(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 441) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Verhoevcn demande une indemnité du chef des détériorations qu'a subies sa propriété dite Papenhof, à Deurne, par suite des travaux de fortifications. »
M. de Boe. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du rapport de la commission des pétitions sur les servitudes militaires.
- Adopté.
« L'administration communale de Hersselt demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Rose, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« La veuve du sieur Dalle, décédé employé de marine, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Renaux, Michel, et autres membres du comité central de la Société des combattants de septembre, demandent qu'on leur accorde une médaille commémorative pour services rendus en 1830. »
- Même renvoi.
« Un grand nombre de négociants, à Bruxelles, se plaignent des vexations de la douane dans l'exécution du traité franco-belge. »
M. Goblet. - Messieurs, cette pétition, appuyée par plus d'un millier de notables commerçants de Bruxelles, mérite une attention toute spéciale. J'en proposerai le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Hymans. - Messieurs, je crois qu'il vaudrait mieux renvoyer cette pétition, qui concerne une question spéciale, à la commission permanente de l'industrie ; les réclamations des pétitionnaires pourront être appréciées d'une manière plus prompte et plus complète.
M. Goblet. - Je suis prêt à me rallier à la proposition de l'honorable M. Hymans, bien entendu que la question sera promptement jugée et vidée. Le plus prompt moyen sera le meilleur.
M. le président. - MM. Hymans et Goblet proposent le renvoi de la pétition à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Salvador Morhange, consul général de Belgique en Australie, né à Vio (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. Jouret, à qui sa santé ne permet pas encore de s'occuper sérieusement des travaux de la Chambre, demande un congé de 15 jours. »
- Accordé.
« M. Carlier, retenu chez lui par une indisposition, demande un coupé. »
- Accordé.
« Art. 55. Prison cellulaire à Mons.—Travaux de construction. Charge extraordinaire : fr. 75,000. »
- Adopté.
« Art. 56. Maison de sûreté de Gand. Appropriation du quartier pour la maison de force. Charge extraordinaire : fr. 100,000. »
M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé en section centrale un changement de libellé à cet article et une augmentation de 50,000 fr.
L'article serait ainsi conçu :
« Agrandissement de la maison de force de Gand et appropriation nouvelles ; incorporation de l'ancienne maison de sûreté : fr. 150,000 fr. »
M. Laubry, rapporteur. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice, en transmettant à la section centrale les explications et observations qu'il avait à donner aux questions qui lui avaient été adressées, lui a fait connaître que son intention était de demander, pendant la discussion du budget, que l'allocation de 100,000 fr., pétitionnée à l'article 56, pour construction et appropriation à la maison de force de Gand, fût augmentée de 50,000 fr. et le libellé de cet article arrêté comme suit :
« Agrandissement de la maison de force de Gand et appropriations nouvelles ; incorporation de l'ancienne maison de sûreté, 150,000 francs. »
Pour justifier cette augmentation de crédit M. le ministre delà justice a fait valoir les considérations suivantes :
« Il existe encore, en quelque sorte, dans le périmètre de la prison de Gand et joignant le chemin de ronde, trois maisons qui le dominent en partie et qui menacent la sûreté de l'établissement ; leur acquisition a été proposée depuis longtemps par la commission administrative ; deux de ces maisons, joignant la porte du chemin de ronde, sont des cabarets qui servent de lieu de réunion aux détenus libérés et à une classe de gens qu'il est préférable d'éloigner de la prison ; lors de la dernière grève, les ouvriers s'y réunissaient, ainsi que les familles de ceux qui étaient incarcérés. »
Ce sont ces motifs qui ont décidé l'honorable chef du département de la justice à faire l'acquisition de ces trois maisons, au prix de 36,500 fr. les trois, et c'est pour couvrir cette dépense et une partie de celles à faire ultérieurement, que cette augmentation de crédit de 50,000 francs a été demandée.
La section centrale après examen a trouvé les explications de M. le ministre satisfaisantes et s'est ralliée à sa proposition. Elle vous propose en conséquence de voter l'article 56 libellé comme suit :
« Agrandissement de la maison de force de Gand et appropriations nouvelles ; incorporation de l'ancienne maison de sûreté, 150,000 francs. »
- Adopté.
« Art. 57. Honoraires et indemnités de rouleaux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions. Charge extraordinaire : fr. 22,000. »
- Adopté.
« Art. 58. Traitement et frais de route du contrôleur des constructions dans les prisons. Charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 59. Achat du mobilier des prisons : fr. 47,000. »
- Adopté.
« Art. 60. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 500,000 »
- Adopté.
« Art. 61. Gratifications aux détenus : fr. 170,000. »
- Adopté.
« Art. 62. Frais d'impression et de bureau : fr. 5,000. »
- Adopte.
(page 442) « Art. 63. Traitements et tantièmes des employés : fr. 96,800. »
- Adopté.
« Art. 64. Mesures de sûreté publique : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Art. 63. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000.
« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »
- Adopté.
M. le président. - Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, nous passerons immédiatement au second vote de l'amendement introduit à l'article 39.
Il s'agit d'un chiffre nouveau de fr. 50,000 porté aux charges extraordinaires et temporaires et d'un changement de libellé conçu comme suit à la fin du paragraphe : « Complément de l'enquête sur la bienfaisance. » Cela fait en tout, fr. 150,000.
- L'amendement est définitivement adopté.
- Un membre. - Et les 50,000 fr. à l'article 56 ?
M. le président. - Les 50,000 fr. ne doivent pas être mis aux voix, parce qu'ils ont été proposés en section centrale. Ce n'est pas un amendement.
Il ne reste plus à voter que l'article unique qui se trouve augmenté maintenant de fr. 80,000.
« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1862, à la somme de treize millions deux cent quatre-vingt mille cent dix-sept francs (fr. 13,280,117), conformément au tableau ci-annexé.
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal. Le budget est adopté à l'unanimité des 73 membres présents.
Ce sont : MM. Braconier, Coomans, Coppens-Bove, Crombez, Dautrebande, Debaets, de Baillet-Latour, de Boc, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, de Gottal, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Jacquemyns, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Magherman, Mercier, Moncheur, Muller, Notelteirs, Orban, Orts, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Wasseige, Allard, Ansiau et E. Vandenpeereboom.
M. le président. - Deux pétitions ont été renvoyées à la section centrale, l'une présentée par MM. les juges de paix des cantons de Boussu, de Dour, de Pâturages et de Chièvres, qui font valoir des considérations sur l'insuffisance de leurs traitements et demandent que la Chambre porte au prochain budget de la justice l'allocation nécessaire pour augmenter les traitements des juges de paix des cantons ruraux.
La section centrale propose le renvoi de cette première pétition à M. le ministre de la justice en la recommandant à sa bienveillante attention.
L'autre pétition est adressée par les membres du conseil communal, par la fabrique de l'église et par des habitants de la commune de Bolland, qui demandent le rétablissement d'un vicaire.
La section centrale propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces deux propositions sont adoptées.
M. le ministre de la justice (M. Tesch) (pour une motion d’ordre). - Après les budgets de la guerre et de l'intérieur il n'y a plus à l'ordre du jour d'objets bien importants ou du moins qui donnent lieu à de longues discussions. Je demanderai donc, messieurs, qu'on y porte dès maintenant le Code pénal. Il est bien entendu, toutefois, que si des rapports étaient faits sur les budgets des affaires étrangères et des travaux publics avant qu'on pût aborder la discussion du Code pénal, ces budgets seraient examinés avant tout autre objet. En procédant ainsi, nous pourrions espérer de terminer bientôt la discussion du Code pénal.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Des changements ont été apportés au budget primitif, ils sont indiqués à la page 2 du rapport. C'est sans doute d'accord avec le gouvernement que ces changements ont été introduit ? (Oui ! oui !) La discussion s'ouvrira donc sur les chiffres portés à la page 2 du rapport.
M. Rodenbach. - J'aurai une question à adresser à M. le ministre, relativement à la position d'un chef de musique, du sieur Bender.
Il a 42 ans de service, et malgré les éminents services qu'il a rendus, car sa réputation est très répandue ; partout en Hollande, en France aussi bien qu'en Angleterre on a trouvé que son corps de musique était un des plus distingués qu'il y ait en Europe ; cet homme qui a donné des preuves d'un talent réel, n'a que le grade de simple soldat.
Je demande si un homme qui a rendu des services depuis 42 ans, directeur de la musique militaire du Roi, qui ,s'il devenait malade ou infirme, n'aurait que la pension de simple soldat, peut être considéré comme convenablement traité dans un pays comme la Belgique, qui protège les arts et les hommes de mérite ?
On ne peut pas maintenir un pareil état de choses. En Autriche et en Russie, les maîtres de musique ont rang de capitaine. En France on assimile les maîtres de musique, d'après leur temps de service, aux grades de sous-lieutenant, lieutenant et capitaine. Celui du régiment des guides est simple soldat.
Dans les régiments de ligne, les maîtres de musique ont rang de sous-officier, et quand ils demandent leur retraite, ils sont pensionnés comme sous-officiers.
M. le ministre comprendra que cette irrégularité doit disparaître et qu'il faut rendre justice à un homme remarquable sous tous les rapports, connu dans toute l'Europe.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Personne n'apprécie plus que moi le talent de M. Bender ; c'est, h mon avis, un artiste très remarquable. En Belgique, les chefs de musique de l'infanterie ont rang d'adjudant sous-officier ; ceux de la cavalerie, rang de trompette-major, et c'est sur ce point que se règle le chiffre de leur pension.
Si l'intention de la Chambre était de prendre une mesure exceptionnelle en faveur de cette catégorie de militaires, je n'y ferais certainement pas opposition.
Quand on présentera la loi, ayant pour but d'améliorer la position des officiers et des sous-officiers de l'armée, ce sera le moment, je pense, de s'occuper de celle des chefs de musique, et il est probable qu'ils seront mieux traités qu'il ne le sont actuellement. Je dois faire remarquer cependant que les musiciens et les chefs de musique n'ont pas généralement une position aussi malheureuse qu'on le pense ; en dehors de leur service, ils peuvent utiliser leur talent, soit comme instrumentistes, soit comme professeurs particuliers.
Quant à M. Bender, qui a un talent et une position exceptionnels, j'accueillerai avec plaisir tout ce que la Chambre voudra faire pour lui ; mais je ne puis prendre l'initiative et m'écarter, même en sa faveur, de la loi et des règlements.
M. Rodenbach. - M. Bender n'a pas même les avantages des maîtres de musique des régiments de ligne qui ont le grade d'adjudant ; sur les contrôles du régiment des guides, il ne figure que comme simple soldat. Je le répète, s'il devenait malade ou infirme, il ne serait retraité que comme simple soldat ; tandis que dans les régiments les maîtres de musique figurent sur le contrôle des sous-officiers, lui est simple soldat.
Je demande qu'on prenne une mesure quelconque en faveur de cet homme distingué.
M. Coomans. - Messieurs, la réforme des lois sur la milice nous a été plusieurs fois promise de la manière la plus solennelle, c'est-à-dire dans les discours prononcés par le Roi devant les deux Chambres. En novembre dernier encore. le même engagement a été pris. J'aime à croire que l'intention bien arrêtée du gouvernement est de rendre cette promesse très sérieuse en nous saisissant le plus tôt possible du projet de loi promis.
Il est vraisemblable que telles sont les intentions du gouvernement, car sans cela je ne comprendrais pas l'insertion dans le dernier discours du Trône de la promesse non équivoque à laquelle je viens de faire allusion. Cependant je prie le gouvernement de me donner l'assurance qu'il déposera le projet de loi de réforme de notre législation sur la milice assez à temps pour qu'il puisse être examiné et voté par les deux Chambres dans le courant de la présente session.
(page 443) Si le gouvernement me donne cette assurance, je me contenterai de présenter quelques observations de détail sur l'application de certaines dispositions de nos lois de milice, et j'ajournerai les considérations beaucoup plus longues que j'ai à présenter au gouvernement et à la Chambre.
Sinon je serai forcé, à mon grand regret, de. démontrer encore un fois, dès aujourd'hui, qu'il n'y a rien de plus urgent que la réforme de nos détestables lois de milice.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, le gouvernement, en annonçant dans le discours de la couronne, la présentation d'un projet de loi sur la milice, a bien entendu exécuter loyalement et aussi promptement que possible l'engagement qu'il prenait alors.
En arrivant au département de l'intérieur, j'ai trouvé le projet à peu près entièrement terminé, je ne puis cependant le déposer immédiatement, car je suis obligé d'étudier les dispositions nombreuses qui le composent.
Je puis cependant donner l'assurance à la Chambre, que d'ici à une époque peu éloignée, j'aurai l'honneur de déposer ce projet sur le bureau et la Chambre pourra, je l'espère, le discuter et le voter en temps opportun, comme le demande l'honorable membre.
M. Coomans. - Je suis complètement satisfait de la réponse que veut bien me donner l'honorable ministre de l'intérieur. Je ne suis pas surpris que le gouvernement soit en mesure de remplir à cet égard ses engagements puisque, il y a deux ans, deux honorables ministres ont dit qu'eux et leurs collègues étaient d'accord sur tous les points, excepté un, de la nouvelle législation ; j'espère que ce point, quelque grave qu'il soit, aura pu être décidé depuis deux ans.
Je me bornerai donc, ainsi que je vous l'ai promis, à vous soumettre quelques observations et à demander quelques renseignements à l'honorable ministre de la guerre.
Je voudrais savoir en vertu de quelle disposition légale le ministre de la guerre relient sous les drapeaux les miliciens qui n'ont pas apuré leur masse.
Vous savez tous, messieurs, que les congés sont accordés arbitrairement et, selon moi, illégalement. J'y reviendrai.
Mais je ne comprends pas que le gouvernement maintienne une peine que nous avons abolie.
Je m'explique.
Au civil, nous avons aboli l'emprisonnement pour des dettes inférieures à la somme de 200 fr. Nous avons cru qu'il est inconvenant, inhumain d'emprisonner des personnes pour des sommes assez faibles et nous avons fixé le chiffre de 200 fr.
J'aurais désiré que le département de la guerre s'inspirât des sentiments généreux que le gouvernement et les Chambres ont montrés en cette circonstance.
Il n'en est rien.
Le département de la guerre exerce la contrainte par corps non seulement pour des sommes de 200 fr., mais pour des sommes bien moindres. Je ne crois pas me tromper en parlant de 10 à 20 fr.
Le maintien sous les drapeaux de soldats d'ailleurs irréprochables qui n'ont pas apuré leur masse, c'est-à-dire, qui ont contracté non volontairement mais forcément de petites dettes de 10 à 50 francs, même davantage, est une véritable contrainte par corps et cette fois la contrainte est injustifiable.
A certains points de vue, on pourrait soutenir qu'il n'était pas injuste ni impolitique de forcer corporellement le citoyen belge à s'acquitter envers son créancier pour des dettes volontaires. On pourrait même dire que la contrainte par corps était favorable au petit débiteur. En effet, il saute aux yeux que la disparition de la contrainte par corps a dû rendre les créanciers plus difficiles, plus exigeants et les prêts plus rares.
Mais il en est tout autrement en matière militaire. Ce n'est pas volontairement que le soldat a contracte des dettes, mais c'est bien involontairement, c'est par force majeure.
Cela est si vrai que l'honorable ministre de la guerre reconnaîtra avec moi qu'il est impossible au soldat belge, le plus rangé, le plus sobre, de ne pas contracter des dettes à son régiment. Je le répète, cela est impossible, la solde du soldat étant notoirement insuffisante, vous l'avez dit, vous le direz encore, parce que vous ne nierez pas la vérité. Vous forcez le soldat à contracter des dettes, et vous exercez contre lui la contrainte par corps.
Je demande encore en vertu de quelle disposition légale ce fait se produit et se maintient en Belgique.
Quant à moi, je crois avoir lu à peu près toutes les lois et tous les règlements en matière de conscription et de recrutement militaire, et je n'ai trouvé inscrite nulle part la faculté que s'adjuge le gouvernement de contraindre par corps les miliciens qui ont une dette à leur masse d'habillement..
M. le ministre de la guerre ne niera pas les faits auxquels je fais allusion, car il me serait facile de lui mettre sous les yeux les espèces de circulaires ou les avertissements adressés aux parents des soldats, pour les avertir que lesdits soldats n'obtiendront pas leur congé, tant qu'eux ou leurs familles n'auront pas acquitté les dettes forcées dont je parle.
La loi de 1817 n'établit aucune distinction à cet égard. Si M. le ministre de la guerre a à invoquer des règlements, des arrêtés royaux, peut-être, je ne me déclarerai pas satisfait, attendu qu'en Belgique, Dieu merci, aucun règlement, aucun arrêté ministériel ou royal n'est valable que s'il est conforme à une loi.
Messieurs, la législation sur la milice que nous subissons, porte en termes formels que l'armée se compose de volontaires, que ce n'est qu'à défaut de volontaires que le gouvernement et les Chambres peuvent avoir recours aux appels forcés par voie de tirage au sort. Telle est la règle.
Aucune loi postérieure à celle de 1817 ne l'a modifiée à ma connaissance. L'armée belge se compose, doit se composer de volontaires ; c'est le vœu du législateur.
Or, messieurs, qu'arrive-t-il ? Vous ne le croirez pas ; le gouvernement refuse les volontaires ; il trouve qu'il y en a trop ; il en a limité le nombre. Et chose singulière, je dois reconnaître qu'il avait raison et qu'il devait agir de la sorte.
En effet, un officier supérieur, très distingué de notre armée m'a prouvé que si on recevait trop de volontaires, que s'il y en avait beaucoup plus qu'il y en aujourd'hui, que si par exemple on trouvait 30,000 volontaires en Belgique, notre armée serait impossible, attendu qu'il n'y aurait pas moyen d'exercer, à tour de rôle, les 70,000 autres miliciens.
Cela est assez évident. Nous sommes arrivés à cette conclusion singulière très forcée par suite de l'exagération de notre effectif militaire. Nous avons voulu une armée de 100,000 hommes, c'est-à-dire 100,000 hommes plus ou moins exercés, et le gouvernement a été en quelque sorte obligé de limiter le nombre des militaires pour faire place aux miliciens frappés par la conscription.
Je prévois une partie de la réponse qui me sera faite ; on me dira qu'on ne refuse pas les volontaires ; mais que tous ceux qui se présentent ne réunissent pas les conditions convenables de taille et de moralité pour être admis comme volontaires.
Le prétexte est ingénieux ; je sais qu'en effet les choses se passent ainsi, et que lorsque trop de volontaires se présentent, on chicane, l'un sur sa taille, l'autre sur ses antécédents, lorsque des volontaires peu instruits se présentent.
Mais il n'en est pas moins vrai que le gouvernement agit contrairement à l'esprit, au texte de la loi, en n'admettant pas tous les volontaires convenables qui viennent s'offrir, et en n'encourageant pas les engagements volontaires : chose qui est dans le vœu du législateur et tout à fait conforme au bon sens et aux instincts de liberté qui prévalent en Belgique.
Une troisième observation que j'ai à soumettre à M. le ministre de la guerre est celle-ci : en Belgique, Dieu merci encore, le grand principe social et légal, c'est l'égalité.
Or, je le trouve singulièrement froissé en ce point-ci : les miliciens qui ont tiré un mauvais numéro et qui doivent être enrégimentés, le sont de la façon la plus arbitraire.
L'un est mis dans un régiment d'infanterie, tel autre dans un régiment de cavalerie, de génie, d'artillerie, etc. Soit : je trouve qu'il y aurait des inconvénients à laisser choisir par les miliciens le régiment qui leur plairait le mieux.
Mais voici la difficulté : c'est que celui qui est incorporé dans un régiment d'infanterie est assuré d'obtenir un congé au bout d'un laps de temps assez court, un an ou un an et demi.
Celui au contraire qui est placé dans un régiment de cavalerie ou dans une autre arme spéciale est obligé d'y rester plusieurs années. Cependant son numéro n'était pas plus mauvais que le numéro du fantassin.
L'un donc devra faire un service de deux ans, 2 1/2 ans au plus, un autre de 3, de 4 ou de 5 ans et tout cela pourquoi ? parce qu'il plaît au gouvernement qu'il en soit ainsi.
Ainsi un bel homme, bien portant, solide, instruit, se trouve en face d'un petit homme ignorant, malingre, de piètre apparence.
Le bel homme, ce n'est pas sa faute s'il l'est, est condamné à 3 ou 4 ans de service parce qu'il est bel homme. On le met dans un régiment d'élite pour parader dans la capitale ou dans un régiment de génie, d'artillerie parce qu'il est bel homme et instruit.
L'autre qui a à se réjouir pour la première fois de sa vie d'être un (page 444) vilain garçon, est mis dans l'infanterie et en est quitte à très bon marché. Le remplacement de l'un sera plus difficile et plus cher que celui de l'autre. L'inégalité est choquante.
Je dis que de pareils résultats ne sont conformes ni au bon sens, ni à l'esprit de la loi.
Vous n'avez pas le droit d'exiger de tel Belge plus de service que de tel autre en vertu des mêmes dispositions légales.
Il y a plus, messieurs, c'est une étrange manière d'encourager l'instruction que celle qui a été adoptée.
Les jeunes gens instruits, ceux qui se sont donné la peine d'apprendre à lire et à écrire, dont les parents se sont imposé des sacrifices, auront à faire un service deux fois aussi long que le service imposé aux mauvais petits sujets qui ont fait l'école buissonnière et qui n'ont rien voulu apprendre. Le coût du remplaçant est aussi très différent pour les deux cas.
Vous punissez donc la bonne volonté, l'instruction au profit de la paresse, de l'ignorance. Messieurs, l'honorable ministre semble faire un signe négatif, mais j'ai ses propres lettres à l'appui de mes dires.
Quand il m'arrivait ce qui ne m'arrive plus, ce qui ne m'arrivera plus et je dirai pourquoi si on le désire, de demander un congé pour un cavalier ayant servi un an ou deux (ce cas s'est présenté assez souvent), on me répondait : Il est dans un régiment ou il faut plus de temps et plus d'instruction pour devenir bon soldat, nous ne pouvons le renvoyer si tôt. Pour un fantassin il faut moins d'instruction et on peut le congédier au bout de 15 à 18 mois.
Il y a là une différence de traitement qui me choque, et, encore une fois, je demande positivement au ministre en vertu de quelle disposition légale il maintient un tiers de nos soldats plus longtemps sous les armes que les deux autres tiers.
Je demanderai encore à M. le ministre de la guerre, et je ne crois pas fatiguer la Chambre en l'entretenant de questions sérieuses, en vertu de quelle disposition légale il distribue les congés aux soldats.
Tel soldat obtient facilement un congé, surtout s'il est un peu appuyé par l'un de nous, par moi peut-être ; tel autre n'en reçoit pas, je parle toujours de ceux à charge desquels il n'y a pas de plainte sérieuse, bien entendu ; je les suppose tous également méritants devant l'autorité militaire ; tel autre soldat est retenu plus longtemps sous les armes et ne reçoit pas de congé, à part même la question d'apurement de la masse.
Or, si je sais lire, si je comprends le texte des lois qui nous régissent, il ne devrait pas en être ainsi.
La loi de 181i7 que je ne trouve pas bonne, mais qui, hélas ! est cent fois supérieure à celle qui nous régit aujourd'hui, tirait au sort les congés.
Je ne sais depuis quand cette disposition est abolie. La loi de 1817 dit que chaque année on tirera au sort un certain nombre d'hommes dont le temps est expiré ou près d'expirer.
Là il n'y avait pas de faveur. C'était de la justice, comme il convient de la pratiquer dans un pays constitutionnel et digne de l'être.
Aujourd'hui les congés se donnent à tort et à travers selon l'influence des protecteurs du milicien.
Un bourgmestre bien vu ou un autre personnage important peut à peu près être sûr de faire rappeler dans sa commune les miliciens qu’il favorise.
Je n'en fais de reproche à personne. Je suis un des premiers coupables à cet égard, pendant de longues années j'ai assiégé les bureaux du département de la guerre pour obtenir des congés. On n'en a donné quelquefois, on m'en a refusé plus souvent ; mais un beau jour, je crois que c'est l'honorable général Chazal lui-même, on m'a prouvé que j'avais tort de demander des congés et depuis ce temps je n'en ai plus demandé qu'un seul. Il est vrai que je ne l'ai pas obtenu non plus.
Je déclare que l'opinion de M. le ministre est parfaitement juste et qu'il m'a convaincu.
Il m'a dit qu'il avait besoin constamment d'un certain effectif, qu'il lui fallait toujours 32,000 ou 33,000 hommes et que chaque fois qu'il accordait un congé à nos sollicitations importunes, il était forcé de retenir un autre homme sous les drapeaux à la place de celui que nous libérions.
Or, s'il m'est agréable de favoriser les hommes que je connais, ma conscience me défend de faire du tort à ceux que je ne connais pas, et comme chaque fois que j'obtenais un congé j'étais sûr que je l'enlevais à un autre homme, je n'en réclame plus et je demande l'abolition de la chose même, à savoir de la loterie militaire.
Une cinquième demande que je prends la liberté de poser à M. le ministre, est celle-ci :
Tous les soldats qui travaillent aux fortifications d'Anvers le font-ils volontairement ?
Je finis, messieurs, par la citation d'un fait qui est un des meilleurs arguments en faveur d'une prompte et radicale reforme de nos lois de milice.
Ces lois, j'ai eu souvent déjà l'occasion de le dire, n'ont pas cessé d'être rendues plus sévères, d'être interprétées dans un sens antilibéral, antiphilosophique, antichrétien, dans le sens le plus contraire aux intérêts de nos classes laborieuses. Un exemple entre une infinité d'autres.
La loi de 1817 exemptait du service le fils unique. On a trouvé que cette faveur était trop grande et l'on n'a plus exempté plus tard que l’enfant unique. Absurdité pyramidale, soit dit entre parenthèse, parce que, bien souvent la jeune fille qui empêche son frère de jouir de l'exemption accordée par la loi de 1817 est une charge et pour le jeune homme et pour sa famille. Ainsi, le fils unique aura une sœur de 2 ou 3 ans, maladive et pauvre, qui est à sa charge ; il n'est pas exempté, le gouvernement met la main dessus parce que et quoiqu'il ait une sœur qui a besoin de lui pour vivre. Le fils et enfant unique du riche n'aura rien à faire ni à payer du chef de recrutement militaire.
Ainsi, messieurs, on n'exempte plus que l'enfant unique ; soit, c'est la loi. Mais, croirait-on que cette disposition même est quelquefois méconnue ? Croirait-on qu'il se trouve dans l'armée des enfants uniques et qu'ils y sont contre leur gré et malgré leurs réclamations réitérées ?
Cela paraît impossible, messieurs, et, pour ma part, j'ai d'abord refusé d'y croire. Cependant rien n'est plus vrai. M. le ministre n'aura peut-être pas gardé le souvenir d'un billet que je lui ai écrit à ce sujet, il y a 3 à 4 mois, avant ma maladie. Dans ce billet je lui signalais sous forme de doute ce cas d'un Anversois, enfant unique qui, en mai dernier, a été incorporé.
Depuis lors et par la raison à laquelle je viens de faire allusion je n'ai pas pu suivre cette affaire. Il n'y a pas de quoi faire de cela un grief à ; M. le ministre de la guerre ni même, peut-être ; je le reconnais, à M. le ministre de l'intérieur sur qui M. le ministre de la guerre a rejeté la responsabilité du fait ; mais voici comment les choses se sont passées.
Cet enfant unique tire un mauvais numéro au commenc ment de l'année dernière ; il comparait devant les autorités compétentes pour y exposer, s'il y a lieu, ses réclamations. Il ne sait que le flamand, il se fait sans doute par ignorance : il n'avait pas lu la loi, c'était sa faute ; on le lui à bien prouvé. Mais, après avoir été incorporé, il apprend d'un protecteur de ses parents sexagénaires qu'il ne doit pas servir à raison de sa position d'enfant unique.
On le rend plus savant qu'il ne l'était ; on lui montre ou, tout au moins, on lui lit ce texte de la loi ; et convaincu qu'il ne doit pas servir, il croit pouvoir retourner chez lui. On l'en empêche pour ne pas diminuer d'un homme le nombre de soldats dû au ministre de la guerre.
On m'écrit d'Anvers pour me signaler le fait ; je réponds que je n'y crois pas ; on réplique que le fait est positif et on me le prouve. Là-dessus j'écris à M. le ministre de la guerre, qui a la bonté de me répondre que cela ne le regarde pas. (Interruption.) Je regrette de n'avoir pas ici cette lettre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne conteste pas.
M. Coomans. - Oh ! votre lettre était très bien faite. M. le ministre me dit que cela ne le regarde pas du tout, que le département de la guerre n'a pas à se préoccuper de l'interprétation des lois de milice ; que c'est le département de l'intérieur qui lui fournit les hommes et que je n'ai qu'à m'adresser au département de l'intérieur.
Je dis, M. le ministre, que votre lettre était bien faite ; cependant j'aurais voulu y trouver un post-scriptum conçu à peu près en ces termes : « Il y a erreur ; ce n'est pas ma faute. »
M. Allard. - Il n'en sait rien.
M. Coomans. - Le ministre ne devait pas le savoir, je le reconnais ; mais je formule le post-scriptum que j'aurais voulu trouver au bas de la lettre. « Il y a eu erreur, ce n'est pas ma faute, mais en vertu de mon pouvoir discrétionnaire en matière militaire, je donnerai une série de congés provisoires à cet homme. »
Voilà ce qu'il y avait à faire. Et pourquoi ne le pourrait-on pas ? On a donné tant de congés de complaisance à des hommes qui n'étaient pas enfants uniques et pour des raisons beaucoup moins valables que celle-ci.
Cependant, je le reconnais, légalement M. le ministre de la guerre est irréprochable.
J'allais donc m'adresser à M. le ministre de l'intérieur, ce qui est très ennuyeux surtout, quand on demande justice.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pourquoi ?
M. Coomans. - Oh ! ce n'est pas une personnalité ; je dis que c'est ennuyeux de s'adresser à un ministère quelconque, notamment par la raison qu'il est souvent difficile d'y rencontrer son monde, je ne parle pas des ministres. J'allais donc m'adresser à M. le ministre de (page 445) l'intérieur quand je reçus d'Anvers une nouvelle lettre me disant qu'on n'avait pas répondu aux réclamations présentées par la famille de l'intéressé.
Je me suis dit alors que si le département de l'intérieur ne répondait à l'intéressé pas plus que celui de la guerre, il était vraisemblable qu'on me répondrait moins encore et je n'ai plus insisté.
Du reste, quelle que soit la valeur du fait que j'ai pris la liberté de soumettre à votre attention, il prouve tout au moins qu'il y a de grands abus dans l'application de nos lois de milice et qu'il est plus que temps de les réprimer et de présenter à la législature un projet de loi qui soit en harmonie avec la justice, avec le bon sens et avec nos mœurs.
Les employés ne manquent dans aucun ministère et cependant on ne répond pas toujours aux réclamations les mieux fondées. Le Roi seul a répondu.
Ah ! une requête a été adressée au Roi et Sa Majesté a daigné répondre que cette requête avait été envoyée au ministre compétent.
Puis on s'est adressé au ministre de l'intérieur, au procureur du roi, au ministre de la guerre, on n'a pas obtenu justice, du moins ne l'avait-on pas obtenue encore en septembre. (Interruption.) L'individu s'appelle François Swerts, il est d'Anvers, de la levée de 1861. Je ne veux pas abuser de votre bienveillante attention, messieurs, je bornerai là mes observations, en attendant la réponse de M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je commencerai par donner quelques explications sur le dernier fait articulé par l'honorable M. Coo mans.
Aussi longtemps qu'un militaire n'est pas mis à la disposition de l'autorité militaire, le département de la guerre n'a pas à s'en occuper.
Mais lorsqu'un homme a été désigné, par l'autorité civile, pour le service militaire, le ministre de la guerre ne peut plus l'en exempter.
C'est après l'incorporation seulement et lorsqu'il a été régulièrement constaté par un certificat du bourgmestre de la commune, que le milicien est indispensable au soutien de la famille, que le département de la guerre peut statuer sur les demandes de congés présentées en sa faveur. L'autorité militaire ne saurait agir autrement sans s'écarter des voies légales.
Si, comme le prétend l'honorable M. Coomans, un homme a été incorporé contrairement à la loi, c'est à l'autorité compétente qu'il doit s'adresser pour réparer l'erreur.
L'autorité militaire ne pourrait instruire l'affaire elle-même ou faire des représentations à l'autorité civile, sans que son intervention soit considérée comme un empiétement du pouvoir militaire. Il n'est donc pas étonnant que le département de la guerre n'ait pas pu intervenir à propos du fait dont vient de parler l'honorable préopinant.
Quand une classe de milice est incorporée, on accorde autant de congés qu'il est possible de le faire sans nuire aux exigences du service. Il arrive journellement que des membres de la législature me signalent des miliciens dont la présence est nécessaire dans leur famille ; je demanderai à chacun d'eux s'ils m'ont trouvé une seule fois indifférent à leur réclamation et si je n'ai pas fait tout ce qui était possible pour améliorer la position des miliciens sur lesquels ils appelaient mon attention.
Je passe maintenant aux griefs articulés par l'honorable M. Coomans.
Il demande d'abord, de quel droit le département de la guerre n'accorde pas de congé aux hommes qui ont une dette à leur masse. En vertu de la loi, tous les miliciens appartiennent pour ainsi dire à l'Etat pendant huit ans, L'Etat a donc le droit de conserver ces hommes sous les armes jusqu'à ce qu'ils aient rempli toutes leurs obligations.
La solde se divise en deux parties ; l'une est versée à la masse d'habillement, l'autre est affectée à la nourriture et à la formation du denier de poche du soldat.
Un milicien qui reste longtemps sous les armes parvient, s'il a de l'ordre, à payer, au moyen de sa masse et des retenues ordinaires, l'avance de sa première mise qui lui est délivrée d'après un tarif réglementaire qu'il connaît parfaitement.
Son compte se liquide au moyen de l'allocation accordée pour la masse d'habillements et d'une retenue journalière sur sa solde. Cette mesure produit de bons résultats ; elle engage les soldats à soigner, entretenir leurs effets et à ne pas les vendre ou détériorer.
Quand il est possible de délivrer des congés de faveur, on les accorde de préférence aux soldats soigneux qui n'ont pas de dettes à leur masse d'habillement.
Mais jamais on ne retient un milicien au-delà de temps fixé par la loi. Si le département de la guerre n'agissait pas comme il le fait, il en résulterait une perte immense pour le trésor, car les soldats dépenserait toute leur solde, fort minime du reste ; ils se trouveraient dans l'impossibilité de payer l'avance qui leur a été faite pour leur habillement.
L'honorable M. Coomans trouve le régime de la loi de 1817 préférable au régime actuel, parce qu'alors les congés se tiraient au sort. Mais c’est encore ainsi que les choses se passent : quand il s'agit de renvoyer des hommes en congé par mesure générale, on excepte naturellement les soldats qui désirent rester à leur corps, parce qu'ils n'ont pas de moyens d'existence dans leur famille ; puis on tire les permissionnaires au sort parmi ceux qui désirent partir. C'est ce que j'ai fait pour la classe qui a été en partie envoyée en congé au mois de novembre. Or, on ne peut pas dire qu'il y a eu deux poids et deux mesures.
On m'a reproché d'avoir accordé des congés de 15 jours à des militaires sur les demandes de représentants appuyées d'une attestation des bourgmestres, que la présence de ces hommes était réclamée pour les travaux de la moisson ou pour venir en aide à leurs parents malades.
Mais veuillez-vous rappeler, messieurs, que l'année dernière, dans cette Chambre même et au Sénat, on m'a engagé d'accorder de semblables congés sur la demande des bourgmestres des communes à l'époque où des bras sont surtout nécessaires aux travaux des champs.
Cette marche a été suivie ; lorsque des congés ont été accordés, ils ne l'ont pas été à la légère ; mais bien pour des motifs sérieux.
L'honorable M. Coomans dit qu'en lui refusant les congés qu'il me demandait, j'ai donné pour raison les nécessités du service et de l'effectif.
Mais cette raison est péremptoire.
On tâche toujours d'accorder des congés à ceux qui y ont le plus de droits et il arrive un moment où l'on ne peut plus en délivrer sans rendre le service accablant pour ceux qui restent.
Quand on a atteint la limite de ce qu'il est possible de faire, on attend, pour délivrer de nouveaux congés, que ceux qui en ont obtenu soient rentrés. Telle est la règle.
L'honorable M. Coomans m'a demandé encore si les soldats employés aux travaux d'Anvers travaillent volontairement.
L'instruction qui a été envoyée aux corps prescrivait de désigner de préférence les soldats qui demanderaient à être employés. Or, il est arrivé que quand on a demandé trois hommes par compagnie, dans quelques-unes il s'en est présenté jusqu'à 50.
Aujourd'hui les hommes qui travaillent à Anvers considèrent comme une punition d'être renvoyés dans leur régiment ; et l'on a mis cette crainte à profit ; l'homme qui ne se conduit pas bien est renvoyé à son régiment.
M. Coomans. - Ce n'est pas flatteur pour le régiment.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vous demande pardon. Cela se comprendra si l'on considère que les soldats détachés aux travaux d'Anvers jouissent de faveurs qu'ils n'ont pas au régiment. Ils ont une haute paye et un supplément de nourriture.
On exige beaucoup d'eux, mais on les paye bien ; voilà pourquoi ils préfèrent être employés aux travaux d'Anvers. Ils y apprennent un métier qui plus tard leur permettra de gagner leur vie.
L'honorable M. Coomans prétend aussi qu'il est impossible que le soldat ne contracte pas de dettes au service. Je crois, au contraire, que le soldat qui veut bien se conduire ne commet aucun excès.
M. Coomans. -11 lui est impossible d'en commettre ; il n'a pas le sou.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - S'il est impossible que le soldat commette des excès, je suis fort étonné qu'il y ait une compagnie de discipline et que l'on soit obligé tous les jours de punir certains soldats qui se livrent à la boisson, et qui commettent des désordres.
Il est incontestable que le soldat n'est pas assez rétribué. Mais je dis que si le soldat se conduit bien, s'il ne détériore pas ses effets, s'il a de l'ordre, il peut, avec la retenue qu'on exerce sur sa solde pendant le temps qu'il passe au service, apurer sa masse.
Il est certain que si l'on envoie cet homme en congé avant l'expiration du terme ordinaire de service, il ne pourra se libérer de sa dette et devra faire des versements volontaires ; c'est, en effet, ce qui arrive souvent. Beaucoup de soldats, quand ils vont en congé, disent : Je ferai un versement volontaire pour alléger ma dette.
Mais celui qui reste trois ans sous les armes, peut payer sa dette sans devoir opérer aucun versement volontaire.
Quant à une circulaire envoyée aux parents pour les inviter de payer la dette de leur fils, je ne sais de qui elle peut émaner. Jamais je n'en ai eu connaissance et jamais, je crois, le département de la guerre n'en a envoyé une semblable.
On a dit aussi que le gouvernement refusait des volontaires. J'avoue que j'ai été bien étonné d'entendre cette accusation. Mais je m'explique comment l'honorable M. Coomans a versé, dans cette erreur.
(page 446) Lorsqu'on a fait la loi d'organisation de l'année, on a reconnu que le temps de service effectif devait être calculé de manière qu'en cas de rassemblement de l'armée tout le monde fût exercé.
Il s'ensuit que si l'on avait un très grand nombre de volontaires, on ne pourrait faire passer sous les armes un nombre de miliciens suffisant pour l'effectif du pied de guerre. On a limité le chiffre des engagements militaires dans chaque corps, mais ce chiffre n'a jamais été atteint et nous serions heureux d'y arriver. Le nombre des volontaires va tous les ans en diminuant, à cause de la prospérité du pays, tandis que la catégorie des remplaçants augmente. Mais nous faisons ce que nous pouvons pour avoir des volontaires ; la preuve, c'est que pendant mon premier ministère, j'avais fait un projet sur le remplacement, qui allouait aux volontaires de grands avantages ; malgré cela nous trouvons peu d'hommes qui s'engagent volontairement.
Le troisième reproche de l'honorable M. Coomans porte sur la grande différence de durée du temps de service dans les différentes armes. L'honorable M. Coomans prétend que lorsque le département de la guerre trouve un bel homme, selon son expression, il le condamne à servir beaucoup plus longtemps que le soldat chétif et malingre ; qu'il y a un arbitraire déplorable dans la manière dont on distribue les hommes dans les différents régiments.
Messieurs, voici ce qui se passe. Les hommes sont choisis dans les diverses provinces, en raison des qualités nécessaires pour le service des différentes armes. Si l'on reconnaît qu'un homme est chétif, peut-on, par exemple, le placer dans l'artillerie, où il sera obligé, de faire des manœuvres de force, de remuer des poids extrêmement lourds ? Mais ce serait un homme qui ne pourrait rendre aucun service, qui succomberait à la peine. Si vous prenez un homme chétif, faible, pour le mettre dans un régiment de grosse cavalerie, où il devra supporter le poids d'un casque, d'une cuirasse, je demande ce que cet homme pourra faire sous cet attirail ?
Il faut donc distribuer les hommes selon leur force dans les différents corps.
Il est vrai qu'on peut, dans l'infanterie, renvoyer un homme un peu plus tôt en congé que dans les autres armes. Pourquoi ? Parce que l'infanterie est l'arme la plus nombreuse et que l'instruction du fantassin demande moins de temps que celle du cavalier et de l'artilleur. De plus, quand le soldat d'infanterie part, il ne laisse rien derrière lui. Il remet ses armes au dépôt, et tout est dit. Mais le cavalier laisse un cheval qui doit être soigné.
Voilà pourquoi il faut souvent maintenir les cavaliers plus longtemps sous les armes. Mais ils ont d'autres avantages ; ils ont une solde plus élevée que les fantassins. Ils n'ont, par conséquent, pas à se plaindre d'être retenus un peu plus longtemps sous les armes, et, en définitive, ce n'est que l'affaire de quelques mois.
On s'est plaint aussi de ce que chaque milicien ne pût choisir son corps. Mais si on laissait à tous les miliciens le droit de choisir leur corps, vous auriez des régiments de 8,000 à 10,000 hommes et vous en auriez d'autres où il n'y aurait que les cadres.
M. Coomans. - Je n'ai pas demandé cela.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pardonnez-moi, j'ai écrit vos paroles. Mais ce qu'on fait, le voici : Lorsqu’un milicien est incorporé dans un régiment d'infanterie et demande à passer dans un autre corps, presque toujours on le lui accorde lorsqu'il n'y a pas d'obstacle sérieux pour le lui refuser.
Je crois que j'ai répondu à tout ce que l'honorable M. Coomans m'a demandé. Si j'ai oublié quelque chose, je le prierai de me le rappeler.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le fait cité par l'honorable M. Coomans m'est complètement inconnu et, probablement il est antérieur à l'époque où je suis entré au ministère. Cependant je crois pouvoir donner deux mots d'explication pour faire comprendre que le département de l'intérieur, pas plus que celui de la guerre, n'est coupable dans cette circonstance.
Si le milicien dont a parlé l'honorable M. Coomans a été indûment incorporé, il doit ne l'imputer qu'à lui-même. Les miliciens doivent faire valoir les motifs d'exemption qu'ils peuvent produire ; on ne les fait pas valoir d'office pour eux. Il faut de plus qu'ils fassent valoir ces motifs d'exemption en temps utile, c'est-à-dire devant le conseil de milice. Si ce conseil ne fait pas droit à leurs réclamations, les miliciens ont leur recours à la députation et en dernier lieu au Roi. Mais lorsque la question est jugée en dernier ressort, et surtout lorsque le milicien est incorporé, le département de l'intérieur ne peut plus rien.
Toutefois lorsque des réclamations du genre de celles dont a parlé l'honorable membre arrivent au département de l'intérieur, et lorsque le ministre reconnaît qu'il y a eu erreur, comme il ne peut pas porter remède au mal, il signale le fait à son collègue de la guerre et demande qu'un congé soit accordé au milicien incorporé irrégulièrement et par erreur. Souvent, je puis le constater, il est tenu compte de cette recommandation.
M. Goblet. - Messieurs, sans vouloir entrer dans la discussion soulevée par l'honorable M. Coomans, discussion qui trouvera sa place véritable lorsque nous serons saisis du projet de loi sur la milice, je relèverai cependant un point de l'argumentation de l'honorable ministre de la guerre.
Je tiens à signaler l'arbitraire dans la manière dont on accorde les congés.
L'honorable ministre de la guerre a prétendu que cette obligation imposée aux soldats de remplir leur masse n'était pas une obligation abusive.
Je n'attaque pas ici le système qui a été défendu par l'honorable ministre et qu'on n'avait pas attaqué, système qui consiste à faire payer au soldat ses habillements, mais il est évident que la masse est insuffisante, d'autant plus que le soldat ne peut plus aujourd'hui vivre de son argent de poche et qu'on en est même arrivé à réduire la masse pour remédier à l'insuffisance de ce qui restait disponible de la solde.
Ainsi lorsque vous obligez le soldat à remplir sa masse vous lui imposez évidemment un impôt en argent et vous aggravez les charges qui pèsent sur lui ; cette aggravation est d'autant plus lourde si le soldat est pauvre et s'il a une famille malheureuse.
Messieurs, depuis plusieurs années le budget de la guerre n'est, en quelque sorte, plus combattu dans cette enceinte.
Il semble que le pays n'ait plus rien à voir dans ces dépenses qui, quel que soit l'accroissement de ses ressources, absorbe la plus grande partie du tiers de ses revenus. C'est là une anomalie dont cependant on peut se rendre compte en jetant un regard rétrospectif sur notre histoire parlementaire des 15 dernières années.
En 1847, lors de l'avènement d'un ministère dans lequel siégeait l'honorable général Chazal, il y avait dans cette enceinte des hommes considérés, d'une haute autorité, qui attaquaient vivement le budget de la guerre, et en dehors de cette enceinte des organes accrédités qui les soutenaient de tous leurs efforts.
Les événements de 1848 survinrent, l'opposition au budget de la guerre continua. On trouvait alors qu'un budget de 26 ou de 27 millions était encore trop élevé pour la Belgique. L'opposition continua en 1849, 1850 et 1851.
Ce n'était pas une question de parti, c'était une question qu'on examinait en elle-même, abstraction faite de toute considération étrangère aux opinions militaires.
Le gouvernement en vint, pour faire cesser cette approbation, à nommer une grande commission mi-partie parlementaire, mi-partie militaire, qui devait examiner et décider les questions controversées.
Les travaux de cette grande commission durèrent quelque temps ; ils ne produisirent à peu près aucun résultat, et l'opposition au budget de la guerre aurait évidemment repris toute sa vigueur, si d'autres préoccupations plus sérieuses encore n'étaient venues prendre place dans l'esprit de ceux qui s'intéressaient aux questions militaires en Belgique.
A partir de cette époque, messieurs, nous entrons en effet dans une phase toute nouvelle.
II ne s'agit plus de discuter si le chiffre de 26 ou 27 millions est trop élevé, mais bien d'examiner des projets de lois qui changent complètement notre système militaire et qui tendent non seulement à absorber, sur une plus grande échelle encore, les ressources du pays, mais encore à modifier en partie notre position politique. En 1849, en 1850 et en 1851, l'opposition au budget de la guerre était constamment dirigée contre l'élévation du chiffre, qui cependant n'allait pas au-delà de 26 ou 27 millions, mais qui, selon les opposants, absorbait une trop grande partie des ressources les plus vitales du pays.
L'honorable ministre do la guerre invoquait pour défendre son budget les difficultés d'une situation exceptionnelle, il insistait sur les dangers que renfermait la situation politique de l'Europe et sur la nécessité de pouvoir, dans certains cas, maintenir l'ordre à l'intérieur du pays.
Pour vous faire bien comprendre, messieurs, combien ces opinions ont changé, combien ce budget qui était considéré comme devant pourvoir aux besoins d'une situation exceptionnelle, combien ce budget a grandi depuis lors, je vais prendre un ouvrage d'un honorable membre de cette Chambre en qui vous avez tous confiance et je me bornerai à compléter le tableau qu'il a donné à l'appui de ses observations sur notre état militaire et au moyen duquel vous pourrez vous faire une idée de ce qu'est le budget de la guerre qui pèse si lourdement sur le pays.
(page 447) L'honorable M. Ernest Vandenpeereboom, dans ce tableau où les dépenses militaires figurent en regard des recettes de l'Etat, a placé en outre une colonne spéciale destinée aux remarques générales sur la situation.
J'y trouve les observations suivantes que je vous lirai sans commentaires :
« Il résulte de ce tableau des dépenses militaires :
« 1° Que sur une recette moyenne d'environ 127,500,000 francs, nous avons dépensé, chaque année, pour l'armée, une somme moyenne de plus de 40,000,000, soit environ le tiers de notre revenu ;
« 2° Que dans ces effrayantes dépenses, ne sont pas comprises celles pour la marine militaire, portées au budget des affaires étrangères et qui sont à peu près de 500,000 francs par an, en moyenne. »
Si nous devons nous en rapporter, relativement à ce sujet spécial, aux nouvelles propositions du gouvernement, cette dépense sera de beaucoup majorée.
« 3° Que pendant les années si menaçantes de 1849, 1850, 1851, moins de 27 millions de francs ont suffi ; que durant les années plus tranquilles de 1852 à 1855, plus de 36 millions ont paru nécessaires. »
Messieurs, si je continue ce tableau en établissant les chiffres sur les bases fixées par l'honorable M. Vandenpeereboom, les réflexions qu'il fait avec tant de justesse et tant d'amertume, sont encore plus justes, lorsqu'on les applique à la situation actuelle.
De 1856 à 1861, nos dépenses militaires se sont élevées, non plus à 40 millions en moyenne, mais bien à 44 millions.
Et qu'on ne vienne pas dire que cet immense accroissement est dû uniquement aux travaux et aux circonstances exceptionnelles. Le budget du ministère de la guerre, qui s'élevait en 1849, en 1850 et en 1851 à 28 millions au maximum, s'est élevé depuis à 38 millions, c'est-à-dire qu'il y a une augmentation de 10 millions.
La progression est continue, et elle se maintiendra, tant que nous suivrons la voie dans laquelle nous sommes engagés. Car jamais le gouvernement n'a montré une plus grande confiance dans l'avenir qu'en ce moment, et jamais, tant dans la politique intérieure internationale, que dans ses mesures exclusivement militaires, il n'a pris autant de décisions qui prouvent qu'il a la conviction qu'aucun danger ne menace notre présent et que d'ici à longtemps nous n'avons rien à redouter pour notre sécurité.
Ce n'est donc pas une situation exceptionnelle ou des circonstances momentanées qui amènent la Belgique à un développement de sa force militaire aussi considérable et qui tous les jours fait gonfler le montant de nos dépenses. Il faut chercher ailleurs la cause de ces dépenses abusives et ruineuses.
Il faut surtout constater que non seulement la Belgique tend depuis quelques années, sous le rapport de ses dépenses militaires, à atteindre un chiffre disproportionné avec ses ressources ; et qu'elle a adopté un système nouveau qui est contraire au jeu régulier de ses institutions et à sa situation politique en Europe.
Messieurs, je vous en ai dit assez quant à présent pour vous démontrer que les dépenses du département de la guerre vont tous les jours en augmentant ; que l'absorption de nos ressources est telle qu'elle entrave beaucoup d'améliorations utiles, désirables, réclamées ; qu'elle empêche la disparition d'impôts mauvais ; que des travaux publics restent en souffrance ; que l'amélioration de la position des employés éprouve des retards presque invincibles ; que l'instruction publique doit ralentir son développement, alors que chaque jour elle réclame encore l'accomplissement de nécessités démontrées.
Les idées qui présidaient aux destinées militaires de 1830 et de 1850 sont complètement abandonnées, sous l'empire de préoccupations qui devraient demeurer étrangères à notre gouvernement, sous l'empire de craintes exagérées à dessein, sous l'empire, en un mot, de ce qui constitue des intérêts réactionnaires. Nous sommes arrivés à ne plus être la Belgique industrielle, active, laborieuse, protégée par une neutralité suffisamment défendue, mais bien une puissance militaire qui remplit le monde de ses prétentions et de ses préparatifs guerriers.
Dans toute organisation militaire qui obéit en première ligne à des instincts égoïstes de conservation personnelle, au lieu d'obéir tout d'abord aux instincts de la conservation et dos besoins du pays auquel die appartient, trois caractères sont à établir ; ces trois caractères, je les trouve dans la constitution de l'armée, je les trouve surtout dans les tendances actuelles de l'autorité militaire, du département de la guerre. Ils sont en antagonisme flagrant avec nos institutions, et créent un danger permanent pour le maintien et le développement de nos libertés.
En premier lieu le département de la guerre ne voit dans l'homme qui porte l'uniforme, qu'un être lige, qui n'a plus rien ni des droits, ni des devoirs du citoyen.
En second lieu, la société militaire prétend conserver des droits, des lois, des privilèges exceptionnels, et se soustraire, selon ses besoins et ses caprices, aux exigences de la loi commune.
Enfin, et comme conséquence logique de l'esprit qui domine l'autorité militaire, elle a consacré par un nouveau système de défense le principe, inconnu jusqu'ici, qu'il faut sauvegarder l'intégrité de l'armée, avant de sauvegarder l'intégrité du territoire.
Le Congrès national de 1830, s'inspirant aux sources les plus légitimes de l'indépendance et du progrès, avait prévu le danger qu'il y avait pour nos libres institutions dans cette législation d'un autre siècle, dans une législation où aucune aspiration libérale ne se trahissait, dans une législation qui en définitive consacrait des abus énormes.
Aussi, en terminant la Constitution, le Congrès a-t-il voulu, pour couronner son œuvre, dans l’article 139, donner aux législatures qui viendraient après lui, l'injonction de réviser les lois militaires, le Code pénal militaire.
Quoi de plus étrange, en effet, que la situation de ces citoyens qui n'ont plus, qui ne peuvent plus avoir d'autres volontés qu'une obéissance passive ; qui ne peuvent plus avoir d'autres sentiments que ceux qui émanent de leur chef ?
Quoi de plus monstrueux que de voir une classe d'hommes tout entière n'avoir aucune garantie de position et qui se trouve à la merci d'une autorité armée de pouvoirs impitoyables et sans contrôle ?
Encore, si pour les délits communs, les officiers étaient soumis à la loi commune ! Mais non, leur règle, je la trouve en tête d'une instruction ministérielle qui a paru en 1850, sous le premier ministère de M. le général Chazal, et qui a été affirmée de nouveau en 1855 par M. le général Greindl. En tête de cette instruction se trouve cette phrase :
« La discipline faisant la force principale des armés, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants ; que les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation, ni murmures ; l'autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n'est permise que lorsqu'on a obéi. »
Mais, a-t-on songé, en mettant cette phrase en tête d'une instruction ministérielle adressée à l'armée, en lui donnant cette déclaration comme règle de conduite ; a-t-on songé au serment que le Congrès national, dans son décret du 21 juillet 1831, a imposé à tout citoyen qui porte l'épaulette, à tout officier ?
A-t-on songé qu'il lui a été prescrit, par ce décret, de jurer fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge ? Non, On n'y a pas songé ; on a fait de l'officier l'homme de la discipline, avant d'en faire l'homme de la Constitution.
Si encore, messieurs, ces principes si opposés à nos mœurs, si opposés à l'esprit de nos institutions, avaient été adoucis ! Bien au contraire tous les efforts de l'administration de la guerre, toutes les mesures prises, ont eu le même esprit, celui de renforcer encore l'arbitraire des dispositions et des instructions ministérielles.
N'avons-nous pas la loi de l'avancement au choix qui, d'une chose qui devait être exceptionnelle, a fait une règle absolue et qui, à chaque instant, provoque des réclamations et des scandales ?
N'avons-nous pas la loi des pensions qui à 55 ans frappe l'homme d'incapacité ? Ces lois n'ont-elles pas été votées parce que le ministère est venu déclarer qu'il y mettrait toute la réserve et toute la prudence possible, que ces dispositions ne seraient appliquées que dans des occasions exceptionnelles.
Que sont devenues ces promesses ?
Ces lois, qui ne devaient être que d'application exceptionnelle, sont d'application continue, en quelque sorte d'application générale, de droit absolu.
Vous avez défendu (vous prétendez que vous en avez le droit, c'est une question d'appréciation) d'écrire et de parler en public, à tout homme appartenant à l'armée.
Il vous est interdit formellement par la Constitution d'établir la censure préalable. Le rétablissement de la censure est défendu par l'article 18 de la Constitution. Vous avez pourtant enjoint à tout officier qui voulait écrire et publier n'importe quoi, de déposer son œuvre pour que vous pussiez l'examiner à l'avance.
Qu'avons-nous vu il y a quelque temps encore ? Un lieutenant général, un auditeur militaire s'en allant de province en province, de garnison en garnison, faisant comparaître devant eux le soldat et le général pour arriver, en provoquant la délation, à découvrir les auteurs de certains faits, sans ménager la dignité des caractères et de justes susceptibilités.
Tout |cela est contraire à la Constitution, où ce genre d'inquisition est (page 448) formellement interdit. L'article 94 de la Constitution, en effet, porte que la création de tribunaux ou de commissions extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit, est formellement défendue.
Pour bien démontrer, messieurs, combien cet esprit d'arbitraire est inhérent au département de la guerre, je ferai remarquer que l'officier est placé dans une position inférieure à celle du sous-officier et du soldat. Le département de la guerre a voulu que l'officier, qui est plus instruit et qui par conséquent peut exercer une certaine influence, fût davantage encore à sa merci.
L'officier peut par mesure disciplinaire être privé de sa position, frappé dans son existence et son honneur, tandis que le soldat et le sous-officier ne peuvent être privés de leur grade, ou envoyés à la compagnie de discipline sans passer devant une espèce de conseil de guerre.
Comme couronnement de ce système, de ces instructions, nous avons la justice militaire.
Qu'est-ce que cette justice, messieurs ? C'est l'opposé de toutes le notions qui existent dans les pays où la justice est indépendante et libre, égale pour tous les citoyens.
La justice militaire est exercée par un jury, composé de membres dont j'admets la loyauté d'une manière absolue, mais dont je ne puis admettre l'indépendance,
Quand il s'agit de la composition d'un jury ou d'un tribunal, ne voyons-nous pas toujours le législateur prendre les précautions les plus minutieuses pour sauvegarder les intérêts des accusés et assurer à la défense toute égalité possible ? Dans la composition du tribunal, du jury militaire, c'est tout l'opposé. On soumet l'appréciation des délits militaires ou autres, des conflits entre le soldat et le chef, des débats d'intérêt et de position même à l'appréciation d'hommes, dont le présent et l'avenir sont dans la main du chef, dont le présent et l'avenir appartiennent au bon plaisir de l'autorité militaire.
A côté de ce cachet purement passif imprimé aux individus faisant partie de la société militaire, nous trouvons un autre cachet non moins sérieux, non moins dangereux : c'est que dans la société militaire comme dans la société religieuse on inspire aux membres qui la composent l'idée que cette société est supérieure à la société civile, à la société profane. Si nous avons souvent rencontré l'autorité religieuse, la société religieuse s'opposant à l'action du pouvoir civil, si nous l'avons vue souvent chercher à se soustraire à la loi commune des citoyens, nous avons, dans ces derniers temps également, rencontré l'autorité militaire suivant les mêmes principes, les mêmes errements.
S'il s'agit du contrôle parlementaire, on s'impose une discrétion tellement absolue qu'il faut trouver un moyen terme pour passer sous les fourches Caudines du département de la guerre.
S'il s'agit de confier un document quelconque à la section centrale, composée de six délégués de la représentation nationale, on les lui refuse pas sentiment de loyauté et de discrétion, et on déclare ne pouvoir lui révéler de prétendus secrets qui sont livrés au premier officier ou au premier soldat venus.
Enfin s'il s'agit de la loi de comptabilité, vous vous rappellerez ces débats d'autrefois sur la masse noire ; ces ventes illégales des fusils pour lesquelles vous avez été obligé de venir en quelque sorte demander un bill d'indemnité à la Chambre.
S'agit-il de la liberté individuelle et du respect de la justice, rappelons-nous l'arrestation d'un citoyen et sa détention arbitraire ; rappelons-nous qu'il y a quelques mois l'on faisait croiser la baïonnette devant un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.
Je vous ai démontré, messieurs, que l'officier, le soldat, n'était pas un citoyen aux yeux de l'autorité militaire ; je vous ai démontré que l'autorité militaire se croyait au-dessus de la loi commune. Il me reste à établir que dans le système militaire nouveau, l'intégrité de l’armée est placée au-dessous de l’intégrité du pays.
En 1848, alors que l'honorable baron Chazal défendait son budget, il s'exprimait avec cette éloquence que vous lui connaissez.il obtenait des succès oratoires éclatants, et il répondait aux sentiments qui agitaient la grande majorité de la nation.
Mais s'exprimait-il alors comme il l'a fait depuis ? Non, messieurs ; voici ce qu'il disait :
Pourquoi voulez-vous réduire ce budget déjà réduit à sa plus simple expression ; pourquoi voulez-vous me refuser ces 26,000,000 qui me permettent de maintenir intégralement notre armée ?
Avec 80,000 hommes instruits et disciplinés, il m'est possible, en les réunissant sur un point, de défendre le pays contre toute agression.
Quelle que soit la puissance qui l'attaque, elle ne pourra le faire avec supériorité.
Voilà ce que disait l'honorable baron Chazal et il terminait sa péroraison par ces mots caractéristiques : Avec ces 80,000 hommes, avec ce budget que vous ne pouvez pas me refuser, je défendrai nos frontières, je maintiendrai l'intégrité du territoire ; je ferai respecter notre nationalité !
Et le pays, voyant le chef du département de la guerre montrer notre armée prête à se porter à la frontière, prête à défendre, nos foyers, nos provinces, nos populeuses cités, prête à repousser l'étranger qui oserait fouler le sol de la patrie, et à se laisser écraser plutôt que de laisser l'étranger violer notre territoire ; le pays, en entendant ce langage patriotique, était prêt à applaudir et à faire tous les sacrifices d'argent qu'on pourrait lui demander.
En est-il encore de même aujourd'hui ? Non, messieurs ! On a trouvé qu'il valait mieux construire, aux confins du pays, à l'endroit le plus éloigné de celui d'où pourrait nous venir une attaque, une grande forteresse, la plus grande du monde pour y renfermer, en cas d'invasion étrangère, et notre organisation civile et notre organisation militaire, comme s'il pouvait y avoir une armée sans pays, une organisation civile sans patrie.
Là notre armée, après avoir abrité son courage et sa faiblesse derrière des murailles devra attendre des jours meilleurs qui lui permissent de reconquérir un pays qu'on n'aura pas défendu un seul instant.
Messieurs, j'ai développé devant vous deux ordres d'idées. Je l'ai fait aussi succinctement que possible. J'en ai cependant dit assez, je pense, pour légitimer mon opinion à vos yeux. Alors même que le côté financier de la question ne serait pas assez grave pour justifier mon opposition au budget de la guerre, je trouverais, dans l'état actuel de la législation militaire et surtout dans les tendances actuelles du département de la guerre et dans les mesures qu'il a récemment prises, des motifs suffisants pour combattre le budget.
Aussi longtemps qu'on n'aura pas fait droit au vœu du Congrès national de 1830, je persisterai dans la position que je prends aujourd'hui. Je demande des garanties pour le soldat et pour l’officier, des garanties pour la société civile, des garanties pour le pays.
Quoi qu'on nous ait dit, quoi qu'on puisse dire encore, je ne suis nullement hostile à l'armée ; je suis parfaitement assuré du courage, du dévouement et de l'instruction des membres qui la composent. Mais si je demande que l'on rende à cette classe de citoyens une position conforme à l'esprit des sociétés modernes et libérales, conforme à toutes nos institutions constitutionnelles, c'est que je suis profondément convaincu que c'est le moyen d'obtenir une armée véritablement nationale.
M. Coomans. - Je regrette de devoir ramener le débat à un niveau moins élevé que celui où vient de le porter l'honorable M. Goblet. Mais je dois achever de m'expliquer avec l'honorable ministre de la guerre.
En finissant son habile discours, M. le ministre de la guerre s'est flatté de m'avoir répondu. Je déclare qu'il ne m'a pas répondu du tout : M. le ministre de la guerre a réfuté des arguments que je n'ai pas produits, des prétentions que je n'ai pas élevées. Il ne m'a fourni ni les renseignements, ni les justifications que j'ai sollicitées.
En effet, j'ai parlé légalité ; M. le ministre de la guerre a parlé finances et discipline militaire. J'ai demandé à M. le ministre de la guerre, en vertu de quelle disposition légale il retenait sous les drapeaux des soldats, d'ailleurs irréprochables, qui n'avaient pas apuré leur masse. La question était claire et nette.
M. le ministre de la guerre pouvait me répondre, me confondre même en lisant simplement un article de loi. Il n'en a rien fait ; il m'a répondu que si l'on agissait autrement qu'il ne le fait, il y aurait un préjudice financier considérable pour l'Etat. Soit ; je n'ai pas dit le contraire ; mais l'honorable baron Chazal aurait dû laisser cet argument à son voisin de droite, M. le ministre des finances.
J'aime à croire que M. le ministre des finances n'en aurait pas usé. Je savais bien, et je ne me serais pas donné la peine de me lever pour l'apprendre, que si l'on n'exigeait pas des soldats le payement de leurs dettes, ils ne les acquitteraient pas et qu'il en résulterait un préjudice pour le trésor public.
Je ne suis pas assez naïf pour faire une interpellation sur une telle banalité, mais j'ai demandé en vertu de quelle disposition légale on soumettait à un traitement aussi cruellement différentiel les soldats qui n'ont point de dettes et ceux qui en ont. Voilà la question.
M, le ministre veut suggérer à son collègue de l'intérieur l'insertion d'un article spécial dans le futur projet de loi sur l'organisation de la milice nationale, je comprends qu'il le fasse, mais aucune disposition légale de ce genre n'existe pour le moment, et je dis que pour infliger des peines à des citoyens belges il faut des textes de loi. (Interruption.)
Vous n'oseriez pas nier que ce serait une peine que de maintenir sous les drapeaux des soldats qui voient rentrer dans leurs foyers des camarades plus heureux.
(page 449) M. Allard. - Plus soigneux.
M. Coomans. - Plus soigneux ? Sons allons voir. Toute cette affaire d'habillement dont nous a entretenus M. le ministre de la guerre, c'est de la fiction.
La vérité, la voici : sont libérés ceux qui ont assez d'argent pour apurer leur masse ; ne sont pas libérés ceux qui n'ont pas la somme nécessaire. Voilà la vérité pure, car il n'y a pas ou il y a bien peu de soldats qui resteront un an ou deux de plus sous les armes pour 10, 15 ou 20 fr. Si donc leur masse n'est pas apurée, c'est qu'eux ou leurs familles sont trop pauvres pour s'acquitter.
C'est, disent M. le ministre de la guerre et un honorable membre qui vient de m'interrompre, pour forcer le soldat à être plus soigneux de ses effets qu'on le retient sous les armes jusqu'au payement de ses dettes. J'avoue que je ne comprends pas. C'est le soldat le plus soigneux qui conserve le plus d'argent, et c'est le soldat le moins soigneux qui dispose du moins d'argent. Et, ajoute M. la ministre, si nous agissions autrement, vous verriez nos soldats se livrer, au moyen de leur paye, à toute sorte de folies, à toute sorte de dépenses luxueuses, notamment à la boisson.
Mais je le demande encore, que fait l'habillement dans la question qui m'occupe ? Le soldat peu soigneux est habillé d'office, car le soldat ne s'habille pas à sa mode, c'est le gouvernement qui l’habille ; quand son vêtement est devenu indécent, le gouvernement lui en fournit un autre ; de sorte que d'après M. le ministre, c'est le soldat le moins soigneux et qui a le moins d'argent qui va se livrer à des dépenses de luxe ! Le contraire est vrai ; si vous craignez que les soldats abusent de leur solde, il faut les engager à tacher, à gâter leurs vêtements à perdre leurs armes, etc., ils seront mis ainsi dans l'impossibilité de faire des excès par suite des retenues qu'ils subiront.
Après la prétendue explication du ministre, je lâcherai le mot, le maintien au régiment des soldats qui n'ont pas apuré leur masse d'habillement est une illégalité, une inhumanité, parce que la dette est forcée. C'est une illégalité parce qu'il n'y a pas de texte de loi qui vous autorise à poser cet acte ; une inhumanité parce que vous, M. le ministre, vous savez mieux que moi que la solde de nos soldats ne suffit pas à leur existence. Le menu de nos soldats est inférieur à celui des voleurs et des assassins. (Interruption.)
Puisque M. le ministre des affaires étrangères m'interrompt...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne vous interromps pas.
M. Coomans. - Vous m'interrompez, puisque je m'interromps
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne vous ai rien dit.
M. Coomans. - Je viens de dire que le menu de nos soldats est sensiblement inférieur à celui de nos voleurs et de nos assassins. Je maintiens cela.
Naguère j'ai eu l'occasion de visiter, à deux jours de distance, la prison cellulaire de Louvain et une de nos casernes.
J'ai remarqué que dans la prison cellulaire de Louvain (je m'y trouvais avec 12 à 15 officiers dont je vais invoquer le témoignage), que dans cette prison les habitants se trouvent confortablement domiciliés... (Interruption.) Qu'on ne m'attribue pas des intentions que je n'exprime pas, je ne dis pas qu'il y ait trop de confort dans les prisons, je dis qu'il y en a trop peu dans les casernes.
.l'ai assisté à leur dîner ; cinq heures après leur déjeuner, et six heures avant leur souper, je le déclare, et tous les officiers qui étaient avec mo l'ont attesté, et aussi en gens d'honneur ils l'attesteront encore que le potage des prisonniers de Louvain était de beaucoup supérieur à celui de leurs soldats.
Quant à moi, gourmandise à part, car je n'avais pas faim, j'ai trouvé le potage excellent, j'ai rarement rencontré un bouillon plus épais, et plus succulent.
Quant à la chambre, au lit et au couchage (je n'en fais pas un grief au ministre de la justice), les prisonniers de Louvain sont traités très convenablement, très confortablement, beaucoup mieux que la moitié des Belges libres.
Pour la caserne, je n'y suis pas resté quatre heures comme dans la prison de Louvain, elle était malsaine, sale, elle puait, j'en suis honteux comme Belge, affligé comme homme ; sans l'interruption de M. le ministre je ne serais pas entré dans ces détails.
Mes impressions ont été unanimement partagées par tout le monde et en premier lieu par les officiers qui m'accompagnaient. C'est à leur éloge que je rappelle ce fait ; ils se plaignaient de l'état d'infection, d'insalubrité et de pauvreté où se trouvaient la plupart de nos casernes. Voilà ce que j'avais à dire sur ce point.
Je disais donc que c'est une illégalité de maintenir sous les drapeaux des hommes qui n'ont pas manqué à leurs devoirs, qui n'ont qu'un tort, celui de n'avoir pas quelques francs à déposer dans la caisse du régiment. Combien de fois n'ai-je pas vu de malheureux parents se défaire de leur dernier meuble ayant quelque valeur pour acquitter la dette de leur fils au régiment !
Ils savaient bien, tout le monde le sait, que sans apurement de la masse, pas de licenciement, pas de congé.
Je crois avoir parlé d'une sorte de circulaire relative au payement des dettes à la masse, on peut jouer sur les mots, le ministre fait un signe affirmatif, je n'insiste pas sur ce point ; des officiers m'ont déclaré que les parents des miliciens avaient été avertis qu'ils avaient à payer pour leurs fils la dette contractée au régiment sous peine de les voir retenus sous les drapeaux.
Ce que je sais encore, c'est que les officiers ont réuni leurs soldats et leur ont déclaré, probablement par ordre supérieur, qu'ils ne recevraient pas de congé s'ils ne payaient pas leur dette. Ce fait est constant, je n'ai donc pas à parler de la circulaire, la démarche des officiers vaut bien une circulaire ; celle-ci est un détail insignifiant.
J'ai dit que les congés de faveur accordés à tort et à travers par l'autorité militaire me semblaient constituer une autre illégalité.
En effet l'article 170 de la loi est formel à cet égard, les congés doivent être décidés par le tirage au sort.
M. le ministre déclare qu'il y procède quelquefois ; je lui réplique : Pourquoi ne le faites-vous pas toujours ? Une loi, même une loi militaire, ne doit pas être exécutée seulement de temps en temps, il serait d'un bon exemple et il serait constitutionnel de l'exécuter constamment.
Ainsi donc, le ministre qui aurait dû me prouver que la prescription de l'article 170 est observée, n'en a rien fait.
Il laisse debout l'accusation d'illégalité que j'ai formulée et il me forcera de la sorte à revenir sur ce point comme sur les autres. Quand une loi sur la milice est aussi mauvaise que la nôtre, quand elle pèse aussi cruellement sur les classes laborieuses, il faudrait au moins en appliquer les dispositions qui leur sont favorables et ne pas alourdir arbitrairement une charge déjà si dure et si inégale.
M. le ministre me déclare qu'on ne refuse pas de volontaires. Il m'est difficile de lui donner un démenti, à lui plus qu'à tout autre. Cependant je crois être bien certain que des hommes refusés comme volontaires, ont été acceptés comme remplaçants. Premier point.
Second point : je suis bien sûr que des officiers supérieurs m'ont déclaré qu'il y avait déjà pour le jeu régulier de notre organisation militaire trop de volontaires et de remplaçants à l'armée et que s'il s'en présentait 20,000 à 30,000 il serait de toute impossibilité de les accepter. M. le ministre me fait un signe de dénégation. Mettons 20 ou 25 mille, peu importe le chiffre. Voici ce que je demande : accepteriez-vous 20,000 volontaires qui se présenteraient demain ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - A bras ouverts.
M. Coomans. - 20,000 et 12,000 que vous avez déjà, en voilà 32,000. Que ferez-vous de vos 70,000 miliciens ? Comment les exercerez-vous, comment les payerez-vous ayant déjà 30,000 volontaires sous les armes ?
La déclaration de M. le ministre me plaît énormément, à moi qui soutiens la thèse des enrôlements volontaires. M. le ministre accueillera à bras ouverts encore 20,000 volontaires ! Nous en avons 12,000 qui ne quittent jamais les drapeaux. Cela fera 53,000 ; c'est à peu près l'effectif sur pied. Ainsi l'honorable ministre n'est pas éloigné de se joindre à moi pour désirer l'abolition de la conscription.
Pour ne pas sortir des questions de légalité, je ferai observer que l’honorable ministre ne m'a pas satisfait le moins du monde au sujet des hommes d'élite, des beaux hommes dont j'ai parlé. J'ai dit que je ne comprenais pas que la beauté corporelle d'un homme et son état d'instruction puissent devenir aux yeux du gouvernement une cause de défaveur et de punition.
J'ai dit qu'il était bien cruel d'obliger à servir pendant trois et quatr, ans, quelquefois cinq, des hommes parce qu'ils conviennent au régiment d'élite, au régiment des carabiniers ou au régiment du génie, tandis que vous n'obligez qu'à un service d'un an et demi ou deux ans, les petits fantassins malingres dont a parlé l'honorable ministre de la guerre.
J'ai demandé encore en vertu de quelle disposition légale on soumettait à ce traitement différentiel des Belges égaux devant la loi.
Que m'a répondu l'honorable ministre ?
(page 450) Que ces beaux hommes, envoyés pour trois ou quatre ans au régiment, n'avaient pas à se plaindre, qu'ils avaient une paye supérieure et qu'ils n'avaient qu'à se déclarer satisfaits.
Mais ceci est une question d'appréciation, ce n'est plus une question de légalité.
Essayez donc de permettre à vos plus beaux hommes de s'en aller malgré leur haute paye ; je ne crois pas que vous en conserverez beaucoup dans vos régiments.
Je dis donc encore une fois que M. le ministre n'a pas soufflé un mot de la question de légalité, la seule qui me touche.
Mais, ajoute l'honorable ministre, il y a une autre raison pour laquelle nous devons garder plus longtemps sous les armes les cavaliers que les fantassins, et cette raison, c'est que les cavaliers ont des chevaux et les fantassins pas.
Messieurs, je supposais bien que nos cavaliers, du moins la plupart, avaient des chevaux. Cependant (on entend de singulières choses) on m'a prouvé l'autre jour que si nos cavaliers étaient rappelés au service, il y en aurait beaucoup sans chevaux, n'importe.
En 1817, quand la loi qui nous occupe a été faite, et même en 1820, les cavaliers vraisemblablement avaient des chevaux aussi ; et cependant à cette époque, les cavaliers n'étaient pas retenus sous les armes plus longtemps que les fantassins.
Il me semble que cela prouve que l'argument, si l'on peut appeler ainsi l'observation de l'honorable ministre, n'est pas bon. Il faut que tous les Belges soient sur le même pied d'égalité. Voilà la justice, voilà le bon sens, voilà la Constitution.
M. le ministre s'est étendu sur les inconvénients qu'il y aurait à laisser chaque milicien choisir son arme. Je n'ai pas demandé que chaque milicien choisît son régiment, je n'ai pas demandé surtout, et je regrette que l'honorable ministre ait pu m'attribuer cette bêtise, que l'on endossât la cuirasse à un homme de petite taille plus ou moins faible et maladif. Je n'ai pas parlé de cela. J'ai demandé que l'on accordât le même traitement à tous ces hommes et que l'état de santé et la hauteur de la taille ne fussent pas des raisons d'être traités défavorablement.
Un mot à l'honorable ministre de l'intérieur.
Je m'empresse de présenter une rectification.
J'ai dit que la lettre adressée à Sa Majesté était restée sans réponse de la part de MM. les ministres. C'est une erreur. Il y a une réponse et cette réponse est venue de l'honorable ministre de la guerre qui déclare aujourd'hui ne rien connaître de cette affaire.
M. le ministre de la guerre a, par une dépêche du 9 septembre, porté à la connaissance du sieur Swerts que la requête adressée au Roi à l'effet de réclamer contre la désignation pour le service militaire de son fils François, avait été transmise à M. le ministre de l'intérieur. L'honorable, ministre de la guerre a ainsi averti du fait M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.) Je ne sais pas s'il y a dans cette rectification lieu d'applaudir MM. les ministres sur l'exécution de la loi.
Un dernier mot, messieurs.
Toutes ces questions sont assez importantes, surtout après la promesse faite par le gouvernement de déposer un projet de réforme de la législation sur la milice, elles sont assez importantes, dis-je, pour que le gouvernement prenne bonne note des observations que nous avons à faire.
Il me semble que le gouvernement devrait être heureux d'entendre sur ce sujet intéressant les témoignages et les opinions des membres de la Chambre, alors qu'il a consulté beaucoup d'autres personnes.
A propos de ces consultations, à propos du travail de la commission chargée de rédiger un projet de réforme des lois de milice, j'ai à citer un fait qui justifiera aux yeux de MM. les ministres l'espèce de répugnance que j'éprouve à m'adresser aux départements ministériels.
J'avais appris, il y a trois ou quatre mois, que la commission chargée de ce travail de révision avait fini son rapport, et que même il était imprimé.
Comme je m'occupe d'une manière spéciale, depuis 27 ans, des questions de milice, je me suis empressé de me rendre au département de la guerre pour prier l'honorable M. Chazal de me donner communication du rapport ou d'une partie du rapport de la Commission ; je n'ai pas eu le plaisir de trouver l'honorable ministre, mais j'ai trouvé un fonctionnaire supérieur qui m'a déclaré qu'il n'avait aucune connaissance de ce rapport.
J'ai exprimé ma surprise de voir que le département de la guerre ne possédât pas un document qui me semblait lui être indispensable.
Ce fonctionnaire supérieur a eu la complaisance de rechercher ce travail, il m'a assuré qu'il n'existait pas au département de la guerre, mais que probablement je le trouverais au département de l'intérieur où l'on n'hésiterait pas à me le donner. Je me rends au département de l'intérieur, j'y vais même trois fois et je fais très poliment la même demande à un honorable directeur, qui me répond, très poliment, aussi là qu'il trouve naturelle et qu'il est personnellement disposé à me donner communication de ces pièces.
Toutefois il me déclara qu'il désirait s'assurer auprès de M. le ministre de l'intérieur s'il pouvait le faire. Je lui fis observer qu'il me semblait que dans aucune hypothèse il ne pouvait y avoir d'inconvénient à me communiquer une pièce imprimée, la seule que j'eusse demandée.
Il me répondit qu'il devait en référer à son supérieur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était son devoir.
M. Coomans. - Nous allons voir comment vous avez rempli le vôtre.
Je lui fais remarquer que, comme je ne suis pas tout à fait ingambe, il me ferait plaisir de me faire parvenir une réponse par un de ses employés désœuvrés, attendu que je m'étais déjà rendu deux fois dans ses bureaux pour cet objet.
Il me promit une réponse dans deux ou trois jours. Dix jours se passent, pas de réponse ; je retourne au département de l'intérieur et le directeur me dit qu'il a cette réponse et qu'il regrette de ne pouvoir me communiquer la pièce demandée.
Je déclarai que la chose m'étonnait énormément, même de la part de l'honorable M. Rogier, que je trouvais ce refus inconvenant, fait à un membre quelconque de la Chambre et très déplacé à l'égard d'un membre qui, de très bonne foi, recherche depuis longtemps les meilleurs moyens d'améliorer notre législation sur la milice.
Je demandai encore à qui ces imprimés étaient destinés ; on eut la complaisance de me répondre qu'ils étaient destinés à beaucoup de personnes, aux conseils de milice, aux commissaires d'arrondissement, etc., enfin à beaucoup de monde, mais pas à moi. (Interruption.)
Je n'admets pas de dénégations sur des faits que j'affirme comme m'étant personnellement connus.
Franchement, ce refus n'est pas convenable ; je l'ai trouvé petit et je le répète sincèrement, il m'a surpris de la part de l'honorable ministre de l'intérieur ; il m'a d'autant plus surpris que l'honorable ministre a été de ceux qui m'ont engagé plusieurs fois à étudier de mon mieux les lois de milice et à formuler même mes idées dans un projet de loi. Je ne doute pas que l'invitation de l'honorable ministre ne fût sincère, mais alors pourquoi me refuser communication d'un document officiel et imprimé ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande pardon à la Chambre d'avoir à l'occuper de l'anecdote que vient de raconter l'honorable membre. (Interruption.)
Ne puis-je pas me servir du mot « anecdote » ?
M. Coomans. -C'est de l'histoire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Voulez-vous que je dise : « L’incident » ? Voulez-vous : « L’interpellation » ? Voulez-vous : « La grande question soulevée par l’honorable M. Coomans » ? Peu m'importe le mot, mais j'espère qu'aujourd'hui l'on voudra bien me permettre d'achever mon petit discours.
L'honorable M. Coomans vous a raconté une conversation qu'il a eue avec un chef de service du ministère de l'intérieur ; ce chef de service lui a fait, de la part du ministre, une réponse que l'honorable M. Coomans a qualifiée de très inconvenante et très déplacée. Je suis étonné que l'honorable membre ait attribué à ma réponse ce caractère-là.
L'honorable M. Coomans est connu de la Chambre pour faire toujours des observations très convenables, parfaitement à leur place ; ce n'est donc pas à lui que je ferais adresser des réponses très inconvenantes et très déplacées.
Messieurs, les documents émanés de la commission chargée de la révision des lois de milice ont été, en effet, imprimés.
Mais ces rapports imprimés n'ont été communiqués à personne. Un de mes honorables amis de la Chambre, pour lequel j'aurais pu avoir plus d'égards que pour l'honorable M. Coomans, m'avait demandé la communication de ces documents. Dans mon empressement d'être agréable à un honorable membre qui s'occupe aussi de la question de milice, je lui avais d'abord promis de les lui fournir ; mais en y réfléchissant, j'ai cru qu'il y aurait de l'inconvénient à communiquer à un membre de la Chambre des documents au sujet desquels le gouvernement n'avait pas encore pris de conclusions, documents qui n'avaient même pas été communiqués à tous mes collègues et sur lesquels le Roi lui-même n'avait pas encore été appelé à formuler une opinion.
M. Coomans. - Les imprimeurs avaient connaissance des documents.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a beaucoup de documents qui sont imprimés et qui ne sont pas distribués.
(page 451) Il y aurait des inconvénients à distribuer des documents qui pourraient être attaqués par la vote de la publicité, avant même que le gouvernement se fût formé une opinion définitive sur ces documents.
Je crois que les membres des commissions nommées par l'autorité supérieure, ne trouveraient pas la conduite du gouvernement convenable, s'il livrait à d'autres leurs conclusions, avant qu'il les eut acceptées et qu'il en eût assumé en quelque sorte la responsabilité.
Il n'y a rien eu de personnel dans le parti que le gouvernement a cru devoir prendre en cette circonstance ; au contraire, je dois le dire, lorsque les ministres peuvent poser un acte quelconque de politesse à l'égard d'un adversaire politique, ils s'empressent de le faire.
Je prie donc l'honorable M. Coomans de croire qu'il n'y a rien qui lui soit personnel dans le refus qui lui a été fait des documents dont il parle.
En aucune circonstance, nous ne reculons devant la publicité ; mais quand des affaires sont en instruction, quand le gouvernement n'a pas encore pris de décision, il ne convient pas de communiquer à des tiers les documents qui se rattachent a ces affaires.
J'espère que l'honorable M, Coomans trouvera cette réponse convenable...
M. Coomans. - Je la trouve convenable, mais pas bonne.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je regrette que l'honorable membre ne soit pas satisfait de ma réponse ; mais je dois dire que mon honorable ami de la gauche à qui j'ai fait la même réponse et qui aurait dû être à bon droit plus blessé du refus quo l'honorable M. Coomans, s'est tenu pour satisfait de la réponse que je lui ai faite.
M. Coomans. - Il est bien bon.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il est poli et convenable.
- La suite de la discussion du budget de la guerre est remise à demain à 2 heures.
- La séance est levée à 5 heures.