(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1071) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Simenes, décoré de la croix de Fer, ancien employé au chemin de fer de l'Etat, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Biron, ancien gendarme, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur L.-T. Bavay, sabotier à Halleux, né à Obies (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Crabbe, ancien gendarme, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relatives à la pension des gendarmes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Fafchamps fait connaître qu'il a trouvé un moyen de transformer, d'après le système hollandais, les canons en fonte de fer comme ceux en bronze, acier fondu, fer forgé et autres métaux, et appelle l'attention de la Chambre sur sa pétition du 8 février dernier signalant, entre autres, la défectuosité du tir des mortiers lançant 70 boulets de 3. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au crédit extraordinaire au département de la guerre.
« Les employés expéditionnaires à l'administration provinciale du Brabant demandent que leur position soit améliorée. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« M. de Portemont demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - L'honorable M. Dolez, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
Il déclare que, s'il était présent à la Chambre lors du vote, son vote serait approbatif.
- Le congé est accordé.
M. Magherman dépose sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant la confection des tables décennales des actes de l'état civil.
Ce projet de loi présentant un certain caractère d'urgence, je proposerai à la Chambre de le porter à l'ordre du jour immédiatement après l'objet actuellement en discussion.
M. Muller. - Il doit y avoir deux rapports, car il y a deux exposés des motifs, l'un du département de la justice et un autre du département de l'intérieur.
- Plusieurs membres. - De quoi s'agit-il ?
M. Magherman. - Messieurs, il s'agit des tables décennales des actes de l'état civil. Cet objet présente un certain caractère d'urgence parce que ces tables doivent être achevées pour le 1er juillet prochain ; du moins c'est ce qui résulte de l'exposé des motifs présenté par le gouvernement.
Le gouvernement a également, lorsqu'il a déposé ce projet de loi, témoigné le désir que la Chambre s'en occupât incessamment.
M. le président. - La proposition est de fixer la discussion de ce rapport immédiatement après l'objet dont nous nous occupons en ce moment.
M. Muller. - Je demande alors que la section centrale chargée d'examiner le projet de loi du département de l'intérieur relativement au même objet et qui demande un crédit a cet égard soit convoquée le plus tôt possible pour que les deux objets puissent être soumis en quelque sorte simultanément à la Chambre.'
M. le président. - C'est au président de cette section à décider de cela. Par conséquent il prendra les diligences nécessaires.
M. Carlier. - Il me semble que jusqu'au moment où le rapport dont vient de parler l'honorable M. Muller sera déposa, on pourrait laisser de statuer sur la demande de l'honorable rapporteur.
Un des objets les plus urgents sans contredit c'est le Code pénal.
M. le ministre de la justice a fortement insisté pour que cet objet pût être traité aussitôt que la question d'armement aurait été vidée.
La Chambre a fait droit à cette demande, et elle a fixé le Code pénal comme objet d'urgence à la suite de la discussion actuelle.
Faire passer avant l'objet dont vient de parler l'honorable M. Magherman, ce serait revenir sur un vote émis précédemment par la Chambre et je crois que l'urgence n'existera réellement que lorsque les deux rapports étant déposés la Chambre pourra s'en occuper avec fruit.
M. le président. - On pourrait remettre la décision sur cette question au moment où sera déposé le second rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il me reste, messieurs, à vous entretenir des détails techniques de la transformation de notre système d'artillerie. J'y suis d'autant plus obligé que la minorité de la section centrale n'a pas négligé de s'occuper de ces détails, tout en déclarant que son intention n'est pas de les discuter.
La note de la minorité renferme presque tous les motifs d'opposition qui ont été formulés dans cette enceinte et même dans la presse. Vous avez pu remarquer, en effet, messieurs, que le discours de l'honorable M. Goblet et celui de l'honorable M. de Gottal ne sont en quelque sorte qu'une seconde édition augmentée de la note de la minorité et des griefs articulés en dehors.
Je suivrai donc cette note, paragraphe par paragraphe, afin, comme je le disais hier, de ne laisser debout aucun des arguments qu'elle renferme.
« Le système du chargement des canons par la culasse, à projectiles forcés, a toujours, dit la minorité, offert de nombreux inconvénients par suite de la difficulté de reconstituer la culasse, enlevée momentanément, pour opérer l'introduction de la charge. Afin de remplacer la solidité inhérente au canon d'une seule pièce, il a fallu avoir recours à un mécanisme compliqué. »
Eh bien, messieurs, si la minorité de la section centrale avait vu un seul de ces canons, bien loin d'en trouver le mécanisme compliqué, elle le trouverait d'une simplicité extrême et d'une solidité à toute épreuve.
Ce n'est pas la difficulté de replacer la culasse mobile du canon qui a fait que le système de chargement par la culasse n'a pas été adopté de préférence à tout autre. De tout temps, les artilleurs ont compris que ce mode de chargement doit avoir d'immenses avantages, qu'il doit donner une plus grande portée et une plus grande précision de tir. A toutes les époques, depuis l'invention de l'artillerie, on a essayé du chargement par la culasse ; on l'a employé à plusieurs reprises ; mais, il est vrai de le dire, toujours sans succès jusque dans ces derniers temps.
Vous trouverez dans les musées d'artillerie des pièces de toutes les époques se chargeant par la culasse, et, ce qui est plus extraordinaire, des pièces très anciennes, remontant à l'invention des canons, et qui sont des pièces rayées.
Ceci prouve une fois de plus, messieurs, qu'il n'y a presque rien de nouveau sous le soleil. Mais voici pourquoi on a successivement abandonné et repris le système du chargement par la culasse ; c'est que, à l'époque où l'art de travailler les métaux n'avait pas encore fait les progrès qu'il a réalisés depuis, on ne parvenait pas à obtenir un moyen d'obturation complète, un moyen qui permît de fermer hermétiquement les joints qui existent entre la culasse mobile et le cylindre du canon. Lorsque la poudre s'enflamme, les gaz qu'elle produit s'introduisent dans les moindres joints, et comme ils ont une température et une pression très considérables, ils corrodent ces joints et les agrandissent bientôt au point de mettre la pièce hors de service.
Tels sont les motifs pour lesquels on a abandonné autrefois le chargement par la culasse, malgré ses incontestables avantages. Mais dans ces derniers temps, les progrès réalisés dans le travail des métaux ont fait découvrir divers moyens d'obturation complète ; on en a trouvé trois entre autres qui ne laissent absolument rien à désirer : (page 1072) celui que les Anglais ont appliqué à leur système d'artillerie Armstrong, celui que les Prussiens ont adopté, enfin un autre que les Suédois avaient introduit à peu près les premiers et que nous avons perfectionné.
Ces trois systèmes obturent complètement, et, sous ce rapport, nous pourrions dire aujourd'hui que nous avons trois cordes à notre arc, trois moyens d'obturation comparés entre lesquels nous pouvons choisir, de façon qu'il n'y a aucun inconvénient à adopter aujourd'hui le chargement par la culasse.
Comme je me doutais que ce serait une des principales objections qu'on ferait au chargement par la culasse, j'ai voulu savoir ce qu'il pouvait y avoir de vrai dans cette assertion de quelques journaux que ce système n'était pas solide ; je ne me suis pas contenté des expériences faites au dehors ; nous avons fait nous-mêmes des nombreuses expériences, des expériences dont les résultats ont été tout à fait décisifs.
Depuis de nombreuses années, notre artillerie s'était occupée du système Wahrendorff. Dès son apparition, nous fîmes des essais sur un canon de 24 du système suédois. Ces premiers essais ne réussirent pas, l'appareil était trop faible pour notre charge de guerre et l'obturation était défectueuse. Mais au lieu d'abandonner le système, nous nous sommes appliqués à le perfectionner, et le but a été pleinement atteint par nos officiers d'artillerie.
Nous avons fini par trouver un moyen d'obturation complète avec un mécanisme qui fonctionne très bien, aussi bon, meilleur, selon moi, que tous ceux connus jusqu'à présent.
J'ai ordonné, avant d'adopter le chargement par la culasse, la construction d'une pièce en fonte de fer, d'après le système suédois perfectionné. Vous savez que les pièces en fonte ordinaires sont celles qui offrent le moins de résistance ; que quand elles ont tiré de mille à douze cents coups, elles sont arrivées au terme de leur existence ; souvent même ces pièces ne font pas un aussi long usage et elles éclatent après un bien moins grand nombre de coups.
Vous avez entendu dire bien des fois que ces pièces éclatent fréquemment ; on craignait aussi que le chargement par la culasse ne s'adapterait pas à la fonte, et qu'il faudrait renforcer cette espèce de bouches à feu par un cerclage en fer ou en acier, ce qui occasionnerait une très forte dépenses. On a dit d'autre part que les canons de gros calibre ne supporteraient pas le chargement par la culasse ; que celle-ci, trop délicate, ne résisterait pas à l'effet de la charge des gros calibres.
Eh bien, j'ai fait faire une pièce de gros calibre et en fonte, une pièce de 24.
Lorsqu'elle a été faite, j'ai ordonné de l'essayer avec les différents systèmes d'obturation. Je me suis rendu moi-même au polygone de Brasschaet avec l'inspecteur général de l'artillerie, le colonel chef de la division d'artillerie au département de la guerre, le directeur de la fonderie de canons, le directeur de l'école de pyrotechnie et plusieurs autres officiers.
En présence de tous ces hommes spéciaux, la pièce a tiré 3OO coups, on lui a fait tirer en un seul jour 300 coups en ne donnant aux servants que le temps de repos nécessaire au repas.
Après cette épreuve cette fausse culasse qu'on vous dit si fragile, si délicate, n'avait subi aucune altération. Tout l'appareil était aussi intact qu'après le premier coup.
Quant à l'affût de ce système, affût en fer qu'on essayait en même temps, il fonctionnait avec une facilité, une exactitude irréprochable, et après chaque coup on voyait cette énorme pièce se remettre d'elle-même instantanément en batterie.
Il aurait fallu avec une pièce de canon du même calibre, se chargeant par la bouche, les forces réunies de huit hommes, pour remettre après chaque coup la pièce eu batterie. On comprend le temps et les efforts qu'exige cette seule opération.
Avec l'affût en fer du système Wahrendorff et le chargement de la pièce par la culasse, un seul homme, à la rigueur, pourrait servir une pièce de 24 et entretenir un feu suffisamment nourri. Avec le système du chargement par la bouche, cela serait impossible ; il faudrait au moins huit hommes.
Lorsque la pièce eut tiré 600 coups, ce qui paraissait à quelques officiers une épreuve suffisante, je voulus aller plus loin. Comme nous avions plusieurs systèmes d'obturateurs à essayer, obturateurs perfectionnés ou modifiés par nos officiers, j'ai ordonné que cette même pièce continuât son tir et fît en même temps l'essai de ces obturateurs.
Tous n'étaient pas aussi bons les uns que les autres. Quelques-uns laissèrent échapper du gaz et il se produisit quelques petites érosions sans grande importance. Nonobstant on tira encore 400 coups et la fausse culasse resta toujours aussi intacte, aussi facile à manier qu'après les premiers coups.
M. Nothomb. - Quelle était la charge !
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - La grande charge de guerre, 3 kilogrammes de poudre et un boulet ; cette remarque est essentielle, j'oubliais de vous le dire.
Voyant la pièce et son appareil de fermeture se conduire si bien, j'ordonnai de poursuivre encore les expériences, bien que plusieurs officiers fussent d'avis que la question était triomphalement décidée. On a fait tirer à cette pièce 2,000 coups et, chose extrêmement remarquable et satisfaisante, tout l'appareil de fermeture est resté dans le même état et prêt à soutenir toute nouvelle épreuve qu'on voudrait faire.
Remarquez, messieurs, que cette pièce est en fonte, non cerclée, qu'elle a tiré 2,000 coups avec une charge de 3 kilog., et qu'elle est encore parfaitement en état de continuer à tirer ! Aucune de nos pièces de 24 en fonte se chargeant par la bouche ne supporterait une semblable épreuve. Toute notre artillerie sait cela.
Voilà donc ce qui en est de ce mode de fermeture si délicat, si difficile à établir.
L'honorable M. de Gottal disait qu'on n'avait fait aucune expérience, qu'on s'était contenté pour toute expérience d'essayer quelques canons prussien venu par le chemin de fer. Il n'y a qu'une difficulté à cela, c'est qu'il n'est pas venu un seul canon prussien en Belgique ; nous n'avons commande que quelques blocs d'acier.
Toutes les pièces du canon que nous avons essayé ont été faites à notre fonderie de canon avec nos éléments propres ; rien n'est venu du dehors.
Le second paragraphe des observations de la minorité porte :
« Il est facile, en effet, de comprendre toute l'étendue de la difficulté qu'il s'agissait de résoudre d'une manière pratique, en réfléchissant à la toute-puissance de l'effort que doit supporter cette culasse devenue mobile. II est évident que plus le boulet a de peine à se frayer un chemin dans l'âme rayée du canon, plus le choc que reçoit la partie postérieure de l'arme est considérable. »
Ce que je viens de vous dire répond à ce paragraphe et démontre combien l'arme résiste facilement au choc.
Cependant il y a là une erreur que je tiens encore à relever ; c'est que le chargement par la culasse ne rend pas le choc plus fort que le chargement par la bouche. Le projectile garni d'une chemise en plomb glisse avec une facilité extrême dans les rayures. Le plomb, métal très malléable, se prête avec facilité à toutes les formes. Les tenons en zinc du système français présentent au contraire une résistance beaucoup plus grande.
Ensuite, dans le canon rayé se chargeant par la culasse, il faut une charge beaucoup moins grande.
Il résulte de l'expérience que les dimensions de ce même appareil de culasse, résistant bien au tir des obus emplombés de 24 avec la charge de 1/12 de leur poids, ne résiste pas à notre charge de guerre de 3 kil. lançant le boulet ordinaire. Ainsi le tir des canons rayés de 24 met l'appareil de culasse à une épreuve moins rude que ne le fait le tir de nos anciens boulets avec la charge de guerre.
La charge des canons rayés peut être beaucoup moins forte et cela par une raison fort simple : c'est qu'en chargeant un canon par la culasse on peut introduire avec une grande facilité un boulet garni d'un métal mou ayant juste et même un peu plus que le calibre du cylindre du canon, et la charge de poudre est alors employée tout entière. Pas un atome du gaz produit par la poudre ne peut s'échapper entre le boulet et les parois de l'arme, tandis que quand on charge par la bouche il faut nécessairement des boulets plus petits et dès lors une notable partie du gaz qui résulte de l'inflammation de la poudre s'échappe de toutes parts autour du boulet, et loin de contribuer utilement à l'impulsion du projectile, produit une perturbation nuisible non seulement au mouvement du projectile, mais aussi à la bouche à feu elle-même.
Voilà pourquoi l'on emploie une charge moindre pour les canons qui se chargent par la culasse. Mais ce n'est nullement parce qu'on redoute le choc pour la culasse, c'est parce que, si l'on mettait plus de poudre l'excédant serait dépensé nuisiblement sur le canon lui-même, briserait le projectile ou le forcerait hors des rayures en coupant les saillies directrices.
On nous a parlé, messieurs, des affûts en fer, et l'honorable M. Goblet a dit :
« Comment ! On veut des affûts en fer ! Mais les affûts en fer se brisent avec la plus grande facilité ! »
(page 1073) A cela il n'y a qu'une seule réponse à faire, c'est qu'il n'est nullement question d'affûts en fer pour les pièces mobiles. On n'y songe pas le moins du monde. Les affûts en fonte adoptés sont des affûts de pièces de position, abritées dans les casemates.
Ces affûts, messieurs, permettez-moi de le dire, sont d'ailleurs considérés comme étant d'une facilité, d'une simplicité parfaites, d'une solidité qui résiste à toutes les épreuves.
Quant à être brisés par les projectiles de l'ennemi, c'est impossible ; ils sont parfaitement à couvert dans les casemates et ils ne pourraient être atteints que sur quelques centimètres de hauteur visible par des coups de front auxquels les canons eux-mêmes, ni aucun genre d'affût ne peuvent être soustraits tant qu'ils doivent tirer sur l’ennemi.
Poursuivons l'examen de la note de la minorité de la section centrale :
« Dans les armes portatives, dit-elle, cette difficulté, plus facile à vaincre puisque l'on trouve des éléments de résistance dans le bois formant la crosse du fusil et l'épaule de l'homme, est cependant encore tellement grande, qu'il n'est pas admis, jusqu'à présent, dans les armées européennes, que l'on puisse substituer utilement à l'arme se chargeant par la bouche un fusil se chargeant par la culasse. »
Messieurs, ces mots : « trouvent un point d'appui pour la culasse du fusil dans le bois et dans l'épaule de l'homme », m'ont paru extraordinaires. Tous les artilleurs, tous, sans exception, comme beaucoup d'entre vous, qui ont des fusils de chasse, Le faucheux, ou autres, peuvent parfaitement apprécier si la culasse n'est pas retenue par le canon et si la crosse du fusil et l'épaule de l'homme y ajoutent la moindre force de résistance.
La crosse et l'épaule ne servent qu'à modérer le recul ; elles font l'office de l'affût pour la pièce de canon.
Si beaucoup d'armées n'ont pas adopté le chargement par la culasse pour le fusil, croyez-vous, messieurs, que ce soit pour la motif indiqué par la minorité de la section centrale ? Pas le moins du monde. Mais il aurait été impossible de fournir aux soldats une quantité de munitions suffisante pour des fusils se chargeant aussi facilement. Il a été constaté que les soldats, surtout les jeunes, lorsqu'ils sont en présence de l'ennemi, font une consommation énorme de munitions et une des grandes difficultés de la guerre consiste à transporter les munitions en quantité suffisante.
Les soldats sont toujours tentés de faire feu prématurément quand ils sont en présence de l'ennemi, et les officiers ont toutes les peines du monde, même avec les meilleures troupes, d'empêcher ce feu de se produire.
L'illustre général Desprez, quand il était chef de notre état- major, quelque temps après la première expédition de l'Algérie, nous a raconté maintes fois que, dans cette expédition, on avait dépensé une notable partie des munitions de l'armée, avant d'avoir tué un seul Arabe. Voilà ce qui se passe dans toutes les guerres.
Les écrivains militaires de tous les pays ont constaté le même fait, à savoir que la quantité de plomb qu'il faut pour tuer un homme est énorme.
Passons au paragraphe suivant de la note.
« Un des rares essais qu'on ait faits de ce mode de chargement pour les armes de guerre portatives, a eu lieu également en Prusse, où le fusil à aiguille, tout aussi pompeusement vanté à son apparition, est tombé dans le plus profond discrédit. »
Messieurs, je crois que l'armée prussienne sera fort étonnée d'apprendre le profond discrédit dans lequel est tombé son fusil. On a fait en Prusse des essais avec différentes espèces de fusils rayés. A la suite de ces essais, la Prusse qui n'avait donné le fusil dont il s'agit qu'à ses compagnies d'élite et à ses corps spéciaux, a été si satisfaite de ce fusil qu'elle vient d'en armer toute son infanterie. Et, chose bien plus remarquable, car on dirait que l'argument est créé pour la circonstance, c'est que plusieurs Etats de la confédération germanique ont tout récemment adopté le fusil prussien.
Ce fusil n'est donc pas tombé dans le discrédit profond que signale la minorité de la section centrale.
Je conçois que le fusil prussien puisse être favorable pour armer des soldats flegmatiques, froids ; je comprends que de très vieilles troupes puissent se servir avantageusement de cette arme-là ; mais je ne conseillerais pas son adoption à une nation qui a des soldats jeunes, non habitués au feu.
Je n'en préconiserais pas l'emploi pour nous, loin de là ; mais je dis que ce fusil présente de grands avantages et peut convenir à certaines troupes.
« Les inventeurs, poursuit la minorité, ou ceux qui ont perfectionné les canons à boulets forcés, se chargeant par la culasse, ont dû nécessairement tenir compte de cette objection si sérieuse faite à leur système, et n'ont pu la résoudre qu'en réduisant la charge, d'une manière extraordinaire, et en donnant, dans certains cas, un poids énorme à leurs engins. »
J'ai expliqué tout à l'heure pourquoi on avait réduit la charge. Reste l'objection du poids plus grand qu'on est obligé de donner au canon.
Eh bien, une preuve encore que la minorité de la section centrale a été mal renseignée, c'est que les canons se chargeant par la culasse sont plus légers, ont moins de poids que les autres.
Continuons :
« Dans le système anglais, comme dans le système allemand, il a fallu en outre se préoccuper d'un autre inconvénient, qui résulte de la nature du projectile. Composé d'un obus, en tout ou en partie recouvert d'une chemise de plomb, il subissait souvent un impulsion trop forte, qui amenait la séparation des deux métaux à la sortie de la pièce ou dans la pièce elle-même. »
Messieurs, quand nous avons commencé nos essais, nous n'avions pas tous les renseignements nécessaires, nous avons fabriqué un certain nombre de projectiles d'essai et il y a eu effectivement quelques chemises qui se sont détachées ; mais depuis que nous travaillons sur des données exactes, cette séparation n'est plus possible.
En Angleterre on avait dit mille choses et l'honorable M. Goblet nous a cité le discours de M. Baring dans lequel il a été question de la séparation de l'enveloppe en plomb des projectiles Armstrong pendant la guerre de Chine.
Je crois que le traducteur dont s'est servi l'honorable M. Goblet l'a induit en erreur, car M. Baring proteste contre cette assertion. Il dit que lors même que se présenterait l'inconvénient signalé rien ne serait plus simple que d'y remédier.
Dans le discours qu'il a prononcé au banquet des arquebusiers à Londres, sir William Armstrong a affirmé qu'il est facile de prévenir la séparation du boulet et de son enveloppe, à tel point qu'on pourrait parvenir à donner à l'assemblage de ces objets une solidité excessive.
Sir William a cité à ce propos une lettre, dont il était autorisé à faire usage, et dans laquelle le chef d'état-major Hay, chargé de suivre les opérations de l'artillerie en Chine, lui déclare que ce qu’on a rapporté du déchirement de l'enveloppe des boulets était entièrement controuvé. Cet officier supérieur en donne pour preuve qu'au Peïho, les canons Armstrong n'ont pas cessé de tirer, même pendant que les troupes montaient à l'assaut. Voilà donc un fait complètement démenti.
Remarquez d'ailleurs, messieurs, que les projectiles que nous avons adoptés ne sont pas ceux de sir W. Armstrong, et ne doivent par conséquent pas présenter nécessairement les défauts vrais ou supposés de ces derniers. L'adhérence de la chemise de plomb dépend de la méthode employée pour la fixer.
L'arrachement du plomb ne s'est pas présenté non plus en Prusse, et nous pouvons garantir qu'il ne se présentera pas chez nous avec le projectile que nous avons adopté.
On a dit aussi, et cela a été imprimé partout, qu'il se produisait une action galvanique sur les boulets pourvus d'une chemise en plomb.
Mais, messieurs, s'il y a deux métaux entre lesquels il ne peut pas y avoir d'action galvanique, c'est certainement le plomb et le fer.
Une preuve convaincante, messieurs, c'est que dans les plus vieux monuments grecs et romains, dans nos vieilles cathédrales, dans nos beffrois, les pierres sont reliées avec du fer scellé au plomb.
Or, vous savez, messieurs, que la durée de ces scellements est illimitée. Examinez les constructions, voyez la grille du parc, partout le fer et le plomb se marient sans qu'il en résulte une action galvanique quoique ces scellements soient exposés à toutes les intempéries.
Mais comme je tenais à savoir s'il y a quelque apparence de fondement dans l'opinion qui avait été émise, je me suis adressé au chimiste le plus distingué de notre pays, à M. Stas. Ce savant m'a remis un mémoire dans lequel il s'étonne qu'une pareille opinion ait pu se produire, attendu que le contact du fer et du plomb ne peut donner lieu à une action galvanique. Si une telle action est possible, il me paraît qu'elle doit plutôt s'exercer sur le projectile français qui se compose de deux métaux susceptibles de la développer.
Mais, messieurs, permettez-moi de vous faire remarquer que quand même l'action galvanique se produirait au contact du fer et du plomb, nous pourrions en éviter les inconvénients, attendu que les projectiles ne doivent pas être enveloppés de plomb à l'avance.
Le coulage des enveloppes est si simple que quelques hommes peuvent l'effectuer en un jour sur des centaines de projectiles.
(page 1074) Les projectiles français n'offriraient pas la même facilité. Ils doivent être faits complètement d'avance.
Leur fabrication est minutieuse et leur conservation est difficile parce que le moindre choc déforme les tenons.
Or, quand cette déformation est sensible, le projectile ne peut plus entrer dans la pièce, attendu que les tenons doivent correspondre très exactement aux rayures de l'âme.
Le système de projectile que nous avons adopté présente donc un avantage immense.
La note de la minorité contient encore le passage suivant :
« Le canon rayé se chargeant par la bouche, à projectiles à tenons, peut au contraire, ainsi que l'ancien canon, supporter la plus forte charge sans inconvénients, tout en conservant l'avantage d'une rectitude de tir parfaite. Il acquiert évidemment par là, en cas de besoin, une force de pénétration particulière. »
Je répondrai que le canon rayé se chargeant par la bouche ne peut pas plus que tout autre supporter une charge illimitée.
La charge, quel que soit le système, est en raison de la solidité du métal dont est formé le canon, et si d'ailleurs l'on employait une charge trop forte dans le canon se chargeant par la bouche, savez-vous ce qui arriverait ? C'est que les tenons des projectiles se déchireraient ou se détacheraient et qu'alors la trajectoire deviendrait irrégulière.
La vérité est que, par le système à projectile forcé que nous avons adopté, nous obtenons avec une moindre charge des effets égaux et avec une charge égale des effets très supérieurs à ceux du système à tenons
La minorité de la section centrale, continuant son appréciation du canon rayé se chargeant par la bouche, dit qu'il est « d'une construction excessivement simple, qu'il ne nécessite aucune précaution dans le chargement et ne demande aux canonniers ni instruction spéciale, ni soins minutieux. Nul élément étranger, nul accident ne peuvent apporter de désordre dans le service de la pièce, comme peut le faire toute circonstance qui dérangerait le moindre des organes, si nombreux, du canon se chargeant par la culasse, »
Eh bien, messieurs, c'est encore une erreur. Je suis fâché de trouver des erreurs partout, mais il faut bien que je les signale.
Le chargement par la culasse est celui qui offre le moins de dangers et qui n’expose jamais la vie des servants.
Quand on charge la pièce par la bouche il faut le concours attentif d'un servant chargé uniquement de boucher la lumière, sans quoi il peut arriver qu'au moment où l'on introduit la charge les flammèches restées dans la pièce se ravivent par le courant d'air produit et elles enflamment cette charge qui enlève les bras des canonniers.
C'est ce qui est arrivé maintes fois même chez nous, dans des exercices à feu. Cela arrive aussi dans le tir à boulet, quoique plus rarement.
De semblables accidents ne peuvent se produire avec le mode de chargement par la culasse. Le servant, voyant parfaitement le logement de la charge après avoir ouvert la culasse, ne saurait être exposé à aucun danger.
Quant au chargement lui-même, il est d'une simplicité extrême. Des miliciens de première année l'ont exécuté, après une seule démonstration, avec une facilité surprenante. Quand les hommes qui n'ont jamais vu un de ces canons l'ont chargé une seule fois, ils sont au courant pour toujours.
« La dépense considérable à laquelle le projet de loi en discussion entraîne le pays, exige, aux yeux de la minorité de la section centrale, une conviction profonde de l'excellence du système à adopter, et la certitude que l'honorable ministre de la guerre ne s'est pas laissé entraîner par un engouement peu justifié. »
Le système que nous avons adopté coûtera beaucoup moins, messieurs, que tout autre système.
C'est le seul qui permette l'emploi de la fonte sans le cerclage et par conséquent la transformation d'une partie de l'artillerie déplace existante.
Nous pourrons continuer à employer la fonte pour l'artillerie de place, tandis que si nous avions adopté le système français toute cette artillerie devrait être en bronze ou en acier et il en résulterait qu'au lieu d'un crédit de 15 millions, j'aurais dû vous demander plus de 20 millions.
En ce qui concerne les projectiles, je répéterai que, sous le rapport du prix, les deux systèmes se trouvent presque dans les mêmes conditions. Mais la valeur des projectiles du système que nous avons adopté consiste plus en matière recouvrable qu'en main-d'œuvre, ce qui est l'opposé des projectiles français, et constitue donc un avantage notable sur ces derniers.
On a proposé l'adoption provisoire du système français. Mais cette mesure irait précisément à l'encontre du but qu'on se propose ; elle engendrerait des complications dangereuses et des dépenses inutiles.
On ne pourrait l'appliquer qu'au bronze ; or j'ai déjà eu l'honneur de vous faire observer, messieurs, que nous n'avons qu'un petit nombre de pièces en bronze, la plupart de ces pièces étant restées à la Hollande. Il faudrait donc fondre un certain nombre de pièces nouvelles.
Mais ce n'est pas tout, il est incontestable que si l'on adoptait le système français même provisoirement, il n'en faudrait pas moins faire les approvisionnements de projectiles de ce système. Il s'ensuivrait : ou que le système deviendrait définitif faute d'occasion de consommer ses projectiles, ou bien qu'on aurait fait des dépenses en pure perte, si délaissant le provisoire, on adoptait définitivement le système des canons se chargeant par la culasse.
Il est donc rationnel de s'en tenir immédiatement à ce dernier système, car le boulet français ne peut s'employer que dans le canon français tandis que le boulet à enveloppe molle peut s'employer dans tous les systèmes de chargement par la culasse.
En résumé, le système proposé par le gouvernement est en même temps le plus solide et le plus économique, parce qu'il permet d'employer la fonte pour les pièces de siège et qu'on ne devra recourir au bronze ou à l'acier que pour les pièces de campagne.
En parlant de l'acier, l'honorable M. Goblet nous a signalé divers inconvénients qui résulteraient de l'emploi de ce métal. Il nous a dit que l'acier donnerait des éclats extrêmement dangereux pour les servants des pièces. Eh bien, ici encore l'honorable M. Goblet a été induit en erreur par ceux qui lui ont traduit le discours de sir Armstrong ; car la comparaison qui a été faite entre le bronze et le canon Armstrong n'est pas une comparaison entre le bronze et l'acier, attendu que le canon Armstrong est composé de bandes superposées en fer battu.
On a fait des expériences spéciales sur l'acier, et si vous le permettez, messieurs, je vous donnerai lecture du procès-verbal d'une de ces expériences faites avec une pièce en acier.
« Pour reconnaître la limite extrême de la résistance de l'acier fondu, ou devait tirer à outrance le canon n°1 en suivant la progression suivante :
« 20 coups avec 3 kilogrammes de poudre et 2 boulets ;
« 10 avec 3 kilogrammes de poudre et 3 boulets ;
« 5 avec 6 kilogrammes de poudre et 6 boulets ;
« puis, jusqu'à ce que la pièce éclatât, elle devait être tirée avec 12 kilogrammes de poudre et autant de boulets que l'âme aurait pu en contenir.
« Pour cette dernière série d'épreuves la pièce fut placée dans l'abri qui avait servi aux expériences précédentes, une gabionnade solide fut construite en arrière pour limiter le recul de la pièce et empêcher les éclats d'être projetés en arrière, un second abri fut construit près du premier pour mettre les servants à couvert pendant le tir. On a tiré dans ces conditions 20 coups avec la charge de 5 kil. et avec deux boulets, la pièce éprouvait un recul considérable, à certains coups elle s'enfonçait de tout son diamètre dans le sol, elle était ramenée sur les chantiers au moyen d'une manœuvre de force assez rapide.
« Après chaque coup, on examinait avec soin l'état de l'âme ainsi que la surface extérieure de la pièce ; une vérification faite avec l'étoile mobile après ces 20 coups a fait reconnaître qu'il n'existait aucune dégradation intérieure.
« Dans une séance suivante on a tiré 10 coups avec 3 kil. et 3 boulets ; la pièce a parfaitement résisté et on n'a constaté qu'un très faible agrandissement du canal de lumière ; enfin on a tiré 5 coups avec 6 kil. et 6 boulets ; la charge contenue dans une gargousse en papier occupait dans l'âme une longueur de 80 centimètres à peu près, les 6 boulets occupaient une longueur de 70 centimètres environ, de sorte que, sauf une longueur de 30 centimètres, l'âme était entièrement remplie de poudre et de projectiles.
« L'explosion produite par ce tir était énorme. Les boulets se brisaient en mille morceaux les uns contre les autres, le recul de la pièce n'était arrêté que par la gabionnade construite eu arrière et la pièce s'enfonçait tellement dans le sol, qu'il fallait une manœuvre de force assez pénible pour la retirer et la ramener sur les chantiers après chaque coup.
« La pièce a été de nouveau vérifiée après ces cinq coups, elle avait parfaitement résisté et l'âme ne présentait pas la moindre dégradation.
(page 1075) « On s'apprêtait à tirer avec 12 kil. de poudre et le plus grand nombre de boulets possible, lorsqu'on reçut l'ordre d'interrompre ce tir à outrance, et de ne pas pousser la pièce jusqu'à l'éclatement ; il eût été malheureux, en effet, de détruire une pièce qui avait si bien supporté d'aussi fortes épreuves. Ni le bronze, ni la fonte, n'auraient offert une pareille résistance, et cette dernière série d'expériences montre combien la force de résistance de l'acier fondu est supérieure à celle du bronze ou de la fonte.
« Il est très probable, pour ne pas dire certain, qu'une charge de 12 kil. de poudre n'aurait pas davantage déterminé la rupture de la pièce ; en effet, avec le calibre de 12, une charge de 12 kil. occuperait à peu près une longueur de 1 m 50, or, il est impossible qu'une pareille masse de poudre renfermée dans une pièce dont l'âme a une longueur de 1 m 80, seulement, puisse s'enflammer instantanément ; une grande partie de cette poudre serait projetée hors de la pièce sans prendre feu et par conséquent sans augmenter beaucoup l'effet de l'explosion. Avec une charge aussi longue, on n'aurait pas pu introduire plus de 3 boulets dans la pièce et l'on est porté à croire que l'effet produit contre les parois de l'âme eût été moindre qu'avec 6 kil. et 6 boulets.
« On est donc en droit de conclure que cette pièce est capable de résister à toutes les charges possibles, et qu'elle pourra résister, indéfiniment peut-être, a la charge ordinaire de guerre, 1 kil. 400. »
Et maintenant, messieurs, si je vous disais que c'est une expérience anglaise ou prussienne, vous diriez certainement : Chacun prêche pour sa paroisse ! Or, il n'en est rien ; c'est une expérience faite en France sur un canon prussien ; c'est une expérience faite à Vincennes par le comité d'artillerie français, par une commission d'officiers français ; et ce que je viens de lire, c'est le rapport signé par le secrétaire du comité d'artillerie.
Mais, dira peut-être l'honorable M. Goblet, ce n'est pas à une pareille expérience que j'ai voulu faire allusion ; j'ai voulu parler de l'effet produit par le choc des boulets ennemis sur les pièces en acier.
Il est vrai qu'on a soumis à des épreuves comparatives le canon en bronze et le canon Armstrong. Ce dernier s'est brisé au choc du boulet, mais cela ne signifie absolument rien, attendu que le tir a eu lieu à une distance de 25 yards, c'est-à-dire d'environ 23 mètres, et que jamais on ne tire à cette distance avec un canon. On l'a fait uniquement pour constater le degré de résistance de la pièce.
La même épreuve a été faite en France ; et des dessins ont été faits des coups portés par les boulets. Voici les conclusions de la commission.
« Dans une deuxième série d'épreuves, on devait chercher à reconnaître si l'acier fondu résiste aussi bien que le bronze aux coups des boulets ennemis.
« Pour cela, le canon n°2 a été pris pour servir de but aux cours d'un canon de campagne de 12 tiré avec la charge ordinaire de guerre. Ce canon a été placé horizontalement sur des chantiers à une distance de 100 mètres environ, la bouche tournée vers celle du canon de 12 qui devait faire feu et les axes de ces deux pièces dans le même plan vertical. Le canon-obusier de 12 était placé dans un abri formé de gabions et de saucissons, ouvert à sa partie antérieure et à sa partie postérieure, et destiné à arrêter les éclats qui pouvaient se produire.
« Après trois coups d'essai qui ont servi à déterminer la hausse négative qu'il a fallu donner à la pièce de 12 pour atteindre le but, on a tiré normalement à la tranche de la bouche un premier coup qui a frappé le canon n°2 au bourrelet dont il a enlevé une portion. ainsi que le représente la figure ci-contre, et a produit à l'entrée de l'âme une dépression qui eût empêché d'introduire le boulet. L'effet eût été le même sur une pièce de bronze.
« Au second coup, le boulet atteignit la pièce exactement à la même place et, en augmentant l'effet signalé ci-dessus, il produisit de plus des fissures profondes irrégulières, contournant le bourrelet et allant jusqu'au collet. La pièce fut ensuite placée de manière que les tourillons fussent verticaux ; l'un d'eux fut touché en plein et emporté par le boulet, il en eût été de même pour un tourillon en bronze. Le coup ayant été tout à fait normal, la réaction du choc fit tomber le bourrelet qui par suite des fissures mentionnées plus haut était déjà presque détaché de la pièce.
« Cette seconde série d'expériences prouve donc que l'acier fondu ne résiste ni mieux ni plus mal que le bronze aux coups des boulets ennemis, mais beaucoup mieux que la fonte. »
Je reprends, messieurs, l'examen de la note de la minorité.
« On devait avant tout, dit la note, dans les circonstances où nous nous trouvons, rechercher un système qui, tout en mettant notre artillerie au niveau de celles des autres pays, n'enchaînât pas l'avenir, et qui permît à la Belgique d'apporter ultérieurement des modifications à son armement, sans avoir à regretter une dépense énorme, faite sans utilité. »
Je vous ai dit, messieurs, que l'adoption du système français exigerait plus de dépense, et qu'elle ne nous conduirait pas à un système de transition, mais bien à un système définitif.
En effet, si les pièces et les projectiles étaient fabriques d'après le système français, nous pourrions difficilement les changer plus tard.
La minorité dit encore :
« N'est-il pas certain pour tout homme qui réfléchit qu'aucune puissance européenne n'oserait aujourd'hui déclarer que le dernier mot est dit sur la question des canons rayés ? »
Je répondrai :
Si l'on voulait attendre que le dernier mot fût dit sur chaque chose, on attendrait toujours et rien ne se ferait.
Si vous aviez voulu attendre, messieurs, que le dernier mot fût dit sur les chemins de fer pour en construire, le pays n'en aurait pas encore.
Je pense néanmoins qu'on peut bannir tout scrupule dans la question qui nous occupe.
Les dernières inventions ont fait faire un pas de géant à l'artillerie ; et si le dernier mot n'est pas dit sur les canons nouveaux, il n'en est pas moins constaté qu'ils possèdent une portée et une justesse de tir qui ne laissent rien à désirer.
On s'attachera désormais à perfectionner les moyens de fabrication, et à obtenir les matières premières à meilleur marché. Si on ajoutait à la portée actuelle, ce serait de peu d'utilité ; tous les systèmes rayés donnent des portées dépassant les besoins ordinaires de la guerre.
Je conçois que pour la marine et pour la défense de nos côtes on cherche à se procurer les plus grandes portées possibles en même temps que les plus puissants calibres ; sur les navires on peut placer des canons d'un poids colossal, que leur défaut de mobilité suffisante exclut nécessairement du service de l’artillerie de terre. Quant aux augmentations de portée que des perfectionnements éventuels dans les détails de construction pourraient faire obtenir, indépendamment de l’augmentation des calibres, et par conséquent des poids des bouches à feu, ils nous seront apparemment aussi accessible qu’ils le seront aux autres artilleries. De telles considérations sont donc sans influence sur le choix d’un système.
« C'est ainsi, dit la minorité, qu'ont pensé la Suisse et la Hollande petits Etats dont la position militaire présente une grande analogie avec la nôtre. »
On dit que la Suisse a adopté le système français, c'est une erreur. Là Suisse n'a pas encore adopté de système ; elle en cherche un.
Je puis parler de ce qui a été fait en Suisse, car je suis en relation avec des officiers de ce pays qui ont été envoyés en Belgique pour étudier les uns notre système de fortification nouvelle, les autres notre système d'armement.
Le gouvernement suisse ayant voulu se procurer un canon du système Armstrong, en fit la commande à un ingénieur-mécanicien, dont la spécialité est de fabriquer des bouches à feu pour l'étranger.
Cet industriel fit fabriquer ce canon à Liverpool, d'après les dessins du journal anglais le Mechanic's magazine que mes honorables adversaires ont cité comme une autorité, mais qui cependant ne jouit d'aucune notoriété.
Or, les dessins du Mechanic's magazine ne donnaient qu'une très fausse idée du système Armstrong, et il en est résulté que le canon envoyé en Suisse constituait une mauvaise machine qui, mise à l'essai, a donné les résultats les plus déplorables.
Les journaux suisses, qui ignoraient naturellement comment les choses s'étaient passées, ne se sont préoccupés que de ces résultats et ils en ont conclu que le système Armstrong ne vaut rien.
Eclairé par ce fait, je me suis bien gardé de chercher le modèle du canon Armstrong dans les journaux anglais.
J'ai préféré envoyer en Angleterre des officiers pour recueillir des données véritables, et c'est sur leurs indications que j'ai fait fabriquer un canon du système anglais.
Quant à l'armement de l'infanterie, le gouvernement suisse nous a demandé le modèle de notre armée qu'il a trouvé parfait.
Comme nous avions des fusils qui n'étaient pas tout à fait du calibre de ceux qui sont entre les mains de nos troupes et qui ne pouvaient pas être transformés, nous en avons cédé 11,600 à la Suisse. Ce fait prouve que loin d'être en arrière des autres pays, comme on l'a quelquefois prétendu, en ce qui concerne l'armement, nous nous trouvons au contraire au nombre des plus avancés.
(page 1076) L'honorable M. Goblet a également invoqué le discours du ministre de la guerre en Hollande. Je pense que son traducteur polyglotte traduit aussi mal le hollandais que l'anglais et l'allemand. Voici ce que le ministre de Hollande a dit en défendant son budget ;
« Quand je suis entré au ministère, il n'y avait que 12,000 fusils rayés. Depuis mon entrée au ministère, avec les divers crédits qui m'ont été accordés, j'ai transformé encore une partie de nos fusils et nous en avons maintenant 60,000 ; nous continuerons à transformer ce qui reste, et j'espère que bientôt nous aurons de quoi armer l'infanterie de l'armée et la partie mobilisable de la schuttery. »
On semble avoir perdu de vue que le ministre a ajouté que cette transformation n'est que provisoire ; que l'on essayait des fusils de plusieurs systèmes et que lorsqu'on aurait fait un choix, il faudrait faire confectionner 100,000 fusils neufs : c'est encore un document déposé par le ministre qui nous l'apprend. Comme 100,000 fusils ne peuvent être acquis à moins de 65 fr. la pièce, c'est une dépense de 6,500,000 fr. qu'il faudra faire pour armer l'infanterie, ce qui va bien au-delà de 2 tonnes d'or.
Du reste, messieurs, le simple bon sens ne dit-il pas que ce qu'on a fait dire au ministre hollandais était impossible ? Que coûte le rayage du fusil ?
L'honorable ministre de l'intérieur, à qui l'on avait assuré que le rayage du fusil de la garde civique pourrait se faire à raison de 75 centimes la pièce, m’a demandé mon avis sur la possibilité de cette transformation à un prix aussi réduit ; je lui ai répondu que les armuriers qui prétendaient pouvoir rayer un fusil, pour 75 centimes avaient raison ; qu’ils feraient même une bonne opération, attendu que le rayage d’un fusil ne devait même pas coûter 75 centimes, mais que les armes rayées de cette manière deviendraient très dangereux pour ceux qui s’en serviraient pour les cas fréquents d’éclatement qui se présenteraient infailliblement.
En effet, messieurs, le rayage n'est pas la seule opération que doive subir un fusil de l'ancien système pour être transformé au nouveau. Pourquoi raye-t-on un fusil ? C'est pour lui donner une plus grande portée et une plus grande justesse de tir. Eh bien, pour pouvoir viser aux grandes distances, il faut déplacer le marteau et la cheminée qui tombent dans le rayon visuel et il faut recourir à l'emploi d'une hausse. Pour déplacer la cheminée, il faut braser une nouvelle loupe sur le canon, opération délicate et assez coûteuse, et il faut ensuite changer la forme du marteau. L'établissement de la hausse nécessaire ne se fait pas non plus sans frais.
Enfin, la baguette du fusil doit aussi être changée ; son gros bout doit présenter une excavation afin de ne pas déformer, pendant le chargement, la pointe ogivale de la balle employée avec les fusils rayés.
A Liège, où la spécialité de la fabrication des armes est si bien établie que nous fabriquons des armes pour l'univers entier, que même les pays les mieux réputés sous le rapport industriel ne dédaignent pas d'en venir chercher chez nous, où l'Angleterre elle-même fait fabriquer en ce moment une grande quantité de fusils de guerre, cette opération du rayage et de la transformation nous coûte 15,16 et jusqu'à 17 fr.
Je suppose que tout en Hollande soit à meilleur marché que chez nous ; je suppose que ce pays ait comme le nôtre la spécialité de la fabrication des armes, et que l'opération de la transformation dont il s'agit ne coûte que 10 francs, alors qu'elle nécessite chez nous une dépense de 15 francs au moins. Eh bien, pour 60,000 fusils il aurait fallu beaucoup plus que deux tonnes d'or.
Il me semble que le simple bon sens aurait dû mettre en garde contre cette idée que la Hollande possède les moyens de faire les choses à si peu de frais.
Si j'avais pu croire à l'existence de semblables moyens, soyez persuadés, messieurs, que j'aurais fait tout mon possible pour les découvrir.
Je n'ai nullement négligé de m'informer de ce qui se passe en Hollande. Dès que j'ai su qu'on était parvenu dans ce pays à renouveler l'âme des canons en bronze, j'y ai envoyé un officier pour s'enquérir des procédés relatifs à cette opération.
Voici ce que nous avons appris : un fondeur hollandais a trouvé le moyen de remplir de bronze neuf l'intérieur des vieux canons et de faire adhérer la surface du noyau à celle de l'âme d'une manière si intime que les deux masses n'en forment plus qu'une seule homogène.
On peut donc forer le canon comme s'il avait été coulé d'une seule pièce, et par conséquent, diminuer le calibre primitif dans la proportion qu'on désire.
Les avantages de ce procédé sont évidents. Il dispense de refondre les pièces en bronze que le tir met assez promptement hors de service parce que les battements des boulets détériorent l'âme. Il épargne également toute la façon du tournage et du burinage qu'exigent les formes extérieures.
La Hollande qui possédait beaucoup de vieux bronze a naturellement songé à l'utiliser pour la transformation d'un certain nombre de ses canons. Elle a pu, de cette manière, réaliser quelques économies d'argent, car vous n'ignorez pas, messieurs, que toutes les opérations relatives à la fabrication des canons en bronze sont généralement coûteuses.
Mais il s'en faut de beaucoup que ces économies aient l'importance qu'on leur a donnée. La transformation des canons n'eût-elle rien coûté à la Hollande, il lui aurait fallu néanmoins dépenser des sommes considérables pour ses projectiles. Evaluez, messieurs, je vous prie, la dépense des approvisionnements nécessaires à la Hollande et vous arriverez à un chiffre de plusieurs millions.
Or cette dépense ne peut être évitée ; quand on transforme une artillerie il faut bien des projectiles nouveaux, car à quoi servirait une arme transformée sans projectiles ?
Je m'arrête, messieurs, je crois en avoir assez dit pour démontrer le peu de fondement de ce qui a été avancé à propos de la Hollande.
J'oubliais de vous dire, messieurs, que le ministre de la guerre de la Hollande a eu soin de dire à la Chambre : « Mais, messieurs, ces essais ne sont encore que provisoires, car nous faisons en ce moment-ci des essais de chargement par la culasse et nous devons tenir le secret sur ce que nous faisons. » La Chambre s'est parfaitement contentée de cette déclaration.
Je passe à un nouvel argument de la note de la minorité.
« Lorsque l'honorable ministre de la guerre proclamait que la transformation de nos canons pouvait se faire à raison de 5 ou 6 francs par pièce, il avait en vue un système très économique de canons se chargeant par la bouche, et soutenir aujourd'hui que les projectiles à tenons coûtent beaucoup plus que ceux qui servent au canon à boulet forcé, c'est là encore une assertion des plus contestables, qui est contraire d'ailleurs à une première affirmation, dans les termes où elle était émise. »
Messieurs, on m'a reproché plusieurs fois d'avoir dit, dans la discussion sur les fortifications d'Anvers que le rayage d'un canon ne coûtait pas plus de 5 ou 6 francs. Je tiens à donner sur ce point des explications bien nettes,
Il m'a été posé plusieurs questions au sujet de l'artillerie.
On m'a demandé et je crois que c'est l'honorable M. Orts qui m'a fait cette demande si l'adoption du système d'agrandissement d'Anvers n'entraînerait pas une augmentation de l'artillerie. J'ai répondu que le système d'agrandissement d'Anvers n'entraînerait pas, par lui-même, une augmentation de l'artillerie ; que, quand même on n'agrandirait pas Anvers, il faudrait toujours une augmentation de l'artillerie de siège.
J'ai encore dit que l'agrandissement d'Anvers entraînait nécessairement la démolition de plusieurs autres places de guerre, et que l'artillerie à retirer de ces places viendrait en déduction de celle qui serait nécessaire pour Anvers. Voilà ce que j'ai dit.
On m'a demandé alors si, en cas de rejet du projet d'agrandissement d'Anvers, il ne faudrait pas de même transformer l'artillerie. J'ai répondu : « Que l'on agrandisse ou que l'on n'agrandisse pas Anvers, il faudrait toujours mettre l'artillerie au niveau de l'artillerie des autres pays. »
Enfin, l'on m'a demandé ce que coûterait le rayage des pièces. J'ai répondu que c'était une opération insignifiante, qu'elle ne coûtait que 5 à 6 francs, mais que le rayage, jusqu’à présent, n’avait été appliqué qu’au bronze et que je ne savais pas si l’on pouvait l’appliquer à nos canons en fonte sans recourir à l’opération coûteuse du cerclage préalable.
Cela se trouve également consigné dans les réponses écrites que j'ai faites à différentes reprises.
Eh bien, messieurs, voyons si j'ai un seul mot à rétracter de ce que j'ai dit ? Est-ce que l'agrandissement d'Anvers n'entraîne pas la démolition de plusieurs de nos forteresses ? Ath, Menin, Philippeville, Marienbourg, Ypres, Audenarde sont démolis, Huy, Dinant, Bouillon sont désarmés.
Le crédit que nous demandons pour démolir encore d'autres places, ne (page 1077) prouve-t-il pas avec quelle suite nous poursuivons notre système et avec quelle loyauté nous tenons nos engagements ? Si l'on avait conservé toutes les places, n'aurait-il pas fallu un matériel aussi considérable que celui qui est nécessaire pour armer Anvers ? N'aurait-il pas fallu que le matériel fût transformé, mis au niveau du matériel des autres armées ? Evidemment, c'était une nécessité absolue.
Maintenant, messieurs, pour le rayage, quand faisait-on ces questions ? C'était au moment de la guerre d'Italie. A cette époque on savait seulement que la France rayait son artillerie, on savait qu'elle le faisait en secret ; on disait qu'avec ces nouveaux canons l'artillerie française obtenait une très grande portée, et une très grande justesse de tir.
Les artilleurs français eux-mêmes ne savaient pas le premier mot de la question, à l'exception de ceux qui inauguraient cette innovation.
Ce n'est qu'au moment d'entrer en campagne que les batteries françaises destinées à faire la campagne ont reçu en route le nouveau matériel.
On s'était pressé, en France, d'adopter le système et d'en armer quelques batteries pour le début de la campagne, afin d'avoir l'avantage de l'effet moral que devait naturellement produire l'apparition des premiers canons rayés.
Nous nous étions mis à faire des essais. Nous avions rayé quelques pièces et nous avions vu que c'était là une opération insignifiante qui se faisait pour 5 ou 6 francs, comme j'ai eu l'honneur de le dire, mais nous ne savions rien du système à projectile forcé.
La transformation des canons constitue d'ailleurs la moindre partie de la dépense à faire ; c'est l'approvisionnement en projectiles qui forme la grande dépense. J'ai dit ce que je savais alors, et vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas avoir prévu ce qu'on allait faire.
Je reconnais parfaitement que je n'ai pas cette prescience, ce don de seconde vue ; j'ai cependant prévu que quelques efforts que je fisse, quelques heureux résultats que j'obtinsse, je ne trouverais jamais grâce devant mes contradicteurs. Je le regrette profondément parce que dans une question comme celle que je traite ici, j'eusse été heureux d'obtenir l'unanimité des suffrages de l'assemblée.
Je crois que nous y eussions gagné en force morale. Cependant je me consolerai de ne pas obtenir le suffrage de quelques voix isolées, que l'honorable M. Devaux qualifiait de voix retardataires, et que moi je qualifierai de voix trompées sur cette question ; je m'en consolerai, messieurs, parce que je sais que vous ne m'avez jamais abandonné dans les grandes questions comme celle que nous discutons aujourd'hui.
Je poursuis, messieurs, l'examen de la note :
« Le canon rayé se chargeant par la bouche est adopté en Russie, en France, en Piémont, en Espagne, en Portugal, en Suisse et en Hollande, et même en Autriche. Cette dernière puissance a, il est vrai, partiellement modifié son système de canons se chargeant par la bouche, mais c'est en sacrifiant à une idée politique. »
Il y a encore ici, messieurs, une foule d'erreurs. La Russie n'a pas adopté le canon rayé se chargeant par la bouche.
La Russie a fait comme l'Autriche ; elle a transformé quelques-uns de ses canons d'après le seul système rayé connu alors ; mais ayant trouvé des défauts à ce système, elle a tourné ses vues ailleurs, et en ce moment-ci, ayant eu connaissance des expériences faites en Allemagne, auxquelles le générai d'Adlersberg a assisté, ainsi que des expériences qui se sont faites en Angleterre en présence du grand-duc Michel, elle s'est mise sur le rapport de ces personnages et de ces officiers, à essayer de fabriquer des canons se chargeant par la culasse. Voilà où en est la Russie pour le moment.,
Quant à la France, elle possède effectivement le système préconisé par la minorité de la section centrale ; mais elle travaille continuellement à l'améliorer ; mais elle ne renonce pas pour cela à adopter le système des canons se chargeant par la culasse ; ce qui le prouve, ce sont les essais nombreux qu'elle en fait dans les polygones ; et ce système qui offre tant d'inconvénients, dit-on, est déjà admis en France dans la marine et par conséquent pour les gros calibres.
Vous avez lu dernièrement dans tous les journaux que M. le ministre de la marine était parti pour Brest, afin d'inspecter une frégate qui s'appelle la Couronne, et qui est armée de 40 canons se chargeant par la culasse.
M. le président. - M. le ministre de la guerre paraît fatigué ; nous pourrions suspendre la séance pendant dix minutes.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis effectivement fatigué, M. le président ; il me serait agréable de pouvoir me reposer pendant quelques minutes.
- La séance est suspendue ; elle est reprise au bout de dix minutes.
M. le président. - La parole est continuée à M. le minutie de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je vous disais donc ce qui s'est fait en Russie et en France. La minorité vous dit aussi qu'on a adopté le système français en Piémont. Voici ce qui a eu lieu dans ce pays. Après la guerre d'Italie, la France a cédé son système au Piémont qui a introduit deux pièces seulement, par batterie, du système français. Mais en Piémont on tenait au système des canons se chargeant par la culasse, parce que ce système avait en quelque sorte été inventé par un artilleur piémontais, officier d'un très grand mérite, alors le major Cavalli, aujourd'hui le général Cavalli. Le canon du major Cavalli est le plus ancien des canons modernes se chargeant par la culasse ; il produit de très bons effets, mais il donne lieu aussi à de graves inconvénients ; il est loin d'être parfait. Dernièrement, au siège de Gaëte, où il a produit certes de grands ravages dans la place, il n'a pas cependant répondu à ce qu'en attendaient les Piémontais ; aussi fait-on de nouveaux essais pour l'améliorer.
Quant au système français, les Piémontais ont reconnu qu'il présentait beaucoup d'inconvénients et que précisément dans ce siège il n'avait pas répondu non plus à ce qu'on en attendait. Je tiens ces renseignements d'officiers de notre armée que j'ai envoyés sur les lieux, pour se renseigner sur ce qui s'était fait au siège de Gaëte et dans les campagnes d'Italie.
Messieurs, en Espagne on n'a pas identiquement le système français mais on en a un qui approche de ce système. On y fait des essais, des expériences ; on y recherche ce qui s'est fait en Allemagne et ce que nous allons faire nous-mêmes.
En Portugal, on n'a pas encore adopté de système ; le gouvernement portugais attend également, pour se prononcer, qu'il connaisse exactement ce qui s'est fait ailleurs.
Il s'était même adressé à nous pour la fabrication d'une partie du matériel dont il avait besoin. A cette époque, il comptait adopter le système français. J'ai engagé l'agent du gouvernement portugais, un officier très distingué, qui avait été envoyé en Belgique, à ne pas se presser, à attendre, parce qu'il y avait des perfectionnements qui se réalisaient ailleurs, et que le gouvernement portugais regretterait peut être la précipitation avec laquelle il avait agi.
On sait depuis lors que le Portugal s'est adressé à la Prusse pour obtenir son système ; j'ignore si le gouvernement prussien a accédé à la demande du Portugal, mais voilà où en est la question dans ce pays ; aucun système n'y est encore adopté, on a encore les anciens canons.
Je vous ai dit ce qui s'est passé en Suisse et ten Hollande. Vous voyez que sur ce point encore la minorité a été mal renseignée.
Voici maintenant ce qui a eu lieu en Autriche. Immédiatement après la campagne d'Italie, les Autrichiens, ayant pu s'emparer d'une pièce de canon à Magenta, ont essayé de faire des canons sur le même modèle, et ils y ont parfaitement réussi, parce que quand on possède une pièce et des projectiles, on a tout ce qu'il faut pour connaître le secret de la fabrication, on n'a qu'à constater exactement les dimensions de la pièce et des projectiles, et on peut faire une pièce identiquement pareille à celle dont on a le modèle. A défaut d'autre système, les Autrichiens out armé quelque batteries de canons rayés du système français.
Mais depuis, les Autrichiens, ayant été admis aux expériences de Juliers, ont, sur le rapport du général Fabisch, qui présidait la commission envoyée à ces expériences, adopté le système prussien pour l'artillerie de place. Voilà la situation de l'Autriche.
La minorité de la section centrale dit encore :
« Le canon rayé se chargeant par la bouche a subi avec succès l'épreuve décisive de campagnes sérieuses et prolongées, tandis que, à part la guerre de Chine, le canon se chargeant par la culasse, à boulet forcé, n'a été éprouvé qu'aux expériences des polygones faites dans les conditions les plus favorables. »
Messieurs, pour la minorité de la section centrale, il n'y a de guerre sérieuse et prolongée que la guerre d'Italie (la guerre de Chine ne compte pas), et selon l'honorable M. de Gottal, il n'y a que la guerre de Crimée.
La guerre d'Italie a duré 35 jours ; on ne peut pas appeler cette guerre une guerre prolongée ; le 20 mai a eu lieu la bataille de Montebello, et le 24 juin la bataille de Solferino, à la suite de laquelle la paix a été conclue.
La guerre de Chine, me semble-t-il, a été une épreuve plus longue.
Quant à la campagne de Crimée, je dois dire à l'honorable (page 1078) M. de Gottal que s'il accuse le canon rayé français d'avoir détruit Sébastopol, ce canon pourrait lui dire, comme le mouton de la fable : « Comment l'aurais-je pu faire ? Je n'étais pas né alors. »
Messieurs, c'est le canon lisse qui a démoli Sébastopol.
C'est donc à la campagne d'Italie et à celle de Chine que le canon rayé a fait son apparition.
J'ai sous la main des rapports où l'on expose le rôle des deux artilleries pendant la campagne de Chine ? J'y vois que le canon Armstrong, se chargeant par la culasse - et je vous déclare que ce canon n'est pas le nôtre ; que celui que nous avons adopté est plus simple, et qu'à mon avis il est préférable à ce point de vue ; - j'y vois que le canon Armstrong s'est conduit admirablement, à la satisfaction la plus entière de tous les officiers de l'artillerie anglaise et, qui plus est, des officiers français.
J'ai envoyé aussi à Paris des officiers d'artillerie qui ont vu des officiels français revenant de Chine : et ces officiers leur ont dit que le canon Armstrong a fait merveille.
Vous avez su ce qu'a dit le ministre de la guerre d'Angleterre ; vous avez su ce qu'a dit aussi le duc de Cambridge, commandant en chef, et vous ne pouvez plus avoir de doute sur ce que ce canon a fait.
Le duc de Cambridge s'est exprimé en ces termes à la chambre des lords.
« Il y a d'autres points militaires qui ont été mis en lumière par cette campagne (la campagne de Chine). C'est la première occasion dans laquelle nous avons été à même de juger de l’effet de ce merveilleux instrument dont notre armée va être graduellement pourvue. Je veux parler du canon Armstrong.
« Je sais que des expériences se font encore. Mais quelle que soit leur valeur et leur importance, elles n'amèneraient rien de comparable à ce qui a déjà été fait. Pas plus tard qu'hier, j'ai eu l'occasion de causer avec un éminent officier revenu de la Chine. Je lui demandai quel avait été l'effet du canon Armstrong, et il me répondit : « Je parcourrais le monde entier avec ce canon, dans n'importe quelles circonstances, quelque difficiles qu'elles soient, j'ai la confiance que le résultat serait toujours le même. Certes, on pourra faire quelques modifications, et 'on en a déjà fait quelques-unes, mais le canon Armstrong est dès aujourd'hui, l’arme la plus par faite que l'on puisse imaginer. »
Voici maintenant comment s'exprimait lord Herbert, ministre de la guerre :
« Un important détail de cette campagne a été le premier emploi de la nouvelle artillerie à laquelle le gouvernement a consacré tant d'attention. Je ne puis que féliciter mon prédécesseur, le général Peel, d'avoir eu le courage, au milieu d'une grande variété d'inventions, d'adopter sur une vaste échelle les canons Armstrong. Ces canons ont été sévèrement critiqués.
. « Beaucoup de personnes admettaient que c'étaient de belles armes, de construction superbe, d'un effet admirable à longue portée, mais on prédisait qu'à la guerre on trouverait ces canons difficiles à servir, compliqués et délicats, moins utiles que les anciennes pièces de campagne.
« Eh bien, ces canons nouveaux ont résisté à un long voyage de mer, et, après plusieurs transbordements, ont été débarqués dans le meilleur état. Aucun canon ne fut endommagé et le commandent en chef, dans ses dépêches, exprime la plus entière admiration sur la manière dont ces armes ont fonctionné. A l'époque où les canons Armstrong furent envoyés en Chine, on avait de tels doutes sur leur efficacité que je crus prudent d'envoyer un nombre égal de canons lisses de l'ancien modèle. Mais je suis heureux de déclarer que les canons Armstrong ont été couronnés d'un succès complet, et je crois que l'on peut féliciter l'armée anglaise de ce qu'elle possède en ce moment le meilleur canon qui existe au monde. »
Voilà donc, messieurs, l'opinion du duc de Cambridge et de lord Herbert.
Si ce n'était pa3sabuser de vos moments je vous lirais en entier le discours prononcé sur le canon Armstrong par sir Baring sous-secrétaire d'Etat pour les affaires des Indes.
M. Allard. - On pourrait le mettre au Moniteur.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il prouve tous les avantages du canon Armstrong.
On a parlé, messieurs, des épreuves des polygones, et on a dit que ces épreuves ne signifient rien parce qu'elles sont faites dans les circonstances les plus favorables.
Ce sont ces épreuves au contraire qui sont les plus concluantes attendu qu'elles sont bien autrement terribles que celles de la guerre. C'est au polygone, en effet, que dans le but d'éprouver le degré de résistance des canons, on les tire avec des charges excessives de poudre et de boulots jusqu'à éclatement.
C'est là qu'on soumet les pièces à tous les dangers, à tous les accidents imaginables, de sorte que quand elles ont subi l'épreuve des polygones on peut prédire à coup sûr qu'elles subiront les plus rudes épreuves de la guerre.
S'il n'en était pas ainsi, aurait-on jamais osé faire la guerre avec des canons ?
Lorsque l'empereur Napoléon III est monté sur le trône, un de ses premiers actes a été de transformer le canon de campagne qui avait subi les épreuves de longues guerres, et qui depuis Austerlitz et Wagram jouissait d'une renommée justement méritée. L'empereur a fait aléser les canons de 8 au calibre de 12 et ce sont ces nouvelles pièces à âme lisse qui ont fait la campagne de Crimée.
Malgré le succès qu'elles y ont obtenu, elles ont été abandonnées dès qu'on eut constaté par des épreuves de polygone la grande supériorité du canon rayé proposé par un colonel d'artillerie français.
Vous vous rappelez, messieurs, quel a été l'effet des canons rayés dans la campagne d'Italie. Il a été tel, que tous les Etats ont adopté l'artillerie rayée en principe et qu'ils l'ont perfectionnée au point où nous la voyons aujourd'hui.
Vous voyez, messieurs, que toujours les épreuves de polygone précèdent les épreuves de la guerre et que loin d'être infirmées par ces dernières, elles en reçoivent une confirmation éclatante.
On vous dit, messieurs, « qu'aucune nation n'a adopté ce système d'armement sans avoir fait des expériences qui l'ont convaincue des qualités des canons dont elle comptait se servir. »
C'est encore une erreur.
Quand on peut être admis à suivre des expériences bien conduites à l'étranger, il serait peu judicieux de consacrer beaucoup de temps et d'argent à refaire les mêmes expériences chez soi.
S'il en était autrement, chaque corps de troupes devrait expérimenter lui-même ses propres armes ; en effet, si nous ne pouvions pas profiter des lumières de l'étranger, la garnison de Bruxelles par exemple serait fondée à se défier des expériences que le gouvernement aurait fait faire au polygone de Braeschaet, et elle pourrait avec raison demander que ces expériences fussent refaites sur son propre champ de manœuvres.
Ce n'est pas ainsi qu'on procède à l'étranger.
Les Etats de la confédération germanique et d'autres encore, après avoir assisté aux expériences de Juliers et de Tegel ont immédiatement adopté le système prussien.
Hier l'honorable M. David a rectifié quelques-unes des erreurs de traduction de la brochure du capitaine Weigelt que l'honorable M. Goblet avait commises.
Je vais donner encore quelques explications sur les expériences rapportées par cet officier.
On a dit que le canon prussien de 24 avait eu beaucoup de peine à faire brèche dans les murs de Juliers. On a ajouté qu'il avait fallu le triple du nombre de coups déterminé par l'artillerie, tandis qu'en France, avec le canon de 4 on avait parfaitement réussi à ouvrir des brèches praticables.
II est vrai qu'on a reconnu ensuite s'être trompé quant à ce dernier point, lesdits canons de 4 ayant été des canons de 12.
Enfin, on a dit qu'à la suite des expériences de Juliers plusieurs Etats allemands avaient renoncé au système prussien. Eh bien, messieurs, ces renseignements sont complètement inexacts. On a pris, parmi les épreuves citées par l'officier allemand, celles qu'on a cru les moins avantageuses et encore ne les a-t-on pas bien comprises.
Malgré les explications données hier par l'honorable M. David, je demande, messieurs, la permission de vous reparler de cette expérience en ajoutant quelques explications qui les rendront plus compréhensibles.
Dans les épreuves faites à Juliers, il s'agissait de faire brèche dans le revêtement de la face gauche du bastion n°2, de la citadelle, en se servant de canons rayés de 24, en fonte de fer, remarquez bien ceci.
(page 1079) Voici ce que dit l'auteur de la brochure :
« Cette épreuve eut également lieu en présence du prince-régent et de plusieurs hautes autorités militaires.
« On se servit des mêmes bouches à feu en fonte qui avaient fait la brèche dans le mur de masque et comme on devait tirer par cette brèche les pièces restèrent dans la même position. »
C'est-à-dire que la brèche à pratiquer devait se faire à travers une autre brèche faite précédemment dans un mur de contre-garde qui la séparait du couronnement du glacis.
« Le mur à battre avait été construit de 1549 à 1569 ; sa solidité était extrême. »
On avait choisi ce mur parce qu'il était d'une solidité à toute épreuve et précisément dans le but de rendre l'expérience concluante. Vous savez, messieurs, ce que sont ces antiques constructions ; où peut dire qu'elles sont en quelque sorte indestructibles. Je vais vous faire connaître l'épaisseur exceptionnelle des murailles :
« La hauteur à partir du fond du fossé était de 38 pieds, l'épaisseur à la partie supérieure de 7 pieds ; là où l'on devait pratiquer la tranchée horizontale, elle était de 12 1/2 pieds.
« Les pieds-droits que l'on devait traverser également pour faire crouler le mur, avaient 12 pieds d'épaisseur et le mur de revers qui les reliait comportait 2 1/2 pieds, de sorte qu'en y comprenant les pieds-droits, on avait environ 26 pieds d'épaisseur de maçonnerie à traverser. »
Ainsi la maçonnerie avait 26 pieds d'épaisseur avec les pieds droits c'est-à-dire les contre-forts de 12 1/2 pieds d'épaisseur qui soutenaient deux étages de voûtes en décharge lesquelles augmentaient encore la solidité de la construction qu'il s'agissait de renverser.
« La mise en brèche était d'autant plus difficile que les doubles voûtes entre les pieds-droits supportaient les terres et que, par conséquent, on ne pouvait compter sur leur poussée contre le revêtement. »
Effectivement, messieurs, cette forme de la construction détruit la poussée des terres et empêche les revêtements de tomber tout d'une pièce dans les fossés, lorsqu'ils ont été coupés et ébranlés par les coups de canon.
« La tranchée horizontale fut pratiquée sur 44 pieds de longueur et à 7 pieds environ au-dessus du niveau de l'eau, soit à 13 pieds du fond du fossé, donc à environ 1/3 de la hauteur totale. »
' Permettez-moi, messieurs, de vous expliquer comment on fait une brèche afin de vous faire bien comprendre les effets produits, par le canon. Quand on veut battre un mur en brèche, on pratique trois tranchées, une horizontale et deux verticales. La première tranchée se pratique au bas du mur ; les deux autres se dirigent de cette base vers le sommet. Je suppose, permettez-moi cette comparaison, qu'il s'agisse de battre en brèche la tribune de cette Chambre, je préviens mes adversaires que ce n'est qu'une supposition, que je ne parle qu'au figuré et que je n'ai nullement l'intention de battre en brèche la tribune parlementaire. Pour faire brèche, nous commencerions par tirer des coups de canon de droite à gauche au bas de la tribune jusqu'à ce que nous eussions tracé une ligne de la longueur de la brèche à ouvrir.
Après ce premier travail, nous ferions à droite une nouvelle ligne verticale à coups de canon et nous ferions la même chose à gauche. Ordinairement, quand ces trois lignes ont été tracées, le mur tombe et la brèche est faite, S'il ne tombe pas sous ces premiers efforts, il suffit d'une dernière salve tirée au milieu pour déterminer l'écroulement du mur.,
Eh bien, pour faire à Juliers cette première tranchée horizontale, il y avait un mur de 26 pieds et demi d'épaisseur à traverser.
« Comme la force du revêtement donnait à craindre qu'une tranchée horizontale ordinaire ne formât pas une ouverture suffisante pour voir et atteindre les maçonneries intérieures, on marqua le bas de la tranchée par un tir de 18 coups ; on traça ensuite une ligne au canon à environ 3 pieds au-dessus, et on se guida sur ces indications pour ouvrir une tranchée suffisamment élevée. »
Comme cette muraille était excessivement épaisse, on comprit très bien qu'en ne pourrait pas la percer complètement par une succession de coups de canon et qu'il faudrait faire deux tranchées horizontales afin de mieux découvrir les parties profondes qu'il fallait atteindre.
« Le travail fut terminé en 225 coups (le nombre des coups est nécessairement en raison de l'épaisseur du mur), 163 furent tirés le 2B septembre et le restant le jour suivant, après le départ du prince-régent. »
On a, messieurs, attaché une grande importance à ce départ du prince-régent et à la suspension du tir. Or, rien n'est plus simple à expliquer : le prince-régent avait invité à dîner les officiers étrangers qui avaient assisté avec lui aux expériences ; voilà pourquoi il est parti et pourquoi le tir a été suspendu à 3 heures pour être repris le lendemain matin.
« La brèche n'était cependant pas tout à fait praticable à sa partie supérieure parce que l'on n'avait pas osé tirer contre le petit mur de revêtement du talus intérieur, du parapet, de crainte d'exposer la ville et la citadelle, mais quelques coups auraient suffi pour renverser ce mur dont l'épaisseur n'était que de 2 pieds et pour rendre la brèche accessible jusqu'au sommet. »
Ce qui prouve encore l'énorme solidité de cette maçonnerie, c'est qu'en tombant elle ne s'était pas même désagrégée. On fut obligé de tirer encore 35 coups pour rendre la brèche praticable.
Si l'on avait tiré encore, les boulets auraient traversé la mur du parapet et auraient pu causer de grands dommages aux maisons voisines. Mais la brèche n'en était pas moins parfaitement faite. Deux à trois coups de canon auraient suffi pour renverser ce dernier obstacle.
En commençant la brèche du mur de contre-garde, on comptait en avoir bon marché. Mais comme ce mur de 7 pieds avait résisté au-delà de ce qu'on en avait attendu, il pouvait surgir quelques doutes au sujet du temps qui serait nécessaire pour abattre le gros revêtement à voûtes en décharge, qui exigeait une coupure de 26 pieds de profondeur. De là sans doute les rumeurs vagues d'effets inférieurs aux calculs, etc.
Dans le tir, les obus pénétrèrent à 3 pieds et demi de profondeur dans cette maçonnerie si solide et firent, en éclatant, des entonnoirs qui avaient 5 pieds et demi de base.
Tels sont les résultats qu'on a contestés et méconnus et qui sont cependant bien remarquables et bien concluants.
Mais ces expériences de Juliers ne sont pas les seules auxquelles nos officiers ont pu assister. Ils ont assisté à d'autres expériences dont je crois pouvoir vous parler maintenant, car je viens d'en voir la relation dans plusieurs journaux étrangers et même dans des journaux français ; ces expériences ont constaté le succès complet du système que nous avons adopté.
Elles ont eu lieu dans h plaine de Tegel, vaste polygone aux environs de Berlin, et avaient pour but de s'assurer de la forcé de pénétration des projectiles. On a construit deux flancs de frégate en poutres de chêne massif de 42 centimètres d'épaisseur dans le sens du tir, chevillées sur trois d'épaisseur et soutenues par des montants de 30 centimètres d'équarrissage ; la totalité de la muraille était donc de 1 mètre 26 centimètres d'épaisseur de chêne massif, sans compter les montants.
On a essayé à plusieurs distances ces pièces de 24 en fonte dont j'ai parlé ; je né rapporterai pas toutes les expériences ; je parlerai seulement des principales.
On a tiré à la distance de 5 mille pas,3,750 mètres, c'est-a-dire à peu près une lieue de France et l'obus chargé de 24 a traversé du premier coup le bordage de la frégate et a lancé des éclats de poutre de 75 à 80 kilog. à neuf pas de distance.
Tous les officiers, y compris ceux de la marine, qui étaient présents, ont reconnu qu'un navire qui recevrait un pareil coup dans sa coqua serait mis hors de combat, et que s'il était atteint dans sa flottaison, il serait en danger de sombrer.
Voilà ce qu'a produit le canon en fonte de 24.
On a voulu voir ce que produirait le canon de 12 ; et chose surprenante, à la même distance cette pièce a envoyé son projectile dans le flanc de la frégate. L'obus a pénétré à 2 pieds (62 centimètres), a déchiré les poutres intérieures, et l'une d'elles a été lancée avec une telle violence que les morceaux en ont pénétré à plusieurs centimètres de profondeur dans le deuxième flanc.
Voilà l'effet d'un obus de 12 à 5 mille pas.
Mes paroles vont être recueillies par la presse, elles pourront être contrôlées par les autorités militaires de toutes les puissances qui assistaient à ces expériences, car il y avait des sommités de l'Angleterre, de l'Autriche, de la Russie et de divers Etats de la confédération germanique.
(page 1080) Par respect pour moi-même, par respect pour le gouvernement, tout ce que je dis ici doit être authentique.
Après ces expériences avec les pièces de 12 on a voulu savoir ce quo produiraient les pièces de G6 On a tiré avec ces pièces à 5 mille pas contre la frégate ; le projectile a pénétré dans la muraille à un pied sept pouces ; et en éclatant il a brisé des poutres intérieures. Voilà les fats. On ne peut citer nulle part des canons produisant des effets semblables.
Enfin, on a voulu voir l'effet qu'on obtiendrait sur une frégate cuirassée. Le gouvernement prussien a fait construire des plaques d'armature de la plus grande force employées en Angleterre pour les grands navires de guerre. Ces plaques de fer battu, de 4 pouces et demi d'épaisseur, n'avaient qu'un pied de largeur. J'appelle votre attention sur ce point, parce que j'aurai à y revenir.
Messieurs, c'est d'un cuirassement pareil qu'est muni le Warrior, un des plus grands navires de guerre cuirassés anglais. Les navires de guerre français n'avaient que des plaques de 5 à 4 pouces d'épaisseur. Aujourd'hui on les cuirasse avec des plaques plus épaisses, mais qui ne dépassent pas l'épaisseur de celles qu'on vient d'essayer à Tegel.
Le tir avait encore lieu avec les deux canons en fonte dont je viens de parler. On a tiré quatre coups à 625 pas, près de 500 mètres. L'effet a été énorme.
Les plaques ont été brisées et arrachées ; le bordage a été enfoncé et brisé dans toute son épaisseur. Ce résultat a été aussi beau et aussi extraordinaire que celui que l'on a obtenu en Angleterre avec le canon Whitworth de 68, tirant seulement à 365 mètres.
Ainsi à 500 mètres, on a obtenu avec le canon de 24 en fonte le résultat que l'on avait obtenu avec le calibre de 68 tirant à 365 mètres.
Les officiers d'artillerie présents ont tous constaté que si la frégate n'avait pas été cuirassée, elle aurait peut-être moins souffert, et cela se conçoit : Le projectile frappant contre le cuirassement en fer, chasse les plaques dans le flanc de la frégate, qui se trouve entièrement démoli.
On a continué, messieurs, ce tir à 1,250 pas, près de mille mètres. Un seul coup brisa les plaques avec une telle violence que leur fracture entraîna celle du bordage entier dans toute son épaisseur.
Enfin on a tiré à 2,500 pas, et l'on a obtenu à peu près les mêmes résultats.
A cette distance, les effets ont été formidables ; d'énormes fragments de poutres ont été lancés derrière le bordage.
A propos de ces expériences, permettez-moi, messieurs, de vous lire un extrait du Journal militaire de Vienne.
« Les derniers essais de tir qui ont eu lieu au polygone de Tegel contre des flancs de navires cuirassés, ont donné les résultats les plus étonnants. Ce n'est pas le fait, que l'obus a complètement percé et brisé la plaque en fer forgé de 4 1/2 pouces d'épaisseur, qui a paru si extraordinaire, mais bien qu'on ait pu toucher un but aussi peu étendu. Il n'existait plus guère de doutes sur la force de percussion des obus de 24 tirés au moyen de canons rayés, et dans ce sens les essais n'ont fait que confirmer ce qu'on en attendait. Mais comme les essais antérieurs n'avaient laissé qu'une seule plaque intacte parmi celles dont on disposait, il était indispensable, pour essayer l'emploi des canons rayés, de toucher cette unique plaque restante, chose qui n'était certes pas facile, vu la hauteur de cette plaque (un pied), et la distance de 2,500 pas (1875 mètres).
« Mais à la surprise des nombreux assistants, cette tâche a été remplie d'une manière brillante par la commission d'expérience. Des dix coups destinés à l'essai, 2 devaient servir de coups d'essai, de sorte qu'il n'en restait que 8 pour l'expérience.
« De ces 8 coups, 4, c'est-à-dire la moitié, ont atteint le flanc du navire, et 2 ont frappé la dite plaque d'un pied de hauteur !
« C'est là une précision de tir qui a été jusqu'à présentions exemple et rien n'en a jamais approché, même de loin, »
Voilà, messieurs, l'opinion d'un journal autrichien rendant compte d'une expérience prussienne.
Je crois, messieurs, avoir à peu près rempli ma tâche. J'ai répondu à toutes les objections qui ont été présentées. Ou du moins cherché à le faire. Il peut m'en être échappé quelques-unes ; mais je crois avoir rencontré les plus sérieuses.
J'aurais cru, messieurs, manquer au plus impérieux de tous mes devoirs, si je n'avais pas fait tous mes efforts pour mettre notre artillerie au niveau des artilleries les plus perfectionnées. Or, je crois pouvoir dire que les études et les recherches très consciencieuses que j'ai faites ainsi, que les expériences que je n'ai cessé de faire faire par les officiers d'artillerie qui ont travaillé avec moi, nous ont donné la certitude d'obtenir les résultats les plus favorables dès que vous nous en donnerez les moyens.
Le gouvernement n'a pas hésité à vous soumettre la question de la transformation de notre artillerie aussitôt que ses convictions ont été formées.
Il aurait assumé une lourde responsabilité, s'il avait différé un instant de la porter devant vous et de vous demander de le mettre à même de la résoudre définitivement.
Il ne faut pas vous dissimuler, messieurs, que quelque activité que l'on déploie, quelles que soient les ressources dont nous disposions, quelques efforts que fassent nos établissements militaires, à l'aide desquels viendront encore ceux de l'industrie privée, il faudra un temps assez long pour transformer et renouveler notre matériel d'artillerie. C'est à vous d'apprécier si la situation de l'Europe permet de différer un travail aussi urgent.
Nous ne le pensons pas. Nous croyons, quant à nous, que la construction de notre matériel doit marcher de pair avec la construction des fortifications d'Anvers.
Nous pensons que ces fortifications perdraient une grande partie de leur importance si elles ne devaient pas être armées de canons susceptibles de lutter avec les canons qui leur seraient opposés.
Ne perdons pas de vue, messieurs, qu'Anvers est une égide protectrice dont nous couvrons la Belgique pour la préserver des maux de la guerre. C'est aussi un paratonnerre contre les orages qui pourraient gronder autour de nous, comme en 1848. Mais pour que les fortifications d'Anvers puissent avoir cette signification, il faut qu'elles aient une puissance défensive telle, que, pour les attaquer, il soit nécessaire de déployer tous les efforts, toutes les ressources d'une nation militaire de premier ordre.
Eh bien, j'ose garantir que la place d'Anvers répondra parfaitement à sa destination lorsqu'elle aura été fortifiée comme nous l'avons projeté et lorsqu'elle sera armée comme nous pourrons le faire avec l'artillerie pour laquelle nous vous demandons les fonds nécessaires. En présence de ce but, des avantages qu'il présente, de la sécurité qu'il assure, j'espère, messieurs, que vous n'hésiterez pas à voter un crédit dont je crois avoir démontré l'indispensable nécessité.
Je n'ose pas, messieurs, faire un appel à vos sentiments, à votre patriotisme qui n'ont jamais fait défaut au gouvernement dans les questions de cette nature. Je craindrais que l'honorable M. de Gottal ne m'accusât encore de faire entendre quelques accents de la Brabançonne. Ce n'est donc pas au nom du sentiment national, ni même au nom des trente années de bonheur et de liberté dont vous avez joui, que je vous demande de voter ce crédit qui doit assurer la conservation de ces biens précieux, c'est simplement au nom de la sagesse et de la haute raison qui vous ont inspirés et toujours guidés dans les grandes délibérations, que je vous le demande aujourd'hui.
- La Chambre fixe sa séance de demain à une heure.
La séance est levée à 4 heures et demie.