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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 527) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Sielzcs demande que le militaire François de Swerts soit exempté du service militaire. »

M. Coomans. - Je demanderai le dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget de la guerre, de la pétition qui vient de nous être adressée au nom des parents du milicien Deswerts.

J'apprends avec plaisir que deux honorables ministres se sont intéressés à cet homme et que très prochainement il sera rendu à ses parents. Seulement, à ce propos je demande la permission de soumettre à la Chambre une observation pratique. (Interruption.) C'est au sujet de la pétition et comme rectification que je prononce ces paroles.

L'an dernier le milicien dont il s'agit a reçu un imprimé en français ; cet imprimé portait entre autres, me dit-on, qu'il avait à reproduire le certificat qu'il avait fourni l'année précédente, certificat constatant qu'il était enfant unique et que sa mère, âgée de plus de 60 ans, ne lui avait'pas donné de frère ni de sœur dans le cours de l'année.

Le milicien Deswerts et ses parents, ne sachant pas un seul mot de français, ont déposé le billet dans une armoire et ont laissé écouler le temps pendant lequel ils pouvaient réclamer, et c'est parce qu'ils n'ont pas réclamé à temps qu'il a été très légalement, je le reconnais, mais très tristement incorporé dans son régiment.

J'apprendrai avec plaisir que l'honorable Flamand qui dirige le département de l'intérieur a pris bonne note de ma réclamation ; je ne serais pas étonné que déjà elle eût été rendue inutile par l'initiative de l'honorable ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Immédiatement après la discussion qui a eu lieu l'autre jour dans cette Chambre, j'ai prié mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, de vouloir bien accorder un congé au milicien Deswerts. Cette démarche n'était, du reste, pas nécessaire, l'honorable général Chazal, qui avait assisté à la séance, s'étant empressé do donner des ordres pour l'envoi en congé de Deswerts.

Quant à la deuxième question soulevée par l'honorable M. Coomans, il y a déjà quelque temps que je me suis occupé de la question de savoir si les imprimés concernant la milice sont envoyés en flamand aux miliciens des provinces flamandes ; on m'a donné l'assurance que cela se faisait et que ces imprimés étaient distribués en français ou en flamand suivant les circonstances.

Toutefois pour qu'il ne puisse pas y avoir de doute, pour que l'abus signalé ne puisse pas se produire, je viens de rappeler les instructions déjà données, pour que tous les imprimés relatifs à la milice soient faits dans la langue dont fait usage le milicien auquel cet imprimé est adressé.

- La proposition de M. Coomans est adoptée.


« Des huissiers-audienciers du tribunal de Tournai demandent que le tarif de leurs émoluments soient augmentés et que les huissiers-audienciers reçoivent un traitement fixe et annuel pour le service intérieur du tribunal. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Santvliet demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande des administrations communales de Thielen et Lede. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Tellin demandent la construction d'une route d'Ortheuville à Forrières. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Des habitants de Bevere demandent que l'enseignement primaire soit donné gratuitement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Julliot demande un congé de quelques jours pour cause d'indisposition. »

- Ce congé et accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Pain, fourrage et autres allocations

Article 23

M. le président. - Il est parvenu au bureau un amendement ainsi conçu :

« Supplément à l'indemnité pour logements militaires ; fr. 10,000.

« Signé : Coomans, H. Dumortier, de Mérode-Westerloo, Royer de Behr, Alp. Nothomb, Beeckman, Landeloos. »

L'amendement a été développé. Il fait partie de la discussion.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Cet amendement se rapporte à plusieurs articles, à l'infanterie, à la cavalerie, à l'artillerie et au génie.

Motion d’ordre

M. Jamar. - Messieurs, la séance d'hier a été absorbée complètement par la discussion de prompts rapports, sans que la Chambré ait pu aborder l'examen des rapports ordinaires. Le feuilleton de pétitions n°8 contient une pétition n° 14096, dont je demande à la Chambre d'ordonner le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur. cette pétition est signée par un grand nombre de gardes civiques de Bruxelles, qui demandent qu'il soit apporté des modifications à l'organisation de la garde civique. Cette pétition donnera lieu à des observations sérieuses dans le cours de la discussion du budget de l'intérieur. Il me paraît utile, en conséquence, qu'elle soit déposée sur le bureau pendant cette discussion.

M. Allard. - Messieurs, on ne peut pas ordonner le dépôt sur le bureau d'une pétition sur laquelle un rapport n'a pas été présenté. Le. rapport est prêt. L'honorable M. Jamar devrait demander que le rapport fût fait à la Chambre avant la discussion du budget de l'intérieur, et alors la Chambre décidera s'il y a lieu de déposer la pétition sur le bureau.

M. Goblet. - Je ferai observer à l'honorable M. Allard que la Chambre a déjà bien souvent ordonné le dépôt sur le bureau de pétitions, sans même que la commission des pétitions eût pris connaissance de ces pièces. J'appuie la motion de l'honorable M. Jamar qui propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur ; et je demande que la même décision soit appliquée aux autres pétitions du même genre qui ont été adressées à la Chambre de divers points du pays.

M. Jamar. - Je ne m'opposerai pas à la motion de l'honorable M. Allard ; mais il faudrait que le rapport fût fait avant la discussion du budget de l'intérieur ; la Chambre cependant économiserait un temps précieux, en décidant que la pétition sera déposée sur le bureau.

M. Goblet. - Messieurs, il y a deux propositions en présence, la proposition de l'honorable M. Jamar et celle de M. Allard. Ces deux propositions sont tout à fait distinctes. L'honorable M. Allard propose de discuter la pétition avant la discussion du budget de l'intérieur, et l'honorable M. Jamar demande, pour sa part, que la pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur. L'objection de l'honorable M. Allard n'est pas sérieuse ; car, je le répète, on a déposé souvent sur le bureau des pétitions qui n'avaient pas même été renvoyées à la commission.

M. Vander Donckt. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. Allard est en effet la seule admissible, parce que, seule, elle est conforme au règlement. La pétition dont il s'agit a été envoyée à la commission des pétitions el l'honorable M. Hymans a été chargé du rapport sur l'objet dont elle traite. Eh bien, à la première demande de M. le président l'honorable membre pourra nous présenter ce rapport et la Chambre prendra alors telle décision qu'elle jugera utile.

M. Allard. - Mais, messieurs, il ne faut plus de commission des pétitions si la Chambre peut décider que des pétitions, renvoyées à cette commission, seront déposées sur le bureau ou prendre telle autre décision qu'elle jugerait convenable. Cette marche, d'ailleurs, pourrait offrir de graves inconvénients ; car enfin, il peut très bien arriver que la commission des pétitions soit d'avis de laisser certaines pétitions sans suite, soit à cause de la forme, soit à raison de l'objet dont elles traitent ; de sorte que la Chambre s'exposerait à méconnaître les considérations qui auraient déterminé cette résolution de la part de la commission des pétitions.

(page 528) Je crois donc que la proposition qui est soumise à la Chambre consacrerait un précédent peut-être dangereux.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je suis de ceux qui croient que, après les discussions qui ont occupé la Chambre pendant plusieurs semaines et en présence des budgets que nous avons encore à voter et qui sont précisément ceux dont la discussion dure ordinairement le plus longtemps, il est indispensable de ménager le plus possible les moments de cette assemblée.

Je crois donc que, sans nous arrêter aux considérations basées sur le règlement, auxquelles l'honorable M. Vander Donckt a fait allusion, nous ferions chose utile en renvoyant à la discussion du budget de l'intérieur l'examen de la pétition dont il s'agit. De cette façon, nous n'aurions pas deux discussions au lieu d'une sur le même objet.

M. le président. - Le dépôt sur le bureau n'exclut pas la présentation d'un rapport ; cela peut parfaitement se concilier.

M. Van Humbeeck. - Je crois, comme l'honorable préopinant, qu'il faut ménager les moments de la Chambre. Mais je pense aussi qu'il faut avoir quelque respect pour d'honorables collègues qui sont nos délégués à la commission des pétitions ; et ce serait manquer à ce sentiment que d'ordonner le dépôt pur et simple sur le bureau d'une pétition qui a été envoyée à la commission des pétitions et sur laquelle elle a déjà rédigé un rapport.

Il y a, je pense, un moyen de tout concilier : quand viendra la discussion du budget de l'intérieur et que nous serons arrivés au chapitre de la garde civique, l'honorable rapporteur de la commission des pétitions pourra monter à la tribune et nous donner connaissance d'un rapport annoncé déjà dans un feuilleton.

L'objet de la pétition pourra ainsi être compris dans la discussion même de ce chapitre ; tous les droits seront sauvegardés et les moments de la Chambre ménagés autant qu'il est possible.

M. le président. - C'est ce que je dis ; la proposition de M. Jamar n'exclut pas la présentation d'un rapport. On peut donc décider que la pétition sera déposée sur le bureau.

M. Muller. - Et que le rapport sera fait.

M. le président. - La Chambre décidera, à cet égard, ce qu'elle voudra ; cela dépendra du cours de la discussion.

M. E. Vandenpeereboom. - Je crois, messieurs, que la proposition de l'honorable M. Van Humbeeck est celle qui, en donnant satisfaction aux prescriptions du règlement, ménage le plus les moments de la Chambre.

Quand viendra la discussion du chapitre du budget de l'intérieur relatif à la garde civique, l'honorable rapporteur de la commission des pétitions pourra présenter son rapport et la discussion sur l'objet de la pétition se confondra avec celle du chapitre même de la garde civique. En présence de cette proposition, il n'y a rien à décider en ce moment quant au dépôt de la pétition sur le bureau.

Mais que la Chambre convienne que lors de la discussion du budget de l'intérieur le rapporteur présentera son rapport avant la discussion de l'article « garde civique », et alors, la question soulevée par la pétition viendra d'elle-même. C'est la seule décision qui puisse être utilement prise en ce moment.

- La proposition est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Pain, fourrage et autres allocations

Article 23

M. le président. - Nous étions arrivés à l'article 23 : fourrages en nature. 5,243,098,30.

Il faut placer ici la discussion, s'il y a lieu, et le vote de la proposition de M. Coomans.

M. Coomans. - J'ai très peu de mots à ajouter aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter avant-hier, il est entendu pour nous tous ou à peu près, que l'indemnité pour logement militaire est très insuffisante ; dès lors il y a là une injustice, je pourrais dire une illégalité, qu'il nous importe de réparer sans retard.

Je serais très fâcheusement surpris si le gouvernement n'adhérait pas à notre proposition.

Ainsi qu'un honorable collègue l'a fait observer, ce sont presque toujours les mêmes populations qui sont frappées de cet impôt onéreux, extraordinaire, arbitraire, de cette véritable servitude.

La réponse de M. le ministre de la guerre m'a paru trop simple ; il s'est borné à dire que les logements militaires étaient devenus si peu fréquents aujourd'hui qu'il ne valait guère la peine de s'en occuper. A quoi je réplique que si les logements militaires sont peu fréquents, ils ne sont pas moins onéreux pour les citoyens qui les subissent et la charge résultant de l'augmentation de l'indemnité sera peu onéreuse pour le budget.

Mais j'ai lieu de croire que les logements militaires sont encore très nombreux, car on m'a assuré que l'adoption du principe de mon amendement coûterait plus de 100,000 franco au trésor.

J'ai dit que l'indemnité de 74 centimes par jour, très inférieure à la journée d’entretien dans les dépôts de mendicité, devait être doublée.

Cependant le chiffre que j'indique n'est pas absolu ; si le gouvernement voulait en proposer un qui ne fût pas sensiblement inférieur, je l'adopterais volontiers, à condition que la réforme soit mise en vigueur dès l'été prochain.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Quand cette question a été soulevée, j'ai dit que l'indemnité de logement militaire avait été fixée par un arrêté du 30 juin 1814 qui a donné à l'autorité militaire le droit de faire loger les troupes chez les habitants, quand elles sont en marche. Je ne sais si par un article du budget on peut changer une loi spéciale. Si la chose est possible, si elle ne présente pas d'inconvénients, je ne m'opposerai pas à ce qu'on le fasse, à la condition expresse que le droit de loger les troupes chez les habitants restera intact.

Si ce droit était supprimé, il serait impossible de faire voyager les troupes, de les envoyer au camp pour leur instruction, ou de les réunir sur un point lorsque les circonstances l'exigeraient. Il faut donc que le droit reste entier.

Je ferai cependant remarquer que l'augmentation proposée par M. Coomans entraînerait une dépense considérable :

Pour l'infanterie fr. 121,000 00

Pour la cavalerie 19,050 40

Pour l'artillerie 28,076 52

Pour le génie 3,268 00

Ce qui fait un total de fr. 172,574 72

M. Coomans. - Il y a donc beaucoup de logements militaires ?

M. Beeckman. - A quel taux élèverait-on l'indemnité ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Le calcul est établi sur le chiffre de 1 fr. 50 c.

M. Coomans. - Je viens de faire remarquer que, d'après les chiffres donnés par M. le ministre de la guerre, il doit y avoir beaucoup de logements militaires.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il faut loger les miliciens qui se rendent à leur dépôt, c'est-à-dire 10,000 hommes par an.

M. Coomans. - Pas tous.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pas tous, mais un grand nombre.

Il y a ensuite les troupes qui vont au camp, il y a les changements de garnison.

Je le répète, messieurs, l'augmentation de dépense serait de 172,574 fr. 72 c. Si la Chambre veut ajouter cette somme au chiffre du budget, je n'y ferai pas d'opposition.

M. Magherman. - Le budget étant une loi d'application, je ne pense pas qu'il suffise d'augmenter le crédit au budget pour permettre au gouvernement d'élever le taux de l'indemnité pour les logements militaires. Si nous nous bornons à majorer le crédit, il en résultera qu'on pourra accorder un plus grand nombre d'indemnités, que le ministre pourra faire un peu plus promener la troupe ; mais je ne pense pas que la cour des comptes puisse liquider les indemnités de logement à un taux supérieur à celui qui est établi par l'arrêté-loi de 1814.

Je suis d'opinion, messieurs, qu'il faudrait une loi pour modifier l'arrêté du prince souverain relatif à cette matière et qui date de 1814. C'est une simple formalité, puisqu'on est d'accord sur le fond. M. le ministre de la guerre en fera l'objet d'un projet de loi.

Du reste, tout le monde reconnaît que l'indemnité est insuffisante par suite de l'augmentation du prix des denrées. Le gouvernement a déjà augmenté les traitements des fonctionnaires dont le chiffre a été fixé en 1830 et postérieurement ; or, le chiffre de l'indemnité pour logements militaires avant été fixé en 1811, il en résulte à plus forte raison que le taux de cette indemnité est devenu aujourd'hui complètement insuffisant.

M. Goblet. - Messieurs, je n'entrerai pas dans le fond de la question ; j'ai pris la parole uniquement pour faire une réserve relativement à la conséquence que l’honorable ministre de la guerre paraît vouloir tirer du vote qui l'autoriserait à augmenter l'indemnité pour logements militaires. Il a dit qu'il était bien entendu que dans ce cas on ne contesterait plus à l'autorité militaire le droit de loger les troupes chez les citoyens.

Eh bien, messieurs, je n'admettrais pas cette conséquence. Je ne veux pas discuter maintenant la question, elle est extrêmement grave ; c'est une question constitutionnelle et on ne peut pas la résoudre en quelque sorte à la sourdine.

(page 529) Un mot, messieurs, relativement à la réponse que M. le ministre de la guerre a faite dans une séance précédente à l'honorable M. Coomans. L'honorable M. Coomans s'était plaint de l'insuffisance de l'indemnité accordée aux citoyens qui logent les soldats. L'honorable ministre de la guerre s'est retranché derrière la loi, il a dit : C'est une loi qui fixe le chiffre de l'indemnité et je n'ai rien à y voir.

L’honorable ministre de la guerre aurait, en consultant la page 68 de l’exposé général de la situation du royaume, publié par le ministère de l’intérieur, pu voir que son assertion n’était pas fondée ; d’après ce texte, il suffirait d'un arrêté pour modifier le taux de l'indemnité accordée aux citoyens qui logent des militaires.

M. de Montpellier. - La proposition de M. Coomans me fournit l'occasion d'adresser une observation à M. le ministre de la guerre. J'ai remarqué que, cette année, le jour de la fête du 15 août, on a fait voyager les troupes ; un régiment de chasseurs est parti pour Tournai, d'autres régiments se sont aussi mis en route.

Je pense que l'on pourrait très bien, tout en respectant les exigences du service, respecter aussi la liberté des cultes. Le soldat a le droit, tout aussi bien que les autres citoyens, de remplir les devoirs que sa religion lui impose.

M. H. Dumortier. - J'ai été étonné de la facilité avec laquelle l'honorable général Chazal semblait accueillir notre demande, mais je crains que cette facilité ne cache pour nous quelque déception, et je suis bien tenté de dire : timeo Danaos et dona ferentes. Que nous a dit, en effet, l'honorable ministre, lorsque M. Coomans a réclamé à propos des logements militaires ? Il a dit que cette corvée n'existait plus guère que de nom ; qu'il n'y avait pour ainsi dire plus de logements militaires si ce n'est une fois par an lorsque les troupes se rendent au camp ; que ce n'était pas la peine d'en parler.

Nous ne nous sommes pas contentés de cette réponse ou de cette quasi-réponse, et maintenant que nous réclamons une indemnité plus forte, voilà que tout à coup l'honorable général Chazal trouve le moyen de nous prouver que les logements militaires ne sont pas une chose si anodine, qu'il en faudra pour l'artillerie, qu'il en faudra pour la cavalerie, qu'il en faudra pour les miliciens, et que tout cela réuni forme une somme très importante dans la forme.

Il ne s'oppose cependant guère à notre proposition ; il espère qu'en montrant l'importance de la dépense il amènera le Chambre à ne pas admettre notre amendement.

Voilà, ce me semble, le plan adopté pour faire échouer notre proposition. Pour ce qui me concerne, je dois un mot d'explication à la Chambre sur les motifs qui m'ont fait apposer ma signature à la proposition de M. Coomans.

J'ai remarqué que ce sont presque toujours les habitants des mêmes communes, des communes qui se trouvent sur la route du camp, sur la route des grands passages de militaires. Or, comme cette charge se reproduit chaque année, il en résulte qu'au bout d'un certain nombre d'années cet impôt spécial acquiert une importance réelle.

Je ne pense pas qu'il s'agisse ici de décider un principe général ; je crois, au contraire, qu'il s'agit d'une indemnité applicable à l'espèce qui se présente, et partant les grosses dépenses que M. le ministre vous a fait voir en perspective ne doivent effrayer personne.

Seulement si d'autres circonstances de même nature se présentaient ultérieurement, si les habitants d'autres localités étaient grevés pendant des années presque exclusivement de ce genre d'impôt, il faudrait également les indemniser.

Dans ma manière de voir donc, la proposition ne comporte pas le caractère de généralité que l'honorable ministre y attache.

L'objection, que l'indemnité a été fixée par une loi, n'a pour moi aucune valeur. Qu'elle ait été fixée par une loi ou par un arrêté royal, peu importe ; la Chambre est occupée à faire la loi du budget de la guerre ; si elle veut y mettre de la bonne volonté, elle peut changer toutes les lois antérieures relatives à l'objet dont nous nous occupons.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, lorsque la demande de l'honorable M. Coomans s'est produite, j'ai dit que, si ma mémoire était fidèle, l'indemnité devait avoir été fixée par la loi. J'ai fait remarquer d'ailleurs que les logements militaires ont beaucoup diminué depuis l'établissement des chemins de fer. Il me semble que ces explications sont bien simples, et qu'elles ne peuvent donner lieu à double entente. Je me suis assuré que l'indemnité de logement a été fixée par un arrêté-loi de 1814 à 35 centimes qui équivalent à 74 centimes.

S'il est vrai qu’on puisse augmenter l'allocation du budget sans devoir modifier la loi au préalable, je n'y fais pas d'opposition. Si la Chambre est d'une opinion contraire, je' m'occuperai le plus tôt qu'il me sera possible des modifications à apporter à l'arrêté-loi de 1814.

M. Vilain XIIII. - M. le ministre de la guerre pourrait demander la somme nécessaire dans le budget de cette année, et la loi viendra après.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, comme vient de le faire remarquer l’honorable préopinant, on peut majorer le chiffre global dans le budget et modifier ensuite la loi qui fixe l'indemnité. De cette façon le budget concordera parfaitement avec la loi qu'on se propose de nous présenter.

M. de Theux. - Messieurs, je voulais faire la proposition qui vient d'être indiquée par les honorables préopinants, et qui consiste à augmenter le budget de la somme nécessaire pour les logements militaires, sauf à voter plus tard la loi qui modifiera celle de 1814.

Je saisis cette occasion pour engager M. le ministre de la guerre à établir, autant que possible, des moyens de logement pour les troupes dans les villes de passage. Je crois que dans plusieurs localités où les casernes ne sont pas remplies cela pourrait se trouver facilement ; il faudrait s'entendre avec la compagnie des lits militaires. De cette manière, la troupe serait réunie, et ce n'en serait que mieux pour le service.

Il y a lieu de remarquer que l'indemnité de logement n'est pas suffisante pour les habitants qui ne peuvent pas loger chez eux, et qui doivent loger les militaires ailleurs ; cela leur coûte cher.

A la campagne, il n'y a pas moyen de loger hors de chez soi. Mais il est juste aussi qu'à raison de cette circonstance, il y ait une compensation dans le chiffre de l'indemnité.

En observant ces règles, on arriverait à une indemnité équitable de cette charge qui est parfois, j'en conviens, inévitable ; mais autant que possible, il faut tâcher d'éviter les logements des troupes aux habitants.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, on évite autant que possible les logements des soldats aux habitants ; on ne le fait qu'à la dernière extrémité. Dans toutes les villes où il y a une caserne et des objets de couchage, on loge les soldats dans ces établissements.

M. de Theux. - En général, on sait quelques jours d'avance qu'il faudra loger des soldats, et alors on peut prendre d'avance les mesures nécessaires.

M. Vilain XIIII. - Messieurs, je crois avec M. le ministre de la guerre qu'il faut une loi pour changer l'arrêté-loi du 5 août 1814. C'est ainsi que nous l'avons fait pour la cour des comptes et pour tous les traitements qui sont fixés par la loi. Ce n'est pas seulement par le budget qu'on peut changer le chiffre de l'indemnité. Mais M. le ministre de la guerre ayant bien voulu prendre l'engagement de présenter un projet de loi, il n'y a aucune difficulté à ce que nous votions à son budget l'augmentation de crédit qui servira à payer l'indemnité au taux d'un franc cinquante centimes, si la loi est adoptée ; et si elle n'est pas adoptée, le crédit restera au budget comme excédant. Je ne vois donc rien qui s'oppose à ce que le crédit, soit augmenté aujourd'hui.

Messieurs, il est d'une justice rigoureuse que le crédit soit augmenté, car tout le monde sait combien, depuis 1814, la vie animale est devenue plus chère. Il n'est pas possible à un cultivateur, pas plus qu'à un habitant des villes, de nourrir un soldat de passage pour 74 centimes.

En 1814, un ouvrier était nourri à l’hôtel du village pour un escalin ; ce qui valait 60 centimes ; dans ce temps-là, l'indemnité de 74 centimes était tout à fait en rapport avec le prix de la vie animale ; mais il n'en est plus du tout de même aujourd'hui. Le chiffre de 1 fr. 50 c. n'est pas exagéré.

M. Coomans. - Si le gouvernement et la Chambre sont d'accord pour insérer au budget que nous allons voter, un supplément d'indemnité, cette solution me convient personnellement beaucoup.

Mais je dois faire observer à M. le ministre de la guerre que s'il veut soulever dans la Chambre les questions de principe qui se rattachent à l'arrêté-loi de 1814, il se préparceà affronter de graves difficultés.

Pour moi, je n'ai touché que très indirectement à la grave question de savoir si les logements militaires sont compatibles avec la Constitution belge. Elle est très controversée. L'opinion des autorités militaires de 1814 ne suffit pas à cet égard ; ces autorités n'ont pas prévu la Constitution de 1830 et naturellement elles n'ont pas dû se placer au point de vue des principes que cette Constitution consacre. Je crains fort, d'après les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Vilain XIIII, que la somme que la Chambre paraît disposée à voter ne reste une lettre morte si l'allocation doit dépendre du vote du projet de loi annoncé par le gouvernement. Ce projet, je le répète, soulèvera les plus graves questions dans cette Chambre.

D'abord, les logements militaires sont-ils constitutionnels ? Ensuite, dans quelles conditions peut-on les imposer aux habitants ? Pourra-t-on (page 530) continuer à envoyer des soldats chez des femmes logeant seules ? (Interruption.)

Pourra-t-on continuer à envoyer des soldats la nuit chez les citoyens ?

Remarquez, messieurs, que la justice elle-même, hors le cas de flagrant délit, n'a pas le droit de pénétrer dans le domicile des citoyens, tandis qu'il arrive que des soldats viennent frapper aux portes à des heures indues et qu'à cause de la grande raison que nous savons, la raison du plus fort, qui est rarement, hélas ! la meilleure, on leur ouvre et on leur donne à manger et à loger.

Je n'indique que quelques-unes des graves questions qui seront posées devant la Chambre. Quant à moi, je fais toutes mes réserves à cet égard ; je ne m'engage nullement à reconnaître la constitutionnalité des logements militaires, et quand nous discuterons le projet de loi, j'aurai probablement plusieurs amendements à proposer.

J'aurais trouvé beaucoup plus naturel que M. le ministre de la guerre acceptât en principe la proposition que nous avons faite ; qu'il acceptât une somme, à évaluer par lui-même, pour rendre l'indemnité moins dérisoire qu'elle n'est aujourd'hui et que, conformément à ce qu'il dit l'honorable M. Goblet, le gouvernement usât de la faculté (faculté bien évidente) de régler par un arrêté royal les indemnités supplémentaires qu'il aurait à accorder.

Pour moi, je ne puis pas admettre non plus la solution absolue d'une autre question de principe sur laquelle on me paraît passer bien légèrement ici. Il résulterait de l'opinion de quelques membres que nous n'aurions pas le droit de modifier les chiffres du budget de la guerre qui auraient déjà été fixés par des lois. Je ne puis pas admettre cela à titre d'axiome : le budget de la guerre est une loi et nous avons parfaitement le droit de modifier, par cette loi, le chiffre des dépenses du département de la guerre ; et les modifications que nous apporterions ainsi à des lois existantes seraient parfaitement légales.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela serait très irrégulier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et cela n'a jamais eu lieu.

M. Coomans. - Erreur. Voilà du moins un droit que je crois devoir me réserver, sinon notre intervention, pour le vote de la plupart des articles des budgets, serait parfaitement inutile.

La Chambre est d'accord, je pense, sur l'insuffisance de l'indemnité actuelle et sur la nécessité de l'augmenter. Quel que soit le résultat de son vote, la cause des citoyens surtaxés auxquels nous nous intéressons est gagnée ; je n'ai donc plus qu'à me rasseoir.

M. Muller. - L'orateur qui vient de se rasseoir a élargi le débat et lui a donné actuellement une portée qu'il ne comporte pas ; je me permettrai de faire remarquer que si la charge du logement militaire pour laquelle une indemnité est fixée en vertu de la loi de 1814 est non seulement illégale, mais inconstitutionnelle, l'honorable M. Coomans serait tout aussi bien en contradiction avec lui-même en concourant à modifier, dans le budget de 1862, le tarif de l'indemnité de la loi de 1814 qu'en le modifiant par une loi spéciale, puisqu'il ne reconnaît pas la constitutionnalité des logements militaires.

M. Coomans. - J'ai fait mes réserves.

M. Muller. - Maintenant, l'honorable préopinant prétend qu'on peut accroître ou réduire toute espèce de dépenses, résultant de lois spéciales, par le budget.

Or, c'est là une grave erreur : il est très irrégulier de modifier ainsi celles qui sont inscrites dans une législation particulière.

Ainsi pour ne citer qu'un exemple, nous ne pourriez pas changer, par la loi annuelle du budget, les traitements de la magistrature

Quant à l'observation présentée par l'honorable M. Vilain XIIII qui trouve tout simple de porter d'avance au budget la somme destinée à doubler l'indemnité des logements militaires, je crois qu'il y aurait des inconvénients à procéder ainsi, et j'ajoute que cela serait tout à fait inutile, car jusqu'à ce que le taux légal de l'indemnité du chef des logements militaires soit modifié par une loi spéciale, le gouvernement ne pourra pas disposer de votre libéralité.

Nous sommes tous d'accord, je pense, qu'il y a lieu d'augmenter cette indemnité ; mais, en définitive, en votant aujourd'hui la somme au budget, avant d'avoir voté la loi spéciale qui seule peut autoriser cette dépense, vous commettriez une grave irrégularité, et vous la feriez sans motifs sérieux et sans efficacité.

Je trouve beaucoup plus simple que M. le ministre de la guerre, en même temps qu'il nous soumettra un projet de loi spécial portant, par exemple, l'indemnité à 1 fr. 50 c., y joigne un autre projet allouant, pour cette année, à son département, un crédit supplémentaire à concurrence de l'augmentation de dépende indispensable.

M. B. Dumortier. - Je ne puis pas partager l'opinion de l'honorable préopinant qu'il serait régulier d'augmenter la dépense à résulter de l'application d'une loi avant même le vote de cette loi. Cela serait vrai s'il s'agissait d'une dépense invariable ; mais ici, de quoi s'agit-il ? D'une dépense variable ; l'augmentation du chiffre porté au budget pour le payement des logements militaires, ne préjugerait donc rien, quant au principe, puisque, jusqu'au vote d'une nouvelle loi de principe, on ne pourra accorder que le taux alloué par la loi de 1814 ; de sorte que le surplus de l'allocation, qui serait voté en vue du vote d'une nouvelle loi, resterait sans emploi si cette loi n'était pas votée.

Mais le danger qu'il y a à ne pas porter au budget toutes les dépenses qui doivent y figurer, c'est de rendre indispensables les crédits supplémentaires qui vicient singulièrement la situation financière.

M. Coomans. - Les traitements des membres de la cour des comptes n'ont-ils pas été augmentés par la loi du budget des dotations ?

- Plusieurs membres. - Non, par une loi spéciale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la Chambre n'a jamais, à ma connaissance, modifié une loi par le vote d'un article d'un budget de dépenses. Il en est autrement des lois de recettes : il y a une disposition constitutionnelle qui rend annales toutes les lois d'impôt, et qui permet, par conséquent, de modifier les prescriptions de cette loi à l'occasion du vote de chaque budget.

Remarquez, messieurs, que cette distinction est parfaitement rationnelle et que le système soutenu par certains membres aurait pour résultat de porter une atteinte indirecte aux prérogatives de l'autre Chambre. La liberté du Sénat se trouverait entravée si, par le vote d'un budget, vous arriviez à modifier une loi de principe ; en agissant ainsi, vous ne lui laisseriez pas toute la liberté d'appréciation nécessaire. La même situation serait faite à la Chambre, si le Sénat avait la faculté de modifier des lois par des mesures incidentes sur lesquelles vous n'auriez pas été appelés à statuer.

Je crois, messieurs, qu'il est indispensable de maintenir ce principe essentiel. Du reste, on paraît d'accord pour agir de cette manière, à l'exception de l'honorable M. Coomans, qui trouve, lui, tout naturel que l'on inscrive au budget une somme qui ne pourrait être dépensée que sous la condition de voter une nouvelle loi.

Ramenée à ces termes, la question a fort peu d'importance, quelle qu'en soit la solution ; mais je ne vois pas non plus l'utilité d'inscrire dès à présent un chiffre quelconque au budget ; si une loi nouvelle intervient, elle ouvrira au gouvernement le crédit nécessaire pour couvrir la dépense qu'elle décrétera ; il n'y aura aucune espèce de difficulté ni d'embarras dans la comptabilité.

Il y a d'ailleurs des inconvénients à improviser des dépenses à propos desquelles on ne s'est livré à aucune espèce d'examen. C'est là un précédent que je crois dangereux d'établir. Il est évident, en effet, que la Chambre n'a pu encore se rendre un compte bien exact de la question.

M. Vilain XIIII. - Tout le monde la connaît.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je reconnais que la question actuelle est assez simple ; cependant elle n'a pas été examinée ; or, il n'est pas si petit article du budget qui ne soit l'objet d'un examen en sections et en section centrale, et sur lequel un rapport ne doive vous être présenté.

Dans le cas qui nous occupe, toutes ces garanties font complètement défaut. J'insiste surtout sur ce point, parce que, je le répète, ce serait poser un fâcheux précédent ; d'autres propositions pourraient se produire de la même manière et, sans un examen suffisamment approfondi, on introduirait des dépenses nouvelles au budget. Celle dont il s'agit serait assez considérable. Il serait à tous égards préférable d'attendre qu'une modification à la loi existante fût proposée. Si elle entraîne une augmentation de dépense, la loi comprendra le crédit nécessaire pour y faire face, et le service sera ainsi parfaitement assuré.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Coomans.

« Article nouveau : Supplément pour les logements militaires, 10,000 fr. »

Cet article serait le dernier du chapitre, « solde des troupes ».

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

M. de Brouckere. - Si on vote par assis et levé, je ne dirai rien ; je me bornerai à voter contre la proposition ; mais si on vote par appel nominal, je demanderai la permission de soumettre quelques observations.

- Plusieurs voix - L'appel nominal ! l'appel nominal !

M. de Brouckere. - Je dirai donc deux mots.

Je ne méconnais pas la justesse des observations, du moins de quelques-unes des observations présentées sur la charge des logements militaires ; mais il y a une chose certaine, M. le ministre des finances vient de le faire remarquer, c'est que personne n'examine la question des logements militaires, que personne ne connaît très bien la législation sur la matière. M. le ministre de la guerre a rappelé une loi de 1814 à laquelle il se réfère uniquement. L'honorable M. Goblet a parlé de certains arrêtés qui fixeraient l'indemnité, et il a prétendu que le gouvernement avait toute latitude pour la modifier. Personne ne sait qui a raison dans ce débat.

Je demande s'il serait prudent, dans cette situation, de changer le chiffre d'un budget alors que peut-être la répartition de la somme qui y figure doit être faite en vertu d'une loi.

Dans l'incertitude, dans la complète ignorance où je suis, je ne pourrais pas voter une augmentation de crédit. Il n'y a d'ailleurs pas urgence, les logements militaires sont devenus une chose fort rare.

Je demanderai quelle est la nécessité de modifier, sans connaître la question, un chiffre qui figure au budget depuis tant d'années.

Je ne dis pas qu'il est suffisant, tant s'en faut ; mais je ne suis pas en position de voter une modification dont je me rendrais bien compte. Si on vote par appel nominal sur la proposition, je voterai contre toute modification sans vouloir prétendu que le chiffre ne doit pas être changé plus tard.

C'est hic et nunc que je me prononce contre la proposition.

M. Coomans. - Je vois que d'honorables membres éprouvent de la répugnance à voter le chiffre que je propose, non pas parce que la proposition ne serait pas convenable, mais par un scrupule de légalité. Je ne veux pas échouer devant des scrupules de légalité.

Je prierai M. le ministre de vous mettre d'accord par un seul mot : qu'il s'engage à présenter le plus tôt possible le projet de loi annoncé, de manière qu'il puisse être voté dans la présente session.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est inconstitutionnel !.

M. Coomans. - Ce n'est qu'une prière, il me semble qu'une prière n'a rien d'inconstitutionnel.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le ministre de la guerre ne peut pas escompter le consentement du Roi.

M. Coomans. - Je prie M. le ministre de la guerre, qui priera le Roi, et nous serons dans la Constitution.

J'ai entendu annoncer d'avance des projets qui n'étaient certes pas signés par le Roi. (Interruption.)

Je prie M. le ministre de nous dire qu'il présentera le projet de loi assez à temps pour qu'il puisse être voté dans la présente session, alors je retirerai ma proposition.

Ce qui me préoccupe, c'est la nécessité de faire cesser la criante injustice qui pèse sur nos populations depuis si longtemps, et dès la prochaine campagne d'indemniser les citoyens transformés en cabaretiers. Ici les petites questions de forme, du reste controversées, sont emportées par le fond.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne puis promettre qu'une chose, c'est d'examiner la question et de faire ce que je pourrai dans l'intérêt des habitants qui ont à supporter la charge des logements militaires.

M. de Gottal. - Avant de prendre la parole, je désire savoir si l'honorable M. Coomans persiste dans sa proposition.

- Plusieurs voix. Il la maintient.

M. de Gottal. - Je désire savoir quelle est la portée de la proposition qu'il soumet à la Chambre. Si elle a seulement la portée d'augmenter l'article du budget relatif aux logements militaires d'une certaine somme sans que le gouvernement puisse en faire usage, à moins qu'un changement ne soit apporté à l'arrêté-loi de 1814, je la crois inutile, et ne puis, en conséquence, m'y rallier.

L'honorable membre entend-il par sa proposition donner au gouvernement le pouvoir, lui imposer l'obligation d'augmenter l'indemnité pour logements militaires ? Je crois qu'il ne peut pas s'élever d'opposition quant au fond de la question ; mais M. Magherman a fait naître des doutes très sérieux concernant la régularité d'une pareille mesure, concernant la question de comptabilité.

D'après les développements qu'il a donnés à son opinion qui, je pense, est partagée par le cabinet, la cour des comptes ne pourrait pas liquider les dettes contractées par le gouvernement sur le pied de l'indemnité que M. Coomans vaudrait voir adopter pour les logements militaires.

Dans ces termes donc, messieurs, l'amendement n'aurait aucune portée, car le gouvernement ne pourrait point faire usage de la somme qu'on lui accorderait en plus.

M. de Brouckere. - J’engage l’honorable M. Coomans à retirer son amendement ; il ne peut aboutir à rien ; il ne saurait pas recevoir d’application dans le courant de cette année. M. le ministre de la guerre vient de faire tout ce qui était possible, en promettant d’étudier la question. Promettre de présenter un projet de loi sur uen matière qu’il n’a pas encore examinée à fond, sur une matière qu’on lui soumet seulement aujourd’hui comme de nature à pouvoir donner lieu à des critiques sérieuses, cela est de tout impossibilité.

Je crois, messieurs, que si l'on présentait la question préalable, elle serait parfaitement motivée.

Toutefois je ne la présenterai pas, mais j'engage de nouveau l'honorable M. Coomans à retirer sa proposition.

M. d’Hoffschmidt. - Comme il paraît que nous allons avoir à émettre un vote par appel nominal, je désire aussi dire quelques mots pour motiver mon opinion.

Les observations présentées par l'honorable M. de Brouckere sont tellement fondées, selon moi, qu'il me semble que la Chambre entière doit s'y rallier.

Le seul amendement présenté au budget est celui de l'honorable M. Coomans et il n'a pas même été accepté par la section centrale ; dès lors comment veut-on que dans une question sur laquelle il y a une si grande divergence d'opinions la Chambre puisse statuer aujourd'hui en pleine connaissance de cause ?

Or, je crois que les honorables auteurs de la proposition, qui a d'ailleurs toutes mes sympathies, doivent désirer eux-mêmes qu'elle soit examinée avec maturité.

Je pense donc, messieurs, que nous ne pouvons pas voter la proposition aujourd'hui. Si on voulait absolument qu'elle fût insérée dans le budget de cette année il n'y aurait qu'un moyen, ce serait de la renvoyer à la section centrale qui examinerait aussi la question de savoir si l'on peut par le budget modifier une loi.

Après cela nous serions à même d'émettre un vote consciencieux. Dans l'état actuel des choses, il m'est impossible d'adopter la proposition.

M. Van Overloop. - Messieurs, j'approuve complètement la pensée de l'honorable M. Coomans et des autres signataires de son amendement, mais, d'un autre côté, je dois déclarer que je partage l'opinion de l'honorable M. de Brouckere et que si l'on met aux voix l'amendement de l'honorable M. Coomans, je serai obligé d'émettre un vote négatif. De deux choses l'une : ou bien le ministère, dans un délai rapproché, déposera un projet de loi pour augmenter l'indemnité, ou bien il ne le fera pas. Dans le premier cas, satisfaction sera donnée aux légitimes réclamations dont mon honorable ami, M. Coomans, s'est fait l'organe ; dans le second cas, qu'est-ce qui empêcherait l'honorable membre d'user de son initiative et de saisir la Chambre d'un projet de loi ?

Je déclare, quant à moi, que je serais très disposé à signer, bien entendu après examen, ce projet. Mais dans les circonstances actuelles, je n'oserais pas voter l'amendement, parce que je ne connais pas assez la matière et que je crois qu'il y a quelque danger à introduire incidemment, dans la discussion du budget, sans étude préalable, des modifications û une loi.

M. B. Dumortier. - A entendre plusieurs orateurs qui viennent de parler, il semblerait que la question soit tellement compliquée, tellement difficile qu'il faille des semaines entières pour l'examiner. Eh bien, messieurs, cette question la voici :

« 74 centimes sont-ils suffisants pour payer la nourriture d'un homme pendant un jour ? »

Il me semble qu'il ne faut pas des volumes de commentaires pour arriver à éclaircir une semblable question.

Je crois qu'il suffit de la poser pour la résoudre, surtout quand on remarque qu'il s'agit de la nourriture d'un étranger subitement introduit dans la famille. Je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre une seule personne qui consentît à héberger un homme pour 74 c. par jour. Dès lors pourquoi voulez-vous que le pauvre paysan soit frappé de cette charge, qui est un véritable impôt déguisé, impôt d'autant plus injuste qu'il frappa certaines localités et n'atteint pas certaines autres ?

Je dis, messieurs, qu'il est temps de mettre un terme à ce que j'appelle, moi, un très grave abus. C'est déjà une charge très grande que de devoir admettre un soldat dans la famille ; mais quand on n'accorde, de ce chef, qu'une indemnité tout à fait insuffisante, alors c'est une violation des principes d'égalité sur lesquels repose tout notre édifice constitutionnel.

Maintenant, messieurs, en quoi consiste la proposition ? C'est tout simplement une augmentation de crédit.

En résultera-t-il que le ministre pourra élever le taux de l'indemnité ? (page 532) Je ne le pense pas, messieurs. Comme l'a dit M. le ministre, l'indemnité est fixée par un arrêté-loi, et ici je regrette de ne pas être d'accord avec l'honorable M. de Gottal. Selon moi, cet arrêté-loi ne peut pas être modifié par un simple arrêté ; il faut une loi.

Mais, messieurs, si l'augmentation de crédit est votée, qu'en résultera-t-il ? C'est tout simplement une déclaration de la Chambre que le chiffre actuel de l'indemnité est insuffisant. La Chambre ferait ce qui s'est fait, je pense, pour la gendarmerie, dont la paye a été récemment augmentée.

Eh bien, messieurs, si au moyen du vote du budget l'on a fait augmenter la paye de la gendarmerie, si par le vote du budget l'on augmente tous les traitements, pourquoi donc m'emploierait-on pas aussi ce moyen pour faire accorder une indemnité suffisante aux malheureux qui sont obligés de recevoir des soldats dans leur famille ?

La question n'est donc nullement compliquée ; elle est simple comme le jour.

Il s'agit d'un déni de justice qui existe depuis longtemps. Donner 74 c. par jour pour la nourriture d'un militaire, c'est une véritable dérision, et c'est d'autant plus injuste que cela se fait au détriment d'une certaine partie du pays, des malheureux paysans de la Campine qui sont fréquemment chargés de logements militaires, tandis qu'une grande partie du pays en est exempte.

Vous qui habitez les villes où il y a des casernes et où, par conséquent il n'y a pas de logements militaires, je vous en conjure, ayez un peu pitié des pauvres paysans qui doivent recevoir les soldats dans leurs familles et qui n'obtiennent encore qu'une indemnité dont 1'nsuffisance est reconnue par tout le monde ?

Je crois, messieurs, que la proposition est parfaitement fondée. De deux choses l'une, ou le gouvernement présentera une loi dans un bref délai et alors le crédit recevra son application, ou bien le gouvernement ne présentera pas de loi et alors le pis qui puisse arriver, c'est que le crédit reste sans emploi.

M. de Theux. - Je regrette que l'honorable ministre de la guerre n'ait pas déclaré catégoriquement qu'il présentera un projet de loi pour augmenter l'indemnité.

Il a reconnu lui-même que cette indemnité était insuffisante.

Il serait en effet absurde de considérer comme suffisante aujourd'hui une indemnité qui a été jugée suffisante il y a cinquante ans. Ce sont là, messieurs, de ces vérités claires comme le jour.

Or, si l'on a le droit d'imposer aux habitants du pays les logements militaires en cas de nécessité, il est évident qu'il doit être indemnisé.

Je m'étonne donc que cette déclaration n'ait pas été faite franchement par le gouvernement.

On trouve, messieurs, que la proposition qui est faite n'est pas tout à fait régulière.

Mais il est arrivé cent fois, lorsqu'on prévoit que les allocations du budget ne seront pas suffisantes, qu'elles ont été augmentées éventuellement.

Je pourrais encore ajouter que la loi qu'on invoque n'est pas une loi contre l'habitant, contre le logeur ; c'est au contraire une loi faite dans son intérêt, pour lui garantir un minimum de 74 centimes.

Rien n'empêche donc, dans mon opinion, que le chiffre de l'indemnité ne soit majoré par le budget même ; comme je ne connais pas le chiffre nécessaire, je ne ferai pas de proposition, mais je voterai pour la majoration qui nous sera proposée par la loi qui doit nécessairement intervenir pour faire cesser la situation qui existe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne, messieurs, que l'honorable M. de Theux n'ait pas apprécié comme elle devait être appréciée la réponse qui a été faite tout à l'heure au nom du gouvernement. Le gouvernement pouvait-il faire une autre réponse ? peut-il s'engager, dans les termes qui ont été indiqués, à présenter une loi ?

M. de Theux. - Cela s'est fait cent fois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne serait pas convenable et ce n'est pas là montrer le respect qu'on doit avoir pour la prérogative royale.

M. de Brouckere. - Si l'on a procédé de la sorte, on a eu tort.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que fait le ministre de la guerre ? Il vous dit : j'examinerai cette question ; elle fera l'objet des délibérations du gouvernement. N'est-ce pas là indiquer suffisamment quelles ont les dispositions du cabinet ?

Il est évident que si vous posez la question de savoir si l'indemnité de 75 centimes est suffisante ou non, il ne peut y avoir sur ce point deux opinions dans la Chambre. On ne peut contester que l'indemnité fixée en 1814 n'est plus suffisante en 18062. Mais là n'est pas la question. Il s'agit uniquement de. savoir s'il y a au moins utilité à introduire aujourd'hui une augmentation dans le budget ; la question ainsi posée, j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, est sans intérêt, elle n'a aucune importance, et l'insistance de certains membres a, permettez-moi de le dire, quelque chose de puéril. Tout le monde reconnaît que cette allocation ainsi augmentée ne pourrait être dépensée avant qu'une loi spéciale eût fixé la quotité de l'indemnité elle-même. Cette loi interviendra ou n'interviendra pas. Si elle intervient, le crédit sera dépensé ; si elle n'intervient pas, il ne pourra être fait aucun usage de ce crédit. Il n'y a donc pas de motif d'insister sur une proposition qui, au fond, ne serait rien moins que régulière, et c'est pour ce motif que nous avons demandé qu'on ne posât pas un principe qui est toujours fâcheux, celui d'augmenter les allocations des budgets sans aucun examen préalable.

M. de Gottal. - Je me rallie entièrement aux explications de M. le ministre des finances. Je veux simplement ajouter un mot, c'est que si l'honorable M. Coomans veut bien réfléchir aux conséquences de son amendement, il n'hésitera pas à le retirer.

La seule conséquence possible, c'est d'accorder au ministre de la guerre un crédit plus élevé pour les logements militaires.

L'honorable M. Coomans, je pense, s'est plaint tantôt que l'on logeait trop souvent et en trop grand nombre des militaires chez les citoyens. Eh bien, vous allez donner au gouvernement la faculté d'augmenter les mouvements de troupes. Car vous lui accordez un crédit plus élevé pour cet objet, et ce crédit, cela a été suffisamment expliqué, ne pourra être absorbé et reconnu valable par la cour des comptes que pour autant que les logements calculés sur le pied de 74 centimes aient absorbé la somme votée.

J'engage donc l'honorable M. Coomans à retirer son amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je pense que l'honorable M. Coomans sera parfaitement satisfait des explications que je lui donnerai. Je croyais qu'il avait compris le sens de mes paroles.

Je suis entièrement favorable à l'augmentation de l'indemnité de logement. Je reconnais, comme tout le monde, que cette indemnité de 74 centimes n'est pas suffisante. Mais il y a à examiner, messieurs, de combien elle doit être augmentée. Faut-il la portera 1 fr., 1 fr. 25 ou même 1 fr. 50 comme l'a proposé l'honorable M. Coomans ? Dès que je serai d'accord sur ce point avec mes honorables collègues, nous préparerons un. projet de loi.

M. de Decker. - Dans la session actuelle ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je le ferai le plus tôt possible ; mais je ne puis m'engager à présenter le projet dans tel ou tel délai. C'est une question dont la solution ne dépend pas de moi seul.

M. de Theux. - Je m'étonne que M. le ministre des finances ait l'air de croire qu'il soit dans mes intentions de porter quelque atteinte à la prérogative royale. Mes antécédents sont là pour servir de réponse. Ce n'est pas moi qui chercherai à affaiblir des prérogatives qui n'ont certainement rien de trop étendu. Mais il faut ici consulter le bon sens et la pratique du gouvernement constitutionnel.

J'ai dit dans le temps que c'était le bon sens qui déterminait la nécessité pour un ministre de présenter des amendements aux projets de loi proposés par le gouvernement et revêtus de la signature royale, quoique ce ministre n'apportât pas une nouvelle signature à l'appui de l'amendement.

J'ai reconnu que c'était une nécessité. Eh bien, cette nécessité existe, quand des vœux sont manifestés dans une Chambre pour qu'il soit apporté remède à un grief par un projet de loi qui ne peut atteindre aucun intérêt général, qui n'a d'objet que de rendre justice. Jamais dans ces circonstances les ministres ne font la moindre difficulté à annoncer leur intention de présenter un projet de loi.

Il est bien entendu que c'est toujours sous réserve de l'agréation du Roi. Ce sont là de ces choses si natives et si communes que je ne crois pas réellement devoir insister là-dessus.

M. Nothomb. - J'adhère complètement aux observations de l'honorable préopinant, et comme on a beaucoup parlé de précédents, je vais, entre une foule d'autres, en citer un que je connais bien et qui convaincra, je l'espère, M. le ministre des finances qu'il pousse en ce moment le scrupule constitutionnel jusqu'à la plus extrême exagération.

Il y a vers 5 ans qu'il s'est agi dans cette Chambre d'une question qui offre infiniment d'analogie avec celle-ci : de la somme à payer pour l’entretien des détenus pour dettes. La loi fixait alors une somme de 20 fr. par mois. La question a été débattue ici, et il me souvient que notre honorable président, M. Vervoort, a demandé vivement, comme nous aujourd'hui, que l'allocation fût augmentée.

Tout le monde était, comme aujourd'hui encore, parfaitement d'accord sur l'insuffisance de cette somme de 20 fr. établie depuis un demi-siècle ; elle était aussi en dessous de besoins matériels, aussi inique, aussi dérisoire (page 533) que ces misérables soixante-quatorze centimes que vous accordez aux habitants de la campagne en échange d'une intolérable servitude. Eh bien, messieurs, devant l'attitude de la Chambre, devant les sentiments d'humanité et de justice qu'elle manifestait, je n'ai pas hésité à prendre sur l'heure l'engagement de présenter au projet de loi. Personne ne m'a opposé de scrupule constitutionnel et l'honorable M. Frère ne m'a nullement critiqué. Je puis ajouter que j'ai eu l'assentiment de toute l'assemblée. J'ai présenté peu de temps après un projet qui portait de 20 à 30 fr. l'allocation duc aux débiteurs incarcérés, et toute la Chambre l'a voté.

Voilà un précédent que je prie M. le ministre de la guerre d'imiter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne prouve rien du tout.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de l'honorable M. Coomans.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé à l'appel nominal.

79 membres y prennent part.

49 disent non.

28 disent oui.

2 s'abstiennent.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté pour : MM. B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Moncheur, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Verwilghen, Vilain XIIII, Beeckman, Coomans, Coppens-Bove, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, et de Theux.

Ont voté contre : MM. Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Magherman, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Allard, Ansiau, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, de Gottal, de Lexhy, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez et Vervoort.

Se sont abstenus : MM. de Haerne et Vander Donckt.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Vander Donckt. - Je me suis abstenu parce que, d'un côté, je désire, comme mes autres honorables collègues, que l'indemnité des logements soit augmentée, mais, d'autre part, je veux que cette augmentation ait lieu régulièrement, en vertu d'une loi et non pas par la loi du budget.

M. de Haerne. - J'aurais voulu pouvoir voter l'amendement de mon honorable collègue, mais je n'ai pas mes apaisements sur la régularité de la proposition et sur les conséquences qu'elle pourrait avoir.


M. B. Dumortier. - Messieurs, avant de terminer l'examen du budget de la guerre, je voudrais obtenir de M. le ministre de la guerre une explication. Je désirerais savoir si parmi les forteresses qui doivent être démolies se trouve comprise l'enceinte de la ville de Tournai.

Je ne parle pas, veuillez le remarquer, de la citadelle qui, le sais, doit être conservée, mais bien des murs de la ville elle-même, je demande si le gouvernement est décidé à les faire disparaître.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il n'y a rien de décidé pour la place de Tournai. La question est restée en suspens. Je ne puis donc satisfaire à la demande de l'honorable M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Messieurs, beaucoup de villes fortes ont réclamé la démolition de leurs fortifications, mais je crois qu'il y en a peu où cette démolition soit aussi nécessaire qu'à Tournai.

En effet, les fortifications de Tournai sont tellement insignifiantes que la place ne serait pas en état de résister au moindre choc d'une armée ennemie.

La ville est donc exposée, sans utilité aucune pour la défense du pays, à être bombardée ou prise d'assaut. Je pense, pour mon compte, qu'une pareille situation ne peut être maintenue.

Si l'on démolit des fortifications comme celles d'Ath, de Mons, Charleroi, Namur, Menin, Ypres, à plus forte raison doit-on supprimer la vieille enceinte de Tournai qui date du XIIIème siècle et qui, je le répète, n'est pas capable de supporter l'ombre d'une défense.

D'autre part, si cette démolition avait lieu, et j'engage vivement M. le ministre de la guerre à étudier cette question, un grand intérêt pourrait être servi, et j'appelle ici l'attention toute sérieuse de M. le ministre des travaux publics, sur une idée qui m'est propre et que je crois devoir communiquer au gouvernement et à la ville de Tournai elle-même.

L'Escaut traverse la ville de Tournai de part en part, mais un bras de l'Escaut que l'on appelle la petite rivière passe dans les fossés nord et contourne toute cette partie de la ville pour se réunir au fleuve en dehors de la cité.

Or, ce bras, créé d'abord pour les fortifications, est devenu aujourd'hui d'une grande utilité pour la navigation du fleuve, car il faut se servir des écluses de la petite rivière chaque fois que l'on fait une navigation dans l'Escaut.

D'autre part, la navigation de l'Escaut a pris une telle extension que le bassin de Tournai ne peut plus contenir très souvent tous les bateaux qui viennent des charbonnages pour se rendre en Flandre, et qu'une bonne partie de ces bateaux doit se tenir en amont au-delà des écluses du moulin.

Si donc, comme je le pense, les fortifications de Tournai étaient supprimées, et elles doivent l'être nécessairement, M. le ministre des travaux publics pourrait trouver dans la neuve rivière qui contourne la partie nord de la ville, un bassin tout fait pour la navigation de l'Escaut et contenir les navires de chaque rame dans l'intérieur de la ville.

Il ne s'agirait que de dévaser la neuve rivière, de conserver la partie basse des murs des fortifications des deux côtés et d'établir un quai à droite et à gauche pour avoir un magnifique bassin semi-circulaire aboutissant des deux côtés au fleuve et qui rendît tous les services possibles à la navigation et au développement futur de la cité de Tournai.

Des sommes considérables, votées depuis longtemps pour les améliorations au régime de l'Escaut, sont restées sans emploi. On pourrait donc en faire ici un usage bien utile pour dévaser et approfondir la neuve rivière. Au point de vue de Tournai, en démolissant une forteresse qui ne pourrait pas soutenir une défense, on lui épargnerait la possibilité d'un bombardement et on rendrait un grand service à la navigation de l'Escaut, en faisant que le bassin de Tournai puisse contenir tous les navires qui s'arrêtent dans cette ville. Et au point de vue des intérêts du trésor, par le produit de la vente des terrains et l'emploi des matériaux de ces immenses murailles, on trouverait des ressources inattendues, par la facilité qu'il aurait de transporter par l'Escaut les matériaux des fortifications à Anvers, où ces matériaux trouveraient un emploi facile.

La démolition des fortifications de Tournai n'occasionnerait pas de dépense, car ces fortifications sont construites entièrement en pierre calcaire dont le gouvernement pourrait faire de la chaux qui trouverait son emploi dans les fortifications d'Anvers. Ce ne serait donc pas de l'argent perdu, mais de l'argent trouvé. (Interruption.)

Je crois que ce que j'indique est très pratique, et que M. le ministre de la guerre ne trouve pas qu'il y ait des motifs de le dédaigner.

L'Etat trouverait donc là une très grande économie.

D'autre part, messieurs, la réparation de cette immense enceinte disparaissant du budget, ce serait encore une grande économie.

J'insiste donc vivement sur cette question. J'engage M. le ministre de la guerre à vouloir bien l'étudier de concert avec son honorable collègue M. le ministre des travaux publics, et je ne doute pas qu'avant peu de temps, cette question sera résolue à la satisfaction de tous.

J'ajouterai, messieurs, que la ville de Tournai augmente considérablement. Ses manufactures prennent un développement incessant. Ses murs deviennent trop étroits pour les contenir. Déjà beaucoup de fabriques doivent se placer en dehors des murs. Lorsque la neuve rivière sera devenue un bassin pour la navigation, on pourra amener le charbon à quai, ce qui, en permettant à l'industrie de prendre plus de développement encore, d'élever des fabriques et des magasins de commerce le long de ses quais, et rendra possible l'immense développement de cette antique cité.

Cette question, comme vous le voyez, mérite, à tous égards, qu'on s'en occupe, et en engageant le gouvernement à réaliser le plan que je viens de soumettre à la Chambre, je crois entrevois une ère nouvelle de prospérité et de grandeur pour la ville de Tournai.

Articles 24 à 29

« Art. 24. Casernement des hommes : fr. 632,506 36. »

- Adopté.


« Art. 25. Renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Transports généraux : fr. 75,000. »

- Adopté.


(page 534) « Art. 28. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 70,000. »

- Adopté.


« Art. 29. Remonte : fr. 558,340. »

- Adopté.

Chapitre IX. Traitements divers et honoraires

Articles 30 et 31

« Art. 30. Traitements divers et honoraires : fr. 133,176 45.

« Charges extraordinaires : fr. 775 80. »

- Adopté.


« Art. 31. Frais de représentation : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Pensions et secours

Article 32

« Art. 32. Pensions et secours : fr. 90,650.

« Charges extraordinaires : fr. 4,889 52. »

- Adopté.

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 33

« Art. 33. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 16,353 89. »

- Adopté.

Chapitre XII. Gendarmerie

Article 34

« Art. 34. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 2,050,084 50. »

M. Coomans. - Messieurs, les fortifications d’Anvers exerceront longtemps encore une fatale influence sur nos votes. Si l’exagération de os dépenses militaires n’absorbait pas le plus clair de nos ressources, on n’ajournerait pas l’indemnité due à de pauvres citoyens pour les logements militaires et l’on ne refuserait pas à la gendarmerie une solde convenable.

Je dis que la gendarmerie ne jouit pas d'un traitement convenable. Ce qui le prouve, c'est son insuffisance. Je n'ai pas à insister sur cette insuffisance ; elle a encore été démontrée l'autre jour. Je ne puis l'attribuer qu'à l'insignifiance des avantages qui lui sont accordés.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Elle a été augmentée.

M. Coomans. - Oui, l'honorable ministre a augmenté la solde de la gendarmerie et il a encore pris quelques autres mesures tendantes à accroître l’effectif de ce corps.

Mais cette augmentation de solde et ces autres mesures sont insuffisants de même que sera insuffisante l'augmentation de solde de 5 centimes par jour qu'à promise à nos soldats l'honorable ministre de la guerre, amélioration positivement annoncée par lui, bien que je pense que ce projet de loi n'ait pas encore été signé par le Roi. (Interruption)

Je demanderai à l'honorable ministre, s'il est vrai qu'il a chargé des soldats de remplir les fonctions de gendarmes. On m'assure qu’il en est ainsi.

Les faits ne sont pas venus personnellement à ma connaissance, je prie M. le ministre de la guerre de nous dire s'ils sont exacts. S'ils l'étaient, je pense qu'ils offriraient d'assez graves inconvénients.

La Constitution veut que l'organisation et les attributions de la gendarmerie soient réglées par la loi. Les attributions de la gendarmerie sont souvent très délicates. Je pourrais à ce sujet citer aussi un exemple récent.

Mais je m'en abstiens et je me contente d'exprimer le regret que la gendarmerie ne soit pas tout entière composée d'hommes calmes, instruits, ayant une certaine expérience de la police et de la répression judiciaire.

Bientôt, si l'état de choses s'aggrave un peu, nous n'aurons plus que de jeunes gendarmes, ce qui sera fâcheux pour tout le monde, pour le gouvernement et pour les citoyen,. Pour le moment donc, je me borne à prier M. le ministre de la guerre de me faire savoir s'il est vrai qu'il a confié les fonctions de gendarmes à des soldats. En cas d'affirmative je me réserve de montrer, en temps opportun, quels abus peuvent découler de cette innovation.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, depuis deux ans, une très grande amélioration a été apportée à la situation de la gendarmerie. Le traitement a été augmenté et aujourd'hui un simple gendarme à cheval à 2 fr. 75 e. de solde par jour.

On a supprimé le cautionnement des gendarmes ; et on a diminué la somme qui doit rester disponible à leur masse. Ces mesures ont été assez efficaces pour qu'aujourd'hui le recrutement de la gendarmerie se lasse avec facilité.

L'effectif est à peu près complet et il le serait tout à fait s'il n'avait pas fallu licencier un très grand nombre de gendarmes qu'on avait maintenus à défaut d'autres, mais qui ne pouvaient plus, en quelque sorte, faire de service.

L'honorable M. Coomans demande s'il est vrai qu'on a fait faire le service de gendarmes à des soldats.

Messieurs, les gendarmes se recrutent presque toujours dans l'armée. Beaucoup de soldats demandent à contracter un engagement volontaire pour passer dans la gendarmerie.

Avant de les admettre dans ce corps d'élite, on leur fait faire un stage pour s'assurer qu'ils ont la vocation et les qualités requises pour faire de bons gendarmes.

Les soldats qu'on a détachés dans la gendarmerie y sont à titre d'essai.

Ils n'y sont incorporés définitivement que lorsqu'ils en sont reconnus dignes.

Voici ce que nous avons pu faire ; nous avons créé ;

Une brigade à cheval à Gilly, soit 5 hommes

Une brigade à cheval à Chapon-Seraing, soit 5 hommes.

Une brigade à pied à Laeken, soit 4 hommes.

Une brigade à pied à Ciroux-Mousty, soit 5 hommes.

Une brigade à pied à Hollogne-aux-Pierre soit 5 hommes.

Une brigade à Esschen, soit 5 hommes.

Une brigade à pied à Moustier, soit 5 hommes.

Un poste à pied à Briquement, soit 3 hommes.

Un poste à pied à Lierneux, soit 3 hommes.

Un poste à pied à Marchienne-au-Pont, soit 3 hommes.

Quatre brigades à cheval ont été augmentées d'un homme, soit 4 hommes.

Une brigade à cheval de deux hommes, soit 2 hommes.

Douze postes à pied ont été augmentés d'un homme, soit 12 hommes.

On a augmenté le corps de 3 fourriers, soit 3 hommes.

Total, 62 hommes dont 16 à cheval.

Pour maintenir les postes existants, il faut augmenter l'effectif organique. Voilà pourquoi je demande 16 gendarmes à cheval et 29 gendarmes à pied en plus.

Je crois que le traitement qui est accordé aujourd'hui aux gendarmes suffit pour nous permettre de pourvoir au recrutement du corps de la gendarmerie. Je demande en conséquence que le chiffre, tel qu'il a été proposé par le gouvernement, soit voté.

- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.


M. de Montpellier. - Messieurs, le silence gardé par M. le ministre de la guerre après l'interpellation que j'ai eu l'honneur de lui adresser, me porte à croire que les renseignements qui m'avaient été fournis n'étaient pas exacts : s'il en est ainsi, je n'ai plus rien à dire ; mais si les faits que j'ai avancés sont exacts, je désire savoir quelles mesures M. le ministre compte prendre pour éviter le retour de semblables abus. Vous entravez le libre exercice du culte, c'est inconstitutionnel, votre injustice n'atteint pas seulement le soldat, vous en rendez aussi victimes les habitants de l'endroit où les troupes viennent loger. Je sais bien que vous ne pouvez contraindre les soldats à exercer les pratiques d'un culte quelconque. Ce n'est pas ce que je vous demande.

Ce que je vous dis, c'est que vous ne pouvez, sans porter une grave atteinte à un droit constitutionnel, mettre les soldats dans l'impossibilité de remplir les devoirs auxquels leurs croyances religieuses les convient.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il est de principe qu'on ne fait faire aux soldats aucune espèce de service les dimanches et les jours de fêtes.

Si des régiments ont voyagé un jour de fêle, j'ignore comment cela s'est fait. Il aurait mieux valu que la chose n'eût pas eu lieu.

Quant à moi, je veillerai à ce que cela ne se reproduise point, à moins de circonstances exceptionnelles.

M. de Theux. - Je crois que quand les troupes doivent quitter le camp, on choisit de préférence, soit un dimanche, soit un jour de fête ; à mon avis, le choix de ces jours-là présente un inconvénient très sérieux. J'appelle sur ce point toute l'attention de M. le ministre de la guerre ; je crois que ses intentions sont bonnes, el il me suffit, sans doute, de lui signaler ce fait, pour qu'il ne se reproduise pas dans l'avenir.

(page 535) M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, quand les troupes quittent le camp, elles ne peuvent pas partir ensemble le même jour. Le départ du camp a lieu par corps ; sans cela les communes seraient obligées de loger un trop grand nombre de militaires à la fois. Il peut arriver que le départ des premiers corps ait eu lieu un vendredi ; que d'autres corps soient partis le samedi, te que le départ des derniers corps ait eu lieu le dimanche. Du reste, je ferai en sorte que les dimanches et les jours de fêtes il n'y ait pas de départ.


M. le président. - La Chambre a réservé la question de l'emploi des troupes aux travaux des fortifications d'Anvers.

La parole est à M. Goblet.

M. Goblet. - Messieurs, la première réponse de l'honorable ministre de la guerre aux questions de la section centrale a trait à l'emploi des troupes aux fortifications d'Anvers.

M. le ministre de la guerre justifie cette mesure en s'appuyant, d'abord, sur les prescriptions militaires, en second lieu sur l'intérêt de l'instruction ; de plus, il constate incidentellement qu'il y a un beau bénéfice pour le trésor.

Messieurs, je ne puis admettre cette justification de l'emploi des troupes à Anvers ; je ne puis pas plus l'admettre au point de vue des prescriptions militaires qu'au point de vue de l'instruction. En outre, je vais constater qu'il n'y a pas d'économie, qu'au contraire il y a une perte énorme pour le pays.

Je commencerai par examiner le petit côté de la question, la question d'économie.

Au 1er novembre 1861, j'accepte les chiffres de l'honorable ministre de la guerre, au 1er novembre 1861, 1,610,815 fr. 74 c, ont été dépensés pour produire une somme d'ouvrage qui, faite par les entrepreneurs, aurait coûté 1,668,349 fr. 20 c. ; donc, comme le constate M. le ministre dc la guerre, un bénéfice de 57,533 fr. pour le trésor.

Mais si je voulais contester ce détail, je dirai à l'honorable ministre de la guerre qu'il n'a pas tenu compte, dans son calcul, de toute la dépense faite par l'Etat ; je lui dirais qu'il a oublié le matériel du génie, qui a été employé ; je lui dirais qu'il a encore oublié d'autres dépenses indirectes.

Mais cela n'a pas d'importance à mes yeux : j'accepte qu'il y a eu un bénéfice dc 57,000 francs.

Voyons comment ce bénéfice a-t-il été obtenu ? et combien il a coûté au pays ?

La somme de travail produite par les hommes détachés aux fortifications se compose de deux objets différents,

La première, c'est l'ouvrage matériel fait aux fortifications d'Anvers ; la seconde, c'est la somme d'instruction que les hommes ont acquise pendant leur séjour aux travaux de fortifications d'Anvers.

Le prix de cette somme de travail se compose de 1,610,000 fr., dépensés sur le crédit de 40 millions, et, de plus, de la solde de ces hommes, qui leur a été payée pendant le temps qu'ils étaient aux travaux d'Anvers.

Je vous démontrerais plus tard que, quant à l'instruction, elle a été complètement nulle ; que bien plus, l'envoi d'un nombre aussi considérables d'hommes aux travaux des fortifications d'Anvers a causé un préjudice énorme à l'instruction de ceux qui sont restés au corps, a porté en quelque sorte la désorganisation dans l'infanterie tout entière.

Il n'y a donc pas eu compensation, loin de là, et si on avait renvoyé ces hommes dans leurs foyers, on aurait soulagé le pays d'une charge très considérable, qui consiste dans le payement de l'impôt du sang, et en même temps le gouvernement aurait économisé la solde. Or, cette solde, quelle est-elle ? Elle est de 90 centimes par jour, si l'on y comprend le pain ; ce chiffre est peut-être au-dessous de la réalité.

Il y a au minimum 5,000 hommes détachés à Anvers, ce qui exige 4,500 fr., de solde par jour, soit 135,000 fr. par mois et pour 14 mois de travaux, 4 mois en 1860 et 10 mois en 1861,1,890,000 fr.

Donc la somme de travail acquise à Anvers a coûté35,500,000 fr. Elle aurait coûté 1,668,000 fr. faite par des entrepreneurs.

Il y a donc un déficit de près de deux millions pour le pays.

Vous le voyez, il n'y avait pas d'économie et j'avais parfaitement raison de ne pas chicaner sur les 57,000 fr. trouvés par M. le ministre de la guerre.

Je vous ai dit, messieurs, que je considérais la question financière comme le petit côté de la question. Elle offre un côté beaucoup plus général, beaucoup plus élevé, celui qui a rapport à la défense du pays, à l'instruction et à l'organisation de l'armée.

Pour légitimer ou plutôt pour préparer l'emploi des troupes aux fortifications, le ministre de la guerre a inséré dans le cahier des charges, à l'article 4, un paragraphe 22 qu'il nous rappelle dans sa réponse.

Il y est dit que le département de la guerre se réserve de faire exécuter par les troupes tels ouvrages qu'il jugera convenable. Ce paragraphe se fonde sur la nécessité d'exercer les troupes et de suivre les prescriptions militaires de circulaires antérieures, entre autres par celle du 25 octobre 1845.

Or, messieurs, que dit celle circulaire ? Elle indique un genre dc travail tout autre que celui que l'on exécute à Anvers. Voici comment elle s'exprime :

« Parmi les exercices auxquels doivent se livrer les troupes des différentes armes dans les garnisons, et qui sont prescrits par les circulaires ministérielles du 21 août et du 11 décembre 1843, et du 22 août 1844. »

Si l'on remonte à ces circulaires sur lesquelles on s'appuie ici, l'on voit qu’elles ne s'appliquent qu'aux exercices des troupes pendant certains mois de l'année. (Journal militaire officiel, t. IX, p. 325 et 405, et t. X, p. 205.)

« ... Il me paraît utile de comprendre l'exécution d'ouvrage et de fortification passagère, et celle des dispositions offensives et défensives que les troupes d'infanterie et d'artillerie peuvent se trouver dans le cas d'exécuter en campagne, ainsi que les travaux auxquels elles peuvent être appelées à concourir en cas dc siège.

« Ces exercices commenceront par les dispositions les moins compliquées. Le résultat des premiers essais donnera la mesure de l'extension dont ils seront susceptibles dans l'avenir.

« Les ouvrages de défense à exécuter seront d'un tracé simple, tels que ceux qui font l'objet de la 19ème leçon du cours d'art militaire du major Fallot, ou des redoutes carrées.

« Le développement et le profil des ouvrages seront en rapport avec le nombre des travailleurs, et déterminés de manière qu'ils soient mis en état de servir à leur destination après trente-six heures de travail continu, exécuté par des brigades qui se relèveront de six en six heures. »

Cette dernière proposition est tellement formelle, qu'elle est reproduite dans les ouvrages qui s'occupent de l'emploi des troupes aux fortifications. On n'a donc, en aucune façon, voulu distraire les troupes de l'instruction et de la discipline du corps.

La circulaire ajoute :

« Dans les places fortes, où il n'y aurait pas d'autre terrain disponible que les glacis, on pourra, au lieu d’ouvrages de campagne, prescrire l'exécution de travaux attaquer les plus simples, tels que des parties de parallèles ou de zigzags. Quel que soit l'emplacement de ces ouvrages, ils seront exécutés comme s'ils appartenaient à la première ou deuxième parallèle et construits à la tranchée simple ou à la sape volante. »

En résumé, messieurs, ces circulaires sur lesquelles s'appuie le département de la guerre pour employer d'une manière continue et sans relâche les troupes aux fortifications d'Anvers, ne prescrivent sous aucun rapport des travaux permanents.

Elles ne s'occupent que d'ouvrages de campagne et de travaux d'attaque très simples, tels que parallèles et zigzags et exigent que les travaux puissent servir à leur destination après 36 heures de travail continu exécuté par des brigades qui se relèvent de six en six heures.

Evidemment, messieurs, cela ne ressemble en rien à ce qui se fait à Anvers. On exécute à Anvers des maçonneries considérables, d'immenses terrassements, des travaux d'épuisement, toutes choses qui n'ont aucun rapport avec l'instruction des militaires et qui doivent durer, non pas 36 heures, mais d'une manière non interrompue pendant plusieurs années.

En inscrivant le paragraphe 22 dans l'article 4, on avait évidemment un autre but que celui de favoriser le développement de l'instruction des troupes. On prévoyait, en présence de l'immense entreprise dans laquelle on se lançait et dont on ne connaissait ni les difficultés ni les limites, qu'il faudrait venir au secours de l'entrepreneur pour la mènera bonne fin, et l'on a jeté un jalon.

La circulaire de 1845 a été un prétexte ; il fallait en outre que tout ce qui pût servir de moyen de justification, si, au nom de l'intérêt de l'armée, on appelait l'attention du pays et des Chambres sur l'emploi des troupes à Anvers et l'on a fait la circulaire du 15 mars 1860.

La circulaire dit :

« Chaque compagnie active fournira trois soldats choisis parmi ceux qui se présenteront de bonne volonté ; les 18 hommes d'un même bataillon formeront un atelier et seront placés, pour la discipline et l'ordre intérieur, sous un sergent et deux caporaux pris également dans le bataillon, et les 34 soldats de chaque régiment seront réunis en un peloton commandé par un sous-lieutenant.

« Enfin, les quatre pelotons de chacune des divisions d'infanterie composeront une compagnie, à laquelle seront attachés un capitaine, un lieutenant, un sergent-major, un caporal-fourrier, un tambour et un clairon.

page 536) « Les officiers, sous-officiers et caporaux seront choisis avec soin ; les officiers, autant que possible, parmi d'anciens élèves de l'école militaire ; l'un des caporaux de chaque bataillon devra être à même de remplir les fonctions de fourrier. »

Là on diminue le moins possible l’effectif des compagnies, cependant on a soin de réclamer les hommes les plus robustes et les officiers les plus instruits et d'enlever ainsi aux compagnies leurs meilleurs éléments, leurs forces vitales.

Dans un règlement joint à cette circulaire, nous trouvons - et ceci dément ce que l'honorable général Chazal répondait l'autre jour à l'honorable M. Coomans - que l'on ne se borne pas aux hommes de bonne volonté et que le principe de la contrainte est formellement accepté et indiqué par le département de la guerre.

« Les officiers commandants, appelés à désigner les travailleurs, seront personnellement responsables du choix de ces hommes qui doivent être le plus robustes possible.

« Les hommes ainsi choisis seront prévenus qu'ils seront employés aux travaux des fortifications d'Anvers ; on prendra de préférence les hommes de bonne volonté. »

C'est-à-dire que quand il n'y aura pas d'hommes de bonne volonté, on établira l'obligation.

Donc quand on vient dire à la Chambre que c'est une punition d'être renvoyé des travaux d'Anvers, on évite la question de droit et l'on répond encore par une question de fait.

Mais, messieurs, si la circulaire de 1860 avait été ponctuellement suivie en ce qui concerne l'effectif des compagnies, le mal existerait, mais il ne serait pas aussi considérable, il ne serait pas irréparable.

Vous avez vu par la circulaire que l'on prend à chaque régiment 57 hommes, y compris 5 sous-officiers, soit 228 hommes par division, soit 912 hommes pour les 4 divisions d'infanterie de l'armée.

Voilà ce qu'on annonçait, voilà ce qu'on se proposait de faire.

Et qu'a-t-on fait ? On a quintuplé, si pas sextuplé le nombre des travailleurs ; au lieu de 57 hommes par régiment, on est arrivé à prendre 350 hommes.

Vous comprenez parfaitement que c'était aller à rencontre de toutes les mesures de précaution que la circulaire avait prévues ; et que prendre 350 hommes par régiment d'infanterie, alors qu'on avait annoncé qu'on n'en prendrait, que 57, c'est aller à l’encontre de toutes les règles de l'instruction, c'est porter atteinte à la bonne organisation de l'armée.

Et ce n'est pas tout, messieurs, ces 350 hommes pris à chaque régiment ne sont pas les premiers venus ; ce sont des hommes de choix ; de telle sorte que l'effectif qui reste au corps subit encore des réductions plus considérables que la moyenne ordinaire par suite de maladies ou d'autres empêchements, qui tombent naturellement sur les hommes les plus débiles.

Aussi, messieurs, quelle a été la conséquence de ce système ? C'a été évidemment de désorganiser complètement les régiments, de rendre l'instruction impossible, d'empêcher les officiers et les cadres de montrer et l'aptitude et le zèle nécessaires.

Voyons, en effet, quel est l'état de notre infanterie, par suite de ce qui se passe à Anvers. Nous sommes arrivés, avec ce système de détachement de 5,000 hommes, à réduire l'effectif des corps au-dessous du minimum le plus extrême.

Il y a, en Belgique, chacun le sait, seize régiments d'infanterie ; si vous exceptez le régiment des chasseurs-carabiniers et le régiment d'élite, qui conservent leur effectif, probablement pour qu'on ne voie pas à Bruxelles ces débris de régiment que l'on remarque dans les autres villes de garnison, aucun des autres régiments d'infanterie n'a, en moyenne, plus de 550 soldats au corps.

Ainsi (et les chiffres que je cite, chiffres dont je puis garantir l'authenticité, n'accusent pas la situation du montant actuel ; ce sont des chiffres officiels et qui s'appliquent à une situation antérieure plus favorable encore que celle où l'on se trouve aujourd'hui), ainsi l'infanterie de l'armée se compose de 9,000 à 10,000 soldats présents aux corps et 5,000 à 6,000 hommes employés aux fortifications d'Anvers ; de sorte que plus des deux cinquièmes de l'infanterie sont employés à ces travaux.

Que deviennent donc les bataillons, que deviennent les compagnies ? Mais, messieurs, ce n'est plus rien ; je vais vous en fournir la preuve.

Je prends un régiment quelconque et je trouve que l'effectif en officiers, sous-officiers et soldats, comme moyenne trimestrielle, se compose de 976 hommes et se décompose comme suit : 86 officiers, 347 sous-officiers et tambours. 543 soldats.

C’est-à-dire 435 gradés sur 545 soldats.

Poursuivons notre analyse, que trouvons-nous ? De ces 545 soldats, il y en a 63 qui sont détachés au dépôt ; restent 480 hommes, soit 160 hommes par bataillon.

Il faut en soustraire les malades, les hommes en conge, les élèves tambours et cornets, les ouvriers, les élèves de l'école régimentaire, soit un minimum de 36 hommes...

Il reste donc 124 hommes dont le quart, ou 31 hommes, doit faire le service de place.

Restent 93 hommes, c'est-à-dire que chaque compagnie n’a plus que 15 1/2 hommes pour faire l’exercice et les manœuvres. (Interruption).

Je comprends, messieurs, que l’incrédulité se manifeste en présente de tels chiffres ; mais, encore une fois, ces chiffres sont officiels et c’est pour ne parler que sur des documents d’une authenticité incontestable que j’ai pris, non pas la situation actuelle, qui n'est pas officiellement connue, mais la situation du trimestre correspondant de 1861.

Maintenant, quelle est l'instruction des hommes employés aux travaux d'Anvers ? Cette instruction, messieurs, se borne à celle que les soldats ont acquise pendant un séjour de 3 à 4 mois au camp de Beverloo.

Je crois ne pas me tromper en disant que la classe de 1860 a été envoyée directement du camp aux fortifications d'Anvers, et que la classe de 1861 n'a été en partie que quelques jours au corps ; de telle sorte que lorsque ces miliciens retourneront dans leurs foyers après avoir pioche pendant un an ou deux à Anvers, beaucoup d'entre eux n'auront vu ni leur drapeau, ni leur colonel, ni leur capitaine. (Interruption.)

Messieurs, en présence d'une telle situation ; en présence d'un effectif de compagnie, de bataillon et de régiment réduit, je ne dirai pas à sa plus simple expression, mais au-dessous de sa plus simple expression, je vous demande si les critiques que je formule sont fondées et légitimes. Jamais, bien certainement, il n'est venu à la pensée d'aucun homme compétent d'admettre une pareille base comme effectif d'une infanterie quelconque.

Jamais, ni en Belgique ni ailleurs, jamais, sous l'empire même des plus vives préoccupations économiques, on n'est descendu à un pareil niveau.

Il a été admis par la grande commission, il a été constaté dans les discussions au sein du parlement qu'il fallait, pour que le soldat d'infanterie belge reçût, non pas une instruction hors ligne, mais une instruction convenable, qu'il fût présent au corps pendant trois années.

Par mesure économique, on a fait une concession : on est convenu de garder les miliciens pendant trois étés et deux hivers ; mais à la condition bien entendu qu'ils ne quittent pas leur drapeau ; à la condition qu'ils soient exercés tous les jours ; à la condition, en un mot, qu'on leur fasse faire le métier de soldat et non pas le métier d'ouvrier.

C'est assez vous faire comprendre, messieurs, combien l'état de choses actuel est défectueux et contraire à tout ce qui a été admis.

En 1849, l'honorable M. Thiéfry s'exprimait ainsi, en parlant de l'effectif des compagnies :

« La faiblesse actuelle des compagnies est un défaut des plus nuisibles ; pour le prouver à la Chambre je suis forcé d'entrer dans des détails de l'organisation, puisque M. le ministre considère les pensées émises par les membres de cette Chambre, comme émanant d'hommes peu capables de l'apprécier. Je dirai d'abord comment elle a été adoptée. On n'a laissé aucune liberté aux généraux qui ont dû émettre une opinion. Le ministre de la guerre lui-même a reconnu dans l'instruction destinée à faire l'objet des discussions de la commission chargée de discuter quelques points de notre organisation militaire, que l'effectif des compagnies, réduit à 55 hommes, n'avait pas la consistance convenable ni pour l'instruction, ni pour le service. »

La commission en 1842 a été unanime pour reconnaître la justesse de cette opinion. Elle conclut que si l'on ne peut augmenter l'effectif de l'infanterie qui est de 19,000 hommes, comme aujourd'hui, présent sous les armes, répartis en 10 régiments, il faut changer l'organisation des bataillons.

Et nos compagnies, telles qu'elles résultent de l'exposé que je vous ai fait des régiments, est maintenant, avec les sous-officiers, de 36 à 40 hommes, c'est-à-dire vingt hommes de moins que l'effectif reconnu indispensable à cette époque.

Ainsi, la commission des chefs de l'armée reconnaissait, d'accord avec le département de la guerre, que 36 hommes étaient un effectif qui n'était pas au-dessus des besoins de tous les. jours. Aujourd'hui on prétend que nous sommes susceptibles de vivre avec des compagnies de 36 hommes.

La grande commission voulait 73 hommes par compagnie, le maréchal Soult voulait 80 hommes.

Permettez-moi de vous citer une opinion émise pour s'opposer aux (page 537) réductions qui auraient encore diminué ces effectifs, en réduisant le budget de la guerre. L'orateur s'exprimait ainsi :

« Du moment que cette instruction ne pourra plus être donnée à la troupe, du moment que l'armée se sentira trop faible et trop peu manœuvrière pour être à la hauteur des autres armées, pour faire face aux éventualités de l'avenir, pour soutenir l'honneur national, elle se démoralisera, elle perdra cette confiance en elle-même qui est une des principales forces des armées. »

Cet orateur était l'honorable ministre de la guerre actuel.

Evidemment l'emploi de la troupe aux fortifications d'Anvers revient à l'emploi de la troupe aux travaux publics. C'est l'application de ce système essayé, appliqué, condamné partout, en tout et toujours, alors bien entendu que la milice sert de base à nos forces militaires.

A Paris, lors de la construction des fortifications en 1840, on a fait un dernier essai de l'emploi des troupes aux fortifications, et malgré toutes les précautions qu'on a prises pour rendre cet emploi le moins nuisible possible, on a trouvé encore qu'il était désavantageux.

Ces 26 mille hommes étaient pris dans les régiments cantonnés dans les environs de Paris, présentant un effectif de plus de 100,000 hommes, ils étaient campés sur les lieux mêmes et relevés de 6 heures en 6 heures, pour ne reparaître sur les travaux qu'après avoir passé quelque temps aux corps et s'y être retrempés dans la discipline et les exercices militaires.

Malgré ces précautions on a trouvé l'emploi des troupes défectueux sous le rapport de l'économie et de l'organisation militaire. Une commission de 1853 en Belgique a condamné le système de l'emploi des troupes aux travaux publics.

Plus d'une fois la discussion du budget de la guerre a soulevé cette question.

Notre collègue M. Pirson à cette occasion, s'est exprimé ainsi ; ses paroles ne pourraient mieux s'appliquer qu'à la situation présente. « Je ne répondrai pas à ce qui a été dit sur l'application de l'armée aux travaux d'utilité publique, parce qu'en principe je professe la même opinion. Moi aussi je voudrais voir l'armée appelée à concourir aux travaux d'utilité publique, mais à une condition toutefois, c'est que l'effectif des compagnies fût renforcé et pour autant qu'il ne fût démontré que dans les circonstances actuelles, en employant nos soldats à l'exécution de travaux publics, ce ne serait pas enlever aux classes laborieuses un gagne-pain qui leur est nécessaire. »

Cette opinion, à laquelle se rallie notre honorable collègue M. Pirson, est celle du ministre de la guerre le général Chazal. Dans cette discussion l'honorable général répondait aux partisans de l'emploi de la troupe aux travaux publics, il disait que dans une certaine mesure il pouvait présenter quelques avantages, mais qu'il ne pouvait pas l'admettre comme système en présence de notre organisation militaire.

En France, sous l'ancien régime il était admis, et sous le règne de Louis XIV on a fait de grandes choses en employant l'année. Mais alors, l'armée était composée d'hommes qui du jour où ils avaient endossé l'uniforme devaient continuer à servir ; on ne pouvait pas les laisser rentrer dans leurs foyers, parce qu'on ne les aurait plus retrouvés le jour où l'on en aurait eu besoin ; formés complètement au métier des armes, on pouvait les distraire de temps en temps du service pour en faire des ouvriers, mais cet emploi n'a pas la même utilité chez nous où il y a abondance de bras.

L'honorable général Chazal établissait dans son discours que l'emploi des troupes aux travaux publics dans notre pays, ne pouvait se faire qu'à la condition de maintenir plus longtemps les miliciens sous les armes, d'augmenter l'effectif, de modifier la loi de recrutement et d'apporter de grands changements à l'organisation de nos armées.

Je vous ai démontré combien l'emploi des troupes à Anvers était onéreux pour le pays, combien il était contraire à l'instruction et à la bonne organisation de l'armée. Il m'a été facile de mettre sous vos yeux, aussi succinctement que possible, l'opinion des hommes les plus compétents.

Aucun, alors que la milice est la base de l'armée, n'est favorable à l'emploi des troupes aux travaux publics ; ce système, soit en théorie soit en pratique, ne peut se justifier en quoi que ce soit.

Notre armée est désorganisée, nos régiments d'infanterie, qui en sont l'âme, sont plus que des squelettes sans vitalité, bientôt nos réserves ne se composeront plus en partie que de terrassiers et de maçons. (Interruption.) Certainement.

Nos places fortes du Midi, grandes ou petites, ces places qui couvraient la Belgique, sont tombées ou tombent sous la pioche des démolisseurs, tandis que le grand refuge qui doit servir d'asile à notre nationalité, n'est encore qu'une ébauche incapable d'aucune espèce de défense.

Le pays, la garde civique cependant n'est ni organisée convenablement ni sérieusement armée, grâce aux nécessités si considérables des dépenses militaires. En cas d'agression sur quoi pourrions-nous compter dans ce moment ? Cette situation dure depuis tantôt deux ans, elle durera plus longtemps encore, et cela quand l'on vient à chaque instant, selon le besoin de la cause, vous parler des dangers et des éventualités menaçantes de la situation présente.

Avais-je donc tort, messieurs, lorsque je vous disais que nous faisions chaque jour d'immenses sacrifices pour les fortifications d'Anvers ? sacrifices d'argent, sacrifices d'organisation, sacrifices de toute espèce ! Bien des personnes ont été déçues, bien des illusions ont disparu ; fasse l'avenir que les événements n'aggravent pas encore, ces déboires et ces mécomptes et ne viennent pas confirmer d'une manière éclatante nos prévisions et nos craintes !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, si !a Chambre veut achever aujourd'hui, je ne demande pas mieux, je suis prêt à répondre à l'honorable M. Goblet. Mais je dois déclarer que j'en ai pour quelque temps.

- Plusieurs membres. - A mardi.

- La séance est levée à quatre heures.