(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1655) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à midi et un quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Dufour, commissaire de police remplissant les fonctions d'officier du ministère public, demande l'autorisation de faire un commerce de farine, soit en son nom, soit au nom de sa femme. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par dépêche du 16 mai, M. le ministre des travaux publics transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Janssen (Herman-Hubert). »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Orts. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi relatif à la cession du bois de la Cambre à la ville de Bruxelles.
M. Jacquemyns. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi allouant au département de l'intérieur un crédit de 225,000 fr. pour les frais de l'exposition universelle qui aura lieu à Londres en 1862.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à l'ordre du jour.
M. de Bronckart (pour une motion d’ordre). - Dans une des dernières séances de la Chambre, une pétition, signée par un très grand nombre de bateliers, d'industriels et de propriétaires riverains de l'Ourthe, est parvenue au bureau. Le caractère d'urgence, que présentait cette pétition, m'a déterminé à réclamer un prompt rapport. La Chambre a bien voulu accueillir ma proposition et le prompt rapport a été déposé par l'honorable M. Vander Donckt, en temps utile pour venir à l'ordre du jour de vendredi dernier. Mais, comme la Chambre était alors fort occupée de la discussion du projet de loi de travaux publics, je n'ai pas cru pouvoir lui demander d'interrompre un moment cette importante discussion, pour s'occuper de la pétition dont il s'agit ; d'autant moins, messieurs, que j'avais l'espoir de le voir figurer à l'ordre du jour d'aujourd’hui, le vendredi étant fixé pour l'examen des prompts rapports. Mon espoir ayant été déçu et, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, la pétition dont je parle étant importante, il est urgent que la Chambre s'en occupe avant sa séparation. Je prierai donc la Chambre de décider qu'elle examinera cette affaire, soit immédiatement, soit demain, mais dans tous les cas, avant qu'elle s'ajourne.
M. Rodenbach. - J'appuierai ce que vient de dire l'honorable membre. Mais je rappellerai qu'un prompt rapport a aussi été demandé, il y a huit jours, sur une pétition des pêcheurs de la Panne, arrondissement de Fumes, qui présente également une grande importance. Je désirerais qu'on fît aussi ce rapport avant notre séparation.
M. Vander Donckt. -- Quant au premier rapport sur lequel l'honorable M. de Bronckart a fait sa motion d'ordre, il est prêt. Le feuilleton a été distribué, et c'est l'affaire de deux minutes.
Quant à celui dont parle l'honorable M. Rodenbach, il n'y a pas encore de feuilleton. Cependant, si la Chambre désire que je fasse ce rapport sans que le feuilleton soit imprimé, je suis prêt à le faire.
- Plusieurs membre. - Demain.
- La Chambre décide qu'elle s'occupera demain de ces rapports.
La discussion est ouverte.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Si personne ne demande la parole, je croirai cependant devoir la prendre pour répondre quelques mots au rapport de la section centrale, qui n'a pas considéré la nouvelle navigation sous le jour le plus favorable.
L'impression que laisse la lecture du rapport de la section centrale, c'est que la nouvelle convention aurait créé pour nos relations maritimes avec la France une situation de tous points inégale, pour ne pas dire mauvaise.
Or, messieurs, la convention est fort innocente des torts qu'on lui attribue.
A part deux points, le nouvel arrangement ne fait que proroger le traité de 1849, arrivé aujourd'hui au terme de sa durée.
Ces deux points concernent le sel et l'Escaut.
Depuis longtemps des réclamations s'élevaient en Belgique contre un régime qui obligeait nos industriels à ne recevoir le sel que par mer et à ne le recevoir que sous pavillon belge.
Malgré le bien-fondé, à plusieurs égards, de ces réclamations, le gouvernement a longtemps ajourné la réforme de cette partie de nos tarifs. Mais tout ajournement devenait impossible du jour où nous étions conduits, comme cela est arrivé, à admettre les sels par terre.
En effet, les raffineurs des provinces flamandes vont avoir à lutter contre la concurrence des sels raffinés, dans le midi du pays, avec des sels bruts importés de France par terre ; et il était juste, il était nécessaire de leur permettre de recevoir, à leur tour, leur matière première, c'est-à-dire les sels marins aux meilleures conditions passibles.
Le traité de 1849 assurait aux navires français le remboursement du péage de l'Escaut, alors même que le pavillon national eût cessé d'en jouir. C'était là une garantie exorbitante, qui a disparu de nos autres traités et qui est aujourd'hui remplacée, dans nos arrangements avec la France, par une stipulation en harmonie avec les vues que vous avez plusieurs fois approuvées et encouragées.
Ainsi, il y a dans la nouvelle convention deux amendements :
L'un, relatif au sel, que notre système commercial et de très sérieux intérêts nous auraient fait adopter, alors même qu'il ne se fût pas agi de traiter avec la France, et je suis certain, en parlant ainsi, de traduire l'opinion de la très grande majorité de cette Chambre ;
L'autre, concernant l'Escaut, qui répond aux intentions souvent manifestées par la législature elle-même.
Reste la convention ancienne, aujourd'hui prorogé.
Nous donnons, dit-on, plus que nous ne recevons.
Nous donnons plus, en ce sens que notre législation actuelle est plus large que la législation française. Mais faut-il faire le procès à la loi du 17 juin 1856, qui a aboli en Belgique le système des droits différentiés ?
Il ne serait pas exact d'ailleurs de supposer que la position n'a pas été élargie du côté de la France aussi. Des modifications réelles ont été apportées au régime du commerce maritime en France, et nous sommes restés dans l'esprit de la loi que je viens de citer en tenant compte de ces modifications.
Que demandait la chambre de commerce d'Anvers, avant l'ouverture (page 1656) des négociations, pour les relations de nos ports avec les départements français limitrophes ?
Je laisse de côté une combinaison d'après laquelle les denrées coloniales importées en Belgique par navires français auraient été reçues comme si elles arrivaient directement des pays transatlantiques en France. Cette combinaison avait déjà été présentée et repoussée en 1852, et personne ne lui croyait des chances de réussite.
La chambre de commerce d'Anvers demandait :
Pour les graines oléagineuses, un droit de fr. 1,50 les 100 kil., nous avons un droit de fr. 2,50.
Pour le riz, des droits de fr. 0,25 et de fr. 1,25 ; la surtaxe sur les riz importés par terre n'est plus que de fr. 1,50 par 100 kilogrammes.
Les fécules exotiques importées par terre sont passibles d'une surtaxe de fr. 1,50 par 100 kilogrammes, ce qui, joint au droit que payera les fécules indigènes, fait fr. 2,25.
Les anciens droits étaient respectivement de 10 fr. et de 20 fr.
Pour le coton, la chambre de commerce demandait un droit de 20 fr. Le coton importé de Belgique est admis en France au droit de 2 fr. ; il est même entièrement libre si c'est du coton de l'Inde.
Pour les laines, on demandait un droit de 10 fr. Le droit n'est plus que de 5 fr. pour les laines étrangères, et il est totalement supprimé pour les laines d'Australie.
Les droits sur les bois de teinture sont abolis.
Ils sont réduits à 2 et 6 fr. sur les huiles.
Pour les peaux brutes, cet article si important du commerce d'Anvers, les intéressés demandaient une réduction de 50 p. c. ; leur vœu a été réalisé.
Pour les marbres, autre intérêt recommandé par la chambre de commerce d'Anvers, l'on sait combien Jl nouveau régime est favorable.
Pour les cafés, la chambre réclamait le rétablissement de l'écart de 5 francs qui existait auparavant entre le droit de provenance directe et celui des importations de Belgique. Le traité fait droit à cette demande.
Ces différentes dispositions, messieurs, figureront dans des décrets impériaux ou dans le traité de commerce ; elles ne font pas partie de la convention, où l'on aurait dû peut-être les ranger ; mais, quelle que soit leur place, il est évident que le gouvernement devait leur attribuer leur véritable valeur, et j'ose croire que tel sera aussi le jugement de la Chambre.
En résumé, la convention n'établit pas une réciprocité absolue, qui était impossible dans l'état actuel de la législation française ; mais ce défaut de réciprocité, elle ne l'a point créé, et loin que la situation antérieure soit aggravée, elle est, au contraire, améliorée sous plusieurs rapports.
Au surplus, on exagère, selon moi, le dommage qui résultera pour quelques armateurs des ports de Bruges et d'Ostende, du changement apporté à notre tarif quant au transport du sel.
Outre que le nouveau régime ne fera pas entièrement perdre le transport de cette denrée à nos armateurs, ceux-ci trouveront d'amples compensations dans les modifications introduites dans le régime des droits différentiels en France et dans les dispositions du traité lui-même.
Le droit d'entrée en France sur le poisson de mer (la morue exceptée) est abaissé de 44 fr. à 10 fr.
Ostende a toujours ambitionné cette réduction.
Le droit de 6 fr., maintenu en Belgique sur le poisson frais, reste d'ailleurs intact quant à présent.
Une autre compensation se trouve dans la modification au régime français et au régime belge pour l'entrée, et en Belgique aussi, pour le transit du charbon. Cette modification aura pour effet de favoriser les ports de Bruges et d'Ostende, en facilitant l'importation en Belgique et le transit sur la France et la Zélande de ce combustible.
On se rappelle que le droit de 1 fr. 70, aujourd'hui réduit à 1 fr., avait particulièrement excité les plaintes du commerce d'Ostende et de Bruges.
Les changements résultant de l'article 14 du traité et que j'ai mentionnés tout à l'heure seront aussi favorables à ces deux ports ; ceux-ci participeront sans doute dans une certaine mesure à l'introduction des denrées coloniales par la frontière limitrophe des deux Etats.
Il en sera de même pour un grand nombre de produits exotiques, et particulièrement de matières premières qui désormais seront admises librement de Belgique en France, notamment les suivantes :
Les graisses, les os, cornes et sabots de bétail, les fanons de baleine et oreillons, les bois de teinture, les joncs et roseaux, les graines oléagineuses, le soufre brut, le lin, le chanvre, le jute et d'autres filamenteux, les crins, le coton de l'Inde, la laine en masse de l'Australie ; sans compter que la suppression ou la réduction plus ou moins complète des droits d'entrée et de surtaxe à l'importation par terre d'un bon nombre d'autrc3 matières premières résultant des récents décrets français promet encore un aliment de plus à nos ports.
Il n'y a donc lieu à désespérer pour personne, et si, au surplus, il était vrai que le traité, tout en améliorant la situation en général au point de vue maritime, eût causé un préjudice réel au port d'Ostende, et que des mesures intérieures fussent de nature à compenser davantage encore ce préjudice, le gouvernement ne se refusera pas à examiner, avec la plus grande bienveillance, les demandes qui lui seront adressées cet effet.
M. Van Iseghem, rapporteur. - M. le ministre des affaires étrangères se plaint du rapport que j'ai présenté, au nom de la section centrale, sur la convention de navigation conclue avec la France. Dans ce rapport, messieurs, je me suis borné à constater un fait qui est vrai à savoir que la Belgique accorde plus d'avantages qu'elle n'en obtient de la France.
Je sais parfaitement que cela résulte principalement de l'abolition de nos droits différentiels.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Tout à fait.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Il n'en est pas moins vrai que nous accordons à la France, plus que nous n'obtenons d'elle en fait de commerce et de navigation.
Je ne nie pas que les derniers décrets de l'empereur des Français n'aient diminué certaines surtaxes ; je l'ai dit même dans mon rapport ; mais je crois que M. le ministre des affaires étrangères exagère un peu trop les avantages que la France nous accorde par ces décrets.
Il n'y a guère que deux articles qui offrent une certaine importance, les laines en masse d'Australie et le coton en laine des Indes, qui sont complètement exempts de droits d'entrée et de surtaxe ; quant à tous les autres articles, et parmi ces articles, il en est un assez grand nombre d'une certaine importance, des surtaxes sont maintenues. Il en est ainsi, notamment, et je ne citerai, par exemple, qu'un seul, les graines oléagineuses, dont la Belgique fait un commerce considérable et que les ports d'Anvers, de Gand, d'Ostende et de Bruges reçoivent des pays du Nord et de la mer Noire. Il résultera donc de notre tarif que ces graines d'origine étrangère, importées de France en Belgique, seront exemptes de surtaxes, tandis que si elles sont importées de Belgique, par terre, en France, elles payeront une surtaxe de 25 francs par tonneau de 1,000 kilogrammes, ce qui est à peu près l'équivalent du fret. Avant 1844 nos ports recevaient des laines anglaises en destination de Tourcoing et Roubaix sans surtaxes, et je regrette de voir qu'elles ont été maintenues à leur importation en France par frontière belge.
Ainsi, l'égalité n'existe pas entre les ports belges et ceux du nord de la France.
Voilà, messieurs, ce que je me suis attaché à faire ressortir, et je crois que j'ai été dans la vérité.
Au surplus, je ne répéterai pas, pour ne pas perdre du temps, tout ce que j'ai dit dans mon rapport.
Nous n'accordons pas, comme en 1849 l'importation du sel français par pavillon français, mais nous l'admettons n'importe la provenance ; c'est une grande concession à notre détriment, et de plus l'importation du sel est admise par frontière de terre et sans réciprocité. Les ports d'Ostende et de Bruges sont donc considérablement lésés par le traité.
Maintenant je ne pourrai pas parler ici comme rapporteur de la section centrale, mais en qualité de représentant de l'arrondissement d'Ostende.
Ostende et Bruges avaient un commerce considérable de sel et jouissaient d'une sorte de droit acquis au maintien de cette situation à cause du nombre des navires que ces deux ports ont fait construire.
Désormais cette situation sera considérablement modifiée au détriment de ces deux ports, par suite de la suppression de la surtaxe qui frappait l'importation du sel par navire étranger, surtaxe qui ne sera plus exigée par les importations par navires français, quelle qu'en soit la provenance.
Cette suppression fera hausser, il n'y a aucun doute, les frets de sortie, donc au détriment de nos exportations.
Je ne m'oppose pas à l'adoption du traité ; mais j'espère que le gouvernement tiendra compte des sacrifices qu'on réclame des ports d'Ostende et de Bruges, et qu'il cherchera à mettra nos armateurs sur le même pied que les armateurs étrangers.
(page 1657) La construction des navires exige l'emploi de matériaux et objets étrangers sur lesquels pèsent encore des droits d'entrée assez considérables.
Nous avons été obligés, par la loi des droits différentiels, de payer 1 p. c. du montant des gages de nos équipages à la caisse de prévoyance créée en faveur des marins belges. La loi de 1856 ayant supprimé tous les avantages donnés à la marine nationale, je ne comprends pas comment on continue à réclamer cette charge aux armateurs belges.
Je dirai un mot aussi en faveur de nos pauvres matelots, quand ils ont le malheur de perdre leurs navires et que, dans ce cas, ils reçoivent des secours de nos consuls à l'étranger. A leur nouvel enrôlement à bord d'un navire belge, nos commissaires maritimes d'après les ordres du gouvernement forcent ces pauvres marins à rembourser les secours, ce qui est très douloureux pour eux.
Il est donc impossible de laisser nos armements maritimes dans cette position. Comment peut-on soutenir ainsi une lutte avec les étrangers ?
J'espère que le gouvernement aura égard aux réclamations du commerce d'Ostende et de Bruges, qui reçoit par la convention de navigation et le traité de commerce un coup très rude, et qu'il tâchera de lui donner des compensations équivalentes. Toutefois, j'avoue que, pour l'entrée de notre poisson frais en France, nous avons obtenu une diminution de droit d'entrée, ce qui sera favorable tant à nos pêcheurs qu'aux consommateurs français.
En finissant, j'engage aussi l'honorable ministre des affaires étrangères de faire auprès du gouvernement impérial de nouvelles démarches pour obtenir en France au moins l'entrée sans surtaxes, de la houille anglaise quand elle sera importée par bâtiment belge.
- La discussion est close.
M. le président. - L'article unique du projet est ainsi conçu ;
« La convention de navigation conclue le 1er mai 1861, entre la Belgique et la France, sortira son plein et entier effet. »
- Il est procédé au vote par appel nominal.
En voici le résultat ;
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 78 membres qui ont répondu à l'appel nominal. II sera transmis au Sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. de Terbecq, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B, Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Neyt, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechamps, Dechentinnes, de Florisone, de Gottal, de Lexhy, de Maere, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Renesse et Vervoort.
M. le président. - Une lettre vient de me parvenir. M. H. Dumortier, retenu par une affaire très urgente, demande un congé d'un jour.
- Accordé.
M. le président. - Nous avons maintenant à nous occuper du traité de commerce conclu avec la France.
M. B. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, en fixant à aujourd'hui la discussion du traité de commerce conclu avec la France, il a été convenu que si les pièces n'étaient pas distribuées hier soir, la discussion serait retardée d'un jour et renvoyée à demain ; or, une grande partie des pièces ne nous a été remise qu'aujourd'hui à 9 heures du matin, c'est-à-dire, il y a 3 heures seulement.
Comment est-il possible d'examiner en si peu de temps un traité d'une importance aussi grande ? En trois heures on a eu à peine le temps de l'ouvrir.
Je demande à la Chambre de s'occuper des autres objets qui sont à l'ordre du jour et de remettre à demain la discussion du traité de commerce, comme cela a été convenu. (Non ! non !)
-La proposition de M. B, Dumortier est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.
M. B. Dumortier. - Je demanderai si l'instrument du traité est déposé sur le bureau, comme c'est l'usage. J'ai d'autant plus de raison pour le demander, que dans le document qui nous a été distribué, il y a des fautes d'impression.
Conformément à tous les usages de la Chambre, je désire que le traité soit déposé sur le bureau. C'est ainsi que cela se pratique dans tous les gouvernements constitutionnels.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce qui est imprimé.
M. B. Dumortier. - Pas du tout. Vous avez un traité signé, et c'est le traité signé qui est déposé sur le bureau en Angleterre ; et toujours en Belgique cela s'est fait ainsi. L'instrument des négociations.
M. de Renesse. - Je fais depuis de longues années partie de la Chambre et je ne me rappelle pas que jamais un traité ait été déposé sur le bureau lors de la discussion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je ne comprends pas l'utilité du dépôt que demande l'honorable membre. Le traité que nous vous soumettons est le traité imprimé. C'est sur celui-là que la Chambre aura à délibérer.
Il est vrai qu'il y a quelques erreurs d'impression. Elles sont sans aucune importance, et quand le moment sera venu, je dirai quelles sont ces erreurs.
M. d’Hoffschmidt. - Je crois devoir faire observer à l'honorable M. Dumortier que pendant le temps que j'ai été ministre des affaires étrangères, j'ai présenté à la Chambre une dizaine de traités de commerce et que jamais la Chambre n'a demandé que l'instrument principal du traité fût déposé sur le bureau. Ce serait la première fois que dans nos usages parlementaires, cette mesure serait prise. Je crois d'ailleurs que ce serait sans objet, et j'espère que l'honorable M. Dumortier ne persistera pas dans sa demande, parce qu'en Belgique je ne sais ce qui se passe ailleurs, cela ne s'est jamais fait. Ce qui me confirme dans cette opinion, c'est ce qu'a dit l'honorable M. de Renesse, qui a été longtemps secrétaire de la Chambre.
M. B. Dumortier. -Je suis étonné de voir l'honorable membre prétendre que le dépôt sur le bureau du traité lui-même est un acte qui ne s'est jamais fait, et je suis encore plus surpris d'entendre mon honorable ami M. de Renesse, membre très ancien de cette Chambre, soutenir la même chose. L'honorable membre doit se rappeler que toujours, anciennement, les traités étaient déposés sur le bureau. L'honorable membre qui a pris une si grande part et de cœur et de discours à la discussion du traité avec la Hollande, se rappelle parfaitement bien que les traités ont toujours été déposés sur le bureau. Je ne puis citer tous les faits, mais je me rappelle parfaitement bien que lorsqu'on a fait un traité avec Lamina, nous avons tous été au bureau pour voir la signature de ce fameux chef des nègres de la côte d'Afrique.
L’usage a toujours été à la Chambre de déposer les traités sur le bureau. C'est un usage d'ailleurs naturel. Je demande donc qu'on agisse pour le traité dont nous allons nous occuper, comme on a agi pour le traité avec les nègres.
Le gouvernement, sous aucun prétexte, ne peut se soustraire à ce devoir. Il y a plus ; en Angleterre, non seulement le gouvernement doit déposer l'instrument principal du traité, mais il doit déposer toutes les pièces relatives à la négociation. Aucune de ces pièces ne peut être soustraite à l'examen du parlement ; et ici, messieurs, la politique de M. le ministre des affaires étrangères consiste à tout soustraire au parlement. Vous avez à discuter sur un traité imprimé. Je demande à M. le ministre des affaires étrangères si c'est sur ce traité imprimé qu'il a signé.
Il importe de respecter et de conserver les usages du parlement. Si l'on s'en est écarté depuis quelque temps, ce n'est pas un motif pour ne pas revenir aux vieilles traditions du parlement belge, qui ont toujours été le dépôt sur le bureau de l'instrument principal du traité.
J'ajouterai que dans beaucoup de circonstances l'on a demandé communication des dépêches et qu'alors les membres qui siégeaient à gauche, bien différents de ceux qui y siègent aujourd'hui, loin de s'opposer à une motion semblable à celle que je viens de faire, étaient les plus ardents à demander que le gouvernement déposât sur le bureau non seulement les traités, mais toutes les pièces de la négociation.
Il faut que la Chambre comprenne la responsabilité ministérielle dans les questions les plus importantes. Il faut qu'elle s'assure si le gouvernement a bien géré dans les négociations, puisque le traité est soumis à la ratification de la Chambre.
Je demande donc formellement que la Chambre réclame du ministre le dépôt sur le bureau de l'instrument du traité.
(page 1658) M. Vilain XIIII. - Messieurs, il y aurait quelque chose de sérieux dans, la réclamation de notre honorable collègue, si le traité n'avait pas déjà été déposé sur le bureau. Mais je suis convaincu que M. le ministre des affaires étrangères a déposé le traité en venant présenter le projet de loi.
Voici comment les choses se sont toujours passées en Belgique. Quand un ministre des affaires étrangères présente à la Chambre un projet de loi approuvant un traité, il a l'instrument officiel dans son dossier, et il est obligé de le remettre entre les mains du greffier de la Chambre. M. le greffier reçoit l'instrument officiel ; il en prend connaissance, il voit les signatures et remet ensuite cette pièce au ministre des affaires étrangères, qui la dépose au département. C'est alors le département qui est chargé de revoir les épreuves de l'imprimé du traité.
Si la Chambre veut conserver pendant tout le temps des délibérations l'instrument du traité, elle en a parfaitement le droit, elle n'a qu'à donner l'ordre à son greffier de le conserver jusqu'après la discussion. Mais il est certain que le gouvernement est obligé d'apporter sur le bureau l'instrument officiel du traité, et je suis persuadé qu'il en a encore été cette fois ainsi.
M. Van Iseghem. - J'ai eu le traité en main.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je ne vois aucune espèce d'inconvénient à déposer cet instrument, mais je demande à l'honorable membre quel est son but. Croit-il que nous ayons mal copié le traité, que nous lui présentons un faux traité, un traité apocryphe ? Du reste, je le répète, je ne refuse en aucune façon de déposer le traité.
Maintenant je viens de vérifier et je trouve que les erreurs que j'avais à signaler à la Chambre sont infiniment insignifiantes.
L'une concerne le renvoi à un chiffre qui se trouve mal indiqué dans la convention de navigation, à l'article 13, première ligne, au lieu de 10, lisez 9. Voilà tout ce que j'ai à signaler en fait d'erreur.
J'ajouterai seulement que dans la dernière ou l'avant dernière conférence, lorsqu'on a revu le traité, il a été convenu entre le plénipotentiaires que, dans notre tarif, sous la rubrique teintures et couleurs seraient compris la céruse et le bleu minéral ; que parmi les produits chimiques non dénommés seraient compris l'alun et le sulfate de magnésie.
Voilà les seules rectifications à faire au texte qui est sous vos yeux.
J'ai un seul mot à ajouter, messieurs, c'est que les choses se sont passées cette fois exactement comme elles se sont toujours passées. Le traité a été déposé, matériellement déposé et remis à M. le greffier qui l'a renvoyé au département des affaires étrangères, comme de coutume.
M. le président. - M. Dumortier insiste-t-il ?
M. B. Dumortier. - Je dois dire d'abord, M. le président, que je n'ai pas d'explications à donner à M. le ministre des affaires étrangères sur le point de savoir ce que je veux voir dans le traité ; seulement il peut être certain que j'irai y voir quelque chose.
Maintenant, puisque M. le ministre des affaires étrangères consent à déposer le traité, je n'ai plus à insister. C'était tout ce que je demandais.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le traité a été déposé.
M. le greffier l'a renvoyé au ministère des affaires étrangères.
M. B. Dumortier. - Alors je demande que M. le greffier le fasse réintégrer sur le bureau. (Interruption.) C'est une chose étrange, tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères consentait à déposer le traité. (Interruption.) J'ai la parole.
M. le président. - Vous n'avez pas la parole. Je vous ai adressé une question et vous y avez répondu ; je ne puis pas vous accorder la parole une troisième fois sans consulter la Chambre.
M. B. Dumortier. - Alors je demande que la Chambre m'autorise à parler une troisième fois.
M. le président. - La Chambre consent-elle à ce que j'accorde une troisième fois la parole à M. Dumortier ?
- Cette question est résolue affirmativement.
M. B. Dumortier. - Messieurs, il faut être sincère. M. le ministre des affaires étrangères a dit tout à l'heure, à la suite des explications si nettes, si précises de l'honorable M. Vilain XIIII, qui, avait cité tous les précédents, que si on le désirait il réintégrerait le traité sur le bureau ; maintenant M. le ministre a l'air de ne plus vouloir le réintégrer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Pas le moins du monde. J'ai dit que les choses se sont passées comme elles se passent toujours.
M. B. Dumortier. - Vous avez dit qu'il n'y avait pas de difficulté à réintégrer le traité sur le bureau.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je le maintiens.
M. B. Dumortier. - Je demanderai quel mystère il y a dans ce traité pour que vous ne vouliez pas le déposer. S'il y a un mystère, nous voulons le sonder. Nous avons intérêt évidemment à ce que les usages parlementaires soient respectés.
J'ai des doutes sur un article du traité, je veux savoir s'il y a une faute d'impression, mais je ne veux pas dire à M. le ministre quel est cet article, car je ne veux pas plus que lui dévoiler mou jeu. A bon chat bon rat.
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a déclaré qu'il ne s'opposait pas à la motion de M. Dumortier. Il offre de réintégrer le traité sut le bureau si le Chambre adopte cette motion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - J'ai déclaré que le traité avait été déposé selon l'usage et renvoyé au département. Maintenant si la Chambre désire que je le dépose de nouveau sur le bureau, je suis prêt à le faire, mais je demande que la Chambre en décide. Il ne faut pas que je fasse tout ce que l'honorable M.. Dumortier demande, par cela seul qu'il le demande.
M. le président. - M. Dumortier propose à la Chambre de décider que le traité original sera déposé sur le bureau.
Je mets aux voix cette proposition.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La section centrale a adopté le projet de loi par cinq voix et deux abstentions ; seulement elle y a introduit un amendement que M. le ministre des finances a admis en principe et qu'il propose de rédiger dans ces termes :
« Art. 3 (nouveau). Par extension au littera a de l'article 45 de la loi du 4 avril 1843, le sucre brut de betterave est admis en dépôt dans l'entrepôt public. »
La discussion générale est ouverte sur le projet du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Le traité qui est soumis à votre approbation est, dans l'ordre matériel, l'acte international le plus important que la Belgique ait conclu depuis son indépendance. Pour la plupart de nos industries, ce traité inaugure un régime nouveau, pour beaucoup d'entre elles, il ouvre de nouvelles perspectives ; pour un grand nombre aussi, il offre une arène où les succès les plus brillants appartiendront aux plus habiles, mais où personne, je crois, ni dans l’un, ni dans l'autre camp, ne demeurera absolument vaincu.
Depuis plusieurs années, tout le monde à peu près était d'accord en Belgique sur la nécessité de compléter la révision de nos tarifs dans un sens libéral.
Des idées plus saines en économie politique avaient permis d'abattre successivement d'importantes branches du système protecteur. Le tarif des produits fabriqués seul restait debout avec ses privilèges injustes pour les uns, et ses entraves plus injustes encore pour les autres.
On avait supprimé les droits différentiels dans le régime maritime afin de mieux approvisionner le pays de denrées exotiques par l'action de la libre concurrence ; notre tarif de douanes, avec ses droits exagérés, n'était autre chose que le régime des droits différentiels appliqué à toutes les provenances du dehors, pour forcer en quelque sorte le consommateur à payer plus cher tous les objets dont il a besoin.
Le caractère du traité que nous vous présentons, c'est une double réforme. Cette réforme, les deux gouvernements l'ont opérée en tenant compte des faits révélés par des enquêtes, tous deux ont cherché à mettre leur tarif en harmonie avec les intérêts industriels, commerciaux et de consommations de leur pays, en s'inspirant de cette idée que, pour accroître la prospérité de tous, il faut multiplier les moyens d'échange, procurer au meilleur marché possible à l'industrie les éléments du travail, et stimuler le producteur par l'aiguillon de la concurrence.
Nos traités précédents avec la France étaient restreints et exclusifs. Ils avaient vu le jour sous l'empire de circonstances défavorables que nous ne pouvions maîtriser.
Le caractère privatif des faveurs que nous avions faites par réciprocité à la France nous plaçait dans une position fausse et en quelque sorte hostile vis à-vis d'autres pays avec lesquels nous sommes intéressés à étendre nos relations.
Nous faisions depuis longtemps des vœux pour que les circonstances nous permissent de nous débarrasser d'un système d'exception et da privilège, et dès le mois de juillet 1859, nous avions prévenu les (page 1659) chambres de commerce qu'elles devaient s'attendre à voir disparaître le régime exceptionnel qui avait servi de base à nos relations avec la France.
Les traités différentiels paraissent aujourd'hui condamnés partout. Ces traités présente l'immense inconvénient de placer les industries qui en profitent, et qui souvent se développent outre mesure à l'aide des faveurs dont elles jouissent, dans la dépendance du pays qui constitue leur débouché. Quelque précaires que soient les avantages qui leur sont concédés, ces industries ne cherchent pas à se créer d'autres marchés où la concurrence serait plus difficile, et lorsque par une raison quelconque le traité qui les fait vivre vient à tomber, elles se trouvent sans relations, sans débouché, et incapables souvent d'aller combattre à armes égales des rivaux qui se sont exercés à la lutte.
Notre industrie linière, qui avait longtemps fait le pivot de toutes nos négociations avec la France, ne se trouvait plus, heureusement, dans cette situation ; l'industrie similaire en France, aiguillonnée par la concurrence, avait fait d'incessants progrès, et nous avions vu ce marché se rétrécir insensiblement, malgré le régime.de faveur dont nous y jouissions. Le pays doit s'en réjouir aujourd'hui, car l'industrie linière voyant la lutte devenir de jour en jour plus difficile sur le marché français, a redoublé d'efforts ; elle a cherché et trouvé d'autres débouchés, et elle a pu nous dire enfin : Il ne faut pas que le pays fasse des sacrifices pour nous.
C'est dans ces circonstances, messieurs, que s'est produit un des événements les plus remarquables de notre temps, le programme économiques de S. M. l'empereur des Français, programme dont les principes avaient été proclamés en ces termes par le souverain lui-même : « Il faut multiplier les moyens d'échange pour rendre le commerce florissant ; sans concurrence, l'industrie reste stationnaire et conserve des prix élevés qui s'opposent aux progrès de la consommation. »
Ce programme a été mis en pratique à la fois par des décrets et par un traité suivi de deux conventions complémentaires avec l'Angleterre qui embrassaient les branches principales de l'industrie.
Le moment favorable était venu pour nous de compléter la réforme que nous avions depuis longtemps résolue, le traité anglo-français nous en fournissait l'occasion.
Le traité du 1er mai est plus vaste que celui que les deux grandes puissances ont conclu entre elles ; il touche à toutes nos industries, à tous nos intérêts matériels. Une œuvre aussi compliquée, aussi difficile, quel qu'en soit le mérite général, ne saurait être parfaite, et alors même qu'elle le fût, elle ne saurait rencontrer une approbation unanime ; il arrive toujours en pareil cas que les intérêts satisfaits gardent le silence.
Ceux qui profitaient d'un privilège ou d'un monopole crient à l'injustice et à l'oppression, et les retardataires de l'industrie, nous en avons fort peu heureusement, ceux que le stimulant de la concurrence peut seul relever de leur inertie, jettent l’anathème sur un régime nouveau qui trouble leur sommeil.
Dans cette situation, le devoir du gouvernement est de faire connaître au pays ce que lui apporte le traité qu'il a conclu.
Je ferai, messieurs, cet exposé en m'appuyant sur des faits et des témoignages irrécusables.
Ma tâche sera fort amoindrie par le rapport si intéressant que vous a présenté M. le rapporteur de la section centrale. L'exposé des motifs du traité renferme d'ailleurs des données qu'il me suffira de compléter.
J'ai dit que le caractère principal du traité était un échange de réformes : voici en deux mots quelle est la nôtre :
Nous dégrevons le combustible, le fer dans toutes ses applications, les filés de toute espèce, en un mot tout ce qui peut être considéré comme les instruments du travail. Nous dégrevons en outre les fabricats dans la mesure que commandent les nécessités de la concurrence, et les progrès que l'on fait autour de nous dans cette voie. ^
En même temps que nous faisons ici ce que nos intérêts économiques et nos principes en matière commerciale nous conseillaient de faire, la France, procédant de son côté dans la voie que lui dicte une haute intelligence de ses besoins, nous donne, en retour de notre réforme libérale, ses prohibitions levées et son tarif considérablement abaissé dans toutes ses parties.
Les faveurs que l'Angleterre a obtenues, nous les partagerons, et nous avons obtenu de plus une série de réductions depuis longtemps sollicitées par plusieurs de nos industries.
Pour se rendre bien compte du régime nouveau que les récents traités ont inauguré eu France, il faut jeter un coup d'œil sur le passé.
Le tarif français présentait une longue série de prohibitions. Elles comprenaient un certain nombre de produits de l'industrie métallurgique, les ouvrages en acier, la coutellerie, les armes de guerre, les ouvrages en cuivre et en zinc non dénommés, ceux en étain, les plaqués, les sucres raffinés, les mélasses non destinées à la distillation, les voitures suspendues, les peaux préparées autres que celles dénommées, le tulle, les étoffes de coton autres que les cotonnettes et les étoffes à pantalon dont l’entrée était permise pour la Belgique seulement. Les fils de laine autres que ceux de longue laine peignée, écrus, retors, dégraissés et grillés ; la bonneterie, les tissus de laine, les fils et les tissus de poil non dénommés ; diverses catégories de tissus de soie, les bois de teinture, certains produits chimiques, et généralement tous ceux non dénommés au tarif ; la verrerie non dénommée, les bouteilles, la poterie de terre de pipe, et la faïence fine sauf l’exception consacrée pour la Belgique par notre dernier traité, la chicorée moulue, les cartes à jouer, les savons autres que de parfumerie.
La levée de ces prohibitions a une valeur incontestable pour un certain nombre de nos industries.
Je citerai particulièrement l'industrie de la laine et du coton pour plusieurs catégories de produits : celle des ouvrages en zinc, la carrosserie, la poêlerie, la cordonnerie, les vêtements confectionnés, la gobeleterie, les verres à vitre, les bouteilles, la chicorée en poudre, les broderies à la main, les dentelles et blondes de coton, la ganterie, les tulles unis ou façonnés, le savon.
Tous ces articles, que nous produisons en forte quantité et avec une supériorité marquée, sont aujourd'hui passibles de droits qui varient de 10 à 15 p.c.
. Une autre partie du tarif français embrassait de nombreuses catégories d'articles dont les droits équivalaient à la prohibition. Je citerai ceux que nous produisons également dans des conditions assez favorables pour que l’abaissement du droit ne nous soit pas indifférent.
La Chambre en jugera par les chiffres que je vais avoir l'honneur de mettre sous ses yeux : (suit le tableau, non repris dans la présente version numérisée, de l’évolution des tarifs pour les articles suivantes : Machines à vapeur fixes, locomotives, à tisser et filer, autres, parfumerie : savons, parfumerie : pommades, parfumerie : autres, amidon, chocolat, houblon, outremer (bleu), bière)
L'empereur des Français en soumettant l'industrie française à l'épreuve bienfaisante de la concurrence, a voulu en même temps rendre moins chers les instruments de travail. Des droits d'entrée modérés sur les métaux, dans leurs divers emplois, devaient en quelque sorte servir de base à la grande réforme qu'il voulait opérer.
La convention du 29 septembre 1860 avec la France et l'Angleterre avait fixé les droits sur le fer brut dans ses trois états de fonte, de fer forgé et d'acier.
La convention du 12 octobre a réglé le tarif de tous les objets si nombreux qui ont pour matière première non seulement le fer, mais un métal quelconque.
Voyons maintenant, messieurs, quels seront les effet probables du nouveau tarif français sur quelques-unes de nos industries importantes à des degrés divers.
Je ne m'occuperai pas du tarif belge ; je répondrai plus tard aux critiques dont il pourra être l'objet, et j'espère démontrer que chacun des droits que nous avons fixés pour les produits étrangers est juste et modéré.
Ce tarif, messieurs, est sous vos yeux et nous avons fait figurer les droits anciens en regard de chacun des droits nouveaux.
(page 1660) Quelle sera l'influence de cet abaissement général du tarif français sur l'industrie similaire de notre pays, industrie puissante autant que variée et dont la perfection du travail, jointe aux avantages naturels que nous possédons, nous permet de défier toutes les concurrences ?
Pour quelques articles, tels que les tôles et le zinc laminé, les cardes, le cuivre ouvré, certaines catégories de machines et quelques autres articles spéciaux, il n'y a aucun doute que les droits nouveaux ne permettent de traiter en France des affaires que le tarif actuel avait interdites jusqu'à présent.
Pour d'autres produits de l'industrie sidérurgique, il est difficile de rien préciser. Des exportations se font aujourd'hui ; dans quelle mesure grandiront-elles ? C'est ce que l'avenir nous apprendra.
Je doute que les intéressés eux-mêmes puissent se rendre un compte bien exact des effets de la révolution qui va s'accomplir en France dans toutes les branches du travail, et des besoins nouveaux qui en naîtront inévitablement.
Je dirai seulement avec la chambre de commerce de Charleroi qu'il est un fait impossible à méconnaître, c'est que la situation de notre industrie sidérurgique trouvera dans le nouveau régime une notable amélioration.
La réduction du droit sur les armes est peu importante, mais nous avons obtenu une concession plus précieuse pour cette industrie que la réduction des droits d'entrée, c'est la libre sortie du bois de noyer.
L'industrie des tissus de lin, quoique perdant, en France, son régime privilégié, se montrait peu émue de la perspective d'entrer en concurrence avec l'Angleterre sur le marché français. Cependant cette industrie avait indiqué au gouvernement quelques amendements au traité anglo-français, moyennant lesquels le nouveau tarif serait plus avantageux pour elle que le tarif de faveur existant. Ces amendements elle les a obtenus. On peut donc affirmer que, pour cette industrie si importante pour plusieurs de nos provinces, le traité est irréprochable.
La filature est également satisfaite. Les nouveaux droits sont encore élevés, mais le nouveau tarif est plus favorable que le tarif de faveur. Quant à la concurrence avec les produits similaires d'autres pays, nos filateurs ne doivent pas la craindre, ils exportent aujourd'hui du fil en Angleterre même.
Pour les industries de la laine et du coton, industries soumises au régime anglo-français, il est plus difficile d'apprécier les conditions que leur fait le traité, attendu que leurs articles étaient jusqu'à présent prohibés en France.
Pour les tissus de laine, la chambre de commerce de Verviers estime qu'avec le droit de 15 p. c. il ne sera guère possible de placer en France que des spécialités que ne font pas les Français à 10 p. c. ; en 1864, il sera possible de placer un plus grand nombre d'articles, nous pourrons lutter pour les étoffes foulées et façonnées avec chaîne de coton.
Les confections trouveront aussi à se placer en France, à cause du plus bas prix de la main-d'œuvre. Voilà des points non douteux.
La chambre de commerce de Verviers considère le tarif français nouveau comme un immense progrès. Nos filateurs exportent en Ecosse, en Suisse, en Prusse, et leur exportation est aussi forte que celle de la France entière. La France deviendra un bon débouché pour certaines catégories de nos fils de laine, dit la chambre de commerce ; mais il ne faut pas, ajoute-t-elle, se bercer d'illusions, le manufacturier français file très bien ; grâce à la réforme il se trouvera en meilleure condition de fabrication, et ce ne sera qu'à la longue que nous parviendrons à nous faire une clientèle en France.
Les filateurs de laine peignée ne se sont pas montrés aussi désireux de l'application du traité anglo-français à la Belgique. Leurs fils comportant en général de 40 à 150,000 mètres au kilogramme, le droit qui les atteint représente de 6 à 10 p. c. de la valeur.
Mais la chambre de commerce de Tournai nous a fait observer que la préoccupation des filateurs de son ressort n'était pas de savoir si nous obtiendrions de la France le tarif anglo-français ; mais bien quel tarif serait adopté en Belgique pour les filés français.
Sous ce rapport, le traité nouveau donne satisfaction à cette spécialité de filature, puisque nos droits antérieurs de 45 et 60 francs étaient plus qu'annulés par la prime de sortie dont jouissaient les filés français et qui est maintenant supprimée.
Aujourd'hui à un droit purement nominal succède une protection réelle, et la prohibition en France est remplacée par un droit modéré. Il y a donc, pour la filature de la laine en général, une amélioration sensible.
Notons d'ailleurs que le droit d'entrée en Belgique sur la laine peignée ou teinte, employé pour la filature, est réduit de 30 fr. à 10 fr. Les fils de coton des bas numéros trouveront un débouché en France ; les Français trouveront de leur côté à placer sur notre marché les filés fus. Les industriels consultés sont d'accord sur ce point.
Ce que j'ai dit des conséquences du traité pour les tissus de laine s'applique à fortiori aux tissus de coton. Ces tissus étaient prohibés, à deux exceptions près qui payaient plus de 25 p. c. de la valeur.
Nos calicots écrus entreront désormais en France en payant un droit de 50 à 60 centimes par kilog. c'est-à-dire 10 à 12 p. c.
Nos indiennes payeront 15 p. c. de la valeur. Ces droits sont encore élevés, mais en tenant compte des conditions respectives du travail dans les deux pays, ils sont certainement favorables, et je ne pense pas que personne se plaigne de la position nouvelle que nous a faite le traité, surtout quand il s'agit, pour nous, de l'ouverture d'un marché de 40 millions de consommateurs où nous avons déjà de nombreuses relations, et où la proximité et la facilité des moyens de communication, l'uniformité du langage et des habitudes du commerce feront très probablement préférer nos rapports d'affaires à ceux de nos concurrents étrangers.
Les droits de faveur de 25 p. c. que nous payions à l'entrée en France pour nos cotonnettes et étoffes à pantalon, sont de fait réduits d'un quart et même d'un tiers, et cela sur des articles que nous fabriquons avec une telle supériorité qu'aujourd'hui déjà nous vendons ces étoffes en concurrence avec l'Angleterre et avec l'Allemagne sur les principaux marchés transatlantiques.
Pour ces articles comme pour les indiennes nos fabricants ne redoutent pas la concurrence étrangère en ce qui concerne les articles de grande consommation.
Nous irons probablement vendre en France des calicots, des cotonnettes, des étoffes à pantalon et des indiennes communes tandis que, et nous le reconnaissons sans peine, la réduction de nos droits spécifiques de 180, 220 et 250 fr. à un droit unique de 15 p. c. à la valeur permettra l'importation en Belgique, à des conditions plus favorables, de mille fantaisies en cotons tissées et imprimées que la France fabrique avec plus de soins, plus dégoût, et dans de meilleures conditions que nous.
Ce que nos fabricants de tissus de coton teints et imprimés de Bruxelles, de Courtrai, Lokeren, Saint-Nicolas, Renaix, etc., ont toujours demandé avant toute protection ou faveur douanière, c'est le fil de bonne qualité et à bon marché ; le nouveau tarif des cotons et des fils de laine est un premier pas très significatif dans cette voie.
Au surplus, quant aux tissus variés et teints nous avons un témoignage qui ne sera pas récusé. Nous considérons, m'écrivait la chambre de commerce de St-Nicolas, comme offrant de grands avantages à l'industrie de notre ressort l'application à la Belgique du tarif douanier établi par la convention du 16 novembre dernier entre la France et l'Angleterre.
L'industrie des tissus de jute était signalée par la chambre de commerce d'Anvers comme susceptible d'un grand développement. Toutes les recommandations faites au sujet de cette industrie par ce collège, trouvent leur satisfaction dans ce traité. Nous avons obtenu un chiffre spécial pour les tissus de jute mélangés quand le jute domine en poids. Cet article était réclamé par des fabricants de tapis. Les dentelles et les tulles occupent un grand nombre de bras dans le pays. Je les mentionnerai à ce titre dans cette revue.
D'après le témoignage d'un de nos principaux négociants, nous expédions dès à présent, en France, pour 500,000 francs de tulles, malgré une prime de 20 p. c. De nombreuses pétitions demandaient depuis longtemps un droit modéré en France, sur cet article.
Cette industrie avait deux branches ; l'une fabriquant du tulle fin, a progressé beaucoup, parce que les filés dont elle faisait usage et qui lui venaient de l'étranger, ne payaient qu'un droit de balance (n° 140et au dessus) ; l'autre branche au contraire, est restée stationnaire, parce que sa matière première payait des droits trop élevés.
Les tulles unis, brodés ou façonnés ne payeront plus, à leur entrée en France, qu'un droit de 15 p. c, et d'un autre côté, les fils en Belgique sont notablement abaissés. Cette industrie, qui intéresse particulièrement Bruxelles et Termonde, trouve ainsi un double avantage dans le traité.
Les dentelles de colon étaient prohibées. Elles ne payeront plus que 5 p. c. de la valeur. Les dentelles de soie, dentelles noires dites de Grammont, sont exemptes. Le département de l’intérieur demandait dès 1852 des réductions aux droits existants, au nom des localités intéressées.
Les ouvriers passementiers de Bruxelles se plaignaient du régime existant ; il y a dans le traité, outre une réduction des droits pour les produits de leur industrie, plusieurs dispositions utiles à l'égard des matières premières que celle-ci met en œuvre.
(page 1661) Nos soieries étaient exilées du marché français par des droits prohibitifs, elles sont désormais exemptes de droits.
Nos fabricants, m'écrivait la chambre de commerce d'Alost, seront charmés s'ils peuvent être admis aux conditions du nouveau tarif pour l'Angleterre et ils concéderont volontiers l'entrée des produits français aux mêmes droits que ceux qu'ils auront à payer en France.
La chambre de commerce d'Anvers n'était pas moins explicite : Nous placerons nos produits en France, écrivait-elle, au cas où le traité anglo-français serait étendu à la Belgique.
Enfin, l’administration communale de Lierre demandait l'abolition du droit de sortie de 7 fr. qui frappait les soies à tisser teintes, venant de France ; ces vœux sont satisfaits et au-delà par le traité, car la société pour la fabrication des soieries de Lierre m'écrivait ce qui suit :
« Il n'est pas probable que la France consente à admettre les soieries du pays aux mêmes droits que payent les soieries de France en Belgique ; mais ces droits dussent-ils être doublés, qu'encore il y aurait un grand avantage pour les fabriques belges, certaines spécialités surtout leur permettant de lutter avec succès.
« On pourrait même, à la rigueur, ajoutait la société de Lierre, désigner particulièrement des étoffes qui ne se fabriquent qu'en Belgique, telles que les failles, cravates en gros graine et cravates croisées dites d'Anvers. »
Nous fabriquons en Belgique des tissus courants unis et façonnés qui trouvent déjà aujourd'hui une clientèle en Hollande et même dans les départements du nord de la France, malgré les droits existants.
Le droit de sortie en France sur la matière première était un empêchement au développement de cette industrie ; la suppression de ce droit est le plus sûr élément de prospérité pour nos tissus en soie.
Voilà donc encore un intérêt complètement satisfait, et nous devons d'autant plus nous en féliciter, qu'il s'agit ici d'une industrie dont la virilité précoce est pour la Belgique un sujet d'orgueil.
Je passe à une autre industrie importante, celle des produits chimiques. La prohibition frappait également un certain nombre des produits de cette industrie. Consulté sur le traité anglo-français, le directeur de l'établissement le plus important que nous possédions s'est exprimé dans les termes suivants :
« Les fabricants de produits chimiques belges n'ont pas pour le moment intérêt à réclamer d'autres avantages que ceux concédés à leurs concurrents anglais, et si dans le traité qui se négocie avec la France, vous pouvez obtenir des concessions identiques, l'industrie chimique belge doit vous en être reconnaissante. »
D'autres fabricants ont émis des vœux pour des spécialités de leur industrie. Nous avons cherché à les satisfaire par quelques amendements au traité anglo-français.
Le traité admet en franchise la céruse, article important pour plusieurs localités telles que Bruxelles, Gand, Deynze, Courtrai, il admet également en franchise le noir animal et les os calcinés blancs.
Pour le sulfate de cuivre le droit de 5 p. c. est suffisamment modéré.
Les acides nitrique et sulfurique se fabriquent à peu près aux mêmes conditions dans les deux pays, ils sont libres de part et d'autre.
Pour les couleurs, la France admet l'oxyde de fer, le safre et les autres composés du cobalt et les sulfures d'arsenic en franchise ; les oxydes de zinc et de plomb au droit de 7 fr., réductible à 4 fr. en 1864. Les chromâtes de plomb et de potasse et toutes les autres couleurs à 10 p. c ; ces conditions sont en général satisfaisantes, et avec elles nous pourrons entrer en lice pour un grand nombre d'articles.
Le droit sur le prussiate de potasse est réduit de 225 à 20 fr. les 100 k., c'est un article important.
Les fabricants se plaignaient de la cherté des sabots et cornes de bétail, leur matière première ; le traité lève la prohibition de ces matières à la sortie de France. En somme nous avons obtenu des améliorations au traité anglo-français, nous avons été par conséquent au-delà des vœux de nos fabricants.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'importance qu'ont dans notre pays certaines productions qui figurent sous des noms modestes dans la matricule de l'industrie, il pourra paraître singulier qu'en esquissant à grands traits la physionomie du traité que nous venons de conclure, je vous entretienne de l'orfèvrerie, des fabriques d'objets en bronze, de la poterie commune, de briques, tuiles, tuyaux, etc., des amidonneries, des fabriques de colle forte, de gélatine, de chocolat, ou autres industries de ce genre considérées comme secondaires. Je crois au contraire, messieurs, qu'il est de mon devoir de citer au moins quelques-unes de ces industries parmi toutes celles de la même catégorie qui bénéficieront au traité, parce que d'abord ces industries considérées dans leur ensemble prennent une place importante dans le faisceau de notre puissance industrielle, ensuite parce que plusieurs d'entre elles, considérées isolément, contribuent dans une large mesure au bien-être des populations au milieu desquelles elles s'exercent.
Ces diverses industries qui nous avaient exposé le grand intérêt qu'elles avaient à obtenir une réduction de droits d'entrée en France, ont vu leurs vœux complètement accomplis par les dispositions du traité.
Que la Chambre me permette de dire quelques mots seulement sur quelques-unes de ces industries secondaires.
Nous avons en Belgique des amidonneries nombreuses et importantes ; il s'en trouve à Anvers, à Malines, à Thielt et je citerai la plus importante de toutes, celles de Wygmael près de Louvain.
Jusqu'ici il y a quelques années Londres avait seule le secret et le monopole de la fabrication de l'amidon au moyen du riz. L'usine de Wygmael met déjà journellement en fabrication une quantité de 3,500 kil. de riz pelé.
Si les hauts droits en France n'étaient un obstacle, m'écrivait le propriétaire de cet établissement, nous y trouverions un débouché considérable et facile. Les droits étaient de fr. 23,50 les 100 kil. Il était désirable d'obtenir une réduction considérable, les droits ont été fixés par notre traité à 1,50 réciproquement.
La Chambre comprendra l'importance de cette réduction quand je lui dirai qu'une seule fabrique à Londres exploite journellement 20,000 kil. de riz, ce qui fait une quantité annuelle de 6,000 tonneaux de mer. L'industrie française consomme des quantités très considérables d'amidon ; il y a donc là, outre l'intérêt industriel, un aliment pour notre navigation maritime.
La chambre de commerce de Bruxelles a signalé l'orfèvrerie comme une industrie qui prenait du développement et dont l'allure deviendrait plus vive, s'il y avait réciprocité de droit entre les deux pays. Les droits en France étaient pour l'orfèvrerie d'or de*132 fr. le kil., décimes compris ; le nouveau droit est de 5 fr. le kil., ce qui équivaut à 16 centimes pour cent francs pour l'orfèvrerie d'argent ; le droit est le même et équivaut à 2 fr. 20 c. par 100. En Belgique le droit est de 5 fr. par 100.
Les fabricants de bronze avaient vivement réclamé contre la prohibition dont étaient frappés en France les objets de leur fabrication, D'après le nouveau tarif français, les objets d'art et d'ornement et tous autres ouvrages en cuivre pur ou allié de zinc ou d'acier seront admis aux droits de 25 fr. les 100 kil. et de 20 fr. en 1864, le droit est très modéré d'après l'opinion des fabricants ; les mêmes objets payeront chez nous 10 p. c.
Les fabricants de tuiles, carreaux, briques, etc., à Boom et à Niel se sont plaints plusieurs fois de l'excessive élévation des droits qui, à la frontière de France, frappaient leurs produits. Ce grand marché, disaient-ils, qui, moyennant des droits modérés, serait pour leur industrie une ressource des plus fécondes, est aujourd'hui à peu près nul pour elles.
Ces fabricants faisaient remarquer que leur industrie était à la fois un encouragement pour le défrichement de la Campine dont les sapinières trouvent un important débouché dans leurs briqueteries, et une source de prospérité pour les houillères qui trouvent à placer chez eux des quantités considérables de charbon, d'espèce et de qualité difficiles à placer ailleurs.
Ces fabricants ajoutaient que leur industrie constituait une précieuse ressource pour la navigation intérieure et qu'elle occupait au-delà de 4,000 ouvriers.
D'un autre côté des fabricants de tuyaux de drainage de l'arrondissement de Tournai représentaient le débouché de la France comme suffisant pour faire prospérer leur industrie.
Enfin une société importante d'Ardennes avait demandé pour ses nombreux produits une réduction de moitié dans le taux des droits. La liberté nous est acquise pour toute la fabrication, car elle porte sur les carreaux, briques, tuiles, cornues à gaz, tuyaux de drainage et autres, creusets de toute sorte.
Cette partie du traité intéresse un grand nombre de localités du pays que je n'ai pas mentionnées, notamment Audenarde, Nivelles, Baudour, Blaton, Charleroi et Tournai.
La Belgique renferme de nombreuses et importantes tanneries. Les intéressés avaient demandé l'égalité des droits pour les peaux tannées pour semelles ; ils avaient représenté le droit de 20 fr., chiffre du droit (page 1662) anglo-français, comme pouvant leur être avantageux en cas de trop-plein ou de besoins excessifs en France. Nous avons obtenu un chiffre réciproque de 15 fr. les 100 kilos.
Pour les peaux maroquinées, vernies, teintes, etc., le droit du traité anglais, 250 fr. les 100 kilog. avait paru devoir favoriser dans une certaine mesure le placement des produits belges en France ; le droit est descendu par notre traité à 100 francs.
Je passerai légèrement sur une foule d'autres industries pour lesquelles le traité contient des stipulations dont les unes dépassent les vœux que les intéressés ont exprimés et dont les autres réalisent leurs espérances en tout, en partie. De ce nombre sont l'intéressante industrie des tresses et chapeaux de paille qui a trouvé un zélé défenseur dans un honorable représentant de la province de Limbourg, la fabrication des meubles, la carrosserie au sujet de laquelle la Chambre a également reçu des pétitions en 1852, l'or et l'argent battus en feuilles. Un fabricant de Bruxelles m'écrivait qu'il était à désirer que le droit fût réduit à 100 fr. le kilogr. droit qui lui permettrait de vendre en France. Le traité fixe ce droit à 50 fr. La ganterie en peau et en drap, la fabrication de futailles, vivement recommandée par un honorable député d'Anvers, celle du soufre raffiné, la charronnerie, article vivement recommandé par les honorables députés de Thuin, la fabrication des bougies ; pour tous ces articles et beaucoup d'autres qui seraient trop longs à énumérer nous trouverons en France un débouché certain.
La Belgique fabrique à bon marché des pianos qui sont appréciés par les musiciens. Par une pétition adressée à la Chambre en 1853, tous les fabricants demandaient soit la libre entrée réciproque, soit l'égalité des droits.
Celle-ci leur est acquise. La taxe des deux côtés sera de 10 p. c.
Le droit en France était de 300 à 400 francs par instrument plus les additionnels ; chez nous il était de 5 p. c.
Je crains d'abuser des moments de la Chambre en poursuivant des développements déjà fort étendus.
J'aurais pu vous parler des modifications qui intéressent notre agriculture, de notre commerce de transit, de notre pêche, de nos brasseries et de beaucoup d'autres industries encore.
J'en ai dit assez pour démontrer que le traité que nous venons de conclure est de nature à imprimer une extension notable à nos relations avec le vaste marché qui est à nos portes ; il me serait facile de démontrer, en mettant en regard de chacun des articles sur lesquels nous avons obtenus des dégrèvements, le nom des lieux où on les produit, qu'il n'est peut-être pas une localité de notre pays qui n'ait quelque avantage à tirer de cet acte international.
Il ne m'appartient pas de faire le bilan des avantages qu'en retirera la France. Le traité aura pour la riche et intelligente industrie française, je n'en doute pas, de résultat non moins nombreux et non moins fécond. Des deux côtés, l'abaissement des barrières et le stimulant de la concurrence révéleront des forces nouvelles, développeront celles qui sont déjà puissantes aujourd'hui, et les deux pays croîtront en activité et en richesse par la rivalité dans le progrès.
Je vous ai dit, messieurs, les principaux résultats probables d'une négociation longue et laborieuse, pendant laquelle le gouvernement, aidé par les lumières et le zèle infatigable de ses plénipotentiaires, a cherché à faire prévaloir ses principes économiques sans porter la perturbation dans aucune branche du travail national.
Nous avons la confiance que les Chambres et le pays ratifieront notre œuvre, et que ces stipulations internationales qui seront le point de départ de relations plus vives et plus fécondes, auront d'autant plus de prix à nos yeux qu'elles contribueront à resserrer encore les liens de bon voisinage qui existent si heureusement entre les deux pays.
M. le président. - M. de Ridder, retenu par une indisposition, m'adresse une lettre, laquelle demande un congé.
- Accordé.
M. Thienpont dépose un rapport sur une demande de naturalisation.
- La Chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Le gouvernement s'est empressé de déférer au vœu de la Chambre ; le traité est déposé sur le bureau en original.
M. Jamar. - Messieurs, j'ai eu l’occasion, dans une précédente séance, à propos de la convention littéraire, d'exprimer mon opinion sur la portée et le caractère du traité de commerce.
Je partage l'opinion exprimée au commencement de son discours par l'honorable ministre des affaires étrangères.
Je suis convaincu que sur ce vaste marché de 40 millions de consommateurs ouvert par le traité français, d'une manière si large à l'activité de nos producteurs, nos industriels ne peuvent manquer de conquérir bientôt une place brillante.
Pourtant, messieurs, un regret se mêle à cette satisfaction. Ce regret, que partage un grand nombre d'industriels, est provoqué par les articles 19, 20, 21 et 22 du traité de commerce ; ils font véritablement disparate dans un ensemble de mesures aussi libérales qu'on pouvait le désirer, par des prescriptions d'une rigueur inutile, au moins fort exagérée.
Voici, messieurs, les deux derniers paragraphes de l'article 19.
« L'importateur devra, indépendamment du certificat d'origine, joindre à sa déclaration écrite, constatant la valeur de la marchandise importée, une facture en indiquant le prix réel et émanant du fabricant ou du vendeur.
« Cette facture sera visée par un consul ou agent consulaire de la puissance dans le territoire de laquelle l'importation doit être faite. »
Messieurs, ces deux paragraphes contiennent un luxe de prescriptions qui s'expliquerait à peine dans un traité qui aurait pour but d'entraver les rapports entre les deux pays, mais qui sont véritablement inexplicables en présence du désir sincère des deux peuples de voir se resserrer leurs lien d'amitié et s'étendre leurs rapports commerciaux.
L'obligation de joindre à sa déclaration écrite une facture indiquant le prix réel de la marchandise et émanant du vendeur est en quelque sorte une arme toute nouvelle dans notre arsenal douanier.
Cette innovation émeut très justement tous les négociants honorables qui ont pour toutes les prescriptions de la loi ce respect qui est le premier devoir d'un citoyen.
Personne de vous n'ignore quelle importance s'attache pour un négociant à des rapports exclusifs, soit avec un centre de fabrication, soit simplement avec un fabricant placé dans un milieu ou des condit ion de fabrication exceptionnellement favorables.
Il n'y a pas un négociant qui n'hésitera à initier les employés de la douane à la connaissance de détails dont la divulgation peut être pour ces négociants l'occasion d'un préjudice considérable.
Je dis que dans ces conditions vous placerez un homme d'honneur entre les exigences de sa probité et le soin de son intérêt.
L'article 19 aggrave encore cette obligation, en imposant celle de faire viser la facture par un consul ou agent consulaire de la puissance dans le territoire de laquelle l'importation doit être faite.
Je me demande quelle devra être l'importance des envois assujettis à une semblable formalité, car je ne puis croire que ces mille petits colis échangés journellement entre la France et la Belgique y soient astreints et qu'il faille produire pour chacun d'eux une facture émanant du vendeur, visée par un consul ou agent consulaire dont l'office sera souvent éloigné du centre des affaires et qui, par la multiplicité des factures qui lui seront présentées, devra fréquemment ajourner au lendemain la remise du document.
Je me demande également quelle sera la position des fabricants dont les établissements seront situés à plusieurs lieues de la résidence du consul ou de l'agent consulaire.
Messieurs, je me borne à appeler l'attention de M. le ministre des finances, sur ce point en le priant tout au moins, par des prescriptions administratives faites aux employés, d'atténuer autant que possible ce que cette mesure peut avoir de fâcheux.
J'attache, je l'avoue, une importance beaucoup plus grande à l'article 20, dont voici les termes.
« Art. 20. Si la douane juge insuffisante la valeur déclarée, elle aura le droit de retenir les marchandises, en payant à l'importateur le prix déclaré par lui, augmenté de 5 p. c. »
L'arme la plus terrible, messieurs, dont dispose la douane et qui restera nécessaire aussi longtemps que vos tarifs contiendront des articles dont les droits s'acquittent à la valeur, au lieu d'être payés au poids, cette arme, c'est la préemption.
Cette partie de notre législation a été, comme dans d'autres pays, l'objet d'abus très graves. Des spéculations fâcheuses ont été faites souvent par des gens qui se rapprochant des employés de la douane, leur garantissaient la prime pour faire préempter des marchandises dont la déclaration était faite avec une parfaite loyauté !
(page 1662) En agissant ainsi, ils avaient pour but, soit d'entraver d'une manière honteuse les opérations de concurrents, plus habiles ou plus intelligents qu'eux, soit de profiter des chances favorables amenées par la rareté de la marchandise ou par d'autres circonstances.
Ce droit attribué en Belgique, messieurs, aux employés de la douane et qui s'exerce à leur profit particulier, se trouve fort aggravé dans ma pensée par la réduction de moitié de la prime de 10 p. c. payée pu le préempteur.
En diminuant ainsi les chances défavorables que courent ces employés, il est à craindre qu'ils ne fassent un abus très fâcheux
Ce sont encore les articles 254 à 265 de la loi du 22 août 1822 qui contiennent les règles à suivre pour la préemption. Il me semble que le moment est venu d'apporter des modifications très sérieuses à ces articles, et je serais fort étonné, je l'avoue, si la nécessité de ces modifications ne s'était pas encore présentée à l'esprit de M. le ministre des finances, qui a introduit tant et de si importantes réformes dans cette partie de son administration.
Une réforme qui me paraît indispensable, au double point de vue de la dignité de l'administration et de la sécurité du commerce, c'est d'enlever aux employés de la douane le droit de colporter et de vendre à leur profit les marchandises saisies.
Si vous jugez le traitement des employés insuffisant, je dis qu'il faut les augmenter et qu'il ne faut pas leur permettre de trouver dans la préemption une majoration de traitement :
En France, la préemption se fait au profit du trésor public, et par un arrêté du mois de juin 1848, je pense, les receveurs des douanes et les chefs douaniers ont été exclus de toute répartition dans le bénéfice de la préemption.
En Angleterre, c'est encore au profit du trésor public que se fait la préemption et la vente se fait dans les conditions identiques à celles où la saisie a été opérée, c'est-à-dire que l'administration ne fait pas vendre en détail un lot de marchandises saisies, mais il le vend en lot, tel qu'il a été saisi.
Ce sont là, à mon sens, de très précieuses garanties pour le commerce, et je serais fort heureux de voir M. le ministre des affaires étrangères vouloir bien avoir égard à ces observations dont personne plus que lui, j'en suis convaincu, ne comprend toute l'importance.
M. Ch. Lebeau. - Les observations que j'ai à présenter ne sont pas longues.
Messieurs, tout traité de commerce qui doit avoir pour résultat d'étendre et d'augmenter les relations entre les deux nations est toujours une chose avantageuse ; mais pour atteindre ce résultat, le traité de commerce doit réduire les droits sur les produits qui s'échangent entre les deux pays.
En effet, messieurs, moins la marchandise est grevée de droits soit de douane, soit de transport, moins cette marchandise coûte au consommateur. Or, lorsque le consommateur peut obtenir, avec la même somme d'argent, une quantité plus grande de produits, il est amené à en faire une consommation plus forte.
Conséquemment le producteur étant ainsi appelé à faire, de son côté, une plus grande production puisque la production est toujours en rapport avec la consommation, il en résulte que le consommateur et le producteur ont l'un et l'autre tout à gagner par le traité de commerce qui réduit le droit qui pèse sur les produits fabriqués.
Donc, à ce point de vue le traité soumis à nos délibérations doit être avantageux aux relations commerciales existant entre la Belgique et la France, parce qu'il réduit les droits de douane établis sur les produits des deux pays.
Tout en rendant hommage au talent, au zèle, à l'habileté de nos négociateurs, qu'il me soit permis cependant de faire ici quelques observations.
Une première remarque que vous aurez faite comme moi, c'est qu'il n'y a pas dans le traité une réciprocité parfaite.
En général nous accordons plus que nous ne recevons.
Il est vrai, messieurs, que nous obtenons un grand centre de consommation en traitant avec la France, mais il est à remarquer que nous ne sommes pas les seuls producteurs qui fournissons en France, qui approvisionnons le marché français.
Nous obtenons des avantages, sans doute, mais il n'y a pas de réciprocité complète ; nous donnons plus que nous ne recevons. Les produits belges sont frappés de droits supérieurs à ceux qui frappent les produits français.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et avant ?
M. Ch. Lebeau. - Ils étaient plus élevés autrefois, j'en conviens, mais enfin nous n'obtenons pas ce que nous accordons. Cala est évident.
Ainsi, pour ne parler que des charbons, les droits sur les charbons à l'entrée en France ne sont pas réduits, tandis que vous accordez une réduction aux charbons français. (Interruption.)
Mais il s'introduit du charbon français en Belgique.
Or, vous accordez une réduction de 70 centimes au charbon français tandis que les droits sur le charbon belge sont maintenus au taux actuel, de sorte qu'il y aura une différence de 80 centimes par tonne.
Il y a à peu près une centaine de mille tonnes qui s'exportent par an de France en Belgique. C’est ainsi que les charbons pour les briques et la chaux s'introduisent en Belgique en concurrence avec ceux des bassins de Charleroi.
Une seconde remarque c'est que nos grandes industries sont moins favorisées que les industries d'un ordre secondaire.
Et pour ne parler que des trois grandes industries de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, je dois dire qu'elles ne sont guère favorisées par le traité.
Je viens de vous entretenir de l'industrie charbonnière qui n'obtient absolument rien par le traité de commerce qui va au contraire dégrever les charbons français des droits qui pèsent sur eux à leur entrée en Belgique.
Le gouvernement indique même que, dans les traités qu'il fera avec les pays étrangers, il réduira les droits dans la même proportion, c'est-à-dire de 70 centimes par tonne.
Messieurs, je sais bien qu'il ne s'introduit pas des quantités énormes de charbons français en Belgique ; j'en ai indiqué tout à l'heure le chiffre approximatif ; mais il y a une contradiction entre les droits d'entrée des charbons des deux pays que je tenais à signaler.
Les charbons français qui viennent de France en Belgique sont ceux qui s'emploient pour les briques et la chaux ; ils arrivent particulièrement en concurrence avec les charbons maigres du bassin de Charleroi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le droit est réduit au profit de nos consommateurs.
M. Ch. Lebeau. - Sans doute le droit est réduit et ce sont nos consommateurs belges qui en profiteront, mais vous pourriez tenir le même langage au gouvernement français pour l'engager aussi à réduire les droits dans l'intérêt de ses consommateurs. Pourquoi ne fait-il pas ce que nous faisons !
Je le répète, il n'y a pas de réciprocité parfaite.
J'ai cité un cas, je pourrais en citer plusieurs.
Quant à la métallurgie, elle obtient, il est vrai, une réduction de droits sur les produits à l'entrée en France, mais il faut remarquer, messieurs, que les consommateurs français qui venaient d'approvisionner de fontes en Belgique, les introduisaient à des conditions au moins aussi avantageuses que par le traité. Ils se procuraient des acquits-à-caution et au moyen de ces acquits ils introduisaient leurs fers en France au même taux et même à des conditions plus avantageuses que par le traité.
Voilà la position dans laquelle se trouve la métallurgie. Je sais que par le traité cette position sera assurée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière) - Les acquits à caution subsistent.
M. Ch. Lebeau. C'est justement pour cela que je dis que la métallurgie n'obtient pas des avantages réels, car si on peut introduire les fontes au moyen d'acquits-à-caution à un taux qui n'excède pas le droit fixé par le traité, y a-t-il avantage ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Aviez-vous la garantie ?
M. Ch. Lebeau. - Nous n'avions pas la garantie ; nous l'aurons aujourd'hui ; mais nous n'aurons que cela ; par contre nos métallurgistes verront sortir tous les minerais, de manière que les établissements métallurgiques existant en France et qui sont aujourd'hui en concurrence avec nos établissements métallurgiques belges obtiendront tous nos minerais libres de droits à la sortie, ce qui n'existait précédemment que pour les oligistes.
Ainsi la métallurgie belge éprouvera un certain préjudice par la litre sortie des minerais.
On nous dit que cela n'est pas exact, mais enfin nous avons des minerais qui sont nécessaires à nos établissements métallurgiques. Au moyen (page 1661) de ces minerais on fabrique des fers spéciaux qu'on ne pouvait jusqu'ici fabriquer en Francs aussi avantageusement.
Les fers forts qu'on fabrique avec les minerais hydratés de Fraire et de Morialmé ne peuvent se fabriquer en France dans des conditions aussi favorables qu'en Belgique.
Messieurs, quant à l'industrie de la fabrication du verre, voici quelle était sa position.
L'industrie du verre à vitre exporte à peu près les 19/20 de ses produits.
Ses principaux débouchés sont l'Orient et l'Amérique.
Dans le moment actuel, messieurs, il y a une crise des plus fortes dans cette industrie. Sur 76 verreries, il y en a 28 qui chôment à l'heure qu'il est, par suite de la crise politique des Etats-Unis et du tarif douanier de ces Etats, tarif qui est à peu près prohibitif, puisqu'il y a, je crois, 60 p. c. de droits à l'entrée.
. Le traité, messieurs, réduit le droit à l'entrée des verres à vitre en France, d'une manière assez notable puisque précédemment le droit était tellement élevé qu'il pouvait être considéré comme entièrement prohibitif. Mais il n'est pas moins vrai que nos verres à vitre sont encore frappés, à leur entrée en France, d'un droit de 16 p. c. à la valeur.
Or, si vous ajoutez à ce droit les frais de transport, que l'on peut évaluer à 6 p. c., vous arriverez à 22 p. c. Dans ces conditions, il sera bien difficile à nos fabricants de verres à vitre d'introduire leurs produits sur le marché français, concurremment avec les producteurs français ; car, en France on a les matières premières comme en Belgique et la main-d'œuvre y est aux mêmes conditions.
Quant aux sulfates nécessaires à la fabrication du verre, le gouvernement avait proposé de réduire à 1 fr. 50 c. le droit qui s'élevait à 7 fr. 20 c. par 100 kilog. ; mais par contre il proposait de retirer aux fabricants le bénéfice de l'article 40 de la loi du 4 mars 1846 sur les entrepôts. Je suis heureux que, dans la section centrale, le gouvernement se soit expliqué de manière à nous autoriser à croire qu'il n'a pas l'intention de retirer aux fabricants de verre le bénéfice de cette disposition.
Et, en effet, messieurs, les fabricants de verres à vitre sont en concurrence, sur le marché étranger, avec les fabricants français et anglais. Eh bien, en France, le sulfate ne revient aux fabricants de verres à vitre pour l'exploitation qu'à 9-50 fr. environ les 100 kilog ; en Angleterre, messieurs, on l'obtient encore à de meilleures conditions. En Belgique le sulfate se vend au prix de 15 à 14 francs les 100 kilogrammes.
Comment nos fabricants pourraient-ils aller concourir en pays étranger, dans de pareilles conditions d'infériorité ? Le gouvernement, messieurs, a donc eu raison de ne pas insister sur le retrait de l'article 40 de la loi du 4 mars 1846 et de continuer à permettre à nos fabricants de verres le sulfate destiné à la fabrication du verre pour l'importation, sans devoir payer de droit.
Il s'agit là, en effet, d'une matière première nécessaire à l'une de nos plus anciennes industries qui n'a jamais réclamé la moindre protection et qui doit soutenir la concurrence en pays étranger avec l'industrie française et l'industrie anglaise, qui sont plus favorisées encore sous ce rapport, que nos fabricants.
Messieurs, le traité de commerce est un grand pas fait vers la liberté commerciale.
Il faut bien le reconnaître, il y a, dans tous les pays, une tendance marquée vers cette liberté.
La Belgique loin de redouter la liberté commerciale, peut l'appeler de tous ses vœux. Que tous les pays ouvrent librement leurs frontières aux produits belges et nos fabricants n'auront rien à craindre de voir ouvrir la frontière beige aux produits étrangers.
Seulement, pour que nous puissions lutter avantageusement avec l'étranger, il est une chose indispensable, c'est que nous ayons des transports à bon marché ! Le gouvernement doit donc principalement s'attacher à compléter nos voies de transport, à les améliorer et à réduire notablement les droits, à les réduire même jusqu'à la dernière limite.
Eh bien, en matière de verrerie, dont je parlais tout à l'heure, en France les produits verriers sont transportés à raison de 4 1/2 centimes tonne-lieue, en Angleterre, à raison de six centimes, tandis qu'en Belgique le même produit paye 9 1/2 centimes ; telle est encore sous ce rapport la position défavorable qui est faite à nos fabricants de verre. Je le demande, ces fabricants, qui exportent les 19 vingtièmes de leurs produits peuvent-ils lutter avec avantage avec les fabricants étrangers ?
En fait de transports le gouvernement et la section centrale se sont occupés d'un point qui concerne particulièrement le bassin de Charleroi.
Voici comment s'exprimait à cet égard M. le ministre des affaires étrangères, dans son exposé des motifs :
« Les houilles du bassin de Charleroi, d'un côté, celles du bassin de Mons de l'autre, suivent, pour se rendre à Paris, deux voies qui se rejoignent à la Fère. A partir de là, le trajet est commun jusqu'à Paris. Le gouvernement français a racheté, l'an dernier, les canaux ou les écluses qui appartenaient à des compagnies sur l'une des deux lignes de Paris à la frontière du Nord. Cette mesure, prise dans le double intérêt des houillères françaises et de la consommation, a eu en même temps pour effet de diminuer de fr. 1-10 par tonne les péages sur les charbons du bassin de Mons en destination de Paris. Les houilles de Charleroi ont profité aussi de la réduction, mais seulement dans le parcours commun de la Fère à Paris, c'est à-dire jusqu'à concurrence de 40 centimes. Restait donc une différence de 70 centimes.
« Pour égaliser les positions, les plénipotentiaires belges ont demandé au gouvernement de l'empereur de racheter la Sambre française et le canal de jonction de la Sambre à l'Oise, en offrant de diminuer les péages sur la Sambre belge. Par suite de diverses circonstances et particulièrement pour des raisons financières, l'administration française n'a pas cru pouvoir admettre cette combinaison. La question, toutefois, n'est pas abandonnée, Vous vous rappellerez, au surplus, messieurs, que vous avez mis à la disposition du gouvernement du Roi les fonds nécessaires pour approfondir le lit de la Sambre belge, travail qui amènera, dans un court délai, un dégrève ment d'environ fr. 1-05 par tonne en faveur des charbons de Charleroi transportés à Paris. »
La section, centrale a interpellé le gouvernement sur la question des péages. Le gouvernement a répondu qu'il était encore en négociation sur cet objet, que cette négociation n'était pas abandonnée. Toutefois, la section centrale a exprimé le regret suivant dans son rapport :
« La section centrale a regretté, au point de vue des intérêts du bassin de Charleroi, de ne point apprendre, en même temps que la conclusion du traité, le rachat, par le gouvernement français, de la Sambre française et du canal de jonction de la Sambre à l'Oise. Elle recommande cette question à la sollicitude de M. le ministre des affaires étrangères. »
Messieurs, je dois insister également à mon tour, pour que le gouvernement continue les négociations entamées sur ce point.
Il n'y a, entre le bassin de Charleroi et celui de Mons vers Paris, qu'une différence de parcours d'environ 7 kilomètres, en faveur de la ligne de Mons.
Et cependant il y a une différence de droit de navigation, à l'avantage de celle-ci, de plus de 3 fr. par tonne.
Aussi, tandis que le fret de Charleroi à Paris est aujourd'hui de 11 fr. par tonne, il n'est à Mons qu'à fr. 6-56 1/2, donc différence en faveur de cette dernière ligne de fr. 4-43 c.
Vous comprenez, messieurs, que dans une semblable position, il serait bien difficile au bassin de Charleroi de continuer à lutter avec le bassin de Mons, sur le marché de Paris et Rouen, s'il n'était apporté un remède à cette situation.
On nous dit que lorsque la Sambre sera approfondie, il y aura réduction du fret, puisqu'on pourra transporter avec des bateaux d'un tonnage d'environ 40 mille kilogrammes plus fort que les bateaux actuels.
La réduction ne sera pas aussi imposante qu'on le croit, elle sera d'environ 86 centimes par tonne, de manière que l'écart entre le fret de Mons et celui de-Charleroi sera encore de plus de 5 fr. 50.
Du reste, l'approfondissement de la Sambre a été décrété en 1859, c'est-à-dire avant le rachat des canaux français, suivi de l'abaissement des péages sur la ligne de Mons à Paris ; de sorte que ce n'est pas en compensation de cet avantage obtenu par le bassin de Mons qu'on a décrété l'approfondissement de la Sambre ; mais bien pour chercher à améliorer la position du bassin de Charleroi qui s'est toujours trouvé dans des conditions d'infériorité vis-à-vis du bassin de Mons, au point de vue des transports en Fiance.
J'engage donc M. le ministre des affaires étrangères à continuer les négociations entamées avec le gouvernement français pour arriver au rachat des canaux et à la réduction des péages sur la ligne de Charleroi à Paris.
M. Pirmez. - Je n'ai qu'une simple observation à faire. Sans entrer dans des détails, je m'empresse de déclarer que je voterai le traité qui nous est soumis avec une véritable satisfaction, comme (page 1665) constituant, dans son ensemble, une grande et magnifique réforme. Et je ne demande pas quel chemin on a pris pour la réaliser ; je crois que l'on doit être heureux quand on arrive où l'on veut aller, et qu'il ne faut pas faire un reproche à celui par qui on est conduit quand il prend la voie la plus facile.
Aussi ce n'est pas une critique que je veux faire, mais une simple réserve.
L'industrie verrière est, comme vous le savez, une des industries les plus importantes de notre pays, elle est en même temps l'une des plus naturelles ; elle ne demande rien, sinon de ne pas voir son essor arrêté par des mesures restrictives.
Elle se met donc en parfaite communauté d'opinion avec les négociateurs du traité, et elle compte bien qu'elle ne trouvera chez eux que des dispositions favorables à son égard.
Une des matières premières les plus importantes pour cette industrie, c'est le sel de soude ; il a été imposé d'un droit assez modéré d'abord, mais il a été augmenté en 1844 dans une immense proportion.
Aujourd'hui ces droits très élevés grèvent encore le sel de soude, mais ces droits ne sont pas acquittés, les verriers l'importent en usant du bénéfice de l'article 40 de la loi sur les entrepôts.
Le traité abaisse le droit à 1,50 fr. par 1,000 kil., mais cet abaissement n'est pas suffisant pour que l'industrie verrière s'approvisionne au dehors en payant le droit.
Il est donc nécessaire qu'elle puisse continuer à user de la faculté de l'article 40.
La section centrale s'est adressée au gouvernement pour savoir s'il maintiendrait en vigueur l'application de cet article. Le gouvernement a donné satisfaction sous ce rapport en déclarant que rien ne serait changé à cet égard, tout au moins jusqu'à ce qu'il ait été conclu avec les autres Etats des traités semblables à celui qu'il tient de conclure avec la France. A cette époque, il consulterait les intéressés, pour savoir ce qu'il y a à faire à cet égard.
Or voici ce que je tiens à constater : c'est que nous ne pourrions à aucun prix accepter le droit de 1,50 fr. si on ne conservait le bénéfice de l'article 40.
Si le gouvernement veut supprimer le bénéfice de l'article 40 pour le sel de soude, il faut de toute nécessité qu'il abaisse le droit d'entrée sur les sels de soude, et qu'il l'abaisse dans la plus large proportion.
Nous n'accepterons la suppression de l'article 40 qu'avec une diminution énorme du droit.
Nous ne sommes du reste pas, à cet égard, lié vis-à-vis de la France plus que vis-à-vis d'aucune autre puissance par le maximum de droit qu'indique le traité ; nous demeurons toujours maîtres de l'abaisser.
Je suis convaincu que le gouvernement aura égard à ces observations et ne voudra pas, dans la grande réforme qu'il entreprend, entraver une industrie importante par des droits protecteurs.
Il lui laissera toute la liberté dont elle a besoin, elle ne demande que la liberté.
M. De Lexhy. - Messieurs, je viens applaudir au grand progrès qui se manifeste dans notre régime commercial. C'est par des réformes sages et successives que le progrès durable s'accomplit. Malgré les entraves de tout genre, malgré la coalition de tous les préjugés égoïstes, la liberté fait son chemin aussi bien dans l'ordre politique et moral que dans l'ordre matériel.
Le traité soumis à nos délibérations constitue un grand pas dans la voie de la liberté commerciale. A une autre époque, lors de la discussion de la loi sur les céréales, j'acceptai la liberté que l'on appliquait à l'agriculture : mais en me soumettant à ce régime, je réclamai son application à toutes les autres industries nationales. Les produits agricoles étrangers entrent librement en Belgique, car les légers droits qui les frappent ne constituent pas bien certainement une protection, et viennent nous faire une rude concurrence.
Il y a donc une suprême injustice à maintenir des droits protecteurs au profit d'autres industries, alors que l'agriculture est soumise au régime de la liberté, alors que nous intervenons dans le payement de la protection assurée à ces industries privilégiées. Aussi, chaque fois que l'occasion s'en présente, je réclame l'abolition ou la réduction de toute protection. C'est de ma part un système de représailles à l'égard des autres industries.
En effet, puisqu'on a appliqué la liberté à l'agriculture, on a voulu faire une bonne chose, et c'est pourquoi je veux appliquer ce système à toutes les autres industries. Je veux l'égalité, et nous y arriverons.
Le traité avec la France réduisant beaucoup de droits protecteurs, je ne puis que l'adopter dans son ensemble. Ce traité établit, d'ailleurs, entre les divers intérêts, un équilibre équitable.
Si l'ensemble des intérêts nationaux trouve dans ce traité une satisfaction plus ou moins complète, pourquoi faut-il qu'il y ait quelques intérêts sacrifiés ? Pourquoi faut-il que l'on doive protester contre le sort réservé à l'industrie sucrière ? Je crois inutile d'énumérer les bienfaits que cette industrie est destinée à produire et combien elle a contribué au progrès agricole.
Cette industrie si vivace et si profitable au trésor public avait droit à ce qu'on ne réglât pas sa destinée d'une manière brusque et intempestive.
Il y a un an, à peine, nous avons ajourné la question des sucres, afin de l'examiner avec maturité, lorsque nous serions en possession de tous les éléments du procès et dégagés de l'influence d'autres préoccupations. Aujourd'hui nous allons trancher sans examen cette question si compliquée, si difficile. Le sucre paye la rançon des autres industries. Le traité modifie sur deux points notre législation sucrière, par l'abolition de l'écart existant entre les droits d'accise des sucres exotiques et indigènes et par l'augmentation du minimum de recette au profit du trésor.
Je me bornerai à faire remarquer que l'écart entre les deux sucres ne constitue pas une prime, mais n'est que la différence exacte entre la valeur intrinsèque respective des deux matières. Ce n'est qu'une équitable compensation de la perte que donne au raffineur la moins-value des arrière-produits du sucre de betterave.
Il ne s'agit donc pas de conserver une protection, mais de conserver l'égalité : car l'égalité consiste à traiter inégalement des choses inégales. Abolir l'écart, c'est protéger le sucre colonial. Nous trouvant dans l'impossibilité de discuter à fond cette question, je n'en dirai pas davantage sur ce point. Je me bornerai à déclarer que je suis disposé à appuyer les propositions qui seraient de nature à atténuer les effets désastreux du traité à l'égard d'une industrie importante et qui contribue grandement à l'accroissement de la richesse nationale, à la condition, toutefois, qu'elles ne compromettent point l'adoption d'un traité qui fait accomplir un grand pas aux idées que j'ai toujours défendues.
Je dois exprimer le regret que le gouvernement belge n'ait pas cherché, dans les négociations du traité, à obtenir de la France la libre entrée de nos produits agricoles. La France a conservé le système de l'échelle mobile, il eût été juste, équitable d'établir la réciprocité pour les produits agricoles. C'est là une lacune dans le traité, lacune que je regrette. Lors de l'examen en sections du traité, on avait exprimé la crainte que le fonds communal n'éprouvât des pertes du chef de certaines réductions douanières. Les réponses du gouvernement nous ont donné un apaisement et ont dissipé nos craintes à cet égard.
M. de Haerne. - Messieurs, j'imiterai les honorables préopinants, j'userai d'une grande réserve dans cette discussion et je ne la prolongerai pas longtemps pour ne pas abuser de l'attention de la Chambre.
Je n'ai jamais repoussé aucun traité de commerce depuis que j'ai l'honneur de faire partie de la législature ; je les ai presque tous adoptés, je ne me suis abstenu qu'une seule fois.
Je n'ai pas partagé chaque fois les sentiments de crainte que manifestaient quelques personnes ; je n'ai pas non plus partagé l'enthousiasme dont les traités de commerce étaient quelquefois l'objet de la part de quelques membres de cette Chambre, et je me suis trouvé très bien de ne pas m'être abandonné à trop d'enthousiasme ; j'ai toujours remarqué que l'expérience amenait des déceptions ; que les traités, après avoir fonctionné quelques années, ne trouvaient plus beaucoup de partisans, surtout dans la Chambre.
Je dirai cependant qu'à prendre les conventions qui nous sont actuellement soumises dans leur ensemble, la convention littéraire que nous avons votée dans une séance précédente ; la convention de navigation qui vient d'être votée et le traité de commerce dont nous nous occupons, je dois dire que ces trois traités présentent, dans leur ensemble, de grands avantages pour la Belgique, des avantages réciproques pour les deux pays qui les ont signés.
Mais, encore une fois, l'avenir ouvert par le traité de commerce est incertain. Quant à la convention littéraire, nous pouvons y applaudir sans réserve ; et la convention de navigation n'a pas soulevé de grandes objections ; mais quant au traité dont il s'agit, l'avenir est trop incertain, l'horizon est trop obscur, trop chargé de nuages pour que nous puissions y applaudir sans en peser toutes les conséquences possibles. Nous ne savons pas quel sera, par exemple, le résultat qui se produira (page 1666) en France par suite d'une autre convention, du traité conclu entre ce pays et l'Angleterre.
Ce traité peut développer l’industrie française par la réduction des frais de production ; ou bien il peut notablement rabaisser cette industrie ainsi que la prospérité de la France.
Ainsi vous avez vu, messieurs, par les discussions de la législature française, que le commerce et l'industrie ont élevé de grandes réclamations contre le traité anglais, chez nos voisins du midi. Sont-elles fondées ? Je ne suis pas en état d'en juger, je me déclare incompétent sous ce rapport.
Mais si ces réclamations étaient fondées, vous comprenez que l'état économique de la France pourrait subir un grand bouleversement et que nous devrions nécessairement nous en ressentir. C'est une des raisons qui doivent engager à mettre quelque prudence dans l'appréciation des avantages futurs de la convention qui nous est soumise ; et cela d'autant plus qu'il y a, pour plus d'un article qui se trouve dans le traité, un changement total dans les relations établies depuis longtemps entre la France et la Belgique, quant à la concurrence que nous aurons à soutenir en France. J'ose le dire, pour plus d'un article, et notamment pour les articles des Flandres, la concurrence que nous allons rencontrer sur le marché français n'est pas tant contre la France que contre l'Angleterre, qui désormais y sera admise aux mêmes conditions que la Belgique. Nous n'y jouirons plus d'aucun traitement de faveur. C'est là la véritable lutte.
Il s'agit de lutter sur le marché français avec une industrie considérablement plus développée en général, non seulement que l'industrie française, mais que l'industrie belge, avec une industrie qui a l'esprit d'association poussé jusqu'à la dernière perfection, qui dispose de gigantesques moyens de transport, qui a un système colonial privilégié, qui possède des capitaux énormes, avec lesquels elle peut écraser les industries rivales, quand elle le veut.
Voilà de quelle manière se présente à mes yeux la concurrence que nous aurons à soutenir sur le marché français dans l'avenir. Je sais qu'on répond à tout cela par la réduction des salaires et l'expatriation de nos ouvriers ; mais ce système froisse le sentaient national et l'humanité.
Je déclare, toutefois, que je trouve le traité bon en général, mais je ne l'accueille pas avec cet enthousiasme qui, à mes yeux, serait plus ou moins aveugle, vu l'incertitude de l'avenir. Je dois dire de ce traité ce qu'on dit à peu près de tous les traités, en me servant d'une expression, qu'un poète latin appliquait aux compostons littéraires : Sunt bona, sunt mala, sunt mediocria multa.
Il y a dans le traité du bon, du mauvais, du médiocre. C'est l'ensemble qui doit déterminer notre vote.
Il y a dans ce traité, comme dans la plupart des traités que nous avons eu à voter précédemment, d'excellentes choses. Il y en a que je trouve assez mauvaises surtout quant aux sacrifices que nous avons à faire et qui sont incontestables. Il y en a qui sont passables, médiocres si vous voulez.
Parmi les bonnes choses que je trouve dans le traité je dois parler d'abord des avantages que nous avons obtenus à certains égards pour l'industrie linière. Il y a des avantages incontestables. Entre autres il y a sur certaines catégories de toile une baisse assez notable de droit, Il y a ensuite une amélioration réelle dans le rehaussement des types qui ont fait longtemps l'objet de contestations.
Puis, il y a un troisième avantage qui, pour les hommes pratiques, est important ; c'est qu'il est bien décidé que dorénavant on négligera la fraction de fil dans l'appréciation de la finesse par l'application de la loupe.
Ce sont là des avantages réels et positifs ; et si nous n'avions à lutter en France que contre l'industrie française, je dirais que ces avantages sont considérables. Mais la lutte principale se présente sur le marché français, je le répète, vis-à-vis de l'industrie anglaise.
Je dois dire, et je ne puis trop insister sur ce point, que si nous n'avions pas l'assurance que l'on continuera à permettre le travail en entrepôt pour la fabrication des toiles, c'est-à-dire l'emploi des fils étrangers sous réserve de restitution des droits à la sortie, lorsque ces fils sont convertis en toiles ; en un mot a nous n'étions pas persuadés que l'article 40 de la loi du 4 mars 1846 continuera à recevoir son application, je désespérais de la lutte que nous aurons à soutenir sur le marché français, parce que pour y arriver dans des conditions d'égalité avec les Anglais, nous devons avoir les mêmes matières premières que nos rivaux. Sans cela, je le déclare, et je crois que je ne serai démenti par aucun fabricant de toiles, la concurrence ne serait plus possible pour nous, sur le marché français, quant à la toile en fil mécanique.
Ce marché nous serait complètement fermé pour beaucoup de catégories de tissus de lin.
J'aime donc à croire que le mot « provisoirement » qui s'est glissé dans le rapport, ne doit pas être pris à la lettre ; car le retrait de la disposition existante serait fatal pour l'industrie que j'ai l'honneur de défendre en ce moment.
L'application de l'article 40 de la susdite loi nous est également nécessaire pour nos exportations de toiles dans d'autres pays. C'est par cette mesure que ces exportations, qui étaient presque nulles auparavant, se sont tant accrues. Cette disposition de la loi des entrepôts est même favorable à nos filatures, d'abord en ce qu'elle a augmenté l'exportation des toiles, fabriquées avec du fil indigène, toiles qui ont servi à compléter nos assortiments ; ensuite, les filateurs n'ignorent pas que, si cette faculté légale nous est retirée, les fabricants de toiles se joindraient aux libres échangistes pour demander la libre entrée des fils étrangers.
Je vous ai parlé, messieurs, de certaines stipulations qui peuvent être bonnes, mais qui cependant seront sujettes à de grandes difficultés et qui peut-être entraveront les exportations ou les empêcheront même totalement.
Tout à l'heure, M. le ministre des affaires étrangères nous a parlé des avantages que nous avons obtenus pour les étoffes de coton, pour les étoffes de laine, pour les étoffes mélangées et pour les étoffes à pantalon. Je reconnais qu'il y a un certain dégrèvement dans les droits. D'après la convention commerciale que nous avons conclue en 1852 et qui n'a été ratifiée par la Chambre qu'en 1854, les droits sur les étoffes à pantalon, sur les cotonnettes, sur les articles mélangés qu'on appelle assez généralement dans le commerce articles de Roubaix, étaient de 25 p, c. de la valeur.
Nous avons dit alors que c'était là un droit prohibitif ; pour nous tranquilliser à cet égard et pour nous faire espérer que nous aurions eu une exportation assez notable de ces articles sur le marché français, on nous a fait accroire que dans le compte-fil, le fil double ou le fil en deux bouts, comme on l'appelle, aurait été pris comme fil simple. Je me rappelle que j'ai fait à ce sujet une allusion, au nom de la section centrale, dont j'avais l'honneur d'être le rapporteur, dans la partie de mon rapport relative à la convention commerciale. Mais nous ne pouvions nous exprimer d'une manière très explicite, la discussion des traités avait lieu en comité secret.
Comme cet article avait été l'objet des réclamations de plusieurs fabricants des Flandres, notamment des fabricants de la localité à laquelle j'appartiens, on nous a dit positivement dans les entretiens que nous avons eus avec le ministère, que les fils en deux bouts auraient été comptés pour fils simples dans la chaîne. Or, cela n'a pas été et tous n'avons pas eu réellement d'exportations sur le marché français. Nous avons eu des exportations considérables en transitant par la France, en transitant par le Havre, et d'autres par Hambourg, mais nous n'avons pas eu d'exportations pour le marché français ; cette distinction, qui paraissait si peu importante quant au fil en deux bouts, était décisive.
Je vois dans le tarif français qui nous est soumis aujourd'hui une phrase qui me paraît assez rassurante à cet égard, pourvu qu'on l'interprète dans le sens libéral que je viens d'indiquer.
A l'article où il s'agit de ces étoffes, on trouve en tête ce mot : « Fil retors en deux bouts. » Mais ensuite, lorsqu'on parle des spécialités et notamment des étoffes à pantalons, et autres semblables, on ne dit pas expressément que ce mot s'applique à ces catégories de tissus. Je crois qu'il doit s'y appliquer, mais il serait bon de s'en expliquer d'avance, pour éviter l'interprétation restrictive que les fabricants français seront tentés d'y donner.
J'appelle donc sur ce point toute l'attention de M. le ministre des affaires étrangères et je le prie d'insister pour que cette application ait lieu en ce sens que l'on compte comme fils simples les fils « à deux bouts. » En 1854, cela nous avait été promis, comme des journaux de l'époque en font foi, et le ministère d'alors nous avait donné, à cet égard, des assurances formelles.
Dans l'exposé des motifs et dans les explications qui accompagnent le traité, on dit que ces produits-là payeront seulement 15 p. c. de la valeur.
En admettant que cela soit, il faut encore distinguer. Le droit qui était de 25 p. c. est diminué, je le reconnais ; il était prohibitif : mais si je voulais entrer dans les détails je démontrerais que sur certaines spécialités le droit sera encore en réalité de 25 et même de 30 p. c. Admettons cependant qu'il ne sera que de 15 p. c. Mais comme la matière première de ces étoffes est en France dans les mêmes conditions (page 1667) qu'en Belgique, ces 15 p. c. pèsent non pas sur la totalité de la marchandise, mais sur la main-d'œuvre exclusivement, y compris la filature, la teinture et le tissage.
Il faut donc calculer la différence qu'il y a entre le prix de la main-d'œuvre en France et le prix de la main-d'œuvre en Belgique. Or, messieurs, dans quelques étoffes, la main-d'œuvre entre pour 28 p. c. dans la valeur totale de la marchandise ; dans d'autres étoffes, et les entrepôts 42 p. c. En moyenne, on peut compter 35 p. c.
Eh bien, messieurs, puisque le droit de 15 p. c. pèse exclusivement sur la main-d'œuvre, puisqu'il retombe sur ces 35 p. c, il en résulte que dans la lutte il faut gagner 42 p. c, pour être dans les mêmes conditions que l'industrie française. Je ferai une concession parce que je ne veux rien exagérer ; j'admettrai que la main-d'œuvre est à bien meilleur compte en Belgique qu'en France et, d'après les informations que j'ai prises dans les principaux centres de fabrication où l'on s'occupe de ces articles, je puis aller jusqu'à dire que l'on compte en général que la main-d'œuvre est de 20 p. c. meilleur marché en Belgique qu'en France.
Or, messieurs, je viens de faire voir que le droit de 15 p. c. tombe sur les 35 p. c. de main-d'œuvre compris, en moyenne, dans la valeur totale de la marchandises ; je tiens compte maintenant de la différence de 20 p. c. entre le prix de la main-d'œuvre en Belgique et le prix de la main-d'œuvre en France, et j'arrive ainsi à cette conclusion que la France est encore protégée contre nous de 8 p. c. Voilà la vérité, voilà le fait tel qu'il résulte des chiffres.
Ainsi, messieurs, vous voyez que la lutte sera extrêmement sérieuse. Elle sera très difficile. Et en raisonnant de cette manière, je parle seulement des étoffes qui rentrent dans la spécialité de 35 fils et au-dessous ; mais si dans le compte-fil on prenait le fils retors en deux bouts pour deux fils, alors nos étoffes communes mêmes dépasseraient presque toutes les 36 fils par 5 millimètres, seraient classées dans la catégorie supérieure, et auraient à supporter un droit beaucoup plus élevé.
De plus, comme ce sont des étoffes teintes, elles sont assujetties au surcroît de droits qui frappe les étoffes teintes, surcroît qui est de 15 centimes pour les étoffes de 35 fils et au-dessous et de 25 centimes pour les autres.
De cette manière, messieurs, le droit serait de 75 cent, par kilog. sur les étoffes de 35 fils et au-dessous, et s'élèverait à 1 fr. 5 cent, sur les étoffes de 36 fils et au-dessus. Or, messieurs, si toutes les étoffes tombaient dans cette dernière catégorie, le droit serait énorme, il serait de 25 p. c. au lieu de 15 p. c. et, encore une fois si je tiesn compte de la différence de 20 p. c. du prix de la main-d'œuvre, j'arrive à une protection réelle de 18 p. c. au profit de la France.
Vous le voyez donc, messieurs, les difficultés de la lutte sont sérieuses et il ne faut pas s'exagérer les avantages du traité pour cet article.
J'ai surtout insisté, messieurs, sur ce point tout pratique, en ce qui concerne le compte-fils, et je ne puis trop appeler l'attention de l'honorable ministre des affaires étrangères sur cette importante question.
Il est encore une question messieurs... (Interruption.) Messieurs, je veux très volontiers renoncer à la parole, mais j'ai l'obligation de traiter encore brièvement un point.
Lorsque en 1854 on parlait de clore le débat sur le traité, après plusieurs jours de discussion en comité secret, il y avait une opposition énergique de la part de ceux qui aujourd'hui voudraient faire prononcer la clôture.
Le seul sacrifice que nous faisions sur les vins alarmait alors toute la Chambre, et on disait que ce sacrifice suffisait pour faire rejeter le traité si l'on ne devait pas tenir compte de la question politique, si l'on ne devait pas avoir égard aux liens d'amitié qui attachent la Belgique à l'a France. Et aujourd'hui, que nous n'avons pas encore parlé des sacrifices que nous avons à faire, on devrait déjà renoncer à la parole.
Voici le point que je désire toucher en deux mots :
Messieurs, dans l'article 16 du traité il est dit que les houilles ne payeront qu'un franc, en entrant en Belgique, par canaux et par terre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Un franc en Belgique et 1 fr. 50 c. en France.
M. de Haerne. - Je voudrais savoir si cela porte quelque préjudice à la convention qui a été conclue pour la concession du canal de Bossuyt à Courtrai. Dans le contrat, il a été stipulé que les bateaux belges ou français chargés de houille, etc., et venant de France, ne seront admis à être écluses à l'écluse de Comines qui moyennant un droit de 2 francs par tonneau, à payer au profil du concessionnaire du canal de Bossuyt à Courtrai. Ce sont les termes de l'arrêté de concession.
Je ne pense pas, quant à moi, que cet article-là puisse porter préjudice à la convention dont je parle, puisque la convention est purement particulière et qu'il s'agit d'un droit à payer à l'intérieur du pays ; je désirerais cependant que M. le ministre des affaires étrangères voulût bien donner une explication à cet égard, pour empêcher les difficultés qui pourraient naître et les contestations qui pourraient surgir de la part des particuliers. Déjà l'on interprète cet article du traité dans le sens abusif dont je viens de parler, nuis que je n'admets pas. Je termine, messieurs, en disant que le traité en général me paraît favorable ; je l'accepte, mais sans cet enthousiasme avec lequel on paraît vouloir le voter. Je l'accepte, parce qu'il sert à consolider les relations d'amitié qui existent entre la Belgique et la France, et qu'il est de nature à produire d'heureux résultats pour les deux nations, en favorisant en général la liberté commerciale dans un sens qui me paraît raisonnable.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Le traité n'a fait que régler le tarif à l'entrée et à la sortie du pays. Il ne s'occupe pas des péages à l'intérieur. Quant aux conventions particulières, elles resteront ce qu'elles sont.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close. On passe aux articles.
« Art. 1er. Le traité de commerce conclu, le 1er mai 1861, entre la Belgique et la France, sortira son plein et entier effet. »
M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne m'attendais pas à voir la discussion sur un traité de cette importance marcher avec une telle rapidité...
M. Allard. - Tout le monde a la liberté de parler.
M. B. Dumortier. - Je ne m'attendais pas, je le répète, à voir une discussion de cette importance se terminer en une séance.
Le traité dont il s'agit n'est pas un traité comme ceux que l'on fait ordinairement de puissance à puissance, contenant 3, 4, 5 ou 6 articles ; c'est un traité qui modifie presque tout notre tarif douanier ; c'est une véritable révolution en matière d'intérêts matériels. C'est un traité qui comprend environ 400 articles de notre tarif.
Je regrette vivement que l'examen des intérêts matériels du pays, c'est-à-dire d'un des points les plus importants de notre mandat, se trouve ainsi soustrait au pouvoir législatif.
Ce qui me frappe encore plus dans le traité, c'est qu'il renferme quelques injustices très grands ; c'est surtout ce qui nous est annoncé dans l'exposé des motifs, à savoir que le traité recevra probablement son applicabilité, quand des traités seront faits avec l'Angleterre, la Hollande et la Prusse, toutes nations qui nous entourent.
Quant à ce dernier point, la section centrale a émis un vœu auquel je me rallie complètement : c'est que le gouvernement examine, dans les traités à intervenir plus tard, la mesure de protection dont l'industrie belge a besoin vis à vis de l'industrie anglaise, infiniment plus avancée, infiniment plus perfectionnée que la nôtre, ayant des débouchés dans le monde entier, fabriquant pour 200 millions d'habitants, et avec laquelle il nous serait impossible de songer à lutter.
La lutte qu'on voudrait songer à établir entre la Belgique et l'Angleterre serait véritablement la lutte d'un nain contre un géant, d'un enfant contre un homme fort.
Je me rallie donc complètement sous ce rapport à la disposition qu'a admise la section centrale, et je crois que cette disposition si sage et si raisonnable aura votre assentiment.
Quant à ce qui est du traité en lui-même, je remarque que plusieurs industries seront gravement exposées à une catastrophe, si les dispositions qu'il contient étaient appliquées à l'Angleterre.
Ainsi nos nombreuses papeteries seraient dans l'impossibilité de continuer à marcher en Belgique, si les chiffons pouvaient s'exporter en Angleterre au taux où ils s'exporteront en France. Déjà vous avez vu de vives réclamations s'élever à la tribune française contre l'exportation des chiffons au droit si considérablement réduit. D'un autre côté, j'ai vu qu'à la tribune anglaise on avait exprimé le vœu que cet article fût également appliqué à l'Angleterre.
J'engage vivement le gouvernement à se bien pénétrer de la gravité de cette considération ; il ne s'agit pas, pour le plaisir de faire des théories, de réunir certaines industries belges ; si l'article dont je parle était appliqué à l'Angleterre, toutes les papeteries belges seraient dans l'impossibilité de continuer leurs travaux. Il en résulterait un accroissement considérable dans le prix des papiers, et je ne sais quel avantage pourront y trouver les consommateurs.
Je parlerai également d'une industrie très importante dans notre pays, je veux parler des filatures de laine peignée qui s'adressent aux industries des tapis, de la bonneterie, de la passementerie et à beaucoup d'autres (page 1668) industries de ce genre. Cette industrie-là se trouve dans une position très défavorable, parce qu’en définitive, le traité avec la France accorde des droits protecteurs pour les fils de coton assez considérables, ne donne à cette industrie que 1 1/2 à 2 p. c. de réduction, c’est-à-dire un simple droit de balance.
Celte industrie, messieurs, est surtout très développée dans l'arrondissement de Tournai, à Tournai, à Leuze, à Péruwelz et dans tous les centres manufacturiers où l'on travaille la laine, les tricots ou les tapis, et il serait infiniment préjudiciable au pays de voir de pareilles industries exposées à ne plus pouvoir exister avec la concurrence de l'Angleterre.
Evidemment, un droit de 1 1/2 à 2 p. c. n'est rien autre chose qu'un simple droit de balance.
Je m'étonne qu'on attribue des droits aussi faibles à cette industrie alors que les industries qui envoient beaucoup de députés ou celles qui envoient les députés prépondérants obtiennent des droits favorisés de 10, de 15 p. c. et même au-delà.
Veuillez remarquer que l'industrie de la laine peignée s'exerce avec la laine à longues soies.
L'industrie des fils de laine cardée s'exerce au contraire avec de» laines qui viennent des entrepôts.
Or, la laine à longue soie, quel est le pays qui la produit presque exclusivement ? C'est l'Angleterre. Il existe en Angleterre 45 millions de moutons à longues soies, et c'est là que nos fabricants doivent aller chercher leur approvisionnement presque en entier.
Le fabricant anglais a là un avantage considérable. Il traite directement avec les tenants, avec les fermiers de moutons. Il achète les toisons sur les lieux, tandis que le fabricant belge doit les acheter dans les ports de mer ou dans les villes centrales où il a déjà fallu commissionnaire sur commissionnaire. Le prix de la marchandise est donc plus élevé pour lui que pour le fabricant anglais.
La concurrence deviendra donc impossible, et si la Belgique n'avait qu'un droit de balance pour protéger une pareille industrie, il est évident que ce serait sa ruine ; car, vous le savez, les troupeaux sont considérablement diminués en Belgique et les troupeaux à longues soies y sont excessivement rares.
Il ne faut pas du tout confondre cette industrie avec celle des laines cardées, qui s'approvisionne, comme l'industrie similaire anglaise, sur les marchés. Cette dernière peut très bien soutenir la concurrence avec l'Angleterre.
Il y a d'autres articles encore dont on a parlé à la section centrale.
Un honorable collègue, dont je regrette le silence dans cette circonstance, a parlé de l'industrie des laines artificielles et il a établi, vous le verrez par la note du rapport, d'une manière incontestable que cette industrie ne pouvait soutenir la concurrence avec l'exportation des tissus de laine en Angleterre.
Qu'arrivera-t-il pour l'industrie de la distillerie ?
La distillerie, si votre traité s'étend à d'autres puissances, ne pourra plus vivre. Déjà dans le traité actuel, elle n'est pas très bien traitée.
Elle avait espéré avoir un droit favorable, un droit protecteur par le traité, mais si maintenant vous permettez les droits égaux l'entrée d'une part des eaux-de-vie françaises, qui vont nécessairement prendre une grande place sur le marché, et si, d'autre part, vous faites un traité avec la Hollande en vertu duquel vous laissez entrer le genièvre de Schiedam au même droit qui frappe nos genièvres, il est très présumable que vous amènerez la ruine d'une de nos industries agricoles les plus importantes.
La distillerie est une industrie excessivement importante en Belgique ; elle est indispensable pour le défrichement des bruyères, pour la culture des terres sablonneuses et pour la consommation générale. Cette mesure aurait donc pour contre-coup un préjudice considérable pour l'agriculture.
Je le répète donc, je combattrai de tous mes moyens l'application du traité actuel à d'autres puissances.
La France est dans des conditions de production qui ont beaucoup d'analogie avec les nôtres, mais les conditions de production de ce pays ne sont nullement analogues à celles de l'Angleterre, et je ne demeure pas tout à fait convaincu que l'industrie gantoise pourrait supporter, vis-à-vis de l'Angleterre, le régime qu'elle supportera certainement vis-à-vis de la France.
Je crains donc, pour mon compte, que si le traité était appliqué à l'Angleterre, cette si importante industrie qui fait vivre plus de 40,000 ouvriers dans la seule ville de Gand, ne subisse des crises épouvantables, crises que nous devons d'autant plus chercher à éviter que nous avons pu voir récemment encore qu'elles peuvent devenir, dangereuses pour la tranquillité publique.
Ou ne saurait assez insister pour que le gouvernement n’applique point ce tarif à l’Angleterre dont les conditions de production sont complètement différentes des nôtres.
Comment voulez-vous lutter contre l’Angleterre ? Avez-vous, comme l’Angleterre, un marché de 200 millions d’habitants ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons le même marché.
M. B. Dumortier. - Avez-vous, comme l'Angleterre, des exportateurs dans tous vos ports ? Vous n'en avez pas.
Avez-vous des marins qui sillonnent toutes les mers ? Vous n'avez que 110 bâtiments dans toute la marine marchande belge.
Avez-vous des comptoirs dans tous les ports du monde, des agents pour opérer la vente de vos produits dans tous les ports du monde ? Vous ne les avez pas.
Avez-vous des capitaux à bon marché comme l'Angleterre ? Non, vous n'avez pas tout cela.
Vouloir lutter contre une puissance dont l'industrie est établie sur un pied si colossal, qui domine le monde entier en matière de commerce et d'industrie, c'est un rêve, c'est une chimère si ce n'est une folie.
Pour mon compte, défenseur perpétuel et constant d'une protection satisfaisante pour tout ce qui tient un travail national, je soutiendrai toujours les droits de l'ouvrier, les droits du peuple avant tout.
Nous sommes ici les mandataires de la nation.
N'oublions pas que la nation a, avant tour, besoin de pain et qu'on ne peut faire des expériences sur la nation au profit d'une théorie et contre l'évidence des faits sans s'exposer à de grandes catastrophes nationales que nous devons éviter autant dans l'intérêt du repos public que dans l'intérêt de la nationalité.
Ce n'est point avec des théories qu'on nourrit le peuple, c'est par du travail et dès l'instant que vous aurez tari les sources du travail, quand par une concurrence redoutable vous aurez amené l'abaissement des salaires des ouvriers parce qu'il n'y aura pas d'autres moyens pour les industriels de continuer à produire, la responsabilité des catastrophes qui pourront en résulter retombera sur la tête de ceux qui auront prêté les mains à une pareille mesure.
J'aurai à parler encore, messieurs, d'une autre industrie qui est sacrifiée par le traité.
C'est l'industrie des sucres.
Je me réserve de parler de cet objet quand nous en viendrons à l'article qui y est relatif.
Je terminerai, messieurs, comme j'ai commencé en disant que, pour mon compte, je ne saurais approuver un système qui tend à soustraire à la Chambre des représentants et au Sénat, au pouvoir législatif, l'examen des intérêts matériels du pays ; ce système est contraire à la Constitution, à l'esprit de nos institutions.
Si vous aviez à réviser vos tarifs, vous consulteriez les intéressés, vous discuteriez une à une toutes les demandes qu'ils formuleraient. Ici, au contraire, on vous invite à trancher par un seul vote toutes les questions que peuvent élever 450 articles de notre tarif. Un pareil système, messieurs, n'est nullement en harmonie avec nos institutions et je ne saurais assez le déplorer.
M. Jamar. - La question des chiffons dont nous a entretenu-, l'honorable M. Dumortier, au commencement de son discours, a soulevé, non seulement en Belgique, mais encore en France et en Angleterre, de très vives réclamations dans deux sens complètement opposés.
Vous avez ordonné, messieurs, le dépôt sur le bureau, pendant la discussion du traité, de plusieurs pétitions relatives à cet objet ; les unes demandant la liberté absolue du commerce des chiffons ; une autre portant la signature d'un grand nombre de fabricants de papier, demandant, non seulement au nom de leur industrie, mais au nom de l'instruction populaire, au nom du progrès des lettres et des sciences, et du développement de la presse, sinon le maintien de la prohibition absolue, au moins l'établissement d'un droit prohibitif. La cause des fabricants de papier est la cause de la civilisation elle-même.
Abolissez la prohibition à la sortie ou n'établissez pas un droit suffisamment protecteur, c'est-à-dire prohibitif, les chiffons enchériront, le papier subira une augmentation analogue, le prix des livres sera (page 1669) considérablement augmenté. Vous entravez le progrès de l'instruction et la diffusion des lumières,
Quant à la presse à bon marché, elle ne résistera pas à l'augmentation du prix du papier. Voilà ce que disent les fabricants de papier. Et, en vérité, messieurs, si ces assertions étaient fondées, je dis qu'elles devraient exercer une grande influence sur les décisions de la Chambre. Mais grâce à Dieu, la cause de la civilisation, le progrès de l'instruction, le développement de la presse ne sont point aussi intimement liés qu'on vous le dit au bas prix des chiffons et au maintien d'un sacrifice, inique selon moi, imposé à une industrie au profit exclusif d'une autre industrie.
Pour ne laisser subsister aucun doute dans vos esprits à cet égard, il me suffira de vous citer l'exemple de l'Angleterre et des Etats-Unis qui non seulement ont affranchi le commerce de chiffons de toute entrave, mais qui sont obligés de se procurer des quantités considérables de chiffons, à des prix élevés, à Brème, à Hambourg, à Livourne et sur d'autres marchés importants ouverts à ce commerce. La lutte entre ces deux pays pour l'accaparement de cette matière première indispensable est telle, que les États-Unis vont enlever, jusque sur le marché de Londres, les chiffons anglais sans que jamais l'Angleterre ait songé un instant à sacrifier les droits d'un certain nombre de négociants au profit des intérêts d'une autre classe.
Les conditions si défavorables pour l'achat de la matière première, ont-elles entravé en quoi que ce soit l'essor intellectuel des deux peuples et le développement de leurs papeteries ? En aucune façon, messieurs ; et il me suffira de vous citer trois chiffres pour faire justice de cet argument qui fait dépendre le salut de la civilisation du prix des chiffons.
La France avec 36 millions d'habitants, produit annuellement 75,000 tonnes de papier.
L'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande avec une population de 28 millions d'habitants, produisent 100,000 tonnes.
A ce chiffre total de 175,000 tonnes, production de 64 millions d'Européens, le peuple américain oppose une production de 200,000 tonnes, pour une population de 31 millions d'habitants.
Et remarquez qu'aux Etats-Unis, non seulement la libre sortie des chiffons est autorisée, mais les chiffons payent un droit d'importation de 25 p. c.
On pourrait supposer, messieurs, que cette immense consommation de 200,000 tonnes est due en grande partie à l'accroissement des relations commerciales de l'Amérique ; mais la statistique indique quelle part il faut attribuer à l'Amérique dans cette consommation.
II existe aux Etats-Unis plus de 3,000 journaux et revues, et dans l'espace de 6 mois on a imprimé à 60,000 exemplaires l'histoire d'Angleterre de Macaulay. Aussi aux Etats-Unis, je parle des Etats où l'esclavage est aboli, presque tout le monde lit ; chaque famille à peu près a un journal. La proportion de la population qui ne sait ni lire ni écrire ne représente pas le quart de celle qui en France et en Belgique se trouve dans cette condition.
Vous voyez donc, messieurs, que la civilisation n'est intéressée en aucune façon au maintien de cette prohibition.
Il en est de même de toutes les autres industries dont l'existence serait compromise, dit-on, si l'on avait pour la propriété du chiffonnier, le même respect que pour celle du fabricant de papier ; c'est-à-dire si on leur laissait à tous les deux le droit imprescriptible d'user de leur propriété comme ils s'entendent.
Les principales de ces industries sont la typographie, les manufactures de papiers peints, des cartons et des cartes à jouer ; mais elles n'ont aucun intérêt à voir se maintenir la dépendance injuste dans laquelle la législation place l'industrie des chiffons, et la raison, messieurs, en est simple ; c'est que par suite de l'accroissement important de l'exportation, ces prix, pour la consommation extérieure, ont subi une hausse qui est bien près d'atteindre celle dont, dans cette enceinte même, en 1859, on menaçait ces industries, ni la prohibition des chiffons à la sortie était abolie.
Ce que demandent toutes les industries qui concernent le papier ; ce que doit désirer la presse, c'est la liberté de s'approvisionner de ce produit où bon leur semble, de façon à amener, par la concurrence des papiers étrangers, sinon une baisse de prix, du moins une amélioration dans la fabrication.
Ce que je demande donc, c'est la liberté pour tous, aussi bien pour le commerce des chiffons que pour le commerce des papiers. Sous l'empire d'un régime de protection, nos papeteries sont parvenues à un grand degré de prospérité, il en est même qui sont de véritables modèles de tenue, de fabrication, et j'ose dire qu'il est peu de papeteries en Europe qui pourraient rivaliser avec celles de MM. Godin, à Huy et à Andenne.
Dans ces conditions, ce régime de tutelle n'a plus de raison d'être, et l'heure de l'émancipation de cette industrie peut sonner impunément.
Je crois donc pouvoir dire que la question que vous avez à résoudre est celle-ci :
Est-il juste, est-il équitable d'obliger le marchand de chiffons à vendre ses produits uniquement du fabricant de papier belge, afin que celui-ci ait le chiffon à bas prix ? Certes, il est désirable que le chiffon, comme toutes les matières premières, comme toutes les marchandises, soit à bas prix, mais je dis que tous les chemins ne sont pas bons pour arriver à ce bas prix et que la prohibition, soit brutale, soit déguisée sous le nom de droit protecteur, est un moyen que répudient non seulement les hommes d'Etat les plus éminents, les économistes les plus distingués, mais surtout la justice dont les rapports avec l'économie politique qui sont la force et l'honneur de cette science, n'apparaissent nulle part d'une manière plus visible que dans cette question.
Dans toutes les questions, a dit un philosophe moderne, il faut d'abord considérer la justice, et en examinant bien les résultats, on reconnaît bientôt ce qui est juste et ce qu'il y avait de mieux à faire.
Aussi entre le bon marché des chiffons et la liberté des transactions j'ose dire qu'il faut choisir la liberté, car il est injuste, cruel d'opprimer une classe de négociants si modeste qu'elle soit, fut-ce celle des chiffonniers, au profit d'une autre classe ou même de plusieurs. C'est précisément ce que fait la législation actuelle contre laquelle protestent les signataires des pétitions déposées sur les bureaux.
Ils demandent que cette égalité que proclame la Constitution cesse d’être une fiction pour eux ; ils demandent que la loi protège leur travail comme celui du fabricant de papier et qu'elle ait le même respect pour la propriété, fruit de ce travail, que pour le chiffon transformé en papier.
La cause de la propriété est une, messieurs. C'est surtout quand il s'agit de classer les moins privilégiés qu'il faut veiller avec plus de sollicitude à ce que la protection de la loi soit égale pour tous, et qu'il ne soit pas porté atteinte au droit de propriété, ne fût-ce que pour ne pas affaiblir ce respect de la loi et de la propriété qui est la base de l'ordre social.
J'ai vu avec regret la section centrale émettre le vœu que le droit soit porté de 12 à 18 francs. Je trouve le droit de 12 francs suffisant pour protéger nos papeteries, non seulement contre les papetiers français, mais même contre les papetiers anglais. En effet, cette somme de 12 francs représente 50 p. c. pour les chiffons de toile blanche. 40 p. c. pour les chiffons de coton blanc, et 60 p. c. pour les chiffons de coton de couleurs.
Au-delà de ce taux, je dis que le droit n'est qu'une prohibition déguisée.
Quant à moi, je repousse cette prohibition de toutes mes forces et surtout au nom des lettres et des sciences, dont les fabricants de papiers ont invoqué sans droit l'autorité et le patronage. Les lettres et les sciences, messieurs, sont essentiellement libérales et solidaires de la liberté sous toutes ses formes, elles condamnent toutes les mesures qui l'oppriment ou l'entravent.
M. Rodenbach. - Je ne m'occuperai que très laconiquement de deux questions, je veux parler des alcools et des toiles. Quant à la question des chiffons qu'on vient de traiter, d'après le système de l'honorable préopinant il faudrait détruire complètement les barrières douanières. Il devrait en dire autant de tous les articles manufacturés et autres comme il vient de la faire pour les chiffons.
Je ferai observer que plus le papier sera à bon marché, plus la presse sen à bon marché et plus la lumière se répandra. Mais comme j'ai promis de ne m'occuper que de deux articles, j'y reviens.
Mon honorable collègue et ami, M. Dumortier, avait parfaitement raison quand il a dit que si on traitait avec la Hollande il faudrait avoir égard au droit qu'on fera payer au genièvre hollandais ; c'est un concurrent formidable, depuis plus d'un demi-siècle, il fournit les Indes ; on ne peut soutenir la concurrence avec les Hollandais.
Mais il n'est pas question de cela maintenant, nous sommes libres, on peut faire des réserves lorsqu'on traitera avec la Hollande.
Quant aux alcools français, mon collègue a dit que nous devions en craindre la concurrence ; il se trompe, nous n'avons rien à craindre de la concurrence française pour nos alcools, nous sommes plus avancés dans nos distilleries qu'en France.
(page 1670) Ce matin même j'ai vu que le prix des alcools, dans le département du Nord, était de 100 fr. l'hectolitre, tandis que nous pouvons en exporter et avec une surtaxe de 4 p. c. à raison de 72 fr. ; cela prouve que nous n'avons rien à redouter.
On a parlé aussi de vins, mais même dans les années où la récolte des vins serait considérable, nous n'avons pas à craindre la concurrence française pour les spiritueux, car on brûle fort peu devin aujourd'hui.
Les alcools qu'on extrait de la betterave et du grain peuvent très bien lutter ; en France où il y a les cognacs et certaines autres eaux-de-vie qu'on ne peut pas faire ailleurs, on fabrique des alcools à Lille et la Belgique y en envoie et beaucoup ; l'an passé on a employé 20 mille hectolitres d'alcool pour fortifier les vins.
Ce sont des hommes très compétents qui m'ont dit cela ; il est très rare que ce mélange ne se fasse pas ; les Anglais veulent des vins très spiritueux ; on y mêle des alcools ; les vins de porto en sont chargés ; on en ajoute généralement à tous les vins faibles.
Maintenant je vous parlerai des toiles. Est-ce que nous fournissons tant de toiles en France ?
Je crois que cela se monte à 11 millions par an ; autrefois nous lui en vendions pour 35 à 40 millions tandis qu'aujourd'hui pour 11 millions seulement.
Je suis convaincu qu'avec le droit tel qu'il est réduit, car il y a une véritable réduction de droit, surtout pour certaines catégories, je suis sûr qu'au lieu de 11 millions, notre exportation vers la France se montera à plus de 16 millions.
Car il y a réellement une diminution considérable de droits, et à dire vrai, nous ne devons pas craindre la concurrence anglaise autant qu'on a voulu le dire. D'abord notre industrie linière est devenue une industrie de 80 à 100 millions, nous exportons énormément dans d'autres pays. Nos filatures d'ailleurs sont en progrès, nos fabriques et nos tisserands de toile peuvent faire usage des fils anglais ; or s'il en est ainsi, pourquoi, au lieu d'importer en France pour 11 millions de toile, n'importerions-nous pas pour 16 millions ? Ce ne serait pas encore le tiers de ce que nous exportons dans d'autres pays.
Cette industrie n'a rien à craindre. J'ai pris des renseignements dans l'arrondissement de Thielt et dans l'arrondissement de Roulers, et de Courtrai partout, dans les Flandres, on est satisfait du traité. Je dois lui rendre cette justice. Le traité n'est pas parfait, sans doute, mais on ne peut pas tout exiger, et il ne faut pas s'étonner que la France ait exigé des compensations pour les concessions qu'elle nous faisait. D'ailleurs quelle est notre population ? Nous avons quatre millions et demi d'habitants, nous devons compter avec les pays qui ont 40 millions, on nous ouvre des débouchés dans un pays de 40 millions ; nous ne pouvons pas prétendre être seuls à donner des ordres. Je ferai la même observation pour l'Angleterre. L'Angleterre est un pays de 30 millions. Si l'on nous met, nous petite nation, sur le même pied que l'Angleterre, cette puissance la plus opulente, la plus commerçante du monde, je crois que nous n'avons pas à nous plaindre.
Quant à moi je voterai ce traité et je suis convaincu que, sous le régime qu'il établit, les relations commerciales avec la France qui s'élèvent à 330 millions ne tarderont pas à atteindre (erratum, page 1697) un demi-milliard, et cela au plus grand avantage des deux pays.
M. Prévinaire. - Messieurs, je comprends l'impatience de la Chambre. Cependant comme l'honorable M. Dumortier insiste pour que l'on discute, qu'il est revenu sur des observations qui avaient été réduites à leur véritable valeur en section centrale, je crois que puisque ces observations ont été reproduites, il doit m'être permis d'y donner un mot de réponse.
Il est un point sur lequel l'honorable M. Dumortier appuie plus particulièrement ; c'est celui de la prétendue inconstitutionnalité du traité. La Constitution exige, dit-il, qu'en pareille matière l'on vote séparément sur chaque article.
Eh bien, messieurs, il est évident que le rapport de la section centrale, en rappelant toutes les phases par lesquelles nous avons passé en matière économique depuis un certain nombre d'années, en rappelant les enquêtes faites à l'occasion du remaniement du tarif douanier décidé depuis longtemps en principe, en rappelant les interpellations adressées au gouvernement pour l'engager à presser cette réforme, constate de la manière la plus formelle que, depuis longtemps, le pays entier, aussi bien le gouvernement que la législature, étaient préparés à cette grande réforme et que si le traité de commerce qui nous est soumis embrasse une grande série d'articles, l'ensemble de ces modifications se trouve réalisé dans des conditions où les voies étaient déjà préparées à cet égard.
Il est impossible de ne pas tenir compte de ces précédents et de ne pas reconnaître que, sous ce rapport, la plus grande partie des modifications introduites dans le traité ont été ratifiées anticipativement par l'opinion publique.
Messieurs, je regrette de le dire, l'honorable M. Dumortier me paraît exagérer le danger que présente ce traité. Je ne dis pas que ce traité ne contient pas certaines dispositions qu'il eût été préférable de voir modifier dans un autre sens ; mais je crois qu'en somme le pays aura à s'applaudir de cet acte, en se plaçant même au point de vue de l'extension du traité à d'autres nations, hypothèse qu'il faut bien envisager comme la conséquence naturelle des choses, car l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale n'ont pas laissé ignorer que telle était la perspective ouverte.
Il est clair qu'en ratifiant ce traité nous ferons un pas immense dans une voie nouvelle. Mais il est bien entendu que nous savons parfaitement où nous allons ; et il ne faut pas chercher à exciter outre mesure les intérêts engagés.
Ces intérêts en général sont très susceptibles et ils sont toujours disposés à aller au-delà de ce que leur conseillerait un examen plus calme et plus sérieux de leur position.
C'est ainsi que l'on se fait un monstre de l'avenir qui est réservé à l'industrie de la papeterie.
Je laisse de côté cette partie de la question que j'ai déjà eu l'honneur de développer souvent devant vous et qui m'engagerait assurément à demander non pas une réduction à la sortie, mais l'abolition de tout droit de sortie.
Je me place uniquement au point de vue pratique.
Eh bien, je dis que des faits économiques récents se sont produits qui changent complètement l'aspect de la question. La Hollande a modifié son tarif sur les chiffons ; à la prohibition elle a substitué un droit de sortie de 10 florins par 100 kil., droit plus élevé encore, je le reconnais, que celui qui existera sur certains produits similaires sortant de la Belgique, mais enfin la situation a été modifiée. La Hollande a levé la prohibition, la France nous ouvre son marché aux mêmes conditions que nous lui ouvrons le nôtre. Nous pourrons donc nous approvisionner en France.
L'extension probable du régime du traité à d'autres notions nous ouvrira successivement des marchés où nous serons admis à puiser aux mêmes conditions que nos rivaux. Je pense que dans cette situation l'on ne doit pas s'exagérer le danger qui peut résulter du régime nouveau pour notre industrie. L'industrie de la papeterie le sent si bien, qu'elle se borne, en cas de traité avec l'Angleterre, à réclamer un régime transitoire de très courte durée, tout en admettant l'application immédiate d'un droit de sortie moins élevé que celui maintenu en Hollande.
Cela fournit, me paraît-il, une preuve évidente de l'exagération des alarmes manifestées par la papeterie.
Remarquez, je vous prie, messieurs, cette circonstance que cette industrie anglaise, dont on craint la concurrence, s'est développée sous le régime de la libre sortie et de la libre entrée des chiffons.
El cependant c'est l'industrie anglaise qui est, pour nos papetiers, une sorte de cauchemar. C'est l'impossibilité de lutter avec l'industrie anglaise qui sert de point de départ aux réclamations. La papeterie belge accepte la communauté de régime avec l'industrie française, mais la lutte avec l'industrie anglaise qui, sous le régime d'un droit de sortie de 12 fr., se trouvait dans des conditions d'approvisionnement moins favorables, lui paraît impossible à soutenir. Or, je le répète, l'industrie anglaise a pris cet essor qui effraye notre papeterie sous un régime de libre sortie que l'on considère comme un si grave danger pour nous.
Ce que vous a dit mon honorable ami, M. Jamar, est de nature à nous rassurer sur ce point.
Au reste, messieurs, notre papeterie, remarquez-le bien, trouvera une large compensation dans les modifications qui viennent de se produire dans les conditions d'écoulement de ses produits sur le marché anglais, par suite de l'abolition l'accise qui grevait la consommation du papier.
Messieurs, je n'ai pu me rallier au vœu formule par la section centrale pour qu'on cherchât à introduire un régime transitoire dans un traité éventuel avec la Grande-Bretagne et cela par une raison bien simple, c'est que je suis hostile à la restauration des droits différentiels sous quelque forme que ce soit.
Un traité qui consacrerait une modification au tarif douanier que nous allons appliquer en conséquence du traité avec la France, ne ferait que restaurer le régime des droits différentiels.
Ce régime est désormais impossible, et l'intérêt bien entendu du pays est d'accorder à tout le monde le droit commun.
(page 1671) Nous pouvons, placés sur ce terrain, réclamer un traitement équivalent, et obtenir les meilleures conditions pour l’échange des produits de notre industrie.
L'honorable M Dumortier s'est servi d'une expression bien grosse, quand il vous a prédit des catastrophes. Il a dit que certaines industries seraient exposées à une véritable catastrophe. Pour moi, messieurs, je cherche en vain quelle serait celle de nos industries que le régime du traité pourrait conduire à une catastrophe. J’ai plus de confiance que l’honorable M. Dumortier dans la vitalité de notre industrie.
Cette concurrence dont on s'effraye, déjà nous l'affrontons sur les marchés étrangers ; la lutte est possible, elle est soutenue glorieusement. Le traité avec la France va l'élargir ; un traité avec l'Angleterre augmentera la concurrence. La lutte avec les produits anglais deviendra rude et sérieuse, je le reconnais ; notre organisation industrielle et commerciale devra se compléter.
L'industrie anglaise est dans des conditions à faire à nos produits une concurrence plus redoutable que l'industrie française, non pas que celle-ci soit moins avancée, mais à cause de la nature de ses produits, qui s'adressent à d'autres consommateurs.
Cette observation s'applique plus particulièrement à l'industrie du coton. L'honorable M. Dumortier s'effraye du sort réservé à l'industrie gantoise ; je considère ces appréhensions comme fort exagérées ; je reconnais qu'il faudra lutter, je reconnais que la lutte sera difficile dans certaines circonstances exceptionnelles et transitoires et que les producteurs de filés fins pourront se trouver momentanément dans une situation plus ou moins défavorable ; mais pour tous les numéros qui servent de base à la filature normale, à celle qui constitue réellement la fabrication gantoise, qui ne dépassent pas le n°40 par exemple, la concurrence anglaise ne sera pas dangereuse. Je pourrais l'établir par des comptes que j'ai sous la main. Les frais de toute nature qui frappent ces produits s'élèvent à 5 p. c. en sus des droits de douane.
On vous a parlé, messieurs, de la laine peignée, et l'honorable M. Dumortier a invoqué à son aide la passementerie, la bonneterie et la fabrication des tapis. Eh bien, messieurs, quel est l'intérêt de ces trois branches d'industrie ? C'est de pouvoir acheter le fil au meilleur marché possible. Elles ont donc un intérêt tout contraire à celui que pourrait invoquer le filateur.
L'exposé des motifs contient des explicitions bien catégoriques en ce qui concerne les fils de laine.
L'honorable M. Dumortier s'évertue à établir une distinction entre les fils de laine peignée et les fils de laine cardée, cette distinction n'existait pas dans le tarif auquel nous allons substituer le tarif annexé au traité ; nous abaissons à 2 p. c. environ le droit d'entrée sur les fils de laine et cela n'est que juste pour l'industrie qui transforme cette matière première, puisque la France modifie le régime de primes de sortie grâce auquel nos fabricants obtenaient les fils de laine nécessaires à leur fabrication, à un prix sensiblement inférieur à celui qu'acquittaient leurs concurrents français ; la nouvelle combinaison des tarifs sera évidemment plus favorable à la filature, puisque les filés français ne se présenteront plus sur le marché belge qu'en acquittant un droit insignifiant, si l'on veut, mais qui relativement est important puisque les mêmes filés arrivaient aux tisserands ou teinturiers belges dégrevés au moyen de la prime de sortie accordée en France.
Je considère ce nouvel état de choses comme éminemment préférable pour les deux branches de l'industrie engagées dans la question. Je préfère de beaucoup ce régime qui est certain, qui est stable, à un régime de faveur qui n'a aucune garantie de durée et qui par conséquent présente le plus grand danger. Le premier besoin de l'industrie est d'être à l'abri des oscillations et des conditions qu'il dépend d'une puissance étrangère de lui attribuer et c'est pour cela qu'au système de la protection, des faveurs, des primes, je préfère le système de l'abaissement des droits.
L'honorable M. Dumortier vous a parlé des 45,000 moutons qui existent en Angleterre, je voudrais moi qu'il y en eût encore bien plus, nous serions d'autant plus certains d'être approvisionnés de lainages à bon marché. Du reste, messieurs, ce ne sont pas les lainages qui manquent en Belgique, ce sont plutôt les fils de laine que l'on puisse obtenir à des conditions favorables.
L'honorable M. Dumortier nous a parlé des droits du peuple. Eh bien, je crois que les droits du peuple seront beaucoup mieux sauvegardés par le régime de la liberté commerciale que par des droits dont jouissent certaines catégories d'individus au détriment de l'immense majorité de la nation ; que le régime de la concurrence, de la liberté des échanges, lui assure à la fois le bon marché des objets nécessaires à sa consommation et le travail qui doit lui fournir les moyens d'acheter. Sous ce double rapport, le régime inauguré depuis une dizaine d'années répond beaucoup mieux aux besoins du peuple que le système soutenu par l'honorable M. Dumortier.
Messieurs, l'honorable M. Dumortier se plaint que nous ne discutons pas le traité ; mais n'est-ce pas là le meilleur indice de l'opinion ? Nous avons examiné le traité et l'ensemble de cet acte considérable, si important au point de vue politique et matériel, a reçu l'approbation des sections. Il ne s'agit pas de discuter des dispositions isolées, mais d'apprécier le traité dans son ensemble en se plaçant au point de vue des intérêts généraux du pays.
Sous ce rapport, le traité nous paraît favorable. Pourquoi discuter ?
Ne pouvons-nous pas dire que le traité est ratifié par l'opinion publique ?
Les réclamations qui se sont produites sont appréciées ; la presse, cette sentinelle vigilante, reste silencieuse ; tout indique, comme je le disais, que le traité est bien accueilli par l'opinion.
Sans doute, messieurs, le traité procure des avantages à la France comme il procure des avantages à la Belgique, mais cela est tout naturel ; une convention de cette nature n'est possible qu'à la condition d'être réciproquement avantageuse. L'acte dont nous nous occupons réalise une réforme considérable dont les fruits ne se feront pas attendre ; nous marchons ainsi vers ce but, si longtemps cherché, l'extension de nos débouchés.
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'aurai à répondre quelques mots aux amateurs du libre-échange. Je leur demanderai d'abord pourquoi ils ne proposent pas l'application de leurs principe ? Ainsi, l'honorable M. Jamar prétend qu'on exproprie les chiffonniers ou les marchands de chiffons quand on établit un droit de 20 fr. par exemple, à la sortie, et il approuve le droit de 12 francs !
L'honorable M. Prévinaire trouve que les tisserands doivent pouvoir se servir de fils de laine étrangers, moyennant un droit de 1 1/2 ou 2 p. c., pourquoi ne vient-il pas demander le même droit pour les fils de coton et de lin ? Soyez donc conséquents avec vous-mêmes ; si vous considérez tout droit protecteur comme un vol, proposez donc la suppression complète des droits protecteurs.
Mais vous proposez la suppression des droits pour les fils de laine et vous ne la proposez pas pour les fils de coton et pour les fils de lin. Vous posez en principe la liberté absolue et vous maintenez la protection pour certaines industries. Vous n'êtes pas d'accord avec vous-mêmes, vous n'êtes pas d'accord avec vos principes.
Quant à moi, je veux un système qui soit conséquent avec lui-même. Ce système sur quoi repose-t-il ?
Est-ce sur ce qu'on donnera un droit de douane d'un p. c. sur les laines peignées et de 15 p. c. sur les fils de coton ? Non, mon système n'entre pas dans ces finesses. Je dis que si le tisserand qui se sert de laine peignée, doit avoir la laine étrangère sans droits, le tisserand qui tisse le coton et la toile doit aussi avoir les cotons et les fils anglais sans droits.
Quand je vois ainsi sacrifier une ou plusieurs industries, au profit d'autres industries, je dis que cela n'est pas juste ; il n'est pas juste d'obtenir, pour telle ou telle industrie, le bénéfice de l'importation à l'étranger, en sacrifiant telles ou telles autres industries.
Vous ne pouvez exproprier un particulier d'une propriété que moyennant une juste et préalable indemnité ; ici vous faites une véritable expropriation sans indemnité.
Messieurs, l'honorable M. Jamar envisage la question uniquement au point de vue des chiffonniers. Si ses principes étaient vrais, il faudrait ouvrir les frontières à tous les produits étrangers. Qu'arriverait-il ? Les papeteries belges ne pourraient plus soutenir la concurrence.
Ce sera un grand bien aux yeux de l'honorable membre : vous aurez fait l'affaire des chiffonniers ; mais vous aurez perdu pour votre pays tous les bénéfices du travail.
MM. les économistes ne tiennent jamais compte du bénéfice que le travail rapporte au peuple ; pour eux, ce bénéfice, c'est zéro. Selon eux, il ne faut qu'envisager le consommateur ; mais si vous n'envisagez que le consommateur, vous arriverez à ce résultat :
Vous amènerez, il est vrai, en Belgique tous les objets de première nécessité à 15 p. c. à meilleur marché ; mais vous aurez supprimé le travail de l'ouvrier, et si vous supprimez le travail de l’ouvrier, où ira-t-il chercher l'argent pour se procurer ces objets ?
Un gouvernement sage doit envisager ces questions à un tout autre point de vue, au point de vue de la richesse publique. Or, la richesse publique d'un peuple consiste dans le travail. « Le travail, comme le (page 1672) disait un honorable ami, M. de Muelenaere, il y a bien des années, est la source de la richesse d'une nation. »
Ainsi, tout ce qui tend à accroître le travail est une source de richesse pour un peuple ; tout ce qui tend à le réduire, est pour lui une source d'appauvrissement.
Nous ne défendons pas ici la richesse de tels ou tels fabricants ; nous défendons le travail de l'ouvrier. Plus la population augmente, plus vous devez être soucieux de conserver le travail à nos ouvriers.
Mais, dit-on, pourquoi la Belgique ne pourrait-elle pas lutter avec l'Angleterre pour le papier ?
Mais, messieurs, il y a une foule de raisons pour cela. Avez-vous les capitaux dont dispose l'Angleterre ? Nos fabricants peuvent-ils engager dans cette industrie les millions que les fabricants anglais peuvent y consacrer ? L'Angleterre fabrique du papier pour 200 millions d'habitants. Or, vous voulez lutter contre un pays qui a de semblables conditions de production ! Mais c'est une chimère !
L'honorable membre a beaucoup parlé des papeteries d'Angleterre et des Etats-Unis ; mais il s'est bien gardé de dire à quel prix se vend le papier en Angleterre.
Eh bien, pourquoi luttons-nous encore aujourd'hui ? Parce que les chiffons ne peuvent pas sortir du pays ; mais le jour où nos chiffons iront en Angleterre, ce jour-là cette industrie sera anéantie, et lorsque l'industrie est anéantie, l'ouvrier est sans travail.
Voilà une vérité qu'une assemblée émane du peuple ne devrait jamais perdre de vue. Conserver le travail au peuple, voilà le premier devoir que nous avons contracté en mettant le pied dans cette enceinte.
Je maintiens, malgré l'opinion contraire de l'honorable M. Prévinaire, que le traité, tel qu'il est conçu, s'il est appliqué à l'Angleterre, provoquera des catastrophes dans le pays. Nous sommes dans des conditions de production analogues à celles de la France ; mais sous ce rapport, la Belgique n'a absolument aucune analogie avec l'Angleterre, et l'honorable membre est obligé de le reconnaître lui-même, lorsqu'il déclare qu'il y aura dans certaines industries une gêne ; cette gêne, moi je l'appelle une crise.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le traite n'est pas attaqué ; il serait oiseux de paraître le défendre. On parle à côté du traité. A l'exception de l'honorable M. Dumortier, personne ne fait plus l'éloge du système dit protecteur, qui avait autrefois tant de défenseurs dans cette enceinte : Lorsque je me reporte par la pensée à une dizaine d'années en arrière, que je me souviens des discussions si irritantes qui avaient lieu dans cette Chambre à propos des mêmes questions que soulève l'honorable M. Dumortier, et qu'il est seul à reproduire aujourd'hui, je constate avec joie les immenses progrès que les idées de liberté commerciales ont faites dans le pays.
Quand, il y a dix ans, nous disions que le mouvement de réforme libérale en matière douanière, entraînerait bientôt l'Europe entière, quand nous disions qu'il était du plus grand intérêt de la Belgique d'entrer dans cette voie et de hâter la réforme de son tarif, on nous traitait de théoriciens dangereux ; et alors pour avoir ébranlé le système des droits différentiels par le traité avec la Hollande, nous étions accusés avec une violence inouïe de compromettre les plus précieux intérêts du pays.
On s'écriait - et vous trouverez ces paroles aux Annales parlementaires - que la main qui signerait le traité de 1851 (traité qui a fait la première brèche au système douanier), que cette main aurait signé « la déchéance commerciale de son pays. » C'était un nouveau traité de Munster ; nous avions livré tous les intérêts belges à la Hollande.
Eh bien, vous savez ce qui est arrivé ; depuis lors, la Belgique a grandement prospéré, et certainement les plus belles années de son histoire commerciale sont celles qui se placent entre 1850 et 1860.
Ainsi, toutes les prédictions faites à cette époque, toutes ces prophéties de malheur n'ont été que les rêves de quelques imaginations effrayées et n'inspirent plus que le sourire, même à ceux qui les ont faits.
Aujourd'hui on n'attaque pas le traité que nous présentons ; et pourtant, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, c'est la réforme qu'on nous déclarait impuissant à faire, c'est la réforme de notre tarif douanier, principalement quant aux produits manufacturés.
Eh bien, la Chambre et le pays y font l'accueil le plus favorable, mais on nous dit : c'est le traité futur que nous attaquons, c'est le traité avec l'Angleterre ; nous ne pouvons lutter avec l'Angleterre.
Il faudra cependant que l’honorable M. Dumortier en prenne son parti. Il est indubitable que nous ne rétablirons pas les droits différentiels. Le pays ne les subirait pas.
Les principes de liberté commerciale qui nous ont toujours dirigés et qui prévalent dans le traité seront successivement étendus. Cela est inévitable.
On veut aujourd'hui vous en faire redouter les conséquences et l'on prend pour exemple l'industrie du papier.
L'honorable M. Dumortier vient de vous dire qu'il nous serait impossible de lutter avec l'Angleterre pour la fabrication du papier.
J'ai demandé pourquoi, et il m'a répondu : Parce que l'Angleterre a un marché de 200,000,000 d'individus, parce que l'Angleterre a des machines beaucoup plus perfectionnées que les nôtres, parce que l'Angleterre a des capitaux à meilleur marché que nous.
Tout autant d'erreurs.
Nous pouvons fournir et nous fournissons du papier à tout autant de consommateurs que l'Angleterre. Nos machines sont aussi perfectionnées que les siennes et nous avons des capitaux à aussi bon marché qu'elle.
Et puisque c'est cette question du papier qui a été mise en avant à titre d'exemple, permettez-moi, messieurs, de vous faire connaître ce qui se disait dans le parlement anglais il y a quelques jours, à propos de cette même question du papier.
Ce sont les fabricants anglais qui se déclarent ruinés par la concurrence des fabriques belges !
M. B. Dumortier. - Vous allez faire leurs affaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais citer textuellement.
M. B. Dumortier. - Je sais fort bien que vous fournissez maintenant, mais je dis que le lendemain du jour où vous aurez fait un traité, vous ne fournirez plus parce que vous serez privés de chiffons.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le marché général étant ouvert à tout le monde, quand nous achèterons au même prix que les Anglais nous ne pourrions pas continuer à livrer à l'étranger ! Cela n'est pas sérieux. Mais écoutez le langage que l'on tient au nom des fabricants anglais.
« M. Maguire, qui demandait une enquête, a cherché à démontrer que les fabricants de papiers anglais se trouvaient, depuis le nouvel état de choses, dans une situation compromise sans ressource. Il a cité les faits suivants :
« Deux maisons de Dublin, qui écoulaient sur le marché de Londres, l'une six tonnes, l'autre neuf tonnes de papiers par semaine, n'en placent plus une seule feuille maintenant.
« Un manufacturier du Sud de l'Angleterre se trouve dans la même situation ; ils déclarent, les uns et les autres, qu'ils ne sont plus en état de lutter contre le papier étranger.
« Le journal Manchester Guardian, qui consomme annuellement environ 1,000,000 lbs poids en papier, c'est-à-dire à peu près la 200ème partie de la totalité de la fabrication anglaise et qui, depuis 32 ans, avait, pour cette quantité, un contrat permanent avec un même fabricant, a cessé de se fournir chez lui depuis le changement introduit dans la législation et achète en Belgique, pour la totalité de ses besoins.
« Le Melbourne Argus, journal colonial, recevait autrefois son papier de l'Angleterre ; maintenant c'est également en Belgique qu'il se fournit
« Il y a, en ce moment, 25 feuilles publiques en Angleterre, qui font venir leur papier du continent.
« Il y a un agent à Londres qui représente 20 manufactures de papier en Belgique.
« La France ne permet pas à une once de ses chiffons de venir en Angleterre, et la Belgique agit dans le même esprit. En Allemagne, le droit d'importation est, en moyenne, de L. 9, par tonne, et varie entre environ L. 12.10 et L. 5.
« Dans les deux années précédentes, l'importation du papier étranger avait été d'environ 800,000 à 1,000,000 lbs. En 7 mois et demi, malgré des circonstances défavorables, l'importation a été portée à 5,000,000 de lbs. En ce moment elle s'élève à environ 1,000,000 de lbs. par mois. En supposant qu'c'le ne soit que de 10,000,000 lbs, par an, on estime que 1,000 personnes au moins seraient laissées sans travail par ce résultat.
« Ceux qui n'étaient point parties au traité conclu entre l’Angleterre et la France en ont tiré avantage, et si la Belgique en autant profité dès à présent que sera-ce donc dans 3 ou 4 ans ?
« Les fabricants de papiers anglais ne resteront pas inactifs, dit-on, en cet état de choses et iront s'établir en Belgique, pour y continuer leurs affaires sur ce marché et avec leurs clients anglais. Soit, mais ils n'y emmèneront pas les gens qu’ils employaient ici, ils prendront des ouvriers belges, et les malheureux ouvriers anglais, jetés dans la misère, resteront à la charge de la taxe des pauvres. »
Le tableau était sombre, comme vous le voyez, pour les fabricants (page 1673) anglais, mais, s'il est exact, il avait un tout autre aspect pour les fabricants belges.
Le chancelier de l'échiquier a assuré la Chambre que le gouvernement ne cessait de faire tous ses efforts pour obtenir une juste réciprocité de la part des autres Etats.
M. Gladstone a nié, d'ailleurs, que la fabrication belge menace d'anéantir la même industrie en Angleterre ; la Belgique, pour cette fabrication, ne se trouve pas dans une situation exempte de désavantage ; la matière première ne s'y trouve pas dans une abondance sans limites ; la Belgique, elle-même, importe des chiffons.
Comment alors pourrait-elle porter sa fabrication à l'énorme quantité nécessaire pour chasser le manufacturier anglais de son propre marché ? L'importation en Angleterre ne s'élève point, en ce moment, à 4 p. c. de la fabrication indigène.
D'un autre côté on a reconnu et admis que la majeurs partie du papier fabriqué en Angleterre n'a rien à redouter de la concurrence étrangère : l'Angleterre exporte les papiers des qualités les meilleures, ce qui signifie que les fabricants peuvent se procurer la matière première de qualité supérieure, la transforment en papiers l'envoient sur les marchés neutres et y font concurrence encore aux fabricants étrangers malgré les frais additionnels du prix de transport. »
Tel est en résumé le langage qui a paru fort concluant à la chambre des communes.
Quoi qu'il en soit, l'exemple cité par l'honorable M. Dumortier disparaît pas avoir été très heureusement choisi.
M. B. Dumortier. - J'ai parlé du futur mais pas du présent. Nous l'avons maintenant.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Parlez un peu aussi du présent et souvenez-vous du passé.
Voilà, messieurs, comment la question se présente en Angleterre et vous voyez que de part et d'autre on manifeste des inquiétudes qui attestent, par leur contradiction même, une évidente exagération.
Il n'y a pas à se préoccuper des autres articles, assez rares du reste, de ce traité pour lesquels des inquiétudes du même genre sont manifestées.
Nous avons la certitude qu'avant peu de temps chacun s'applaudira des effets du traité.
Son influence sur la production en Belgique ne tardera pas à se faire sentir.
On peut dire, messieurs, que le peu d'émotion que cette grande réforme qui comprend tous nos articles manufacturés et beaucoup d'autres encore, a provoqué dans le pays, atteste que les industriels comprennent parfaitement qu'ils peuvent accepter la lutte sur leur propre marché, alors qu'ils affrontent la lutte contre l'industrie étrangère sur les marchés étrangers.
Une seule observation démontrera au surplus à l'honorable M. Dumortier qu'il serait puéril de s'exagérer, dans les conditions du traité anglo-français, les effets de la concurrence de l'Angleterre sur nos propres marchés.
Ne remarquez-vous pas que la France, que l'on prétend moins avancée que nous en industrie, accepte la lutte sur ses propres marchés et que les industriels français vont lutter aux mêmes conditions que les nôtres si notre traité était étendu à l'Angleterre. Direz-vous, en thèse générale, que ce que nos voisins peuvent faire, nous ne le pouvons pas ?
Qu'on fasse trêve à toutes ces craintes.
Elles sont absolument sans fondement et comme le fait observer mon honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères, l'industrie française part de la prohibition pour arriver immédiatement à cette lutte qui paraît redoutable à l'honorable M. Dumortier pour nos industries, tandis que nous avions toujours eu, pour un grand nombre de nos produits, un tarif plus modéré que le tarif de la France.
On m'a adressé une seule question à propos des dispositions qui vous sont soumises. C'est l'honorable M. Jamar qui l'a faite.
Il a signalé à votre attention ce que le système de préemption présente d'inconvénient et ce qu'il a de défectueux.
Je suis de l'avis de l'honorable membre.
J'aurais voulu qu'on pût éviter ce système et j'y trouve tant d'inconvénients pour le commerce que j'aurais préféré qu'on établît dans le traité des droits spécifiques plutôt que des droits ad valorem bien qu'en général on considère ces derniers commères plus justes et les plus équitables. A un certain point de vue cela est vrai.
Quand les droits sont établis à raison de 1a valeur des produits, cela semble plus juste et plus rationnel, mais pour les percevoir, il est incontestable que l'on rencontre de très grandes difficultés.
Donc dans l'intérêt du commerce j'aurais mieux aimé qu'on eût des droits spécifiques, chacun pouvant facilement les constater, sans donner lieu à des contestations toujours pénibles avec la douane.
Mais enfin ces droits ad valorem existent, ils étaient même indispensables pour certains articles, et du moment que ces droits existent dans un tarif, il est évident que le principe de la préemption doit être également maintenu.
C'est ce que l'Angleterre, libre échangiste, admet ; elle a stipulé les mêmes conditions que nous. La France les a également admises. L'honorable membre sait qu'aux Etats-Unis c'est également ce système qui est en vigueur.
Nous avons toutefois essayé d'en affaiblir les inconvénients. L'honorable membre a fait remarquer que, dans le système actuellement en vigueur, la préemption se fait par les employés, qui y ont un intérêt trop direct, et qui parfois en font, dit-il, un objet de spéculation.
Il a demandé que la préemption se fît désormais par le trésor. Eh bien, messieurs, c'est ce qui résulte du traité.
Dans l'article 20 on a dit : « Si la douane juge insuffisante la valeur déclarée elle aura le droit de retenir la marchandise, en payant à l'importateur le prix déclaré par lui, augmenté de 5 p. c. » Or, par cette expression « la douane », on a entendu précisément ce que désire l'honorable M. Jamar. La préemption sera donc organisée désormais comme elle l'est dans d'autres pays où c'est le gouvernement lui-même qui opère la préemption ; de telle sorte que les inconvénients que signalait l'honorable M. Jamar seront nécessairement atténués.
Quant à l'autre observation de l'honorable membre relative à la nécessité d'obtenir des factures certifiées, c'est également une obligation qui est inhérente au système de la tarification à la valeur. Il serait désirable qu'il n'en fût pas ainsi ; mais toutes les nations qui ont adopté le même système ont été obligées de recourir au même moyen.
Nous acceptons donc ce système quoique à regret ; dans la pratique, on fera tout ce qui sera commandé par l'intérêt des négociants pour diminuer les inconvénients d'une pareille mesure.
M. le président. - La parole est à M. Tack.
- Voix nombreuses. - A demain ! A demain !
M. le président. - Il n'y a plus que M. Tack qui soit inscrit sur l'article premier.
M. Tack. - Messieurs, je ne comptais plus prendre la parole, mais les observations que vient de présenter l'honorable M. Rodenbach me déterminent à dire quelques mots. L'heure étant avancée et la Chambre étant désireuse de voir lever la séance, je serai très laconique. L'honorable M. Rodenbach avançait tantôt que l'industrie linière n'avait nul besoin de protection et qu'elle en était arrivée à ce degré de perfection qu'elle peut défier toute concurrence. Je partage l'avis de mon honorable collègue de Roulers. J'admets volontiers que notre fabrication de toiles est en mesure de soutenir la concurrence avec ses rivales et qu'elle peut se passer de droits protecteurs. Mais c'est pour autant qu'elle soit placée dans les mêmes conditions que les industries similaires de nos voisins ; c'est pour autant qu'elle puisse se procurer la matière première à bon compte et qu'on ne s'avise pas de faire de la protection contre elle. Aussi messieurs, je sens le besoin de faire au gouvernement, dans l'intérêt de l'industrie toilière, une recommandation analogue à celle que lui faisait il y a un instant l'honorable M. Pirmez, en faveur de la verrerie.
J'insiste pour que dans les traites que le gouvernement pourrait conclure avec d'autres pays, il n'admette aucune stipulation qui entraînerait la suppression de l'article 40 de la loi sur les entrepôts. Vous le savez, messieurs, aux termes de cet article et des arrêtés royaux que l'ont rendu applicable à la fabrication des toiles, nos fabricants ont le droit d'introduire en franchise dans le pays des fils de provenance étrangère, notamment des fils anglais à charge de les réexporter après les avoir convertis en tissus. Cette mesure a été l'une de celles qui ont le plus contribué à la rénovation de l'industrie linière ; elle a permis à nos fabricants de lutter avantageusement avec leurs concurrents sur tous les marchés de l'Europe et même sur les marchés transatlantiques.
Cette mesure a été un puissant stimulant pour nos filateurs, en ce qu'elle les a obligés à faire des efforts pour réaliser les progrès faits ailleurs.
D'après ce que je viens de dire, on comprend toute l'importance que l'industrie toilière attache au maintien de l'article 40. C'est pour elle une (page 1674) question de vie ou de mort, tant que les droits sur les fils ne seront pas réduits à un simple droit de balance, ce dont nous sommes encore loin.
Si l'enlèvement temporaire des fils entreposés est permis, il y a sous le régime actuel une grande restriction, c'est à l'égard de la France, qui jusqu'à présent a repoussé nos toiles fabriquées avec du fil de provenance étrangère.
Le traité, sous ce rapport, change complètement notre position vis-à-vis de ce pays.
Aujourd'hui, grâce au traité (c'est ainsi du moins que je le comprends) nous sommes, quant à l'exportation de nos toiles placés, vis-à-vis de la France, dans la même position que vis-à-vis des autres puissances. C'est-à-dire que nos tissus confectionnés avec des fils admis en franchise aux termes de l'article 40 de la loi sur les entrepôts, pourront y être introduits aux mêmes conditions que nos toiles tissées avec les fils provenant des filatures belges.
Sans cela, le traité nous serait désavantageux au premier chef et nous enlèverait le marché français au profit de l'Angleterre.
A quelque point de vue qu'on voudra se placer on sera forcé de reconnaître qu'il faut à tout prix conserver à nos fabricants de toiles le bénéfice du travail en entrepôt.
- La discussion est close.
L'article premier est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Conformément à l'article 9 de la loi du 3 avril 1848, j'ai l'honneur de déposer la rapport annuel sur les écoles de réforme agricoles.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 4 3/4 heures.