(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1434) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Boe fait l'appel nominal à une heure et un quart, et lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est adoptée.
II présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Kerstenne sollicite une amélioration de position en faveur des maîtres de musique des écoles moyennes de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des cultivateurs à Ghistelles demandent l'abolition du droit de barrière. »
M. Guillery. - Messieurs, l'objet de cette requête est très important ; je demanderai qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Vanden Broeck demande la réduction sinon la suppression complète du droit sur la morue en saumure. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité de commerce «cnclu avec la France.
« Les membres du conseil communal de Macon adressent des observations en faveur du projet d'établissement d'une voie ferrée de Manage à Momignies partant par Thuin, Beaumont, Rance, Maçon, etc., présenté à la législature par MM. Derval, Brion et Cie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.
« Les président et membres du conseil communal de Nieuport prient la Chambre de porter à 508,000 fr. le crédit destiné à des travaux d'amélioration au port de Nieuport. »
- Même décision.
« Par dépêche en date du 7 mai, M. le ministre de la justice informe la Chambre que le sieur Bavay (Louis-Thomas), sabotier, demeurant à Halleux, canton de Laroche (Luxembourg), renonce à sa demande en naturalisation. »
- Pris pour notification.
« La chambre de commerce d'Arlon transmet à la Chambre un exemplaire de son rapport général pour l'année 1860. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« MM. Vermeire et Crombez demandent un congé. »
- Accordé.
M. Prévinaire. - Messieurs, mon honorable ami M. Orts, provoqué par des paroles prononcées dans cette Chambre et dans une autre enceinte, a présenté hier le bilan de l'intervention du trésor dans les travaux exécutés, avec le concours de l'Etat, à Bruxelles ou en faveur de Bruxelles.
Il devait aussi saisir cette occasion de répondre aux insinuations qui avaient été faites au sujet de la prétendue inactivité de l'administration communale ; il a rappelé tout ce que l'administration communale a exécuté pendant un certain nombre d'années, et il a indiqué à quelle nature de travaux s'appliquaient les subsides obtenus du gouvernement.
Ce terrain, messieurs, n'est pas celui sur lequel nous avons l'habitude de nous placer ; ordinairement nous nous plaçons sur le terrain des grands intérêts du pays, et il a fallu réellement une sorte de provocation pour que nous nous en écartions. Nous n'avons jamais marchandé ni aux Flandres ni à d'autres parties du pays ces nombreux travaux, improductifs pour le trésor, dont on les a dotées.
Et cependant, messieurs, les impôts perçus dans la province de Brabant et notamment dans l'arrondissement de Bruxelles ont largement contribué à faire face à toutes ces dépenses.
Je jetterai tout à l'heure un coup d'œil, non pas sur les travaux qui ont profilé à la ville de Bruxelles, mais sur les conséquences défavorables à la capitale qu'ont entraînées des travaux exécutés dans l'intérêt d'autres parties du pays.
Qu'il me soit permis, messieurs, de demander si la ville de Bruxelles a eu à se féliciter de la manière dont on a exécuté la station du Nord et de la lenteur qui a présidé aux travaux ; si elle a à se féliciter du retard qu'on a mis à établir une autre communication entre les deux stations ; de l'alternative déplorable dans laquelle elle est restée placée si longtemps ou de voir diriger sur d'autres voies le trafic des transports par suite de l'interruption résultant du défaut de raccordement de la ligne du Midi à la ligue du Nord, ou de subir le raccordement établi à titre provisoire et transitoire sur une étendue importante des boulevards de la ville au grand danger et détriment des habitants.
Je demanderai également si Bruxelles n'a pas un légitime sujet de se plaindre du peu de souci de l'intérêt bruxellois dont l'administration des travaux publics a fait preuve, lorsqu'il s'est agi du chemin de raccordement entre la station du Luxembourg et le chemin de fer du Nord. Jamais raccordement n'a été fait, au contraire, d'une manière moins intelligente et en même temps moins favorable aux intérêts de Bruxelles.
Cette voie de raccordement coupe deux des plus belles communications d'un quartier nouveau, qui est destiné à se développer sans cesse ; elle est déjà une cause d'embarras et de dépréciation qui de jour en jour prendra des proportions plus déplorables.
On a invoqué les passages à niveau comme une objection à l'établissement d'une station centrale à Bruxelles. Eh bien, le même inconvénient existe dans le quartier Léopold, par suite du raccordement dont je parle.
Rien n'était, rien n'est encore aujourd'hui plus facile que de modifier ce raccordement, de faire disparaître les graves inconvénients qu'il produit pour la circulation. Il suffit pour cela de faire passer la voie de raccordement sur l'autre versant du mamelon où se trouva, notre Jardin Zoologique.
Certes, ce n'est pas être bien ambitieux que de demander à l'Etat de prendre souci de cet intérêt, et d'intervenir avec bonne volonté, mais résolution, auprès de la compagnie concessionnaire pour faire modifier cet état de choses.
Ainsi que je l'ai dit depuis un grand nombre d'années une grande étendue de nos boulevards est livrée à la circulation de convois de marchandises ; cet état de choses doit cesser et le raccordement que j'aurais, pour ma part, désiré voir exécuter à travers la cité se fera dans une autre direction.
J'espère que l'exécution de ce projet ne se fera pas trop longtemps attendre. En exécutant ce travail, l'Etat ne pourvoira pas en réalité à un intérêt bruxellois.
II ne fera que subir la conséquence naturelle de l'exploitation, par l'Etat, de deux lignes qui lui appartiennent.
Je ne pense pas que la fin de non-recevoir opposée dans la séance d'hier par M. le ministre des travaux publics à l'amendement relatif à un crédit de 10,000 francs pour l'étude des travaux à exécuter au canal de Charleroi, ait été rendu applicable i notre amendement concernant le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. En effet, la Chambre étant restée saisie de la proposition de 1859 due à l'initiative du gouvernement, rien, absolument rien ne s'oppose à ce qu'on discute notre amendement qui ne fait qu'introduire un second mode d'exécution.
La Chambre restée saisie devra se prononcer sur la proposition du gouvernement et par suite sur notre amendement qui devient nécessaire lorsque le gouvernement nous déclare ne pas posséder aujourd'hui des ressources qui lui permettent d'exécuter ce chemin aux frais du trésor.
Je n'ai jamais caché mon opinion sur le peu de probabilité que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain puisse faire l'objet d'une concession qui ne soit pas onéreuse ; je déclare franchement que je doute fort que le gouvernement puisse user de la faculté que je lui offre.
Il me paraît difficile qu'un concessionnaire puisse lui présenter des conditions aussi favorables que celles qu'il obtiendra par l'emprunt, et je persiste dans l'opinion que cette ligne doit être exécutée par l'Etat. Mais l'adoption de notre amendement aura fait faire un pas à la question, et si l'impossibilité financière alléguée par le gouvernement persistait, le vote de la Chambre équivaudrait à une mise en demeure de concéder ou de saisir la Chambre d'une proposition de concession. Je ne comprends pas que dans une question de cette nature le gouvernement ne fasse pas un pas vers nous.
Nous ne nous plaçons jamais au point de vue local ; la députation de Bruxelles a toujours envisagé les choses à un point de vue plus élevé. (page 1435) Mais aujourd'hui, en réalité, la proposition d'ajournement indéfini qui nous est faite, est-elle raisonnable ?
Qui nous répond que nous ne resterons pas perpétuellement placés en face de la question de préférence pour d'autres travaux prétendument plus urgents ? Quand verrons-nous la fin de cette situation ?
Ce que le gouvernement devrait nous accorder au moins, c'est un vote qui tranche la question en principe et limite la période d'inexécution.
Si le cabinet peut faire un pas vers nous, sans engager considérablement le trésor, il trouvera bien dans un coin du trésor une somme de 500,000 francs et inscrira le chemin direct parmi les travaux décrétés à exécuter aux frais du trésor public.
Ce crédit permettrait d'aborder les premiers travaux du chemin de fer de Louvain à Bruxelles. Nous serons satisfaits, nous serons parfaitement satisfaits et tous les inconvénients de notre amendement disparaîtront. Ce ne sera donc pas un vote stérile. Voilà ce que nous demandons, voilà ce que Je gouvernement devrait nous accorder lorsqu'il est lui-même l'auteur de trois propositions relatives à ce chemin de fer.
Maintenant, il est impossible qu'on soutienne sérieusement que ce chemin ne sera pas utile par lui-même, qu'il n'apportera pas un contingent nouveau de produits à l'Etat.
Nous avons toujours vu qu'à l'approche des grands centres de population, les convois se remplissent et que plus on s'éloigne de ces grands centres plus les convois se vident.
La ligne projetée a un parcours de 28 kilomètres, Bruxelles capitale, Louvain ville de 30,000 âmes, centre commercial d'un pays agricole considérable, il est impossible que les communications nouvelles n'attirent pas, un concours considérable de voyageurs et un trafic important de marchandises. Cet affluent nouveau réagira sur le produit des voies ferrées existantes.
J'ai vu quelque part, dans le compte rendu de 1859 de l'exploitation du chemin de fer, que la circulation sur la ligne de l'Est était de 4,114 individus par kilomètre.
A ce compte-là la ligne de Louvain à Bruxelles qui aura 28 kilomètres d'étendue devra produire un nombre d'environ 115,000 voyageurs, en prenant pour base la moyenne que je viens d'indiquer.
Mais si vous vous rendez compte que la ligne de l'Est parcourra partir de Tirlemont, une étendue de pays où les villes sont complètement absentes et où la contrée est essentiellement agricole, vous devrez reconnaître, en comparant la population de cette contrée avec celle de Louvain, que le parcours de Louvain à Bruxelles se présente dans des conditions infiniment plus favorables.
Le gouvernement doit avoir à cet égard des données positives. La question a été étudiée et les chiffres sont posés. Il est impossible que cela n'existe pas sur le papier. Au reste ce côté de la question doit être considéré comme résolu par le fait de la proposition même dont le gouvernement a saisi la Chambre.
Je pourrais donc m'abstenir sur ce point. Je dirai cependant que dans ma conviction le nombre de voyageurs originaires des nouvelles localités traversées par le chemin direct excédera considérablement la proportion indiquée comme moyenne générale du parcours de la ligne de l'Est, et qu'il atteindra au moins le chiffre de 200,000.
Eh bien, messieurs, ces 200,000 voyageurs afférant en propre à la ligne nouvelle d'après les données du compte-rendu de 1859 produiront en moyenne 1 fr. 50 par voyageur, soit environ 300,000 fr. A cette recette il faudra joindre le produit du transport des marchandises, et enfin il faudra tenir compte de l'économie que fera l'Etat en transportant sur cette voie plus courte les voyageurs qui passent aujourd'hui par Malines.
Ce sont là des produits importants, des avantages dont il faut tenir compte.
Quant à la dépense de construction, je ne puis m'empêcher de manifester mon étonnement, en la voyant porter aujourd'hui à 7 million. Les terrains coûteront cher, je le veux bien, mais le tracé par Cortenberg n'exigera que peu de travaux.
Il y a 5 ou 6 ans, la construction de cette ligne était évaluée à 4 millions environ.
Pendant plusieurs années, ce chiffre est resté en quelque sorte stéréotypé. Aujourd'hui il a grandi, et en regard on est venu nous donner une somme très considérable de frais d'exploitation que le gouvernement aurait à subir.
Je crois que d'une part il y a à réduire le chiffre des frais de construction et que d'autre part il y a considérablement à rabattre du chiffres indiqué comme la perte du gouvernement. Mais y eût-il une porte, elle ne serait que juste. D'abord il est juste de raccorder an chemin de fer de l'Etat une population qui en est aujourd'hui isolée.
Il est juste de rétablir, en ce qui concerna les voyageurs qui parcourent la ligne de l'Est, quelle que soit leur destination, ce système de taxe basé sur la distance réellement parcourue.
Aujourd'hui, le détour qu'on fait par Malines est compensé par le prix qu'on paye d'après le tarif basé sur ce qu'on appelle la distance légale. Mais il n'est pas moins vrai que le voyageur qui va de Bruxelles à Louvain et localités situées au-delà et réciproquement paye aujourd'hui sept kilomètres de plus que la distance par la ligne directe.
Eh bien, si je recours encore une fois au compte-rendu de l'exploitation du chemin de fer, je trouve que sur la ligne de l'Etat, il y a, pour 55 voyageurs de première classe, 750 de troisième. Il est donc évident que cette surtaxe que vous faites peser sur les voyageurs, à raison d'une distance qu'ils ne parcourent pas, est presque exclusivement payée par la classe la moins aisée ; et j'ai raison de dire, dès lors, que c'est une question de justice que je plaide ici.
Mais, messieurs, compte-t-on pour rien la perte de temps d'une demi-heure que l'on fait subir aux voyageurs qui vont de Bruxelles à Louvain et vice-versa ? Je crois qu'on a cherché à atténuer, sous ce rapport encore, les conséquences de la situation actuelle ; mais je fais souvent le trajet entre ces deux villes et je sais que je ne l'ai jamais parcouru en moins de cinq quarts d'heure. Or, la ligne directe ne devant avoir que 28 kilomètres au lieu de 55, il y aurait une économie de temps de 30 à 35 minutes, et certes c'est là une économie considérable, car la rapidité des communications est une des grandes causes de la fréquence des voyages.
Je vous ai dit tantôt, messieurs, que je me proposais d'appeler votre attention non pas sur ce qu'on ne nous avait pas donné, non pas sur ce que d'autres ont obtenu, mais sur ce que nous avons perdu. Avant l’établissement du chemin de for, quelle était la position de Bruxelles ? Bruxelles était le centre d'un mouvement commercial intérieur considérable : tous les transports du Hainaut et des Flandres, ne pouvant franchir la crête qui garnit le bassin de la Dendre, passaient par Bruxelles.
Bruxelles était en possession d'une navigation qui s'étendait depuis la frontière de France jusqu'à l'Escaut. Bruxelles était reliée à la compagnie par le Rupel et le canal de Louvain. Les travaux exécutés dans le pays sont venus amoindrir cette situation : vous avez construit les chemins de fer qui relient directement le Hainaut aux Flandres. J. ne me plains certes pas de tout cela ; je le signale simplement comme un titre à une réparation pour Bruxelles. On a construit le chemin direct de Namur à Liège qui a détourné de Bruxelles une partie considérable du trafic, surtout en ce qui concerne les voyageurs. On a construit le chemin de fer de Charleroi à Louvain, qui a fait dériver vers Louvain des transports considérables qui, précédemment, passaient par le canal de Bruxelles pour se rendre dans la Campine et la province d'Anvers. Quel bien donc nous a-t-on fait ?
Celui qu'on ne pouvait pas nous refuser. En effet, il était impossible de ne pas nous raccorder à Anvers et à Mons. Voilà ce qui a été fait pour nous. L'idée primitive du chemin de fer laissait Bruxelles en dehors du mouvement, tandis qu'au contraire il devait en être le centre.
On avait conçu un ensemble de lignes commerciales, il fallut bientôt élargir cette destination, construire des lignes internationales et des lignes rattachant les centres de production aux centres de consommation.
Dès lors commençait pour Bruxelles une période de réparation.
Le chemin direct de Bruxelles à Gand par Alost fût construit ; la conséquence de ce premier pas devait être la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Les Flandres avaient un intérêt énorme à être reliées à la capitale par un chemin direct, elles ont également un grand intérêt à être reliées à Louvain par un chemin direct.
Ces deux voies doivent améliorer le transit de l'Angleterre vers l'Allemagne et restituer à Bruxelles les avantages que lui enlevait à ce point de vue le tracé par Malines.
Quant au transit de la France vers l'Allemagne, il se trouvait placé dans de meilleures conditions par le chemin direct de Bruxelles à Lille rattachant directement et par une voie plus courte la Flandre française aux contrées les plus centrales de la Belgique. Cet intérêt est aujourd'hui plus grand que jamais par suite du traité qui va élargir les relations commerciales de la Belgique et de la France.
(page 1436) Sous ce rapport nous insistons sur la nécessité de construire et d'exploiter par l'Etat le chemin direct de Bruxelles à Lille.
Ces considérations sont d'une importance très grande ; je ne comprendrais pas qu'on pût les méconnaître.
Il me reste un mot à dire sur le canal de Charleroi. La dimension de ses écluses ne lui permet pas de rendre les services et de produire les résultats qu'on pouvait attendre, de l'abaissement des péages. Avec les écluses actuelles, la navigation doit rester limitée ; l'élargissement des écluses est la condition nécessaire pour que la concurrence des bateaux soit possible et par suite pour qu'un abaissement du fret se produise et tourne à l'avantage de la consommation
Si les écluses étaient élargies, non seulement la navigation se développerait, mais elle se ferait dans de meilleures conditions ; aujourd'hui le tonnage des bateaux sur ce canal n'est que de 70 tonneaux ; chaque bateau porte un ménage, il faut que son trafic pourvoie à l'existence de cette famille. Supposez un tonnage double, les frais de conduite resteront les mêmes et conséquemment il y aura une réduction de frais généraux.
La question de l'alimentation du canal de Charleroi, de l'élargissement des écluses est une question des plus sérieuses. M. le ministre nous déclare qu'il s'en préoccupe, qu'il l'étudie ; j'espère qu'il poursuivra cette étude avec activité, et j'ai la conviction qu'elle lui fera reconnaître la possibilité d'une réduction de la dépense, dont il nous a donné un aperçu que je crois entaché d'exagération.
Ce n'est pas un abaissement de tarif que nous demandons. Dans la situation faite à la navigation il ne produirait que des effets probablement négatifs ; le batelage seul en profiterait, à cause de l'impossibilité d'établir une concurrence sérieuse entre les bateliers.
Jusqu'ici nos exportations de charbon en destination de la France se sont trouvées entravées par le système des zones : le traité avec la France ouvre des perspectives nouvelles ; nos charbons pourront être expédiées dans toutes les directions à des conditions identiques.
Il faut donc se préoccuper des exportations par mer. Il faut les faciliter.
Je reconnais que la concurrence des charbons anglais sera des plus redoutables et dans les circonstances normales l'exportation de nos produits par la voie de mer sera difficilement réalisable ; mais il faut tenir compte des accidents. Des circonstances favorables pourraient se produire et dès lors il faut se préparer à en profiter en rendant possible sur le canal de Charleroi cette navigation plus active que nous réclamons.
La navigation militaire et marchande se développe chaque jour ; il y a là un élément de consommation énorme dont nous devons nous mettre en mesure de profiter.
Ce qui s'est déjà présenté peut se représenter encore ; des expériences faites sur la qualité de nos charbons par l'étranger ont donné des résultats très favorables et nous permettent d'espérer leur préférence.
La Meuse et le canal de la Campine offrent au bassin de Liège des conditions d'exportation dont il est juste de doter le bassin du Centre, moins bien placé que ceux de Charleroi et de Mons pour exporter leurs produits vers la France.
Voilà, messieurs, les considérations qui me font demander au gouvernement de porter l'attention la plus sérieuse sur les modifications à introduire au système des écluses du Charleroi et à l'élargissement de ce canal.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous assistons depuis plusieurs jours à une sorte de mêlée générale, où chacun vient faire acte de présence, tirer son coup de fusil contre le trésor public, sonner à la porte du gouvernement pour obtenir, des subsides.
Loin de moi de blâmer ceux de nos honorables collègues qui, dans les discussions de ce genre, viennent plaider la cause de leur arrondissement.
Rien n'est plus naturel, dans un pays surtout où les intérêts matériels ont pris et doivent prendre encore un grand développement, rien de plus légitime que de voir les représentants des diverses localités, se faire inscrire lorsqu'on est arrivé au partage des subsides.
Je ne blâme donc en aucune manière ce que l'on pourrait appeler, ce qu'on a appelé dans d'autres circonstances cet esprit de clocher.
Les membres des Chambres qui appartiennent aux provinces ont trouvé de l'écho au sein même de la capitale. Je dois le dire, s'il est une localité qui devrait se placer à un point de vue plus général, plus élevé, plus national, ce devrait être, me semble-t-il, la capitale. Aussi un spirituel et éloquent orateur, dans la séance d'hier, a-t-il eu soin de nous prévenir que ce n'était pas comme représentant de Bruxelles qu'il parlait, que c'était comme conseiller communal. Eh bien, je tâcherai de répondre au conseiller communal.
Il paraîtrait, à entendre l'honorable représentant conseiller communal de Bruxelles, que le gouvernement est resté sourd, est resté insensible à toutes les demandes qui lui ont été adressées par la capitale, que rien ne se fait pour la capitale, qu'elle reste à l'état presque complet d'abandon, et que ce qu'on lui accorde, ce sont des futilités, des misères qui valent à peine l'honneur d'être mentionnées.
Messieurs, je vais poser une première question à l'honorable représentant de Bruxelles. Il dit que le gouvernement ne fait rien pour la capitale. Je lui demande de vouloir me signaler quelle est la chose demandée par la capitale, à laquelle le gouvernement a fait résistance. (Interruption.)
Je fais réserve du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain ; je m'en expliquerai tout à l'heure. Mais je répète ma question, je vous prie de me dire quelle est la demande faite par la capitale à laquelle le gouvernement a résisté.
Je vous dirai, d'un autre côté, ce que le gouvernement a fait pour la capitale.
Messieurs, je ne pense pas que l'on puisse avec justice reprocher au gouvernement son peu de sympathie pour Bruxelles. Dans ma longue carrière politique ou administrative, j'ai été souvent accusé d'une chose, c'est d'être trop dévoué aux intérêts de la capitale. Il est une époque où j'ai eu le périlleux honneur d'être présenté à la fois aux électeurs de la capitale et aux électeurs d'Anvers. Or, un grief que l'on faisait valoir contre moi à Anvers, c'est que j'étais enfant de la capitale et que je mettais le trésor public à la disposition de la ville de Bruxelles.
Il est vrai qu'à Bruxelles mes adversaires disaient que je ne faisais rien pour la capitale, que toutes mes sympathies étaient pour Anvers. C'étaient là des arguments de circonstance, Anvers et Bruxelles savaient parfaitement à quoi s'en tenir.
Bruxelles, dit-on, ne reçoit rien et cependant Bruxelles verse des sommes considérables au trésor public.
Je reconnais volontiers que Bruxelles seul verse plus d'impôts au trésor public que deux ou trois de nos petites provinces, et j'en félicite la capitale ; je suis bien persuadé que la ville de Maeseyck et la ville de Virton, par exemple, seraient enchantées de pouvoir verser au trésor les sommes que Bruxelles y verse.
Si vous pouviez dire que parce qu'on habite la capitale on est condamné à payer des impôts plus élevés que ceux qu'on paye dans d'autres contrées, alors je comprendrais l'objection ; mais l'habitant de la capitale paye comme tous les autres contribuables ; seulement la capitale renfermant un grand nombre de familles aisées, verse au trésor public des sommes considérables ; mais il n'est pas exact de dire que le trésor ne lui rend rien ; le trésor lui rend beaucoup.
Je ne lui en fais pas de reproche ; loin de là, je m'en applaudis : je me suis montré toujours grand partisan d'une capitale florissante, brillante, attrayante, et je crois que tout le monde désire une telle capitale.
Cela ne veut pas dire que je voudrais une capitale absorbante, épuisant les provinces. Je désire, moi, la prospérité partout, l'aisance partout ; je voudrais que chaque localité, autant que possible, présentât un attrait particulier, et que la capitale n'attirât pas à elle seule toutes les forces vives du pays.
C'est pourquoi, messieurs, tout en faisant une part très large à la capitale, nous devons aussi venir en aide aux autres localités et surtout à celles qui sont le plus dépourvues de ressources. Nous devons procéder à l'égard des différentes localités comme les villes procèdent à l'égard de leurs divers quartiers ; nous devons tâcher d'éteindre, si je puis m'exprimer ainsi, le paupérisme partout.
On a cité hier la Campine et d'autres parties du pays qui ont surtout besoin des secours de l'Etat. C'est à ces contrées qu'il faut d'abord venir en aide. Et, messieurs, au point de vue même de la capitale, n'est-il pas évident que plus les diverses parties du pays sout prospères et florissantes, plus, à son tour, la capitale en recueillera d'avantages, plus il en rejaillira d'éclat sur elle.
A quoi bon, je le demande, une grosse capitale au centre d'un pays qui serait épuisé et pauvre !
A Bruxelles, messieurs, je fais un appel à mon honorables contradicteur, à Bruxelles, comment procède-t-on ? Les habitants des quartiers privilégiés, les habitants des plus beaux quartiers de la ville, (page 1437) qui sont aussi ceux qui payent le plus d'impôts, viennent-ils dire : C'est nous qui payons le plus et c'est à nous, par conséquent, que reviennent surtout les travaux d'amélioration.
Non, messieurs, le trésor communal, très sagement selon, moi, s’applique principalement aux quartiers les plus pauvres ; c'est sur les quartiers les plus pauvres qu'il porte de préférence ses capitaux.
Je suis, messieurs, quelque peu embarrassé de défendre la thèse que je soutiens ; je crains, en poussant trop loin la défense à laquelle on force le gouvernement, je crains d'exciter une sorte de réaction contre la capitale au sein des autres provinces.
Cependant, je compte sur le patriotisme de tous les membres de cette Chambre, et j'espère qu'ils seront d'accord avec moi pour demander que la Belgique possède une capitale digne d'elle et qu'ils ne se laisseront pas aller vis-à-vis de la capitale à des sentiments mesquins de jalousie ou d'envie.
A plus forte raison de pareils sentiments ne doivent-ils pas se faire jour au sein de la capitale.
M. Van Humbeeck. - On n'a pas exprimé des sentiments de jalousie ou d'envie au nom de la capitale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Van Humbeeck n'a pas encore parlé, mais on a dit : « Vous faites tout pour le provinces, vous ne faites rien de sérieux pour 1a capitale. » (Interruption.)
Je demande si M. Orts ne l'a pas dit.
M. Orts. - J'ai dit que la capitale n'avait pas plus que sa part.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai parfaitement compris ce que vous avez dit.
La capitale, messieurs, reçoit sur le budget de l'Etat une rente de 300,000 francs. On dit qu'il n'y pas à en tenir compte, que c'est le prix des collections qu'elle a cédées à l'Etat.
Je le veux bien, messieurs, mais où était la nécessité pour l'Etat d'acquérir ces propriétés, qui étaient manifestement incommutables entre les mains de la capitale ?
A qui fera-t-on croire que Bruxelles aurait pu vendre ces propriétés ? Ce sont là des propriétés que les localités qui les possèdent sont condamnée sà conserver et que nul administrateur n'oserait jamais aliéner.
En fait, messieurs, la capitale est restée en jouissance de ses musées, de sa bibliothèque et elle a reçu 300,000 francs de rente.
Ce n'est pas tout : ces collections ont besoin d'être administrées ; elles étaient administrées autrefois aux frais de la ville ; maintenant elles le sont aux frais de l'Etat. Ces collections ont besoin de se compléter ; aujourd'hui, elles se complètent aux frais de l'Etat.
Ce qui fait que, sans sortir du budget de l'intérieur, je trouve les sommes suivantes :
Musée d'histoire naturelle : fr. 17,800.
Musée de l’industrie : fr. 28,000.
Observatoire : fr. 25,000.
Musée de peinture : fr. 32,000.
Musée d’antiquités : fr. 12,8000.
Bibliothèque : fr. 72,000.
Ajoutons, puisque nous réglons nos comptes, les allocations suivantes attribuées à d'autres établissements de la place :
Académie royale. ; fr. 40,000.
Académie de médecine : fr. 20,000.
Conservatoire de musique : fr. 55,000.
Archives du royaume : fr. 43,000.
Athénée : fr. 35,000
Académie de peinture : fr. 20,000.
Ecole vétérinaire : fr. 65,000.
Jardin botanique : fr. 24,000.
Fêtes nationales : fr. 40,000.
Tir national. : fr. 25,000.
Quand je suis amené à rappeler les diverses dépenses, je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions ; je crois qu'il est utile et juste que la capitale jouisse de tous ces avantages aux frais de l'Etat ; mais serait-il juste, d'un autre côté, de dire que la ville de Bruxelles ne reçoit aucune part importante dans les allocations du budget de l’Etat ?
Je ne parlerai pas de toutes les autres dépenses qui figurent aux divers budgets de l'Etat et qui se font à Bruxelles : il y a d'abord la Cour avec la liste civile, il y a les Chambres, il y a la cour de cassation, il y les hautes administrations. Voilà autant de profits et de ressources qui certes ne sont pas à dédaigner.
Maintenant, pour les monuments, est-ce que la capitale a à se plaindre ? En faisant remonter mes souvenirs très loin, dès le 24 septembre 1830, au plus fort de la lutte, au sein de Bruxelles, on décrétait un monument qui a coûté au-delà de 100,000 francs, le monument de la place des Martyrs ; il remonte, je le répète, au 24 septembre 1830 ; j'ai eu l'avantage de rédiger l'arrêté de ma main.
Dès 1833, on a commencé la restauration de l'église de Sainte-Gudule. On a parlé de l'escalier de Sainte-Gudule ; on en est resté au bas de cet escalier ; on s'est abstenu de monter à l'église ; si on avait voulu y monter, on aurait pu voir que l'Etat a supporté depuis 28 ans une dépense de près d'un million pour cet objet.
En fait de monuments, nous avons, à Bruxelles, la statue de Godefroid de Bouillon ; la statue de Vésale ; nous aurons les statues de d'Egmont et de Hornes ; nous avons la colonne du Congrès qui me paraît avoir une certaine importance pour la capitale. Nous avons l'appropriation du palais Ducal, pour laquelle 325,000 fr. ont été votés.
En fait de travaux publics nous avons le nouveau palais de justice qui figure au budget pour plusieurs millions ; nous avons les nouveaux hôtels ministériels, qui donnent lieu aussi à une dépense considérable ; nous avons la promenade de la Cambre, et je ne pense pas que la capitale ait ici à se plaindre, soit du département des travaux publics pour le subside qu'il lui a accordé, soit du département des finances, en ce qui concerne le bois de la Cambre.
Nous avons enfin le palais royal qui doit être agrandi ; on a déjà voté une somme de 1,800,000 fr. pour cette dépense ; et d'après les explications données dans l'exposé des motifs du projet que nous discutons, cette somme devra être augmentée d'une allocation supplémentaire de 600,000 à 700,000 francs.
Voilà bien des choses. Ce n'est pas tout : je continue, mais à la condition que la Chambre ne récriminera pas contre la capitale.
Eh bien, dans le projet qui nous occupe, une somme de 270,000 fr. est consacrée à l'établissement d'un tir national aux portes de la capitale. Il se manifeste dans tout le pays un élan patriotique que nous nous plaisons à constater ; les autres localités voudront aussi établir un tir chez elles ; on devra bien leur accorder quelque chose pour les encourager, mais enfin, la ville de Bruxelles aura à elle seule 270,000 fr.
Nous avons demandé une somme de 250,000 fr. pour le musée d'armure ; nous avons fait, et nous ferons des acquisitions d'objets d'art, qui la plupart sont destinés à Bruxelles. Un crédit de 640,000 francs est demandé pour ces divers objets.
On le voit, l'honorable M. Orts a de beaucoup trop amoindri le concours de l'Etat dans tout ce qui concerne la capitale. Ainsi, il est venu parler des quelques milliers de francs qu'on affectait à la restauration de l'hôtel de ville, eh bien, ces quelques milliers de francs, s'élevaient, il y a trois ans, à 178,000 francs.
Messieurs, je ne sais jusqu'à quel point la capitale peut se croire étrangère aux monuments qui l'avoisinent. Je pourrais d'abord citer l'église de Laeken.
Je crois que le monument de l'église de Laeken peut être compté comme un monument de la capitale. (Interruption.)
Si vous ne voulez pas de l'église de Laeken, je citerai une autre plus rapprochée, l'église de Sainte-Marie, à l'extrémité de la rue Royale exterieure.
Le gouvernement donne des sommes considérables pour cette dernière église ; suivant moi il n'en donne pas encore assez, et d'après l'espérance que M. le ministre de la justice a bien voulu faire naître, le subside sera augmenté.
Ces détails sont bien longs ; j'aurais voulu les épargner à la Chambre, mais je crois qu'il était indispensable pour le gouvernement de ne pas laisser sans réfutation les critiques de l'honorable M. Orts.
Mais, je dois le supposer, l'honorable M. Orts aura exagéré les plaintes pour attirer l'intérêt sur la question qui se débat actuellement.
Eh bien, je reconnais que les représentants de Bruxelles ont raison d'insister pour obtenir le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. C'est dans leur rôle. Il y a quelque chose de parfaitement légitime dans (page 1438) leurs réclamations, comme il y a quelque chose de légitime dans d'autres réclamations produites dans cette enceinte.
Je suis partisan de cette ligne, je l'ai déclaré à une autre époque, et j'en reste partisan.
Je ne demanderais pas mieux que de la voir exécuter du jour au lendemain et je dis : on ne peut décréter pour le moment cette dépense considérable, mais en principe je considère le projet comme voté.
M. Hymans. - Donnez-nous en principe 500,000 fr. et inscrivez ce crédit dans le projet de loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais parce que Bruxelles ne sera pas en possession immédiat du chemin de fer direct vers Louvain, peut-on en conclure que la capitale n'est l'objet d'aucune espèce de sollicitude de la part du gouvernement et des Chambres, peut-on la représenter comme étant dans une espèce d'abandon, comme frappée d'une sorte de réprobation ?
C'est évidemment se livrer à des exagérations, dépasser le but qu'on veut atteindre, compromettre la cause, bonne en soi, qu'on veut défendre.
Ne dirait-on pas que Bruxelles et Louvain sont séparés par des distances énormes, qu'il n'y a pas de relations entre ces deux villes. Mais, messieurs, ces relations existent très rapides et très bonnes depuis un grand nombre d'années.
Il s'agit, dit-on, d'abréger le parcours et de desservir les populations intermédiaires. Nous reconnaissons que cela est utile, que ce chemin de fer doit se faire, qu'il se fera ; mais nous disons que le projet de loi actuel ne comporte pas la dépense immédiate de ce cette voie et qu'on donne à la capitale le plus de compensations possible en attendant qu'on exécute le chemin de fer de Bruxelles à Louvain.
Qu'arrivera-t-il donc ? C'est que la capitale aura eu en compensation les travaux dont je viens de parler, et par-dessus le marché le chemin de fer, et les représentants de Bruxelles auront le droit de s'applaudir de ce résultat.
Je m'associe à leurs vœux, mais j'espère que de leur côté ils voudront reconnaître qu'ils ont été trop loin dans leurs imputations contre le gouvernement et les Chambres.
Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur cet objet. Puisque j'ai la parole, je demanderai à la Chambre la permission de déposer un amendement qui n'est pas très important et qui est la conséquence des observations que j'ai présentées tout à l'heure en parlant du tir national.
Dans le projet qui nous occupe, il y a une somme pour l'établissement d'un tir national près de Bruxelles. J'ai dit qu'un grand nombre de localités sont en instance auprès du gouvernement pour obtenir des subsides qui leur facilitent l'établissement de ces tirs. C'est une concurrence qui est digne de notre intérêt, qui témoigne d'un grand élan dans tout le pays. J'ai ici le relevé des localités qui demandent des subsides. Il y en a une vingtaine.
Je demanderai donc à la Chambre d'amender le projet et d'augmenter le crédit de 30,000 fr., ce qui le porterait à 300,000 francs. Avec cette somme, nous pourrons accorder à ces diverses localités les subsides qu'elles réclament pour être aidées à établir des tirs destinés à la garde civique et aux sociétés de tir.
La Chambre a voté au budget l'intérieur une somme de 25,000 fr. pour le tir national. Cette somme est surtout destinée à distribuer des prix aux différents tirs. Si nous devions y imputer la dépense de premier établissement, elle ne suffirait pas. Au moyen de l'amendement, cette somme restera intacte, et nous pourrons à l'avenir en disposer exclusivement pour les tirs qui auront lieu soit à Bruxelles, et dans les provinces.
M. Muller. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet relatif à des crédits supplémentaires et extraordinaires au budget de l'intérieur pour les exercices de 1860 et 1861.
- Le rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.
M. de Naeyer. - Messieurs, je suis pour ainsi dire forcément amené à présenter quelques observations sur la question qui nous occupe en ce moment, parce que pendant plusieurs années j'ai eu à lutter contre une situation offrant une très grande analogie avec celle qui est faite aujourd'hui à ce projet de chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain.
Il y a plus de quatorze ans, messieurs, que la Chambre, par un premier vote, avait adopté la rectification du chemin de fer entre Bruxelles et Gand. Or, je déclare pour rendre hommage à la vérité, que dans les intentions de tout le monde ce vote devait avoir pour conséquence la rectification de Bruxelles à Louvain.
Vous voyez que cette conséquence s'est fait attendre assez longtemps.
Pour moi, messieurs, il ne s'agit pas de savoir s'il y a des motifs de convenance, des motifs d'utilité, je dirai même en quelque sorte de nécessité qui doivent nous déterminer à voter la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain.
Je crois que nous nous trouvons placés devant une question d'un ordre plus élevé, devant une question de justice rigoureuse.
Je ne parle pas de cette justice distributive qui consiste à distribuer en quelque sorte le gâteau budgétaire ; je crois que sous ce rapport les plaintes de Bruxelles sont exagérées et très peu fondées. Nous savons tous, messieurs, que dans cette distribution budgétaire, ce sont les grandes villes qui obtiennent les gros lots. (Interruption.)
C'est ma conviction et nous campagnards, nous habitants de localités de troisième ordre, nous devons nous contenter des miettes. (Interruption.)
Nous devons tâcher de nous consoler en disant avec le poêle latin : « Patientia fit levius quidquid corrigere est nefas. »
Mais il me répugne de rester plus longtemps sur ce terrain. Ces querelles de ménage ont pour moi quelque chose de pénible. Elles rappellent trop un apologue de l'ancienne histoire romaine.
La question de justice dont je parle, je la formule en ces termes : Avons-nous le droit de nous opposer plus longtemps à l'exécution d'un projet reconnu utile et qui se suffit à lui-même ?
Messieurs, depuis une dizaine de jours, nous parlons beaucoup de travaux publics, mais je crois que nous confondons constamment deux catégories essentiellement distinctes de travaux publics.
Il y a des travaux publics qui portent avec eux-mêmes leurs moyens d'exécution et qui prouvent leur incontestable utilité par cela même que la rémunération du service qu'ils sont appelés à rendre est assurée et sera payée directement par ceux qui en profitent. Il y eu a d'autres sur l'utilité desquels on peut dire des choses admirables, mais qui, en définitive, considérés en eux-mêmes, sont absolument impuissants et ne peuvent être réalisés qu'à l'aide du budget, c'est-à-dire avec l'argent de tout le monde.
Maintenant, je comprends parfaitement qu'on discute longuement la question de savoir, quant à cette dernière catégorie de travaux, quels sont ceux qui doivent avoir la priorité ; c'est là une question de privilège, de faveur, dans laquelle chacun combat pour son clocher, avec une infatigable ardeur ; c'est un spectacle auquel nous assistons assez souvent et qui est édifiant à certains égards, parce qu'il prouve combien nous portons nos électeurs dans notre cœur, surtout à la veille des élections.
Je conçois ces luttes, messieurs, je conçois parfaitement ces discussions-là, mais ce que je ne comprends pas et ce que je ne comprendrai jamais, c'est que ceux qui sont arrangés par la nature de telle façon qu'ils ne peuvent absolument se mouvoir qu'avec les béquilles du budget, aient cependant la prétention d'aller plus vite que ceux qui ont de bonnes jambes, qui peuvent marcher tout seuls, pourvu qu'on ne leur barre pas le passage. Eh bien, messieurs, voilà la singulière prétention qui arrête le gouvernement dans la question du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Voilà la prétention ; il n'y en a pas d'autre.
On croit répondre victorieusement aux partisans de ce chemin de fer en leur disant : Mais il faut considérer l'utilité du travail comparée à celle d'autres travaux : c'est encore l'idée que M. le ministre de l'intérieur vient de développer dans un long discours. Les ressources du trésor, dit-on, peuvent être employées à des travaux plus utiles, plus nécessaires, plus urgents.
Or il va de soi, que c'est toujours aux travaux les plus urgents, le plus nécessaires, les plus utiles qu'il faut appliquer les ressources du budget ; donc ce raisonnement on peut le considérer comme admirable dans ses prémisses, mais il est pitoyable dans ses conclusions, et cela par une raison fort simple ; c'est que ce chemin de fer de Bruxelles à Louvain n'a pas besoin des ressources du trésor ; c'est une entreprise parfaitement viable par elle-même, qui peut s'exécuter tous les jours, vous le (page 1439) savez fort bien, avec les seuls canaux de l'industrie privée, qui ne vous demande pas un centime.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je demande la parole.
M. de Naeyer. - Permettez, je rc puis pas tout dire à la fois ; je sais bien ce qu'on va m'objecter et je viendrai tout à l'heure au prétendu sacrifice qu'on invoque. Je connais tous vos arguments, ils ne sont pas nombreux et surtout ils ne sont pas difficiles à réfuter.
Je dis que l'entreprise dont je m'occupe ne demande pas un seul petit centime au trésor public ; elle ne demande qu'une chose, c'est qu'on ne lui barre pas le passage à la vie ; c'est qu'on ne lui refuse pas la permission de naître et de vivre. Voilà tout ce qu'elle vous demande.
Eh bien, messieurs, ne sommes-nous pas dans un pays essentiellement libre, et n'est-il pas déplorable, je le dis avec conviction, qu'il faille faire tant d'efforts et dépenser tant de temps et de paroles pour obtenir quoi ? La simple permission de naître et d'exister, et cela en faveur d'une entreprise qui est fatiguée de s'entendre proclamer utile ?
Si on fait intervenir ici le trésor public, pourquoi le fait-on ? Est-ce dans l'intérêt du projet ? Non, le projet n'en a pas besoin.
On trouve que l'affaire est trop bonne pour être abandonnée à l'industrie privée ; eh bien, si l'affaire est si bonne, faites-la donc vous-même ; voilà une conclusion naturelle et beaucoup plus logique que la vôtre.
Mais proclamer une affaire bonne, utile, productive et refuser de la faire soi-même et ne pas vouloir qu'elle se fasse par d'autres, est-ce que cela est raisonnable, est-ce que cela est libéral, est-ce que cela est juste ? J'irai plus loin, je demanderai si cela est humain ? En tout cas, cela n'est pas belge.
Si je me prononce avec une certaine émotion, c'est parce que d'anciens souvenirs me rappellent combien une pareille façon d'agir est cruelle, despotique et fait souffrir les intérêts qui sont en cause. A cet égard je dirai au nom des localités que j'ai l'honneur de représenter : Non ignara mali miseris succurrero disco. En employant ces expressions j'ai surtout en vue ces populations intermédiaires entre Bruxelles et Louvain, dont on a l'air de ne pas s'occuper, et cependant ces populations ont le droit incontestable de profiter des avantagess, de leur situation naturelle et nous aurions le plus grand tort de les dédaigner parce qu'elles demeurent dans des villages au lieu d'être établies dans des villes.
Je le sais bien, on nous dit : Le gouvernement ne refuse pas de faire cette affaire, il l'adopte en principe ; elle est déjà faite en principe. Mais voici ce qui me paraît assez singulier : il y a cinq ans, le gouvernement ne disait pas : Je ferai l'affaire : il disait : Je la fais, je la mets dans mon projet. Il l'a dit encore en 1858, il l'a répété en 1859 et aujourd'hui il dit : Je la ferai, mais il faut que je consulte d'abord mes bureaux, que je compulse mes archives.
Mais, messieurs, parler d'innovations à des bureaux c'est, permettez-moi l'expression, parler du diable à une béguine. (Interruption.)
Quand une affaire est reconnue bonne, utile, productive, la différer, l'ajourner qu'est-ce que c'est ? C'est gaspiller le temps qui est la chose la plus précieuse que le bon Dieu nous ait donnée.
Il y a une seule obligation plus ou moins spécieuse qu'on fait valoir ; c'est le préjudice, dit-on, qui résulterait pour le trésor de l'exécution de la ligne directe de Bruxelles à Louvain. On reconnaît que la ligne peut se suffire à elle-même ; mais, dit-on, si vous l'exécutez, vous aurez une diminution de recette considérable sur la ligne actuelle. Eh bi'en, cette objection que signifie-t-elle ?
Elle signifie, en définitive, qu'un projet parfaitement viable, pouvant marcher tout seul, doit être immolé aux exigences du fisc. Cela est-il juste ? Je défie qui que ce soit de soutenir la justice d'un pareil procédé, car enfin la conséquence logique d'un pareil système...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Ce n'est pas la question, vous faites de la fantaisie.
M. de Naeyer. - Avez-vous une autre objection à faire si ce n'est le préjudice qu'éprouverait le trésor ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je répondrai.
M. de Naeyer. - Si vous n'avez pas d'autre objection et si cette objection n'est vraiment pas sérieuse, n'ai-je pas le droit de m'étonner de votre résistance et de dire (car je ne veux pas aller jusqu'à vous accuser de mauvaise volonté) que vous immolez un projet reconnu utile et qui n'a pas besoin de vous, que vous l'immolez aux exigences du fisc ?
Eh bien, je dis que la conséquence rigoureuse de ce système, c'est que vous frappez d'une contribution exorbitante, exceptionnelles, des intérêts considérables, les intérêts du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, les intérêts de la civilisation qui souffrent de l'absence de cette nouvelle voie de communication qu'ils peuvent se procurer sans vous et par les seuls capitaux de l'industrie privée.
L'impôt le plus odieux, l'impôt véritablement despotique, c'est celui qui consiste à jeter l'interdit sur certaines localités en leur défendant de profiter des avantages de leur position naturelle, c'est-à-dire de contribuer à la prospérité générale, dans la mesure des forces que le bon Dieu leur a données.
Permettez-moi une supposition. Supposons que le gouvernement exécute lui-même la ligne et qu'ensuite calculant par sous et deniers (et il faut avouer qu'il le fait parfaitement), il vienne dire à Bruxelles et à Louvain et aux populations établies entre ces deux villes : Mais j'ai fait là un chemin de fer qui vous est très utile. Je dois reconnaître qu'il donne de bonnes recettes, qu'il me laisse un bénéfice assez considérable après déduction de l'intérêt du capital dépensé et des frais d'exploitation ; je ne perds pas sous ce rapport, mais je ne fais plus sur les anciennes lignes les mêmes recettes qu'auparavant ; il y a là une perte que je puis évaluer à un million ou à un demi-million ; de ce chef vous me devez une bonification, je vais vous frapper d'un impôt spécial, et cela sera juste parce que j'ai fait sur votre territoire une nouvelle voie ferrée qui est très productive, mais qui est nuisible à l'ancien chemin, parce qu'elle rend des services meilleurs.
Un pareil impôt ne serait-il pas trouvé ridiculement odieux et absurde ? Personne, certes, n'oserait le proposer. Eh bien, ce que vous rougiriez de faire directement, vous le faites indirectement d'une manière plus grave par votre refus inqualifiable de construire ou de laisser construire. Cet impôt monstrueux, vous le percevez au décuple par votre système de compression, que je ne puis assez flétrir, parce qu'en réalité on pratique ainsi dans un pays de liberté les maximes du despotisme.
On nous dit souvent et avec raison que le réseau de nos chemins de fer exploité par l'Etat est une grande chose. Eh bien, gardons-nous de dénaturer, d'avilir en quelque sorte cette grande chose ; n'en faisons point une divinité bienfaisante pour les uns et malfaisante pour les autres ; il ne faut pas qu'elle soit bienfaisante pour les uns et malfaisante pour les autres.
Je n'admets pas, quant à moi, que notre railway, ce grand et puissant instrument de la richesse publique, ait besoin du faire des victimes. Je n'admets pas qu'il ait besoin, pour prospérer, d'entraver, de paralyser une partie des forces vives du pays. Je n'admets pas cela. Soyons justes ; le gouvernement en exploitant le chemin de fer ne se fait-il pas en réalité industriel ? Et dès lors à moins de bouleverser les bases mêmes de notre régime économique, ne doit-il pas accepter les lois qui dominent le monde industriel ?
Or, le gouvernement doit donner le bon exemple en tout, c'est là un des plus beaux côtés de sa grande mission ; par conséquent il faut que le gouvernement comme industriel accepte courageusement et loyalement h grande loi de la concurrence, il faut qu'il accepte franchement ce grand principe, le seul vrai et le seul juste, savoir que dans le domaine de l'industrie la guerre n'est légitime que pour autant qu'on cherche à vaincre ses rivaux en rendant plus de services aux consommateurs, et puis le gouvernement n'a-t-il pas déjà un énorme privilège dans l'industrie des chemins de fer, par cela même qu'il est maître de revendiquer pour son propre compte toutes les entreprises qui pourraient lui créer une rivalité plus ou moins redoutable ? Or de quoi s'agit-il en réalité dans le cas qui nous occupe ? Mais d'une concurrence parfaitement loyale et qu'il est d'ailleurs loisible au gouvernement de désarmer en prenant l'entreprise pour son propre compte.
Je dis que la concurrence est parfaitement loyale ; car il est évident que le nouveau chemin ne peut nuire à l'ancien qu'en rendant des services plus parfaits, en desservant mieux le mouvement des personnes et des choses, c'est-à-dire, en contribuant dans de plus larges proportions à la prospérité du pays. Ainsi pour écarter cette nouvelle voie de communication, on doit réellement lui faire un crime de sa supériorité, et comment qualifier un tel acte dans un pays de liberté, dans un pays de bon sens ?
Messieurs, je viens de prouver assez longuement que l'objection, la seule que l’on puisse produire, n'es pas admissible en droit, alors même qu'elle serait fondée en fait ; eh bien, en fait, cette objection est également fausse, ce prétendu préjudice derrière lequel on se retranche est une chimère, je vais le prouver clairement.
Sans doute, il est clair comme le jour que du moment que ce chemin direct sera fait, il y aura une diminution de recette sur la ligne actuelle ; (page 1440) mais je crois qu'on exagère considérablement en évaluant cette diminution d'après le produit kilométrique actuel de la ligne de l’Est.
En effet, qu'est-ce que la nouvelle ligne peut enlever ù l'ancienne ? Un seul mouvement qui est considérable, je l'admets, savoir : le mouvement de Louvain et d'au-delà de Louvain sur Bruxelles et vice-versa. Mais ce mouvement ne forme qu'une partie des relations desservies par la ligne de Louvain à Malines ; vous avez en outre les relations d'Anvers et de Malines avec la ligne de l'Est qui a une longueur de 134 kilomètres et avec toute l’Allemagne ;vous avez encore les relations de la ligne de l'Est avec la ligne de l'Ouest qui a un développement de près de 200 kilomètres, de même qu'avec toute la ligne de Dendre-et-Waes ; vous avez en outre les relations internationales non seulement d'Ostende à Herbesthal, mais encore de Calais à Herbesthal.
Ainsi, nonobstant la construction du chemin de fer direct, la ligne actuelle sera loin d'être dépouillée de ses recettes, elle conservera une grande importance, elle restera incontestablement une des lignes les plus importantes de notre réseau national.
Le calcul de la perte qu'elle éprouvera, d'après son produit kilométrique actuel, est donc complètement faux ; mais M. le ministre a commis une erreur beaucoup plus grave encore parce qu'il n'a tenu aucun compte de l'économie qu'on fera sur la ligne actuelle si l'autre est construite ; il a même prétendu qu'il n'y aurait aucune économie quelconque.
Si je ne me trompe, il a prétendu que par suite de la construction du chemin de fer direct on ne pourrait pas supprimer un seul convoi entre Bruxelles et Malines.
Je ne pense pas qu'il soutiendra encore cette assertion complétaient erronée car voici le petit livret officiel, le Guide des chemins de fer, qui prouve diamétralement le contraire de cette assertion. Je trouve à la page 8 et 9 qu'il y a aujourd'hui de Bruxelles sur Malines 15 convois, et autant de Malines sur Bruxelles ; eh bien, de ces 15 convois huit seulement continuent sur la ville d'Anvers, un va vers Gand, donc six vont à Malines exclusivement pour le service de la ligne de l'Est, de Malines à Louvain et vers l'Allemagne.
Ces six convois, il est évident qu'on les supprimera du moment que le chemin direct sera fait. En effet à quoi serviraient-ils encore ? On pourrait les faire servir au plus pour les voyageurs se rendant aux grandes stations de Boort-Meerbeek, Haecht et Wespelaer. Cela évidemment ne serait pas sérieux.
Voilà donc six convois entre Malines et Bruxelles pour les services de l'Est qui prendront la route directe de Bruxelles à Louvain.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Et les voyageurs d'Anvers ?
M. de Naeyer. - Ils continueront à avoir huit convois allant de Bruxelles à Anvers et vicc-versa. (Interruption.)
Mais les six convois qui vont de Bruxelles à Malines et qui ne continuent pas sur Anvers ne sont-ils pas destinés exclusivement pour la ligne de l'Est, et la ligne directe étant établie, pourquoi donc n'iraient-ils pas directement vers Louvain au lieu de faire le détour par Malines ?
Les convois de Malines à Louvain, je l'admets ; mais je parle de la suppression immédiate des six convois entre Bruxelles et Malines continuant sur Louvain.
Je vous défie de donner une seule raison qui ait le sens commun pour maintenir ces convois. Ainsi voilà six convois qui seront surprimes entre Bruxelles et Malines et qui feront le service de Bruxelles à Louvain. Si M. le ministre désire s'en expliquer, je ne demande pas mieux que d'entendre ses explications ; car je sais certain que les observations qu'il présentera, je puis les réfuter à l'instant même.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Calculez ce qu’il faut pour maintenir de bonnes relations entre Bruxelles et Anvers et entre Bruxelles et l’Allemagne, et vous verrez que tous vos convois seront maintenus.
M. Hymans. - Tant mieux ; cela prouve que vous ne perdrez pas autant que vous le dites.
M. de Naeyer. - Vous prétendez donc que pour les relations entre Bruxelles et Anvers il faut quinze convois par jour ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il n'y a pas quinze convois.
M. de Naeyer. -Il y a quinze convois par jour entre Bruxelles et Malines. Je vais vous en donner la nomenclature, si vous le voulez ; elle se trouve à la page 8 du Guide officiel.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! c'est inutile.
M. Goblet. - Lisez, puisque l'on nie.
M. de Naeyer. - Je ne lirai pas, si l'on ne conteste pas. Mais lorsque M. ministre vient me dire qu'il n'y a pas 15 convois par jour, lorsque j'ai la nomenclature de ces convois sous les yeux, c'est comme si l'on niait l'existence de la lumière en plein jour
Il est évident que six convois entre Bruxelles et Malines pourront être supprimés et qu'ils suffiront à faire le service de la ligne directe entre Bruxelles et Louvain. De ce chef vous n'aurez pas une obole de plus à dépenser. Pour le service de traction, de locomotion, pour le service commercial, vous n'aurez pas une obole de plus à dépenser. Or, remarquez que ceci est très considérable ; c'est la partie la plus importante des frais d'exploitation. Le service de locomotion, de traction, de voiturage et de factage forme 66 p. c. de la dépense totale.
Messieurs, examinons d'un peu plus près cette fameuse objection du préjudice possible.
Evidemment deux hypothèses peuvent se présenter : ou l'Etat construira ou il concédera. Je vais examiner brièvement la question dans ces deux hypothèses.
Si le gouvernement construit, la question de la diminution de recettes disparaît complétement. Le gouvernement recevra sur la nouvelle ligne ce qu'il reçoit sur l'ancienne, sauf les accroissements dont je parlerai bientôt.
Il n'y aura donc pas de perte en réalité ; il n'y aura qu'un déplacement de recettes qui se feront toujours au profit de l'Etat.
Mais cela ne suffit pas, dit-on ; le gouvernement aura de nouvelles charges à supporter. Cela est évident, il aura dépensé un capital dont il doit servir les intérêts. Ce capital, je le suppose de 8 millions. Eh bien, je crois qu'en portant pour cette dépense 370,000 francs, c'est tout ce qu'il faut. Je crois que M. le ministre ne l'a pas élevée si haut.
Restent les frais d'exploitation, mais les frais d'exploitation nécessairement en déduisant les économies qui seront réalisées sur l'exploitation de la ligne actuelle. Comme je viens de le dire, M. le ministre avait calculé cela à 300,000 fr. Mais c'était dans la supposition tout à fait erronée qu'il n'y aurait pas d'économie sur l'autre ligne et je viens de faire voir que le service de locomotion, de traction, que le service de transport n'occasionnera pas un centime de nouvelles dépenses, puisqu'il s'agira uniquement de faire sur la nouvelle ligne ce que l'on fait déjà sur la ligne actuelle.
Quel sera donc l'accroissement de dépenses ? Ce sera la dépense d'entretien de la route et des bâtiments, de ce qu'on appelle le matériel fixe. Eh bien, cela est facile à calculer. C'est la plus faible partie des dépenses.
Qu'est-ce que cela représente ? A peu près le quart de la dépense totale. Or, aujourd'hui, nous savons que les frais d'exploitation en général nous coûtent à peu près 18,000 fr. par kilomètre exploité ; le quart est donc de 4,500 fr.
En calculant sur une longueur de 28 à 29 kilomètres, vous arrivez à une somme de 150,000 fr. à peu près. Mais évidemment cette somme ne sera pas nécessaire et cela pour plusieurs motifs. La dépense ne sera pas aussi élevée, parce que dans ce chiffre total des frais d'exploitation tel qu'il est renseigné : aujourd'hui, ainsi que l'administration du chemin de fer l'a déclaré à plusieurs reprises, on comprend une partie qui est employée à des travaux d'amélioration ; ensuite la rouie nouvelle sera établie dès le principe dans de bonnes conditions.
On emploiera des rails d'un fort poids, de 34 ou de 37 kil., d'un autre côté, on appliquera le système économique des éclisses, évidemment sous ce rapport la ligne nouvelle ne se trouvera pas dans les conditions de la ligne actuelle, et ne donnera pas lieu à une dépense d'entretien de 4,500 fr. par kilomètre.
D'un autre côté, il est à remarquer que dans cette dépense d'entretien, oa comprend les bâtiments, tout ce qui est matériel fixe. Or la nouvelle ligne n'aura pas de station composée de bâtiments d'un entretien coûteux. Les nouvelles stations ne seront, sous ce rapport, que d'une importance tout à fait secondaire.
La somme de 4,500 fr. par kilomètre exploité est donc exagérée, et il est évident qu'avec une dépense supplémentaire de 100,000 fr. le gouvernement pourra faire le service.
Voilà donc les charges nouvelles : 370,000 francs pour les intérêts du capital ; 100,000 franc i pour frais d'exploitation ; en tout 470,000 francs.
Eh bien, je demande s'il est possible de soutenir sérieusement que l'accroissement des recettes que doit donner la nouvelle ligne ne s'élèvera pas à ce chiffre. Je dis qu'il est impossible de soutenir aujourd'hui que nous avons vu fonctionner les chemins de fer depuis un quart (page 1441) de siècle que nous avons pu apprécier les lois qui président à leur mouvement et à toutes les transactions auxquelles ils donnent lieu ; aujourd’hui aussi que nous avons pu apprécier le résultat du raccourcissement des distances, je dis qu'il est impossible de soutenir sérieusement, et je ne crois pas que M. le ministre ose le soutenir, que la nouvelle ligne ne doit pas donner un accroissement de recettes d'au moins un demi-million.
Eh bien, il ne faut pas un demi-million pour couvrir toutes les nouvelles charges quelconques qui pourront incomber au trésor. Messieurs, il y a plus de dix-sept ans, je crois, que, pour la première fois, j'ai soutenu, dans cette enceinte, qu'on pouvait faire le redressement entre Bruxelles et Gand sans occasionner aucune perte au trésor. Ces paroles furent singulièrement accueillies, et j'ai appris plus tard que quelques honorables collègues s'étaient demandé s'il n'y avait pas quelque chose de détraqué dans ma tête, lorsque j'avançais cette théorie.
Mais depuis lors, le temps a marché. Nous avons pu constater les faits et je crois qu'aujourd'hui ce qui était hasardé alors est prouvé à la dernière évidence. Personne ne soutiendra sérieusement que la rectification entre Bruxelles et Gand a occasionné une perte au trésor, et cependant, messieurs, de Gand à Bruxelles, il n'y avait qu'une rectification de 25 p. c.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il y avait la ville d'Alost.
M. de Naeyer. - Mais entre Bruxelles et Louvain vous n'allez pas non plus parcourir des landes et des bruyères ; il y a là, messieurs, une population de 80,000 âmes.
Puis remarquez que la dépense entre Bruxelles et Gand a été plus forte et que la rectification était plus longue qu'elle ne le sera entre Bruxelles et Louvain et le contingent fourni par Alost a servi surtout à couvrir cet excédant de dépense.
- Un membre. - Il y avait de grands travaux d'art.
M. de Naeyer. - En effet, il s'agissait là de couper une crête de partage entre deux rivières ; il y avait en outre entre Bruxelles et Gand des ouvrages d'art considérables ; rien de semblable n'existera entre Bruxelles et Louvain.
Je le répète, messieurs, entre Bruxelles et Gand, le raccourcissement n'était que de 25 p. c, entre Bruxelles et Louvain il est de 35 p. c.
Vous pouvez donc vous attendre à des résultats au moins aussi favorables que ceux que vous avez obtenus de la ligne de Bruxelles à Gand.
Pour couvrir la charge que la construction de la nouvelle ligne imposera à l'Etat, il y a, messieurs, deux sources de revenus qui suffiront amplement, ce sont les recettes qui résulteront de l'accroissement du transport des personnes et des choses par suite du raccourcissement des distances, ce sont ensuite les recettes qui doivent provenir des nouvelles localités qui seront rattachées au réseau de nos voies ferrées et qui sont aujourd'hui en dehors de tout le mouvement des chemins de fer. Cette ressource, messieurs, se développera dans une très grande proportion.
Maintenant, messieurs, qu'arriverait-il en cas de concession ? Remarquez bien que, de l'aveu de tout le monde, la concession ne serait qu'un pis-aller.
La concession n'est indiquée que pour le cas où le gouvernement voudrait se renfermer dans son refus déraisonnable, suivant moi, de se charger de l'exécution du projet.
Nous supposons qu'on soit forcé de dire au gouvernement : Puisque vous ne voulez pas exécuter vous-même, eh bien, concédez ! Il est évident qu'une concession dans les conditions ordinaires serait onéreuse. La question de savoir s'il y aurait perte ou non, dépend des conditions de la concession.
Eh bien, sous ce rapport, il y aura incontestablement concurrence, vous n'aurez que l'embarras du choix. Vous pourrez donc faire vos conditions.
Quant à moi, je pense que dans le cas de concession, il faudrait traiter sur ces bases-ci : la part du gouvernement devrait suffire, au moins au bout d'un certain temps, pour indemniser l'État et de la diminution des recettes sur l'autre ligne et du supplément de frais d'exploitation qu'entraînerait l'existence de la ligne nouvelle.
Eh bien, messieurs, voici à cet égard des évaluations que je crois assez approximatives. Je pense que la ligne actuelle du chef du mouvement que je caractérisais tout à l'heure et qui sera enlevé à la ligne actuelle, peut donner environ un million de recettes, mais, d'un autre côté, il me paraît incontestable que la nouvelle ligne donnera au moins un million et demi.
Je ne dis pas que vous aurez ce million et demi justement sur le parcours entre Bruxelles et Louvain, mais vous devez tenir compte aussi de l'accroissement qui se produira sur le reste de la ligne de l'Est, et il y aura de ce chef une augmentation de revenu assez considérable. Eh bien, messieurs- je crois que l'on pourrait faire au concessionnaire ces conditions-ci ; c'est qu'au lieu de 50 p. c. comme la compagnie de Tournai à Jurbise, il aurait 25 à 35 p. c.
Il me semble qu'à ces conditions on trouverait des capitaux et alors le gouvernement serait en demeure, le calcul serait facile à faire et je crois inutile de vous présenter des détails.
Je ne vois donc pas, messieurs, quelle raison le gouvernement pourrait avoir de ne pas accepter la proposition des députés de Bruxelles. Remarquez bien, d'ailleurs, qu'il n'est pas absolument obligé de faire usage de l'autorisation qui lui serait donnée. Il reste libre.
Il a toute latitude pour examiner toutes las propositions qui lui seront faites, et si aucune de ces propositions ne lui semble garantir suffisamment les intérêts du trésor, il pourra encore soumettre à la Chambre l'exécution aux frais de l'Etat.
L'avantage, messieurs, que présente la proposition, c'est que son adoption constitue une décision de la Chambre sur la nécessité de faire le chemin de fer.
Je n'admets pas du tout ces décisions qui résultent implicitement de la discussion ; je préfère un vote.
Il est de notre dignité de trancher une bonne fois cette question. Voilà quatre ou cinq ans qu'elle traîne devant la Chambre, il est temps qu'elle soit résolue.
Je préférerais, messieurs, que l'on inscrivît dans la loi un premier crédit, comme on l'a fait dans le temps pour le chemin de fer de Bruxelles à Gand ; ce serait la chose la plus simple.
On pourrait encore autoriser le gouvernement à concéder la ligne à des conditions qu'il débattrait et qu'il n'accepterait qu'autant qu'il aurait la conviction qu'elles ne doivent pas trop léser le trésor, mais on lui accorderait en même temps un premier crédit pour exécuter lui-même dans le cas où il n'obtiendrait pas de conditions assez favorables pour accorder la concession.
Je pense, messieurs, que ce serait là la manière la plus rationnelle de résoudre la question, et je déclare franchement que je serais peiné qu'elle dût encore revenir à la Chambre.
Je crois qu'il est de notre dignité de la résoudre une bonne fois afin d'éviter à l'avenir ces tristes querelles de ménages, auxquelles nous n'avons assisté que trop longtemps, et en agissant ainsi nous aurons fait une bonne chose et posé un acte de justice.
M. le président. - Voici un amendement qui vient d'être déposé par MM. d'Hoffschmidt et de Moor :
« Il sera construit un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Les conditions d'exécution de ce chemin de fer seront soumises à l'approbation des Chambres législatives. »
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je dois, messieurs, prendre une dernière fois la parole pour replacer la question sur son véritable terrain eu ce qui concerne le gouvernement,
Nous avons, nos honorables adversaires et nous, marché sur des lignes parallèles, et en discutant ainsi, il est impossible que nous puissions jamais nous rencontrer.
Je n'ai pas contesté un seul instant, je ne contesterai pas plus aujourd'hui que je n'ai contesté hier ou avant-hier, l'utilité de la ligne directe de Bruxelles à Louvain. Ce que j'ai cherché à justifier dans mon premier discours, c'est la préférence que le gouvernement a accordée, de concert avec la section centrale de 1859, aux travaux publics compris dans te projet actuel.
Voilà un premier point que j'ai discuté. Un second point, c'est l'impossibilité pour le gouvernement, de se rallier à l'amendement qui lui octroierait le droit de concéder. Sur l'un et sur l'autre point, je dois maintenir la position du gouvernement ; mais, je le répète, celui-ci convient que la ligne directe de Bruxelles à Louvain doit être faite.
L'honorable préopinant m'a paru se rallier à l'amendement de la députation de Bruxelles ; eh bien, le gouvernement attache une telle importance à ce que cet amendement ne soit pas accueilli, que je crois devoir insister sur les considérations que j'ai fait valoir pour le combattre.
Je rappellerai d'abord que le système de construction de la ligne directe de Bruxelles sur Louvain, par voie de concession, a déjà été discuté et repoussé par la Chambre.
L'honorable M. Hymans nous a fait l'historique de la ligne directe. Je reprends à mon tour l'origine de cette affaire, en citant le dépôt d'un (page 1442) projet de loi fait, le 11 février 1856, par l'honorable M. Dumon. Voici ce que porte ce projet :
« Le gouvernement est autorisé à concéder, d'après un projet et un cahier de charges à arrêter par lui, la construction d'une ligne de chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, dont l'exploitation se fera par l'Etat. »
Vous voyez, messieurs, que le projet déposé en 1856 est identiquement l'amendement présenté par les honorables députés de Bruxelles ; on demandait pour le gouvernement l'autorisation d'accorder la concession à des conditions à déterminer par lui, sauf que l'exploitation devait être réservée à l'Etat.
Comment ce projet de loi fut-il accueilli par la Chambre ? Voici quelques passages de discours prononcés à cette occasion par des membres de cette assemblée ; et notez qu'il n'y a pas eu un seul discours en sens contraire.
L'honorable M. Osy s'exprimait en ces termes :
« Pour moi, je trouve que c'est, comme on l'a fort bien dit, un emprunt déguisé, avec des intérêts usuraires.,.. (Ce sont exactement les expressions dont je me suis servi moi-même.)... Comme heureusement la Belgique n'en est pas à payer des intérêts usuraires, poursuit l'honorable M. Osy, je crois qu'il faudrait plutôt construire cette ligne aux frais de l'Etat. C'est seulement à cette condition que je voterai le chemin de fer de Bruxelles à Louvain. »
Vous le voyez, messieurs, c'est bien la thèse que j'ai eu l'honneur de défendre devant vous.
Voici ce que disait M. Rogier, mon honorable collègue de l'intérieur ;
« D'après le projet de loi, le chemin de fer de Bruxelles à Louvain devait être construit par voie de concession ; je pense que le gouvernement ferait bien de renoncer à ce mode de construction pour une route qui doit faire partie intégrante et essentielle du réseau de l'Etat.
« Cette ligne doit être construite aux frais du trésor public.
« Je demande donc, non qu'on ajourne, mais qu'on retire les paragraphes proposés. Avec un simple ajournement, le gouvernement pourrait persister dans le système de concession. Or, je demande que M. le ministre y renonce et saisisse la Chambre, à l'ouverture de la session prochaine, d'un projet de loi qui autorise te gouvernement à faire construire la route aux frais de l'Etat. »
La discussion finit par un ajournement qui fut prononcé dans les conditions que je vais rappeler.
M. Dumon s'exprima dans les termes suivants en réponse aux observations présentées par l'honorable M. Rogier :
« La Chambre est également saisie de l'amendement de M. Orts ; ainsi l'ajournement ne préjugerait rien. »
Quel était cet amendement de l'honorable M. Orts ? L'honorable membre avait proposé ce qui suit :
« J'ai proposé, disait l'honorable M. Orts, que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain soit fait par l'Etat et non par une compagnie, et que ce chemin de fer soit fait d'après un tracé que j'ai indiqué et non d'après un tracé vague. Voilà un amendement. La Chambre l'admettra ou le rejettera ; mais elle le discutera. »
Ainsi, l'honorable M. Orts, qui demande aujourd'hui que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain fasse l'objet d'une concession, avait déposé en 1856, à l’encontre d'un projet qui demandait pour le gouvernement le droit de concéder, un amendement tendant à faire construire ce chemin par l'Etat ; la contradiction entre l'attitude que prend aujourd'hui l'honorable membre, et celle qu'il prenait en 1856 est flagrante ; elle serait inexplicable, n'était le désir que peut avoir aujourd'hui l'honorable M. Orts d'obtenir le chemin de fer à un prix quelconque.
Le gouvernement maintient donc l'opinion exprimée par divers membres de la Chambre en 1856, en prétendant que c'est l'Etat qui doit construire.
On veut que l'Etat concède. L'Etat dit : Je construirai, et même le plus tôt possible ; ceux qui veulent concéder achèteraient à un prix énorme une légère anticipation de jouissance ; cette anticipation de jouissance coûterait évidemment un grand nombre de millions, et le gouvernement ne veut, ne peut pas consentir à un pareil sacrifice.
Peut-être l'année prochaine, peut-être dans deux ou trois ans, mais enfin le plus tôt possible, et dans les limites des ressources du trésor public. L’Etat construira lui-même.
Quant à la promesse que le gouvernement vous fait d'entreprendre pour son compte la construction, dès que les ressources du trésor le permettront, cette promesse, vous reconnaissez vous-mêmes que c'est tout ce qu'il peut faire en ce moment ; en effet, tout en étant obligés de convenir que la construction par l'Etat est le mode le meilleur, vous ne voulez cependant pas demander à la Chambre les crédits nécessaires. N'est-ce pas implicitement avouer que les ressources n'existent pas en ce moment, que le gouvernement fait bien de s'abstenir ?
Ce que nous demandons, c'est donc un simple ajournement motivé par les circonstances.
L'honorable M. Orts nous dit : Pourquoi refusez-vous un droit de concéder qui ne vous oblige à rien ? Avez-vous peur de vous-mêmes ? Non, nous n'avons pas peur de nous-mêmes, mais nous pouvons être remplacés par un gouvernement qui aurait, à cet égard, une autre manière de voir.
Ce que nous craignons, messieurs, c'est qu'on ne crée des embarras et une position très onéreuse à l'Etat.
Est-ce que cette hypothèse est impossible ? Elle est si peu impossible que, sans remonter bien haut dans nos Annales parlementaires, nous trouvons un exemple frappant des charges considérables qu'on pourrait imposer au trésor public par un système de concession mal conçu.
En relisant certaines discussions de 1856, qu'est-ce que nous voyons ? Nous rencontrons un projet de loi pour la construction du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, par voie de concession, avec réserve de l'exploitation par l'Etat.
L'honorable M. de Naeyer et bien d'autres membres de cette Chambre s'en souviennent, la combinaison de Luttre à Denderleeuw ne reçut guère bon accueil. Voici en quoi elle consistait : Le constructeur de la ligne devait toucher, pendant 50 ans, les 48/100 du produit moyen kilométrique des chemins de fer de l'Etat.
L'honorable ministre qui présentait le projet par cela seul qu'il le présentait, prouvait qu'il était convaincu que ce projet était bon, qu'il sauvegardait suffisamment les intérêts du trésor. Donc si une disposition de loi lui avait donné le droit de passer définitivement,contrat sans autre examen des Chambres, il faut supposer qu'il aurait fait usage de ce droit pour consacrer la combinaison proposée.
Eh bien, je suis persuadé que si la ligne s'était concédée suivant cette combinaison, il en serait résulté des conséquences regrettables pour les finances publiques.
Quelle a été l'opinion de la Chambre sur ce point ? Les annuités devaient être, d'après le projet de 50 ans ; l'honorable M. de Theux, proposa par voie d'amendement de les réduire de 50 à 40 ; et l'amendement fut accepté par les demandeurs en concession et par le gouvernement. Ainsi, sur une simple proposition due à l'initiative d'un membre de cette Chambre, le nombre des annuités fut d'abord réduit d'un cinquième.
Et cependant, ce contrat rendu ainsi infiniment plus favorable à l'Etat, ne fut pas encore agréé par la Chambre comme constituant un état de choses équitable.
J'en conclus qu'éventuellement vous mettriez dans les mains d'un ministre une arme à deux tranchants, que vous lui donneriez un pouvoir trop grand : il pourrait accepter des stipulations extrêmement onéreuses ; il pourrait, en d'autres termes, faire un contrat déplorable, pour les intérêts du trésor, sans possibilité de revenir sur le fait accompli.
Voilà ce que nous ne pouvons pas accepter.
Qu'est-ce que j'ai offert ? J'ai offert de venir vous rendre compte, à une époque rapprochée, de toutes les demandes en concession qui pourraient avoir été adressées au gouvernement.
L'honorable M. Orts me dit : Mais vous ne nous donnez rien ! Nous avons toujours le droit de demander compte au ministre et de faire produire à la Chambre les différentes demandes de concession qui lui seraient parvenues. Par conséquent, nous avons déjà ce que vous nous offrez.
Non, messieurs, vous ne l'avez pas ; on plutôt, pour apprécier les avantages de ma proposition, vous devez vous placer à un autre point de vue.
Sans doute, vous avez toujours le droit de requérir du ministre qu'il fasse connaître les demandes qui lui auraient été adressées. Mais il est évident que si l'on fixait, dès aujourd'hui, l'époque à laquelle le gouvernement aurait à rendre compte de la situation sous ce rapport, les spéculateurs étant avertis qu'ils peuvent utilement présenter leurs demandes avec certitude qu'elles seraient examinées par les Chambres, ne manqueraient pas de se mettre à l'envi sur les rangs ; et c’est pour cette raison que je soutiens que ma proposition vous assure les avantages de votre amendement sans en offrir les inconvénients.
Votre amendement ne pourrait avoir d'autre utilité, et cette utilité vous est acquise.
(page 1443) En résumé, messieurs, sans vouloir prolonger ce débat, je persiste à croire que la Chambre ne doit pas se rallier à l'amendement présenté par les honorables députés de Bruxelles ; que le système de concession serait des plus onéreux. Je persiste à déclarer que le gouvernement est partisan de la ligne directe de Bruxelles à Louvain et qu'il doit la faire lui-même à l'époque la plus rapprochée possible.
S'il est une proposition quelconque qui donne un corps à cette déclaration, le gouvernement s'y ralliera, mais il croit, en prenant cette attitude, marquer sa position d'une manière complètement honorable pour lui.
M. le président. - Voici l'amendement annoncé par M. le ministre de l'intérieur. C'est une rédaction nouvelle du paragraphe 8 de l'article 5.
« Pour acquisition de terrains et dépenses de construction pour le tir nationnal et subsides pour d'autres tirs : fr. 300,000. »
A l'appui de cet amendement M. le ministre vient de me remettre une note. Je propose à la Chambre de la faire imprimer et distribuer.
- Adopté.
M. Guillery. - La position que prend le gouvernement est véritablement étrange, et je ne suis pas bien sûr que l'honorable ministre des travaux publics se rende bien compte lui-même de ce qu'il nous promet et de ce qu'il ne nous promet pas.
Il désire que nous nous contentions de sa promesse, et puis quand il s'agit d'exécuter, il déclare qu'il n epromet rien du tout.
Il promet que dans un, dans de deux, dans trois ans, « peut-être », comme trois ans est un délai très rapproché, il faut y ajouter le correctif « peut-être », nous aurons le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain.
Ce chemin de fer est excellent, le gouvernement veut le faire. Personne ne l'empêchera de le faire. Ou voudrait s'y opposer, qu'il le ferait encore, mais peut-être dans trois ans, peut-être un peu plus tard. Voilà la promesse qu'on nous fait.
Est-ce que c'est là une promesse ? Est-ce que cela engage le gouvernement en quoi que ce soit ? Est-ce que cela donne satisfaction en quoi que ce soit aux intérêts qui sont en jeu ?
Si l'on promettait pour les autres travaux publics, pour la canalisation de la Meuse, par exemple, dans trois ans peut-être, je serais curieux de savoir si les honorables députés de Liège se déclarerait satisfaits.
Il est très beau de travailler pour les générations futures, mais comme l'a très bien dit l'honorable M. de Naeyer, lorsqu'il s'agit d'une voie de communication qui suffit à elle seule à ses dépenses, qui produit plus qu'elle ne coûte, personne n'a le droit de demander l'ajournement de l'exécution.
L'ajournement, messieurs ! mais il y a cinq ans que l'on joue de cet instrument devant la Chambre.
Ou vient de vous parler de la discussion de 1856.
Savez-vous ce qui a été dit en 1856 ?
On a fait alors des promesses beaucoup plus claires, beaucoup plus précises qui engageaient beaucoup plus le gouvernement que celles que l'on fait aujourd'hui, c'est-à-dire qu'à l'égard du chemin de fer de Bruxelles à Louvain ; à mesure que nous nous éloignons de 1856, les promesses du gouvernement deviennent moins formelles, moins précises, moins rassurantes.
L'honorable M. Orts disait, dans la séance du 17 mai 1856 :
« Je proposerai l'ajournement à la session prochaine des deux paragraphes. De cette manière la Chambre restera saisie. »
Elle restait déjà saisie en 1856 comme elle le reste aujourd'hui et comme on nous propose de la laisser saisie.
L'honorable M. Rogier disait :
« Cette ligne doit être construite aux frais du trésor. »
Or, à la session suivante, l'honorable M. Rogier était chef du cabinet, et il a tenu parfaitement sa promesse ; il a présenté un projet de loi conformément à ce qu'il avait demandé ; mais il s'est borné à la présentation.
Or, il est évident qu'on ne s'était pas attendu à ce que, quand on s'engageait à présenter un projet de loi, c'est seulement à le présenter, dans l'acception rigoureuse du mot, qu'on s'était engagé et non à la faire discuter, et à tâcher de le faire réussir.
En 1859, on tient la promesse faite et on présente le projet de loi. Voilà la promesse exécutée : le chemin de fer doit se faire aux frais de l'Etat.
On a beaucoup discuté sur la part qui revenait au Brabant dans les différents travaux publics. Je ne veux pas revenir sur cette discussion. Toujours est-il que le gouvernement par son projet avait déterminé la part afférente au Brabant, et dans cette part figurait le chemin de fer de Bruxelles à Louvain ou plutôt ce chemin de fer la composait tout entière.
Qu'a-t-on fait en 1859, quand on a présenté le projet de travaux publics en même temps que le projet de fortification, quand on a enchevêtré ces deux projets qu'on déclarait indivisibles ?
On a laissé de côté la part du Brabant et deux années après on vient partager entre les autres provinces cette part qu'on avait réservée.
Et aujourd'hui, après nous avoir pris notre bien, la part qu'on avait déterminée comme étant nôtre et que le ministère avait déclarée telle en 1859, après l'avoir prise et partagée entre les autres provinces, on nous dit : Mais, nous n'avons plus rien ; nous mourons d'envie de faire ce chemin, mais nous n'avons plus le sou ! Je le crois bien, vous avez partagé entre les autres provinces ce qui avait été d'abord réservé au Brabant et puis vous venez dire à la Chambre : Nous sommes prêts à faire ce chemin de fer, mais pour cela il faut que tous les autres arrondissements renoncent à leurs travaux publics.
Je le crois sans peine ; mais prenez donc l'argent que vous destinezs à telle ou telle province ; répartissez-le entre les huit autres et demandez ensuite, quand la Chambre sera saisie d'un projet de loi en faveur de cette province, si elle consent à y renoncer bénévolement en faveur des huit autres.
Il est évident que ce n'est pas en posant ainsi la question que nous aurons jamais le chemin de fer direct.
En 1859 (on avait ajourné déjà depuis 1856), voici ce qui s'est passé, et je dois y revenir parce que M. le ministre des travaux publics a donné aux paroles que j'at alors prononcées une étrange portée ; c'est-à-dire qu'il me fait dire tout le contraire de ce que j'ai dit.
Il cite textuellement pour me faire dire exactement le contraire de ce que j'ai dit. M. le ministre a prétendu, dans une séance à laquelle je n'assistais pas, dans la séance du 2 mai, que j'avais résumé la discussion en disant que le gouvernement aviserait et qu'il présenterait plus tard ceux de ces travaux qui lui paraîtraient les plus utiles. Or, messieurs, cette pensée qu'on a rappelée comme étant le résumé de la discussion, se trouvait exprimée au commencement de mon discours et c'était l'expression d'un sentiment de défiance, il faut bien le dire.
Je disais : Vos promesses ne sont que des promesses ; qui me dit que dans deux ans, vous ne viendrez pas proposer, au lieu du chemin de fer que nous réclamons, d'autres travaux publics ; c'est-à-dire, faire ce qu'en réalité on fait aujourd'hui.
Or, que dit M. le ministre des travaux publics ? Il nous dit : Vous le voyez bien, ce que nous faisons aujourd'hui, on l'avait prédit en 1859. C'est-à-dire que je vous ai dit en 1859 que vous ne tiendriez pas votre promesse ; et vous venez vous glorifier aujourd'hui de ce que vous avez réalisé mes craintes !
Vous venez aujourd'hui invoquer mes paroles, qui exprimaient une pensée de défiance, pour prouver que j'étais de votre opinion à cette époque ! Il faut avouer, messieurs, que, de toutes les fautes de logique qu'il y a eu dans l'argumentation de M. le ministre des travaux publics, depuis le commencement de la discussion, c'est à coup sûr la plus étrange et la moins excusable.
Que s'est-il passé en 1859 ? Je disais : Le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain est présenté par le gouvernement ; la Chambre est saisie par le gouvernement.
Or, ajoutais-je, dans ma pensée, il est presque impossible à la Chambre de voter des travaux publics s'ils ne sont présentés par le gouvernement lui-même, parce qu'il y aura toujours des objections tirées de la situation financière ou du défaut d'études.
Je désire donc, disais-je, que le projet de loi, s'il est ajourné, reste à l'ordre du jour comme présenté par le gouvernement, comme résultant de l'initiative gouvernementale ; et qu'il ne soit .pas simplement ajourné parce que le gouvernement pourrait bien, dans ce cas, y substituer d'autres projets. Mais j'avoue que mes craintes n'allaient pas aussi loin que ce qui arrive aujourd'hui, c'est-à-dire que la Chambre ayant à se décider entre la proposition de la section centrale qui disait : Ne faites pas le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, remplacez-le par des travaux plus utiles, pour la capitale et pour le Brabant, et la proposition du gouvernement ; je ne m'attendais pas à ce que le gouvernement se représentât devant la Chambre, sans les projets qu'il vous avait promis la première fois et sans ce que la section centrale proposait pour les remplacer.
C'est-à-dire qu'on tire parti du conflit avec la section centrale pour ne nous présenter ni l'un ni l'autre des systèmes. C'est donc aller tout (page 1444) à la fois contre les vues de la section centrale et contre celles du gouvernement de l'époque.
Voici messieurs, comment le projet de loi a été ajourné.
(erratum, page 1451) Je disais en terminant :
« Je demande donc catégoriquement si le ministère s'engage à présenter soit avec d'autres projets, soit isolément, le projet de chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain par Cortenberg. (Interruption.) Ma question est bien catégorique. Je demande qu'on s'explique clairement ; je n'accuse personne (interruption au banc des ministres), je n'ai rien dit de blessant pour personne ; j'ai caractérisé la portée de la déclaration du gouvernement, à savoir que le paragraphe 15 resterait à l'ordre du jour.
« M. le ministre des finances. - Le projet est présenté et il est maintenu à l’ordre du jour. »
Il résultait donc de cette déclaration que le projet était maintenu à l'ordre du jour comme résultant de l'initiative gouvernementale.
(erratum, page 1451) M. le ministre de l'intérieur disait à son tour :
« C'est donc, messieurs, sans aucune espèce de raison qu'on adresse ici un reproche au gouvernement. Le gouvernement veut le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, mais il agit de manière à assurer la réalisation de ce désir.
« L'honorable M. Guillery le veut aussi, mais il agit de telle manière que très vraisemblablement l'objet de ses vœux lui échappera.
« Je l'engage, pour ma part, à prendre quelque patience jusqu'à la session prochaine, et je ne doute pas qu'alors le projet ait plus de chance d'être admis par la Chambre. »
Notez, messieurs, qu'à cette époque et cela résulte des réponses faites par M. le ministre des travaux publics à la section centrale, le gouvernement tenait énormément, comme il tient encore aujourd'hui, à ce chemin de fer ; le gouvernement le réclamait de tous ses vœux, et s'il ne persistait pas dans ses propositions, c'était par déférence pour la section centrale ; c'était parce que la section centrale ayant émis des doutes, le gouvernement saisi de respect n'a pas osé aller plus loin.
Mais aujourd'hui on nous signifie très clairement que non seulement la section centrale, mais la Chambre, déciderait que le chemin de fer de Bruxelles à Louvain devrait être exécuté par concession, le gouvernement n'en fera rien, qu'on ne lui forcera par la main.
Je demande, messieurs, si en présence de ce qui s'est dit à la Chambre, du vœu clairement manifesté et qui le sera mieux encore quand on aura passé au vote, comment le gouvernement pourrait se refuser à réaliser un vœu qui a été émis à plusieurs reprises sous prétexte qu'il veut faire mieux, alors que ce mieux il ne le fait pas.
Pour terminer avec cette séance du 27 août, voici comment s'exprimait M. le ministre de l'intérieur :
« Messieurs, le gouvernement se trouve ici dans une position toute particulière. Si nous étions des adversaires du chemin de fer de Bruxelles à Louvain, la position serait facile pour nous : la section centrale nous fait des offres magnifiques, des offres qui sont personnellement agréables à quelques-uns de nous. Ainsi la section centrale, en repoussant le chemin de fer de Bruxelles à Louvain et l'approfondissement du canal de Gand à Bruges, propose au gouvernement de remplacer ces travaux par d'autres. Elle nous offre notamment un palais des beaux-arts à Bruxelles. Mais, c'est la réalisation d'un vœu que je poursuis depuis un grand nombre d'années, et je l'avoue, si je ne voyais dans cette discussion que la satisfaction de mes vœux personnels, j'accepterais des deux mains cette première offre que nous fait la section centrale. »
L'approfondissement du canal de Gand à Bruges, nous l'avons voté, nous avons été moins respectueux pour les vœux de la section centrale.
Quant au vœu que vous poursuivez comme vous poursuivez le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, c'est toujours en allant moins vite que lui de manière à ne jamais l'attraper.
Mais dit M. le ministre des travaux publics comment pouvez-vous vouloir que nous fassions un chemin de fer alors que nous n'avons pas d'argent ?
Jamais quand les Chambres proposeront un travail d'utilité publique, le gouvernement n'aura d'argent, parce qu'il dispose de l'argent qu'il a pour des travaux qu'il trouve préférable d'exécuter.
Il y a quelques jours quand il s'est agi de voter 15 millions pour le matériel de l'artillerie, M. le ministre des finances nous a dit que nous finances étaient on ne peut plus florissantes. J'ai été tellement séduit par la situation du trésor qu'on nous a présentée, que j'ai cru qu'on n'avait qu'à y puiser à pleines mains, que nous pourrons faire deux chemins de fer de Bruxelles à Louvain. Depuis lors la situation s'est assombrie, d'abord on a voté 15 millions, c'est cela de moins.
Le gouvernement poursuit de ses vœux le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, soit, mais il n'en poursuit pas l'exécution,
Tout ce qui a été dit par M. le ministre des travaux publics contre ce chemin ; difficultés d'exécution, frais d'exploitation, je n'ai pas à m'en occuper, il se réfute lu- même ; je lui laisse le soin de se réfuter. Quand il a présenté son projet en 1859, il a dit : La nécessité de la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain n'a pas besoin d'être démontrée.
Mais, nous dit-on, il y a des travaux peut-être plus urgents qui appellent notre attention plus que celui-là. Comment se fait-il qu'en 1859, il avait cette préférence que nous réclamons, puisqu'il a figuré dans le projet de loi que vous avez présenté, avec l'intention évidemment de faire réussir le projet, puisque c'était la part déterminée de la province de Brabant.
Ses promesses aujourd'hui quelles sont-elles ? Est-ce que le ministre prétend que dans trois ans il sera encore au pouvoir et à même détenir la promesse qu'il fait ? Ce sont des choses très problématiques, à moins de pronostiquer, ce qui est défendu par le Code pénal, il est difficile de dire ce qui arrivera d'ici à trois ans ; nous ne savons pas si un ministre ne sera pas appelé à une autre position plus intimement liée aux intérêts de la province de Brabant, mais qui ne lui permettra pas de les défendre avec autant d'autorité qu'aujourd'hui.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est bien obscur.
M. Guillery. - Quand on fait métier de pronostiquer, on est toujours obscur. Les promesses qu'on nous fait sont claires, elles ont cependant aussi quelque chose d'obscur : c'est le jour de leur réalisation.
En résumé, je dirai que la nécessité de construire le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain n'a pas besoin d'être démontrée. Voir l'exposé des motifs de 1859.
Je ne dis pas qu'on puisse le faire aujourd'hui sans compromettre la situation financière en imputant la dépense sur les ressources ordinaires, je n'engagerai pas non plus le gouvernement à émettre des bons du trésor pour une somme aussi considérable que celle de 7 millions, mais je dis que si le gouvernement prenait l'engagement de construire la ligne et imputait sur les ressources ordinaires une première somme pour commencer les travaux, il y aurait quelque chose de plus qu'une promesse de commencer peut-être ces travaux dans trois ans.
D'abord cette dépense de 7 millions est exagérée. Il ne s'agissait autrefois que d'une dépense de quatre millions, et comme l'a fait observer M. Prévinaire, elle va grossissant. On n'a fait une remarque qui m'a frappé, c'est qu'il était facile d'éviter aux abords de Louvain et de Bruxelles les expropriations aux endroits où les travaux sont le plus coûteux ; un entrepreneur très expérimenté m'a assuré qu'il serait prêt à se charger de cette construction pour 5 millions, qu'il était prêt à soumissionner pour cette somme.
Que la construction soit faite par l'Etat, ou par une compagnie avec exploitation par l'Etat, peu importe ; cependant,, j'avoue que ce dernier mode n'est pas le meilleur.
Je suis de l'opinion de M. Rogier et de M. Orts. En 1856 j'aurais demandé que l'exécution se fît par l'Etat. Je crois que nos collègues de Bruxelles partagent mon opinion.
Mais la situation du trésor ne le permet pas, il faut que nous aboutissions à quelque chose.
Il serait curieux que nous n'eussions pas notre chemin de fer parce qu'il est bon ; on nous l'accorderait s'il ne valait pas plus que le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.
M. le ministre a dit : Là je comprends, on peut faire construire par une compagnie, mais le joyau de Bruxelles à Louvain est trop précieux pour que je le laisse échapper. Nous disons au gouvernement : Assez de promesses comme cela. Depuis 1856, l'arrondissement de Bruxelles en a eu de reste ; à moins d'être insatiable, il doit pouvoir se déclarer satisfait sous ce rapport, il n'en veut plus.
Nous demandons la construction par une compagnie avec exploitation réservée au gouvernement. Si le gouvernement, comme je n'en doute pas, en présente du vœu de la Chambre se regarde comme engagé à donner la concession, d'ici à peu de temps il aura trouvé un concessionnaire, et les travaux seront commencés. Nous sommes arrivés à ce dernier moyen en désespoir de cause.
Cela nous coûtera peut-être un peu plus cher ; mais peut-être cela nous coûtera moins. Car la compagnie qui entreprendra la construction peut se tromper. Il y a toujours de l'aléatoire dans ce que fait une compagnie, dans la construction d'un travail quelconque.
(page 1145) Il donc très possible qu'un entrepreneur fasse la construction à moindre prix que celui auquel construirait le gouvernement lui-même. Car évidemment les entrepreneurs se trouvent dans de meilleures conditions pour travailler économiquement. Il n'est donc pas prouvé comme l'a dit M. le ministre des travaux publics dans ses réponses à la section centrale, que cette manière de faire construire soit toujours la plus onéreuse ; cela dépend des conditions.
Il est bien vrai que l'honorable ministre a ajouté qu'évidemment les entrepreneurs qui mettront leurs capitaux dans une semblable compagnie en demanderont plus qu'ils n'auraient à demander s'ils plaçaient leur argent en fonds publics.
Or, ils peuvent avoir 4 1/2 p. c. en fonds publics ; ils demanderont davantage. Je répondrai à cela que si le gouvernement empruntait, il emprunterait à plus de 4 1/2 p. c, et que si l'on trouve l'opération bonne, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'il emprunte à 4 1/2, un peu plus cher, si l'on veut, la somme nécessaire pour le faire, mais d'une façon ou d'autre il faut que ce travail se fasse.
Il est vraiment singulier qu'un chemin de fer soit impossible de toutes les façons, par le gouvernement parce que le gouvernement ne veut pas le construire ; par une compagnie, parce que le gouvernement veut le construire, c'est-à-dire qu'il est trop bon pour qu'on le donne à une compagnie, qu'il est trop cher pour que le gouvernement le fasse lui-même. Evidemment cette position n'est pas acceptable, et je ne comprends pas qu'on vienne la soutenir devant la Chambre.
Il faut que nous ayons, dans la session actuelle, une solution de la question. Nous en offrons une ; les honorables MM. d'Hoffschmidt ci de Moor en offrent une autre. Nous aurons à choisir celle que nous considérons comme la plus avantageuse au trésor, comme la plus favorable. Mais il faut que nous en ayons une. Si le gouvernement en avait présenté une sérieuse, il est probable que nous nous y serions ralliés Mais le gouvernement n'a rien proposé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai demandé la parole, lorsque l'honorable M. Guillery a fait allusion au discours que j'ai prononc » dans la discussion du projet de loi de 15 millions. Mais dans la suite de son discours, l'honorable membre a fait lui-même justice d'une sorte de plaisanterie - cela n'avait pas d'autre caractère - qui n'avait pas même le mérite de la nouveauté pour l'assemblée.
A l'en croire, je serais venu faire miroiter aux yeux de la Chambre une situation financière des plus prospères, des plus brillantes, un trésor abondamment pourvu, tandis qu'aujourd'hui le gouvernement viendrait invoquer un état de pénurie qui le mettrait dans l'impossibilité d'exécuter les travaux publics qui sont demandés.
Mais l'honorable membre s'est chargé lui-même un instant après de réfuter son argumentation. Je reconnais, a-t-il dit, que dans l'état actuel des choses et vu les dépenses qui ont déjà été votées, il n'y a pas lieu d'ajouter encore à toutes ces dépenses, dans ce moment, un crédit considérable pour l'exécution du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Je reconnais même que le gouvernement, dans les circonstances actuelles, ne doit pas émettre de bons du trésor pour une somme un peu notable.
L'honorable membre avoue donc qu'il ne s'est pas fait illusion s r mes paroles, qu'il m'a très bien compris, lorsque j'ai parlé de la situation du trésor.
Qu'ai-je dit d'abord ? j'ai dit que la situation financière était bonne, était excellente, que les engagements que nous avions contractés n'allaient pas au-delà de ce que la prudence conseillait, qu'il y avait certitude, à moins d'accidents improbables, que nos prévisions ne seraient pas trompées. Mais quelqu'un a-t-il pu en conclure que l'on pouvait indéfiniment voter des dépenses, accroître indéfiniment les charges du trésor ? Assurément non.
De même qu'on est injuste en s'exprimant comme vient de le faire l'honorable membre, on est injuste quant aux griefs que l'on fait au gouvernement sur le fond même de la question. Quelle est en réalité la situation ? Un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain a été annoncer, proposé, depuis plusieurs années.
Le gouvernement ne dit pas faire en vain des promesses aux populations ; elles ne doivent pas être leurrées. On a dit, en 1856, que ce chemin de fer était possible, qu'il devait s'exécuter. Le gouvernement l'a proposé par voie de concession. La Chambre a été appelé à statuer ; elle a rejeté la proposition qui lui était faite.
Nous sommes venues après. Nous avons déposé une proposition formelle d'exécution par 1’Etat ; cette proposition, je ne parle pas de ce qui est arrivé en 1858, cette proposition de 1859 a été, on ne peut le méconnaître, très froidement accueillie par la Chambre. Notre projet était menacé de rejet. Il est arrivé en section centrale dans une pitoyable situation, et la section centrale, à l’unanimité de ses membres moins un, l’honorable M. Orts, en a proposé le rejet.
Messieurs, est-ce la faute du gouvernement, si telles étaient les dispositions de la Chambre ? Le gouvernement, tout en présentant ce projet de loi, ne pouvait pas se dissimuler et ne s'est pas dissimulé un seul instant les grandes difficultés qu'il devait rencontrer, l'objection capitale qui se dressait devant lui.
Ce chemin de fer est bon, il est utile ; il rendra des services ; c'est incontestable ; mais il y a des choses plus urgentes à faire.
Voilà ce qui s'est dit sur tons les bancs de la Chambre. On ne nie pas qu'il est utile ; on voudrait pouvoir l'exécuter ; mais il y a des choses qui semblent plus urgentes, il faut bien le dire, à la grande majorité de la Chambre ; c'est contre cela que nous-mêmes nous luttons.
M. de Naeyer. - Vous ne luttez pas ; vous ne faites rien.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pardonnez-moi. Nous n'avons pas voulu, en présence de cet insuccès probable, que le chemin de fer fui rejeté par la Chambre, et nous avons demandé l'ajournement.
Voyons ce que le gouvernement a fait lorsqu'il a acquis la conviction que les dispositions de la Chambre ne s'étaient point modifiées.
De nouvelles propositions sont formulées. Eh bien, l'on cherche de bonne foi, loyalement, des compensations pour la province de Brabant. La province de Brabant ne comprend pas seulement Bruxelles et Louvain. Que fait-on dans le nouveau projet ? On substitue pour le moment aux propositions primitives un chemin de fer de Louvain à Herenthals et un chemin de fer d'Aerschot à Diest.
Voilà ce que vous ne tenez pas pour une compensation. Or, c'est une dépense supérieure à celle qui devait résulter de l'exécution du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Ces deux travaux emportent assurément 8 à 9 millions et le gouvernement propose un concours direct de 2 millions et une garantie efficace pour assurer l'exécution de ces travaux.
C'est dans la province de Brabant aussi que ces travaux doivent s'exécuter.
Proclamons-nous après cela que nous sommes hostiles au chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain ? En aucune façon ; s'il y avait le moindre espoir, et vous-mêmes vous ne l'avez pas, d'assurer une majorité en faveur de ce projet, mais la proposition de 1859 restant, pourquoi donc le gouvernement ne persisterait-il pas dans cette proposition ? Quel motif pourrait-il avoir de ne pas le faire ?
Maintenant vous le reconnaissez si bien vous-mêmes, l'honorable M. Guillery vient de le dire, que l'exécution directe n'est pas possible en ce moment, que vous formulez une proposition d'exécution par voie de concession, et que dites-vous vous-mêmes de votre proposition ? Ce n'est pas ce que je voudrais ; cette exécution sera onéreuse pour le trésor public, il vaudrait mieux autre chose, mais c'est par nécessité que nous arrivons à cette proposition.
C'est donner raison au gouvernement, car le gouvernement vous dit qu'il ne combat la concession que parce qu'elle serait trop onéreuse, parce que ce serait un emprunt usuraire.
Il vaut mieux attendre, pas trop longtemps, j'en suis convaincu ; le chemin de fer sera exécuté par l'Etat.
On nous dit : Singulière destinée, le chemin de fer ne peut pas être exécuté par l'Etat et l'Etat ne veut pas le concéder ; il ne veut pas le concéder parce qu'il est trop productif et il ne veut pas l'exécuter parce qu'il n'a pas d'argent, malgré le profit qu'il en tirerait.
On perd de vue, messieurs, qu'il s'agit ici d'une ligne tout à fait exceptionnelle.
Si vous aviez affaire à un concessionnaire voulant tout à la fois construire et exploiter la ligue, votre argument vaudrait quelque chose ; mais il s'agit d'une ligne qui serait construite par le concessionnaire et exploitée par l'Etat. L’Etat est en possession des deux extrémités de la ligue, il est en pleine possession des recettes qui se font à Bruxelles et à Louvain et il ne se présentera pas de concessionnaire s'il doit exécuter et exploiter. Il s’exposerait beaucoup trop dans cette hypothèse.
L'honorable M. de Naeyer nous disait tantôt qu'il faut que l'Etat, comme les particuliers, se soumette à la règle générale de la concurrence ; mais je voudrais bien voir quelle est ici la concurrence qui se présenterait pour accepter la concurrence de l'Etat. Celui qui le tenterait serait certain de se ruiner. (Interruption.) Un concessionnaire qui exécuterait et exploiterait la ligne...
(page 1446) M. de Naeyer. - Il ne s'agit pas de cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est précisément parce que les conditions sont tout à fait exceptionnelles que les arguments que vous faites valoir relativement aux principes généraux, en matière de concession, ne sont pas applicables à ce cas particulier.
Messieurs, je ne vois dans les propositions formulées rien qui puisse donner une satisfaction réelle aux honorables membres.
En effet, supposons l'amendement adopté. Le gouvernement est autorisé' à concéder, mais le gouvernement ne concédera pas, il vous l'a dit, il a dit pourquoi et on lui donne raison d'avance.
Le gouvernement ne concédera pas, non pas, comme l'a dit M. Orts, parce que nous aurions peur de la responsabilité, mais parce que les conditions qui nous seraient faites, quelles qu'elles fussent, seraient toujours mauvaises pour l'Etat.
Au surplus, messieurs, quand il serait vrai que le gouvernement ne voulût pas concéder à raison de la responsabilité qu'il accepterait, dans cette hypothèse, je dis qu'il ferait bien. Autorisé à concéder je suis convaincu que si une proposition lui était faite, qui lui parût acceptable il proposerait un projet de loi et associerait les Chambres à la responsabilité de la mesure.
II ne s'agit pas ici, messieurs, d'un acte passager, temporaire, limité à un temps très court ; il s'agirait d'une concession qui en toute hypothèse devrait durer un demi-siècle et peut-être plus ; par conséquent avant d'engager sa responsabilité dans un pareil acte, une ministre y penserait à deux fois.
Il me semble, messieurs, qu'il y aurait quelque chose de mieux à faire. Malgré les motifs que nous avons fait valoir, quelques-uns pensent que l’on peut concéder, que des propositions de concession pourraient être faites, qui seraient acceptables.
Eh bien, sur tous ces points il n'y a eu que quelques discours échangés, mais jamais il n'y a eu d'examen sérieux ; pourquoi la Chambre ne renverrait-elle pas à la section centrale l'amendement qui a été déposé ?
On examinerait si le chemin est concessible, si je puis m'exprimer ainsi, s'il peut être utilement concédé. Si l'on reconnaît qu’'il peut être utilement concédé, on en donnera la raison, et la Chambre prononcera ultérieurement. Si l'on reconnaît, au contraire, qu'il ne peut pas être concédé et que la Chambre soit de cet avis, elle aura à statuer sur le mérite de toute autre proposition, messieurs, car la Chambre restera saisie de la question.
Messieurs, ne vous faites pas illusion ; je vais vous démontrer que ma proposition vaut mieux que l'amendement de MM. d Hoffschmidt et de Moor, auquel vous êtes disposés à vous rallier et à l'adoption duquel nous ne verrions pas un bien grand mal, pour notre part. Que dit, en effet, cet amendement ?
Q te le gouvernement est autorisé à exécuter un chemin de fer entre Bruxelles et Louvain et que les conditions de cette exécution seront ultérieurement soumises à l'approbation des Chambres.
Eh bien, messieurs, dans ce cas la Chambre est dessaisie ; il faut qu'une proposition ultérieure puisse avoir lieu. Ne pensez-vous pas que le renvoi de l'amendement à la section centrale pour examiner le système et vous soumettre le résultat de ses délibérations dans la session prochaine, ne pensez-vous pas que cette proposition est beaucoup plus favorable aux intérêts que vous défendez ? Je vous soumets cette question, et je crois qu'après y avoir réfléchi vous vous rallierez à ma proposition.
M. Orts. - Je me montrerai reconnaissant à la Chambre de l'attention qu'elle m'a prêtée hier en n'en abusant pas aujourd'hui.
Quant au discours de l’honorable ministre de l'intérieur, je me bornerai, pour toute réponse, à constater un fait et à rappeler un souvenir.
J'avais dit que, parmi tous les grands travaux d'utilité publique que l'Etat a eu à répartir entre les différentes parties du pays depuis 1830, on n'en pourrait citer aucun qui eût été fait dans l'intérêt de Bruxelles ou de l'arrondissement de Bruxelles.
L'honorable ministre de l'intérieur m'a répondu : « J 'inscris à mon budget, au profit de Bruxelles, les dépenses des services publics, qui, par leur nature, sont nécessairement établis dans la capitale. Bruxelles est la capitale et profite donc de tout cela.
« J’ai 840,000 francs au budget pour le ministère de l'intérieur. Le Conservatoire, l'Académie de médecine et autres institutions dont le siège est à Bruxelles, voilà la part de Bruxelles. »
Je m'incline, messieurs, et je constate que M. le ministre, dans son énumération, n'a cité aucun grand travail d'utilité publique, canal, chemin de fer ou autre de ce genre, fait à Bruxelles et pour Bruxelles, je constate de son aveu que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain était la première dépense de cette nature que Bruxelles réclame. C'est pourquoi sans doute on ne nous le donne pas.
Maintenant je rappelle un souvenir, le voici :
Les excellentes intentions de la plupart des majorités pour Bruxelles se jugent par deux grands faits, et ces deux faits expliquent l'accueil que les paroles de M. le ministre de l'intérieur, en tant qu'elles étaient dures pour Bruxelles, ont trouvé sur quelques bancs de cette Chambre.
Deux fois on a pu faire pour Bruxelles de grandes choses. On devait, une première fuis, si l'on consultait le véritable intérêt du pays, établir à Bruxelles le centre de nos chemins de fer. On ne l'a pas fait : Pourquoi ? Bruxelles serait devenue trop riche ! On a placé ce centre à Malines, au détriment des intérêts du trésor ; soit ; mais Bruxelles ne s'est pas enrichie.
Une seconde fois, la législature a pu faire de Bruxelles une véritable capitale, une des grandes villes de l'Europe, sms qu'il en coûtât rien au trésor. Il s’agissait de réunir les faubourgs à la ville ; cette réunion, la Chambre, organe du pays, l’a repoussée à une immense majorité. Bruxelles serait devenue trop puissante !
Une fois vous avez sacrifié ses intérêts matériels, une seconde fois vous avez sacrifié ses intérêts moraux, et chaque fois Bruxelles a été sacrifiée à des répugnances, à des rivalités, à l'envie.
Quant à la part de gâteau qu'a indiquée M. le ministre de l'intérieur, je termine par un mot d'avertissement à d'autres intéressés.
Si vous mettez au compte de notre part dans les canaux et les chemins de fer créés en Belgique par l'Etat, les dépenses des services publics que vous faites pour les ministères, pour les institutions du pays dans la capitale, vous devez logiquement compter à l'actif de la ville d'Anvers comme dépense faite uniquement dans son intérêt, et comme devant l'exclure de tout partage à venir dans les autres travaux publics, les 40 millions de francs que vous lui avez donnés, un peu malgré elle, pour les fortifications et les 15 millions de canons rayés, qui en sont la conséquence. (Interruption.)
C'est le raisonnement de M. le ministre de l'intérieur. Je déclare à mes honorables collègues d'Anvers que je ne m'y associe pas. Je le leur signale.
Messieurs, je ne dirai rien du subside de 170,000 fr. que, d'après le calcul de M. le ministre de 1 intérieur, on a donnés en 15 ou 20 ans à la ville de Bruxelles pour la restauration de son hôtel de ville, de ce monument dont le pays entier devrait être fier ; je demanderai seulement à M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien nous dire quelle sera la part de l’Etat dans la somme qui va être consacrée à l’ornementation, par voie de peintures miurales, de l’hôtel de ville d’Anvers.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous aviez parlé de quelques milliers de francs qui avaient été alloués à Bruxelles pour l’hôtel de ville.
M. Orts. - Si vous voulez recommencer la discussion, je demanderai le détail, par province et par arrondissement, des grands travaux d'utilité publique (routes, canaux, chemins de fer) qui ont été exécutés depuis 1830. Cela concerne plus particulièrement M. le ministre des travaux publics, il est vrai. Mais, pour compléter le dossier je demanderai à M. le ministre de l'intérieur qu'il me donne le tableau de la répartition des crédits votés à son budget pour l'assainissement des villes et des communes et pour la voirie vicinale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Volontiers.
M. Orts. - Je demande que M. le ministre de l'intérieur y ajoute par arrondissements, villes ou provinces, comme il voudra, l'état des dépenses faites pour l'entretien des monuments publics, pour le développement des beaux-arts.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Bien volontiers !
M. Orts. - Et quand M. le ministre de l'intérieur aura fait ce compte, nous reprendrons la discussion d'aujourd'hui, et nous verrons qui aura le dernier mot.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'accepte volontiers cet ajournement pour épargner les moments de la Chambre.
M. Orts. - Nous pourrons revenir sur cet objet lors de la discussion du budget de l'intérieur et du budget des travaux publics, et nous ferons alors les comptes de tout le monde.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je prouverai alors que Bruxelles n'est pas traitée durement comme vous dites.
M. Orts. - Cet ajournement, dans la discussion actuelle, est le (page 1447) seul que je puisse accepter. Je suis amené ainsi, en en donnant les raisons, à répondre quelques mots à ce qu'a dit l'honorable ministre des travaux publics, et je réponds en même temps à l'appel que nous a fait, en termes conciliants, M. le ministre des finances, à la fin de son discours.
M. le ministre des travaux publics a cru voir une contradiction entre le système que je défends aujourd'hui, en m'associant à l'amendement de la députation de Bruxelles, et la position que j'ai prise à l'égard du chemin de fer de Louvain lors de la discussion de 1856.
En 1856, vous a-t-on dit, le ministre a propre à la Chambre ce que propose aujourd'hui la députation de Bruxelles. M. Orts s'est levé et a déposé un amendement qui imposait, au contraire, au gouvernement l'obligation de construire et d'exploiter le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Quelque obligeant qu'ait été pour moi l'explication donnée par M. le ministre des travaux publics, de mon attitude en 1856, je suis forcé de la compléter pour que la Chambre ait devant elle les précédents de cette affaire, rappelés d'une manière complète et parfaitement exacts.
En 1856, le gouvernement demandait l'autorisation de concéder le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain ; il ne s'expliquait pas sur ses intentions quant aux conditions auxquelles il voulait concéder ce chemin de fer. Et le gouvernement ne voulait pas non plus s'engager sur la direction à donner à ce chemin. Or, la Chambre sait que de tout temps il a existé une lutte très vive, quant à cette direction. Le chemin de fer sera-t-il dirigé sur Tervueren ou sur Cortenberg ? Telle est la question débattue.
Or, sur ces deux points le gouvernement se cachait dans un demi-jour prudent. Cependant ses intentions se devinaient sans beaucoup de peine.
Le gouvernement ne voulait pas s'engager pour la direction à donner au chemin de fer, parce qu'il préférait, sans oser le dire tout haut, la direction par Tervueren à la direction par Cortenberg. Les députés de Bruxelles croyaient alors, comme les députés de Bruxelles croient encore aujourd'hui, que la direction par Cortenberg est la seule utile, la seule conforme à l'intérêt général, et que la direction par Tervueren ne petit être choisie qu'à raison de convenances toutes différentes.
Nous voulions donc en 1856 ôter au gouvernement la possibilité de concéder un chemin de fer de Bruxelles à Louvain par Tervueren, voilà pourquoi j'ai proposé mon amendement qui précisait la direction par Cortenberg.
Ce n'est pas tout. Quant au système de concession sur lequel le gouvernement ne voulait pas s'expliquer en 1856, nous devinions très bien ses intentions. Le gouvernement avait présenté en même temps le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. Son système de concession était connu.
Nous nous disions que si nous laissions un pouvoir arbitraire, pour régler les conditions de la concession du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, le gouvernement nous présenterait probablement un projet modelé sur le projet de Luttre à Denderleeuw, et nous n'en voulions à aucun prix.
Voilà pourquoi est intervenu, en 1856, l'amendement qui forçait le gouvernement à faire lui-même ce chemin de fer, et à le faire par Cortenberg.
L'amendement empêchait le chemin de fer par Terneuzen d'être concédé, ce qui empêchait radicalement toute concession aux conditions proposées pour celui de Luttre à Denderleeuw, et condamnait le tracé par Tervueren.
Voilà l'histoire de l'amendement de 1856 expliquée au vrai, et je fais appel à cet égard aux souvenirs de l'honorable M. de Naeyer.
M. de Naeyer. - C'est ainsi.
M. Orts. - Maintenant M. le ministre des travaux publics me dit en terminant : Je ne veux pas de votre amendement parce que je me défie de mes successeurs qui pourraient en abuser.
La précaution me paraît un peu bien exagérée. J'ai vu souvent des héritiers qui se préoccupaient des charges de la succession à recueillir ; mais celui qui fait son testament s'occupe fort peu en général de l'abus que pourront faire ses héritiers.
Cette sollicitude si touchante de M. le ministre pour ses honorables successeurs...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est parfaitement gouvernemental.
M. Orts. - ... cette sollicitude à la fois si touchante et parfaitement gouvernementale, si vous y tenez, est justement ce qui me décide à ne pas accepter la proposition d'ajournement que me fait l'honorable ministre des finances,
L'honorable ministre des finances me dit : Laissez là votre amendement, vous aurez un projet de loi ; il sera à l'ordre du jour de la Chambre à la session prochaine.
Soit, mais le ministre actuel sera-t-il à l'ordre du jour à la session prochaine ?
Me garantissez-vous qu'il y sera encore quand il reconnaîtra la possibilité d'exécuter le chemin de fer de Bruxelles à Louvain aux frais de l'Etat ?
J'aime beaucoup mieux un vote qui lie les ministères présents et futurs qu'une simple promesse du ministère actuel, que ses successeurs pourront ne pas tenir.
Je ne veux donc pas d'ajournement ; l'ajournement ne décide rien et laisse la question en 1861 là où nous l'avons laissée en 1859. La leçon est instructive.
J'ai fait l'expérience des ajournements pour les chemins de fer. Je l'ai faite pour un autre projet que je ne veux pas rappeler par son nom, mais qui est inscrit en tête de notre ordre du jour, tout juste au-dessus du chemin de fer de Louvain. L'ajournement nous conduira à voir la solution reculer comme le feu follet qui fuit à mesure qu'on le poursuit. Je ne me laisse plus séduire par des mirages, je veux du positif, un oui ou un non.
Je demande que l'arrondissement de Bruxelles sache une bonne fois pour toutes à quoi s'en tenir sur la bienveillance de la Chambre et du gouvernement.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !
M. d'Hoffschmidt. - Je serai très bref.
Nous avons été déterminés, mon honorable ami M. de Moor et moi, à présenter notre amendement par le désir d'arriver à une entente entre le gouvernement et les députés de Bruxelles et par le désir d'assurer l'exécution d'une voie de communication que j'ai toujours défendue.
Quoique je suis très partisan de ce chemin de fer, je ne pourrais, messieurs, adopter l'amendement des honorables députés de Bruxelles, pour deux motifs.
Le premier, c'est que l'amendement décide implicitement que le chemin de fer sera exécuté par voie de concession.
Eh bien, messieurs, le gouvernement y est formellement opposé. Or, il est désirable, lorsqu'il s'agit d'exécuter un chemin de fer aussi important, que la chose se fasse avec le gouvernement.
Ensuite tous les orateurs qui ont pris la parole dans celle discussion ont déclaré leur préférence pour l'exécution par l'Etat. Les honorables députés de Bruxelles eux-mêmes et l'honorable M. Prévinaire se sont prononcés dans ce sens.
M. Orts. - Moi aussi.
M. d’Hoffschmidt. - Tous sont d'accord sur ce point.
Je trouve donc un inconvénient très sérieux dans l'amendement en ce qu'il décide implicitement l'exécution par voie de concession.
Je sais quels sont les motifs qui vous guident aujourd’hui, c'est que vous préférez l'avoir par voie de concession que de ne pas l'avoir du tout. Mais je suis, moi, convaincu que le gouvernement exécutera cette ligne.
Maintenant il y aurait une espèce d'aveu d'impuissance du gouvernement à venir dire : Je suis partisan de cette ligne, je trouve que c'est l'Etat qui doit l'exécuter, je considère l'opération comme excellente financièrement parlant et cependant je suis contraint d'en abandonner l'exécution à une compagnie par suite de mon impuissance de faire une de sept à huit millions.
Messieurs, la Belgique est au premier rang pour la situation financière et l'on viendrait déclarer que l'on va concéder à une compagnie la petite ligne de Bruxelles à Louvain, laisser intercaler cette ligne dans le réseau de l'Etat et cela parce qu'on ne peut l'exécuter soi-même !
Cela est impossible.
Messieurs, un second motif pour lequel je ne puis admettre cet amendement, c'est qu'il donne un blanc-seing à M. le ministre des travaux publics.
J'ai pleine confiance dans l'honorable ministre des travaux publics, mais j'ai aussi une très grande confiance dans la Chambre et je considère comme précieuse la prérogative de la Chambre de pouvoir examiner les conditions des concessions qui peuvent, dans certains cas, être onéreuses pour le trésor public.
Je ne consentirais donc pas non plus à donner ce blanc-seing malgré la confiance que j'ai dans le ministère. M. le ministre des travaux publics lui-même repousse comme exorbitante la faculté qu'on veut lui donner par l’amendement. Il trouve que ce serait là un instrument à deux tranchants qui pourrait être utile ou nuisible selon les circonstances.
(page 1448) Si le gouvernement se décidait cependant, malgré ses vues actuelles, à proposer l'exécution par voie de concession nous pourrions examiner fort attentivement les conditions auxquelles la concession serait proposée.
Si au contraire c'est l'Etat qui exécute, il devra proposer annuellement les moyens d'après lesquels il veut faire ce travail, que ce soit l'emprunt, ou que ce soient les ressources ordinaires du trésor.
Il faut donc que nous conservions cette prérogative fort précieuse pour la Chambre. Il n'y a pas de raison, ce me semble, dans cette circonstance pour agir autrement.
Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics nous disait dernièrement que l'amendement des honorables députés de Bruxelles n'était de nature à satisfaire personne.
Je crois que l'amendement que nous avons eu l'honneur de présenter avec l'honorable M. de Moor, doit satisfaire tous les intérêts.
Ainsi pour les représentants des intérêts de Bruxelles et de Louvain, le principe sera proclamé dans la loi même. Il ne s'agira plus de promesses contre lesquelles vous vous élevez avec raison ; il s'agira de la volonté de la loi même. Il n'y aura donc plus moyen de ne pas exécuter le chemin de fer. La loi l'aura décidé.
Il peut arriver que cette exécution, abandonnée à la responsabilité du gouvernement, n'ait pas lieu dans un assez bref délai, mais les honorables députés de Bruxelles seront là.
Je me repose parfaitement sur eux à cet égard, pour stimuler les efforts et l'activité du gouvernement.
Ils pourront l'interpeller en toute circonstance.
Si le gouvernement qui sera chargé par la loi d'exécuter le chemin de fer de Bruxelles à Louvain en ajournait constamment l'exécution, il est évident que la Chambre pourrait lui demander compte de sa conduite.
Je pense donc qu'il y a plus de garantie à cet égard pour les intérêts que représentent les honorables signataires de l'amendement. Cet amendement n'indique même pas une époque où le chemin de fer devrait être exécuté. (Interruption.)
En second lieu, le gouvernement reste dans la position qu'il a adoptée ; il choisira le moment opportun pour soumettre la question à la Chambre.
Je pense donc, messieurs, que notre proposition est de nature à concilier tous les intérêts, et je pense aussi, avec l'honorable préopinant, qu'il faut terminer celle discussion par un vtie et non pas par un ajournement.
- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - La Chambre veut-elle passer au vote ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui !
M. Guillery. - Je demande à la Chambre la permission de dire encore quelques mots. Elle comprendra qu'en 'présence des deux propositions qui viennent d'être faites, il faut bien que nous nous expliquions.
Je ne veux pas revenir sur ce que j'ai dit quant à la situation du trésor ; le moment n'est pas venu de discuter ce point. Mais j'ai le droit de regretter que lorsqu'il y a à faire des dépenses aussi productives, aussi lucratives pour le gouvernement, le trésor se trouve à sec, alors qu'il ne l'est pas quand il s'agit d'en faire d'autres que j'apprécie, quant à moi, tout autrement.
Mais à quoi je tiens à répondre, c'est à cette assertion de M. le ministre des finances que le projet de loi relatif au chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain aurait été accueilli froidement par la Chambre.
Quant à moi, j'ai eu une impression toute contraire ; en 1859, j'ai vu la Chambre excessivement sympathique à ce projet ; et si j'ai insisté pour qu'elle votât sur la proposition du gouvernement et pour que le gouvernement maintînt cette proposition, c'est parce que j'avais reçu d'honorables collègues de la gauche, du centre et de la droite l'assurance de leur appui et que j'étais ainsi assuré de la majorité.
Voici ce qui s'est passé alors en sections, je le retrouve dans les quelques paroles que j'ai prononcées à cette époque. Il y avait 63 membres présents en sections ; 40 ont voté oui, 5 non et il y a eu 18 abstentions.
Ainsi, en 1859, quarante membres se sont prononcés formellement en faveur du chemin de fer direct, et des 18 abstentions on m'accordera aussi, j'espère, la moitié ; il n'y a eu que 5 votes négatifs. Ce n'est qu'en section centrale qu'une certaine répugnance s'est manifestée, mais la section centrale ne représentait pas l'opinion de la Chambre, j'en suis bien convaincu,
Les deux propositions qui viennent de nous être faites ne sont en réalité que des propositions d'ajournement, avec cette différence,, comme je le disais tout à l'heure, qu'à mesure que nous nous éloignons de 1856 on nous fait des promesses moins précises ; ainsi en 1859, le chef du cabinet disait : « J'engage, pour ma part, M. Guillery à prendre quelque patience jusqu'à la session prochaine, et je ne doute pas qu'alors le projet ait plus de chance d'être admis par la Chambre. »
Ce qui évidemment était pour nous une espérance fondée que ce chemin de fer serait soutenu par le gouvernement et voté par la Chambre, tandis qu'aujourd'hui on nous propose un ajournement non plus de la question d'exécution d'un chemin de fer par l'Etat, mais l'ajournement d'un autre amendement, qui n'est, en définitive pour nous qu'un mo)y adopté en désespoir de cause.
Nous ne pouvons évidemment pas accepter cela ; ce serait accepter en 1860 un ajournement dans des conditions moins favorables que celles que nous avons subies en 1859.
Quanta l'exécution par l'Etat, M. le ministre des travaux publics nous renvoie à un an, deux ans, trois ans, combien ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je n'en sais rien.
M. Guillery. - C'est encore plus clair. On n'en sait donc rien, et quant à l'exécution par une compagnie, le gouvernement avisera ; voilà tout.
Ainsi en 1859 il ne s'agissait que d'un ajournement à la session suivante, tandis qu'aujourd'hui il s'agit d'un ajournement indéfini.
On nous dit que nous avons mauvaise grâce à demander l'exécution par une compagnie puisque nous préférons l'exécution par l'Etat. Mais, messieurs, il en est de cela comme de toutes choses : nous nous contenterons du moins parce que nous ne pouvons pas avoir le plus. Quand on ne peut pas emprunter à 5 p. c. force est bien d'aller jusqu'à 6 et même plus. Le fait est qu'aujourd'hui nous n'avons pas le choix ; nous ne croyons pas pouvoir dire au gouvernement : La situation du trésor est telle qu'après avoir gravement engagé les ressources ordinaires depuis deux ans, vous puissiez les grever encore de cette nouvelle dépense. Nous sommes donc réduits à demander l'exécution par une compagnie, et qui, messieurs, nous a placés dans cette nécessité ? Ceux précisément qui n'ont pas tenu leur promesse d'autrefois de faire exécuter le chemin de fer par l'Etat.
II y a ici une véritable fatalité. Lorsque, en 1859, nous engagions le gouvernement à faire lui-même le chemin de fer, il a trouvé une quantité de raisons pour l'ajourner. Quand, en 1861, nous demandons l'exécution par une compagnie avec exploitation par l'Etat, on nous dit : Si vous demandiez l'exploitation par une compagnie, cela se comprendrait, mais votre système est le moins soutenable. Je le crois bien et il en sera toujours ainsi. Nous proposons le système d'exécution par une compagnie et avec exploitation par l'Etat, parce que nous sommes convaincus que ce système, si le gouvernement appelle la plus grande concurrence possible, offrira les résultats les plus avantageux pour le trésor public.
Et, en définitive, messieurs, qu'est-ce que cette adjudication à une compagnie ? Mais ce n'est pas autre chose que l'adjudication de travaux quelconques à un entrepreneur ; cela revient à ce que fait le gouvernement quand, par exemple, il adjuge la construction d'une route. Il l'adjuge au soumissionnaire qui a fait les offres les plus avantageuses, et comme il ne s'agit pas ici d’une somme bien considérable, on trouvera plus d'une compagnie disposée à faire des propositions.
Nous sommes donc obligés, messieurs, de persister dans notre proposition et de demander à la Chambre de voter sur l'amendement tel que nous l'avons présenté.
- La discussion est close.
M. le président. - M. le ministre des finances n'a pas fait, je pense, de proposition formelle ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pardon, j'ai proposé le renvoi des deux amendements à la section centrale.
M. le président. - La proposition primitive du gouvernement tendant à l'allocation d'un crédit de quatre millions pour la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain est considérée par tout le monde comme implicitement retirée.
Maintenant, nous sommes en présence de trois propositions.
Nous avons d'abord l'amendement de MM. Jamar, Pirson, Van Volxem, Goblet et consorts ; il est ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à concéder la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain par Cortenberg, l'exploitation réservée à l'Etat. »
(page 1449) Vient ensuite l'amendement de MM. d'Hoffschmidt et de Moor, ainsi conçu :
« Il sera construit un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. Les conditions d'exécution de ce chemin de fer seront soumises à l'approbation des Chambres législatives. »
Enfin, nous avons la proposition de M. le ministre des finances qui tend au renvoi de ces deux amendements à la section centrale qui a examiné le projet de loi dont nous nous occupons. Je mets d'abord aux voix la proposition de M. le ministre des finances.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
En voici le résultat :
87 membres répondent à l'appel.
49 membres répondent oui.
38 membres répondent non.
En conséquence la proposition est adoptée.
Ont répondu oui : MM. de Theux, Henri Dumortier, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Jacquemyns, M. Jouret, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Loos, Magherman, Moncheur, Mouton, Muller, Neyt, Notelteirs, Orban, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, Van den Branden de Reeth, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandcnpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichtlen, Allard, Braconier, Dautrebande, David, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Haerne, de Lexhy, de Maere, de Montpellier, de Rcnesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisièrcs, de Terbecq et Vervoort.
Ont répondu non : MM. d'Hoffschmidt, Goblet, Guillery, Hymans, Jamar, Janssens, Joseph Jouret, Landeloos, Charles Lcbeau, Mercier, Moreau, Nélis, Nothomb, Orts, Victor Pirson, Prévinaire, Snoy, Thienpont, Van Dormael, Van Iseghem, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Leempoel, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIII, Wasseigc, Ansiau, Dechentinnes, de Man d'Aitcnrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ridder, de Rongé et de Smedt.
- La séance est levée à 5 heures.