(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1277) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Par six pétitions, des habitants de l'arrondissement de Bruxelles demandent que le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique comprenne le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« L'administration communale de Tongerloo déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Westerloo en faveur d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot et Westerloo. »
« Même adhésion du conseil communal de Veerle. >
- Même décision.
« Des exploitants, industriels et négociants de l'arrondissement de Charleroi demandent que le projet de loi relatif à l'exécution» de travaux d'utilité publique comprenne 1° l'élargissement, sur tout son parcours, du canal de Charleroi à Bruxelles et de ses embranchements ; 2° la construction par l'Etat du chemin de fer de Marchienne-au-Pont à Baume. »
M. Ch. Lebeau. - Je demande, messieurs, que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs industriels du bassin de la Meuse et des habitants d'Angleur, Chênée, Embourg, Tilff, Esneux, Hody-Paulsem, Sprimont, Comblain-au-Pont, Comblain-Fairon, Hamoir réclament l'intervention de la Chambre pour que M. le ministre des travaux publics défende à la Grande-Compagnie du Luxembourg de continuer à percevoir un droit de péage sur le canal de l'Ourthe jusqu'à l'accomplissement des conditions stipulées dans les arrêtés de concession et qu'il fixe un dernier terme pour l'achèvement des travaux de canalisation, après lequel ces travaux seraient exécutés d'office par la compagnie. »
M. de Bronckart. - Messieurs, je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. C'est une affaire urgente.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants de Lixhe présentent des observations sur l'emplacement projeté de l'embranchement du canal latéral à la Meuse de Liége à Maestricht et demandent que de nouvelles études soient faites pour établir cet embranchement à 2,000 mètres environ plus en aval sur le territoire de la commune de Lixhe. »
- Même renvoi.
M. Hymans dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi accordant des crédits supplémentaires au département de la justice pour les exercices 1860 et 1861.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - La Chambre a chargé le bureau de nommer la commission qui examinera le projet de loi concernant les agents des anciens fermiers de l'octroi, restés sans emploi. Cette commission se compose de : MM. E. Vandenpeereboom, de Brouckere, Muller, Orts, de Theux, Loos et Royer de Behr.
Il est procédé au tirage au sort des sections de mai.
M. J. Jouret. - Messieurs, envoyé dans cette enceinte par un arrondissement éminemment industriel et commerçant et, à ce titre, disposé dans toutes les occasions à donner mon appui à tout ce qui peut contribuer au développement du travail national et de la richesse publique, je désire vivement pouvoir émettre un vote affirmatif sur le projet de loi actuellement en discussion.
Je ne sais cependant, messieurs, si cela me sera possible, et je ne me déciderai à le faire qu'après avoir entendu les réponses que M. le ministre des travaux publics voudra bien faire aux observations que je vais avoir l'honneur de présenter à la Chambre.
Vous vous le rappelez, messieurs, la loi des travaux publics de 1859, qui comprenait les fortifications d'Anvers, a décrété différents travaux d'utilité publique, parmi lesquels se trouve la canalisation de la Dendre, à laquelle un premier crédit de 2,500,000 francs a été affecté,
Tous ces travaux, messieurs, sont en voie d'exécution, la canalisation de la Dendre seule, nous ne savions jusqu'ici par quel triste privilège, est demeurée à l'état de projet.
A différentes reprises, au sein des deux Chambres, les réclamations les plus vives, les plaintes les plus amères se sont produites à l'égard de l'inexécution de ces travaux et après avoir, en diverses occasions, reconnu formellement le droit acquis à cet égard par les populations de la vallée de la Dendre, M. le ministre vint, lors de la discussion de son dernier budget, prononcer les paroles qui, comme le fit observer dans une autre enceinte l'honorable président du Sénat, M. le prince de Ligne, « firent une impression très pénible sur les nombreuses populations intéressées à l'exécution de ce travail. »
Il est vrai, messieurs, que répondant le lendemain à ces décourageantes paroles, lorsque je disais que je ne concevrais jamais qu'on vînt plus tard nous présenter un nouveau projet de travaux publics et qu'on laissât dans l'oubli les travaux à exécuter à la Dendre, votés dans les conditions que je viens d'indiquer, j'eus la satisfaction d'entendre M. le ministre des travaux publics me dire : « Nous sommes parfaitement d'accord. »
Il est vrai encore que quelques jours après, au sein du Sénat, et répondant aux observations pressantes du président de cette assemblée, l'honorable ministre reconnaissait de la manière la plus formelle que ce crédit était définitif et qu'il n'y avait plus d'obstacle à ce qu'on mît immédiatement la main à l'œuvre.
Ces paroles étaient un peu plus rassurantes, et l'honorable prince de Ligne en adressait ses remerciements à M. le ministre.
Nous avons dû croire après cela que nous devions être pleinement rassurés et que cette fois, au moins, les choses allaient marcher au gré de nos désirs et je ne crains pas de le dire, au gré de ce que commandaient la justice et le respect des décisions de la législature. Messieurs, vous allez juger si notre confiance était fondée, et je vous prie de remarquer que cette fois il y va réellement de la dignité de la Chambre :
Vous vous rappelez que, lors de la discussion du budget des travaux publics, M. le ministre répondant à quelques objections que j'avais faites, vint nous dire que la dépense pour les travaux de la canalisation de la Dendre, dans la seule partie du Hainaut, serait de 6 millions de francs et qu'il ne croyait pas exagérer eu portant l'ensemble de la dépense à 10 millions,
(page 1278) Des réclamations nous vinrent de toutes parts, et M. le ministre des travaux publics dut reconnaître plus tard que dans les évaluations exagérées qu'on lui avait transmises, il avait été trompé de plus des deux tiers. (Interruption.)
J'en ai la preuve matérielle en mains ; je vous la donnerai tout à l'heure.
Je puis affirmer, en effet, que ces évaluations officielles montent à 2,173,000 fr., au lieu de 6 millions.
De nouvelles études furent donc ordonnées, et le conseil des ponts et chaussées fut appelé à émettre son avis sur la demande de concession des frères Vander Elst et Cie, comprenant le canal de Blaton dont l'honorable M. de Brouckere s'est occupé hier, en appuyant une pétition, et comprenant ensuite le reste des travaux de la canalisation de la Dendre.
C'est sur ce point que j'attire spécialement votre attention.
On dit, et remarquez que je pourrais m'exprimer d'une manière parfaitement affirmative, car il y a longtemps que cela est connu de tout le monde, il y a longtemps qu'on le déclare à qui veut l'entendre, c'est en un mot, le secret de tout le monde ; mais enfin, je m’exprime d'une manière dubitative n'ayant pas en ma possession de document officiel, on dit donc, que sans égard pour la décision prise par les Chambres législatives, sans égard pour la volonté énoncée par le gouvernement lors de la présentation du projet de 1859 et même dans plusieurs discussions qui eurent lieu à la Chambre comme au Sénat, MM. les ingénieurs de l'Etat émettent carrément l'avis qu'il faut sacrifier la canalisation de la Dendre pour apporter des perfectionnements à une autre voie navigable rivale !
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Cela n'est pas possible.
M. J. Jouret. - Cela est possible ; cela est.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mais non !
M. J. Jouret. - Cela est ; je l'affirme ; je serai très curieux d'apprendre de M. le ministre des travaux, comment cela est impossible.
Vous conviendrez, messieurs, qu'en présence des circonstances dans lesquelles la canalisation de la Dendre, comme les autres travaux publics importants qui l'accompagnaient, ont été décrétés, je veux dire le vote simultané des travaux d'Anvers, après tout ce qui s'est dit au sein de la Chambre et l'engagement formel pris itérativement par le gouvernement de faire exécuter ces travaux, c'est chose incroyable, pour ne rien dire de plus, et pour ne pas me servir d'une expression qui serait de nature à blesser.
A cet égard, je remercie la section centrale de n'avoir pas émis un doute et d'avoir parlé d'une manière affirmative, comme elle l'a fait dans la question posée au gouvernement et reproduite à la page 15 du rapport :
« Il ne peut être dans les intentions du gouvernement, dit-elle, de retarder l'exécution des travaux décrétés par la loi de 1859, à raison des ressources affectées aux travaux compris dans le présent projet. »
Je poserai à mon tour deux questions à M. le ministre des travaux publics, et je le prie de vouloir y faire des réponses nettes et catégoriques, afin que je ne me trouve pas dans l'impossibilité de voter le projet de loi.
Je dois le dire, je ne poserais pas la première de ces questions, si je n'avais à le faire que pour moi-même. Je rends le plus complet hommage à la loyauté de M. le ministre des travaux publics. Pour moi donc cette première question serait inutile, et je crois être certain d'avance de la réponse qu'il y fera ; mais l'opinion publique est vivement préoccupée de cette affaire dans une partie de l'arrondissement que je représente, et malgré l'espèce de satisfaction qui nous est donnée dans le rapport, il est bon pour tout le monde que M. le ministre veuille bien s'en expliquer clairement devant la Chambre.
Voici ces deux questions :
1° Si c'est le gouvernement qui, sans avoir égard pour ce qui a été décrété par la loi du 8 septembre 1859 et paraissant admettre que les travaux de canalisation de la Dendre pussent être abandonnés, a demandé un avis quelconque aux ingénieurs sur la question.
2° En supposant que MM. les ingénieurs de l'Etat aient pris à cet égard une initiative qu'on ne leur demandait pas, leur conduite, qui prouve assez peu de respect pour les décisions de la législature, a-t-elle été ou sera-t-elle l'objet d'une désapprobation formelle ? (Interruption.)
La réponse à ces questions déterminera mon vote.
Je n'ai pas, messieurs, que cette seule raison pour réserver mon vote. J'ai beaucoup cherché dans le projet quelque chose que je puisse considérer, pour l'arrondissement de Soignies, comme une part du gâteau qu'il s'agit de distribuer. Je ne trouve absolument rien.
La ligne de Braine-le-Comte à Gand passe à Enghien, il est vrai, et peut être considérée, si tant est qu'elle soit exécutée, comme utile encore au Centre et à Braine-le-Comte.
A Dieu ne plaise que je veuille dire quelque chose de défavorable à cette ligne, j'ai un trop vif désir de la voir exécuter surtout à l'égard de l'utilité que doivent en retirer les habitants d'Enghien et des environs pour dire quelque chose qui soit de nature à la discréditer.
Mais enfin, le système adopté est-il de nature à offrir à ces populations l'espoir de se voir tirées enfin du fatal isolement dans lequel elles se trouvent ?
La concession de cette ligne est faite avec garantie d'un minimum de produits de 11,500 fr. par kilomètre, le maximum du produit, à ce jour, de bonnes lignes de chemin de fer, exploitées depuis longtemps.
M. de Naeyer. - Allons donc !
M. J. Jouret. - De certaines bonnes lignes exploitées depuis longtemps. (Interruption) Cela est-il de nature, messieurs, à faire trouver facilement les capitaux nécessaires à l'entreprise et à l'achèvement de ce travail ? Je ne puis qu'avoir des doutes très sérieux à cet égard, et je conçois que les populations intéressées ne se montrent guère satisfaites. Peuvent-elles, je le demande, ajouter une foi bien vive dans le succès de cette entreprise, quand le gouvernement lui-même, dans une de ses réponses à la section centrale, la juge de cette manière :
« Le système proposé pour la ligne de Braine-le-Comte à Gand n'a pas été sollicité pour celle de Braine-le-Comte à Courtrai isolément et dans l'opinion du gouvernement, l'extension de ce système à cette ligne ne pourrait que rendre plus difficile encore la réunion du capital qu'elle exige. »
Vous conviendrez avec moi, messieurs, que je n'exagère en aucune façon, quand je dis que cela est très peu encourageant pour la ligne de Braine-le-Comte à Gand et que cela est complètement désolant pour celle de Braine-le-Comte à Courtrai.
Il n'y a donc là rien de sérieux pour l'arrondissement que je représente.
Messieurs, puisque je m'occupe de ce chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand, je dirai que j'avais demandé dans ma section, comme l'a fait hier l'honorable M. Magherman, un tracé exact de ce chemin de fer. Il y a, à cet égard, à la page 21, une réponse qui est conçue dans ces termes ;
« Pour ce qui concerne le tracé, il serait impossible au gouvernement de faire une réponse catégorique avant que les études n'aient été complétées. »
Il croit toutefois devoir loyalement déclarer que le but même que l'on poursuit par l'établissement de la voie nouvelle, exige qu'il donne la préférence au tracé direct.
Il résulte clairement de là, me semble-t-il, que, sous ce rapport, M. le ministre n'en sait guère plus que moi quant au tracé. Cependant ce point me paraît essentiel et mérite certainement quelques observations.
La commune des Deux-Acren a toujours été indiqué par le concessionnaire comme le point d'arrivée de ce chemin de fer, sur la Dendre, et le chemin de fer de Dendre-et-Waes.
Et il est matériellement impossible, messieurs, qu'il en soit autrement parce qu'on ne peut admettre que ce chemin de fer, s’il pouvait arriver à Schendelbeke en aval de Grammont, puisse jamais rebrousser chemin vers Grammont pour retourner ensuite vars Sottegem. Eh bien il est positif qu'il n'y a pas de passe franchissable dans la ligne de montagnes contre laquelle s'adosse la ville de Grammont.
La distance d'Enghien aux Deux-Acren par la vallée de la Marcq est, par suite des sinuosités inévitables de la route et sans compter les travaux d'art immenses que ce tracé nécessite, d'une longueur de 17,300 mètres ; et celle d'Enghien à Lessines par Marcq, Bassilly, Bois-de Lessines et Ottignies, qui ne réclame point de travaux d'art bien importants, n'est que de 15,700 mètres.
Il suffira aux membres de cette assemblée de jeter les yeux sur la carte pour contrôler l'exactitude de ces assertions. En arrivant donc aux Deux-Acren, il faut pratiquer le chemin de fer de Dendre-et-Waes sur une distance de cinq kilomètres ; et l'on ne concevrait pas, dès lors, qu'on ne reliât pas à ce chemin de fer la ville industrielle de Lessines qui n'est qu'à 2,400 mètres de ce point, surtout en adoptant le tracé le plus direct, le plus facile et qui a 1,000 mètres de moins que le tracé par la vallée de la Marcq.
(page 1279) Il me semble que ce point est assez important pour exercer une sérieuse influence sur la détermination de la Chambre.
Le chemin de fer de Dendre-et-Waes devant être pratiqué jusqu'en aval de Grammont, cette ville n'aurait aucunement à se plaindre. Si, lorsque les études seront complètes, il est établi que ce chemin de fer peut, traversant la vallée de la Marcq à sa naissance, franchir d'une manière quelconque les montagnes en aval de Grammont et se diriger par la passe d'Onkerzeele et Schendelbeke, si toutefois elle existe, directement vers Sottegem, dans ce cas, nous serions parfaitement désintéressés et nous n'aurions plus d'observations à faire . Ce qu'il faut éviter dans tous les cas, c'est de faire bifurquer la ligne à un point quelconque de la vallée de la Marcq avant d'arriver aux Acren. Car alors on commettrait une double faute ; on priverait ce chemin de fer de la possibilité d'aboutir à Lessines et à Grammont.
Ces observations prouvent qu'il est difficile, pour moi, de considérer ce chemin de fer comme donnant quelque satisfaction aux populations qui font partie de mon arrondissement.
Les autres parties, dont je n'ai rien dit encore, sont-elles mieux traitées ?
J'ai eu en main une pétition émanée des administrateurs et directeurs des charbonnages du Centre, de Mariemont, de Bascoup, de Strepy-Bracquegnies, de Bois-du-Luc, de Sars-Longchamps, la Louvière, Haine-Saint-Pierre et Boussu.
Ces honorables industriels signalent avec amertume l'oubli dans lequel les intérêts industriels du Centre, surtout, sont laissés cette fois encore, et cet oubli ils ne peuvent le comprendre, quand une grande et utile idée paraît ressortir du projet du gouvernement : la régularisation des voies navigables si importantes du pays dans la vue de leur donner une passe et un mouillage uniformes, et de les rendre toutes également accessibles aux bateaux d'un fort tonnage.
Cette pensée du gouvernement se révèle, en effet, dans certaines parties du projet de loi, notamment dans celles qui concernent l'approfondissement de la Sambre et les travaux à faire à la Meuse.
Dans cet ordre d'idées, n'y avait-il donc rien à faire pour le Centre ? Pourquoi le gouvernement doit-il laisser exister, dans son système de voies navigables, la lacune du canal de Charleroi, en présence de tous les autres canaux du pays qui sont à grande section : Mons à Condé, Pommerœul à Antoing, Bossuyt à Courtrai, Bruxelles à Willebroeck, Louvain à Malines, Liège à Maestricht, et le canal de la Campine ?
Toutes ces voies portent des bateaux de 200 à 250 tonneaux, qui ont un tirant d'eau de l m 80.
Il n'y a d'exception que pour le canal de Charleroi seul, pour cette voie importante de navigation, disent les pétitionnaires, dont le capital d'établissement et les frais d'entretien ont déjà été trois fois remboursés à l'Etat, son propriétaire, et qui, à elle seule, fournit à peu près la moitié dans les trois millions environ de revenus annuels de tous les canaux du pays.
N'est-ce pas, je vous le demande, avec la plus entière raison qu'ils témoignent leur étonnement de ne voir figurer au projet de loi aucun crédit soit pour l'élargissement des écluses du canal de Charleroi, soit pour l'approfondissement de ce canal, soit pour son alimentation et qu'ils expriment l'espoir de ne pas être exclus plus longtemps de la loi commune ?
Mais l'exposé des motifs du projet et le rapport de la section centrale disent assez que l'on fermera l'oreille à ces plaintes, que cette partie de l'arrondissement de Soignies n'a rien à attendre non plus à cet égard du projet de loi, et qu'il serait inutile de chercher à lui donner satisfaction au moyen d'amendements qui n'auraient pas la moindre chance de succès.
Je le sais, messieurs, on a une réponse toute prête, elle est stéréotypée, elle est toujours la même : « Vous avez eu récemment le grand bienfait de la réduction des péages sur le canal de Charleroi. » D'abord, messieurs, le préjudice que le trésor devait éprouver par cette réduction a été singulièrement exagéré.
Elle paraît être de 50 p. c. moins élevée qu'elle ne devait l'être d'après les prévisions du gouvernement, et le canal de Charleroi produit encore 12 à 15 cent mille francs, le double à peu près de ce que produisent toutes les voies navigables du pays.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous êtes dans l'erreur.
M. J. Jouret. - Cela résulte de vos propres documents. (Interruption). Nous vous avons demandé en section centrale de donner les produits présumés, à l’époque où nous examinions le projet de budget des voies et moyens, je crois, et il est résulté de votre réponse que les produits seraient encore de 1,100,000 fr. environ.
C'était, je crois, dans la discussion du budget des voies et moyens ou du budget des travaux publics.
Qui peut nier, messieurs, le droit qu'ont les populations desservies par le canal de Charleroi - et l'on sait que ces populations sont aussi nombreuses qu'importantes, que la capitale et les Flandres en font partie - qui peut nier leur droit d’élever la voix en faveur de cette voie navigable si éminemment utile à tous ?
Messieurs, je vois, à la fin du rapport, une pétition émanée du conseil communal de Houdeng-Goegnies, qui prie la Chambre de comprendre dans le projet de loi en discussion la concession d'un chemin de fer de Houdeng-Goegnies à Jurbise par Rœulx et Soignies.
Rien encore au projet pour la ville du Roeulx.
En résumé, messieurs, je me trouve, pour Lessines et la vallée de la Dendre, en présence de dispositions systématiquement peu bienveillantes qui nous donnent des craintes sérieuses pour l'avenir, à moins que M. le ministre des travaux publics ne vienne dissiper nos justes appréhensions.
Pour Braine-le-Comte et Enghien nous avons le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand, et je crois ne rien dire d'exorbitant en disant que ce n'est rien ou, du moins, que c'est bien peu de chose.
Pour le Centre, le Rœulx, Soignies, nous n'avons absolument rien.
Il est bien naturel dès lors que je me demande très sérieusement s'il m'est permis d'émettre sur le projet de loi un vote affirmatif.
Comme, en définitive, je suis, avant tout, représentant du pays, je verrai, lorsque j'aurai entendu les explications du gouvernement, ce qu'il me restera à faire.
Messieurs, membre de la section centrale de 1859, je ne puis finir sans répondre quelques mots à certains passages du discours de l'honorable M. Landeloos.
« On a toujours reconnu, dit l'honorable membre, l’utilité et la nécessité du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. ».
L'utilité, messieurs, je le veux bien ; évidemment on n'a jamais trop de bonnes choses, quoi qu'en ait pu dire le fabuliste ; l’utilité, les membres de la première commission de 1859 ne l'ont jamais niée ; mais la nécessité, nous l'avons, mes honorables collègues et moi, si mes souvenirs sont exacts, méconnue à l'unanimité.
Et quelles étaient, messieurs, les raisons de notre manière de voir ? Nous avons pensé qu'il ne fallait pas faire ce travail qui aurait absorbé une somme de 8 millions de francs et épuisé toutes les ressources créées par la combinaison financière de 1859 sans se réserver la possibilité de faire les travaux, bien plus urgents au point de vue de la justice distributive, compris dans le projet de loi actuel, pour le très minime avantage de raccourcir le trajet de Liège vers Bruxelles, non d'une heure, comme l'a dit M. Landeloos, mais de 20 ou 25 minutes.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - De 15 minutes.
M. J. Jouret. - De 15 minutes, et sans diminuer le taux des péages, comme l'a dit M. Landeloos en se trompant une seconde fois, attendu qu'ils étaient et qu'ils sont encore basés sur les distances légales.
Nous avons pensé qu'il ne fallait pas faire pour les villes de Liège, de Louvain et de Bruxelles, déjà très largement traitées dans le système des voies de communication du pays, une véritable dépense de luxe, lorsque tant de localités délaissées jusqu'à ce jour réclamaient avec l'énergie du bon droit la première satisfaction que le projet de loi accorde à quelques-unes d'entre elles seulement, laissant les autres continuer à crier dans le désert.
Messieurs, je n'ai pas changé d'avis depuis lors. Je ne pourrais donner mon assentiment à des amendements qui auraient pour but de faire décréter ce chemin de fer isolément.
Si ces amendements comprenaient la ligne de Hal à Ath, s'il s'agissait de créer une grande ligne internationale dont le résultat serait d'assurer à jamais au chemin de fer de l'Etat le transit entre l'Allemagne et l'Angleterre, tout en donnant satisfaction à une foule de localités abandonnées aujourd'hui, je ne pourrais refuser mon vote à cette combinaison.
Dans cette hypothèse, toutefois, il resterait à voir si nous ne poserions pas un acte dangereux pour notre réseau national de chemins de fer, créé au prix de tant de sacrifices et dont les produits forment l'une des sources les plus abondantes des finances du pays.
Ce sont là de bien graves questions, messieurs, et qu'en représentants consciencieux de la nation tout entière, nous ne saurions, le cas échéant, peser assez mûrement.
Je bornerai là mes observations en exprimant de nouveau l'espoir que la réponse de M. le ministre des travaux publics me permettra de donner mon adhésion au projet de loi.
(page 1280) M. Hymans. - Messieurs, le projet de loi qui est soumis en ce moment aux délibérations de la Chambre est de ceux que l'on voudrait pouvoir voter d'enthousiasme.
Il tend à multiplier nos voies de communication, c'est-à-dire nos instruments d'échange et par conséquent à développer la richesse publique.
Mais il ne suffit pas qu'une mesure de ce genre soit utile ; nous devons vouloir aussi qu'elle soit juste, que chacun obtienne sa part légitime des largesses du trésor.
C'en ainsi que je félicite le gouvernement d'avoir songé aux intérêts de la ville de Tongres et d'avoir renouvelé ses propositions en faveur de Blankenberghe.
C'est ainsi que je regrette très vivement d'avoir vu retrancher du programme des travaux proposés à la législature, le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, sollicité depuis près de vingt ans, promis depuis cinq ans au moins, proposé deux fois par le gouvernement lui-même.
Lorsque, la semaine dernière, je vins demander à la Chambre de mettre à l’ordre du jour cette question, simplement ajournée en 1859, l'honorable M. E. Vandenpeereboom, qui occupait le fauteuil de la présidence, me pria d'attendre jusqu'aujourd'hui. « Peut-être, dans l'intervalle, me disait-il, le gouvernement consentira-t-il à comprendre ce chemin de fer dans son projet. » Je n'ai pas retrouvé cette phrase dans les Annales parlementaires. Mais y fût-elle, je n'en aurais pas moins perdu une illusion de plus. Le rapport de la section centrale nous apprend que le gouvernement persiste dans son abstention et que le chemin de fer direct ne figurera dans les discours de l’honorable ministre des travaux publics que pour être proclamé utile, nécessaire et impossible.
C'est une très intéressante histoire, messieurs, que celle du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain.
Trois fois en trois ans, il est tombé victime innocente de nos luttes politiques.
Un ministère catholique le propose en 1856. Il tombe sous les coups de l'opposition libérale. Le cabinet s'engage à le représenter l'année suivante.
L'année suivante, hélas ! le cabinet eût été fort embarrassé de se représenter lui-même.
Le ministère libéral propose de décréter le même chemin de fer en 1858. Il succombe sur la question d'Anvers et retire le reste de son projet. Il le reproduit en 1859. Nos collègues de Louvain sont absents ; il y aura peut-être des élections bientôt ; il faut attendre ; voilà le projet ajourné jusqu'à la session ordinaire de 1859-1860.
C'est M. le ministre des finances qui le proclame, sa déclaration est inscrite tout au long dans les Annales parlementaires (séance du 27 avril 1859) ; comme si cette déclaration ne suffisait pas, M. le ministre de l'intérieur en fait une à son tour.
Cela ne suffit pas encore ; le président de la Chambre va plus loin. Nous aurons à statuer, dit-il à M. Coomans, sur cette partie du projet de loi, au début de notre session ordinaire.
Pourtant la session ordinaire se passe et nous ne voyons rien venir. Une seconde session ordinaire s'ouvre, et de session en session, de projets en projets, nous en sommes arrivés à quoi ? A faire des vœux, comme en 1840.
Avouez que nous avons peu de chance et qu'il est triste d'avoir vu passer deux fois Pâques et la Trinité pour voir arriver, en fin de compte, un beau page armé du rapport de l'honorable M. Julliot, nous apprenant que notre projet tant désiré va être mis en terre par quatre ou cinq ministres qui tous ne portent rien, du moins pour l'arrondissement que j’ai l’honneur de représenter.
Messieurs, j'ai lu à peu près tout ce qui a été dit et écrit sur ce chemin de fer de Bruxelles à Louvain, et j'aurai soin de préciser les faits, afin de prouver à l'évidence le fondement de nos réclamations.
Le 19 mars 1846, M. l'ingénieur Vifquain demande la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Louvain par Cortenberg. Sa demande était appuyée sur des considérations puissantes, mais dont le temps a décuplé la valeur.
En 1849, M. l'ingénieur en chef Desart, dans un mémoire qui fait partie des Documents parlementaires, et sur lequel je reviendrai tout à l'heure, démontrait l'utilité et la nécessité du chemin de fer.
En 1854, le gouvernement reçut une nouvelle demande de concession. Une compagnie offrit de construire la ligne moyennant certaines annuités, elle ministre des travaux publics, le 12 février 1856, demanda à la législature les pouvoirs nécessaires pour mettre ce système en pratique.
L'honorable M. Landeloos nous a rappelé hier comment s'exprimait à cette époque le rapporteur de la section centrale.
« L'exécution d'une ligne de chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain a paru nécessaire, urgente même, au double point de vue des intérêts du trésor et du public, la concurrence faite au railway de l'Etat par les compagnies qui exploitent les chemins de fer rectifiés se dirigeant de la France vers l'Allemagne, nous oblige de raccourcir et d'améliorer le transit par Bruxelles. D'autre part, les relations de la capitale avec Louvain et avec les autres localités de la ligne de l'Est sont assez importantes pour être favorisées par une diminution de parcours d'une vingtaine de kilomètres. »
La section centrale adopta le projet à l'unanimité. Mais la Chambre ne se montra point favorable à la combinaison financière proposée par le gouvernement. On fut généralement d'avis que la ligne devait être construite aux frais du trésor, et l'honorable M. Orts proposa la construction du chemin de fer de Bruxelles à Louvain par Cortenberg, par l'Etat. M. Dumon, ministre des travaux publics, s'engagea à présenter un projet de loi dans ce sens, à l'ouverture de la session suivante. M. Orts accepta cet engagement. De cette manière, dit-il, la Chambre restera saisie, et l'ajournement fut voté.
Cela se passait le 17 mai 1856. Le 25 mars de la même année. M. l'ingénieur Dandelin, collaborateur de M. Vifquain en 1846, avait publié sur la question un travail d'autant plus remarquable que l'auteur était complètement désintéressé, et j'ai tout lieu de croire que ses études servirent de base au projet qui fat présenté par le gouvernement en 1858.
En même temps M. Outies, lieutenant-colonel d'état-major en retraite, officier de l'ordre de Léopold, demandait la concession du chemin par le village de Nosseghem, et le gouvernement l'écartait en lui déclarant qu'il faisait étudier lui-même un projet direct entre Bruxelles et Louvain, à exécuter par l'Etat.
Dans ces brochures, dans ces mémoires, dans les discours prononcés aux Chambres, dans les bureaux ministériels, de quoi s'occupait-on alors ? De la recherche du meilleur tracé, de l'étude des meilleurs moyens d'exécution. Quant à l’utilité, à la nécessité du travail, elles étaient unanimement reconnues.
Lorsque en 1858 le gouvernement vint demander un crédit aux Chambres pour la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, il s'exprimait ainsi dans son exposé des motifs :
« La convenance et l’utilité de construire un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain sont reconnues depuis longtemps. Aux termes du projet de loi, cette construction aurait lieu aux frais du trésor. »
Plus loin M. le ministre des travaux publics disait encore :
« La nécessité de construire un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain ne demande guère de justification.
« Le gouvernement vient demander les crédits qui lui sont nécessaires pour pouvoir construire directement aux frais de l'Etat, et sans l'intervention d'une compagnie, un chemin de fer de Bruxelles à Louvain par Cortenberg. »
Et la section centrale, par l'organe de M. E. Vandenpeereboom proposa à l'unanimité l'adoption de ce crédit.
Le projet fut retiré, vous savez pour quelle raison ; mais le gouvernement persista dans son opinion sur l'importance du chemin de fer de Bruxelles à Louvain. Il le représenta en 1859.
Dans les sections le crédit fut adopté de nouveau par 40 voix contre 5 et 18 abstentions.
Mais un de ces mystérieux événements que la postérité retrouve habituellement dans les mémoires des hommes d'Etat, s'était passé quelque part, et le chemin de fer de Bruxelles à Louvain cessa tout à coup d'être nécessaire, ou même utile.
La section centrale n'y voulut plus voir que le moyen de raccourcir d'un quart d'heure le trajet entre ces deux villes, et proposa, par six voix contre une, l’ajournement de ce paragraphe ; seulement elle reporta la dépense sur d'autres travaux dont la capitale devait obtenir une bonne part.
Vous savez encore, messieurs, ce qui advint de ces propositions.
Le gouvernement réalisa l'économie du chemin de fer de Louvain, et Bruxelles n'obtint pas le cadeau que lui offrait la section centrale, entre autres le palais des beaux-airs qui, après deux ans de réclames pompeuses, a été enterré par les commissions d'usage, et se trouve aujourd'hui relégué dans le domaine des imaginations malades et des esprits mécontents.
Cependant le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain n'avait été qu'ajourné. Je l'ai dit et je le répète, il restait à l'ordre du jour ; il y (page 1281) restait, d'après M. le ministre des finances, de plein droit, mais il n'y est pas inscrit aujourd'hui. D'après la déclaration de M. le ministre des travaux publics, insérée à la page 5 du rapport de l'honorable M. Julliot, la convenance et l'utilité de ce travail restent toujours les mêmes, mais les complications extérieures en rendent l'exécution impossible, alors qu'elles n'empêchent pas l'exécution de travaux bien autrement considérables à Blankenberghe, travaux dont je suis le chaud partisan, que je serais heureux de pouvoir voter, mais qui ont été repoussés plutôt qu'ajournés par la Chambre en 1859.
Messieurs, après cet aperçu historique dont j'espère que vous voudrez bien excuser la longueur, je vais envisager la question au point de vue matériel et au point de vue politique.
Au point de vue matériel, les adversaires du projet me paraissent ne se préoccuper que d'un seul côté de la question du raccourcissement de la distance de Bruxelles à Louvain.
Envisagé de la sorte, le chemin de fer dont il s'agit leur paraît un objet de luxe, dont nous pouvons nous passer aisément. A les entendre il n'y a pas entre les 44 kilomètres de Bruxelles à Louvain par Malines et les 52 kilomètres par Tervueren ou les 28 kilomètres par Cortenberg, une assez grande différence pour que nous ayons le droit d'en faire grand bruit.
A tout prendre, ce ne serait pas déjà là un intérêt sans importance. Ce n'est pas une mesure à dédaigner que la mise en contact, par une voie directe, de deux villes aussi importantes que Bruxelles et Louvain, de deux villes qui, de tout temps, ont fait entre elles un énorme négoce, et qui sont obligées d'aller faire un détour pour se retrouver, lorsque depuis longtemps des communications diret'es sont établies entre Bruxelles et Gand, Anvers et Louvain, Anvers et Gand, Bruxelles et Namur, Namur et Liège, etc.
Aujourd'hui, d'ailleurs, messieurs, la valeur du temps n'est plus ce qu'elle était jadis. Le proverbe des Anglais : « Time is money », ou des Américains : « « Le temps est l’étoffe dont la vie est faite », entraîne après lui chaque jour de plus graves exigences. La perte d'un quart d'heure aujourd'hui sera l'équivalent de la perte d'un jour il y a quelque vingt ou trente ans. Il suffit aujourd'hui d'une différence de quelques minutes, dans la durée des transports, pour détourner tout un commerce, pour ruiner une ville ou pour l'enrichir. On a beau créer des raccourcissements artificiels par des réductions de tarifs ; ces réductions ne raccourcissent pas les distances. Si le prix des minutes n'existe pas pour les voyageurs, je me demande ce que signifie la création de trains express. En deux mots et sans hésiter plus longtemps sur ce point, je crois qu'entre deux centres d'activité comme Bruxelles et Louvain, un raccourcissement de vingt minutes doit avoir, pour les affaires, des résultats incalculables.
Cette considération a bien quelque importance, car elle a ému le conseil communal de Bruxelles ; elle a motivé un vœu unanime de la part du conseil communal de Louvain ; elle a provoqué, le 24 juillet dernier, un vœu unanime, de la part du conseil provincial du Brabant.
C'est qu'en effet, messieurs, il ne s'agit pas seulement du raccourcissement de la distance entre Louvain et la capitale, mais de l'intérêt de la contrée que traverserait le nouveau chemin de fer, et ceci m'amène à dire deux mots du tracé. Cela me sera d'autant plus facile que le gouvernement, deux fois de suite, l'a proposé par Cortenberg, comme M.Vifquain en 1846, comme M. Dandelin en 1856, comme M. Orts à la même époque, comme le conseil provincial du Brabant en 1860.
J'en demande bien pardon à des intérêts que je respecte sans les servir, mais le tracé par Tervueren, d'après moi, n'est pas sérieux.
Il est plus long, il est plus coûteux, il exigerait 37 viaducs, il n'irait pas même aboutir à la station de l'Etat à Louvain ; il ne rencontrerait guère que Tervueren, dont l'importance, comme source de revenus, est très problématique, tandis que le tracé par Cortenberg desservirait une contrée éminemment industrielle, c'est-à-dire la vallée de Woluwe, et entre autres les communes de Dieghem, Saventhem et Cortenberg, qui renferment une population active, des établissements considérables, dont le chemin de fer viendrait développer la prospérité, avec la certitude de recueillir le premier les profils de sa bienfaisante influence.
Comme je ne veux pas qu'on m'accuse de faire de la fantaisie, je vais citer ici des chiffres et des faits.
Le tracé par Tervueren, dans un rayon de 2,500 métrés, donne une population (chiffre officiel) de 42,051 âmes, pour 12 communes. Le tracé par Cortenberg, pour 26 communes, 81,114 habitants.
Voyons ce que sont ces communes au point de vue industriel.
Tracé par Tervueren.
A part Saint-Gilles et Ixelles, il n'y a guère d'industries sur le parcours par Tervueren.
Watermael, Auderghem, Boitsfort, possèdent 1 teinturerie, 1 fabrique de produits chimiques, 2 fours à chaux et des maisons de campagne.
Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-Saint-Lambert possèdent des carrières et des fours à chaux.
Tervueren possède le château de S. A. R, le Duc de Brabant.
Duysbourg possède 1 brasserie.
Leefdael possède 1 haut fourneau, 1 moulin, 1 brasserie.
Berthem possède 1 couvent et 1 moulin à blé.
Heverlé possède 1 distillerie.
Le commerce agricole est beaucoup moins important sur le parcours de cette ligne que dans la direction de Cortenberg ; elle n'a que la moitié de la population de cette dernière.
Tracé de Cortenberg
Wilsele possède 1 scierie à vapeur, 1 fabrique de produits chimiques, 1 fabrique (la plus importante du pays) d'allumettes phosphoriques, moulin à l'huile, moulin à grains, moulin à peler le riz, amidonneri,. gazomètre.
Evere possède 3 fabriques de chicorée, 1 établissement de santé, distilleries, fabrique de noir animal et d'engrais.
Kessel-Loo possède des briqueteries, des magasins de bois, de chaux et de houille.
Erps-Querbs possède 1 distillerie, 1 brasserie, 1 pensionnat de demoiselles, 1 maison de santé.
Saventhem possède 15 à 20 carrières, 1 couvent-pensionnat de demoiselles, très important, 6 usines, dont plusieurs papeteries (une seule a un transport permanent annuel de 12 à 13 millions de kilogrammes) et les importantes fabriques de M. Maecr-Hartogs (maroquinerie et vernisserie), des moulins à l'huile et autres.
Saventhem, vous le savez, possède aussi un des chefs-d'œuvre de Van Dyck, le magnifique tableau représentant Saint Martin qui donne à un pauvre la moitié de son manteau. C'est un symbole de charité que les habitants invoquent comme un titre précieux, quand ils demandent à l'Etat de leur octroyer, non pas la moitié, mais une petite parcelle de son budget.
Je poursuis l'énumération des communes de ntire tracé.
Cortenberg, Everberg, Steenockerzeel. Ces communes ont un immense commerce de bois. Il y existe plusieurs couvents pensionnats, des distilleries, des moulins à l'huile et autres.
Herent possède 1 brasserie très importante.
Crainhem possède 1 grande papeterie.
Vellhem possède une brasserie.
Neder-Ockerzeel possède une brasserie.
Woluwe-Saint-Etienne possède des fours à chaux, des carrières, des papeteries, des moulins à l'huile. Melsbroek possède des fours à chaux, des carrières, un pensionnat. Machelen possède un moulin à l'huile.
Dieghem possède des papeteries, des moulins à l'huile, des fours à chaux et des carrières, un pèlerinage très fréquenté, qui attire plus de 30,000 personnes le seul jour de la kermesse.
Haeren possède une distillerie.
Saint-Josse-ten-Noode et Schaerbeek sont des communes importantes par leurs industries diverses et trop nombreuses à détailler.
Toutes les communes ci-dessus ont en outre un immense commerce agricole.
Dans la vallée de la Woluwe, il existe une quantité de moulins à battre le blé, des fabriques de feutre, de fil de fer et de toile métallique. Enfin beaucoup de carrières dont les pierres, précieuses pour les digues, parce que la mousse ne s'y attache pas, s'exportent en Hollande. Aujourd'hui on transporte avec difficulté ces moellons à une lieue et demie pour rejoindre le canal près de Trois-Fontaines, tandis que, le chemin de fer existant, on établirait un service spécial pour décharger les waggons directement dans les bateaux amarrés dans le port de Bruxelles.
La même combinaison s'appliquerait au sable, dont on fait un si grand usage dans la capitale.
La vallée de la Woluwe enfin est la plus convenable des environs de Bruxelles pour l'industrie qui doit émigrer de plus en plus de la capitale. La pureté de ses eaux, connue d'ancienne date, est sans rivale dans le voisinage de la capitale.
J'engage M. le ministre des travaux publics à faire une petite excursion dans cet aimable vallon ; son esprit distingué sera séduit, j'en suis sûr, par l'aspect de cette ruche active et féconde. Il y trouvera de nouvelles raisons, des raisons triomphantes en faveur du tracé par Cortenberg, adopté déjà d'ailleurs par le gouvernement lui-même, qui (page 1282) sait si bien que le chemin de fer de Bruxelles à Louvain serait une entreprise lucrative, qu'il se fait de sa conviction un argument pour repousser toute intervention de l’industrie privée.
Voilà, messieurs, pour l'intérêt local. Si je me place à un point de vue plus élevé, je vois dans l'exécution de ce chemin de fer un immense avantage pour les relations internationales, pour le transit entre l'Angleterre et l'Allemagne. Combiné avec la rectification de la ligne de Hal à Ath par Enghien, et le raccordement des stations du Nord et du Midi à Bruxelles, il raccourcirait de près de cent kilomètres la ligne internationale de Calais à Herbesthal. M. le ministre des travaux publics, dans une note insérée à la page 7 du rapport de l'honorable M. Julliot, ne voit de motif à ces raccourcissement que dans l'espoir d'un mouvement plus considérable de voyageurs, et il compte, pour le transport des marchandises, sur un raccourcissement artificiel au moyen des tarifs.
Or, messieurs, il est évident que l'espoir de cette augmentation du mouvement des voyageurs est ici parfaitement fondé. Tant que l'on ne mettra que 90 minutes pour traverser la mer de Calais à Douvres, et qu'il faudra quatre à cinq heures pour la franchir de Douvres à Ostende, les voyageurs préféreront la première de ces deux directions, et je n'ai pas besoin de faire ressortir combien le transit de l'Allemagne vers l'Angleterre par la France gagnerait à l'établissement de la ligne droite que je préconise.
Voilà une première face de la question. Permettez-moi de vous en indiquer une autre qui n'est pas moins importante.
Lorsqu'on a établi les premiers chemins de fer en Belgique, on a pris pour centres du réseau national Malines et Braine-le-Comte.
On a voulu passer par Malines pour aller de Bruxelles à Ostende et à Cologne, par Braine-le-Comte pour aller de Bruxelles à Charleroi et à Namur. Depuis on a suppléé à quelques-unes des erreurs de ce système, en construisant un chemin de fer direct de Gand à Bruxelles par Alost et de Bruxelles à Namur par Ottignies. Il ne reste plus à redresser que la ligne de l'Etat par la voie directe de Bruxelles à Louvain, et la ligne du Midi par la rectification entre Bruxelles et Ath par Enghien. Depuis longtemps ces deux redressements sont réclamés dans le triple intérêt de la capitale, des provinces et du trésor public.
Je dis du trésor public, messieurs, et je crois avoir le droit de m'exprimer ainsi, car il me paraît admis que chaque nouvelle voie de communication dans un pays comme le nôtre entraîne après elle une augmentation, non seulement de la richesse publique, mais aussi des recettes du trésor.
En effet, il n'a pas manqué de prophètes de malheur pour nous faire envisager comme une cause de préjudice l'établissement de voies directes de Bruxelles à Gand, et de Bruxelles à Namur, et cependant les comptes rendus de la situation du chemin de fer nous révèlent chaque année une augmentation notable du produit kilométrique de nos voies ferrées. Je ne crois pas que l'on puisse citer un argument plus péremptoire à l'appui de la thèse que je soutiens en ce moment.
Je crois, d'autre part, qu'il est admis par tous les hommes compétents que le mouvement des voyageurs est soumis partout à l'influence toute-puissante de la distance, et que le nombre des voyageurs s'accroît partout en raison du raccourcissement du parcours. Cette théorie a été démontrée, avec une grande autorité en 1846, par M. l'ingénieur en chef Dessart, dans son Mémoire à l'appui du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand vers Alost, et vous pouvez voir, à la page 10 de ce remarquable travail, que l'auteur appliquait tous ses raisonnements à la ligne directe de Bruxelles à Louvain, combinée avec le raccordement des stations du Nord et du Midi à Bruxelles. La section centrale, par l'organe de M. Julliot, félicite aujourd'hui le gouvernement du vif intérêt qu'il porte à cette dernière idée qu'il vient de soumettre à une commission.
Vous pouvez voir encore par le Mémoire de M. Dessart, que déjà en 1846, il y a quinze ans, cet ingénieur démontrait l'urgente nécessité de ce travail au point de vue du trésor, des convenances des voyageurs, et de l'intérêt de la capitale. Il y a de cela quinze ans, et l'on vient de nommer une commission.
J'en remercie l'honorable ministre des travaux publics, mais il n'est pas besoin de beaucoup de discernement pour le prévenir que ce travail coûtera beaucoup plus cher aujourd'hui qu'en 1846, à cause de l'augmentation du prix des terrains et que, pour peu que l'on attende encore quelques années, et que l'on nomme encore quelques commissions, il deviendra impraticable.
Je m'aperçois que, tout eu prêchant le raccourcissement de distance, je me suis quelque peu écarté de la route directe de Louvain à Bruxelles mais nous sommes dans la discussion générale, et d'ailleurs la question du raccordement de nos deux stations se rattache intimement à l'autre partie de ma thèse.
Je n'ai pas eu besoin, messieurs, de défendre bien vivement l'utilité du travail dont il s'agit ; elle est reconnue par tout le monde, par la section centrale, par la Chambre, par le gouvernement lui-même qui a proposé deux fois ce chemin de fer et l'a déclaré d'une nécessité incontestable.
Je vous en ai fait ressortir les avantages au point de vue des arrondissements de Bruxelles et de Louvain, au point de vue de l'intérêt général, au point de vue du trésor.
Deux mots, si vous voulez bien le permettre, du mode d'exécution. Je suis partisan en principe de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, tant au point de vue de l'intérêt national qu'au point de vue de la sécurité des voyageurs. Je ne voterai jamais la garantie d'un minimum d'intérêt parce que je ne vois pas plus de raison de garantir le salaire du capital que le salaire du travail.
Une entreprise est bonne ou mauvaise. Mauvaise, l'Etat doit quelquefois la faire, mais jamais la cautionner. Bonne, il doit la faire toujours. Ainsi pas plus de droit à 5 p. c. d'intérêt que de droit au travail. Mais il est certaines combinaisons qui sauvegardent tous les principes et servent l'intérêt général. J'admets que l'Etat doit exploiter le chemin de fer de Bruxelles à Louvain ; mais pourquoi doit-il absolument le construire ? Pourquoi ne pas faire pour cette ligne ce que l'on a fait, sous diverses formes, pour Tournai à Jurbise, pour Mons à Manage, pour Dendre-et-Waes ?
Le gouvernement n'est pas l'adversaire de ce système puisqu'il nous le propose pour Braine-le-Comte à Gand. Des demandes de concession ont été formulées dans ce sens. Un ancien fonctionnaire de l'Etat, que je n'ai pas l'honneur de connaître, mais dont les personnes les plus respectables m'ont affirmé l'intelligence et la probité, M. Missalle, offre de construire à ses risques et périls la ligne de Bruxelles à Louvain par Cortenberg. Il ne demande la concession que pour 60 ans au lieu de 90. Il construirait la ligne, et l'Etat l'exploiterait comme celle de Braine-le-Comte à Gand. L'Etat réglerait les tarifs, et le concessionnaire lui garantirait une part de recettes de 15,000 fr. par kilomètre au lieu de 11,500 fr., garanti par les concessionnaires de Braine-le-Comte à Gand.
D'autre part chaque fois que le montant total des recettes brutes afférentes à la ligne concédée dépasserait 30,000 fr. par kilomètre, il serait d'abord prélevé sur ces recettes, au profit du concessionnaire, une somme annuelle de 90,000 fr. en indemnité de la réduction de la durée de la concession.
Ces conditions sont tout à fait exceptionnelles. Le concessionnaire est prêt à verser le cautionnement, et présente d'ailleurs toutes les garanties désirables.
Pourquoi donc se montrer plus rigoureux envers lui qu'envers le sieur Boucqueau, à qui l'on concède Braine-le-Comte à Gand ?
Pourquoi refuser à Louvain, à Bruxelles, à la province de Brabant, à l'intérêt général, ce bienfait depuis si longtemps réclamé ?
C'est ici, messieurs, que vient se placer la question d'opportunité, celle que j'ai appelée tantôt la question politique.
Vous me rendrez cette justice, messieurs, que j'ai l'habitude de m'exprimer ici avec une entière franchise. C'est un défaut dont je revendique les avantages, ou si vous l'aimez mieux, une vertu dont j'accepte volontiers toutes les conséquences.
Je crois donc que non seulement l'arrondissement de Louvain, mats encore l'arrondissement de Bruxelles ne sont pas très avant dans les bonnes grâces du gouvernement. Celui-ci se conduit envers la capitale comme une jolie fille qui ne consent à livrer son cœur qu'après avoir reçu des preuves bien positives d'un amour sincère et d'une complète fidélité.
Cela se conçoit ; les prétendants sont jeunes et parfois un peu volages. Ils ont de temps en temps des caprices et des accès de mauvaise humeur. Mais au fond ils sont fidèles, et jamais aucun d'eux ne faillira à la cause de son parti ni du pays.
Il en a été ainsi de tout temps. Sous les ministères catholiques, Bruxelles nommait des représentants libéraux ; aujourd'hui que l'opinion libérale est forte, qu'elle est indestructible, qu'on ne saurait la déraciner du sol de la capitale, elle se divise, précisément parce qu'elle est forte. C'est l'histoire de tous les partis. Notre députation n'est plus tout à fait homogène.
Je n'examine pas cette situation au point de vue de la politique générale. Ce n'est pas le moment, mais à coup sûr, les divisions ne sont pas le moyen de faire obtenir à un arrondissement les bienfaits qu'il désire et nous nous en ressentons vivement.
(page 1283) Malgré cela j'entends beaucoup parler de la capitale, ici et ailleurs ; j'entends exalter son rôle dans notre existence politique, proclamer tous les jours la nécessité de l'embellir, de lui assigner un rang élevé parmi les plus belles cités de l'Europe.
Ce rôle, je me hâte de le déclarer, Bruxelles le tient ; elle ne l'abdiquera pas. Mais elle a le droit de le déclarer ici, par l'organe de ses représentants, qu'elle ne le doit pas à l'Etat.
Ne nous a-t-on pas reproché l'année dernière, dans la discussion de la loi sur les octrois, cette misérable rente de 300,000 fr. que nous touchons sur le budget, et en échange de laquelle la ville de Bruxelles a cédé l'ancienne cour, le palais de l'industrie avec ses dépendances, la porte de Hal, le terrain de l'Observatoire, la place publique en face du boulevard et derrière le palais du Roi, les écuries du palais, rue de N-mur, et mieux que tout cela son magnifique Musée, si riche en chefs-d'œuvre de l'école flamande, et les livres et les collections de la Bibliothèque aujourd'hui royale ?
Et si Bruxelles s'est trouvée dans la nécessité de faire appel au gouvernement, il y a vingt ans, ne devait-elle pas sa gêne financière à son rang de capitale ; n'avait-elle pas subi la plus lourde charge des événements de la révolution ?
Lisez ce qu'a dit sur ce point mon honorable ami, M. E. Vandenpeereboom dans son Histoire du gouvernement représentatif en Belgique, et vous verrez si l'on a le droit de considérer la convention de l842, si aigrement combattue dans les Chambres, arrachée à l'ennemi par la vaillance des députés de Bruxelles, réduite de cent mille francs, du consentement du ministre de l'intérieur de cette époque, comma une si précieuse faveur de l'Etat.
Et cependant, je me demande ce que, depuis vingt ans que cette convention est conclue, la capitale, tant choyée en apparence, a reçu de la munificence du trésor. Remarquez bien, messieurs, qu'en parlant ainsi, je n'accuse personne. Je constate des faits, dont beaucoup remontent à plusieurs années. Je me borne à signaler une situation tout à fait anomale.
Bruxelles, obligée de soutenir son rang de capitale, est grevée de lourdes charges.
Elle subsidie à grands frais un théâtre renommé dans toute l'Europe ; d'accord avec la province, elle maintient l'Université libre, l'une de nos plus belles gloires. Elle dépense des sommes considérables pour ses monuments, ses promenades, l'assainissement de ses quartiers populeux, le développement de l'instruction publique et des beaux-arts, pour ses fêtes qui sont des solennités nationales ; son budget s'élève à 7,421,000 fr. Et elle reçoit de l'Etat, en dehors des subsides pour le service de la police des étrangers, une somme qui n'atteint pas 140,000 fr.
Pourtant elle est la capitale, et elle aurait encore bien des réformes urgentes à réaliser.
Son Académie est logée dans des caves ; les locaux de la Bibliothèque sont insuffisants et malsains ; la caserne Sainte-Elisabeth est un véritable foyer d'infection ; depuis des années, on réclame le détournement des eaux de cet égout qui s'appelle la Senne. Nous allons obtenir un palais de Justice ; il nous était promis depuis vingt-cinq ans ; la station du Nord s'achève, j'en félicite le gouvernement actuel, mais il y a vingt ans déjà, elle était inachevée comme le Louvre qui a été achevé depuis. On nous promet le déplacement de la station du Midi, le raccordement des stations du Midi et du Nord, je vous ai dit tout à l'heure que la question est à l'étude depuis 1846 ; le palais des beaux-arts réclamé depuis 1848 est renvoyé aux calendes grecques, et M. le ministre de l'intérieur nous disait que pour les expositions des beaux-arts, nous rentrerions sous le régime des locaux provisoires, c'est-à-dire des baraques. L'abaissement des péages sur le canal de Charleroi, l'expulsion de raffinage du centre de la capitale, nous savons ce qu'il nous a fallu de concours de la part d'autres intérêts pour les obtenir ; l'élargissement des écluses du canal, on n'en entend plus parler. Les faubourgs de Bruxelles n'ont pas même un bureau de poste, que possèdent les plus petits villages. Je ne trouve donc pas étrange que la capitale vienne aujourd'hui réclamer sa part légitime dans les bienfaits que l'Etat distribue au reste du pays. Je dis la capitale, je devrais dire l'arrondissement de Bruxelles, je devrais dire la province de Brabant.
Qu'y avait-il pour le Brabant dan3 le projet de 1859 ? Des crédits pour le transport des ministères, pour l'achèvement du palais du Roi. Voilà de véritables travaux de luxe ; comme aussi la promenade du bois de la Cambre, que l'on n'aurait pas décrétée, j'en suis sûr, si l'on avait pu prévoir l'abolition de l'octroi et le comblement des fossés de nos boulevards. On nous donnait un subside, depuis assez longtemps réclamé, Dieu merci ! pour la construction du palais de justice ; un crédit pour l'appropriation du palais ducal, triste fiche de consolation pour l'abandon da palais des beaux-arts. Comme aujourd'hui l'on nous donne la restauration de la porte de Hal, projet qui séduira tous les artistes et dont je sais un gré infini à l'honorable ministre de l'intérieur ; mais à coup sûr ce ne sont pas là des travaux nécessaires, productifs, indispensables, sollicités par les populations. Il n'y en avait qu'un seul dans le projet de 1859, un seul, le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, et c'est précisément ce qu'on nous enlève. S'il y a des travaux plus urgents que ce chemin de fer, ce n'est assurément pas la restauration de la porte de Hal.
Je me demande si c'est là un acte de justice et de bonne administration, alors surtout que l'Etat peut nous accorder ce bienfait sans s'exposer à aucune perte, sans même dépenser une obole. Aussi j'espère que, dans cette circonstance, tous les députés du Brabant feront cause commune et réclameront justice.
On nous dira qu'à défaut du chemin de fer de Bruxelles à Louvain, le projet de loi renferme la concession d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals avec embranchement vers Diest par Aerschot.
J’en félicite ces deux communes, à qui je ne veux que du bien, j'en félicite surtout la compagnie de l'Est Belge, qui en prolongeant san chemin de fer d'Herenthals sue Bréda, s'assurera un immense trafic de Charleroi vers la Hollande.
Mais indépendamment du droit qu'aurait eu la commune d'Heyst-op-den-Berg, bien plus importante qu'Aerschot, de voir passer par chez elle la route de Louvain à Herenthals, sans que pour cela il fût nécessaire de déshériter Aerschot et Diest, la capitale a bien aussi le droit de désirer qu'on la rattache à ce mouvement de l'Est Belge vers la Campine et la Hollande, en construisant le che in de fer direct de Bruxelles à Louvain.
La province de Brabant a encore le droit de se plaindre, parce qu'en même temps qu'on lui enlève la voie ferrée qu'elle réclame depuis vingt ans, on lui refuse encore cette petite satisfaction qu'elle était en droit d'attendre de la rectification entre Ath et Bruxelles par Enghien.
Messieurs, le gouvernement se prévaudra, sans aucun doute, du vote de la Chambre, à propos de la ligne de Louvain à Bruxelles. La Chambre a ajourné ce projet, mais elle a ajourné aussi l'exécution du port de refuge à Blankenberghe, ce qui n'empêche pas qu'il est représenté aujourd'hui.
D'autre part, la section centrale de 1859, en proposant l'ajournement du chemin de fer de Bruxelles à Louvain, proposait d'accorder à Bruxelles le Palais des Beaux-Arts que nous n'avons pas obtenu, et dont les plans ont déjà coûté 25,000 francs au pays.
D'ailleurs, je le répète, il ne s'agit pas, à notre sens, de grever le trésor, mais d'autoriser une concession des plus favorables, qui n'est pas un emprunt déguisé, puisque, dans le système proposé, l'Etat ne le crée pas de nouveaux créanciers, puisqu'il n'augmente pas sa dette, puisque au moyen d'une redevance payée non par le trésor, mais par le trafic du chemin de fer, l'Etat devient possesseur d'une propriété qd ne lui a rien coûté.
Encore une fois la question de justice domine ici toutes les autres, et je l'appellerai volontiers une question de bon sens. On l'a dit dans une des brochures qui nous ont été distribuées :
« On peut se demander ce qui serait arrivé si Bruxelles avait d'abord été pris comme centre du réseau des chemins de fer de l'Etat ? Il aurait fallu, dans ce cas, ouvrir par Louvain une voie directe vers l'Allemagne. Les transports d'Anvers auraient fait alors un détour par Bruxelles, comme ceux de Bruxelles et de la ligne du Midi font aujourd'hui un détour par Malines. Dans cette hypothèse, ne se serait-on pas empressé de doter notre métropole commerciale de la trajectoire dont elle profite aujourd'hui par l'ouverture de la section de Malines à Louvain ? Au point de vue de l'utilité publique et de la justice distributive, il serait tout aussi irrationnel de refuser au transit de la France vers le Rhin, et aux expéditions de la capitale, la réduction de parcours qu'on se serait empressé d'accorder à Anvers.
« En attendant la solution de toutes ces questions, il ne reste plus qu'à en poser une autre, à laquelle le gouvernement seul peut répondre :
« Pourquoi le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain par Cortenberg ne s'exécuterait-il pas ? »
Tout se résume dans cette question, à laquelle jusqu'ici le gouvernement n'a pas répondu.
J'ai déjà été très long, messieurs, et je termine. Mais ayant de me rasseoir, j'ai une déclaration à faire à la Chambre.
Il y a deux conclusions possibles à mon discours. Je puis demander, comme je l’ai fait la semaine dernière, que la Chambre comprenne dans (page 1284) le débat le projet ajourné l'année dernière, et tendant à décréter la construction du chemin de fer par l'Etat. Mais il dépend du gouvernement de retirer ce projet séance tenante, et l'incident se trouverait clos même sans qu'il y eût eu un vote.
Je pourrais déposer un amendement ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à construire ou à faire construite un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain par Cortenberg. »
Mais ici, quoique M. le ministre de l'intérieur m'ait dit, il y a huit jours : Présentez un amendement, l'on pourrait m'opposer la question préalable, comme on l'a fait en 1856, et me dire que nous n'avons pas le droit de présenter par voie d'amendement des chemins de fer nouveaux. Cette théorie n'est pas nouvelle. Je ne voudrais pas que le chemin de fer de Bruxelles à Louvain en fût la victime.
Je voudrais que la Chambre pût se prononcer sur le fond, sur le chemin de fer lui-même. Si le gouvernement veut accepter le débat sur ce terrain, je déposerai ma proposition, et je m'en référerai à la décision de la Chambre.
Sinon, toute réflexion faite, et comme il s'agit ici d'une question de justice, je voterai avec un profond regret, mais avec une parfaite tranquillité de conscience, contre l'ensemble du projet de loi, et je crois que tous mes collègues de Bruxelles feront comme moi.
M. Ch. Lebeau. - Messieurs, mon intention n'est pas de combattre dans son ensemble le projet de loi qui vous est soumis. J'applaudis, comme tout le monde, à l'idée du gouvernement de créer des travaux publics.
Par-là, en favorise à la fois l'industrie et le travail national, de même qu'on améliore nos voies de communication dont l'ensemble laisse encore beaucoup à désirer.
Seulement, messieurs, je crois devoir soumettre à la Chambre et à l'honorable ministre des travaux publics quelques observations critiques sur le projet.
Le projet de loi a pour objet d'autoriser la concession de six lignes de chemin de fer, et de consacrer à différents travaux publics un capital de 8 millions.
C'est surtout sur la répartition de ces divers travaux publics que des réclamations seront faites de plusieurs côtés.
On se plaint généralement qu'il n'y ait pas eu une répartition équitable de travaux entre les différentes localités qui en ont besoin.
En effet, messieurs, en parcourant le projet de loi, on est frappé d'une chose : c'est que les travaux se répartissent entre quatre provinces seulement ; les autres sont oubliées, si pas complètement, du moins à peu près. La province de Hainaut est malheureusement au nombre de ces dernières.
Il semblerait, en lisant le projet de loi, qu'il n'existe pas de travaux publics à faire dans la province de Hainaut. Or, de nombreux travaux publics sont à faire dans cette province, et particulièrement dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.
Remarquez, messieurs, que la province de Hainaut n'est pas seulement une des plus importantes par sa population et par son industrie ; mais qu'elle est encore une de celles qui payent le plus en impôts au trésor public, c'est une de celles qui sont grevées des plus fortes charges, et par conséquent elle est en droit d'attendre que l'Etat lui accorde une juste part dans les ressources qu'il consacre aux travaux publics.
Messieurs, c'est surtout dans la province de Hainaut qu'on produit les matières de première nécessité, notamment les charbons, et le pays entier est intéressé à obtenir les matières premières au meilleur marché possible. Or, l'on sait que le prix de revient des marchandises s'augmente des frais de transport, de manière que le consommateur est le premier intéressé à avoir des voies de communication faciles et des péages peu élevés.
Le gouvernement doit donc chercher à rendre les voies de communication plus faciles et moins coûteuses ; surtout il ne doit pas se faire spéculateur, c'est-à-dire réclamer des péages plus élevés que l'intérêt de son capital et les frais d'entretien des voies navigables ou des chemins de fer. Agir autrement, ce serait créer un impôt exceptionnel, car tout ce qui excède le capital et les frais d'entretien constitue un véritable impôt qui pèse sur les matières de consommation.
Messieurs, l'honorable M. Jouret vous a entretenus tout à l'heure d'un projet très important, de l'élargissement du canal de Charleroi et de ses embranchements. Peux pétitions dans ce sens ont été adressées à la Chambre. Je viens, messieurs, appuyer l'objet de ces deux pétitions et l'opinion qui a été émise tout à l'heure par mon honorable collègue M. Jouret.
Le gouvernement est saisi d'une demande de concession ayant pour objet l'élargissement du canal de Charleroi et de ses embranchements, ainsi que la construction d'un embranchement vers Mons, afin de mettre les trois bassins du Hainaut en communication directe avec Bruxelles, avec la province d'Anvers et avec les Flandres. Je n'ai pas à m'occuper de la demande de concession et je ne veux pas vous en parler ; mais je puis au moins dire quelques mots de l'objet de la demande, c'est-à-dire de l'élargissement du canal de Charleroi.
Le canal de Charleroi a été construit dans le but de mettre en communication le bassin de la Sambre avec le bassin de l'Escaut, qui sont les deux grands bassins de navigation du pays.
Or, par une faute qui ne se comprend guère et qui a été commise par le gouvernement précédent, on a construit à petite section le canal de Charleroi qui devait servir de communication entre les deux grands bassins, de telle sorte que sur la Sambre on naviguera avec des bateaux de 200 à 250 tonneaux, que pour arriver à Bruxelles, où l'on rencontre le canal de Bruxelles à Willebrocck, également navigable pour des bateaux de 200 à 250 tonneaux, mais on est forcé de passer par un canal à petite section sur lequel on ne peut naviguer qu'avec des bateaux de 65 à 70 tonneaux. C'est là, je le répète, une faute grave qui a été commise et que le gouvernement actuel devrait avoir à cœur de réparer dans le plus bref délai.
Notez, messieurs, qu'on aura beau abaisser les péages, jamais le remède ne sera apporté au mal, tant et aussi longtemps que le canal de Charleroi ne sera pas établi à grande section.
Ainsi, messieurs, ou a abaissé le péage du canal de Charleroi à deux reprises différentes, et nonobstant l'abaissement du péage le coût du fret n'est presque pas réduit et cela, messieurs, par la raison qu'on ne peut transporter sur le canal de Charleroi que le quart de la charge qu'on pourrait transporter s'il était à grande section. Les bateaux du canal de Charleroi ne contiennent que le quart des grands bateaux du canal de la Sambre, de manière qu'il faut, pour transporter la même charge, payer quatre fois les frais de batelage et de halage.
Vous comprenez dès lors que, quelle que soit la réduction des droits sur le canal de Charleroi, jamais on ne parviendra à obtenir des transports à bon marché et, par conséquent, le prix des charbons rendus à Bruxelles, à Anvers et dans les Flandres, sera toujours plus élevé qu'il ne devrait l'être.
Eh bien, qui paye ce transport ? Le consommateur.
Tous les produits pondéreux, les charbons comme les fers, se vendent sur les lieux. C'est le consommateur qui vient en prendre livraison sur les lieux de production et qui se charge d'en faire opérer le transport. Par conséquent c'est le consommateur qui paye cet excédant de prix de revient qui n'existerait pas si le canal était à grande section.
On ne comprend pas non plus, messieurs, pourquoi on tarderait à élargir le canal de Charleroi, lorsque nous voyons partout consacrer des capitaux à l'amélioration de toutes les voies navigables.
Ainsi nous avons encore dans le projet de loi actuel une somme de 1,600,000 fr. consacrée à la navigation de la Meuse.
Je ne critique pas, messieurs, la dépense ; mais comme je viens de le dire, si on consacre 1,600,000 fr. à améliorer la canalisation de la Meuse dont les produits sont nuls, remarquez-le bien, je me demande pourquoi on ne consacrerait pas la somme nécessaire pour élargir les écluses du canal de Charleroi, dont les produits ont remboursé, à l'heure qu'il est, trois fois le capital et les frais d'entretien ; car c'est un véritable impôt qui a été perçu jusqu'ici sur les consommateurs qui se servent du canal de Charleroi pour s'alimenter des produits du bassin de Charleroi et du Centre.
Les péages sont élevés, le trafic est considérable, et cependant, messieurs, on doit se servir de ce canal, et cela par une raison bien simple : c'est qu'il n'y a pas d'autre voie navigable, pas d'autre voie de communication. (Interruption.)
Nous avons, il est vrai, le chemin de fer, mais jamais il ne pourrait transporter à des conditions assez réduites, pour soutenir la concurrence avec un canal, alors même que les prix de transport seraient encore abaissés.
Ainsi, messieurs, on peut arriver de Charleroi à Bruxelles au prix de 4 fr. par 1,000 kilog. par chemin de fer, tandis que par le canal le transport n'est que de 3 fr. à 3 fr. 50 les 1,000 kilog.
(page 1285) Or, veuillez-le remarquer, si le canal était élargi, les frais de transport et de navigation, en maintenant même le droit actuel, seraient réduits de moitié, et cela non au profit du producteur, parce que le producteur n'expédie pas, mais au profit du consommateur qui prend les produits sur les lieux. J’en appelle à cet égard à tous ceux qui connaissent le commerce des charbons.
Je dis que la réduction qu'on pourrait obtenir serait de moitié et cette moitié, qui serait d'environ 2 francs par tonne pour Bruxelles profiterait exclusivement au consommateur.
Il y a plus, c'est que, pour les localités au-delà de Bruxelles, la réduction serait encore plus forte, parce qu'aujourd'hui, pour transporter le charbon de Bruxelles à Gand ou à Anvers ou dans les Flandres, il faut transborder à Bruxelles, ce qui occasionne encore une dépense de 40 à 50 centimes par 1,000 kilogrammes.
Voilà des frais qui seraient évités si l'on exécutait l'élargissement du canal de Charleroi jusqu'à Bruxelles.
On viendra me dire que le trésor public manque de ressources. Eh bien, je dis que pour des travaux utiles, pour des travaux productifs, pour des travaux qui donnent des résultats certains, qui en ont donné jusqu'ici et qui en produiront davantage encore, le gouvernement ne devrait pas hésiter un moment.
Et si le gouvernement avait, à mon avis, voulu éviter tous ces tiraillements de province à province, de localité à localité, qui se produisent chaque fois qu'il y a une discussion sur un projet de loi des travaux publics, il aurait dû faire un tableau complet de tous les travaux qui sont utiles, ou tout au moins nécessaires, et faire un emprunt pour couvrir le montant de la dépense. Je suis persuadé que personne n'aurait critiqué une pareille mesure.
Du moment que vous consacrez le capital emprunté à des travaux publics, qui sont non seulement nécessaires et utiles, mais qui produisent encore de quoi amortir l'emprunt et servir les intérêts, je ne vois pas comment il serait possible de critiquer la mesure. Cela donnerait de l'ouvrage à toutes les classes laborieuses, à nos industries sans appauvrir en rien le trésor, sans enlever aucune ressource à l'Etat.
On dispose aujourd'hui d'un capital de huit millions, et l'on fait un choix assez malheureux entre les travaux publics qu'on veut décréter et faire exécuter. On propose des travaux qui ne rapporteront rien à l'Etat et dont l'utilité est contestée et contestable ; tandis qu'il y a différents travaux qui sont nécessaires, indispensables, et qui auraient donné au trésor des résultats certains. Eh bien, ces travaux-là on les a négligés.
Je me demande si c'est agir avec beaucoup de sagesse.
Je le répète, on aurait pu contracter un emprunt. Il aurait suffi d'ouvrir une souscription publique pour qu'elle fût couverte en Belgique, parce qu'en définitive c'eût été pour consacrer cet emprunt à des travaux publics à exécuter dans le pays et dont les produits auraient tourné au profit du trésor public.
Messieurs, une dernière observation relativement au canal de Charleroi.
Ce travail est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que, tous les jours, ce canal devient plus insuffisant.
Vous le savez, la consommation des matières premières par suite de la progression de l'industrie augmente chaque jour.
Chaque jour on est forcé de chercher à augmenter les moyens de transport. On a bien pu augmenter le nombre de bateaux, mais on ne peut augmenter la navigation du canal de Charleroi ; on ne peut écluser par jour qu'un certain nombre de bateaux.
De sorte que les bateaux doivent mettre un jour ou deux plus qu'il ne faudrait pour aller de Charleroi ou du Centre à Bruxelles ; voilà pourquoi les bateliers doivent demander un prix plus élevé que si la navigation n'était pas entravée.
A l'origine, le canal de Charleroi, quoique établi à petites sections, pouvait remplir son but jusqu'à un certain point ; mais aujourd'hui il est devenu tout à fait insuffisant.
Il en résultera bientôt, messieurs, que, malgré les réductions de péages qu'on a accordées déjà, et ces réductions fussent-elles plus considérables encore, le fret ne pourra pas être abaissé et devra être porté à un taux supérieur à ce qu'il était avant la dernière réduction des péages. Elle est, messieurs, l'étrange anomalie qui résulte de la position dans laquelle se trouve le canal de Charleroi.
On objectera peut-être que la mesure que je réclame pourra diminuer les recettes du trésor.
Sans doute, messieurs, il pourra en être ainsi pendant la durée des travaux ; mais les travaux une fois terminés, immédiatement les recettes se relèveront dans une proportion assez considérable, et compenseront largement le sacrifice qui aura été fait.
Pas plus que l'honorable M. Jouret, en ce qui concerne la Dendre, pas plus que l'honorable M. Hymans, quant au chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, je ne crois, messieurs, devoir demander par amendement la somme nécessaire à l'élargissement du canal de Charleroi, mais j'attends de l'honorable ministre des travaux publics qu'il veuille bien me dire quand et comment il croit qu'il lui sera possible d'exécuter ce grand travail, qu'il est de l'intérêt général d'entreprendre le plus tôt possible.
Je le répète, messieurs, c'est le seul canal à petites sections qui existe dans le pays et c'est de tous nos canaux le seul qui procure des recettes au trésor.
Le travail dont je parle coûterait de 10 à 12 millions ; jusqu'à présent les recettes se sont élevées à 1,300,000 fr. par an, or, si l'élargissement du canal était opéré, je suis persuadé que par suite de l'augmentation de trafic qui aurait lieu, avant peu les recettes s'élèveraient à 1,500,000 fr. et même à 2 millions ; en même temps que le consommateur obtiendrait le charbon à beaucoup meilleur marché.
Maintenant, messieurs, je crois devoir vous entretenir d'un autre travail d'utilité publique, je veux parler du chemin de fer de Marchienne à Baume dont il a été question dans les discussions à la section centrale.
Cette ligne a été concédée, il y a quelques années, à la compagnie des chemins de fer du Centre, en vertu d'un droit de préférence qui lui avait été accordé dans son acte de concession.
Les délais pour exécuter les travaux de ce chemin de fer sont expirés, je pense, depuis quelque temps.
La société, mise en demeure de remplir ses engagements, ne s'est pas exécutée. L'utilité de la ligne est incontestable, le gouvernement ne l'a jamais niée.
Elle traverse, du reste, une localité industrielle qui a été jusqu'à présent laissée à l'écart du réseau de nos voies ferrées. L'inexécution de cette ligne fait donc souffrir de nombreux intérêts, les établissements que la ligne devrait desservir et relier au chemin de fer de l'Etat. En effet, messieurs, la ligne de Marchienne à Baume part de la station de l'Etat, touche la ville de Fontaine-l'Evêque, doit relier un groupe de charbonnages, qui se trouve entre le bassin de Charleroi et celui du Centre et vient aboutir à Baume, section de la ligne du chemin de fer de Mons à Manage, appartenant aujourd'hui à l'Etat. Ainsi, voici les avantages de cette ligne.
D'une part elle est destinée à relier le bassin de Charleroi au bassin du Centre, ce qui permettra aux charbons du Centre et du Couchant de Mons, d'arriver dans le bassin de Charleroi, alimenter certains établissements métallurgiques et verriers.
D'autre part, messieurs, par cette ligne on transportera les charbons maigres de Charleroi vers le Centre et vers Mons. Enfin, elle reliera une localité laissée jusqu'ici à l'écart du réseau de nos chemins de fer et d'importants charbonnages auxquels on a consacré plus de 10 à 12 millions dans l'espoir qu'un chemin de fer viendrait un jour les relier.
Or, ces capitaux si considérables se trouvent aujourd'hui improductifs, parce qu'il est impossible d’exploiter ces charbonnages de manière à soutenir la concurrence que leur font ceux qui sont reliés aux voies ferrées ou aux canaux.
Le gouvernement, du reste, n'a jamais méconnu l'utilité, la nécessité même de construire cette ligne ; cela est si vrai que dans l'acte de concession fait au profit de la compagnie du Centre, le gouvernement a stipulé un droit de rachat à son profit dans un délai de sept années. Eh bien, c'est précisément cette condition, acceptée par la compagnie, qui est la cause principale pour laquelle elle s'est refusée et se refuse encore à exécuter la ligne.
Elle dit en effet qu'après avoir exécuté la ligne avec une semblable condition, le gouvernement aura, après sept années d'exploitation, l'avantage de reprendre la ligne, s'il trouve que l'affaire est avantageuse, ou de la laisser pour le compte de la compagnie du centre, s'il juge que l’opération n'est pas bonne.
Voilà pourquoi, d'après ce qu'on nous assure, la compagnie du Centre n'a pas construit cette ligne.
Quoi qu'il en soit, il est de l'intérêt général comme de celui des industriels que cette ligne devait desservir, qu'il soit mis un terme à cette position. Le gouvernement doit nécessairement mettre la compagnie du centre en demeure d'exécuter.
(page 1286) Si la compagnie n'exécute pas la ligne, le gouvernement doit la faire déchoir, et j'estime qu'alors le gouvernement a pour devoir d'exécuter lui-même ou du moins d'exploiter lui-même la ligne, s'il l'a fait exécuter par un autre concessionnaire. Je ne comprendrais pas qu'il pût en être autrement.
Le principe de semblable exploitation a été consacré, lorsque l'Etat a racheté la ligne de Manage à Mons.
Le gouvernement nous en a donné la raison à cette époque : C'est parce que, dit-il, cette ligne était un affluent pour le chemin de fer de l'Etat et qu'elle se trouvait enchevêtrée entre deux lignes de l'Etat.
Eh bien, c'est précisément la position dans laquelle se trouve la ligne de Marchienne à Baume.
Le point de départ, c'est la ligne de l'Etat ; le point d'arrivée, c'est encore la ligne de l'Etat. Ce chemin de fer doit également desservir une localité tout industrielle et amener de nouveaux et nombreux transports au chemin de fer de l'Etat. Il y a des motifs réels pour que le gouvernement construise cette ligne ou la fasse construire par un entrepreneur, mais se charge de l'exploiter lui-même, puisque, pour le chemin de fer de Mons à Manage, le gouvernement, après avoir concédé la ligne à une compagnie, a fini par la racheter et l'exploiter pour son compte.
Messieurs, il y a ici une question de justice distributive. Ainsi, lorsque je vois consacrer des sommes relativement importantes à des travaux dont l'utilité publique, dans la véritable acception du mot, peut être mise en doute, je me demande pourquoi on n'exécuterait pas des travaux que l'intérêt général réclame évidemment ? Ainsi, par exemple, dans le projet en discussion, figure une somme de 1,400,000 fr. pour exécuter un embranchement de canal destiné à relier un groupe d'établissements industriels situé sur la rive droite de la Meuse, au canal de Liège à Mae3tricht.
Or, il s'agit de relier au chemin de fer de l'Etat un groupe d'établissements industriels et des charbonnages qui sont privés de toute espèce dévoie de communication, qui n'ont ni canal ni chemin de fer.
Eh bien, je me demande quelle est la différence entre les charbonnages qui se trouvent entre la rive droite de la Meuse et les charbonnages qui se trouvent entre Marchienne et Baume.
D'un autre côté, je vois le gouvernement consacrer une somme de deux millions de francs à construire un chemin de fer d'Aerschot à Diest, et l'on donne ce chemin de fer tout construit à exploiter à une compagnie concessionnaire, moyennant certaine redevance.
Ainsi voilà, messieurs, deux sortes de travaux, l'embranchement du canal sur la rive droite de la Meuse et le chemin de fer d'Aerschot à Diest, dont l'utilité est très secondaire et dont les produits sont plus qu'incertains ; et pour lesquels néanmoins on va consacrer 3,400,000 fr. Les 1,400,000 fr. qu'on va consacrer à relier les établissements et les charbonnages industriels de la rive droite de la Meuse au canal de Maestricht à Liège produiront fort peu de chose. Les deux millions qu'on va employer à construire une station d'Aerschot à Diest ne donneront pas non plus de grands résultats, tandis que le chemin de fer de Marchiennes à Baume qui a été concédé, dont l'utilité est incontestable, qui donnerait des produits certains, est laissé à l'écart par le projet de loi.
Que le gouvernement veuille bien nous dire les raisons de la préférence qu'il donne à des travaux dont l'utilité est très contestable et le produit incertain, sur ceux dont le produit est évident et dont l'utilité ne peut être méconnue,
- Plusieurs membres. - A demain.
M. Ch. Lebeau. - Si la Chambre le permet, je continuerai demain. (Oui ! Oui !)
M. Orts (pour une motion d’ordre). - D'après la tournure que prend la discussion, il est évident qu'on continuera à s'occuper de la question du chemin de fer de Bruxelles à Louvain. Ce serait réellement faire perdre le temps de la Chambre à une époque où elle doit le ménager, que de lui laisser entendre une série de discours sans conclusion aucune.
Messieurs, la conclusion à une discussion inévitable sur le chemin de fer de Bruxelles à Louvain est toute simple, toute naturelle, c'est une question d'ordre du jour. Je demande donc à la Chambre qu'en même temps qu'elle discute le projet actuel, elle discute aussi la partie ajournée du projet de loi de 1859.
Celle-ci est aussi à l'ordre du jour ; elle figure sous le n°2 des projets arriérés sur lesquels les rapports des sections centrales sont faits et qui peuvent être mis à l'ordre du jour. De cette façon nous pourrons arriver, après la discussion, à une conclusion. Le gouvernement nous dira si ce chemin de fer par l'Etat est possible ou n'est pas possible, s'il a d'autres combinaisons à nous proposer. La Chambre alors pourra se décider et donner en même temps satisfaction aux inquiétudes de l'opinion publique.
Je demande donc que les deux projets de loi soient mis simultanément à l'ordre du jour.
C'est d'ailleurs une vieille promesse que j'ai faite lorsque j'avais l'honneur de présider cette Chambre, et dont je demande la réalisation.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - L'ancien projet de loi est encore à l'ordre du jour, cela est incontestable. On peut discuter les deux projets cumulativement.
- La proposition de M. Orts est adoptée.
La séance est levée à 4 3/4 heures.