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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mai 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1628) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des fabricants de sucre présentent des observations sur le traité de commerce conclu avec la France et prient la Chambre de décider : l° que le gouvernement négociera avec la France pour le maintien de l'écart de 6 fr. entre les sucre indigènes et les sucres exotiques autres que les sucres indigènes français importés directement par terre ou par mer ; 2° que le minimum de la recette trimestrielle fixé, par la loi du 18 juin 1860, à 1,300,000 ne sera pas majoré ; 3° que la loi sur les sucres ne sera révisée que dans le courant de la session 1861-1862 ; 4° que le gouvernement prendra des mesures pour permettre et faciliter l'exportation des sucres indigènes belges sur le même pied que cette exportation est permise en France. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité de commerce conclu avec la France.


« Des habitants de Pry demandent que la Chambre statue sur leurs pétitions ayant pour objet l'annulation de l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial de Namur qui a validé l'élection des membres du conseil communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres de la société d'agriculture et des fabricants de sucre indigène prient la Chambre de détacher la question des sucres du traité de commerce avec la France, pour la résoudre dans la session prochaine. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité de commerce conclu avec la France.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. De Fré. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi ayant pour objet d'allouer un crédit provisoire de 20,000 fr. au département de la justice.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant la convention avec la France, pour la garantie de la propriété des œuvres littéraires et artistiques, des modèles et dessins industriels et des marques de fabriques

Discussion générale

M. Jamar. - Messieurs, tous ceux qui pensent, comme moi, que la liberté du travail et la liberté du commerce produisent dans l'ordre matériel des résultats aussi féconds pour la société que la liberté politique dans l'ordre moral ; tous ceux-là ont applaudi de grand cœur au pas décisif que le traité de commerce conclu avec la France nous fait faire dans la voie d'une large réforme douanière. Nous prenons ainsi le chemin le plus long, mais le plus sûr, pour arriver un jour à cette abolition complète des douanes que réclament prématurément aujourd'hui quelques esprits généreux, mais trop impatients, qui ne considèrent que les améliorations désirables sans tenir compte des faits existants et de la nécessité impérieuse de ménager une transition indispensable entre le régime actuel et celui de la liberté absolue.

C'est cette période de transition qui inaugure le traité de commerce avec la France ; il va fournir au pays l'occasion de déployer cette supériorité industrielle dont il a déjà donné tant de preuves incontestables.

Ayant le sentiment et la conscience de leurs forces, nos industriels se préparent avec activité, et s'engageront avec résolution dans cette lutte pacifique dont ils ne peuvent manquer de sortir victorieux.

Messieurs, j'eusse désiré n'avoir qu'à féliciter le gouvernement d'avoir inscrit dans la nouvelle convention littéraire avec la France ce grand principe de la libre circulation des œuvres de l'intelligence et du génie humain, ce principe dont le congrès de la propriété littéraire demandait l'adoption à toutes les nations civilisées.

Mais, messieurs, l’exposé des motifs et l'article 2 de la convention m'obligent à présenter quelques observations à la Chambre et à réclamer de M. le ministre des affaires étrangères quelques explications sur le sens précis de cet article.

J'ai lu avec regret, je l'avoue, le gouvernement apprécier comme il le fait, dans son exposé des motifs, les résultats de la convention pour l'industrie typographique. Pour le gouvernement, toutes ses prévisions se sont réalisées ; tout est au mieux dans le meilleur des mondes, et les typographes n'ont qu'à se réjouir des résultats que cette convention a eus pour eux.

Les chiffres de nos exportations, indiqués dans l'exposé les motifs, condamnent d'une manière absolue ces appréciations empreintes de l'optimisme le plus exagéré. Ainsi, en 1854, les exportations dépassaient 2,800,000 fr., elles ne s'élevaient plus en 1860 qu'à 1,800,000 fr. ; et pour que la Chambre apprécie bien combien cette situation est peu prospère, il faut qu'elle sache que pendant que nos exportations diminuaient de 1,500,000 fr. en 1856 et restaient en 1860 inférieures encore d'un million à celles de 1854, la librairie française voyait ses exportations, en Belgique seulement, augmenter de 700,000 fr.

La Chambre pourra mesurer ainsi, par les profits de l'industrie française, le dommage réel que la librairie belge a dû subir.

Mais, dit l'honorable M. Hymans dans son rapport, l'industrie typographique seule éleva des réclamations, et le gouvernement, cédant à ses inquiétudes, dut accorder des compensations et des indemnités à ceux dont la loi nouvelle semblait devoir, momentanément du moins, compromettre les ressources.

Je ne sais où l'honorable rapporteur a puisé ses renseignements ; mais ils sont complètement inexacts.

Aucune indemnité, aucune compensation n'a été accordée à l'industrie typographique ; au contraire, des intérêts importants ont été sacrifiés, des perturbations douloureuses ont eu lieu dans une industrie qui avait jeté de profondes racines dans le pays, et si aujourd'hui ces plaies se cicatrisent, si par des efforts inouïs nos industriels cherchent à rendre à l'industrie typographique un peu de la prospérité qu'elle avait en 1854, il faut leur laisser comme une légitime compensation le mérite de sacrifices qu'ils ont supportés courageusement parce qu'ils les considéraient comme nécessaires à l'intérêt du pays et à la prospérité de la patrie.

L'article 2 de la convention littéraire est conçu en termes très ambigus, et il est désirable que M. le ministre veuille bien nous donner quelques explications à cet égard cet article porte :

« La publication en Belgique de Chrestomathies composées de fragments ou d'extraits d'auteurs français est autorisée, pourvu que ces recueils soient spécialement destinés à l'enseignement et qu'ils contiennent des notes explicatives ou des traductions en langue flamande. »

Quelle est, messieurs, la valeur du terme ou de la dernière partie de cette phrase ?

On serait tenté de croire, en lisant l'exposé des motifs, que la publication de Chrestomathies françaises en Belgique n'est autorisée qu'à la condition que ces chrestomathies contiennent des notes explicatives en langue flamande.

Messieurs, s'il en est ainsi, j'avoue que j'ai peine à m'expliquer comment le gouvernement peut considérer cette prétendue concession comme un avantage accordé à l'industrie belge. Loin de constituer un avantage, l'article 2 amoindrirait d'une manière fâcheuse des droits actuellement existants, non seulement en Prusse, en Autriche, en Sardaigne, mais en France même.

On n'a jamais considéré comme contrefaçon la reproduction de fragments plus ou moins importants de grands écrivains dans des recueils destinés à renseignement littéraire.

Dans plusieurs de ces pays on a consacré ce droit d'une manière (page 1629) formelle. Je trouve dans Dalloz, à l'article « Propriété littéraire », un extrait de la législation prussienne ainsi conçu :

« Aux termes de la loi prussienne, ne sont point considérées comme contrefaçons : 1° la citation littérale de passages isolés d'un ouvrage déjà imprimé ; 2° la reproduction d'articles isolés, de poésies, etc., dans les ouvrages ayant pour objet la critique ou l'histoire littéraire ou dans des recueils à l'usage des écoles. »

Messieurs, les législations russe, autrichienne et sarde, contiennent des dispositions analogues.

Si en France la législation est moins explicite, si elle n'autorise point d'une manière formelle les emprunts aux œuvres de grands écrivains qui ne sont point encore tombés dans le domaine public, la jurisprudence et les auteurs sont unanimes pour déclarer que cette reproduction ne constitue pas le délit de contrefaçon,

Voici encore à cet égard l'opinion de Dalloz :

« Aux termes de la loi, le délit existe, lors même que la contrefaçon a été partielle. Mais il est évident cependant que la loi n'a point voulu interdire aux auteurs le droit de faire connaître les pensées de leurs devanciers sur les sujets qu'ils traitent, et de citer textuellement des passages pour les discuter ou en appuyer leur opinion. Le perfectionnement des sciences tient à cette faculté. On ne saurait raisonnablement ni interdire aux écrivains la citation de leurs devanciers, ni leur permettre de prodiguer les citations textuelles outre mesure. C'est aux juges à apprécier s'il y a eu ou non abus, c'est-à-dire, si, par leur étendue, les citations sont de nature à porter atteinte au débit de l'ouvrage cité, ou si, au contraire, ces citations, en raison de l'objet particulier de la publication dans laquelle elles se trouvent, ne lui sont pas plutôt profitables. »

Messieurs, c'est également l'opinion de M. Renouard, qui fait autorité dans toutes les questions de propriété littéraire. C'est encore l'opinion de Chauveau, qui s'exprime ainsi, en parlant des citations et des emprunts :

« S'il est de peu d'importance, relativement à l'ouvrage où il a été pris, on ne doit pas le considérer comme une reproduction partielle de cet ouvrage, puisqu'il n'entraîne aucun préjudice appréciable. Ainsi l'emprunt fait à un recueil de poésies d'une seule pièce ne serait point une reproduction partielle de ce recueil. Mais dès que les extraits prennent assez d'étendue pour produire quelque préjudice au débit de l'ouvrage, ils peuvent devenir la base d'une action en contrefaçon. »

Comme vous le voyez, messieurs, le droit de publier des chrestomathies existe de fait en France et jamais l'on n'a songé à y apporter la moindre entrave ; au contraire.

Ainsi, antérieurement à l'année 1854, alors que la douane française exerçait une surveillance si active pour empêcher l'entrée en France, soit des brochures politiques, soit des contrefaçons d'éditions françaises, jamais on n'a songé à saisir ni à interdire l'entrée en France de chrestomathies publiées par les auteurs belges.

J'entends parler exclusivement de chrestomathies faites par des auteurs belges et non point de réimpressions de chrestomathies françaises ; car ces réimpressions constituent une véritable contrefaçon, puisque la loi considère avec raison le travail de compilation, de division, de notes explicatives qu'entraîne la création d'une chrestomathie comme constituant les éléments d'une propriété littéraire.

Je dois supposer qu'il y a eu une confusion entre ces deux idées de publication et de réimpression ; car il m'est impossible d'admettre qu'il nous serait interdit, dans notre propre pays, de nous prévaloir de ce droit commun ; et il en serait ainsi, messieurs, si l'article 2 avait le sens que semble lui attribuer l'exposé des motifs.

Il est donc nécessaire, selon moi, que le gouvernement veuille bien nous donner quelques explications à cet égard, afin que toute ambiguïté cesse.

Je crois que l’épithète « flamande » doit s'appliquer au mot « traduction » et non aux mots « notes explicatives. » S'il en était autrement, je considérerais comme véritablement dérisoire un avantage qui donnerait à la France le droit de s'opposer à la production, chez nous, d'une catégorie considérable de livres destinés à l'instruction publique, c'est-à-dire des recueils littéraires mis entre les mains des élèves, soit pour exercer leur mémoire, soit pour l'enseignement de la composition littéraire et du style.

L'intérêt industriel, quelque important qu'il soit dans cette question, me touche infiniment moins qu'un grand intérêt moral et politique que des voix beaucoup plus éloquentes que la mienne ont tant de fois défendu dans cette enceinte.

Si la publication de chrestomathies belges est interdite, ou à peu près, en Belgique, nous serons inondés d'une foule de recueils, d'extraits comme ceux de Noël et de la Place, Chapsal et autres, où il n'est pas plus question de la Belgique que si notre pays n'existait pas sur la carte de l'Europe, où vous trouvez en revanche, à chaque page, l'éloge des savants. des héros, des artistes français, où la France est glorifiée comme la première des nations modernes, où le gouvernement de Louis XIV est proposé comme le modèle des gouvernements.

Est-ce en mettant dans les mains de nos enfants des livres semblables qu'on leur inspirera le respect du nom belge, l'amour de la patrie et de nos libres institutions ? Et ne pensez-vous pas, messieurs, qu'il y a là une question grave digne de toute votre sollicitude ?

(page 1638) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je regrette l'absence de M. le ministre de l'intérieur qui aurait pu mieux que moi jeter de la lumière dans ce débat, les lettres étant dans ses attributions et non dans les miennes. Cependant, je vais répondre aux observations de l'honorable orateur qui vient de se rasseoir.

La disposition de l'article 2 qu'il a critiquée a été puisée dans la convention faite entre la Hollande et la France.

Le gouvernement a considéré que les Pays-Bas et la Belgique se trouvant régis par la même législation en matière de propriété littéraire, et aux pays étant liés par les mêmes obligations internationales, il était de notre intérêt de réclamer l'insertion dans notre convention d'une disposition que le gouvernement néerlandais avait sollicitée et considérée comme un avantage nouveau.

M. de Decker. - Les intérêts sont diamétralement opposés.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je vous demande pardon. D'ailleurs, il ne s'agit point ici des intérêts seulement, mais de la question de légalité. C'est la loi de 1817 qui a réglé en Hollande comme en Belgique les droits en matière de propriété littéraire ; en vertu de cette loi, la reproduction de fragments d'auteurs sous le nom de chrestomathies est-elle oui ou non licite ? Voilà la question.

Il faut croire que la jurisprudence n'était pas fixée sur ce point ; puisque les Pays-Bas ont cru devoir demander à la France, comme une faveur, une disposition pareille à celle qui est inscrite dans l'article 2. Il est évident que si, dans sa pensée, il n'y avait eu aucun doute possible sur la légalité de ce genre de reproduction, elle n'eût pas réclamé une disposition spéciale.

Il ne m'appartient pas de décider si la loi de 1817 est oui ou non obstative à ce genre de reproduction ; c'est une question dont les tribunaux seuls sont juges.

Qu'un certain nombre de faits paraissent donner raison à l'honorable membre, je ne le conteste pas ; mais cela ne change rien à la question de principe. Dans quelle mesure, dans quelle forme ces reproductions sont-elles licites ?

Les circonstances peuvent varier ; tel fait, où une certaine mesure est dépassée, peut être considéré comme illicite ; tel autre, où elle ne l'est pas peut être jugé autrement. C'est aux tribunaux d'apprécier, si des difficultés se présentent.

Quelle est cette mesure ? Je n'en sais rien.

Quoiqu'il en soit ou la reproduction de fragments des auteurs sous forme de chrestomathie est licite, et dans ce cas, le traité n'a rien changé ; seulement, il nous apporte pour certaines publications une faculté qui sera désormais à l'abri de toute contestation ; ou bien ce genre de reproduction était illégal et alors la disposition de l'article 2 n'est pas surabondante, mais nécessaire.

Ainsi la convention n'a pas altéré l'état de choses existant. Si la loi n'interdit pas la reproduction des ouvrages dont on parle, elle ne l'interdira pas davantage désormais. La convention n'y change rien.

M. de Decker. - Les chrestomathies françaises publiées en Belgique qui avant la convention allaient en France, pourront elles continuer à y entrer ? Voilà la question.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - C'est toujours la même question. Le fait est-il licite, oui ou non, d'après la loi ? Eh bien, l'honorable M. Jamar vous dit qu'il y a une jurisprudence à ce sujet en France, que des auteurs français qui ont écrit sur la matière déclarent que ces reproductions ne sont pas des emprunts illicites. Il est donc probable qu'en France, d'après ce que l'honorable orateur affirme, la. reproduction de ces chrestomathies n'est pas défendue, car, je le répète, si ce fait est exact, la convention n'y porte absolument aucun amendement.

On a demandé si dans ces termes « pourvu qu'ils contiennent des notes explicatives ou des traductions en langue flamande », la particule « ou » était disjonctive. Il ne m'appartient pas de le décider. Un traité est un acte bilatéral ; il n'appartient pas à une seule des parties d'en définir le sens. Mais je prends volontiers l'engagement de me mettre en communication avec le gouvernement français pour définir d'un commun accord et pour chercher à faire donner à ces termes le sens le plus libéral et le plus conforme aux intérêts qui viennent d'être signalés.

(page 1629) M. de Decker. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur l'article 2, parce que cet article a une grande importance à mes yeux, moins encore au point de vue matériel qu'au point de vue national.

Je regrette, avec M. le ministre des affaires étrangères, que M. le ministre de l'intérieur ne puisse pas nous donner des explications qui, d'après moi, sont absolument indispensables pour qu'on puisse voter la convention.

Il me semble qu'il y a, entre les différentes manières d'interpréter la particule « ou », un abîme. Ou c'est le maintien de ce qui est aujourd'hui, c'est-à-dire un état favorable à la typographie, ou c'est la ruine de la partie la plus importante de la typographie, car vous savez que les livres classiques constituent, en terme de librairie, le pain quotidien. Cela se vend comme du pain ; cela se multiplie économiquement par les clichés, cela est d'une vente certaine. Pour tous les libraires, pour tous les typographes dans tous les pays du monde, on considère la vente des livres classiques comme la partie la plus sûre, la plus productive. Là est l'origine ordinaire des fortunes faites dans le domaine de la typographie.

L'honorable ministre des affaires étrangères dit qu'on a pris pour point de départ la convention entre la Hollande et la France ; mais, messieurs, c'est là le tort qu'on a eu. La position est tout autre pour la Belgique. En Hollande, tout l'enseignement se donne dans la langue hollandaise et l'on n'y publie pas de chrestomathies françaises qu'on a l'espoir d'écouler dans d'autres pays.

Au contraire, dans une grande partie de la Belgique le français est la langue des populations et l’enseignement s'y donne en français. D'ailleurs, la Belgique publie un certain nombre de livres classiques français qu'elle place sur les marchés étrangers. Dès lors nous avons ici un intérêt que n'a en aucune façon la Hollande.

L'honorable ministre dit, pour justifier l'article 2, que jusqu'à présent rien ne semblait fixé relativement au droit qu'ont les auteurs belges de faire pénétrer en France les chrestomathies publiées en Belgique ; mais messieurs, la question était résolue en fait et sous la législation actuelle il y a peut-être 60 livres classiques publiés en Belgique qui ont un débouché en France et dans les pays avec lesquels la France a des conventions littéraires.

Ce n'est pas à nous à mettre en doute un droit qui nous a toujours été reconnu de fait. Que devait donc faire le gouvernement belge ? Il devait s'efforcer de maintenir le bénéfice de l'état actuel des choses et de le rendre légal.

Il fallait au moins s'efforcer de conserver les avantages de la situation actuelle, où il nous est permis, je le répète, d'introduire en France les chrestomathies publiées en Belgique. (Interruption.)

Tout dépend de l'interprétation du mot « ou. » Qu'est-ce que le gouvernement a voulu ? C'est ce qu'il nous importe de savoir.

Il me semble que le gouvernement doit pouvoir nous dire nettement le sens qu'il a entendu attacher au mot « ou », puisqu'il signale comme un avantage le résultat obtenu.

Je l'ai dit, messieurs, et je le répète, cet article a une très grande importance au point de vue matériel ; mais, comme l'a fait remarquer l'honorable député de Bruxelles, l'article a une importance plus grande encore au point de vue national.

Vous savez tous, messieurs, que, depuis quinze ou vingt ans, au sein de la Chambre comme au dehors, on n'a cessé de recommander au gouvernement d'écarter de l'enseignement les livres étrangers et de les remplacer par des livres faits sous l'inspiration des idées, des traditions et des institutions belges.

Tous les ministres qui se sont succédé ont fait des efforts pour donner à l'enseignement à tous les degrés un caractère national, et j'ose dire que, pour ma part, j'ai fait à cet égard tout ce qu'il m'était possible de faire.

(page 1630) Eh bien, messieurs, ce but que nous sommes sur le point d'atteindre va nous échapper si la convention doit s'interpréter dans le sens de l'exposé des motifs. Si désormais nos chrestomathies françaises n'avaient plus de débouché que sur le territoire belge, alors que les éditeurs de livres français concurrents auraient à exploiter le marché de la France et en même temps le marché de tous les pays avec lesquels la France a conclu des conventions littéraires, y compris la Belgique, nous serions menacés de nous voir écrasés par la concurrence.

Les livres français nous arriveraient à des prix tellement bas, que notre enseignement n'aurait plus désormais à sa disposition que des livres écrits sous une inspiration étrangère. Quant à moi, je ne pourrais certes pas donner mon assentiment à un article qui aurait des conséquences aussi importantes et qui pourrait compromettre dans l'enseignement la conservation de cet esprit national que, tous, nous cherchons à maintenir et à développer.

Projet de loi approuvant le traité de commerce conclu entre la Belgique et la France

Rapport de la section centrale

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'approuver le traité de commerce conclu le 1er mai 1861 entre la Belgique et la France.

- Impression et distribution.

M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué au plus tard demain au soir. A quel jour la Chambre entend-elle fixer la discussion ?

- Des membres. - A vendredi.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il est absolument impossible que la Chambre fixe l'examen du traité à vendredi. Nous qui avons été membres de la section centrale, nous ne connaissons qu'une faible partie des détails ; car remarquez que le traité modifie 300 à 400 articles du tarif et que c'est seulement demain au soir ou peut-être même vendredi matin que vous aurez sous les yeux les modifications du tarif qui sont la base essentielle du traité. Il serait donc de toute impossibilité de discuter le traité vendredi.

Le règlement exige que la discussion ait lieu deux jours après la distribution du rapport. Je demande donc que la discussion du traité soit fixée à lundi ; vous aurez au moins le temps d'examiner les pièces.

A mon avis, il serait complètement déraisonnable de ne pas vouloir voir clair dans une modification complète du tarif des douanes. Il importe donc d'examiner le traité avec maturité ; il faut vous donner le temps de vous enquérir des observations dont il peut être l'objet de votre part.

Nous-mêmes, membres de la section centrale, pressés par le temps, nous n'avons pu examiner le tarif des douanes dans ses rapports avec ses précédents ; vous qui n'aurez les pièces que demain au soir, vous vous livrerez à une discussion sans connaître du tout de quoi il s'agit.

Messieurs, il est bien de terminer la session. Cependant il faut tenir compte d'une chose, c'est que les intérêts matériels du pays méritent aussi quelque considération. Or, je crois que la Chambre ferait un acte qui serait bien mal jugé par le pays, si elle allait précipiter la discussion en pareil cas ; à mon avis, nous faisons déjà trop que de mettre l’objet à l'ordre du jour.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement se tient à la disposition de la Chambre pour le jour qu'elle jugera à propos de fixer pour la discussion du traité. Je crois cependant devoir faire remarquer à l'honorable M. B. Dumortier, que le traité ayant été publié et livré à la discussion publique, ayant été soumis par là même à tous ceux qui y ont intérêt, n'a pas fait surgir de très vives réclamations, à l'exception des sucres ; je ne pense même pas qu'il y ait quelque autre réclamation un peu importante qui se produise à cette occasion devant la Chambre.

Or, en ce qui touche la question des sucres, elle a été récemment l'objet de débats très longs, très approfondis ; nous serons placés à peu près sur le même terrain. Par conséquent, tous les faits qui peuvent donner lieu à des débats sont aujourd'hui parfaitement éclaircis.

Dans ces circonstances, je ne verrais pas grand inconvénient, vu le terme de la session qui s'approche, vu le désir de la Chambre de se séparer, vu la nécessité, dans l'intérêt du pays, de ratifier aussitôt que possible le traité, pour qu'il puisse être mis à exécution en France en même temps que le traité anglo-français, et je pense que ce dernier traité doit l'être au 1er juin, je ne verrais pas grand inconvénient à commencer la discussion vendredi (interruption), bien entendu si les pièces sont distribuées demain au soir.

Si l'on trouve après cela que la discussion un peu plus prolongée doit avoir lieu, la Chambre la continuera lundi ou mardi de la semaine prochaine ; on ne s'engage pas à terminer pour cela brusquement la discussion samedi ; et s'il y a la moindre opposition, nous serons les premiers à demander que la discussion soit continuée.

(page 1630) M. le président. - La Chambre pourrait commencer vendredi, par la discussion du traité de navigation. Le rapport sera distribué ce soir. (Adhésion.)

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, toutes les pièces seront distribuées demain au soir ; mais il me semble que, sans inconvénient pour personne, on pourrait se conformer au règlement, qui exige qu'il y ait un intervalle de deux jours entre la distribution du rapport et la discussion. Je proposerai de fixer cette discussion à samedi.

M. de Brouckere. - Messieurs, je désirerais vivement, en ce qui me concerne personnellement, que la discussion pût ne commencer que lundi ; mais je connais le désir de beaucoup de nos collègues de voir la session se terminer le plus tôt possible ; ils ont un véritable intérêt à cela, je ne veux pas les contrarier, et pour ma part je me prêterai volontiers à ce que la discussion commence vendredi, mais il doit être bien entendu qu'en commençant vendredi, cela ne signifie pas que nous nous engagions à terminer dans la séance de samedi.

Je ne prévois pas que la discussion doive être extrêmement longue, mais il ne faut pas qu'elle soit écourtée, et si la discussion n'est pas terminée samedi, il est bien entendu que les membres de la Chambre, même ceux qui sont les plus pressés d'en finir, se prêteraient à siéger pendant les premiers jours de la semaine prochaine.

M. le président. - M. Dumortier, insistez-vous sur votre proposition tendante à fixer la discussion à lundi ?

M. B. Dumortier. - Messieurs, je regrette vivement de ne pas pouvoir partager l'opinion de l'honorable M. de Brouckere, mais j'ai la conviction profonde que vouloir discuter le traité dans la séance de vendredi, lorsque nous n'aurons les pièces que jeudi au soir, c'est réellement une chose impossible.

Veuillez remarquer d'abord que le traité actuel est une révolution complète de notre système douanier ; en second lieu, que ce traité sera évidemment demandé par l'Angleterre. Or, il importe de savoir si les industries qui peuvent lutter avec l'industrie française seront à même de pouvoir lutter avec l'industrie anglaise ; c'est là un des côtés les plus sérieux de tout le traité et cela mérite un examen approfondi.

M. le ministre des finances nous a dit que le traité avait été imprimé dans tous les journaux.

Cela est vrai, mais ce que le pays ne connaît pas, ce sont les tarifs qui n'ont été publiés dans aucun journal. Ce que le pays ignore, c'est que l'Angleterre va demander probablement le même régime. Il importe, pour tous ceux d'entre nous qui représentent des industries manufacturières, de connaître par leurs propres commettants si les industries qu'ils représentent sont susceptibles d'accepter un régime pareil en concurrence avec l'Angleterre. Cela est excessivement grave.

Je crois donc, messieurs, que la Chambre ferait preuve d'une grande sagesse en ne discutant le traité que lundi. Je dis même que c'est beaucoup trop tôt, et que dans une discussion d'une importance aussi grave on devrait laisser un temps considérable pour que tous les industriels puissent nous fournir les lumières nécessaires.

M. de Renesse. - Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion de notre honorable collègue et ami M. B. Dumortier ; si nous pouvions apporter des modifications, que quelques membres de la Chambre voudraient voir introduire en faveur de l'une ou l'autre industrie, au traité de commerce conclu avec la France, je concevrais l'ajournement de l'examen du projet de loi jusqu'au commencement de la semaine prochaine ; mais aucun amendement ne pourrait être introduit dans cet acte international ; l'on doit ou l'adopter ou le rejeter dans son ensemble ; d'ailleurs il est probable que ceux d'entre nous qui ont sérieusement examiné le traité ont pu faire la comparaison de notre tarif douanier actuel avec les droits fixés par le traité de commerce du 1er mai de cette année. L'on peut donc commencer à la séance de vendredi la discussion sur ce projet de loi, et cela d'autant plus, que beaucoup de membres de la Chambre désirent retourner le plus tôt possible dans leur arrondissement respectif, à cause des prochaines élections générales ; il est, en outre, indispensable que l'échange du traité puisse avoir lieu à bref délai.

M. de Naeyer. - J'insiste avec l'honorable M. Dumortier, afin que la discussion soit remise à lundi.

Il me semble que c'est un objet trop important pour que nous l'adoptions en quelque sorte au pas de course.

Je ne sais pas si j’aurai des objections à faire au traité, mais il est positif qu'il s'agit là de très graves intérêts. Il faut au moins qu'aux yeux du pays nous ayons l'air d'avoir examiné mûrement. (Interruption.) Il faut que les apparences soient aussi pour nous.

M. le président. - Il ne suffit pas, M. de Naeyer, que l'examen soit sérieux en apparence. Il doit l’être et le sera en réalité.

M. de Naeyer. - Je l'espère, et c'est pour cela que je demande un intervalle de temps raisonnable entre la distribution du rapport et le jour où la discussion commencera ; mais la forme en pareille circonstance a aussi son importance, et les apparences seront contre nous si nous mettons cet objet immédiatement à l'ordre du jour. Nous sommes un peu comme la femme de César : nous devons être à l'abri même du soupçon.

Je sais que les pièces sont distribuées depuis plusieurs jours et qu'on peut les examiner ; mais il faut tenir compte de ce qui se passe ordinairement.

En général on se réserve d'examiner les projets de loi d'une manière bien approfondie jusqu'au moment où l’on a pu prendre connaissance des travaux de la section centrale.

Il faut un temps moral pour faire cet examen. Le terme fixé par le règlement est de deux jours, et s’il est permis de déroger à cette disposition, c'est évidemment pour des objets qui n'exigent pas une étude très sérieuse.

Il me paraît d'ailleurs qu'il sera très difficile de terminer samedi. Ce serait donc une discussion interrompue, ce qui est toujours mauvais ; nous n'aurons rien gagné à commencer samedi et tout ce qui aura été (page 1631) dit sera reproduit la semaine suivante. Il est beaucoup plus simple de décider que la discussion commencera lundi.

M. Pirmez. - Je ne comprends pas que, pour avoir une discussion plus approfondie, on demande de différer l'examen du traité de deux jours, alors surtout que nos moments sont comptés.

Il me paraît qu'il faut mettre à profit tout le temps que nous avons.

Commençons vendredi, continuons samedi, et si nous n'avons pas terminé, nous continuerons lundi.

La question des sucres est parfaitement connue. Elle peut donc être entamée. L’honorable M. Dumortier doit être prêt à la discuter et l'honorable ministre des finances doit être prêt à répondre à toutes les observations qui pourront être faites.

Ce sera donc une très grosse question qui pourra être vidée cette semaine, et nous aurons la semaine prochaine pour examiner les autres questions, s'il y en a qui demandent une discussion approfondie.

M. de Naeyer. - L'argument de l'honorable M. Pirmez a quelque valeur, il faudrait donc commencer de suite.

M. le président. - Je mets aux voix la question de savoir si le traité de commerce sera porté à l'ordre du jour de vendredi prochain.

- Plusieurs membres . - L'appel nominal.

- Il est procédé à l'appel nominal.

84 membres y prennent part.

50 répondent oui.

34 répondent non.

En conséquence la Chambre décide que le traité de commerce sera mis à l'ordre du jour de vendredi.

Ont voté pour : MM. Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J, Jouret, M. Jouret, Julliot, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Saeyman, Savart, Tesch, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Volxem, Allard, Braconier, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Decker, de Florisone, de Lexhy, de Maere, de Renesse, de Ridder et Vervoort.

Ont voté contre : MM. de Smedt, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Guillery, Janssens, Landeloos, Lange, Laubry, Mercier, Nélis, Nothomb, Orts, Prévinaire, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Van Renynghe, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Dechamps, de Haerne, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer et de Ruddere de Te Lokeren.

M. le président. - Je crois qu'il est entendu que nous faisons figurer en tête de l'ordre du jour le traité de navigation avec la France. Ainsi, vendredi nous aurons d'abord le traité de navigation et ensuite le traité de commerce.

Projet de loi approuvant la convention avec la France, pour la garantie de la propriété des œuvres littéraires et artistiques, des modèles et dessins industriels et des marques de fabriques

Discussion générale

(page 1638) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. Je ne veux pas rentrer dans le fond du débat.

J'ai pris l'engagement, qui satisfera, je pense, les honorables préopinants, de me mettre en communication avec le gouvernement français, pour fixer, de commun accord, le sens de l'article qui a été critiqué.

Je ne puis me figurer que le gouvernement avec lequel nous avons traité ait voulu concéder moins que ce que nous possédons aujourd'hui. Cela me paraît pas impossible.

La convention, comme tous les traités que nous venons de conclure, a été faite dans l'esprit réciproque le plus bienveillant et, par conséquent, j'ai tout lieu d'espérer que l'article en discussion sera interprété par le gouvernement impérial dans le sens le plus large.

J'ajouterai qu'il ne me paraît guère possible qu'on donne, aux conditions qui ont été mises à la publication des chrestomathies, un sens aussi restrictif que celui que celui qu'on suppose. Ce sens restrictif pouvait parfaitement s'appliquer à la Hollande, où tout l'enseignement est en hollandais ; mais chez nous, au contraire, nous n'avons qu'une partie du pays où l'enseignement se donne en flamand.

Dans le plus grand nombre de localités, l'enseignement se donne en français et l'on ne peut vouloir évidemment ajouter des notes flamandes aux chrestomathies françaises, destinées à la grande majorité de nos collèges où l'enseignement se donne en français.

Il y a donc lieu de croire qu'il sera convenu, de commun accord, que c'est dans le sens le plus libéral qu'il faut interpréter cette disposition.

J'ajouterai d'ailleurs qu'il y a une disposition de la convention qui est une garantie pour nous : c'est que nous avons droit au traitement le plus favorisé. Si, par conséquent, dans d'autres pays, les chrestomathies, composées d'extraits d'auteurs français contemporains, étaient permises, en vertu des conventions existantes avec la France, elles le seraient également pour nous.

(page 1651) M. Hymans. - Si la demande de renseignements que M. le ministre des affaires étrangères s'engage à adresser au gouvernement français, devait avoir pour résultat de suspendre le vote de la convention qui nous est soumise, je ne prendrais pas la parole. Mais comme il est évident qu'après ce débat nous aurons à passer au vote, il est essentiel que j'insiste et que je fasse ressortir, même après l'honorable M. Jamar et après l'honorable député de Termonde qui vient de prendre la parole, les conséquences et la portée de l'article 2 de la convention.

Je trouve, moi, dans cet article 2, beaucoup plus d’équivoque, beaucoup plus d'ambiguïté et de vague que les honorables membres qui ont parlé jusqu'à présent ; et je crois qu'il nous faut des explications non seulement sur le sens de la particule « ou », mais encore sur le sens de plusieurs autres mots de l'article. La Chambre va comprendre mes scrupules et mes doutes.

Je demande d'abord à M. le ministre des affaires étrangères si le mot « publication », employé dans l'article 2, doit être entendu dans le sens de reproduction ou dans le sens de publication proprement dite. Et, en effet, messieurs, je vous démontrerai tout à l'heure que la publication de chrestomathies a toujours été parfaitement licite en France, en Belgique et même eu Hollande, quoi qu'en ait dit M. le ministre des affaires étrangères ; je le lui prouverai par le texte même de la loi de 1817. La reproduction, je comprends qu'on la défende :1a reproduction d'une chrestomathie est une contrefaçon tout aussi bien que la reproduction d'un drame, d'un roman ou d'un livre d'histoire, La composition d'un recueil d'extraits d'auteurs suppose un travail intellectuel ; et la loi a accordé aux auteurs de ce genre d'ouvrages le même droit de propriété qu'aux auteurs de traductions sur ces traductions mêmes, sans toutefois leur donner pour cela le droit exclusif de traduire l'œuvre originale.

Vous voyez donc que ce mot a besoin d'être expliqué. Et je comprendrais parfaitement la crainte de l'honorable M. de Decker, si le mot « publication » devait être pris dans un sens tout à fait absolu ; car on pourrait aller jusqu'à nous défendre de publier des chrestomathies composées d'extraits d'auteurs dont les œuvres sont tombées dans le domaine public. (Interruption.)

La publication d'une chrestomathie quelconque, d'un recueil composé d'extraits d'auteurs français, quels qu'ils soient, pourrait nous être interdite, à moins qu'on n'y ajoutât des notes explicatives. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous allez trop loin.

M. Hymans. - Mais, messieurs, quand nous demandons des explications, M. le ministre nous dit qu'il ne peut pas nous en donner, et néanmoins il combat mon opinion. En attendant les explications promises, permettez-moi au moins de vous donner mon interprétation.

Remarquez bien, messieurs, que, dans la convention littéraire de 1852, il y avait plusieurs dispositions qu'on interprétait dans un sens très libéral quand elles ont été soumises à la Chambre, et qui ont été interprétées depuis par l'administration, aussi bien en Belgique qu'en France, dans un sens extrêmement restrictif.

Il est donc très utile que le sens du mot « publication » soit spécifié et qu'on nous dise, si, en interdisant la publication de chrestomathies composées de fragments ou d'extraits d'auteurs français, on a voulu nous interdire la publication de recueils d'extraits d'auteurs français dont les œuvres sont tombées dans le domaine public. (Interruption.) Puisque nous en sommes, messieurs, à poser des questions et ces questions devant être envoyées à Paris, il n'est pas mauvais, me semble-t-il, d'en grossir un peu la liste. (Nouvelle interruption.) Me répondez-vous oui ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Évidemment, puisqu'on peut réimprimer les livres.

M. Hymans. - Nous pouvons bien aujourd'hui publier des chrestomathies et cependant, nous ne le pourrons plus désormais qu'en y ajoutant des notes. (Interruption.) Je dis qu'aujourd'hui la publication de recueils composés d'extraits d'auteurs vivants est parfaitement licite en Belgique, comme en France, et qu'elle l'était en Hollande avant la convention du 15 mai 1860, dont l'extension à la Belgique nous est représentée, par l'exposé des motifs, comme un avantage. Cette publication est-elle licite en Belgique ? Je dis que non et en voici la preuve.

L'honorable M. de Decker a dit tout à l'heure qu'il existait plus de 60 de ces recueils ; j'ajouterai qu'il n'est pas de professeur d'un collège, si petit qu'il soit, qui n'ait composé au moins un livre de ce genre pour ses élèves.

Il est une maison de librairie qui, à elle seule, a publié 40 à 50 recueils de cette nature, formés d'extraits d'auteurs français vivants, dont les œuvres ne sont pas tombées dans le domaine public, sans que jamais personne ait songé à s'en plaindre

J'ai ici entre les mains la table des matières d'une chrestomathie française intitulée Mille et une Leçons de littérature française et de morale, publiée à Bruxelles et contenant des extraits de plus de 50 des écrivains les plus éminents de France, écrivains vivants et dont les œuvres, par conséquent, ne sont pas tombées dans le domaine public. Voilà le fait.

Maintenant, quant au droit ; mais il résulte nettement de la loi de 1817. M. le ministre des affaires étrangères nous a dit tout à l'heure que la Hollande, placée comme nous sous le régime de la loi de 1817, a réclamé l'article 2 de la convention actuelle comme une faveur.

Mais M. le ministre des affaires étrangères a oublié que la loi de 1817, qui protège l'auteur contre toute reproduction, contre toute contrefaçon, contient un article spécial relatif aux livres d'école, aux livres scolastiques, comme le dit le texte, dans un français assez barbare. Mais l'arrêté du 23 septembre 1814, sur la propriété littéraire, dit, en propres termes, les livres d'école, en hollandais schoolboeken. Eh bien, la loi hollandaise de 1817 place ces livres sous un régime tout à fait spécial : Ces livres sont considérés comme faisant partie du domaine public, et il n'est pas même nécessaire de recourir à l'expose des motifs de cette loi que je ne possède pas.

Le texte de la loi même se charge de nous éclairer à ce sujet ; l'article 13 de l'arrêté-loi du 23 septembre 1814 porte ; « sont exceptés de cette disposition les livres d'école, les ouvrages de science, en un mot (page 1632) tous les ouvrages sur lesquels aucun habitant de ce gouvernement ne peut réclamer un droit de propriété, soit parce qu'ils sont de toutes les nations, soit parce que le terme fixé est écoulé. »

Vous savez que les idées en matière de propriété littéraire ont été de tout temps, en Hollande, différentes de ce qu'elles sont en France, et de ce qu'elles tendent à devenir en Belgique. Il suffit de lire Voltaire pour voir avec quelle vivacité il se plaint du tort que lui fait la reproduction de ses œuvres en Hollande. La contrefaçon a toujours existé en Hollande sur une très grande échelle.

Dans la convention littéraire que le gouvernement des Pays-Bas a conclue avec nous, il a expressément réservé la liberté complète de traduction.

Les orateurs hollandais qui sont venus au Congrès de Bruxelles, et il y avait parmi eux des écrivains éminents, entre autres, MM. Backhuyzen Vanden Brinck et Van Lennep, ont tous réclamé la liberté absolue pour la traduction.

Dans la section centrale de la propriété littéraire, nous nous sommes fondés sur cette opinion pour introduire dans le projet au point, de vue social, des mesures beaucoup plus littéral que celles qu'on proposait relativement au droit de traduction.

La Hollande a de tout autres idées que les idées françaises sur la propriété littéraire. Je ne sais pas ce qui est arrivé dans nos négociations avec la France ; je ne suis pas dans les secrets de la diplomatie, mais il n'est pas nécessaire d'être ministre des affaires étrangères, pour comprendre ce qui a eu lieu.

La France, quand elle a conclu une convention littéraire avec la Hollande, a exigé d'elle, comme de nous en 1852, certaines concessions : la première était l'abrogation de l'article 5 de la loi de 1817 qui plaçait sous un régime spécial les livres classiques. Cette abrogation se trouve inscrite en tête de la convention avec la Hollande, comme elle se trouve en tête de la nôtre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - C'est une erreur !

M. Hymans. - Je vais donner lecture du texte de la convention. C'est dans l'article premier, dans les préliminaires mêmes de la convention que cela se trouve.

« L'exception qui pourrait résulter, pour certaines catégories de productions, de l'article 5 de la loi du 25 janvier 1817, sera réciproquement levée à partir de la mise à exécution de la présente convention. »

On a donc aboli, dans la convention conclue entre la France et la Hollande, cet article 5 qui faisait tomber les livres classiques dans le domaine public.

Qu'est-il arrivé ? Que la Hollande ne pouvant pas publier de ces chrestomathies, a voulu conserver le droit d'en publier, à la condition d'y joindre des notes explicatives en langue hollandaise ; c'était pour la Hollande un avantage parce qu'en Hollande tout le monde parle le hollandais, c'est la seule langue nationale.

En est-il de même en Belgique, pour le flamand ? Je suis heureux que M. de Decker se soit élevé contre cette disposition, car si j'avais été seul, on m'aurait représenté comme un ennemi de la langue flamande. L'honorable membre a fait remarquer que c'était une déception de nous placer dans la nécessité d'introduire des notes en flamand dans des livres français destinés à des élèves qui ne savent pas le flamand. Remarquez qu'on ne vous permettra pas de publier une chrestomathie avec une note flamande à la première page et une autre à la dernière, qu'il en faudra à tous les morceaux compris dans l'ouvrage.

La question est donc très claire pour la Hollande ; pour la Belgique elle est tout aussi nette ; en ce qui concerne la France, le traité donne aux Français en Belgique des droits qu'ils ne possèdent pas chez eux. En France, il n'y a aucune loi qui interdise la publication de chrestomathies ; j'ai compulsé toutes les lois, je n'ai pas trouvé un seul article qui l'interdise, le mot n'existe même dans aucun ouvrage sur la matière, et j'ai consulté quatre-vingts volumes qui traitent de la question de la propriété littéraire.

Qu'est-ce qu'un recueil de ce genre ? Ce n'est pas même un abrégé ; et l'abrégé est autorisé en France, quand on y ajoute des notes et des explications ; la chrestomathie est un recueil de citations. Je vous défie de m'indiquer une disposition qui interdise des citations d'auteurs. L'honorable M. Jamar vous a parlé de M. Renouard qui fait autorité en cette matière, mais il ne l'a pas cité.

Or, voici ce que dit l’éminent jurisconsulte français :

« Interdire à tout écrivain la citation de ses devanciers, refuser aux progrès de la science et de la discussion publique, l'emploi de tout passage d'un ouvrage de domaine privé, ce serait tomber dans l'exagération... Il faut une spéculation coupable ; il faut que l'abus des citations soit considérable pour qu'il en résulte une contrefaçon. »

Admettrez-vous, messieurs, qu'il y a une intention coupable à propos d'un recueil de quatre ou cinq cents pages, où l'on cite une pièce de vers, un chapitre ou un morceau d'un chapitre d'un auteur ?

Que dit la loi prussienne, qui est considérée comme un modèle, qui a été adoptée par tous les Etats du Zollverein ? La loi prussienne a posé les principes sur la matière. Elle déclare ne pas considérer comme contrefaçon la citation littérale de passages isolés d'un ouvrage déjà imprimé, ni la reproduction d'articles isolés, de poésies, etc., dans les recueils à l'usage des écoles.

La loi prussienne est donc formelle ; ce que la loi française ne dit pas, la jurisprudence l'a toujours décidé unanimement. Tous les arrêts sont rendus dans le même temps ; on a toujours décidé en France, comme en Angleterre, qu'il s'agit seulement de savoir si la citation a été faite ou non animo furandi.

Du moment qu'elle n'est pas faite dans une pensée coupable, mais dans, l'intérêt de l'enseignement, pour répandre le goût des bonnes œuvres littéraires, l'auteur n'a pas à se plaindre, on lui fait une réclame.

Vous voyez donc qu'en Belgique, en Allemagne, partout, la publication de chrestomathies est parfaitement licite, que le gouvernement a obtenu un très mince avantage en nous faisant avoir l'autorisation de publier des ouvrages de ce genre avec des notes en flamand.

Maintenant, messieurs, je dirai qu'au fond, quelle que soit la réponse qui nous ait été faite tout à l'heure par M. le ministre des affaires étrangères, la question m'est assez indifférente. Si vous avez eu le temps de jeter un coup d'œil sur le rapport que j'ai eu l'honneur de faire au nom de la section centrale, vous avez pu voir quelle a été au fond la raison de la faveur qu'on nous accorde. J'ai dit, dans le rapport de la section centrale, que les Leçons de littérature de Noël et de Laplace étant tombées dans le domaine public, la Société des gens de lettres de Paris avait obtenu du gouvernement un subside pour la publication d'une chrestomathie nouvelle et que le gouvernement, qui avait l'intention de faire adopter cette chrestomathie dans ses écoles, faisait introduire successivement dans les différentes conventions littéraires qu'il concluait avec les Etats voisins, une sorte de privilège indirect. Eh bien, il suffit que nous sachions ce fait, et c'est pour cela que je l'ai signalé dans le rapport de la section centrale, pour que nous en prévenions tous les inconvénients,, au moins au point de vue national, dont ont parlé tour à tour avec l'éloquence l'honorable M. Jamar et l'honorable M. de Decker.

Et je regrette aussi que M. le ministre de l'intérieur ne soit pas présent, car nous étions tout à fait d'accord sur la manière dont il fallait se conduire vis-à-vis des prescriptions de cet article 2. M. le ministre de l'intérieur était tout à fait de mon avis. Il me disait : Si nous ne pouvons reproduire dans des chrestomathies que des extraits d'auteurs tombés dans le domaine public ; contentons-nous-en ; contentons-nous d'extraits des grands écrivains du XVIIème et du XVIIIème siècle ; contentons-nous des extraits de Racine, de Corneille, de Voltaire, de Pascal, de Rousseau. Cela vaut bien la littérature contemporaine, et ne faisons pas de chrestomathies composées d'extraits des écrits de MM. les membres de la société des gens de lettres. Pour le reste, au lieu d'admettre dans nos écoles des chrestomathies françaises, même à bon marché, propageons les livres belges ; et si l'on ne peut pas trouver dans des livres belges, des modèles de style, nous nous contenterons des modèles de style que nous donnent les grands écrivains du siècle de Louis XIV.

Je crois, messieurs, qu'un gouvernement animé d'intentions aussi patriotiques que celui qui siège sur le banc ministériel et les gouvernements qui pourront lui succéder, chercheront toujours à suivre ce système, et que si on le met largement et loyalement en pratique, nous n'aurons pas à nous plaindre de la faveur un peu spécieuse et un peu équivoque que vient de nous accorder le gouvernement français.

Voilà ce que j'ai à dire sur cet article 2 de la convention.

L'honorable M. Jamar a dit dans son discours quelques mots de la situation de la typographie et il a prétendu que j'avais orné de couleurs trop riantes le tableau déjà très flatteur que le gouvernement nous avait soumis.

Messieurs, je ne crois pas nécessaire de répondre longuement à ce reproche. J'ai pris pour évangile, comme j'ai l'habitude de le faire, les chiffres cités par le gouvernement.

Il m'eût été difficile de faire autrement ; et quand ces chiffres ne seraient pas tout à fait exacts, il y a dans tous les cas un fait incontestable que personne ne peut révoquer en doute, et l'honorable M. Jamar, moins que personne, à savoir que la typographie fait en Belgique, (page 1633) depuis quelques années, d'énormes progrès ; la typographie, tout aussi bien que les lettres nationales ; et si vous avez jeté les yeux sur l'exposé des motifs d'un crédit qui a été voté hier un peu légèrement, vous avez pu voir que nous avons voté 3,900 francs pour des livres d'auteurs belges que le gouvernement a été obligé de soumettre au jury, qui a décerné le prix quinquennal d'histoire. Or, il est bien certain qu'il y a douze ans, il n'eût pas été possible de dépenser 3,900 fr. pour soumettre à un jury chargé de juger un concours littéraire les éléments de son appréciation.

Du reste, messieurs, je me hâte de le dire, quels que soient les inconvénients que présente la convention qui nous est soumise, je l'accepte des deux mains comme un très grand bienfait, et après avoir exprimé, dans mon rapport, la satisfaction qu'éprouvait la section centrale de voir ce traité soumis à notre sanction, je saisis cette occasion pour exprimer personnellement ma vive satisfaction au gouvernement.

Quand on compare la convention d'aujourd'hui à celle de 1852 mise en vigueur en 1854, il est difficile de ne pas se déclarer satisfait. La convention nouvelle nous accorde la plus grande partie de ce que nous avons toujours demandé. La littérature, ce sont mes sucres à moi. (Interruption.)

Laissez-moi donc exprimer ma vive satisfaction. Je suis d'autant plus heureux de voir accorder le libre échange des œuvres de l'intelligence, le libre échange des œuvres d'art, que l'on est toujours heureux de voir réussir ses enfants. J'avais exprimé ce vœu, j'avais fait cette proposition au congrès de Bruxelles en 1858 et je dois le dire, en félicitant de nouveau le gouvernement, je ne m'attendais pas à voir mon vœu réalisé si tôt. Car la convention avait encore, si je ne me trompe, trois ans à courir et le gouvernement en a obtenu la modification en 1860 au lieu de 1863.

Tout en faisant ces observations qui porteront leur fruit dans l'avenir, parce qu'elles serviront à l'interprétation du traité qui nous est soumis, je déclare que je voterai ce traité avec le plus grand plaisir, tandis que je n'aurais jamais consenti à voter un traité quelconque avec la France, quelque libéral qu'il fût, quelques concessions qu'il accordât en d'autres matières, tant qu'aurait existé cette convention littéraire de 1852 que j'ai toujours considérée comme une véritable humiliation pour notre pays.

(page 1638) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, l'honorable M. Hymans, en cherchant à démontrer que la publication des chrestomathies était parfaitement permise, a confondu, je crois, le fait avec le droit.

Je ne me prononce pas sur le droit, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, et j'admets volontiers que l'on ait reproduit de tout temps dans les (page 1639) chrestomathies, des extraits d'auteurs modernes, sans que ces auteurs aient fait de réclamation. Mais je ne puis pas admettre, avec lui, que le gouvernement hollandais et que le gouvernement belge, qui a suivi son exemple, aient été aussi parfaitement absurdes que de demander ce qui leur était positivement acquis en droit et ne pouvait donner lieu à aucune espèce de contestation.

L'honorable M. Hymans a invoqué la loi. Je me permettrai de la citer à mon tour pour lui prouver que la chose n'était pas tellement claire qu'il ne pouvait pas y avoir quelque doute. Voici ce que dit l'article premier de la loi du 28 janvier 1817 :

« Le droit de copie ou le droit de copier au moyen de l'impression est, pour ce qui concerne les ouvrages originaux, soit productions littéraires ou productions des arts, un droit exclusivement réservé à leurs auteurs et à leur ayants cause, de rendre publics par la voie de l'impression, de vendre ou faire vendre les ouvrages, en tout ou en partie, par abrégé ou sur une échelle réduite, etc. »

Eh bien, messieurs, en présence de ces termes, on admettra, je pense, qu'il y aau moins un doute sur la question de savoir si les extraits d'ouvrages réunis sous forme de chrestomathie sont compris dans l'interdiction consacrée par cet article de la loi, et j'ai eu par conséquent raison de dire que cela peut être une question de fait, une question de mesure. Peut-on le faire ? Dans quelle mesure le peut-on ? Dans quelle mesure ne peut-on pas le faire ?

L'honorable membre nous a demandé quel est le sens du mot « publication » qui commence l'article 2. Il a fait une distinction entre le mot « publication » et le mot « reproduction », et il en conclut que si le mot « publication » est absolu, s'il ne veut pas dire reproduction, on ne pourra pas même faire des chrestomathies formées d'extraits d'auteurs anciens, d'auteurs tombés dans le domaine public. Si l'honorable membre y avait réfléchi un instant, il aurait vu que son observation n'avait point de portée puisqu'il est parfaitement permis de reproduire en entier tous les ouvrages tombés dans le domaine publie et que dès lors il est également permis de reproduire des extraits de ces ouvrages.

Mais, messieurs, la confusion dans laquelle est tombé l'honorable membre, résulte d'une erreur qui se trouve dans le rapport de la section centrale. On lit, en effet dans ce rapport :

« L'article premier de la convention de 1852 portait abrogation de l'article 5 la loi du 25 janvier 1817, aux termes duquel les éditions complètes ou partielles des œuvres des auteurs classiques de l'antiquité, du moins pour ce qui concerne le texte, étaient considérées comme appartenant au domaine public.

« Le maintien de cette abrogation n'est pas mentionné dans la convention nouvelle. Est-ce à dire qu'ayant été insérée dans l'article 4 de de la loi du 12 avril 1854, approuvant le traité avec la France, elle n'avait pas besoin d'être reproduite, et que l'abrogation de l'article est maintenue ? La section centrale aime à supposer le contraire, et ne croit pas que la convention si libérale du 1er mai ait voulu maintenir plus longtemps dans le domaine privél es éditions classiques que la loi de 1817 faisait tomber dans le domaine de tous. »

Vous voyez, messieurs, qu'ici également, l'honorable rapporteur a émis l'opinion que la loi de 1817 avait maintenu les éditions classiques dans le domaine privé. (Interruption.)

L'honorable membre a exprimé le regret que la convention ait voulu remettre les classiques dans le domaine privé. La convention n'a point du tout placé les classiques dans le domaine privé ; ils n'y ont jamais été. A moins de supposer que du temps d'Homère et du temps de Sophocle et plus récemment du temps de Boileau et de Racine, il y eût une propriété littéraire et que cette propriété se fût transmises à leur descendants jusqu'à nos jours, je ne comprendrais pas qui pourrait réclamer un droit de propriété quelconque du chef de ces auteurs.

Leurs œuvres sont dans le domaine public et la propriété n'en peut être revendiquée par personne.

Messieurs, puisque je suis sur ce terrain, je dirai pourquoi la disposition, relative à l'abrogation de l'article 5 de la loi de 1817, qui avait été comprise dans l'article premier de la convention de 1852, n'a pas été reproduit dans la convention nouvelle. Il s'agissait, dans cette disposition, de lever l'exception qui frappait les livres d'école.

Certaines interprétations de la loi de 1817 avaient confondu les livres de classe avec les livres classiques, ce qui est bien différent. Eh bien, par la loi du 12 avril 1854, qui a approuvé la convention de 1852, on a levé formellement et d'une manière générale cette exception ou plutôt cette prétendue exception. La section centrale avait demandé des renseignements sur la portée de la disposition ; le gouvernement a répondu qu'il ne s'agissait que de livres d'école, et l'honorable rapporteur de la section centrale, qui était l'honorable M. de Haerne, a fait connaître à la Chambre que la suppression de cette exception avait été sollicitée par des auteurs belges, dont on copiait les ouvrages en Belgique sous prétexte que c'étaient des livres classiques.

Le véritable sens, le sens raisonnable de l'article 5 de la loi de 1817 a été fixé par un arrêt que la cour de cassation de Belgique a rendu en 1856.

Cet arrêt, savamment motivé, a reconnu que les auteurs de livres de classe nouveaux n'avaient jamais été privés par la loi de 1817 du droit commun. Ainsi, il y avait d'une part l'abrogation générale de l'article 5 de la loi de 1817, prononcée par la loi du 12 avril 1854 ; d'autre part, l'arrêt de la cour de cassation.

Voilà, messieurs, ce qui explique surabondamment le silence observé par la convention nouvelle. Ce silence est d'autant plus justifié qu'on n'aurait pas même fait mention dans la convention de 1852, de la loi de 1817, si la jurisprudence avait été fixée comme elle l'est à présent.

La distinction est bien et dûment établie aujourd'hui entre les livres de classe et les livres classiques ; ceux-ci sont dans le domaine public, tandis que les autres, au contraire, sont soumis au droit de propriété.

(page 1633) M. Hymans. - Messieurs, l'argument que vient de faire valoir M. le ministre des affaires étrangères pour démontrer que j'avais supposé une chose absurde en disant qu'on ne pourrait, pas faire Une chrestomathie d'extraits d'auteurs tombés dans le domaine public, cet argument n'a rien de décisif.

Je vous ai parlé, non pas des prétentions des auteurs, mais de celles de la société des gens de lettres. Or, sachez que la société des auteurs dramatiques a fait rentrer dans le domaine privé des œuvres lyriques qui étaient depuis très longtemps dans le domaine public.

On a dit à un directeur de théâtre : Vous n'obtiendrez l'autorisation de jouer du Rossini ou du Meyerbeer, qui sont ma propriété, que si vous me payez pour Mozart, Gluck, Grétry... (Oh ! oh !)

C'est un fait, cela se passe tous les jours ; l'on paye et on est obligé de payer. Vous croyez donc que cela est injuste ; eh bien, je suis très content d'avoir signalé le fait ; portez-y remède.

Au reste, j'ai voulu seulement prouver à M. le ministre des affaires étrangères qu'il n'est pas si absurde de prétendre qu'on peut faire rentrer dans le domaine privé ce qui est tombé dans le domaine public.

Je persiste ù croire, en outre, que M. le ministre des affaires étrangère interprète mal l'article 5 de la loi de 1817. La loi de 1817 ne fait aucune distinction entre les œuvres classiques et les livres d'école ; elle les place tous sur la même ligne.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Ce n'est pas moi qui interprète la loi de 1817, c'est la cour de cassation.

M. Hymans. - Je vous cite le texte de la loi :

« Sont exceptés des dispositions des articles qui précèdent, les livres scolastiques. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Lisez jusqu'au bout.

M. Hymans. - « ... Sans que cette exception puisse apporter aucun changement aux privilèges ou octrois déjà accordés pour les objets mentionnés au présent article... »

L'exception confirme la règle.

Au surplus, ainsi que je le disais tout à l'heure, cette discussion ne peut pas avoir de résultats ; je ne m'oppose pas à la convention, mais j'ai cru de mon devoir de soumettre ces observations à la Chambre, parce qu'elles ne seront pas inutiles pour l'application qu'on fera plus tard du traité.

(page 1639) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai interrompu tout à l'heure l'honorable M. Hymans, lorsqu'il m'a paru attribuer à cette question une importance qu'elle n'a ni ne peut voir.

L'honorable membre a élevé un doute sur le mot « publication » qui se trouve dans l'article 2 et il s'est demandé si cela n'emportait pas l'interdiction de reproduire en chrestomathie des extraits de livres qui sont tombés dans le domaine public.

Evidemment, la disposition ne peut avoir ce sens. De quoi nous occupons-nous ?. D'une convention destinée à régler les droits des auteurs ; c'est l'objet de l'article premier.

L'article 2 mentionne une exception, sous certaines conditions, aux droits qui sont écrits dans l'article premier.

Voilà qui est bien clair.

S'il ne s'agit dans l'article premier que des droits d'auteurs, par conséquent d'auteurs dont les livres ne sont pas encore tombés dans le domaine public, il s'agit du même objet dans l'article 2. .

Cela bien établi qu'il ne s'agit que des auteurs pour lesquels le droit de propriété existe encore à l'heure qu'il est, on voit immédiatement que la difficulté qu'on soulève sur l'article 2 n'a qu'une importance très médiocre.

Les chrestomathies destinées à l'enseignement sont faites d'auteurs classiques.

- Un membre. - On ne pourra pas y introduire des extraits d'auteurs modernes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les chrestomathies sont donc faites d'extraits d'auteurs classiques, voilà la règle générale. (Interruption.) Ce sont les bonnes. Maintenant, dit-on, on ne pourra pas y introduire des extraits d'auteurs modernes, en vertu de l'article 2, à moins qu'il n'y ait une traduction flamande ou des notes explicative» dans la même langue.

Il sera en vérité bien facile à l'auteur d'une chrestomathie d'y pouvoir insérer des extraits d'auteurs modernes, il s'adressera à l'écrivain auquel il veut faire des emprunts, et celui-ci certainement ne refusera pas l'autorisation. (Interruption.) C'est une grande erreur, me dit-on ; mais quel préjudice cela causera-t-il à un auteur qui a le droit de propriété ! (Nouvelle interruption.)

C'est l'éditeur, dit-on. Mais l'éditeur et l'auteur ont tous deux intérêt à la reproduction, car c'est une recommandation en faveur d'un ouvrage, dont on a fait des extraits. Il est évident que la citation d'une partie de poésies ou un extrait d'un auteur en prose, ne peut pas nuire à l'auteur de l'ouvrage original et ne peut pas nuire davantage à l'éditeur.

Au contraire, on appelle par là l'attention sur l'auteur et sur le livre qu'il a publié.

Ainsi sous ce rapport la difficulté ne serait pas bien grande, et on pourrait sans trop de peine s'en affranchir.

Mais tout cela est dans la supposition que la convention ait ce sens ; qu'il faut que les extraits soient accompagnés de notes flamandes ou d'une traduction flamande.

(page 1640) Mon honorable ami, M. le ministre des affaires étrangères, vous répond arec raison sur ce point, que nous ne sommes pas seuls à faire la convention, et qu'il s'entendra avec le gouvernement français pour éclaircir le point.

Pour notre compte, si vous voulez une opinion personnelle, le texte me paraît clair ; et je suis porté à croire que le gouvernement français n'hésitera pas à reconnaître que tel est bien le sens de la disposition, à savoir qu'il ne faut pas que les notes soient en flamand, qu'il suffit qu'il y ait des notes sans plus ou une traduction flamande.

Il paraîtrait assez absurde que pour les auteurs publiés chez nous en français destinés à l'enseignement qui se donne en français, on eût exigé qu'il y eût des notes flamandes ou une traduction flamande.

Eh bien, poussons les choses à l'extrême ; supposons que tel soit le sens de la convention, on mettra des notes flamandes et on aura exécuté la convention.

Vous voyez donc que cela n'a pas grande importance ; que cela ne peut altérer en rien le caractère général de la convention qui, comme la section centrale l'a reconnu, est éminemment favorable aux intérêts belges.

Vote de l’article unique

(page 1633) Il est procédé à l'appel nominal.

82 membres y prennent part.

Tous répondent affirmativement.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont voté : MM. de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Magherman, Mercier, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Ohm, Orts, Pirmez A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Braconier, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Decker, de Florisone, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Maere, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Ruddere de Te Lokeren et Vervoort.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la guerre

M. le président. - M. le ministre de guerre étant présent à la séance, je propose à la Chambre d'examiner le quatrième objet à l'ordre du jour. C'est un crédit de 126,144 fr. au budget de la guerre. La section centrale, à l'unanimité, propose l'adoption du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.

Discussion générale

M. Goblet. - Messieurs, la rédaction inusitée de l'article premier du projet de loi, soumis en ce moment à la discussion, a fait l'objet de certaines observations en section centrale.

En indiquant comme recette le montant de la vente des fusils à silex, le gouvernement a suivi une marche qu'il n'a pas prise habituellement dans la présentation de projets de lois analogues.

Ces ressources sont inscrites de droit au budget des voies et moyens et par suite il eût été, me semble-t-il, beaucoup plus simple de rédiger l'article premier de façon à ne pas indiquer directement l'origine des recettes.

Messieurs, à part cet inconvénient qui est à examiner plutôt dans la discussion du fond, cette rédaction soulève, en outre, une question préalable : c'est celle de savoir comment ces ventes ont été opérées, ce qu'on a vendu de fusils et la manière dont on a procédé à cette adjudication.

Dans la discussion du crédit de 15,000,000 pour le matériel d'artillerie, M. le ministre de la guerre nous a fait part d'une vente de 11,600 fusils. Cette vente a été faite de la main à la main, par le ministère de la guerre, et je suppose qu'une partie de la somme provenant de cette vente, sert au crédit sollicité. Ces fusils ont été vendus directement au représentant du gouvernement fédéral à raison de 30 fr. pièce. Le port et l'emballage sont encore aux frais de la Suisse. Il résulte de la dépêche n° 6060, en date du 6 janvier 1861, que M. le ministre de la guerre s'est borné à donner avis à son collègue des finances qu'il venait de conclure ce marché en le priant de désigner un employé des domaines pour opérer la livraison.

Cette manière de procéder, à moins qu'on n'admette que, comme les fabriques d'église, le département de la guerre est complètement en dehors de la législation belge sur la comptabilité, cette manière de procéder est évidemment contraire à la loi.

La loi est formelle.

On me dira peut-être qu'en vendant ces fusils de la main à la main, on obtient un meilleur prix.

C'est une question que nous n'avons pas à examiner. Nous n'avons pas le droit de déroger au texte et à l'esprit de la loi.

L'article 16 de la loi de comptabilité dit :

« Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux. Ils ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs.

« Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou immobiliers à leur disposition ne peuvent être réemployés et sont susceptibles d'être (page 1634) vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des domaines et dans les formes prescrites.

« Le produit de ces ventes est porté en recettes au budget de l'exercice courant. »

Il est évident qu'on n'a pas voulu dire que la présence des préposés des domaines ne devait avoir d'autre but que de constater des livraisons. Il est clair que ces ventes doivent être faites par l'intervention des préposés des domaines et surtout publiquement.

La loi de comptabilité établit des exceptions, mais elle a soin de les mentionner dans les plus petits détails.

« Sauf, dit encore l'article 16, les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes du fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans distinction, par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. »

Il est clair que des fusils, qu'ils soient bons ou mauvais, ne sont pas dans la catégorie de ces objets et que jusqu'à présent en Belgique on a procédé d'une toute autre façon.

On a fait plusieurs fois des ventes d'armes portatives ; en 1856 par exemple, on en a vendu à deux reprises, une fois 1,118, une autre fois 518.

Ces deux ventes ont été faites par adjudication publique.

Les objets mobiliers portés aux budgets de 1857, 1858 et 1859 comme vendus par le département de la guerre, ont été aliénés en adjudication publique.

En 1857 on a vendu du mobilier du département de la guerre, chiffre rond, pour 59,000 fr., en 1858 pour 65,000 fr. et en 1859 pour 202,000 fr. ; le tout publiquement.

Vous voyez donc que jusqu'à présent on a toujours suivi ce mode et ne l'aurait-on pas suivi, qu'on aurait opéré contrairement à la loi.

Je crois qu'on opère au département de la guerre pour ces ventes en vertu d'un arrêté datant de 1828 ; mais cet arrêté est naturellement abrégé par la loi de comptabilité, qui est postérieure et ne le serait-il pas, que cet arrêté indique également les ventes publiques comme moyen normal, habituel et dont on ne peut s'écarter que dans des cas excessivement graves.

L'arrêté royal du 7 juillet 1827 veut qu'à l'exception des objets et des meubles de trop peu d'importance pour être mis en vente publique, tous les autres objets ou meubles appartenant à l'Etat soient vendus publiquement au plus offrant.

Messieurs, si vous admettez que le département de la guerre ait le droit de vendre de la main à la main tous les objets dont il lui plaît de se débarrasser, vous proclamez, par cela même, que le département de la guerre peut de sa propre autorité, vendre sans formalités et sans contrôle tout notre matériel de guerre qui n'est pas absolument neuf. Il est évident que les 11,600 fusils vendus à la Suisse à raison de 30 francs, auxquels il faut ajouter deux francs pour frais d'emballage et de transport, n'étaient pas des armes hors de service, car les fusils tout à fait neufs ne coûtent actuellement que 42 à 45 francs. Vous voyez donc, messieurs, que cette vente a été faite dans des conditions tout à fait anomales.

Il me semble donc qu'avant de discuter le fond de la question, il conviendrait que M. le ministre de la guerre vous donnât quelques explications sur cette aliénation d'objets appartenant à l'Etat.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vais, messieurs, vous donner les explications que demande l'honorable M. Goblet sur cette vente de fusils ; elles sont extrêmement simples.

Nous avons, dans les arsenaux de l'Etat, plusieurs milliers de vieux fusils qui ne peuvent plus nous servir, soit parce qu'ils ne sont pas du calibre des fusils actuels, soit parce qu'ils ne peuvent pas être rayés d'après le système adopté. Lorsqu'on vend ces fusils comme de la vieille ferraille en adjudication publique, on n'en obtient guère que 4 à 5 francs. Il y a dans cette enceinte plusieurs représentants liégeois qui pourront confirmer cette assertion.

Or, messieurs, au moment où une guerre paraissait de nouveau imminente, on nous a fait une proposition pour l'achat des vieux fusils que nous avions en magasin.

J'ai consulté le conseil des ministres sur le point de savoir s'il n'y aurait pas avantage à nous défaire de ces fusils, qui ne nous serviraient jamais, qui nous étaient inutiles et nous coûtaient chaque année des frais d'entretien relativement considérables ; et si nous ne ferions pas bien de chercher à nous débarrasser de ces vieilles armes et d'affecter le produit de la vente à l'achat de fusils neufs pour compléter notre armement.

On nous a fait une offre qui nous a paru extrêmement avantageuse : on nous a offert 18 francs de ces vieux fusils à silex. Nous avons tâché d’obtenir fr. 18-50 et même 19 francs ; mais nos efforts ont été inutiles. Enfin, un industriel nous en a offert 18 francs et a demandé qu'on mît à sa disposition 10,000 de ces fusils.

Nous avons accepté cette offre et nous avons mis les 10,000 fusils à la disposition de cet industriel ; mais il n'en avait encore reçu que 7,000 lorsque, croyant qu'il avait fait une mauvaise affaire, il a laissé les 3,000 autres fusils en magasin.

Le conseil des ministres a approuvé ce marché, et c'est son produit qu'il s'agit d'appliquer à l'achat de nouveaux fusils.

Le département de la guerre a trouvé une autre occasion plus avantageuse encore. Il a dans ses magasins 50,000 à 60,000 fusils qui sont encore bons, mais qui ne peuvent pas être rayés comme le reste de nos armes et qui ne peuvent plus servir parce qu'ils n'ont pas tout à fait le calibre actuel. Une puissance étrangère a demandé à les acheter. Une commission a été nommée à la manufacture d'armes pour en estimer la valeur.

J'ai demandé encore à mes collègues si ce n'était pas une excellente occasion de vendre ces fusils et j'ai demandé à cette puissance le prix le plus élevé auquel ces fusils avaient été évalués par cette commission.

La puissance à laquelle je fais allusion a accepté le marché, et dans quelque temps nous demanderons à la Chambre de faire la même opération que celle sur laquelle elle 'est maintenant appelée à se prononcer.

Je crois, messieurs, que cette façon de procéder est extrêmement avantageuse pour l'Etat et ne mérite aucune critique, car jamais nous n'aurions obtenu de ces vieux fusils, devenus tout à fait inutiles et qui coûtaient beaucoup en frais d'entretien, le prix que nous avons réalisé.

M. Goblet. - Je ne prétends nullement que l'opération ne soit pas bonne et je ne la critique pas quant à ses résultats financiers ; mais je dis que si, sous prétexte de faire une bonne opération, vous pouvez vous mettre au-dessus de la loi, vous pourrez le faire tout aussi bien pour réaliser une mauvaise opération ; êtes-vous donc infaillible et ne pouvez-vous être trompé ?

Je dis encore que la loi de comptabilité est tellement formelle, qu'il n'est pas permis à un conseil des ministres d'en méconnaître les prescriptions, et que notre contrôle deviendrait complètement illusoire, s'il pouvait en être autrement.

Comment serait-il permis au ministre de la guerre de traiter pour des centaines de mille francs, alors que ses collègues ne peuvent faire de contrats de gré à gré que pour des marchés qui ne dépassent pas 10,000 fr.

Pourquoi la loi a-t-elle limité ainsi le pouvoir des ministres si ce n'est dans un esprit de défiance ; et dans ce cas, comment M. le ministre de la guerre pourrait-il contracter de cette façon pour une somme d'environ 500,000 fr., car aux 126,000 fr. dont il s'agit ici, il faut ajouter le produit des 11,600 fusils vendus aux prix de 30 fr.

Sans doute l'on objectera qu'une vente de fusils ne constitue pas une adjudication de travaux ou un marché de fournitures. Mais si vous n'accordez pas au ministre des finances ou des affaires étrangères, par exemple, de passer de gré à gré des marchés pour plus de 10,000 fr., c'est qu'il a paru bon au législateur de cette faculté, de traiter d'une façon quelconque et alors comment concevoir que l'on considère comme légale la marche suivie par M. le ministre de la guerre.

On nous dit qu'il s'agit de vieux fusils qui ne pourraient plus servir ; mais qu'importe ? Cela prouve-t-il que demain vous ne pourrez pas faire la même opération avec des fusils neufs ; et alors encore une fois, que devient notre loi de comptabilité ? Au surplus, j'ai une puissante raison de douter que ces fusils fussent aussi vieux qu'on le prétend, puisque les fusils de la garde civique ne sont guère évalués qu'à 10 ou 12 francs, tandis que ceux dont il est ici question ont coûté à la Suisse 32 francs, frais d'emballage et frais de transport compris.

Je ne puis donc pas admettre que ce fussent de vieux fusils, des fusils à silex. Eh bien, je suis surpris que l'on vende de tels fusils alors que l'on conserve à la garde civique des armes qui ne pourraient pas être rayées.

En section centrale, la seconde section a produit, par l'organe de son rapporteur, une objection.

On a objecté qu'il était à craindre que la rédaction actuelle du paragraphe premier ne donnât naissance à un précédent dangereux ; ce que vient de dire M. le ministre prouve qu'il en est ainsi et que le précédent est établi ; et qu'on va continuera le suivre. On vendra successivement du matériel (page 1635) et on viendra dire ensuite. Nous avons vendu, remplacez. Cette théorie, du reste, l'honorable ministre de la guerre l'a déjà soutenue, quand il s'est agi d'un transport de 600,000 fr.

M. le ministre ne nous a-t-il pas dit, en cette circonstance : Vous allez décourager le département de la guerre ; nous n'aurons plus intérêt à faire des économies si vous ne voulez pas que mon département en profite, si vous exigez que le produit retourne au trésor. Les bonnes opérations ne sont donc plus faites pour le pays, mais pour ce département. C'est un système qui met le département de la guerre, sous ce rapport comme sous bien d'autres, en dehors des règlements et des prescriptions de la loi. Ce crédit est en définitive parfaitement extraordinaire.

Vous ne remplacerez pas vos vieux fusils par un nombre égal de fusils neufs. Vos fusils neufs coûteraient plus que les vieux fusils. Si les armes que vous vendez sont encore propres au service, elles vous permettront d'armer beaucoup plus d'hommes que vous ne pourrez le faire avec les fusils que vous achèterez. (Interruption.) Pas déjà si mal ! On trouve qu'avec des fusils de 12 fr., la garde civique est bien armée, et ces fusils vous les vendez 30 fr. (Interruption.)

J'engage le ministre de la guerre à demander, en ce cas, l'autorisation de vendre les fusils qui sont entre les mains de la garde civique et de les remplacer. Ces fusils que vous déclarez non susceptibles de rayage, ne valent pas 30 francs. (Interruption.)

Ils sont de 1812 ; ils étaient bons alors, mais cela ne prouve pas qu'ils sont encore bons en 1860.

Le crédit pétitionné est un crédit extraordinaire dans toute la force du terme et de plus il ne m'est nullement démontré que le besoin en est immédiat, c'est une manière d'obtenir des fonds sans justifier de la nécessité.

Le département de la guerre n'a pas besoin de fonds pour faire des fusils.

Qu'il fasse donc entrer le produit des armes vendues dans le budget des voies et moyens et qu'il emploie d'abord les fonds qu'il a à sa disposition.

Nous avons voté 9 millions en 1859.

Ces crédits ne sont pas épuisés, ils ont été accordés d'enthousiasme pour les besoins urgents de la guerre, pour nous sauver.

Ces fonds devraient être employés exclusivement à des dépenses spécialement désignées et spéciales ; on les a cependant répartis indépendamment des postes indiqués, sur une foule de crédits du budget de la guerre.

Tandis que l'on vient demander 126,000 fr., il y avait encore 1,206,600 francs de disponibles sur le crédit de 9 millions, il n'y en a plus autant aujourd'hui, c'est vrai puisqu'on a distribué depuis peu 800 mille fr., sur divers articles ; mais il y a encore trois cent mille francs que vous pouvez employer à faire des fusils.

Quand vous les aurez dépensés, vous demanderez de nouveaux fonds, ls vous pouvez nous en démontrer le besoin.

Vous aviez indiqué six objets spéciaux comme devant aboutir lorsque vous avez demandé le crédit de 900,000 fr. et vous l'avez appliqué à vingt ; vous aviez indiqué un compte tout spécial pour mettre d'une manière exceptionnelle l'armée sur un pied respectable, et vous avez dépensé une partie des fonds et des articles qui font essentiellement partie du budget normal. Il en résulte que votre budget normal est augmenté ; d'autant les crédits demandés pour des besoins extraordinaires ayant été appliqué à des besoins normaux, aux hôpitaux, à l'état-major, à l'école militaire, à des améliorations de traitement, à des frais de voyage, quand vous aurez épuisé le crédit de 9 millions, vous devez obtenir des augmentations à votre budget, puisque des besoins nouveaux auront été créés.

On demande de l'argent pour des fusils. Pourquoi ne pas prendre l'argent qu'on a demandé pour le matériel de l'artillerie ? Qu'on l'applique à l'usage indiqué dans l'exposé des motifs de 1859, avant de solliciter de nouveaux crédits et je ne comprends pas cette nécessité d'aller ainsi au-devant de demande de crédits, alors que les fonds mis à la disposition du département de la guerre ne sont pas épuisés.

En présence de demandes d'argent nombreuses, plus considérables chaque jour, ne devons-nous pas nous montrer quelque peu réservés ?

D'un autre côté je pourrais encore comprendre cette vente d'armes si nous étions dans une position brillante quanta l'approvisionnement de nos arsenaux.

M. le ministre de la guerre nous a, il est vrai, donné récemment des assurances qui feraient supposer qu'il en est ainsi ; mais ces affirmations sont contredites parce qu'il vient de dire, alors même que les chiffres ne les démentiraient pas. A la dix-huitième demande de la section centrale chargée de l'examen du crédit des 15,000,000 pour le matériel d'artillerie, le gouvernement répondait, quand on lui demandait s'il y avait encore des dépenses faire pour compléter l'armement de l'infanterie, que l'armement de l'infanterie avait reçu tous les perfectionnements applicables aux armes de guerre et qu'il n'y avait pas lieu d'y appliquer de nouveaux crédits.

Ainsi suivant cette déclaration de M. le ministre de la guerre, il n'y aurait plus rien à dépenser pour l'armement de l'infanterie, c'est évident.

- Un membre. - Quant au système.

M. Goblet. - Il ne s'agit pas de système, mais de dépenses d'armement.

Quand on a posé cette question, c'est pour savoir si après les quinze millions demandés on n'en demandera pas d'autres qui devront être suivi par d'autres, et non si on changerait le système des armes portatives. L'intention des membres de la section centrale était clairement exprimée et comprise dans ce sens.

D'après cette réponse il n'y avait plus un sou à dépenser pour nos armes portatives.

Dans l'exposé des motifs du projet de crédit de 26,000 fr., qu'on veut nous faire voter, on dit le contraire :

« En consentant à céder ces armes qui, bien que n'étant plus d'un modèle en usage, auraient pu néanmoins être utilisées dans certaines circonstances imprévues, le département de la guerre s'est exposé à subir une réduction dans son matériel sans compensation aucune ; tandis que s'il lui était donné de pouvoir appliquer à la fabrication d'armes neuves une somme égale au produit de la vente, il en retirerait le grand avantage de compléter plus promptement la réserve en fusils rayés nécessaires à l'armée et dont la fabrication n'avancera que lentement si le département de la guerre ne dispose pas d'allocations plus élevées que celles portées annuellement à son budget. »

En présence de telles contradictions, ne serait-il pas prudent, je le répète, de ne donner au département de la guerre que les fonds dont le besoin est démontré et de ne pas aller au-delà ?

La demande de crédit qu'on nous fait aujourd'hui est assez considérable pour mériter de fixer l'attention de la Chambre.

Il manque encore à la réserve de l'armée seule pour plus de 15,000,000 de fusils, ce n'est donc pas le moment de vendre des armes qui pourraient encore servir. Je vois l'honorable M. Lesoinne me faire un signe de dénégation. Je ne puis cependant admettre que les Suisses ne sont pas des hommes qui sachent parfaitement bien ce que c'est qu'un bon fusil, et s'ils peuvent s'en servir avec succès, ne pouvons-nous en faire autant et ne devons-nous pas les garder pour nous quand nous n'en avons pas assez ?

Je comprends très bien qu'on vienne demander à la Chambre une autorisation de vendre un matériel nombreux et considérable, lorsque nos arsenaux regorgent, mais je ne comprends pas qu'on vende de la main à la main des fusils encore bons pour le service, alors que nos arsenaux ne sont pas suffisamment pourvus.

Je crois du reste en avoir dit assez, en présence de l'impatience de la Chambre, qui a hâte d'en finir, pour motiver mon vote qui sera négatif.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ajouterai encore quelques explications à celles que je vous ai données tout à l'heure, parce que je crois que l'honorable M. Goblet ne m'a pas compris.

Les fusils que nous avons vendus étaient des fusils qui pouvaient servir dans des circonstances extraordinaires avec beaucoup d'autres armes. Ainsi, quand je suis entré une première fois au ministère, il y avait dans nos arsenaux 40 à 50 mille piques qu'on avait faites au moment de la révolution. Ces piques coûtaient 5 centimes d'entretien par année. Je les ai fait vendre aussi, parce qu'elles occasionnaient une dépense inutile et ne seraient plus aujourd'hui qu'un armement ridicule.

Aujourd'hui, les fusils que nous avons vendus offraient ce grand inconvénient qu'ils auraient exigé des munitions spéciales, et d'un calibre différent, ce qui pouvait amener de la confusion et créer un danger. En vendant ces fusils, je trouvais un moyen naturel, sans demander d'argent à la Chambre, de pouvoir compléter plus rapidement la réserve des armes nécessaires à l'année. Il m'a paru que cette affaire était si avantageuse que je n'avais pas à hésiter. Je n'ai cependant pas voulu la prendre sur moi ; je l'ai soumise à mes collègues ; ils l'ont approuvée et je l'ai réalisée.

On vous dit que les fusils de la garde civique sont pires que ceux qui ont été vendus. C'est une erreur. Les fusils de la garde civique ont été pris, comme ceux de l'armée, dans les arsenaux de l'Etat, et parmi les meilleurs. Ces fusils ne sont pas, je le crois, susceptibles d'être rayés, (page 1636) parce qu'un fusil qui n'a pas été fait pour être rayé, perd beaucoup de sa valeur par l'usage et surtout par la manière dont on l'entretient. Dans l'armée on apporte le plus grand soin à l'entretien des fusils ; on ne permet pas au soldat de nettoyer son arme sans l'autorisation de ses chefs, ou sans que l'armurier soit là, s'il y a la plus petite chose à y faire ; on ne lui permet pas non plus de polir les fusils, et on exige qu'ils soient toujours couverts d'une couche grasse, précisément pour que leur calibre ne soit pas altéré.

Dans la garde civique, on ne peut prendre ces précautions. Les gardes tiennent souvent à avoir leurs fusils très bien polis. Il en résulte que les parois de l'arme se détériorent et que celle-ci n'est plus susceptible d'être rayée.

Voilà peut-être d'où provient le mauvais état des fusils de la garde civique, mais, je le répète, ces armes étaient les mêmes que celles de l'armée.

Je ne sais pas dans quel état ils sont, mais, d'après les rapports que j'ai reçus, ils ne sont pas susceptibles d'être rayés.

Il faut donc penser à fournir l'armée de fusils rayés, ainsi que la partie mobilisable de la garde civique. J'ai dit que cela pouvait se faire sans crédit nouveau et cela est vrai. Nous avons déjà d. quoi fournir des fusils rayés à toute l'armée, y compris les classes de réserve qu'on pourrait rappeler. Nous avons 83,000 à 84,000 fusils rayés.

Nous en avons 30,000 qui sont susceptibles d'être rayés et un certain nombre qui ne sont pas susceptibles de l'être. Eh bien, je crois que si l'on saisit les occasions avantageuses, comme nous venons de le faire, de vendre ces vieux fusils pour les remplacer par des fusils rayés, nous arriverons bien vite au résultat désiré ; et je pense que dans les circonstances où se trouve l'Europe, il y a avantage à arriver le plus tôt possible à l'uniformité de l'armement de la garde civique et de l'armée.

M. Lesoinne. - Ainsi que l'a dit l'honorable M. Goblet, j'ai fait un signe de dénégation lorsqu'il a prétendu que les fusils vendus par M. le ministre de la guerre étaient de bons fusils, tandis qu'il prétendait en même temps que les fusils de la garde civique étaient mauvais.

Eh bien, ce sont les mêmes fusils, et comme vient de le dire M. le ministre de la guerre, les fusils de la garde civique ont été choisis dans les meilleurs.

Je pense que l'honorable ministre de la guerre a fait une bonne opération en vendant, à main ferme, ces fusils. Lorsque l'on vend des armes en adjudication publique, l'honorable M. Goblet peut s'en assurer par le compte des ventes faites de cette manière, on obtient des prix beaucoup moindres et même des prix insignifiants ; et on le conçoit parfaitement. Lorsque dans différents pays on éprouve le besoin de se procurer promptement une certaine quantité d'armes, on vient faire des offres avantageuses là où l'on sait qu'il en existe en magasin. Mais lorsqu'on les met en adjudication, il ne se présente généralement d'autres acheteurs que les fabricants d'armes qui achètent ces fusils pour les réparer et pour les vendre comme fusils de bord. On appelle ainsi les fusils qui servent à la traite des nègres.

Je comprends très bien que, légalement parlant, l'opération faite par M. le ministre de la guerre peut présenter quelque irrégularité. Mais je lui accorderai toujours volontiers un bill d'indemnité lorsqu'il fera des marchés pareils.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'occupe pas du fond de l'affaire, de la qualité des fusils vendus, ni du crédit de 9 millions, ni du crédit de 15 millions. Je m'occupe seulement de l'irrégularité prétendue signalée par l'honorable M. Goblet.

L'honorable M. Goblet nous dit : Aux termes de l'article 16 de la loi de comptabilité, les fusils devraient être vendus avec le concours des préposés du domaine et dans les formes prescrites. Ces formes n'ont pas été suivies.

Quelles sont les formes prescrites ? En thèse générale, c'est l'adjudication publique ; mais il y a des exceptions, et je crois que parfois des ventes d'objets mobiliers se sont faites de gré à gré, à toutes les époques, sous toutes les administrations. Je tiens, au surplus, qu'à moins de circonstances exceptionnelles, il est de règle d'avoir recours à des adjudications publiques.

L'honorable membre invoque les article 16, 21 et 22 de la loi de comptabilité.

Il me semble que les articles 21 et 22 ne sont pas applicables à la vente d'objets mobiliers, mais aux marchés et fournitures. Toutefois pour ne pas entrer dans une discussion plus approfondie de la question, et en m'arrêtant aux textes, qu'il cite, je puis lui opposer le paragraphe 9 de l'article 22 qui porte :

« Il peut être traité de gré à gré... 9° pour les fournitures, transports et travaux, qui, dans les cas d'urgence évidente, amenés par des circonstances imprévues, ne peuvent pas subir les délais des adjudications. »

Ce qui est vrai, d'ailleurs, pour les travaux et fournitures, l'est également pour les ventes d'objets mobiliers ; l'exception légitime dans un cas l'est également dans l'autre.

Eh bien, quels étaient les faits ? Une circonstance tout à fait imprévue, la prévision d'une guerre que l'on croyait imminente, se présentât.

Divers Etats cherchaient à tout prix à se procurer des armes. Il était plus avantageux de vendre à main ferme et de ne pas recourir au délai des adjudications. Le gouvernement a ainsi procédé dans l'intérêt de l'Etat. A supposer donc que l’on puisse invoquer pour ce cas particulier les termes de la disposition de l'article 22, nous nous serions trouvé dans l'exception prévue par cet article. Mais je vais plus loin : nous aurions jugé, non pas un ministre isolément, mais en conseil des ministres, ce qui est arrivé pour deux marchés de ce genre, que l'intérêt de l'Etat commandait de procéder ainsi à raison de circonstances que nous ne devions pas laisser échapper, nous vous demandons s'il y a un seul, parmi vous, à l'exception de l'honorable M. Goblet, qui puisse dire : Vous avez mal fait d'opérer ainsi. Evidemment nous avons agi dans l'intérêt de l'Etat et nous avons fait une excellente opération. Nous remplaçons dans nos arsenaux, par des armes neuves, des armes vieilles ou d'un modèle défectueux. Nous avons fait un premier marché de 126,000 fr., nous demandons à employer le produit de la vente ; nous avons fait depuis un second marché de 350,000 fr., nous demanderons ultérieurement à en affecter le produit à la même destination. Qui peut sérieusement critiquer ce que nous avons fait ? Voilà pour la première irrégularité, si irrégularité il y a. La deuxième irrégularité, c'est le libellé de la loi. Je suis le coupable. On pouvait présenter plusieurs rédactions différentes pour cette loi. On pouvait dite : Il est ouvert au département de la guerre un crédit de... » On pouvait employer telle autre formule, j'en citerais vingt autres au besoin.

Je me suis dit : Généralement lorsqu'on propose des crédits pour le département de la guerre, on soulève une discussion désagréable, et je vais chercher à faire comprendre par le texte même, que nous demandons à faire emploi de sommes que nous avons retirées d'objets vendus ; je le mentionnerai dans la loi et je dirai : Une somme de... provenant de la vente de fusils à silex hors d'usage est affectée à la fabrication d'autres armes.

Le crédit et la raison du crédit sont exprimés en même temps. Eh bien, messieurs, si cette rédaction ne convient pas à l'honorable membre, je suis prêt à en accepter une autre. Nous dirons par exemple ;

« Une somme de.......est mise à la disposition du ministre de la guerre » et nous ne parlerons pas de la vente. La Chambre sait maintenant ce qui en est.

Seulement je ferai remarquer à l'honorable membre que ce que j'ai fait est parfaitement régulier, parfaitement conforme.... (Interruption.)

Les dénégations de l'honorable M. Goblet ne m'empêcheront pas de dire que cela est parfaitement conforme aux prescriptions de la loi de comptabilité ? Que veut la loi de comptabilité ? Que lorsqu'on sollicite un crédit on indique les ressources au moyen desquelles la dépense sera couverte. Eh bien, messieurs, nous demandons le crédit et nous indiquons que la dépense sera couverte au moyen du produit de la vente de fusils hors d'usage. La rédaction est donc parfaitement conforme à la loi de comptabilité.

M. Van Humbeeck. -Messieurs, j'avais demandé la parole lorsque M. Lesoinne disait qu'il y avait peut-être quelque irrégularité dans l'opération, niais qu'il était disposé à donner au gouvernement un bill d'indemnité. L'idée exprimée par l'honorable membre est la mienne ; j'admets volontiers que l'opération soit bonne, mais il faut que la question de principe demeure intacte, il faut que nous sachions d'une manière positive si la loi qu'on nous demande de voter sera un bill d'indemnité ou si l'on prétend que l'opération est parfaitement légale.

Si c'est un bill d'indemnité, je suis prêt à l'accorder ; mais s'il s'agit d'une interprétation de la loi qu'on veut faire prévaloir en toute circonstance, je ne puis admettre cette interprétation.

Les explications données par M. le ministre des finances ne laissent quelque doute ; je voudrais que ce doute fût entièrement levé, et je ne demande pas mieux que de pouvoir voter le projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre peut (page 1637) faire toute espèce de réserves sur une question de principe que, pour ma part, je n'aperçois pas.

Je viens de dire qu'on peut appliquer au cas dont nous nous occupons les mêmes raisons qui ont fait consacrer les exceptions énumérées dans l'article 22 de la loi de comptabilité.

M. Van Humbeeck. - L'article 16.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'article 16 dit que la vente doit être faite avec le concours des préposés des domaines et dans les formes prescrites.

Or, messieurs, quelles sont les formes prescrites ? Je m'en suis expliqué déjà. On m'a opposé les articles 21 et 22 de la loi de comptabilité. En les supposant applicables pour abréger une discussion assez inutile, j'ai rappelé l'exception établie par l'article 22, qui porte au n°9 qu'il peut être traité de gré à gré dans les circonstances exceptionnelles où l'on ne peut pas subir les délais des adjudications.

Est-ce que l'exception pour les ventes d'objets mobiliers est moins légitime que pour les fournitures ?

Mais, messieurs, j'ai été plus loin, j'ai dit : sans nous occuper de ces questions, rendons-nous compte des faits ; y a-t-il quelqu'un qui puisse blâmer ce qui s'est fait, qui puisse contester qu'on a fait une opération utile à l'Etat. L'honorable M. Van Humbeeck reconnaît que c'est une bonne opération.

M. Van Humbeeck. - Je voudrais savoir quel est le sens du vote qu'on nous demande.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous laisse libre de le préciser.

M. Vilain XIIII. - Il s'agit de réserver l'avenir. (Interruption.) Nous vous donnerons un bill d'indemnité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans les mêmes circonstances nous ferions exactement la même chose.

M. Goblet. - Je n'ai pas dit, messieurs, qu'il fallait expliquer l'article 16 par l'article 22, j'ai dit qu'on pouvait voir par l'article 22 combien la loi de comptabilité restreignait le pouvoir des ministres de faire des marchés de quelque nature que ce soit de la main à la main. Il est évident aussi que le paragraphe 9 de l'article 22 s'applique à des cas d'urgence, mais les ventes ne sont jamais urgentes, surtout les ventes successives. On peut faire les ventes par adjudication publique tout aussi bien que de la main à la main.

Du reste, messieurs, j'admets que l'opération soit bonne, j'admets également que les explications de M. le ministre de la guerre puissent jusqu'à un certain point couvrir l'irrégularité et je suis prêt à me rallier à l'interprétation de l'honorable M, Van Humbeeck, mais je déclare que la loi n'a pas été observée, et du moment qu'on me laisse la moindre incertitude de la portée de mon vote, il m'est impossible d'adopter le projet.

M. Jacquemyns. - Il me semble, messieurs, que la question soulevée par M. Goblet est une question constitutionnelle complètement distincte du projet de loi. Toute la Chambre est disposée à donner un bill d'indemnité au gouvernement quant à la manière dont la somme a été acquise, et d'un autre côté, tout le monde est d'accord pour fournir à l'armée aussi promptement que possible, la quantité d'armes rayées dont elle a besoin. Par conséquent, je ne comprends pas qu'on puisse ne pas voter la loi actuelle.

M. Guillery. - Messieurs, la question qui est soulevée est très importante ; il serait regrettable qu'on votât le projet sans qu'elle eût reçu une solution.

Il s'agit de savoir si c'est un bill d'indemnité qu'on demande ou bien si le gouvernement prétend poser le principe qu'il pourrait toujours, malgré l'article 16 de la loi de comptabilité, aliéner de la main à la main toute espèce d'objets mobiliers, quelle qu'en fût la valeur, en vertu d'une décision du conseil des ministres.

On nous dit : « Prenez l'interprétation que vous voulez. »

Nous savons fort bien que nous pouvons interpréter l'article d'après notre sentiment personnel, mais nous avons demandé au gouvernement s'il interprète, lui, l'article en ce sens qu'il peut toujours agir comme il a agi.

Je n'admets pas, messieurs, que l'article 22 soit nécessaire pour compléter l'article 16,

Le n°9 de l'article 22 s'applique aux fournitures à l'Etat et non pas aux ventes faites par l'Etat,

Quant à l'article 16, il est parfaitement clair et complet par lui-même.

« Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou immobiliers à leur disposition peuvent être réemployés, et sont susceptibles d'être vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des domaines et dans les formes prescrites :

Dans les formes prescrites, c'est-à-dire dans les formes prescrite par les lois qui régissent les ventes faites par les préposés des domaines, c'est-à-dire dans les formes réglées par des lois spéciales ; ici donc la vente, pour être régulière, devait être faite par les préposés des domaines.

Quant au fond, je suis très loin de blâmer ce qu'a fait M. le ministre de la guerre.

Je faisais partie de la section centrale ; et au sein de la section centrale nous n'avons fait qu'une seule observation, à savoir que le libellé n'était pas conforme à l'usage établi.

Du reste ; je reconnais avec M. le ministre des finances que ce point de forme est assez peu important ; il eût été plus régulier de procéder autrement ; et comme on fait beaucoup de réserves depuis quelques temps, je tiens de mon côté à en faire une sur l'interprétation de l'article 16.

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Vote des articles et vote sur l’ensemble

« Art. 1er. Une somme de cent vingt-six mille cent quarante-quatre francs (126,144), provenant de la vente de fusils à silex hors d'usage, est affectée à la fabrication d'autres armes neuves. Elle sera ajoutée à l'article 20 du budget du ministère de la guerre de l'exercice 1861. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

66 membres sont présents.

62 membres répondent oui.

1 (M. Goblet) répond non.

3 membres s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Devaux,, de Vrière, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grofils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Magherman, Mercier, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Braconier, Crombez, Dautrebande, David, de Boe, de Breyne, de Bronckart de Decker, de Florisone, de Lexhy, de Maere, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Ruddere de te Lokeren et Vervoort.

Se sont abstenus : MM. Van Humbeeck, Janssens et de Gottal ?

Ils motivent leur abstention en ces termes :

M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'avais déclaré que mon adhésion au projet de loi dépendait de la portée que le gouvernement y aurait donnée ; le gouvernement ayant laissé la question dans le vague, j'ai cru devoir m'abstenir.

M. Janssens. - Mon abstention a la même signification que les réserves qu'a faites tout à l'heure l'honorable M. Guillery.

M. de Gottal. - Messieurs, je n'ai pas voulu refuser le crédit dont je reconnais, du reste, l'utilité ; cependant je n'ai pas pu donner mon adhésion au système qui a été adopté et qui, d'après les explications de M. le ministre de la guerre, serait destiné à former précédent.

- La Chambre décide qu'elle se réunira demain à une heure.

La séance est levée à 5 heures et un quart.