(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 515) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Par six pétitions, des éleveurs, cultivateurs et intéressés, à Bruxelles, prient la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le crédit pour l'extension et le développement des courses de chevaux. »
« Même demande d'éleveurs, cultivateurs et intéressés, à Chimay. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Des huissiers près le tribunal de Hasselt demandent que les tarifs de leurs émoluments soient augmentés et que les huissiers audienciers reçoivent un traitement fixe et annuel pour le service intérieur du tribunal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Baesrode demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »
« Même demande de l’administration communale de Bassevelde. »
- Même renvoi.
» « Le sieur Flammie, caporal au 5ème de ligne, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à. M. le ministre de la justice.
« L'instituteur communal de Vlierzele demande une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée du 19 novembre 1861, les juges de paix d'Enghien, Soignies, Lessines, Roeulx, prient la Chambre de voter, au budget de la justice, la somme nécessaire pour augmenter le traitement des juges de paix des cantons ruraux.
Même demande des juges de paix dans l'arrondissement judiciaire de Tournai.
A l'appui de leur pétition, les postulants font valoir les considérations suivantes :
Ils allèguent que, quoique la loi du 20 mai ait sensiblement amélioré leur situation, depuis cette époque l'état économique de la Belgique a reçue de profondes altérations, les prix des denrées de première nécessité ont considérablement augmenté et, d'autre part, une dépréciation monétaire s'est fait sentir, le luxe a pris un énorme développement auquel le juge de paix, dans la position qu'il occupe, ne peut pas toujours convenablement se soustraire ; leur traitement et émoluments ne dépasse guère dans les cantons ruraux la somme de deux mille francs, somme insuffisante pour pourvoir à l'entretien d'une famille de trois à quatre membres, sans chance probable d'avancement ; ainsi ni rémunération suffisante ni chance d'avancement, telle est la position qui leur est faite. Et que d'attributions nouvelles n'ont pas été ajoutées depuis 1845 par les nombreuses lois promulguées pendant les seize années qui viennent de s'écouler !
Et comme la loi sur la réorganisation judiciaire, ajournée d'année en année, se fait trop longtemps attendre, ils vous prient d'émarger au prochain budget de la justice un traitement en rapport avec leur rang et leur position dans la société.
Votre commission, messieurs, tout en admettant le bien fondé des observations présentées par les pétitionnaires, n'a pu adopter leur conclusion finale.
Le discours du Trône nous laisse entrevoir la prochaine présentation de la loi sur la réorganisation judiciaire. En recommandant l'objet de la pétition à l'attention bienveillante de M. le ministre de la justice, la commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à son département.
- Personne ne demandant la parole, les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Ghistelles, le 1er mai 1860, des cultivateurs a Ghistelles demandent l'abolition du droit de barrière.
Indépendamment des cultivateurs de Ghistelles, des cultivateurs et industriels de Helchin, Bossuyt et M. le chevalier de Schoutheete de Tervarent demandent également la suppression du droit de barrière.
Ce n'est pas la première fois, du reste, que cette suppression est demandée. Plusieurs fois déjà la Chambre s'est occupée de cette question et c'est à la suite des discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte que M. le ministre des finances nous a communiqué, le 2 février 1861, un rapport très remarquable, rappelant l'historique et les diverses phases par lesquelles l'établissement du droit de barrière a passé.
Ce travail ne contient pas de conclusion formelle quant au maintien ou à la suppression de ce droit ; mais voici le résumé des diverses opinions de ceux qui se sont occupés de cette matière :
« Si l'on s'en rapporte aux opinions défavorables à la taxe des barrières qui sont mentionnées dans ce paragraphe, elle est vexatoire, onéreuse, odieuse, attentatoire à la liberté. Elle prête à la fraude, elle n'est pas proportionnée aux revenus et aux capitaux. Elle pèse presque tout entière sur les habitants des campagnes. C'est un vestige de la féodalité qui met obstacle aux liaisons, établit une séparation entre les villes et les campagnes, et entrave le développement du commerce, de l'industrie et surtout de l'agriculture. Enfin la nécessité de supprimer les barrières résulte des changements que les chemins de fer ont apportés à la circulation.
« Au contraire, si l'on en croit les partisans du droit de barrière, ce droit ne porte pas atteinte à la liberté ; les ennuis et les embarras qu'il nous cause sont compensés par le bon entretien des routes ; aucun impôt n'est plus juste et plus rationnel. Il n'atteint que celui qui peut le payer, il s'est identifié avec nos mœurs et nos habitudes ; c'est le prix d'un service rendu, c'est l'indemnité de l'usure des routes, payée par celui qui cause cette usure. C'est aux barrières que nous devons le bon système de communications dont nous jouissons ; leur suppression aurait pour résultat d'abolir le système des concessions, de ralentir et d'empêcher peut-être la construction de nouvelles routes, de conduire à la suppression des péages des voies navigables, voire même de ceux du chemin de fer, et de la taxe des timbres-poste, de priver le trésor de ressources dont il ne peut se passer. Enfin, la suppression du droit de barrière, après s'être heurtée à toutes ces difficultés, rencontrerait dans les routes concédées un obstacle que l'un des défenseurs de ce droit dit être à peu près insurmontable, et qu'un autre proclame impossible à vaincre. »
Dans cette situation, vous comprenez, messieurs, qu'il serait très dangereux de toucher à la loi et de prononcer l'abolition du droit de barrière, abolition que les adversaires du droit de barrière réclament surtout dans l'intérêt de l'agriculture, tandis qu'il n'y a pas de classe de citoyens qui jouisse de plus d'immunités et d'exemptions que celle des cultivateurs, et cela sous un double rapport, d'abord les exemptions nombreuses dont jouissent les transports des engrais et de tout ce qui concerne l'agriculture sont un avantage immense que n e partagent pas les autres rouliers ni les particuliers citadins ou étrangers ; en second lieu, du jour où l'abolition des barrières sera prononcée, dans toutes les petites communes les conseils communaux seront obligés d'aviser à de nouvelles ressources pour l'entretien des routes vicinales.
Si l'abolition des droits de barrière était prononcée, les routes seront négligées, l'entretien n'aura plus lieu ; on sera obligé d'imposer de nouvelles charges aux communes rurales.
Dans cette situation, la commission n'a pas cru devoir adopter cette mesure, elle se borne à proposer à la Chambre le renvoi pur et simple au ministre des finances.
M. Rodenbach. - La question de la suppression de la taxe des barrières, sur laquelle l'honorable M. Vander Donckt vient de faire un rapport, est une très grave question.
J'ajouterai aux développements que l'honorable rapporteur a présentés, que l'abolition, la suppression de cet impôt-taxe coûterait au pays deux millions environ.
Lorsqu'on a aboli le droit d'octroi, on n'a pas reculé devant une dépense de 12 millions, car l'octroi rapportait autant aux villes, on a trouvé moyen de combler le déficit qui résultait de la suppression de cet impôt.
Si on veut rester dans les mêmes principes de liberté, on trouvera que les barrières causent une gêne extrême à ceux qui fréquentent les routes, en les forçant à s'arrêter à chaque instant de jour et de nuit pour payer quelques centimes. Cette taxe entraîne à des procès et à des poursuites mal fondés, qui impatientent et tourmentent les voyageurs ; les étrangers s'en plaignent également.
Je me rappelle, il y a plus d'une année, que M. le ministre des finances (page 516) avait promis de déposer sur le bureau un travail sur la suppression des barrières. Il s'est empressé de le faire, car le 2 février 1861, si je ne me trompe, il nous a soumis un mémoire très remarquable et très judicieux où il expose le pour et le contre, mais il n'a pas pris de conclusion sur la question.
Je désire savoir, sans dire mon opinion sur la suppression des barrières, si le gouvernement en a une, et si le ministre se propose de présenter un projet de loi sur cette question, dans le courant de cette session.
En Autriche on a supprimé l'impôt sur les barrières ; on l'a également fait supprimer en Prusse, tout en maintenant les barrières, pour la police et l'entretien des routes.
Depuis 1860 les barrières sont supprimées en France et on s'en trouve bien, car les routes y sont aussi bonnes et aussi bien tenues qu'en Belgique.
Messieurs, le droit de barrière rapporte 2,700,000 fr. Mais pour la perception de ce droit, il faut dépenser 25 à 30 p. c. de ce produit. Il en résulte que le droit de barrière ne rapporte que 2 millions sur une recette de 2,700,000 fr. Ces frais de perception sont énormes ; ils montent à 700 mille francs.
Je le répète, je désire que Is gouvernement nous dise s'il se propose de présenter un projet de loi dans la session actuelle.
M. Vermeire. - On ne peut pas disconvenir que la question qui est agitée par la pétition et les explications qui ont été fournies par M. le rapporteur ne soient d'une nature très importante. En effet, je crois que le droit de barrière, tel qu'il est perçu encore aujourd'hui en Belgique, mérite d'être réformé, et je ne suis nullement d'accord avec l'honorable rapporteur de la commission des pétitions quand il prétend que ce droit ne lèse pas l'agriculture. Ce qui prouve que ce droit lèse l'agriculture, c'est que déjà on a dû créer une position privilégiée en sa faveur, en ce sens que les engrais qui sont transportés aux champs sont exempts du droit de barrière. On a donc déjà des catégories privilégiées quant à la perception de ce droit.
Messieurs, on ne peut méconnaître que tous les droits qui grèvent les transports sont un obstacle et un grand obstacle au développement des relations. C'est sous ce rapport, il me semble, que la question doit être examinée.
En ce qui concerne l'entretien des routes qui, d'après les appréhensions de l'honorable rapporteur de la section centrale, laisserait à désirer, si les droits de barrière n'étaient plus payés, je crois que c'est là un argument auquel on ne peut attacher une grande valeur.
En effet, il y a beaucoup de routes sur lesquelles on ne perçoit pas de droits de barrière ; j'en citerai une : celle qui relie Lokeren à la Tête de Flandre en passant par le pays de Waes. C'est une route communale où l'on ne paye aucun droit de barrière et qui n'en est pas moins bien entretenue par les communes qu'elle traverse. De ce côté donc nous ne devons avoir aucune crainte.
Toute la question, selon moi, est de savoir si le budget des recettes peut encore faire le sacrifice qu'on réclame. Les exposés qui nous sont constamment remis par M. le ministre des finances constatent un accroissement considérable de recettes, accroissement qui viendrait certainement équilibrer la perte que l'on ferait du chef de la suppression des péages sur nos routes.
N'oublions pas, messieurs, que si vous facilitez les transports tant par les voies navigables que par les voies de terre et par les voies ferrées, vous augmentez, non pas dans une mesure proportionnelle, mais dans une mesure progressive, les relations qui en sont la suite nécessaire.
C'est ainsi qu'en dégrevant les droits sur les canaux, l'on ne fait pas dans les recettes une perte équivalente à la quotité du droit qu'on a sacrifié.
Eh bien, je crois que nous devons en venir là, c'est que nos ressources augmentant par le développement des affaires, elles doivent nous permettre de les étendre encore davantage par la suppression des entraves qui font obstacle à ce développement.
Je demande donc, messieurs, que cette question, fort importante, ne soit pas envoyée à M. le ministre des finances purement et simplement ; mais qu'elle lui soit renvoyée avec une recommandation bienveillante pour qu'elle puisse enfin recevoir une solution favorable au point de vue des petites industries qui s'exercent à la campagne, de même qu'au point de vue des intérêts de l'agriculture.
M. le président. - Je prierai M. Vermeire de formuler sa proposition par écrit.
M. Vermeire. - Si M. le ministre croyait pouvoir nous donner un mot de réponse dans la séance même, nous ne devrions peut-être pas changer les conclusions du rapport. Sans cela je proposerai le renvoi avec demande d'explications.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, je ne puis pas admettre les observations de l'honorable préopinant. IIlest évident, il est incontestable que le droit de barrière est établi plutôt dans l'intérêt de l'agriculture qu'à son préjudice.
L'honorable membre dit que l'exemption du droit de barrières en faveur des engrais et d'autres transports, que cette exemption est un privilège, je trouve moi que c'est une justice rendue à l'agriculture, puisque c'est l'agriculture qui a supporté la plus grande partie des dépenses de la construction de la voirie vicinale et qu'il serait injuste d'imposer aux communes la charge de payer sans exemption le droit de barrière. Mais quant aux rouliers et usiniers, quant aux particuliers, quant à ceux qui usent les routes infiniment plus que ne le fait l'agriculture, il serait très injuste d'étendre ce privilège en leur faveur.
C'est donc dans l'intérêt de l'agriculture et dans l'intérêt du bon entretien des routes que le droit de barrière est établi ; c'est surtout pour éviter d'imposer d'autres charges aux petites communes, qui se sont déjà exécutées pour la construction de la voirie vicinale et qui seraient encore chargées de l'entretien des routes, à l'exclusion des villes et de ceux qui, comme je le disais, usent principalement les routes.
En deux mots, messieurs, je crois que le droit est juste parce qu'il est payé par ceux qui profitent du bon état des communications dans le pays.
M. Vermeire. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire, c'est que je ne partage nullement l'opinion de l'honorable rapporteur de la commission des pétitions quand il dit que c'est l'agriculture principalement qui a construit les routes : les routes sont ou communales ou provinciales ou gouvernementales.
Eh bien, je crois que c'est avec les fonds appartenant à la commune, à la province et à l'Etat que les routes se construisent. Or, tous les citoyens qui doivent payer des impôts, les payent dans la mesure des bases qui sont adoptées pour la perception.
En ce qui concerne la commune, ses ressources ne proviennent pas uniquement de l'agriculture, mais elles proviennent encore d'autres impôts, et c'est avec le produit de ces impôts que les routes sont établies. Donc l'agriculteur ne paye pas plus pour la construction primitive des routes que les autres contribuables.
Maintenant l'on veut encore faire une exception. L'on dit que ceux qui l’emploient les routes ne sont pas précisément les agriculteurs ; que ce sont plutôt les rouliers qui circulent sur ces routes avec de grands chargements.
Mais je demanderai ce que transportent les rouliers ? Ne transportent-ils pas d'abord les produits agricoles, ne conduisent-ils par les grains au marché ? D'autre part, ne voiturent-ils pas des produits industriels qui ont presque toujours un produit agricole pour objet ?
Pourquoi donc créer des catégories diverses ? Puisque le roulier transporte et pour l'agriculteur, et pour l'industriel, et pour le commerçant, il n'y a pas de distinction à faire. Tous ces intérêts sont solidaires les uns des autres. Disons donc que plus on use des routes, plus les communications sont fréquentes, et mieux cela vaut.
Or, je demande s'il est possible de supprimer le droit de barrières pour augmenter encore les relations qui doivent nécessairement exister entre les diverses personnes faisant des affaires, et contribuer ainsi à accroître le bien-être général.
Voilà le point sur lequel je pose la question.
Il me semble que puisqu'on a déjà diminué les péages sur les canaux et que cette diminution n'a pas entraîné une perle considérable pour l'Etat ; qu'au contraire, la fréquence des voyages a augmenté dans une très forte proportion, le même résultat se produirait, en ce qui concerne l'abolition du droit de barrières ; à mon avis, cette suppression aurait des conséquences très favorables dans l'intérêt commun.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer aux conclusions de la commission des pétitions ; mais je ne puis pas adopter les motifs sur lesquels ces conclusions sont fondées.
A entendre le rapport, il semblerait qu'on n'eût plus à s'occuper des nombreuses réclamations qui tendent à l'abolition de la taxe des barrières, que cet impôt dût être irrévocablement maintenu. Je suis, quant à moi, apposé à ce que la Chambre se prononce d'une manière si prompte et si absolue.
Nous ne devons pas oublier qu'un grand nombre de conseils provinciaux, dans des sessions successives, ont émis le vœu que la taxe des barrières fût supprimée ; chaque année, ces conseils provinciaux, composés certainement d'hommes à même d'apprécier les intérêts en jeu dans cette question, reviennent à la charge pour réclamer la suppression de cette taxe.
(page 517) D'un autre côté, le conseil supérieur d'agriculture a également émis le vœu e voir supprimer la taxe des barrières.
Ensuite, nous sommes dans une voie de progrès, en supprimant les octrois.
Nous ne devons pas nous arrêter précisément à cette suppression ; je crois que nous devons chercher à abolir tout ce qui tend à entraver les relations sociales.
Je sais que la taxe des barrières présente des côtés favorables ; elle sert à faire face aux frais que réclament les routes. Mais d'un autre côté, il y a des pays, tels que la France qu'on a citée, oh l'on a supprimé le droit de barrière, et où l'on ne s'en est pas mal trouvé ; les routes y sont restées aussi bonnes qu'elles pouvaient l'être auparavant.
Dans tous les cas, je ne pense pas que le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances doive avoir cette signification, que la Chambre adopte en quelque sorte les motifs sur lesquels le renvoi est proposé. C'est contre cette signification que j'ai voulu protester.
Nous ne devons pas oublier que les voies ferrées ont transformé en quelque façon les conditions des producteurs et des consommateurs. Il y a des populations qui sous ce rapport sont favorisées ; il en est d'autres qui sont déshéritées.
Les populations qui sont dans le voisinage des stations des chemins de fer, ont pour elles l'avantage de l'économie et de la célérité des transports ; celles qui sont éloignées des stations n'ont à leur disposition que des transports lents et très coûteux, et ils ont en outre la taxe des barrières.
Le chemin de fer a donc détruit l'égalité qui existait autrefois. Dès lors, je considère la question soulevée par la pétition et par le rapport comme digne au plus haut point d'attirer l'attention de la Chambre et du gouvernement.
Je sais qu'elle ne peut être résolue immédiatement, et que nous devons veiller à ce que l'état financier du pays ne soit pas compromis. Mais je ne pense pas qu'il fût sage et opportun de la part de la Chambre et du gouvernement de repousser les réclamations nombreuses qui leur sont adressées de tous les points du pays.
M. de Brouckere. - Messieurs, émettre le vœu que l'impôt des barrières soit supprimé, c'est quelque chose d'extrêmement facile ; j'émets aussi le vœu que cet impôt soit supprimé, et je crois que tout le monde en fait autant. Mais cette suppression présente de très graves difficultés, et il est impossible qu'une question aussi compliquée soit vidée à fond à l'occasion d'une pétition. La traiter d'une manière superficielle, ne peut conduire à rien. Nous n'avons qu'une chose à faire, c'est d'ordonner le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.
Si le gouvernement trouve à propos de nous faire une proposition sur cette matière, il la fera.
S'il tarde à la faire, chacun de nous est libre de prendre l'initiative, et on pourra le faire d'autant plus facilement que le gouvernement nous a fait distribuer un rapport dans lequel se trouvent tous les renseignements désirables.
Je crois donc que, dans l'état actuel des choses, nous n'avons qu'une résolution à prendre ; c'est le simple renvoi de la pétition au gouvernement.
M. d’Hoffschmidt. - Je ferai remarquer à l'honorable préopinant que je ne combats pas le renvoi pur et simple de la pétition au gouvernement et que je ne propose pas à la Chambre de prendre une résolution immédiate à l'égard de la suppression de la taxe des barrières...
M. de Brouckere. - Ce n'est pas à l'honorable M. d'Hoffschmidt que je répondais, mais à l'honorable M. Vermeire qui proposait le renvoi avec demande d'explications.
M. d’Hoffschmidt. - Permettez-moi de continuer. Je ne sais si l’honorable M. de Brouckere a entendu le rapport que l'honorable M. Vander Donckt a présenté tout à l'heure.
Ce rapport s'exprime de la manière la plus formelle contre les réclamations et décide ainsi implicitement qu'il n'y a pas lieu de s'en occuper, et c'est contre cette tendance que je me suis élevé.
Je suis d'accord avec l'honorable préopinant que nous ne pouvons pas prendre une décision immédiate ; il faut une proposition et alors nous examinerons cette importante question, et moi-même je ne m'attendais pas à devoir en parler aujourd'hui.
Mais le rapport de l'honorable M. Vander Donckt est tellement explicite que je ne pouvais pas le laisser passer sans protester au moins contre les arguments trop formels qu'il renferme.
Je sais bien qu'on dira, comme on l'a fait déjà, qu'il est facile d'émettre l'avis qu'il est possible et désirable de supprimer le droit de barrière, comme toute espèce d'impôt ; mais que la difficulté consistait dans la réalisation de cette idée.
Mais, messieurs, et l'on avait raisonné de la sorte quand il s'est agi des octrois, on ne serait pas arrivé à l'adoption de cette grande réforme.
Je crois que si, dans notre petite mais belle patrie, on parvenait successivement, tout en maintenant notre état financier dans une bonne situation, à faire disparaître toutes entraves à la libre circulation, on aurait réalisé un véritable progrès.
Cette question, quelles que soient les appréciations diverses dont elle est l'objet, a éveillé l'attention de la plupart de nos autorités provinciales ; elle mérite de fixer aussi l'attention du gouvernement et je serais fâché qu'on en déclinât l'examen sous l'empire d'un simple préjugé ou d'un parti pris.
M. Rodenbach. - Tout porte à croire que M. le ministre des finances doit avoir une opinion formée sur cette grave question. Comme je l'ai dit dans mon premier discours, il me paraît impossible que cet honorable ministre n'ait pas une opinion arrêtée sur la question après avoir fait ce judicieux et remarquable travail qu'il nous a communiqué.
Quant à l’obstacle que l'on a trouvé à la suppression du droit de barrière dans la nécessité de remplacer par d'autres ressources les deux millions que ce droit rapporte, il m'est impossible de le considérer comme très sérieux quand je songe que l'on a trouvé le moyen de remplacer les douze millions que rapportaient les octrois.
J'insiste donc pour que M. le ministre des finances veuille bien s'expliquer et nous dire quelle est l'opinion qu'il a dû se former à la suite du travail qu'il nous a communiqué il y a un an environ. Je désirerais savoir si un projet de loi décrétant la suppression du droit de barrière pourra nous être soumis, non pas dans quinze jours ou un mois, mais au moins dans la présente ou prochaine session. Quand il s'est agi des octrois, on a parlé de liberté, d'entraves, de vexations, etc. Eh bien, tous les arguments que l'on a fait valoir dans cet ordre d'idées pour justifier la suppression des octrois, sont complètement applicables à la question du droit de barrière. Je dirai même qu'on peut les faire valoir avec infiniment plus de raison encore, car il s'agit ici d'une entrave permanente, d'une entrave de nuit et de jour apportée à la circulation de tous les produits ; et qui, en France, en Autriche, en Prusse, est considérée comme une des plus vexatoires.
C'est donc un droit que l'on doit s'efforcer de supprimer, quand on a des idées vraiment libérales, quand on est pénétré d'un esprit de véritable libéralisme. Mais je demande cette modification à la loi actuelle sans augmentation d'impôts et à une époque où nos finances soient prospères, comme on l'a soutenu ici, naguère dans cette enceinte, sur le banc ministériel.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Il est bien facile d'avoir des idées extra-libérales ; mais, à côté de cela, il faut de l'argent. Le trésor public ne vit pas de libéralisme ; il n'existe que par les fonds que les contribuables viennent y verser.
Or, quand on supprime un impôt, il faut remplacer par de nouvelles ressources celles que cet impôt rapportait. Et pour répondre quelques mots à l'honorable M. d'Hoffschmidt, je lui dirai que, ou bien il ne m'a pas bien compris, ou bien il aura entendu que j'ai exposé le pour et le contre, les considérations contradictoires exposées dans la rapport très remarquable de M. le ministre des finances ; et lorsque nous avons proposé le renvoi de la pétition à son département, ce n'est nullement pour qu'il adhère à nos observations. La commission aurait pu proposer purement et simplement l'ordre du jour, si elle n'avait pas cru qu'il y avait lieu à examen.
Mais, après avoir fait valoir le pour et le contre, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des finances ; tout en lui laissant naturellement une entière liberté d'action quant à ce qu'il jugera convenable de faire ultérieurement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Rodenbach insiste pour que je lui donne une réponse. II suppose que je dois avoir une opinion formée sur la question très difficile dont il vient d'entretenir la Chambre, et sur les moyens les plus convenables de lui donner une solution.
Messieurs, j'ai, en effet, une opinion, et cette opinion est entièrement conforme à celle de l'unanimité de la Chambre, probablement : c'est que, moi aussi, j'émets le vœu qu'on supprime les barrières. Mais toute la difficulté consiste à trouver les moyens de parvenir à cette suppression.
Ici, la question est très complexe : l'intérêt de l'Etat n'y est pas seul engagé ; il y a aussi l'intérêt des provinces, l'intérêt des communes ; il y a de plus des routes qui sont des propriétés particulières, des routes qui sont concédées.
J'ai fait un exposé complet de cette situation, et, jusqu'à présent, je n'ai pas vu qu'on ait beaucoup aidé le gouvernement à trouver une solution. Quelques propositions ont été faites. J'ai vu notamment qu'un conseiller (page 518) provincial a proposé d'établir le monopole dos tabacs, afin d'arriver à la suppression du droit de barrière. Mais nous avons constaté lorsque nous nous sommes occupés des octrois, combien cette question du monopole des tabacs est difficile à résoudre, et nous avons dû nous-mêmes l'écarter dès ce moment, quoiqu'il semble que ce soit un impôt qui serait assez favorablement accueilli. Malheureusement, les difficultés pratiques sont grandes, et les résultats financiers seraient médiocres, la fraude devant s'emparer d'une partie notable des produits dans un petit pays comme la Belgique.
Il n'y aurait qu'un seul moyen de supprimer les barrières, c'est celui qu'a indiqué l'honorable M. Vermeire, et qui consiste à mettre à la charge de l'Etat toutes les dépenses de la voirie vicinale, toutes les dépenses de la voirie provinciale, et à lui faire paver même aux concessionnaires de routes l'indemnité qui leur serait due. Selon l'honorable M. Vermeire, l'état du trésor permettrait de prendre facilement une pareille mesure : mais, selon moi, c'est ce qui serait d'abord à démontrer ; et jusqu'à ce que cette démonstration ait été faite, je ne suis pas du tout d'accord sur ce point avec l'honorable membre.
Les revenus s'accroissent, cela est parfaitement exact ; mais les dépenses sont-elles immobiles ? Non, malheureusement ; les dépenses s'accroissent aussi ; nous aurons des dépenses nouvelles à voter dans le cours de cette session par l'augmentation des traitements de toutes les catégories, et j'ai eu déjà l'honneur de dire que l'état du trésor ne permettrait pas de donner immédiatement aux intéressés la totalité de l'augmentation que nous serons amenés à proposer. J'ai donc, par cela même, suffisamment déclaré que le trésor n'était pas en mesure de supporter un sacrifice aussi considérable que celui qu'indique l'honorable membre. Par conséquent, il faudrait recourir à de nouveaux impôts pour combler le vide que l'on ferait dans les caisses de l'Etat, en supprimant la taxe des barrières.
Messieurs, si cette question des barrières, dont je ne méconnais certes pas l'importance, avait pour les particuliers ce caractère d'entrave que l'on signale comme si sérieux, nous nous demandons comment il se fait que ni les provinces, ni les communes elles-mêmes n'ont pas encore commencé à supprimer les droits de barrière établis à leur profit. Si l'exemple était donné par les provinces et par les communes, on comprendrait difficilement que l'Etat ne le suivît point. Mais les communes s'en abstiennent, et cela par une excellente raison, c'est qu'elles seraient fort embarrassées de pourvoir elles-mêmes aux frais de construction de routes nouvelles et aux dépenses d'entretien des routes existantes.
D'un autre côté, il faut considérer encore que si le droit de barrière était supprimé, on renoncerait par cela même au système des concessions de routes à des particuliers, moyennant la faculté de percevoir un péage. Sans doute, l'Etat continuerait de faire des routes ; on trouverait même encore des communes disposées à concourir à l'établissement de voies de communication de ce genre ; mais on ne trouvera plus de particuliers qui soient disposés à entreprendre de telles constructions. On aurait beau faire appel aux propriétaires intéressés, on n'arriverait pas à faire construire une seule route. Tout le monde sait combien, aujourd'hui déjà, il est difficile d'obtenir leur participation à la construction d'une route, lors même qu'elle doit donner un énorme surcroît de valeur à leurs propriétés.
Je crois, au surplus, après les explications que je viens de donner à la Chambre, pouvoir accepter le renvoi pur et simple de la pétition à mon département.
M. Vermeire. - Je n'ai qu'une observation à faire ; je ne veux pas précipiter l'examen et la solution de cette question importante. Puisqu'on a trouvé moyen d'exonérer les villes des droits d'octroi, ou pourrait dégrever les communes des droits de barrières qui entrent dans leurs recettes. C'est une question à examiner, il me semble que le bien qui doit en résulter dans l'intérêt général est tellement grand, qu'on doit trouver facilement le moyen d'équilibrer le déficit qui en résulterait.
J'ajouterai une seule observation, c'est que chaque fois que le gouvernement vient proposer une augmentation de dépense, on trouve les ressources du trésor inépuisables, et quand nous proposons la moindre réforme utile, on nous oppose la pénurie du trésor.
Quand nous examinons les différents rapports sur la situation du trésor, que trouvons-nous ? C'est que les recettes augmentent dans une proportion plus grande que les dépenses, et que chaque année présente un excédant notable. Ne pourrait-on pas trouver, sur cet excédant considérable, une somme infime pour diminuer le droit de barrières ? Car il n'est pas nécessaire de le supprimer tout à coup.
On pourrait le réduire d'abord de moitié, et puis, un an après, par exemple, le supprimer tout à fait quand les recettes se seront accrues.
Ce que je dis, c'est que la barrière, son nom seul l'indique, est un obstacle au développement du commerce et de l'industrie. Si c'est un obstacle on doit trouver moyen de le faire disparaître.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis accepter le reproche que vient de m'adresser l'honorable préopinant, que chaque fois que le gouvernement propose une dépense, il représente le trésor comme se trouvant dans une situation prospère, et que quand il s'agit d'une demande émanant d'un honorable membre de cette Chambre, on fait au contraire de cette situation un tableau déplorable, et qu'on oppose cette situation pour repousser toute réforme.
Je crois, messieurs, que la Chambre me rendra cette justice de reconnaître que, chaque fois que j'ai eu à faire un exposé de la situation du trésor, je l'ai fait avec une entière franchise, une complète sincérité. J'ai toujours, en toute circonstance, présenté les chiffres de cette situation, avec une exactitude telle, que l'on a vu successivement se confirmer les prévisions que j'ai émises en prenant cette situation pour point de départ.
L'honorable membre oublie qu'en 1859 nous avons voté un grand ensemble de travaux publics, et que nous avons en même temps engagé les excédants probables, probables, notez-le bien, d'une série de plusieurs exercices. Que m'a-t on objecté alors ? On a dit : Mais vous nous présentez une situation qui n'est pas certaine, puisque vous escomptez les probabilités d'un avenir douteux ; les prévisions sur lesquelles vous vous basez, portent sur des excédants de ressources plus ou moins problématiques qui se produiraient pendant plusieurs années ; mais ce sont là des espérances qui peuvent fort bien ne pas se réaliser, et le trésor se trouvera alors dans un grand embarras, la situation sera très fâcheuse il en résulte que votre plan est très aventureux, très hasardé.
Toutes ces objections se trouvent consignées dans les documents de la Chambre.
L'honorable membre oublie donc que nous sommes engagés jusqu'en 1859. Jusqu'à présent, les faits m'ont donné raison ; jusqu'à présent toutes mes prévisions se sont réalisées. En 1859, 1860, 1861, les excédants sur lesquels j'avais compté ont effectivement été obtenus. Nous sommes donc en mesure de faire face à tous les engagements de ces exercices, et il y aura même un excédant qui permettra d'acquitter en partie les dépenses de 1862. Mais nous ne pouvons pas aller au-delà ; nous ne pouvons pas aujourd'hui grever encore le trésor de nouvelles dépenses qui viendraient accroître le chiffre de celles qui ont été votées.
Dans quelques jours, je soumettrai à la Chambre un projet de loi, déjà agréé par le Roi, qui alloue au département des travaux publics un crédit spécial s'élevant à 6 millions de francs, pour l'extension du matériel des chemins de fer. Eh bien, messieurs, pour couvrir cette dépense, nous devrons proposer, par mesure réglementaire, d'avoir recours à une émission de bons du trésor, parce que nous ne pouvons pas continuer à engager davantage les recettes de l'Etat. En agissant ainsi, on ajouterait toujours de nouvelles dépenses aux anciennes, et on s'exposerait à de sérieux embarras.
L'honorable membre est encore dans l'erreur quand il dit : « Mais l'on a bien trouvé le moyen de supprimer les octrois ! on peut également trouver le moyen de supprimer la taxe des barrières. » C'est ainsi qu'on m'a dit également déjà : « Vous avez pu supprimer les octrois, vous devez donc trouver le moyen de supprimer aussi les douanes ; cherchez et vous trouverez. » Je dis à l'honorable membre :' cherchez aussi et vous trouverez.
M. Vermeire. - Cherchons ensemble.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ! Quand vous aurez trouvé, veuillez me le dire.
- Le renvoi avec demande d'explications est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le simple renvoi est ordonné.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Saint-Josse-ten-Noode, le 6 mai 1861, le sieur de Cordes demande la construction d'une route pavée directe de Wavre à Braine-l'Alleud.
Le pétitionnaire fait valoir les avantages qui résulteraient de la construction de cette route. Mais rien au dossier ne justifie les moyens à employer pour la construction. Notez que ce n'est pas une commune qui la demande, mais un particulier qui indique une route à construire sans indiquer les moyens de faire face à la dépense.
En cet état, la commission se borne à vous proposer le renvoi au ministre des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bouillon, le 9 novembre 1861, le conseil communal de Bouillon présente des observations sur le chemin de fer projeté de Bastogne à Longlier et Sedan, et demande que cette ligne passe par Herbeumont et Bouillon.
(page 519) Même demande d’habitants de Bouillon et des membres du conseil communal de Sugny et de Corbion.
A cette demande sont venues s’adjoindre plusieurs autres demandes ayant le même objet.
Ce sont :
1° Les membres du conseil communal de Bagimont ;
2° Les membres de l'administration communale d'Herbeumont ;
3° Des habitants d'Herbeumont ;
4° Le conseil communal de Oignon ;
5° L'administration communal de Bertrix ;
6° Le sieur Pierlot Gérard.
Messieurs, les observations de ces divers pétitionnaires sont surtout basées sur un motif patriotique. Le tracé, tel qu'il est aujourd'hui en projet, servirait parfaitement les intérêts d'un pays voisin, et surtout les usines métallurgiques du canton de Carignan, tandis que la demande des pétitionnaires tend à ce que cette voie, si elle se construit, suive un tracé qui serve plutôt l'intérêt de localités importantes de la Belgique.
La commission a cru que ce motif était péremptoire et elle vous propose le renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics.
M. de Moor. - Messieurs, je ne sais pas si les craintes formulées par les pétitionnaires sont fondées ou sont exagérées. Je préfère croire qu'elles sont exagérées. Dans tous les cas, si elles étaient fondées, si le chemin de fer de la frontière française à la frontière du grand-duché de Luxembourg devait suivre le tracé qu'indiquent les pétitionnaires, je serais de l'avis de l'honorable rapporteur de la commission des pétitions, et je dirais que l'intérêt belge serait sacrifié.
Mais je ne crois pas que cet intérêt important puisse être sacrifié, surtout lorsque je lis l'article premier de la convention provisoire intervenue, le 25 avril, entre M. le ministre des travaux publics et les concessionnaires MM. Eugène Fortamps et Lenoir. En effet, voici ce que dit cet article premier :
« Les seconds ci-dessus nommés s'engagent à construire et à exploiter à leurs frais, risques et périls et aux clauses et conditions du cahier des charges annexé à la présente convention, un chemin de fer partant de la frontière française près Bouillon et aboutissant à la frontière du grand-duché de Luxembourg vers Wiltz en passant par Longlier et Bastogne. »
Les termes de la convention provisoire me paraissent formels et j'aime à croire que M. le ministre des travaux publics, gardien des intérêts belges, ne les sacrifiera pas au profit des intérêts étrangers.
Je ne discuterai pas aujourd'hui le fond de cette question. Seulement, je rappellerai qu'à la dernière séance de la précédente session, M. le ministre des finances, sur une interpellation de mon honorable ami M. d'Hoffschmidt, appuyée par moi, avait promis à la Chambre qu'un projet de loi serait déposé au début de cette session.
L'état dans lequel s'est trouvé l'Europe dans ces derniers temps, n'a peut-être pas permis aux concessionnaires de réaliser aussi vite qu'ils l'espéraient le but qu'ils se proposaient, et je n'entends en aucune façon demander au gouvernement le dépôt immédiat de ce projet de loi. Cependant je le prierai d'agir auprès des demandeurs en concession pour que ce projet de loi soit déposé dans le plus bref délai possible.
Je ne terminerai pas sans recommander à M. le ministre des travaux publics de prendre en très sérieuse considération les arguments péremptoires que font valoir les pétitionnaires et qui sont tous favorables au Centre industriel, un des seuls que nous ayons dans le Luxembourg, celui du bassin ardoisier de la Semois.
Je bornerai là mes observations ; mais je proposerai le renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.
- La proposition de M. de Moor est adoptée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 14 novembre 1861, l'administration communale de Gand demande que la législation relative aux bourses d'études pour l’enseignement supérieur soit révisée.
Les pétitionnaires se bornent, en présence de l'intention annoncée par le gouvernement dans le discours du Trône, de soumettre prochainement un projet de loi à la Chambre, à émettre le vœu que la révision de la loi sur les bourses d'études ait lieu le plus tôt possible.
Votre commission vous propose le renvoi pur et simple de cette pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Enghien,l e 12 novembre 1861, des habitants d'Enghien présentent un projet de loi ayant pour but d'empêcher la corruption électorale.
Celte pétition a été imprimée et distribuée à tous les honorables membres de cette Chambre. Les pétitionnaires exposent d'abord les abus qui, selon eux, se sont glissés dans les élections, et d'autre part ils vous proposent un projet de loi apportant des modifications à différents articles de la loi électorale et du Code pénal, Comme cette pièce a été imprimée et distribuée à tous les membres de la Chambre, que vous avez pu en prendre connaissance et que cette question, du reste, sera probablement portée devant la Chambre par le gouvernement, votre commission se borne à vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 15 novembre 1861, des industriels à Bruxelles demandent que le gouvernement ajourne à deux ans la conclusion d'un traité de commerce avec l'Angleterre, ou du moins, que le tarif de douane soit modifié par voie de disposition législative et non par traité.
Même demande d'industriels et négociants à Gand, et d'industriels et négociants à Tournai.
Messieurs, votre commission ne s'est pas dissimulé toute l'importance de cette demande.
Les observations présentées par M. le ministre des finances dans une séance précédente, sur la réserve qu'il convient que la Chambre apporte au sujet d'un traité qui aujourd'hui est en négociation avec une puissance voisine, nous imposent certains ménagements et nous engagent à ne pas entrer dans de grands développements. Cependant je ne puis me dispenser d'entrer dans quelques détails sur les motifs qui ont engagé les pétitionnaires à s'adresser à la Chambre.
Voici comment ils s'expriment.
En ce moment de quoi s'agit-il ? L'Angleterre demande à conclure un traité de commerce avec la Belgique, elle réclame, à ce qu'il paraît, indistinctement tous les avantages que, par le traité de commerce du 1er mai de cette année 1801, la Belgique a accordé à la France.
La situation de la France et de l'Angleterre à notre égard n'est pas égale, pourquoi les conditions seraient-elles les mêmes ?
D'abord ils se demandent s'il n'y aurait pas de danger à s'engager dans cette voie sans prendre le temps d'examiner quelles seront pour la France les conséquences de son traité avec l'Angleterre et si l'on ne pourrait ajourner, jusqu'à ce que l'expérience fût faite, la conclusion d'un traité entre la Belgique et l'Angleterre.
D'ici à deux ans aucun intérêt ne peut être compromis, car beaucoup d'intérêts que le traité menace auront eu le temps de se sauvegarder.
Voilà pourquoi, disent-ils, nous avons proposé un délai de deux ans à titre d'ajournement, pour la conclusion du traité projeté avec l'Angleterre.
Nous disons que la situation de la France et de l'Angleterre à notre égard n'est pas égale, et de plus nous prouvons que le traité avec la France a placé les industriels belges dans une position d'infériorité fâcheuse, surtout sous le rapport des fils de lin belges relativement aux fils français.
Le traité franco-belge en dégrevant de 6 francs par 100 kilos les lins bruts à leur entrée en France, et en supprimant le droit de 5 francs les 100 kilos qui pesait sur les étoupes et les émouchures à leur sortie de Belgique, a fait augmenter dans la même proportion le prix de ces matières premières.
Le résultat a été particulièrement onéreux pour les filatures d'étoupes qui filent de gros numéros et dans la fabrication desquels la matière première joue un plus grand rôle que dans celle des numéros fins. Dans le traité avec la France il y a un point qui a douloureusement étonné les filatures de lin, c'est qu'il n'y a pas de réciprocité dans les faveurs accordées par les deux pays aux fils de lin et d'étoupes, et que ce manque de réciprocité va en s'aggravant pour les numéros élevés.
Or, ce sont précisément les numéros fins qui auraient besoin de la protection la plus large, puisque la valeur de ces numéros résulte spécialement du prix de laà main-d'œuvre, et que la main-d'œuvre c'est le salaire des ouvriers, leur pain de chaque jour. En effet, les fils belges à leur entrée en France sont soumis à un système douanier combiné de telle manière, que tous les numéros payent à peu de chose près un droit uniforme. Ce résultat a été atteint en divisant les divers numéros en six catégories, lesquelles sont frappées chacune d'un droit plus élevé, à mesure que le fil devenant plus fin, son poids est plus léger.
Les fils français à leur entrée en Belgique sont soumis à un tarif plus simple en apparence mais beaucoup moins uniforme et partant moins équitable.
Le tarif appliqué aux fils français ne comprend que deux catégories. Tandis que le tarif subi par les fils belges monte par degré et par catégorie depuis 15 jusqu'à 100 francs, la première catégorie pour les fils français ne sera en 1864 que de fr. 10 et de seconde de 20 francs.
L’infériorité de la position faite aux fils belges relativement aux fils (page 520) français saute aux jeux de tout le monde pour l'examen du tableau annexé à cette pièce,
Il est vrai que jusqu'au 1er octobre 1864 les droits qui frappent les fils français à leur entrée en Belgique sont majorés de 5 fr. pour la première catégorie et de 10 francs pour la seconde catégorie, mais ce laps de temps est bien court ; aussi n'y a-t-il pas lieu à s'occuper de ce tarif provisoire. Ce qui demeurera, c'est le tarif de 1864, en vertu duquel les fils jusqu'au n 45 payeront deux fois autant à leur entrée en France qu'à leur entrée en Belgique et les fils fins depuis les numéros 70 à 130, numéros qui se fabriquent beaucoup en Belgique, payeront pour entrer en France cinq fois plus de droits que pour entrer en Belgique.
Néanmoins un pareil tarif appliqué à la France où les frais de production sont plus élevés qu'en Belgique, ne peut nuire aux filatures belges, du moins dans l'état actuel de l'industrie ; mais appliquer ce même tarif à l'Angleterre, ce serait nuire gravement aux intérêts des filatures de lin en Belgique.
A chaque crise industrielle, l'Angleterre, que n'arrêterait plus le droit illusoire dont ses produits seraient taxés, l'Angleterre inonderait de ses fils le marché belge. Chacun se rappelle encore qu'en 1856, lorsque la série des fils trames n°60 à 100 se vendait en Belgique de 16 à 17 francs par paquet de 3 bundles, les mêmes fils se vendaient en Angleterre à raison de 12 à 13 francs. En 1848 on a eu à subir une crise semblable. Ces crises reviennent à des périodes de plus en plus rapprochées.
Des considérations qui précèdent il résulte à toute évidence que depuis l'exécution du traité entre la France et l'Angleterre, cette courte expérience a prouvé que les industriels français ne sauraient soutenir la concurrence contre l'Angleterre. Un traité entre l'Angleterre et la Belgique sur les mêmes bases serait fatal à la Belgique, et en effet, une forte crise et une grande misère existent dans les départements du Nord et les ouvriers flamands reviennent en grand nombre, à défaut de travail et de moyens d'existence.
Ces renseignements et ces considérations que les pétitionnaire font valoir sont de nature à imposer au gouvernement une grande prudence et beaucoup de circonspection dans ses négociations du traité avec l'Angleterre.
Votre commission, messieurs, vous propose le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de provoquer un débat dès maintenant sur une question de cette importance. Je crois que ce débat serait inopportun.
Cependant je demanderai à la Chambre de vouloir bien décider que la pétition des industriels de Bruxelles et de Gand sera renvoyée non seulement à M. le ministre des affaires étrangères, mais encore à la section centrale au moment où nous aurons à émettre une opinion sur le traité qui nous sera soumis. Je crois, messieurs, qu'il importe, surtout dans les circonstances actuelles où la classe ouvrière souffre, de calmer les inquiétudes de l'industrie.
Je pense, messieurs, qu'il faut examiner avec la plus grande attention tous les motifs allégués par les pétitionnaires pour arriver à la liberté du commerce sans nuire à nos intérêts nationaux.
Je saisirai cette occasion, messieurs, pour demander au gouvernement s'il est intentionné d'entamer des négociations avec le Zollverein et d'autres pays avec lesquels nous pourrons ouvrir des relations commerciales.
M. le président. - Faites-vous une proposition ?
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je propose le renvoi à la section centrale.
M. le président. - Il n'y a pas de projet et par conséquent il n'y a pas de section centrale.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion.
M. le président. - Il n'y a pas encore de projet de loi.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Soit. Je renouvellerai ma proposition en temps opportun. Mais je demanderai de nouveau au gouvernement s'il a l'intention de négocier avec le Zollverein et avec d'autres pays.
M. Magherman. - Je ne suis pas d'avis que le débat qui occupe la Chambre est prématuré. En effet, messieurs, le gouvernement négocie ou négociera avec l'Angleterre. Eh bien, les pétitionnaires expriment des craintes, demandent un ajournement ; ils doivent évidemment présenter leur demande avant que le traité soit conclu.
Messieurs, je viens appuyer la demande des pétitionnaires. Nous avons sous les yeux l'exemple d'une nation voisine qui a traité avec l'Angleterre, et le traité que le gouvernement se propose de conclure, serait probablement conçu en termes à peu près identiques.
Eh bien, messieurs, ce que demandent les pétitionnaires est, suivait moi, une mesure de grande prudence ; ils demandent que le gouvernement attende pour voir quels résultats produira le traité conclu par un pays voisin.
Or, si nous devons en croire les journaux, ces résultats ne sont pas très favorables. Je ne veux pas dire que la crise qui existe actuellement à Lyon, à Saint-Etienne, à Roubaix et dans d'autres centres industriels, doive être exclusivement attribuée au traité avec l'Angleterre, je ne vais pas jusque-là, plusieurs circonstances peuvent avoir concouru à amener cette crise, notamment la cherté des vivres et la guerre américaine.
Mais, messieurs, ce qui est certain et ce qui est établi par un homme d'Etat anglais lui-même, M. Gladstone, c'est que pendant les trois premiers mois de l'année dernière, l'Angleterre a importé en France pour 50 millions de livres sterling (fr. 125,000,000). Cet homme d'Etat disait que le vide apporté par la guerre d'Amérique dans les relations de l'Angleterre était déjà en grande partie comblé par les relations que l'Angleterre était parvenue à se créer en France. Eh bien, messieurs, ces relations sont-elles réciproques ? Non ; jusqu'à présent la France a importé très peu en Angleterre.
C'est donc au préjudice de l'industrie française que ce résultat a été produit ; je ne dis pas que cet état de choses se maintiendra, que dans la suite il n'y aura pas également des importations notables de la France en Angleterre ; mais il me semble qu'en présence de cette situation il est très prudent d'attendre.
Or, que demandent les pétitionnaires ? Ils ne demandent pas, d'une manière absolue, qu'on ne fasse pas de traité avec l'Angleterre ; ils demandent seulement qu'on laisse se faire l'expérience, qu'on voie avant tout les résultats que le traité conclu entre l'Angleterre et la France produira pour ce dernier pays.
Eh bien, notre industrie est dans des conditions à peu près similaires à. celles où se trouve l'industrie française. Nous pouvons lutter avec la France ; mais il est très douteux que nous puissions nous mesurer avec l'Angleterre. C'est une expérience qui est à faire et qu'il serait plus prudent de laisser faire par nos voisins.
Messieurs, je ne suis pas partisan quand même du système protecteur.
Ce système n'est pas le plus favorable à l'industrie ; car, quand il est exagéré, l'industrie se repose dans la sécurité et ne progresse pas. Mais ce que je voudrais, c'est un abaissement progressif des droits, afin d'amener notre industrie à introduire successivement des améliorations.
De cette façon, elle parviendrait un jour, je l'espère du moins, à pouvoir supporter la liberté complète. Peut-elle dans ce moment-ci la supporter ? J'ai lieu d'en douter.
Des industriels de Gand et de Bruxelles spécialement engagés dans l'industrie du tissage, ont présenté à M. le ministre des affaires étrangères un mémoire très remarquable sur cette matière. Ils ont établi d'une manière peut-être irréfutable, que leur industrie n'est pas encore à même de lutter avec l'Angleterre.
J'appelle toute l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ce mémoire ; je le supplie de prendre en grande considération les arguments qu'ils ont fait valoir lorsqu'il s'agira du traité avec l'Angleterre.
Je n'entrerai pas plus avant dans la discussion de cette matière ; mais je crois devoir terminer comme j'ai commencé, en appuyant de toutes mes forces la demande des pétitionnaires.
M. H. Dumortier. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de suivre les honorables préopinants dans les considérations dans lesquelles ils viennent d'entrer. Je crois que le moment n'est pas venu.
Il est évident que le gouvernement doit agir, en cette matière, avec une grande prudence.
Mais il faut aussi que le gouvernement examine bien à fond si toutes ces manifestations, si toutes ces démonstrations, si tous ces articles de journaux sont le produit du mouvement spontané des intérêts généraux ou s'ils ne cachent pas d'autres mobiles que l'intérêt général. Différents journaux ont annoncé que, par suite de toutes ces démonstrations, le gouvernement belge s'était décidé à suspendre les négociations avec l'Angleterre. Je désirerais savoir s'il en est effectivement ainsi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, les négociations ne sont pas suspendues ; mais elles ont été ralenties par suite de l’événement qui est arrivé en Angleterre.
M. Jamar. - Messieurs, les mêmes raisons de convenance qui m'ont engagé à m'abstenir dans la discussion de l'adresse, m'engagent aujourd'hui encore à ne pas suivre quelques orateurs sur le terrain où ils se sont placés. Toutefois, il me semble intéressant d'appeler (page 521) l'attention de la Chambre sur un paragraphe d'un rapport présenté récemment à l'empereur des Français par le ministre des finances.
Voici comment s'exprime M. Fould, en appréciant les résultats du nouveau régime économique inauguré en France par le traité anglo-français ;
« Le traité de commerce avec l'Angleterre, qui a reçu son dernier complément le 1er octobre 1861 par la levée de toutes les prohibitions, est entré pour quelques millions dans cet accroissement des revenus indirects ; mais l'importation des produits anglais a été loin de prendre le développement excessif que certains esprits trop facilement alarmés avaient prévu. Les prévisions de votre gouvernement ont été réalisées de point en point.
« L'expérience décisive qui vient d'être faite a montré que les calculs qui avaient servi de base aux nouveaux tarifs étaient justes, et que les craintes qu'on s'était plu à répandre parmi nos industriels étaient sans fondement. »
Il me reste, messieurs, à vous citer quelques chiffres qui sont, dans les discussions de ce genre, les arguments les plus sérieux. Ce sont les chiffres constatés par la douane française. Je me bornerai à vous donner ceux qui concernent les industries au sujet desquelles on exprime les craintes les plus vives.
« Pour les cotonnades, les lainages et les autres articles frappés autrefois de prohibition, l'importation totale dans le quatrième trimestre de 1861 n'atteint pas 30 millions, et équivaut à peine à un pour cent de notre fabrication d'articles similaires.
« Nos exportations pour l'Angleterre et la Belgique se sont accrues de 30,000,000 en 1861, quoique le chiffre total de nos exportations, que l'administration ne peut pas encore préciser, ait subi une diminution par suite de la crise américaine.
« Le ralentissement du travail dans quelques-unes de nos grandes villes manufacturières, Lyon, Rouen, Lille et Mulhouse, tient à la même crise, au renchérissement du colon et à la cherté des subsistances. »
Messieurs, il m'a semblé nécessaire d'appeler l'attention de la Chambre, et je dirai du pays tout entier, sur la situation faite au commerce français par le traité conclu avec l'Angleterre.
Il faut dire que cette situation doit être présentée sous son véritable jour, afin de calmer les inquiétudes exagérées que certains esprits se plaisent à entretenir et à développer.
Il faut surtout montrer à nos populations ouvrières quelles sont les causes véritables de la crise dont elles souffrent.
Il faut enfin se garder de laisser s'accréditer cette dangereuse erreur que le gouvernement a la possibilité, soit d'augmenter le travail national, soit de diminuer le prix des subsistances, et d'attribuer au traité avec l'Angleterre cette influence qu'il ne saurait avoir.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne puis pas croire, comme l'honorable préopinant, qu'il soit dangereux de dire au peuple la vérité. Si le gouvernement veut absolument faire le mal et qu'il trouve ensuite qu'on a tort de se plaindre de ce qu'il fait le mal, je conçois qu'on dise : « Il est dangereux d'établir en Belgique le système de dire la vérité au peuple. » Je conçois qu'on veuille établir le mutisme vis-à-vis du peuple. Mais, pour ma part, je pense qu'il n'y a rien de tel que de dire la vérité. Or, il est de ces vérités de bon sens que l'homme du peuple comprend tout aussi bien que l'homme qui a le plus étudié les livres de l'économie politique.
La première de toutes les vérités du sens commun, c'est d'avoir de quoi vivre, c'est pour l'ouvrier de gagner sa vie.
Eh bien, le traité entre l'Angleterre et la France a-t-il eu pour résultat, oui ou non, de faciliter à l'ouvrier des villes manufacturières le moyen de gagner sa vie ? Voilà la question.
On nous parle d'un mémoire adressé par le ministre des finances français à son souverain et dans lequel il déclare que tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles. Je conçois qu'un ministre français, parlant à son souverain dans une lettre qui reçoit de la publicité, s'exprime de la sorte ; mais nous devons voir la réalité des faits. Or, je prie l'honorable membre de vouloir bien se rendre dans une des villes manufacturières de Lille, de Roubaix, de Tourcoing ou aux environs de Waterloo, toutes localités qui sont aux portes de Tournai, et il verra dans quelle situation se trouve l'industrie.
M. Jamar. - Elle est fâcheuse dans tous les centres industriels en Europe.
M. B. Dumortier. - Oui, partout où il y a des fabriques.
M. Jamar. - C'est en Angleterre que la crise est la plus intense.
M. B. Dumortier. - Que l'honorable membre aille en France, il y verra que la plupart du temps les ouvriers sont réduits, soit à la moitié du salaire, soit à la moitié du temps de travail. L'ouvrier ne travaille 'plus que trois jours par semaine. Je pourrais citer ici nominativement, pour tous les objets de fabrication, les prix anciens et les prix nouveaux qu'il a fallu établir par suite du traité conclu entre la France et l'Angleterre, Allez à Roubaix, à Tourcoing, à Waterloo, à Lille et vous verrez dans quelle situation déplorable s'y trouvent l'industrie et l'ouvrier.
M. Jamar. - Et en Angleterre ?
M. B. Dumortier. - Je sais parfaitement bien que l'Angleterre éprouve actuellement certains embarras ; et vous vous trompez étrangement si vous croyez m'apprendre que, par suite de la guerre qui existe entre les Etats d'Amérique, la sortie du coton est momentanément prohibée.
Je sais fort bien tout cela. Mais il y a cette différence que la crise de l'Angleterre ne date que d'hier, tandis que la crise qui règne en France existait depuis quatre mois déjà avant la mise en vigueur du traité avec l'Angleterre.
Il a suffi, en France, de la certitude de recevoir les fabricats anglais le jour où le traité serait signé pour que la fabrication s'en ressentît et se ralentît sensiblement ; et cette situation n'a fait que s'aggraver. Un fait incontestable c'est que les villes manufacturières de France étaient dans une position affreuse alors déjà que le coton était en abondance et que les fabriques d'Angleterre étaient en pleine activité.
Ce n'est donc pas le défaut de coton qui est la cause première de la crise actuelle. La véritable cause, c'est la différence des conditions de fabrication en Angleterre et en France.
Or, il n'est pas possible d'imaginer qu'une personne sérieuse, après avoir étudié l'industrie anglaise sur les lieux et non pas dans les livres, après l'avoir examiné des pieds à la tête, si je puis ainsi dire, puisse prétendre que la lutte avec l'Angleterre soit encore possible sur le continent.
- Plusieurs voix. - Allons donc !
M. B. Dumortier. - C'est vraiment une chose inouïe, messieurs, que d'entendre des députés de la nation accueillir ainsi mes paroles quand je défends ici la cause du peuple. (Interruption.)
Je dis qu'il n'est pas un homme sérieux qui puisse contester ce que j'avance (interruption), et vous, M. Sabatier, qui m'interrompez, vous n'avez pas étudié l'industrie en Angleterre.
M. Sabatier. - Je demande la parole.
M. B. Dumortier. - La première chose qu'on devrait savoir c'est qu'en Angleterre n'est pas qui veut propriétaire foncier, c'est qu'il n'est pas possible aux particuliers d'accroître une fortune territoriale ; que, dès lors, les capitaux doivent nécessairement se placer dans l'industrie, et que l'on se contente d'un intérêt aussi minime que celui de la terre. (Interruption.)
M. le président. - Messieurs, veuillez ne pas interrompre.
M. B. Dumortier. - Il est vraiment étrange, messieurs, d'être interrompu quand on cite des faits historiques et surtout d'être interrompu par des gens qui ne les connaissent pas. Voilà, messieurs, une première vérité.
Maintenant, l'Angleterre a ce que vous n'avez pas, des colonies ; l'Angleterre a des colonies sur tous les points du globe et il n'existe pas un port de mer où elle n'ait au moins un comptoir. Vous, au contraire, vous n'avez ni colonie ni comptoir.
L'Angleterre a une marine qui sillonne toutes les mers ; vous, vous avez pour toute marine 120 vaisseaux dans le port d'Anvers, et quels vaisseaux ? De mauvaises coquilles de noix ! (Interruption.)
Et c'est ainsi, c'est avec ce système de perfectionnement, que vous avez amené la ruine du port d'Anvers, comme vous ruinerez l'industrie du pays. (Nouvelle interruption.) Avez-vous donc oublié certain opuscule publié il y a deux ans sur la décadence du commerce d'Anvers ? Je ne le pense pas, car il vous a trop vivement préoccupés et avec raison.
Maintenant, avez-vous les inventeurs qu'a l'Angleterre, les capitaux qu'elle possède ; avez-vous son immense marché de coton ? Non, vous n'avez rien de tout cela.
Avez-vous, comme l'Angleterre, ces moyens de communication rapides à l'aide desquels elle déverse son trop-plein sur tous les points du globe ? Non, vous n'avez rien de semblable.
Au lieu de faire de la fabrication sur une vaste échelle, vous ne pouvez en faire que sur une petite échelle, et je le répète, il faut n'avoir aucune idée de l'industrie anglaise pour s'imaginer qu'il soit possible de lutter avec elle.
Ce n'est pas tout : vous avez sous la main le fer, la houille, en un mot les objets les plus indispensables à l'industrie. Eh bien, il est démontré à la dernière évidence que le jour où vous aurez supprimé les droits sur (page 522) l’entrée des fontes, tous les marchés où peuvent arriver les vaisseaux anglais vous seront fermés.
Il est donc incontestable que toutes ces théories ne peuvent avoir qu’un seul résultat, c’est d’amener la ruine de l’industrie comme vous avez ruiné notre admirable port d'Amers (interruption) en supprimant les droits différentiels et les mesures protectionnistes dont il jouissait. Vous avez fait du port d'Anvers un simple port de cabotage. Oui, il entre beaucoup de vaisseaux dans le port d'Anvers, mais ces vaisseaux ne font véritablement que du cabotage.
En laissant ainsi le grand commerce à l'Angleterre, vous faites de votre pays un pays de simple commission et rien de plus. (Interruption.) L'agriculture vous ne l'avez ni ruinée ni enrichie ; elle marche sans vous.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais, selon vous, l'abolition de l'échelle mobile devait la ruiner.
M. B. Dumortier. - Je prouverai quand on le voudra qu'il devait y avoir des conditions différentes pour l'agriculture et pour l'industrie, qu'on ne pouvait pas les soumettre l'une et l'autre au même régime de liberté. Voilà ce que disait l'honorable Frère, il y a dix ans ; je serais furieux de savoir s'il professe toujours la même opinion.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je la maintiens complètement.
M. B. Dumortier. - Alors j'en félicite sincèrement le pays et je me rassieds sans rien ajouter de plus.
M. de Renesse. - Messieurs, d'après le discours que vient de prononcer un honorable collègue, il faudrait que le gouvernement s'arrêtât dans les négociations commerciales avec d'autres pays\ voisins ; en faisant cette demande d'ajournement, l'honorable collègue semble plutôt défendre les intérêts de certaines industries dont, encore, actuellement, les productions sont protégées par des droits douaniers très élevés, en opposition aux véritables intérêts de la masse des consommateurs du pays, dont jusqu'ici peu de nos honorables collègues ont pris la défense dans cette enceinte. Je dois au contraire demander que le gouvernement persiste dans la marche qu'il a suivie depuis quelques années, pour l'abaissement successif de nos droits de douanes et, dans les conventions à intervenir avec les puissances étrangères, j'ose espérer que le gouvernement suivra les mêmes principes que ceux du traité avec la France, et en soutenant un tel principe économique, je crois défendre plutôt les droits du peuple, de la masse des consommateurs, que ceux de quelques privilégiés, dont les industries sont encore, en partie, protégées par des droits fiscaux exagérés outre mesure.
M. Sabatier. - Messieurs, j'exprime absolument le même vœu que vient de formuler l'honorable comte de Renesse et désire de tout cœur que le traité de commerce qui doit intervenir entre l'Angleterre et la Belgique nous soit présenté le plus tôt possible. Je ne mets pas en doute que lorsque aura eu lieu la discussion de ce traité, dont nous pouvons apprécier les bases d'après le traité franco-belge, presque tous les membres de cette assemblée, ceux du moins chez qui n'existe pas de parti pris, y adhéreront. Une discussion approfondie montrera enfin de quel côté sont les véritables défenseurs du travail national.
Messieurs, j'ai interrompu l'honorable M. Dumortier et j'ai ensuite demandé la parole lorsque cet honorable membre, parlant de l'industrie anglaise, a prétendu que personne ici ne la connaissait.
J'ai dit que, quant à moi, je croyais la connaître et que je me faisais une idée exacte de la concurrence que nous avions à craindre.
Un débat sur le point de savoir ce que je sais, ou ce que je ne sais pas paraîtra sans doute fort peu intéressant après la déclaration que je vais faire : elle concerne une des principales industries du pays, celle qui vient précisément d'être mise en cause par mon honorable adversaire.
Cet honorable membre se retournant vers moi a trouvé bon de dire que si l'entrée des fers, des fontes et des houilles était permise en Belgique, les industries que ces objets concernent seraient fort malades.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
- Plusieurs membres. - Si, si.
M. Sabatier. - Je ne répète peut-être pas textuellement vos paroles, mais je crois avoir bien indiqué le sens de ce que vous avez dit.
M. B. Dumortier. - J'ai parlé des fontes de moulage et non des fontes d'affinage.
M. Sabatier. - Peu importe. Je me placerai sur le terrain des fontes de moulage si vous le voulez, elles sont comprises dans les produits de la sidérurgie. C'est à propos de cette industrie que je suis autorisé par l’association des maîtres de forges à déclarer à la Chambre que s'il convenait au gouvernement, non pas seulement d'abaisser les droits existants sur les fontes et les fers, mais de les supprimer complètement, il ne serait apporté aucun obstacle à cette mesure. Cette déclaration paraîtra sans doute suffisamment explicite et je désirerais que l'exemple que je viens de donner fut suivi par les membres de cette Chambre qui représentent d'autres industries.
Il est entendu, messieurs, que nous ne devons pas entrer dans le fond du début : nous ne pouvons pas discuter aujourd'hui quel degré de concurrence soutiendraient nos divers fabricats ; mais pour que la Chambre se rassure sur les conséquences du traité à faire avec l'Angleterre, je dirai par exemple qu'en ce qui concerne l'industrie du coton, mise tout particulièrement en émoi, la protection accordée au travail national dans l'article « filés » sera de 75 à 100 p. c. Je m'engage à fournir la preuve de cette assertion en temps utile.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Sabatier. - Je viens de déclarer, qu'en ce qui concerne les fers et les fontes, nos industriels renonceraient, le cas échéant, à toute protection.
Je dois ajouter, et la chose est essentielle, que si nos maîtres de forges abandonnent l'idée de la protection, ils se croient d'autant plus en droit de réclamer du gouvernement plus d'aide, et ils considèrent, avec infiniment de raison, que la seule aide véritablement efficace se concentre dans la question des transports. C'est aussi dans ce sens que les chambres de commerce se sont prononcées, et je dirai avec elles que le bas prix des transports est inséparable de l'abaissement des barrières douanières. Lorsque celles-ci auront disparu, le dernier mot de la lutte entre les industries similaires de différents pays se résoudra par la possibilité d'opérer le trafic dans de bonnes conditions.
Le gouvernement partage sans doute mon avis ; il comprend sans doute aussi qu'il lui reste beaucoup à faire sous ce rapport pour répondre aux vœux du commerce et de l'industrie.
M. le ministre des finances en a fourni la preuve il n'y a qu'un instant, en annonçant à la Chambre la présentation d'un projet de loi, demandant un crédit destiné à mettre le matériel du chemin de fer à la hauteur des besoins du service.
Je désire que ce projet de loi soit déposé promptement et surtout, qu'il soit assez complet pour nous donner toute satisfaction. Il nous fournira l'occasion de nous occuper de la question des tarifs.
M. B. Dumortier. - L'honorable membre a un singulier système de discussion. Je lui parle d'un article, il me répond en parlant d'un autre.
Je dis que la fonte de moulage sera perdue en Belgique, surtout dans nos ports de mer où pénètrent chaque jour des navires anglais, et il me répond que la Belgique ne craint pas la forgerie anglaise. Quand je parlerai forgerie, répondez-moi forgerie, mais quand je parle de moulage, répondez-moi moulage.
M. Sabatier. - C'est exactement la même chose.
M. B. Dumortier. - Je dois détromper le pays sur une assertion de l'honorable membre. Il dit qu'il démontrera que la fabrication du coton jouit d'une protection de 75 à 100 p. c. en Belgique sur la fabrication anglaise.
Il vaudrait mieux ne rien dire que de venir déclarer à la tribune nationale de pareilles contre-vérités.
Les conséquences d'une pareille doctrine, c’est de montrer les industriels du pays sous un jour odieux à l'égard de leurs ouvriers.
L'honorable membre dit que tout se résume à une question de transports. Savez-vous ce que cela signifie ? Je vais vous le dire. C'est que pour le plaisir de faire du libre échange en Belgique, on demandera de réduire de quelques millions les produits du chemin de fer et des canaux ; que pour le plaisir de faire de la théorie, d'abaisser les salaires des ouvriers en Belgique, on vous fera encore sacrifier des millions sur le trésor public.
M. Goblet. - On a raison.
M. B. Dumortier. - Je déclare que je ne me prêterai pas à l'introduction de pareilles mesures.
M. Sabatier. - N'incriminez pas les intentions.
M. Tack. - Messieurs, je n'entrerai pas dans le fond du débat ; je ne connais pas le projet de traité avec l'Angleterre, je ne puis donc pas en faire d'appréciation, mais je crois devoir faire une réserve au sujet d'une demande mise en avant par les filateurs de Gand dans la pétition dont vous vous occupez. Les pétitionnaires prient le gouvernement d'abroger l'article 40 de la loi sur les entrepôts. En vertu de cet article, les fabricants de toiles sont autorisés à enlever temporairement des entrepôts les fils étrangers destinés à recevoir une main-d'œuvre dans le pays. Or, je ferai observer que l'article 10 n'a pas une connexité' tellement intima avec le traité de commerce que le gouvernement se propose de conclure avec l'Angleterre pour qu'il ne puisse pas être maintenu, quelles que soient les stipulations à intervenir.
(page 523) Aussi, je me borne à demander que M. le ministre des affaires étrangères veuille bien ne pas s'engager envers qui que ce soit, à supprimer la disposition dont il s'agit ; qu'il se réserve à cet égard toute latitude et que la Chambre soit mise, le cas échéant, à même de discuter l'utilité de la mesure qu'on l'engage à prendre. L'abrogation de l'article 40 de la loi sur les entrepôts ne doit pas se faire par un traité, mais par une loi. Je compte par conséquent que rien ne sera fait sans que nous soyons consultés sur la question.
Je considère le maintien de cet article, et je le démontrerai en temps et lieu, comme de nécessité absolue au point de vue des intérêts de l'industrie du tissage. Nous, qui défendons cette industrie, nous n'admettons d'autre abrogation de l'article 40, que celle qui se ferait par la force même des choses, c'est-à-dire par suite de la suppression complète des droits sur les fils étrangers à l'importation.
M. de Rongé. - Messieurs, on paraît croire que les industriels de Gand ont signé cette pétition dans un but d'intérêt particulier. Je crois devoir donner quelques explications à la Chambre à cet égard.
Les industriels de Gand se sont émus de la position qui a été faite à l'ouvrier français, quelque temps avant le traité conclu entre la France et l'Angleterre.
Voici ce qui s'est passé en France. Quelque temps avant la mise en vigueur de ce traité, les consommateurs français ont cessé de passer les ordres aux fabricants. Ils ont voulu se trouver libres d'engagements pour l'époque de la mise en vigueur du traité. Il en est résulté naturellement et logiquement un chômage dans la fabrication française.
Certains fabricants ont diminué les heures de travail, d'autres ont renvoyé leurs ouvriers. Dès lors la main-d'œuvre a été plus offerte que demandée, et il y a eu forcément baisse dans les salaires. Dans certaines localités, cette baisse a eu pour effet de réduire d'un tiers le salaire de la semaine.
Si les industriels gantois, bruxellois et autres doivent se trouver sous le coup de l'application immédiate du traité avec l'Angleterre, ils cesseront de lutter avec autant de courage contre la crise qui pèse non seulement sur la Belgique, mais sur le monde entier.
C'est au prix des plus grands sacrifices, je n'hésite pas à le dire, qu'on est parvenu à maintenir en activité une grande partie des filatures et des ateliers de tissage.
Pour vous en donner une preuve, je vous citerai ce fait positif, que tout le monde peut vérifier : que les cotons filés se vendent maintenant au prix de cotons bruts.
Si l'on a demandé un ajournement, c'est pour épargner aux ouvriers pendant l'hiver, dans un moment où les denrées sont à un prix si élevé, un chômage qui serait inévitable.
Nous ne discutons pas ici, messieurs, une question de libre échange. Pour moi la question qui s'agite est une question d'humanité et je m'en rapporte entièrement à la sagesse de la Chambre.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, je désire demander une simple explication à M. le ministre des affaires étrangères sur une question que j'ai déjà eu l'honneur de lui poser.
Les pétitionnaires disent dans leur pétition qu'ils désirent que le traité à conclure avec l'Angleterre soit étendu autant que possible aux autres nations.
J'ai demandé à M. le ministre si, conformément à la demande faite par les industriels de Bruxelles et de Gand, il était question, ou s'il serait bientôt question d'un traité avec le Zollverein. M. le ministre n'a pas jusqu'ici répondu à cette question.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, au commencement de la session, il a été question, incidentellement, de la marche que le gouvernement se propose de suivre dans les négociations commerciales.
Lorsque nous nous sommes décidés à reconnaître le royaume d'Italie, nous avons écrit à l'un de nos ministres dans cette contrée, que le gouvernement avait été déterminé, entre autres motifs, par le désir d'entrer en relations commerciales plus intimes avec le nouveau royaume ; que, dans ce moment, le gouvernement négociait avec l'Angleterre et qu'il était attentif aux négociations qui étaient sur le point de s'entamer avec le Zollverein et la France.
Le gouvernement, messieurs, a conservé jusqu'ici cette position expectante.
Il n'est pas entré eu négociation avec le Zollverein, mais il saisira l'occasion favorable d'ouvrir ces négociations.
Quant aux bases des traités, la Chambre n'ignore pas, messieurs, que le gouvernement a un système fort simple : c'est d'appliquer successivement aux divers pays le traité qui a été conclu avec la France ; de l'appliquer non pas de plein droit mais au moyen de compensations équitables et dans tous les cas avec prudence et circonspection, de manière à ménager tous les intérêts du pays.
Puisque j'ai la parole, messieurs, qu'il me soit permis d'ajouter une observation.
Je crois que ces discussions anticipées, préalables, offrent des inconvénients en ce sens que, traitant certaines questions, les uns plaidant pour, les autres contre, il en résulte qu'ils interviennent, bien involontairement, je le reconnais, dans les affaires pour lesquelles nous négocions.
C'est là ce qui m'empêche d'entrer dans le débat ; sinon j'aurais beaucoup de choses à répondre, notamment à l'honorable M. B. Dumortier. Je me réserve de rendre compte des actes du gouvernement quand ils seront accomplis, non sans avoir eu à ce que commandent les intérêts généraux du pays dans les négociations entamées ou à entamer avec les pays étrangers.
M. Coppens-Bove. - Je tiens à répondre un mot à l'honorable M. de Rongé. Il a dit, je pense, que le salaire des ouvriers avait baissé en France lors du traité conclu avec l'Angleterre.
En Belgique le salaire n'a baissé que par le fait de la diminution des heures de travail.
Quant à ce que l'honorable M. Sabatier a avancé qu'il démontrerait que l'industrie cotonnière en Belgique aune protection de 75 à 100 p. c. sur la fabrication anglaise, je serais curieux de. voir comment il établit ce calcul et je proteste d'avance contre une pareille assertion.
-La Chambre décide que la pétition sera renvoyée à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Selzaete, le 7 décembre 1861, l'administration communale de Selzaete prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Gand à Selzaete et de donner la préférence au tracé par la rive gauche du canal de Terneuzen.
Messieurs, les pétitionnaires font valoir des considérations très favorables, à leur point de vue, à leur projet, mais il n'y a aucune pièce justificative à l'appui de leur demande.
Votre commission se borne à vous proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 15 janvier 1862, le sieur Hendrickx demande que les éléments du dessin fassent partie obligatoire de l'enseignement à tous les degrés.
Messieurs, le pétitionnaire représente comme éminemment utile l'introduction de l'enseignement du dessin dans l'instruction à tous les degrés.
Cette pétition, messieurs, ayant été imprimée et distribuée à tous les membres de la Chambre, il n'est pas nécessaire que j'entre dans de plus amples détails à cet égard.
La commission se borne à vous proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jamar. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer aux conclusions de votre commission des pétitions ; mais si la Chambre adopte ces conclusions, j'appelle la plus sérieuse attention de M. le ministre de l'intérieur sur la pétition de M. Hendrickx. C'est un artiste d'un grand talent et auquel ses travaux ont valu à juste titre la décoration de l'ordre de Léopold. Je crois qu'il est désirable que M. le ministre de l'intérieur soumette à un examen sérieux, approfondi, la méthode d'enseignement du dessin dont M. Hendrickx est l'auteur. Je dis que le pétitionnaire aurait rendu un véritable service au pays, si cette méthode pouvait être assez élémentaire, pour que lors de la révision de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, il soit possible de comprendre l'enseignement du dessin dans les matières indiquées à l'article 6 de cette loi.
M. Goblet. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur. A cette occasion M. le ministre de l'intérieur pourra nous donner quelques explications et exprimer son opinion sur la proposition faite par M. Hendrickx.
M. Magherman. - A l'occasion de la pétition qui nous occupe, je ne recommanderai pas au gouvernement le procédé du pétitionnaire, procédé que je ne connais pas ; mais, messieurs, je me permettrai d'appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la nécessité de propager l'enseignement du dessin industriel.
Cet enseignement devrait être répandu, selon moi, non seulement dans les grands centres industriels, tels que Gand et Liège, mais aussi dans les localités industrielles secondaires.
C'est à l'absence de cet enseignement qu'il faut attribuer notre infériorité en matière industrielle vis-à-vis de certains autres pays.
(page 524) J'ai eu occasion de lire récemment dans un rapport très remarquable que nous avons vu an Moniteur et qui émane de notre consul au Brésil, des passages fort intéressants sur cette matière.
Voici, entre autres, ce que j'y lis :
« Les étoffes belles dites nouveautés pour pantalons ne peuvent rivaliser, sur cette place, avec les produits de l'Allemagne, dont les fabricants, ont le talent de produire constamment des dessins nouveaux et à bas prix. »
Messieurs, du moment que nos industriels seront familiarisés avec le dessin industriel, ou qu'ils auront à leur disposition de bons dessinateurs, notre infériorité sur le marché étranger cessera, et nous reprendrons la supériorité qui, aux siècles précédents, caractériserait nos produits sur les marchés les plus éloignés.
M. Hymans. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour faire la même proposition que l'honorable M. Goblet, c'est-à-dire le dépôt de la pétition dont il s'agit sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
La question que la pétition soulève est extrêmement grave. Il ne s'agit pas seulement d'examiner si la méthode proposée pour l'enseignement du dessin est bonne ; il s'agit, avant tout, de discuter un principe : s'il est utile, s'il est possible de faire du dessin un élément obligatoire de l'enseignement primaire, moyen et supérieur, comme le pétitionnaire le demande.
Cet objet trouvera évidemment sa place dans la discussion du chapitre des beaux-arts ou de l'industrie au budget de l'intérieur, et nous aurons également à nous occuper de la question que vient de soulever l'honorable M. Magherman, à propos de laquelle la Chambre a reçu une pétition signée de 160 industriels qui réclament une organisation sérieuse de l'enseignement des arts industriels. Déjà la Chambre a ordonné le dépôt de cette pétition sur le bureau.
Les deux pétitions pourraient fournir l'occasion d'une discussion complète et sérieuse. Je pense que M. Jamar se ralliera à ma proposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je me rallie bien volontiers à la proposition de MM. Hymans el Goblet. La question soulevée n'a pas échappé à l'attention du gouvernement ;. Depuis quelque temps il l'a fait étudier, une commission a été chargée de visiter les académies du pays et de rechercher les meilleurs moyens à employer pour répandre la connaissance du dessin ; elle a fait un rapport, et dans ce rapport elle s'occupe de la question soulevée par l'honorable M. Magherman, celle de savoir si dans les écoles primaires el moyennes il ne serait pas possible d'enseigner les éléments du dessin, surtout du dessin linéaire. La proposition de M. Hendrickx est soumise à l'examen de cette commission ; lors de l'examen du budget, je pourrai donner d'autres explications.
M. Hymans. - Nous avons un conseil de perfectionnement des arts du dessin ; ce conseil a fait un rapport qui déjà a paru, mais n'a pas été distribué aux membres de la Chambre. Ce rapport est intéressant et de nature à jeter une lumière très vive sur ces questions. Je prierai M. le ministre de vouloir bien nous le faire distribuer.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je verrai si on peut en faire la distribution ; s'il n'a pas été distribué, c'est parce qu'on a pensé que son insertion auMoniteur était suffisante.
- La proposition de MM. Goblet et Hymans est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La Chambre se rappellera que le ministre de l'intérieur a déposé un dossier relatif à la restauration de la porte de Hal ; il vient d'être complété par la remise d'un plan, qui est à la disposition des membres de la Chambre.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Courtrai, le 14 décembre 1861, les notaires de Courtrai réclament contre la jurisprudence suivie par la députation permanente de la Flandre occidentale, quant à la fixation de leurs honoraires en matière de locations pour compte des hospices et autres établissements de bienfaisance.
D'abord la députation permanente, il y a quelques années, a formulé un tarif d'honoraire auquel on a engagé les notaires à adhérer, c'est-à-dire un tarif réduit dans les locations par adjudication publique pour compte des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Mais aujourd'hui la députation ne se borne plus à demander officieusement à MM. les notaires de vouloir se conformer à ce tarif, mais elle le leur impose ; les pétitionnaires soutiennent qu'au Roi seul appartient le droit de faire des tarifs et de les rendre exécutoires. Ils disent que ce que fait la députation permanente de la Flandre occidentale est contraire à leur honneur, qu'il ne faut pas qu'ils aillent solliciter les administrations communales et se recommander à leur bienveillance pour faire des adjudications au rabais ; qu'ils sont décidés plutôt à faire le travail gratuitement ; mais ils ne veulent pas qu'on leur impose un tarif que la députation n'a pas le droit d'imposer ; que c'est contraire à leur honneur et à leur dignité.
La commission se borne à proposer le renvoi de leur pétition au ministre de l'intérieur.
Il y a une lettre antérieurement écrite par le ministre de la justice, dont il est fait mention dans la pétition, par laquelle le ministre engage la députation à se renfermer dans les stipulations de la loi et à se borner à recommander à leur bonne volonté l'application du tarif qu'elle n'a pas le droit de leur imposer d'office et malgré eux.
La députation n'a tenu aucun compte jusqu'ici de cette recommandation, les pétitionnaires s'adressent à la Chambre pour obtenir justice ; c'est à cette fin que la commission vous propose le renvoi au ministre de l'intérieur.
M. Tack. - Messieurs, la question que soulève la pétition dont l'analyse vient d'être faite est très grave, non pas tant au point de vue des intérêts matériels dont elle traite, qu'au point de vue des principes dont elle présente la défense.
Les notaires de Courtrai s'élèvent avec force contre la prétention injustifiable, selon eux, de la députation permanente de la Flandre occidentale, de fixer le tarif de leurs honoraires, en matière de location d'immeubles appartenant aux établissements de bienfaisance ; ils accusent avec certaine amertume la députation d'abus de pouvoir ; ils soutiennent qu'elle commet des illégalités flagrantes et qu'elle excède ses attributions.
Voici de quoi il s'agit : Il existe un décret du 12 août 1807 en vertu duquel les biens appartenant aux bureaux de bienfaisance et aux hospices doivent être mis en location par voie d'adjudication publique.
Le même décret contient entre autres dispositions celle-ci : Il sera dressé par nous un tarif des droits des notaires.
En exécution du décret de 1807 est intervenu, sous la date du 7 décembre 1814, un arrêté-loi du prince souverain des Pays-Bas qui promulgue le tarif en question et règle les honoraires, émoluments et vacations des notaires.
L'autorité provinciale de la Flandre occidentale, à ce qu'assurent les pétitionnaires, a modifié ces dispositions légales par trois arrêtés successifs, le premier du 5 avril 1821, le deuxième du 25 janvier 1844, le troisième du 16 août 1855.
Dans le premier de ces arrêtés, elle statue d'abord que dans aucune circonstance la journée d'honoraires d'un notaire ne peut dépasser la somme de 50 fr., en second lieu que lorsque, conformément au tarif de 1814, par suite de la réunion des articles mis en location par le cahier des charges, les honoraires flottent entre le chiffre de 18 et de 50 fr., le premier chiffre, sans plus, sera alloué au notaire, à moins qu'il ne puisse être fait de gré à gré avec lui un arrangement plus avantageux.
Enfin que lorsque par le cumul des divers articles la taxe s'élève à la somme de 50 fr., les hospices et bureaux de bienfaisance sont obligés de confier leurs intérêts au notaire qui offrira ses services au rabais, c'est-à-dire à celui qui consentira à passer les actes au moindre prix possible.
Le second arrêté de la députation permanente oblige les notaires à délivrer, indépendamment de la grosse exécutoire, une expédition sur papier libre, sans pour cela leur accorder une augmentation d'honoraires.
Finalement le troisième arrêté introduit un tarif complètement nouveau.
M. Muller. - Ce n'est pas un tarif, c'est une convention privée. Les notaires n'ont qu'à ne pas accepter.
M. Tack. - Il ne s'agit pas de convention. La députation permanente oblige les notaires à se conformer au tarif qu'elle a fixé.
M. Van Humbeeck. - -Que les notaires n'acceptent pas.
M. Tack. - Ils refusent en effet leur ministère ; parce que la contrainte qu'on leur impose est d'après eux illégale et attentatoire à leur dignité.
Messieurs, l'article 3 de l'arrêté-loi de 1814 dispose à la vérité que dans tous les cas, et surtout dans celui où les honoraires des notaires dépasseront pour une journée la somme de 50 francs, les établissements charitables pourront traiter de gré à gré avec un notaire dont ils auront le choix.
Quelles sont maintenant les différences entre cet arrêté-loi qui est toujours en vigueur et les règlements et arrêtés de la députation permanente de la Flandre occidentale ? Ces différences sont d'abord, comme je viens de le dire, que la députation permanente a introduit un tarif complètement nouveau, en second lieu qu'elle impose des charges plus lourdes aux notaires en leur faisant délivrer gratis une expédition sur papier libre, en troisième lieu, qu'elle enlève aux établissements charitables la faculté de (page 525) traiter de gré à gré selon qu'elles le jugent convenable, tout en restant dans les limites de l'arrêté de 1844. Or, cette faculté est stipulée formellement en leur faveur dans l'arrêté que je viens de citer. Elle ôte ensuite aux établissements le choix du notaire.
La députation permanente est-elle bien fondée à prescrire un tarif aux notaires et à modifier ainsi une disposition légale ? Non. Je ne trouve ce droit inscrit ni dans la loi provinciale, ni dans la loi communale, ni dans les lois spéciales qui règlent la matière. D'après la loi communale, la députation permanente approuve les budgets et les comptes des établissements charitables ; d'après la loi provinciale, elle émet des avis sur les affaires qui lui sont soumises en vertu des lois ; d'après les lois spéciales, elle approuve, il est vrai, les cahiers des charges pour la location des biens des établissements charitables ; mais son droit ne va pas au-delà ; sans doute elle peut critiquer et ne pas approuver, dans une espèce déterminée, les clauses des cahiers des charges et improuver même l'état d'honoraires de l'officier ministériel, mais elle n'a pas le droit de faire des règlements par voie de dispositions générales sur la matière, en opposition avec les lois. Le conseil provincial fait les règlements d'administration intérieure, mais encore c'est à la condition tout d'abord de se conformer aux lois existantes et pour autant que l'objet n'est pas régi par une disposition légale ou par un règlement d'administration générale.
Je me demande au surplus si cette législation que prétend introduire la députation permanente concorde avec les intérêts bien entendus des établissements charitables qu'elle veut servir.
Je crois que l'on peut émettre un doute à cet égard. Ce n'est pas en payant le moins possible, en lésinant sur les honoraires des notaires, en marchandant, que l'on obtiendra les conditions les plus favorables pour les établissements de bienfaisance.
Par ce système, la députation permanente a-t-elle réussi jusqu'à présent à procurer des avantages réels aux établissements charitables ? Je ne le pense pas.
Il s'est produit depuis longtemps des tiraillements de toute espèce ; les adjudications de biens importants des bureaux de bienfaisance et des hospices ont souvent souffert des retards.
Forcer les notaires qui désirent prêter leur ministère aux établissements de bienfaisance à se faire une concurrence mesquine et presque déloyale, c'est ravaler leur profession.
La tradition dans le corps des notaires, c'est qu'on n'offre pas ses services, bien loin de les offrir au rabais. Comment ! messieurs, l'avocat ne peut pas compromettre de ses honoraires ; s'il traitait à forfait, il serait répréhensible de ce chef ; il serait poursuivi disciplinairement. Et l'on voudrait en quelque sorte ériger en système les offres à forfait et au rabais entre les notaires ! Ce qu'a voulu le législateur de 1807, c'est de concilier les intérêts des établissements de bienfaisance avec les droits des notaires.
Notez, messieurs, que les notaires de Courtrai sont d'accord avec les établissements charitables. Ceux-ci ne refusent pas de leur payer les honoraires qu'ils réclament. La députation permanente seule s'y oppose.
Or, il est à remarquer que la députation permanente de la Flandre occidentale seule élève cette exigence. Partout ailleurs, l'on se soumet aux prescriptions de l'arrêté-loi de 1814.
Il est d'autant plus étonnant que la députation permanente de la Flandre occidentale se refuse à suivre la même voie, qu'il existe une loi positive et toute récente qui confère au gouvernement seul le droit de régler les honoraires des notaires. Cette loi est du 10 septembre 1861.
Maintenant que reste-t-il à faire ?
Je voudrais que l'honorable ministre de l'intérieur, conjointement avec son collègue de la justice, examinât ce qui en est de la question. Si réellement la députation permanente, comme le soutiennent les notaires, se met au-dessus des lois, s'il y a, de sa part, abus de pouvoir, si elle outre-passe ses attributions, que le gouvernement l'oblige à rentrer dans le devoir.
Il a pour cela plusieurs moyens à sa disposition : qu'il annule les règlements et les arrêtés illégaux de la députation permanente de la Flandre occidentale, ou qu'il fasse différemment, que par application de la loi du 16 septembre 1861, il règle lui-même la taxe, si tant est qu'elle soit défectueuse.
Ce que les notaires de Courtrai demandent, c'est que leur dignité soit sauve et que la loi soit respectée.
De toute manière, il convient que le conflit cesse. Il est regrettable de voir tous les notaires d'un chef-lieu d'arrondissement s'élever contre les décisions de la députation permanente, de les voir faire une espèce de résistance organisée contre une autorité constituée, et d'autre part celle-ci, malgré les avertissements qu'elle a reçus de l'administration centrale, au dire des pétitionnaires, persister à maintenir un système qui semble contraire à la loi.
M. H. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'il est assez inutile de prolonger ce débat. Il résulte clairement des observations qui viennent d'être présentées que la réclamation de MM. les notaires de Courtrai est fondée ; seulement pour achever la démonstration je vais lire un passage du compte rendu d'une séance du conseil provincial de la Flandre occidentale où la question a été discutée. En 1857, cette contestation a été soumise par la députation elle-même à M. le ministre de la justice.
L'honorable ministre de la justice a engagé alors la députation permanente de la Flandre occidentale à renoncer aux errements qu'elle suivait en cette matière et à se conformer aux usages suivis par toutes les autres députations, et dans la session du conseil provincial qui a suivi l'envoi de la lettre ministérielle, l'affaire a été portée devant le conseil provincial. Voici comment s'exprimait le rapporteur :
« Un rapport détaillé fut, en effet, transmis au département de la justice, le 4 février 1857. La réponse fut catégorique ; la missive ministérielle rappelle d'abord que les administrateurs ont le droit de traiter à l'amiable avec un notaire de leur choix et qu'à défaut d'accord c'est au tarif de l'arrêté de 1814 qu'il faut se référer. Et parlant ensuite du tarif arrêté par la députation permanente le 10 août 1855 elle ajoute que ce collège n'a pas pu imposer valablement aux notaires un tarif fixé par lui seul et déterminer ainsi les bases d'actes synallagmatiques de conventions bilatérales où les notaires sont parties. » Et M. de Vrière, à cette époque gouverneur de la province, ajoutait :
« La députation n'a pu entendre et elle n'a pas entendu-prescrire une disposition qui fût contraire à l'arrêté du 7 décembre 1814. Le tarif que le collège a trouvé opportun d'arrêter, n'est qu'une disposition qui a été conseillée et non pas imposée ; elle devait servir de guide aux administrations intéressées sans les lier d'une manière obligatoire. »
De manière, messieurs, que si la députation se bornait en ce moment-ci à recommander l'application de son tarif comme l'entendait l'honorable baron de Vrière, organe de la députation en 1857, la réclamation des notaires ne serait pas fondée.
Mais la députation force actuellement les administrations charitables à appliquer ce tarif, et elle rejette systématiquement, d'après ils pétitionnaires, toute espèce de cahier des charges, toute note d'honoraires de notaire qui n'est pas réglé d'après les prescriptions de son tarif spécial.
Je crois que l'autorité provinciale devrait en revenir à la manière de voir développée par l'honorable baron de Vrière ; c'est-à-dire qu'après avoir engagé l'administration charitable à demander une diminution de prix elle devrait passer outre à l'approbation alors même que cette diminution n'aurait pas été obtenue conformément à son tarif réduit.
Au lieu de cela la députation tend à se mettre au lieu et place des administrations charitables.
Si dans des circonstances particulière, qu'elles apprécient, ces administrations ne se conforment pas aux prescriptions de la députation, celle-ci outrepasse son pouvoir en refusant systématiquement d'approuver les cahiers des charges et les comptes qui lui sont soumis.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'accepte très volontiers le renvoi de la pétition à mon département, et j'examinerai la question avec la plus grande bienveillance.
Mais je dois dire qu'il m'est difficile de croire que la députation permanente de la Flandre occidentale ait, comme le dit l'honorable M. Vander Donckt, « violé toutes les lois. » Cette députation est composée de jurisconsultes et d'hommes qui connaissent notre législation et je ne puis pas croire que depuis un assez grand nombre d'années elle se soit permis d'agir en violation de la loi.
Les notaires, en général, sont bons juges de leurs droits, et je pense qu'ils auraient réclamé depuis longtemps si ces droits avaient été violés.
Je ferai remarquer encore, messieurs, que l'arrondissement de Courtrai n'est pas le seul arrondissement dont se compose la Flandre occidentale, et que dans aucun autre arrondissement de cette province, il ne s'est élevé, à ma connaissance, de réclamation contre la mesure prise par la députation.
Da reste, messieurs, il ne faut pas perdre de vue que la députation permanente est tutrice des communes, des administrations charitables, qui sont mineures et qu'elle doit mettre en œuvre tous les moyens possibles pour que la location des biens des pauvres puisse se faire dans les conditions les plus favorables..
Je ne préjuge pas, messieurs, la question de droit ; je l'examinerai avec soin. J'ajouterai un mot. Les notaires disent dans leur pétition qu'il ne s'agit pas, pour eux, d'une question d'argent et qu'ils sont tout disposés (page 526) à traiter ces affaires gratuitement. Ils feraient bien, je pense, de réaliser leur offre et de prêter réellement leurs concours aux administrations charitables gratis et pour l'amour de Dieu. La question se trouverait ainsi résolue,
M. Vander Donckt, rapporteur. - J'en demande pardon ù l'honorable ministre de l'intérieur, mais je n'ai pas dit que la députation permanente eût « violé toutes les lois. » J'ai dit que la députation permanente avait arrêté un tarif, qu'elle avait commencé par engager les notaires à se soumettre à ce tarif, mais qu'aujourd'hui elle le leur impose comme obligatoire et que, d'après les pétitionnaires, elle n'a pas ce droit.
Or, messieurs, cela est confirmé par la lettre de l'honorable ministre de la justice. De plus, il y a parmi les pétitionnaires un ancien honorable membre de cette Chambre qui inspire la plus grande confiance à la commission, de sorte que l'on peut ajouter pleinement foi aux griefs que les pétitionnaires font valoir contre la députation permanente.
Je redresse donc les paroles que l'honorable ministre de l'intérieur vient de prononcer.
Je me permets de recommander à la plus sérieuse attention de M. le ministre les griefs que les pétitionnaires font valoir contre la députation permanente qui fait exception, par ce procédé, entre toutes les autres députations permanentes de la Belgique.
M. H. Dumortier. - Messieurs, c'est une erreur d'affirmer que la pétition dont nous sommes actuellement saisis soit la seule que cette affaire atl fait surgir. On en a présenté au conseil provincial et à la députation elle-même qui venaient d'autres arrondissements que de celui de Courtrai.
L'honorable ministre de l'intérieur dit que les notaires devraient faire ces locations pour l'amour le Dieu. Ce n'est pas une question d'intérêt qui les guide, et je puis donner l'assurance, au nom de plusieurs de ces notaires, qu'ils passeraient volontiers ces actes pour l'amour de Dieu, et de la députation permanente, s'il n'y avait pas là avant tout, pour eux, une question de dignité professionnelle.
- Personne ne demandant plus la parole, le renvoi de la pétition à M. le ministre de l’intérieur est ordonné.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un rapport sur l'état de l'enseignement agricole.
- Impression et distribution.
La Chambre décide qu'elle se réunira demain à 1 heure.
La séance est levée à 5 heures.