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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29 novembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 97) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Antoine Ehl, cordonnier à Martelange, né dans le grand-duché de Luxembourg, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Nicolas Kirsch, cultivateur, à Hondelange, né à Clemency (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Nalinnes appellent l'attention de la Chambre sur des faits dénoncés à charge du receveur communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Simonis réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la continuation de la pension dont il a joui jusqu'en 1860 en qualité d'ancien garde-barrière du chemin de fer de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui pèsent le plus lourdement sur la consommation. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Habay-la-Vieille demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Collignon, ancien professeur de calligraphie à l'athénée royal de Bruges, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Les chefs de bureau et employés du commissariat de Huy prient la Chambre de les déclarer fonctionnaires publics ou d'abroger les articles 48, n°4 et 53 de la loi communale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Grau, commis greffier près le tribunal de première instance d'Audenarde, demande une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacobs présente des observations relatives à sa pétition avant pour objet une réclamation à charge de l'Etat. »

- Même renvoi.

« Des fonctionnaires pensionnés du département des finances demandent le rétablissement de l'article 13 de la loi du 21 juillet 1844, sur les pensions civiles, et le retrait de l'article premier de la loi du 17 février 1849. »

-- Même renvoi.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

M. Laubry. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la justice.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour.


M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour.

Motion d’ordre

M. Hymans (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de demander à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien, d'ici à la discussion de son budget, déposer sur le bureau de la Chambre les diverses correspondances qui ont eu lieu entre la commission royale des monuments, la commission du musée des armures, M. l'architecte Beyaert et le département de l'intérieur, au sujet de la restauration de la porte de Hal, pour laquelle nous avons voté un crédit de 250,000 fr.

Je demanderai en outre à M. le ministre de nous communiquer le relevé des sommes imputées sur les budgets futurs par suite de commandes et d'acquisitions d'objets d'art.

La communication de ces pièces me paraît indispensable pour la sérieuse discussion du budget de l'intérieur.

Je ne pense pas qu'elle soulève de difficulté ; quand les pièces seront déposées, je les examinerai ; et je me réserve d'en demander l'impression, s'il va lieu.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Allant au-devant des désirs de l'honorable membre, j'ai fait dresser le tableau complet des sommes engagées sur les divers crédits du budget de l'intérieur, et spécialement sur ceux affectés aux beaux-arts ; quand ce travail sera fait, je le déposerai sur le bureau de la Chambre ; quant aux dossiers dont l'honorable membre demande communication, je les déposerai avant la discussion du budget, pour que cette discussion puisse être complète.

M. Hymans. - Je prie M. le ministre de déposer les renseignements que j'ai demandés assez longtemps avant la discussion de son budget pour qu'on puisse les examiner utilement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela sera fait ainsi.

M. Hymans. - Je vous remercie.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe premier

M. le président. - Le paragraphe premier est ainsi conçu :

« Sire,

« La présence de Votre Majesté au milieu de nous rappelle qu'au Roi la patrie doit, après des souffrances séculaires, trente années de paix et de liberté. «

M. Wasseige. - La rédaction de ce paragraphe me paraît manquer complètement de clarté et surtout d'euphonisme. L'expression : « La présence de Votre Majesté rappelle qn'au Roi la patrie doit... », me semble malheureuse, et j'ai l'honneur de proposer à la Chambre une rédaction qui, en rendant la même idée et employant les mêmes expressions, me paraît meilleure et plus française. La voici :

« La présence de Votre Majesté, au milieu de nous, rappelle qu'après des souffrances séculaires, la patrie doit au Roi trente années d'indépendance, de paix et de liberté. »

M. le président. - M. Wasseige propose une autre rédaction du paragraphe premier, quelqu'un s'y oppose-t-il ?

M. Orts, rapporteur. - Je ne m'oppose pas au changement de rédaction proposé par M. Wasseige.

- Le paragraphe premier, rédigé comme le propose M. Wasseige, est adopté.

Paragraphes 2 et 3

« Glorieuse dette que notre gratitude s'enorgueillit de payer ! »

- Adopté.


« Le temps a fortifié et resserre chaque jour les liens d'une affection et d'une confiance fondées sur la reconnaissance populaire. »

- Adopté.

Paragraphe 7

« Nous nous félicitons, Sire, des bons rapports maintenus entre la Belgique et les pays étrangers. Ce maintien prouve avec quelle intelligente loyauté le Belge pratique les devoirs de droit public qu'impose la neutralité. »

M. Tack. - Messieurs, après les solennels débats qui ont signalé la discussion générale, la Chambre ne s'attend pas sans doute à ce que je lui inflige un long discours sur la question italienne. Je désire cependant présenter quelques observations très laconiques, très succinctes ou plutôt demander à l'honorable ministre des affaires étrangères quelques explications sur un point spécial qui me semble être resté un peu dans l'ombre et que, pour ma part, je voudrais en voir sortir complètement.

Il vous en souviendra, messieurs, dans une précédente séance, l'honorable ministre des finances, parlant de son collègue des affaires étrangères, vous disait qu'il avait répondu d'une manière très spirituelle aux adversaires de la reconnaissance de l'Italie en leur demandant s'ils auraient voulu ajourner ce grand acte jusqu'à ce que les événements eussent pris plus d'extension, un plus grand développement, un caractère plus décisif, et attendre jusqu'au moment où un souverain qui les touche de plus près que le roi de Naples, aurait été forcé d'abandonner le reste de ses Etats.

L'honorable ministre des affaires étrangères faisait évidemment, par ces dernières paroles, allusion au souverain pontife ; son honorable collègue M. le ministre des finances a eu soin, dans la suite du débat, de mieux préciser.

Cette réponse, messieurs, ou si vous voulez, cette apostrophe ne me paraît spirituelle, ni quant au fond, ni quant à la forme. J'y ai vu tout autre chose qu'un trait d'esprit. Elle a été pour moi un trait de lumière. Elle m'est apparue comme un jalon posé sur la route de l'avenir, comme une des déclarations les plus graves, les importantes, et j'ajouterai les mieux faites pour alarmer des cours catholiques. Elle m'avait ému dès le principe.

(page 98) Je voulais cependant me faire illusion, mais le doute m'est devenu difficile depuis que j'ai entendu l'honorable ministre des finances reprendre cette apostrophe pour son compte, la faire miroiter devant la Chambre, précéder, accompagner et suivre de commentaires qui m'ont vivement frappé et que j'ai recueillis avec douleur. Que signifie cette apostrophe si anodine ? Ce qu'elle signifie, si je ne me. trompe, c'est que dès à présent, a priori, par anticipation, sans qu'il soit besoin d'acte ultérieur, par le seul fait posé par le cabinet, le gouvernement adhère dès à présent aux futures prises de possession qui se feront en Italie de quelque manière qu'elles s'accomplissent.

C'est-à-dire que si d'aventure le roi Victor-Emmanuel, poursuivant ses projets et ceux de ses ministres, parvient à planter l'étendard piémontais sur le Vatican, à détrôner le souverain pontife et à se faire proclamer roi de Rome, dès à présent, vous reconnaissez, dans sa personne le souverain de la capitale du monde chrétien, peu importe qu'il y soit appelé par le vœu populaire ou qu'il y entre les armes à la main, à la tête des bataillons piémontais, en conquérant, en triomphateur ; ainsi dès aujourd'hui vous contractez vis-à-vis du roi d'Italie un engagement solennel, irrévocable, subordonné à une simple condition matérielle, au fait de l'occupation de Rome, que ce fait soit juste ou injuste, légitime ou illégitime.

Me tromperais-je par hasard ? Est-ce que l'honorable ministre des finances ne nous disait pas, il y a peu de jours, que derrière la question napolitaine se dresse la question romaine et que c'est là la cause de tout le bruit qui se fait dans cette enceinte et au-dehors ? Oui, messieurs, au fond de la question napolitaine se trouve la question romaine. J'en conviens volontiers : l'honorable ministre des finances est dans le vrai, mais il n'a pas dit assez. Non seulement la question romaine gît au fond de la question napolitaine, surtout accompagnée des commentaires dont on l'a entourée, mais on tranche dès à présent cette grave question, on la décide implicitement en faveur du roi Victor-Emmanuel contre Pie IX, contre l'opinion unanime de la catholicité.

Qu'on le sache donc, messieurs, la reconnaissance, sans réserve aucune, sans restriction, des annexions accomplies, implique dès à présent, et sans qu'il soit besoin d'un acte ultérieur, la reconnaissance, des annexions futures.

Il est possible que je me trompe. Eh bien, que l'honorable ministre des affaires étrangères me désabuse, je ne demande pas mieux, mais qu'il me donne une réponse catégorique, nette et claire.

Pourquoi cette précipitation, cette hâte, ce soin empressé, cette obséquieuse sollicitude à reconnaître d'avance, par anticipation, un fait qui est encore dans le domaine de l'hypothèse, au risque de froisser de justes susceptibilités, de blesser les sentiments, le droit d'un souverain avec lequel la Belgique entretient de temps immémorial des relations séculaires, non interrompues de bonne amitié et de cordiale entente ?

Pourquoi ? Je vais vous le dire, et je ne suis ici que l'interprète des insinuations de M. le ministre des affaires étrangères : la reconnaissance positive, formelle, explicite, directe, de l'occupation éventuelle de Rome, de la dépossession du souverain pontife pourrait susciter de graves embarras, ainsi que l'avoue l'honorable ministre des affaires étrangères ; elle susciterait de vives réclamations, des provocations énergiques, de violentes récriminations ; plus injustes, nous dit-on, que celles qu'on fait aujourd'hui. On se flatte de tourner la difficulté, par quel moyen ? Par la reconnaissance anticipée, tacite, oblique, indirecte.

Les avantages qu'on voit, dans une reconnaissance implicite, sont que ses conséquences ne sont pas immédiates, qu'elles sont incertaines, douteuses, éloignées ; on préfère que ces conséquences naissent comme d'elles-mêmes, en vertu d'un précédent, dont on ne saurait revenir, mais, remarquez-le, d'un précédent dont le cabinet a froidement calculé et voulu les suites et dont le pays lui demandera peut-être compte un jour.

Pour moi, il me suffit que ces conséquences résultent nécessairement, fatalement en quelque sorte des principes que le cabinet a exposés et défendus, pour qu'il me soit impossible de donner mon adhésion au paragraphe de l'adresse dont il vient d'être donné lecture et sur lequel s'est établie la discussion générale.

A plus forte raison, ne puis-je admettre ces conséquences, en tant que prévues, annoncées, acceptées d'avance par le cabinet, que dis-je, désirées par l'honorable ministre des finances qui s'en est expliqué assez clairement pour que tout le monde ait pu le comprendre, non pas comme ministre du Roi, je le veux bien, mais comme homme ; distinction subtile que je repousse, car derrière le ministre nous avons le droit de voir l'homme ; et il est de notre devoir de nous enquérir des principes, des sympathies, des antipathies, des aspirations politiques de ceux à qui sont confiés les intérêts du pays, les plus (hères destinées de la patrie.

Arrière donc ces conséquences fatales ; si j'y souscrivais, je croirais avoir trahi le devoir, capitulé avec ma conscience. Cette conduite ne sera jamais la mienne.

M. le président. - Il vient de parvenir au bureau un amendement ainsi conçu :

« Remplacer la seconde phrase du paragraphe 4 de l'adresse pai la suivante.

« Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne d'approuver le système d'annexions destructif des Etats secondaires.

« Signé, MM. B.-C.-D. Dumortier, de Theux, (erratum, page 143) Alp. Nothomb , Isidore Van Overloop,. G. Van Bockel.. Liedekerke-Beaufort, de Man d'Attenrode, de Landeloos.”

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, j'ignore si les auteurs de l'amendement ont l'intention de développer leur proposition, et de rouvrir ainsi la discussion générale qui a été close hier ; j'attendrai que les honorables membres se soient expliqués à cet égard.

Je répondrai pour le moment à une question spéciale que m'a faite un honorable député de Courtrai.

Je ne sais où l'honorable membre a trouvé des motifs de se défier des dispositions du gouvernement vis-à-vis de Rome.

Je pense qu'il a confondu la doctrine du gouvernement avec celle d'un de ses amis, l'honorable M. Kervyn, qui nous a dit qu'il comprenait la reconnaissance de toute l'Italie lorsque le pape aurait quitté le saint-siège et serait errant et mendiant à travers l'Europe.

Messieurs, nous avons dit précisément le contraire de ce que nous impute l'honorable représentant de Courtrai.

Dans la lettre écrite à M. Carolus, qui est notre ministre près du saint-siège, il est dit positivement qu'en reconnaissant les faits accomplis et persistants, le gouvernement belge réserve sa liberté d'appréciation sur les éventualités de l'avenir qui pourraient modifier cet état de choses.

C'est une réserve qui concorde parfaitement avec celles introduites dans la lettre de M. Thouvenel à M. de Rayneval, lettre qu'on nous a signalée à plusieurs reprises comme un modèle à suivre quant aux réserves.

Messieurs, on nous dit que si le pape vient à quitter Rome, par ce fait seul le ministre du roi des Belges près du roi d'Italie se transportera à Rome près du gouvernement du roi Victor-Emmanuel.

Je n'ai qu'un mot à dire ou plutôt à répéter.

Le gouvernement devant ces éventualités, si elles venaient à se réaliser, conserve sa liberté d'appréciation et d'action. Il agira suivant les intérêts du pays et conformément aux devoirs de la neutralité.

Les alarmes de l'honorable membre ne semblent avoir été ressenties par aucun de ses collègues pendant ces longues discussions.

Il faut donc qu'ils aient compris nos déclarations autrement que l'honorable membre ; sinon ils n'auraient pas manqué d'en prendre texte pour remplir leurs discours de nouveaux griefs à la charge du cabinet.

Que l'honorable membre se rassure. Si les éventualités qu'il signale se réalisaient, le gouvernement se conduirait de nouveau dans cette circonstance avec prudence et circonspection. Il ne serait pas le premier à reconnaître le nouvel état de choses ; je ne dis pas qu'il serait le dernier. Mais nous n'avons pas, je pense, à nous occuper de ces éventualités.

On a toujours raisonné comme si le gouvernement avait en quelque sorte, en nommant un ministre près du roi d'Italie, abandonné la cour de Rome.

Mais le gouvernement continue d'être représenté près du saint-siège. Son ministre continue de résider à Rome, et il n'est pas question de le rappeler. Il ne pourrait être question d'une pareille mesure que si, contre toute attente, la cour de Rome n'envoyait pas un nouveau nonce en remplacement de Mgr Conella, niais nous n'avons aucun motif de croire que cela puisse arriver.

Voilà, selon moi, la seule éventualité qui pourrait motiver le rappel du ministre de Belgique à Rome.

(page 99) J'engage donc l'honorable membre à ne pas s'alarmer pour le moment. Je l’engage à avoir quelque confiance dans la perspicacité, dans la circonspection du gouvernement. Et nul doute que si l'éventualité dont il parle venait à se produire, elle exciterait dans le pays une telle émotion, que le gouvernement, avant d'agir, devrait y mettre une réserve, une prudence toute particulières. De plus, si les Chambres étaient assemblées, le gouvernement aurait probablement à s'expliquer devant elles. Mais n'engageons pas l'avenir, ne lions ni le gouvernement, ni le pays. Nous sommes en présence de faits accomplis ; nous agissons en vertu de ces faits, et nous réservons notre liberté d'action quant aux faits de l'avenir.

M. Orts, rapporteur. - L'amendement qui vient d'être présenté a une double portée dans la pensée de ses auteurs.

Il implique non seulement l'introduction d'une phrase nouvelle dans le projet d'adresse ; mais encore, si j'ai bien compris, la suppression d'une phrase que ce projet contient.

M. Thibaut. - Oui, évidemment.

M. Orts, rapporteur. - Nous sommes donc d'accord.

La phrase que l'amendement supprime et remplace par une phrase nouvelle, est celle-ci :

« Ce maintien (le maintien des bons rapports entre la Belgique et les pays étrangers), ce maintien prouve avec quelle intelligente loyauté le Belge pratique les devoirs du droit public qu'impose la neutralité. »

A cette suppression, au nom de la commission d'adresse, je m'oppose de la manière la plus formelle.

La phrase a été introduite dans le projet d'adresse pour déclarer solennellement que, dans l'opinion de la majorité, si l'adresse est votée telle qu'elle est présentée, le gouvernement belge et la Belgique n'ont en aucune façon dévié de ce que prescrit le respect des devoirs de droit public qu'impose la neutralité.

Si donc le phrase disparaissait, sa disparition équivaudrait à une déclaration très caractérisée par les discours qui ont été prononcés dans les séances antérieures, à la déclaration que la Belgique est sortie des devoirs qu'imposait an pays le respect de sa neutralité.

Ce blâme, quoique indirect, serait clair, manifeste. Ce blâme, le projet d'adresse ne veut pas l'infliger au gouvernement ; il veut, au contraire, approuver sa conduite.

Je m'oppose donc, je le répète, à la suppression du paragraphe.

Si, maintenant, quelques membres de cette Chambre désiraient ajouter à ce paragraphe un autre paragraphe destiné à rendre l'esprit du premier plus évident, plus clair, une phrase qui n'aurait pas la portée directe ou indirecte d'un blâme, la commission d'adresse n'a pas assez d'amour-propre d'auteur, et son rapporteur ne pousse pas assez loin le sentiment de la paternité, pour s'opposer à une addition aussi inoffensive. Si, par exemple, il entrait dans la pensée des membres signataires de l'amendement de s'exprimer dans le sens que voici, je n'y verrais, pour ma part, et je suis persuadé que nos honorables collègues de la commission partageront mon avis, aucune espèce d'inconvénient.

Si l'on voulait, acceptant les premières lignes de l'amendement, si l'on voulait dire : « Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples, » je l'admettrais volontiers.

Une pareille phrase se bornerait à constater, à reconnaître que la conduite du gouvernement a été, aux yeux du pays entier, une conduite conforme aux règles, aux devoirs que la neutralité impose à la Belgique, je m'y rallierais donc sans hésitation et par esprit de conciliation.

M. le président. - Le sous-amendement proposé par M. Orts est-il appuyé ? (Oui ! oui !)

(page 106) M. Devaux. - Je viens m'opposer à l'amendement qui nous est proposé, et en même temps me rallier au sous-amendement que vous soumet l'honorable rapporteur.

Messieurs, le débat qui a eu lieu et le vote que vous allez émettre n'aura pas seulement une portée actuelle, il doit en avoir une pour l'avenir ; nous allons décider quelle est, en fait de reconnaissance, la doctrine du gouvernement belge.

Nous sommes en présence de deux systèmes opposés. Il s'agit en effet de savoir si pour le gouvernement belge la reconnaissance d'un autre gouvernement doit être une appréciation, une approbation des moyens par lesquels ce gouvernement s'est fondé, ou si c'est la simple constatation d'un fait, sans aucune espèce d'appréciation de son origine.

Voilà les systèmes qu'on a débattus depuis plusieurs jours devant vous.

Voilà, d'un côté, le système de l'opposition et, de l'autre, celui du gouvernement.

Approuvons-nous les gouvernements que nous reconnaissons, acceptons-nous la solidarité des moyens par lesquels ils se sont fondés ? Non, dit le gouvernement, nous nous bornons à une seule chose : constater ce qui existe jusqu'à présent ; la Belgique a suivi ce dernier système, sans opposition aucune, mais aussi, je dois le dire, sans cette autorité que donne à une doctrine une discussion approfondie et contradictoire, que suit un vote formel.

Aujourd'hui tout a été discuté et quand nous aurons voté, la voie de l'avenir sera bien formellement tracée.

La question est grave pour un Etat comme le nôtre et dans un siècle où le sol tremble souvent et où, soit d'un côté du monde, soit de l'autre, il y a souvent des relations à former avec des gouvernements ou des Etats de fraîche date.

Suivant la doctrine de l'opposition, la Belgique ne pourrait entrer en rapport avec un gouvernement nouveau sans accepter en même temps la solidarité de tous les actes auxquels le gouvernement doit son existence.

Comprend-on bien, messieurs, toutes les conséquences de cette situation nouvelle qu'on veut faire au gouvernement belge ?

Reconnaissez-les par ce qui se passe dans ce débat même. Ceux qui professent sur les reconnaissances la doctrine de l'opposition viennent de discuter avec une liberté sans limite ce qui s'est passé dans un autre Etat de l'Europe ; on l'a blâmé, on l'a traité sans ménagement aucun, et on vous demande de sanctionner cela par votre vote.

Messieurs, le gouvernement dont il s'agit aujourd'hui est de l'autre côté des Alpes. Dans la situation où il se trouve, je conçois que vous ne risquiez pas grand-chose à prendre ces libertés avec lui. Mais si, à son égard, la reconnaissance est une approbation et la constatation de ses droits, je demande ce que vous ferez lorsque le gouvernement nouveau sera à votre porte et sera quatre, six ou huit fois plus fort que nous ? Consentirez-vous à approuver par votre reconnaissance des actes qui peut-être vous révoltent jusqu'au fond de l'âme, ou compromettrez-vous la sécurité de votre pays en flétrissant un gouvernement plus puissant que vous, par un refus que votre doctrine gouvernementale aura d'avance érigé en flétrissure ?

De deux choses l'une : ou vous blesserez par votre refus celui contre lequel vous êtes trop faible pour vous défendre, et vous exposerez les intérêts les plus précieux de votre pays, ou vous accepterez la solidarité des actes de Robespierre lui-même, s'il est au pouvoir, en la reconnaissant. Et après avoir discuté sans égard les actes d'un gouvernement que vous ne craignez pas, vous resterez bouche close devant des excès qui vous indigneront, mais dont une doctrine fatale vous forcera à partager la responsabilité.

Oui, messieurs, si la reconnaissance d'un gouvernement est l'approbation de son origine et des faits qui l'ont établi, chaque fois qu'il y aura une reconnaissance à faire, vous devrez dire si vous approuvez ou si vous désapprouvez ; si vous vous taisez, votre silence sera une humiliation pour votre pays.

Comment ! nous avons eu la révolution de février, l'événement le plus calamiteux peut-être qui ait pu tomber sur l'Europe ; nous l'avons reconnue sans mot dire.

Et aujourd'hui, parce qu'il s'agit d'un Etat éloigné ou qu'on ne juge pas assez puissant pour le craindre, on veut soumettre tous ses actes à une censure publique à laquelle personne n'eût osé songer le jour où il s'agissait d'un gouvernement fort et qui pouvait nous atteindre. N'ai-je pas raison de dire qu'un pareil système est plein de danger ; que si on le pratique, il ne peut aboutir, dans l'avenir, qu'à des malheurs ou à des humiliations ?

C'est le contre-pied de ce que nous avons à faire en Belgique.

Que les Etats puissants qui peuvent se mesurer avec les plus forts et dire leur avis à tout le monde fassent attendre leur reconnaissance comme une faveur, je le conçois ; mais la Belgique, avec ses 4,500,000 habitants, n'est pas du nombre des puissances qui régissent l'Europe ; elle est entourée d'Etats beaucoup plus puissants qu'elle ; peut-elle s'arroger le droit de les soumettre à sa censure ? et si elle ne le peut, vous aurez donc deux espèces de reconnaissances, l'une pour les faibles qui n'acceptera que ce qu'elle approuve, l'autre pour les forts qui adoptera ce qu'elle déteste. Une pareille voie où l'on veut vous engager, où peut-elle conduire ? Qu'y devient la dignité du pays, qu'y deviennent ses intérêts les plus chers ?

Messieurs, si vous adoptez au contraire la doctrine que la reconnaissance n'implique aucune approbation, n'est pas une reconnaissance de droit, mais une reconnaissance de fait, vous échappez à tous ces inconvénients. Il n'y a plus rien dans la reconnaissance d'un autre Etat que de clair, que de simple ; rien de dangereux ; rien dont qui que ce soit puisse vous faire un reproche, rien qui vous humilie. Car, quelle répugnance auriez-vous à constater un fait ? Il est là. Que vous le reconnaissiez ou non, il n'en existera pas moins.

S'il est bien entendu que votre reconnaissance n'est ni l'approbation des actes d'un gouvernement ni la désapprobation de ceux qui lui sont opposés, que risquez-vous à la faire ? Pourquoi iriez-vous de gaieté de cœur vous créer d'aussi graves difficultés ? Où est le devoir qui vous érige en juges officiels de tout ce qui se passe dans l'univers ? Faisons nos affaires comme nous les avons faites ; laissons aux autres faire les leurs. C'est le rôle qui nous convient.

(page 107) Ce rôle est modeste, mais la modestie est la dignité du faible. Prendre dans le monde une position au-dessus de ses forces, c'est vouloir courir le danger et en descendre humilié. Messieurs, si la reconnaissance ne fait que constater un fait, le délai dans lequel elle se fait perd toute importance. II faut seulement se garder de le prolonger assez pour que par le retard vous n'ayez l'air d'y attacher le sens d'une désapprobation.

On a blâmé le gouvernement de ce qu'il a fait pour Naples. Il a reconnu le seul gouvernement qui existât. Il n'avait pas à rechercher pourquoi l'ancien gouvernement ne s'y trouvait plus. Ce qui était certain et ce qui suffisait, c'est que de fait il n'y est plus.

On a dit, je le sais, que s'il n'y a pas d'autre gouvernement, il y a des soulèvements dans les montagnes ; oui, il y a des guérillas, des partisans. Mais quelqu'un ignore-t-il que dans un pays de montagnes comme celui dont il s'agit, de pareils faits peuvent durer pendant bien des années à côté du gouvernement le mieux établi ?

Faudra-il attendre un demi-siècle pour entrer en rapport avec ce gouvernement ? l'ancienne Rome était assurément assez bien assise pour être reconnue. Lui auriez-vous refusé votre reconnaissance à l'époque ou Annibal se maintint pendant quinze ans avec une très faible armée dans les montagnes de ce même royaume dont il s'agit aujourd'hui ? Rome cependant était assez forte à cette époque pour chasser les Carthaginois de la Sicile, de l'Espagne, pour aller les vaincre chez eux. Mais il fallut que Carthage elle-même rappelât Annibal pour qu'il abandonnât ces montagnes où il est si facile de se défendre en évitant toute rencontre décisive.

Et il en est ainsi dans tous les pays de montagne, en Espagne, en Ecosse. N'a-t-on pas vu, quarante ans, cinquante ans après la reconnaissance de Guillaume III, les Ecossais des montagnes venir avec Charles-Edouard menacer le gouvernement anglais ?

N'a-t-on pas vu ces faits se passer cinquante ans après que Louis XIV avait reconnu Guillaume III par la paix de Ryswick, et quarante ans après que la paix d'Utrecht avait pacifié l'Europe entière et pour ainsi dire fait oublier les Stuart ? Ces faits prouvent que d'une opposition de partisans dans les montagnes il n'y a pas de conclusions sérieuses à tirer contre la force d'un gouvernement.

Si la Belgique n'a pu reconnaître à Naples qu'un seul gouvernement, puisqu'il n'y en a qu'un, on dit qu'elle est sortie de sa neutralité à Rome, parce que là il y a des parties belligérantes contenues seulement par la présence des troupes françaises. On oublie que, pour Rome, le gouvernement est resté dans les termes de l'impartialité la plus complète.

Il n'a rompu aucune de ses relations ; s'il reconnaît le roi d'Italie, il reconnaît en même temps le saint-siège, et en maintenant sa légation de Rome, il prouve que dans son opinion la reconnaissance nouvelle ne porte aucune atteinte à la souveraineté du saint-père.

Je ne reconnais pas de moyen d'être plus neutre, plus impartial que le gouvernement belge l'a été à Rome.

Mais, dit-on, vous sortez de l'impartialité, par le titre que vous donnez au roi Victor-Emmanuel, vous l'appelez roi d'Italie, ce qui suppose l'absence de tout autre gouvernement italien ; bien plus, dit-on, vous n'avez pas seulement reconnu le roi mais le royaume d'Italie ; d'abord, messieurs, et cela est peut-être naïf à dire, il me semble que dans une reconnaissance comme ailleurs, un roi suppose un royaume ; mais quelle est ici la portée du mot « Italie » ?

Cela veut-il dire que nous reconnaissons le roi Victor-Emmanuel comme roi d'Italie sans partage aucun, comme roi de toutes les parties de l'Italie ?

L'ancien roi de Sardaigne est aujourd'hui en possession de la Lombardie, de la Toscane, de Parme, de Modène, de Naples, de la Sicile.

Il est impossible de contester qu'il ne soit aujourd'hui, au moins en fait, plus que roi de Sardaigne, qu'il est en possession d'une grande partie de l'Italie.

Eh bien, le titre qu'on lui reconnaît ne veut pas dire autre chose. La preuve, c'est qu'on maintient une légation près du saint-siège. La preuve, c'est que personne assurément ne soutiendra que le gouvernement belge méconnaisse les droits que le gouvernement autrichien exerce sur Venise, pas plus que ceux de la Suisse sur le canton du Tessin ou de la France sur l'Ile de Corse.

Messieurs, pourquoi, en donnant au roi Victor-Emmanuel le titre de roi d'Italie, exclurions-nous tout autre gouvernement italien ?

Rome, me dit-on, a toujours été la capitale de l'Italie ; puisqu'il s'agit ici d'une dénomination, je demanderai quand Rome a été la capitale du royaume d'Italie et quand le royaume d'Italie a embrassé l'Italie tout entière.

Est-ce que la république romaine s'appelait, par hasard, république d'Italie ?

Est-ce que les empereurs romains s'appelaient empereurs d'Italie ?

Je vois apparaître le mot d'« Italie » dans l'histoire romaine pendant la guerre sociale, mais en opposition et quand les Italiotes essayaient de fonder une autre capitale.

Je vois apparaître un royaume d'Italie lors de l'invasion des barbares du temps d'Odoacre, mais Odoacre ne possédait pas toute l'Italie, son pouvoir ne s'étendait certainement pas sur la Sicile.

Dans notre siècle, il y a eu un royaume d'Italie ; Napoléon Ier en était le chef, il a porté pendant neuf ans le titre de roi d'Italie. Il a fixé lui-même les limites de cet Etat, et il ne l'a pas étendu sur la péninsule, entière.

Le royaume d'Italie, c'était ce qu'on avait primitivement nommé la république cisalpine qui changea de nom en 1805, et qui ne contenait ni Rome où gouvernait le pape, ni Naples où régnait un roi de la famille de l'empereur.

Il n'est pas même vrai de dire, que si par des événements quelconques le roi Victor-Emmanuel venait à perdre la possession de quelques-uns des Etats où son pouvoir est reconnu aujourd'hui, il dût pour cela renoncer au titre qui lui est conféré.

Plus d'un monarque en Europe et des plus puissants porte un titre qui ne répond pas d'une manière littérale à l'étendue géographie de ses Etats.

C'est ainsi que l'empereur de Russie porte le titre de roi de Pologne, sans posséder, à beaucoup près, la Pologne entière.

Le roi de Saxe ne possède plus, depuis 1815, qu'une moitié de la Saxe.

Le roi de Prusse a cédé à l'empereur de Russie une partie de l'ancienne Prusse proprement dite, de la Prusse orientale.

Et plus près de nous n'avons-nous pas le roi des Pays-Bas ? Est-ce que la Belgique, en reconnaissant le roi des Pays-Bas, s'est suicidée ? Car enfin, la Belgique est une partie des Pays-Bas ; elle en a été même originairement la partie la plus importante.

Je crois donc, messieurs, être fondé à dire que dans le titre du roi d'Italie, il n'y a rien qui aille au-delà du fait, qui nous en fasse sortir, quels que soient les événements de l'avenir ; messieurs, je n'ajoute plus que quelques mots.

On nous a dit : prenez-y bien garde, vous allez reconnaître le droit de l'Italie sur Venise, vous allez l'exciter à cette conquête.

Or, Venise c'est une question qui peut troubler l'Europe entière, Venise c'est une question qui menace l'indépendance de l'Allemagne et par conséquence celle de la Belgique.

Messieurs, si la reconnaissance est ce que le gouvernement veut qu'elle soit, ce que je veux qu'elle soit, nous n'approuvons rien, nous n'excitons à rien, nous constatons un fait ; mais si vous voulez que l'acte du gouvernement ait une autre signification et si vous refusez de reconnaître, vous blâmez et vous blessez.

On nous a dit : la conquête de Venise amènerait une guerre européenne ; or, cet Etat que vous voulez reconnaître sera capable de mettre sur pied 530,000 hommes qui pourront servir à détruire l'indépendance de l'Allemagne, et la nationalité de la Belgique. Messieurs, c'est peut-être aller un peu vite que de supposer ce jeune Etat assez affermi en peu de temps pour disposer d'une pareille force à l'extérieur, niais s'il peut espérer de si grands et de si rapides progrès, je demande à nos honorables contradicteurs si ce serait une politique bien prudente que la leur, qui, au moment où elle reconnaît la probabilité d'une pareille force, veut que nous rompions avec l'Etat qui en sera doué et que nous le blessions dans sa dignité et dans son honneur.

Messieurs, il existe aujourd'hui en Italie, dans le Piémont, à notre égard des sentiments plus sympathiques peut-être que dans aucune autre partie de l'Europe.

II n'est peut-être pas de pays où la Belgique soit plus estimée que dans le Piémont.

Je ne dis pas assez : nous n'y sommes pas seulement estimés, mais nous y sommes une autorité, on nous y suit, on nous imite.

Dans la politique intérieure, dans l'administration, dans la législation, partout on trouve des traces de cette confiance dans les traditions belges.

Il n'y a pas de parlement où il y ait plus de sympathie pour la Belgique que dans le parlement de Turin.

Et quand de pareils liens existent, vous voulez les rompre ! Vous prétendez dire à ce pays : le but que vous poursuivez a été le nôtre. Le plus grand résultat de la révolution belge est d'avoir délivré le pays du gouvernement de l'étranger ; mais ce but, nous l'avons atteint, et nous renfermant aujourd'hui dans notre égoïsme, nous vous blâmons d'avoir marché sur nos traces.

Croyez-vous, messieurs, qu'un pareil langage serait le moyen de (page 108) conjurer le danger, que vous nous annoncez ? S'il était réel, ne devriez-vous pas plutôt craindre de rompre les rapports sympathiques qui nous unissent à ce peuple auquel vous annoncez un si grand développement de puissance ?

Ne faudrait-il pas nous efforcer de conserver cette bienveillance qu'on nous y accorde ; notre voix n'aurait-elle pas plus de chances d'être écoutée alors, quand, unie à d'autres, elle viendrait conseiller la prudence, quand elle dirait : nous ne vous blâmons pas de désirer ce que nous avons voulu, mais nous avons su mettre des bornes à nos désirs et à notre impatience ; nous n'avons pas cru qu'il n'y eût en Europe que nous ; nous nous sommes imposé des sacrifices qui nous ont été durs.

Ceux qui les ont conseillés ont été d'abord cruellement traités, mais aujourd'hui tout le monde a compris que le parti de la prudence était celui du patriotisme éclairé.

Que vos succès ne vous enivrent pas. N'oubliez pas que votre indépendance ne doit pas s'élever sur la ruine de celle des peuples qui sont en possession de la leur, et que vous n'avez pas le droit de l'acheter au prix de la liberté de l'Allemagne et de la Belgique. Croyez-vous, messieurs, que ce langage dans un parlement animé de sentiments sympathiques pour nous, ne nous serait pas plus utile que celui qu'on a fait entendre dans cette enceinte et que la flétrissante rupture qui en devrait être la conséquence ?

Je le pense, messieurs, et c'est pour cela que je voterai contre l'amendement qui nous est proposé et que je me rallierai au sous-amendement de M. le rapporteur qui vous demande de persister dans le seul système de reconnaissance que la Belgique ait suivi jusqu'aujourd'hui et qu'elle puisse suivre avec sagesse et prudence.

(page 99) .M. Dechamps. - Messieurs, je ne veux pas imiter l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir, en rentrant, comme lui, dans la discussion générale qui est close et à laquelle j'ai beaucoup regretté de ne pouvoir prendre une part plus active.

Je vais, messieurs, en quelques mots très brefs, préciser, beaucoup mieux qu'on ne l'a fait, le sens et la portée de l'amendement présenté et par lequel tout à l'heure vous aurez à vous prononcer.

L'honorable M. Devaux m'a paru avoir cherché à déplacer complètement les questions soulevées, et avoir résumé d'une manière erronée les débats qui viennent de finir.

D'après l'honorable membre, les principes en présence et sur lesquels la Chambre doit se prononcer, sont ceux-ci :

Pour la droite, la reconnaissance du royaume d'Italie, c'est une reconnaissance de droit, c'est une approbation de tous les actes posés par le gouvernement d'Italie.

C'est un fait grave pour l'avenir, a ajouté l'honorable membre, de donner à l'acte posé par le gouvernement une pareille interprétation.

D'après le système soutenu par le ministère, cet acte de reconnaissance, au contraire, n'est qu'une simple constatation d'un fait.

Je ferai remarquer à la Chambre et à l'honorable membre que, à mon sens, il se trompe complètement.

Ce n'est pas la droite qui a soutenu que l'acte de reconnaissance posé par le gouvernement est un acte d'adhésion et d'approbation ; ce sont, au contraire, les amis du ministère qui ont soutenu cette doctrine. (Interruption.)

Eh ! que vous ont dit les honorables MM. Orts, De Fré et de Boz ? Leurs discours, à coup sûr, sont dos témoignages de sympathie très vive pour la révolution italienne.

Ce sont des manifestations d'adhésion et d'approbation complète de tous les faits qu'on y a posés.

Ce n'est donc pas la droite qui a donné cette portée à l'acte de reconnaissance ; ce sont les amis du ministère, et j'attends de la franchise des honorables membres qu'ils ne me démentiront pas. Evidemment ils ont entendu faire acte de sympathie et d'adhésion à la révolution italienne, acte d'approbation des faits qu'on y a posés.

Ainsi donc l'honorable M. Devaux se trompe.

La question sur laquelle la Chambre est appelée à voter, n'est pas celle-là.

Permettez-moi de restituer à ces débats leur signification véritable. Je serai très bref.

Les deux systèmes en présence sont ceux-ci : M. le ministre des finances les a parfaitement définis, dans le discours qu'il a prononcé.

D'un côté, on soutient que les devoirs, que la neutralité nous impose, obligent les Etats neutres de reconnaître ce que MM. les ministres ont appelé l'état de possession.

Lorsqu'il y a un état de possession, fùt-il éphémère, contesté, c'est un devoir, au nom des principes de droit public ; voilà le principe défendu par le ministère.

Les membres de la droite, au contraire, ont soutenu un système, un principe différent. Ils ont soutenu qu'il ne suffit pas que cet état de possession éphémère, contesté peut-être par une partie de la population, existe ; qu'il faut une autre condition essentielle, impérieuse, commandée par les devoirs de la neutralité : c'est l'aveu de l'Europe, c'est l'aveu des puissances.

Voilà le principe que nous avons défendu. Pour un pays neutre dont la neutralité est placée sous la garantie de toutes les puissances, il faut l'aveu des puissances, avant de reconnaître un état de possession.

Voilà, messieurs, les deux principes qui ont servi de base aux débats. Relisez les discours de l'honorable M. Vilain XIIII, de mon honorable ami M. de Decker, de l'honorable M. de Theux, et des autres membres de la droite ; tous vous ont dit que, pour reconnaître l'état de possession, il faut l'aveu des puissances.

Vous ne nierez pas que lorsqu'un conflit, tellement grave que des guerres peuvent en sortir, divise profondément les puissances de l'Europe sous la protection desquelles notre neutralité est placée, le devoir que la neutralité nous impose est de nous abstenir jusqu'au moment où le fait nouveau, où le fait que vous dites accompli et qui ne l'est pas, sera entré dans le droit public européen. Voilà notre doctrine.

On a ajouté - mais c'est un autre ordre de considérations, - que l'abstention nous est imposée jusqu'au jour où l'Europe serait d'accord sur la question italienne, que cette abstention nous est commandée par la prudence politique, puisque le principe qui semble, aux yeux de quelques membres, triompher en Italie, est un principe qui, dans certaines éventualités, peut menacer notre nationalité dans l'avenir.

Voilà le résumé des débats.

Ainsi donc l'amendement présenté contient deux choses : c'est la déclaration d'un principe de droit public et c'est une protestation patriotique.

Les mots importent peu ; mais, telle est la signification politique de l'amendement.

D'après vous, il suffit que l'état de possession existe en Italie, pour que nous soyons obligés, au nom d'un principe de droit public, de le reconnaître.

Et je ferai remarquer, en passant, à ceux qui soutiennent cette doctrine, que plus de la moitié des grandes puissances de l'Europe ont méconnu ce prétendu principe, puisqu'elles ont refusé jusqu'à présent de reconnaître le royaume d'Italie. _

La France elle-même a manqué à ce principe, jusqu'à la mort de M. le comte de Cavour, car jusque-là elle avait refusé de reconnaître le royaume d'Italie.

(page 100) Or, l'état de possession existait la veille de la mort de M. de Cavour comme le lendemain.

Messieurs, je n'entends pas prononcer un discours ; je tiens seulement à poser nettement la question, pour que la Chambre la comprenne, et que le pays la comprenne comme la Chambre.

Je le répète : il y a un principe sur lequel nous sommes profondément en désaccord. Pour vous, un état de possession suffit pour vous imposer le devoir de le reconnaître.

Nous soutenons nous, que cet état de possession ne suffit pas ; qu'il faut, avant qu'une nation neutre puisse le reconnaître, que les grandes puissances ou du moins la majorité des grandes puissances, soient d'abord tombées d'accord sur la reconnaissance de l'état de possession.

Voilà le premier principe.

L'amendement a un second sens.

C'est une protestation patriotique contre certaines éventualités, que l'avenir peut révéler à l'égard de notre nationalité.

Encore une fois les termes de l'amendement importent peu.

Vous savez, messieurs, qu'en Angleterre, lorsque après un long débat, il s'agit de passer au vote, l'opposition se contente parfois de proposer au projet d'adresse la modification d'un seul mot ; ce mot est accepté par la majorité, comme résumant les débats.

Ici, un amendement est présenté ; je viens de lui restituer le véritable sens qu'il doit avoir pour la Chambre et pour le pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'attitude de nos honorables contradicteurs est assurément bien étrange dans cette discussion. Au commencement des débats, on nous demandait : « Quel est le caractère que vous avez donné à la reconnaissance du royaume d'Italie ? Expliquez-vous. Nous voulons savoir quelle est votre pensée intime. Avez-vous fait des réserves ? et quelles sont-elles ? Approuvez-vous ou improuvez-vous ce qui s'est passé en Italie ? »

Dès ce moment, le gouvernement a fait connaître très nettement sa pensée ; il n'a laissé subsister aucun doute sur la position qu'il avait prise.

Il déclara qu'il n'avait pas d'opinion à émettre sur les actes accomplis au sein des autres nations, qu'il n'approuvait ni n'improuvait ces actes, et qu'il ne se considérait comme solidaire ni d'aucun fait accompli, ni d'aucun dessein préparé. Il démontra, d'une manière irréfragable, que, par sa nature même et suivant les principes les moins contestables du droit public, tel était le caractère essentiel de la reconnaissance d'un gouvernement établi.

Il pouvait croire qu'une déclaration si claire, si explicite, était propre à satisfaire complètement l'opposition. Mais, tout au contraire, l'opposition se relève et nous signifie, nonobstant les paroles que je viens de répéter, que notre reconnaissance implique une approbation. Elle prétend faire seule acte de patriotisme, en soutenant que cette reconnaissance implique nécessairement l'approbation d'un système qui serait celui des annexions.

Singulier patriotisme que le vôtre !

Vous ne comprenez donc pas qu'il fallait vous arrêter en présence des déclarations du gouvernement et que, dès lors, vous n'aviez plus à insister ? Du moment qu'il a lui-même qualifié la reconnaissance du roi d'Italie, vous n'aviez plus le droit de le contredire, surtout pour faire de l'acte en discussion un texte d'offenses à l'opinion que nous défendons.

Maintenant, dans l'embarras où les déclarations si catégoriques du gouvernement ont placé nos contradicteurs, qu'imagine l'honorable préopinant ? II n'a plus à s'occuper des déclarations du gouvernement. Les principes que le gouvernement a proclamés, il n'a pas à les contredire, il n'a pas à les attaquer ; mais ce qui caractérise à ses yeux la reconnaissance, l'acte officiel posé par le gouvernement, ce sont les discours qui ont été prononcés ! D'honorables membres de la gauche ont émis leur opinion sur les événements qui se sont passés en Italie ; ils ont exprimé leurs sympathies pour tels ou tels actes qui s'y sont accomplis.

Voilà, d'après lui, ce qui révèle le véritable caractère de la reconnaissance ; et puis l'honorable membre ajoute que ce ne sont pas ses amis qui se sont engagés dans cette question, et il prétend que c'est la gauche qui a porté la discussion sur ce terrain.

L'honorable membre n'a pas assisté aux débats, et je m'aperçois qu'il n'a pas même lu les Annales parlementaires.

Que l'honorable membre ouvre ces annales. Qu'y verra-t-il ? Que, pendant plusieurs séances, le gouvernement a été exclusivement aux prises avec les membres de la droite ; les membres de la gauche gardant le silence, il a fallu les attaques passionnées...

M. Muller. - C'est vrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - .. il a fallu les violences réitérées des honorables membres de la droite, pour qu'un membre de la gauche se levât et protestât de ses sympathies en faveur de la cause de l'Italie.

- Plusieurs membres. - C'est vrai !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les provocations sont donc venues de votre côté. On était disposé dans cette Chambre à agir comme le gouvernement l'avait fait, c'est-à-dire prudemment, sagement, sans bruit, sans éclat. Vous n'avez voulu être ni prudents, ni sages, ni patriotiques.

- Plusieurs membres. - Très bien.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au moment où les débats vont se clore, l'honorable membre, prenant la parole sur un amendement, vient introduire dans la discussion un système nouveau, dont jusqu'à présent il n'avait pas encore été parlé, et il le donne comme étant le système de la droite, le système de ses amis, celui qui aurait été prétendument préconisé.

- Plusieurs voix. - C'est vrai.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après ce système, nous sommes neutres ; c'est dans l'intérêt de l'Europe que la neutralité de la Belgique a été proclamée par les traités. Nous devons nous tenir en dehors des querelles de l'Europe, ne point prendre parti pour des belligérants. Puis, il induit de là que nous devons attendre, pour reconnaître un gouvernement nouveau, qu'il ait été agréé par les grandes puissances de l'Europe,

Mais les mêmes actes qui proclament la neutralité de la Belgique, ne proclament-ils pas aussi son indépendance ? Eh bien, par cela même, en vertu de cette indépendance, la Belgique a le droit de décider seule quelle est l'attitude qu'elle doit prendre vis-à-vis des pouvoirs nouveaux qui se constituent en Italie ou ailleurs.

Je soutiens que, seule juge de ses intérêts, et en vertu de son indépendance, la Belgique a le droit de se prononcer à l'égard des gouvernements qui viennent à se constituer, et depuis trente années c'est la première fois qu'une doctrine contraire est énoncée. Pendant trente années, la Belgique n'a cessé de pratiquer ainsi son indépendance, sans qu'aucune espèce de contestation se soit élevée en Europe au sujet de l'exercice de ce droit.

Quel rôle serait celui delà Belgique au milieu des conflits européens, si l'étrange système de l'honorable préopinant pouvait jamais prévaloir ? Et conçoit-on un système qui soit plus contraire à la dignité du pays ?

Nous avons vu, à certaine époque, la Russie, par exemple, hésiter à reconnaître un gouvernement nouveau qui se formait en France, et, suivant la doctrine de l'honorable membre, nous aurions été obligés de nous abstenir, au risque de nos plus chers, de nos plus grands intérêts, parce que la Russie n'aurait pas voulu reconnaître le gouvernement français !

Est-ce là, je vous le demande, messieurs, une doctrine qui peut être sérieusement proposée dans cette assemblée ?

Messieurs, je termine par un mot sur l'amendement.

L'amendement n'est qu'une tactique, et je regrette qu'on y ait eu recours. C'est uniquement à l'effet d'introduire dans l'adresse un mot qui préoccupe aujourd'hui plus que jamais, bien que ni le mot ni la chose ne soient de récente invention. C'est uniquement dans ce but que l'amendement a été formulé. Le sous-amendement présenté par l'honorable M. Orts l'écarté catégoriquement, par la déclaration qui affirme les principes que doit pratiquer la Belgique ; c'est-à-dire qu'elle doit, ainsi que l'annonce le sous-amendement, s'abstenir, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples.

Nous vous répétons ce que nous avons dit dans cette discussion.

Vous n'avez pas le droit, vous, représentants, d'émettre une opinion sur les actes qui s'accomplissent en Italie. Vous n'avez pas le droit comme Chambre, et nous n'avons pas le droit, comme gouvernement, d'exprimer une opinion sur ces actes.

Continuons donc à pratiquer notre politique, qui est la plus juste et la plus légitime, et qui est aussi la plus favorable aux intérêts du pays.

M. de Theux. - Messieurs, rien dans ce qui a été dit dans cette séance par l'honorable ministre des finances et par l'honorable M. Devaux ne peut infirmer les opinions que j'ai émises dans les discours que j'ai prononcés dans cette enceinte.

En effet, M. le ministre des finances croit nous atteindre en disant : Mais si les Etats neutres doivent attendre que toutes les puissances aient reconnu pour faire la reconnaissance d'un Etat nouveau, où est votre indépendance ?

Messieurs, je n'ai jamais soutenu cette opinion, je n'ai parlé que pour le cas présent, pour la question d'Italie.

En effet, il eût été absurde, de ma part, de soutenir un pareil système lorsque des faits établissant le contraire sont à ma connaissance.

(page 101) Ainsi, nous avons établi des rapports diplomatiques avec un gouvernement français sans attendre que toutes les grandes puissances en eurent établi.

Mais là il y avait une utilité nationale ; je dirai même, sans hésiter, une nécessité nationale.

Or, dans la reconnaissance du royaume d'Italie, y a-t-il une utilité nationale, y a-t-il nécessité nationale ? Non, je le dis sans aucune hésitation.

Je dis plus, messieurs, je dis, et ce sont des faits historiques connus du monde entier, il est constant que les guerres d'Italie et les guerres du Rhin sont ordinairement connexes ; que les guerres du Rhin et les guerres d'Italie intéressent toutes les puissances. Je dis que la question d'Italie renferme éventuellement et peut-être probablement une guerre générale ; que le résultat de cette guerre générale comprendrait évidemment la guerre sur le Rhin ; et que de cette double guerre d'Italie et du Rhin, il pourrait résulter pour nous des conséquences que nous aurions tous à déplorer. A ce point de vue, j'ai dit qu'en présence du dissentiment des grandes puissances, il n'était ni de notre intérêt, ni de notre devoir de reconnaître le royaume d'Italie.

J'ai dit que l'esprit de neutralité qui avait amené la reconnaissance, la garantie de la Belgique exigeait de nous, dans cette circonstance spéciale, que nous nous abstinssions..

Je n'ai pas été au-delà et je n'ai donné à personne le droit de me prêter une intention qui ne fût pas conforme à mes paroles.

Messieurs, dans la rédaction de l'adresse on nous a proposé une approbation de l'acte posé par le gouvernement.

Eh bien, à cette approbation donnée par l'adresse, nous opposons, je le dis sans détour, une désapprobation. Voilà toute la portée de l'amendement.

- Voix à gauche. - C'est clair !

M. de Theux. - L'honorable M. Devaux nous disait tout à l'heure : Mais vous voudriez proclamer le droit public dans une adresse ! Nullement, messieurs, nous faisons une réponse inverse à celle du projet d'adresse ; voilà toute la portée de notre amendement ; il n'y a rien de plus dans la question qui nous occupe ; absolument rien.

Et voyez, messieurs, comme on exagère les conséquences de notre opinion ! Hier M. le ministre des affaires étrangères nous disait :

Mais la Belgique a reconnu l'empire d'Allemagne et elle a reçu un plénipotentiaire de cet empire ; donc, nous dit-on, vous avez reconnu l'unification de l'Allemagne. Il n'en est rien, messieurs ; la constitution de l'empire d'Allemagne ne comportait pas du tout l'absorption de tous les Etats d'Allemagne en un seul : chaque partie de l'Allemagne conservait son autonomie et son souverain, et tous étaient tombés d'accord pour constituer un représentant de l'empire. Nous étions complètement désintéressés dans cette question et nous avons parfaitement bien fait de reconnaître l'empire d'Allemagne.

Dans les rapports personnels que j'ai eus avec l'envoyé de l'empire d'Allemagne, je me suis seulement permis de dire que l'empire n'avait ni budget, ni armée et qu'aussi longtemps que je ne verrais pas ces deux conséquences de la constitution de l'empire d'Allemagne, je le considérais comme éphémère.

L'idée de l'unification de l'Italie est-elle bien solide ?

Pour moi, j'en doute et je vois que ce doute se propage même en Angleterre, où l'on a pris l'initiative de la reconnaissance. La presse de ce pays semble, en effet, pencher à croire aujourd'hui que cette idée devient irréalisable.

Eh bien, messieurs, en présence de ce fait, n'avais-je pas raison de dire qu'il n'y avait pas lieu, quant à présent, de se hâter de reconnaître le royaume d'Italie ?

C'est tout ce que j'ai dit.

M. le ministre des affaires étrangères nous disait hier : Ce n'est pas le Piémont qui a absorbé les autres Etats ; c'est lui, au contraire, qui s'est anéanti pour se confondre dans l'Italie. Messieurs, nous avons quelque expérience de l'union de certains Etats. La Hollande était certainement la partie la plus faible du royaume des Pays-Bas, et cependant c'était bien la Hollande qui, par son roi, par sa constitution, par sa pensée nationale, exerçait une suprématie souveraine sur le royaume des Pays-Bas. Et cela est tellement vrai que, comme on l'a fort bien fait remarquer, nous nous sommes toujours considérés comme les opprimés, quoique nous fussions la partie principale de la population.

Vous voyez, messieurs, combien les analogies sont dangereuses comme arguments. Il en a été cité des centaines dans cette discussion et, à mon avis, il y en a bien peu qui méritent une discussion sérieuse. Ce sont de ces phrases à effet qui, au premier abord font quelque impression, mais cette impression disparaît bientôt connue la fumée.

Quant à moi, je me résume et je persiste dans l'opinion que j'ai émise et dans les conclusions de mon discours, mais à la condition qu'elles soient strictement renfermées dans les termes dont je me suis servi et qu'on n'en déduise aucune conséquence qui soit contraire à ma pensée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'êtes pas d'accord avec M. Dechamps.

M. de Theux. - Ainsi, par exemple, on a dit que nous imputons au gouvernement le fait d'avoir approuvé tous les actes qui se sont passés en Italie. Je n'ai rien dit de semblable ; au contraire, j'ai reconnu d'accord avec M. le ministre des finances que la reconnaissance n'impliquait pas cela et qu'elle ne pouvait même pas impliquer cette idée, attendu qu'aucun gouvernement ne soumet sa conduite aux autres.

II leur expose un fait, et ceux auxquels il l'expose sont bien libres d'examiner d'abord si ce fait existe réellement et s'il a une gravité suffisante pour qu'il puisse être reconnu comme existant, et ensuite s'il y a intérêt pour chacun de ces gouvernements à reconnaître ce fait, ou bien s'il convient d'attendre le développement de l'événement pour se prononcer. C'est la position que j'ai prise, et c'est dans cet ordre d'idées que j'ai signé l'amendement.

M. Orts. - Tous les commentaires du monde ne peuvent pas enlever à une phrase le sens net et précis que lui donne sa rédaction. Voire adresse votée, lorsqu'on voudra savoir quelle est sa signification, c'est son texte que l'on consultera. On laissera de côté les Annales parlementaires et les commentaires qu'elles contiennent.

Or, le texte très net de l'amendement proposé contient une phrase qui est évidemment la désapprobation de la conduite d'un gouvernement étranger.

Vous demandez à la Chambre de dire qu'elle n'entend pas « approuver le système d'annexions destructif des Etats secondaires. » Franchement, loyalement, ne voulez-vous pas dire par là que le gouvernement piémontais, aujourd'hui le gouvernement italien, a pratiqué, pour atteindre son but, « le système d'annexion destructif des Etats secondaires » et que vous n'approuvez pas cette conduite ? Franchement, loyalement pas un des membres de la droite qui ont parlé ne voudrait enlever à cette phrase son caractère et son évidence.

Or, messieurs, pourquoi ai-je demandé que cette phrase fût supprimée ? Pourquoi ai-je cherché à la remplacer par le sous-amendement inoffensif que je propose d'introduire dans l'adresse, et cela dans un but de conciliation, pour rendre plus claire encore la pensée primitive ? Parce que je ne reconnais pas à la Chambre belge le droit, sans sortir de la neutralité, base du droit public national, je ne reconnais pas le droit à la Chambre, comme corps politique, de juger, d'approuver ou de blâmer un gouvernement étranger.

Si vous jugez, si vous approuvez ou si vous blâmez ce gouvernement dans l'occurrence, vous intervenez évidemment au débat italien, soit pour les princes déchus, soit pour les peuples qui les ont fait déchoir. Ce n'est pas, croyez-le bien d'ailleurs, ce n'est pas quand je demande à la Chambre cette déclaration d'incompétence, que je recule devant les paroles que j'ai prononcées, et l'aveu de mes sympathies personnelles ; non plus qu'aucun de mes honorables collègues de la gauche. À Dieu ne plaise !

L'honorable M. Dechamps a eu raison de l'affirmer tout à l'heure ; aucun de nous n'a l'intention de désavouer, d'atténuer un mot de ce qu'il a dit, aucun n'a envie de reculer. Nous avons approuvé l'Italie haut et ferme et nous l’approuvons encore.

Mais, l'honorable membre a oublié qu'en le faisant nous avons déclaré parler comme hommes, comme individus, nous avons parlé, provoqués, parce qu'il fallait répondre pour un peuple absent aux accusations plus que violentes dont il était l'objet. Nous n'avons pas demandé à la Chambre de nous suivre, parce que nous croyions qu'il pourrait sembler aux esprits timides vouloir engager la Belgique dans une voie dangereuse, contraire aux devoirs impérieux d'un Etat neutre.

Si nous avions osé librement suivre notre inspiration, exprimer nos sympathies comme on le ferait sans craindre de méconnaître aucun devoir international dans le parlement d'Angleterre, de ce pays où l'opinion publique a le droit de dire son mot sur les affaires intérieures de l'étranger, j'aurais persisté le premier dans une voie contraire.

J'aurais ouvertement essayé de faire encore dans la discussion de l'adresse ce que j'avais tenté au sein de la commission. Avec mes honorables amis j'aurais provoqué une approbation complète, explicite du noble usage que l'Italie a fait de son droit de souveraineté nationale.

M. B. Dumortier. - Je m'étais promis, la première fois que j'aurais pris la parole, de revenir sur l'incident qui s'est passé samedi dernier, quand je finissais le discours que je prononçais. Je voulais aussi remercier mes amis du chaud appui qu'ils m'ont prêté en cette circonstance, et je tenais d'autant plus à le faire que les Annales parlementaires ont omis d'en faire mention ; mais la gravité du débat engage ne me permit pas de (page 102) détourner l'attention de l'assemblée du fait qui se discute en ce moment. Je reste dans le fait.

Il y a une chose qui me frappe surtout ici, c'est l'adresse avec laquelle on cherche à détourner la discussion de l'amendement que nous avons présenté, pour l'attirer sur un autre terrain.

Une chose qui ne me frappe pas moins, c'est de voir le ministre des finances et l'orateur qui vient de se rasseoir parler de l'indépendance, de la liberté de la Belgique, de l'indépendance et de la liberté du parlement, et lui dénier le droit d'examiner les motifs, les bases d'une reconnaissance, d'un acte posé par le gouvernement.

Comment ! vous n'avez pas le droit d'examiner un acte posé par votre gouvernement et on vient vous parler d'indépendance, de liberté, de dignité.

Ne parlez donc plus d'indépendance, de liberté, de dignité, quand vous voulez nous réduire à un rôle aussi déplorable. Mais le système que vous mettez ici en avant n'est pas sérieux, c'est un expédient.

On parle souvent, sur le banc des ministres, de tactique ; c'est de la tactique que vous faites ici.

Voyant que l'amendement que j'ai présenté est un amendement sérieux qui est dans les entrailles de la question, dans l'intérêt de la nationalité belge, vous voulez détourner l'attention du pays, l'attention de la Chambre, de l'importance que présente cet amendement.

C'est, dit l'honorable membre, c'est la désapprobation de la conduite d'un gouvernement étranger. Si l'honorable membre veut le prendre ainsi, il peut le faire.

Ce qui est certain, ce que le texte n'en parle pas, il parle du droit de la Belgique, de son respect pour les nationalités, du danger qu'il y a pour le pays de suivre le système des annexions. Parce que le gouvernement du Piémont a annexé le duché de Parme, le duché de Modène, la Toscane, la majeure partie des Etats romains et les Etats de Naples, la Belgique ne pourra plus parler du danger de l'annexion des petites puissances par les grandes !

Soyez donc conséquents ; vous parlez de liberté, d'indépendance, de dignité ; où est la dignité, s'il suffit qu'une puissance avec laquelle vous êtes en paix fasse une annexion, pour qu'il ne nous soit pas permis de parler du danger des annexions ? Mais alors vous n'êtes plus une nation, vous êtes des hommes qui exécutez les volontés d'un ministère. C'est pour cela que je désapprouve l'amendement de M. Orts.

Ce n'est pas autre chose que la substitution de l'intérêt du cabinet aux intérêts du pays, la substitution de l'intérêt particulier à l'intérêt national.

Qu'est-ce que nous proposons dans notre amendement ? Que la Belgique, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne d'approuver le système des annexions, système destructif des nationalités secondaires, principe qui est dans tous les esprits, dans toutes les bouches ; j'ajouterai qu'il n'est pas un cœur qui ne l'approuve. Si vous l'écartez du projet d'adresse, le pays jugera.

Par quoi veut-on remplacer cette phrase ? Par celle-ci : « Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples. »

Est-ce que la note du ministre qui fait la base de la discussion n'intervient pas dans les affaires d'Italie ? Commencez par être conséquent avec vous-même. Que porte la note adressée, à M. Carolus, dont le ministre vous a donné lecture ?

En reconnaissant le royaume d'Italie, nous reconnaissons un état de possession. Vous reconnaissez quoi ? Toutes les annexions faites en violation des traités de Zurich et de Villafranca. Y a-t-il, oui ou non, des traités ? Oui, ces traités existent encore aujourd'hui en droit ; eh bien, ces traités vous les foulez aux pieds en disant que vous reconnaissez un état de possession, car celui que vous reconnaissez n'est pas celui des traités ; mais par le fait, vous venez de le dire, vous reconnaissez la possession d'une partie des Etats du pape, du royaume de Naples, des duchés de Parme et de Modène, de la Toscane contrairement au traité de Villafranca, or le traité de Villafranca, ratifié par le traité de Zurich, constitue, forme le droit européen.

Maintenant que faisons-nous ? Nous restons dans le droit public européen, notre amendement n'a qu'un but, c'est rester dans le droit public européen. Que faites-vous, au contraire ? Vous en sortez, vous vous placez dans un système qui n'est pas celui du droit public. Tout le but de l'amendement est de rester dans le droit public européen, parce que le droit publie européen est tout à fait en harmonie avec le plus grand des intérêts de la Belgique.

Mais la reconnaissance, dit l'honorable M. Devaux, n'implique aucune espèce d'approbation. Mais c'est précisément le contraire que dit M. le ministre, ou du moins il ne s'explique pas sur ce point, La reconnaissance n'implique aucune espèce d'approbation, et l'honorable M. Frère, que vous dit-il ? Le gouvernement n'a pas d'opinion à émettre sur ce point. Si le gouvernement n'a pas d'opinion à émettre, il est inexact de dire que la reconnaissance n'implique aucune espèce d'approbation... (Interruption.)

Je reprends ma phrase, et tous vos rires ne changeront pas ma manière de dire.

Si le gouvernement n'a pas d'opinion en matière de reconnaissance, comme le prétend l'honorable M. Devaux, il est inexact de dire que pour le gouvernement la reconnaissance n'implique aucune espèce d'approbation. (Nouvelle interruption.)

C'est intolérable ! Il vous est bien plus facile de ricaner que de répondre à cela. Répondez et démontrez que le silence du gouvernement équivaut à l'absence d'une approbation.

Maintenant ce que vous dit l'honorable M. Frère est encore complètement inexact.

Il vous dit : Le gouvernement n'a pas d'opinion à émettre. Eh bien, dans votre note à M. Carolus, vous émettez une opinion, puisque vous déclarez que la reconnaissance du titre de roi d'Italie entraîne avec elle la reconnaissance de la possession. Or, qu'est-ce que la possession ? Encore une fois ce sont des annexions, et comme la Belgique, petit pays, doit maintenir les principes du droit des gens pour s'opposer aux annexions, c'est pour cela que l'amendement a été présenté.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets aux voix le sous-amendement présenté par M. le rapporteur.

M. de Theux. - Il est impossible de commencer par voter sur le sous-amendement de M. le rapporteur de la commission, attendu que ce sous-amendement rentre tout à fait dans la pensée de l'adresse. Il ne s'en écarte que par l'addition de quelques mots.

Je pense que l'honorable rapporteur a uniquement pour but de s'approprier la démonstration patriotique que nous avons voulu faire. Mais je ne doute pas du patriotisme des membres de la gauche, quant à l'affirmation de notre nationalité. La portée du sous-amendement de l'honorable M. Orts n'est pas autre.

Mais la portée de notre amendement, ainsi que je l'ai exprimé, est en opposition avec la pensée de l'adresse. Nous avons déclaré que c'était une désapprobation mise en regard d'une approbation. Par conséquent il faut que nous puissions voter, avant tout, sur notre amendement.

- Un membre. - La question est sans intérêt.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a toujours intérêt à ce que le règlement soit exécuté.

M. de Naeyer. - Il ne s'agit pas d'une question de règlement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble, au contraire, qu'il ne s'agit que d'une question de règlement, quand il s'agit de savoir ce qu'on doit d'abord mettre aux voix, de l'amendement ou du sous-amendement, Or, le règlement est formel : le sous-amendement doit être mis aux voix avant l'amendement.

Qu'a dit l'honorable comte de Theux ? Il a prétendu que le sous-amendement de M. Orts n'est pas, à proprement parler, un sous-amendement. Il l'apprécie, il le juge à sa manière, et, en conséquence, il veut l'écarter.

Mais le caractère de sous-amendement existe par cela seul que la proposition a été faite par l'honorable rapporteur. Et le véritable caractère de ce sous-amendement résulte des expressions mêmes de son texte. D'une part, dans la proposition principale, on trouve le blâme de ce qu'on appelle le système d'annexion suivi en d'autres pays, et dans le sous-amendement on dit, en contradiction formelle avec ce qui est là énoncé, que la Chambre belge n'a pas à se prononcer sur ce qui se passe chez les autres peuples.

Il est donc impossible qu'un sous-amendement se trouve plus précisément caractérisé que celui qui a été formulé par l'honorable rapporteur.

Je demande donc formellement que le sous-amendement soit mis aux voix avant la proposition principale.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, je crois que le règlement, comme le dit l'honorable ministre des finances, tranche la question de savoir si le sous-amendement doit être mis aux voix avant l'amendement. Mais il y a une question qui domine celle-là.

II ne peut s'agir de voter sur le sous-amendement ou sur l'amendement, de faire passer l'un avant l'autre, qu'après que nous aurons voté ce que dans tous les systèmes on conserve, sauf dans le système de l'amendement présenté par l'honorable M. Dumortier et ses collègues.

(page 103) Nous demandons tout d'abord le maintien du paragraphe primitif ainsi conçu :

« Ce maintien prouve avec quelle intelligente loyauté le Belge pratique les devoirs de droit public qu'impose la neutralité. » C'est-à-dire que nous demandons le maintien de la phrase impliquant, dans la pensée de la commission, l'approbation de la conduite du gouvernement.

C'est là, me paraît-il, la première chose à voter. Vous voterez contre, puisque vous en demandez la suppression.

Nous voterons pour, parce que nous en demandons le maintien ; et si cette phrase vient à disparaître, nous nous expliquerons alors sur l'amendement et le sous-amendement destiné à la remplacer.

M. de Theux. - Le motif clair et décisif de donner la priorité à notre amendement est celui-ci : c'est que le sous-amendement de l'honorable M. Orts peut être ajouté au paragraphe de l'adresse, alors même que notre amendement aurait été rejeté ; tandis que si le sous-amendement de l'honorable M. Orts était adopté, le principe du projet d'adresse est adopté et notre amendement tombe.

Je fais un appel uniquement à la bonne foi de l'assemblée. Peu m'importe par où l'on commence. Je pense que nous avons tous assez d'intelligence pour comprendre la portée de notre vote. Qu'on vote d'abord sur le sous-amendement de l'honorable M. Orts ou sur notre amendement, le résultat sera le même.

Il n'y aura pas une voix déplacée. Agissons donc franchement et ouvertement, et qu'on nous laisse voter sur l'amendement qui exprime le mieux notre opinion.

M. le président. - Si un doute quelconque pouvait s'élever sur ce qui doit être mis aux voix en premier lieu, il faudrait encore recourir à la disposition du règlement. Or le règlement dit formellement qu'il faut mettre aux voix le sous-amendement avant l'amendement. Si l'on soulève la question de savoir si la proposition de M. Orts est un sous-amendement, je consulterai l'assemblée sur ce point. Mais le règlement ne peut être mis aux voix.

M. B. Dumortier. - Evidemment on ne peut mettre aux voix le règlement, et un sous-amendement doit être mis aux voix avant la question principale. Mais la phrase proposée par l'honorable M. Orts est-elle un sous-amendement ? Soyons sincères ; c'est tout simplement la phrase de l'adresse paraphrasée et pas autre chose. Ce n'est pas un sous-amendement.

Savez-vous ce qui se passe ailleurs, dans de cas semblables ?

Lorsque dans son gouvernement constitutionnel, au parlement anglais, dont on a parlé, en France, dans tous les pays du monde, lorsque dans un article quelconque la politique du gouvernement est en jeu, l'opposition indique une phrase, un mot sur lequel porte le vote. Eh bien, ici on veut empêcher l'opposition de suivre cet usage, et puisqu'on a employé le mot « tactique », je dis que c'est une tactique pour empêcher de mettre aux voix un amendement que vous n'oseriez pas rejeter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il suffit, pour faire tomber toute espèce de doute, de lire la proposition principale et l'amendement. Voici la proposition principale :

« Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne d'approuver le système d'annexions destructif des États secondaires. »

Le sous-amendement porte :

« Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples. »

Voilà bien certainement ce qui caractérise le sous-amendement.

J'ajoute, messieurs, que chaque fois que la question s'est présentée devant la Chambre, c'est toujours ainsi qu'elle a été résolue. Jamais on n'a mis en doute que ce qui tendait à modifier une proposition, constituait un amendement et devait être mis aux voix avant la proposition principale.

M. de Naeyer. - Il me paraît évident, messieurs, que ce qu'on a appelé un sous-amendement est un amendement au projet d'adresse. Nous sommes en présence de deux amendements au projet d'adresse : l'un de ces amendements, c'est la désapprobation de la conduite du gouvernement ; l'autre, c'est l'approbation de la conduite du gouvernement, et on vient soutenir que cette dernière proposition est un sous-amendement cela est-il sérieux ? Vous ne pouvez pas appeler sous-amendement une proposition qui détruit l'amendement, qui en est la véritable antithèse. Un pareil système ne mérite pas d'être réfuté. Il ne suffit pas de dire qu'une proposition est un sous-amendement pour lui donner ce caractère. L'honorable ministre des finances s'est opposé souvent à ce que les auteurs de certaines propositions fussent affranchis des formalités préliminaires prescrites par le règlement, en présentant ces propositions, sous la forme d'amendements, et savez-vous comment il appelait ce procédé. C'était, disait-il, éluder le règlement sous prétexte d'amendement.

Or, que fait aujourd'hui l'honorable M. Frère ? Il veut que nous violions le règlement, sous prétexte de sous-amendement, en empêchant la Chambre d'émettre un vote sur une proposition dont elle est régulièrement saisie et qui doit avoir incontestablement la priorité, par cela seul qu'elle s'écarte le plus du projet en discussion. Je me borne à signaler la contradiction ; les commentaires sont inutiles.

.M. Dechamps. - J'engage beaucoup M. le ministre des finances à ne pas insister. Il y a ici une question de règlement et une question de bonne foi.

La question de règlement me paraît claire. Comme vient de le dire l'honorable M. de Naeyer, la proposition de M. Orts est un amendement à la proposition principale, comme l'amendement de M. Dumortier et de ses honorables collègues.

Ce sont si bien deux amendements distincts, que, comme vient de le dire l'honorable M. de Theux, si notre amendement venait à disparaître, l'amendement de M. Orts pourrait encore subsister tout entier.

Or, s'il est évident qu'il s'agit ici d'une proposition principale et de deux amendements, le règlement est clair.

Il veut que la proposition qui s'écarte le plus de la proposition principale soit mise la première aux voix.

Il faudrait une véritable subtilité pour soutenir que la proposition de M. Orts est un sous-amendement ; c'est un amendement au même titre que l'amendement de M. Dumortier.

Or, celui-ci s'écarte bien plus de la proposition principale que l'amendement de M. Orts.

Ainsi le règlement est clair, mais alors, la question qui domine ici, c'est la question de bonne foi. Si le système préconisé par le ministre dos finances venait à prévaloir, on arriverait à ce résultat que la Chambre ne pourrait pas voter sur l'amendement de M. Dumortier ; il serait écarté par le fait de l'adoption de l'amendement de M. Orts. C'est donc la suppression du droit d'amendement qu'on vous propose.

Maintenant je laisse à la majorité le soin de savoir si, dans une question pareille, la bonne foi ne doit pas dominer toute autre considération.

M. Devaux. - Messieurs, je ne conçois pas que l'on conteste à la proposition de M. Orts le caractère de sous-amendement, il suffit de lire les textes pour se convaincre que c'est un changement secondaire, un changement subordonné à l'amendement sur lequel il porte et dont il conserve en partie les termes.

Qu'est-ce qu'un sous-amendement ? C'est un changement subordonné à un autre changement, et voulez-vous avoir la preuve que la proposition de M. Orts a ce caractère, relirez voire amendement, et à l'instant même l'amendement de M. Orts tombe, tandis que si M. Orts relire sa proposition, la vôtre reste debout ; donc votre amendement n'est pas subordonné à celui de M. Orts, mais celui de M. Orts l'est au vôtre.

En décider autrement ce serait détruire le droit de sous-amendement. Quand une rédaction nouvelle est présentée, chacun de nou sa le droit d'y proposer des modifications.

M. Guillery. - J'ai été très touché de l'argument que vient d'employer l'honorable M. Dechamps, lorsqu'il a fait appel à notre bonne foi. Je comprends parfaitement qu'il ne suffit pas à la majorité de l'emporter, qu'elle doit, avant tout, prévaloir par sa loyauté, par sa dignité, en un mot, obtenir l'assentiment de tous les honnêtes gens. Nous sommes parfaitement d'accord sur ce point et nous le serons toujours lorsqu'il sera en mon pouvoir de prendre la défense de la minorité.

C'est pour cela que je me prononçai au premier abord, je l'avoue : j'étais de l'avis de l'honorable M. Dechamps. Je me disais que l'opposition en définitive doit avoir le droit de choisir le terrain du débat et le droit de soumettre à la Chambre telle proposition qu'elle juge convenable ; et si l'opposition veut user de ce droit ultérieurement ; nous voterons sur ces propositions.

Mais ici, messieurs, il est absolument impossible de se méprendre sur le sens et la portée des différentes propositions qui vous sont soumises.

Ce n'est pas parce que l'amendement de l'honorable M. Orts est venu après celui de l'honorable M. Dumortier, que je le considère comme un sous-amendement ; c'est parce qu'en réalité il est une modification à ce qu'a proposé la droite.

Le projet d'adresse n'était pas aussi explicite, ne s'étendait pas autant (page 104) sur l'expression du principe de la neutralité que le fait la proposition de la droite.

A cette profession de foi que la droite a voulu rendre plus solennelle encore que ne l'avait voulu le projet d'adresse, l'honorable M. Orts est venu vous dire au nom de la commission : « J'accepte le principe que vous soumettez à la Chambre ; mais il y a un point où nous nous séparons ; il y a un point de dissentiment : c'est là où, sortant du principe de neutralité et de réserve que le parlement belge doit observer comme l'a observé le gouvernement belge, vous voulez arriver à juger les actes d'un gouvernement étranger. J'accepte donc le principe, mais je l'exprime d'une manière plus claire, en modifiant la proposition de la droite. »

Voilà la portée du sous-amendement présenté par l'honorable M. Orts. Ce n'est pas un amendement au projet d'adresse ; en effet, l'honorable M. Orts n'est pas venu proposer de modifier le projet d'adresse ; il n'en a jamais eu la pensée ; il a proposé de modifier un amendement de la droite, et pas autre chose.

Cela est tellement vrai, que si on avait rejeté l'amendement de la droite, le sous-amendement de l'honorable M. Orts n'existait plus, puisqu'il n'est qu'une modification, en un point spécial, de la proposition de la droite ; puisqu'il accepte une partie de la proposition de la droite, et modifie l'autre partie.

Il n'est donc pas douteux qu'il s'agit ici d'un véritable sous-amendement ; en le mettant d'abord aux voix, la Chambre exécutera le règlement, non seulement dans sa lettre, mais, ce qui est plus important, dans son esprit et dans toute sa sincérité.

M. de Theux. - Messieurs, un seul mot.

Qu'est-ce que le discours du Trône ? C'est un discours par lequel le ministère demande à la majorité, ainsi qu'à la minorité, sa pensée. Eh bien, messieurs, laissez-nous exprimer notre pensée, en votant sur notre amendement ; et que la majorité exprime la sienne, en rejetant l'amendement et en votant l'adresse.

Voilà la question essentiellement pratique des gouvernements constitutionnels. En dehors de cela, il serait vrai de dire que le gouvernement n'a voulu consulter que la majorité et qu'il a interdit à la minorité d'exprimer son opinion.

M. B. Dumortier. - Puisque l'amendement de l'honorable M. Orts est un sous-amendement, je vais proposer un sous-amendement à son amendement...

M. le président. -La discussion est close. Le débat ne porte que sur la position de la question.

M. B. Dumortier. - Puisque la discussion est close, je n'insiste pas ; mon intention était seulement de faire voir jusqu'où on peut aller, en présentant comme sous-amendement, un véritable amendement, une proposition complète, pour absorber, anéantir, une proposition principale.

Quelle est la situation ? Le paragraphe 4 de l'adresse contient une phrase élogieuse pour le gouvernement : voilà la proposition principale. La minorité, qui n'approuve pas la conduite du gouvernement, substitue à cette phrase élogieuse une autre phrase ; elle fait, en cette circonstance, ce qui s'est toujours fait dans tous les gouvernements constitutionnels. La minorité présente son système, la majorité a le sien. Voilà la situation normale pour les deux côtés de la Chambre.

Que fait maintenant l'honorable M. Orts ? Il présente sous une autre forme la question principale, c'est-à-dire l'éloge adressé au gouvernement, et il décore cela du nom de sous-amendement.

Ce n'est pas un sous-amendement, c'est une modification que vous apportez à votre rédaction primitive. L'approbation de la conduite du gouvernement, voilà la proposition principale ; la censure de la conduite du gouvernement, voilà l'amendement. Ne cherchons pas ici à faire des subtilités, restons dans la situation normale, et agissons avec toute la loyauté possible.

Je le répète, l'amendement de l'honorable M. Orts n'est pas un sous-amendement ; c'est la proposition principale sous une forme différente. Or, le règlement est positif ; l'amendement est mis aux voix avant la question principale, l'amendement est la proposition qui a pour objet de censurer la conduite du gouvernement (Interruption.)

Exécutez le règlement, ne le discutez pas.

M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vient de dire, avec beaucoup de raison, que la question se réduit à savoir si la Chambre approuvera ou si elle désapprouvera la conduite du gouvernement dans l'affaire d'Italie.

Si toute la question est là, il v avait un moyen bien clair, exempt de toute équivoque, de toute obscurité de poser cette question, c'était de voter purement et simplement sur le texte du projet d'adresse.

On nous y propose nettement d'approuver ce que le gouvernement a fait. Vous blâmez ses actes ? Vous eussiez voté contre. Nous l'approuvons, nous eussions voté contre.

Maintenant, au lieu de laisser la question dans des termes si simples, que fait-on ?

On propose une rédaction sur laquelle la majorité ne peut sans inconvénients voter, parce que ses auteurs lui donnent une portée toute autre que celle de ses termes.

Si, regardant à sa portée parlementaire, nous votons contre, on viendra dès demain nous en opposer les termes, soutenir que toutes les annexions ont nos sympathies sans que l'annexion de notre pays même à une autre puissance puisse les refroidir.

Si, regardant la rédaction elle-même, nous votons pour, on dira que nous sommes d'accord avec la minorité qui présente l'amendement pour blâmer au moins dans son principe la conduite du gouvernement.

L'amendement déposé n'a pas d'autre but que de nous placer dans cette alternative.

C'est là une lactique parlementaire dont il existe des précédents. Je me permettrai d'en rappeler un à la Chambre.

Messieurs, lorsqu'on a discuté en 1858 le projet de loi interprétative de la loi communale, en ce qui concerne les fondations, l'honorable M. Dumortier a proposé d'ajouter à la loi que nous votions un amendement consistant dans l'addition de mots à peu près équivalent à ceux-ci : « Sans violer la volonté des testateurs. »

En votant cet amendement de l'honorable M. Dumortier, on paraissait approuver son système, en matière de fondations. Système très différent de celui du projet.

On a voté contre, et l'on n'a pas manqué de dire que le système du parti libéral, en matière de fondations, consistait à violer les intentions du testateur.

Vous voyez que le système employé aujourd'hui n'est pas nouveau et il est naturel que nous cherchions à ne pas accepter la position fausse dans laquelle on veut nous placer, position habilement préparée.

La proposition de M. Orts est un sous-amendement, on l'a très bien démontré. Nous ne devons pas renoncer au droit qu'il nous confère de donner la priorité.

La loyauté ne demande pas que nous le fassions. Il y avait un moyen simple de poser la question. On le repousse pour nous placer dans une équivoque. Rien n'est plus légitime que de refuser de nous y mettre.

M. le président. - J'ai voulu mettre d'abord aux voix, comme sous-amendement, l'amendement de M. Orts ; des membres soutiennent que ce n'est pas un sous-amendement.

Je consulte donc d'abord la Chambre sur la question de savoir si la proposition de M. Orts est ou n'est pas un sous-amendement.

- Des membres. - L'appel nominal !

Il est procédé à l'appel nominal.

109 membres y prennent part.

62 répondent oui.

47 répondent non.

En conséquence la proposition de M. Orts est déclarée sous-amendement.

Ont répondu oui : MM. de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Lebeau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul et Vervoort.

Ont répondu non : MM. de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer et de Pitteurs-Hiegaerts.

M. le président. - Voici l'amendement :

« Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique (page 105) neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne d'approuver le système d'annexion destructif des Etats secondaires. »

Ce paragraphe remplace la seconde phrase du quatrième paragraphe de l'adresse.

Voici la proposition de M. Orts :

« Dans la situation où se trouve l'Europe il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples. »

Je mets aux voix ce sous-amendement.

M. Thibaut. - Je demande la division. Il faut d'abord mettre aux voix, me semble-t-il, la première phrase du paragraphe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas de division.

M. Thibaut. - Certainement. Je fais un appel au règlement. La division est de droit.

- Plusieurs membres. - Quelle division ? Que voulez-vous mettre aux voix ?

M. le président. - Après le vote sur les modifications, viendra le vote de l'ensemble du paragraphe.

M. Thibaut. - Je demande qu'on mette d'abord aux voix cette phrase :

« Nous nous félicitons, Sire, des bons rapports maintenus entre la Belgique et les pays étrangers. »

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

- Un membre. - Il ne peut y avoir de dissentiment sur ce point.

- Il est procédé au vote par assis et levé.

Cette rédaction est adoptée.

M. le président. - Nous avons à voter maintenant sur la deuxième phrase et sur le sous-amendement de M. Orts. Voici le texte :

« Ce maintien prouve avec quelle intelligente loyauté le Belge pratique les devoirs du droit public qu'impose la neutralité. Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne, comme elle l'a toujours fait, d'intervenir dans les affaires des autres peuples. »

- Plusieurs voix. - L'appel nominal.

M. de Theux. - Messieurs, cette proposition renferme trois ordres d'idées.

Le premier ordre d'idées est l'approbation de l'acte du gouvernement comme ayant gardé strictement la neutralité.

Le second ordre d'idées est une protestation contre le système des annexions.

Le troisième ordre d'idées, c'est une déclaration qu'on ne veut pas s'immiscer dans les affaires des autres nations.

Eh bien, aucun de nous ne veut s'immiscer dans les affaires des autres peuples.

Je demande donc qu'on mette aux voix d'abord le paragraphe relatif aux devoirs de la neutralité et qu'on passe ensuite au second paragraphe.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Voici ce paragraphe. « Ce maintien prouve avec quelle intelligente loyauté le Belge pratique les devoirs de droit public qu'impose la neutralité. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé à l'appel nominal.

109 membres y prennent part.

62 répondent oui.

47 répondent non.

- En conséquence la Chambre adopte.

Ont répondu oui : MM.de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul et Vervoort.

Ont répondu non : MM. de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer et de Pitteurs-Hiegaerts.

M. le président. - Nous passons au sous-amendement de M. Orts.

M. de Theux. - Je demande de nouveau la division. (Interruption.) On a toujours le droit de demander la division.

Je demande qu'elle porte sur les mots : « Comme elle l'a toujours fait » et qu'on vote d'abord le reste du paragraphe. (Interruption.)

Je reprends l'argument de l'honorable M. Pirmez et je dis : Vous voulez nous mettre dans l'impossibilité d'émettre notre opinion sur une thèse que nous avons chaleureusement soutenue dans toute cette discussion.

M. le président. - Il n'y a pas d'opposition. On votera donc en premier lieu sur ces mots :

« Dans la situation où se trouve l'Europe, il importe que la Belgique neutre, fidèle aux grands principes du droit des gens, s'abstienne d'intervenir dans les affaires des autres peuples. »

M. B. Dumortier.—Il ne me paraît pas possible, messieurs, qu'on nous fasse voter, en donnant à cet acte la signification d'un vote de confiance, sur ces mots : « « comme elle l’a toujours fait. » 1Ilen résulterait que nous, qui soutenons le principe de la nationalité, nous paraîtrions prétendre que la Belgique a le droit d'intervenir dans les affaires des autres peuples.

Voilà où l'on arrive avec nos équivoques, avec notre force de majorité. S'il en est ainsi, il n'y a plus de minorité, la minorité n'existe plus.

M. le président. - Ainsi que je viens de le dire, on pourrait voter sur le paragraphe moins les mots « comme elle la toujours fait » sur lesquels un vote spécial aurait lieu ensuite.

M. B. Dumortier. - Pouvons-nous voter contre un tel paragraphe ? Evidemment non.

- Voix à gauche. - Eh bien, votez-le avec nous.

M. B. Dumortier. - Soyons sincères : est-ce là une phrase sur laquelle la Chambre puisse se diviser ? Une pareille phrase doit évidemment être votée à l'unanimité ; dès lors comment la minorité pourra-t-elle faire connaître son opinion sur la question de confiance.

M. le président. - Mon explication n'est donc pas comprise ? Vous pourrez, après avoir admis le paragraphe sans les mots « comme elle l’a toujours fait », voter contre ces mots qui seront ensuite mis aux voix.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demanderai aux membres de la droite, et particulièrement à l'honorable M. Dumortier, ce qu'ils veulent. Quant à moi, je ne les comprends pas : ils demandent la division ; on la leur accorde, et quand on la leur a accordée, ils protestent !

- Voix à droite. - Pas du tout !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande bien pardon. Quand on a accordé à l'honorable M. Dumortier la division que la droite réclamait, l'honorable membre a demandé si la phrase, telle qu'elle est rédigée, pouvait être sérieusement mise aux voix, le vote impliquant une marque de confiance pour le ministère. Nous ne pouvons évidemment pas demander un vote de confiance à l'honorable M. Dumortier ; mais le vote de confiance qui a été demandé à la Chambre, et qu'elle a émis tout à l'heure, portait sur le premier paragraphe ; c'est donc une affaire terminée. Le vote d'approbation est donné.

M. B. Dumortier. - Pas du tout !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh ! pas par vous bien certainement, mais par la majorité de la Chambre. Tout à l'heure, en effet, on a mis aux voix la question de savoir si l'on approuvait la conduite du gouvernement, et la majorité de la Chambre a répondu affirmativement.

Maintenant, reste un second paragraphe ; sur ce point, nous nous déclarons prêts à faire ce que demande l'honorable M. Dumortier ; que l'on mette aux voix le paragraphe proposé, moins les mots « comme elle l’a toujours fait. »

M. le président. - Je vais donc mettre aux voix cette partie du sous-amendement.

M. de Theux. - Il est impossible de voter sur une équivoque. Cette phrase, dans la pensée de l'honorable M. Orts, suppose que nous, membres de la droite, nous voulons intervenir dans les affaires des autres nations ; tandis que nous soutenons que par l'acte de reconnaissance du royaume d'Italie, le gouvernement belge s'est écarté des devoirs de sa neutralité.

Il y a donc là une véritable équivoque. Pour dissiper toute espèce de doute, il faut donc mettre ultérieurement aux voix le membre de phrase « comme elle l'a toujours fait. En votant contre ces mots nous (page 106) déclarons que, selon nous, le gouvernement ne s'est pas abstenu, dans le cas actuel, d'intervenir dans les affaires d'un pays étranger.

M. le président. - Cela n'est pas contesté.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous y consentons tous ; que voulez-vous de plus ?

M. Orts. - Si l'honorable M. de Theux désire que je le lui déclare expressément, je lui dirai franchement que je considère comme seul vote sérieux et significatif celui qui interviendra sur les mots : « Comme elle l'a toujours fait. »

La droite et la gauche peuvent, dans ma pensée, sans rien compromettre, voter à l'unanimité le surplus de la phrase proposée, sauf à se diviser après sur le vote qui suivra.

- Le paragraphe proposé par M. Orts, moins les mots « comme elle l'a toujours fait », est mis aux voix par assis et levé et adopté à l'unanimité.

M. le président. - Maintenant, je mets aux voix les mots : « comme elle l'a toujours fait. »

- Voix nombreuses. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

107 membres y prennent part.

62 votent pour.

45 votent contre.

Ont voté pour : MM. de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen., Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul et Vervoort.

Ont voté contre : MM. de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer et de Pitteurs-Hiegaerts.

- En conséquence la Chambre adopte.

- Voix nombreuses. - A demain !

La séance est levée à 5 heures.