Séance du 7 mai 1861
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1415) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Westmeerbeek demande que le chemin de fer de Louvain à Herenthals passe par Aerschot. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.
« Le conseil communal de Gheel déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Westerloo, en faveur du chemin de fer de Louvain à Herenthals, par Aerschot et Westerloo. »
- Même décision.
« Des habitants d'Avelghem demandent la construction du chemin de fer de Braine-le Comte à Courtrai, par Avelghem. »
M. H. Dumortier. - Messieurs, la pétition dont vous venez d'entendre l'analyse mérite de fixer toute l'attention de la Chambre et du gouvernement.
Si cette requête nous avait été adressée avant que la section centrale avait terminé ses travaux, j'aurais demandé son renvoi à ce collège, afin qu'elle fît l'objet de ses délibérations et pût être comprise dans son rapport.
Aujourd'hui je dois forcément me borner à demander le dépôt de cette importante pétition sur le bureau de la Chambre pendant le restant de la discussion qui nous occupe depuis quelques jours. Quoi qu'il en soit, je saisis avec empressement l'occasion qui m'est offerte par cette pétition pour en recommander l'objet à la plus sérieuse et à la plus bienveillante attention de la Chambre et du gouvernement.
M. Vander Donckt. - Je demanderai simplement par qui cette pétition a été adressée à la Chambre : Est-ce par l'administration communale ou par des particuliers ?
M. le président. - Par des particuliers.
M. Vander Donckt. - C'est regrettable.
- Le dépôt de la pétition sur le bureau est ordonné.
« Les membres du conseil de Montaigu demandent que le chemin de fer d'Aerschot à Diest passe par Montaigu. »
- Même décision.
« Le sieur Monti prie la Chambre de décréter l'établissement d'une ligne de raccordement entre Bruxelles et Louvain, qui partirait de la station du Nord, traverserait les communes d'Ever, de Haecht, Dieghem, Steenockerzeel, Bergh, Campenhout, jusqu'au chemin de fer existant entre Louvain et Malines et aboutirait par Werchter, Aerschot, Rillaer, Montaigu, Sichem, à Diest ou au camp de Beverloo. »
- Même décision.
« La femme du sieur De Backer, ancien gendarme, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, quatre demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. De Fré, qui vient d'avoir le malheur de perdre son père, demande un congé. »
Accordé.
M. H. Dumortier. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale du budget des travaux publics sur la prorogation de l'article premier de la loi du 12 avril 1835, concernant les péages sur le chemin de fer.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. de Maere. - Messieurs, dans la séance de samedi dernier il a été déposé un amendement, longuement développé dans la séance d'hier, tendant à faire inscrire dans le projet de loi qui nous est actuellement soumis la concession d'un chemin de fer partant de Malines, traversant le pays de Waes et aboutissant à Terneuzen.
Dans la même séance de samedi, l'honorable M. de Decker nous a entretenus d'une seconde ligne partant de Lokeren et aboutissant au même point de Terneuzen.
Messieurs, je viens vous dire, à mon tour, aujourd'hui, quelques mots d'une troisième ligne aboutissant également à Terneuzen mais qui, cette fois, tend à la ville de Gand.
Quoi qu'en ait dit l'honorable M. de Decker, l'élablissement de ce chemin de fer est facile et peu coûteux, il ne nécessite pas d'ouvrages d'art de quelque importance ; son parcours sur le territoire belge d'ailleurs est restreint, il ne dépasse pas 17 kilomètres, c'est-à-dire quelque chose comme 3 lieues et demie ; il est très peu important à ces divers points de vue ; mais son utilité pour la ville de Gand n'en devient que plus incontestable, à cause de l'influence considérable qu'il doit exercer sur la prospérité et le développement du port de Gand.
En effet, la ville de Terneuzen, située sur la rive gauche de l'Escaut occidentale, a un port accessible aux navires de fort tonnage, en toute saison ; même pendant les hivers les plus rigoureux, sa communication avec la pleine mer reste libre.
Mais il n'en est pas de même du port de Gand, quoique relié au port de Terneuzen par un canal de grande section.
Malheureusement la navigation sur ce canal se trouve régulièrement interrompue en hiver, à cause des glaçons qui couvrent les eaux du canal, et aussi à cause de la baisse d'eau rendue nécessaire par les restaurations à faire aux travaux d'art exécutés sur le canal.
Or, c'est là un état de choses des plus préjudiciables au commerce de la ville de Gand.
Je ne puis vous dire combien ces intermittences de navigation sont désastreuses. Il arrive fréquemment que des capitaines de navires hésitent à prendre le port de Gand comme destination, parce qu'ils ne sont pas sûrs de pouvoir y aborder. Il arrive que des cargaisons entières de fruits destinées à la ville de Gand se gâtent à Terneuzen faute, pour les navires, de pouvoir entrer dans un canal dont les eaux sont couvertes de glaces.
C'est ainsi que durant la saison rigoureuse que nous venons de traverser, les cotons et les lins travaillés dans les fabriques de Gand sont arrivés par Ostende et par Anvers, moyennant de très grands frais supplémentaires pour les industriels de notre ville.
C'est un état de choses intolérable qui ne répond pas du tout aux droits légitimes que puise la ville de Gand dans sa prospérité toujours croissante et qui ne répond pas non plus aux sacrifices si nombreux qu'elle a faits pour le canal de Terneuzen, pour la construction de son entrepôt et pour l'exécution de son chemin de fer de raccordement.
Or le chemin de fer dont j'ai l'honneur de vous entretenir aurait précisément pour premier effet de suppléer à cette insuffisance périodique du canal. Il ferait, comme je l'ai dit, cesser ces intermittences de communication si nuisibles au commerce.
On peut le considérer comme le prolongement naturel de la ligne de Braine-le-Comte à Gand, que nous sommes appelés à décréter. Il établirait sur des bases stables les relations entre le Hainaut, les Flandres et la Hollande, et dans un avenir rapproché le port de Terneuzen deviendrait pour les houilles belges ce qu'était le port de Gand avant 1830 c'est-à-dire l'entrepôt où les consommateurs néerlandais viendraient s'approvisionner.
Les nombreux navires qui, aujourd'hui, quittent sur lest les ports d'Anvers et de Gand pour aller charger du charbon anglais soit à Newcastle, soit à Sunderland, soit ailleurs et qui sont obligés de relâcher Terneuzen lorsque les vents sont contraires, prendraient là les charbons qu'ils vont chercher maintenant à grands frais ailleurs.
Il faut le dire, la différence qui, pour les pays étrangers, existe entre les prix des houilles anglaises et des houilles belges résulte principalement de la différence de distance entre les fosses d'extraction et le port d'embarquement.
Le chemin de fer dont je m'occupe aurait pour effet d'effacer cette différence.
Ajoutez maintenant à cela la richesse agricole de la Flandre zélandaise, (page 1416) si proverbiale, si grande, que l'honorable M. Van Overloop estimait à plus de 35 millions.
Ajoutez-y la population si dense du Nord de la Flandre entre la frontière zélandaise et la ville de Gand.
N'oubliez pas que la concession est demandée sans intervention du gouvernement ni dans la construction ni dans l'exploitation, et je suis d'avis que la chambre de commerce de Gand ne s'est pas trop aventurée en 1854, quand elle déclarait que cette ligne était d'un intérêt immense pour la ville de Gand en particulier et pour la Flandre en général.
Je ne fais pas de proposition directe, je me contente de la réponse qu'a faite M. le ministre des travaux publics, lorsqu'on a présenté l'amendement de Malines à Terneuzen. Je me borne à recommander à son attention sérieuse la ligne de Gand à Terneuzen.
Je me réserve la faculté, si l'amendement de Malines à Terneuzen devait être adopté par la Chambre, d'en présenter un autre tendant à l'adoption de la ligne de Gand à Terneuzen.
M. B. Dumortier. - Messieurs, il y a, dans le projet de loi qui nous occupe, quelque chose qui m'a singulièrement frappé. Ce quelque chose me paraît être aussi ce qui a frappé tous les orateurs qui m'ont précédé dans cette discussion, c'est la singulière répartition des deniers publics que fait le projet.
Si j'examine ce projet, je suis d'abord étonné d'une chose. C'est qu'en dehors du port de Blankenberghe, la loi tout entière est faite en faveur de Liège, de la Meuse et de la Campine.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous oubliez que cette loi n'est que le complément de la loi de 1859.
M. B. Dumortier. - Je m'inquiète peu si c'est le complément de la loi de 1859 ; mais je vous dirai que vous ajoutez à la loi de 1859 une loi nouvelle faite exclusivement et entièrement en faveur de la Meuse et de la Campine, pays déjà très largement traités, alors que dans cette loi vous ne donnez pas un centime en dehors du port de Blankenberghe, ni pour le Brabant, ni pour le Hainaut, ni pour la Flandre orientale, ni pour la Flandre occidentale. Voilà votre loi.
En dehors de la Meuse et de la Campine, c'est une loi par laquelle on ne donne pas un sou au reste du pays. Or, messieurs, en présence d'une telle situation, je me demande quelles sont de nos neuf provinces celles qui payent le plus d'impôts et celles qui versent le moins au trésor public. Et si j'examine cette question, je vois de suite que ce sont précisément les provinces auxquelles toutes les faveurs sont accordées qui payent le moins au trésor public, tandis qu'on refuse une voie aux provinces qui alimentent, à concurrence des trois quarts, des quatre cinquièmes même, le trésor public. Qu'on appelle cela de la justice tant qu'on voudra, moi, j'appelle cela une scandaleuse injustice.
Ah ! je le conçois, quand des concessionnaires viennent demander de faire à leurs frais un travail qui ne doit rien coûter à l'Etat, je conçois que vous le concédiez quelle que soit la province qui doit en profiter. Mais quand il s'agit de faire des travaux avec les deniers publics, quand il s'agit de puiser dans la caisse commune pour faire des gracieusetés, des générosités, aux dépens du trésor public, je suis en droit de dire que le gouvernement, en pareil cas, doit faire preuve de justice distributive, de justice répartitive.
Est-ce là, messieurs, le principe qui a présidé à la loi maintenant en discussion ? Voyons néanmoins cette loi.
Je trouve que, pour la province de Liège, on commence par vous demander 1,600,000 fr. pour la canalisation de la Meuse et l'on s'engage par là à une dépense que M. le ministre des travaux publics a déclaré devoir s'élever à 8 millions.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Sept millions.
M. B. Dumortier. - Oh ! mon Dieu, il y en a tant, qu'un million de plus ou de moins ne fait pas grand-chose à l'affaire ; mais j'ai annoté huit millions non compris les imprévus.
En second lieu, pour deux houillères situées sur la rive droite de la Meuse, on demande un premier crédit de 1,400,000 fr. qu'il faudra compléter jusqu'à concurrence de deux millions, sans compter l'imprévue comme pour les 7 millions dont je viens de parler.
En troisième lieu, la ville de Liège reçoit un petit cadeau de 225,000 francs. J'arrive ainsi à un total de 3,225,000 francs, tout en s'engageant à une dépense qui doit s'élever à plus de 10 millions.
Ce n'est pas tout : on vient vous proposer, en quatrième lieu, de faire un canal de Turnhout à Saint-Job ; je demande pardon aux honorables députés de Turnhout d'avoir à parler de ce travail ; mais enfin qu'est-ce, en réalité, que ce canal ? C'est une seconde ligne de communication par eau entre Liège et Anvers,
M. Nothomb. - Ce canal n'est que l'exécution obligée d'une loi votée depuis longtemps. Ce n'est donc pas une faveur, mais un prolongement nécessaire ; à moins que vous ne vouliez que ce canal aboutisse à Turnhout en une misérable impasse.
M. B. Dumortier. - Quoi que l'on puisse dire, c'est encore une somme de 4 millions et demi à ajouter aux sommes que la province de Liège puise dans le trésor public. Ainsi, voilà quatre millions 750 mille francs demandés, et une dépense de quinze millions engagés pour la Meuse et la Campine. Puis vient une dépense de 2 millions pour le chemin de fer d'Aerschot à Diest.
- Un membre. - Cela concerne toujours la province de Liège !
M. B. Dumortier. - Cela concerne la Campine, qui partage avec la province de Liège les faveurs du projet de loi.
Puis, un autre chemin de fer, encore dans la Campine, pour lequel on accorde la garantie d'un minimum d'intérêt.
Pour tout le reste du pays, qu'avez-vous ?
Vous avez les travaux proposés pour le port de Blankenberghe et 200 pauvres mille francs demandés pour le port de Nieuport.
Puis vient un chemin de fer qui s'exécutera ou ne s'exécutera pas, un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand et d'Eecloo à Bruges, et un chemin de fer, qui n'est pas sérieux, de Tournai à la frontière française, et en quatrième lieu, Marienbourg à la Meuse, de manière qu'en définitive tous les fonds que vous prenez sur le trésor public pour exécuter des travaux en dehors du port de Blankenberghe, sont employés à la Meuse et dans la Campine, comme affluents à la Meuse ; pour le reste du pays vous ne faites exactement rien. Est-ce là de la justice distributive ?
J'entends déjà M. Muller dire : Vous attaquez la Meuse ; le meilleur moyen d'avoir quelque chose c'est de ne pas attaquer la Meuse ; mais si malgré notre silence sur les faveurs qu'on accorde à la Meuse, on ne nous donne rien....
M. Muller. - M. Muller n'a rien dit, il ne vous a pas attaqué.
M. B. Dumortier. - Bien ! bien !
A côté de cela je me demande, quand j'examine les canaux qui ont été exécutés en Belgique, quel est le produit de ces divers canaux.
Si vous jetez les yeux sur les documents officiels que le gouvernement nous a distribués, il y a quelques jours, on trouve que la Meuse présente chaque année une perte, déduction faite des dépenses sur les recettes, de 260,142 francs.
Perte.
Meuse, fr. 260,142
Canal de Maestricht à Bois-le-Duc, 117,656
Canal de jonction de la Meuse à l'Escaut, 24,301
Canal vers Beverloo, 13,886
Canal vers Hasselt, 43,197
Canal vers Turnhout, 3,218
Total, fr. 462,380
Voilà la perte que nous donnent maintenant les canaux situés dans les contrées où l'on veut encore faire tant de dépenses. Quant aux canaux situés dans les provinces pour lesquelles on ne veut rien faire, que produisent-ils ?
Le canal de Charleroi donne un bénéfice de 1,243,500 francs.
Sambre, 447,370
Canal de Charleroi 1,242,233
Escaut, 60,726
Canal de Mons à Condé, 224,079
Canal de Pommerœul à Antoing,143,793
Total, fr. 2,118,191
Voilà la position bien précisée ; la partie du pays, pour laquelle on veut dépenser tous les fonds demandés dans la loi actuelle constitue le pays en perte d'environ un demi-million sur l'exploitation des canaux et la partie pour laquelle on ne veut rien faire donne, par l'exploitation de ses canaux, un bénéfice de 2 millions 118,000 fr.
C'est du communisme, c'est prendre dans la poche de celui qui a pour donner à celui qui n'a pas ; c'est du véritable communisme.
Je demande si l'intérêt de la capitale, qu'on a invoqué avec tant de raison, si l'intérêt du Hainaut aussi bien que l'intérêt des deux Flandres ne comptent plus pour rien, si ces parties du pays n'ont plus place à la table du budget, si tout doit être donné aux provinces qui constituent déjà le pays en perte pour un demi-million, et tout refusé (page 1417) aux provinces qui alimentent le trésor public ; si le produit des provinces qui payent doit être attribué aux provinces qui ne payent pas, alors que les provinces qui payent ont de très grands besoins.
C'est une scandaleuse injustice. Aussi je conçois les réclamations qui se sont élevées de toutes parts sur la distribution opérée par la loi actuelle.
Messieurs, à côté de cela, il existe une foule de travaux dont la nécessité est reconnue avoir un même degré que la nécessité des travaux de la Meuse, que la nécessité des canaux de la Campine. Par exemple je vous demanderai pourquoi ne pas terminer nos grandes lignes de chemin de fer, pourquoi ne pas exécuter la grande ligne directe de l'Allemagne vers Calais ? Pourquoi cette ligne reste-t-elle inexécutée, lorsque le gouvernement a des fonds pour faire d'autres travaux ?
Messieurs, si vous examinez le rapport de la section centrale à ce sujet, il vous déclare que l'économie de trajet sur cette ligne pourrait être, si elle était redressée, de 90 kilomètres, c'est-à-dire de 18 lieues. La ligne qui aboutirait directement à Bruxelles an nord, qui aboutirait directement à Bruxelles au midi, pourrait amener une économie de trajet de 18 lieues. C'est là, messieurs, un fait important. Abréger le trajet de 18 lieues, c'est assurer à cette grande ligne le parcours de l'Allemagne vers l'Angleterre.
Pour cela que faut-il ? Il faut, comme l'ont demandé les honorables députés de Bruxelles, faire la ligne directe de Louvain à Bruxelles ; il faut d'autre part faire la ligne directe de Bruxelles à Ath, et puis la ligne directe de Lille à Tournai ; par ce moyen, vous conserverez le bénéfice du trafic sur la ligne depuis l'Allemagne jusqu'à l'Angleterre, bénéfice qui, sans cela, vous échappera.
On a redressé presque toutes nos grandes lignes, celle-là seule rester à redresser ; et certes c'est là un travail dont personne ne peut contester l'urgence.
Il importe de mettre la capitale en rapport direct avec toutes les parties du pays. Comment ! une personne qui vient de Tournai à Bruxelles, pour faire un trajet de 15 lieues, doit mettre trois heures et demie à quatre heures, c'est-à-dire qu'il fait quatre lieues à l'heure.
Et vous croyez que vous déverserez les populations sur la capitale avec de pareils moyens de parcours ? Entre Lille et Bruxelles, il n'y a que vingt lieues. Il faut, pour se rendre d'une de ces villes à l'autre, cinq à six heures ; c'est-à-dire qu'on fait plus vite le trajet de Lille à Paris, qui compte soixante lieues, que celui de Lille à Bruxelles.
Eh bien, redressez cette ligne ; mettez les extrémités du pays en communication directe avec le centre, terminez votre grand réseau national, avant de vous lancer dans d'autres entreprises ; il est incontestablement plus nécessaire d'exécuter ce travail que de se lancer dans de nouvelles entreprises.
Pour cela vous avez deux systèmes. Vous pouvez exécuter avec les fonds de l'Etat ; mais vous pouvez aussi très bien le faire en concédant la construction et en vous réservant l’exploitation.
En agissant de la sorte, il est évident que vous ne causerez aucun préjudice au trésor public et que vous conserverez les bénéfices de l'entreprise.
Comment ! la ville de Lille par exemple, cette ville si importante, qui, avec les petites villes qui l'environnent, forme un ensemble de plus de 300,000 habitants, vous ne lui donnez pas de moyens de communication avec notre capitale ; vous ne lui donnez pas le moyen d'aller à Bruxelles, si ce n'est en se rendant d'abord aux portes de Courtrai ou aux portes de Mons. Je dis que cela est déraisonnable. Commencez par faire pour cette ligne ce que vous avez commencé à faire pour la ligne de Gand, pour la ligne de Namur, pour toutes les lignes, celle-là seule exceptée, y compris le redressement de Bruxelles à Louvain. Voilà des travaux dont l'urgence ne peut être méconnue de qui que ce soit.
Je sais que dans les travaux publics il y a une pression en haut qui empêche la construction de cette ligne. Mais cette pression est déraisonnable et un gouvernement doit être assez fort pour pouvoir y résister.
M. le ministre des travaux publics vient de demander, dans le projet de loi, l'autorisation de concéder la ligne de Tournai à la frontière de France, c'est-à-dire un chemin de fer de deux lieues à deux lieues et demie.
Eh bien, j'ai dit tout à l'heure que cette proposition était complètement illusoire. Je vais m'expliquer sur ce point.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il espère trouver un concessionnaire qui entreprendra la construction d'un chemin de fer pour aller au milieu des champs, car quand vous arrivez à la frontière de France, vous arrivez au milieu des champs. Pour que ce chemin de fer fût sérieux, il aurait fallu commencer par s'entendre avec le gouvernement français, puisque c'est un chemin de fer international. Ce n'est pas tout, le gouvernement aurait dû s'entendre avec M. de Rothschild, qui a privilège sur la ligne du Nord, et sans le consentement de qui l'on ne peut pas construire la ligne projetée. Mais venir mettre dans la loi que le gouvernement est autorisé à concéder un chemin de fer à travers les champs, c'est donner une satisfaction verbale, ce n'est pas faire une chose sérieuse.
Maintenant, messieurs, il est un point sur lequel mon honorable ami, M. Rodenbach et moi, nous avons fréquemment insisté ; tandis que chacun s'occupe des intérêts du district qu'il représente, je demanderai comment il se fait que le canal de la Mandel ne se trouve pas dans le projet de loi ? M. le ministre reconnaît la justesse de nos réclamations, il dit qu'on doit y faire droit, il est parfaitement au courant de la question, mais il ne nous donne que des paroles.
M. le ministre consent à admettre le principe du canal de Menin à Ypres ; pourquoi ne fait-il pas la même chose pour le canal vers Roulers et Thielt ?
La canalisation de la Mandel desservirait ces deux arrondissements qui envoient quatre députés dans cette Chambre.
En résumé, messieurs, depuis que la Belgique existe, on n'a rien fait pour cette partie du pays. On a dépensé, comme l'a dit mon honorable ami M. Dechamps, 85 millions pour les canaux depuis la révolution, combien de millions les districts de Roulers et de Thielt ont-ils payés dans cette somme ?
Si vous voulez suivre les règles de la justice distributive, il faut que leur tour arrive aussi pour recevoir.
On reconnaît, je le répète, le fondement de leurs réclamations ; je rends hommage à M. le ministre des travaux publics, je sais qu'il apprécie toute l'importance de l'affaire et qu'il est animé des meilleures intentions, mais j'ai lu dans un texte que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Ce ne sont pas de bonnes intentions qu'il nous faut, ce sont des actes, ce serait tout au moins un engagement pris. C'est pourquoi le principe du canal de la Mandel figure dans la loi.
Messieurs, la canalisation de la Mandel est de la plus haute importance pour toute la Flandre orientale et pour la Flandre occidentale, en ce qu'elle doit mettre Roulers en rapport par voie d'eau non seulement avec le Hainaut, mais encore avec Gand, avec Anvers et avec Courtrai.
Ce travail a été étudié depuis un grand nombre d'années ; il a fait l'objet de trois études successives.
Les premières ont été faites par M. de Treux et par l'ingénieur de Broeck et l'année dernière M. de Sermoise a fait des études nouvelles.
Le canal à petite section est estimé par M. de Treux ne devoir coûter que 432,000 fr. et M. de Sermoise évalue la dépense à 1,100,000 fr. pour un canal à moyenne section.
On me dira que dans l'état actuel des choses un canal à grande section est nécessaire ; eh bien, messieurs, il faudrait alors 1,500,000 fr., et je crois que ce n'est point là une dépense devant laquelle on puisse reculer quand il s'agit de rendre service à trois arrondissements, Roulers, Thielt et Courtrai, qui ont tant payé depuis 1830 et qui ont bien le droit d'espérer qu'on fera aussi quelque chose pour eux.
Voilà trente ans que nous réclamons pour avoir ce canal. Je ferai remarquer qu'on n'a pas fait pour un centime de dépense aux frais du budget dans le district de Roulers. S'il y existe un chemin de fer, il a été fait par concession, il n'a pas coûté une obole à l'Etat.
Il me semble qu'il faut un peu de justice distributive. Il ne faut pas donner tout à quelques localités. Si nous voulons vivre sous un régime de véritable fraternité, ne constituons pas la Belgique en deux parties dont l'une mange toujours et dont l'autre paye toujours. Cela n'est pas possible.
Il faut que toutes les parties du pays aient leur place au banquet de l'Etat.
Je demande pour mon compte que M. le ministre des travaux publics songe enfin à faire quelque chose pour la Mandel. Ce sera une très faible réparation, vu surtout les retards qui ont eu lieu jusqu'ici, ce sera une très faible réparation dans une loi qui établit un privilège aussi exorbitant en faveur d'une partie du pays, à l'exclusion du reste du pays.
(page 1425) M. de Haerne. - Messieurs, quoique je sois disposé à voter en faveur du projet de loi, je dois dire néanmoins que j’aurais voulu aussi qu’il y eût une répartition plus égale des faveurs qu’on accorde aux diverses parties du pays. Comme l’honorable préopinant, j’aurais vu avec plaisir que les Flandres, notamment la Flandre occidentale, eussent eu leur part de ces faveurs.
On a dit que la loi en discussion est une suite de la loi de 1859 et que la répartition doit être appréciée d'après les deux projets.
Cela est fondé jusqu'à un certain point. Mais il y a dans l'ancien projet des travaux qui ont été décrétés et qui restent sans exécution ; il y a certains projets qu'on a trop négligés selon moi.
Ainsi, nous avons réclamé depuis assez longtemps l'ouverture du canal de Schipdonck à la navigation.
L'ouverture a été décrétée par la loi ; les fonds mêmes ont été votés ; mais jusqu'ici on n'a pas mis la main à l'œuvre, soit que les fonds soient suffisants, soit qu'ils ne le soient pas. S'ils sont suffisants, je demande pourquoi on ne travaille pas ; s'ils sont insuffisants...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Ils le sont.
M. de Haerne. - C'est précisément pour ce motif que je trouve que la répartition n'est pas égale, parce qu'il s'agissait de mettre la main à un travail qui est décrété et qui de ce chef, devrait avoir la priorité sur ceux qu'on propose, d'autant plus qu'il est de la plus haute utilité.
Quant à la navigation générale, quant aux communications qui existent entre le Hainaut et nos deux principaux ports maritimes, il est nécessaire que l'état de choses contre lequel nous réclamons, cesse. Depuis l'ouverture du canal de Bossuyt, les navires chargés de denrées coloniales, de bois du Nord et d'autres produits, qui viennent d'Ostende ou d'Anvers, préfèrent souvent la voie de la Lys, qui est plus facile, à celle de l'Escaut, Ils la prendraient surtout, s'ils pouvaient y entrer par le canal de Schipdonck à Deynze qui doit être livré à la navigation dans l'intérêt des deux Flandres, du Hainaut et même d'Anvers.
Il s'agit donc ici de l'intérêt de la navigation générale, il s'agit également de l'intérêt du gouvernement qui est engagé dans la question par le minimum d'intérêt garanti pour le canal de Bossuyt.
J'aurais voulu aussi qu'on fît des efforts pour aboutir à une solution relativement à un travail décrété depuis quelques années ; je veux parler du chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai.
J'aurais voulu qu'on examinât directement s'il n'y a pas moyen d'appliquer à cette ligne le système adopté pour la ligne de Braine-le-Comte à Gand.
Les deux lignes se rapportent à un même système, elles ont une partie commune ; il ne faudrait pas les séparer.
Je n'en dirai pas davantage, pour le moment, quant à la première de ces lignes, qui est vivement sollicitée par les populations qu'elle doit desservir, notamment par celle du riche canton d'Avelghem, qui vient d'adresser une pétition à la Chambre en faveur de cerailway dont j'ai fait ressortir, dans des discussions antérieures, tous les avantages, tous les éléments de vitalité.
Je passe à un autre point qui a été indiqué tout à l'heure d'une manière incidente par mon honorable ami, M. B. Dumortier ; je veux parler de quelques nouvelles voies navigables pour la Flandre occidentale.
Je suis d'accord avec mon honorable ami pour demander qu'on fasse tout ce qui est possible pour construire un canal reliant la Lys à Ypres, et pour canaliser la Mandel ; je n'ai jamais séparé ces deux projets également utiles. Quant à la question de priorité, je n'insisterai pas là-dessus aujourd'hui ; mais je dois dire que je me prononcerais pour le premier projet, s'il n'était pas possible de les décréter ensemble.
Quant à ce qui est du canal d'Ypres vers la Lys, c'est un projet d’utilité générale ; il a été envisagé comme tel depuis un très grand nombre d'années.
Je l'ai soutenu dans cette enceinte dès 1832, simultanément avec le canal de Bossuyt à Courtrai. Je me plaçais au point de vue de l'intérêt général ; j'étais alors élu par l'arrondissement de Roulers, où personne ne m'a jamais critiqué pour avoir donné la priorité au canal de Menin à Ypres, sur la canalisation de la Mandel.
Je me permettrai d'insister pendant quelques instants sur le premier projet, messieurs, puisque le principe en est inséré dans le rapport de la section centrale.
J'espère que la Chambre voudra bien me prêter quelques moments d'attention. J'ai à faire ressortir la grande utilité de ce canal, j'aime à croire aussi que M. le ministre dis travaux publics ne tardera pas à prendre les mesures nécessaires jour arriver à une solution.
Ce travail a toujours été considéré comme étant d'utilité générale. Il est destiné à faire disparaître une solution de continuité dans la grande ligne de navigation qui a été proposée depuis 1834 par les chambres de commerce du Hainaut et des Flandres, pour rejoindre le couchant de Mons à la mer du Nord. Il n'y a qu'un espace de 3 lieues 3/4 à achever pour que cette ligne soit complète.
Cette voie navigable relierait directement Mons, Bossuyt, Menin, Ypres Ostende, Dunkerque, etc., et raccourcirait les distances dans une proportion considérable.
La distance serait raccourcie, de Bossuyt à Ypres, de 31 lieues à peu près ; de Bossuyt à Dixmude, de 18 lieues ; à Furnes, de 17 lieues ; à Nieuport, de 25 lieues ; à Ostende, de 8 lieues ; à Bergues, de 15 lieues ; à Dunkerque de 17 lieues à peu près.
La chambre de commerce d’Ypres a adressé en 1834 un mémoire au gouvernement pour demander la concession du canal de Menin à l'Yperlée. Ce mémoire, que j'ai ici en mains, est accompagné d'une étude approfondie faite par M. l'ingénieur Wolters, sous la direction de l'ingénieur en chef, M. Noël, deux autorités compétentes et tout à fait désintéressées.
Ils demandent le tracé de Menin à Ypres. Je signale ce fait, parce que dernièrement on a présenté un projet d’après lequel le tracé prendrait son point de départ en amont de l’écluse de Comines pour aller à Ypres.
Ce tracé est inadmissible, messieurs. Il est inadmissible parce que d'abord il froisserait la justice et les intérêts de l'Etat.
Il froisserait la justice à l'égard de la société du canal de Bossuyt à Courtrai en ce que, dans l'arrêté de concession de ce canal, il a été stipulé par suite de la convention internationale conclue en 1839 avec la France pour la construction du canal de Roubaix, qu'après le creusement du canal de Bossuyt à Courtrai, les bateaux chargés de pierres, de houille ou de chaux venant de France, payeraient à l'écluse de Comines 2 francs par tonneau au profit du concessionnaire du canal de Bossuyt à Courtrai.
Or, messieurs, si l'on prenait le point de départ du nouveau canal en amont de l’écluse de Comines, on éluderait cette disposition qui a force de loi, on priverait le concessionnaire du canal de Bossuyt de cette faveur qui est un droit, et en même temps le gouvernement serait froissé dans ses intérêts parce qu'il a accordé une garantie de minimum d'intérêt au canal de Bossuyt à Courtrai,
Ce serait donc une injustice, et je dois la relever parce que le point de départ en amont de l'écluse de Comines a été proposé dans un mémoire, comme on peut s'en convaincre, surtout lorsqu'on combine ce mémoire avec la carte qui raccompagne.
Ce tracé augmenterait le parcours d'une lieue et demie à peu près sur la Lys à la remonte, ce qui présenterait un double inconvénient permanent.
Ce serait un double inconvénient, car il s'agit précisément d'abréger et de faciliter la navigation ; c'est dans ce but qu'on demande une voie directe et facile de Mons à la mer du Nord.
J'ajouterai que le canal qui prendrait son origine en amont de l'écluse de Comines serait un véritable appendice au canal français de Roubaix, et tendrait à détourner la navigation de la Belgique pour la ramener dans le département du Nord, projet contre lequel proteste vivement la chambre de commerce d'Ypres.
C'est pour éviter tous les inconvénients inhérents à une pareille navigation que le roi Guillaume a fait construire le canal national d'Antoing et qu'il avait arrêté en principe celui de Menin à l'Yperlée.
Il faut prendre le tracé à partir de Menin et pourquoi ? Il y a diverses raisons pour lesquelles il faut préférer ce point à tout autre entre Menin et Comines sur une distance d'environ deux lieues.
D'après les plans de 1834, il faut que le canal débouche tant soit peu en amont de Menin, d'abord, parce qu'à un kilomètre en dessus de Menin, la Lys devient mitoyenne entre la France et la Belgique et, vous le savez, c'est là un très grand inconvénient pour la navigation.
C'est l'inconvénient qui se présente lorsqu'il s'agit de transiter par un pays. Pour vous en faire saisir l'importance, messieurs, j'appellerai votre attention sur un article du nouveau traité conclu avec la France.
A l'article 34 de ce traité on prend toutes les mesures de précaution possibles pour empêcher les fraudes qui pourraient se commettre, (page 1426) lorsqu'on passe de Maubeuge à Givet en transitant par la Belgique, afin d'aller d'un point de la France à un autre.
Cela fait comprendre tous les inconvénients d'une telle locomotion soit par terre, soit par eau. Il suffit de vous présenter cette observation pour faire voir les désavantages qu'il y aurait à naviguer sur un cours d'eau mitoyen, alors qu'on peut prendre une autre voie.
Voilà pourquoi, d'après les plans de MM. Noël et Wolters proposés en 1854 par la chambre de commerce d'Ypres, il faut que le point de départ du canal soit à Menin.
Ensuite, messieurs, ce tracé a été admis après de longues études faites par les ingénieurs dont je viens de parler. Je tiens en main une grande carte très détaillée, concernant le projet.
Cette carte fait comprendre, à la seule inspection, toute l'importance, tous les avantages de la section de Menin à Ypres.
Le mémoire signé par le président de la chambre de commerce d'Ypres, M. J.-D. Vandenpeereboom, fait voir que par le tracé de Menin sur Ypres on obtient un autre avantage, en ce qu'on traverse la colline qui sépare le bassin de la Lys de celui de l'Yser dans la partie la plus facile à percer.
Cela résulte des études des ingénieurs cités. Ensuite on utilise sur les deux versants, vers Menin d'un côté, vers Ypres de l'autre, deux ruisseaux sur une distance très grande, savoir la Gheluwe-beek et la Bellewaert-beek.
Si l'on s'écarte sur certains points des cours d'eau, on reste dans les vallées, ce qui facilite le travail.
Après cela on a trouvé à la suite des sondages opérés sur le terrain que le long de ce tracé on rencontre presque partout des sources d'eau abondantes, notamment dans la crête de partage, de telle manière qu'on ne devrait pas recourir à l'alimentation artificielle, si ce n'est en temps de grande sécheresse.
Messieurs, il est un point sur lequel je désire surtout appeler l'attention de la Chambre et du gouvernement, c'est que pour faire cesser la solution de continuité dont il s'agit, on n'aura à faire que des sacrifices relativement minimes et seulement momentanés, qu'on n'oublie pas qu'il s'agit de relier la Haine à la mer du Nord par une voie de navigation directe et facile dans l'intérêt général du pays et de plusieurs arrondissements importants de la Flandre.
D'abord, l'arrondissement d'Ypres est particulièrement intéressé à l'exécution de cette ligne. C'est un arrondissement agricole, il est vrai, mais très riche, un arrondissement qui a 105,000 habitants et 70,073 hectares de superficie.
L'agriculture a particulièrement besoin, dans cette partie du pays de même que dans l'arrondissement de Furnes et de Dixmude, d'une grande quantité de chaux, que les hommes compétents ne craignent pas d'évaluer à 4,000 kilogrammes par hectare et par an, ce qui donnerait un mouvement de 150,000 tonneaux pour la moitié du terrain, soit 35,000 hectares.
Un agent d'affaires, né dans l'arrondissement, a bien voulu me communiquer une note pour ce qui regarde les houilles ; et pour la population de cet arrondissement, qui est de 105,010 habitants, il estime que la houille consommée actuellement, sans tenir compte de l'augmentation qui aurait lieu par suite de la construction du canal, peut être portée à 65,000 tonneaux par an.
D'après cet agent d'affaires, les transports des produits agricoles de l'arrondissement d'Ypres, tels que houblons, huiles, bois, grains et autres denrées, sont extraordinaires, surtout pour la France et le Hainaut Avant la construction du chemin de fer, dit-il, on comptait au moins 15 voitures par jour, soit 22,000 tonneaux par an, en prenant chaque voiture à 5,000 kilogrammes. Ce mouvement est considérablement augmenté depuis l'établissement du chemin de fer. Le canal l'augmenterait encore et l'absorberait presque entièrement.
Après cela, messieurs, nous avons les riches arrondissements de Furnes et de Dixmude qui seraient mis en communication directe avec la grande voie navigable qui se dirige vers le Hainaut.
Ces arrondissements occupent une superficie de 66,000 hectares et ont une population de 81,000 habitants. Puis vient la ville d'Ostende, que le canal rapprocherait de Bossuyt et qui a 15,800 habitants ; l'arrondissement du même nom en compte 30,000. La ville d'Ostende, par sa population et son port, doit nécessairement donner lieu à un grand mouvement commercial. Nieuport serait mis aussi en communication plus directe avec le Hainaut par le canal que je préconise. Aussi, la chambre de commerce d’Ypres faisait-elle remarquer, dans son mémoire de 1834, que j'ai déjà cité, que les améliorations projetées dès cette époque pour le port de Nieuport devaient augmenter les produits du canal comme celui-ci réagirait sur la prospérité de ce port, autrefois si florissant. Le projet en discussion tend à réaliser ces améliorations pour Nieuport et à créer, par conséquent, un nouvel élément de succès à la voie de communication dont il s'agit.
Il me reste un point important à traiter, messieurs, celui qui concerne la possibilité de l'exécution sans grands sacrifices du trésor.
Le mémoire de la chambre de commerce d'Ypres, qui est basé sur les travaux de MM. Wolters et Noël, établit à la page 39 que, dans les calculs, auxquels on s'est livré, pour prouver que le trafic du canal pourra suffire pour couvrir les dépenses, on est parti d'un point fixe, à savoir que, dans aucun cas, les péages proposés, y compris les frais, n'excéderaient pas le coût actuel de la navigation existante et laisserait au moins aux bateliers le bénéfice du temps, bénéfice considérable si l'on en juge par ce qu'en dit la chambre de commerce d'Ypres, puisqu'on pourrait faire trois voyages vers Ypres dans le temps nécessaire aujourd'hui pour en faire un seul ; on en ferait deux pour un vers Dixmude et Furnes, et l'on obtiendrait un avantage presque égal vers Bergues et Dunkerque.
La garantie du gouvernement, nécessaire pour attirer les capitaux, toujours timides, surtout lorsqu'il s'agit de canaux, deviendrait en peu de temps, purement nominale. Ce serait un stimulant moral.
Permettez-moi, messieurs, de vous dire quelques moit au point de vue des relations qu'établirait le canal que je défends, avec l'extrême Ouest du département du Nord ; et cette observation fera ressortir davantage encore le caractère d'utilité générale, le caractère d'intérêt national et international même de cette voie de communication. On s'imagine assez généralement, et c'est une idée que j'ai trouvée même dans un mémoire produit à l'appui du projet dont je prends la défense, on s'imagine que nos transports vers Dunkerque et les contrées voisines, sont devenus insignifiants.
C'est là une erreur. Il est vrai que ces transports ont assez notablement diminué, depuis quelque temps, par suite des améliorations apportées aux cours navigables du département du Nord, mais ce n'est pas à dire qu'ils soient devenus insignifiants. Ils ont diminué, je le répète, et c'est précisément pour les rendre plus importants, plus productifs que nous demandons une ligne directe vers le nord-ouest de la France. Ainsi, en 1834, d'après le mémoire que j'ai déjà cité plusieurs fois, les transport sur Dunkerque et sur Bergues sont évalués par MM. Wolters et Noël à 55,000 tonneaux par an pour les houilles de Mons et à 28,000 tonneaux pour les houilles d'Anzin et du Vieux-Condé.
Les houilles belges l'emportaient donc alors sur les houilles françaises. Aujourd'hui, la proportion est renversée et c'est particulièrement pour la ramener en faveur de la Belgique que nous recommandons le projet de canal dont il s'agit.
Si les transports étaient devenus réellement insignifiants, on pourrait dire qu'il n'y a pas moyen de lutter ; mais les chiffres que je vais avoir •'honneur de citer, messieurs, vous prouveront le contraire. Ce sont des chiffres officiels que j'ai puisés dans les rapports de la députation permanente de la Flandre occidentale.
Pour les houilles, il y a eu en 1856, une exportation de l Flandre occidentale, presque exclusivement par voie d'eau, de 24,390 tonneaux ; en 1857, de 26,649 tonneaux ; en 1858, de 38,142 tonneaux ; en 1859, de 27,512 tonneaux. Le chiffre de 1859 descend au-dessous du chiffre de 1858, mais le chiffre de 1859 reste encore supérieur à ceux de 1856 et de 1857. La comparaison de ces chiffres fait ressortir la lutte qui existe dans ces parages entre le bassin du couchant de Mons et les mines d'Anzin. Rien de plus frappant que ces chiffres pour faire voir toute l'utilité qu'offrirait une communication par eau plus directe vers la partie ouest du département du Nord.
Il y a lutte, mais, pour l'emporter dans cette lutte, il faut nécessairement faciliter les communications par voie navigable, et le seul moyen d'obtenir ce résultat, c'est d'exécuter le travail dont j'ai l'honneur de vous entretenir.
Il y a d'autres produits encore qui sont transportés dans la même direction et qui ont aussi leur importance.
Ainsi, par exemple (je cite toujours des chiffres officiels), en 1859 on a exporté de aà Flandre occidentale par terre et par voies d'eau 3,080 tonneaux de chaux, et 10,200 tonneaux de pierres et de marbre.
Et quant à ces derniers transports, je dirai que le traité avec la France nous donne, sous ce rapport, un grand avantage, de même que pour la houille, ainsi que je vais avoir l'honneur de vous le faire voir. Il en est de même pour les ouvrages enterre et en poterie dont on a exporté, en 1859, 2,253 tonneaux de la Flandre occidentale, surtout par voie navigable.
Messieurs c'est à un point très important, sur lequel je dois appeler particulièrement votre attention (page 1427) Il s'agit d'une amélioration notable qui résulte à toute évidence, pour ces voies de communication, du traité avec la France. Pour ce qui concerne la houille qui se transporte aujourd'hui à l'ouest du département du Nord par canaux belges et qui fait, pour arriver à destination, un circuit immense, vous savez que la zone vient d'être simplifiée ; au lieu de trois francs par tonneau qu'on paye aujourd'hui par cette zone, on ne payera plus qu'un franc 50 centimes.
Vous pouvez juger de l'accroissement qui devra en résulter pour les transports de Belgique ; en prenant les bateaux à 180 tonneaux, je crois que c'est le tonnage moyen des bateaux qui naviguent dans cette direction, c'est une diminution de 270 fr. par bateau.
Vous voyez le grand avantage qui doit en résulter ; il est entièrement en notre faveur dans la lutte à soutenir contre les mines d'Anzin ; c'est une faveur qui développera la navigation, qui augmentera le mouvement sur les rivières et les canaux dans une large proportion, de ce côté.
Il est d'autres produits dont l'exportation vers la France est également favorisée. Tels sont entre autres les pierres et les marbres.
Vous savez que la consommation des pierres de construction augmente partout par l'accroissement général de la prospérité publique et par l'usage auquel on s'habitue de plus en plus, depuis la construction des chemins de fer.
Je vous ai déjà parlé des ouvrages de terre, dont il se fait déjà des transports très remarquables vers la partie ouest du département du nord. L'exportation de ce produit, comme celle des pierres, est favorisée notablement par le traité. Quelques spécialités de ces deux articles sont même déclarées libres à l'entrée.
Le canal que j'ai l'honneur de patronner devant vous recevra un surcroît de mouvement par suite des facilités accordées à l'exportation de ses produits, qui se transportent déjà vers cette destination.
C'est un des arguments à l'appui de l'utilité de cette belle entreprise, et qui tend à établir la possibilité de l'exécuter sans grever le trésor public.
C'est un point capital, sur lequel je ne puis trop insister.
Comme l'a dit hier l'honorable M. Dolez, je comprends parfaitement qu'on ne peut pas tout faire à la fois, mais j'aurais désiré qu'on eût fait un pas de plus pour réaliser cette grande et magnifique entreprise, sollicitée depuis 30 ans par les chambres de commerce du Hainaut et de la Flandre occidentale et qui est à l'avantage, non seulement des arrondissements d'Ypres, de Furnes, de Dixmude et d'Ostende, mais de la généralité du pays.
Le trésor public y est également intéressé en ce que cette nouvelle voie navigable augmenterait les revenus du canal de Bossuyt à Courtrai, auquel le gouvernement accorde un minimum d'intérêt. C'est ainsi, messieurs, que les divers travaux d'utilité publique, canaux, chemins de fer, routes nationales, provinciales et communales, réagissant avantageusement les uns sur les autres, se développent et se complètent mutuellement pour la prospérité et la gloire de la patrie.
(page 1417) M. de Naeyer. - J'avais demandé la parole pour présenter quelques observations en faveur du projet de chemin de fer direct de (page 1418) Bruxelles à Louvain ; comme il a été décidé que ce projet ferait l'objet d'une discussion spéciale, j'ajournerai ce que j'avais à dire à cet égard, je me bornerai à faire quelques observations sur la canalisation de la Dendre et le chemin de fer de Lokeren à Terneuzen.
Quant à la canalisation de la Dendre, je suis satisfait des explications qui ont été données par l'honorable ministre des travaux publics ; en effet il en résulte d'abord qu'il n'a jamais été, qu'il n'a jamais pu être question de détourner de leur destination les fonds votés pour la canalisation de la Dendre ; j'ajouterai que je n'ai jamais partagé les craintes manifestées, sous ce rapport, par l'honorable M. Jouret.
Non seulement j'ai pleine confiance dans l'honorable ministre des travaux publics, mais je n'ai aucun motif quelconque pour ne pas avoir aussi la plus grande confiance dans les hommes de l'art chargés de la question de la Dendre dans notre province et notamment dans l'honorable et savant ingénieur en chef et directeur des travaux publics dans la Flandre orientale.
En second lieu il résulte de ces mêmes explications que le gouvernement a pris la résolution bonne, à mon avis, de ne pas mettre la main à l'œuvre avant que les études soient complètes et qu'il ait pu arrêter, en pleine connaissance de cause, le plan, l'ensemble des travaux à exécuter ; j'approuve entièrement cette manière de procéder, j'aime mieux dans cette circonstance une sage lenteur qu'une précipitation qui pourrait avoir les conséquences les plus funestes.
Messieurs, depuis plusieurs années j'ai fait de la canalisation de la Dendre l'objet d'études très sérieuses et très suivies, et j'ai acquis la conviction intime que celle question est très difficile et très compliquée, qu'elle touche à des intérêts nombreux et variés ; j'ai acquis aussi la conviction intime qu'il est impossible d'arriver aune solution juste et équitable sans faire une grosse dépense.
J'ai été franc dès le début de cette affaire, et je veux suivre la même ligne de conduite jusqu'au bout.
Longtemps avant la loi de septembre 1859, dans la séance du 25 mars 1858, on a parlé, dans cette enceinte, d'un projet de canalisation qui ne devait coûter que deux millions et demi à trois millions ; je suis entré alors dans de grands développements et j'ai déclaré, avec une entière franchise, qu'une somme de 5 millions ne suffirait même pas pour exécuter ce grand travail dans des conditions acceptables. J'ai d'ailleurs fait entendre, d'une manière très positive, que la dépensa irait à 7 ou 8 millions. Il paraît qu'aujourd'hui mes prévisions sont pour ainsi dire confirmées ; au moins il m'a semblé que cela résultait assez clairement des renseignements donnés par M. le ministre des travaux publics en séance publique et de ceux qu'il a bien voulu me communiquer ultérieurement.
Permettez-moi maintenant de dire encore deux mots de ce projet élaboré il y a plusieurs années, qui ne devait coûter que deux millions et demi à trois millions.
Je regrette que ce projet n'ait pas été livré à la publicité. Et je dirai qu'en général il est fâcheux qu'en matière de travaux publics, alors surtout qu'ils touchent à une foule d'intérêts, l'on ait trop peu recours à une publicité préalable qui serait cependant la meilleure de toutes les enquêtes, parce qu'elle s'adresse au pays tout entier.
Je voudrais que les colonnes du Moniteur fussent employées assez souvent à faire connaître les projets et les plans avant de les arrêter définitivement ; on pourrait ainsi provoquer des observations qui seraient de nature à prévenir des fautes souvent irréparables.
Nos ingénieurs sans aucun doute sont des hommes pleins de science et de dévouement à la chose publique ; mais ils ne sont pas infaillibles et ils ne s'entendent pas toujours entre eux. C'est un peu ce qui arrive, paraît-il, pour la question de la Dendre. Il y a plus, ceux mêmes qui sont doués des qualités les plus éminents ont quelquefois un attachement trop marqué pour leurs premières idées et leurs premières conceptions. Sous ces différents rapports, le contrôle de la publicité préalable ne pourrait avoir que de bons résultats et contribuer dans une certaine mesure à élucider les questions et à faire triompher ce qui est le plus propre à concilier tous les intérêts.
Ce mode de procéder serait aussi entièrement conforme à l'esprit de nos institutions.
Notre pays est essentiellement un pays de publicité. J'ajouterai que plus le public est initié aux actes du gouvernement, moins aussi la responsabilité du gouvernement est lourde, et quand il s'agit d'arrêter les plans et les projets de travaux publics, cette responsabilité est souvent très grande ; il importe donc qu'il y ait un examen et une discussion préalables très approfondie, et que tous les intérêts aient été mis à même de se faire entendre et de produire leurs observations.
Or, aujourd'hui qu'arrive-t-il ? Les plans et les projets sont délibérés* dans le secret des bureaux, et quand les connaît-on ? Lorsqu'il est trop tard pour en signaler les défauts, parce qu'ils ont déjà reçu leur exécution.
Je reste convaincu que la publication préalable au Moniteur, dont j'ai parlé, aurait une utilité incontestable.
Quoi qu'il en soit, quant au projet spécial auquel j'ai fait allusion, je le connais assez pour déclarer qu'il est aujourd'hui complètement insuffisant ; qu'il est impossible de songer sérieusement à le mettre à exécution sans y ajouter des rectifications et une foule de travaux complémentaires ; et j'ajouterai que si l'exécution devait en avoir lieu, ce serait une véritable calamité pour la vallée de la Dendre et une calamité contre laquelle je ne saurais protester assez énergiquement.
Si cette rivière était canalisée de cette façon, le gouvernement commettrait une iniquité révoltante, qui serait maudite par les populations riveraines et maudite à bon droit ; aussi je suis intimement convaincu que telles ne sauraient être les intentions du gouvernement, et je suis heureux de pouvoir remercier dès aujourd'hui l'honorable ministre d'avoir repoussé les propositions de demandes en concession qui avaient pour objet l'exécution de ce projet, et même quelque chose de moins encore. Cela réellement n'était pas sérieux, et M. le ministre a bien fait en déclarant ici publiquement qu'il ne pouvait être question d'accueillir des propositions de ce genre. Je dirai, en passant, qu'il en sera probablement de même de toutes les propositions de concession qui pourront surgir dans la suite.
Il s'agit, en réalité, d'un travail qui doit être fait par le gouvernement, précisément parce qu'il touche à cette foule d'intérêts dont je vous parlais tout à l'heure. Je ne crois pas qu'il soit jamais question de concéder la canalisation de la Meuse. Eh bien, on ne peut pas plus concéder la canalisation de la Dendre. Je crois même que c'est moins possible, parce que, à raison de la situation des propriétés riveraines, il y a ici des difficultés toutes spéciales, et que pour résoudre ces difficultés convenablement, il faut que le gouvernement se réserve de faire le travail.
Il pourra être question plus tard d'accorder la concession du canal d'Ath à Blaton ; ceci est un travail qui n'intéresse que la navigation, S c'est un ouvrage qui doit être exécuté uniquement dans le but de créer une voie navigable.
Mais quant à la canalisation de la Dendre, une foule d'intérêts viennent compliquer la question, et la concession n'est pas possible. Il faut que le gouvernement se décide carrément à exécuter lui-même, et toutes les demandes en concession n'auront qu'un seul résultat, c'est de faire perdre du temps aux ingénieurs et à l'administration ; j'en suis intimement convaincu.
Il y a un autre point sur lequel je désire m'expliquer avec la même franchise.
La canalisation de la Dendre doit s'exécuter en très grande partie dans l'arrondissement d'Alost. Cependant il ne faut pas croire que ce soit pour les beaux yeux de cet arrondissement que ce projet a été conçu.
Je protesterais même formellement contre l'idée qui pourrait naître de porter cette grosse dépense à notre compte dans le grand-livre des distributions budgétaires.
Messieurs, la canalisation de la Dendre est réclamée avant tout dans l'intérêt des grandes industries de cette magnifique province de Hainaut. C'est dans l'intérêt de l'arrondissement de Soignies d'abord ; c'est dans l'intérêt de l'arrondissement d'Ath, c'est surtout et avant tout dans l'intérêt de l'arrondissement de Mons. Voilà la vérité. Il est incontestable que dans ce que j'appellerai cette procession au budget, la place d'honneur revient à l'arrondissement de Mons.
Du reste, l'honorable M. Dolez l'a fait comprendre, toujours avec cette réserve pleine de dignité et pleine de sagesse dont il a véritablement le secret. Il a dit que l'arrondissement de Mons n'avait jamais rien obtenu en fait de travaux, si ce n'est le chemin de fer. Je ferai remarquer qu'il aurait pu même passer le chemin de fer sous silence. Car le chemin de fer construit par l'Etat, à travers l'arrondissement de Mons, rapporte les intérêts du capital employé et les frais d'exploitation, et même au-delà.
Cet arrondissement n'a jamais rien obtenu, disait l'honorable membre, pas même le canal de Jemmapes à Alost qui avait été décrété par la Chambre.
Ici il y a une petite erreur. La Chambre n'a jamais décrété ce canal ; elle en a autorisé la concession voilà tout. Mais quoi qu'il en soit, canal de Jemmapes et canalisation de la Dendre, c'est toujours la même (page 1419) chose. Il s'agît d'arriver au même but ; il s'agit de réaliser une grande idée qui date depuis plus d'un siècle, il s'agit de créer une grande ligne de navigation reliant directement le bassin de Mons au bas Escaut. Les industries du Hainaut ont besoin de cette voie navigable pour le transport de leurs produits pondéreux.
Ainsi Lessines en a absolument besoin pour transporter ses grès ; Maffles en a besoin pour transporter sa chaux et ses pierres ; Mons surtout et avant tout en a besoin pour le transport de ses charbons.
En un mot, cette canalisation de la Dendre, qui ne forme que les trois ou quatre premières sections de cette grande ligne de navigation qui sera complétée plus tard par la section définitive, à savoir le canal d'Ath à Blaton ou à Jemmapes, est pour le bassin de Mons ce que le canal de Charleroi est pour le bassin de Charleroi, et cette considération fait grandir le projet dont il s'agit en raison même des intérêts si considérables qu'il est appelé à desservir.
Il est certain que, dans certaine mesure, il en résultera aussi des avantages non seulement pour l'arrondissement d'Alost, mais aussi pour l'arrondissement de Termonde, de même que pour tout le pays de Waes, qui obtiendront certainement une grande facilité pour transporter les houilles et tous les produits du Hainaut, de même que pour toutes leurs relations commerciales avec cette riche province.
Vous voyez donc qu'il s'agit réellement d'intérêts très considérables. Vous avez l'arrondissement de Mons ; vous avez l'arrondissement d'Ath : vous avez l'arrondissement de Soignies ; vous avez l'arrondissement d'Alost ; vous avez l'arrondissement de Termonde, le pays de Waes et ensuite plusieurs communes, plusieurs cantons de l'arrondissement de Bruxelles, en tout au moins un demi-million d'habitants, sans compter même la province d'Anvers qui en profitera également et les facilités pour nos exportations vers la Hollande.
Cela vous prouve, messieurs, que le chiffre de 8 millions, que je vous citais tout à l'heure, n'a rien d'exagéré en présence de cette foule d'intérêts qu'il s'agit de desservir.
Il n'y a personne qui puisse jeter la pierre à ce travail, si vous avez égard à la répartition des autres travaux publics exécutés en Belgique. Il est d'ailleurs à remarquer que l'arrondissement de Mons, comme l'a dit l'honorable M. Dolez, n'a rien obtenu jusqu'ici. Je crois que l'arrondissement d'Ath n'a non plus rien obtenu, et l'arrondissement de Soignies, si je ne me trompe, du moins dans la partie qui appartient à la vallée de la Dendre, n'a jamais rien obtenu, et il en est incontestablement de même pour l'arrondissement d'Alost. Le pays de Waes nous a fait entendre ses doléances ; il n'a non plus rien obtenu. Je ne sais trop si l'arrondissement de Termonde est plus privilégié. Il s'agit donc évidemment d'une foule d'oubliés dans les partages antérieurs, d'où il suit que la dépense s'élevant même à un chiffre très élevé est parfaitement justifiée. Les seuls avantages qui doivent en résulter pour le bassin (erratum, page 1449) de Mons suffiraient pour la légitimer.
Mais voici une grande différence sous le rapport des positions. Pour le Hainaut, l'ouvrage sera nécessairement utile, il ne peut être qu'utile et cela par une raison fort simple, c'est que le Hainaut est placé en amont de la rivière. Mais pour nous qui formons le territoire d'aval, l'utilité éventuelle est subordonnée à une foule de mais. Oui, la canalisation de la Dendre nous sera utile pour le transport de nos marchandises ; mais si tels et tels ouvrages ne sont pas exécutés, elle pourra être très désastreuse pour la vallée de la Dendre ; elle pourra amener la ruine de nos belles et riches propriétés et être une véritable calamité pour les populations riveraines.
C'est surtout ici qu'il y a une grande responsabilité pour le gouvernement. J'insiste particulièrement sur ce point et je n'admets pas du tout qu'ainsi que l'a dit l'honorable M. Jouret, le gouvernement s'arrête trop à certains scrupules. Si crois qu'il a le sentiment de son devoir ; il veut examiner sérieusement et il fait bien.
Il y a, pour nous, dans cette affaire, trois grandes questions, la question des inondations, qui peuvent, en toutes saisons, en hiver comme en été, avoir les conséquences les plus désastreuses pour les villes de Grammont, de Ninove et d'Alost, et en été, elles peuvent causer des pertes incalculables pour les prairies de la Dendre.
Messieurs, à côté de cela, il y a la question du dessèchement et de l'assainissement des bas-fonds, des propriétés situées à un niveau inférieur aux bords de la Dendre.
Dans l'état actuel des choses, comme la navigation est intermittente et qu'il en résulte que deux fois par semaine le lit de la rivière est à peu près à sec, cela procure les plus grandes facilités pour l'évacuation des eaux surabondantes des terrains que je viens de désigner ; mais quand vous aurez une navigation permanente, cet avantage disparaît complètement, au moins pour les propriétés situées en amont des écluses puisqu'il faut toujours tenir la ligne de flottaison à un niveau donné, qui ne permet plus l'écoulement des eaux surabondantes. Sous ce rapport il y a donc évidemment des mesures à prendre ; il est indispensable de faire des ouvrages spécialement destinés à rendre les services que la Dendre peut rendre aussi en a qui concerne l'assainissement, le dessèchement des propriétés riveraines. Le gouvernement a même pris l’engagement formel que la situation de ces propriétés serait améliorée autant que possible. La loi a été votés en ce sens.
Mais, messieurs, il est une troisième question qui est tout aussi importante, c'est la question des irrigations. Aujourd'hui les irrigations ont lieu, en hiver, par le débordement et elles donnent une très grande valeur aux prairies ; elles viennent y déposer un limon qui est un excellent engrais.
Il faudra des études très sérieuses pour trouver le moyen de conserver cet avantage.
Voici, messieurs, la difficulté : aujourd'hui, comme la rivière n'est endiguée nulle part, les bords présentent un niveau parallèle à la vallée et dans les crues ordinaires les eaux se déversent de chaque côté d'une manière uniforme.
C'est l'irrigation par débordement, qui n'occasionne aucune dépense et qui fait en grande partie la valeur de nos propriétés. Mais quand on aura endigué la Dendre afin de pouvoir maintenir une ligne de flottaison uniforme dans chaque bief, cet état de choses se trouvera considérablement modifié. Il faut donc que l'on recherche très attentivement le moyen de remplacer les irrigations qui ont lieu naturellement aujourd'hui. Sans cela nos prairies, qui ont (erratum, page 1449) tant de valeur aujourd'hui, subiront une détérioration immense. C'est un point de la plus haute importance et qui, en général, ne fixe pas assez l'attention des ingénieurs, qui manquent souvent de connaissances agronomiques.
Canaliser une rivière, messieurs, qu'est-ce que c'est ? C’est transformer la rivière en canal. Le canal a des usages que la rivière n peut pas avoir, mais la rivière a aussi des usages que le canal ne peut pas avoir non plus. Si donc on nous enlève notre rivière en la transformant en canal, on est obligé de la remplacer sous le double rapport de l'écoulement des eaux surabondantes et de l'irrigation.
J'appelle, messieurs, air ce point toute l'attention de M. le ministre des travaux publics.
Je ne puis assez le répéter, il y a pour le gouvernement une très grande responsabilité dans cette affaire, et je serais heureux si, avant de prendre une décision, il voulait bien livrer les projets et les plans à la publicité, ne fût-ce que par la voie du Moniteur.
Quant au chemin de fer de Lokeren à Terneuzen, les raisons qui militent en faveur de ce projet ont été parfaitement exposées par mon honorable ami M. de Decker.
Il est évident d'abord qui notre réseau de chenin de fer ne présente aucun point qui soit aussi rapproché de Terneuzen que Lokeren.
Il est encore clair et clair comme le jour que la construction de la ligne projetée est le seul moyen de donner un peu de vie à ce malheureux tronçon de chemin de fer de Termonde à Lokeren, qui est exploité par le gouvernement et qui ne couvre probablement pas ses frais d'exploitation.
M. le ministre a bien voulu nous dire que ce projet serait compris dans l'enquête qu'il a l'intention d'ouvrir, mais si je l'ai bien compris l'enquête consisterait uniquement à consulter les chambres de commerce d'Anvers et de Gand ; il me semble qu'il faudrait bien consulter aussi d'autres chambres de commerce, notamment celles d'Alost, de Termonde et de Saint-Nicolas.
On a dit, si je ne me trompe, que l’avis de ces trois dernières chambres est pour ainsi dire connu d'avance, mais je crois que la même observation pourrait être appliquée à la chambre de commerce de Gand qui trouvera naturellement que la ligne de Gand à Terneuzen est très utile.
De même, les chambres de commerce d'Alost et de Termonde proclameront l'utilité de la ligne de Lokeren vers Terneuzen ; de même encore la chambre de commerce de Saint-Nicolas, fera ressortir tous les avantages de la ligne partant de Malines et passant par Tamise et Saint-Nicolas. Mais en définitive, quelle sera l'utilité de cette enquête ?
Je concevrais l'utilité de l'enquête si l'un projet réclamait la préférence sur l'autre, mais il n'en est rien. Les honorables collègues de Saint-Nicolas déclarent formellement qu'ils ne font pas la guerre à notre ligne, nous faisons la même déclaration à leur égard, d'autant plus qu'en pareille matière nous avons pour habitude de ne combattre que (page 1420) l'exclusion. Quant à Gand, il n'est pas possible de supposer que cette ville forme opposition à l'exécution des deux autres lignes. Cela serait véritablement déraisonnable.
J'admets qu'il est convenable d'entendre les objections de la chambre de commerce d'Anvers. Mais ici encore aucune opposition sérieuse n'est à craindre, il me paraît évident qu'Anvers ne saurait être effrayé de ce que Gand, Saint-Nicolas et Lokeren ont des communications directes avec Terneuzen, car avec des idées aussi mesquines on irait jusqu'à interdire la navigation sur le canal de Gand à Terneuzen. Evidemment notre métropole commerciale est animée de principes plus larges et plus libéraux. Il me paraît donc évident que l'enquête dont on parle ne saurait être qu'une simple formalité et cela, évidemment, ne doit pas empêcher le gouvernement d'accepter l'autorisation de concéder les trois lignes dont il s'agit. Il va de soi que le gouvernement ne fera usage de cette autorisation qu'après s'être assuré que les demandeurs en concession présentent des garanties sérieuses.
M. de Mérode-Westerloo. - Messieurs, toute concession, tout tracé de chemin de fer a le privilège d'exciter à un haut degré l'attention de la région qu'il est appelé à traverser, des populations qu'il est destiné à desservir. Cela se conçoit aisément. Au point où en est aujourd'hui arrivé en Belgique l'établissement des voies ferrées, toute contrée qui en est dépourvue se trouve, sous le rapport économique, dans une situation inférieure à celle du reste du pays. Je vous laisserai donc juges, messieurs, de l'inquiétude que doit amener, au point de vue des intérêts matériels, la perspective, pour une région assez étendue, d'être à jamais privée d'une ligne ferrée rapprochée, surtout lorsqu'elle la voit éloigner de son territoire sans motif grave et qu'un léger détour suffirait pour la doter de ce précieux instrument d'échange, qui ne chôme jamais. Telle est cependant, messieurs, la position actuelle d'une grande partie de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter plus particulièrement dans cette enceinte.
Déjà lors de la concession du chemin de fer de Lierre à Turnhout en 1853, la partie sud-est de l'arrondissement pétitionna pour obtenir un tracé qui rapprochât d'elle la susdite ligne concédée, afin de lui donner un degré plus complet d'utilité pratique. Ses vœux ne furent point entendus alors et, sous prétexte d'économie dans l'acquisition des terrains, la ligne de Lierre à Turnhout ne fit qu'effleurer, sur la première partie de son parcours, l'arrondissement en question, laissant à une grande distance (10 kilomètres au moins) sa région la plus peuplée et la plus productive, au point de vue agricole et sylvicole.
Il ne lui restait plus d'espoir que dans la ligne ferrée de Louvain à Herenthals, dont la concession éventuelle par le gouvernement avait été autorisée par la loi du 21 juin 1853.
Cette concession définitive vous est soumise aujourd'hui, messieurs, et il n'y a plus de doute possible que sur le tracé, grave question d'intérêt général, je le veux bien, mais aussi d'intérêt régional, si je puis m'exprimer ainsi.
L'honorable rapporteur de la section centrale a dit que les déshérités d'aujourd'hui seraient les satisfaits du lendemain. Mais, messieurs, cela n'est malheureusement pas rigoureusement exact. Un chemin de fer une fois construit exclut pour longtemps, si pas pour toujours, un autre chemin de fer dans un rayon assez étendu, et c'est ce que redoute, à bon escient, la partie sud-est de l'arrondissement de Turnhout. L'honorable M. Notelteirs, plaidant la cause de la direction par Heyst-op-den-berg, parlait du mépris complet dans lequel les adversaires de cette direction semblaient laisser l'intérêt légitime du canton de Heyst-op-den-berg.
Mais rien ne serait plus légitime que de lui rétorquer l'argument, que de lui parler de l'intérêt de toute la partie sud-est de l'arrondissement de Turnhout, réunissant une population de 10 mille âmes et offrant une vaste surface boisée à l'industrie des transports, qui se feraient ainsi à charge, et à l'aller, et au retour.
Mais le tracé par l’arrondissement de Turnhout se trouve, comme on le disait naguère, sur les cartes postales affichées depuis plusieurs années dans tous les bureaux de poste de la Belgique ; n'est-ce donc rien que cette promesse tacite, que toute une contrée puise ainsi dans un document imprimé par ordre du gouvernement, et ne pourrait-on pas dire, avec raison, qu'il y aurait déni de justice h n'en pas tenir compte ?
Que doit donc vouloir et rechercher avant tout le gouvernement dans les concessions de chemins de fer ?
Non seulement de créer des lignes de grande communication, mais aussi de mettre ce mode de transport facile, économique, permanent à portée de la plus grande somme possible de population, même au moyen d'une courbe légère ; c'est ainsi qu'il a agi pour tous les chemins de fer construits aux frais du trésor public,
Faut-il maintenant que les intéressés perdent, et cela à tout jamais, les avantages qu'ils espéraient, à bon droit, du chemin de fer en discussion, parce que ce dernier est livré à l'industrie privée ? Je ne le pense pas ; ce ne serait point là un acte conforme à la sollicitude paternelle, que le gouvernement a apportée jusqu'ici en pareille matière.
Quels bienfaits multiples apporterait à la région campinoise le chemin de fer à concéder ! Il se relie, à Louvain, au railway de cette ville à Charleroi, et l'on peut dire qu'il a ainsi son origine dans le bassin houiller de Charleroi. Par Ottignies, il est relié au bassin du Centre et aux riches exploitations de pierres de tailles, de pavés et de fours à chaux des environs de Manage.
La chaux, cet amendement indispensable aux défrichements des terres basses, cet élément de toute construction, même rurale, est d'un transport encombrant et coûteux à cause de son poids, et plus encore pour la Campine, vu l'éloignement de cette contrée de tous les centres de fabrication. Ces considérations auraient, j'en suis sûr, déterminé le gouvernement à suivre le tracé que nous demandons, s'il avait lui-même construit la ligne, comme il le fait de Diest à Aerschot.
Un dernier motif, messieurs, milite en faveur du droit acquis par une partie de l'arrondissement de Turnhout, au tracé contenu dans l'amendement que mon honorable collègue et moi nous avons déposé.
Ce tracé relie en effet une partie notable de l'arrondissement au chef-lieu administratif, qui en est aujourd'hui éloigné de 35 à 40 kilomètres et efface ainsi une grande charge lors des élections politiques qui ont lieu, comme vous le savez, au chef-lieu de district. Aussi, la ville de Turnhout réclame-t-elle instamment dans deux pétitions, des 20 décembre 1860 et 4 mai courant, le tracé qui la rapproche des régions avec lesquelles elle est en rapports incessants.
Je me borne, messieurs, à ces observations qui établissent, me semble-t-il, et notre droit acquis et l'intérêt vital d’une grande partie de la Campine à l'adoption du tracé par le sud-est de l'arrondissement de Turnhout. J'ajouterai seulement que d'abondants minerais de fer n'attendent qu'un transport facile pour se diriger vers les hauts fourneaux des environs de Charleroi. De nombreuses pétitions déposées sur votre bureau montrent le haut intérêt qu'attachent au projet nos laborieux habitants de la Campine, dont le sort est désormais, messieurs, entre vos mains.
M. Beeckman. - Messieurs, la Chambre est fatiguée de cette longue discussion, ce qui me force d'être bref ; d'autre part j'aurais peu d'arguments à ajouter à ceux développées par mon honorable collègue et ami, M. Landeloos.
Je me bornerai, messieurs, à répondre quelques mots aux honorables députés de Malines qui demandent que le tracé du chemin de fer de Louvain à Herenthals passe par Heyst op-den-Berg.
Messieurs, d'après les honorables membres, ce tracé sauvegarde l'intérêt général et l'intérêt de la société concessionnaire.
Il me sera facile, messieurs, de prouver que le tracé par Aerschot est plus favorable à l'intérêt général.
D'après l'exposé des motifs du projet de loi, la ligne d'Aerschot vers Diest est un tronçon de la ligne directe d'Anvers vers Hasselt par Aerschot et Diest ; or le tracé par Aerschot raccourcira notablement cette nouvelle voie de communication.
M. les honorables députés de Malines trouvent une contradiction dans les arguments de l'honorable M. Landeloos, parce que d'une part il demande la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, et que d'autre part il n'accepte pas le tracé direct de Louvain à Herenthals par Heyst-op-den-Berg. Messieurs, ma réponse sera facile à cette objection. D'abord la ligne directe de Bruxelles à Louvain raccourcit de moitié environ la distance du détour par Malines, elle aboutit à deux villes importantes, dont l'une la capitale du pays et l'autre une des plus industrieuses de la province, et cela sans préjudice aucun pour les autres localités ; au contraire, la nouvelle ligne directe dote d'un chemin de fer une contrée qui n'en a pas.
Au contraire par le tracé de Heyst-op-den-Berg, il n'y a pas de ville, pas même de communes importantes qui se trouveraient reliées plus étroitement entre elles, même en supposant la continuation de la ligne vers la Hollande ; de plus le raccourcissement se ferait précisément au préjudice des seules localités importantes que le chemin de fer est appelé à desservir. Car il est évident que par le tracé de Heyst-op-den-Berg vous obligez tout ce qui part de Diest ou d'Aerschot pour se rendre soit à Anvers en Campine ou vers l'Intérieur du pays, à faire un détour à ceux-ci de 6 kilomètres et les autres de 2 kilomètres.
Et on construirait cette ligne pour raccourcir un chemin de fer destiné en grande partie au transport du charbon, ensuite pour ne pas (page 1421) laisser sans voie ferrée une population de 5,000 âmes sans la moindre industrie, tout agricole et tellement éparpillée que les habitants situés vers l'ouest de la commune se trouveront à peu près à la même distance du chemin de fer de l'Etat que de la ligne que proposent les honorables députés de Malines !
Un autre argument, messieurs, c'est une ligne internationale.
J'ai déjà dit que le tracé par Heyst-op-den-Berg raccourcit la ligne de Louvain à Herenthals, mais avec ce désavantage d'allonger de plusieurs kilomètres celle d'Anvers vers Hasselt.
Vous voyez, messieurs, que c'est à tort que l'honorable M. Notelteirs a voulu chercher une contradiction dans les paroles de mon honorable ami M. Landeloos.
Il n'y a, messieurs, aucune analogie entre la ligne directe de Bruxelles à Louvain et celle de Louvain à Herenthals. Messieurs, le tracé de Louvain à Herenthals par Aerschot coûtera moins, et certes, il ne coûtera pas plus.
Le simple examende la question prouve donc que le tracé par Aerschot est le meilleur, tant dans l'intérêt général que dans l'intérêt de la société concessionnaire.
Et quand même, messieurs, ces raisons n'existeraient pas, encore incomberait-il à l'honneur de la Chambre de refuser son assentiment à un projet adopté par la législature le 24 juin 1853 ?
Messieurs, les villes de Diest et d'Aerschot n'ont ni chemin de fer ni canal. Jusqu'à ce jour on n'a rien fait pour ces localités afin de favoriser leur développement et leur prospérité. Je dirai même que pour la ville de Diest l'abolition des octrois a détruit en partie l'industrie des brasseries qui formait sa seule et dernière richesse.
Je termine, messieurs, ne voulant pas abuser des moments de la Chambre. Messieurs, j'ai cherché à vous 'prouver en peu de mots que l'honneur de la Chambre, que la justice du gouvernement, que l'intérêt si longtemps méconnu d'une partie notable de la province de Brabant, que l'avenir de la ligne projetée, que tout en un mot s'associe pour appuyer l'amendement que j'ai signé avec mes honorables collègues.
Encore un mot, messieurs, une pétition qui se trouve sur le bureau et émanant de la ville de Louvain, demande que l'on comprenne dans le projet en discussion un canal partant du canal de Louvain à Malines vers Werchter, ainsi qu'un embranchement du canal de Diest vers le canal de la Campine.
Messieurs, en 1855 et 1856, j'ai fait, d'accord avec un honorable collègue du conseil provincial du Brabant, la proposition d'émettre un vœu en faveur de ces deux canaux. Cette proposition fut adoptée par cette assemblée !
Aujourd'hui, messieurs, je me borne à la recommander à la bienveillance de l'honorable ministre des travaux publics.
M. de Ruddere de Te Lokeren. - Messieurs, je viens appuyer mes honorables collègues pour la demande de la canalisation de la Dendre, particulièrement au point de vue des inondations dont se plaignent à juste titre les propriétaires riverains et qui font un tort immense du trésor public par la dépréciation des terres. J'ai confiance dans les explications que M. le ministre des travaux publics a bien voulu donner à la Chambre. J'espère qu'il voudra presser les ingénieurs de lui soumettre les plans et devis dans un bref délai pour pouvoir soumettre à la Chambre dans la session prochaine un projet de loi de crédit supplémentaire pour effectuer cet utile et urgent travail.
Puisque j'ai la parole, messieurs, je crois devoir dire un mot des trois projets de chemins de fer qui partent de trois points différents pour aboutir tous à Terneuzen. Ils sont appuyés tous les trois. La discussion a été assez approfondie pour me dispenser d'en occuper la Chambre plus au long, d'autant plus que M. le ministre des travaux publics a promis de consulter les chambres de commerce sur ledit chemins de fer.
Cependant, messieurs, je trouve que la ligne de chemin de fer partant de Lokeren est dans une position plus avantageuse que les deux autres, elle fait suite au chemin de fer de Dendre et Waes vers la Zélande, dont l'Etat a l'exploitation et qui doit rendre cette ligne plus productive pour le trésor public ; c'est aussi la ligne la plus courte et qui entraînera moins de dépense..
Je suis favorable au chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand passant par Grammont et Sottegem dans l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte. Ce chemin sera une source de revenu pour le trésor public et pour les communes traversées par ledit chemin un accroissement de prospérité.
M. Rodenbach. - Messieurs, je partage entièrement les sentiments qu'a exprimés mon honorable collègue M. Dumortier en ce qui concerne les arrondissements de Roulers et de Thielt. Depuis plus d'un quart de siècle j'ai vainement sollicité la canalisation de la Mandel ; d'année en année nous avons réitéré nos vœux à cet égard. Aujourd'hui nous trouvons, dans le rapport de la section centrale, des promesses, M. le ministre y a répondu de la même manière à nos sollicitations en disant que la ville de Roulers est très prospère, qu'elle est extrêmement avancée en industrie, qu'elle est progressive, etc., etc., qu'il lui accorde sa bienveillance et qu'elle la mérite.
La section centrale a adressé les mêmes éloges à la ville et au district de Roulers Mais, messieurs, tout se borne à des promesses, il n'y a point de faits. Messieurs, je sais que la Chambre est pressée d'en finir, je n'en dirai pas davantage en ce moment. Demain, quand on en sera aux articles, je présenterai avec mes honorables collègues et amis MM. Dumortier et Le Bailly de Tilleghem, un amendement tendant à faire consacrer le principe de la canalisation de la Mandel et à obtenir les subsides promis par les ministres passés et présents. J'entrerai demain dans de plus grands détails.
M. Desmaisières. - Messieurs, je viens appuyer la demande qu'a faite tout à l'heure l'honorable M. de Haerne et qui est relative à l'achèvement du canal de Schipdonck. Ce canal constitue, sans qu'on puisse le contester, un des ouvrages les plus utiles aux intérêts généraux du pays, qui aient été construits depuis 1830. Il importe donc, puisqu'il s'agit ici d'un intérêt général évident, que ce canal soit promptement achevé.
M. Julliot, rapporteur. - Messieurs, je demande la permission à la Chambre de résumer en peu de mots la discussion générale et de rappeler la pensée qui a présidée au travail de la section centrale.
Quand il est décidé et admis que le gouvernement fournira des instruments de travail et d'échange au public, selon ses besoins, la mission de ce gouvernement est des plus difficiles.
Il a deux tâches capitales et opposées entre elles à remplir. La première, c'est de sauvegarder la situation du trésor au point de ne pas devoir recourir à de nouveaux impôts pour couvrir des découverts.
La seconde, c'est de satisfaire aux besoins les plus réels, les plus légitimes, c'est de choisir, entre toutes les sollicitations qui se font jour, les travaux d'utilité qu'il proposera immédiatement et ceux qu'il postposera.
Dans cette seconde mission le gouvernement est secondé par toute la Chambre, tous veulent l'aider à choisir, et on l'aide trop, car si, tous, ils arrivaient à leur fin immédiatement, une grande partie du capital numéraire circulant du pays y passerait.
Pour qu'un gouvernement résiste à un concours si enthousiaste, il faut qu'il soit fort, qu'il ait les sympathies des populations et qu'il inspire de la confiance ; car pour la défense de la caisse, pas une main ne se présente ; les meilleurs amis des ministres sont muets parce qu'on ne soutient pas ces choses-là ; ce n'est pas parlementaire.
Quand le gouvernement s'est préparé à présenter un projet de travaux, il a reconnu, et la section centrale aussi, qu'avant de perfectionner, il fallait créer, et comme ces deux espèces de travaux étaient à faire, il a suivi l'ordre que la nature des choses indiquait.
Oui, la ligne directe de Bruxelles à Louvain sera faite et d'autres grandes lignes indiquées ou demandées et que l'on concédera bientôt, la section centrale l'espère.
Oui, le canal de Charleroi sera élargi.
Mais faut-il donner une cinquième ou sixième ligne à certaines villes, en laissant d'autres privées toujours de toute communication ?
Faut-il élargir des canaux parce qu'il y a trop de navigation ; alors que d'autres voies indispensables sont si négligées que la navigation est impraticable la moitié de l'année ?
Voilà la question telle qu'elle a été posée à la section centrale.
Messieurs, la section centrale a eu confiance, et la Chambre la partagera, dans la droiture du gouvernement, dans les bonnes intentions et dans l'aptitude à les mettre en pratique de M. le ministre des travaux publics ; et pour ma part, j'ajoute que ce que j'entends dire, sans distinction de parti dans les conversations particulières, je me plais à le dire tout haut ici, car ce n'est que justice.
Messieurs, dans la discussion générale, le travail de h section centrale a été peu attaqué pour ce qu'il contient.
L'honorable comte de Theux s'est plaint de ce que le projet ne fait pas assez pour l'arrondissement que je représente, et pour mieux nous aider, il indiquait, comme remède, un ajournement avec notre renvoi aux calendes grecques. Merci.
Puis, différentes critiques ont été adressées aux fonds destinés à l’amélioration du cours de la Meuse.
(page 1422) La section centrale s'est bien renseignée sar les motifs de cette dépense, elle a reconnu que, si la nature a moins fait pour un de nos grands fleuves que pour un autre, c'est à l'art à y suppléer dans une juste mesure.
Elle a reconnu que, quand un élément économique demande plus d'efforts d'entretien qu'un autre, ce n'est pas une raison pour ne pas maintenir l'harmonie dans l'ensemble.
Plusieurs membres se sont plaints de ce que la section centrale n'avait pas inscrit à son rapport quelques travaux supplémentaires à ceux du projet.
La section centrale a envisagé le présent projet comme suite à celui de 1859.
Messieurs, la section centrale est allée aussi loin que possible dans sa bienveillance pour un grand nombre de travaux dont elle a reconnu la haute utilité.
Mais il lui a semblé qu'elle ne pouvait décréter de nouveaux travaux d'utilité publique alors qu'elle ne pouvait ni assigner ni créer les voies et moyens nécessaires à leur exécution.
Un vote de travaux sans consécration financière n'eût pas été sérieux.
La section centrale a témoigné de ses vives sympathies, elle a fait pressentir des promesses, si vous le voulez, parce qu'elle pense qu'une partie de ces promesses, en rapport avec les ressources futures du trésor, seront tenues par le gouvernement.
Les précédents parlementaires justifiant ces prévisions, car toujours les choses se sont passés ainsi, les promesses antérieurement faites ont été réalisées ; celles qui se font aujourd'hui se réaliseront de même.
Messieurs, heureux le peuple qui peut appliquer toute son énergie dans les discussions parlementaires à des questions d'opportunité et de priorité en fait de travaux d'utilité publique !
Ces questions de priorité doivent être réglées de commun accord, elles l'ont toujours été ainsi, elles le seront encore. Messieurs, conservons intacte la position que nous avons acquise, et ne portons aucune atteinte même économique à la ligne de cette grande famille belge où tous les intérêts sont en communauté.
La Chambre ne brisera pas les liens économiques qui existent entre le passé, le présent et le futur, et tous gagneront à respecter cette solidarité.
Si quelque partie puissante du pays, sous prétexte de droit à la préséance faisait échouer les bonnes intentions du gouvernement vis-à-vis d'autres parties, il n'y aurait plus à l'avenir, sur le terrain économique, d'entente possible entre les divers intérêts, il y aurait jalousie et antipathie et cela serait regrettable au point de vue du système qui fonctionne parce qu'on aboutirait à ne plus rien faire.
La section centrale espère que son travail, sur lequel la discussion a été ouverte, recevra la consécration du vote de la Chambre, dans la prévision que, dans un avenir peu éloigné, le gouvernement pourra s'occuper de nouveaux intérêts qui ne reçoivent pas une satisfaction instantanée.
Ce n'est pas une question d'opportunité ou de priorité qui fera échouer une loi dont la disparition entraînerait une inaction durable peut-être de la part du pouvoir et compromettrait les intérêts matériels du pays.
Nous voterons la loi, et le pays applaudira à notre raison autant qu'à notre union.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, la Chambre a hâte d'en finir ; je n'abuserai pas longtemps de ses moments.
Je présenterai seulement quelques observations en réponse à certaines réclamations qui se sont produites, et je dirai encore quelques mots de certains amendements qui ont été déposés.
Messieurs, l'honorable M. B. Dumortier a dit tout à l'heure que le projet de loi ne tient aucun compte de l'esprit de justice distributive qui devrait présider à tous les projets de cette nature.
J'ai déjà répondu, et je réponds encore, que le projet actuel ne peut pas être considéré isolément, qu'il faut le rattacher à la loi de 185 dont il n'est que le complément.
L'honorable M. Dumortier prétend qu'il n'y a de faveurs, dans le projet que pour les provinces de Liège et d'Anvers ; que presque toutes les autres provinces, et notamment le Brabant et les Flandres, en sont exclues.
Ma réponse sera péremptoire ; je me bornerai à rappeler les différents objets qui figurent dans la loi de 1859.
Or, voyons de quoi cette loi se compose ;
Il y figure :
1° Un crédit pour l’achèvement du canal de Deynze à la mer du Nord ;
2° Un crédit pour l'approfondissement du canal de Gand à Bruges ;
3° Un crédit pour l’élargissement de la deuxième section du canal de la Campine ;
4° Un crédit destiné à l’amélioration du port d'Ostende ;
5° Un crédit pour travaux de canalisation de la Lys.
Nous voyons ici que, sur cinq crédits, quatre sont afférents aux Flandres.
Viennent ensuite des allocations pour l’approfondissement de la Sambre, pour l’amélioration du régime de la Grande-Nèthe, de l'Yser, du canal de Plasschendaele. Encore pour les Flandres !
Suit un crédit de 2,500,000 francs pour l'amélioration du régime des eaux de la Dendre. Encore en partie pour les Flandres !
Amélioration de l'écoulement des eaux, de la navigation et du halage de l'Escaut. Encore en partie pour les Flandres !
Nous avons ensuite un aqueduc latéral à la Meuse, entre le bassin d'Avroi et le canal de Liège à Maestricht. Il s'agit d'un modeste crédit de 210 mille francs, auquel on pourrait d'ailleurs soutenir que le gouvernement était tenu.
Puis nous avons un crédit global d'un million de francs pour raccorder des routes aux chemins de fer.
Vient le paragraphe 13 qui alloue un crédit de 12 millions pour le parachèvement du railway national, c'est-à-dire un crédit qui, comme le précédent, doit être réparti sur toutes les sections du réseau.
Le paragraphe 13 comporte un crédit de 1,200,000 francs pour le transfert, rue de la Loi, des ministères de la justice et des travaux publics.
Le paragraphe 15 alloue 2 millions pour la part de l'Etat dans les frais de construction d'un palais de justice à Bruxelles.
Enfin les paragraphes 10 et 18 se rapportent à des constructions qui doivent s'exécuter à Bruxelles.
Voilà la loi de 1859. Vous voyez qu'elle s'applique promue exclusivement à des travaux importants à faire dans le Brabant et dans les Flandres.
Le reproche adressé au projet actuel par l'honorable M. Dumortier est donc essentiellement mal fondé, et pour réfuter sa critique, encore une fois il suffit de relire la loi de 1859.
Messieurs, l'honorable M. d'Hoffschmidt disait, il y a quelques jours, que si le gouvernement allouait 20 millions de plus pour les travaux publics, le projet rencontrerait probablement l'adhésion unanime de la Chambre.
Je l'ai interrompu en lui disant : « Pas du tout. » Je dois encore dire : « Pas du tout.» Le gouvernement aurait à sa disposition 20 millions de plus qu'il serait très loin de pouvoir satisfaire tout le monde.
Je crois que l'administration actuelle a largement payé sa dette à ce qu'elle doit au pays en fait de travaux publics.
La loi de 1859 n'allouait pas moins de 33 millions de francs pour ouvrages d'utilité publique ; le projet actuel, indépendamment des travaux qu'il décrète en principe, alloue pour le même objet au-delà de 8 millions.
Ainsi, en moins de deux ans, le cabinet a proposé à la Chambre d'allouer plus de 40 millions pour travaux publics. Je le répète, c'est largement payer sa dette.
Maintenant, voyons ce qu'on demande au gouvernement, non seulement pour les travaux indiqués pour un avenir plus ou moins prochain, plus ou moins éloigné, mais encore pour les travaux dont on réclame l'exécution immédiate.
Bruxelles vous demande comme pis-aller la construction d'un chemin de fer direct vers Louvain par voie de concession. Mais la construction par l'Etat lui conviendrait bien mieux. La dépense de ce chemin est évaluée à 7 millions au minimum.
L'arrondissement de Charleroi se contenterait de la construction du chemin de fer de Baume à Marchienne qui doit coûter 5 millions, et de l'élargissement du canal de Charleroi qui, de son côté, exigerait plus de 12 millions.
Cela fait pour Charleroi une somme de 17 millions. Ajoutez-y les 7 millions nécessaires pour la ligne directe de Bruxelles à Louvain, et vous arriverez au chiffre de 24 millions.
Avais-je raison de dire que 20 millions en plus, au projet de loi, ne me mettraient pas en mesure de satisfaire tout le monde ?
(page 1423) Je vais maintenant, si la Chambre le permet, m'occuper de quelques-uns des amendements déposés depuis le commencement da cette discussion.
Je paierai, en premier lieu, de celui par lequel on demande qu'il soit alloué au gouvernement un crédit de 10,000 fr. pour compléter les études relatives à l'élargissement d-s écluses du canal de Charleroi et des embranchements.
Je crois, messieurs, que cet amendement est inutile et qu'il pêche d'ailleurs par un grave vice de forme.
Evidemment, ce que l'on veut, ce n'est pas, comme on le dit, allouer au département des travaux publics un crédit de 10,000 fr. pour servir à certaines études. Je n'ai, dans tous les cas, pas besoin d'un pareil crédit pour commencer les études ; et non seulement je n'en ai pas besoin, mais, comme je l'ai fait connaître à la Chambre, ces études sont commencées sur l'initiative de l'administration.
Ainsi, messieurs, le but apparent que l'on indique et auquel on semble vouloir appliquer ces 10,000 francs, ce but se trouve atteint au moyen des ressources dont mon département dispose naturellement.
Ce n'est donc pas cela que l'on veut. Ce que l'on veut, c'est que le travail soit décrété en principe par un vote formel.
Eh bien, de deux choses l'une : ou le fait de décréter le principe de l'élargissement doit être suivi, dans un avenir prochain, de la demande d'un crédit important, ou il ne doit pas être suivi d'une pareille demande.
Si l'on n'espérait pas arriver sous peu à l'introduction d'un projet de crédit, le vote de l'amendement n'aurait aucune espèce d'utilité, et par conséquent n'aboutirait à rien.
Dans le cas, au contraire, où le principe de l'élargissement serait posé avec l'intention de provoquer bientôt l'allocation d'un crédit, ce serait engager dès aujourd'hui le gouvernement et la Chambre dans des dépenses qu'il serait peut-être impossible de faire, à un moment donné.
L'amendement serait donc inutile ou dangereux, et c'est pour ce motif que le gouvernement ne croit pas pouvoir s'y rallier.
Cherche-t-on autre chose ? Ne pense-t-on pas au crédit qu'il faudrait solliciter à l'avenir, mais veut-on une simple déclaration de sympathie ?
Encore alors l'amendement est inutile, attendu que cette sympathie est acquise.
Je m'en suis déjà expliqué, non seulement je n'ai pas contesté l'utilité de ce travail, mais j'ai prouvé même que j'avais de mon propre mouvement mis l'affaire à l'étude.
Ainsi de la part du gouvernement, on ne peut rien désirer de plus que ce qu'il a fait.
De la part de la Chambre, dès l'instant que ce travail se présente comme équitable, dès 1'mstant qu'il n'y a aucune espèce de protestation contre son exécution dans l'avenir, ce silence équivaut à une pleine adhésion.
Il est donc constant que les sympathies de la Chambre et du gouvernement lui sont assurées.
Cela dit, quant au fond, j'ajoute que la proposition me semble pécher par un vice de forme. En effet, cet amendement n'en est pas un : un amendement est une modification à un projet soumis à la discussion de la Chambre.
Or, je demanderai aux honorables signataires de ce prétendu amendement, à quelles dispositions du projet leur proposition se réfère ? Evidemment il n'y en a pas.
Ce prétendu amendement est en réalité une proposition nouvelle ; le règlement de la Chambre indique suivant quelle forme on élabore, on élucide les propositions qui émanent soit de l'initiative du gouvernement, soit de l'initiative d'un ou de plusieurs membres de l'assemblée.
Je prétends donc qu'au point de vue de la procédure, au point de vue de l'exécution loyale et complète du règlement qui régit vos travaux, la proposition doit suivre une filière particulière. Je pense, dès lors, que la Chambre ne peut pas aujourd'hui émettre un vote sur cette proposition.
Cette question de vice de forme ne se présente pas pour la première fois. Elle a été soulevée dans d'autres circonstances, notamment lors de la discussion de la loi de travaux publics de 1856.
A cette époque, des propositions d'une même nature ont été écartées par la question préalable, sur les observations dont mon honorable collègue des finances a pris l'initiative.
.M. Dechamps. - Lesquelles.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Celle d'un chemin de fer d'Anvers à Hasselt et plusieurs autres, dont on peut trouver l’énumération dans la discussion de 1856.
Je le répète, je crois que les prescriptions du règlement s'opposent à ce que l'amendement puisse être soumis à un vote.
Pour en finir avec les réclamations de l'arrondissement de Charleroi, je n'ai plus qu'un mot à dire du chemin de fer de Baume à Marchienne.
Je n’entends pas rentrer dans la discussion qui a eu lieu déjà sur cet objet, je veux seulement répondre à une question qui m'a été posée.
Pourquoi, m'a-t-on dit, n'adoptez-vous pas pour la ligne de Baume à Marchienne la combinaison que vous proposez pour la ligne de Louvain à Herenthals ?
Messieurs, la réponse est très simple. C'est qu'il n'y a pas la moindre analogie entre ces deux affaires.
On a fait au gouvernement la proposition d'étendre au chemin de fer de Baume à Marchienne la combinaison adoptée pour la ligne de Louvain à eérenthals, et que demandait-on ? On demandait la sous-garantie du gouvernement pour une somme de plus de 10,000 fr. par kilomètre de route.
Or, voici la différence qui existe entre ces deux affaires : d'abord, en ce qui concerne la ligne de Louvain à eérenthals, ce n'est pas 10,000 fr. que le gouvernement garantit, c'est 3,000 et quelques cents francs.
Il est évident que s'il pouvait jamais y avoir quelque éventualité de devoir réaliser la sous-garantie, le danger serait de moitié moindre, la somme à payer devant être de moitié moins élevée.
Mais il y a plus, le débiteur direct que le gouvernement sous garantit dans l'affaire qui vous est soumise, c'est-à-dire la compagnie de l'Est, est incontestablement (et je ne crois pas faire tort à la compagnie du Centre, en le déclarant) plus solvable que cette dernière société.
Il y a donc, vous le voyez, cette double différence que la somme sous garantie est infiniment moindre dans un cas que dans l'autre et que le débiteur sous-garanti est plus solvable.
Voilà pourquoi, entre autres, je n'ai pas proposé l'extension de cette combinaison à la ligne de Baume à Marchienne.
L'objection tirée d'un vice de forme, que je viens de faire valoir concernant l'amendement du canal de Charleroi, est applicable à deux autres amendements qui ont été déposés : celui qui est relatif au prolongement de la ligne de Furnes à Lichtervelde jusqu'à la frontière de France, et celui qui tend à autoriser le gouvernement à concéder la ligne de Terneuzen à Malines.
Ces deux propositions ne se référant à aucune disposition du projet de loi en discussion, ne constituent pas des amendements. Par conséquent, elles doivent être traitées comme des propositions quelconques émanant de l'initiative d'un membre de la Chambre.
Cependant, messieurs, de même que pour le prétendu amendement qui concerne le canal de Charleroi, je n'entends pas repousser ces propositions uniquement par cette raison de vice de forme, mais par les considérations que je vais avoir l'honneur d'exposer à la Chambre.
Quant à la concession d'une ligne de Malines à Terneuzen, je n'ai que deux mots à répondre à l'honorable M. Van Overloop et aux autres orateurs qui se sont occupés de cette concession.
Ou a dit que la question n'est pas de savoir s'il est utile de rattacher Terneuzen à la capitale, mais s'il est utile de rattacher le cœur du pays de Waes à Bruxelles.
Non, messieurs, telle n'est pas la question ; et telle est si peu la question, que si l'on demandait au gouvernement la concession d'une ligne de Saint-Nicolas, par exemple, à Bruxelles, je n'hésiterais pas à solliciter de la Chambre l'autorisation de l'accorder, sauf à examiner l'affaire plus à fond ultérieurement.
Mais il ne s'agit pas du tout de cela ; ce n'est pas simplement Saint-Nicolas qu'on demande de rattacher à la capitale ; c'est Terneuzen en passant par Saint-Nicolas, et ce raccordement de Terneuzen est un élément très grave que l'on introduit dans l'affaire.
On m'a dit qu'il fallait concéder les trois lignes. Je n'écarte pas cette hypothèse, quoique jusqu'ici je n'aie aucune garantie quant à la formation du capital pour chacune de ces entreprises : j'ignore complètement si le capital est formé pour les trois projets, attendu que je ne sais pas encore s'il y a des capitaux suffisants pour un seul. Mais je dis que, dans l'hypothèse où l'on pourrait concéder les trois chemins de fer, ce serait s'exposer à les ruiner tous, parce que le transit doit être l'élément principal du trafic de ces chemins. Or, le transit ne peut être de quelque importance que pour une et peut-être pour deux de ces lignes ; ne devient-il pas complètement insignifiant si vous le partagez entre les trois ?
(page 1424) Que vous resterait-il donc ? Le trafic local, qui sera presque exclusivement agricole.
Eh bien, je crois que cela est insuffisant pour alimenter une ligne ; cela le serait donc, à bien plus forte raison, pour en alimenter trois.
On m'a demandé pourquoi je réservais, dans ce cas, le contrôle de la Chambre, alors que je ne le réserve pas pour les lignes de Lille à Tournai et de Mariembourg à Dinant.
La raison, messieurs, en est très simple : c'est que, pour ce qui concerne spécialement la ligne de Lille à Tournai, plus importante encore que la ligne de Mariembourg à Dinant, la Chambre possède les éléments nécessaires d'appréciation.
Quel est l'intérêt auquel cette ligne peut nuire ? C'est uniquement celui du chemin de fer de l'Etat ; la ligne directe de Lille à Tournai enlèvera un certain trafic à l’exploitation de l'Etat. Mais ce n'est là, dans l'occurrence, qu'un mince intérêt que l'on peut sacrifier sans inconvénient. Au contraire, les honorables membres qui demandent la concession dont je parle savent qu'il y a, dans le projet qu'ils soutiennent, un intérêt beaucoup plus sérieux en jeu.
D'honorables membres se sont beaucoup occupés du tracé à donner au chemin de fer de Louvain à Herenthals. C'est un point sur lequel je m'expliquerai lors de la discussion spéciale que cette question pourra soulever. Je crois donc n'avoir pas à m'y arrêter pour le moment.
D'autres honorables membres vous ont entretenus de la ligne de Namur à Landen et ont insisté pour que le gouvernement lui accordât la garantie d'un minimum d'intérêt.
Cette affaire est extrêmement compliquée et n'est pas susceptible d'une solution actuelle.
A l’encontre de la demande d'une garantie d'intérêt, d'autres membres ont fait valoir les motifs de priorité qui militent en faveur de la ligne de Tamines à Landen. Il est certain qu'il y a là une très grosse question et un point fort important à régler avec les premiers demandeurs en concession.
Une demande à laquelle il est beaucoup plus facile de satisfaire, c'est celle qu'a formulée l'honorable M. Dolez, et qui a pour objet l'agrandissement de la station de Mons. Je suis heureux de constater, quoique cette situation augmente souvent les difficultés du service, que la plupart de nos stations deviennent insuffisantes ; le trafic a pris de telles proportions que les prévisions les plus favorables formées à l'origine, quant à la prospérité future de nos chemins de fer, ont été considérablement dépassées ; elles l'ont été dans une si grande mesure, que nous commençons à nous trouver à l'étroit dans la plupart de nos stations ; celle de Mons est une des plus importantes, une de celles qui ont le plus besoin d'agrandissement, et l'honorable membre peut être assuré que l'administration saisira avec empressement l'occasion qui lui semble offerte, de réaliser l'amélioration qu'il réclame.
Quant au tracé du canal de jonction de la Lys à l'Yperlée, messieurs, il est évident qu'il n'y a pas lieu de s'en occuper pour le moment. C'est une question d'avenir, qui est loin de se trouver en état de solution. Aussi la proposition à laquelle le gouvernement s'est rallié a-t-elle particulièrement pour objet l'inscription d'un principe dans la loi ; la question du tracé n'offre actuellement aucune importance.
L'honorable M. Dumortier m'a demandé pourquoi je ne ferais pas pour la Mandel ce que je consens à faire pour le canal de jonction de la Lys à l'Yperlée. Ma réponse à la section centrale, en ce qui concerne la canalisation de la Mandel, n'a eu pour but que d'établir les motifs qui avaient fait préférer l'ancien tracé au tracé nouveau qui emprunterait la Mandel rectifiée et canalisée. Je crois que les intéressés de l'arrondissement de Roulers, et l'honorable membre qui représente plus particulièrement ici cet arrondissement, n'ont pas lieu de se plaindre de la déclaration bienveillante que j'ai faite à leur égard.
Je constate que jusqu'ici, et l'honorable M. Dumortier ne me contredira pas, malgré toutes les réclamations, toutes les démarches de l'arrondissement de Roulers, aucune réponse aussi favorable n'a été faite encore par le gouvernement.
En ce qui concerne la canalisation de la Dendre, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. de Naeyer : il est reconnu et entendu, dès aujourd'hui, que la somme allouée par la loi de 1859 ne sera pas suffisante pour les travaux de canalisation de la Dendre. Je ne pourrais toutefois fournir actuellement aucune indication précise sur le supplément de crédit qui pourrait être nécessaire.
Le gouvernement lui-même ne prendra une décision que quand toutes les études seront achevées. Toutefois, je dois déclarer avec l'honorable membre qu'il serait imprudent de mettre la main à l'œuvre avant le complet achèvement des études.
J'ai été informé que je recevrai demain les plans concernant les travaux de canalisation dans le Hainaut. Mais ces plans fussent-ils de nature à être adoptés, encore ne pourrais-je pas faire commencer les travaux, attendu qu'il faudra nécessairement commencer par l'aval.
Force sera donc d'attendre que les plans pour la partie aval de la rivière soient arrêtés, pour prendre une décision qui puisse être suivie d'exécution. Jusque-là, je le répète, il y aurait grave imprudence à mettre la main à l'œuvre.
L'honorable M. de Naeyer peut être certain, dans tous les cas, que les intérêts, si importants, des riverains de la Dendre ne seront pas perdus de vue et que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que pleine et entière satisfaction leur soit accordée.
- La discussion générale est close.
M. Royer de Behr. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à allouer au département des finances un crédit extraordinaire de 36,397 fr. 50 c.
- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le projet de loi figurera à la suite de l'ordre du jour.
(page 1427) M. Orts. - Messieurs, je viens répondre aux critiques adressées par M. le ministre des travaux publics à l'amendement que j'ai proposé de concert avec quelques-uns de mes honorables collègues de la députation de Bruxelles.
Nous demandons que le gouvernement soit autorisé à concéder la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain l'exploitation réservée à l'Etat.
Je conçois qu'on accueille avec peu de faveur les demandes qui se présentent à l'occasion de crédits relatifs à d'importants travaux publics, quand elles se bornent à venir proposer d'ajouter aux travaux que le gouvernement se croit capable d'exécuter avec les ressources dont il dispose, d'autres travaux qui seraient supérieurs en dépense à ces ressources.
Je conçois que des propositions qui se présentent dans ces conditions soient repoussées par des considérations de prudence financières et d'intérêt du trésor public.
Aussi, si j'avais avec mes collègues demandé qu'on joigne aux travaux proposés par le gouvernement un travail nouveau quelque utile qu'il puisse être, devant la déclaration du gouvernement qu'il lui est impossible de l'exécuter, que d'autres travaux plus utiles doivent avoir la préférence, je me resignerais. Je me rendrais aux conseils de patience que nous donnait hier l'honorable M. Dolez, avec l'espoir que le moment viendra oh il sera donné satisfaction à tous les intérêts matériels dans la mesure du possible.
Mais telle n'est pas notre position en ce qui concerne le travail d'utilité publique, que nous demandons d'inscrire dans le projet actuel. Nous ne venons pas demander une part au gâteau, mais bien qu'on ne nous prive pas de la part qui nous a été faite à deux reprises.
Ce que nous demandons aujourd'hui n'est que l'accomplissement d'un double engagement pris.
Les largesses qu'on fait aujourd'hui, on ne les fait pas avec des sommes dont la libre disposition soit dans les mains du gouvernement.
Il les trouve dans le crédit que deux fois déjà il avait inscrit dans un projet antérieur ; déterminé qu'il était à faire par lui-même le travail, que deux arrondissements n'ont pas obtenu ; non par leur faute, mais parce qu'une première fois le gouvernement a retiré son projet sans vouloir le laisser discuter et la seconde fois, parce que le gouvernement n'a pas voulu se prononcer, dans une circonstance que vous connaissez, par des scrupules que j'approuve très fort, mais dont je ne veux pas être victime.
Je demande ce qui m'appartient. Je demande une solution à la question et je dis que décréter les nouveaux travaux dont il s'agit sans y comprendre le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain serait une chose profondément injuste ; ce serait me dépouiller de ce que deux fois vous m'avez donné.
Maintenant quelles raisons vient-on donner pour combattre notre proposition ? C'est un pis-aller, dit-on, vous demandez mieux que cela.
Je ne comprends pas qu'on retourne cet argument contre nous. Si le ministre nous disait : « J'ai de l'argent, je vais faire à moi seul le travail que vous me conseillez de concéder, » le pis-aller n'aurait pas de motif, mais le ministre ne veut pas me donner la petite consolation que je lui demande. Le ministre ne proposant pas de faire la ligne aux frais de l'État, je suis conciliant en venant, avec mes collègues demander au gouvernement, comme pis-aller, de le faire exécuter sans bourse délier, c'est-à-dire de le concéder.
Mais, ajoute le ministre, votre proposition ne donne satisfaction à personne, elle ne satisfait ni les signataires, ni l'Etat, ni aucun des intérêts engagés dans la question. Elle ne satisfait pas les signataires ? Pourquoi ? parce que c'est une proposition transactionnelle que nous faisons. Offrez-nous mieux, nous serons enchantés. Mais je serai plus satisfait d'obtenir ce que je propose que de n'avoir rien du tout.
Si vous accueillez notre proposition, nous serons satisfaits dans cette mesure.
M. le ministre dit : Cela ne satisfait pas l'Etat ; l'Etat ne veut pas concéder. Il ne veut pas concéder, il en est le maître, mais alors que pour sa propre satisfaction il fasse le chemin de fer, qu'il fasse ce qu'il proposait en 1858 et 1859.
Voilà donc comment notre amendement ne satisfait personne.
Que la Chambre l'adopte et les députés de Bruxelles seront parfaitement reconnaissants de la transaction. Je demande qu'on nous mette à l'épreuve.
Cet amendement, dit M. le ministre, ne donne une satisfaction sérieuse à personne pour un autre motif.
Vous demandez, dit-il, que le gouvernement soit autorisé à concéder ; il concédera ou il ne concédera pas ; moi, ministre, je vous offre mieux que cette situation sans issue, je vous offre de ne pas persister dans votre amendement, à la condition de vous dire, à la session prochaine, pourquoi je n'ai pas fait ou je n'ai pas concédé.
J'avoue que nous serions singulièrement naïfs si nous nous contentions de cela. M. le ministre croit que nous obtiendrions quelque chose à retirer notre amendement parce qu'il viendrait nous dire, dans un certain délai, qu'il n'a pas concédé et qu'il n'a pas voulu faire. Mais tous les jours moi et mes collègues, nous avons le droit de demander au ministre pourquoi il n'a pas concédé, ne concède pas ou ne fait pas tel travail comme il y a été autorisé. Nous avons le droit de lui demander des explications comme tous les membres de cette Chambre ont le droit de l'interpeller sur ses projets, sur ses promesses et leur exécution, chaque jour, à toute heure. Je ne veux pas de ses explications à jour, à terme fixe ; comme l'honorable M. Hymans, je dis : Au lieu d'un dossier, je vous demande un chemin de fer.
Aujourd'hui quelle est la situation du gouvernement ? Il a manifesté l'intention de ne pas accorder la construction du chemin de fer de Bruxelles à Louvain, il a manifesté l'intention bien arrêtée de le faire par lui-même ; mais il se déclare impuissant à accomplir cette tâche aujourd'hui, ses ressources financières ne lui permettent pas, il ne peut pas payer la double lettre de change qu'il a souscrite en 1858 et en 1859 à l'échéance. Nous lui demandons de concéder, il nous répond : Nous (page 1428) n'avons qu'un concessionnaire qui propose des conditions inacceptables.
Je comprends que dans la situation que le gouvernement lui-même a faite, il n'ait devant lui, pour ce chemin de fer, qu'il a dit qu'il ne concéderait jamais, qu'un concessionnaire unique lui présentant des conditions que je n'ai pas à apprécier ; un projet offrant les inconvénients indiqués par M. le ministre, un projet non suffisamment mûri, non suffisamment étudié. Mais que la Chambre déclare en principe que si de bonnes conditions de concession se présentent, le gouvernement sera autorisé à concéder, à moins qu'il ne préfère reprendre l'œuvre pour lui-même ; et dans cette situation qui existera le lendemain du vote de mon amendement, vous ne serez plus en face d'un seul concessionnaire plus ou moins sérieux. Une foule de concessionnaires se présenteront avec des conditions favorables au gouvernement et aux localités intéressées.
Aujourd'hui vous n'en avez pas, parce que vous dites que vous ne voulez pas concéder. Déclarez que vous êtes prêt à concéder, pour autant que les intérêts du trésor et des localités se concilient, vous aurez vingt demandes de concession et vous pourrez choisir. Voilà pourquoi je propose mon amendement.
Voilà pourquoi il modifiera sensiblement, au profit de l'arrondissement de Bruxelles et de l'arrondissement de Louvain, la situation actuelle ; et si le gouvernement devant des conditions raisonnables déterminées par l'esprit de concurrence, refusait de concéder, soyez-en persuadé, M. le ministre, nous n'attendrions pas un an, mes honorables collègues et moi, pour user de notre droit d'interpellation.
On a fait ensuite à notre amendement une objection de forme, et l'on a dit : Votre amendement est dangereux pour les prérogatives de la Chambre et pour l'intérêt de l'Etat.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je n'ai pas dit cela.
M. Orts. - Pardon, vous l'ayez dit ; je vais vous rappeler l'argument. Vous avez dit : La Chambre abdiquerait son contrôle et le gouvernement aurait entre les mains un pouvoir arbitraire, un pouvoir dangereux pour lui et pour sa responsabilité. Il pourrait concéder, d'après votre amendement, dans toutes les conditions imaginables.
Messieurs, ce scrupule peut exister ; mais nous avons une garantie contre le mauvais usage que pourrait faire le gouvernement du pouvoir délégué par les Chambres dans une circonstance déterminée, nous avons la responsabilité ministérielle et notre contrôle.
Je comprends que s'il s'agissait de faire une loi générale sur les concessions et de dire : Toutes les concessions seront données par le gouvernement à telles conditions qu'il lui plaira de déterminer, la Chambre recule.
Mais pour une concession déterminée et dont nous connaissons l'importance, pour une concession de chemin de fer limitée à la construction, je ne comprends pas l'observation, et la Chambre ne s'arrêtera pas devant le danger chimérique que l'on signale, pas plus qu'elle ne s'y est arrêtée dans d'autres circonstances et pour d'autres travaux publics où elle avait pour complice M. le ministre.
Ainsi dans le projet de 1859, dont vous dites que celui-ci est le complément, ce qui me paraît assez singulier, car j'y trouve quelque chose de moins et non quelque chose de plus au point de vue du chemin de fer de Louvain ; dans le projet de 1859, je vois, article 5, que vous demandiez de concéder au concessionnaire éventuel qui se présenterait ou qui ne se présenterait pas, et je crois qu'il ne s'est pas présenté, le canal d'Ath à Blaton, aux conditions à déterminer par le ministre des travaux publics.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, mais financièrement déterminées, dans les limites du chiffre voté.
M. Orts. - Si M. le ministre veut ajouter à mon amendement une limite de chiffre, je suis prêt à l'admettre. Mais allons plus loin et puisque M. le ministre des finances me fait l'honneur de m'interrompre, je vais lui parler de la grande loi du 20 septembre 1851, qui est plus son œuvre que la loi de 1859, quoiqu'il soit certain qu'il s'est beaucoup intéressé aussi à la seconde.
A l'article 4, je trouve que l'on autorise M. le ministre des travaux publics à concéder, aux clauses et conditions à déterminer par lui, un chemin de fer dont on n'indiquait pas même la direction précise et qui devait rattacher Charleroi à Louvain.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans charges pour l'Etat.
M. Orts. - Mais, à l'article 7, la même chose est répétée pour un chemin de fer dont les points de départ et d'arrivée étaient laissés dans le vague et qui devait rattacher à Erquelinnes le chemin de fer de Mons à Manage. On vous permettait de concéder aux conditions que vous vouliez bien déterminer. Et je vous demande quoi ? De concéder le chemin de fer de Bruxelles à Louvain aux conditions que vous déterminerez dans votre sagesse et dans votre prudence en conciliant les intérêts du trésor et ceux des arrondissements intéressés, et qui ne comprendra que la simple construction.
Du reste, en définitive, c'est une marque de confiance que nous vous donnons, et j'avoue que je comprendrais plutôt ces objections de la part des honorables collègues qui combattent le projet que de la part du gouvernement.
Je comprends qu'il y ait des membres de cette Chambre qui n'aient pas de confiance dans les ministres, mais je ne comprends pas que les ministres n'aient pas confiance en eux-mêmes.
Le chemin de fer que nous demandons, que nous ne demandons pas d'obtenir, mais que nous demandons qu'on ne nous enlève pas, intéresse en définitive trois arrondissements, une province qui, quoi qu'on ait dit de plusieurs autres, n'a pas été extraordinairement bien partagée dans la répartition des grands travaux publics exécutés aux frais de l'Etat ; une province cependant qui a droit à certaine considération sous ce rapport, s'il est juste de dire que plus une province paye, que plus largement elle contribue dans les charges de l'Etat, plus elle doit aussi obtenir d'avantages lorsqu'il s'agit de dépenses publiques.
Remarquez, messieurs, que l'arrondissement de Nivelles, puisqu'il s'agit du Brabant, se plaignait comme je me plains au nom de l'arrondissement de Bruxelles, de n'avoir pas été compris dans la distribution des grands travaux exécutés aux frais du gouvernement.
Le projet que je défends intéresse incontestablement l'arrondissement de Bruxelles et l'arrondissement de Louvain. Maintenant que paye le Brabant dans la répartition générale des charges ? Mais le Brabant est de toutes les provinces celle qui paye le plus d'impôts. L'honorable M. Laubry me regarde d'un air d'incrédulité, je l'engage à faire le compte de la province de Brabant et le compte de la province de Hainaut, et de comparer.
Prenons le produit des cinq branches les plus importantes des charges en Belgique ; je le puise dans le budget de 1859.
Prenons l'impôt foncier, la contribution personnelle, les patentes, les droits d'enregistrement et les accises.
Il n'y a réellement d'important après cela que la douane. Mais vous ne pouvez en calculer la part par province, parce que c'est le consommateur de toutes les provinces qui paye sa part à mesure qu'il achète des produits soumis aux droits de douane.
Sinon, ce serait l'arrondissement d'Anvers qui supporterait la plus forte part des charges.
Cela n'est pas admissible en statistique, et je suis persuadé que mes honorables collègues d'Anvers sont de cet avis.
Je prends donc l’impôt foncier, la contribution personnelle, le» patentes, l'enregistrement et les accises.
Sur l'impôt foncier qui, en 1859, produit 18 millions, le Brabant a payé 3 1/2 millions c'est-à-dire un cinquième environ.
Sur le personnel, qui rapporte 10 millions, le Brabant a payé 2,600,000 fr. ; plus du quart.
Sur 3,800,000 fr. produit des patentes le Brabant paye 950,000 fr., soit le quart.
Pour l'enregistrement, sur 30 millions, 7 millions, soit environ le quart.
Pour l'accise, sur 29 millions, 6,350,000 fr., soit encore une fois près d'un quart.
Et c'est à cette province qui, dans les quatre impôts les plus productifs paye le quart, et qui paye le cinquième dans celui qui suit immédiatement dans l'ordre de l'importance, c'est à cette province que vous marchandez le seul grand travail d'utilité publique qui, depuis la construction des chemins de fer, aurait été exécuté chez elle aux frais de l'Etat.
M. Julliot, rapporteur. - Les trois quarts de ces impôts se mangent à Bruxelles.
M. Orts. - Eh bien, nous allons voir ce que paye la ville de Bruxelles, à elle seule ; ce qu'elle paye elle ne le mange évidemment pas.
Je vous ai montré, messieurs, que le Brabant paye le quart des quatre impôts les plus productifs et le cinquième de celui qui suit immédiatement ; voici maintenant ce que paye la ville de Bruxelles
Dans l'impôt foncier sur un produit total de 18 millions, la ville de Bruxelles paye 783,000 fr., c'est-à-dire la 23ème partie.
(page 1429) Evidemment Bruxelles n'a pas 1'étendue d'une province et son peu d'étendue explique la part relativement faible qu'elle paye dans l'impôt foncier. Mais pour la contribution personnelle de Bruxelles a payé en 1858, 1,400,000 fr. c'est-à-dire le septième de ce que paye la Belgique entière.
Sur les patentes Bruxelles a payé 657,300 fr., soit le sixième du produit total de cet impôt.
Vous voyez donc bien, messieurs, que si Bruxelles mange, Bruxelles paye.
Il me semble donc, messieurs, qu'il serait parfaitement équitable de donner à la ville de Bruxelles, de donner à l'arrondissement de Bruxelles, à la province de Brabant, la satisfaction que nous demandons. Cette satisfaction a été considérée comme légitime en 1858 et en 1859 ; on ne la considère plus comme légitime en 1861. Pourquoi ?
Dans une précédente séance M. le ministre des travaux publics nous disait : ;
« Le chemin de fer de Bruxelles à Louvain est tellement utile que l'Etat veut le réserver pour lui ; il est tellement important qu'il ne veut l'abandonner à personne ; mais ce travail utile et important, l'Etat ne le fait pas aujourd'hui. Une seule considération pourrait déterminer le gouvernement à combler cette lacune et à maintenir son ancienne proposition, c'est la considération de l'équité.
« Or Bruxelles a reçu de larges compensations. Si Bruxelles n'avait pas reçu des travaux publics en nombre considérable, je n'oserais pas m'abstenir de tenir mes promesses de 1858 et 1859, mais Bruxelles n'a pas à se plaindre, Bruxelles a tout ce qu'elle peut désirer. »
Messieurs, cette considération n'est pas plus exacte que celles que j'ai réfutées jusqu'à présent. Quelle compensation de l'absence du chemin de fer de Bruxelles à Louvain nous cite M. le ministre des travaux publics ?
Il nous a récité une longue litanie des grands travaux exécutés à Bruxelles, Il a parlé de la Colonne du Congrès, du palais de justice, des changements aux hôtels des ministères, du transfert du ministère de la justice de la rue de la Régence dans la rue Ducale. Il a parlé des améliorations faires aux palais royaux et à d’autres bâtiments de l’Etat.
Mais voyons, messieurs, vous êtes, je suppose, propriétaire à Bruxelles, il vous plaît d'embellir votre, maison, de la rebâtir, est-ce un cadeau que vous faites à la ville ? L’Etat est absolument dans ce cas, les dépenses qu'il fait pour ses bâtiments à Bruxelles, il les fait pour lui et non pas pour la ville de Bruxelles.
Croyez-vous, par exemple, que la ville de Bruxelles va trouver un énorme-profit à ce que les subordonnés de M. le ministre de la justice se rendront tous les jours rue Ducale au lieu de se rendre rue de la Régence ?
Maintenant si vous avez augmenté les écuries du palais, si vous augmentez même les appartements, est-ce pour Bruxelles que vous le faites ? Mais vous acquittez votre dette envers la royauté. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous vous donnons des monuments.
M. Orts. - Je ne me plains pas que nous ayons des monuments ; j'en sais, au contraire, très fier ; mais il faut bien avouer que pour la masse de la population, des chemins de fer et des canaux valent beaucoup mieux que des monuments. Oui, vous nous donnez des décorations, des monuments, mais les chemins de fer, les canaux, tout ce qui doit augmenter la richesse publique, la richesse des citoyens, cela est réservé pour les autres. (Interruption.)
Permettez-moi d'aller jusqu'au bout ; si vous voulez me répondre, vous me répondrez, mais vous ne réfuterez pas mes chiffres.
Savez-vous, en résumé, ce que l'Etat fait pour sa capitale ? Le voici :
Il arrive quelquefois, non pas en Belgique, mais dans d'autres pays où les traditions administratives sont moins pures que chez nous, qu'une place est vacante, produisant un très beau traitement. Deux candidats sont sur les rangs, l'un est un vieux serviteur plein de mérite, puissamment recommandé pour ses services, mais l'autre est personnellement préféré. A celui-ci on donne la place et le traitement et au vieux serviteur on donne la décoration de ce pays-là. Eh bien, messieurs, à Bruxelles nous sommes toujours décorés et nous n’avons jamais la place.
Aussi, messieurs, je ne comprends pas réellement qu'on représente Bruxelles, non seulement comme comblée de ces sortes de faveurs, très honorables mais peu lucratives, mais qu'on aille jusqu'à dire que son rôle de capitale, Bruxelles hésite à le remplir à ses propres frais et qu'on représente Bruxelles comme ne travaillant que par l'appât des subsides à maintenir son rang de capitale.
Erreur complète ! La Chambre me permettra de lui rappeler quelques chiffres concernant les grands travaux publics faits à Bruxelles depuis quelques années seulement, et de les mettre en regard des subsides de l'Etat. On verra par là si Bruxelles recule devant l'obligation de remplir dignement son rôle ce capitale.
En vérité, à entendre le langage du gouvernement et d'autres personnes, on s'imaginerait que Bruxelles est une de ces divinités du demi-monde qui ne se pare qu'à la condition d'avoir un protecteur, que l'Etat paye sa toilette. Si Bruxelles se fait belle, c'est elle qui paye ses joyaux.
Depuis dix ans, voici ce que nous avons fait à Bruxelles en matière de grands travaux publics, et je vais vous dire ce que vous avez payé.
Nous avons construit un abattoir ; dépense 1 million ; subsides de l'Etat, zéro. (Interruption.)
La ville de Bruxelles fait, j'en conviens, une recette avec ce bâtiment ; mais combien y a-t-il de villes et de communes qui construiront des bâtiments procurant des recettes, et qui les construisent avec les subsides de l'Etat ?
Nous avons ensuite construit un entrepôt ; dépense 1,700,000 francs ; subsides de l'Etat, zéro. (Interruption.)
Je demande à l'honorable M. le ministre de l'intérieur, député d'Anvers, si l'entrepôt de cette ville a été construit tout entier aux frais de la caisse communale.
Nous avons fait ensuite le marché de la Madeleine. Dépenses, 1 million ; subsides de l'Etat, zéro.
Nous avons construit le marché du Parc, le piédestal de la Colonne du Congrès que vous nous avez reprochée ; nous avons payé, pour ce piédestal, 1 million ; subsides de l'Etat, toujours zéro.
Nous avons fait la distribution d'eaux dans Bruxelles, œuvre colossale comparable à ce qu'il y a de plus beau en fait de travaux publics exécutés par le gouvernement, travail exécuté dans un but purement philanthropique et qui ne rapporte pas la centième partie du capital employé. Dépenses, 7 millions et demi ; subsides de l'Etat, zéro.
Nous avons construit la rue Blaes, dépense 800,000 fr. ; subsides de l'Etat, zéro.
Nous sommes en train de faire l'escalier de Ste-Gudule. L'Etat ne nous alloue pas un sou pour ce travail qui nous coûte 700,000 francs.
Nom avons reconstruit le théâtre de la Monnaie ; dépense 1,300,000 fr. (il y a encore une petite queue à payer) ; subsides- de l'Etat, zéro.
Nous construisons une nouvelle église de Ste-Catherine ; dépense, 1,500,000 fr. subsides de l'Etat, zéro.
Le gouvernement donne quelquefois des subsides à d'autres villes pour bâtir des églises.
Nous avons ensuite la rue du Midi ; elle nous coûte 1 million et demi ; l'Etat nous a promis un subside de 20,000 fr. qu'il n'a pas encore payé !
Vous voyez, messieurs, quels grands travaux ont été exécutés à Bruxelles et combien de millions cette ville y a consacrés ; vous pouvez admirer, en même temps, la large part pour laquelle l'Etat est intervenu dans ces dépenses !
M. le ministre des travaux publics nous a dit qu’il y avait pourtant une rue de Bruxelles dans les dépenses de laquelle l’Etat est intervenu.
II est vrai, c'est la rue des Fripiers. Cette rue a coûté 1,500,000 fr., y compris les crédits portés au budget de 1861. Eh bien, savez-vous ce que l'Etat a payé ? 49,844 francs 82 centimes. et savez-vous pourquoi, il a payé cette somme ? Parce qu'on lui a donné du terrain pour son argent ; et voici la spéculation qu'il a faite. Cette rue est une rue de la grande voirie, une route de l'Etat.
L'Etat ayant reconnu que la circulation était devenue dangereuse, parce que la rue était trop étroite, l'Etat obligé, parce qu'il est propriétaire de la voie et qu'il doit la tenir en bon état, d'élargir sa route, s'est adressé à la ville de Bruxelles pour lui demander de concourir avec lui à l'élargissement de la rue des Fripiers. La ville de Bruxelles a acheté les maisons et fait les expropriations, elle revend à l’Etat le terrain nu, en payant, elle, les constructions qui se trouvent dessus et que l’Etat aurait dû payer, s’il avait élargi la route. C’est-à-dire que c’est la ville de Bruxelles qui a subsidié l’Etat, et non pas l’Etat qui a subsidié la ville de Bruxelles.
Nous avons à vous citer, dans ce genre, un autre exemple bien plus frappant encore.
En 1851, M. le ministre de la guerre demande à la ville de Bruxelles de lui donner un nouveau champ de manœuvres pour les exercices de la garnison. D'après les lois réglant ces sortes de rapports entre l'autorité communale et le minière de la guerre, la ville de Bruxelles était obligée de fournir pour ce service 4 hectares, et tout était dit. L’Etat (page 1430) payait la location du champ de manœuvres, et Bruxelles lui accordait, pour que cette charge ne fût pas trop lourde, un subside de 10,000 fr.
Que fait Bruxelles ? Elle crée à ses frais le magnifique champ de manœuvres que vous connaissez et qui comprend 35 hectares. Elle le met à la disposition du ministre de la guerre aux portes de la ville, elle crée encore la rue de la Loi pour y donner accès, et elle dépense pour cet objet 2,700.000 francs. Puis elle obtient du ministère de la guerre un subside de 75,000 francs (chiffre rond) !
Vous voyez donc, messieurs, que la ville de Bruxelles sait supporter par elle-même et sans importuner ni le budget ni ceux qui le distribuent, les conséquences de sa position de capitale.
Et quand la ville de Bruxelles agit ainsi, quelles réflexions ne sommes-nous pas amenés à faire, nous qui la représentons, si nous comparons les dépenses que la capitale de la Belgique fait par elle-même, aux dépenses que font les capitales des autres pays, aux dépenses que l'Etat y fait pour elles ?
Il n'est pas de capitales en Europe, je pense, qui supportent seules les dépenses de casernement ni les dépenses de théâtre. Je ne veux pas fatiguer la Chambre par le dépouillement du budget municipal de toutes les grandes capitales de l'Europe ; mais je puis lui démontrer, par exemple, qu'il n'y a pas de capitale où les bâtiments militaires ne soient créés, institués et entretenus par l'Etat, et où les théâtres ne se trouvent dans la même situation, à moins qu'ils ne soient subventionnés par la liste civile.
La ville de Bruxelles paye ses théâtres, et ne reçoit de ce chef rien de l'Etat.
La ville de Bruxelles paye les dépenses du casernement ; elle crée même des casernes, quand elle n'est pas tenue d'en faire : ainsi, elle a créé la caserne du Petit Château ; l'Etat lui a fait, pour cette dernière dépense, un prêt ; mais la ville de Bruxelles l'a remboursé.
Voilà des charges bien lourdes qui ne pèsent pas sur les autres capitales et que Bruxelles supporte.
Comparons un instant le budget de Bruxelles à celui de Paris ; voyons ce que l'Etat fait pour Paris, pour sa capitale dont il est fier, lui, et qu'il considère avec toute la nation comme le plus beau joyau de sa couronne.
Toutes les casernes à Paris ont été bâties par l'Etat ; elles sont toutes entretenues à ses frais. La ville de Paris n'a à elle qu'une seule caserne : c'est celle des pompiers.
Quant à cette caserne-là, nuis ne demandons pas à Bruxelles que l'Etat nous la prenne.
A Paris, il n'est aucune dépense pour l’enseignement supérieur ou pour l'enseignement moyen qui tombe à charge de la caisse municipale. L'Etat paye tout.
Nous donnons à la ville, à la province de Brabant et à d'autres encore, les moyens de trouver l'instruction supérieure avec plus de facilité que s'il fallait la chercher dans les établissements de l'Etat. Nous payons l'enseignement artistique. Paris ne paye pas un sou ni pour l'école des beaux-arts, ni pour l'école de gravure, ni pour le conservatoire de musique.
Bruxelles intervient pour une large part dans les dépenses de l'instruction moyenne, tant pour le personnel que pour le matériel. A Paris, c'est l'Etat qui fait tous les frais de l'instruction moyenne.
Mais je constate avec fierté que pour l'enseignement primaire qui est, à Paris, municipal comme à Bruxelles, Bruxelles fait deux fois plus que Paris, toute proportion gardée. Pour l'enseignement du pauvre nous ne demandons à personne et nous faisons largement les choses.
A Paris lorsqu'il s'agit de ces monuments qu'on nous reprochait tout à l'heure, c'est encore l'Etat qui fait tout.
Les cinq grands théâtres de Paris ont été créés par l’Etat et sont entretenus à ses frais.
L'Opéra, l'Odéon, le Théâtre Français et deux autres encore qui sont à la charge de la liste civile, ont été entièrement créés à ses frais. Paris ne donnera pas un centime pour l’Opéra qu'on va construire au boulevard des Italiens. Ce monument coûtera 30 millions et sera fait sans le concours de la ville de Paris.
Tous les grands monuments ont été d'ailleurs faits sans l'intervention de la caisse municipale. L'arc de triomphe de l'Etoile a coûté dix millions ; le palais du quai d'Orsay, onze millions et demi. La Madeleine seize millions ; la colonne de Juillet, le palais des beaux-arts, le Louvre, les musées, le Jardin des plantes, le pont de la Concorde et jusqu'à la Bourse, tous ces monuments ont été créés sans un sou provenant de la caisse municipale de Paris.
Voilà comment, dans ce pays, on traite la capitale.
Le gouvernement de Louis-Philippe, très ménager des deniers publics, qui, en fait de dépense, y regardait d'aussi près que le gouvernement belge, a décrété en une seule fois, par une loi du 27 juin 1833, 17 millions de travaux d'embellissement aux frais de l'Etat dans la seule ville de Paris et sans le concours de celle-ci.
On nous a parlé d'un subside donné à la ville de Bruxelles pour un travail d'embellissement. Celui-là, je le reconnais et j'en remercie le gouvernement. C'est ce qui a été fait pour l'avenue du bois de la Cambre.
Ce travail coûte à Bruxelles 970,000 francs, mais l'Etat ajoute 550,000 francs.
Il est vrai que la route deviendra la propriété de l'Etat, mais je ne veux pas faire de calculs mesquins. J'en remercie le gouvernement et particulièrement M. le ministre des finances qui a contresigné l'arrêté, mais je me permettrai de dire d'un autre côté que lorsqu'il s'est agi de doter Paris de promenades du genre de l'avenue du lois de la Cambre, l'Etat a concédé en pleine et entière propriété tout le bois de Boulogne, - ce qui équivaut à peu près à la concession de la forêt de Soignes si M. le ministre des finances avait voulu nous la céder, - avec l'obligation, pour la ville de Paris, d'y créer des promenades, mais aussi avec le droit, dont Paris use très largement, de vendre tous les excédants de terrain qui ne sont pas nécessaires à l'embellissement de la promenade.
Vous pouvez donc être convaincus que Paris en ornant le bois de Boulogne fait une excellente spéculation en même temps qu'une chose parfaitement agréable pour les promeneurs.
Je regrette, messieurs, de devoir entrer dans ces détails, mais j'avais quelque chose à répondre au discours dans lequel M. le ministre des travaux publics nous reproche les bienfaits de l'Etat envers la ville de Bruxelles et je prie la Chambre de m'excuser sinon comme représentant du moins comme conseiller communal.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je n'ai rien reproché.
M. Orts. - Vous avez indiqué ces bienfaits qui, selon vous, doivent servir de compensation à la ligne directe de Bruxelles à Louvain qu'on ne veut plus nous accorder aujourd'hui.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je me suis borné à indiquer ce qui avait été fait pour Bruxelles.
M. Orts. - Si vous avez voulu établir que Bruxelles a beaucoup reçu, je crois qu'après la démonstration que je viens de faire vous reconnaîtrez que vous auriez mieux fait de ne pas toucher cette corde. (Interruption.)
Je suis prêt à entrer encore dans tous les détails que l'on voudra bien citer. Il y en a un qui m'a été signalé tout à l'heure, c'est la restauration de l'hôtel de ville.
Eh bien, voici ce qui a été fait pour l'hôtel de ville. Et combien d'hôtels de ville ne restaure-t-on pas avec le concours de l'Etat dans notre pays ?
La ville de Bruxelles dépense, pour l’hôtel de ville, un premier crédit annuel permanent de 30,000 fr. Au subside spécial de 30,000 fr. elle ajoute annuellement une somme à peu près équivalente sur le crédit général pour entretien des propriétés communales. L'Etat donne à la ville de Bruxelles un subside de 8,000 fr., c'est-à-dire que nous dépensons six fois autant que vous nous donnez.
La province donne 4,000 fr. Je n'ai pas à m'en expliquer ici. Je l'en remercie, mais ce n'est pas l'Etat qui peut réclamer une part de ma reconnaissance et de mes remerciements.
Voilà la juste mesure de vos bienfaits. Je ne me plains pas, mais vous n'avez pas le droit décrier bien haut au sujet de l’intervention de l'Etat.
Vous parlez d'églises et de palais. Qu'avez-vous fait pour Tournai et pour Liége et pour d'autres villes ?
Vous avez bien fait d'encourager ces villes, mais ce que vous avez fait pour tout le monde, vous ne pouvez le reprocher spécialement à Bruxelles.
M. Rodenbach. - Et la porte de Hal et le Musée, 600,000 fr.
M. Orts. - Je suis enchanté qu'on me permette de remonter dans le passé. Puisque vous voulez de l'histoire ancienne, je vais la raconter. Il est arrivé que Bruxelles a fait une convention en 1842, par laquelle elle a cédé son Musée, ses collections et d'autres propriétés communales moyennant une rente de 300,000 fr. Je dirai, sans remonter à la source de la dette que la ville de Bruxelles devait payer et qu'elle avait contractée, permettez-moi de le dire, bien malgré elle, au service de l'Etat, je dirai très nettement que je suis convaincu que si, au lieu de 6 millions de capital que représente la rente de 300,000 fr., nous pouvions tirer parti aujourd'hui de notre Musée et de nos collections, au prix où vont les collections, nous ferions une bonne affaire.
- Un membre. - Rachetez-les.
(page 1431) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous les vendriez !
M. Orts. - Mais quand on n'a pas de quoi payer ses dettes, en est bien obligé de vendre. (Interruption.)
Nous nous sommes trouvés ruinés en 1842 par suite des événements de la révolution.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non.
M. Guillery. - Par suite des pillages.
M. Rodenbach. - Bruxelles est la ville la plus prospère de l'Europe.
M. Orts. - Je ne dis pas que Bruxelles ne soit pas prospère, mais cette ville doit sa prospérité à elle-même et non aux subsides de l'Etat. Elle la doit à l'indépendance de la Belgique et aux institutions qui en sont la conséquence, cela est vrai, mais non aux largesses de l'Etat.
- Plusieurs voix. - Tant mieux pour elle.
M. Orts. - Il n’est pas une capitale en Europe, quoi que vous en disiez, qui soit traitée par l'Etat d'une manière aussi mesquine que la capitale de la Belgique.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je demande la parole.
M. Orts. - Soit, mais vous ne me réfuterez pas.
Je vous ai cité l'exemple d'une des principales capitales de l'Europe.
Je les passerais toutes successivement en revue que vous ne seriez pas plus convaincu que vous ne voulez le paraître et que vous ne continueriez pas moins à opposer des arguments tels quels, à notre proposition.
Maintenant, messieurs, veuillez-le remarquer, tous ces travaux qu'on vous présente comme une sorte de compensation d'un chemin de fer que nous n'aurons pas, tous ces travaux nous les avions avant le projet de 1859 et on n'avait pas trouvé alors que ce fût un obstacle à la concession, à cette époque, du chemin de fer qu'on nous refuse aujourd'hui.
Vous parlez de compensation ! Mais voici ce que vous devriez m'établir : vous devriez venir avec le calcul de ce que, depuis 1859, vous avez donné à. Bruxelles, en fait de travaux publics. Je crois que ce compte serait beaucoup moins long que celui que j'ai fait tout à l'heure. Qu'avez-vous dépensé depuis 1859, comme équivalent du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain que vous nous retirez ! Vous n'avez rien dépensé du tout et par conséquent, vous n'avez aucune compensation à faire entrer en ligne de compte. Et l'excursion que j'ai faite dans le passé fût-elle inexacte (et je la maintiens comme parfaitement exacte), l'inexactitude ne justifierait pas votre procédé actuel.
Nous avons donc droit à ce chemin de fer. Il est utile à toute la province, il est utile à tout le pays, il est utile, en définitive, à une ville qui, tout compte fait, n'a pas même reçu de l'Etat en proportion de ce qu'elle paye, et n'a certes pas reçu plus que les autres grandes villes de la Belgique. Je persiste à dire que, dans cette situation, nous refuser un chemin de fer accordé deux fois et retiré par votre faute, ce serait une injustice à laquelle, pas plus que mon honorable ami, M. Hymans, je ne saurais m'associer en votant le projet de loi.
(page 1424) La séance est levée à 4 3/4 heures.