(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1043) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
« M. Delaveleye fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'un opuscule qu'il vient de publier sur la question monétaire. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
« M. Thibaut, rappelé dans sa famille par l'indisposition d'un de ses enfants, demande un congé. »
- Accordé.
M. David, rapporteur. - Plusieurs membres de cette Chambre et avant-hier l'honorable M. de Gottal se sont étonnés de mon adhésion à la dépense, pour la transformation de notre artillerie ; tandis que moi, dès l'apparition du projet de loi, j'avais trouvé que, par devoir envers nos soldats et leurs familles, et par attachement à mon pays, je devais, dans ce cas spécial, adopter les propositions du gouvernement. Vous allez juger des raisons qui m'ont déterminé.
Par l'opposition que j'ai faite jusqu'à présent aux dépenses pour la guerre, jamais je n'ai voulu la suppression de l'armée ; ce que j'ai toujours recherché c'est sa réduction en renforçant en même temps la garde civique de manière à arriver à un budget normal de 20 à 25 millions par an, et par la suite je continuerai à voter contre tout budget de la guerre qui ne sera pas ramené à ces proportions, plus en rapport avec les ressources et la position de neutralité du pays.
Mais que notre armée soit plus ou moins forte, pour qu'elle ait une raison d'être, elle doit par son armement se trouver à la hauteur de ses adversaires éventuels ; et même, plus elle sera réduite, plus il sera nécessaire de lui donner les armes les plus perfectionnées ; à ce point de vue, il était donc logique pour moi de voter la transformation de notre artillerie, en lui adaptant le meilleur système connu jusqu'aujourd’hui.
D'un autre côté, la force numérique ne décide pas toujours du succès sur les champs de bataille ; d'autres éléments y concourent, et entre autres la confiance qu'a le soldat dans la supériorité, ou tout au moins dans l'égalité des armes mises à sa disposition. Pour que son moral ne soit pas ébranlé, il doit être certain de pouvoir rendre coup pour coup. Je ne comprendrais pas que la Chambre et le pays voulussent d'une armée destinée à l'avance à aller se faire anéantir, sans chance aucune de pouvoir se défendre contre les formidables engins de destruction, introduits maintenant dans tous les pays d'Europe.
Aucun membre de cette Chambre ne voudra non plus qu'un jour, si nous sommes obligés de défendre notre territoire et nos institutions, nos généraux nous disent : Nous nous défendrons jusqu'au dernier homme ; mais nos boulets n'atteindront pas jusqu'aux batteries de l'ennemi, comme l'a écrit au roi de Naples le général Pergola, commandant la citadelle de Messine, dans sa lettre du 5 mars 1861, dans laquelle je lis la phrase suivante :
« Je dois aussi prévenir Votre Majesté que l'ennemi travaille avec ardeur à former de grandes batteries avec des canons Cavalli et rayés *dont la forteresse est fournie et comme je vous l'ai dit, hors de portée de notre artillerie. »
La raison d'humanité a contribué dans une large mesure aussi à me faire adopter le projet de loi ; d'après moi, il y aurait cruauté à faire (erratum, page 1093) marcher nos soldats, armés de sabres de bois et de pistolets de paille contre un ennemi pourvu d'engins perfectionnés, et je ne veux pas que les pères et les mères de famille, dont les fils composent notre vaillante armée, puissent me maudire un jour, en me reprochant d'être le bourreau de leurs enfants, de les avoir envoyés à la boucherie, parce que je leur aurais refusé les moyens de se défendre.
Enfin, messieurs, quoique les éventualités d'une guerre pour notre pays me paraissent bien éloignées, il était de mon devoir de bon citoyen d'approuver les améliorations proposées pour notre artillerie, afin de ne pas laisser notre territoire à la disposition du premier occupant qui voudrait s'en emparer, et de chercher, dans la mesure des forces de la Belgique, à garantir notre nationalité et nos libres et précieuses institutions de toute atteinte de l'étranger.
Ces explications données, je passe à l'examen du projet de loi.
Je ne m'occuperai par des questions techniques, je me bornerai à faire ressortir quelques-uns des points les plus saillants que nous avons traités déjà dans le rapport de la section centrale.
M. le ministre de la guerre qui prendra certainement la parole dans cette discussion, s'occupera spécialement de ces questions spéciales.
Vous aurez pu remarquer par le rapport de la section centrale combien toutes les sections ont été hésitantes, combien elles ont eu de difficulté à se former une opinion. L'exposé des motifs n'avait point convaincu les sections ; aussi tous les rapporteurs sont-ils arrivés à la section centrale avec la mission de déposer une foule de questions à soumettre au gouvernement. La section centrale elle-même a été assez mal disposée pendant un assez grand nombre de séances ; pendant 8 à 10 séances, nous ne nous sommes occupés que de questions à adresser au gouvernement, et toujours ces demandes de renseignements ont été votées par 5 et 6 voix ; nous cherchions par tous les moyens à nous éclairer.
Nous avons en treize séances, pendant plusieurs desquelles nous avons été réunis depuis 10 et 11 heures du matin jusqu'à 2 et 3 heures de l'après-midi.
Si notre examen a été long, c'est encore parce qu'il est arrivé plusieurs fois que des membres de la section centrale se trouvant empêchés, nous devions fixer nos réunions à des intervalles assez longs.
C'est ainsi que nous avons dû consacrer cinq semaines à l'examen du projet de loi.
Je donne ces explications, messieurs, pour répondre à l'honorable M. de Gottal, qui m'a provoqué avant-hier à les communiquer à la Chambre afin qu'elle sût les causes de la durée du travail auquel nous avons dû nous livrer.
Bien que tous les membres de la section centrale fussent d'accord sur la nécessité de modifier notre artillerie, les réponses écrites de l'honorable ministre de la guerre ne les ont pas complètement satisfaits ; et ce n'est qu'après la séance du 1er mars, dans laquelle M. le ministre de la guerre est venu nous donner des réponses verbales, qui complétaient le plus grand nombre de ses réponses écrites, que nous avons pu nous former une conviction.
Ces réponses verbales ont été assez détaillées et assez précises pour que, à partir de ce moment, une majorité favorable au projet de loi pût se prononcer définitivement.
Dans la séance du 2 mars, c'est-à-dire le lendemain, nous avons reconstitué, de mémoire, par écrit, les réponses verbales de M, le ministre de la guerre et nous les avons consignées dans un procès-verbal, nous le lui avons soumis afin de savoir si ce procès-verbal était exact et si nous pouvions en faire usage pour la discussion en section centrale.
M. le ministre de la guerre nous a répondu le 7 mars que, effectivement, le procès-verbal avait été rédigé d’une manière impartiale, mais que cependant il renfermait quelques erreurs. Il ajoutait : « Il est de mon devoir d'ajouter que l'intérêt de la défense du pays autant que les convenances internationales s'opposent à ce que les renseignements consignés dans le procès-verbal de la section soient publiés. »
Vous voyez que de cette façon il était impossible à section centrale de vous soumettre publiquement les éléments qui ont plus particulièrement servi à former la conviction de la majorité de ses membres. Je ne sais si quand tous les orateurs qui veulent parler auront été entendus, Il ne conviendrait pas que la Chambre voulût bien se réunir en comité secret pour que M. le ministre puisse donner les mêmes éléments d'appréciation qu'il a communiqués à la section centrale.
Ce sera à la Chambre à en juger ou plutôt il suffira que dix membres demandent le comité secret, mais bien entendu quand tous les membres qui veulent parier auront pu exprimer leur opinion, nous verrons s'il y aura lieu de se réunir une demi-heure en comité secret.
Je ne puis donc faire valoir en ce moment que quelques arguments dont nous avons déjà parlé dans le rapport de la section centrale, mais je les mettrai en relief de nouveau, et je les appuierai de quelques citations nouvelles qui m'ont frappé.
Ainsi, une des raisons importantes qui nous ont décidés à accepter le (page 1044) projet, c'est cet avis unanime donné par l'inspecteur général de l'artillerie, les officiers attachés à l'inspection, le directeur de la division d'artillerie, les officiers d'artillerie attachés au département de la guerre et les autres officiers consultés.
Sans que des noms propres soient ici indiqués, chacun de nous connaît la composition de ces diverses administrations du département de la guerre et pourra consulter les officiers qui en font partie et en obtenir toute espèce de renseignements.
Cette unanimité d'hommes instruits et connaissant à fond la question qui nous occupe était certes de nature à faire une très grande impression sur les membres de la section centrale.
Une autre garantie que nous avons rencontrée, c'est que plusieurs grandes puissances militaires, l'Angleterre, la Prusse, l'Allemagne et même la France, dans certains cas, ont adopté le canon rayé se chargeant par la culasse. J'ai lu ces jours-ci au Moniteur belge que les Etats de la Confédération germanique venaient de recevoir les canons rayés qui ont été construits dans les arsenaux de la Prusse, d'où la distribution en a été faite à tous les petits Etats de l'Allemagne. Partout donc en Allemagne, c'est le canon prussien qui est adopté.
M. de Gottal disait avant-hier que l'Autriche n'avait adopté qu'en partie le canon se chargeant par la culasse, c'est assez exact ; l'Autriche avait des canons en bronze, elle ne pouvait pas leur appliquer le système prussien, et elle voulait naturellement utiliser son ancien matériel, c'est pourquoi elle a adopté le système français. Vous savez que les pièces en bronze se détériorent promptement déjà même par l'emploi des projectiles à tenons, et que si on les transformait en canons se chargeant par la culasse elles seraient mises bien plus vite hors de service par l'usage des projectiles forcés, il ne faudrait pas un bien grand nombre de coups de canons pour cela. L'Autriche, après avoir pris à Magenta un modèle de ce canon aux Français, ne pouvait faire d'autre usage de ses bouches à feu en bronze.
Il paraîtrait que si, même en Russie, on a adopté le système français c'est par la même raison qu'en Autriche ; car voici ce que j'ai lu dernièrement dans un journal allemand l’« Allgemeine Zeitung » d'Augsbourg, du 21 mars dernier.
Ce journal, très répandu, qui a du poids et de la valeur en Allemagne, s'occupait du rapport de la section centrale belge et principalement des arguments consignés par la minorité dans ce rapport.
J'ai traduit l'article de l’ « Allgemeine Zeitung ». Voici comment il s'exprime :
« La minorité a émis un avis motivé contre la décision de la section centrale, dans lequel le projet du ministre de la guerre est attaqué au point de vue technique. Les raisons sont très peu fondées. Dans l'introduction elle dit, par exemple : Le fusil prussien à aiguille, estimé si haut dans le temps, est tombé dans le plus profond discrédit ; tandis que le contraire justement existe. Ce fusil a un calibre beaucoup trop fort pour des balles coniques, mais le système présente des avantages extraordinaires. Beaucoup de reproches faits aux canons se chargeant par la culasse sont erronés. Ce qui est vrai, c'est que les canons se chargeant par la bouche sont adoptés en Russie, en France, en Piémont, en Espagne, en Portugal, en Autriche, mais il n'est en cela question que des pièces en bronze transformées, les constructions nouvelles étant en partie aussi à culasse.
Voilà, messieurs, comment on apprécie au cœur de l'Allemagne, les raisons données par la minorité de la section centrale et surtout l'allégation que le système français était introduit presque exclusivement en Autriche, en Russie et dans d'autres pays.
On dit aussi, messieurs, que la Suisse a adopté le système français. Si j'en crois une lettre de Thoune que je lis dans un journal, la Cible de Bruxelles, du 9 avril courant, qui relate ce qui s'est passé à propos des expériences faites à Thoune, je pourrais croire que ce n'est pas le système français qui a été adopté dans ce pays-là, puisque je lis ce qui suit :
« Il est constant, en effet, que les canons rayés français, à la bataille de Solferino, n'ont pas rendu complètement ce qu'on attendait de cette arme et que la plupart des projectiles destinés à éclater n'ont pas produit d'effet, les fusées de communication n'ayant pas pris feu.
« Le système suisse obvie complètement à cette défectuosité ; les projectiles de 6, 8 et 12 manquent rarement leur effet et la portée, aussi bien que la précision des canons rayés, est surprenante. »
Il est certain qu'au moins il y a eu des modifications apportées par la Suisse au système français. Car comment continue la lettre ? On n'y parle plus du système français, on dit : Le système suisse obvie complètement à ces défectuosités. Nous avions trois systèmes en présence ; en voici donc un quatrième : le système suisse. Vous voyez que si la Suisse a adopté le système français, c'est avec des modifications.
Depuis que les travaux de la section centrale étaient terminées, un document, que je considère comme d'une grande importance, est arrivé entre nos mains : c'est une brochure du capitaine Weigelt, capitaine de la troisième brigade d'artillerie de Brandebourg et premier adjudant de la deuxième inspection d'artillerie en Prusse, sur les essais de tir et de brèche faits à Juliers en septembre 1860 avec les canons du système prussien en fer ; car dans ces essais il n'y a eu que deux canons en acier qui aient fonctionné. Les canons employés n'étaient donc pas aussi parfaits qu'ils le seront par la suite.
La brochure dont je parle doit avoir de la valeur. Elle n'est pas faite pour le public qui n'est pas versé dans l'art militaire, mais comme le titre l'indique, elle est destinée aux officiers de toutes armes qui peuvent apprécier les raisonnements, qui connaissent déjà les effets du système français et peuvent, en lisant la brochure, apprécier la différence qu'il y a entre l'un et l'autre système.
L'auteur décrit, dans cette brochure, tous les systèmes de tir de siège. On a fait huit essais, que, d'après le capitaine Weigelt, ont été très concluants. Dans l'explication de ces essais, il donne des renseignements sur les distances, sur la charge des canons, sur le nombre des boulets qui ont atteint le but, sur l'épaisseur et la solidité des murs, sur le nombre de coups qu'il a fallu pour battre en brèche et exécuter des démolitions, sur le nombre de ceux qui n'ont pas porté juste, mais il y en a eu fort peu.
J'ai déjà lu dans les brochures et dans les journaux certains passages de cet écrit, tellement mal rendus en langue française qu'il serait très intéressant que nous pussions en avoir une bonne traduction, car hier l’honorable M. Goblet lui-même a confondu l'essai n°5 avec l'essai n° 6. (Interruption.)
C'est extrêmement important et je vais, messieurs, vous donner la description que j'ai traduite de la brochure. D'abord on lit à la page 3 :
« Les essais n°4 et n° 6 peuvent être considérés comme des épreuves de violence ou de force. i
Les extraits de la brochure que je vais citer se rapportent à l'essai n°6.
« La maçonnerie avait été construite de 1549 à 1569 en murs très solides en briques.
« Où l'entaille horizontale devait être faite, elle avait 12 pieds d'épaisseur.
« Les piliers de soutènement, qui devaient être brisés avant la chute de la muraille, avaient 12 pieds d'épaisseur.
« Et la muraille qui relie les autres en arrière 2 1/2 pieds, ensemble 26 pieds à percer.
« De plus il y avait des voûtes qui soutenaient les terres, de manière que ces terres ne poussaient pas contre la muraille, poussée qui en général fait tomber plus tôt les murs.
« Le feu a cessé à 3 heures, on n'avait pu tirer le 26 septembre que 163 coups de canon parce qu'on avait commencé tard. »
La seule raison pour laquelle on n'a pas terminé l'expérience ce jour-là 26 septembre, c'est qu'en effet on avait commencé trop tard dans l'avant-midi.
Page 24 ;
« Le lendemain 27 on recommence. »
« Avec 294 coups de canons de 24 livres on avait fait une brèche praticable, large de 70 pieds au niveau de l'eau et large de 45 pieds au milieu et en haut. »
Et l'auteur di -pour terminer :
« Ainsi, avec moins de 309 coups de canon, on avait fait une brèche complète dans cette maçonnerie si solide, si célèbre même ; en cas d'un siège de guerre il faudrait à peine 10 heures pour accomplir cette opération. »
Voici, messieurs, le passage auquel l'honorable M. Goblet a fait allusion :
« Ce résultat avantageux a dû contenter même ceux qui avaient une confiance sans réserve dans l'effet du canon rayé avec projectiles explosifs, mais qui cependant étaient anxieux, parce que le nombre de 117 coups leur avait paru considérable pour faire brèche dans une muraille de sept pieds d'épaisseur. »
Maintenant, à la page 25, toujours sur cet essai n°6, l'auteur dit :
(page 1045) « On peut prétendre, d'après les expériences du passé, que des canons à âmes lisses auraient à peine pu pratiquer une brèche dans une muraille pareille, et qu'il en serait de même avec des canons rayés tirant des boulets pleins ou des boulets creux non chargés. »
Voilà, messieurs, le résultat de cette expérience n°6, et vous voyez combien il importerait qu'il fût fait une bonne traduction de cet ouvrage.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Nous en avons fait faire une, qui sera publiée.
M. David, rapporteur. - Je pourrais, messieurs, faire une masse de citations, mais je me bornerai à vous donner les conclusions définitives du capitaine Weigelt.
Voici, messieurs, après que toutes les expériences eurent été terminées, les conclusions raisonnées et écrites pour les hommes du métier.
« Les présents essais ont, sous le rapport de l'emploi des bouches à feu rayées (du système prussien naturellement) augmenté et enrichi les expériences faites jusqu'à présent de ce qui suit. »
II est important de remarquer que l'honorable officier se sert des mots augmenté et enrichi ; cela veut dire qu'on ne s'est pas tenu, en Prusse, aux expériences du tir en brèche faites à Juliers, qu'il y a eu d'autres expériences exécutées pour d'autres services à la guerre ; donc les conclusions ne se rapportent pas seulement aux essais de tir en brèche, elles se sont enrichies de ce qui suit :
« a) Pour le tir indirect :
(Le tir indirect est celui où le but est caché par un obstacle plus élevé que le but à atteindre, but que ne peuvent voir les artilleurs.)
« 1° Les canons rayés exécutent, mieux que les canons lisses à des distances plus grandes, le tir indirect.
« 2° Le tir indirect en brèche réussit très bien sans grande dépense de munitions.
« 3° Les canons rayés avec petites charges sont à employer avec succès pour le tir indirect.
« 4° L'effet des projectiles explosifs des canons rayés, contre des murailles, même avec de petites charges, est certainement assez efficace, pour qu'on puisse se passer d'autres espèces de canons pour ce genre de tir.
« b. Pour le tir direct en brèche :
« 5° La pièce de 6 rayée suffit pour faire en peu de temps une brèche praticable avec des projectiles explosifs dans une bonne muraille d'épaisseur moyenne.
« 6° La pièce de 12 rayée suffit pour démolir complètement en peu de temps des massifs de murailles, même les plus solides et les plus fortes.
« 7° La pièce de 24 rayée peut avec peu de munitions faire brèche dans la plus forte muraille, exécutée avec les meilleures matériaux et avec les plus grands soins.
« Les canons rayés remplissent le but dans les opérations ordinaires d'un guerre de siège plus promptement et plus complètement que les canons et obusiers à gros calibres employés jusqu'à présent, et l'emploi de canons rayés, d'une précision de justesse de tir pareille à celle que possèdent ceux introduits en Prusse, vu l'effet prépondérant de ses projectiles explosifs contre des maçonneries, doit donner à l'attaque une plus grande supériorité encore, qu'elle n'avait déjà sur la défense au moyen de l'artillerie de l'ancien système.
« Pour toutes ces expériences on a tiré 1,004 coups de canon, 96 avec 1/2 charge de poudre, 908 avec charge complète ; il a été employé en munitions 341 quintaux de 56 kil. de métal, y compris les enveloppes en plomb, et 81 quintaux de poudre, y compris celle employée pour le chargement des boulets explosifs. »
De plus, M. le capitaine Weigelt ne signale aucun accident qui soit arrivé pendant le tir de Juliers.
Messieurs, nous pourrions presque dire que ces renseignements sont officiels ; c'est un officier de l'armée prussienne qui les a rédigés et qui les a fait imprimer à Berlin ; c'est donc en quelque sorte avec l'autorisation du gouvernement prussien qu'il a publié cette brochure. A mon avis, cette circonstance donne beaucoup plus de valeur aux arguments qu'il développe et aux renseignements qu'il donne.
Nous avons été, je l'avoue, heureux de rencontrer dans cette brochure la confirmation de ce que l'honorable ministre de la guerre nous avait déclaré dans ses réponses écrites et verbales ; après avoir bien pesé toutes ces raisons, nous devions adopter le système prussien de préférence au canon du système français, système qui (erratum, page 1093) n'avait pas été trouvé le meilleur par les hommes compétents, et sur lequel, d'ailleurs, nous n'avions que des renseignements extrêmement vagues.
Le capitaine Hay, qui était le chef d'état-major du général Crofton, commandant en chef l'artillerie de la dernière expédition de Chine, a donné, dans une lettre du 25 mars, des renseignements très importants sur l'emploi, pendant la guerre de Chine, du canon Armstrong qui, comme vous le savez, est du même système que le canon prussien ; et voici la phrase très remarquable par laquelle il termine cette lettre : « Aujourd'hui donc, j'ai pleine confiance que l'artillerie anglaise possède les meilleurs canons et les meilleures munitions qui soient au monde. » »
Voilà, messieurs, l'avis, sur les expériences qui out été faites pendant la guerre de Chine, de l'officier anglais qui était chargé par le gouvernement anglais (il le dit lui-même dans sa lettre), de recueillir tons les renseignements possibles, pendant la guerre de Chine, sur les qualités et les défauts du canon Armstrong.
En résumé, messieurs, la préférence que nous avons donnée au canon prussien était basée sur des raisons suffisantes, raisons que nous avons puisées dans les réponses écrites et verbales de M. le ministre de la guerre. Voici ces raisons :
Ce canon, messieurs, n'a pas les défauts du canon français : son tir est plus précis, plus efficace ; il a une plus grande portée ; et les servants sont plus à l'abri de la mousqueterie. Ce canon est plus solide ; les projectiles sont plus faciles à fabriquer et à transporter : ils sont aussi légers et aussi faciles à manier.
L'éclatement des projectiles se fait à l'endroit voulu. Le canon à culasse est adopté en France pour certains usages.
Dans notre pays, nous ne pouvons avoir qu'une guerre défensive à soutenir. Quant à la question de dépenses, nous pouvons admettre que l'adoption du système prussien, pour la transformation de notre artillerie, ne coûtera pas beaucoup plus que l'adoption du système français.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Elle coûtera, moins au contraire.
M. David, rapporteur. - Voilà, messieurs, résumées en quelques mots, les raisons principales qui nous ont fait préférer les canons prussiens.
Malgré toutes les démonstrations produites à l'appui, en section centrale a surgi la proposition de nomination d'une commission d'enquête, et le discours prononcé avant-hier par l'honorable M. de Gottal avait le même but.
En section centrale, personne n'a songé à dénier à la Chambre son droit d'enquête consacré par l'article 40 de la Constitution.
On pourrait dire que nous avons déjà, en section centrale, fait une espèce d'enquête sur la question qui nous occupe. Nous avons poussé les investigations aussi loin que possible, vous pouvez vous en convaincre en examinant les nombreuses questions que nous avons adressées au gouvernement, indépendamment des question verbales qui ne sont pas indiquées dans le rapport de la section centrale. Toutes les décisions de la section centrale ont été prises à la majorité de 5 ou 6 voix, ce qui démontre que tous nous voulions nous éclairer.
Après avoir entendu les réponses verbales confidentielles de M. le ministre de la guerre, une majorité favorable, se trouvant assez éclairée, s'est formée.
Quand nous avons discuté la question de nomination d'une commission d'enquête, cette majorité a pensé qu'une enquête présenterait les plus graves inconvénients, et elle a repoussé cette idée. Elle l'a rejetée encore par cette autre raison qu'une enquête ne pourrait nous conduire qu'aux mêmes conclusions que celles adoptées par M. le ministre de la guerre, l'enquête ne devant porter que sur les documents et rapports qui avaient servi à former la conviction de l'honorable ministre lui-même.
Enfin, nous n'avons pas voulu d'enquête parce que nous avons pensé que c'était un moyen lent et dispendieux d'arriver à la solution de la question, si l'enquête devait porter sur les documents écrits et les rapports et de nouvelles expériences de tir ; et je pense qu'une enquête n'eût pas été complète si on avait voulu se contenter de lire les documents et rapports que possède M. le ministre de la guerre, qu'elle aurait dû comprendre de nouvelles expériences de tir.
Voici, messieurs, les raisons qui nous ont fait penser qu'une enquête présenterait de graves inconvénients. Il faut savoir que les canons rayés adopté par diverses puissances ne sont pas des machines qui se trouvent dans le commerce. Il n'existe pas de brevets d'invention pour ces canons, que l'on pourrait acheter.
La fabrication, on peut le dire, forme un véritable secret d'Etat dans (page 1046) chacun des trois pays cités comme possédant des systèmes différents. Il y a même des pays où l'on pousse la précaution jusqu'à faire confectionner les canons et les projectiles par différents ouvriers, dans des arsenaux divers, afin que ceux qui fabriquent les canons ne sachent pas comment sont confectionnés les projectiles, et que ceux qui s'occupent de la fabrication des projectiles ne sachent pas comment sont faits les canons.
Ainsi, messieurs, si M. le ministre de la guerre a pu se procurer, d'une façon ou de l'autre, des renseignements sur la fabrication, sur le tir, etc., de ces sortes de canons, ne serait-il pas dangereux, au point de vue de nos relations internationales, que, devant une commission d'enquête, il vînt révéler les secrets qu'on a pu lui confier ? Si même M. le ministre de la guerre croyait pouvoir communiquer à la commission d'enquête, les rapports qu'il s'est vu obligé de nous refuser (et il s'agit, je pense, des rapports sur les expériences faites à Brasschaet et à l'étranger), pensez-vous que la commission d'enquête pourrait arriver à d'autres conclusions que celles de M. le ministre de la guerre ? Croyez-vous, messieurs, que, contre l'avis des hommes compétents qui ont fait ces rapports et qui ont conclu, à l'unanimité, à l'adoption de l'espèce de canon qu'on nous propose, une commission d'enquête devrait prendre sur elle devenir nous proposer un système différent ? Quant à moi, je ne le pense pas.
Une troisième raison pour laquelle la section centrale n'a pas adopté cette proposition de nommer une commission d'enquête, c'est que le travail auquel elle eût dû se livrer eût duré longtemps et coûté beaucoup. En effet, elle aurait dû examiner tous les documents et rapports écrits ; elle aurait dû consulter également des hommes spéciaux en dehors de ceux qui ont rédigé ces rapports ; elle aurait dû assister à des expériences de tir ; et où ces expériences l'auraient-elles conduite ? Il y a trois systèmes d'une grande valeur en présence : le système français, canons se chargeant (erratum, page 1093) par la bouche, le système anglais et le système allemand (canons se chargeant par la culasse), il faudrait essayer trois calibres différents de chacun de trois systèmes, un de 6, un de 12 et un plus fort, de 24 je suppose, donc neuf bouches à feu différentes.
Pour connaître la valeur de chaque pièce, chacune doit tirer 1,200 coups avec plusieurs espèces de projectiles, obus, shrapnel, boîtes à Dalles, etc.
Soit donc pour 9 pièces, 1,200 coups, un total de 10,800 coups de canon à tirer ; ces tirs d'où (erratum, page 1093) devrait dépendre le choix du canon à adopter définitivement doivent être relevés et notés avec la plus grande précision, pour connaître exactement la portée, la justesse et la force du tir. Avec des précautions pareilles, le tir est long ; si nous estimons à 50 coups de canon par jour, et c'est déjà un nombre élevé, il faudra 216 jours pour l'expérimentation des trois systèmes ; si vous tenez compte des dimanches et jours de fête, des mauvais temps, des empêchements de toute espèce, vous devrez doubler le temps nécessaire, nous arrivons à 432 jours, c'est-à-dire à près de 15 mois.
Là ne se bornent pas les opérations, il faut encore le temps nécessaire pour préparer le matériel, les projectiles, il faut rédiger les rapports, les examiner, les discuter, prendre une décision. Si vous tenez compte de tout cela, deux années s'écouleront certainement en travaux préparatoires. C'est donc au bout de deux ans que vous arriverez à pouvoir prendre une décision quant à l'arme que vous devez choisir ; je ne pense pas qu'il soit convenable d'attendre si longtemps pour transformer notre artillerie.
Les frais d'expérience pour les 9 bouches à feu, y compris les dépenses de voyage, de déplacement, de fourniture de toute sorte, etc., etc., monteront au moins à 300,000 francs ; comme les canons ne sont pas dans le commerce, nous devrons fabrique les canons, construire les machines, fabriquer les projectiles ; nous n'avons pas sous la main de modèles parfaits de ces différents systèmes.
Avant d'avoir réussi convenablement des pièces, pour les essais, combien n'en aurons-nous pas gâté ?
Que de centaines de mille francs n'aurons-nous pas dépensés avant d'avoir fait des essais qui nous permettent d'apprécier la supériorité de tel système sur tel autre ?
Ce n'est pas en Belgique seulement qu'on a transformé l'artillerie. On l'a fait dans des pays qui ont des institutions analogues aux nôtres, en Angleterre, en Prusse, en Danemark, en Hollande, en Portugal, en Bavière, etc., eh bien, dans aucun de ces pays on n'a demandé d'enquête pour la transformation ; dans ces pays on a dit ; Le gouvernement est mieux à même de faire des essais, de savoir ce qu'il convient de faire ; on a voté l'argent nécessaire sans s'enquérir du système à adopter et des moyens de fabrication ; toutes ces raisons ont déterminé la section centrale à ne pas admettre la proposition d'enquête ; elles sont assez importantes, je pense, pour que la Chambre la repousse également si elle était reproduite.
Hier, M. Goblet a reproché à la section centrale d'avoir inséré dans son rapport qu'il y avait danger à intervertir les rôles. Sans abdiquer aucun de nos droits de contrôle, d'investigation et de veto dans des questions comme celle qui nous occupe, où il faut des connaissances spéciales, où il faut des essais longs et suivis de toute espèce et où il faut savoir autant que possible ce qui se passe à l'étranger pour les résoudre, le gouvernement seul peut réunir des éléments exacts d'appréciation ; la Chambre ne peut pas s'occuper de fabrication de canons et de tir d'essai.
Dans tous les pays constitutionnels, les Chambres ont laissé faire le gouvernement, quand il s'est agi de faire des transformations d'armement.
Nous-mêmes, quand nous avons transformé les armes de l'infanterie, certains canons même, je pense, jamais les Chambres n'ont voulu remplacer le gouvernement pour savoir s'il fallait donner la préférence à tel système sur tel autre.
Je demande si dans une situation pareille la Chambre voudrait se substituer au gouvernement, si elle voudrait prendre la responsabilité tout entière d'imposer au gouvernement un canon quelconque ; si vous lui imposiez le canon français et qu'il se trouvât inférieur, vous mettriez le gouvernement en droit de venir dire : Je vous ai donné tous les éléments d'appréciation, vous avez adopté un mauvais canon quand vous pouviez en avoir un bon, vous avez compromis la sécurité du pays.
L'honorable M. Goblet, qui a adressé ce reproche à la section centrale, me paraît être du même avis que nous ; car c'est ainsi qu'après avoir fait l'éloge du canon français et avoir fait ressortir les défauts qu'il suppose au canon prussien, n'est pas venu proposer d'amendement demandant l'adoption du système français.
Puisqu'il ne propose pas d'amendement dans ce sens, je dois en conclure que, lui aussi, il veut laisser à d'autres la responsabilité de doter la Belgique de la meilleure bouche à feu.
Maintenant j'aborderai, pour n'en dire qu'un mot, la question de la hauteur du crédit demandé. Comme l'a déjà très bien fait ressortir l'honorable M. Van Overloop, on parle toujours de 15 millions, comme si cette somme devait être exclusivement employée à la confection de canons.
Mais, messieurs, il n'en est rien. C'est la plus petite part qui servira à la confection et à la transformation de notre artillerie. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les détails qui ont été donnés en réponse à la troisième question de la section centrale par l'honorable ministre de la guerre.
Il faut d'abord défalquer des 15 millions, les 1,100,000 fr. pour la démolition de certaines places fortes ; il reste ainsi une somme de 14,461,170 fr., dont la répartition sera faite d'après la note suivante :
Fonderie de canons.
Fabrication de bouches à feu rayées, en acier et en fer ; transformation de bouches à feu en bronze ; projectiles pour pièces rayées ; ferrures pour l'arsenal d'Anvers.
L'exécution de ces travaux nécessitera les dépenses suivantes :
Achat de matériaux, tels que fonte de fer, cuivre, étain, fers forgés, aciers, tôles, combustibles, bois de construction, cordages, huiles, graisses et ingrédients divers : fr. 5,739,670 :
Salaire des ouvriers : fr. 2,424,300 :
Dépenses diverses, appropriation de bâtiments et achats de machines : fr. 212,130.
Total : fr. 8,376,100.
(page 1047) Arsenal de construction.
Construction d'affûts avec leurs dépendances : Achat de matériaux, tels que bois, fers, aciers, tôles, combustibles, huiles, graisses, outils, et ingrédients : fr. 955,300 :
Salaires des ouvriers : fr. 1,385,185 ;
Dépenses diverses : fr. 47,765.
Total : fr. 2,388,250.
Fabrication de fusées pour les projectiles et machines : fr. 843,000.
Fabrication de poudres : fr. 2,853,820.
Total : fr. 3,696,820.
Total général : fr. 14,461,170.
Vous voyez que la construction des nouveaux canons, que la transformation de notre artillerie exigera, non pas 15 millions, mais à peu près le tiers de ce crédit et qu'une très forte somme sera employée en munition, etc.
Pour terminer je dirai que la section centrale doit persister dans l'amendement qu'elle a proposé, à savoir la division du crédit en deux articles, l'un se rapportant au matériel d'artillerie, article 20 du budget et l'autre au matériel du génie, article 21 de ce même budget.
Vous savez, messieurs, que les littera et les annexes ne font pas loi pour un ministre. C'est l'article de loi qu'il doit exécuter, et lorsque dans un article vous avez un chiffre global, qui est divisé soit dans des annexes, soit dans des litteras, le ministre peut faire des transferts et disposer de tout le crédit soit pour l'un des usages auxquels il est destiné, soit pour l'autre. Dans cette circonstance, il est plus important encore que dans tout autre qu'il ne puisse en être ainsi. C'est ainsi que les villes qui doivent être démantelées ont le plus grand intérêt à ce que ce démantèlement soit promptement exécuté, et nous devons tenir à ce qu'il en soit ainsi et qu'on ne puisse pas ne pas exécuter ce démantèlement, parce que les 1,100,000 fr. auraient été employés à un autre usage.
La section centrale persiste donc dans son amendement.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je demande à faire une observation.
L'honorable M. David a proposé à la Chambre de se réunir en comité secret pour entendre mes explications sur le système d'artillerie adopté. Comme beaucoup d'erreurs ont été répandues dans le public sur ce système, je demande qu'au préalable la Chambre veuille bien entendre les explications publiques que je donnerai. Si ces explications ne la satisfaisaient pas, elle pourra se réunir en comité secret ; mais alors, je lui demanderai de vouloir bien me permettre de conduire dans son sein les officiers d'artillerie qui ont examiné la question avec moi.
Puisqu'on dit, malgré mes déclarations contraires répétées à satiété, que je l'ai décidé seul, puisqu'on persiste à ne pas tenir compte de mes paroles, je demanderai que ce soient ces hommes compétents qui viennent vous donner des explications.
M. de Brouckere. - Il faut les nommer commissaires du Roi.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est ce que je pourrai faire si je ne parviens pas à convaincre la Chambre.
M. le président. - Ainsi, si j'ai bien compris M. le ministre, il demande à donner des explications publiques. La Chambre alors déciderait s'il y a lieu d'avoir un comité secret.
M. Desmaisières. - Faut-il transformer notre artillerie par l'introduction du canon rayé ? Faut-il voter un crédit considérable dans ce but ? Ce sont là des questions qui seront certainement résolues affirmativement par la Chambre, qui a trop de patriotisme pour s'opposer aux dépenses nécessaires afin d'assurer la défense nationale.
Toutefois n'avons-nous pas d'autre question à examiner ? Il en serait ainsi si le ministère nous avait demandé les fonds nécessaires à l'introduction d'un système de canons rayés, sans préciser d'avance le système à préférer. Nous aurions, en ce cas, pu nous en rapporter au jugement soit du ministre de la guerre lui-même, soit d'une commission d'officiers de notre corps d'artillerie, soit de toute autre autorité digne de notre confiance.
Mais le ministère en désignant, dans l'exposé des motifs, le canon prussien comme celui qu'il s'agit d'adopter, étend évidemment à la Chambre une part de la responsabilité qui résulte de ce choix. Dès lors il n'y a plus d'incompétence parlementaire à alléguer, et nous sommes appelés à examiner la valeur des arguments qui ont motivé la préférence dont la canon prussien est l'objet. C'est au ministère à nous fournir tous les renseignements propres à nous éclairer : il saura ainsi nous rendre suffisamment compétents, ce qui vaudra infiniment mieux que de nous taxer d'incompétence.
Mes antécédents militaires sont trop anciens pour que j'en tire aucune raison de me croire plus en position que mes collègues de juger entre les mérites des divers systèmes de canons rayés prussien, français, Wahrendorff, Armstrong, Cavalli ou autres.
Mais que M. le ministre, et il vient d'en manifester l'intention, nous montre les avantages du canon prussien, qu'il appuie ses paroles par la communication des rapports de ceux qu'il a chargés de faire des expériences et il convaincra d'autant plus facilement les membres de cette Chambre qu'il s'en trouvera moins parmi eux ayant une compétence spéciale à lui opposer.
Les canons rayés prussiens sont-ils ceux dont le tir présente le plus d'efficacité ? sont-ils ceux dont l'adoption serait la moins dispendieuse ? leur service est-il le moins compliqué et celui qui exige le moins d'augmentation de notre personnel ?
Je désire vivement que des explications et des documents qui nous seront communiqués, il résulte pour moi sur ces divers points une conviction favorable au choix qui nous est proposé, et en ce cas je n'hésiterai pas à voter en faveur du projet de loi. Seulement, je regrette de devoir le dire, mais jusqu'ici j'ai plutôt lieu devoir se renforcer que s'atténuer mes dispositions à croire le canon rayé français préférable. Il a fait ses preuves dans la guerre d'Italie, et il n'a assurément pas été adopté à la légère par un corps d'artillerie aussi savant et distingué que celui de la France.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je crois que jamais on n'a publié autant d'inexactitudes et répandu autant d'erreurs sur une question que sur celle qui nous occupe en ce moment.
A entendre les adversaires du projet de loi, l'on croirait que tout est défectueux, tout est mauvais dans le système d'artillerie que nous avons arrêté et qu'au contraire tout est parfait, tout est irréprochable dans le système préféré par la minorité de la section centrale.
Quel qu'eût été le système que nous eussions adopté, lors même que nous eussions pris celui que l'on préconise aujourd'hui, soyez certains d'une chose, c'est que vous auriez entendu les mêmes critiques et les mêmes plaintes. Seulement si nous avions adopté le système français qu'on met en avant aujourd'hui, à ces plaintes, à ces critiques vous eussiez vu se joindre des récriminations contre moi, vous eussiez vu se reproduire ces insinuations, ces accusations de livrer la Belgique à la France.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, ces accusations nous ont été prodiguées plusieurs fois par certains journaux.
M. B. Dumortier. - Il n'y a qu'une opinion parmi nous, général, sur votre patriotisme.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je comprends ces accusations, car je n'ai jamais dissimulé mon admiration pour le génie et les vertus militaires de l'armée française ni mon estime pour le talent des officiers français, bien que l'honorable M. Goblet ait semblé le contester hier.
Mais cette admiration n'est pas exclusive ; elle ne m'empêche pas d'admirer tout ce qu'il y a de grand, de noble, de savant dans les autres armées et de chercher à introduire dans la nôtre, sans distinction d'origine, tout ce que je trouve bon et utile, et surtout ce qui peut augmenter nos moyens de défense.
Messieurs, toutes les armées se font des emprunts réciproques, et la nôtre, toute petite qu'elle est, a eu souvent l'honneur de se voir emprunter beaucoup de choses par des armées appartenant aux plus grandie nations. L'armée française, à laquelle nous avons tant emprunté, croyez-vous qu'elle n'emprunte jamais rien aux autres ? Je pourrais citer vingt exemples d'emprunts qu'elle a faits aux armées étrangères. Les affûts de campagne, les shrapnels, les fusées à la congrève en usage dans l'artillerie française, ne sont-ils pas d'origine étrangère ?
Eh bien, messieurs, soyez bien persuadés d'une chose, c'est que si le système d'artillerie adopté en France, avec un peu de précipitation, précipitation que justifient du reste les circonstances où se trouvait la France, si ce système d'artillerie avait été trouvé préférable aux autres, aussi avantageux même que les autres, nous l'eussions adopté avec empressement.
Mais, avant d'adopter un système d'artillerie, nous avons cru qu'il était de notre devoir de chercher à connaître ce qui s'était fait dans (page 1048) tous les pays, afin qu'au moment où nous allions demander une nouvelle dépense au pays, nous eussions l'assurance d'introduire chez nous ce qu'il y avait de plus parfait, de plus complet.
Voilà le rôle que je me suis imposé lorsque je suis arrivé au ministère.
J'ai voulu avoir tous les renseignements possible, j'ai voulu chercher à connaître tous les progrès réalisés dans les divers pays.
Et cependant, à entendre mes adversaires on dirait que j'ai commis quelque méfait pour avoir résolu une des questions les plus difficiles dont plusieurs pays cherchent encore la solution.
Très peu de pays sont aussi avancés que nous et la plupart s'efforcent encore de trouver ce que nous avons découvert.
On disait aussi que j'ai mérité la réprobation générale pour avoir cherché à tirer le pays d'une position dangereuse, pour avoir cherché à le mettre à même de traverser les épreuves auxquelles l'expose un avenir encore rempli d'incertitude.
Ces injustices, ces erreurs, ces exagérations, quelque étranges qu'elles soient, ne m'étonnent pas ; je les avais prévues, je m'y attendais, en adoptant la ligne de conduite que je me suis tracée
Il y a, en effet, messieurs, deux manières de remplir les fonctions ministérielles : l'une, bien simple, bien facile, bien commode, permet de passer à peu près paisiblement la période de temps heureusement assez courte assignée à l'existence d'un ministre dans les gouvernements constitutionnels et parlementaires : il ne s'agit pour cela que de vivre au jour le jour, de ne pas s'inquiéter de l'avenir, d'ajourner toutes les questions difficiles, en laissant à ses successeurs le soin de les résoudre, ou de les abandonner à des commissions sans responsabilité. Mais en agissant ainsi, on laisse aussi le pays à la merci des événements qui peuvent survenir.
La deuxième manière consiste, au contraire, à examiner sérieusement et à chercher à résoudre toutes les questions importantes, si difficiles qu'elles soient, quelques difficultés qu'elles doivent faire naître, et à se préoccuper sans cesse des moyens de conjurer tous les dangers de l'avenir. Elle consiste enfin à oser dire la vérité à son pays, au risque de blesser ceux qu'offusque la lumière et ceux qui aiment à se bercer d'illusions.
Messieurs, c'est cette dernière ligne de conduite que je me suis tracée, bien que je ne me fisse aucune illusion sur la vie de déboires qui en serait la conséquence pour moi : Oui, j'ai pris pour moi les travaux incessants, les luttes, les calomnies pour donner au pays la sécurité et pour assurer son repos dans l'avenir.
Messieurs, si pour suivre cette ligne de conduite, j'ai été obligé de demander des crédits importants, si je suis obligé de vous demander encore aujourd'hui un nouveau sacrifice, je n'en ai pas moins la conviction d'être un ministre aussi économe que le plus économe, car il me serait facile de démontrer que j'ai introduit, chaque fois que j'ai été au ministère, de notables économies dans toutes les branches de l'administration. Je sais par expérience que les dépenses faites à propos dispensent souvent de dépenses plus grandes qui seraient nécessaires ultérieurement et auxquelles on se résignerait au prix des plus grands sacrifices lorsqu'il ne serait plus temps.
J'ai d’ailleurs la conviction que la dépense que je vous demande de faire aujourd'hui vous préservera peut-être de votre ruine et de la perte de vos biens les plus précieux. Aussi ai-je l'espoir que si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, le pays est menacé d'un danger sérieux, il rendra justice à notre prévoyance et à nos efforts communs.
C'est là ce qui soutient mon courage, et malgré tous les obstacles qu'on me suscitera, c'est là ce qui me donnera la force de poursuivre ma tâche, aussi longtemps que vous m'accorderez votre confiance.
Je vous rappellerai, messieurs, un fait qui n'a jamais été mis en doute. C'est que notre matériel d'artillerie a toujours été incomplet en ce sens que nous n'avons jamais eu même le nombre de pièces de l'ancien système, nécessaire pour l'armement de nos places.
Et cela s'explique bien naturellement. Le royaume de Belgique ne compte que 30 années d'existence et il n'est pas étonnant que pendant ces 30 années nous n'ayons pas pu faire ce que d'autres Etats plus puissants ont fait dans un laps de temps beaucoup plus considérable
Après la révolution de 1830, l'armée des Pays-Bas, en se retirant sur les provinces hollandaises, avait emmené la presque totalité du matériel de campagne.
Quant au matériel de siège sa partie riche, c'est-à-dire la partie en bronze, qui a une grande valeur intrinsèque, c'était presque en totalité en dépôt dans les places de 2ème ligne, c'est à-dire dans les places de la Hollande où se trouvaient, d'ailleurs, les fonderies de bronze. Nous n'avons généralement trouvé dans nos places qu'un matériel en fonte de modèles divers ; il se composait d'anciens canons et affûts anglais, français et hollandais.
Ce matériel avait en partie fait son temps de service, comme le disait un jour à la Chambre, le général Goblet, lorsqu'il estimait à 14 millions les dépenses à faire pour mettre le matériel au complet.
La Chambre a été souvent prévenue de cette situation ; plusieurs commissions spéciales, dont des membres de cette assemblée faisaient partie, l'ont constatée, et la législature a reconnu qu'il faudrait pourvoir au déficit. Déjà, plusieurs crédits ont été votés dans ce but, mais leur ensemble n'a pas atteint le chiffre des dépenses nécessaires.
Depuis lors, messieurs, un fait nouveau s'est produit, qui a amené une révolution dans l'artillerie, et, comme conséquence, une transformation radicale du matériel de cette arme. Voici l'explication de ce fait.
Les perfectionnements introduits dans les armes à feu portatives ont engagé toutes les artilleries de l'Europe à chercher à restituer au canon la supériorité relative qu'il allait perdre.
Cela se conçoit ; du moment que le fantassin était armé d’un fusil dont la portée est devenue comparable à celle des pièces de campagne et qui possède une très grande justesse de tir, le rôle de l'artillerie se trouvait amoindri.
Dès lors il était tout naturel que les artilleurs cherchassent à appliquer au canon les perfectionnements qui ont été introduits dans le fusil.
Malheureusement les expériences en artillerie ne se font pas aussi facilement que celles que l'on peut entreprendre avec un fusil. Un particulier, un armurier ou un officier d'artillerie, ne peut pas faire des expériences sur le canon, comme ils en peuvent faire sur le fusil. Pour les premières, il faut avoir d'immenses établissements parfaitement organisés et outillés, des machines puissantes, des sommes considérables à dépenser, un personnel nombreux, des polygones spéciaux. Tout cela n'est pas à la portée de tout le monde ; cela n'est pas même à la portée des petits Etats, qui ne peuvent consacrer une partie notable de leurs ressources à des essais souvent infructueux. Les grandes puissances seules peuvent donc faire des expériences de cette nature.
Aussi, n'y a-t-il que trois grandes puissances qui aient résolu la question de la transformation de l'artillerie. Ce sont la France, l'Angleterre et la Prusse ; elles ont fait des essais nombreux, elles ont dépensé des sommes considérables, mais pour prix de leurs efforts, elles ont réussi à créer un système d'artillerie d'une puissance extraordinaire.
Les petits Etats ont naturellement cherché à découvrir ce qui avait été fait chez leurs puissants voisins, dans le but de s'approprier le système d'artillerie qui répondrait le mieux aux exigences de leur situation politique et militaire.
Mais les grands Etats se sont entourés d'un mystère absolu ; quand on leur demandait des renseignements, ils répondaient : « II nous est impossible de vous en fournir ; nous voulons conserver le secret de notre système ; il est notre propriété ; nous voulons nous le réserver. »
Force était dès lors de tâcher de retrouver soi -même ce que les grandes puissances avaient créé.
Aujourd'hui, chaque Etat est entré dans la voie de la transformation de l'artillerie, et sous peine de se trouver dans une position d'infériorité manifeste, il est évident que tous les petits Etats indistinctement doivent s'imposer comme les grands des sacrifices proportionnés à leurs ressources et aux nécessités de leur défense.
En présence de cette rénovation générale, pouvons-nous, messieurs, nous abstenir de transformer, et surtout de compléter notre artillerie, lorsqu'elle est reconnue insuffisante et en même temps trop imparfaite pour lutter contre l'artillerie de puissances avec lesquelles nous pourrions nous trouver en conflit par suite d'événements indépendants de notre volonté ? Toute la question est là.
On aura beau chercher à la déplacer, on aura beau s'ingénier à nous trouver des torts, on ne parviendra pas à se soustraire à l'évidence et aux conséquences de ce fait qui domine toute la question, à savoir qu'il faut transformer une partie de notre artillerie, la compléter sous peine d'impuissance militaire, je dirai plus : sous peine d'abdication nationale au premier danger sérieux qui nous menacerait. Le danger sera d'autant plus à craindre que nous serons plus faibles, moins bien préparer à nous défendre, moins bien organisés, plus faciles à attaquer. Il est évident que dans le cas d'une conflagration européenne, d'une révolution, d'un événement quelconque comme l'histoire en montre parfois, si la Belgique n'a pas de moyens suffisants de défense, elle conviera par là même les armées étrangères à venir vider leurs différends sur le territoire belge ; ce territoire a le désavantage d'être une position naturellement (page 1049) stratégique, et de plus, la Belgique est un pays privilégié qui possède tout ce qui est nécessaire à l'approvisionnement d'une armée.
La Lombardie est sous ce rapport dans le même cas que la Belgique. Rappelez-vous ce que disait Napoléon Ier à ses soldats en 1796, en leur montrant du haut des Apennins les plaines de la Lombardie.
« Vous trouverez dans ces plaines des vêtements, des vivres et l'abondance. »
Il n'est pas un général qui ne pourrait dire la même chose à ses soldats, en désignant la Belgique, et qui ne saurait de plus qu'il trouverait chez nous d'immenses richesses pour continuer la guerre.
Il est du plus haut intérêt, pour nous d'avoir un système de défense parfaitement approprié à notre situation. Se placer à un autre point de vue pour juger la question, c'est la voir par son petit côté, c'est juger de bas une question qui doit être envisagée de haut et qui mérite de fixer l'attention de tous les hommes qui se préoccupent de l'avenir de la Belgique.
Je me demande alors ce que signifient ces vaincs est injustes récriminations que vous avez entendues, je me demande ce que signifient ces suppositions invraisemblables dont le moindre examen suffit pour démontrer l'inanité, je me demande enfin ce que signifient ces critiques d'un système qu'on ne connaît pas, et ces éloges d'un autre système qu'on ne connaît pas davantage.
Examinons donc tout cet échafaudage, et nous allons le voir s'écrouler de fond en comble.
Messieurs, je commencerai cet examen par les accusations dirigées contre moi.
On a dit et répété que j'avais décidé cette question tout seut, que je ne consultais personne, que je tranchais toutes les questions selon mes idées personnelles ; ce reproche m'a été adressé à satiété.
Ainsi que je le disais tout à l'heure, j'ai eu beau déclarer qu'il n'en était rien, on n'en a pas moins persisté à répéter que pas un seul artilleur ne partageait mon opinion.
J'ai eu beau dire et écrire que ma décision avait été prise de l'avis unanime des spécialités de l'artillerie que j'ai consultées, et des fonctionnaires particulièrement créés pour éclairer le gouvernement sur ces matières, on n'a tenu aucun compte de mes réclamations.
Je ne sais vraiment pas ce qui a pu donner lieu à ces allégations. Il est vrai que je me suis donné la peine d'étudier sérieusement la question ; comme c'est mon droit et mon devoir de le faire lorsqu'il s'agit de choses importantes sur lesquelles je dois prendre une décision et qui doivent être soumises aux Chambres.
Mais, messieurs, est-ce que le gouvernement n'a pas le droit et ne possède pas les moyens d'étudier une question sans l'intervention du public ?
Est-il obligé de prendre l'avis de tous ceux qui ont la prétention de le conseiller ou de le diriger ? Est-il obligé, par exemple, de soumettre à l'approbation de tous les officiers les résolutions qu'il prend sous sa responsabilité et dont il possède souvent seul les éléments d'appréciation ?
Mais, si l'on entrait dans cette voie, où donc irions-nous ? où serait la responsabilité ministérielle ? Dans une administration civile, ce serait de l'anarchie ; dans l'armée, messieurs, ce serait la destruction du principe d'autorité et de discipline.
N'est-il pas, d'ailleurs, messieurs, des questions délicates qui, pour être menées à bonne fin, ont besoin d'être traitées secrètement ? Celle qui nous occupe n'est-elle pas de ce nombre ? Est-il un gouvernement qui ait divulgue son système d'artillerie ? Quand la France, l'Angleterre, la Prusse et d'autres Etats se sont occupés de la transformation de leur artillerie, ont-ils initié le public, la presse, la représentation nationale elle-même (dans ceux de ces pays qui ont le régime parlementaire) à leurs travaux, à leurs systèmes ?
Nullement, messieurs ; cette question a été résolue par ces gouvernements avec l'aide de quelques hommes spéciaux ; les divers systèmes d'artillerie ont été étudiés, examinés et expérimentés en présence seulement de ces spécialités, et quand l'un d'eux a été admis, on en a doté le pays et l'armée. Voilà comment on a procédé, et je prétends que c'était le seul moyen pour ces gouvernements d'arriver à un résultat.
Eh bien, je dis que nous avons agi avec sagesse et prudence en examinant les nombreuses questions qui se rattachent à la transformation de l'artillerie avec le concours des hommes spéciaux sur les lumières et la discrétion desquels nous pouvions compter.
Notre résolution a été basée sur des expériences positives, des faits authentiques, et sur l'opinion des autorités étrangères que nous avons pu consulter.
Cette résolution a été prise à l'unanimité de tous les officiers qui ont examiné 1a question avec moi, et ces officiers c'étaient, je le répète encore : l'inspecteur général d'artillerie et les officiers attachés à l'inspection générale ; le colonel d'artillerie directeur au département de la guerre et les officiers d'artillerie attachés au ministère, le lieutenant-colonel directeur de la fonderie de canons et d'autres spécialités de l'arme. Tous ont reconnu que le système adopté était le plus avantageux pour nous et supérieur à tous les autres.
D'où vient donc l'opposition que nous rencontrons ? Probablement de ce que nous n'avons pas publié tous les renseignements que nous possédons ; probablement de ce que quelques personnes ont été offensées d'avoir été tenues dans l'ignorance de ce que nous faisions.
- Un membre. - Et le comité d'artillerie ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je me proposais bien d'en dire un mot tout à l'heure ; mais puisqu'on m'interrompt, je vais m'expliquer de suite sur ce point.
Je demanderai, messieurs, quelles sont les questions d'artillerie qui, depuis que la Belgique existe, ont été décidées par ce comité. Quand on a adopté le canon à la Paixhans, la fusée Bormann, les nouveaux affûts d'artillerie ; lorsqu'on a adopté le changement des anciens fusils en fusils rayés, est-ce que le comité d'artillerie a émis son avis ? Non, messieurs, et pourquoi ? Parce qu'il n'existait pas de comité d'artillerie. (Interruption.)
C'est moi-même, messieurs, qui un peu avant ma rentrée au ministère, ai dans une commission dont je faisais partie, demandé la création d'un comité pour chaque arme : un comité d'artillerie, un comité du génie, un comité d'état-major, un comité d'infanterie, un comité de cavalerie, un comité de l'intendance et un comité des médecins militaires. Ces comités me paraissaient nécessaires, messieurs, pour étudier toutes les questions que le gouvernement jugerait à propos de faire examiner autant dans l'intérêt de l'instruction de l'armée que pour s'entourer lui-même, de toutes les lumières possibles.
C'est donc sur ma proposition que l'institution des comités a été décidée, et c'est moi-même qui en ai nommé les membres à mon entrée au ministère. Mais évidemment en instituant ces comités le gouvernement s'est réservé le droit de ne leur soumettre que les questions qu'il jugerait utile de leur faire examiner. Il n'a jamais entendu substituer leur responsabilité et leur action à la sienne ; mais, messieurs, il y a ceci de particulier dans l'affaire qui nous occupe, c'est que, précisément, parmi les officiers avec lesquels j'ai travaillé et qui ont approuvé le système adopté, se trouvent tous les membres du comité d'artillerie. (Interruption.) Voilà l'histoire du comité d'artillerie dont on a tant parlé !
Messieurs, je considère comme une bonne fortune pour moi que la minorité de la section centrale ait demandé et obtenu la faculté de consigner dans une note les motifs de son opposition.
Je me félicite d'autant plus de cette décision, qu'elle va me permettre de rencontrer une à une toutes les objections des adversaires du projet et de vous prouver combien ils ont été induits en erreur et mal renseignés par ceux auprès desquels ils ont puisé leurs informations.
Cette note, messieurs, débute par une espèce de consultation sur les prérogatives parlementaires de la Chambre. Je ne traiterai pas cette question ; elle n'est pas de ma compétence, bien que l’honorable M. de Gottal m'ait dit, sans doute pour me faire un compliment, que j'étais un habile avocat.
Ce n'est pas la première fois que pareil compliment m'est adressé : il y a quelques années, pendant mon premier ministère, un très habile avocat, qui était alors membre de cette Chambre, M. d'Elhoungne, disait aussi que le ministre de la guerre était un habile avocat et rappelait que le même compliment avait été adressé à l'illustre général Cavaignac par un autre célèbre avocat, membre de l'assemblée nationale. Une chose m'a frappé, c'est que lorsque les avocats veulent démonétiser un adversaire et infirmer ses paroles, et ses opinions, ils lui disent : Vous êtes un habile avocat. (Interruption.)
Messieurs, je pourrais répondre à l'honorable M. de Gottal ce que je répondis alors à l’honorable M. d'Elhoungne ; je lui dis que je ne pourrais pas accepter l'honneur qu'il me faisait parce que je ne possédais pas l'art de déguiser ma pensée sous des artifices de langage et de prêter à mes adversaires des opinions qu'ils n'ont pas émises pour les combattre ensuite ; je ne suis qu'un soldat défendant simplement et franchement ses convictions.
(page 1050) Messieurs, quoique je ne veuille pas traiter la question des prérogatives parlementaires de la Chambre, je me permettrai cependant de faire une observation ; c'est que, dans ma pensée, cette question incidente n'a été introduite dans le débat que pour faire une diversion, pour déplacer la discussion.
Eh bien j'espère que des explications très nettes que je vais vous donner sur ce qui s'est passé entre la section centrale et moi feront, échouer cette manœuvre, quelque habile qu'elle soit.
Lorsque la section centrale m'a demandé, par écrit, des explications et des renseignements que je n'ai pas cru pouvoir donner sans compromettre les intérêts de la défense du pays et nos relations internationales, j'ai voulu m'assurer si mes scrupules étaient fondés et consulter des hommes que je savais aussi jaloux qu'aucun de vous de maintenir intactes toutes les prérogatives parlementaires de la Chambre.
N'ayant pas l'honneur d'appartenir à cette assemblée, je me suis méfié de ma propre appréciation, et j'ai prié mes collègues de se réunir pour examiner les réponses que je me proposais d'adresser à la section centrale, avant de les lui envoyer.
Mes collègues ont pris connaissance des demandes de renseignements et de mes projets de réponse ; ils ont trouvé que tous mes scrupules étaient fondés et que les réponses étaient aussi complètes que possible ; ce n'est qu'alors qu'elles ont été transmises, et j'ai eu soin, en les envoyant, d'écrire à l'honorable président de la section centrale que je me mettais à sa disposition, pour donner à la section toutes les explications verbales qu'elle pourrait désirer, comme complément de mes réponses écrites.
Appelé en effet dans le sein de la section centrale, je crois lui avoir fourni les renseignements les plus explicites, les plus complets. Ce qui me le fait croire, c'est qu'elle le déclare en termes formels dans son rapport. Voici comment elle s'exprime :
« L'exposé des motifs, les réponses faites aux questions posées par la section centrale, mais surtout les explications verbales très précises et détaillées du ministre de la guerre, et les propres investigations faites par plusieurs membres de la section centrale, ont donné à la majorité de cette section des indications et des garanties suffisantes au sujet du système adopté. »
En présence de ces faits si simples, si réguliers, si conformes à tous les antécédents, je ne comprends pas comment on a pu chercher à mettre en cause les prérogatives parlementaires de la Chambre.
Pourquoi donc invoquer si solennellement son droit d'enquête, son droit de mettre les ministres en accusation, que jamais personne, que je sache, n'a eu la pensée de contester ?
Mais parce que ces droits appartiennent à la Chambre, s'ensuit-il qu'ils appartiennent à des députés isolés, à la minorité d'une section ?
Une section centrale elle-même, chargée de l'examen d'un projet de loi, peut-elle, sans l'assentiment de la Chambre, exiger que le gouvernement vienne déposer dans son sein des documents qu'il considère comme dangereux de publier ou de faire connaître ?
Jamais la Chambre ne l'a pensé. Elle a toujours usé de ses droits avec modération et sagesse et exigé que tout ce qui concernait la défense nationale fût tenu secret.
Tous les principes sur cette question se trouvent parfaitement posés dans la mémorable discussion qui eut lieu en 1831 au sujet de la commission d'enquête qu'il fut question de nommer pour rechercher les causes des événements de cette époque.
J'ai relu cette discussion et j'ai vu que la Chambre avait reconnu le droit du gouvernement de conserver le secret sur les documents qu'il croyait dangereux pour le pays de faire connaître.
Je sais qu'on a dit qu'en 1840 le ministre de la guerre avait déposé une espèce d'inventaire de la situation de notre matériel.
L'honorable M. Goblet ajoutait même qu'on avait trouvé, dans cette pièce, un fait qui prouvait combien il était nécessaire de soumettre tous ces documents à l'investigation de la Chambre.
Cet inventaire établissait que nous avions des calibres de toute espèce et pour un canon d'un calibre particulier 60 mille projectiles. M. Goblet ajoutait qu'il croyait qu'on avait encore depuis lors augmenté le nombre de ces projectiles.
Si mes adversaires avaient puisé leurs renseignements auprès d'un homme ayant les moindres notions de l'artillerie, il leur aurait donné facilement l'explication de ce fait tout naturel.
Il se trouve effectivement dans un de nos arsenaux un vieux canon du calibre de 3, le seul que nous possédions. Il s'y trouve de temps immémorial ; nous en avons hérité de la Hollande qui en avait probablement hérité elle-même de quelque autre puissance. Il se trouve aussi dans nos arsenaux non pas 30 mille projectiles du calibre de 3 pour cette pièce de canon, mais bien 38,495 boulets de ce calibre.
Mais pourquoi cela ? Parce que ces boulets primitivement destinés aux canons de 3 entrent, depuis la suppression de ce calibre, dans l'approvisionnement en projectiles de nos mortiers à boulets dont le tir le plus efficace, comme le dit tout au long le Mémorial de l'artillerie, s'obtient avec une charge de 70 boulets de ce calibre.
Voilà l'explication de cette prétendue énormité. Les 38,495 boulets de trois que nous possédons sont au-dessous de l'approvisionnement nécessaire à nos mortiers à boulet ; il y a donc encore un déficit de ce côté.
M. Goblet. - C'est M. Brabant qui a dit cela.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je regrette alors qu'on n'ait pas donné à cette époque cette explication à M. Brabant, elle vous aurait empêché de verser à votre tour dans la même erreur.
Messieurs, dans une autre séance, le 6 mars 1853, un membre de cette assemblée voulut faire connaître à la Chambre le chiffre de la dépense nécessaire pour l'organisation de la force militaire, d'après un document fourni par la commission de défense nationale.
Cet honorable membre fut interrompu par la Chambre qui déclara que ces documents ne devaient pas être rendus publics, et elle exigea un comité secret.
Cependant ce document était bien insignifiant à côté des renseignements qu'on me demandait. On vous a dit hier que le gouvernement anglais avait souvent donné aux chambres anglaises des renseignements aussi complets que ceux qu'on vous demande, et qu'il ne refusait jamais ces sortes d'explications au parlement.
C'est une erreur, le gouvernement anglais s'est toujours réservé le droit de ne pas communiquer les renseignements qu'il considérait comme inopportun, comme dangereux de livrer à la publicité. Dans une séance du mois de mars dernier à la demande de documents, de rapports relatifs à l'artillerie, le gouvernement a répondu qu'il ne considérait pas les pièces qu'on demandait comme des documents parlementaires, et qu'il ne pouvait pas les communiquer et le parlement n'a pas insisté.
Mais ce qui est vrai, c'est que lord Herbert, lord Cambridge commandant en chef de l'armée et M. Baring sous-secrétaire d'Etat pour les affaires de l'Inde, ont donné des renseignements très complets sur les nouveaux canons, renseignements que je vous donnerais avec beaucoup d'empressement si je pouvais vous en fournir de semblables.
Personne n'étoufferait ma voix si je pouvais vous dire que sur les 90 millions 700 mille francs votés pour le matériel de l'artillerie pour le précédent exercice, nous avons fabriqué 1,021 canons Armstrong des plus puissants calibres, que sur les 80 millions et demi votés encore pour le matériel de l'artillerie pour l'exercice qui expire au mois d'avril nous avons encore fabriqué 1,059 de ces terribles canons, 300 mille projectiles et je ne sais combien de fusils.
Si je pouvais ajouter que nous continuerons cette colossale fabrication, c'est avec orgueil que je le proclamerais à la face du monde entier. Si nous possédions une richesse militaire aussi considérable, j'en ferais volontiers étalage ne fût-ce que pour donner à réfléchir à nos rivaux et donner confiance à nos amis.
Mais un petit pays comme le nôtre, qui est ouvert de toutes parts, qui n'est pas isolé par la mer, qui n'a que des moyens de défense restreints, qui assiste à une époque de transition, époque toujours dangereuse, peut-il suivre cet exemple ? Peut-il faire connaître tout ce qu'il possède ? Je crois qu'un des plus grands intérêts de ce petit pays, c'est au contraire de tenir secrets tous ses moyens de défense, toute son organisation militaire. Cela est d'une importance immense pour le succès de la défense nationale.
A quoi servirait de nous imposer de très grands sacrifices pour nous fortifier si d'un autre côté nous allons nous affaiblir par des indiscrétions, par des révélations dangereuses et volontaires ? Je trouve qu'il y aurait là une inconséquence extrême. Si nous adoptions en principe que nous n'aurons rien de secret, il faudrait commencer par se résigner à ne plus avoir aucune communication de gouvernement étranger.
Il faudrait renoncer à envoyer nos officiers au dehors pour recueillir des renseignements, et je dis que ce serait la pire de toutes les situations pour un petit Etat, au point de vue militaire, parce que les petits Etats n'ont pas des ressources assez grandes pour pouvoir tout créer, tout essayer à leurs frais, et qu'ils doivent par conséquent chercher à mettre à profit les travaux de ceux qui sont plus riches qu'eux.
Je crois que ces explications suffiront à la Chambre pour lui prouver que je n'avais pas le droit, en présence des antécédents qui ont été (page 1051) posés, en présence du danger qui pouvait en résulter pour la défense du pays et pour nos relations internationales, de divulguer la situation de nos arsenaux, l'armement de nos places fortes, et le détail des différents systèmes d'artillerie adoptés.
Je crois que la Chambre ne verra pas une atteinte portée 1àses prérogatives, que personne ne respecte plus que moi, dans la réserve que j'ai été forcé de m'imposer pour sauvegarder un grand intérêt national.
Messieurs, si ce n'est pas abuser de votre patience, je vais maintenant examiner la partie technique de la note de la minorité. Je la discuterai article par article de manière à rencontrer toutes les objections qui ont été faites.
- Plusieurs membres. - A demain.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis à la disposition de la Chambre. Mais étant un peu fatigué, il me serait agréable de continuer demain.
- La séance est levée à quatre heures et un quart.