(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1095) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Heyst-op-den-Berg demande que le concessionnaire d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals soit tenu de suivre le tracé par Heyst-op-den-Berg et prie la Chambre de décréter la construction aux frais de l'Etat d'un embranchement partant de la station de Malines et allant rejoindre à Heyst la ligne de Louvain à Herenthals. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi de travaux publics.
« Des pilotes de rivière attachés à la station d'Anvers demandent que M. le ministre des affaires étrangères revienne sur son arrêté du 16 mars dernier qui réduit de 30 à 20 p. c. leur part dans les frais de pilotage que les navires payent à l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Boe. - Messieurs, on a imposé aux pilotes de rivière à Anvers une réduction de leurs émoluments. Ils réclament contre cette réduction ; leur réclamation me semble fondée et je désirerais qu'elle fût soumise à la Chambre avant les vacances. Je demande donc que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.
M. Loos. - J'appuie la proposition de M. de Boe.
- La proposition de M. de Boe est adoptée.
« Des habitants de Schuyffers-Kapelle demandent que ce hameau soit séparé de la ville de Thielt et forme une commune distincte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jonckheer, ancien manœuvre aux locomotives à la station du chemin de fer de Termonde, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Fafchamps présente des observations sur les feux courbes, signale à l'attention de la Chambre le mortier portatif qu'il a proposé et fait observer que les moyens de défense développés dans son mémoire sont applicables au système polygonal comme à tous les systèmes de fortifications régulières. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit extraordinaire pour le département de la guerre.
« M. Van Humbeeck, rapporteur, retenu par la mort d'une parente, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Mouton demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois qu'il serait utile de fixer l'ordre du jour après la discussion actuelle, et je demanderai que la Chambre veuille bien mettre à la suite du crédit qui nous occupe le projet de loi sur l'augmentation du personnel de la cour d'appel de Gand. Ce projet a un certain caractère d'urgence.
- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.
M. Beeckman. - Messieurs, quand j'ai demandé la parole jeudi dernier, j'avais l'intention de faire connaître à la Chambre les motifs pour lesquels je voterai contre le projet de loi. D'autre part, je voulais demander le dépôt, sur le bureau, de certains renseignements. Par son ordre du jour de samedi dernier, la Chambre a décidé qu'elle ne voulait plus demander d'autres renseignements à l'honorable ministre de la guerre. En présence de cette décision de la Chambre, je renonce à la parole.
M. de Gottal. - L'honorable M. Van Overloop est le premier orateur qui est venu défendre le projet de loi ; je crois pouvoir résumer son argumentation en deux points : l'honorable membre a commencé par déclarer que, dans des questions du genre de celle qui nous occupe, il croit pouvoir voter entièrement de confiance, qu'il avait pleinement confiance dans le gouvernement et en M. le ministre de la guerre.
J'ai déjà eu l'occasion, messieurs, d'expliquer devant vous pourquoi je ne puis accorder au gouvernement une confiance aussi pleine et entière, quoique le gouvernement ait toutes mes sympathies.
L'honorable membre a ajouté qu'en de semblables questions, il croyait la Chambre peu compétente et que, quant à lui, il n'hésitait pas de se déclarer entièrement incompétent. Je ne puis, messieurs, admettre cette incompétence.
Mais l'honorable M. Van Overloop serait-il bien si incompétent qu'il veut bien le dire et n'est-il pas tombé dans une étrange contradiction lorsque, à la fin de son discours, il est venu critiquer ce qui se passait dans l'armée et demander des modifications dans l'organisation de l'état-major, des modifications dans l'intendance, lorsqu'il est venu dire qu'il ne fallait pas employer tant de soldats aux travaux d'Anvers ? N'avait-il donc plus dans le gouvernement et en M. le ministre de la guerre la même confiance ?
Croit-il que M. le ministre de la guerre ne soit pas aussi à même de résoudre ces questions que de résoudre les questions d'artillerie que nous avons à débattre ?
Je crois donc pouvoir dire que dans la dernière partie de son discours l'honorable M. Van Overloop est venu détruire entièrement la première.
Quant à l'honorable M. David, il n'a guère présenté d'autres arguments que ceux qui se trouvaient déjà dans le rapport de la section centrale et que je crois avoir rencontrés suffisamment. Je puis donc me borner à présenter quelques courtes observations.
Comme l'honorable membre, je pense que l'armée doit avoir confiance dans ses armes. D'après moi, messieurs, la confiance qu'il a dans ses armes est ce qui constitue la force du soldat. Mais c'est précisément parce que je crois que l'armée a confiance dans le système qu'elle a expérimenté depuis plusieurs années ; c'est, en outre, parce que je crois que la transformation peut se faire en peu de temps et à peu de frais que je suis venu vous indiquer une solution provisoire ; je pense que l'honorable M. David a traité un peu légèrement le système du canon français, en supposant que nous prétendions mettre aux mains de nos soldats des pistolets de paille et des sabres de bois.
Messieurs, l'honorable rapporteur a voulu vous expliquer comment il se fait que les travaux de la section centrale aient eu une si longue durée.
C'est l'impossibilité, a-t-il dit, où se sont trouvés plusieurs membres de la section centrale d'assister aux séances, qui a été cause de ce retard.
Ce fait s'est effectivement présenté une ou deux fois, mais aussi bien, je pense, de la part des membres de la majorité de la section centrale que de la part des membres de la minorité.
En ce qui me concerne, l'honorable rapporteur voudra bien se rappeler que j'ai toujours été à la disposition de la section centrale, sauf les jours où il n'y avait pas de séance publique. Mais je ne crois pas devoir insister sur ce point.
Se retranchant derrière l'opinion de M. le ministre de la guerre, contenue dans sa lettre du 7 mars, l'honorable rapporteur ne peut non plus nous exposer les raisons qui ont déterminé la majorité de la section centrale, à adopter le projet de loi, et, à ce sujet, il soulève la question de savoir s'il n'y a pas lieu de nous constituer en comité secret. Messieurs, la Chambre, vous le savez tous, a ce droit ; je crois cependant devoir vous présenter quelques observations, c'est que le comité secret est parfaitement inutile, aujourd'hui que le procès-verbal contenant tous les renseignements que M. le ministre de la guerre a voulu nous donner en section centrale, est déposé sur le bureau.
Les membres de cette Chambre que la discussion publique n'aura pas suffisamment éclairés, qui auraient encore des doutes, pourront prendre connaissance de ces renseignements soi-disant si précis, si détaillés, auxquels il est fait allusion dans le rapport et qui ont déterminé l'opinion de la majorité de la section centrale. De cette manière, la Chambre jugea sur des données identiquement les mêmes que celles sur lesquelles la section centrale a émis son avis.
(page 1096) M. le ministre de la guerre a semblé se rallier immédiatement à cette proposition, pour le cas où elle serait faite à la Chambre ; et il a parlé d'introduire dans cette enceinte quelques-uns des officiers qu'il avait consultés sur la question.
Je ne comprends pas à quel titre ces officiers seraient consultés. Si c'est uniquement pour venir ici nous faire connaître l'opinion qu'ils ont communiquée à M. le ministre de la guerre, je crois que M. le ministre de la guerre admet ainsi d'une manière indirecte l'enquête qui avait été proposée par la minorité de la section centrale. Cette enquête, vous le comprenez, n'aboutirait à rien, car on n'entendrait qu'une seule des parties, qui aurait le droit de citer ses témoins ; si c'est à un autre titre, ce ne peut être qu'au titre de commissaires, pour les faire asseoir à ses côtés, et venir défendre le projet.
Je ne pense pas que M. le ministre de la guerre ait besoin de ce secours ; et ce serait en effet trop flatteur pour nous, de le voir, à la dernière heure, faire donner sa réserve pour assurer sa victoire.
Messieurs, l'honorable rapporteur, pour plusieurs motifs, rejette la proposition d'enquête ; il a dit que la commission ne pourrait terminer ses travaux qu'au bout de deux ans ; il nous a dit, en outre, qu'alors même que par l'enquête nous viendrions à reproduire tous les documents dont le département de la guerre nous a refusé la communication, il faudrait encore procéder à des expériences.
L'honorable rapporteur a donc cette opinion, cette conviction peut-être, que les documents mêmes que possède le département de la guerre ne suffisent pas pour éclairer la question.
C'est donc un vote de confiance qu'il vient émettre. On nous a exagéré cependant les frais de cette enquête ; on nous a dit : « Il faut faire des canons, nous n'avons pas de modèles ; les machines, il faut les faire fabriquer. » Mais l'honorable rapporteur a sans doute perdu de vue que nous procédons déjà en Belgique plusieurs canons du système français ; qu'à l'heure qu'il est, plusieurs canons du système Wahrendorff existent également et que, de cette manière, les expériences comparatives pourront se faire à peu de frais.
Une observation générale fera du reste comprendre que ces frais, s'ils sont élevés lorsqu'il s'agit de recherches, ne coûtent plus tant lorsqu'il s'agit de seules expériences d'essai, et si le but principal que nous voulons atteindre n'est pas d'avoir une bonne artillerie de siège, car je crois que nous ne ferons jamais de sièges, mais surtout d'avoir une bonne artillerie d eplace, une bonne artillerie de campagne.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est la même chose, il faut les mêmes pièces pour l'attaque que pour la défense.
M. de Gottal. -Dans ce cas, ne pourrions-nous pas faire en petit ce qu'on a fait en grand à Juliers puisque nous avons des forteresses à détruire.
N'avons-nous pas Beverloo et Brasschaet pour faire en petit, je le veux bien, des expériences de guerre ?
La section centrale, dit l'honorable rapporteur, a poussé ses investigations aussi loin que possible. C'est exact, mais nous sommes venus nous heurter à un obstacle insurmontable, c'est le refus du gouvernement de nous fournir les moyens d'arriver à une conviction raisonnée et non pas à un vote de pure confiance.
Après le vote de samedi, l'enquête est le seul moyen d'arriver à éclaircir la situation. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrions arriver à savoir s'il y a réellement là un secret d'Etat, comme l'a dit l'honorable chef du département de la guerre.
Ainsi l'honorable M. David émet en cette occasion un vote en quelque sorte de pure confiance, mais s'il a confiance dans le chef du département de la guerre lorsqu'il s'agit de 14 1/2 millions pour l'artillerie, cette confiance est ébranlée lorsqu'il s'agit du vote de 1,100,900 francs pour amélioration d'une partie de nos forteresses.
L'honorable rapporteur a soutenu l'amendement introduit à l'article premier en section centrale.
Malgré les explications de l'exposé des motifs, malgré les déclarations catégoriques du ministre de la guerre contenues dans la réponse écrite à une question de la section centrale où il est dit que la démolition des forteresses se fera aussitôt que le crédit sera voté. L'honorable M. David n'a pas confiance.
II craint que si l'article n'était pas amendé dans ce sens on pût au moyen d'un transfert appliquer cette somme à un autre objet.
Ainsi confiance pour 14 1/2 millions, défiance pour 1,100,000 francs. Si c'est là le système de l'honorable rapporteur, le département de la guerre saura bien toujours s'arranger de manière à avoir sa confiance pleine et entière.
Je passe aux observations qu'a présentées l'honorable ministre de la guerre.
L'honorable ministre de la guerre n'a point rencontré l'amendement de la section centrale auquel je viens de faire allusion. Je crois pouvoir supposer qu'il s'y rallie. S'il en était autrement, la discussion sur ce point trouvera sa place lorsque nous arriverons au vote de l'article premier.
Trois puissances seules, dit l'honorable ministre, ont résolu la question de l'artillerie.
La France a adopté le système du canon français à rayures.
L'Angleterre a adopté le canon Armstrong. La Prusse a adopté le canon Wahrendorff, qu'on veut imposer également à la Belgique.
Nous avons l'avantage de connaître ces trois systèmes. En présence de ces avantages, pourquoi ne procéderions-nous pas en connaissance de cause au choix, pourquoi ne procéderions-nous pas à des expériences comparatives qui nous sont rendues si faciles ? Je suis d'accord avec M. le ministre de la guerre sur l'utilité d'une transformation. Mais malgré les explications qu'il a bien voulu nous donner dans les deux dernières séances, je ne partage pas encore son avis sur le mode qu'il préfère. Il s'est trompé quand il a cru qu'on lui reprochait de n'avoir consulté personne, de n'avoir pas consulté tous les officiers.
Je me suis clairement expliqué sur ce point et je me suis simplement étonné de ce que, dans cette circonstance comme dans d'autres du même genre, le département de la guerre n'ait point consulté les commissions en corps, mais un certain nombre d'officiers individuellement. Les comités, a dit M. le ministre, c'est moi qui les ai institués ; mais en les instituant, je n'ai jamais entendu qu’ils se substituassent à moi-même. Je ne sais pas où M, Je ministre de la guerre a, trouvé quelqu'un dans cette enceinte qui ait émus une pareille pensée. J'ai soutenu et je soutiens encore qu'en cette circonstance on n'a pas suivi les précédents établis au département de la guerre puisque, au lieu de consulter les commissions, les comités en corps, on s'est borné à prendre l'avis de membres de ces commissions ou de ces comités.
M. le ministre passe ensuite à l'examen de la note de la minorité. Il laisse de côté la question des prérogatives parlementaires, dont il n'a pas, dit-il, à s'occuper, et il passe directement à l'examen de la partie technique et il suit pas à pas la note de la minorité.,
L'honorable M. Goblet ayant été, si je puis m'exprimer ainsi, le rapporteur de la minorité de la section centrale, il lui appartient plus spécialement de répondre à l'honorable ministre. La tâche, du reste, me serait d'autant plus difficile que je n'ai pas pu prendre communication du discours de M. le ministre, ce discours n'ayant paru, qu'hier aux Annales parlementaires. Cette circonstance m'oblige à borner mes observations à quelques points de ce discours sur lesquels j'ai pu prendre des notes.
M. le ministre, faisant allusion à ce que j'avais dit de son habileté, m'a répondu qu'il n'était pas avocat, qu'il ne savait pas présenter les choses sous un jour qui n'était pas le leur.
La riposte était même plus vive, et à en juger par le mouvement qui s'est produit sur tous les bancs de cette assemblée, on doit reconnaître que M. le ministre avait visé avec beaucoup d'habileté. Mais pour arr-ver à cette précision de tir, ne serait-ce pas du système Wahrendorff que M. le ministre de la guerre s'est servi et dans le feu de l'action n'aurait-il pas mis imparfaitement le verrou, peut-être même oublié de le mettre, et qu'est-il arrivé ? La culasse est partie en même temps que le projectile qui est venu frapper en plein et l'honorable M. Van Overloop, défenseur du projet et le banc des ministres où siègent trois avocats.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en a même cinq.
M. de Gottal. - C'est encore mieux. Le désastre a été plus, considérable encore. Vous voyez qu'en campagne le système présente des inconvénients.
M. le ministre de la guerre s'est longuement étendu sur les expériences faites à Brasschaet avec- un canon de 24 en fonte. Mais, messieurs, il est à remarquer que ces expériences ont été faites avec un canon lisse et non pas avec un canon Wahrendorff rayé. Je crois même que, pour faire ses expériences, on a quelque peu augmenté l'épaisseur du canon ; de sorte que si les résultats ont été si extraordinaires, c'est que les dimensions de ce canon étaient elles-mêmes extraordinaires.
D'ailleurs, ces expériences ont été la confirmation de ce que j'ai avancé, en disant que le système Wahrendorff présentait de trop grands inconvénients pour pouvoir être appliqué à notre matériel existant.
Vous comprendrez également que le canon avec lequel ces expériences ont été faites n'étant pas un canon rayé et le projectile, par (page 1097) conséquent, n'étant pas forcé, les expériences sont loin d'être aussi concluantes qu'on a bien voulu nous les présenter.
En parlant du canon avec lequel les expériences ont été faites dans le polygone de Vincennes, on nous a dit, par erreur, sans doute, que c'était un canon prussien. Je ne sais si une rectification a été faite aux Annales parlementaires ; je n'aurais pas relevé l'erreur si je ne l'avais vue reproduite dans certains journaux. Les expériences qui ont eu lieu à Vin-ennes ont été faites avec un canon en acier sortant des ateliers de M. Krupp à Essen.
Quoi qu'il en soit, que conclure de toutes ces expériences faites à Brasschaet et à Vincennes, dans lesquelles on aurait soumis des pièces à un tir à outrance ; qu'en conclure, messieurs, si ce n'est la résistance du canon, du métal dont il est composé ?
On ne peut non plus rien conclure des expériences de Tegel, si ce n'est quant à la précision du tir. Mais rien dans toutes ces expériences ne me prouve que le canon Wahrendorff soit une bonne arme de guerre.
Rien non plus ne prouve que le système Wahrendorff soit supérieur au système français que l'on avait déjà vanté dans une autre enceinte.
Suit-il de ces expériences que lorsque le chargement devra se faire sous le feu de l'ennemi, s'ensuit-il que la manœuvre s'exécutera avec la même précision, que le verrou sera bien mis, que la culasse sera parfaitement adaptée, que tout le mécanisme s'appliquera avec la précision mathématique qu'il exige, qu'aucune pièce ne sera faussée, que le maniement du projectile dans la batterie ne soit des plus dangereux ?
L'honorable ministre nous a dit, à propos du canon en fonte de 24, qu'il ne fallait qu'un seul homme pour manœuvrer ce canon. Cette assertion, je l'accepte. Mais je ne sais ce qu'elle peut avoir de sérieux. Je ne révoque pas en doute que ce canon puisse ainsi être manœuvré dans un polygone où le canonnier peut agir à son aise, mettre un temps plus que nécessaire.
Mais je doute que l'honorable ministre soutienne que c'est ainsi que l’on fait manœuvrer une pièce devant l'ennemi. Nous serions du reste charmés si cela pouvait se faire. Car vous connaissez mon opinion, je suis l'adversaire des budgets élevés.
Si le système que l'on propose était adopté, je serais en droit de demander à M. le ministre de diminuer son budget. Car il ne faudrait plus qu'un seul homme par pièce tandis que dans le système actuel il en faut 8.
Je ne m'explique pas non plus, en présence de cette assertion, cette réponse à la section centrale, qu'il faut augmenter notre personnel d'artillerie.
L'honorable M. David a parlé des expériences de Juliers, il a cité entre autres la sixième expérience. M. le ministre de la guerre nous a donné à ce sujet des explications plus détaillées et en terminant ces explications, il nous a lu les conclusions qui se trouvent dans l'ouvrage de Weigelt.
« D'après les expériences faites antérieurement on pourrait affirmer que les murs d'une semblable épaisseur auraient difficilement pu être mis en brèche au moyen de canons lisses ou de canons rayés lançant des bombes pleines ou des boulets creuse, non chargés. »
Ce que je puis en conclure, c'est que le boulet chargé produit plus d'effet que le boulet plein ou le boulet creux non chargé. Mais je ne vois nullement qu'on ait tiré plus d'avantage du canon prussien qu'on n'a pu en tirer du canon français en se servant de projectiles de même nature.
Dans la note de la minorité, il est dit que le fusil à aiguille était tombé dans un profond discrédit. M. le ministre de la guerre nous a dit que c'était une erreur. Peu importe ,il n'en est pas moins vrai que l'honorable ministre a reconnu lui-même qu'il ne consentirait pas à mettre cette arme entre les mains de nos soldats.
Le grand inconvénient, l'inconvénient principal du système se chargeant par la culasse comme arme de guerre, dit-il, c'est d'avoir un tir trop rapide et le soldat, en présence de l'ennemi, étant disposé à faire feu le plus souvent possible, les munitions sont aussitôt épuisées.
Mais ce même inconvénient né se présentera-t-il pas pour l'artillerie de campagne, si nous adoptons le système Wahrendorff.
Si le chargement par la culasse est plus rapide, comme le prétend le ministre, nos munitions ne seront-elles pas plus vite épuisées, alors surtout que, d'après la déclaration faite à la section centrale, l'avant-train du système Wahrendorff ne contient qu'une trentaine de projectiles, tandis que l’avant-train de la pièce du système actuel en contient 62 ?
Je crois trouver encore ici un argument pour soutenir ce que j'ai dit dans une autre séance, c'est qu'au point de vue de l'artillerie de campagne, notre système actuel vaut autant que le système Wahrendorff.
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit quant au tir à shrapnel des inconvénients que présente dans ce tir la fusée explosible, de la grande précision avec laquelle le point de chute du projectile doit être déterminé, de l'impossibilité du tir à ricochet. Quant à ce dernier point, je crois que dans la séance de samedi dernier, M. le ministre m'a répondu que pour que le système Wahrendorff permit ce tir, il suffirait de supprimer la fusée explosible ; mais alors l'effet sera-t-il le même qu'avec le système français qui permet l'emploi de la fusée à temps ?
La solution adoptée en Hollande est une solution provisoire, l'honorable ministre a confirmé sur ce point ce que j'avais avancé.
Il en est de même quant à tout ce que j'ai dit des réponses qu'il a faites lors de la discussion du projet de loi concernant les fortifications d'Anvers.
Mais il ne nous dit point pourquoi, comme à cette époque, il n'a pas consulté aujourd'hui de commission, pourquoi comme en 1853 il n'a pas consulté de comité spécial, de commission mixte sur cette importante question de notre armement, du complément de notre matériel d'artillerie.
En Hollande, dit-il, le ministre de la guerre est venu déclarer qu'il avait des essais à faire et que sur ces essais il désirait garder le secret, et la Chambre s'est contestée de cette déclaration. M. le ministre s'étonne que nous nous montrions plus exigeants que les Chambres hol landaises.
Si M. le ministre nous avait fait une déclaration de ce genre, personne ne lui aurait adressé de questions indiscrètes, mais il ne s'agit pas ici d'essais.
J'avais dit, messieurs, que dans le tir le plomb du projectile Wahrendorff se détachait souvent en tout ou en partie, ce qui devait influer vivement sur la justesse du tir.
Pour répondre à cette objection, l'honorable ministre nous dit que cela s'est également présenté pour le projectile Armstrong, et que dans un banquet, sir Armstrong a exprimé l'espoir de remédier à cet inconvénient.
C'est bien là ce qu'avait dit l'honorable M. Goblet : Quand vous parlerez Wahrendorff, On répondra Armstrong et vice-versa.
Sir Armstrong, vous le comprenez, ne pouvait convenablement critiquer ou condamner son propre système.
En supposant que ce soit réalisable pour le projectile Armstrong, il ne s'ensuit nullement que ce le soit aussi aisément pour le projectile Wahrendorff. Il y a entre ces deux projectiles une énorme différence.
Dans le système Wahrendorff le projectile est couvert d'un manchon ou chemise de plomb qui y est retenu par des rainures latérales ; tandis que le projectile Armstrong se divise en de nombreux segments, espèce de quartiers d'orange entre lesquels le plomb de la chemise pénètre et vient même à la surface intérieure du projectile. On conçoit que dans ce système on puisse plus aisément obtenir une adhérence plus complète.
Je ne trouverai jamais grâce devant mes contradicteurs, nous dit l'honorable ministre.
C'est une erreur, messieurs ; le débat n'existe pas entre l'honorable ministre de la guerre et tel ou tel membre de la chambre ; non, messieurs, le débat est entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Le gouvernement propose un projet de loi à la Chambre qui, d'après moi, doit l'examiner et le discuter à fond, tandis que, d'après M. le ministre de la guerre, elle n'aurait qu'à le voter.
J'aurais pu, messieurs, ne pas prendre part à ce débat et me borner à voter contre le projet. J'aurais pu ne pas faire une opposition aussi vive à mes amis politiques. Pourquoi ai-je pris part à la discussion ? Parce que, membre de la section centrale, je m'y croyais plus spécialement tenu.
Parce que, dans les relations de la section centrale avec le gouvernement, j'ai cru voir que l'on voulait porter atteinte à nos prérogatives parlementaires, et qu'à cette atteinte je ne pouvais consentir.
Parce qu’enfin il s'agit d'imposer à l'armée une arme dont la supériorité est très contestable et très contestée par une foule d'hommes compétents.
J'ai voulu que la Chambre pût statuer en connaissance de cause. J'ai lutté dans cette circonstance comme M. le ministre des finances l'avait fait dans une discussion toute récente ; comme lui, j'avais fort peu d'espoir de réussite, j'étais presque sûr d'avance de succomber ; M. le (page 1098) ministre des finances a obéi à son devoir, je crois avoir également rempli le mien.
On nous a dit que l'horizon était sombre, que tout retard pouvait entraîner les dangers les plus grands ; mais j'ai indiqué une solution provisoire qui nous permettrait d'être prêts beaucoup plus tôt. Cette solution, j'ai reculé devant les difficultés de la formuler, je ne la formule pas encore, je veux cependant vous en démontrer la possibilité.
Nous avons actuellement 19 batteries de campagnes, je ne parle point de la vingtième qui paraît et disparaît tour à tour, on ne sait trop pourquoi.
De ces 19 batteries les 9 batteries montées de 6 pourraient facilement être transformées au système français, les autres ne pourraient l'être utilement, elles perdraient trop de leur mobilité, le projectile devenant trop lourd.
En mettant 200 projectiles par pièce...
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il en faut au moins mille.
M. de Gottal. - Il en faut 1,000, dit l'honorable ministre, soit ; en mettant donc 1,000 projectiles par pièce, ce qui fait 72,000 projectiles (chaque batterie comptant 8 pièces) à raison de 6 francs, j'arrive à un chiffre de 432,000 francs.
En comptant 10 francs pour le rayage de la pièce, j'arrive de ce chef à une dépense de 720 francs.
Supposons, messieurs, que toutes les pièces en bronze ne puissent être rayées et qu'il faille procéder à la refonte de 20 pièces. Je crois pouvoir fixer la dépense de cette refonte à 300 francs par pièce, ce serait encore 6,000 francs à ajouter au crédit à affecter à cette transformation. Nous arrivons ainsi au chiffre de 438,720 francs, en chiffres ronds 440,000 francs.
On pourrait, en outre, faire rayer une partie de nos pièces de Liège de 12 et en accordant au département de la guerre un crédit d'un million par exemple, ce qui laisserait encore disponible pour cet objet une somme de 64,000 fr., on pourrait parer au plus pressé. Je pense qu'en moins de 3 mois cette transformation pourrait être terminée. Entre-temps nous pourrions procéder à des expériences comparatives.
Cette solution, messieurs, comme je l'ai déjà dit, ne préjugerait rien, et nous aurions mis aux mains de notre armée une arme perfectionnée, dont certes elle n'aurait pas à se plaindre.
C'est un ajournement, mais qui, si vous y joignez la transformation que j'ai indiquée, nous permet de satisfaire aux premières éventualités et ne préjuge rien.
Une pareille solution, je pense, satisferait le pays et l'armée.
Si je ne la propose pas, c'est que le gouvernement, si pareille proposition venait d'un membre de la minorité de la section centrale, y verrait sans doute encore une manœuvre, car c'est ainsi qu'il a déjà qualifié la proposition d'enquête.
Je termine, messieurs.
Les voix qui s'élèvent contre le projet, nous a dit l'honorable ministre, les voix qui le rejetteront sont des voix trompées.
Messieurs, si nous versons dans une erreur (fût-elle adoptée), au moins elle ne sera pas irréparable. Je vous l'ai dit, je vous le répète encore, c'est une solution provisoire que j'eusse préférée ; elle ne préjugeait rien, elle laissait la question intacte.
Des expériences comparatives complètes seraient venues nous donner l'assurance de la supériorité d'un système sur l'autre.
Des avis, des rapports, des conclusions raisonnées de commissions compétentes seraient venus nous éclairer.
Cette solution, le gouvernement la repousse. Puisse-t-il ne pas se tromper dans le système qu'il nous propose, car ce système appliqué à notre artillerie, il nous serait sinon impossible du moins très difficile de revenir sur nos pas sans imposer de nouveau d'énormes sacrifices au pays.
M. le président. - Messieurs, je dois faire une rectification. Je ne l'ai pas faite plus tôt, parce que je voulais m'assurer d'abord que j'avais bien compris.
Dans les quelques paroles qu'il a prononcées, au commencement de la séance, M. Beeckman a dit qu'il renonçait à la parole, parce que, samedi, la Chambre avait décidé qu'elle ne demanderait plus aucun renseignement à M. le ministre de la guerre. L'ordre du jour, que j'ai proposé, et que la Chambre a adopté, n'avait pas cette portée ; la seule portée de cet ordre du jour, c'est que la question posée par M. de Gottal et à laquelle M. le ministre de la guerre a déclaré ne pas pouvoir répondre parce que son honneur y était engagé, que cette question ne serait pas adressée au gouvernement.
Si M. Beeckman a d'autres demandes de renseignements à faire, il peut les formuler ; la décision prise par la Chambre n'y met aucun obstacle.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, si je devais répondre à tout ce que l'honorable M. Gottal vient d'avancer, je serais obligé de répéter ce que j'ai dit dernièrement. Je me bornerai à rectifier quelques erreurs essentielles.
L'honorable membre prétend, messieurs, que nous pourrions avoir une solution immédiate, en adoptant le système français, attendu que nous pourrions transformer notre artillerie de campagne en quelques mois.
Eh bien, messieurs, la transformation de nos pièces de campagne en canons du système français ou en canons du système Wahrendorff exigerait le même temps, et ne serait ni plus difficile, ni plus coûteuse.
Pour la transformation des anciennes pièces de canon, la dépense est presque insignifiante ; mais ce qui entraîne de grandes dépenses, ce sont les projectiles.
En réglant l'approvisionnement sur la base généralement adoptée de mille coups par pièce, il faudrait, rien que pour les projectiles, une somme de près d'un million.
Mais remarquez, messieurs, que ce n'est là qu'au côté de la question. Ce qui presse le plus, c'est d'avoir une artillerie de position, une artillerie de place. Or, les pièces que nous possédons ne peuvent pas subir la transformation indiquée à moins d'une dépense considérable, puisque notre matériel en fonte ne peut être rayé d'après le système français qu'en subissant l'opération coûteuse du cerclage.
Si donc nous adoptions le système français, nous serions obligés d'avoir deux systèmes d'artillerie, et il en résulterait une confusion des plus dangereuses. En effet, nous aurions deux systèmes différents de projectiles pour les mêmes calibres, celui de place et celui de campagne.
Il y aurait encore d'autres inconvénients à adopter le système préconisé par l'honorable M. de Gottal, car à tous les points de vue ce système est inférieur au nôtre.
Parce que j'ai dit aussi que le fusil se chargeant par la culasse n'avait pas été adopté pour l'infanterie, par la raison que les troupes dépenseraient trop de munitions, M. de Gottal en conclut qu'il en sera de même pour l'artillerie.
Ce qui se passe dans l'artillerie à cet égard est tout différent de ce qui se passe dans l'infanterie.
Le fantassin possède seul son arme et ses munitions. Il n'a besoin de personne pour exécuter son tir.
Dans l'artillerie il n'en est pas de même. Le tir ne dépend pas de l'action d'un seul homme.,
Il faut plusieurs canonniers, pour servir la pièce, c'est-à-dire qu'il faut le concours de plusieurs individus pour la charger et la tirer.
Le soldat n'est pas livré, abandonné à lui-même. Il ne peut tirer qu'au commandement de l'officier qui dirige la batterie, et ses instincts sont dominés par l'impossibilité d'y céder.
Seul il ne peut mettre la pièce en batterie, l'écouvillonner, boucher la lumière, amorcer et tirer.
Cela saute aux yeux et se comprend facilement.
A propos de ce que j'ai dit de la facilité du chargement des pièces de siège de 24 et de la possibilité de les tirer au besoin, avec un seul homme, M. de Gottal en conclut qu'il y aura de ce chef une diminution à faire sur le budget.
J'ai signalé comme un des grands avantages de l'affût Wahrendorff qu'il nécessitait un nombre de servants bien moins grand que tout autre système.
En effet, cet affût par une combinaison simple et ingénieuse, lorsque la pièce a fait son mouvement de recul après le tir, la remet en batterie en la reportant en avant. Cet avantage est immense parce que pour produire le même effet, il faut avec le canon français une manœuvre de force qui exige au moins huit hommes.
C'est un immense avantage que j'ai signalé et sur lequel j'insiste.
Je maintiens tout ce que j'ai dit dans les séances précédentes ; je n'ai pas un mot à en rétracter. Le Moniteur l'a enregistré et avant peu tout le monde pourra juger de quel côté est la vérité et la raison.
(page 1099) M. Goblet. - Messieurs, le remarquable discours prononcé par M. le ministre de la guerre dans la séance de vendredi dernier était de nature à faire une profonde impression sur l'assemblée. Maniant avec un égal bonheur l'ironie et le dédain, passant habilement à côté du point délicat de la question, intéressant et sérieux à la fois, l'honorable général a prouvé une fois de plus la puissance d'un grand talent ; son éloquent plaidoyer est l'arme habile d'un diplomate consommé.
Quant au fond de la question, quant à savoir si le canon prussien est meilleur que le canon français, l'honorable général s'est borné à de simples affirmations et n'a nullement démontré quoi que ce soit. Que le canon prussien ait des qualités, personne n'en doute ; qu'il soit supérieur au canon lisse sur certains points, c'est une chose que personne ne méconnaît ; mais cela permet parfaitement d'admettre encore que le canon prussien est inférieur aux autres canons de nouvelle invention.
La note de la minorité de la section centrale a supporté tout le poids de la discussion ; pas un paragraphe, pas un mot n'a échappé à des critiques amères ; et réellement, messieurs, si je devais rester sous le coup de ce blâme, si je n'aurais rien à dire pour ma défense, il faut me condamner à l'avance.
Mais, croyez-le bien, je réfuterai, l'un après l'autre, les arguments de M. le ministre de la guerre ; je demande seulement à la Chambre de vouloir bien m'écouter avec quelque attention, parce que le sujet est excessivement ardu et difficile à saisir.
L'honorable général Chazal en refusant de communiquer à la section centrale les pièces qu'il a lues devant l'assemblée à la séance d'hier, a nécessairement rendu la solution de la question plus épineuse encore. Ces pièces, si même elles avaient dû être étudiées dans le silence du cabinet, auraient dû subir un contrôle contradictoire pour être admises comme concluantes.
Messieurs, en section centrale, le sentiment qui s'est fait jour, lors de la première réunion des rapporteurs, c'est, en quelque sorte, l'unanimité de volonté d'avoir des renseignements plus complets. C'est tellement vrai, que le premier mot d'enquête a été prononcé par l'honorable M. David ; c'est tellement vrai, que même après les explications de M. le ministre de la guerre, l'honorable M. Dumortier n'a adopté le projet que par suite d'études personnelles, et par suite d'informations prises a d'autres ressources.
Messieurs, un mot seulement des communications que l'honorable général a bien voulu nous faire pièce par pièce dans la séance de samedi.
Ces communications ne sont nullement celles que nous demandions : nous désirions les procès-verbaux des expériences faites jour par jour, heure par heure, des expériences faites par des officiers qui ne quitteraient pas les batteries d'essai.
Nous ne demandions nullement les avis hiérarchiques d'hommes en contact immédiat avec le ministre.
En Angleterre et en France, alors qu'on y fait une enquête et qu'on se prononce sur un système, ce n'est pas au chef de l'arme, ce n'est pas au directeur du ministère qu'on s'adresse ; on fait venir l’officier qui a expérimenté ; on lui demande communication des rapports sur les expériences auxquelles il a assisté.
Ainsi, en Angleterre, lorsqu'on vient affirmer les qualités du canon Armstrong, dans la commission d'enquête, l'on entend la déposition des officiers qui ont pratiqué la pièce, c'est le major Hay ; en France c'est le capitaine Lepage, qui expérimente et certifie les faits, mais on ne songe pas à s'appuyer entièrement sur les avis émanés d'officiers supérieurs en contact immédiat avec le ministre.
Ainsi à Brasschaet des expériences nombreuses et continues ont eu lieu.
Une commission de plusieurs officiers a été constamment réunie.
Pourquoi n'avons-nous pas reçu communication de ces procès-verbaux qui ne servent à constater que des résultats de tir et ces capitaines qui, ne quittant pas la place, n'avaient aucun intérêt à communiquer des secrets qu'ils ne connaissaient probablement pas eux-mêmes.
La première phrase de la note de la minorité au point de vue spécial de la question a traité la question de la solidité de la pièce.
L'honorable M. Chazal après nous avoir fait l'historique des canons qui se chargent par la culasse, a bien voulu déclarer que ce que l'on soutient est tout bonnement une bonne absurdité.
C'est ce que nous verrons, et en tous cas si le raisonnement que j'en ai fait et les conséquences que j'en ai tirées ne sont pas vraies, j'établirai toujours facilement que mon erreur a été partagée par bien d'autre autorités compétentes en la matière.
Je n'ai pas l'intention de tenir l'Europe militaire suspendue à mes lèvres. Permettez-moi donc de donner lecture de quelques documents sur lesquels je me suis basé.
Nous trouvons dans le Journal des Débats, janvier 1861 :
« En ce qui concerne la solidité du canon lui-même, le Daily News nous accorde encore qu'une bouche à feu composée d'un seul morceau de métal massif, comme la nôtre, doit être nécessairement plus solide qu'une bouche à feu composée de trois pièces, comme l'est la bouche à feu anglaise. »
Maintenant sir William Armstrong vient de prononcer un discours tout à fait spécial. Il s'y exprime, avec la plus grande modération. Toutefois en défendant son œuvre il en reconnaît les défauts, et il annonce même qu'il fait des essais pour remplacer, dans certains cas, le chargement par la culasse, par le chargement par la bouche.
Le Journal des Débats qui s'occupe attentivement de ces questions, qui en suit minutieusement les péripéties, a fait un article sur ce discours et il pose cette question : Pourquoi sir William Armstrong tend-il à abandonner le chargement par la culasse ? Et voici comment il y répond.
« La réponse à cette question n'est pas aussi embarrassante qu'elle a l'air de l'être. Ce qui arrête sir W. Armstrong, c'est ce qui a arrêté jusqu'ici tous ceux qui depuis bientôt quatre cents ans se sont occupés de perfectionner l'artillerie ; car il ne faut pas croire que nous ayons découvert les avantages que nous vaudraient des canons de gros calibres que se chargeraient par la culasse. Il y a quatre siècles, en effet, qu'on travaille à la solution de ce problème sans pouvoir l'obtenir. En effet, s'il s'agissait seulement d'ouvrir la culasse pour permettre l'introduction de la charge, rien ne serait plus facile ; mais l'embarras c'est de la fermer de telle façon que, pendant le tir, elle résiste à des pressions qui se comptent par centaines, par milliers d'atmosphères, et qui, de plus, augmentent dans une proportion très considérable avec l'accroissement des calibres, ou, si on l'aime mieux, avec les charges de poudre. Cela ne veut pas dire qu'il faille être un très habile ingénieur pour construire dans ce système de grosses pièces qui ne volent pas en éclats aux premiers coups qu'on leur fait tirer.
« Ce qu'on ne sait pas faire, ce sont des appareils qui résistent à un tir prolongé. L’énorme puissance de pression avec laquelle les gaz agissent entre des surfaces qu'on n'a pas réussi à rendre suffisamment étanches ou sur un assemblage de pièces qu'on n'a pas pu rendre assez solide, fait qu'ils s'ouvrent bien vite un passage en rongeant ou en détruisant les appareils avec une grande rapidité. Là est l'écueil contre lequel ont échoué jusqu'ici tous les systèmes qu'on a essayé de produire, et qui pour la plupart cependant fournissent presque toujours des résultats satisfaisants en apparence pour les premiers coups des épreuves auxquelles on les soumet. Sans doute les progrès qu'a faits depuis quelques années l'industrie métallurgique nous permettent d'obtenir de meilleurs résultats que nos devanciers, mais il ne faut pas croire que nous soyons très avancés lorsqu'on voit le point auquel un homme du mérite de sir W. Armstrong est encore arrêté. »
Maintenant, messieurs, me dira-t-on que ces opinions sont des opinions françaises, que ce sont des gens intéressés à vanter le système des canons se chargeant par la bouche ?
Voyons les opinions allemandes, les opinions d'officiers allemande.
Le colonel Bavarois Sinodzt a publié une brochure sur les canons rayés.
Je répondrai ici quelques mots à la plaisanterie sur mon traducteur polyglotte qui tâche toujours de trouver des arguments là où il n'y en a pas.
Je n'ai pas de traducteur. J'ai fait comme j'ai pu et n'ayant pas une légion à mon service, j'ai pris mes renseignements où je les ai trouvés. Mes traductions j'en ai trouvé une partie dans les journaux. J'en ai fait quelques-unes moi-même ; d'autres ont été faites par mes amis.
Jusqu'à présent les arguments de l'honorable M. Chazal n'ont pas prouvé que mes traductions étaient mauvaises. Sans se donner la peine de les examiner, tout en disant que mes traductions étaient mauvaises, il n'a détruit aucune des assertions qu'elles contenaient.
Voici donc l'opinion du colonel bavarois Smoelzl, page 20, paragraphe 24.
(page 1100) « § 24. Malheureusement, Cavalli, Wahrendorff et Armstrong ont dirigé toutes leurs recherches vers le chargement par la culasse, quand le problème d'une fermeture hermétique et solide de la partie postérieure du canon présente tant de difficultés.
« Pour mettre à même d'apprécier ces difficultés, nous avons, avec intention, décrit d'une manière détaillée les inventions les plus connues du système, et il est facile d'en tirer la conséquence que chacun de ces mécanismes entraîne un allongement désavantageux et l'inconvénient d'une augmentation dans le poids du canon.
« § 25. Il faut donc sacrifier le chargement par la culasse et adopter le chargement par la bouche du canon, car aucun des mécanismes décrits plus haut n'offre suffisamment de sécurité ou de durée, et chacun d'eux a l'inconvénient d'allonger la partie postérieure du canon et d'en augmenter le poids. »
Maintenant, messieurs, voici la Militaire Zeitung de Vienne de 1860.
Après avoir parlé de beaucoup de choses, elle ajoute :
« Avec cela on annonce que les canons rayés sont chargés par la bouche, car on est totalement revenu de l'idée de charger les canons par la culasse, parce que les expériences ont démontré que le système est plein de défectuosités et de dangers qui ne peuvent être rachetés par quelques avantages peu importants. »
Enfin, messieurs, j'ai reçu tout récemment une brochure que j'ai montrée déjà à plusieurs membres de cette Chambre et qui émane d'un officier d'artillerie allemand ; cette publication remonte à peine à huit jours et est faite à Darmstadt.
Cette brochure s'exprime ainsi, page 56 :
« Le plus étonnant c'est le caractère artificiel de la fermeture des ouvertures pour la charge (Kammer ladungsgeschutze). Que l'on dise quoi que ce soit, cette fermeture est le côté le plus faible de la nouvelle invention. D'après l'expérience que nous avons acquise, nous doutons que l'on parvienne jamais à donner à cette fermeture la forme et le système que l'on désire certainement de toutes parts, et c'est pourquoi nous admirons la persistance et le courage de ceux qui se dévouent à la solution de ce difficile problème.
« La confection de cette fermeture exige beaucoup de travail et un travail qui doit être eu même temps exécuté soigneusement. Toutes les pièces d'ajustement et les ouvertures dans le premier renfort doivent être travaillées avec une si grande précision que le tout doit fermer tout à fait hermétiquement comme un bon travail d’horlogerie, et il faut en outre que ces pièces puissent instantanément se défaire avec la même facilité.
« Enfin il est nécessaire que ces pièces possèdent une force et une résistance déterminées, parce que la charge de poudre et la puissance qui en résulte sont données. Les deux extrêmes : fermeture exacte en même temps qu'une facilité convenable pour le prompt engencement et désengencement des pièces, et c'est là que gît le mal que l'on ne parviendra peut-être jamais à écarter. »
Vous voyez, messieurs, que si j'ai énoncé une opinion en débutant dans la note de la minorité, cette opinion était parfaitement bien étayée. On peut ne pas la partager, mais elle est sérieuse, et je la maintiens.
Plus loin cette brochure s'occupe encore de l'effet des gaz sur la fermeture de la culasse et voici ce qu'elle dit. C'est pour répondre à l'argument de M. le ministre qui dit qu'il y a aujourd'hui en Allemagne des moyens d'empêcher que les gaz ne détruisent la fermeture, que je cite ce passage :
« Qu'on dise ce qu'on veut, la meilleure fermeture d'un canon se chargeant par la culasse, construit avec la matière la plus solide, cessera, avec le temps, de devoir être considérée comme hermétique. La poudre enflammée s'attaque à la fente, si serrée qu'elle soit, qui existe entre le métal et la fermeture et l'entame sans discontinuité. C'est ce que prouvent les expériences faites à Aker et à Stafjo. Les inconvénients commencent principalement à se produire dès le moment où ces parties ne peuvent plus où ne peuvent plus que difficilement se réunir dans leur position normale ; or c'est ce qui arrive bientôt, car l’échauffement du canon pendant le feu a toujours cette conséquence. Lorsque cette position normale n'existe plus, on peut aussi en conclure sûrement que le gaz de la poudre est occupé à se frayer un chemin en arrière. On doit alors aussi commencer à craindre pour la solidité des parties les plus exposées qui pourraient se tordre ou se briser. On se console par la pensée de pouvoir encore à temps nettoyer la fermeture. Croit-on vraiment que des appareils de nettoyage soient appelée à jouer un rôle sur le champ de bataille ? Qu'immédiatement après une bataille perdue, les batteries doivent commencer leur retraite précipitée avec leur personnel décimé, les dégâts se multiplient lorsque le temps est humide. »
L'honorable ministre de la guerre nous a donné l'exemple d'une pièce avec laquelle on a tiré un nombre presque illimité de coups à Brasschaet.
Si j'en crois des renseignements qui doivent être véridiques, c'était une pièce du système Wahrendorff, c'est vrai, mais une pièce lisse. Les expériences ont donc pu donner de très bons résultats au point de vue des canons lisses du système Wahrendorff, mais elles ne sont nullement concluantes en faveur des canons Wahrendorff à projectiles forcés.
Les affûts en fer, nous a dit l'honorable général Chazal, mais où donc M. Goblet a-t-il été chercher qu'ils ne valaient rien ? Oui, messieurs, j'ai soutenu cela et je vous prie de croire que je ne l'ai pas inventé.
Si j'ai prétendu que les affûts en fer offrent de grandes défectuosités, c'est que j'ai puisé cette assertion dans plusieurs ouvrages militaires d'une grande autorité et dans les dépositions des militaires anglais qui ont comparu devant la grande commission de défense, de 1859. Voici notamment ce que déclarait alors le colonel Bingham. Remarquez qu'il ne s'agit pas seulement des affûts exposés au feu ennemi, mais des affûts en général.
« Parce que ces affûts de fer se brisent trop facilement, même par le tir de leurs propres bouches à feu. »
Vous voyez donc, messieurs, que l'opinion de l'honorable général Chazal n'est pas partagée par tout le monde.
Maintenant, ai-je prétendu que les Prussiens avaient abandonné le fusil à aiguille ? Non, messieurs, j'ai dit que ce fusil était tombé dans le plus profond discrédit, et je maintiens cette assertion. Peut-être le fusil à aiguille deviendra-l-il même l'arme fédérale comme le canon Wahrendorff lui-même ; mais cela ne prouvera nullement que cette arme soit bonne.
Pour moi, cela prouve tout simplement que la Prusse a beaucoup de ces fusils dans ses magasins et qu'elle tient à persévérer dans son erreur, tout comme l'honorable général Chazal persévère dans son système, que je crois également erroné.
On m'a accusé d'avoir faussé le sens du discours de lord Baring, sous-secrétaire d'Etat.
Je n'ai pas trouvé ce discours dans le Moniteur comme l'avait promis l'honorable ministre, aussi je continue à croire ma version bonne. Mais admettons que j'aie mal compris les paroles du sous-secrétaire, est-ce que l'honorable M. de Gottal ne vient pas de nous prouver que sir William Armstrong a reconnu lui-même les inconvénients du système de projectiles à chemise de plomb, qu'il cherche à y remédier et qu'il espère y parvenir ?
« Rien ne serait plus facile, dit-il, que d'obtenir une adhérence aussi grande qu'on le voudrait ; ce qui est à craindre au contraire, c'est d'en obtenir une trop grande et de laquelle il résulterait que si le plomb était trop adhérent au fer, il ne pourrait plus s'en séparer ni par conséquent se briser selon le nombre d'éclats voulus lors de l'explosion des projectiles. Aujourd'hui, la séparation prématurée du fer et du plomb est une chose de très rare occurrence et je ne crois pas qu'il fût très sage de chercher à se prémunir encore plus sérieusement contre cette éventualité, parce qu'on courrait le risque de diminuer beaucoup l'efficacité de l'obus. »
Placé entre deux écueils, sir W. Armstrong cherche encore le moyen de remédier à l'un et à l'autre des désavantages qu'il signale, tout en restant dans un milieu excessivement difficile, mais son embarras même prouve que les accidents que j'ai signalés existent et se rencontrent forcément dans le système de projectile à chemise de plomb.
Lord Baring le constate lui-même en allant jusqu'à indiquer l'emploi du zinc comme remède.
L'honorable ministre n'a-t-il pas dit aussi que si l'on craignait que le plomb par suite de l'action du temps vînt à se séparer de la fonte, on pourrait appliquer ce premier métal peu de temps seulement avant de se servir du projectile.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je proteste contre cette assertion ; ce serait une épouvantable absurdité que vous me feriez dire.
M. Goblet. - J'ai cru parfaitement entendre qu'il était toujours facile de mettre aux projectiles, au moment de les employer, une chemise de plomb.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Vous êtes complètement dans l'erreur,
M. Goblet. - Du reste, cela est peu important. Je tiens seulement à établir qu'un Anglais, homme compétent, constate lui-même que les chemises de plomb se séparent des projectiles qu'elles enveloppent.
Qu'ai-je dit encore dans la note de la minorité. Que le système de (page 1101) chargement parla culasse est plus difficile que le système de chargement par la bouche. Je maintiens encore cette assertion et je la prouve.
Voici de nouveau une déposition de sir Bingham, colonel d'artillerie, devant la grande commission d'enquête de 1859 ; il rencontre par hasard, devant les combattre, les arguments invoqués par l'honorable général Chazal pour prouver la grande facilité du chargement par la culasse.
Voici ce qu'il dit :
« Je pense que le canon de sir W. Armstrong devrait être servi exclusivement par des artilleurs ; ce n'est pas le travail manuel qui est de peu d'importance dans la manœuvre des nouvelles bouches à feu, qui exige l'emploi exclusif des canonniers ; c'est l'opération du réglage de fusées, l'ajustage de hausses et des mires et enfin le maniement des différentes pièces de la bouche à feu. En outre le chargement par la culasse du canon et l'obturation du la culasse exigent de la part des servants les plus grandes précautions. Les canons Amstrong demandent non seulement des canonniers experts et bien exercés, mais encore des hommes d'une haute pratique dans la science la plus avancée de l'artillerie.
Vous voyez bien, messieurs, qu'il ne s'agit pas de la manœuvre manuelle de la pièce, mais d'opérations délicates qui exigent le concours d'artilleurs expérimentés. Il est donc possible que la manœuvre de force puisse, dans certains cas, être faite par un seul artilleur ; mais il est évident que le service entier de la pièce exige un grand nombre de canonniers.
C'est, insiste encore plus loin le colonel Bingham, découper, finir et régler les fusées ; c'est de faire tous les ouvrages techniques et scientifiques que l'art de l'artillerie comporte ; enfin c'est d'avoir une connaissance complète de tous les outillages dont ils ont besoin et la manière de s'en servir, qui demande l'emploi d'habiles artilleurs.
Vous le voyez, il ne s'agit pas là d'hommes plus ou moins robustes, ayant une certaine force manuelle ; mais d'hommes instruits et expérimentés.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Vous parlez d'un canon que nous n'avons pas, dont nous ne voulons pas.
M. Goblet. - Veuillez, général, ne pas m'interrompre. Si le canon Armstrong est intervenu dans le débat, c'est votre exposé des motifs qui en est la cause première, puisqu'il renseigne des expériences faites avec ce canon, expériences sur lesquelles vous vous êtes appuyé. J'ai donc bien le droit de parler de ce canon, alors que vous en parlez à tout moment, et que lorsqu'il n'y a rien à répondre en faveur de l'arme prussienne, vous vous retranchez derrière le canon Armstrong pour y trouver un argument.
En Angleterre on a constaté qu'il fallait 12 hommes au minimum pour le service d'un canon Armstrong. En Allemagne, si pour la pièce lisse il faut 8 hommes, on est convaincu qu'il en faut au moins autant pour servir chaque pièce du système Armstrong.
Maintenant, messieurs, et pour suivre l'ordre d'argumentation de l'honorable général Chazal, je maintiens cette assertion qu'il n'y avait pas moyen de modifier nos pièces en fonte du système français ; que le cerclage n'a pas réussi. Or, messieurs, le cerclage a tellement bien réussi qu'on a transformé plusieurs centaines de pièces, en France de cette manière. (Interruption.) Je conçois que l'argument vous déplaise.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Nullement, je n'ai pas dit cela.
M. Goblet. - Toujours est-il que, dans la discussion, vous avez toujours soutenu que nous ne pouvions facilement transformer nos canons au système français.
Eh bien, en France, on a fait des expériences à outrance sur des pièces dé fonte cerclées ; ces expériences ont réussi et le gouvernement français a fait immédiatement transformer 700 de ces canons de fonte par l'industrie privée.
Une maison française, celle de M. Pétin et Gaudet a le brevet de ce cerclage, c'est la société d'Ougrée qui, en Belgique, l'exploite.
Au mois d'octobre 1860, il a été essayé à Brasschaet une pièce cerclée qui a tiré 300 coups et a parfaitement réussi.
En décembre 1860 et en janvier 1861, à l'école de Gâvre en France on a essayé une pièce cerclée de 30 pour la marine ; on a fait trois séries d'épreuves, à la suite desquelles il fut impossible de constater si la pièce avait souffert en quoi que ce fût.
En décembre 1860 et janvier 1861, à l'école d'artillerie de Gâvre, une pièce cerclée du calibre de 30 pour la marine a été mise en essai ; elle a été soumise à trois séries d'épreuves, à la suite desquelles il a été impossible de constater la moindre détérioration,
Première série. 1,000 coups à la charge de 4 kil, obus pesant 30 kil.
Deuxième série. 1,000 coups à la charge de 6 kil., même projectile.
Troisième série. 800 coups à la charge de 7 1/2 kil., boulet d'acier puddlé, pesant 45 kil., pour percer les plaques des bâtiments cuirassés.
On a continué, on continue encore les expériences et l'on arrive toujours à des résultats aussi concluants.
Vous voyez que ce n'est pas là une objection pour la transformation de notre matériel au système se chargeant par la bouche.
Puisque incidemment, la question de la dépense a été soulevée dans cette enceinte, permettez-moi de l'examiner en passant.
Il est acquis que transformer les pièces de bronze au système français est chose facile ; la discussion s'est établie sur la possibilité de cercler nos pièces de fonte, cette possibilité n'est pas contestable ; on arrive à ce résultat au prix de 300 francs par pièce ; si nous devions faire de nouvelles pièces, elles ne coûteraient que mille francs. Le cerclage est tellement bon, que sir W. Armstrong a toute confiance dans un système de même nature ; il déclare que pour avoir une grande puissance d'effet, il faut employer, dans la fabrication des canons, les cercles soudés ensemble.
« Je dirai donc que l'expérience me persuade de plus en plus que la construction des canons au moyen de rubans de fer soudés ensemble sous forme cylindrique est le meilleur de tous les systèmes, et que je me propose de le suivre dans la construction des pièces des plus forts calibres.
« En effet, on peut appliquer ruban sur ruban, et je ne connais aucune limite à la dimension des pièces qu'il est possible de fabriquer par ce procédé, Les difficultés d'exécution qui, dans le principe, m'avaient forcé à dévier quelque peu de cette méthode sont aujourd'hui surmontées, et il n'y a plus de raison pour ne pas le suivre dans toute sa rigueur.
Du moment que le cerclage de nos pièces en fonte peut se faire et que la transformation des pièces en bronze ne coûte que 5 à 6 fr., nous pouvons arriver à une transformation économiquement.
On a cité des chiffres, je n'ai pas eu le temps d'examiner cette question d'une manière complète, mais si l'honorable M. de Gottal s'est trompé dans son estimation du prix et de la quantité des projectiles, ce n'est pas là un motif de condamner une thèse.
Pourquoi dans la dépense de la transformation de l'artillerie, faire entrer l'élément projectile, qui n'a rien à y voir puisque quelle que soit la nature de vos armes, il vous faudra toujours de la poudre et des boulets.
Quoi qu'il en soit si vous avez quatre mille pièces, avec deux millions vous ferez assez de projectiles pour tirer 200 coups par pièce ; et si toutes vos pièces d'artillerie étaient en fonte, pour transformer quatre mille pièces de fonte à 300 fr. par pièce, vous aurez à faire une dépense de 1,200,000 fr.
L'honorable général Chazal a dit que la transformation présenterait de grandes difficultés, parce que nous avions énormément de pièces de fonte. Je me suis procuré l'état exact de toutes les pièces de canon qui existent dans nos places fortes, les pièces de bronze sont dans la proportion de près de la moitié, de sorte que la difficulté que présente l'honorable général Chazal n'est pas aussi grave qu'il le prétend.
L'honorable général Chazal a dit que l'acier était plus résistant que le bronze, qu'une pièce en acier avait résisté à des épreuves telles qu'elle avait provoqué l'admiration des officiers présents.
Je n'ai pas prétendu que l'acier n'eût pas une résistance considérable, mais j'ai dit que l'acier avait un grand défaut qui lui donnait le désavantage sur le bronze, c'est qu'en aucune circonstance le bronze n'éclatait, tandis que l'acier éclatait comme la fonte, sans qu'on pût s'expliquer pourquoi.
Pour prouver que l'acier n'est pas bon à tous les usages, je vais citer un fait qui m'a été révélé par un de nos collègues.
La compagnie du chemin de fer du Nord avait passé un contrat avec la maison Croup pour des essieux d'acier ; on les soumit aux épreuves les plus fortes ; un énorme mouton fut précipité dessus ; on les tourna ensuite en sens contraire, on les redressa et il ne s'y trouva pas la moindre fissure ; cependant au bout de trois ans il n'y en avait plus un seul ; ils étaient tous démantibulés.
Je dis que les mérites de l'emploi de l'acier ne sont pas encore parfaitement établis ; en France on fait des essais ; comme nation essentiellement militaire, la France sent le besoin d'avoir des armes excessivement puissantes, elle cherche à s'en procurer, et étudie la possibilité d'employer l'acier, tout en étant arrêtée par diverses considérations.
(page 1102) Jusqu'aujourd'hui ou n'emploie des canons d'acier que dans une petite proportion et pour la marine.
L'acier a sur le bronze ce désavantage qu'il ne vaut plus rien quand il est vieux, tandis que le bronze ne perd pas beaucoup quand il a servi ; ainsi il coûte, neuf, 4 fr. 50 le kil. et vieux 3 fr. 50 tandis que l'acier neuf coûte 5 fr. et ne vaut que quelques centimes une fois qu'il est mis au rebut.
Les paroles de sir William Armstrong, que je vous ai déjà citées, sont encore à l'appui de cette opinion qui n'admet pas l'acier comme préférable à toute autre espèce de métal.
Messieurs, l'honorable général Chazal, avec un talent que nous avons tous admiré, nous a intéressés au dernier point en expliquant des choses excessivement abstraites et difficiles à saisir ; il a expliqué le tir en brèche et il nous a fait un récit attrayant des expériences de Juliers.
Je n'ai nullement la prétention de rendre la Chambre attentive, comme l'a fait l'honorable général Chazal ; mais comme les arguments de chiffres dans une question comme celle-ci ont paru et paraissent encore à beaucoup de personnes des arguments décisifs, j'ai besoin, pour soutenir la théorie que je défends avec la plus profonde conviction, de citer des chiffres, non pas qui établiront une comparaison entre le canon français et le canon lisse, mais qui compareront le canon prussien au canon rayé français.
L'honorable général Chazal a supposé un instant qu'il battait en brèche la tribune. Il vous a expliqué le nombre de boulets qu'il fallait, l'endroit où il fallait les tirer pour faire tomber la muraille, et après avoir fait cette description avec beaucoup de talent, il s'est extasié sur l'épaisseur des maçonneries de Juliers.
J'ai eu communication des rapports sur des expériences faites en France, j'ai pris quelques notes sur ce point, et je trouve qu'avec la pièce française on a obtenu des effets beaucoup plus puissants que ceux qu'a cités l'honorable M. Chazal à l'appui de l'excellence du système prussien.
Le 9 juillet 1860, à La Fère, on a fait une expérience analogue à celle de Juliers.
On a battu en brèche une escarpe revêtue ; avec quoi ? Avec un canon de 12 rayé lançant des projectiles de 24, c'est-à-dire de moitié moindre poids que les projectiles prussiens. Vous comprenez parfaitement bien que si avec des projectiles moitié moins lourds on arrive aux mêmes résultats, et même à des résultats supérieurs, on économisera énormément de fer et de poudre.
M. Nelis. - La distance est-elle la même ?
M. Goblet. -La distance est la même. L'expérience Weigelt a été faite à 130 pas, ou à 85 mètres ; l'expérience de La Fère a été faite à 90 mètres.
Vous voyez que c'est à peu près la même distance.
Le mur de Juliers avait 26 pieds ; je crois que le pied prussien vaut 28 centimètres, ce qui donne environ une épaisseur de 7 mètres à la muraille de Juliers. A La Fère, la muraille avait, comme muraille, 3 m 40, et les contre-forts, qui sont entrés dans les calculs de l'honorable général Chazal, avaient plus de 3 mètres ; ce qui donne environ 7 mètres.
Eh bien, au lieu de ces 10 heures, sur lesquelles on m'a tant chicané parce que j'avais parlé de deux jours, la brèche a été faite à La Fère en 3 heures, et les Français ont lancé 282 projectiles, tandis que Weigelt établit qu'on en a lancé 294 à Juliers.
Ainsi avantage de distance, avantage de calibre, avantage du nombre des projectiles, tout est en faveur de l'obus français.
J'attire surtout votre attention sur cette supériorité immense que le boulet prussien aurait dû relativement avoir, puisqu'il pesait le double.
Le canon de 12 lisse aurait exigé, pour faire le même travail, 575 boulets, mais le canon lisse de 24 l'aurait fait avec le même nombre de boulets que le canon prussien ; c'est-à-dire qu'avec un canon lisse de 24 on a fait une brèche du même genre que celle de Juliers avec 294 boulets.
On a essayé le tir en brèche avec des pièces excessivement petites, avec des pièces de 4. Pour qui a pu voir l'artillerie française, ces pièces sont de véritables bijoux sous le rapport de l'exécution et de la légèreté, et l'on ne comprend pas comment une pièce qui avec son affût pèse si peu, peut produire de pareils effets.
Ce canon de 4 a été essayé contre des murailles et à Vincennes et à La Fère, on a battu en brèche. Le canon rayé de 4 mètres moitié moins de temps pour ouvrir une brèche dans une escarpe que le gros canon lisse de 24, que vous avez vu égaler le canon prussien.
L'honorable M. David nous a parlé de tir plongeant. Dans des essais faits sous ce rapports, à Douai, l'on a obtenu des résultats bien supérieurs à ceux qu'il a indiqués. Des canons rayés français de 4 ont fait une brèche de 3 mètres dans un mur de 1 m 20 d'épaisseur, et 28 obus de douze rayés ont pratiqué une brèche de 10 mètres dans un mur de 3 mètres d'épaisseur.
Le tir en campagne n'a pas été abordé par M. le ministre de la guerre. On semble toujours reculer devant ce point de la question. Or, si le canon prussien a des défenseurs, en ce qui concerne le service des places, je ne lui en connais pas beaucoup pour le service en campagne. Le grand argument de ceux qui défendent le canon prussien se chargeant par la culasse, c'est de dire que les canonniers avec cette arme sont à l'abri, qu'on ne peut les tuer, tandis que le canon qui se charge par la bouche peut le voir enlever des hommes lorsqu'ils sont occupés à charger dans l'embrasure. Je trouve à ce sujet dans une brochure allemande un argument bien puissant contre cette objection, et qui compense celui tiré de l'abri plus complet des hommes. L'auteur dit : On est arrivé, au moyen de la précision des armes rayées à des résultats tellement surprenants que l'on peut actuellement toucher un but certain à une très grande distance.
Eh bien, eu laissant nos canons immobiles dans les embrasures, vous donnez à ceux qui veulent démonter vos pièces un immense avantage, tandis que si, après chaque coup, vous retirez le canon, il ne peut servir de but certain à l'artillerie ennemie.
L'argument n'est pas de moi, mais je le trouve excellent.
Pour le tir en campagne, donc, on a essayé l'artillerie française sous tous les rapports, et vous devez comprendre qu'une des grandes préoccupations de la France était d'avoir une bonne artillerie de campagne. On a fait au camp de Châlons des expériences toutes spéciales. On a tracé sur le sol un rectangle de 50 mètres de large sur 75 de long, figurant l'espace occupé par un bataillon en colonne serrée et sur 150 coups on a atteint 120 fois, avec une pièce de 4, l'espace indiqué à une distance de 2500 mètres.
A l'école de La Fère, en 1860, à 1200 mètres, l'obus de 4 entre 72 fois sur 75 coups dans une cible de 2 mètres, tandis que l'obus lisse de 12 n'y entre que 5 fois sur 75 coups.
D'un autre côté, messieurs, le tir à ricochet, le tir roulant, le tic à mitraille sont pour ainsi dire impossibles avec le système prussien. Oh ! il est clair que si vous supprimez la percussion, que si enlevant à cet engin de guerre sa toute-puissance, vous arrivez à avoir un boulet ordinaire qui n'a que le mérite d'aller un peu plus loin, vous pourrez vous servir du canon prussien pour exécuter ces tirs spéciaux, mais la force de la nouvelle artillerie n'est-elle pas dans l'effroyable puissance te ce boulet qui éclate à toute distance pour lancer de petits projectiles et tuer sur un grand espace autour de l'endroit où il touche ?
Ainsi donc, si comme l'a dit l'honorable général Chazal, pour obtenir un bon tir à ricochet ou un tir roulant quelconque avec le canon prussien, il faut lui enlever la percussion, c'est la condamnation du système qu'il veut nous imposer.
En quoi consistent les avantages du nouveau système ? Dans ces deux choses : avoir une grande portée, et lancer à cette portée dos projectiles creux qui, en éclatant, exercent beaucoup de ravages. Mais ce que j'avance sur le tir roulant, sur le tir à ricochet et sur le tir à mitraille est tellement vrai, que les Prussiens et vous, général Chazal, vous n'oseriez transformer toute votre artillerie dans le système Wahrendorff ; vous admettez en même temps les pièces lisses.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Voulez-vous me permettre une observation pour vous éviter la peine de présenter beaucoup d'arguments faux ? C'est qu'avec notre artillerie on obtient précisément le contraire de ce que vous dites. Du reste, je vous répondrai.
M. Goblet. - Ce que j'avance est établi par l'exposé des motifs lui-même où vous avouez devoir conserver des pièces lisses.
Il est évident que le tir à ricochet ne peut se faire avec l'obus prussien et, comme vous l'avez dit vous-même, il n'est possible qu'en enlevant la capsule percutante ; il en est de même du feu roulant.
Enfin le tir à cartouche est très difficile avec le canon prussien, et la Prusse se gardera bien de supprimer ses canons lisses.
Voici ce que je lis page 32 de la brochure que j'ai déjà citée, au sujet de la fusée française, qui s'enflamme dans des conditions beaucoup plus avantageuses que la fusée prussienne :
« Dani le tir à mitraille vous devez tirer en avant du but, et il faut que (page 1103) vos projectiles fassent explosion alors qu'ifs ont toute leur force, afin que l'enveloppe et la charge du boulet soient projetés à une distance suffisante.
« Le tir à projectile à percussion, au contraire, nécessite un tir devant le but ; le projectile perd alors une partie de sa force et la masse de mitraille est projetée de bas en haut, ce qui épargne le but dans le reste de sa profondeur.
« De là vous pouvez même conclure que le tir à shrapnel est sans efficacité avec le canon prussien. »
L'auteur allemand en terminant déclare que, comme officier, il préférerait de beaucoup être à la tête d'une armée qui aurait conservé tout son ancien matériel au complet que de commander une armée qui n'aurait que des canons rayés.
Quant à la puissance du canon rayé français de 30 de marine, il est constaté par des essais faits à Gâvre en 1860 et 1861, ainsi que par des essais faits à Calais, qu'un boulet d'acier puddlé du poids de 45 kilogrammes et plein, a percé d'outre en outre des plaques de 12 centimètres d'épaisseur appliquées contre un bordage de chêne massif de 2 mètres, qu'il perce en outre également.
A 1,000 mètres le même boulet perce encore la plaque et se perd dans le bordage.
A 3,000 mètres de distance ce projectile s'enfonce de 5 m dans le sol.
A 2,000 mètres le boulet de 24 rayé touche à chaque coup une cible de 1 m carré.
A 3,000 mètres, il ne manque jamais une cible de 2 m carrés.
A 6,000 mètres 50 p. c. de ses coups tombent dans une surface de 1/10ème d'hectare.
Maintenant, messieurs, pour en finir avec la valeur respective du canon français, du canon anglais et du canon prussien, permettez-moi de citer un passage du rapport d'un homme parfaitement au courant de tout ce qui se passe, d'un officier d'artillerie français. Ce passage prouvera en outre que ce que j'ai dit en faveur de la publicité dans d'autres pays, était parfaitement exact. Le chef d'escadron d'artillerie, M. Penguilly l'Haridon, conservateur du musée d'artillerie, s'exprime ainsi :
« Le projectile du canon français ne présente aucun de ces inconvénients. Son forcement est artificiel ; il est entouré dans l'âme de la pièce par la flamme de la charge. Sa fusée prend feu naturellement comme par le passé. Rien n'oblige à des complications nouvelles.
« Le projectile Armstrong, dans son passage forcé par l'âme de la pièce, perd une partie de sa chemise de plomb, qui reste dans les rayures. Si la pièce s'échauffe, le plomb s'amollit et l'écrasement augmente. Tous les dix coups, on est obligé d'essuyer. Est-ce bien l'essuyer tout simplement ? N'emploie- t-on pas un certain racloir de fer pour chasser le métal engagé dans les rayures ?
« Le canon français n'offre rien de semblable, il n'y a ni encrassement extraordinaire ni soins particuliers à prendre. L'écouvillon suffit, comme autrefois, pour nettoyer la pièce. A Solferino, certains canons ont pu tirer trois cents coups sans qu'on fût obligé d'y toucher.
« Arrivons maintenant au tir lui-même, à sa portée, à sa justesse. Toutes les correspondances que nous recevons de Chine sont unanimes pour établir au moins l'égalité, si ce n'est la supériorité du canon français sous ces deux rapports. D'ailleurs, nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs les faits incontestés et incontestables qui viennent de se passer au camp de Châlons.
« On entoura de planches, dans la campagne, un rectangle de 50 mètres de large sur 75 de long : c'est l'espace couvert, sur le terrain, par un bataillon déployé en colonne par divisions, à distance de peloton. Puis on fit avancer le canon rayé, celui qui fait la guerre en Chine.
« De 1,800 mètres à 2,500, sur 150 coups, il y en eut constamment de 110 à 120 dans le rectangle.
« A 2,500 mètres, le projectile s'enterre ;
« A 1,800, il se relève, ricoche et fait un bond de 900 mètres.
« A 2,700 et 3,000 mètres, les résultats ne diffèrent pas essentiellement de ceux que nous venons de donner.
« Pour le petit obusier de montagne qui ne pèse que,100 kilogr. et fait la charge d'un mulet, le tir à 1,800 est le même que pour le canon rayé.
« Les généraux qui suivaient d'un œil attentif ce tir remarquable ont dû se demander où, désormais, on placerait les réserves ; à quelle distance l'infanterie serait obligée de déployer ses colonnes, etc., etc.
« Le projectile anglais est plus puissant que le nôtre. En effet, il pèse 11 livres et demie ; le nôtre, 8. Il donne 42 éclats à son explosion, sans compter le plomb qu'il conserve encore, son culot et sa calotte. Mais voyons où cette supériorité a entraîné.
« La force des gaz développés par l'inflammation de la poudre et qui chasse le boulet réagit avec une énergie égale sur la pièce elle-même et sur son affût. Plus le boulet sera pesant, plus cette réaction sera puissante ; plus, si l'on veut conserver une pièce légère, ce qui est le cas du canon Armstrong, il faudra donner de force et de résistance à l'affût, dont on est ainsi amené à augmenter le poids en raison de celui du projectile.
« Quant au caisson, il augmente aussi naturellement et son volume et son poids quand les charges augmentent. Le projectile, la charge, la pièce, l'affût et le canon se tiennent ensemble mutuellement liés par des lois communes et solidaires les unes des autres. On a voulu un projectile puissant, on a un matériel trop lourd. La supériorité de ses effets suffit-elle pour compenser un pareil inconvénient ? Nous ne le pensons pas. Dans la guerre et les armées modernes, la légèreté, l'extrême mobilité de la pièce de campagne nous paraissent de toute nécessité. Il faut qu'elle passe partout, qu'elle gravisse les pentes les plus rapides, qu'elle paraisse dans les endroits où on l'attend le moins. Ce sont là des qualités qui nous paraissent préférables aux effets plus ou moins destructifs d'un projectile.
« Dans l'expédition actuelle de Chine, on peut déjà apprécier la différence des deux systèmes. Lors de la prise de Peiho, les deux artilleries étaient en première ligne. Le colonel de Dentzman, qui commandait la nôtre, ouvrit son feu à 1,800 mètres et le continua en s'avançant par demi-batteries. C'est une manœuvre qui demande une certaine régularité d'exécution. Chaque demi-batterie cesse son feu, se porte en avant et le reprend à une distance déterminée par le commandement. Il ne faut pas, pour la bien exécuter, rencontrer de grands obstacles sur sa route ou du moins le matériel doit être assez léger pour n'en pas être arrêté. Il paraît, d'après tous les rapports que l'on a reçus, que ces mouvements se sont opérés sans grandes difficultés.
« Nos pièces étaient attelées de quatre petits poneys du Japon, qui suffisaient à tout, et cependant le terrain était mauvais. Nos hommes avaient de l'eau jusqu'à la cheville, comme le dit aussi le correspondant du Times.
« Dans ce moment, d'après les termes mêmes de la lettre que cite le Times, les pièces anglaises, embourbées jusqu'aux moyeux, tirées à huit chevaux, de grands chevaux, ne purent sortir des marécages qu'au moyen de cordes et de l'effort de tous les servants. »
L'honorable ministre de la guerre, messieurs, à plusieurs reprises, nous a affirmé que l'adoption de l'artillerie rayée dans l'armée française, à la veille de la campagne d'Italie, avait eu principalement pour but d'opérer un grand effet moral, sans que les généraux français eussent la moindre certitude de l'efficacité de la nouvelle invention. C'est là une erreur positive et l'analyse succincte d'un rapport du généra La Hitte nous donnera la preuve la plus absolue qu'en 1857 déjà, la puissance prodigieuse des canons rayés était connue, appréciée et employée en parfaite connaissance de cause.
Le général La Hitte, après avoir reçu communication de diverses inventions plus ou moins parfaites, résolut de poursuivre activement les expériences relatives à la transformation de l'artillerie, et comprenant pour de telles recherches la nécessité de sa propre direction, il s'adjoignit outre tous les officiers éminents placés sous ses ordres, le colonel Treuille de Beaulieu :
« Dès ce moment, les difficultés qui hérissaient la question s'aplanissent et les opérations d'essai se succèdent ; enfin, des expériences auxquelles on ne peut assister sans admiration, démontrent dans les pièces de siège un tir d'une justesse sans exemple jusque-là, et qui atteint une portée de six kilomètres environ (6,000 mètres.)
« Cette formidable artillerie était prête à faire ses preuves devant Sébastopol, quand, grâce à Dieu, la paix vint rendre son secours inutile du moins en Crimée.
Cependant, le général de la Hitte provoquait des études nouvelles et faisait appliquer le système rayé aux bouches à feu de campagne.
« Il adopta tout d'abord l'idée de l'empereur, celle de l'unité de calibre qui permet de se servir de son dernier canon et de brûler sa dernière cartouche. La base première ainsi fixée, il chargea encore M. Treuille de Beaulieu de faire les nouvelles bouches à feu, en partant de ce principe : un seul calibre et un seul projectile d'un poids déterminé.
« Après quelques mois et du premier coup on arriva à faire des bouches à feu qui lançaient avec une très grande justesse, à 5000 mètres, des projectiles beaucoup plus meurtriers que les boulets vulgaires. Ces (page 1104) mêmes projectiles atteignent, avec l'obusier de campagne, près de trois kilomètres de portée.
« Pour compléter son œuvre, le général a fait établir un matériel en rapport avec la nouvelle artillerie, matériel d'une si grande légèreté que le caisson et la pièce ne pèsent guère que 1200 kil., et que quatre chevaux suffisent pour l'attelage,
« En mai 1857, l'empereur, juge si compétent, voulut s'assurer par lui-même des résultats obtenus, et nomma, à la suite de sa visite au comité d'artillerie, M. Treuille de Beaulieu au grade de lieutenant-colonel.
« Le général, auteur de cette merveilleuse révolution opérée dans l'arme de l'artillerie, poursuivit son œuvre avec ardeur, et il confia à une phalange d'officiers zélés et distingués la mission de faire subir aux nouvelles bouches à feu des épreuves complètes de marche, de tir, et surtout de tir en brèche. En une seule année, le système du matériel rayé se trouva étudié, terminé et adopté. Dès 1857, l'artillerie perfectionnée frisait des preuves en Kabylie ; en ce moment elle les fait en Chine.»
Dans un autre document également de 1857 et de la même nature ; nous trouvons aussi l'explication du nouveau système et des données sur sa toute-puissance.
« Les calibres sont désormais réduits à deux : calibre de 12 ou de siège ; calibre de 4 ou de campagne. Nous ne parlons pas des cali bres de marine ni des mortiers à bombes, lesquels sont maintenus.
« Le boulet plein est entièrement supprimé. Il n'y a plus que des projectiles creux.
« Ces projectiles sont à double effet. Ils frappent comme le boulet plein et éclatent comme l'obus.
« Leur forme est conique. Ils sont munis d'ailettes de plomb qui s'engagent dans les rayures de la pièce et donnent au tir une précision jusqu'alors inconnue.
« La pièce de 12, destinée aux opérations de siège, remplace avec avantage tous les calibres monstrueux tour à tour préconisés et qui, tous sans exception, depuis la gigantesque coulevrine de Mahomet II, ce mastodonte de l'artillerie, jusqu'à l'énorme canon de Lancastre des Anglais, sont défectueux et témoignent de l'enfance de l'art.
« La pièce de 12 rayée remplace plus particulièrement la pièce de 24, qui est le calibre classiquement usité pour ouvrir la brèche. Voici avec quels avantages.
« Contre un massif de la plus forte maçonnerie, on a braqué une batterie de 24 (ancien) à la distance de 35 mètres, qui est celle à laquelle on ouvre le feu de brèche contre un rempart.
« Un second massif de maçonnerie, parfaitement semblable au premier, a été battu en brèche par une batterie de 12 (nouveau), mais à la distance de 70 mètres.
« Or, il a fallu à l'artillerie rayée moitié moins de coups pour ouvrir la brèche qu'à l'artillerie ancienne et à une distance double.
« Les projectiles pénétraient dans l'épaisseur du bloc de pierre et de ciment à une profondeur de 86 centimètres et faisaient explosion en ouvrant d'énormes entonnoirs.
« Et pour déployer cette terrible puissance de projection, il ne faut à la pièce rayée qu'une charge de poudre de 1,200 grammes. La pièce de 24 brûle 8 kilogrammes de poudre à chaque coup.
« Les avantages que présente la pièce de 4 ou de campagne sont encore plus remarquables.
« Cette pièce est si petite, si mignonne, qu'on pourrait l'appeler la carabine d'artillerie. Elle pèse moins de 300 kilogrammes, et six canonniers peuvent la transporter sans peine sur leurs épaules dans un pas difficile. Elle n'emploie à chaque coup que 500 grammes de poudre et lance son boulet à une lieue kilométrique.
« Sa précision est telle, qu'à la distance de trois mille cent mètres elle atteint facilement un homme à cheval. A cette distance, elle anéantirait un corps de cavalerie.
« La force d'explosion de son boulet creux est terrible. Pour en concevoir la mesure, on n'a qu'à se rappeler la catastrophe déplorable qui a mis fin aux jours du général Ardent. Cet officier fut, on s'en souvient, atteint par un éclat de projectile qui le frappa à la tempe au moment où il regardait à travers une fente presque linéaire pratiquée dans une épaisse muraille. Le boulet-obus éclatait à 60 mètres au moins, et l'éclat, ou plutôt la parcelle, qui frappa le général, était d'une exiguïté excessive. Cependant le crâne de la victime fut circulairement brisé dans tout son pourtour, et la mort immédiate. »
Vous voyez, messieurs, que je ne suis pas seul à trouver que le recul de la pièce a une certaine influence sur la culasse, Je me retranche derrière l'opinion d'un officier d'artillerie, et je m'y crois aussi bien que derrière l'opinion de l'honorable général Chazal.
Sir William Armstrong lui-même, dans son dernier discours aux arquebusiers de Londres, déclare qu'il est parfaitement inutile de diminuer le poids du canon, parce qu'on doit se rabattre alors sur le poids de l'affût et qu'on arrive au même résultat sous le rapport de la légèreté de l'ensemble.
Je crois, messieurs, vous en avoir dit assez pour prouver la toute-puissance du canon rayé français, et je vous ai démontré qu'il était bien loin d'être, comme on l'a prétendu, inférieur au canon prussien.
En présence de semblables effets produits par les nouveaux engins de guerre, en présence des nouveaux progrès que chaque jour fait l'artillerie, n'est-on pas en droit de se demander si bientôt nous n'en arriverons pas à regretter plus encore d'avoir sacrifié tant d'argent aux fortifications d'Anvers ?
La portée illimitée en quelque sorte, la justesse du tir des armes nouvelles permettront d'écraser toute place sans grand dommage pour l'assiégeant, et la ruine immédiate de toute ville enfermée dans des remparts quelque étendus qu'ils soient sera la première conséquence du siège.
L'honorable général Chazal nous disait, dans la séance de vendredi dernier, que s'il pouvait nous parler comme parle le ministre de la guerre d'Angleterre, s'il pouvait compter les millions par centaines, parler d'armements considérables, il ne reculerait devant aucune communication.
Mais, messieurs, c'est réellement là un argument qui n'est fondé sur rien, puisqu'il a cherché d'abord à nous prouver que les grandes puissances elles-mêmes dérobent le plus possible leur situation militaire et qu'il n'abandonne sa thèse qu'alors qu'elle est prouvée tout à fait erronée.
Est-ce que la Suisse, la Hollande sont, d'ailleurs, de grandes puissances ?
Elles non plus ne cachent rien.
J'aurais préféré qu'à côté de cette admiration si grande pour la force l'honorable ministre de la guerre eût prouvé un peu moins de dédain pour le plus faible.
Ne nous a-t-il pas montré ces pauvres Suisses parcourant l'Europe embarrassés de leur mauvais canon Armstrong et recevant enfin l'hospitalité en Belgique ? L'honorable général y devient leur bon ange, leur explique qu'on les a trompés et profite de l'occasion pour leur vendre dix mille vieux fusils à silex, dont ils sont enchantés.
Puis quand je cite des passages du discours d'un honorable ministre hollandais, homme de grand mérite et compétent plus que bien d'autres dans la matière qui nous occupe, puisqu'il est officier d'artillerie, l'honorable baron Chazal ne vient-il pas invoquer une lettre mystérieuse, qui lui donne les moyens de dénaturer le sens et la portée des paroles prononcées dans la Chambre néerlandaise. II paraîtrait que nos voisins du Nord, imitant les grenouilles de la fable qui fatiguées de leur soliveau, demandent à Jupiter un autre roi, sont au regret d'avoir un ministre de la guerre à bon marché et qu'ils demandent, à grands cris un disciple du général Chazal, qui sous prétexte d'établir un système de concentration des forces militaires, trouverait moyen de dépenser grand nombre de millions.
On a parlé aussi de la transformation des fusils, et j'ai appris avec étonnement que la transformation des fusils pour la garde civique était impossible, puisque ce serait transformer une arme déjà très mauvaise en une arme plus mauvaise encore.
Mais, messieurs, d'abord la transformation d'un fusil rayé ne coûte pas 17 francs, comme l'a dit l'honorable général ; le canon d'un fusil rayé neuf peut coûter cette somme ; mais la transformation de l'arme ne coûte que 5 à 6 francs.
Envisageant la question de l'armement de la nation sous un point de vue général, nous avons adressé dans la section centrale une question à M. le ministre de la guerre. Nous lui avons demandé ce qu'il croyait nécessaire pour compléter l'armement de notre infanterie et de notre cavalerie, ainsi que pour mettre l'armement de la garde civique en bon état. Aucune réponse ne nous a été faite pour cette dernière partie de la question, on n'a pas même daigné nous dire d'aller frapper à la porte de M. le ministre de l'intérieur pour en obtenir des renseignements.
On convoque les commissions, on offre des prix pour une bonne carabine, mais ainsi que je l'ai déjà dit, ne vaudrait-il pas mieux donner à la milice citoyenne des armes comme à nos soldats, et si vous avez des fusils pour en vendre aux Suisses, remettez-en donc quelques milliers à nos concitoyens qui ne sont pas armés.
Messieurs, à propos de ces ventes de fusils, parfaitement régulières (page 1105) du reste, je m'étonne qu'elles n'aient pas attiré plus tôt l'attention de la législature.
En définitive, ou ces fusils ne valent rien et alors les Suisses sont bien bons de s'en contenter, ou ils valent quelque chose.
Quand notre armement est incomplet, et je prouverai tout à l'heure qu'il l'est, pourquoi ne pas garder ce que nous avons jusqu'à ce que nous ayons quelque chose de meilleur ? Ne nous parle-t-on pas toujours de menaces immédiates de guerre immédiate ?
Gardons ce que nous avons jusqu'à ce que nous ayons fait ce que nous n'avons pas encore. Avec cette facilité de vendre le vieux matériel, qu'est-ce qui me prouve qu'on ne vendra pas aussi les canons qui pourraient encore servir lorsque l'on aura adopté un nouveau système ?
Cette vente de vieux matériel est une aliénation des biens de l'Etat. C'est un transfert sourd, et pas autre chose.
Messieurs, la manière dont on a traité la section centrale devait nécessairement amener une discussion irritante.
J'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour rester dans le calme le plus profond et je dois au moins y avoir réussi en partie si j'en juge par l'attention que vous avez bien voulu me prêter, mais enfin pourquoi nous avoir traités comme incapables de faire ce que les sections centrales de tous les temps ont toujours fait ? Pourquoi nous avoir dit : Vous ne saurez pas, ce que vous disiez à toute la Chambre ? Pourquoi nous avoir dit : Nous vous traitons comme des gens qui font une opposition systématique, et nous avoir refusé communication de pièces que vous donniez à la Chambre ?
Est-ce parce que vous avez craint que nous ne contrôlions les documents et qu'au moyen de ces recherches, une fois que nous aurions un fil conducteur, nous pourrions découvrir autre chose ?
Je ne vois en définitive aucun autre motif.
Quand en section centrale on refuse de faire connaître le nombre des armes qui se trouvent en arsenal et tout ce qui constitue notre défense militaire, on fait ce qu'on n'a jamais fait, ce qu'on n'a pas le droit de faire, car ces documents sont en notre possession et nous n'avons qu'à donner un ordre pour qu'on nous les communique. Vous ne pouvez vus soustraire à l'examen de la cour des comptes, et s'il me plaît, comme je l'ai fait, d'y aller chercher l'état de notre armement, je l'obtiendrai.
Epargnez donc à la législature une injure gratuite, épargnez-vous des reproches parfaitement fondés, car en définitive si vous, ministre, militaire expérimenté, vous invoquez les règlements militaires qui vous défendent de communiquer certains documents, n'oubliez pas que la loi suprême de votre pays ordonne de ne pas les dérober au contrôle de la représentation nationale.
J'ai dit, messieurs, dans la première partie de la discussion, que le crédit qu'on nous demandait n'était pas destiné uniquement à la transformation de notre artillerie.
J'ai dit qu'on jetait la confusion dans les demandes de crédit afin d'en disposer selon le bon vouloir du département de la guerre et j'ai dit qu'on produisait des informations erronées pour tromper la chambre. (Interruption.) On nous a bien accusé d'avoir trompé. On est venu nous dire que dans le crédit demandé il y avait 4 millions pour compléter notre matériel d'artillerie dont la nécessité avait été en quelque sorte décidée et invoquée par des hommes auxquels on ne pouvait rien répondre.
On invoque pour me l'opposer l'opinion du général Goblet et d'autres encore.
Le général Goblet n'a-t-il pas déclaré qu'il fallait 4 millions pour compléter le matériel d'artillerie ? me reproche-t-en à tout instant.
Oui, à une époque qui est loin de nous ; et ces 4 millions vous les avez obtenus et dépensés ; je vais le prouver.
En 1857, l'honorable M. Thiéfry était chargé par la Chambre de faire un rapport sur un créait demandé pour le matériel du génie et de l'artillerie.
Dans ce rapport il est constaté d'abord qu'alors on n'a pas refusé une seule pièce à la section centrale, qu'on lui a communiqué les documents les plus intimes, les plus complets et qu'on n'osait pas alors venir nous demander des millions sans nous dire ce qu'on voulait en faire ; chiffre par chiffre, total par total, tout a été livré.
Il a donc été établi là d'une manière irréfutable qu'il fallait encore, pour compléter notre matériel d'artillerie à la suite des nombreux crédits extraordinaires déjà obtenus antérieurement, 3,919,419 fr., chiffre rond, 4 millions.
Voilà les quatre millions invoqués, car ce projet n'a pas été discuté. Les événements de mai ayant dissous la majorité et renversé le gouvernement, ce projet est resté avec d'autres dans l'oubli.
Depuis lors qu'a-t-on fait ?
Depuis qu'il a été constaté qu'il fallait quatre millions pour compléter d'une manière absolue, radicale, notre matériel d'artillerie, on y a dépensé 6,695,277, c'est-à-dire qu'on vient nous dire aujourd'hui que ces 4 millions sont encore à donner, quand on a dépensé 3 millions de plus.
Ainsi on a obtenu en 1858, on a dépensé sur des crédits alloués 1,995,953-09 ; en 1Ï859 fr. 3,608,633-96, et en 1860 fr. 1,160,727. Total fr. 6,693,277. En décembre 1860, 600,000 fr. par voie de transfert ont encore majoré ce chiffre.
Ainsi donc, messieurs, notre matériel qui en 1857 manquait de 4 millions pour être complet en a dévoré plus de 7 et on déclare encore qu'il n'a rien eu, et qu'il lui faut toujours ces quatre millions qui se multiplient comme les pains dans le désert.
En employant les deniers de l'Etat de cette manière, en en faisant un abus aussi extraordinaire, comment voulez-vous que nous répondions à la confiance de nos mandataires, lorsqu'ils nous demandent quel contrôlé nous avons exercé sur les dépenses du gouvernement ?
On a déjà répété, à différentes reprises, qu'on avait fait de grandes dépenses pour compléter l'armement de l'infanterie-.
Le rapport de l'honorable M. Thiéfry constate qu'en 1857 il manquait encore 2,212,516 francs pour compléter cet armement en armes portatives.
En 1851 on avait établi "qu'il manquait 2,577,114 francs, de sorte qu'en six ans, après avoir obtenu de très gros crédits, après avoir arraché à la législature des sommes énormes sous le prétexte de remplir nos arsenaux d'une manière complète, on avait trouvé moyen de dépenser pour armer l'infanterie une somme de 364,000 francs seulement.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour recueillir ces renseignements et je n'ai pas eu la possibilité de savoir ce qu'on a dépensé en fusils depuis 1857, mais je le saurai.
Vous le voyez, messieurs, tout ce que j'ai dit de l'abus qu'en faisait de la confiance qu'on inspirait à la Chambre pour obtenir sans contrôle des crédits est vrai ; tout ce que je vous ai dit de la voie ruineuse dans laquelle on entraîne le pays, est vrai, et en vous menaçant de charges financières énormes, j'étais dans le vrai, car à la manière dont va le département de la guerre, plus vous lui accorderez, plus il se montrera exigeant.
La Chambre, messieurs, doit être fatiguée.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! A demain.
- La séance est levée à 4 heures et demie.