(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 599) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Maru demande que le gouvernement modifie les conditions auxquelles se trouve subordonnée l'autorisation, pour les employés de la douane et les commis des accises, de contracter mariage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des commerçants, industriels et cultivateurs à Saint-Génois demandent l'établissement d'un bureau de distribution de poste en cette commune, en attendant que deux facteurs soient chargés de distribuer les lettres à domicile. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Aerschot demandent qu'il soit pris des mesures pour que toutes les fournitures à faire aux administrations de cette ville soient mises en adjudication publique. »
- Même renvoi.
« Le sieur Normant demande la révision de la loi du 23 ventôse an XI sur le notariat. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Mespelaere demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »
« Même demande des conseils communaux d'Audegem, d'Amougies, de Baelen. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Hoeylaert demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »
« Même demande des administrations communales de Denderbelle, de Putte et d'Assche. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Bruxelles demande que le gouvernement soit mis à même de racheter la concession de péages sur le pont du la rue des Palais, dans la commune de Schaerbeek. »
- Même renvoi.
« Le sieur Franck propose des mesures pour assurer la perception d'un droit de timbre sur les reçus ou quittances. »
- Même renvoi.
« Le sieur Teller demande qu'un fonctionnaire de l'Etat soit admis à faire valoir ses droits à la pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Denaeyer, blessé de 1830, demande une récompense honorifique. »
- Même renvoi.
« Le sieur De Hauter-Depresseur appelle l'attention de la Chambre sur la participation d'un commissaire d'arrondissement à l'administration de sociétés industrielles, contrairement à l'arrêté royal du 30 juin 1846. »
- Même renvoi.
« Quelques officiers des anciens régiments de réserve demandent qu'il soit donné suite à leurs réclamations contre un arrêté du 6 décembre 1839. »
- Même renvoi.
Il est procédé au tirage au sort des sections pour le mois de février 1862.
M. de Renesse (pour une motion d’ordre). - Avant de continuer la discussion générale du budget de l’intérieur, je crois, dans l’intérêt d’accélérer les travaux de la Chambre, devoir faire une proposition à la Chambre, par une motion d’ordre que je demande à développer en peu de mots.
Cette motion est ainsi conçue :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de vouloir clore la discussion politique nouvelle qui vient de surgira l’occasion de la nomination des bourgmestre et échevins, et mettre un terme à ces questions de personnes et de passer à la discussion réelle du budget de l'intérieur. »
Messieurs, si je crois devoir demander la parole, ce n'est pas pour prendre part à la discussion politique actuelle ; elle me paraît, au contraire, avoir été assez longue, surtout, après une première discussion politique, sur l'adresse en réponse au discours du Trône.
L'on pouvait, raisonnablement, supposer qu'après cette discussion politique, qui a duré près d'un mois, que la Chambre s'empresserait de récupérer le temps perdu, et que l'on s'occuperait des affaires réelles du pays.
Il me semble qu'il n'en est pas ainsi, puisque nous sommes à la troisième ou quatrième discussion politique, et si l'on doit continuer de pareilles discussions, nous userons un temps considérable, à employer plus utilement.
En effet, nous avons encore à voter trois budgets très importants de l'année courante, et dans un mois, lorsque le gouvernement devra nous soumettre les nouveaux budgets pour 1863, nous aurons, probablement, à peine terminé ceux de cette année.
Quant à moi, en ma qualité de l'un des plus anciens membres de cette Chambre, je crois devoir demander que la Chambre veuille bien s'occuper immédiatement des véritables intérêts du pays, plutôt que des affaires de parti. En ceci, je remplis consciencieusement mon mandat parlementaire ; et si les électeurs nous ont envoyés ici, c'est pour nous occuper sérieusement et plus activement des affaires du pays, de l'amélioration à introduire dans nos lois, et non pas pour discuter dans le vague, pour savoir si tel homme politique, ou plutôt tel autre, doit être assis au banc ministériel.
Déjà nous gaspillons un temps précieux en motions et en discussions plus ou moins oiseuses, et en ne commençant presque tous les jours nos séances publiques que vers 2 1/2 heures de l'après-dînée, nous avons à peine deux heures et demie de séance.
Autrefois, les travaux des sections étaient plus activés, l'on commençait de 10 à 11 heures, et ensuite les séances publiques pouvaient avoir lieu de midi à 1 heure.
De ce retard des travaux en section et de la séance publique, il résulte nécessairement que nos sessions législatives durent beaucoup trop longtemps, et qu'elles deviennent parfois stériles pour les véritables intérêts de la nation, par suite des longues discussions politiques successives.
Je ne veux pas assumer ma part de responsabilité de l'état actuel des choses qui finirait, s'il devait être continué, par dégoûter de la vie parlementaire tout homme indépendant de caractère et de position, et nuirait, surtout à la considération du parlement belge. J'ose donc proposer à la Chambre de vouloir clore cette nouvelle discussion politique, déjà trop longue, et de vouloir passer à l'examen réel du budget de l'intérieur ; j'adjure tous nos honorables collègues qui partagent, sous ce rapport, mon opinion, plutôt (erratum, page 617) bien me seconder pour mettre un terme à ces continuelles discussions politiques, et demander avec moi que la Chambre s'occupe, plutôt, des véritables grands intérêts du pays que de ceux des partis, et que l’on passe immédiatement à l'examen réel du budget de l'intérieur.
- La proposition de M. de Renesse est appuyée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je rends hommage aux excellentes intentions de l'honorable M. de Renesse ; je crois, comme lui, que le pays ne voit pas avec plaisir cette discussion, surtout dans les proportions mesquines qu'elle a prises depuis quelques jours.
Si la proposition de clore émanait d'un membre de la droite, je l'accepterais avec empressement, mais il n'est pas possible d'enlever, par un vote de majorité, à l'opposition le droit d'interpeller le ministère quand et comme elle l'entend. C'est pour ce motif que je crois devoir déclarer, au nom du gouvernement, que nous ne nous rallions pas à la motion d'ordre de notre honorable collègue de la gauche.
M. Vander Donckt. - Très bien !
M. le président. - La parole est à M. Wasseige.
M. Wasseige. - Je n'ai rien à ajouter à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur.
M. de Renesse. - L'on ne peut disconvenir que, dans le pays, l'on ne voit pas avec satisfaction ces longues discussions politiques continues, et souvent toutes personnelles, qui empêchent que la Chambre ne puisse s'occuper des affaires réelles du pays, d'examiner les projets de loi à l'ordre du jour depuis longtemps, au lieu de les ajourner continuellement, par suite de ces discussions politiques.
(page 600) D'après l’observation que l'honorable ministre de l'intérieur vient de présenter à la Chambre, je consens à retirer, pour le moment, ma motion d'ordre.
M. le président. - La proposition est retirée. Nous reprenons la discussion du budget de l'intérieur.
M. Wasseige. - Messieurs, en répondant au discours que j'ai eu l'honneur de prononcer dans la séance de jeudi dernier, l'honorable M. de Moor a cherché à détourner complètement la question ; il s'est fort peu ému des griefs que je reprochais au cabinet au sujet de la nomination de certains bourgmestres ; il s'est fort peu préoccupé de justifier cette nomination, mais il s'est fait lui-même accusateur. Au lieu de défendre l'acte que je blâmais, il s'est borné à faire la guerre au curé Hart, à l’institutrice de Vencimont et au commissaire de l'arrondissement de Dinant ; si ce n'était pas plus logique, c'était au moins beaucoup plus facile.
Lorsque j'ai blâmé la nomination faite par le gouvernement dans la commune de Vencimont, je me suis exprimé franchement sur un cas de responsabilité ministérielle que je voulais vous soumettre et pour l'appréciation duquel vous étiez parfaitement compétents.
Lorsque, pour vous aider à apprécier ce fait, j'ai cité des noms propres, il s'agissait de fonctionnaires publics, et j'ai cité en même temps des faits précis et catégoriques, et j'ai appuyé mes dires de pièces authentiques et officielles. J'ai dû le faire ainsi, parce que je ne pouvais pas faire apprécier l'acte que je blâmais, autrement qu'en mettant en cause l'individu en faveur duquel l'acte avait été posé.
L'honorable M. de Moor a agi tout autrement. Il s'est fort peu occupé des justes reproches que j'avais adressés au ministre de l'intérieur ; il a même passé assez légèrement condamnation à propos de la nomination du bourgmestre de Vencimont, coupable tout au plus d'imprudence, ce sont les propres paroles de mon honorable contradicteur.
Il a lit que cet homme jeune, ardent, vigoureux, libéral était arrivé dans la commune pour lutter contre l'influence du curé.
M. de Moor. - J'aurais dû ajouter « capable ».
M. Wasseige. - Qu'il avait lutté vigoureusement et qu'il avait vaincu.
Il est facile de vaincre, messieurs, lorsqu'on est si peu délicat sur le choix des armes.
Oui cet homme était aident et vigoureux ; il était surtout ardent dans la haine et vigoureux dans la calomnie.
M. de Moor. - Allons donc !
M. Wasseige. - Coupable d'imprudence surtout ! ! Et n'est-ce pas, messieurs, une oblitération complète du sens moral que de venir ici lorsqu'il y a en présence un calomniateur et un calomnié, un condamné et un accusateur, chercher à attirer votre intérêt sur le calomniateur, à noircir le calomnié ? Et peut-on, en présence du jugement du tribunal de première instance de Dinant, de l'arrêt de la cour d'appel de Liège et de la lettre si accablante du parquet de Dinant, venir dire, comme l'honorable M. de Moor l'a dit, que cet homme était tout au plus coupable de quelque imprudence.
Quelque imprudence ! quelle expression en présence de faits qui ont été flétris et condamnés !
L'honorable M. de Moor, qui lui aussi est ardent, vigoureux et libéral, n'est cependant plus assez jeune pour confondre ainsi les délits les plus graves avec une simple imprudence.
M. de Moor. - Je vous remercie beaucoup, monsieur...
M. Wasseige. - Il n'y a réellement pas de quoi ! mais si M. de Moor n'a pas cherché à justifier le gouvernement, il a traîné à votre banc sans nécessité, sans motifs, à l'aide d'insinuations vagues et nullement justifiées, un homme qui n'est pas fonctionnaire public qui n'a pas à rendre compte devant vous de sa conduite privée et qui n'a personne ici pour le défendre, le curé de Vencimont.
M. de Moor. - Et vous ?
M. Wasseige. - Cela n'est pas généreux, cela n'est pas libéral. Moi, je n’ai pas à défendre ici le curé de Vencimont ; il n'est, d'ailleurs, pas en cause, et n'a rien à voir dans les choses qui se passent ici.
Sans cela, je pourrais, messieurs, opposer aux pérégrinations dont vous a parlé M. de Moor et dont il a tiré des conséquences si exagérées, les certificats les plus honorables et les plus catégoriques des doyens d'Houffalize, de la Roche, de Durbuy et de Louette-Saint-Pierre, et enfin de Mgr. l’évêque de Namur, et M. de Moor me permettra d'avoir plus de confiance dans les déclarations des supérieurs ecclésiastiques de M. le curé de Vencimont, que dans ses allégations quelles qu'elles soient. Je ne lirai pas ces certificats, mais je puis les mettre à la disposition de M. de Moor, s'il le désire.
M. de Moor. - Je vous communiquerai aussi certaines pièces.
M. Wasseige. - Et le commissaire d'arrondissement de Binant, qu'avez-vous à lui reprocher ? Que signifie cette espèce de dénonciation lancée du haut de la tribune parlementaire ? M. de Moor veut-il engager le gouvernement à rentrer envers ce fonctionnaire dans le système destitutionnel de 1847 ? Qu'il le dise ! Je ne connais pas les opinions politiques de ce fonctionnaire, mais je sais qu'il est loyal et sincère, je sais que c'est un homme d'une honorabilité incontestée, et que depuis trente années qu'il est commissaire d'arrondissement à Dinant, il a su, par sa conduite ferme et modérée, se concilier l'estime et la sympathie de toutes les opinions. J'en appelle, à cet égard, à mes honorables collègues de Dinant.
Vous l'avez accusé d'avoir trompé le gouvernement. Mais quand donc ! et comment ? Vous n'articulez rien. Serait-ce dans la nomination du bourgmestre de Vencimont ? Mais il aurait trompé le gouvernement s'il l'avais proposé à son choix, et vous savez bien qu'il ne l'a pas fait.
Quelqu'un, en effet, a trompé le gouvernement et j'aime à croire qu'il ne l'a pas fait sciemment ; celui-là M de Moor le connaît ; il peut le nommer s'il le veut.
Quant à M. le ministre des affaires étrangères, il me prête des intentions qui n'ont jamais été les miennes ; il me fait beaucoup plus mauvais que je ne suis réellement ; il apprécie fort mal mes sentiments à son égard.
Je n'ai jamais voulu l'accuser de protéger sciemment les calomniateurs. J'ai trop d'estime pour son caractère et son honorabilité pour lui attribuer de semblables sentiments.
Mais j'accuse le gouvernement de négligence, d'incurie et de faiblesse envers ses amis ; c'est bien assez comme cela, me semble-t-il.
Et voici comment. Le 10 février une action on calomnie avait été intentée contre Jacquet ; une ordonnance de la chambre du conseil l'avait renvoyé devant le tribunal de Dinant et sa nomination de bourgmestre n'est que du mois de mars. Un mois s'était donc écoulé entre le commencement des poursuites et la nomination. L'honorable M. Rogier vous a dit : Je l'ignorais ; comment voulez-vous que je connaisse tous les bourgmestres que je nomme ?
Eh bien, c'est précisément le reproche que je lui fais ; je dis qu'il ne devait pas l'ignorer, et s'il l'ignorait, il n'avait qu'à consulter ses agents naturels, le gouverneur et le commissaire d'arrondissement ; il ne l'a pas fait. Il n'avait du reste qu'à consulter ses dossiers ; il y aurait trouvé assez de faits pour l'arrêter au moment de proposer à la signature du Roi une semblable nomination.
Et d'ailleurs, pressait-elle tant cette nomination ? Il y avait trois mois déjà qu'elle était en suspens ; M. le ministre aurait pu attendre quelques jours encore et alors il aurait été en présence du jugement du tribunal de Dinant. J'ai donc bien le droit d'accuser le gouvernement de négligence et d'incurie.
M. le ministre n'a pas consulté les autorités constituées, celles en qui il devait avoir confiance ; à cause de cela il a commis une faute grave, il a compromis la dignité du pouvoir, et il n'a pas d'excuses.
Mais s'il a nommé Jacquet, contrairement aux présentations du gouverneur et du commissaire d'arrondissement, et malgré tous les antécédents qu'il pouvait, qu'il devait connaître, il a cependant bien fallu que Jacquet lui fût recommandé par des personnes mal renseignées et poussées par l'esprit de parti, et le gouvernement, en le nommant, a dû céder à leurs sollicitations.
J'ai donc le droit de dire qu'il s'est montré faible vis-à-vis de ses amis passionnés. Cette manière d'agir est inqualifiable, c'est le déplacement de la responsabilité légitime, c'est le gouvernement occulté, c'est la violation de nos institutions.
Après la nomination faite, M. le ministre a eu un autre tort, plus grave encore, c'est de la maintenir aussi longtemps.
Messieurs, on m'accuse d'avoir voulu faire du scandale, d'avoir compromis des noms propres devant vous pour des faits qui n'en valaient pas la peine.
Mais il est bien difficile de satisfaire le gouvernement. Quand nous nous renfermons dans des discussions de principe, dans des accusations générales, on nous provoque, on nous défie de citer des faits ; et lorsque nous citons des faits, on nous blâme, on nous accuse d'amoindrir les discussions par des questions de personnes.
Il est fort difficile cependant de ne pas choisir l'un de ces deux moyens, si l'on ne veut se taire et tout approuver, ce que le gouvernement préférerait peut-être. Du scandale, messieurs ! Mais voilà 10 mois que le jugement est rendu ; voilà 6 mois que l'arrêt de la cour de Liège est prononcé définitivement ; (page 601) voilà près de trois mois que les Chambres sont assemblées, et moi, que l’on dépeint comme si agressif, comme si friand de scandale, comme désireux d'attaquer le ministre à tort et à travers je n'ai pas dit un mot jusqu’à ce moment.
Et pourquoi, messieurs, ai-je gardé si longtemps le silence ? Parce que j'attendais chaque jour la démission ou la destitution de Jacquet ; et j'avais d'autant plus lieu de l'attendre que, je savais que, depuis le mois de septembre, le gouvernement avait fait demander au greffe de la cour d'appel de Liège l'arrêt qui a frappé Jacquet.
J'attendais, parce que j'espérais qu'en présence de cet arrêt le ministère ne persisterait pas dans sa résolution, et si j'ai enfin parlé, messieurs, c'est parce que la discussion du budget de l'intérieur ne me permettait pas d'attendre plus longtemps sans paraître approuver un acte que je blâmais hautement, et je crois avoir fait preuve d'une grande longanimité en étendant jusqu'aujourd'hui pour parler de cette affaire. Nous n'avons pas été habitués à une semblable manière d'agir par l'ancienne opposition : appelez-vous, messieurs, les interpellations incessantes qui partaient de vos bancs, quand nos amis étaient au pouvoir, et dites-nous de quel côté se trouve la modération !
Oui, j'ai révélé des faits graves, mais je les ai révélés à la charge d'un fonctionnaire public, je les ai établis par des documents et si je l'ai fait, c'est parce que j'y ai été force par l'inaction du gouvernement.
C'est parce que rien ne pouvait plus excuser sa conduite et que le maintien du fonctionnaire condamné, comme calomniateur, six mois après sa condamnation définitive, devait me faire croire que le gouvernement persistait dans la voie malheureuse où il était entré.
En définitive, le gouvernement m'a donné raison, et le sieur Jacquet n'est plus bourgmestre ; le scandale a cessé, mais la conduite du gouvernement n'en est pas moins blâmable, car si le gouvernement avait suivi les règles administratives, si au lieu de s'adresser à ses amis les plus ardents et les plus passionnés dans les luttes politiques, il avait pris des renseignements là où il devait les prendre, s'il n'avait pas méprisé les avis de ses agents, au lieu de suivre ceux de gens qui l'égaraient, le scandale n'aurait jamais eu lieu.
Un seul mot à l'adresse de l'honorable M. de Moor, et je termine.
L'honorable membre a dit on parlant de la lettre émanant du parquet de Dinant, lettre si accablante et parce qu'elle contenait, et par la source dont elle émanait, que la pièce avait été volée. Eh bien, j'affirme que ce n'est pas vrai ! Cette lettre a été provoquée par la défense devant la cour de Liège, c'est la défense qui en a exigé la production, elle a été lue en pleine audience de la cour, c'est sur cette lettre que les plaidoiries ont roulé, pendant une grande partie du débat, elle a été jointe au dossier et il a été permis d'en prendre connaissance et même copie à toutes les personnes que la chose pouvait intéresser.
Elle n'a pas été volée, et c'est encore une accusation hasardée de l'honorable M. de Moor et qu'il devra rétracter pour rester dans le vrai.
M. le président. - M. Wasseige, je pense que votre intention n’a été que de qualifier l'inexactitude du fait.
M. Wasseige. - Certainement, M. le président, je n'ai jamais dit moi : Vous en avez...
.M. Dechamps. - Messieurs, je croirais n'avoir nul besoin de rentrer dans cette discussion, déjà bien longue, si M. le ministre des affaires étrangères et M. Ch. Lebeau n'avaient cherché à nier ou du moins à jeter des doutes sur l'exactitude des faits que j'avais signalés à l'attention de la Chambre.
Mon honorable collègue, dans l'empressement, sans doute, de les contester d'une manière sérieuse, a cherché à donner le change, à détourner l'attention de la Chambre, à m'entraîner sur le terrain des questions personnelles. La Chambre sait qu'il n'est pas dans mes habitudes de me laisser engager dans les discussions personnelles, pour lesquelles je n'ai aucun goût, et qui permettent difficilement de conserver à nos débats la dignité parlementaire.
Je manquerais, à coup sûr, à cette dignité parlementaire si je descendais, comme mon honorable contradicteur m'en a donné l'exemple, à discuter combien de voix libérales et combien de voix catholiques nous avons pu l'un et l'autre obtenir aux dernières élections, et quelle attitude nous avons prise dans ces élection.
M. Ch. Lebeau. - J'ai parlé pour moi.
.M. Dechamps. - Il vaut mieux laisser ces appréciations au corps électoral lui-même.
Dans l'arrondissement de Charleroi, où les intérêts industriels dominent, il est arrivé plus d'une fois, comme ailleurs, que des transactions électorales ont été offertes loyalement et acceptées honorablement de part et d'autre.
Dans ces transactions, chacun y entre avec ses convictions qu'il garde tout entières ; il ne s'agit là ni de drapeau que l'on cache, ni de demi-conversion.
Pour moi, à toute époque, j’ai conservé les miennes, sans en abdiquer une seule aux mains de personne.
Je ne pense pas que l’honorable M. Ch. Lebeau ait eu l'intention de me donner une leçon de bonne foi et de loyauté politique ; en tout cas, je ne l'accepterais pas.
Je rentre dans la discussion que j'avais soulevée.
L'honorable ministre des affaires étrangères et mon honorable collègue de Charleroi ont révoqué en doute, ont contesté même l'exactitude des faits que j'avais signalés. Ces faits, je dois les confirmer.
Il ne s'agit pas ici de cas isolés, de la nomination d'un bourgmestre obscur dans une commune obscure, comme on l'a dit. J'ai été aux affaires pendant assez longtemps pour avoir appris, à être très indulgent pour de pareils cas envers les ministres qui peuvent tomber dans de faciles erreurs sans qu'on puisse incriminer leur bonne foi et même leur intention impartiale.
Mais ici il s'agissait de révocations systématiques, d'éliminations en masse, pour seule cause politique. Les deux tiers des bourgmestres réélus par le corps électoral ont été destitués. Ce fait a paru étonnant à la Chambre, et à M. le ministre des affaires étrangères lui-même, et il a semblé douter de son exactitude.
Eh bien, ce fait est certain. Sur quinze bourgmestres, dont le mandat était expiré et qui avaient été réélus, dix ont été révoqués sans aucun grief administratif à leur charge. En comprenant les éliminations des bourgmestres et des échevins dans mon arrondissement, en 1857 et en 1861, le nombre de ces victimes politiques s'élève à 18 ou à 20.
Connaissez-vous un fait analogue à celui-là ? Tous ou presque tous avaient obtenu de fortes majorités dans les élections ; tous ou presque tous étaient à la tête de la majorité du conseil communal. Tous, à l'exception des six ou sept signataires de la circulaire électorale dont j'ai parlé et à l'égard desquels il y avait interdiction faite aux gouverneurs de les proposer au gouvernement pour être renommés, tous avaient été, si j'en crois le bruit public, présentés par les autorités administratives de l'arrondissement et de la province.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comment connaissez-vous ces détails ?
.M. Dechamps. - Je dis : si j'en crois le bruit public.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qui vous tient au courant des propositions ?
.M. Dechamps. - Généralement ces faits ne sont pas ignorés. Du reste, si je me trompe, le ministre fera bien de me tirer de mon erreur.
Je dis donc que cette élimination en masse forme un acte politique et même ultra politique.
Messieurs, lorsque ce fait a été signalé au Sénat en 1860, l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, répondant à un honorable sénateur de Charleroi, faisait la profession de foi suivante en matière de nominations, et je crois bon de la rappeler pour l'opposer à la profession de foi de l'honorable M. Hymans et de l'honorable M. de Moor.
« J'ai fait ma profession de foi à cet égard, j'ai dit que le gouvernement ne pouvait pas se détacher de tous les bourgmestres qui dans une élection se montraient contraires à la politique du cabinet. Et cette profession de foi n'est pas une pure théorie ; c'est un principe que j'ai constamment appliqué. Parmi les bourgmestres il en est un certain nombre qui ne marchent pas complètement d'accord avec la politique du cabinet, et nous ne les remplaçons pas pour cela. Mais ici il y a une distinction que tout esprit impartial et vraiment modéré doit admettre. Il y a deux manières de faire de l'opposition au gouvernement ; il y a une manière loyale, modérée, que je comprends et que même je ne cherche pas à combattre quand elle est sincère ; mais il y a aussi l'opposition violente, passionnée, outrageante : or, quand une opposition de ce genre se produit, qu'est-ce qu'un gouvernement jaloux de sa dignité doit faire ?
« Si le fonctionnaire qui est animé de ces sentiments ouvertement hostiles à l’égard du cabinet, qui lui jette publiquement l'injure à la face, n'a pas, lui, le sentiment de la dignité assez prononcé pour se détacher d'un pareil cabinet, c'est nécessairement au gouvernement d'agir ; c'est au gouvernement de se séparer de ce fonctionnaire qui l'outrage. A mon avis, un fonctionnaire animé de pareils sentiments ne doit pas continuer à servir un cabinet qui lui convient si peu. »
Eh bien, messieurs, je partage assez cette manière de voir de l'honorable ministre des affaires étrangères. Cette profession de foi, je suis prêt à la signer. Mais elle est en complète contradiction avec celle des honorables amis du cabinet qui ont pris part à la discussion actuelle.
Je fais la remarque, en passant, que les faits dont j’ai fait grief au ministère ne sont guère en harmonie avec cette profession de foi.
(page 602) J’ajoute un mot, c'est qu'aucun des bourgmestres et des échevins éliminés, dans l'arrondissement de Charleroi, ne s'est trouvé dans les conditions dont a parlé l'honorable M. Rogier pour être frappé par le gouvernement ; aucun n'a fait cette opposition violente, passionnée, outrageante qui peut motiver une révocation indirecte.
Pour moi, je n'ai pas voulu rappeler ces faits dans un but de récrimination.
Mon but est de prouver à M. le ministre de l'intérieur actuel que, dans l'arrondissement de Charleroi, il a été donné pleine satisfaction aux exigences de parti les plus extrêmes, qu'il est temps de s'arrêter dans cette voie, et que M. le ministre peut, sans péril d'être accusé de modération, devenir impartial et juste.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - S'il a été fait de la politique dans les nominations de bourgmestres de l'arrondissement de Charleroi, je demanderai à l'honorable M. Dechamps de vouloir bien nous dire qui a commencé à en faire ? Sous quelle influence et dans quelles circonstances, des nominations de ce genre ont-elles été faites avant nous ?
Quand l'honorable membre aura établi que ses amis n'ont pas fait de la politique dans les nominations de bourgmestres de son arrondissement et ailleurs, il sera autorisé à attaquer le ministère actuel, qui n'a fait que rétablir l'équilibre ou réparer d'anciennes injustices.
Maintenant, messieurs, comme observation générale, je dirai que je ne comprends pas qu'un représentant vienne invoquer ici l'avis émis soit par le gouverneur, soit par le commissaire d'arrondissement, relativement aux personnes présentées ou non au choix du gouvernement.
Je ne pense pas qu'il existe un gouverneur ou un commissaire d'arrondissement assez oublieux de ses devoirs pour donner avis à un membre de la Chambre, et particulièrement à un membre de l'opposition, des propositions qu'il fait ou qu'il ne fait pas au gouvernement.
J'ajouterai, messieurs, que lorsqu'on vient ici invoquer les opinions de certains fonctionnaires, on s'expose à les compromettre deux fois, on les compromet en révélant les propositions qu'ils ont faites, on les compromet lorsqu'on leur attribue, d'autre part, des propositions qu’ils n’ont pas faites.
Ainsi, en ce qui concerne la commune de Sombreffe, on est venu dire que le bourgmestre, qui était un ancien fonctionnaire, a été remplacé malgré le commissaire d'arrondissement, malgré le gouverneur. Voilà ce que l'honorable M. Wasseige est venu déclarer à la Chambre.
M. Wasseige. - J'ai lu tout haut la lettre du commissaire d'arrondissement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Eh bien, vous aurez sans doute la loyauté de lire aussi tout haut, la deuxième lettre du commissaire d'arrondissement qui dément de la manière la plus formelle vos assertions.
Il déclare qu'après avoir maintenu sur la liste de présentation l’ancien bourgmestre à cause de ses anciens services, il a eu soin de faire connaître que ce bourgmestre ne pouvait pas rester en fonctions, qu'il était devenu complètement incapable de remplir son mandat.
J'ai appris que M. le commissaire d'arrondissement de Namur a cru devoir répondre directement à M. Wasseige.
Voilà ce qui doit nécessairement arriver ; si l'on met spécialement en cause tel gouverneur et tel commissaire d'arrondissement, celui-ci se croira obligé d'intervenir à son tour pour se défendre.
De même, quand on a mis en cause un fonctionnaire moins politique que celui-ci, un inspecteur provincial de l'enseignement primaire, homme d'un caractère essentiellement modéré et impartial, on l'a accusé d'avoir dirigé l'enquête d'une manière partiale...
M. Wasseige. - J'ai parlé de son inexpérience.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez dit que ce fonctionnaire était entré dans la commune, escorté des deux dénonciateurs de l'institutrice à l'égard de laquelle il devait faire une enquête ; or, il est entré seul de sa personne ; il n'était accompagné ni du nouveau, ni de l'ancien bourgmestre ; ces deux individus étaient absents de la commune.
M. de Moor. - Ils étaient à Liége.
M. Wasseige. - J'ai dit le contraire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez dit cela positivement.
L'inspecteur a entendu les deux individus le lendemain de son arrivée ; mais il n'est pas entré avec eux dans la commune ; il a mis dans l'exercice de cette mission difficile une telle circonspection, qu'il n'a pas quitté le local de l'école ; il y a fait apporter ses repas ; il n'a pas même couché dans la commune, pour ne se mettre en rapports officieux avec aucun habitant ; il a passé la nuit dans une autre commune Voilà avec quelle prudence il a rempli la mission dont il était chargé.
Je répète, en finissant, qu'en ce qui concerne la nomination du personnage dont on a encore aujourd'hui cité le nom, le ministre ignorait entièrement qu'il fût sous le poids d'une prévention de calomnie lorsque la nomination a été faite.
M. J. Lebeau. - Messieurs, malgré l'accueil peu favorable que la Chambre a fait à la motion d'ordre de l'honorable M. de Renesse, j'inclinerais cependant, en présence d'un ordre du jour très chargé, à voter pour une mesure à peu près analogue.
C'est assez dire que si la Chambre croyait convenable de mettre un terme à ce débat, je serais prêt à renoncer à la parole ; je me rassiérai, si on demande la clôture.
M. le président. - Faites-vous votre proposition, demandez-vous la clôture ?
M. J. Lebeau. - Je ne la demande pas ; mais si on la propose, je renoncerai à la parole.
M. le président. - La proposition de M. de Renesse a été retirée, et le débat continue.
M. J. Lebeau. - Je suis amené, par le discours de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, à dire quelques mots sur l'étrange théorie qu'il a soutenue.
J'ai eu le regret aussi de voir un autre collègue, l'honorable M. Dechamps, homme d'expérience, qui a passé par les affaires, qui se distingue d'ordinaire par des observations plus judicieuses, venir, après son honorable ami, nier de nouveau les principes élémentaires du gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre.
Est-il possible de se lamenter encore aujourd'hui ainsi sur l'existence des partis en Belgique ? N'est-il pas attristant qu'après trente ans d'expérience parlementaire, on en soit encore à produire de pareilles chimères devant une Chambre belge ? C'est pour les combattre encore une fois que je demande la permission d'occuper quelques instants encore l'attention de la Chambre.
Messieurs, on a accusé ici, chose bizarre, un de nos honorables collègues, d'avoir inventé les partis en Belgique ; d'avoir par-là rendu nos débats plus passionnés et d'avoir jeté le pays dans une situation déplorable.
C'est l'honorable M. Devaux qui a inventé les partis en Belgique, cela a été dit et écrit.
L'honorable M. Devaux a inventé les partis en Belgique, à peu près comme M. de Buffon a inventé la nature, en les décrivant.
Qui ne sait que reflet naturel de la liberté politique est l'enfantement immédiat des partis politiques ? C'est-à-dire un parti qui professe un système politique et soutient le gouvernement et un parti qui en professe un autre et lutte pour le faire prévaloir.
Je ferais injure à la Chambre et surtout aux honorables MM. Dechamps et Vanden Branden de Reeth, si j'avais la prétention de leur apprendre que de tout temps la liberté politique a enfanté des partis. Il y avait des partis à Athènes, à Sparte, à Rome, dans les Etats du moyen âge. Avez-vous oublié les Guelfes et les Gibelins ? Avez-vous oublié les partis qui existaient en Hollande, le parti du stadhoudérat et le parti qui a conduit Barneveld à la mort.
Avez-vous oublié qu'en Amérique, où cependant tout le monde est républicain, il y a des partis. Autrefois, il y en avait deux bien caractérisés : les républicains et les démocrates ; il y en a d'autres aujourd'hui qui menacent l'existence même de l'Union.
Puisqu'on s'obstine à nier non seulement le fait, mais la théorie, prouvons encore une fois, puisque nous sommes condamné, l'existence des partis, la nécessité de compter avec eux comme avec les principes fondamentaux de tout gouvernement parlementaire.
Et puisque l'on s'obstine à présenter comme une calamité ou un non-sens l'existence des partis politiques et qu'on refuse de nous croire quand nous disons qu'ils sont inévitables et nécessaires, faisons comme MM. les avocats devant les cours ; citons quelques autorités imposantes et non suspectes de partialité.
La Chambre peut être convaincue, du reste, que je n'abuserai pas de sa patience ; je serai court.
Je regarde toutefois ces autorités comme si imposantes, comme si décisives, que je ne fais ce discours que pour leur servir de cadre.
Voici, d'abord, ce que dit sur ce sujet un des plus grands esprits de l'Angleterre, à propos du règne inauguré par Guillaume III.
« Les vacances du parlement dûment six semaines. Le jour de la réunion est une des plus remarquables époques de notre histoire : car c'est de ce jour que date l'existence des deux grands partis qui, depuis, ont toujours alternativement gouverné le pays. La séparation, qui ne devint qu'alors évidente, avait, il est vrai, existé de tout temps et existera toujours, car elle a son origine dans la diversité de caractère, d’intelligence, (page 603) d'intérêts qu'on retrouve dans toutes les sociétés, et qu'on y retrouvera aussi longtemps que l'esprit humain sera attiré dans des directions opposées par les charmes de l'habitude ou l'attrait de la nouveauté. Nous retrouverons cette séparation en politique, en littérature, dans les arts, dans les sciences, en médecine, en mécanique, dans la navigation et l'agriculture, dans les mathématiques même.
« Partout, nous trouvons une classe d'individus attachés passionnément à tout ce qui est ancien, et qui, bien que convaincus par des raisons puissantes, qu'une innovation serait avantageuse, n'y consentent qu'avec répugnance et crainte.
« Partout aussi, nous trouvons des hommes confiants dans leurs désirs, hardis dans leurs projets, poussant toujours en avant, prompts à discerner les imperfections de tout ce qui existe, considérant peu les difficultés et les risques qui accompagnent les améliorations, et disposés à regarder tout changement comme une amélioration.
« Il y a quelque chose de bon dans les sentiments de ces deux classes ; mais ce qu'elles ont l'une et l'autre de meilleur se trouve aux environs de leur frontière commune.
« La portion extrême de l'une se compose de bigots radoteurs ; la portion extrême de l'autre se compose d'imprudents et frivoles empiriques... »
Ces paroles sont de lord Macaulay, l'un des plus grands et des plus généreux esprits qu'ait possédé l'Angleterre.
C'était un protestant, il est vrai, un Anglais ; mais c'était un des hommes qui ont le plus fait abstraction de toute opinion politique quand il a eu à défendre le droit des faibles. C'est ainsi qu'il a toujours été un des plus puissants appuis de la liberté religieuse.
Il a même perdu son siège au parlement pour avoir voté le subside du séminaire de Maynooth en faveur des catholiques de l'Irlande.
Voici encore, sur ce sujet, une autre autorité imposante. Je persiste toujours à procéder, pour cette fois, comme les avocats en présence des magistrats.
« S'il n'y a eu en Angleterre qu'une constitution, elle-même très modifiée et très modifiable, il y a au moins deux aristocraties.
« Il y a d'abord celle des deux anciens partis, qui vont s'effaçant et se transformant tous les jours ; celle des Whigs et celle des Torys. Pendant que l'une gouverne, il y en a une autre de rechange ; toujours à l'affût des fautes et des mécomptes de sa rivale, elle guette toutes les occasions de la remplacer ; et toutes les réformes utiles à opérer, tous les mécontentements sérieux à apaiser, lui servent d'autant de moyens stratégiques pour conquérir l'exercice du pouvoir. »
C'est exactement ce qui se passe tous les jours ici.
« La satisfaction des vœux légitimes de l'opinion est ainsi en quelque sorte au concours, et le bien général s'opère par l'émulation entre les partis. »
Les partis, l'entendez-vous ?...
Comte de Montalembert : De l'avenir politique de l'Angleterre. Page 60 Bruxelles, 1856.
Après M. de Montalembert, je pourrais indiquer dans la même nuance M. de Carné.
« Si, dit-il, le système représentatif a succombé en France, c'est que nous avions dans son sein des factions plus que des partis. »
(Revue des Deux-Monde, 1852, p. 740, 1145,1146).
A son tour l'illustre Tocqueville que M. Royer-Collard comparait à Montesquieu, s'exprime ainsi :
« Lorsqu'il n'y a plus de grands partis, bien liés par des intérêts et par des passions communes. La politique étrangère ne manque presque jamais de devenir l'élément principal de l'activité parlementaire. »
(Correspondance, t. II, p. 455).
J'abrège et je termine par quelques paroles toutes récentes d'un homme dont vous pouvez, moins encore que nous, récuser la haute intelligence et l'impartialité.
« Je regrette, dit-il, d'avoir à me servir de mots que des souvenirs ou des préjugés historiques ont rendus suspects à des hommes de bien et de sens ; mais je ne saurais les éviter. Pour que, sous le régime représentatif, le gouvernement acquière la régularité, la force, la dignité et l'esprit de suite qui sont au nombre de ses conditions les plus essentielles, il faut que les grands intérêts et les grands principes qui sont en présence et en lutte soient représentés et soutenus par des hommes qui en aient fait la cause et l'habitude de leur vie... C'est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, qu'il faut des partis, de grands partis, avoués, disciplinés et fidèles, qui, soit dans le pouvoir, soit dans l'opposition, s'appliquent à faire prévaloir les principes et les intérêts qu'ils ont pris pour foi et pour drapeau.
« Ceci n'est point, comme on l'a dit souvent, une fantaisie de philosophe ou un emprunt aux exemples de l'Angleterre ; c'est la leçon de l'histoire de tous les pays libres et le conseil du bon sens politiques. » (Mémoire de M. Guizot, tome III, p. 193-194, édit. in-8°.)
J'ai toujours regretté, je dois le dire, malgré la haute estime que je professe pour le talent de M. Guizot et le souvenir que j'ai de ce qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire un jour en me parlant de nos affaires avec une extrême réserve, « qu'il ne savait rien de ce qu'il ne savait pas à fond », il se soit quelque peu écarté de cette sage maxime en jugeant une question parlementaire qui s'était produite en Belgique, sans avoir sous les yeux tous les éléments d'appréciation. Mais c'est une raison de plus pour que vous ajoutiez une confiance entière à la profession de foi dont je viens de vous donner lecture.
C'est la condamnation complète du discours de l'honorable M. Dechamps et de l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, qui ont pour objet de préconiser l'absence de partis comme l'idéal de la société politique.
Si, à certaine époque, les conseils donnés par M, Guizot au parti libéral belge manquaient de fondement, je pourrais dire de justice, ceux qu'il donne aujourd'hui aux hommes qui nient ou maudissent les partis, sont bien nécessaires.
Voici, à cet effet, comment s'exprime, en ce moment même, sur une question que M. Guizot a tranchée dans un sens diamétralement opposé au clergé et au parti catholique, un journal inspiré par l'épiscopat belge : C'est le triomphe du prétendu principe de la séparation du temporel et du spirituel, principe qui, considéré en lui-même, ne supporte pas une minute d'examen, de la part de tout esprit réfléchi, et dans la pratique libérale n'a d'autre sens que celui-ci : Expropriation du spirituel parle temporel, oppression de l'Eglise par l'Etat, anéantissement du chrétien, absorbé par le citoyen, et l'homme, cet être religieux, réduit aux proportions de la chose purement civile, sans autres fins, dans ce monde et dans l'autre, que des fins exclusivement civiles. Dernier mot de la noble société moderne ! » (Bien public de Gand du 4 février 1862.)
Déplorez donc, après cela, la raison d'être de la division, inévitable partout, et., cette fois plus naturelle chez nous qu'ailleurs, de la division en deux grands partis, et dites avec qui, s'il siégeait ici, voterait M. Guizot, mieux éclairé.
M. le président. - La parole est à M. Dechamps pour un fait personnel.
.M. Dechamps. - Avant de répondre au fait personnel, je demanderai à la Chambre la permission de dire deux mots en réponse, à ce que vient de dire l'honorable préopinant. (lnterruption.)
M. le président. - Il y a plusieurs orateurs inscrits ; nous ne pouvons pas intervertir l'ordre d'inscription.
.M. Dechamps. - Je demandais cette autorisation pour ne pas prolonger ce débat, en demandant une seconde fois la parole pour répondre à l'honorable M. Joseph Lebeau ; quelques mots auraient suffi pour le faire ; je n'avais qu'à rectifier les idées qu'il m'a attribuées bien à tort, sur ce qu'il a appelé mon étrange théorie que je n'ai jamais professée. Mais j'obéis à M. le président et je reste dans le fait personnel.
M. le ministre des affaires étrangères m'a adressé tout à l'heure une question ; il m'a demandé si dans l'arrondissement de Charleroi, dont j'ai parlé, on n'avait pas fait antérieurement des nominations politiques, des nominations de parti en aussi grand nombre et au profit de nos amis politiques.
M. Allard. - Ce n'est pas là un fait personnel.
.M. Dechamps. - Messieurs, j'affirme que non ; j'ai cité des faits nombreux, accablants, auxquels on n'a répondu que par le silence ; que M. le ministre cite des faits à son tour et je répondrai à sa question. Depuis quinze ans, l'opinion conservatrice n'a été au pouvoir qu'une seule fois, sous l'administration de mon honorable ami, M. de Decker. (Interruption.)
Veuillez ne pas m'interrompre, M. Lebeau ; on ne m'a pas permis de vous répondre.
M. J. Lebeau. - Je constate seulement qu'il y a des partis.
.M. Dechamps. - Je n'ai jamais nié l'existence des partis ; j'en ai au contraire fait l’histoire ; mais j'ai blâmé les nominations de partis dans la sphère communale.
M. le président. - Veuillez arriver au fait personnel, M. Dechamps.
.M. Dechamps. - Je disais donc, messieurs, que si l'on avait cité des faits, j'aurais pu répondre ; mais que, depuis quinze ans, l'opinion conservatrice n'a été qu'une fois au pouvoir, sous l'administration de l'honorable M. de Decker ; et l'honorable M. Rogier, dans une séance précédente, a pris soin de rendre un hommage complet à son impartialité...
(page 604) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - A sa loyauté !
.M. Dechamps. -... et à la modération dont il avait fait preuve dans les nominations administratives.
M. de Decker a affirmé, en répondant à l'honorable M. Rogier, qu'il ne se rappelait pas avoir fait une nomination de bourgmestres et d'échevins qui n'eût été proposée par le gouverneur.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est inexact, je le prouverai
.M. Dechamps. - Mon honorable ami n'est pas ici pour répondre, mais j'ai foi dans son affirmation que des actes exceptionnels ne peuvent pas détruire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande la parole.
.M. Dechamps. - Je dis donc que si cela est vrai, on ne peut pas reprocher à l'opinion conservatrice d'avoir, en quoi que ce soit, justifié le système destitutionnel pratiqué par le ministère actuel.
L'honorable M. Rogier m'a demandé s'il était convenable de citer ici des rapports émanant d'autorités administratives, et a dit que les gouverneurs et les commissaires d'arrondissement manqueraient à leur devoir en les divulguant.
Evidemment, messieurs, aussi n'ai-je rien affirmé ; j'ai plutôt interrogé ; j'ai dit que ce bruit était généralement répandu (interruption) et j'ai demandé à M. le ministre des affaires étrangères de le confirmer ou de le démentir.
Maintenant, messieurs, pour n'avoir plus à me lever tantôt, je demanderai la permission de répondre deux mots à l'honorable M. Lebeau.
M. le président. - Cela n'est pas possible ; le règlement s'y oppose.
.M. Dechamps. - Je faisais cette demande dans l'intérêt du débat.
M. le président. - La parole ne vous a été accordée que pour un l'ait personnel.
M. Muller. - Et il n'y avait rien de personnel dans tout cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En terminant son premier discours, l'honorable M. Dechamps m'a donné un bon conseil ; je dois dire cependant que ce conseil n'est guère en harmonie avec les actes qui ont été posés lorsque ses amis étaient au pouvoir. Il est vrai que, depuis douze ou treize ans, la droite a occupé le pouvoir pendant bien peu de temps ; mais je crois pouvoir déclarer, et je pourrais le prouver, que, dans maintes circonstances, elle a fait précisément le contraire de ce qu'elle nous conseille aujourd'hui de faire. Du reste, messieurs, je ne serais pas rentré dans cette discussion sans l'espèce de provocation de l'honorable M. Dechamps.
Il me répugne d'être obligé de relever des faits déjà anciens ; mais je suis provoqué, je ne puis me dispenser de répondre ; mon silence pourrait être interprété contre le gouvernement comme un aveu ; il m'est donc impossible de me taire et je dois démontrer, par quelques faits, que, lorsque la droite était au pouvoir, elle faisait exactement ce qu'elle nous reproche de faire aujourd'hui.
Mais avant de faire cette démonstration, je désire dire deux mots encore sur les incidents qui se sont produits dans la séance de jeudi et au commencement de la séance d'aujourd'hui ; je veux parler des nominations de Sombreffe et de Vencimont... Qu'on se rassure, messieurs, en parlant de l'affaire de Vencimont, je n'examinerai aucune des questions délicates et peu dignes d'être traitées devant la Chambre qui ont été soulevées à ce propos. Il importe fort peu au pays de savoir si les conversations que le curé de Vencimont avait avec l'institutrice étaient ou des conversations criminelles ou des conférences pieuses. Mais ce qu'il importe au ministre de l'intérieur, c'est de ne point permettre qu'on dénigre des fonctionnaires publics honnêtes, loyaux, dignes de la confiance du gouvernement et qu'on vienne ici, en leur adressant des reproches immérités, amoindrir leur autorité dans le pays et leur enlever le prestige dont ils ont besoin pour exécuter la difficile mission qui leur est confiée.
Messieurs, je commence par le fait de Vencimont. Je dirai d'abord que si cette affaire n'a pas reçu une solution plus prompte, c'est que je n'en ai pas eu connaissance immédiatement. A mon entrée au ministère, je me suis fait présenter l'état des nominations à faire. Sur cet état ne figurait pas le sieur Jacquet. Ayant été nommé précédemment, il n'y avait pas lieu de provoquer un arrêté de nomination.
Quant à la révocation, on ne pouvait pas la prononcer ; on ne révoque que des fonctionnaires publics ; le sieur Jacquet n'avait pas prêté serment, il n'était pas fonctionnaire, il ne pouvait donc pas être révoqué. Pour rassurer l'honorable M, Wasseige, je puis ajouter que j'agissais d'accord avec le gouverneur de Namur et l'arrêté de nomination tombait de lui-même, n'ayant pas eu de suite.
On a parlé d'une enquête faite par un inspecteur provincial de l'enseignement primaire.
L'honorable M. Wasseige a cité des faits avec une précision telle qu'on aurait pu les croire parfaitement exacts.
Voici comment l'honorable membre s'est expliqué :
« Ce fonctionnaire (M. l'inspecteur provincial) arrive donc à Vencimont pour faire une enquête sur les faits reprochés à l'institutrice par MM. Jacquet et Massot.
« Or, savez-vous comment il arrive dans la commune ? Il y arrive escorté de Massot et de Jacquet ; il n'entend que les personnes qui lui sont indiquées par Jacquet et Massot et il refuse à plusieurs reprises d'entendre d'autres personnes, quoiqu'il s'en présentât un grand nombre, qui voulaient démentir les accusations dont le curé et l'institutrice étaient l'objet. Cependant, pressé par les protestations énergiques de ces personnes, le fonctionnaire mentionna à la fin de son procès-verbal, qu'une cinquantaine de personnes s'étaient présentées pour protester contre les faits allégués à la charge du curé et de l'institutrice. »
Eh bien, messieurs, mon honorable collègue des affaires étrangères l'a dit il y a un instant en passant, cette assertion est inexacte, je ne me servirai pas d'une expression plus forte. Massot et Jacquet ne se trouvaient pas dans la commune le jour où l'inspecteur a fait l'enquête. Je me suis assuré que cette enquête a été faite dans les conditions de la plus parfaite impartialité.
L'inspecteur, en entrant dans la commune, est allé directement à l'école ; il ne s'est mis en rapport avec aucun des habitants de la commune, le bourgmestre était absent. M. l'inspecteur s'est mis en relation avec un échevin dont le nom m'échappe et qui est connu, pour me servir de l'expression de M. Vanden Branden de Reeth pour être l'ami du curé. Il a demandé les renseignements dont il croyait avoir besoin.
Pour ne pas se mettre en contact avec les habitants qu'il savait être très irrités les uns contre les autres, il se fit apporter son dîner à l'école ; et le soir il est parti de la commune oh il n'est rentré que le lendemain matin, sans avoir eu aucun rapport avec les habitants de la localité.
II a entendu les témoins qu'on lui a indiqués.
Une foule de personnes excitées par le curé ont déposé dans les mêmes termes. L'inspecteur a cru inutile de mettre trente fois : Un tel dépose telle chose, il a mis in globo la déposition de tous ces témoins. Le lendemain, il a pu entendre Massot. Il a fait tout ce qu'il a pu pour rendre son intervention la plus impartiale possible.
Il a parfaitement réussi ; aussi je me plais à rendre hommage à l'intelligence et à la délicatesse qu'il a apportées à l'accomplissement de ses devoirs dans cette circonstance difficile.
J'arrive à l'affaire de Sombreffe. Cette affaire, d'après M. Wasseige, est tout un roman ; il y a du sentiment, il y a des pilules plus ou moins dorées, il y a une intervention de l'Etat.
Enfin d'après l'honorable membre, il y a un abus scandaleux de pouvoir. C'est là la narration de M. Wasseige ; voici la vérité.
A Sombreffe se trouvait un bourgmestre en fonction depuis trente-cinq ou quarante ans, excellent homme, probe et digne homme, je rends hommage à cet ancien bourgmestre, mais il se trouvait dans un état de santé tel, qu'il lui était impossible de continuer à administrer d'une manière convenable la commune.
M. Wasseige. - C'est la question.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, c'est la question, mais je vais citer des faits et la question sera toute résolue.
D'après les renseignements que j'ai pris, personne n'exerça la moindre influence sur mon honorable prédécesseur. La lettre que le commissaire d'arrondissement écrivait et dont on a donné lecture dans cette Chambre était un hommage rendu aux services de ce fonctionnaire et non, comme l'a dit mon adversaire, une mystification.
Voici comment cette nomination a eu lieu : des propositions ont été faites ; l'ancien bourgmestre Bequevort avait été proposé comme premier candidat par le commissaire d'arrondissement et le gouverneur ; mais, voici quelle note on mettait en marge : « Proposé uniquement à cause de son ancienneté ; il est bourgmestre depuis 1823, quoique âgé seulement de 66 ans, et tellement caduc, qu'il ne peut plus marcher sans être soutenu, il a eu des apoplexies ; administrateur médiocre ; mon prédécesseur l'a signalé dès 1834, comme ne s'occupant pas des affaires de cette commune importante où la police laisse beaucoup à désirer
. » Je souligne cette dernière phrase, parce que j'aurai l'honneur de revenir sur les certificats.
Voilà ce qu'écrivait le commissaire d'arrondissement,
(page 605) Mais il a écrit autre chose.
J'espérais que l'honorable M. Wasseige, après avoir reçu cette lettre, aurait eu la bonté de rectifier les faits qu'il avait énoncés dans la dernière séance. (Interruption.)
Messieurs, me permettez-vous de lire cette lettre.'
M. Wasseige. - Certainement !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Voici ce qu'écrit le commissaire d'arrondissement dans sa lettre du 3 février à M. Wasseige :
« Namur, le 3 février 1862.
« Monsieur le représentant,
« Dans la séance du 30 janvier, vous avez accusé le ministère de suivre une politique a outrance et pour le prouver vous avez cité l'élimination de l'ancien bourgmestre de Sombreffe qui a eu lieu, dites-vous, malgré ma présentation.
« Votre argumentation ne manque pas d'habileté, mais vous avez compté, M. le représentant, sans ma réponse.
« M. de Becquevort venait d'être réélu conseiller communal à Sombreffe par soixante-trois suffrages sur 109 votants. Il était bourgmestre depuis 37 ans, et je venais d'être appelé aux fonctions de commissaire d'arrondissement. Je n'ai pas cru, dans ces conditions, devoir prendre l'initiative d'une élimination brutale. Déjà lors du renouvellement de 1861 mon prédécesseur avait signalé le sieur de Becquevort comme ne s'occupant plus des affaires administratives. Depuis il avait eu des apoplexies, je l'avais vu se traîner péniblement suivi d'une personne portant la chaise qui devait le recevoir ; il savait à peine signer encore son nom. Malgré ces circonstances, je l'ai reporté en tête de ma liste, mais en faisant connaître ses infirmités et en signalant au gouvernement combien la police de la commune de Sombreffe laissait à désirer. Je provoquais ainsi la mesure prise, bien loin de m'y opposer ; seulement j'obtenais qu'elle eût lieu avec plus d'autorité et en conservant des égards toujours désirables envers un ancien fonctionnaire. Le gouvernement a partagé mon avis et j'ai été chargé d'écrire au sieur de Becquevort pour l'engager à une retraite volontaire. Selon vous, M. le représentant, j'ai parfaitement doré la pilule, mais elle n'a pas été avalée. Je reçus effectivement une réponse, celle dont vous avez donné lecture à la Chambre et qui a été transmise à l'autorité supérieure.
« Ce que vous ignorez sans doute, c'est qu'au moment où la réponse du sieur de Bccquevort a été écrite, il n'était plus même en état de la signer ; la personne qui vous a remis la correspondance eût dû vous confier ce petit détail, la signature est imitée, un faux matériel a été commis, tous ceux qui ont vu la lettre l'ont constaté. J'affirme le faux, trouvez-vous encore, M. le représentant, que l'élimination soit injuste, que l'incapacité n'était pas réelle ? J'avais signalé la nullité de la police, est-ce que les révélations de la cour d'assises de Mons ne vous ont pas appris que les crimes principaux ont été commis pendant que le sieur de Becquevort était bourgmestre ?
« Vous avez critiqué une nomination, une seule sur cent vingt-trois bourgmestres de l'arrondissement dont le mandat a dû être renouvelé.
« Plusieurs d'entre eux avaient appuyé votre candidature ; c'est à leur concours que vous devez d'avoir pu lancer contre le gouvernement une attaque injuste et passionnée. Ils devront croire que vous avez oublié leurs services, ou bien ils devront reconnaître que le nouveau mandat dont ils ont été honorés est une réfutation péremptoire de votre accusation.
« Je vous prie de recevoir, M. le représentant, l'assurance de ma parfaite considération.
« Le commissaire de l'arrondissement, « (Signé) J.-B. Joly. »
Messieurs, voilà quel était M. Becquevort, l'ancien bourgmestre de Sombrcffe, homme parfaitement honorable, je le répète.
Le candidat nommé, M. Février, était proposé en seconde ligne par le commissaire d'arrondissement et par le gouverneur comme échevin., M. le gouverneur de la province disait :
« M. Février, âgé de 33 ans, conseiller communal en 1839, échevin en 1848, conseiller provincial depuis 1850, ancien lieutenant-colonel de la garde civique. »
M. Février, qui a été nommé, était proposé comme premier candidat pour être échevin par M. le gouverneur et comme second candidat pour être bourgmestre par le commissaire d'arrondissement.
Je vous le demande, en présence de ces présentations, en présence de ces faits, le gouvernement pouvait-il hésiter ? Mon honorable prédécesseur ne devait-il pas tenir compte des exigences administratives et ne pouvait-il pas remplacer le bourgmestre qui était reconnu incapable de remplir ses fonctions, par un homme valide, capable, qui depuis 1848 remplissait avec succès les fondions d'échevin de la commune ?
Je crois que dans ce fait il n'y a aucun reproche à faire, que ceux qu'on a faits sont injustes.
Je puis de plus donner l'assurance que M. Février est un homme parfaitement capable de remplir ses fonctions et qu'il les remplit à la satisfaction de tous. C'est un homme instruit, ferme et dévoué, qui répond parfaitement à ce qu'on était en droit d'attendre de lui.
On me dira : Et les certificats ! Eh bien, là encore il y a eu, de la part de l'honorable M. Wasseige, beaucoup d'exagération.
M. Wasseige. - Je vous prie d'adresser ce compliment à M. de Bavay. Je n'ai fait que répéter ce qu'il a dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je m'adresse à vous. Je n'ai pas l'habitude de démonétiser les fonctionnaires. Mais puisque vous m'y provoquez, je dirai que si les paroles attribuées à M. de Bavay étaient exactes, ce dont je doute, il y aurait une appréciation faite avec légèreté.
« Vous savez probablement, me disait l'honorable M. Wasseige, que la plupart des accusés appartiennent à la commune de Sombreffe. Or, il se trouvait qu'ils étaient presque tous porteurs d'un certificat de moralité délivré par le nouveau bourgmestre. »
M. Wasseige. - C'est M. de Bavay qui dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pardon ; c'est vous qui dites ces mots ; ceux de M. de Bavay viennent un peu plus loin.
M. Nothomb. - Laissez donc M. de Bavay, qui n'est pas ici pour se défendre ; cela ne convient pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je suis provoqué. Devons-nous nous laisser attaquer sans nous défendre ?
Vous dites que presque tous les accusés étaient porteurs d'un certificat de moralité délivré par le nouveau bourgmestre.
M. Wasseige. - Les accusés de Sombreffe. Il ne peut être question des autres.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Quatre accusés de Sombreffe ont reçu des certificats du bourgmestre. Eh bien, que disent ces certificats ?
Il y en a qui sont sans restriction, mais il y en a un où l'on dit :
« Le bourgmestre de Sombreffe soussigné, déclare que le nommé J. Leclercq, tailleur de pierres en cette commune, paraît être d'une bonne conduite et de bonnes mœurs.
« Le soussigné doit cependant ajouter que ledit Leclercq a déjà été soupçonné de délits mais qu'il n'est pas à la connaissance du soussigné que son administré ait subi aucune condamnation de ce chef..
« Sombreffe, le 28 avril 1861.
« Signé : G. Février. »
Voilà un des certificats. Si l'on se contente d'un pareil certificat, l'on n'est pas difficile. Je dis, quant à moi, que ce certificat est très consciencieux.
Je le répète, d'autres sont sans restriction.
M. Wasseige. - Lisez-les.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je les lirai, si on le désire.
Voici deux de ces certificats :
« N° 2. Je soussigné, bourgmestre de Sombreffe, certifie que le nommé François Vanderavero et son fils Auguste, tous deux de cette commune, sont de bonne vie et mœurs et jouissent à juste titre d'une bonne réputation.
« Sombreffe, le 5 mai 1861.
« (Signé) G. Février. »
«N° 3. Le bourgmestre de Sombreffe, soussigné, certifie que le sieur Jean-Hubert Lefebvre, fils, journalier en cette localité, fils de Jean-Hubert Lefebvre et de Lambertine Goffin, est de vie et mœurs irréprochables et de bonne conduite.
« Sombreffe, le 7 juin 1861.
« (Signé) G. Février. »
Enfin, je donne lecture du dernier certificat ainsi conçu :
« N° 4. Le bourgmestre de Sombreffe, soussigné, déclare que pendant la demeure en cette commune du sieur Alexandre Leclercq, il n'est pas à sa connaissance qu'il ait été porté aucune plainte contre ledit Leclercq, qui aurait pu inculper sa conduite ou sa moralité, faisant observer que celui-ci a quitté cette commune depuis quelques années pour demeurer à Tongrinne, d'où il est allé s'établir en France.
« Sombreffe, le 18 octobre 1861.
- (Signé) G. Février, »
Ce certificat est donné pour le temps où l'individu habitait la commune ; le bourgmestre n'avait pas à s'enquérir de ce qu'il avait fait depuis,
Messieurs, il résulte de ceci que, sur quatre certificats délivrés, le (page 606) nouveau bourgmestre de Sombreffe s'est trompé pour deux personnes. Peut-on lui reprocher de n'avoir pas été plus clairvoyant que la justice ? Il arrive tous les jours qu'un fonctionnaire public, même vigilant, soit mal renseigné. Cela est plus excusable encore chez un nouveau bourgmestre, qui trouve la police très mal organisée dans sa commune. Je termine ici cette partie de mon discours.
L'honorable M. Dechamps m'a demandé de citer des faits prouvant que ses amis au pouvoir avaient fait des nominations de bourgmestres et échevins en dehors des propositions des gouverneurs.
Je pourrais en citer un très grand nombre, j'en prendrai seulement quelques-uns au hasard.
Dans la commune de... (Luxembourg) le bourgmestre était décédé ; M. le gouverneur de la province proposa comme premier candidat, le sieur... ; le ministre allait faire cette nomination quand intervinrent certaines influences ; le ministre de l'intérieur pria le gouverneur de lui proposer un autre candidat, M. le gouverneur maintint ses premières propositions et cet autre candidat fut nommé en dehors de toute proposition. L'arrêté royal est du 14 octobre 1856.
Dans la commune d'Oultre le bourgmestre était également décédé ; des présentations furent faites par M. le gouverneur de la Flandre orientale.
Là encore intervinrent des influences et un arrêté royal du 11 décembre 1856 nomma un candidat qui n'avait été proposé ni par le commissaire d'arrondissement ni par le gouverneur.
Et de deux.
Un autre arrêté royal, du 11 octobre 1856, nomma, dans la commune de Nederhasselt (Flandre orientale), un bourgmestre qui n'avait été proposé ni par le commissaire d'arrondissement ni par le gouverneur. Le candidat du gouverneur était un homme fort honorable.
Malgré ces recommandations, le ministre d'alors crut ne pas pouvoir nommer le candidat du gouverneur. Il nomma un autre candidat, que le gouverneur, non seulement ne voulait pas proposer, mais à la nomination duquel il s'opposait de la manière la plus énergique.
Ce candidat était un homme fougueux autrefois, grand ennemi du curé. Il était tellement l'ennemi du curé, qu'il faillit être poursuivi pour un fait d'une extrême gravité ; assistant à un enterrement il avait voulu substituer au cadavre, dans la fosse, le vicaire lui-même qui officiait. »
Quelques années après, il s'était converti et comme il est à tout péché miséricorde, il fut nommé. Ce qui est certain c'est qu'il n'avait pas été proposé par le gouverneur, que le gouverneur avait, au contraire, fait connaître tous ses antécédents.
Dans une autre commune, à Oordegem, le même fait se présente pour un échevin. Le gouverneur propose un candidat ; les influences agissent, on consulte le gouverneur qui répond ceci :
« Introduire le sieur......dans le collège, serait y apporter le désordre et la violence et la commune en serait victime. »
Cependant la personne qui devait apporté le désordre et la violence dans la commune est nommé, par arrêté royal du 6 juin 1855 en dehors de toute proposition.
Encore un fait :
La commune de Hautem-Saint-Lievin avait un bourgmestre extrêmement méritant nommé Verbruggen.
A sa mort, des élections eurent lieu, et son fils fut nommé conseiller communal à une immense majorité. Celui-ci fut proposé par le commissaire d'arrondissement et par le gouverneur ; le conseil communal tout entier, le bureau de bienfaisance, le conseil de fabrique de la paroisse, et enfin presque tous les électeurs, insistèrent dans les termes les plus énergiques pour obtenir la nomination de ce fonctionnaire.
Malgré les présentations des autorités, malgré ces recommandations générales, un souffle d'intolérance se fit sentir, et l'honorable M. de Decker, qui sut y résister dans d'autres circonstances, dut s'incliner, et le sieur Verbruggen ne fut pas nommé ; on lui préféra une personne qui n'avait été proposée par aucune autorité et qui n'avait l'appui d'aucune des administrations de la commune.
Je crois que je puis borner là mes citations.
M. Nothomb. - Voilà cinq faits dans un grand nombre d'actes ; c'est bien peu de chose. Je regrette que mon honorable collègue et ami M. de Decker soit momentanément absent. Je suis convaincu qu'il justifiera sans peine tous ces actes, il n'en a jamais posé qu'il ne puisse hautement avouer. Attendez jusqu'à demain.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je viens de citer cinq faits ; mais si l'honorable M. Nothomb le désire, je pourrai produire demain d'autres faits qui se sont passés dans certaines provinces, bien que je n'aime pas ce genre de discussion. Je ne blâme pas celui de mes honorables prédécesseurs qui a posé ces actes ; je dis que le gouvernement d'alors avait le droit de les poser, comme nous avons le droit d'en poser de semblables ; mais je pense que vous êtes malvenus de venir nous accuser, après avoir posé des faits identiques ; en d'autres termes, que vous ne devez pas voir une paille dans l'œil de votre voisin, quand vous n'apercevez pas une poutre dans le vôtre.
M. Ch. Lebeau. - Messieurs, je dois quelques mots de réponse à ce que vient de dire l'honorable M. Dechamps. Je serai aussi bref que possible et n'abuserai pas des moments de la Chambre.
L'honorable membre s'est plaint de ce que la discussion avait pris un caractère un peu personnel entre nous ; mais il oublie que c'est lui qui a amené la discussion sur ce terrain, que c'est lui qui m'a attaqué et que je n'ai fait que lui répondre.
Messieurs, l'honorable M. Dechamps a fait un grief au gouvernement de ne pas avoir renommé, en 1857, tous les bourgmestres dont le mandat expirait dans l'arrondissement de Charleroi. Je dois faire remarquer que l'honorable membre est rentré à la Chambre en 1859 ; ces récriminations sont tardives ; depuis lors on y a discuté les budgets de 1860 et de 1861, et l'honorable M. Dechamps n'a pas cru alors - il est vrai que c'était avant les élections - devoir faire le moindre grief au gouvernement de n'avoir pas renommé les anciens bourgmestres.
Messieurs, quels sont en définitive les faits dont on se plaint ? On prétend que, sur quinze bourgmestres dont le mandat expirait à la fin de décembre 1857, dix n'ont pas été renommés ; je crois que l'honorable M. Dechamps se trompe, quand il déclare qu'il n'y avait que quinze bourgmestres dont le mandat finissait ; le nombre de ces bourgmestres était de dix-sept ; sur ce nombre dix effectivement n'ont pas été renommés, mais je soutiens que le gouvernement a bien fait en agissant ainsi.
Mais, dit l'honorable M. Dechamps, il est de jurisprudence constante que quand les bourgmestres ont été réélus ou qu'ils sont à la tête de la majorité du conseil, le gouvernement renouvelle leur mandat.
Messieurs, en fait, si parmi les bourgmestres dont le mandat expirait en 1857, 10 d'entre eux n'ont pas vu renouveler ce mandat, il est à remarquer que de ces 10 bourgmestres, il y en avait d'abord deux qui avaient été nommés un mois ou deux avant les élections communales, l'un dans la ville de Gosselies, l'autre dans la commune de Jumet, c'est-à-dire dans deux des communes les plus importantes de notre arrondissement, alors que ces deux communes avaient eu jusque-là des bourgmestres libéraux. Ainsi à la tête du conseil communal de Jumet se trouvait l'honorable M. Frison qui a fait longtemps partie de cette Chambre ; et le conseil communal, composé de 11 membres, comptait 8 libéraux et 3 catholiques. Il en était de même à Gosselies, la majorité du conseil était libéral et l'ancien bourgmestre appartenait à la même opinion.
Eh bien, un mois ou deux avant les élections communales, on a nommé dans chacune de ces deux communes un bourgmestre catholique en remplacement d'un bourgmestre libéral. Le même fait s'est reproduit dans sept ou huit autres communes.
.M. Dechamps. - M. Frison qui avait donné sa démission de bourgmestre, après une grave maladie, a écrit lui-même au ministre M. de Decker, pour lui demander de nommer le bourgmestre actuel comme le plus digne de le remplacer.
M. Ch. Lebeau. - L'honorable M. Frison n'a jamais cessé d'être un libéral, mais il est possible que le bourgmestre qui a été nommé en son remplacement se disait alors libéral pour obtenir son appui et sa recommandation ; mais depuis lors il a complètement changé d'opinion.
Ainsi donc en fait le ministère libéral n'a fait que rétablir les choses sur l'ancien pied.
On avait nommé des bourgmestres catholiques, en remplacement de libéraux, dans les communes dont les conseils communaux étaient composés en majorité de libéraux ; eh bien, ces bourgmestres catholiques, qui avaient été nommés à la place de libéraux, ont été remplacés à leur tour par des libéraux.
Et dans quelles circonstances ces nominations ont-elles été faites par le cabinet actuel ? C'est au moment où les bourgmestres qui n'ont pas été renommés venaient de lui faire une opposition publique, c'est après qu'ils avaient signé un manifeste dirigé contre lui.
L'honorable M. Dechamps dit que ce n'était pas un manifeste. J'ai ici la pièce, elle est intitulée : « Manifeste aux électeurs de l'arrondissement de Charleroi. » Mon honorable contradicteur allègue qu'on avait qualifié la pièce de manifeste, pour grossir la chose ; eh bien, ce sont les signataires eux-mêmes qui l'ont qualifiée ainsi.
Voilà donc les faits.
En principe, je dis que le ministère avait le droit, eu égard surtout aux circonstances dans lesquelles il se trouvait, de nommer des bourgmestres libéraux, des bourgmestres appartenant à son opinion, en remplacement (page 607) des ceux qui, au début de son avènement, protestaient déjà contre sa politique, contre ses principes.
Il serait étrange qu'on imposât à un cabinet l'obligation de même à la tête des administrations communales des hommes qui lui font, dès les commencements, une opposition vive, patente et publique.
Sans doute, un bourgmestre a parfaitement le droit de professer une opinion politique, autre que celle du ministre, et le gouvernement n'a pas le droit de l'en faire changer ; mais quand le bourgmestre signe, en sa qualité, de bourgmestre, des manifestes électoraux, pour protester contre les principes des hommes qui sont au pouvoir, quand il use de son influence de bourgmestre pour combattre ouvertement le ministère, il se met alors en opposition avec le pouvoir central, et dans ce cas, il ne peut demander ni espérer le renouvellement de son mandat.
C'est ainsi que les choses se passent dans tous les gouvernements constitutionnels, notamment en Angleterre ; chez, eux, c'est une chose toute naturelle : lorsque le ministère change, tous les hommes politiques quittent leurs fonctions avec lui.
Ainsi donc, quand un bourgmestre veut faire de la politique militante, quand il veut combattre le ministère qui est au pouvoir, il ne doit pas s'attendre à se voir conférer un nouveau mandat par ce même ministère.
C'est une conséquence de la position qu'il a prise.
Messieurs, quand il s'agit d'une nomination nouvelle, quand un bourgmestre est à nommer par suite de décès, de démission ou de non élection comme conseiller, évidemment vous ne feriez pas un grief au gouvernement d'avoir nommé un bourgmestre qui appartient à sa nuance politique. En est-il autrement, quand il s'agit de nommer un bourgmestre par suite d'expiration de mandat ? Je ne le pense pas.
Je comprends cependant qu'à mérite égal on nomme l'ancien bourgmestre s'il n'a pas démérité au point de vue administratif ; mais quand il y a parité de titres, et quand il est constant que l'ancien bourgmestre a fait de l'opposition publique au gouvernement, n'est-il pas de la dignité du ministère comme de la dignité du bourgmestre opposant, que le mandat ne soit pas renouvelé ?
Messieurs, on prétend que le mandat du bourgmestre est purement administratif et n'a rien de gouvernemental ni de politique. Je le nie positivement. Sans doute le bourgmestre, comme conseiller communal, a un mandat administratif ; mais quant à ses fondions de. bourgmestre, il est, sous certains rapports, l'auxiliaire du gouvernement central.
M. Van Overloop. - Oui comme agent du pouvoir exécutif.
M. Ch. Lebeau. - Messieurs, cette définition n'est pas de moi, c'est l'honorable M. Nothomb qui, dans la discussion de la loi de 1842 sur les modifications à la loi communale, disait que le bourgmestre était un agent du pouvoir central.
Je dis donc que le bourgmestre est, sous certains rapports, un agent du pouvoir central en sa qualité de bourgmestre.
M. Van Overloop. - C'est le système français.
M. Ch. Lebeau. - Mais en 1842, l'honorable M. Malou proposait par amendement de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, et de rendre ces fonctions incompatibles avec celles de conseiller communal.
Cet amendement ne fut pas adopté.
Or, dans ce système, s’il avait été admis, les fonctions de bourgmestres eussent ressorti exclusivement au gouvernement central.
Je le répète, dans les circonstances où le gouvernement se trouvait en 1857, il a bien fait en nommant les dix bourgmestres libéraux en remplacement de catholiques dans l'arrondissement de Charleroi, et je soutiens qu'en principe il doit agir de de même en toute occasion.
On nous a parlé ensuite plus spécialement du bourgmestre de Jumet.
L'honorable M. Dechamps a fait l’éloge de son candidat. Je pourrais, à mon tour, faire l'éloge de son concurrent.
Il nous a dit que le bourgmestre de Jumet était avocat, ce qui est vrai ; mais quant à ses capacités administratives, je pourrais les discuter au point de vue du droit. Car dernièrement, il a procédé à une adjudication de barrière et il a déclaré adjudicataire un membre de l'administration communale, contrairement à un texte formel de la loi communale. Je pourrais les critiquer encore au point de vue de la police locale, qui à coup sûr est insuffisante et mal organisée pour une commune aussi importante. L'honorable ministre de la justice doit même avoir des renseignements spéciaux sur ce point.
M. Dechamps a dit que son candidat avait été élu à une grande majorité» Cela n'est pas tout à fait exact. Son concurrent le suivait d'ailleurs de très près quoiqu'il n'ait pas été élu au premier tour.
.M. Dechamps. - Il n'est entré dans le conseil qu'à l'aide d'un ballotage.
M. Ch. Lebeau. - Cela est vrai, et c'est ce que je dis ; mais dans une élection provinciale où ils étaient sur les rangs l'un et l'autre, le concurrent du bourgmestre a obtenu près de 150 voix de plus que lui.
Quant aux pétitions des habitants de la commune dont on a parlé, on sait comment s'obtiennent les signatures, surtout lorsque la pétition est présentée par le bourgmestre lui-même.
Sous le rapport politique, l'honorable M Dechamps vous a dit que, M. le bourgmestre de Jumet était modéré, que ce n'était pas un homme de parti.
Cela est si peu exact, qu'il a signé un des premiers le manifeste électoral dont j'ai parlé, et je vous ai dit dans quelles circonstances il avait été nommé, c'est un mois avant l'élection communale ; je vous ai dit également qu'il avait été nommé en remplacement d'un bourgmestre libéral alors qu'à cette époque, le conseil communal était composé en majorité de libéraux.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point, car je ne veux pas abuser des moments de la Chambre.
M. le président. - Voici, messieurs, un amendement proposé par l'honorable M. Coomans au chapitre VIII, Tir national :
« Supprimer le crédit de 10,000 francs en maintenant celui de 25,000 fr. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 4 h. 40.