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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 503) (Présidence de M. Vervoort.)

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur Gérard propose des mesures concernant la conscription. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Beirendrecht demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande de l'administration communale de Meir. »

- Même renvoi.


« Des chasseurs et habitants de l'arrondissement de Tournai demandent une disposition qui interdise la chasse de nuit du gibier énuméré à l’article 5 de la loi du 26 février 1846. ».

- Même renvoi.


«Le sieur Magnette, gendarme pensionné, demande qu'il lui soit fait application de la loi relative à la pension des gendarmes. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Nassogne et d'Ambly demandent que la route à construire d'Ortheuville à Forrières passe par Nassogne. »

M. de Moor. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Le sieur Jacques-Pierre Luyken, soldat au régiment des grenadiers, né à Steenbergen (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Huy demandent la division de la garde civique en deux bans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Il est fait hommage à la Chambre, par M. Quetelet, de 119 exemplaires du dernier volume des Annales de l’Observatoire royal de Bruxelles. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la Chambre.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, comme le conflit qui s'est produit à Liège présente de» questions très importantes et très délicates, la première fois que je m'en suis occupé, j'ai principalement traité le fond de cette affaire et les difficultés juridiques et constitutionnelles qu'elle présente.

Je ne m'attendais pas, messieurs, à ce que ce que l'on appelle les questions de forme prissent de si grandes proportions et que nos adversaires, mal à l'aise sur la question du fond, fissent en quelque sorte d'un prétendu manque de procédés le principal objet du débat.

Messieurs, je suis donc forcé d'entrer dans l'examen des faits que l'on critique, et il me sera facile d'établir que, quant à la forme comme en ce qui concerne le fond, la conduite du gouvernement a été complètement irréprochable.

Je prierai la Chambre de bien vouloir m'accorder quelques instants de bienveillante attention et surtout de ne pas perdre de vue les dates que je vais citer.

La requête présentée à M. le président du tribunal de Liège porte la date du 21 mai 1861. C'est le même jour que cette requête fut apostillée. Elle est signifiée pour la première fois le 22 du mois de juin 1861 c'est-à-dire près d'un mois après que l'ordonnance du président était rendue.

Pendant tout ce temps le ministre de la guerre comme les autres membres du gouvernement restèrent dans l'ignorance la plus complète, la plus absolue de l'existence de cet acte de procédure.

Et, messieurs, je vais citer un fait qui prouve que c'est à dessein et pour surprendre le gouvernement qu'on lui laissait ignorer cette requête.

A la date du 30 mai, six jours après que la requête avait été présentée et apostillée, le sieur Lejeune-Chaumont demandait au commandant de la fonderie de canons l'autorisation d'y pénétrer avec un expert et de faire la description des projectiles, sans faire dans sa lettre la moindre mention de l'existence d'une requête.

Voici, messieurs, la lettre qui a été écrite à cette époque au colonel Nuens, directeur de la fonderie de canons, et dont copie fut adressée, en même temps, par le sieur Lejeune-Chaumont, au ministre de la guerre ;

« Monsieur le colonel,

« Voulant pousser les convenances à leur dernière limite envers vous comme vis-à-vis du gouvernement, nous avons l'honneur de vous proposer, pour ce qui concerne notre projectile breveté, ce qui suit :

« Notre sieur Lejeune est resté dans la conviction que le boulet que vous fabriquez en ce moment pour compte du gouvernement est le même que celui pour lequel il est breveté ; de deux choses l'une, ou vous fabriquez le projectile Lejeune, ou bien vous en fabriquez un de tout autre système, il n'y a pas à sortir de ce dilemme. Eh bien, la chose est facile à vérifier, et nous prenons la liberté de vous prier de nous faire voir votre projectile et à cet effet, notre sieur Lejeune se présentera à la fonderie royale de canons, accompagné de M. J.-B. Marchand, ingénieur-mécanicien de cette ville, samedi à 10 heures du matin, à moins que vous ne jugiez à propos de fixer un autre moment, à votre choix. Dans tous les cas, monsieur le colonel, veuillez-nous favoriser d'un mot de réponse et agréer, etc.

(Signé) : Pour J.-B. Lejeune-Chaumont et Cie.

« Edouard La Beve. »

Ni le département de la guerre, ni le directeur de la fonderie de canons ne pouvaient supposer, en recevant cette lettre, que déjà, à cette époque, la justice était saisie, que le président du tribunal avait, selon la prétention du sieur Lejeune-Chaumont, accordé l'autorisation qu'il réclamait encore du directeur de la fonderie.

Et c'est dans cette ignorance que le gouvernement et le directeur de la fonderie ont été maintenus jusqu'au 22 juin ; j'ai prié mon collègue, M. le général Chazal, de faire vérifier au département de la guerre s'il y existait une pièce quelconque qui pût faire supposer au gouvernement qu'à la date du 22 juin, il y eût une requête présentée au président du tribunal, tendante à pouvoir pénétrer à la fonderie de canons, qui eût pu faire supposer le dessein d'une descente à la fonderie de canons ; on n'a pas trouvé de trace d'une semblable indication.

L'autorité, ni à Liège ni à Bruxelles, ne savait que le 22 il dût y avoir une tentative, une sommation de pénétrer dans les établissements militaires. Et remarquez-le bien, c'est le 22 qu'on signifie au ministre de la guerre, en la personne du directeur de la fonderie à Liège, - à Liège, notez bien, - parlant au portier de la fonderie, la requête présentée et apostillée le 21 mai. Et, en même temps, au même instant on tente, messieurs, d'exécuter l'ordonnance. Je ne saurais trop insister sur ce point.

C'est au moment même où pour la première fois à Liège, non pas à Bruxelles, on donnait connaissance à l'autorité militaire d'un acte qui autorisait de pénétrer dans la fonderie, « au même instant et d'un même contexte », comme le dit le procès-verbal qui a été dressé, qu'on tentait de l'exécuter.

Or, je demande d'abord, messieurs, s'il était possible au gouvernement d'éviter ce premier conflit ? Nul, sans doute, ne le soutiendra ; le gouvernement ne pouvait éviter ce conflit, parce qu'il en ignorait complètement l'existence ; il ignorait qu'une requête eût été présentée, qu'une ordonnance eût été rendue, qu'on se proposât d'aller à la fonderie de canons ; nous ignorions tout en un mot, comment dès lors aurions-nous donné des instructions en vue d'un fait que rien ne nous indiquait devoir se produire ?

Et puisqu'on parle de procédés, je vous prie, messieurs, de vous rendre compte de ceux qui ont été employés ici. On ne signifie pas la requête et l'ordonnance au ministre de la guerre à Bruxelles, on ne la signifie ni à sa personne ni à son domicile, on la signifie au directeur de la fonderie et au même instant on tente d'exécuter l'ordonnance ; on met ainsi le directeur dans l'impossibilité absolue d'en référer à son chef, le ministre de la guerre ; on le place dans l'alternative de violer les instructions qui défendent de laisser pénétrer qui que ce soit dans la fonderie, sans l'autorisation du ministre de la guerre, ou bien de résister par la force à la décision de l'autorité judiciaire.

Voilà les procédés employés vis-à-vis du gouvernement, et c'est le gouvernement qu'on vient accuser ! Nos adversaires méconnaissent toutes les lois de la procédure, ils méconnaissent toutes les règles qui régissent les établissements militaires, ils tentent d'exécuter une ordonnance dont le gouvernement n'a pas même connaissance ; on tente l'invasion d'un établissement militaire, sans en avoir référé à l'autorité militaire, et c'est nous qui sommes accusés d'avoir manqué aux formes et de ne pas respecter la loi !

Je voudrais bien, si la chose était possible, que pour un instant les rôles fussent renversés ; que ce fût le gouvernement qui apparût ici comme ayant tenté d'exécuter une décision de la justice de la manière et dans les circonstances où on l'a essayé vis-à-vis de lui. Les mêmes membres qui nous attaquent aujourd'hui s'élèveraient contre le gouvernement avec bien plus de vivacité et c'est alors que vous entendriez crier à l'illégalité, à la violation de domicile ; cela prouve que la politique dénature le caractère de ces affaires et que ce n'est qu'en se plaçant au point de vue judiciaire qu'on peut les examiner avec impartialité.

Je viens, messieurs, d'indiquer les faits qui se rapportent à la première descente faite à la fonderie de canons et qui a eu lieu le 22 juin.

Une seconde tentative de pénétrer dans la fonderie de canons fut faite le 25 juin. L'on nous a reproché de ne pas avoir cette fois évité, prévenu le conflit ; nous ne pouvions pas plus le faire cette fois que la première, nous ne pouvions pas plus prévoir la descente du 25 que nous n'avions prévu celle du 22 ; lors de la descente du 22 juin un procès-verbal du refus de laisser pénétrer fut dressé par l'huissier, et ce procès-verbal même indiquait des projets contraires à ceux que l'on a exécutés et était par conséquent de nature à nous induire complètement en erreur.

Ce procès-verbal même va prouver à la Chambre combien peu nous pouvions nous attendre à voir recommencer, le 25, les scènes du 22.

Voici ce qu'il porte : « Je huissier.....ai fait sommation.....à quoi il m'a été répondu par ledit Watrin, qu'il a reçu de M. le directeur de la fonderie l'ordre de refuser l'entrée de l'établissement et de requérir même la garde pour le cas où on persisterait à vouloir y pénétrer. »

Puis il continue :

« Tout en protestant contre la manière illégale de procéder de la part dudit directeur et sous réserve de dommages-intérêts et d'agir comme de droit et notamment de l'assigner devant les juges des référés. »

Voilà ce que porte le procès-verbal du 22 ; c'est d'une assignation en référé qu'on nous menaçait ; c'est à quoi je m'attendais et à quoi je devais m'attendre. C'est dans la voie judiciaire que je devais espérer voir le débat s'engager complètement.

C'était là la marche qu'on annonçait vouloir suivre ; quand tout à coup on change de plan d'attaque ; on modifie les intentions qu'on avait exprimées, et le 25 on se présente de nouveau inopinément à la fonderie de canons identiquement dans les mêmes conditions où l'on s'était présenté le 22.

En présence de l'intention manifestée et consignée au procès-verbal du 22 de se pourvoir devant le juge du référé, le gouvernement pouvait-il prévoir la descente du 25 ? Cela ne serait pas raisonnable.

Je n'ai pas compris et je ne comprends pas encore ce qui a déterminé (page 512) nos adversaires à modifier la ligne de conduite qu'officiellement ils avaient annoncé devoir suivre. Et au moment où je parle je ne me l'explique que comme une tactique, je dirai comme un piège tendu au gouvernement. La position était le 25 ce qu'elle était le 22. Elle n'avait pas changé, du 22 au 25 nos adversaires n'étaient pas entrés dans les voies légales ; ils n'avaient fait signifier l'ordonnance du président du tribunal ni à la personne ni au domicile du ministre de la guerre ; ils ne s'étaient pas adressés au commandant d'armes pour obtenir la permission de pénétrer dans l'intérieur du bâtiment, la situation était restée identiquement la même. Pourquoi donc cette seconde tentative ?

Ce que l'on voulait par cette seconde visite, par l'éclat et le retentissement qu'on y donnait, c'était de forcer le gouvernement à prendre l'initiative des voies judiciaires, et de lui opposer dans cette voie des fins de non-recevoir ; et alors, au lieu de diminuer la gravité du conflit, de l'aggraver. Telle était évidemment la tactique du sieur Lejeune-Chaumont.

Avant que l'ordonnance eût été régulièrement notifiée au gouvernement celui-ci pouvait et devait rester dans l'initiative.

Cependant toutes les questions que présentait cette affaire, je les avais fait examiner et je les avais examinées moi-même. J'avais constaté qu'en général la doctrine et la jurisprudence déclaraient que le recours contre l'ordonnance du président soit par voie d'opposition, soit par voie d'appel, était non recevable.

Cependant lorsque la voie de l'appel fut indiquée par M. le procureur général de Liège, alors cependant que j'y voyais de graves inconvénients, j'étais disposé, pour faire sortir en quelque sorte le conflit de cette voie de quasi-violence dans laquelle il était engagé, j'étais disposé à adopter la manière de voir de cet éminent magistrat.

J'en ai référé à nos conseils à Liège ; ils ne se sont pas mépris un instant sur le danger d'une semblable procédure ; ils ont combattu très vivement le projet d'interjeter appel et dans une note que je tiens en main, un des l'avocats du département de la guerre, M. de Behr, m'indiquait ses raisons, donc, du reste, à l'avance j'avais apprécié la gravité.

Et en effet, nous étions exposés à voir le conflit s'aggraver. Nos adversaires, au lieu d'aborder le fond du débat, auraient, comme je l'ai dit, opposé des fins de non-recevoir. Sur ce terrain, la doctrine et la jurisprudence leur étaient favorables, et si leur système était accueilli, nous nous trouvions en présence non plus d'une simple ordonnance du juge rendue sans contradiction, mais d'un arrêt qui accueillait bien, si vous le voulez, une fin de non-recevoir, mais qui, cependant, était un acte vis-à-vis duquel on eût encore moins compris une résistance que vis-à-vis de la décision du président.

Il y avait là un grave écueil ; nous risquions d'aggraver le conflit, et après mûre réflexion, je n'ai pas pensé que nous pussions nous exposer à ce danger.

Messieurs, comme vous le voyez, le gouvernement ne pouvait rien faire pour éviter le conflit. Le 25 comme le 22, il ignorait le projet de son adversaire, et il pouvait d'autant moins les deviner, que ce n'est que le 1er juillet que l'on a signifié valablement, légalement au ministre de la guerre, l'ordonnance que deux fois déjà on avait tenté de mettre à exécution.

Après cette signification qu'avons-nous fait ?

Nous avons à notre tour fait notifier à notre adversaire les motifs pour lesquels il nous était impossible d'ouvrir les portes de la fonderie de canons, de laisser pénétrer dans l'établissement militaire, et à cette pièce toute publicité a été donnée. Notre conduite a donc été aussi régulière et aussi légale que possible. On ne peut pas nous imputer de ne pas avoir connu des faits qu'il nous était impossible de connaître.

Messieurs, je dirai donc en résumé sur la question de forme que le gouvernement n'a pu éviter les conflits des 22 et 25, parce qu'il ignorait qu'on dût se présenter à la fonderie de canons ; ultérieurement il les a évités.

Il n'est pas entré dans la voie judiciaire, parce qu'à tout recours on eût opposé une fin de non-recevoir, et qu'il était ainsi exposé à voir s'aggraver le conflit au lieu de le voir disparaître.

J'ajoute que saisir les tribunaux du fond de la question, c'eût été précisément reconnaître le principe de la compétence de l'autorité judiciaire, quant aux attributions respectives des différents pouvoirs ; ce que je ne saurais admettre.

Messieurs, j'aborde maintenant les véritables questions du débat ; et comme la discussion occupe déjà depuis quelques jours la Chambre, je tâcherai d'être aussi bref que possible.

Pour moi, ce qui domine la difficulté, c'est la question de savoir si, oui ou non, les établissements militaires sont dans la dépendance du pouvoir exécutif, si lui seul les administre, si lui seul peut en permettre l'accès.

Du moment qu'il est admis que le pouvoir exécutif peut seul disposer des établissements militaires, que seul il peut en permettre ou défendre l'accès il est de toute évidence que si un autre pouvait disposer de ces établissements, permettre l'entrée, ou ordonne d'y pénétrer, il y a de la part de celui-ci un empiétement sur les attributions du pouvoir exécutif ; cela me paraît bien incontestable.

Examinons donc de nouveau quels sont les droits du pouvoir exécutif quant aux établissements militaires.

L'article premier, titre IV du décret du 8 juillet 1791, déclare que tous les établissements militaires sont confiés au ministre de la guerre.

Les articles 67 et 68 du décret de 1811 sont tellement clairs et tellement précis en ce qui concerne l'accès dans ces établissements, que je ne conçois réellement pas qu'on puisse discuter le droit exclusif de l'autorité militaire d'en permettre ou d'en défendre l'entrée. Ce n'est qu'en torturant le texte et en lui faisant dire le contraire de ce qu'il dit que l'on peut soutenir le système de nos adversaires.

Que porte l'article 67 ?

Que dans les cas de flagrant délit le coupable pourra être arrête sur les terrains militaires sans qu'il soit besoin d'une permission préalable du commandant d'armes.

L'article 68, paragraphe premier déclare ensuite que, hors ces cas de flagrant délit, nul ne pourra pénétrer dans l'intérieur des bâtiments ou établissements militaires sans l'autorisation du commandant.

Voilà les termes exprès de la disposition.

Puis arrive le second paragraphe de l'article 68 qui ajoute que lorsqu'il s'agira d'un délit ordinaire, mais non flagrant - ce cas étant prévu par l'article 67 - les officiers de police civile et judiciaire s'adresseront au commandant d'armes qui prendra de suite et de concert avec eux les mesures nécessaires pour la répression du désordre et, s'il y a lieu, l'arrestation des prévenus.

Voilà donc trois ordres de faits réglés.

Premier cas :

« Flagrant délit ; l'on peut arrêter sans l'autorisation du commandant d'armes. »

Second cas :

« Hors le cas de flagrant délit, des citoyens, pour quelques motifs que ce soit, veulent s'introduire dans un établissement militaire, il leur faut l'autorisation du commandant d'armes. »

Troisième cas :

« Délit ordinaire, mais non flagrant ; les officiers de police civile et judiciaire doivent s'adresser au commandant d'armes qui prendra, de concert avec eux, les mesures nécessaires. »

Quel est le cas qui se présentait ici ? Il ne s'agit pas de délit, ni flagrant, ni autre. On tombait donc sous l'application du paragraphe premier de l'article 68 qui exige expressément l'autorisation du commandant d'armes.

Aussi mes adversaires pour justifier leurs systèmes sont-ils condamnés à supprimer ce premier paragraphe.

D'après eux, l'article 68 ne signifie pas autre chose sinon que quiconque voudra pénétrer dans un établissement militaire, s'adressera au commandant, que celui-ci sera tenu d'obtempérer à la demande. Or, c'est là une interprétation à laquelle résistent à la fois elles termes si clairs et l'esprit de l'article 68.

Si l'article 68 avait le sens que lui donnent mes adversaires, il n'eût pas été rédigés en deux paragraphes.

Il se serait borné à dire : « Hors les cas prévus dans l'article précédent, les autorités civiles et judiciaires s'adresseront au commandant d'armes, etc. »

L'interprétation de mes adversaires n'est donc que la suppression de la partie la plus importante du premier paragraphe de l'article 68.

La loi du reste a été très sage en exigeant l'autorisation, l'intervention du commandant d'armes. Elle a ainsi empêché qu'on ne compromette la sécurité des établissements militaires ; dans le cas du premier paragraphe de l'article 68, elle exige l'autorisation du commandant et, en cas de délit, elle a chargé le commandant d'armes de prendre lui-même les mesures nécessaires pour que, sous prétexte de visite, de recherche ou d'exécution quelconque, on ne pût rien faire de dommageable à l'Etat, on ne vînt pas faire justement ce qu'on voulait aller faire à la fonderie de canons, c'est-à-dire s'emparer de secrets de fabrication que l'Etat a intérêt à ne pas divulguer.

Et cette nécessité d'autorisation, cette intervention obligée n'est pas, comme on l'a dit, une simple formalité, c'est une condition essentielle, absolue, péremptoire, sans laquelle nul ne peut s'introduire dans les établissements militaires.

Il est donc de toute évidence qu'au pouvoir exécutif, à l'autorité militaire (page 513) seule appartient le droit de permettre l'accès des établissements militaires ; cela ressort au surplus de la nature même des choses.

La disposition, la garde des établissements militaires, se lient, de la manière la plus intime, à la défense du pays ; ils en constituent une partie intégrante et essentielle. Comment comprendre que le gouvernement, chargé de cette défense, n'ait pas la disposition absolue de tout ce qui y tient d'une manière aussi intime ?

Ce serait un véritable non-sens que de soutenir que le gouvernement, chargé de veiller à tout ce qui intéresse la sécurité du pays, de le défendre, ne dispose pas des établissements militaires, des armements qu'ils contiennent, et soit exposé à voir divulguer les secrets qui s'y trouvent.

Ce point admis que c'est le gouvernement seul qui dispose des établissements militaires, peut-on croire que le juge en ait autorisé l'entrée ? Je ne m'arrêterai pas longtemps sur cette question ; je me bornerai à rappeler un simple principe de droit.

Il est bien certain que la défense de pénétrer dans les établissements militaires existant, on ne peut pas supposer facilement que le juge l'ait méconnu ; et quand on se trouve en présence d'un acte qui, interprété d'une manière a un sens légal, mais qui, interprété dans un autre sens constituerait une violation de la loi, quelle est l'interprétation qu'il faut adopter ?

Il faut nécessairement adopter celle qui maintient à l'acte un caractère légal. L'interprétation qui constituerait une violation de la loi ne saurait être admise que pour autant qu'elle résulte d'une manière explicite, manifeste des termes dont le juge s'est servi. Ici bien évidemment cela n'existe pas. Qu'a-t-on exposé au juge ? On lui a exposé qu'on fabriquait à la fonderie de canons des projectiles semblables à ceux qui avaient été brevetés au profit du sieur Lejeune, et on lui a demandé, non pas d'aller dans la fonderie de canons pour décrire ces projectiles, mais pour décrire des projectiles qui étaient fabriqués dans la fonderie, et il suffit de lire la requête pour se convaincre qu'on a dissimulé cette circonstance qu'il s'agissait de se rendre dans la fonderie de canons ; on évitait ainsi que l'attention du juge fût éveillée.

L'on eût sans cela adopté une autre rédaction. On n'aurait pas dit qu'on demandait à décrire des projectiles qui se fabriquaient à la fonderie de canons, on aurait demandé l'autorisation d'entrer dans cet établissement pour procéder à la description des boulets qu'on y confectionne. C'était la phrase qu'on eût employée, du moment que l'on voulait demander ce qu'aujourd'hui l'on prétend avoir demandé. C'est ainsi qu'elle se présente naturellement à l'esprit. Mais immédiatement le juge se fût aperçu qu'il était provoqué à prendre une disposition à l'égard d'un établissement dont le pouvoir exécutif seul a la garde. Et bien évidemment il s'y fût refusé.

Du texte de la requête ne résulte donc qu'une chose, c'est qu'on n'a demandé que la description et la saisie des projectiles ; de l'entrée dans l'établissement il n'en est pas question, et dès lors vous ne pouvez induire de l'ordonnance qui ne permet que la description et la mise sous scellés, l'autorisation d'entrer dans l'établissement. Sous ce rapport déjà nous avions le droit de résister à la tentative qui était faite.

Mais admettons que le juge ait formellement autorisé le sieur Lejeune-Chaumont à entrer dans la fonderie de canons, à y saisir les boulets, de les mettre sous scellés, à en faire la description. Le gouvernement devait-il obéir ? Je n'hésite pas à répondre : Non, le gouvernement ne devait pas obéir.

Messieurs, quand j'ai pris la première fois la parole, j'ai fait connaître les raisons de mon opinion. J'ai dit qu'ici il ne s'agissait pas du gouvernement comme justiciable ; qu'il s'agissait ici des attributions du pouvoir exécutif ; que l'administration des établissements militaires n'était pas une affaire civile, mais qu'il s'agissait ici d'un intérêt politique, la défense du pays, et que le gouvernement administrait cet intérêt non pas comme un propriétaire, mais comme pouvoir exécutif. A cela, deux objections m'ont été faites, l'une par l'honorable M. Van Humbeeck, l'autre par l'honorable M. Guillery.

L'honorable M. Van Humbeeck m'a dit : Mais cette question, ce n'est pas à vous de la décider. Vous prétendez, vous, que vous n'agissez pas comme justiciable, ce n'est pas à vous à décider s'il est ainsi, c'est aux tribunaux à juger si, dans l'administration des établissements militaires, vous êtes ou non un justiciable.

Mais, messieurs, c'est là toujours résoudre la question par la même question.

Je prétends précisément que le pouvoir judiciaire n'a pas à décider de nos attributions ; et je n'entends nullement soumettre les attributions du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire.

M. Van Humbeeck a ajouté qu'il s'agissait ici de droits civils puisque la contrefaçon, si elle existait, portait atteinte à des droits civils. Soit ! J'admets, si vous voulez, que le sieur Lejeune nous faisait un procès parce qu'on aurait porté atteinte à ses droits civils ; en quoi cela change-t-il les attributions du pouvoir ? En quoi le procès que le sieur Lejeune nous faisait, pouvait-il donner à l'autorité judiciaire la disposition des établissements militaires ?

Je comprends que vous prétendiez encore que le procès qu'on nous faisait donnait au sieur Lejeune le droit de demander la saisie des projectiles qu'il prétendait être le résultat d'une contrefaçon. Mais que vous veniez dire, parce qu'il y a un procès en contrefaçon, le pouvoir exécutif se trouve atteint dans ses attributions, que c'est le pouvoir judiciaire qui les exercera, qu'en ce qui concerne les établissements militaires, le pouvoir judiciaire sera substitué au pouvoir exécutif, c'est ce que je ne comprends plus.

L'honorable M. Van Humbeeck, dans son discours, n'a tenu aucun compte des arguments que j'ai présentés il y a quelques jours ; j'ai soutenu que les établissements militaires sont à la disposition exclusive du gouvernement, que le pouvoir judiciaire ne peut ni en autoriser l'accès, ni ordonner d'y pénétrer.

J'ai soutenu que si cette autorisation ou cet ordre était donné par le pouvoir judiciaire, il y avait empiétement de la part de celui-ci sur les prérogatives, les attributions du pouvoir exécutif. (Interruption.)

Cet argument, l'honorable M. Van Humbeeck ne l'a pas abordé et ne l'abordera pas. La chose est trop claire, trop évidente pour pouvoir être réfutée.

Qu'il y ait après cela un procès au sujet de droits civils, cela est tout à fait indifférent. Le ministre de la guerre, ni par sa volonté, ni par son fait, ne pourrait modifier les attributions des divers pouvoirs.

Ces attributions sont déterminées par la Constitution, ce n'est pas parce qu'il y a une contestation entre le ministre de la guerre et un particulier que l'autorité judiciaire acquiert le droit de disposer des choses dont le pouvoir exécutif a seul l'administration et la responsabilité.

Votre procès en contrefaçon pouvait aboutir à une question de dommages et intérêts si la contrefaçon existait, mais il ne pouvait transporter à l'autorité judiciaire ce qui n'était pas de son domaine. Un procès civil peut donner lieu à une condamnation pécuniaire, les tribunaux peuvent-ils en raison de ce procès autoriser à saisir les caisses de l'Etat ? Comment donc une simple action en contrefaçon les autoriserait-elle à ordonner l'ouverture des portes des établissements militaires ?

L'honorable M. Guillery soutient un système plus radical. D'après lui le pouvoir judiciaire a été organisé par la Constitution, pour déterminer les attributions des autres pouvoirs. Je croyais d'abord ne pas avoir bien compris, j'ai lu son discours, je me suis convaincu que c'est bien l'opinion de l'honorable membre.

Ce qu'on a voulu en 1830, dit-il, ce qu'a ordonné la Constitution, c'est que ce fût au pouvoir judiciaire à déterminer les attributions de chacun.

Je crois que ce système est inadmissible de tout point, je le crois contraire à la Constitution, je suis d'avis qu'il rendrait tout gouvernement impossible, qu'il détruirait la responsabilité qui doit peser sur les agents du pouvoir.

Il est d'abord complètement inexact de dire que la Constitution donne au pouvoir judiciaire la mission de déterminer les attributions des autres pouvoirs.

La Constitution elle-même s'est chargée de ce soin. Si telles étaient les prérogatives, si telle était la mission du pouvoir judiciaire, il absorberait les deux autres pouvoirs.

Que deviennent, dans un pareil système, la liberté, l'indépendance des pouvoirs dont les attributions sont déterminées par un autre pouvoir ?

Evidemment les pouvoirs législatifs et les pouvoirs exécutifs deviennent des subordonnés du pouvoir judiciaire.

Ils ne peuvent plus se mouvoir que dans le cercle qu'il plaît à celui-ci de leur tracer. Le pouvoir législatif qui prend sa source, son origine dans les entrailles mêmes de la nation, comme le pouvoir exécutif qui en fait partie et qui s'exerce sous le contrôle des Chambres, seront circonscrits, dominés par le pouvoir judiciaire, pouvoir inamovible et irresponsable. Encore une fois cela est complètement inadmissible.

Si cette théorie était vraie, comment le gouvernement existerait-il ? Je suppose qu'en vertu d'une ordonnance du président du tribunal au lieu de saisir des projectiles, on saisisse les caisses de l'Etat. Le gouvernement devra donc laisser arrêter tout le service de l'Etat ! Que devient d'un autre côté la responsabilité du pouvoir exécutif ?

Prenons le cas actuel ; à Liège, en vertu d'une ordonnance du président, on entre dans un établissement militaire, on dérobe un secret qui intéresse au plus haut degré la défense du pays ; si la théorie de M. Guillery était vraie, le gouvernement aurait dû se soumettre.

(page 514) Sur qui la responsabilité fût-elle tombée? Sur les ministres? Non, le pouvoir judiciaire avait décidé. Sur le président du tribunal, sur un magistrat inamovible qui n'a à rendre compte de ses actes qu'à sa conscience. Est-ce là une responsabilité sérieuse ? Personne n'oserait le soutenir.

Il suffit de voir où conduit ce système pour reconnaître qu'il n'est pas admissible.

La responsabilité implique la liberté, et pas de liberté, s'il est un autre pouvoir qui puisse entraver votre action.

La marche que dans cette affaire le gouvernement a suivie avait du reste été indiquée par les Chambres dans d'autres circonstances. J'avais cité l'exemple des toelagen, on s'est beaucoup récrié à ce sujet. On a prétendu qu'il n'y avait aucune analogie, qu'il ne s'agissait pas, dans l'affaire des toelagen, de se rendre justice à soi-même.

S'il y avait des différences entre les deux affaires, ces différences seraient en notre faveur et exigeraient plus impérieusement encore ici l'application des principes suivis dans l'affaire des toelagen.

En effet, dans cette affaire on se trouvait eu présence d'une décision qui avait passé par tous les degrés de juridiction. Il y avait un arrêt passé en force de chose jugée ; il se présentait de plus cette grave circonstance, la question de savoir si les intérêts qui se débattaient entre le gouvernement et des particuliers n'étaient pas des intérêts purement civils ; s'il ne s'agissait pas exclusivement d'une affaire du tien et du mien ; et la question avait été examinée, discutée et résolue dans ce dernier sens. Les tribunaux abritaient donc leur compétence derrière l'article 92 de la Constitution, tandis qu'au cas actuel, nous nous trouvons en présence d'un texte formel, d'où il résulte de la manière la plus claire et la plus péremptoire qu'il ne s'agit pas d'un droit civil, l'administration des établissements militaires ne pouvant constituer un semblable droit.

M. Van Humbeeck. - Il n'y a pas de droit civil dans la contestation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'administration des forteresses, le droit de permettre d'y entrer ou de ne pas y entrer, n'est pas un droit civil.

Le pouvoir judiciaire n'a donc pas le droit d'intervenir d'autoriser à y pénétrer ; au gouvernement seul appartient ce droit, et quand le pouvoir judiciaire intervient, il commet manifestement une usurpation de pouvoir.

Vraiment je ne comprends pas que l'on conteste des choses aussi claires.

Dans l'affaire des toelagen, la résistance ne s'est pas manifestée de la même manière que dans l'affaire de la fonderie de canons. Pourquoi ? Parce que l'exécution était différente.

Dans un cas, vous venez me dire : Donnez-moi de l'argent. Je vous dis : Je ne vous ouvrirai pas les caisses. Dans l'autre cas vous venez me dire : Je veux pénétrer chez vous. Je vous dis : Je ne vous ouvre pas les portes. Le mode de résistance est différent. Mais les motifs de la résistance, les principes qui la déterminent, sont identiquement les mêmes. Je ne puis évidemment pas, dans une contestation où il s'agit d'une somme d'argent, résister en fermant les portes, comme quand vous me sommez d'ouvrir les portes, je ne puis résister en fermant les caisses.

Mais lorsque la Chambre disait : Je ne veux pas que l'Etat paye une somme à laquelle il est condamné par une décision passée en force de chose jugée, elle résistait au pouvoir judiciaire, comme nous résistons au même pouvoir, quand nous n'ouvrons pas les portes des établissements militaires nonobstant une ordonnance du juge.

Messieurs, si l'honorable M. Guillery avait lu toutes les discussions relatives à l'affaire des toelagen, il aurait vu que, sauf les différences que j'ai signalées, la question s'est présentée devant la Chambre tout à fait comme la question de la fonderie de canons se présente aujourd'hui, et que personne à cette époque ne s'en est dissimulé la gravité.

Messieurs, voici entre autres ce que disait à cette époque l'honorable M. Verhaegen, qui soutenait qu'il fallait exécuter la décision de la justice. Il n'allait pas aussi loin que nos adversaires dans leur système, mais partant de ce principe, que c'était une question du tien et du mien que les tribunaux avaient jugée, que c'était une question de droit civil que les tribunaux avaient décidée, il soutenait qu'il fallait payer. Voici ce qu'il disait :

« Si la législature peut déclarer que l'autorité judiciaire n'est plus rien et se refuse à payer lorsque les jugements passés en force de chose jugée ont condamné le gouvernement, c'est admettre qu'on peut être juge dans sa propre cause; et que devient alors l'indépendance du pouvoir judiciaire? »

Et l'honorable M. Verhaegen ne se dissimulait pas toute la gravité du débat ; vous allez le voir :

« Lorsqu'on vous demande un crédit, certes, vous êtes les maîtres de le refuser. Mais parle-t-on du fait ou droit ? Usant du fait, vous pourrez refuser le crédit ; mais de droit vous ne le pouvez pas, à moins d'établir une confusion de pouvoirs.

« De fait, je le répète, vous le pouvez, mais alors ce sera un coup d'Etat. Prenez-y garde, vous surtout, mes amis politiques qui tenez à ce que le pouvoir exécutif n'empiète pas, si vous admettez les coups d'Etat pour le pouvoir législatif, vous n'êtes pas loin de les admettre pour le pouvoir exécutif. »

La Chambre fit le coup d'Etat.

Maintenant, messieurs, vous citerai-je, à l'appui du système que je défends ici, l'opinion d'un homme aux lumières et à l'indépendance de caractère duquel tout le monde rend hommage, celle de l'honorable et regretté M. Delfosse ? Voici comment il s'exprimait dans l'affaire des toelagen :

« J'adhère entièrement à la doctrine de M. le ministre de la justice. Je crois, comme lui, que nous sommes liés par les décisions des tribunaux, que nous devons nous incliner devant elles, quand ils ont agi dans les limites de leur compétence. Mais si les tribunaux avaient agi en dehors des limites de leur compétence, s'ils en avaient dépassé les bornes, notre devoir serait de ne tenir aucun compte de leurs décisions dans les résolutions que nous aurions à prendre. En refusant, dans ce cas, d'exécuter les décisions du pouvoir judiciaire, nous ne porterions aucune atteinte à l'indépendance de ce pouvoir, nous nous bornerions à faire respecter la nôtre. »

Voilà ce que disait, après l'honorable M. d'Anethan, l'honorable M. Delfosse. Voilà ce que répétaient M. Fallon et d'autres membres.

Messieurs, les observations qui ont été faites dans la discussion actuelle, les inconvénients que l'on a signalés comme devant être le résultat du fait de se soustraire aux décisions de la justice, tout cela a été examiné dans la discussion de 1845. Entre autres l'honorable. M. Verhaegen disait :

« Messieurs, ce qu'on vous propose de faire dans l'occurrence, on pourrait vous le proposer chaque fois qu'il s'agit d'une contestation quelconque entre le gouvernement et un particulier.

« Ainsi, un entrepreneur traite avec un département ministériel quelconque ; il exécute des travaux ; il s'élève une contestation ; un procès a lieu ; l'entrepreneur le gagne ; le jugement passe en force de chose jugée ; mais on viendra dire à cette tribune : « Les avocats du gouvernement ont mal défendu ses droits ; la cour d'appel, la cour de cassation ont mal apprécié la question ; nous ne payons pas ; nous sommes omnipotents. »

Et c'est, messieurs, en réponse à cette objection que l'honorable M. Dumortier que vous avez entendu hier, faisait la distinction entre l'Etat agissant comme citoyen et traitant avec des entrepreneurs, et le pouvoir exécutif exerçant ses attributions, distinction qui est parfaitement fondée.

Messieurs, je bornerai là mes observations. Je crois avoir rencontré tous les arguments de mes adversaires, et je répéterai en terminant que, dans cette occurrence nous avons suivi la voie qui nous avait été tracée par la Chambre, et nous sommes restés parfaitement dans la légalité.

(page 503) M. de Gottal. - Lorsque j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, mon intention n'était nullement de rentrer dans le fond du débat. Aussi n'abuserai-je pas de vos moments ; je ne me propose pas de prolonger longtemps la discussion.

Je veux simplement répondre quelques mots aux observations présentées hier par l'honorable M. Lebeau et par l'honorable M. Dumortier, et faire observer que si ces honorables membres semblaient soutenir la thèse défendue par le gouvernement, ils le combattaient cependant sur certains points. C'est ainsi que l'honorable M. Lebeau comme l'honorable M. Dumortier ont fait une distinction entre ces deux cas spéciaux, entre le cas où le gouvernement ferait confectionner dans son établissement des projectiles quelconques pour son compte personnel à lui, et le cas où de pareils objets seraient confectionnés pour le compte de particuliers.

De cette distinction que les honorables orateurs ont faite, je dois conclure qu'ils arriveraient également à une solution différente dans la question qui nous occupe.

En cas de fabrication faite pour le compte de particuliers, le gouvernement, selon eux, ne saurait se refuser à permettre l'entrée de l'établissement ; telle n'est pas la théorie professée par l'honorable chef du département de la justice ; d'après lui, dans ce cas même, le gouvernement aurait le droit de refuser l'entrée de l'établissement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Certainement.

M. de Gottal. - Je tenais, messieurs, à faire ressortir cette contradiction qui existe entre les défenseurs du système du gouvernement et le gouvernement lui-même.

Les honorables MM. Lebeau et Dumortier ont soutenu que si l'on avait le droit de saisir des projectiles on avait également le droit de les saisir tous.

Messieurs, si le pouvoir judiciaire a le droit de rendre des jugements, il peut également rendre des jugements iniques... et cependant il ne viendra à l'idée de personne de prétendre que lorsqu'un pareil jugement est rendu, passé en force de chose jugée, il ne doive pas être mis à exécution.

Si l'observation de MM. Lebeau et Dumortier était fondée, il faudrait en conclure que si le ministre de la guerre a le droit de vendre de son propre chef 10,000 fusils, comme la Chambre l'a reconnu dans un cas spécial, il a également le droit de vendre tous les fusils, toutes les armes appartenant à l'Etat.

Il suffit d'indiquer de semblables raisonnement pour en faire sentir toute l'exagération, pour faire ressortir ce qu'ils ont de peu sérieux.

Je ne veux pas, messieurs, rentrer dans le fond de la question, seulement je dois faire remarquer que l'on fait encore intervenir à foison le fameux secret d'Etat ; et dans la séance d'aujourd'hui l'honorable ministre de la justice lui-même n'a pas cru devoir négliger ce moyen. Or, messieurs, voyons un peu ce que c'est que ce secret d'Etat dans l'affaire qui nous occupe.

L'honorable ministre de la justice nous a dit qu'à l'époque même où les projectiles se faisaient à la fonderie de canons de Liège d'autres établissements étaient en train d'en confectionner.

Ce secret n'est donc plus confié seulement, comme on le fait d'ordinaire, à des officiers, il est confié encore aux chefs d'établissements privés.

Et l'honorable ministre de la justice a été plus loin, il a été jusqu'à dire que si l'on avait voulu saisir les projectiles dans ces établissements, il ne s'y serait pas opposé. Ainsi donc dans ce cas il aurait permis la violation du secret d'Etat, si toutefois secret d'Etat il y a dans l'espèce.

Ainsi donc, messieurs, cet argument du secret d'Etat sur lequel on s'appesantit à plaisir n'est qu'un épouvantail bon pour des gens crédules, qui ne peut avoir aucune influence dans ce débat et qui surtout ne peut en aucune manière justifier ce qui s'est passé.

Ceci, messieurs, me ramène naturellement à la question de forme et à la question des procédés.

Malgré tout ce que M. le ministre de la justice a dit dans la séance d'aujourd'hui, malgré tout ce qu'a fait l'honorable ministre de la guerre pour disculper le directeur de la fonderie, malgré toute la théorie qu'il nous a exposée sur le mode de donner et de lever les consignes, il n'en est pas moins vrai que le règlement de la fonderie porte que le portier reçoit la consigne du directeur.

Il n'en est pas moins vrai, à moins qu'on ne vienne à arguer de faux le procès-verbal qui le rapporte, que le portier a déclaré qu'il avait la consigne de refuser l'entrée de l'établissement et, au besoin, de s'y opposer par la force.

Il n'en est pas moins vrai qu'une pareille opposition a réellement en lieu.

Et ici, messieurs, je dois relever encore une erreur qui a été commise dans la séance d'hier par l'honorable ministre de la justice. Il nous a priés aujourd'hui de faire attention aux dates, je dois, messieurs, vous faire la même recommandation.

C'est le 22 que la première sommation a été faite à la fonderie de canons.

Hier, l'honorable M. Nothomb, je pense, avait demandé pourquoi, entre la date du 22 et du 25 aucune instruction n'avait été donnée, aucune précaution n'avait été prise pour que de pareils faits ne pussent se renouveler.

L'honorable ministre a répondu qu'il ignorait entièrement ce qui s'était passé à Liège. C'est là une erreur, car l'honorable chef du département de la guerre nous a dit, dans une précédente séance, que l'exploit du 22 avait été transmis le 23 au département de la guerre par l'inspecteur général de l'artillerie.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai expliqué cela, je regrette que vous n'ayez pas écouté.

M. de Gottal. - J'ai parfaitement écouté, mais il est assez difficile de vous entendre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voulez-vous que je répète mon explication ?

M. de Gottal. - C'est inutile ; je la retrouverai au Moniteur.

DES REPRÉSENTANTS, SÉANCE DU 23 JANVIER 1862.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est plus facile de réfuter ainsi.

M. de Gottal. - Quoi qu'il en soit, l'autorité militaire n'en a pas moins agi d'une manière répréhensible vis-à-vis d'un magistrat et M. le ministre de la guerre n'a pas eu un seul mot de regret à prononcer ; il a, au contraire, présenté les faits de manière à faire croire qu'il approuve entièrement cette façon d'agir, qu'il la considère en quelque sorte comme un acte méritoire.

Si c'est là l'appréciation de M. le ministre de la guerre, je n'hésite pas à faire connaître la mienne, et n'importe sur qui la responsabilité des faits retombe, je n'hésite pas un instant à blâmer l'autorité militaire de la conduite qu'elle a tenue en cette circonstance à l'égard d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.

II me reste à rappeler à l'honorable ministre de la guerre que dans la séance de samedi dernier je lui avais demandé s'il n'avait pas encore cru convenable, je dirai même nécessaire de supprimer chez les soldats le port de l'armé en dehors du service.

J'avais fait valoir à ce sujet des considérations que je ne reproduirai plus. Messieurs, il n'est personne parmi vous qui ignore les excès, les désordres, les rixes sanglantes auxquelles l'adoption d'une pareille mesure mettrait fin. Je serais désireux de savoir si pour justifier le refus d'une pareille mesure M. le ministre de la guerre aurait à donner des raisons plus sérieuses que celles qu'il a alléguées il y a deux ans, et que je crois avoir suffisamment réfutées.

J'espère aussi que M. le ministre de la guerre voudra bien tenir quelque compte des observations que j'ai eu l'honneur de lui présenter (observations que j'ai appuyées de considérations très sérieuses) à l'effet d'obtenir qu'il veuille bien surseoira l'exécution rigoureuse de jugements qu'il aurait obtenus contre ceux qui ont élevé des constructions dans la nouvelle zone des servitudes, contrairement aux lois que l'on prétend encore, en vigueur en Belgique.

M. Pirmez. - Messieurs, je n'ai qu'une réponse bien courte à faire ; je tiens cependant à ne pas y renoncer, parce que je me propose moins de combattre mes adversaires que de leur démontrer que l'opinion que j'ai soutenue devant vous diffère beaucoup moins de celle de mes honorables contradicteurs, qu'il ne le paraît au premier abord.

J'ai cherché, dans une de nos dernières séances, à discuter la question qui nous occupe, au point de vue de la vérité juridique. Cette manière d'envisager le débat m'a valu le reproche, plusieurs fois répété, d'avoir voulu trancher la question par une doctrine subtile.

Je tâcherai aujourd'hui d'éviter ce reproche et de résoudre la difficulté en traduisant les idées de droit en considérations de simple bon sens.

Je viens de dire que je tenais à montrer combien mes contradicteurs sont près de partager ma manière de voir ; je puis leur faire, en effet, beaucoup de concessions.

Ils veulent qu'il y ait eu à Liège conflit entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ; je le leur concède. Mais ce conflit n'est, comme l'a appelé M. Van Humbeeck, qu'un conflit moral ; ce ne serait ainsi qu'un conflit comme il s'en présente à chaque instant.

Nous avons fréquemment des conflits entre les divers tribunaux, des conflits entre l'administration et le pouvoir judiciaire, des conflits entre les différentes administrations.

Un grand conflit s'est élevé au sujet des toelagen ; c'est le plus grave, si on veut l'examiner au point de vue juridique, qui se soit présenté.

Personne dans le public s'est-il jamais ému de ces conflits ? Demandez à vingt personnes ce que sont les toelagen, il en est dix-neuf qui vous diront qu'elle ne le savent pas.

Quand je suis entré dans cette enceinte, j'avoue que j'ai eu besoin de m'informer pour connaître ce que c'est qu'un toelage.

Depuis que j'y suis, j'ai entendu plusieurs membres nouveaux me demander à leur tour : « Qu'est-ce que ces toelagen dont on parle ? »

Il y a des faits où les décisions de l'autorité judiciaire sont complètement paralysées et dont on ne se préoccupe pas davantage. Ainsi, par exemple, certaines communes ont contracté des dettes, des arrêts passés en force de chose jugée les condamnent à payer. Il n'existe pas de moyens de les forcer à satisfaire à ces condamnations.

Ces conflits qui demeurent dans les actes ne passionnent pas ; ce qui m'a ému dans l'affaire que nous étudions, c'est de voir deux fractions de l'autorité militaire qui ont été prêtes à en venir aux mains. Voilà le côté grave de la question.

On trouvait à Liège, d'un côté, la troupe, de l'autre des gendarmes, dans la position de deux corps ennemis.

Mais l'autorité judiciaire était-elle là engagée dans le combat qui allait se livrer ?

Qui oserait le soutenir ? Les tribunaux et les cours seraient venus sur les lieux en robe noire et en robe rouge, qu'ils n'eussent pas eu un ordre à donner ni à l'un ni à l'autre des deux camps. Le ministre de la guerre serait arrivé avec les chefs militaires qui sont sous ses ordres, sa voix eût été également écoutée par tous et il eût pu diriger à la fois les mouvements des deux corps de troupe.

La collision grave était donc entre des hommes obéissant également à l'un des chefs du pouvoir exécutif ? Est-ce une bien grande subtilité de dire qu'elle était au sein de ce pouvoir ?

Voilà les conflits qu'il faut à tout prix écarter parce qu'ils peuvent devenir sanglants.

A quoi tend ma théorie ? A les empêcher complètement en reconnaissant que l'exécution des jugements appartient exclusivement au pouvoir exécutif.

M. Nothomb, dans la réponse si courtoise qu'il m'a faite, repousse cette doctrine qu'il considère comme anarchique. Voyons en quoi nous différons.

Il veut que la formule exécutoire appartienne à l'autorité judiciaire ; je veux bien le lui concéder ; il veut que le commandement émane de l'autorité judiciaire et non du pouvoir exécutif, je le veux bien ; il prétend même que la Constitution est mal rédigée lorsqu'elle porte que les jugements s'exécutent au nom du Roi, que le texte de la Constitution n'est pas conforme à son esprit ; la concession est bien large, mais je la lui fais encore.

Tout cela admis, où en serons-nous ?

Mais quand on résistera à une décision judiciaire exécutoire ou non par elle-même, vous en viendrez toujours à devoir appeler à son secours la force matérielle. Or, du moment que vous devez recourir au bras militaire, vous devez reconnaître que vous venez invoquer le concours du pouvoir exécutif, et que c'est en réalité ce pouvoir qui fait exécuter la sentence.

L'honorable M. Nothomb doit admettre qu'il en est ainsi ; je voudrais bien savoir comment la doctrine que j'ai soutenue peut engendrer pour le pouvoir judiciaire des conséquences désastreuses qui ne découlent pas de la sienne.

Vous donnez une formule aux tribunaux, vous tenez à ce qu'ils ajoutent dix lignes d'écriture à leurs sentences ; vous leur attribuez ce que vous appelez l'exécution morale, mais que fera tout cela devant la résistance matérielle ? Rien, absolument rien. La force seule peut triompher de cette résistance, et comme, d'après vous comme d'après moi, elle est aux mains du gouvernement, c'est de lui que dépendra l'exécution dans tous les systèmes.

L'honorable membre dit que dans ces conditions le pouvoir judiciaire est désarmé, qu'il n'est plus que l'ombre d'un pouvoir ; que si on ne met pas à sa disposition une force suffisante pour faire respecter ses arrêts, autant vaut rayer le pouvoir judiciaire des institutions constitutionnelles.

Mais s'il en était ainsi, pourquoi la législature subsisterait-elle ? Où est son droit de disposer de la force publique ? Vous ne pouvez nier que vous ne soyez désarmés, et vous voyez la ruine de notre système de séparation de pouvoir en reconnaissant que les tribunaux le sont ! Le jour où le gouvernement refusera d'exécuter le jugement, et fera un coup d'Etat, mais ce jour-là il pourra aussi refuser d'exécuter les lois.

M. Nothomb. - C'est précisément ce que je vous ai reproché : de fournir au despotisme dans le refus d'exécution, un moyen, que vous rendriez légal en quelque sorte, de commettre des violences.

C'est là le danger de votre théorie.

M. Pirmez. - Le despotisme, vous l'avez nécessairement, lorsqu'un pouvoir quelconque, disposant de la force armée, voudra supprimer les autres pouvoirs. Je vous montre que je conserve au pouvoir judiciaire exactement les mêmes garanties que celles dont jouit la représentation nationale. Il me paraît que vos alarmes peuvent se calmer.

L'honorable membre, d'ailleurs, croit-il que ce serait bien une garantie capable de prévenir un bouleversement que cette différence dans le droit qui nous sépare ?

Il s'est chargé de répondre lui-même.

En terminant son discours d'hier, il nous faisait observer qu'en matière de séparation de pouvoirs la garantie complète n'est jamais dans les institutions, parce qu'il faut toujours des hommes pour les faire agir ; que, ce qu'il faut, c'est la conscience et la loyauté de ces hommes ; que, quand la sagesse manque dans ceux qui disposent des pouvoirs, toutes les précautions sont vaines ; que les constitutions, fussent-elles aussi savamment organisées que celle de Sieyès, fonctionnent mal quand les pouvoirs cherchent à empiéter les uns sur les autres plutôt que de respecter les limites qui les séparent.

Oh ! cela est vrai ; mais j'y vois la réfutation de vos attaques contre mon système. Et pourquoi faudrait-il croire uniquement à la sagesse des (page 505) tribunaux et jamais à la sagesse des autres corps de l'Etat ? Cette confiance exclusive dénature évidemment l'esprit constitutionnel.

Mais, messieurs, quelle que soit l'opinion que l'on ait sur cette question spéciale, il en est une sur laquelle il est impossible d'être divisé ; c'est que, dans un pays, l'autorité militaire ne peut être confiée à deux pouvoirs différents.

Il faut que l'armée obéisse à un seul chef, parce que si elle avait deux chefs indépendants et si un conflit surgissait entre eux, ce ne serait pas un simple conflit sur le papier, mais un conflit qui pourrait avoir des conséquences sanglantes.

Aussi, la Constitution a-t-elle eu soin de dire que le commandement de toute la force publique appartient au Roi et au Roi seul.

Mais la conséquence nécessaire de ce principe n'est-elle pas qu'un autre pouvoir ne peut disposer de la force publique précisément contre le pouvoir exécutif qui la commande ? S'il en est ainsi, le sieur Lejeune ne pouvait aller requérir la force publique, pour exécuter le gouvernement lui-même et était responsable du conflit qu'il provoquait par cette réquisition illégale.

J'ai signalé, dans notre dernière séance, la contradiction qu'il y aurait à vouloir que le gouvernement employât contre lui-même les voies d'exécution. On ne conçoit pas, en effet, que le pouvoir exécutif, ne voulant pas faire une chose, se servît de la force publique contre lui-même, pour se contraindre à faire cette chose.

L'honorable M. Van Humbeeck m'a répondu ; mais quelle est sa réponse ? C'est que le gouvernement a deux qualités : il est tout à la fois pouvoir exécutif, ordonnant comme autorité et le gérant des intérêts privés de l'Etat.

Or, M. Van Humbeeck prétend que le gouvernement, comme autorité, doit contraindre, par la force, le gouvernement simple gérant des intérêts privés de l'Etat. Voilà le système.

Messieurs, je comprends parfaitement que lorsqu'il ne s'agit que du droit, on reconnaisse deux qualités à une même personne et les droits inhérents à ces deux qualités distinctes ; mais je ne conçois pas qu'on vienne établir en matière de pur fait, l'emploi de la force pour contraindre.

Vous voudriez donc que le gouvernement se dise à lui-même : « Il ne me convient pas d'exécuter cet arrêt-là qui ne condamne comme individu privé ; volontairement je ne l'exécuterai certes pas, mais je suis en même temps autorité et je vais me contraindre ; je vais faire agir la force publique contre moi. » En d'autres termes la main gauche refuse un acte et l'on voudrait que la main droite fût employée pour la contraindre à faire cet acte. On m'accordera que s'il y a quelque chose de subtil, c'est bien la distinction que je repousse.

Messieurs, le système de nos contradicteurs consiste à dire que toujours et dans tous les cas il faut exécuter toutes les décisions des tribunaux. Je voudrais leur soumettre deux hypothèses que je prendrai dans l'application même de la loi sur les brevets.

La première est celle-ci : nous avons, dans cette enceinte, certains appareils de ventilation qui ont été récemment placés par notre questeur l'honorable M. Allard. Je ne sais pas si dans le millier de brevets qui existent, il n'en est pas qui accorde un privilège exclusif pour la ventilation au moyen du gaz ; cela est certes possible. Eh bien, je suppose qu'un jour, pendant la séance, on veuille décrire ou saisir cet appareil en vertu d'une ordonnance du président du tribunal ; est-il un seul membre de cette assemblée qui consentît à laisser introduire huissiers, experts et gendarmes pour exécuter cette ordonnance ?

Je ferai une autre question en demandant à l'honorable M. Van Humbeeck de le mettre directement en cause.

Il a sur moi l'avantage de porter tout à la fois la toge et l'épée. (Interruption.) Eh bien, je suppose qu'un jour, à une revue de la garde civique de Bruxelles (je ne supposerai même pas un cas d'émeute, pour ne pas faire la position trop belle), je suppose qu'un huissier se présente devant son bataillon avec une ordonnance du président du tribunal permettant de saisir les fusils de ses gardes et de les mettre sous scellés. Je crois que cela n'arrivera pas, car les fusils de la garde civique ne sont pas, paraît-il d'un système bien récent. (Nouvelle interruption.) Mais enfin, on lui donnera peut-être d'autres fusils et alors le cas que je suppose pourrait se présenter. Je demande à l'honorable membre si, en présence d'une pareille ordonnance, il ordonnera à ses gardes de remettre de suite leurs fusils à l'huissier.

Je suis convaincu que son premier mouvement sera de dire : Non ! mais si l'huissier lui présente un discours que nous avons entendu hier, pour le convaincre qu'il faut respecter l'autorité judiciaire, M. le major Van Humbeeck dira certainement : M. le représentant Van Humbeeck parle fort bien, il raisonne parfaitement (et il aura raison de s'exprimer ainsi), Mais je suis major, commandant une partie de la force publique, vous n'aurez pas mes fusils. Et je crois que si l'huissier voulait mettre l'ordonnance à exécution, en saisissant les fusils, M. Van Humbeeck lut ferait un petit discours beaucoup moins parlementaire que ceux qu’il fait ici, mais tellement convaincant pour l'huissier qu'il n'aurait aucune espèce d'envie de continuer la discussion. (Nouvelle interruption.)

M. Van Humbeeck. - Mon intention n'est de répondre complètement ni à M. le ministre de la justice, ni à l'honorable M. Pirmez. Si mon dessein était d'entreprendre cette tâche, je ferais, à vingt-quatre heures d'intervalle, deux fois le même discours, et ce serait vraiment abuser de l'attention bienveillante de la Chambre.

Permettez-moi, messieurs, de répondre immédiatement à l'objection qui part de l'honorable M. Pirmez, et qui m'est faite par interpellation directe.

Si vous étiez devant votre bataillon, me dit-il, si là, en vertu d'une ordonnance du président du tribunal on venait vous demander de laisser saisir les fusils dont chacun de vos gardes est armé, que feriez-vous ?

Mais, messieurs, j'aurais à faire une réponse très facile et à laquelle l'honorable M. Pirmez n'a pas pensé.

Chaque garde reçoit son arme de l'Etat et en est directement responsable ; je n'aurais pas même la possibilité matérielle de les faire remettre entre des mains étrangères.

L'ordonnance devrait donc être signifiée à chacun des gardes et exécutée contre chacun d'eux. L'honorable M. Pirmez, en posant son exemple, m'a supposé dans le cas d'être sommé de remplir une obligation à laquelle il me serait impossible physiquement de satisfaire. Mais si on insistait pour obtenir de moi cette exécution impossible, je ferais au besoin vider le différend en référé.

C'est précisément la thèse que j'ai soutenue hier. Selon moi, c'est au référé que doivent se vider les différends sur les difficultés relatives à l'exécution d'un acte judiciaire.

Ce serait là, messieurs, l'attitude que je prendrais dans le cas supposé par l'honorable M. Pirmez.

Vous voyez que ma réponse n'était pas aussi difficile que le supposait l'honorable membre.

M. le ministre de la justice, dans son dernier discours a reproduit les arguments qu'il avait fait valoir une première fois déjà devant la Chambre ; seulement il les a présentés aujourd'hui sous une forme différente, nécessitée par la marche que la discussion a suivie ; mais je n'y ai pas rencontré de considérations nouvelles.

Je tiens cependant à lui répondre pour qu'on ne se trompe pas sur la signification de la partie de mon argumentation qu'il a le plus vivement critiquée.

Le gouvernement se base sur deux moyens distincts ; il invoque la législation spéciale sur les établissements militaires, la loi de 1791 et le décret de 1811 ; il invoque un principe général de droit public d'après lequel le pouvoir exécutif n'est pas un justiciable.

En ce qui concerne la législation spéciale des établissements militaires, le gouvernement prétend que cette législation a prévu trois cas : le cas de flagrant délit, le cas de délits ordinaires et le cas où il n'y a pas de délits.

Dans le cas de flagrant délit, le commandant ne peut pas refuser l'entrée ; dans le cas de délit ordinaire, le commandant peut refuser ou accorder l'entrée ; dans le cas où il n'y a ni flagrant délit ni délit ordinaire, nul ne pénètre dans les établissements militaires.

On nous dit : La loi restreint le droit d'entrer aux cas de délits ; vous n'étiez pas dans ce cas, vous ne pouviez pas entrer, vous ne pouviez pas prétendre à une autorisation, vous n'étiez pas même dans le cas où le commandant est libre de l'accorder ou de la refuser.

Pour répondre à ces raisons, j'ai pris l'article 68 du décret de 1811 ; j'ai lu les deux paragraphes de l'article ; l'honorable ministre s'est étrangement trompé quand il a prétendu que nous ne tenions pas compte du texte entier ; j'ai lu même ce que, lui, n'avait pas lu.

D'après les textes, le commandant n'avait pas le droit de refuser l'entrée de l'établissement ; peu importe qu'il y eût délit ou simplement contestation civile, les articles 67, 68 et 69 du décret de 1811 sont simplement organiques de la loi de 1791 ; ils sont réglementaires, ils portent sur la manière dont les dispositions de cette loi doivent être exécutées ; or, cette loi dit en termes exprès que les forteresses et établissements militaires ne peuvent servir de lieu d'asile, en aucun cas ; qu'on ne peut suspendre les institutions sociales dans aucun cas civil ou criminel.

De ces termes rapprochés du décret de 1811, je déduisais la conséquence qu'on avait tort de restreindre la portée de l'article 68 paragraphe 2 aux délits et de ne pas l'étendre aux cas de contestation civile. C'est là ce que le ministre a appelé ne pas tenir compte d'une partie des textes et se baser exclusivement sur l'autre partie.

(page 506) Le deuxième argument dont je m'étais occupée, auquel j'avais consacré une réfutation, que M. le ministre a critiquée rudement, consistait à dire que le gouvernement n'était pas un justiciable, mais un pouvoir indépendant, le pouvoir exécutif !

Examinons encore. Un citoyen dit que vous lui avez dérobé sa propriété, ce n'est pas, disais-je, comme pouvoir exécutif qu'on vous fait ce reproche.

Que devient le principe de la propriété garantie par la loi, si vous arrêtez les réclamations des propriétaires en leur disant que le gouvernement n'est pas un justiciable ? Il s'agit là d'une exception de droit public que vous opposez à une contestation de droit civil ; la Constitution dit que les contestations de droit civil sont du ressort des tribunaux, il Tous opposez à une action de droit civil, une exception de droit public. Il ne s'agit pas néanmoins d'autre chose que d'une contestation relative à un droit civil. (Interruption.)

Voyons : admettez-vous qu'il y a là un droit civil en question ? Les tribunaux, dites-vous, ne peuvent pas changer les attributions du pouvoir exécutif ; d'accord, mais pourquoi prétendez-vous que les tribunaux ne sont pas compétents pour statuer sur les restrictions que le droit public peut apporter aux droits civils ? Ne sont-ils pas institués par la Constitution d'une manière générale pour interpréter la portée des droits civils ? Y a-t-il rien qui vous autorise à croire, que si vous leur soumettez les actions civiles combattues par des exceptions de droit public, les attributions du pouvoir exécutif seront entamées ?

C'est une défiance que je n'admets pas. Aussi quand je vous demande expressément : S'agissait-il d'un droit civil ? vous n'avez trouvé qu'une chose à répondre ; vous m'avez dit : Dans aucun cas, vous ne pourriez pénétrer dans la fonderie.

Or, je me trouvais devant deux arguments distincts, je les avais discutés séparément ; M. le ministre passe d'un argument à l'autre ; pour me répondre, il est obligé de les confondre ; pour se défendre sur le second, il revient au premier moyen, que j'avais déjà réfuté.

Je persiste dans les raisons que j'ai données hier, dans l'avis que j'ai émis, je crois que les arguments reproduits aujourd'hui par M. le ministre de la justice n'ont pas atténué la valeur de ceux que j'ai présentés antérieurement.

M. de Theux. - Messieurs, en entendant la discussion à laquelle nous assistons depuis plusieurs jours, je me suis demandé si la Constitution était tellement imparfaite qu'il ne fût pas possible de terminer paisiblement et rationnellement les conflits qui peuvent s'élever entre les trois branches du pouvoir qui sont indépendantes les unes des autres, qui ont la même origine, puisque la Constitution déclare qu'elles émanent de la nation.

Après un examen attentif, je suis resté convaincu que tous les conflits peuvent se terminer paisiblement, rationnellement dans l'ordre constitutionnel.

Il est évident qu'aucun des trois pouvoirs ne peut limiter les attributions de l'autre, chacun est juge de ses attributions, et que, s'il s'élève un conflit entre eux, il y a une issue ; cette issue est indiquée dans la Constitution. Je le démontrerai par l'application.

C'est dans la nation que résident les pouvoirs : en cas de conflit entre deux pouvoirs, c'est à la nation à prononcer ; comment prononce-t-elle ? Par la voie de l'élection. C'est toujours par cette voie que les conflits sont résolus.

Je suppose un conflit entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif : dans ce cas la Chambre des représentants peut être saisie de la question par la proposition d'un bill d'indemnité ; la Chambre peut aussi d'office se saisir de la question ; blâmer et renverser le cabinet, ou mettre les ministres en accusation en les renvoyant devant la cour de cassation.

Si le pouvoir exécutif veut arrêter la Chambre qui annonce l'intention de renverser le ministère ou de le mettre en accusation, il dissout la Chambre et fait un appel au corps électoral ; si les électeurs renvoient une Chambre dans le même esprit, il est évident que la Chambre doit poursuivre son œuvre, renverser le ministère, le mettre en accusation suivant la gravité des circonstances.

Si la nouvelle Chambre estime que le ministère était dans son droit, elle lui accorde un bill d'indemnité et approuve sa conduite ; voilà donc un moyen facile de résoudre un conflit ; c'est le même moyen qu'on emploie quand le conflit existe entre les Chambres législatives et le pouvoir exécutif.

C'est encore par la dissolution, par l'appel au corps électoral que la question doit se terminer. Si l'on veut aller au-delà, on arrive à cette maxime : Inter arma, silent leges.

Il peut se présenter, messieurs, un troisième conflit : celui entre l'autorité judiciaire et le pouvoir législatif.

Encore dans ce cas le pouvoir exécutif, qui participe aussi au pouvoir législatif, a le moyen de terminer le débat d'une manière régulière et pacifique.

Ici évidemment si le pouvoir exécutif est d'accord avec les Chambres, c'est le pouvoir législatif qui l'emporte ; mais en définitive, il reste toujours la volonté nationale qui se prononcera au renouvellement des Chambres, de manière que quand on pratique avec conscience, avec patriotisme nos institutions, on peut arriver à la solution légale de toutes les difficultés qui peuvent se présenter. Mais si l'on méconnaît les devoirs constitutionnels et les devoirs du patriotisme, si l'on s'abandonne aux passions, l'on tombe dans le chaos et dans l'anarchie, et c'est alors la maxime : Inter arma silent leges.

Je tenais, messieurs, à communiquer à la Chambre ces réflexions que la discussion m'a suggérées, et que j'ai cru utile de faire connaître pour prouver qu'il n'y a pas de lacune dans notre Constitution et que tout y a été si bien réglé et combiné que l'on peut, en tout état de cause, arriver à une solution pacifique et légale.

- La discussion générale est close. On passe à celle des articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 5

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.



« Art. 2. Traitement des employés civils : fr. 154,810.

« Charge extraordinaire : fr. 650. »

- Adopté.


« Art. 3. Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre : fr. 14,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Matériel : fr. 40,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Dépôt de la guerre : fr. 19,000.

« Charge extraordinaire : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Etats-majors

Articles 6 à 8

« Art. 6. Traitement de l'état-major général : fr. 774,515 25. »

- Adopté.


« Art. 7. Traitement de l'état-major des provinces et des places : fr. 303,112 45. »

- Adopté.


« Art. 8. Traitement du service de l'intendance : fr. 150,112 75. »

- Adopté.

Chapitre III. Service de santé des hôpitaux

Article 9

« Art. 9. Traitement du service de santé des hôpitaux : fr. 219,980 23. »

M. Coomans . - Messieurs, l'avancement au choix est une nécessité gouvernementale.

J'avoue qu'il importe que le chef de l'armée comme ceux de l'administration civile puissent encourager et récompenser un zèle extraordinaire, un mérite éminent ; sinon le marasme s'introduirait dans les services publics.

Mais, messieurs, il est vrai aussi que le gouvernement ne doit user qu'avec beaucoup de prudence et de réserve de la faculté qu'il a d'avancer au choix ses serviteurs.

La règle générale et ordinaire devrait être l'avancement d'après l'ancienneté et la moyenne des services rendus.

On m'assure que le gouvernement épuise son droit quant à l'avancement au choix, qu'il l'exerce en quelque sorte à outrance en ce qui concerne les officiers de l'armée ; mais pour ne pas sortir du chapitre III du budget de la guerre, je me contenterai de dire que j'ai appris avec surprise et avec peine qu'on vient de nommer, au choix, un jeune médecin militaire au grade de médecin de première classe, en le faisant passer sur le corps de 18 autres médecins.

Messieurs, si ce fait est exact, et j'ai tout lieu de le tenir pour tel, je le trouve grave, car il me semble qu'il serait difficile de prouver qu'un officier de santé ait déployé un zèle si extraordinaire et soit pourvu d'un mérite si éminent, qu'il est convenable de le préférer à 18 de ses collègues, (page 507) parmi lesquels on cite d'excellents sujets, au risque de blesser ceux-ci, de les décourager et d'obtenir, quant à la discipline, des résultats plus nuisibles qu'utiles. Une bonne discipline ne consiste pas seulement dans l'obéissance passive ; elle est avant tout morale, volontaire, et sincèrement respectueuse. Or, on ne respecte bien que la justice.

Je ne fais pas d'interpellation formelle à M. le ministre. Je vous avoue que les questions personnelles, qui sont toujours très délicates, me répugnent. Je me bornerai donc à exprimer le ferme espoir que cette sorte d'abus ne se reproduira plus, ou que, les faiblesses humaines rendant la perfection impossible, nous n'aurons que très rarement à nous en plaindre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à répondre. Il est très vrai qu'un médecin militaire a été nommé au choix. Je ne le connais pas...

M. Coomans. -Ni moi non plus.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne crois pas l'avoir jamais vu. Mais ce que je puis dire, c'est que les rapports de l'inspecteur général du service de santé l'ont signalé comme un homme d'un mérite exceptionnel, hors ligne.

C'est un officier de mérite qui sur toutes les branches a passé des examens avec la plus grande distinction et qui est auteur de plusieurs ouvrages remarquables.

M. le ministre de l'intérieur pourrait donner à cet égard des explications.

C'est précisément pour pousser un homme de ce mérite qu'il a été nommé au choix. Si donc jamais application de la loi a été faite d'une manière satisfaisante, je crois que c'est dans ce cas-ci.

La loi détermine le nombre des nominations au choix. Quand on dit que l'on nomme au choix tout ce que la loi permet de nommer, je puis dire qu'on est dans l'exagération. Au contraire, on nomme bien plus à l'ancienneté qu'on ne devrait le faire peut-être, et quant aux nominations au choix, voici comment elles se font :

Il y a une inspection générale tous les ans dans les corps. C'est à la suite de cette inspection générale que les nominations au choix sont faites.

Les chefs des corps proposent des sujets d'élite à l'inspecteur général.

Ils sont examinés, et l'inspecteur général appuie ou n'appuie pas la proposition.

Les inspecteurs généraux se réunissent tous les ans et dressent une liste d'avancement au choix. C'est sur cette liste que le ministre fait les nominations, et je puis affirmer que jamais je n'ai nommé des officiers non portés sur cette liste.

Tous les officiers nommés au choix ont été proposés par le comité des inspecteurs généraux, et quand on n'est pas proposé de cette manière, on n'est jamais nommé au choix.

Voilà, messieurs, ce que je tenais à vous dire.

- L'article est adopté.

Articles 10 et 11

« Art. 10. Nourriture et habillement des malades ; entretien des hôpitaux : fr. 532,400. »

- Adopté.


« Art. 11. Service pharmaceutique : fr. 120,000. »

- Adopté.

Chapitre IV. Solde des troupes

Article 12

« Ar. 12. Traitement et solde de l'infanterie : fr. 11,910,945 75.

« Les crédits qui resteront disponibles, à la fin de l'exercice, sur les chapitres II, III, IV et VIII, concernant le personnel, pourront être réunis el transférés, par des arrêtés royaux, à la solde et autres allocations de l'infanterie, ce qui permettra le rappel sous les armes, pendant un temps déterminé, d'une ou de deux classes de miliciens, qui appartiennent à la réserve. »

M. Goblet. - Messieurs, la question dont je désire entretenir la Chambre est très grave. Les considérations que j'ai à faire valoir seront assez longuement développées pour que je ne puisse terminer aujourd'hui.

Demain, la discussion sera interrompue par les prompts rapports.

A moins donc que la Chambre n'exige que je commence aujourd'hui, il me serait agréable de prendre la parole dans une séance où mon discours ne sera pas interrompu.

- Un membre. - De quoi s'agit-il ?

M. Goblet. - Il s'agit de discuter la première réponse de M. le ministre de la guerre sur l'emploi des troupes à Anvers.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si la Chambre le désire, je puis donner immédiatement des explications, mais je désire entrer dans de grands détails à ce sujet.

M. Goblet. - Eh bien, dans ce cas nous devons être d'accord pour demander qu'on renvoie cette discussion à une autre séance.

M. Coomans. - On pourrait réserver cette question.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si l'honorable M. Goblet y consent, je n'y vois pas d'inconvénient.

M. Goblet. - Bien volontiers.

- La Chambre décide qu'elle réserve la question du payement des troupes employées à Anvers.

- L'article 12 est adopté.

Articles 13 à 16

« Art. 13. Traitement et solde de la cavalerie : fr. 3,586,770. »

- Adopté.


« Art. 14. Traitement et solde de l'artillerie : fr. 2,985,950. »

- Adopté.


« Art. 15. Traitement et solde du génie : fr. 798,872 80.

- Adopté.


« Art. 16. Traitement et solde des compagnies d'administration : fr. 267,872 80.

« Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une autre arme compteront, pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance. »

- Adopté.

Chapitre V. Ecole militaire

Article 17

« Art. 17. Etat-major, corps enseignant et solde des élèves : fr. 164,449 15. »

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je remarque qu'il y a une économie de fr. 12,566-75 sur le crédit concernant l'école militaire.

Je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il ne serait pas utile d'appliquer une partie de cette économie à la création d'un cours de langue anglaise et d'un cours de langue allemande à l'école militaire.

Dans toutes les autres écoles militaires de l'Europe, si je ne me trompe, il est donné un cours des langues modernes les plus usitées.

C'est donc une lacune dans l'enseignement de notre école militaire qui jouit cependant d'une si grande réputation en Europe. Cette observation, je l'ai entendu faire par des hommes très compétents, et c'est ce qui m'a porté à en parler ici.

La dépense ne s'élèverait pas à plus de six ou sept mille francs, et l'on aurait comblé ainsi une lacune importante dans l'enseignement de l'école militaire.

Je désirerais donc connaître les intentions de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je partage l'opinion de l'honorable M. d'Hoffschmidt.

Je crois que l'étude des langues est extrêmement utile aux élèves de l'école militaire.

On ne leur apprend dans cet établissement que les langues française et flamande.

J'avais déjà examiné cette question, et je m'étais adressé au directeur de l'école pour savoir si l'on ne pourrait pas instituer des cours de langue anglaise et de langue allemande.

Le directeur de l'école m'a répondu que le programme des études exigées des élèves était déjà si étendu pour les deux années que les élèves passaient à l'école, qu'ils avaient déjà beaucoup de peine à étudier toutes les parties de ce programme ; que cependant il étudierait la question ; qu'il fallait, pour organiser des cours de langue anglaise et allemande, changer tout le programme et les heures d'études.

La question est donc à l'examen dans ce moment. Si l'on peut la résoudre dans le sens que j'indique, j'en serai enchanté, car je crois qu'à l'époque où nous sommes il est extrêmement utile pour un officier de connaître plusieurs langues.

M. Coomans. - Le flamand avant tout.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Le flamand est enseigné à l'école ; il y a quatre cours de flamand.

M. d’Hoffschmidt. - Je suis entièrement satisfait de la réponse de l'honorable ministre de la guerre, il me semble qu'il ne peut y avoir aucune difficulté à introduire dans les études de l'école militaire l'enseignement de ces langues. Il est évident que cet enseignement ne devrait pas être aussi approfondi que d'autres matières, et que si les officiers en sortant de l'école n'emportaient que quelques notions de ces langues, ils pourraient se perfectionner ensuite.

(page 508) Cela est tellement vrai que dans le programme des examens des capitaines d'état-major se trouve inscrite l'obligation de connaître l'une des deux langues anglaise ou allemande. Or, ils ne peuvent trouver le moyen de se procurer ces connaissances dans les études qu'ils ont faites à l'école militaire.

Il y a aussi beaucoup d'ouvrages intéressants sur l'art militaire en anglais et en allemand.

Il est désirable que nos officiers d'armes spéciales puissent les étudier. Il est évident qu'à l'époque où nous vivons il n'y a pas d'éducation complète sans la connaissance des langues modernes. Cela est surtout une nécessité dans un pays comme le nôtre qui a des relations avec tous les autres pays de l'Europe.

Je serais charmé que par suite des investigations auxquelles on se livre à l'école militaire on trouvât le moyen d'organiser ces deux cours et de compléter ainsi l'enseignement.,

M. Van Overloop. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. d'Hoffschmidt se résume à demander qu'on enseigne les rudiments de l'anglais et de l'allemand à l'école militaire.

Il prétend qu'au sortir de l'école les élèves pourraient se perfectionner dans ces deux langues. Il y a, messieurs, selon moi, un moyen plus simple d'atteindre le but qu'a en vue l'honorable membre et qui ne chargerait sous aucun rapport le budget de la guerre : c'est d'engager l'honorable ministre de la guerre à développer l'enseignement du flamand à l'école militaire. Pour ceux qui connaîtront bien le flamand, l'étude de l'allemand et de l'anglais ne sera qu'un jeu.

- L'article 19 est adopté.

Article 20

« Art. 20. Dépenses d'administration : fr. 29,003 75. »

- Adopté.

Chapitre VI. Établissements et matériel de l’artillerie

Articles 19 et 20

« Art. 19.Traitement du personnel des établissements : fr. 42,660. »

- Adopté.


« Art. 20. Matériel de l'artillerie : fr. 759,500. »

- Adopté.

Chapitre VII. Matériel du génie

Article 21

« Art. 21. Matériel du génie : fr. 700,000. »

M. Beeckman. - Je me permettrai de demander à M. le ministre de la guerre si, dans son opinion, comme il l'a soutenu, il y a deux ans, à propos de la discussion de son budget, la dépense pour l’établissement des fortifications d'Anvers ne dépassera pas la somme qui a été accordée par la Chambre. Je désirerais à cet égard quelques explications.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - La question m'a été posée par la section centrale et j'ai remis une note en réponse.

M. de Renesse. - Très détaillée.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Une note très détaillé qui expose la situation des travaux d'Anvers. Si la Chambré le désire, je reproduirai cette note.

M. Allard. - Elle est imprimée.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Oui, elle est jointe au rapport. Tout le monde peut en prendre connaissance.

M. Beeckman. - Je demanderai alors à M. le ministre de la guerre s'il ne pourrait pas communiquer à la Chambre le devis estimatif officiel qui a été dressé par le génie militaire en 1859. Je crois qu'il est urgent que le pays sache à combien le coût des fortifications d'Anvers s'élèvera. Jusqu'à présent, la Chambre n'a reçu communication d'aucun document officiel. M. le ministre de la guerre nous a dit : Les fortifications d'Anvers coûteront 40 millions. Mais je voudrais bien savoir d'après quels documents il a établi que la dépense ne dépassera pas 40 millions.

Quant à moi, je le dis franchement, j'ai la certitude que la dépense ne s'élèvera pas à 40 millions, mais bien à 80 millions, et si M. le ministre de la guerre eût communiqué à la Chambre le devis estimatif officiel qui a été dressé par le génie militaire, nous aurions été probablement d'accord.

J'insiste donc pour que l'honorable ministre de la guerre veuille bien communiquer à la Chambre le devis estimatif qui a été dressé par le génie militaire.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je prends acte de ce que l'honorable M. Beeckman vient de dire que les fortifications d'Anvers coûteront 80 millions. Les devis du génie établissent que ces fortifications ne coûteront positivement que ce qui est indiqué dans la note remise à la section centrale.

Cette note renferme toutes les explications désirables. Il en résulte que le montant de l'estimation sera dépassé de 3 millions 400 et quelques mille francs, non seulement parce qu'il a fallu faire des travaux supplémentaires, dans l'intérêt de la ville d'Anvers et des communes environnantes, mais encore parce que le prix d'adjudication a dépassé de 4 p. c. les estimations du génie.

Jusqu'ici nous ne prévoyons pas d'autres augmentations. Dans des travaux d'une aussi grande importance, on accorde ordinairement un tantième pour cent de frais imprévus. Or, comme nous n'avons pas demandé un centime pour imprévus, je ne puis pas répondre qu'il n'y en aura pas pour quelques centaines de mille francs. Mais ce que je puis dire, c'est que nos devis sont exacts. Ils ont été faits très scrupuleusement, et je puis, dès aujourd'hui, vous en donner une preuve irréfutable.

Quand il s'est agi de l'expropriation des terrains, on disait que les estimations n'avaient pas le sens commun, que les expropriations coûteraient le double et le triple. Le génie avait estimé la totalité des terrains à 10,080,000 fr. environ. On ne pouvait fixer la somme au juste, car il y avait à prévoir des expropriations judiciaires.

Eh bien, malgré l'expropriation supplémentaire de 65 hectares de terrains qu'on a dû acheter pour l'établissement d'une route militaire et pour éviter des morcellements de propriétés, le chiffre total de la dépense ne s'élèvera qu'à 10,723,000 fr. et ce chiffre se réduira encore parce que l'on compte sur la revente de 12 à 15 hectares.

Vous voyez, messieurs, que ces estimations ont été faites avec soin par les officiers du génie. Or, je puis affirmer que les devis des travaux sont faits avec le même soin.

M. Beeckman. - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable ministre de la guerre que les estimations du génie militaire ont toujours été faites avec beaucoup d'exactitude ; c'est parce que j'ai cette conviction que je voudrais qu'on apportât à la Chambre les devis estimatifs dressés par le génie militaire. Ce n'est pas M. le ministre de la guerre qui a fait ces devis ; je demande qu'ils nous soient communiqués ; alors la Chambre saura à quoi s'en tenir.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ces devis sont très volumineux, parce qu'il y a des estimations spéciales pour chaque partie du travail. Si la Chambre veut que je les dépose sur le bureau, je le ferai.

M. Beeckman. - Je demande que la Chambre décide. Puisque l'honorable ministre accepte ma proposition, je suis satisfait.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si l'honorable M. Beeckman veut venir examiner ce travail au département de la guerre, je le mets à sa disposition, comme je le mets à la disposition de tous les membres qui voudraient en avoir communication,

M. Beeckman. - J'accepte. Je suis satisfait.

M. Goblet. - Je demanderai à l'honorable ministre de la guerre si dans les outils livrés aux soldats qui travaillent aux fortifications d'Anvers, il n'en est pas qui appartiennent au matériel du génie et qui ont été pris dans les magasins de l'Etat.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Parmi les outils et les objets qui ont été livrés aux soldats travaillant aux fortifications d'Anvers, il y en a qui appartiennent au génie militaire ; les autres sont fournis par les entrepreneurs aux prix déterminés par les tarifs annexés au cahier des charges.

- L'article est adopté.

Chapitre VIII. Pain, fourrage et autres allocations

Article 22

« Art. 22. Pain: fr. 1,782,722 55.”

- Adopté.

Article 23

« Art. 23. Fourrages en nature : fr. 2,983,072 30. »

M. Coomans. - Je crois pouvoir demander la parole sur le chapitre VIII pour présenter quelques observations à la Chambre, au sujet d'une charge militaire très sensible et très arbitrairement répartie.

Messieurs, je viens insister encore sur un abus que n'est pas nouveau, hélas ! mais qui n'en est pas moins fâcheux.

Maintes fois je me suis plaint des logements militaires et des charges si lourdes et si dures qu'ils font peser sur certaines parties de nos populations. Tout récemment, les conseils communaux de Moll et de Meerhout nous ont demandé une augmentation de l'indemnité dérisoire qui est aujourd'hui accordée pour ces logements.

Grâce à une obligeante communication de l'honorable M. Vander Donckt, je puis vous rappeler que la même réclamation nous avait déjà été adressée par les conseils communaux et par des habitants de Saint-Trond, de Coursel et de Beverloo.

(page 509) Des suppliques plus radicales nous ont été* adressées par de nombreux habitants de Namur, de Wavre, de Gembloux, de Ligny, de Tongrinne, de Sombreffe, et aussi de Hasselt, de Quaedmechelen, d'Oostham, de Heppen, d'Exel, de Hechtel, de Baelen, d'Olmen, etc., qui sollicitent tous la suppression des logements militaires.

La plupart de ces pétitions ont été rédigées et signées par les conseils communaux eux-mêmes. J'en lirais des extraits si je ne craignais d'abuser de la bienveillante attention que me prête la Chambre. On y trouverait la preuve que les logements forcés de la troupe sont partout impopulaires pour diverses raisons, dont la principale est la perte d'argent qu'ils imposent aux familles. Les familles qui ne logent pas les soldats, soit parce que les lits manquent, soit parce qu'elles se composent de femmes, les envoient à l'auberge, et elles sont alors obligées de payer 2 à 3 francs par homme.

J'ai été témoin de cette iniquité. J'ai même vu des chefs de famille qui ont dû coucher sur la paille après avoir donné leur lit aux soldats.

Il est à peine besoin de vous le démontrer, messieurs, les plaintes des pétitionnaires sont parfaitement fondées, d'abord, parce que les logements militaires sont une gêne réelle, une sorte de violation plus ou moins illégale du domicile et surtout parce que l'indemnité payée par le gouvernement est insuffisante, ridicule.

Quand le soldat a déjeuné, dîné, soupe et logé chez un paysan, celui-ci reçoit par jour 74 centimes pour tout cela ! Le chiffre du prix de la journée d'entretien dans nos dépôts de mendicité est beaucoup plus élevé. (Interruption.)

J'espère que M. le ministre des affaires étrangères en conviendra, je pourrais au besoin le prouver par des chiffres officiels que j'ai sous la main.

Cette prétendue indemnité a été allouée à une époque où l'on pouvait croire qu'elle était à peu près équitable, mais aujourd'hui que le prix des denrées alimentaires s'est beaucoup élevé ; comme nous le savons tous, aujourd'hui qu'il est doublé, on ne peut pas soutenir avec vérité et équité que l'indemnité est convenable.

Or toute indemnité doit être juste et même préalable, c'est la Constitution qui le veut. Celle-ci n'est pas juste et elle n'est pas préalable. Cette indemnité dérisoire est payée par fois très longtemps après qu'elle a été si justement méritée.

Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, moi et d'autres nous avons souvent élevé la voix contre le criant abus que je signale. Chaque fois, si mes souvenirs sont exacts, le gouvernement a reconnu le fondement de nos réclamations, et il a promis de restreindre autant que possible les logements militaires et même, si j'ai bonne mémoire, un ministre a promis un jour d'examiner la question de savoir si l'indemnité était suffisante.

J'ai sous la main la réponse écrite que nous a adressée, dans la séance du 13 février 1855, le ministre de la guerre de l'époque, l'honorable général Anoul. Il a reconnu, dans les termes les plus formels, que les logements militaires sont une charge très lourde pour les populations et il s'est engagé vis-à-vis de la Chambre, à restreindre, autant que possible, le mal, en supprimant la plupart des logements militaires. L'honorable ministre faisait particulièrement allusion à la cavalerie. Il s'est engagé à ne plus placer d'escadrons chez les villageois.

Messieurs, cette excellente promesse, comme bien d'autres, n'a pas été tenue. Il me peine, pour le gouvernement et pour la Chambre, d'avoir à le constater. Je demande d'abord à l'honorable ministre de la guerre de diminuer autant que possible les logements militaires. Je fais cette demande sous toutes réserves, car il ne m'est pas prouvé que les logements militaires soient légaux, mais enfin je veux bien pour le moment ne pas examiner le point de savoir si on les impose au public en vertu d'une loi.

Je demande en deuxième lieu à l'honorable ministre que sans retard et sans nouvel ajournement, il prenne l'initiative d'une augmentation de l'indemnité de 74 centimes dont je parle. (Interruption.) Je le répète, l'indemnité est de 74 centimes par jour ; elle est complètement dérisoire ; elle constitue une véritable expropriation du bien des citoyens, avec cette circonstance aggravante que les familles ainsi rançonnées n'appartiennent généralement pas aux classes aisées. Ce sont presque toujours de petits cultivateurs mal logés et mal nourris eux-mêmes que l'on contraint à céder leur indispensable mobilier et leurs maigres repas à des intrus pourvus de plus d'appétit que d'argent.

J'aime à croire que M. le ministre va leur donner la satisfaction qu'ils attendent depuis si longtemps.

L'Etat ne peut pas refuser à de pauvres gens le payement de leurs débours et de leurs peines quand il se livre à tant d'énormes dépenses où le luxe joue un si grand rôle.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'indemnité de 74 centimes a été fixée, si j'ai bonne mémoire, par une loi ; je ne puis donc pas l'augmenter.

M. Coomans. - Par le budget.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Toujours est-il, messieurs, qu'aujourd'hui les logements militaires sont excessivement rares, parce qu'on fait presque toujours voyager les troupes par le chemin de fer. Aujourd'hui les communes n'ont guère de logements militaires à supporter, que lorsque les troupes vont au camp de Beverloo ; parce qu'il est difficile de transporter la cavalerie et l'artillerie par le chemin de fer ; mais en général le logement de la cavalerie n'est pas considéré comme une charge par les habitants de la campagne, parce que le fumier des chevaux leur reste et constitue pour eux une compensation.

L'honorable M. Beeckman m'a demandé s'il n'y aurait pas lieu d'augmenter le crédit alloué pour les fortifications d'Anvers ; je ne prévois pas, messieurs, d'autre augmentation que celle qui a été indiquée dans la note adressée à la section centrale ; mais, j'ai oublié de vous dire que nous vous demanderons une modification temporaire à un article de la loi de comptabilité pour permettre de faire le payement des travaux d'une manière différente. Mon honorable collègue M. le ministre des finances présentera ce projet de loi et vous verrez, messieurs, qu'il ne s'agit d'aucune augmentation de dépense. Il n'est question, je le répète, que d'un mode de payement plus simple et plus favorable à l'avancement des travaux.

M. Coomans. - Je regrette, messieurs, à d'avoir constaté que l'honorable ministre de la guerre ne répond pas à la question essentielle que j'ai posée. L'honorable ministre dit que les logements militaires sont peu nombreux aujourd'hui, eh ! messieurs, qu'il y en ait peu ou point, il y en a ; ce qui le prouve, ce sont les nombreuses pétitions que nous avons reçues et que nous recevons encore.

Mais n'y en eût-il que peu, ce serait trop encore, surtout aux yeux d'un représentant de la Campine, contrée qui supporte surtout la charge des logements militaires. Du reste, s'il y a peu de logements militaires, pourquoi ne pas les payer équitablement ? La charge pour le budget sera d'autant moindre.

D'ailleurs, ce n'est pas justifier une injustice que de prouver qu'elle ne frappe qu'un petit nombre d'individus. Quel que soit le nombre des victimes, vous n'avez pas le droit de les exproprier, de les vexer, de les ruiner.

Voilà, sur le nombre des logements, les observations que j'avais à faire ; mais ces observations, dans mon esprit, n'étaient que secondaires. Je ne venais pas solliciter du département de la guerre une indemnité pour les logements militaires qui ont déjà eu lieu ; je me plaçais au point de vue de l'avenir ; et j'ai demandé formellement à M. le ministre de la guerre si son intention était de réformer l'état actuel des choses. L'honorable ministre m'a répondu que le chiffre de l'indemnité avait été alloué par une loi, que par conséquent il ne pouvait pas l'augmenter. Eh bien, je suis heureux d'apprendre à M. le ministre qu'il a plus de pouvoir qu'il ne le pense ; il lui suffirait de proposer un amendement à son budget pour me donner pleine et entière satisfaction ; attendu que son budget est une loi, et malheureusement une loi très grosse, très importante, très absorbante et, selon moi, très ruineuse pour le pays.

J'insiste sur ce point essentiel.

Le gouvernement commet une grave injustice, il la commet depuis de longues années, en n'indemnisant pas convenablement tous les citoyens belges qu'il transforme en cabaretiers pour les besoins de l'armée.

- Un membre. - Le métier n'est pas mauvais.

M. Coomans. - Tout le monde n'a pas cette vocation-là.

II y a là une injustice flagrante, à moins que M. le ministre de la guerre ne me démontre, et je l'en défie, que la journée d'entretien des soldats ne coûte pas plus de 75 centimes aux citoyens belges qui sont requis de les loger. Comme ces citoyens figurent parmi les moins aisés de la Belgique, c'est une raison de plus pour moi de présenter ma réclamation.

J'adjure le gouvernement de supprimer la longue iniquité que je lui signale, et de porter à 1 fr. 50 c. environ l'indemnité dont il s'agit.

J'appellerai aussi son attention sur l'indemnité due pour le logement de MM. les officiers ; cette dernière indemnité à cet égard reste aussi dans le vague et l'arbitraire. Il sera bon que M. le ministre de la guerre la règle équitablement, afin que les officiers et les citoyens sachent à quoi s'en tenir.

(page 510) M. Goblet. - Messieurs, mon intention n'est pas de parler des logements militaires ; je veux seulement relever les quelques paroles que M. le ministre de la guerre a prononcées, en terminant sa réponse à l'honorable M. Coomans.

L'honorable ministre de la guerre a parlé d'un petit changement à la loi sur la comptabilité de l'Etat, pour rendre plus facile l'achèvement des travaux d'Anvers. Cette allusion est transparente pour ceux qui connaissent ce que la Chambre va être appelée à faire ; mais elle ne l'est pas pour ceux qui ne sont pas au courant.

Ce n'est pas incidemment qu'un pareil projet de loi doit être présenté ; ce n'est pas incidemment qu'on doit amener un changement à la loi sur la comptabilité de l'Etat, alors que ce changement aura pour résultat une avance faite à une société soumissionnaire dans des conditions normales et qu'il ne faut pas rendre exceptionnelles, sans motifs sérieux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est tout à fait prématuré de discuter le projet de loi auquel mon honorable collègue a fait allusion, et que le gouvernement se propose de soumettre à la Chambre. Du reste, ce projet n'a pas la portée que lui suppose l'honorable préopinant.

M. Goblet. - Nous verrons.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute ; vous aurez à l'examiner et à le discuter ; mais, dès maintenant, et sans le connaître, vous prétendez le discuter... (Interruption) ... vous le qualifiez, vous le jugez et le condamnez d'avance...

M. Goblet. - Je vous demande pardon, j'ai dit seulement que le projet de loi ne doit pas être présenté d'une manière incidente.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'a pas été présenté, mais annoncé. (Interruption) ... Attendez, au surplus, que la proposition soit introduite ; nous la soumettrons à la Chambre par un projet de loi régulièrement formulé, signé par le Roi, contresigné par un ministre, et que la Chambre aura à apprécier.

Voici d'ailleurs, messieurs, de quoi il s'agit : Aux termes de l'article 20 de la loi sur la comptabilité de l'Etat, aucun payement ne peut être effectué que pour un service fait et accepté. La compagnie qui exécute les travaux d'Anvers a fait remarquer que l'application rigoureuse de cette disposition avait pour effet de la contraindre à immobiliser des capitaux considérables, parce que les travaux sont divisés en une foule de sections ; elle a ainsi, en outre, à disséminer sur tous les chantiers beaucoup de matériaux, des approvisionnements de toute nature, pour lesquels elle ne peut recevoir aucune espèce de payement. Le gouvernement s'est absolument refusé à faire le moindre payement en dehors des règles tracées par la loi sur la comptabilité de l'Etat. Maintenant il pense qu'au point de vue de l'équité, et pour obtenir un plus prompt achèvement des travaux, il n'y aurait pas le moindre inconvénient à permettre de faire des payements à compte sur les travaux qui s'exécutent â Anvers. Cette disposition sera soumise à la Chambre, qui l'appréciera lorsqu'elle lui sera régulièrement présentée.

M. Goblet. - Messieurs, je n'ai pas voulu le moins du monde incriminer ou discuter le projet de loi qui nous est annoncé. Seulement, j'ai fait observer que de la manière dont s'était exprimé l'honorable général Chazal, il paraissait n'attacher qu'une très médiocre importance à ce projet ; qu'il s'agissait uniquement d'un tout petit changement à la loi sur la comptabilité de l'Etat. Quant à moi, je vois dans ce tout petit changement à la loi sur la comptabilité matière à de longues et sérieuses discussions.

D'après ce que vient de nous dire l'honorable ministre des finances, ce n'est pas seulement une question spéciale, moins encore une question d'intérêt général. Ce n'est pas une petite question dont la solution paraît toute naturelle. La loi sur la comptabilité astreint les soumissionnaires à rester strictement dans les conditions de la soumission qu'ils ont faite en concurrence avec d'autres et qu'ils connaissaient à l'avance, et vous ne pouvez pas, sous un prétexte banal, en changer les conditions.

Je dis, sans vouloir en quoi que ce soit me prononcer sur le fond de la question, que le projet de loi doit être justifié par des motifs tout autres que ceux qu'on a fait valoir tout à l'heure.

M. Beeckman. - Je me permettrai de demander à M. le ministre des finances pour quels motifs le gouvernement n'a pas annoncé des conditions plus favorables pour l'adjudication des travaux d'Anvers. S'il n'avait pas fallu de grands capitaux, qui pouvaient aller de 7 à 8 millions, il y aurait eu peut-être sept ou huit concurrents. La nécessité d'avoir à sa disposition des capitaux considérables, est la seule cause pour laquelle il s'est présenté si peu de concurrents. Si vous aviez annoncé dans votre contrat la proposition que vous allez soumettre à la législature, le gouvernement aurait réalisé peut-être des millions de bénéfices.

Vous avez écarté un grand nombre de concurrents, uniquement parce que vos conditions étaient très défavorables, et aujourd'hui qu'il se présente une société très importante laquelle est intéressée je ne sais à quel titre, vous allez proposer à la Chambre de lui accorder des conditions plus avantageuses.

Cela ne s'est jamais fait en Belgique.

A Diest, on a fait des travaux dans les mêmes conditions qu'à Anvers ; on en a fait pour 10 millions. M. le ministre de la guerre, qui était alors aux affaires, n'est pas venu proposer à la Chambre de changer ces conditions d'une manière avantageuse pour les entrepreneurs.

Il y a eu, à Diest, des entrepreneurs qui ont fait des avances d'un million.

Et vous n'avez pas dit à ces entrepreneurs : Je ne veux pas que vous fassiez ces avances.

Aujourd'hui, parce que c'est une société plus importante, parce que les travaux sont plus considérables, vous voulez accorder un avantage à cette société. Je trouve que cela est injuste, et si la Chambre juge convenable de l'accepter, je serai obligé, pour ce qui me concerne, de m'y opposer.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. Je crois que ce n'est pas le moment de discuter cette question. Quand vous aurez le projet de loi, vous pourrez l'examiner et le discuter dans tous ses détails. Je ne veux, pour le moment, que répondre quelques mots à l'honorable M. Beeckman. L'honorable membre dit que si l'on avait présenté un projet de loi d'après lequel il n'eût point fallu un cautionnement d'un million, on aurait trouvé une quantité d'adjudicataires.

Messieurs, les travaux d'Anvers ont été d'abord mis en adjudication par lots et il ne s'est trouvé qu'un seul adjudicataire demandant 34 1/2 pour cent de plus que le prix d'adjudication.

M. Sabatier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je dois faire remarquer à là Chambre que nous assistons ici à une conversation à laquelle le plus grand nombre d'entre nous ne comprennent absolument rien. Il paraît qu'il y a un projet de loi que quelques-uns d'entre vous connaissent et dont ils interprètent à l'avance les dispositions. Il faut évidemment que nous soyons tous à même de juger en connaissance de cause, et c'est pourquoi je demande par motion d'ordre que ces conversations cessent.

M. H. Dumortier. - Elles ont cessé, c’est vous qui les renouvelez.

M. Sabatier. - C'est une simple observation. On me dit qu'elles ont cessé ; je suis satisfait.

M. H. Dumortier. - Je constate comme l'honorable M. Coomans que M. le ministre de la guerre n'a pas répondu d'une manière satisfaisante à l'interpellation qui lui a été faite concernant les logements militaires.

Il est à remarquer, messieurs, que c'est presque toujours aux mêmes contribuables qu'on demande ce sacrifice, de façon que cette dépense, qui est en elle-même minime, devient par sa fréquente répétition une lourde charge, une véritable corvée. La preuve de ce que j'avance, c'est qu'il y a des réclamations non pas seulement de particuliers, mais de conseils communaux. Je ne comprends pas que l'on fasse des réponses plus ou moins vagues quand un membre pose une question d'une manière aussi équitable, aussi catégorique.

J'aime beaucoup mieux qu'un ministre dise : Je ne puis faire ce que vous demandez, que de le voir chercher à payer de mots et de phrases, à répondre d'une manière évasive.

Je demanderai donc, comme l'honorable M. Coomans, à l'honorable ministre s'il croit qu'il pourra nous soumettre un projet de loi ou prendre une mesure quelconque afin que les pauvres paysans qui élèvent des plaintes, si justes, si légitimes, au sujet des logements militaires reçoivent satisfaction. Si cela n'est point possible, que M. le ministre le dise, mais que nous sachions au moins à quoi nous en tenir.

M. le président. - Demain, en tête de l'ordre du jour, figurent les rapports de pétitions et les demandes de naturalisation.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.