépenses relatives à l'enseignement primaire peuvent se diviser en différentes catégories. Celles qui nous occupent principalement ont pour objet le service annuel de l'enseignement primaire. Ces dépenses, je vous prie de bien vouloir méditer ces chiffres, ces dépenses du service ordinaire de 1843 à 1859 ont subi les changements suivants :
En 1843, les dépenses du service annuel ordinaire des écoles communales ne s'élevaient qu'à fr. 1,852,354-17. Les communes y contribuaient pour fr. 785,579-84, les provinces pour fr. 67,765-82 et l'Etat pour fr. 208,301-20.
En 1859, c'est-à-dire après un intervalle de seize ans, ces dépenses se sont élevées à fr. 4,146,412-92, ce qui fait une augmentation de fr. 2,291,078-75 ; les communes y ont contribué pour fr. 1,556,202-08, les provinces pour fr. 244,345-57 et l'Etat pour fr. 1,289,153-52.
On voit par-là que la quote-part des communes dans les frais du service ordinaire a augmenté de fr. 750,622-84, celles des provinces de fr. 176,581-75 et celle de l'Etat de fr. 1,080,852-12.
Ainsi l'Etat qui ne payait en 1842 que 208,301 fr. intervenait en 1859 pour 1,289,153 fr., et depuis lors ce crédit a constamment été augmenté.
Tous le voyez donc, messieurs, sous le rapport du service ordinaire de l'instruction primaire, des sacrifices considérables ont été faits par les communes, par les provinces et par l'Etat.
Messieurs, la position des instituteurs et des institutrices préoccupe et doit légitimement préoccuper toutes les personnes qui ont des sympathies pour l'enseignement primaire. Sous ce rapport encore, d'immenses progrès ont été réalisés depuis une vingtaine d’années. Avant 1842 la position des instituteurs était réellement intolérables.
Pendant la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, d'honorables membres firent connaître quelle était à peu près cette position. L'honorable M. Dumortier disait que dans le Hainaut toute la rétribution des instituteurs se bornait à recevoir de chaque enfant un escalin de Brabant (63 centimes) par mois. En moyenne, la rétribution des instituteurs était de 350 à 400 francs par an. La moitié de ces instituteurs devaient fournir le local et le mobilier.
Leur position était précaire : on ne connaissait pas les caisses de prévoyance, on ne connaissait pas non plus le système de pensions qui existe aujourd'hui ; les instituteurs n'avaient donc aucune garantie pour leur vieillesse.
En 1842, cependant, cette position ne paraissait pas à tout le monde aussi intolérable qu'elle le paraît aujourd'hui.
On proposa d'assurer aux instituteurs un minimum de traitement de deux cents francs, et cette proposition rencontra une opposition sérieuse : le minimum de traitement, fixé à deux cents francs, ne fut admis qu'à une majorité de quelques voix, 43 contre 28. (Interruption.) Nos amis politiques votèrent la proposition.
Aujourd'hui je ne veux pas dire que la position des instituteurs soit brillante, mais il faut convenir qu'elle n'est pas aussi mauvaise qu'on le proclame constamment.
Aujourd'hui peu d'instituteurs touchent moins de 700 fr. et les positions s'améliorent chaque année :
En 1858, les traitements et émoluments des instituteurs se sont élevés à la somme de 2,651,000 fr.
En 1859, à 3,015,000 fr.
Et en 1860, elle était de 3,327,000 fr. '
Or, messieurs, si je traduis ce chiffre en moyenne, je trouve qu'en moyenne les instituteurs dans tout le pays touchent 843 fr. La moyenne du traitement des institutrices, émoluments compris, est de 825.
Pour les sous-instituteurs elle est de 623et pour les sous-institutrices elle est de 583.
Ces rétributions diffèrent de province à province : ainsi dans la province de Namur le traitement moyen des instituteurs est de 1,015 fr. ; il est de 934 fr. dans la province d'Anvers et de 923 fr. dans le Brabant.
Enfin, la province où il est le moins élevé c'est le Luxembourg ; il n'est là que de 680 francs.
Je constate, en outre, messieurs, que les communes font les plus louables efforts pour améliorer la position des instituteurs.
Chaque année la somme affectée à cet objet augmente dans la proportion de 200,000, de 300,000 ou de 400,000 francs, comme vous venez de le voir, et je crois que ce mouvement continuera.
Messieurs, en 1859 déjà 500 ou 600 instituteurs touchaient un traitement de plus de 1,000 fr., et je suis certain qu'en 1862 ce nombre s'élèvera au moins à 1,000 ou 1,200,
Je ferai remarquer encore que ces traitements et émoluments ne sont pas les seuls avantages dont jouissent les instituteurs.
Un grand nombre sont autorisés à cumuler avec leurs fonctions des fonctions accessoires et nous devons en tenir compte lorsque nous apprécions la position des instituteurs.
Ainsi, messieurs, d'après les autorisations accordées jusqu'ici, sur environ 3,000 instituteurs, il y en a 1,096 qui cumulent avec leurs fonctions 1,505 places différentes dont le produit est de 267,256 francs, soit une moyenne, par instituteur, de 243 francs qui viennent s'ajouter au traitement.
Je ne parle ici, messieurs, que des cumuls autorisés ; mais il est beaucoup d'instituteurs qui cumulent et qui ont oublié de demander l'autorisation.
De plus, les instituteurs sont logés ou reçoivent une indemnité de logement.
A la campagne, tous ou à peu près tous ont un jardin. Les instituteurs communaux reçoivent ce que j'appellerai les instruments de travail, c'est-à-dire le local et le mobilier. C'est un avantage qu'ils ont sur les instituteurs privés.
M. Guillery. - Les sous-instituteurs ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les sous-instituteurs n'ont pas le logement, mais ils ont le traitement que j'ai indiqué. La position des sous-instituteurs n'est pas généralement défavorable ; les sous-instituteurs sont des jeunes gens qui ont fait pour ainsi dire gratis leur éducation ; presque tous sont élèves des écoles normales et ont obtenu des bourses.
Comparons cette position à celle d'un jeune homme qui a fini ses études (page 837) à ses frais, qui se destine à d’autres carrières, et qui n’est admis au chemin de fer, dans une administration publique quelconque, et même dans une maison de commerce, qu’après avoir fait un surnumérariat plus ou moins long.
M. Guillery. - Et dans l’armée ?
M. Guillery. - Et les officiers ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ils doivent passer par l’école militaire ou par tous les grades.
Bailleurs, entre l'instituteur et le militaire il n'y a pas d'assimilation possible.
Ce n'est pas tout, nos instituteurs ont une caisse de prévoyance, eux et leurs veuves sont certains d'avoir une pension. C'est encore là un avantage incontestable.
Enfin, il y a pour l'instituteur et les sous-instituteurs un dernier avantage qu'on ne peut nier : c'est d'être exempts de la milice. En vertu d'une disposition que vous connaissez tous, les élèves des écoles normales et les instituteurs obtiennent une exemption temporaire, puis une exemption définitive du service.
Ce sont là des avantages dont on doit tenir compte.
Néanmoins, et ainsi que je le disais en commençant, je suis loin de prétendre qu'il n'y a plus rien à faire pour les instituteurs, que leur position est brillante ; mais elle n'est pas aussi mauvaise qu'on le proclame souvent.
Maintenant, si je compense les sacrifices faits par les provinces, les communes et l'Etat pour l'enseignement primaire en général, les résultats que je trouve sont eu vérité étonnants.
Pour la période de 1831 à 1840, les sommes consacrées à l’enseignement primaire ne sont pas officiellement connues ; jusqu'en 1840, les communes n'interviennent que pour la somme que j'ai indiquée en commençant ; ainsi, pendant 10 années, on a voté 7,600,000 francs. Mais de 1843 à 1860 inclus, les sommes allouées par les communes, les provinces et l'Etat pour l'enseignement primaire, et en y comprenant les subsides des bureaux de bienfaisance et le minerval des élèves solvables, s'élève à la somme de 81,595,000 fr.
Dans cette somme figure celle de 2 millions pour construction de maisons d'école.
La moyenne de ces dépenses a été à peu près de 4,000,000 fr. par innée ont progressé d'une manière très rapide.
Je tiens en mains un tableau indiquant par année les dépenses faites pour l'instruction primaire par les communes, les provinces et l'Etat. Voici les résultats que le tableau constate.
1843.
Communes : 1,031,000
Provinces : 210,000
Etat : .465,000
1860.
Communes : 2,420,000
Provinces : 703,000
Etat : 1,877,000
Si vous y ajoutez la rétribution des élèves solvables, et les subsides des bureaux de bienfaisance, vous trouvez que la Belgique paye aujourd'hui pour l'instruction primaire une somme de 6,541,000 francs, C'est là un chiffre assez respectable.
Messieurs, ces sacrifices considérables ne sont pas restés sans fruit. Si les résultats que l'on en a obtenus ne sont pas encore complètement satisfaisants, s'il y a encore un grand nombre de miliciens illettrés, nous avons au moins cette consolation qu'on a fait tout ce qu'on a pu pour remédier à cet état de choses.
Et puisque nous parlons des miliciens, je crois qu'il doit y avoir des erreurs dans la statistique qui les concerne, L'honorable M. de Haerne a déjà indiqué une cause d'erreur ; mais il en existe une autre ; c'est un préjugé que j'ai rencontré très souvent dans la pratique : lorsqu'on demande à un milicien qui se fait inscrire : Savez-vous lire ou écrite ?, il répond presque toujours non ; et ce n'est qu'à force d'investigations qu'on parvient à connaître la vérité.
Il y a, comme je le disais un préjugé dans les populations ; les populations se figurent qu'on prend les miliciens instruits pour les employer à des services spéciaux.
Ainsi, par exemple, elles se figurent que du moment où ils déclarent savoir lire et écrire, ils sont employés chez le quartier-maître.
Les miliciens se figurent encore qu'ils pourraient être élevés au grade de caporal et qu'ils devraient pour ce motif rester plus longtemps au service.
Les raisons que je viens d'indiquer déterminent le plus grand nombre de miliciens à déclarer catégoriquement qu'ils sont des ignorants.
Je l'ai moi-même constaté, lorsque je faisais, en qualité de bourgmestre, certains relevés ; je disais à des jeunes gens qui déclaraient ne pas savoir lire et écrire, et que je faisais venir dans mon cabinet :
« Comment pouvez-vous déclarer que vous ne savez ni lire, ni écrire ? Vous avez fréquenté les écoles pendant plusieurs années. » Ils avouaient alors la vérité et l'on parvenait à établir une statistique exacte. (Interruption.)
Je crois que si on déclarait que les miliciens, sachant lire et écrire, obtiendront des congés de faveur, la statistique changerait entièrement. Ce serait peut-être un bon moyen d'encourager l'enseignement primaire.
Donc, si l'on n'a pas obtenu ostensiblement les résultats qu'on pouvait espérer, on a du moins la conscience d'avoir fait tout ce qu'il était possible de faire.
En 1840, nous avions en Belgique 2,109 écoles communales ; en 1860, nous en avions 3,095. Augmentation, 986 écoles, environ 50 par an.
En 1840, 190,000 élèves suivaient les cours, des écoles primaires et en 1860, le chiffre était de 316,000. Augmentation 126,000, soit de 6,300 par an.
D'autre part, le nombre des instituteurs et des institutrices s'est aussi accru dans une proportion assez forte. Il est aujourd'hui de 4,251, dont 2,736 instituteurs.
Parce que l'on a obtenu ces résultats, n'y a-t-il plus rien à faire ? Je reviens toujours sur ce point.
Evidemment, il reste encore à faire ,et le gouvernement est déterminé, il est bien décidé à faire tout ce qu'il y a à faire dans les limites du possible.
Si donc nous ne nous rallions pas aujourd'hui à l'amendement de l'honorable M. Guillery, c'est parce que nous croyons qu'avant de demander une augmentation de crédit pour le service ordinaire de l'instruction primaire, il faut connaître les dépenses que les communes et les provinces pourront faire cette année.
Quand on veut la fin, il faut vouloir les moyens.
Nous avons à augmenter le nombre des instituteurs et des maisons d'école.
La discussion prouve que le gouvernement désire augmenter dans une juste proportion le nombre des membres du corps enseignant, et dans quelque temps, à une époque très rapprochée, le gouvernement viendra demander à la Chambre un nouveau crédit pour construction d'écoles.
Le million que la Chambre a bien voulu voler il y a, si je ne me trompe, deux ans...
M. Guillery. - En 1859.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - ... est à peu près épuisé, il ne reste plus que 60,000 fr. de disponibles, et même des engagements sont pris pour cette somme.
Messieurs, on ne voit pas d'après quelles bases il faudrait répartir l'augmentation de 667,000 fr.
L'honorable membre doit savoir que le gouvernement n'intervient pas directement en subsidiant des écoles communales.
L'instruction primaire est communale : la commune vote chaque année une certaine somme ; la province y ajoute au besoin un subside, et c'est lorsque les sommes votées par la commune et le subside accordé par la province sont insuffisants, que l'Etat intervient et il intervient très largement.
Or si la Chambre votait le crédit demandé par l'honorable M. Guillery , je ne pourrais lui donner l'assurance que ce crédit pourrait être utilement employé. Je ne sais pas ce qu'il faudra pour assurer le service de l’enseignement primaire en 1862 : les propositions des gouverneurs ne sont pas arrivées au département de l'intérieur.
M. Guillery. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ainsi donc on ignore quel sera le déficit du budget scolaire ; quels seront les besoins de ce service pour l'exercice 1862.
Du reste, messieurs, il me semblait que nous avions donné quelques garanties à cet égard que rien ne serait négligé ; dans les notes publiées à l'appui du budget de l'intérieur de 1862, il est annoncé que très probablement le gouvernement devra demander un crédit supplémentaire pour fournir des subsides aux communes et qu'il viendra le demander lorsqu'il aura le travail sous les yeux, lorsqu'il pourra savoir quelle est la somme nécessaire.
Messieurs, j'ai dit que la seconde chose à faire serait de construire des locaux d'école.
(page 838) (erratum, page 873) Dans la situation actuelle il faut, pour satisfaire aux besoins les plus urgents, créer 290 écoles dont 20 dans autant de communes dépourvues de tout moyen d'instruction.
La dépense à faire de ce chef est évaluée à 3,570,000 fr. pour construction et à 436,000 fr. par an, pour le service ordinaire. »
.Voilà donc la première dépense à faire.
Il me semble qu'il faut songer à donner d'abord à ceux qui n'ont rien ou presque rien.
Les communes qui n'ont pas de bâtiments d'école- ou qui n'en ont que de mauvais, doivent, avant tout, avoir leur part de la munificence du gouvernement.
Un grand nombre de bâtiments d'école doivent être mis en rapport avec les besoins modernes du service de l'enseignement primaire.
Des renseignements ont été demandés sur cette matière par mon honorable prédécesseur ; ils ne sont pas encore arrivés, mais il résulte des calculs faits sur les premières données transmises au département de l'intérieur, qu'il faudra encore faire dans le pays une dépense de 10 ou 17 millions pour que chaque commune ait le nombre de bonnes écoles nécessaires pour satisfaire à tous les besoins de l'enseignement public.
Le gouvernement, messieurs, comme je viens de le dire, n'est donc nullement opposé au développement de l'enseignement primaire.
Il est tout disposé à le seconder dans la mesure du possible ; toute la différence qu'il y a entre l'honorable M. Guillery et nous, c'est que nous voulons, nous, arriver au bout par une voie et lui par une autre.
Nous pensons qu'il faut d'abord augmenter le nombre des instituteurs, avoir un personnel suffisant ; nous pensons d'autre part qu'il faut avoir des bâtiments, des immeubles convenables et tout le matériel d'école nécessaire pour enseigner.
A ce double point de vue, le gouvernement a pris des engagements ; dans les notes explicatives à l'appui du budget, il a déclaré positivement qu'il viendrait demander à la Chambre le crédit supplémentaire nécessaire pour faire face à tous les besoins du service ordinaire de l'instruction primaire et, d'autre part, j'ai déclaré qu'à une époque rapprochée, dès que le besoin s'en fera sentir, nous demanderons un nouveau crédit spécial pour la construction de bâtiments d'école.
M. Goblet. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour constater que l'opposition de M. le ministre de l'intérieur à l'amendement de l'honorable M. Guillery n'est fondée sur aucun motif plausible, que l'on n'y oppose que des fins de non-recevoir, qui n'ont aucun caractère sérieux.
M. le ministre de l'intérieur, après avoir reconnu que la position des instituteurs est loin d'être convenable, après avoir reconnu qu'il faut améliorer cette position, a donné tous les arguments possibles pour démontrer qu'il ne fallait pas améliorer cette position.
Il a combattu les données statistiques qui prouvent l'ignorance d'une partie de nos populations ; il a cherché à prouver par des chiffres que les appointements des instituteurs communaux sont plus que suffisants et que la rémunération de leurs services était complète.
Mais, messieurs, avec un pareil système, jamais de la vie vous ne parviendrez à compléter l'organisation de notre instruction primaire ; s'il faut attendre, pour rémunérer convenablement les instituteurs, que des bâtiments d'écoles soient construits dans toutes les communes du pays, nous attendrons bien longtemps encore puisqu'il faudrait, paraît-il, dépenser 17 à 18 millions.
Messieurs, on établit ici une confusion de deux objets qui sont et doivent rester distincts : ces bâtiments d'école ont été agrandis, améliorés au moyen de crédits spéciaux qui ne figurent pas au budget annuel de dépenses ; les appointements des instituteurs et sous-instituteurs, au contraire, sont payés sur le budget annuel des dépenses. En proposant une augmentation de crédit pour mieux rémunérer les instituteurs et sous-instituteurs, nous ne préjugeons donc nullement ce qui doit être fait encore pour les bâtiments d'école ; ce sont là, je le répète, deux choses parfaitement distinctes et dont nous ne pouvons pas admettre la confusion.
Si l'instruction en Belgique laisse encore tant à désirer, si elle est si défectueuse, si incomplète, c'est, messieurs, parce que nos instituteurs communaux n'ont pas une position en rapport avec les services qu'ils sont appelés à rendre ; c'est parce que vous ne payez pas ces hommes qui consacrent leur vie à répandre les bienfaits de l'instruction. Les instituteurs communaux nous manquent actuellement, mais ils ne nous manqueront plus, soyez-en bien convaincus, le jour où ils seront rémunérés comme ils doivent l’être.
Il est évident, messieurs, que cette profession n’est pas une carrière ; M. le ministre de l’intérieur semble s’être appliqué à nous le prouver lui-même.
En effet, il nous a dit que la position de sous-instituteur n'est qu'une position d’attente, que les sous-instituteurs n'occupent qu'en attendant que l'occasion leur soit offerte d'en sortir. Ainsi, messieurs, de l'aveu même de M. le ministre de l'intérieur, les hommes qui ont étudié pour se livrer à l’enseignement public comprennent que ce n'est point pour eux une carrière où ils puissent vivre et ils n'acceptent d'y faire le premier pas qu'avec la perspective de l'abandonner le plus tôt possible.
Eh bien, messieurs-, cela ne doit pas être : il faut que le sous-instituteur ait la perspective de devenir instituteur à son tour.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela.
M. de Brouckere. - C'est ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur.
M. Goblet. - M. le ministre de l'intérieur a dit que la position de sous-instituteur n'était qu'une position d'attente, et il a ajouté que cette position était préférable à celle des jeunes gens qui entrent dans des maisons de commerce.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous m'avez mal compris.
M. Goblet. - Dans tous les cas vous avez dit que c'était une position d'attente.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, pour devenir instituteur.
M. Goblet. - Eh bien, si c'est une position d'attente, il faut rendre cette position tolérable, car il est impossible qu'un sous-instituteur vive avec les émoluments qu'on lui donne.
Je n'entrerai pas dans la discussion des chiffres de statistique qu'on a invoqués ; ces chiffres ne prouvent rien en fait, attendu que rien n'est plus facile que de tirer des chiffres telles inductions que l'on veut en faveur d'une thèse quelconque.
Mais une chose certaine, incontestable, c'est que, en Belgique, l'instruction primaire n'est pas assez répandue et que nous devons faire tous nos efforts pour la développer sérieusement, c'est-à-dire au moyen, non pas d'espérances, mais de secours effectifs.
Ainsi, je ne comprends pas comment M. le ministre de l'intérieur prétend qu'on ne saurait pas employer les 600,000 francs qu'on demande pour augmenter quelque peu les émoluments des instituteurs primaires.
Il est toujours facile, ce me semble, d'augmenter le traitement du fonctionnaires quand on a à sa disposition les fonds nécessaires. L'embarras n'existerait qu'à défaut d'allocations suffisantes ; or, c'est précisément pour cela, c'est précisément pour lever cette difficulté qu'une augmentation de crédit est proposée par amendement.
M. le ministre de l'intérieur nous annonce qu'il devra peut-être demander prochainement un crédit supplémentaire pour cet objet ; eh bien, messieurs, il pourra se soustraire à cette nécessité eu acceptant l'amendement proposé, et s'il reste un reliquat sur les 000,000 fr., personne, à coup sûr, ne songera à lui faire un crime d'avoir ajourné à l’exercice prochain l'application de ce reliquat.
L'amendement, messieurs, a été inspiré par une pensée éminemment libérale, car plus vous aurez de bons instituteurs (et pour cela il faut les rétribuer convenablement), moins vous aurez à recourir à des institutions privées, qui n'offrent pas les mêmes garanties, pour donner l’enseignement primaire dans toutes les communes.
J'exprime donc le vif désir que l'amendement soit adopté, et je dois le dire, je regrette bien sincèrement que M. le ministre de l'intérieur le combatte ; l'opposition qu'il y fait en rend l'adoption très douteuse, car M. le ministre trouvera un appui unanime de la part de nos adversaires de la droite.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !
M. Guillery. - Les membres qui demandent que l'on aille aux voix n'ont probablement pas entendu M. le ministre de l'intérieur me demander une explication ; et je crois qu'il est convenable que je la lui donne.
M. le ministre de l'intérieur m'a demandé comment j'entendais que l'on appliquât l'augmentation de crédit que je propose.
Ma réponse, messieurs, sera très simple : il faudra appliquer les 600,000 francs que je demande exactement comme on applique le chiffre de 1,500,000 fr. proposé par le gouvernement. Il faut suivre, à cet égard, les règles tracées dans le premier rapport triennal déposé par l’honorable (page 839) M. de Theux ; sous toutes réserves, cependant, de discuter les différents systèmes défendus par le gouvernement et par d’honorable collègues, sur l’application de l’article de la loi.
Mais quel que soit celui de ces systèmes que l’on suive, il est évident qu’on pourra employer les 600,000 fr. Et d’ailleurs, je m’étonne de la question que me fait M. le ministre de l’intérieur, car il ne sait pas lui-même, à l’heure qu’il est, comment il répartira la somme qui figure au projet de budget.
De part et d'autre donc, l’embarras sera le même, si embarras il y a. Nous voyons dans les notes explicatives du budget de l'intérieur, que le gouvernement ne sait pas à l'heure qu'il est, bien que nous ayons déjà commencé l'exercice 1862 et que, contrairement à la loi de comptabilité nous votons seulement maintenant le budget de cet exercice, le gouvernement ne sait pas, dis-je, comment il répartira la somme de 1,500,000 fr. qu'il nous demande.
Il ne doit donc pas s'étonner que je ne sache pas comment il pourrait répartir l'augmentation que j'indique ; je ne suis évidemment pas en position d'en savoir plus que M. le ministre sous ce rapport. Mais il me semble qu'on pourrait la répartir entre les communes dont les ressources sont insuffisantes pour assurer aux instituteurs primaires non pas un traitement convenable, mais un traitement un peu moins insuffisant que celui qu'ils ont aujourd'hui ; et cette répartition se ferait en suivant la jurisprudence qui a été suivie jusqu'à présent ; c'est-à-dire que là, par exemple, où l'on donnait cent francs on en donnerait 200 ou 300 : ce ne serait pas plus difficile que cela.
Je ne crois donc pas que l'adoption de mon amendement puisse causer une bien grande perturbation au département de l'intérieur : l'administration y est trop éclairée, trop intelligente pour qu'elle puisse être embarrassée de trouver l'application des 600,000 francs que je propose.
Mais, nous dit M. le ministre de l'intérieur, on a déjà fait beaucoup de dépenses pour l'instruction primaire, et à cet égard il a bien voulu répéter ce que j'avais dit hier.
Et puis, il y a encore une autre objection : Vous commencez par la fin, me dit-on. Avant de proposer une augmentation pour les instituteurs primaires, il aurait fallu satisfaire à tout ce qui est exigé pour la construction de maisons d'école.
Eh bien, messieurs, si lorsque le gouvernement est venu, en 1856, demander une augmentation du crédit affecté à l'instruction primaire afin de porter les traitements des instituteurs à 500 francs ; si lorsque le gouvernement est venu, en 1858, proposer de porter ce chiffre d'un million à 1,500,000 fr., ou avait répondu à M. le ministre de l'intérieur comme il me répond aujourd'hui, il est probable qu'il se serait levé et qu'il aurait répondu : Il faut encore 18 millions pour satisfaire à ce qui est exigé pour les maisons d'école, mais si vous voulez que les instituteurs attendent que ces 18 millions soient votés et dépensés avant qu'on songe à améliorer leur position, c'est leur demander d'attendre beaucoup trop longtemps.
Cet argument revient à dire ; Comme nous ne pouvons pas guérir tous les maux, nous ne devons en guérir aucun ; comme nous ne pouvons pas d'un coup de baguette faire sortir 18 millions pour construire les maisons d'école, nous ne devons pas nous occuper des instituteurs. Pour moi, je crois qu'on pourrait très bien affecter 18 millions à cet objet ; dût-on contracter un emprunt de ce chef, je crois qu'il serait à sa place, et serait même populaire.
Je voudrais voir construire moins de forteresses et un peu plus de maisons d'école, le pays s'en trouverait fort bien ; les maisons d'école sont des forteresses contre notre plus grand ennemi, contre un ennemi qui ne fait pas de trêve, qui ne reconnaît pas de neutralité, qui met sur les dents notre gendarmerie, nos procureurs du roi et nos procureurs généraux, car nous sommes incapables de réprimer les crimes qui vont croissant.
Je voterais un emprunt, quelque considérable qu'il fût, pour pousser cette guerre à toute outrance. Si M. le ministre de l'intérieur est convaincu qu'il faut 18 millions pour construire les maisons d'école dans toute la Belgique, ce qu'il a de mieux à faire, c'est de présenter une demande de crédit de ce chef, dût-on recourir à l'emprunt.
Je le répète : l'argument revient à dire : Comme nous ne pouvons pas guérir tous les maux, nous ne devons en guérir aucun. Si on ne peut pas construire des maisons d'école partout, ce n'est pas une raison pour ne pas améliorer la situation des instituteurs. Si je n'ai pas parlé des maisons d'école, il y a une bonne raison pour cela, la Chambre en 1851 a voté pour cet objet un crédit d'un million.
Ce million a été reparti de manière à pousser les communes à faire des sacrifices pour cet objet ; un nouveau million a été voté en 1859, il n’est pas épuisé, c'est-à-dire que faute du concours des communes, le gouvernement n'a pas épuisé le crédit ; il n'y a donc rien à accorder de ce chef quant à présent ; quand le million sera épuisé, c'est par un crédit spécial qu'on devra pourvoir à la construction de maisons d'école.
Du reste, si vous voulez augmenter le crédit alloué au budget (150,000 francs) pour cet objet,je ne m'y opposerai pas.
Outre les vices de forme que le ministre trouve dans mon amendement, outre l'embarras qu'il éprouve pour dépenser les 600,000 fr. (on voit qu'il n'en est pas du ministère de l'intérieur, comme du ministère de la guerre), il a un autre motif, c'est que les instituteurs ne sont pas trop mal payés, ils ont un traitement qui, en moyenne, va jusqu'à 843 fr. et ils exercent des fonctions accessoires, d'un produit moyen de 243 fr., c'est le chiffre que j'avais cité hier.
Un tiers jouit de cette faveur, pour eux la moyenne s'élève à plus de mille francs, ce qui n'empêche pas qu'il s'agit d'une moyenne générale et que dans le Luxembourg la moyenne n'est que de 060 fr.
Il ne s'agit que d'un tiers des instituteurs, pour les deux autres tiers le traitement moyen est de 843 fr. ; et ceux qui ont le minimum se consolent fort peu de voir ceux qui ont le maximum ou le chiffre de la moyenne dans les statistiques.
A la demande de M. le ministre dans quelle carrière, sans faire de stage, des jeunes gens obtiennent-ils un traitement égal à celui des instituteurs, j'ai répondu : Les élèves de l'école militaire. Après deux ans ils ont un traitement, passent à l'école d'application et, sans avoir fait aucune espèce de stage, entrent dans l'armée.
Des jeunes gens diplômés nommés instituteurs après avoir fait preuve de capacité sont bien en droit d'avoir la position qu'on leur fait.
Puisqu'on a parlé de commerçants (et d'autres carrières), je demanderai à M. le ministre dans quelle carrière la moyenne des traitements est de 843 francs, Un chef de station de chemin de fer dans l'endroit où ils sont le moins payés, a un minimum de 1,200 fr.
Il est de plus, logé, chauffé, éclairé ; on ne me dira pas que le traitement soit exorbitant, et cependant, un instituteur qui a une fonction bien plus importante, qui a le soin de former les populations, de leur apprendre les principes de morale, d'honnêteté, de leur enseigner ce que doit être un homme, de leur former le cœur aussi bien que l'esprit ; celui qui est chargé d'une si haute mission reçoit moins, et vous dites qu'il est bien rétribué.
J'ai demandé à un commissionnaire de Bruxelles combien il donne à ses camionneurs ; il m'a répondu qu'il leur donnait 900 fr. par an et qu'à cela il fallait ajouter 300 fr. de pourboire, ce qui fait 1,200 fr. pouf conduire une charrette ; s'il conduisait une école, il aurait beaucoup moins.
Est-ce que celui qui est chargé de l'éducation des populations, de leur moralisation, n’a pas une importance incontestablement plus grande ?
Vous chargez les instituteurs de représenter l'intérêt le plus précieux de l'Etat et vous les trouvez assez payés avec un traitement de 600 à 700 fr. Dans un pays civilisé, la plus belle maison devrait être la maison d'école ; le fonctionnaire le mieux rétribué, l'instituteur.
Je demande quel est le fonctionnaire qui doit avoir sur l'esprit des populations, sur notre avenir comme nation, une aussi haute influence que l'instituteur.
Quel est celui dont l'inaptitude et l'ignorance peut avoir de plus graves conséquences pour l'avenir de la Belgique ? Si vous croyez que les instituteurs sont les fonctionnaires les plus importants, faisons dans un pays libre ce qu'on fait en Prusse, pays qui ne l'est pas.
Là on a réalisé l'hypothèse dont je parlais tout à l'heure, l'on y voit que la plus belle maison de la commune est la maison d'école : là pas un enfant ne peut être dispensé d'aller à l'école sous aucun prétexte.
En Belgique, contestez tant que vous voudrez vos statistiques, ce qui est incontestable c'est que l’enseignement n'est pas encore possible ; on n'offre pas à tous les enfants les moyens de recevoir l'enseignement ; il n'est pas possible de donner l'enseignement primaire à tous ceux qui veulent l'obtenir.
Pour moi ce n'est pas un Etat civilisé que celui où l'instruction n'est pas possible pour tout le monde, où à celui qui vient dire : Je voudrais que mon fils allât à l'école, on répond ; Non, nous n'avons pas de place pour vous.
Je ne comprends pas comment on peut s'endormir sur un intérêt aussi grand que celui qu'a la société à détruire l'ignorance.
M. le ministre a dit que les statistiques se font mal ; eh bien, il pourrait économiser sur son budget eu supprimant les statistiques qui se font d'une manière si volumineuse et si coûteuse.
Mais enfin, admettez que, dans le Hainaut, tout le monde se soit trompé, (page 840) que la députation permanente se trompe, que les administrations communales se trompent, admettez que la commission d'enquête nommée par M, le ministre de l'intérieur pour constater l'état de la classe ouvrière, se soit trompée ; qu'il n'y ait pas 42 p. c, d'ignorance complète, d'ignorance crasse dans le Hainaut.
Admettez tout cela, une chose que vous ne pouvez contester, c'est qu'à l'heure qu'il est, l'enseignement n'est pas organisé en Belgique.
J'avoue que mon amendement ne donne pas les moyens de l'organiser complètement ; mais je demande à apporter une pierre à l'édifice que vous avez déjà construit en grande partie. Car notez, et j'ai eu soin d'établir mon amendement sur ce terrain, que je n'ai pas la prétention d'apporter une idée nouvelle, de contredire le gouvernement ; je viens au contraire demander au gouvernement et à la Chambre de continuer ce qu'on a parfaitement et généreusement commencé. Je demande qu'on ne s'arrête pas, qu'on ne s'endorme pas sur des intérêts pressants.
Messieurs, lorsqu'il y a un incendie dans un village, chacun abandonne ses occupations, chacun quitte son champ et court au feu. On crie : au feu ! Moi, je demande qu'on crie : à l'ignorance ! Ceux qui ne vont pas au secours de leur voisin par générosité, y vont par intérêt, parce qu'ils savent que, la maison de leur voisin étant brûlée, la leur peut brûler aussi.
Je demande donc qu'on crie à l'ignorance, qu'on déclare la guerre à l'ignorance en Belgique, qu'on lève des troupes, qu'on vote des fonds pour combattre cet ennemi mortel, qui finira par nous battre si nous ne le battons pas.
Messieurs, l'état de l'instruction primaire en Belgique, je le disais, est déplorable. L'enseignement primaire, à l'heure qu'il est, n'est pas organisé, et je vais vous le prouver en peu de mots.
La ville de Bruxelles qui, je crois, est de toutes les villes du royaume, sans vouloir critiquer les autres, celle qui fait le plus pour l'enseignement primaire, n'en est pas encore arrivée, à l'heure qu'il est, à avoir satisfait d'une manière complète à ses obligations.
Elle y arrivera, j'en suis convaincu, au 1er janvier de l'année prochaine, parce qu'elle va créer une septième école, et elle va porter de ce chef au prochain budget la dépense pour l'enseignement primaire à 137,300 fr.
Voilà ce que coûte l'enseignement primaire à la ville de Bruxelles qui ne reçoit de subside, ni de l'Etat, ni de la province. Eh bien, malgré les efforts persévérants d'une administration intelligente et énergique, c'est seulement l'année prochaine qu'on arrivera à suffire aux besoins de l'enseignement primaire.
Et notez que nous ne sommes pas encore à discuter la question de l'enseignement obligatoire. Nous demandons à la liberté de faire ce qu'elle peut. Quant à moi, je le déclare, je ne suis pas partisan de l'enseignement obligatoire ; je ne suis pas aussi avancé que M. le ministre des affaires étrangères. Mais, quelle que soit l'opinion que l'on a sur ce point, je dirai aux partisans de l'enseignement obligatoire comme je dirai aux autres : Attendez au moins que la liberté ait fait tout ce qu'elle peut faire et si vous me prouvez l'impuissance de la liberté, je chercherai avec vous les moyens d'arriver au but par la contrainte, s'il le faut. Nous verrons seulement alors si l’enseignement obligatoire peut devenir nécessaire.
Mais, d'après l'expérience faite à Bruxelles, je crois que l'on peut tout espérer de la liberté. Car, à l'heure qu'il est, il n'y a plus dans cette ville que 1,551 enfants qui ne fréquentent pas les écoles ,et parmi ces enfants, il y en a qui ne peuvent les fréquenter, soit parce qu'ils sont malades, soit parce qu'ils sont indispensables dans leur famille.
On peut donc espérer que, l'année prochaine, le nombre d'enfants qui ne fréquentent pas les écoles, sera tellement réduit qu'il n'y aura pas, pour ainsi dire, de refus de fréquentation.
Le nombre des enfants qui ne fréquentent pas les écoles, parce qu'ils sont vagabonds, est presque imperceptible. En revanche le nombre des enfants qui fréquentent les écoles primaires de la ville est aujourd'hui de 6,575. Il était en 1850 de 3,600 seulement.
Et je dirai en réponse à l'honorable M. de Haerne : Ne croyez pas que ce développement de l'enseignement primaire à Bruxelles, ait gêné en quoi que soit la liberté d'enseignement, pas plus que les 5 millions votés par la ville de New-York pour le développement de cet enseignement primaire n'empêchent en quoi que ce soit le développement de l'enseignement libre dans cette ville où les écoles privées sont innombrables.
A Bruxelles, à côté des six écoles de la ville qui reçoivent 6,575 élèves, se trouvent soixante-six écoles privées.
M. de Mérode-Westerloo. - Tant mieux !
M. Guillery. - Tant mieux, certainement. Quant à moi, je désire que l'enseignement privé se développe côte à côte avec l'enseignement de la commune, avec l'enseignement de l'Etat. J'irai même plus loin, et je ne dis pas ceci pour les besoins de la cause ; c'est chez moi une conviction très ancienne, que j'ai exprimée publiquement depuis longtemps pour moi, l'enseignement de l'Etat n'est nécessaire, que comme subsidiaire à l'enseignement privé. J'accepte parfaitement l’article 2 de la loi de 1842. Je dis que quand il est satisfait aux besoins de l'enseignement par les particuliers, l'Etat n'a plus rien à faire.
Si les écoles privées pouvaient se développer assez à Bruxelles, an point de donner satisfaction aux besoins de l'enseignement, si tous les enfants pouvaient y recevoir un enseignement convenable, un enseignement qui ne blessât les convictions de personne, je conseillerais à la ville de Bruxelles d'économiser 157,300 fr. par an, et je crois qu'elle s’empresserait d'accepter ce cadeau.
Mais tant qu'il n'y aura pas un enseignement privé complet, il faut que l'Etat, il faut que le gouvernement, il faut que la société s'empresse de guérir l'un des maux les plus grands dont la société soit menacée.
Je vous disais, messieurs, quels ont été, dans la ville de Bruxelles, les efforts qui ont été faits pour arriver au développement de l'enseignement primaire, ce qu'il a fallu de temps pour y arriver, quelles sommes considérables il faut y consacrer et j'ai démontré que l'enseignement privé s'est développé en même temps que l’enseignement communal.
Il y a, je le répète, 66 écoles privées, parmi lesquelles se trouvent 53 écoles laïques et 13 écoles appartenant à des corporations religieuses ; et le nombre des enfants qui fréquentent les écoles privées est plus considérable que le nombre de ceux qui fréquentent les écoles de la ville. Il est de 7,644, c'est-à-dire 1,100 de plus que le nombre des enfants qui fréquentent les écoles de la ville.
Savez-vous, messieurs, comment la ville de Bruxelles, qui regrette souvent de ne pouvoir rétribuer convenablement les services rendus, entend la position des instituteurs, et comment elle a obtenu les hommes distingués placés à la tête de ces établissements qui peuvent servir de modèle à toutes les écoles du monde ? Car les écoles de Bruxelles, et je vous engage, messieurs, à les visiter, peuvent servir d'exemple à toutes les écoles primaires possibles.
Vous y verrez ce que c'est qu'un véritable enseignement primaire, c'est-à-dire l'enseignement où l'éducation est plus soignée encore que l'instruction, où l'on s'applique à former le cœur en même temps que l'esprit des enfants, et où l'on voit déjà à leur attitude, à leur manière d'être, combien les bienfaits de l'enseignement ont agi sur eux, et ce que le pays peut attendre d'une classe ouvrière élevée de la sorte.
Eh bien, Bruxelles a suivi les principes d'économie politique ; elle a cru que, pour avoir de bons instituteurs, il fallait les payer. Un chef d'école primaire a 2,200 fr. de traitement, plus 800 fr. du chef de l'école du soir, qui est jointe à l'école primaire ; grand bienfait encore pour le peuple que ces écoles du soir où on lui explique les principes qui doivent les guider, où l'on dissipe devant eux ces préjugés qui ont été si souvent la cause des révolutions et des dérèglements de la classe ouvrière.
Cela fait 3,000 fr. De plus, ils ont le logement, le chauffage, l'éclairage ; cela fait une place d'environ 4,000 fr.
Le premier instituteur a 1,200 ou 1,400 fr. plus 600 ce qui fait une place de 1,800 ou 2,000 fr.
Le troisième instituteur, celui qui a le moins, touche 800 ou 1,000 fr. et 400 ce qui fait 1,200 ou 1,400 fr., et comme le disait tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur, le troisième instituteur est destiné à devenir deuxième et premier ; mais ici il trouve l'avenir dans sa profession, et cela doit être car l'instituteur n'est pas destiné à devenir professeur de l'enseignement moyen ; quand cela arrive, c'est une exception.
Mais ce qu'il faut, c'est que la profession d'instituteur devienne une véritable carrière, parce que l'enseignement primaire doit être complet par lui-même.
L'enseignement primaire n'est pas une préparation à l'enseignement moyen ; l'enseignement primaire doit donner au peuple tout ce qui est nécessaire au peuple, tout ce que le peuple peut recevoir des mains de la science.
Voilà, messieurs, la position, voilà les sacrifices qu'il faut faire, et je ne vois pas, lorsque la ville de Bruxelles, sans subsides, parvient à remplir ses obligations, pourquoi l'Etat ne remplirait pas les siennes.
On dit que le gouvernement serait embarrassé de répartir les subsides ; pour moi on les répartira comme on le voudra, mais au moins que l'Etat fasse tout ce qu'il peut pour donner une position convenable à des fonctionnaires aussi importants que les instituteurs.
L'honorable M. de Haerne croit que l'intervention de l'Etat va trop loin, et il conteste ce que j'ai dit des Etats-Unis.
J'en suis vraiment très étonné, car l'honorable membre peut voir partout qu'aux Etats-Unis, où le gouvernement n'intervient dans aucune (page 841) branche de l'activité humaine, il intervient exceptionnellement dans l'instruction primaire.
Il le trouvera dans l'ouvrage de M. La Boulaye, intitulé Histoire politique des Etats-Unis.
Il le trouvera encore dans le discours prononcé par lord Padington, dans une société qui a pour but de propager l’enseignement primaire. L'orateur constate la situation de l’enseignement primaire aux Etats-Unis en 1855. (Interruption.)
Voulez-vous une autorité plus concluante encore ? Je dirai qu'en Suisse où, certes l'esprit communal est bien développé, où la décentralisation est poussée très loin, qu'en Suisse la plupart des constitutions imposent à l'Etat le devoir d'intervenir dans l'enseignement.
M. de Haerne. - En Suisse, c'est parfaitement exact.
M. Guillery. - Vous en trouverez la preuve dans la Constitution du canton de Zurich, article 20 ; dans la constitution du canton de Berne, article 81 ; dans la constitution du canton de Fribourg, article 95, etc., etc.
En Hollande, messieurs, la commune intervient plus qu'en Belgique.
M. Guillery. - J'en félicite beaucoup la Hollande et si vous avez le moyen d'amener les communes belges à intervenir davantage, je ne demande pas mieux. Mais je crois que le meilleur moyen d'obtenir ce résultat, c'est que l'Etat donne l'exemple d'une intervention plus large.
Je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. de Haerne, que plus l'Etat interviendra, plus les communes s'abstiendront. Tous les renseignements que le gouvernement nous a fournis prouvent que les subventions des communes ont augmenté depuis 1842, tout comme les subventions de l'Etat.
Du reste, messieurs, s'il était vrai que nous ne pouvons forcer les communes (et c'est vous, messieurs de la droite, qui ne vouliez pas, en 1842, admettre le minimum de 200 francs pour ne pas grever les communes) si nous ne pouvions pas amener les communes à faire de plus grands sacrifices, je ne voudrais pas, pour une question de budget, pour la question de savoir jusqu'à quel point la commune doit intervenir, jusqu'à quel point l’Etat ou la province doivent intervenir, je ne voudrais pas, pour de semblables questions, laisser subsister l'ignorance.
Que la commune le fasse ou que l'Etat le fasse, l'essentiel, c'est qu'on agisse et alors même que vous auriez dépensé 18 millions pour vos écoles, alors même que vous auriez des écoles dans tous les villages, il n'y aurait encore rien de fait si vous n'aviez pas des instituteurs capables.
Or, si vous voulez avoir des instituteurs capables, il faut les placer dans une position convenable. Je ne veux pas défendre des idées trop matérielles, mais personne ne contestera que la position qu'on fait à un homme, l'aisance dans laquelle il se trouve n'influent sur les égards dont il est entouré et sur ses propres sentiments.
Si vous demandez à un homme des sentiments élevés, une instruction sérieuse, il ne faut pas le payer moins qu'un maçon. Si vous voulez qu'il enseigne au peuple comment il doit se conduire et qu'il dissipe les préjugés, il faut au moins lui donner comme perspective un traitement égal à celui qu'il aurait en conduisant une charrette dans la ville de Bruxelles.
Je disais, messieurs, que suivant moi il faut courir à l’instruction primaire comme on court à l'incendie.
L'enseignement primaire n'est pas organisé. Mon amendement ne l'organisera pas, sous ce rapport M. le ministre de l'intérieur a parfaitement raison ; c'est un effort incomplet, ce sera la continuation de ce qui a été fait ; mais si vous trouvez que ce n'est pas assez, complétez la mesure ; je m'associerai à tous les développements que vous y donnerez.
Les plus intéressés à l'extension de l'enseignement primaire sont précisément ceux qui sont animés d'idées conservatrices. Si vous voulez conserver, prenez pour vous défendre, pour défendre les propriétés, pour défendre les personnes, un moyen beaucoup plus énergique, beaucoup plus efficace que tous les moyens de répression : la civilisation et l'instruction du peuple. Si vous ne le faisiez pas par équité, vous devriez le faire par prudence et puisque nous avons parlé des Etats-Unis, je dirai qu'en 1832 on fit une enquête dans un Etat où j'espère que les statistiques sont mieux faites qu'en Belgique.
Il s'agit de l'Etat du Massachussets.
Eh bien, messieurs, voici ce que je trouve dans l'ouvrage de M. Laboulaye :
« Je trouve dans un rappel de 1832 que, sur cent communes du Massachussets donnant à peu près deux cent mille habitants, on n'avait trouvé, parmi les jeunes gens de 14 à 20 ans, que dix personnes qui ne savaient pas lire. »
Il faut avouer, messieurs, que nous n'en sommes pas encore là. Nous avons cependant à nos portes la Prusse où l'enseignement primaire est extrêmement répandu, et j'ai pu en juger par moi-même, quand au milieu d'une nombreuse classe ouvrière, je n'ai pas trouvé un seul homme qui ne sût pas lire et écrire, la Prusse où l'enseignement moral marche de pair avec la lecture et l’écriture qui ne sont en définitive que des instruments.
Si nous ne sommes pas à même d'en arriver au point où en sont la Prusse et les Etats-Unis, si nous ne pouvons pas espérer d'y arriver bientôt, tâchons au moins de marcher plus vite que n'avons marché depuis 32 ans.
Après 32 ans d'indépendance et de liberté, la Belgique en est encore à constater dans les statistiques officielles qu'on livre à l'admiration du pays et de l'étranger, qu'on fuit imprimer avec un très grand luxe, à constater qu'on trouve 42 p. c. d'ignorance dans la province de Hainaut.
Eh bien, messieurs, pour moi c'est le plus grand danger social qui puisse exister. Il faut, non seulement, remédier à ce mal par l'enseignement primaire, mais il y aurait plusieurs réformes à faire marcher de front.
Il y aurait, par exemple, la réforme des lois sur les manufactures, limiter les heures de travail des enfants dans les manufactures, réforme urgente, réclamée par tous les hommes compétents et dont le gouvernement a constaté l'urgence en publiant les procès-verbaux de la commission d'enquête qu'avait nommée l'honorable M. de Decker.
En combinant le travail des enfants dans les manufactures avec l'enseignement primaire, on pourrait arriver à une sorte de contrainte indirecte, salutaire et toute bienveillante pour obtenir la fréquentation des écoles. On généraliserait ce qui se fait déjà dans beaucoup d'établissements.
La réforme des lois sur le travail dans les manufactures, la création de maisons d'ouvriers, le développement de l'enseignement primaire, voilà, selon moi, les objets les plus urgents dont nous ayons à nous occuper.
Les idées libérales, comme les idées catholiques, les idées progressistes, comme les idées conservatrices devraient toutes se rencontrer sur ce terrain.
Messieurs, les questions sociales qui sont agitées dans le monde ne sont pas résolues à l'heure qu'il est.
Personne ne prétendra, je pense, qu'elles le soient. Elle reviendront à l'ordre du jour, elles seront de nouveau discutées, Je fais des vœux, dans l'intérêt de mon pays, dans l'intérêt de la société, pour que le jour où elles arriveront au sein des masses, les masses soient assez éclairées pour les apprécier et les résoudre, conformément à leur intérêt, conformément à l'intérêt de la société.
Tant que la grande révolution de 1789, après que la vieille société eut déposé son bilan, tant que la grande révolution de 1789, tant que ce grand mouvement de progrès est resté concentré dans les classes éclairées, il est demeuré noble, calme et possible ; mais le jour où il est descendu dans les masses qu'on avait laissées dans l'ignorance, ces masses ont fait payer cher à leurs maîtres de la veille le dédain qu'ils avaient eu pour leurs intérêts, pour leur instruction.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, il est 5 heures ; je désire présenter quelques observations demain. Je demande que la Chambre décide qu’elle continuera demain la discussion du budget de l’intérieur, et qu’elle ne s’occupera pas de pétitions.
- La proposition de M. le ministre des finances est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 5 heures.