(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1129) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Destrée demande qu'il soit pris une mesure de sûreté à l'égard d'un habitant de sa commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Diest demande que cette ville soit reliée au réseau des chemins de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet dc loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.
« Des propriétaires et administrateurs des charbonnages de la Sambre, des industriels à Namur, des directeurs d'établissements industriels à Rhisnes, Verviers, Champion prient la Chambre d'assurer la garantie et un minime d'intérêt de 4 p. c. sur un capital de 12,000,000 pour un chemin de fer destiné à relier Namur à Landen et Tamines à Fleurus. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Moxhe prient la Chambre d'accorder la garantie d’un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital de 12,000,000 qui serait employé à une ligne ferrée allant de Namur à Landen en passant près d'Eghezée et Hannut. »
« Même demande d'habitants de Achen, Merdorp, Lens-Saint-Servais, Wasseige, Hannut, Ramillies, Embresin, Leuze, Waret-la-Chaussée, Erpigny, Grand-Rosières, Geest-Gerompont, Thisne, Noville-sur-Mehaigne, Taviers, Ramillies, Eghezée, Longchamps, Jandrain-Jandrenouille, Meux, Warisoulx, Forville, Hemptinne, Rhîsnes, Emines, Crelien, Dranchon, Boneffe, Hauret, Cortil-Wodon, Lierne, Asche, Saint-Germain, Wamont, Cras-Avernas, Poncet, Trognée, Villers-le-Peuplier et Lens-Saint-Remi. »
- Même renvoi.
M. Royer de Behr. - J'ai l'honneur de demander que les pétitions dont on vient de faire l'analyse soient renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet relatif à divers travaux d'utilité publique, et si la Chambre accueille ma demande, je prierai la section centrale d'examiner ces pétitions avec la plus grande attention, parce qu'il s'agit d'un chemin de fer très important devant traverser des localités qui, jusqu'ici, ont été dépourvues de voies ferrées.
- La proposition de M. Royer de Behr est adoptée.
« Le sieur Tulpinckx réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement d'une somme revenant à sa famille. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jacobs transmet des renseignements à l'appui de sa demande tendante à obtenir une provision sur une somme qu'il réclame de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Il est fait hommage à la Chambre par M. Willems de 116 exemplaires de sa brochure intitulée : Etat de la question de l’inoculation de la pleuropneumonie exsudative de l'espèce bovine en 1861. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. le ministre des finances adresse à la Chambre l'état approuvé par la cour des comptes des remboursements de bons du trésor, effectués au 31 décembre 1860. »
- Impression et distribution.
« M. Van Leempoel, empêché pour affaires, demande un congé, et ajoute :
« Je ne pourrai toutefois donner mon acquiescement au vote de 15,500,000 fr. pour le département de la guerre. »
- Ce congé est accordé.
M. le président. - La parole est continuée à M. Goblet.
M. Goblet. - A la fin de la séance d'hier, je vous prouvais que les crédits que l'on déclarait aujourd’hui nécessaires encore pour compléter notre matériel d'artillerie avaient été accordés et dépensés déjà depuis longtemps. Non seulement on a dépensé près de 7 millions, mais on a encore trouvé l'emploi de 600,000 francs de transfert que vous avez votés à la fin de l'année dernière.
Il est évident, messieurs, que le crédit de 15 millions n’est pas uniquement destiné à la transformation de notre artillerie. Ce crédit est demandé pour augmenter notre artillerie d'une manière formidable. Qu'elles qu'aient été les assurances contraires qu'on nous ait données, les faits et les chiffres prouvent la vérité de l'hypothèse que j'avance.
L'approvisionnement des poudres de guerre doit être au grand complet, or, à propos de la transformation de l'artillerie, on vient demander une somme très considérable pour les poudres. Il est évident que si ne n'est pas pour augmenter la force de l'artillerie, c'est pour compléter un déficit qui ne devrait pas exister, et là encore une fois on induit le pays en erreur.
Messieurs, lors de l'enquête de 1851 faite par le ministère de la guerre sur les établissements militaires en Belgique, il a été constaté qu'il manquait moitié des poudres nécessaires pour notre armée.
En 1857, ce déficit était réduit, il n'était plus que du tiers. La section centrale d'alors demanda au ministre de la guerre, s'il n'y avait pas d'inconvénient à emmagasiner et à compléter les approvisionnements. Elle reçut cette réponse :
« Si le gouvernement attend, pour faire fabriquer la poudre manquant à l'approvisionnement, que les circonstances en fassent une obligation impérieuse, il sera certainement impossible de se la procurer en temps utile, non seulement à cause des délais considérables qu'entraîneraient nécessairement cette fabrication, mais encore l’impossibilité de se procurer, en pareil cas, les quantités de salpêtre nécessaires. »
Après une telle déclaration, il est évident qu'en présence des circonstances et en présence des déclarations du gouvernement, qui chaque fois qu'il avait un crédit à demander à la Chambre, invoquait la gravité des événements, nous ne pouvons pas admettre d'autre hypothèse que celle que les magasins de poudre sont au complet. Mais alors, messieurs, pourquoi, dans le crédit pour la transformation de l'artillerie, venir demander une somme considérable pour achat de poudre ?
Le nouveau système d'artillerie exige moins de poudre que l'ancien.
La charge de poudre est plus faible. Il est donc évident que vous n'avez pas besoin, si nos magasins sont complets, d'en acheter davantage.
Il faut donc se servir, pour les nouveaux projectiles, de la poudre que vous avez en magasin ; à moins, toutefois, comme l'assurait il y a quelques jours un officier distingué, que la poudre qui existe actuellement ne soit trop forte pour le canon Wahrendorff. Ce serait là un nouvel et grave inconvénient du système proposé par l'honorable ministre de la guerre.
Voilà donc, messieurs, dans le crédit de 15 millions, deux chiffres très élevés que vous pouvez réduire.
Vous devez retrancher les 4 millions demandés pour complément de notre ancien matériel, puisque cette dépense n'est pas justifiée ; puis ensuite les 3,000,000 de francs demandés pour achats de poudre, cela fait 7 millions, c'est-à-dire la moitié du crédit.
Il est évident, messieurs, que si le crédit de 15 millions était réellement demandé pour transformer l'artillerie et non pas pour l'augmenter, comme je l'ai prouvé, d'une manière très considérable, on s'y serait pris tout autrement.
Il est établi que vous devez avoir en magasin des poudres et si d'un autre côté vous supprimez une partie de l'ancienne artillerie en la remplaçant par la nouvelle, vous avez en même temps une certaine quantité de projectiles qui deviennent inutiles ; partant de là une certaine quantité de fonte, et la transformation de l'artillerie, au point de vue des projectiles, se bornera à l'achat d'une minime quantité de fonte et du plomb nécessaire pour faire les chemises des obus.
Dans cette occurrence il était bien plus simple devenir demander d'abord ce qu'il fallait pour faire les canons, comme on l'a fait partout, comme on l'a fait en Hollande.
C'était compliquer la question, c'était rendre l'examen de la question beaucoup plus difficile et de plus nous empêcher d'avoir une certitude quelconque que les fonds demandés seront utilement employés.
Dans la section centrale, l'honorable ministre de la guerre nous a refusé la communication de tous les états concernant nos arsenaux, la quantité de canons, la quantité de poudre, la quantité de boulets, et cela au nom de l'intérêt de la défense nationale.
(page 1130) Mais, messieurs, la défense nationale devait être tout aussi précieuse à l'honorable général Chazal et à la Chambre, en 1857, qu'elle l'est aujourd'hui. Nous voyons cependant dans le rapport de M. Thiéfry que toute satisfaction avait été donnée à la section centrale de cette époque et cela au point que la section centrale retranchait à l'unanimité du crédit demandé une somme de 260,000 francs, parce qu'on avait réclamé un achat de plomb qui n'était pas légitimé à ses yeux, attendu qu'il y avait, dans nos arsenaux, tout le plomb nécessaire pour le service que réclamait le département de la guerre.
Si la section centrale de 1857 n'avait pas eu les pièces à l'appui, il est évident qu'elle n'aurait pas pu proposer cette réduction. La section centrale de 1861 s'est vue dans l'impossibilité d'examiner le côté financier du projet de loi, par suite de la négation absolue de nous fournir les documents dont nous avions besoin pour nous livrer à ce contrôle nécessaire.
De cette manière de faire je conclus que le projet de loi qui est présenté, pour la transformation de notre artillerie, est en définitive destiné à augmenter notre artillerie, à armer les fortifications d'Anvers.
Messieurs, je vous ai dit, dans mon premier discours, que ces deux objets méritaient une discussion sérieuse, et qu'il n'était digne, ni de la Chambre, ni du gouvernement, d'entraîner le pays, sans une discussion spéciale et approfondie, dans des dépenses considérables lesquelles nécessiteront à leur tour d'autres dépenses plus considérables encore.
En présentant et en défendant le projet de loi uniquement au point de vue du côté technique de la question, on a agi autrement qu'on ne fait partout ailleurs. Jamais un gouvernement constitutionnel ne viendra demander à des Chambres : Voulez-vous de tel ou tel système de canons ? Le ministre de la guerre vient demander un crédit, et il adopte un système d'artillerie sous sa responsabilité. Mais, comme l'a très bien dit l'honorable M. Desmaisières dans son discours, lorsque vous venez nous proposer d'accepter un système de canons sous notre responsabilité, nous sommes nécessairement obligés de discuter la valeur de l'arme.
Mais, messieurs, le département de la guerre, en suivant cette voie, savait bien ce qu'il faisait ; il désirait nous rendre la discussion en quelque sorte impossible ; il désirait détourner notre attention du côté financier du projet de loi.
Dans la discussion publique, l'honorable général Chazal n'a guère envisagé que le côté technique de la question et après nous avoir mis pour ainsi dire dans l'impossibilité d'examiner les conséquences financières de ses propositions, il ne les a plus défendues le moins du monde, il s'est borné à prendre le chiffre global, mais il n'en a nullement indiqué l'emploi avec pièces à l'appui.
Ces pièces consistent dans l'état comparatif de ce que nous avons et de ce que nous devons avoir.
Au nom de la défense nationale, on a refusé de nous dire combien on voulait faire de canons. Cependant il résulte d'un chiffre global donné par M. le ministre de la guérie que le nombre des canons doit augmenter d'un millier.
Si, au contraire, plusieurs millions du crédit demandé sont destinés à augmenter notre artillerie dans cette proportion, je répète que la question devrait faire l'objet d'une discussion spéciale et approfondie. . Messieurs, si à notre ancien matériel d'artillerie nous joignons encore les canons du système prussien, nous allons encore augmenter la confusion qui existe déjà dans le nombre des calibres.
Il est évident que le grand mérite du système français est dans sa simplicité, dans son utilité pratique. Cela est tellement vrai que l'honorable général Chazal, tout en agissant contrairement à cette opinion, la constate dans une des réponses faites à la section centrale.
Il déclare, en réponse à la seconde question :
« Les expérience faites en Allemagne et en Angleterre ayant été décisives à ce sujet, le gouvernement a d'autant moins hésité à suivre l'exemple de ces pays, qu'il y eût eu un immense inconvénient pour nous à avoir deux systèmes d'artillerie. »
Mais, messieurs, le projet de loi qui nous est soumis indique des canons Wahrendorff à boulets forcés, des canons Wahrendorff à âme lisse et à projectiles ordinaires et enfin des canons ordinaires à conserver pour le tir à mitraille et les feux exceptionnels.
En transformant notre artillerie au système français nous arrivons au contraire à l'unité sinon de calibre, parce que nos pièces sont très diverses, du moins à l'unité d'espèce de projectile, tandis qu'avec le système adopté par le gouvernement nous en aurons évidemment plusieurs espèces.
L'honorable général Chazal nous a dit qu'il n'avait pas été possible de faire des essais concluants en Belgique, que les petits Etats étaient tous dans la même position et que trois grandes puissances seulement avaient été à même de poser des conclusions après des essais faits chez elles et avec leurs moyens seuls.
Ces trois puissances sont l'Angleterre, la France et la Prusse.
Mais, messieurs, la Russie et l'Autriche ne sont-elles pas des puissances assez considérables pour faire des essais assez concluants ?
Eh bien, ces puissances ont adopté le système de bouches à feu français à la suite d'essais analogues à ceux que nous avons faits, analogues à ceux qu'ont pu faire des puissances secondaires.
Nous avons profité, comme ces grands pays, de l'expérience des autres, et il eût été facile par nos essais de comparer, d'étudier et de conclure au meilleur système, sans nous en rapporter entièrement à l'étranger.
Ce n'était pas en refusant les procès-verbaux à la section centrale sous le prétexte que les expériences n'avaient pas été concluantes sous un certain rapport et en invoquant le secret diplomatique, qu'on pourra parvenir à convaincre tous ceux qui ont étudié la question, que les essais de Brasschaet ne pouvaient pas apporter de données absolues et vraies dans le débat.
A Brasschaet, messieurs, ou a essayé diverses espèces de canons du système français, on a essayé des canons du système allemand et ces expériences successives ont duré fort longtemps.
L'honorable baron Chazal, chaque fois qu'on lui parle d'expériences faites à Brasschaet, a l'air de les traiter d'une manière excessivement humiliante pour notre artillerie. Chaque fois qu'elles ne servent pas d'appui à son argumentation, il n'y attache aucune foi, aucune importance.
Permettez-moi de vous rappeler les résultats généraux de ces expériences auxquelles a assisté à différentes reprises Mgr le Duc de Brabant, et dont la relation s'est trouvée pompeusement racontée à différentes reprises, dans des journaux même semi-officiels.
« Le Duc de Brabant est arrivé ce matin, vers 10 1/2 heures, au camp, Le prince était accompagné de M. le lieutenant général baron Chazal, ministre de la guerre, et de MM. Cattoir et d'Overschie de Neeryssche, officiers d'ordonnance du Duc.
« MM. les généraux Soudain de Niederwerth et Eenens se trouvaient au camp pour accompagner Son Altesse Royale dans sa visite.
« La visite du prince avait uniquement pour but d'assister à certaines expériences capitales des nouveaux canons rayés. Je dois m'abstenir, vous en comprendrez les motifs, d'entrer dans aucun détail technique au sujet de ces expériences, et me borner à vous dire qu'elles ont été fort belles et des plus concluantes,
« La cible, placée à une distance de 2,300 mètres, a été touchée à différentes reprises de la manière la plus heureuse ; le prince, à chaque fanfare qui annonçait que le but était atteint, adressait les félicitations les plus chaleureuses aux officiers ; chacune des expériences a été suivie par le duc avec un intérêt des plus vifs.
« La première série des expériences a été terminée à midi et demi environ.
« A une heure, Son Altesse Royale a réuni à sa table, en un déjeuner des plus luxueux, outre les officiers de sa maison, le ministre et les officiers supérieurs, tous les officiers qui ont pris part aux expériences ; le nombre des convives était, je pense, de vingt-six.
« Le prince s'est montré charmant pour tous ses convives, trouvant des mots aimables pour chacun.
« Ce qui a frappé tout le monde, c'est la sollicitude - j'écris à dessein ce mot- de S. A. R. pour le ministre de la guerre. Le baron Chazal n'a a s une santé fort robuste ; à tout instant, le prince se préoccupat1 de lui avec une bonté qui a émerveillé tous les officiers, et qui prouve bien le cas que l'on fait en haut lieu des services et du mérite du général.
« Après le déjeuner, les expériences ont été reprises ; seulement S. A. R., qui le matin s'était tenue auprès des pièces, s'est portée, l'après-midi, avec son état-major, à proximité de la cible, et divers coups heureux sont venus prouver au prince, en même temps que les progrès de notre artillerie, toute la supériorité du nouveau système de pièces expérimentées.
« Au moment de quitter le camp, S. A. R. a adressé de nouvelles félicitations aux officiers composant la commission des expériences et leur a témoigné, dans les termes les plus flatteurs, toute sa satisfaction. »
Messieurs, si j'ai lu ces derniers paragraphes, qui n'ont aucun rapport avec les expériences mêmes, c'est pour vous prouver que cet article n'a pas été écrit par quelqu'un d'hostile au ministre de la guerre (page 1131) et que son auteur, quand il disait que les expériences avaient très bien réussi, que le système essayé donnait les meilleurs résultats, éaiit parfaitement convaincu d'être agréable aux autorités qui avaient présidé au tir.
En présence de ces expériences, en présence d'autres expériences encore d'une autre espèce, pouvait-on sérieusement nous refuser communication des procès-verbaux qui constataient leur efficacité, procès-verbaux tout à fait étrangers, d'ailleurs, à toute considération politique ?
Et lorsque j'ai entendu, à propos d'un incident, l'honorable général Chazal traiter d'une manière quelque peu dédaigneuse un officier qui a consacré avec un rôle constant ses efforts, son temps et son intelligence à servir dignement son pays pendant 25 ans, j'ai profondément regretté, je dois le dire, de voir méconnaître de la sorte et sans motif avouable les talents d'un homme hautement apprécié par tous ceux qui le connaissent.
Les puissances de l'Europe, sauf la Prusse, l'Angleterre et les petits Etats de l'Allemagne ont, soit provisoirement, soit définitivement, adopté, je ne dis pas le système français, mais un système analogue au système français ; et elles ont adopté ce système pour deux raisons : c'est que les effets constatés du canon rayé français étaient très puissants et que la dépense pour transformer ainsi leur ancien matériel était en quelque sorte insignifiante.
Le Journal des Débats, qui s'est, comme je l'ai dit, beaucoup occupé de la transformation de l'artillerie française, constate un fait ; c'est que depuis que l'artillerie française a commencé cette opération de transformation, aucune augmentation de dépense n'a été portée au budget de la guerre.
Il est dit dans le numéro du 15 janvier 1861 de ce journal :
« Nous n'interviendrons pas dans le débat et nous laisserons au lecteur le soin d'apprécier les dires des deux parties. Nous avons seulement à frire remarquer deux choses : d'abord que la transformation du matériel est beaucoup plus avancée chez nous qu'en Angleterre, car, sans compter les existences en magasins, il a déjà été distribué à l'armée plus de 100 batteries, soit plus de 600 pièces de canons rayés pour le service de campagne seulement ; ensuite que cette transformation s'opère sans que nous voyions de ce chef augmenter nos dépenses. On peut s'en convaincre en compulsant la série de nos budgets, et l'on pourra s'y donner le plaisir de constater que depuis l'adoption réglementaire des nouvelles armes, la dotation des chapitres qui concernent le matériel de l'artillerie n'a pas subi d'augmentation qui vaille la peine d’être notée. Les anciennes allocations suffisent aux besoins du présent. C'est un point qui a certainement aussi sa valeur, et qui nous autorise à prétendre à notre tour que, sous le rapport financier pas plus que sous les autres, nous ne devons admettre comme valable aucun des titres que le Times revendiquait avec tant d'assurance pour faire croire à la supériorité du matériel d'artillerie anglais sur le nôtre. »
Voilé une grande puissance qui transforme toute son artillerie, et son budget n'a pas augmenté ; sous ce rapport les anciennes allocations suffisent aux besoins du présent.
C'est un point qui a aussi sa valeur et nous autorise à dire que sous le rapport financier aussi bien que sous le rapport de la bonté du système, nous ne pouvons admettre les allégations de l'honorable général Chazal.
Dans la Gazette de Vienne et dans divers autres journaux allemands, on constate aussi que la transformation faite dans l'armée autrichienne en imitant le système français a coûté très peu de chose.
En Hollande, nous avons le discours du ministre de la guerre qui s'exprime de la même façon. Quand le ministre vient dire qu'avec un crédit de 400 mille francs il peut transformer la plus grande partie de l'artillerie néerlandaise, il n'a pas besoin de faire intervenir des éléments complètement distincts. Quand il faudra en Hollande fabriquer des projectiles, la dépense n'étant pas considérable, on trouvera sur les crédits ordinaires les moyens de compléter l’armement.
Si maintenant nous examinons la possibilité d'en faire autant en Belgique, nous trouvons qu'il est facile de l'établir, qu'il faut beaucoup moins d'argent que pour opérer les transformations de l'artillerie comme le veut l'honorable général Chazal.
Nous avons en Belgique, quoi qu'en ait dit M. le ministre de la guerre, un assez grand nombre de pièces de bronze.
Nous avons presque la moitié de nos pièces existantes en bronze.
Si la Chambre désire en connaître le chiffre, je le donnerai (Interruption.)
Si je ne donne pas ce chiffre, c'est par respect pour l'allégation de ministre de la guerre, qui ne désire pas qu'on le fasse connaître publiquement. Mais je dis qu'il y a près de la moitié des pièces de bronze, et il est parfaitement indifférent de savoir si c'est cent de plus ou de moins. Ces pièces de bronze, nous savons qu'elles peuvent être transformées sans dépense.
Restent les pièces de fonte que l'on devait cercler. Eh bien, sans donner le chiffre exact, mettons un million ; c'est beaucoup troo ; nous aurons transformé notre artillerie telle qu'elle se trouve aujourd'hui. Si maintenant vous devez augmenter votre nombre de pièces de 1,000, ce n'est plus une transformation d'artillerie, c'est une augmentation d'artillerie.
Et comme l'honorable général Chazal nous assure qu'il ne s'agit pas d'augmenter l'artillerie, il en résulte que mon système, qui coûterait un million, est sept fois meilleur marché que le système de l'honorable général Chazal qui demande 6,800,000 francs pour les pièces et les affûts.
Dans le système de transformation au point de vue français, nous pouvons utiliser toutes les pièces et affûts aussi bien que les Français et que les Hollandais.
Je n'admets pas que notre matériel soit inférieur à celui de ces puissances, et comme il doit être complet d'après les chiffres que je vous ai donnés, il suffirait de payer la transformation au point de vue du canon seulement.
Reste la question des projectiles. Eh bien, si nous admettons encore qu'il faudrait tout neuf, le projectile français coûte beaucoup meilleur marché que le projectile prussien. Cela est facile à comprendre.
Le projectile français est moins lourd que le projectile prussien, et il est dirigé dans l'âme du canon au moyen de tenons de zinc dont le prix est bien loin d'égaler celui des enveloppes de plomb.
Ensuite le prix de la fusée du boulet prussien et de la charge intérieure étant plus considérable que celle de l'obus français, le coup de canon, au moyen du système prussien, à égalité de calibres, revient, comme je l'ai démontré, à 3 fr. de plus que le coup de canon au moyen du système français ; le premier coûte 9 fr. et le second 6 fr.
Voilà donc ce qui en serait, si nous n'avions rien en magasin. Mais si vous admettez, comme vous devez l'admettre, que vous avez en magasin de la poudre, de la fonte et tout ce que possède un pays qui a un système militaire, la question de la dépense est insignifiante ; et comme la Hollande, nous arriverons au but avec un crédit minime ; il ne s'agira pas d'un crédit qui épouvante tout le monde, d'un crédit de 15 millions, mais d'un crédit de quelques cent mille francs.
Messieurs, on a fait diverses réponses quant à ce fait que les puissances de l'Europe avaient accepté un système analogue au système français.
Cela n'est pas contestable pour l'Espagne, cela n'est pas contestable pour la Hollande, cela n'est pas contestable pour la Russie, pour l'Autriche, on a reconnu que ce n'était pas contestable pour une partie de son artillerie.
Le Danemark, qui est au moment d'entrer en guerre, vient d'adopter le système français. Il vient de transformer 80 pièces.
Ce système a certainement des avantages sérieux, et il permet, en dépensant peu de chose, de réserver la question de l'avenir. Cette question de l'avenir est très sérieuse alors qu'il s'agit d'une invention nouvelle qui peut être modifiée par des découvertes successives, des découvertes qui certainement, arriveront. Si toutes les puissances que j'ai citées et même la France continuent à faire des expériences, ce n'est pas à dire qu'elles ont condamné le système dont elles se servent ; mais comme grandes puissances militaires, elles doivent se tenir au courant de tout ce qui paraît et essayer toute espèce de canons, quand ce ne serait que pour donner la confiance que le système adopté est le meilleur.
Le système français est postérieur au système prussien ; il est postérieur au système Cavalli ; et si les avantages de ces derniers avaient été si énormes, on les aurait pris avant de prendre le système français. Dire que l'on a pris le système français parce qu'on n'en connaissait pas d'autres, cela n'est donc pas exact.
Maintenant, quand on vient argumenter, comme l'a fait l'honorable rapporteur, de ce que la Prusse a envoyé des pièces aux petits Etats fédéraux, pour soutenir que ce canon avait une grande réputation et pour soutenir qu'à l'exemple d'autres puissances, nous devions l'adopter aussi, je me suis demandé, la rougeur au front, si nous n'étions pas sur la liste des favorisés et si nous ne recevrions pas bientôt aussi notre contingent de canons fédéraux.
En définitive, le système de canon prussien est un système de canon (page 1132) politique ; c'est un canon que l’on adopte parce qu'il est prussien et non parce qu'il est le meilleur.
En Allemagne, il est incontestable que le système prussien est imposé au nom de cette idée politique qu'il faut que la Prusse englobe, en quelque sorte, toutes les armées fédérales et que l'état militaire de la confédération germanique soit plutôt une force militaire prussienne qu'une force fédérale.
Je dis donc que le canon prussien est un canon qui ne permet pas de comparaison sérieuse avec le canon français sous le rapport de l'économie.
Sous le rapport du tir, je vous ai donné des chiffres comparatifs ; il est impossible d'établir d'une manière sérieuse que le canon prussien puisse produire des effets plus puissants que le canon français ; et il est impossible d'établir d'une manière quelconque que le canon français ne suffit pas à tous les besoins de la guerre.
Je repousse donc le projet de loi du ministère, non seulement parce que je suis intimement convaincu de l'infériorité de canon prussien sur tous les autres canons de la nouvelle invention, mais encore parce qu'on met la Chambre dans l'impossibilité absolue de contrôler l'emploi des fonds.
Je repousse le projet de loi parce que, persuadé que chaque jour l'on nous entraîne davantage dans une voie funeste, où l'avenir politique, comme l'avenir financier de la Belgique est sérieusement menacé, je ne veux pas aider à compromettre mon pays.
Tout le monde veut une bonne artillerie, mais il en est, parmi nous, qui ne veulent pas que la Belgique devienne une puissance militaire.
La Suisse, la Hollande, font-elles des armements considérables, et songent-elles à vouloir jeter le poids de leur épée dans la balance des grandes guerres ?
Prenons pour la transformation de notre artillerie le meilleur et le plus économique de tous les systèmes et n'ayons pas la prétention d'atteindre à la perfection.
Les raisons qui doivent guider notre choix ne peuvent avoir rien de mystérieux, et il ne faut surtout pas laisser supposer que nous adoptons une artillerie dont une puissance intéressée nous a révélé les plus intimes secrets.
Qu'aucune préoccupation politique ne vienne donc peser sur vos votes. Indépendants de tous, protégés par tous, n'oublions jamais que la seule, la vraie politique de la Belgique, c'est la neutralité absolue, dans toute la force du terme.
Lors de la discussion des fortifications d'Anvers, un orateur nous disait qu'il votait le projet de loi, parce qu'il était convaincu que cette place d'armes était un gage de sympathie pour l'Angleterre et une mesure de précaution contre les idées envahissantes de la France.
La neutralité pour lui n'existait plus ; il avait d'un côté la France et de l'autre les gouvernements constitutionnels, la Prusse et l'Angleterre.
S'il était parmi vous des esprits disposés à accueillir aujourd'hui encore de semblables hypothèses, je les conjurerais d'avoir confiance davantage dans les grands principes qui ont constitué notre patrie.
Je leur dirais que nous devons éviter à tout prix de nous enchaîner à une politique étrangère qui pourrait nous entraîner dans un mouvement qui lui serait personnel et qui ne pourrait que nous être désastreux.
Et, vous libéraux belges, vous les soutiens de ce grand parti auquel je suis fier d'appartenir, pourquoi continuer à marcher dans une voie contraire à toutes vos idées, à toutes vos aspirations ?
Cessez, au nom de l'intérêt de notre cause commune, de voter sans y prendre garde des crédits exorbitants que repousse de plus en plus le pays tout entier.
Arrachez de votre programme les grandes dépenses militaires et en montrant que vous comptez pour beaucoup l'élan et le courage de vos concitoyens pour la défense de la patrie, prouvez que vous n'avez pas cessé d'être les représentants de l'émancipation des idées et du travail intelligent.
Si la défense nationale doit à tous nous être précieuse, elle ne doit jamais servir de prétexte à des mesures mal fondées.
Eu abusant du patriotisme d'une nation telle que la Belgique, on peut la mener bien loin ; c'est à nous, législateurs, qu'il appartient de réfléchir et de ne pas accepter trop facilement des promesses illusoires et des affirmations sans preuves.
Désireux de sauvegarder l'intégrité de notre armée, je ne veux pas non plus qu'inutilement on vienne en son nom nous imposer des sacrifices excessifs.
S'il est des dépenses utiles, il en est de surabondantes et de stériles, et quand tôt ou tard sonnera l'heure des économies, je redoute pour elle les effets désastreux d'une réaction provoquée par l'exagération des charges.
Que nous, les retardataires, nous fassions tache dans cette assemblée dont nous croyez avoir toute la confiance, je le regrette profondément ; mais quand il s'agit des intérêts les plus graves de la nation, je ne puis qu'obéir à des convictions sincères, et si dans cette course aux millions, où l'intérêt des contribuables est la moindre chose dont on se soucie, j'arrive le dernier, je m'en console aisément.
Quand il s'agit de ma responsabilité, je ne puis admettre comme tenant lieu de tout les grands mots d'honneur et de loyauté, quelque dignes que soient les hommes qui les prononcent.
Des crédits énormes, la perspective d'un budget de la guerre augmenté outre mesure, l'aggravation des rigueurs de notre loi de milice, voilà ce que sans hésitation aucune je m'abstiens d'applaudir.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'insistance que mettent les adversaires du projet de loi à maintenir des erreurs et des inexactitudes que j'ai déjà rectifiées devant vous, me force à reprendre la parole.
Je ne puis vous laisser sous l'impression du discours que vous venez d'entendre.
Il s'y trouve non seulement des erreurs anciennes, mais il renferme encore des inexactitudes nouvelles.
La Chambre doit, je pense, être fatiguée de ce long débat ; aussi me bornerai-je à rencontrer les arguments principaux de mon honorable contradicteur.
Je remarque, messieurs, que l'honorable M. Goblet compare sans cesse le canon Armstrong et le canon prussien au canon français, et que, d'autre part, il signale toutes les défectuosités qu'il croit exister dans le canon Armstrong pour les reprocher au canon prussien.
Quand je l'ai interrompu, pour l'éclairer et lui éviter, ainsi qu'à la Chambre, une fatigue inutile, il m'a dit : « C'est vous qui, dans l'exposé des motifs, comparez le canon Armstrong et le cation prussien au canon français. »
A l'époque, messieurs, à laquelle l'honorable membre fait allusion, je n'étais pas autorisé à citer les expériences de tir faites avec le canon allemand.
Pour faire comprendre les avantages que le canon Armstrong et le canon allemand présentent au point de vue du tir, je pouvais me contenter de signaler les résultats obtenus avec le canon Armstrong, attendu que les deux canons peuvent être comparés sous ce rapport.
En effet, leur système à tous deux repose sur le principe du projectile forcé, et les généraux qui ont fait la guerre de Chine affirment que le canon Armstrong s'y est conduit d'une manière admirable.
Quant à la construction, quant aux moyens de fermeture et d'obturation de la culasse, les deux canons sont essentiellement différents. Le canon Armstrong a un système de fermeture plus compliqué que le canon que nous avons adopté ; il est, en outre, d'un prix beaucoup plus élevé.
On objecte encore, messieurs, que le chargement par la culasse est mauvais ; que les gaz corrodent le métal, s'introduisent dans toutes les fissures et finissent par mettre les pièces hors de service.
J'ai dit dernièrement, messieurs, qu'on avait trouvé des moyens d'obturation, tels qu'aucune fuite de gaz n'est possible.
Mais, chose étrange, ce système qui est si mauvais, tout le monde l'adopte ; il n'est pas une puissance qui ne se l'approprie.
La France elle-même l'adopte pour sa marine et pour ses canons de place.
Mais, dira-t-on, puisque le système de chargement par la culasse est si avantageux, pourquoi dans certains pays ne l'a-t-on pas adopté pour les pièces de campagne ?
Messieurs, c'est vraisemblablement parce que dans ces pays on avait déjà un autre système pour l'artillerie de campagne. On ne peut pas tout faire à la fois, et remanier à chaque instant toute son artillerie. Mais j'ai la persuasion qu'avant peu nous verrons adopter partout un seul et unique système, car c'est un grand avantage pour une nation d'avoir un système uniforme d'artillerie.
Voilà pourquoi, quand il se présente un système à la fois bon et complet, il vaut mieux le prendre tout de suite que de passer par un système de transition qu'il faudra abandonner dans quelque temps.
Si donc nous adoptions le système français, nous aurions un système reconnu inférieur et surtout incomplet par toutes les spécialités, et (page 1133) nous serions obligés de l'abandonner dans un avenir prochain pour prendre celui que nous vous proposons d'adopter maintenant.
C'est à tort, messieurs, qu'on soutient que si nous adoptions le système français, nous pourrions transformer promptement et à bon marché toute notre artillerie ; nous ne pourrions appliquer ce système qu'au bronze.
Nous pouvons, au contraire, appliquer le système prussien à nos canons de tout calibre et de tout métal.
Messieurs, l'honorable M. Goblet est revenu sur la question des affûts. Dans son premier discours, il disait que nous voulions avoir des pièces mobiles, ce qui s'accordait peu avec l'adoption d'affûts en fer. J'ai répondu que nous n'avions jamais songé à faire des affûts en fer pour les pièces de campagne ; il ne s'agit d'affûts en fer que pour les pièces de place, pour les pièces destinées aux casemates.
Messieurs, on vous a lu l'opinion du général anglais Bingham qui dit que les affûts en fer pris à Sébastopol sont mauvais.
Je vois dans l'Aide-mémoire de l'artillerie française que des affûts en fer existent en France pour les canons de 30, de 24 et de 16. Si les affûts en fer n'étaient pas reconnus d'un emploi avantageux dans certaines circonstances, on ne les verrait pas adopter par toutes les puissances.
Messieurs, un grand avantage qui résulte de l'adoption de ces affûts, c'est qu'ils réalisent une très grande économie. Les affûts en bois, surtout pour les pièces de gros calibre, doivent se faire en bois de chêne et même en cœur de chêne.
Au bout d'un certain temps, ces affûts se détériorent en magasin sans avoir fait aucune espèce de service ; de plus, comme ce n'est pas chose facile que de constater le degré de solidité que le temps leur a laissé, on n'est jamais complètement sûr qu'ils ne feront pas défaut et ne crouleront pas dès les premiers coups tirés par les canons qu'ils portent.
Il en est tout autrement des affûts en fonte. L'entretien en est peu considérable, il ne s'agit que de les graisser de temps en temps ; il ne se détériorent pas ; on peut les laisser en batterie, avec la certitude qu'ils seront toujours prêts à fonctionner.
Messieurs, on est revenu aujourd'hui sur cette allégation que par l'effet du tir, le plomb se détache du projectile.
J'ai eu beau dire que cet accident ne pouvait pas se présenter ; qu'en Angleterre on avait protesté contre les dires des journaux à ce sujet ; j'ai eu beau protester moi-même ; on a prétendu que ces accidents arrivent et arriveront souvent.
L'honorable M. Goblet a dit : M. Armstrong l'a avoué en Angleterre ; sir Baring, sous-secrétaire d'Etat pour les affaires de l'Inde en a fait également l'aveu. Je me suis muni du discours de M. Armstrong. « Le bruit a couru, dit M. Armstrong, qu'en Chine le plomb s'était détaché et avait blessé les troupes ; eh bien, l’officier qui commandait l'artillerie en Chine et qui avait été chargé par notre gouvernement de lui faire un rapport sur les effets produits par le système du canon Armstrong, vient de m'écrire pour me donner son avis à ce sujet, »
Voici la lettre tout entière adressée à M. Armstrong :
« Edimbourg, le 25 mars 1861.
« Les canons Armstrong en Chine ont rendu les meilleurs services, étant toujours en bon état, quoiqu'ils aient été soumis à des épreuves très rigoureuses. Il n'est pas exact qu'on les ait jamais dû retirer du champ de bataille pour faire remplir leur place par d'autres ; bien au contraire, c'étaient toujours les canons Armstrong que l'on mettait en avant toutes les fois qu'on employait de l'artillerie. A Tong Chou, le 14 août, et le 21 à la prise du fort supérieur du Nord, à Takou, les batteries Armstrong tiraient par dessus les têtes de nos colonnes avancées et elles n'ont jamais dû cesser leur feu par suite d'accidents qui seraient arrivés à nos hommes ; au contraire les canons n'ont pas cessé de tirer pendant que notre infanterie marchait à l'assaut. Toutefois il eût été plus merveilleux que la pratique n'eût pas suggéré quelques modifications dans les pièces ou dans leur approvisionnement, car c'était la première fois qu'on les employait en campagne, et tous les regards se portaient sur elles avec la plus minutieuse attention. D'ailleurs les instructions que j'avais reçues avant de quitter l'Angleterre, m'ordonnaient de signaler le moindre défaut que j'y pouvais apercevoir. C'est ce que j'ai fait, et dans une de mes dernières visites à Woolwich, j'ai eu le plaisir de voir qu'il avait été remédié à ces défauts de la façon la plus satisfaisante, ainsi qu'il a été prouvé par des expériences concluantes. Aujourd'hui donc j'ai pleine confiance que l'artillerie anglaise possède le meilleur canon et les meilleures munitions qui soient au monde. »
Voilà ce que dit le major Hay pour démentir le bruit qu'on a fait courir que des hommes avaient été blessés, et qu'on n'avait pu tirer par dessus la tête des troupes.
Sir Baring a également nié le fait de la séparation des chemises en plomb et il a ajouté qu'il serait bien facile de prévenu cette séparation en employant le zinc.
L'honorable M. Goblet conclut de cette indication, qu'il s'agit de mettre des tenons en zinc aux projectiles Armstrong, en remplacement de la chemise de plomb. C'est là encore une nouvelle erreur. Le procédé auquel fait allusion M. Baring, consiste à plonger le projectile dans un bain de zinc avant de l’emplomber. Comme le zinc se lie bien à la fonte, et que le plomb se lie bien au zinc, ce dernier métal devient un intermédiaire utile pour produire l'adhérence désirée de la chemise en plomb.
L'honorable M. Goblet prétend néanmoins que M. Baring a reconnu lui-même que la séparation pouvait avoir lieu, et il ajoute que si cet effet se produit sur le projectile anglais, il se produira bien plus fréquemment sur le projectile allemand, attendu que ce dernier n'a que des rainures tandis que le premier est pourvu de trous qui permettent au plomb de pénétrer dans son intérieur.
L'honorable M. Goblet ne connaît pas plus le canon Armstrong qu'il ne connaît le canon prussien.
L'emplombage du projectile Armstrong se fait absolument comme celui du projectile prussien.
Il ne pénètre pas dans l'intérieur du projectile ; mais ce que l'honorable M. Goblet a pu entendre dire, c'est que dans l'intérieur du projectile creux M. Armstrong met du plomb. Voici pourquoi :
Les projectiles de tous les systèmes rayés sont creux. Quand on les tire remplis de poudre seulement, ils conservent le nom d'obus, mais quand ils sont remplis de poudre et de balles, on les nomme shrapnels.
Or, le shrapnel anglais ne se charge pas comme le nôtre. On y introduit des morceaux de fer anguleux avec une certaine quantité de poudre au centre, et pour empêcher le ballottement et le dérangement de cette mitraille, on coule du plomb dans le projectile.
Dans nos shrapnels, les morceaux de fer sont remplacés par des balles et on remplit leurs intervalles de soufre coulé.
On peut maintenant se rendre compte de la confusion faite par l'honorable M. Goblet. Il aura pensé que le plomb coulé dans le projectile se reliait en certains points avec l'enveloppe extérieure, tandis qu'il y a séparation complète entre ces matières.
L'honorable membre vous a dit aussi, messieurs, que notre système présente une complication dans le pointage.
C'est précisément le contraire qui a lieu.,
La dérivation du tir étant moindre, nous pouvons dans le tir de campagne, nous dispenser de pointage latéral et par conséquent nos hausses n'ont pas besoin de l'échelle horizontale.
J'arrive au cerclage.
On dit, messieurs, que le cerclage est une opération bien simple, bien facile, que l'on pourrait appliquer à tous nos canons.
C'est au contraire une opération très difficile.
Nous pouvons en parler en connaissance de cause, parce que l'honneur de cette invention appartient, je pense, à la Belgique.
C'est en 1846 que notre artillerie a fait cercler des pièces et qu’elle les a soumises à des expériences qui ont parfaitement réussi.
Voici l'explication de cette opération : les pièces en fonte éclatent généralement entre les tourillons et la culasse. C'est un fait d'expérience. Pour les renforcer, on a imaginé d'entourer cette partie faible d'un série de cercles en fer forgé.
Or, comme la pièce est plus grosse à la culasse qu'aux tourillons, il faut, afin de pouvoir placer les cercles, mettre les canons sur le leur et leur donner un diamètre uniforme, depuis le derrière des tourillons jusqu'à l'extrémité de la culasse.
On forge ensuite ces cercles, puis on les tourne intérieurement et sur leurs deux tranches, avec la plus grande précision. Après cette opération on les place, en les faisant entrer par la culasse, et on en met le nombre nécessaire pour reconstituer le canon depuis les tourillons jusqu'à la culasse.
Les cercles sont chauffés pour qu'en se refroidissant ils puissent serrer fortement le canon.
(page 1134) Il faut pour le calibre de 12, 700 kilogrammes de fer forgé. Ce fe coûte fr. 57,50 les 100 kilog. c'est donc 262 fr. 50 fr. pour les matières premières. Vous pouvez juger, messieurs, par la difficulté de l'opération, qu'elle doit nécessiter une dépense très grande.
Le cerclage des pièces de 12 nous a coûté 1,100 fr. par pièce, et cependant dans notre pays on ne travaille pas les métaux a des prix plus élevés qu'ailleurs.
L'opération du cerclage est d'ailleurs tellement délicate qu'elle doit être faite sous la surveillance d'officiers d'artillerie, parce que si les cercles ne sont pas parfaitement soudés et mathématiquement tournés, •s les uns serrent plus que les autres, s’il y en a enfin qui sont trop tendus, ils peuvent éclater au premier coup, au lieu de renforcer la pièce.
C'est donc une opération très délicate qui ne peut être confiée à l'industrie. Les anneaux bruts peuvent bien être faits par elle ; mais le placement des cercles et le tournage des canons devraient se faire par les soins de l'artillerie.
D'après l'honorable M. Goblet, sir William Armstrong aurait dit que le canon cerclé est ce qu'il y a de mieux ; qu'il ne faut employer que celui-là et qu'il n'en employait plus d'autre.
Je pense, messieurs, que l'honorable membre ne s'est pas rendu compte de la manière dont le canon anglais est fabriqué.
Les canons Armstrong ne sont pas des canons cerclés. On les fait à peu près comme on fait à Liège les fusils en rubans. Ils se composent de tubes en rubans enroulés et soudés de sorte qu'il n'y a pas la moindre comparaison à établir sous ce rapport entre eux et les canons cerclés.
On vous a encore dit, messieurs, que la pièce en acier n'offre pas la résistance voulue, et malgré tout ce que je vous ai lu des expériences faites en France sur l'acier prussien, on persiste à dire que cet acier éclate. Eh bien, je dis qu'il n'éclate pas et que de plus il offre la même résistance au choc que le bronze, c'est-à-dire que quand on soumet un canon de bronze et un canon en acier au tir des boulets à 26 mètres de distance, les empreintes produites sur les deux pièces sont équivalentes.
Ainsi donc, sous le rapport de la résistance, l'acier n'est pas inférieur au bronze, et, sous d'autres rapports, il a des avantages immenses.
On ne s'est pas borné, en France, aux essais que vous connaissez.
Il résulte de renseignements que j'ai eus sous les yeux hier, qu'après avoir tiré plusieurs milliers de coups avec une pièce en acier, on pouvait encore voir dans l'âme les traces du dernier alésage, sans qu'aucune action du tir pût être constatée.
En Wurtemberg on a cherché par tous les moyens possibles à faire éclater une pièce en acier ; on n'y est pas parvenu.
Après avoir fait subir à cette pièce toutes les épreuves imaginables, on l'a chargée jusqu'à la bouche, en calant des projectiles dans l'âme ; et comme on croyait qu'elle ne pourrait résister et qu'il allait se produire un éclatement formidable, on l'a enterrée jusqu'à la bouche, et on y a mis le feu par un conduit. La pièce est sortie intacte de cette épreuve.
En Hollande, il y a un canon en acier qui sert aux expériences depuis 3 ans, et il est aussi intact que le premier jour.
On a dit que des essieux de voiture en acier avaient été mis hors de service au bout de 3 ans.
Mais, messieurs, il n'y a aucune espèce d'analogie entre des canons et des essieux. Je comprends d'ailleurs qu'en Angleterre on ait éprouvé quelques inconvénients dans l'emploi de l'acier. Effectivement, l'acier anglais n'offre par la résistance de l'acier de Krupp.
Nous nous en sommes assurés par l'essai suivant :
On a fabriqué de petits burins avec des cylindres provenant du forage de blocs d'acier achetés tant en Angleterre qu'en Allemagne.
Or, les burins faits avec l'acier de Krupp ayant été soumis à l'épreuve du marteau ne se sont pas cassés, tandis qu'un léger coup de marteau a suffi pour briser les burins faits avec l'acier anglais.
On a plié ensuite les burins d'acier de Krupp, et l'on n'est pas parvenu à les rompre, même en fermant complètement le pli et en l'aplatissant entre les mâchoires d'un étau.
Aussi, messieurs, l'acier allemand est tellement reconnu pour sa supériorité extraordinaire que partout on s'efforce de l'imiter. Peut-être notre pays y parviendra-t-il le premier, car je sais que, dans quelques-uns de nos établissements industriels, on poursuit des essais dans ce but. Des canons nous ont été fournis par ces établissements, et nous avons constaté que chaque fois on se rapproche de l'acier d'Essen.
Dernièrement encore vous avez pu voir, messieurs, dans un journal, qu'un savant français, M. Frémy, a soumis à l'Académie des sciences un procédé pour arriver à la fabrication de l'acier allemand. L'empereur y attache une telle importance qu'il a fait venir ce savant et qu'il lui a donné les plus grands encouragements. La question est actuellement à l'ordre du jour dans l'artillerie française.
On vous a dit aussi, messieurs, que l'acier coûte beaucoup plus que le bronze. C'est une exagération. L'acier n'est pas actuellement beaucoup plus cher que le bronze, et je crois que le moment n'est pas éloigné où il sera au même prix.
Il est à remarquer, d'ailleurs, qu'on a commis une erreur quant au prix du bronze : les canons en bronze de calibre moyen coûtent réellement non pas fr. -50, mais fr. 5-50 le kilogramme. Et la preuve que ce prix n'est pas exagéré, c'est que dernièrement encore nous avons eu à fabriquer pour l'étranger deux batteries de canons obusiers de 12 en bronze et que nous avons vendu le bronze au prix de fr. 5-60 le kil. Or, comme la fabrication du bronze n'est pas notre spécialité exclusive, il est incontestable qu'on ne nous aurait pas acheté deux batteries de pièces de bronze à ce prix, si l'on avait pu se procurer ailleurs le métal à fr. 3-50 le kil.
L'acier, a-t-on dit encore, n'a plus aucune valeur, lorsqu'il a servi, tandis que le bronze conserve encore la moitié de sa valeur. Il est vrai, messieurs, que le bronze des pièces hors de service conserve encore environ la moitié de sa valeur ; mais veuillez ne pas perdre de vue qu'une pièce de bronze ne peut guère tirer qu'un millier de coups ; tandis qu'une pièce en acier est indestructible.
Il y a donc économie évidente à employer l'acier plutôt que le bronze. Nous n'aurons peut-être jamais de vieux acier, mais si nous en avions, nous pourrions en tirer un excellent parti en l'employant à la fabrication des canons de fusil. D'après les renseignements que j'ai recueillis, l'acier de Krupp conserverait, dans cette hypothèse, une valeur au moins égale à celle du bronze provenant de pièces mises au rebut.
Sous ce point de vue particulier, il n'y a donc pas de différence dans l'emploi de l'un ou de l'autre métal. Mais, je le répète, l'acier présente sur le bronze cet immense avantage que les pièces qui en seront formées ne devront pas être renouvelées.
Les canons de bronze, messieurs, s'usent en temps de paix aussi bien qu'en temps de guerre ; ils s'usent peut-être même plus en temps de paix qu'en temps de guerre, parce qu'il faut des tirs d'école tous les ans pour exercer les troupes qui se recrutent constamment de nouvelles levées.
Les pièces de bronze s'usent donc constamment, il faut souvent en renouveler et par conséquent s'imposer de ce chef des dépenses considérables.
Quand nous aurons des pièces en acier, cette nécessité de renouveler fréquemment le matériel ne se présentera plus.
C'est là un avantage considérable à ajouter à tous ceux que présente l'acier comparativement au bronze.
L'honorable M. Goblet nous a dit encore : « Mais, messieurs, la transformation de notre matériel de siège d'après le système français n'est pas difficile, puisque la moitié de notre artillerie se compose de pièces de bronze. J'en ai fait le relevé à la cour des comptes et j'ai pu constater ainsi ce que j'avance. » Eh bien, messieurs, je suis fâché de le dire, mais ici encore l'honorable membre verse dans une grave erreur. En faisant son calcul il a confondu deux choses parfaitement distinctes, et cette confusion il ne l'eût point commise s'il était artilleur. Il a pris les mortiers et certains obusiers pour des pièces de canon. Or, messieurs, les obusiers et les mortiers ne sont pas des canons.
Nous avons une quantité de petits mortiers à la Cohorn que deux hommes peuvent porter à la main ; si l'on a compté tous ces mortiers comme canons, il est naturel qu'on ait commis l'erreur que je signale en ce moment. En réalité, messieurs, d'après le relevé que j'ai fait faire nous avons deux canons de siège en bronze sur treize canons de place en fonte. En d'autres termes les canons en bronze forment les 2/15 de la totalité de nos canons de siège et de place.
On vous a parlé, messieurs, des expériences de tir qui ont eu lieu à Lafère et on vous a dit qu'avec un canon de 12 on a fait brèche dans un mur qui avait une très grande force.
Je commencerai par faire remarquer qu'il est impossible d'établir une comparaison sérieuse entre deux expériences faites dans des conditions différentes. Si l'on voulait des expériences comparatives et dont on pût tirer des conclusions acceptables, il faudrait tirer, avec deux canons différents, contre deux parties d'un même mur, offrant partout la même résistance, ces deux canons se trouvant, de plus, dans d'égales conditions de distance, de chargement, etc.
Mais, messieurs, les expériences ont eu lieu dans des conditions bien différentes : on a parlé de l'épaisseur des murs et pour arriver à établir (page 1135) que cette condition était égale ou peu différente dans les cas comparés, on a dit que le mur de la citadelle de Juliers, battu en brèche, n'avait que 7 mètres.
En outre, on n'a pas tenu compte d'un fait bien important et sur lequel un colonel du génie m'engageait à insister particulièrement, c'est que le mur de la citadelle de Juliers, qu'on a battu en brèche, avait des voûtes en décharge qui augmentaient considérablement sa solidité.
D'un autre côté, on a calculé le pied à raison de 28 centimètres au lieu de 0 m 3138, de sorte qu'au lieu de 7 mètres on arrive à 8 m. 40 soit 1 m. 40 de plus. Or, on admettra qu'une telle différence dans l'épaisseur d'un mur n'est pas sans importance.
En Angleterre, on a fait des expériences comparatives ; mais on a eu soin de les faire dans des conditions d'égalité parfaite, c'est-à-dire que les pièces en essai ont tiré contre un mur de tour Martello offrant partout la même résistance ; l'effet du tir des canons se chargeant par la culasse a été si formidable, que la maçonnerie a été regardée comme insuffisante pour résister à un tel tir ; et l'on est arrivé à cette concl sion que dans les parties des fortifications exposées au tir et où la maçonnerie serait trouvée indispensable, il faudrait avoir recours à des cuirassements analogues à ceux des vaisseaux. Seulement, on a été d'avis qu'il y aurait lieu d'appliquer aux maçonneries un cuirassement beaucoup plus fort que celui des navires, qui ne peut évidemment pas dépasser une certaine limite, sans surcharger les vaisseaux par son poids.
Les Anglais ont été tellement frappés des avantages de ce système, qu'ils ont même songé à établir en mer des tours complètement construites en fer forgé.
On vous a dit, messieurs, que si le système de chargement par la culasse avait trouvé des défenseurs en ce qui concerne les pièces de place, il n'en avait pas trouvé beaucoup en ce qui concerne les pièces de campagne.
C'est une erreur. En Angleterre et en Allemagne, on a expérimenté tous les tirs de campagne, le tir à mitraille, le tir à obus, le tir à shrapnels. C’est même dans ces derniers tirs que le nouveau canon est admirable ; il produit des effets formidables, extraordinaires. Grâce à l'emploi de l'acier, il a de plus l'avantage de pouvoir tirer même les anciennes boîtes à mitraille, ce qui ne peut pas se faire avec les canons français en bronze, parce qu'on détériorerait l'âme et ses rayures.
Dans nos canons transformés en bronze, le shrapnel remplacera parfaitement les boîtes à mitraille, car il produit des effets de mitraille aux plus petites distances comme aux plus grandes. Si l'on veut obtenir des ricochets, j'ai dit qu'on le pourra en évitant d'amorcer la fusée à percussion.
On a prétendu que le transport des projectiles serait dangereux, et j'ai fait observer qu'ils ne pourraient pas éclater attendu qu'on ne les transporte pas tout amorcés.
C'est comme si on disait que pour faire voyager des fusils, il faut les charger et y mettre la capsule.
II n'a pu entrer dans l'esprit de personne de mettre les capsules sur les projectiles placés dans les caissons ; c'est au moment du tir qu'on fait cette opération, de même qu'avec les anciens canons on décoiffait la fusée au moyen d'un outil spécial, ce qui, soit dit en passant, était beaucoup plus long à faire.
On a dit ; Mais la fusée française est supérieure à la fusée prussienne, attendu qu'elle éclate à toutes les distances ; c'est encore une erreur.
Il s'en faut de beaucoup, messieurs, que cet effet soit certain. La fusée française éclate difficilement ; les officiers français eux-mêmes le reconnaissent.
Et cela est si vrai que le colonel De Metz fait en ce moment des expériences sur les fusées percutantes pour échapper aux graves inconvénients des fusées actuelles.
Tout le monde sait que dans la guerre d'Italie beaucoup de projectiles n'ont pas éclaté ; dans la guerre de Chine, le même fait s'est produit.
Vous vous rappelez, messieurs, qu'il est dit dans la note de la minorité que l'adoption du chargement par la culasse nous avait obligés de donner un poids énorme à nos engins.
J'avais répondu à cette objection que nos canons pèseraient moins que les autres.
On me dit aujourd'hui : Si vos canons pèsent moins, ils ne vaudront rien attendu qu'ils détraqueront leurs affûts. C'est une chose bien connue, messieurs, que pour que les affûts ne se détériorent pas, il doit y avoir un certain rapport entre leur poids et celui des pièces. Quand le canon est léger, son recul trop violent fatigue l'affût ; quand il est lourd, il fatigue moins l'affût, mais il est moins mobile.
Quand un canon est trop léger, il est facile de lui donner le poids voulu, en augmentant suffisamment l'épaisseur du métal ; c'est ce qui nous permettra d'utiliser nos anciens canons comme nos anciens affûts.
On a prétendu, messieurs, que les canons anglais ne s'étaient pas bien comportés en Chine ; vous vous rappelez que le duc de Cambridge, M. Baring et le major Hay ont déclaré que ces canons étaient parfaits et que ce qu'on avait dit de leur insuccès prétendu était absurde.
Dans la note de la minorité il est dit que cette guerre de Chine ne peut pas être considérée comme une guerre sérieuse. Je ferai cependant observer que le transport de l'artillerie à une pareille distance ainsi que les divers transbordements qu'elle a subis sont des faits qui témoignent incontestablement en faveur de la solidité de ses éléments. Les mouvements qu'elle a accomplis ultérieurement dans un pays marécageux en donnent un témoignage tout au moins aussi favorable. Il ne faut pas non plus mépriser les soldats chinois, car d'après les relations qui nous sont parvenus, ils ont montré beaucoup de bravoure.
Les Chinois ne sont pas du reste si arriérés qu'on le prétend ; ce sont eux qui ont inventé la poudre, et tout le monde ne peut pas en dire autant.
On m'a opposé l'opinion du colonel Schmolzl ; je suis étonné qu’on l'ait représenté comme l'adversaire du canon prussien, alors qu'il en fait l'éloge et qu'il regrette que son pays ne l'aitpas adopté.
Puisqu'on a invoqué le nom de cet auteur, il ne sera pas inutile, messieurs, de vous faire connaître ce qu'il pense des canons en bronze et des canons en acier.
« L'obstacle principal qui s'oppose, dit-il, à la transformation totale des canons en bronze, c'est leur peu de durée. Déjà après l'affaire de Valenza on apprit par des officiers d'artillerie français, que les canons rayés en bronze s'échauffaient après un certain nombre de coups et ne pouvaient plus servir. Le métal perd considérablement par là de sa ténacité et' de son élasticité, surtout aux arêtes saillantes des rayures, au point que celles-ci se dégradent par le simple frottement des ailettes en zinc et des parois en fer du projectile. On dut entièrement abandonner le tr à mitraille.
Avant même qu'on eût l'idée d'adopter les canons rayés, on sentit déjà le besoin d'une matière plus durable pour la fabrication des bouches à feu. On reconnut que le canon en bronze ne répondait plus à ce qu'on doit attendre d'une pièce depuis le perfectionnement dans la fabrication de la poudre et des fusées, et surtout depuis les progrès extraordinaires faits par les armes à feu portatives.
« Dans l'état actuel de la fabrication, les canons en fer n'offrent pas une solution satisfaisante du problème, car le métal à employer devra être à la fois très tenace, très élastique, très résistant et d'une composition chimique durable. »
L'auteur expose ensuite ses idées sur les améliorations que l'on pourrait tenter dans la fabrication du bronze. Il termine en disant que :
« Il est loin de croire d'avoir par ce moyen remédié aux inconvénients du bronze, au contraire il a la conviction que les canons en bronze satisferont de moins en moins aux conditions de durée qui deviennent de plus en plus impérieuses.
« Cette opinion individuelle alors, est devenue générale depuis, mais il faut ajouter que dans cet intervalle de temps l'acier fondu obtenu à un haut degré de perfection par les procédés de M. Krupp, fabricant à Essen (Prusse Rhénane) est venu fournir à l'artillerie une matière incomparable pour la fabrication des canons.
« Les journaux ont suffisamment fait connaître pour que nous ne songions pas à y revenir ici, les expériences faites en 1848 à Brunswick, avec un canon de 12 livres ; celles de 1849 à Berlin, de 1856 à Munich, à Vincennes, à La Haye et à Walsdorp (Pays-Bas), enfin celles poursuivies à Vincennes en 1857, avec des pièces de différents calibres en acier fondu (non rayées) provenant de la fabrique Krupp. Il est du plus haut intérêt d'apprendre par ces expériences, qu'à Munich on tira avec un canon de 6 livres, et avec la charge ordinaire, 2,090 coups, soit à (page 1136) boulets froids, soit à boulets rouges, soit avec des boîtes à balles ; qu'à Vincennes un canon obusier tira 3,000 coups et que ces bouches à feu restèrent sans battements et aussi intactes après ce tir qu'avant.
« Bien plus, la dernière pièce supporta à Vincennes l'épreuve extraordinaire de 5 coups avec la charge de 6 kilog. et de 6 boulets, et la résistance fut telle que, vérification faite avec l'étoile mobile, on ne remarqua pas la moindre trace de dégradation dans l’âme. On regarda comme plus que suffisant cette épreuve prodigieuse à laquelle aucun autre métal n'aurait résisté.
« L'acier fondu peut donc, à juste titre, être considéré comme le plus tenace des métaux et promet, aux canons fabriqués avec ce métal, une durée trois ou quatre fois plus grande que celle des canons en bronze. La supériorité incontestable de l'acier fondu, jointe à la nécessité d'avoir des canons rayés firent renoncer complètement aux canons en bronze ...
« Au commencement de 1858 on était déjà d'accord sur ce point en France ; on en a les preuves dans l'opinion de M. La Hitte, président du comité de l'artillerie, et dans la décision de l'empereur Napoléon III, pour l'adoption des canons rayés. Si, au début de la guerre d'Italie, l'armée française n'était pas en possession des deux canons en acier fondu, commandés à la fabrique de M. Krupp, c'est que des circonstances particulières y ont mis obstacle ; ceci explique aussi pourquoi on eut recours provisoirement à des canons rayés en bronze. »
Vous voyez, messieurs, que cet acier est universellement reconnu comme excellent, à tel point que la France même a fait une commande de 200 pièces à la fabrique de M. Krupp. On dira peut-être que nous serons obligés, pour fabriquer nos canons, d'avoir recours à un métal de provenance étrangère. Mais supposons un instant que nous préférions le bronze, pourrions-nous jamais le produire ? Evidemment non. Eh bien, nous avons la presque certitude de pouvoir fabriquer nous-mêmes l'acier ; et quand même notre acier indigène n'aurait pas la ténacité surabondante de l'acier Krupp, nous pourrions nous contenter de canons ayant une ténacité un peu moindre.
Il y a une autre question que l'honorable M. Goblet a traitée ; celle des fusils.
Le gouvernement a vendu, dit-il, à la Suisse un certain nombre de fusils, au lieu de les réserver pour la garde civique, pour laquelle le ministre de la guerre ne fait rien et nous renvoie au ministre de l'intérieur. Messieurs, quand j'ai été consulté par mon honorable collègue sur l'armement de la garde civique, je lui ai dit ma pensée tout entière, et je crois avoir rendu un service à la garde civique.
On proposait de faire rayer les fusils qu'elle possède ; j'ai fait observer qu'en rayant les armes on s'exposerait à les gâter complètement.
Il pourrait arriver, en effet, que la première fois que la garde civique s'en servirait, les canons éclateraient entre ses mains, de sorte que les fusils transformés causeraient des malheurs, tandis que tels qu'ils sont, ils peuvent parfaitement servir. Quant aux fusils que j'ai vendus, après délibération du conseil des ministres, c'étaient des fusils qui n'avaient pas le calibre de notre fusil actuel. Si nous les avions conservés, il aurait fallu des munitions pour deux calibres différents, ce qui aurait causé inévitablement la confusion la plus dangereuse. Il faut donc se féliciter de ce qu'une heureuse circonstance ait permis de vendre ces fusils et d'en appliquer le prix à la fabrication de fusils neufs rayés.
Pour ce qui est de la garde civique, mobilisée en temps de guerre, il est évident qu'elle doit avoir les mêmes armes et les mêmes munitions que l'armée.
L'honorable M. Goblet m'a reproché de ne pas tenir compte de cette importante fraction de nos forces nationales. Je pourrais lui renvoyer ce reproche, car je ne vois pas qu'il ait indique l'emploi de la garde civique mobilisée dans son plan de campagne, tandis que le rôle qu'elle sera appelée à remplir est parfaitement défini pour moi.
Je pense, messieurs, que la garde mobilisée devra se réunir dans le camp retranché d'Anvers pour y compléter son armement at son équipement, pour s'y exercer et garder la position avec nos bataillons de réserve.
Elle pourra fournir des renforts à l'armée, et si cette dernière est forcée de se retirer sous Anvers, la garde civique et l'armée y combattront ensemble.
Je craindrais, messieurs, d'abuser de vos moments si j'entrais dans de plus longs détails.
Je me bornerai à résumer les principaux avantages du système auquel j'ai donné la préférence, sur la proposition unanime des sommités de notre corps d'artillerie.
Ce système est le seul complet, c'est-à-dire le seul qui convienne à la fois aux petits calibres, aux calibres moyens et aux gros calibres ; aux canons de place, aux canons de siège, aux canons des côtes, aux canons de campagne et à ceux de la marine. C'est encore le seul qui puisse s'appliquer indifféremment au bronze, à la fonte ou à l'acier.
Ce système est le plus économique, parce qu'il nous permet d'utiliser tout le matériel existant, tandis que si nous adoptions le système français ou tout autre système différent, nous devrions faire des dépenses beaucoup plus considérables.
Ce système donne une portée, une justesse et une force de pénétration qu'aucun autre ne surpasse. Je n'ose pas dire n'égale, parce qu'à ce point de vue le système anglais peut être considéré comme son équivalent. Il permet de tirer à mitraille, à obus, à shrapnel et d'effectuer le tir de campagne comme le tir de siège avec la même facilité.
Nos canons en acier auront une durée en quelque sorte illimitée, et comme nous pourrons les employer en temps de paix dans les circonstances où nous avons employé jusqu'ici les canons de bronze, ils permettront de conserver intacts ces derniers pour le moment où ils devront servir à notre défense.
Tels sont les avantages qui ont entraîné l'opinion des officiers que j'ai consultés.
Avant de me prononcer j'ai voulu en juger par moi-même. Pendant le rude hiver que nous avons eu, j'ai passé plusieurs journées à côté des pièces pour les voir fonctionner quand nous faisions des essais relatifs à la fabrication, au réglage du tir, etc., etc.
Ce n'est qu'après m'être convaincu de l'exactitude des appréciations des officiers dont je viens de parler que je me suis rallié à leur opinion.
S'il ne suffisait pas, messieurs, de vous dire que l'intérêt général de la défense du pays a été mon principal mobile dans l'examen de cette importante question, je pourrais encore vous offrir pour garantie de mes soins et de mes préoccupations l'intérêt particulier qu'elle a dû éveiller en moi.
Il est certain que ma position dans l'armée m'appellerait à l'honneur d'exercer un commandement en temps de guerre. N'est-il pas évident dès lors que j'ai, personnellement, un immense intérêt à ce que nous possédions les engins de guerre les plus parfaits, les meilleurs éléments de résistance ? Peut-on raisonnablement supposer qu'ayant à choisir entre plusieurs systèmes différents, je me serais passionné précisément pour celui qui présente le moins d'avantages.
Je n'ai pas d'autre engouement, messieurs, que celui qui m'est inspiré par mon attachement au pays, et par le désir de voir la Belgique forte, bien armée, et à même de faire face à toutes les éventualités possibles.
Messieurs, je vous demandais dernièrement de voter le projet, au nom de la sagesse et de la raison qui ne vous ont jamais fait défaut dans les grandes délibérations ; aujourd'hui je vous le demande au nom de la vérité et de la raison.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne veux retenir la Chambre que pendant quelques minutes. Je désire seulement lui donner un renseignement sur le côté financier de la question, puisque c'est celui auquel on paraît avoir attaché le plus d'importance. On a essayé de faire vibrer une corde à laquelle on ne touche presque jamais en vain, et avec l'espérance d'émouvoir les populations.
Il est convenu entre certaines personnes, depuis assez longtemps déjà que le budget de la guerre coûte à la Belgique 42 ou 43 millions par an ; le chiffre est affirmé résolument ; on le répète, et j'ai beau le démentir, toujours le même chiffre est reproduit.
Il est vrai qu'à côté de ces inventions si nombreuses et si hardies qui ont été faites à propos du projet soumis en ce moment à nos délibérations, on peut considérer comme un petit péché la nouvelle édition d'un budget de la guerre de fantaisie, sous le poids duquel doivent s'affaisser les finances de l'Etat.
Mais cette fois on a précisé, et je sais enfin comment on a établi la prétendue dépense annuelle de 43 millions pour le budget de la guerre, depuis 1852 jusqu'à ce jour.
Nous avons, a-t-on dit, un budget normal, un budget moyen de 32 millions ; mais depuis 1852 jusqu'en 1860, on a affecté au matériel de l'artillerie et du génie 27 millions, somme ronde.
Anvers, d'après les estimations officielles, doit coûter, somme ronde, 49 millions ; le projet de loi en discussion doit entraîner une dépense de 15 millions. Les autres services ont absorbé, en crédits extraordinaires, de 1852 à 1860, 16 millions. En tout 107 millions.
Ainsi, indépendamment du budget normal, du budget ordinaire de (page 137) 32 millions, nous avons dépensé, depuis 1852 jusqu'à ce jour, 107 millions de francs ! Et, vous le voyez, sans tenir compte du crédit de 15 millions de francs, nous avons une somme de dépenses annuelles qui dépasse même, en moyenne, 43 millions de francs.
Il y a une chose, messieurs, qui doit frapper incontinent tout esprit non prévenu, dans l'examen de l'exposé que je viens de rappeler. C'est que, peu satisfait sans doute de la réalité, et pour gonfler le chiffre de nos budgets de 1852 à 1860, on les grève de crédits votés en 1859 et même de crédits qui sont encore en discussion. :
Non seulement on a recours à ce pitoyable expédient pour fabriquer un chiffre qui soit propre à inquiéter le pays, mais on porte pour les dépenses d'Anvers 49 millions, sans déduire la valeur des terrains qui ont été cédés à la ville d'Anvers pour 10 millions de francs !
Enfin, messieurs, une troisième observation capitale en cette matière, c'est que l'on confond les dépenses ordinaires avec les dépens extraordinaires, comme si nous devions indéfiniment construire des fortifications d'Anvers, et comme si nous devions indéfiniment recommencer à. allouer des crédits pour le matériel de l'artillerie et du génie. De tels procédés sont propres, non à éclairer, mais à égarer les populations.
Voici, messieurs, pour qu'il n'y ait plus d'équivoque sur ce point, le chiffre exact des dépenses militaires depuis 1852, crédits ordinaires et extraordinaires réunis.
1852 : fr. 37,789,135 21
1853 : fr. 36,23,769 09
1854 : fr. 36,014,419 25
1855 : fr. 36,123,227 38
1856 : fr. 37,368,229 89
1857 : fr. 33,027,287 77
1858 : fr. 33,554,214 61.
Voilà donc, jusqu'en 1858, c'est-à-dire avant la situation exceptionnelle qui est résultée de l'état de l'Europe et avant le vote des fortifications d'Anvers, voilà une dépense totale, pour sept années, de 250,114,283 fr. 10 c..
En 1859, des sacrifices plus grands ont dû être demandés ; ils ont été votés unanimement, et nos dépenses se sont élevées à 41,458,47 7francs 39 c.
En 1860, deuxième année des travaux d'Anvers, et en imputant à charge de cet exercice tout ce qui a été payé de ce chef dans le cours de l'année, nous présumons que la dépense sera de 45,554,368 francs 30 centimes,
D'où il suit, messieurs, que pour les neuf années écoulées, y compris 1860, que nous avons dépensé en totalité, pour les services ordinaires et extraordinaires du département de la guerre, 337,127,128fr. 89, c'est-à-dire en moyenne, par année, 37,458,569 f. 88. Voilà la vérité. On n'a pas trouvé que ce fût assez, et l'on a cru que, pour frapper plus vivement les imaginations, il fallait gonfler les chiffres outre mesure. Indépendamment de cette fausse base d'appréciation, qui consiste à confondre les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires de la nature de celles dont nous nous occupons, les sacrifices ont été exagérés de 7 à 8 millions par an.
Maintenant, messieurs, est-ce bien ainsi qu'il faut juger la question qui nous est soumise ? Est-ce bien au point de vue financier exclusivement qu'il faut l'envisager ? Certes, je suis, plus que personne, j'ai le droit de le dire, je suis plus que personne soucieux des intérêts du trésor. Pendant le tiers à peu près de notre existence comme nation indépendante, j'ai été chargé des intérêts du trésor, et certes je m'y suis toujours énergiquement dévoué ; j'ai laissé, chaque fois, le trésor dans une bonne situation, et il le sera encore lorsque je quitterai le pouvoir. Eh bien, messieurs, dans ce pays, tout compté, tout balancé, nous n'avons pas eu d'augmentation d'impôt depuis 1830 ; nous sommes peut-être le seul peuple qui ait eu ce bonheur, et en même temps nos richesses grandissaient, le travail se développait, notre industrie et notre commerce prenaient le plus brillant essor ! que dis-je ? non seulement nous n'avons pas eu d'augmentation d'impôts, mais les impôts ont été réduits.
L'an passé encore, grâce à la suppression des octrois, les charges publiques ont été diminuées de deux millions cinq cent mille francs annuellement. Et c'est dans une pareille situation que l'on vient parler de la nécessité de ménager les intérêts des contribuables et qu'on essaye de les intéresser à la cause de l'opposition en faisant pressentir en quelque sorte que bientôt il faudra faire peser sur eux de nouveaux impôts.
Je puis dire que, si aucune circonstance calamiteuse ne vient troubler nos prévisions, et il en faudrait qui eussent beaucoup de gravité, il n'y a pas de crainte à concevoir à raison des engagements que nous avons pris et de ceux que nous allons prendre encore. Ils sont considérables, sans doute ; mais ils n'excèdent pas ce que la prudence permet de conseiller.
Le plan financier que nous avons eu l'honneur de vous présenter en 1859, se réalise dans les conditions que nous avions annoncées. Les dépenses de toute nature que vous avez votées tant pour les fortifications d'Anvers que pour les autres travaux d'utilité publique, sont couvertes par des excédants provenant des ressources ordinaires, ainsi que nous l'avions espéré. Les sommes disponibles des exercices 1858, 1859 et 1860 assurent les prélèvements stipulés ; la partie imputable sur l'exercice 1861 peut même être considérée dès à présent comme se trouvant dans les caisses de l'Etat, et si, en faisant abstraction du déficit d'ailleurs peu considérable qui existait en 1857, nous admettons que nos prévisions de recettes pour l'exercice courant soient atteintes, nous aurons encore 12 ou 14 millions, 16 millions peut-être dans les caisses de l'Etat, applicables aux engagements que nous avons contractés.
Je puis donc, en pleine sécurité de conscience, dire à la Chambre qu'elle n'a pas à se préoccuper du côté financier de cette question. Non pas qu'il faille être prodigue des deniers publics ; tout au contraire : j'en suis avare ; mais lorsqu'il s'agit d'en faire une emploi utile, dans l'intérêt du pays, je ne compte pas ; je me demande seulement si la dépense est nécessaire, indispensable.
Messieurs, je n'appartiens pas à cette école politique qui ne trouve rien de mieux pour se défendre que d'opposer aux ennemis les poitrines nues des habitants du pays ; qui proclame que les bons sentiments et le dévouement des citoyens sont les remparts les plus solides que nous puissions édifier.
Sans doute, il faut, pour la défense du pays, le dévouement des citoyens ; mais il faut encore une solide armée ; il faut aussi, pour inspirer la confiance et la sécurité à vos propres soldats, qu'ils sachent bien que nous n'avons rien négligé pour leur procurer des moyens de défense qui ne soient inférieurs, sous nul rapport, à ceux d'aucune autre armée.
Et puis, il est important aux yeux de l'Europe que vous prouviez, dans les circonstances actuelles, que vous êtes prêts à parer à toutes les nécessités que peut commander la situation. Il faut proclamer que vous êtes résolus à défendre tous ces biens précieux dont vous jouissez. Peut-être l'un ou l'autre d'entre vous demande-t-il si le système qu'on vous propose en ce moment est absolument le meilleur ; peut-être l'un ou l'autre se dit-il que le sacrifice réclamé pourrait être réduit. Mais est-ce aujourd'hui une raison suffisante d'hésiter ? Lorsque vous êtes pénétrés d'une vive affection, lorsque vous défendez la vie de votre femme ou celle de votre enfant, vous demandez-vous jamais s'il est bien prouvé que le remède conseillé est assurément efficace ? vous demandez-vous si les dépenses qu'il faut faire sont absolument indispensables ? Vous vous imposez avec joie tous les sacrifices, heureux de trouver ainsi votre affection pour ceux qui vous sont chers. C'est ce que vous ferez également aujourd'hui.
- La discussion générale est close. On passe aux articles.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit extraordinaire de quinze millions cinq cent soixante et un mille cent soixante-dix francs (15,561,170) pour l'exécution de travaux se rapportant :
« 1° A l'article 20 du budget de ce département (Matériel de l'artillerie).
« 2° A la mise hors d'état de défense de quelques enceintes fortifiées. (Article 21 du même budget, Matériel du génie.)
M. le président. - La section centrale propose de rédiger l'article premier ainsi qu'il suit :
« Il est ouvert au département de la guerre des crédits extraordinaires, savoir :
« 1° De 14,461,170 francs pour l'exécution de travaux se rapportant à l'article 20 du budget de ce département. (Matériel de l'artillerie.)
« 2* De 1,100,000 francs pour l'exécution des travaux se rapportant à la mise hors d'état de défense de quelques enceintes fortifiées. (Article 21 du même budget, Matériel du génie.) »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, pour atteindre le but qu'a en vue la section centrale, il suffirait de terminer le n°1° de l'article premier du projet du gouvernement par les mots : « à concurrence de 14,460,170 francs » ; et le n°2° du même article, par les mots ; « à concurrence de 1,100,000 francs. »
(page 1138) M. de Gottal. - Le gouvernement verrait-il de l'inconvénient à ce que la Chambre votât d'abord sur le crédit demandé pour la démolition d« certaines places fortes ?
J'ai expliqué dans une autre séance que si le vote de la Chambre était négatif sur ce crédit, il pourrait influer sur le crédit demandé au n°11. Si la Chambre n'allouait pas une certaine somme pour démolir une partie de nos forteresses, ces forteresses devraient rester armées ; il en résulterait nécessairement une dépense à celle qui est affectés au n°1° de l'article.
Messieurs, je demande que la Chambre vote par division sur chacun des deux numéros de l'article premier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il ne me semble pas qu'il y ait lieu d'intervertir le vote des deux numéros de l'article.
Afin de laisser toute liberté aux membres de la Chambre, nous nous sommes ralliés à la proposition de la section centrale, qui consiste à indiquer le chiffre applicable à chacun des deux articles 20 et 21 du budget de la guerre.
M. Guillery. - Le gouvernement se rallie donc à la proposition de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Avec le changement de forme que j'ai indiqué.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, à propos de la division de l'article qui est demandée, je dois faire une observation. Le premier paragraphe comprend un chiffre global ; il est bien certain que si la Chambre n'adoptait que l'un des deux paragraphes suivants, le chiffre global devrait être modifié. (Sans doute !)
- La discussion est close sur l'article premier.
M. le président. - La division ayant été demandée, je mets aux voix le n°1° de l'article premier, amendé par M. le ministre des finances, conformément à la proposition de la section centrale.
- Des membres. - L'appel nominal.
- Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :
Nombre de votants, 101
Ont répondu oui, 63
Ont répondu non, 32
Se sont abstenus, 6.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont voté pour : MM. de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, II. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Grandgagnage, Jamar, Julliot, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Neyt, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Braconier, David, de Breyne, de Bronckart, Dechamps, de Decker, De Fré, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé et Vervoort.
Ont voté contre : MM. de Ruddere de Te Lokeren, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, M. Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, Magherman, Nélis, Saeyman, Snoy, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Vin Humbeeck, Vilain XIIII, Ansiau, Beeckman, Carlier, Crombez, de Boe, Dechentinnes, de Gottal, de Lexhy, de Man d'Attenrode, de Paul et de Portemont.
Se sont abstenus : MM. Desmaisières, J. Jouret, C. Lebeau, Pierre, de Baillet-Latour et de Brouckere.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont prié de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Desmaisières. - Messieurs, je me suis abstenu parce qu'à défaut de documents et de renseignements comparatifs précis et complets, je n'ai pu prendre ma part de responsabilité dans l'adoption du canon prussien.
M. J. Jouret. - Sans la moindre hésitation dans toutes les occasions, j'ai voté les sacrifices que réclamait la défense nationale. Je n'en ai nul regret et j'étais disposé à donner mon appui au projet de loi actuel.
Mais après avoir écouté religieusement la discussion, deux motifs m'empochaient de le faire.
D'abord, il ne m'est pas démontré que nous ne commettrons pas un grave imprudence en consacrant la somme énorme qui nous est demandée, à la création d'une arme dont le mérite paraît encore très sérieusement contesté.
Ensuite, dans la présentation de cette loi, dans son élaboration en section centrale, ainsi que dans les discussions qui ont eu lieu au sein de cette Chambre, on ne s'est pas suffisamment préoccupé, ce qu'il était facile de faire, selon moi, du soin de la faire accepter à l’opinion publique et au pays, qui dans mon opinion, la repoussent avec énergie. (Interruption.) C'est mon opinion.
M. Devaux. - La minorité de la Chambre ne constitue pas le pays.
M. J. Jouret. - Des considérations graves, sérieuses, patriotiques, j'ose le dire, me portaient donc à lui refuser mon assentiment. Dans cette position, je ne pouvais que m'abstenir.
M. Pierre. - D'une part plusieurs des motifs qui m'ont empêché de voter les fortifications d'Anvers m'ont aussi empêché de voter le crédit destiné à leur armement.
D'un autre coté je n'ai pas voulu refuser une partie du crédit destiné à l'amélioration de l'artillerie.
M. de Baillet-Latour. - Je reconnais, comme tout le monde, la nécessité d'avoir une armée pour défendre notre territoire contre des invasions éventuelles, de quelque part qu'elles viennent. Je rends justice plus que personne aux excellentes qualités de nos soldats, à la discipline, à l'instruction, au courage et au dévouement patriotique qui les distinguent. Je reconnais également qu'une telle armée mérite de tous points qu'on la munisse de tous les moyens de défense qui peuvent rendre son action efficace, et qu'il faut que ces moyens soient amenés au degré de perfection dû aux progrès de la science militaire dans tous les pays.
Mon sentiment m'eût donc porté naturellement à voter le projet de loi, d'autant plus qu'il est proposé par un gouvernement émané de l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir et à laquelle je donne habituellement l'appui de mes votes.
Mais je désirais en même temps, d'accord avec mes commettants, me rendre un compte exact et détaillé de l'emploi du crédit, de la spécialité des dépenses, enfin de la nature des procédés du nouvel armement. Sans doute les explications de M. le ministre de la guerre ont été aussi franches qu'on devait l'attendre de son caractère loyal. Mais il a posé forcément des limites à ses communications, limites infranchissables au point de vue de sa conscience, devant laquelle je dois m'incliner. Toutefois j'ai aussi mes limites. Ma conscience ne se trouvant pas suffisamment éclairée sur les points qui me préoccupaient le plus, je n'ai donc pu me résoudre à voter le projet. En même temps vivement ému de la crainte qu'on pût prendre pour un manque de patriotisme le vote contraire, j'ai dû prendre le parti de m'abstenir.
M. de Brouckere. - Messieurs, je reconnais et j'ai toujours reconnu qu'il y a nécessité de transformer notre artillerie, mais j'ai la conviction que cette transformation pouvait se faire d'une manière très satisfaisante et très complète moyennant une dépense inférieure au chiffre des allocations qu'on nous demande.
L'ensemble de l'article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - J'ai reçu de l'honorable M. Goblet un amendement qui est subordonné à l'adoption de l'article premier. Cet amendement formerait l'article 4. Il est ainsi conçu :
« Il sera rendu chaque année à la législature un compte de l'emploi détaillé des fonds accordés par le projet de loi, lors de la présentation du budget de la guerre, à l'article 20 (matériel de l'artillerie) et à l'article 21 (matériel du génie).
M. Goblet. - Cet amendement est la conséquence naturelle du discours que j'ai prononcé devant vous au point de vue du contrôle légitime et sérieux que les Chambres doivent exercer sur les dépenses du budget de la guerre.
Je ne vois pas qu'il y ait inconvénient à adopter un amendement qui en définitive ne peut que donner une garantie de plus que les sommes allouées sont dépensées de la manière la plus favorable à nos intérêts.
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je considère l'amendement comme étant inutile, en ce sens que chaque année, lors de la présentation du budget, chaque membre a le droit de demander où en est le crédit, ce qui a été dépensé et comment on a dépensé,
(page 1139) Mais ce qui est inutile d'une manière générale peut être admis dans ce cas et nous ne voyons aucune espèce de difficulté à ce que cette mention soit insérée dans la loi.
« Art. 2. Ce crédit sera disponible pendant les exercices 1861, 1862, 1863,1864 et 1865 ; sa répartition entre ces divers exercices se fera par arrêtés royaux.
« Il sera couvert au moyen des ressources ordinaires de l'Etat. »
- Adopté.
« Art. 3. Le ministre des finances est autorisé à mettre en vente publique les terrains et les bâtiments militaires qui deviendront disponibles par suite des travaux précités, à la charge pour les acquéreurs de faire démolir à leurs frais les ouvrages militaires existants sur les biens vendus, d'après les conditions et dans les délais qui seront imposés.
« Les dispositions de la loi du 14 juillet 1860, insérée au Moniteur belge du 15 juillet 1860, n°197, pourront toutefois être appliquées. »
- Adopté.
M. le président. - Ici vient l'amendement de M. Goblet qui forme l'aricle. 4.
- Adopté.
M. le président. - Nous passons au dernier article qui devient l'article 5. »
- Adopté.
M. le président. - La Chambre veut-elle procéder immédiatement au vote sur l'ensemble de la loi ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
- Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
97 membres y prennent part.
61 membres adoptent.
29 rejettent.
7 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte le projet de loi.
Ont voté pour : MM. de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Grandgagnage, Jamar, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Neyt, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Braconier, David, de Breyne, de Bronckart, Dechamps, de Decker, De Fré, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Rongé et Vervoort.
Ont voté contre : MM. de Ruddere de te Lokeren, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, M. Jouret, Landeloos, Laubry, Magherman, Nélis, Saeyman, Snoy, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Vilain XIIII, Ansiau, Beeckman, Crombez, de Boe, Dechentinnes, de Gottal, de Lexhy, de Paul et de Portemont.
Se sont abstenus : MM. Desmaisières, J. Jouret, Lange, C. Lebeau, Pierre, Carlier et de Brouckere.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Desmaisières, M. J. Jouret, M. Ch. Lebeau, M. Pierre et M. de Brouckere déclarent s'être abstenus par les motifs qu'ils ont déjà fait connaître.
M. Lange. - Je me suis abstenu parce que si j'approuve certaines dispositions de la loi, il en est d'autres que je désapprouve.
M. Carlier. - J'ai voté affirmativement sur une partie du crédit et négativement sur l'autre ; il m'était impossible de concilier dans un même vote ces deux façons de voter et j'ai dû m'abstenir.
M. le président. - Il nous reste à statuer sur la pétition du sieur Fafchamps, en date du 8 février dernier, demandant que son système de défense des places fortes soit soumis à l'examen des autorités compétentes. La section centrale en propose le renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Ce renvoi est ordonné.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.