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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 mars 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 905) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Des propriétaires et habitants de la paroisse de Saint-Roch, faubourg de Laeken-sous-Molenbeek-Saint-Jean et Laeken, demandent une loi décrétant l'érection de cette paroisse en commune ou son annexion à la ville de Bruxelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par messages des 21 et 22 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi qui établit un conseil de prud'hommes à Bruxelles, le crédit destiné à payer à la dame veuve Dumont les honoraires dus à feu son mari et le budget des affaires étrangères pour 1861, et qu'il a rejeté la demande en naturalisation du sieur J.-B.-N. Quiriny, ouvrier gantier à Bruxelles. »

- Pris pour notification.


« Par message du 21 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération la demande en naturalisation ordinaire du sieur Michel Salamé, vice-consul de Belgique à Damiette (Egypte). »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par 24 messages en date du 21 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération autant de demandes en naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« M. Carlier, retenu par une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.


« M. J. Jouret demande un congé. »

- Accordé.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires aux budgets des ministère de la justice, de l’intérieur et de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) dépose :

1° Un projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires s'élevant ensemble à 91,000 francs aux budgets de la justice de 1860 et 1861 ;

2° Un projet de loi allouant au département de l'intérieur un crédit de 85,500 fr. pour payer la part qui incombe à l'Etat, dans les frais de confection de la septième table des actes de l'état civil ;

3° Un projet de loi accordant au ministère de la guerre un crédit de 7,418 fr. pour créances arriérées des exercices clos ;

4° Un projet de loi qui affecte à la fabrication de nouvelles armes de guerre une somme de 126,144 francs, provenant de la vente de fusils à silex hors d'usage,

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. H. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, avant que la Chambre se sépare, je désirerais lui demander s'il ne lui conviendrait pas de mettre à l'ordre du jour, d'une manière fixe et déterminée, l'importante question de la caisse d'épargne.

Ne pourrait-on pas fixer cet objet immédiatement après le projet de loi portant un crédit pour l'amélioration du matériel de l'artillerie ? C'est une question très importante ; elle touche, ne l'oublions pas, au plus haut point à l'ordre public et au bien-être des classes laborieuses, de ces classes qui, elles aussi, dans notre pays, ont donné des preuves d'attachement à l'ordre et des preuves de patriotisme et dont on ne s'occupe peut-être pas assez souvent dans cette enceinte.

Quant à nous, messieurs, nous désirons d'autant plus vivement la discussion de ce projet de loi qu'il a été l'objet d'appréciations souvent très erronées, et, pour dire toute ma pensée, parfois absurdes.

Nous espérons que cette discussion ne sera pas toujours indéfiniment ajournée.

M. de Boe. - Je ferai observer à la Chambre que nous avons à l'ordre du jour une foule de projets de lois qui ne demanderont pas une longue discussion, dont la plupart même ne feront l'objet que d'un simple vote. Il y a, par exemple, un feuilleton de naturalisation, le projet de loi sur lequel M. de Naeyer a fait rapport ; je crois qu'il serait bon de mettre ces projets à l'ordre du jour immédiatement après le crédit de 15 millions ; ils prendront tout au plus une ou deux séances.

Je citerai encore le projet de loi sur les warrants, qui a fait l'objet d'une très longue étude en section centrale et qu'il est désirable de voir voter dans cette session. Si l'on aborde la discussion du projet de loi sur les caisses d'épargne, il est probable que son examen occupera la Chambre jusqu'à sa séparation, et que nos autres travaux en souffriront.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis à la disposition de la Chambre, mais il me semble qu'on pourrait sans inconvénient attendre la rentrée de la Chambre pour prendre une décision quant à l'ordre du jour. Quoi qu'on fasse il est très vraisemblable que la Chambre aura à s'occuper de choses plus urgentes encore que celles dont on demande la mise à l'ordre du jour.

M. Hymans. - Messieurs, la Chambre a l'habitude de consacrer quelques instants le vendredi de chaque semaine à la discussion des prompts rapports qui lui sont faits par la commission des pétitions ; je présume que le vendredi qui suivra le rentrée de la Chambre, la commission présentera de prompts rapports ; je demande que dans le prochain feuilleton des rapports de cette nature, on comprenne diverses pétitions qui ont été adressées à la Chambre par des habitants de Bruxelles, pour solliciter l'autorisation d'y former des compagnies de carabiniers.

M. le président. - Je pense que MM. Henri Dumortier et de Boe devraient attendre la rentrée de la Chambre pour reproduire leur proposition ! (C'est cela.)

M. Hymans pourrait également renouveler sa proposition à cette époque.

M. Hymans. - Bien, M. le président.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titres I à IX)

Discussion des articles

Titre III. Des crimes et des délits contre la foi publique

Chapitre V. Du faux témoignage et du faux serment
Articles 232 à 236

M. le président. - La discussion continue sur les articles réservés du livre II, titre III.

« Art. 232. Les peines portées par les deux articles précédents seront réduites d'un degré conformément à l'article 91, lorsque des personnes appelées en justice pour donner de simples renseignements se sont rendues coupables de fausses déclarations, soit contre l'accusé, soit en sa faveur. »

La commission propose de maintenir ce texte,

- L'article 232 est adopté.


« Art. 233. L'expert sera puni conformément à l'article 232, s'il a été entendu sans prestation de serment. »

La commission propose de maintenir ce texte.

- L'article 233 est mis aux voix et adopté.


« Art. 234. Tout coupable de faux témoignage ou de fausses déclarations en matière correctionnelle, sera puni d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans, si le faux témoignage ou les fausses déclarations ont été faites contre le prévenu ; d'un emprisonnement de six mois à trois ans, s'ils ont été faits en sa faveur.

« Il sera, en outre, condamné à l'interdiction conformément à l'article 44. »

- Cet article est mis aux voix et adopté.


« Art. 235. Tout coupable de faux témoignage ou de fausses déclarations en matière de police, soit contre le prévenu, soit en sa faveur, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an. »

- Cet article est mis aux voix et adopté.


(page 906) « Art. 236. Le coupable de faux témoignage ou de fausses déclarations en matière civile sera puni d'un emprisonnement de deux mois à trois ans. »

- Cet article est mis aux voix et adopté.

Article 236bis

M. le président. - La commission propose un article additionnel qui serait ainsi conçu :

« Art. 236bis. Les dispositions précédentes relatives aux fausses déclarations ne sont pas applicables aux enfants âgés de moins de quinze ans, ni aux personnes qui sont entendues sans prestation de serment, à raison de la parenté ou de l'alliance qu'elles ont avec les accusés ou les prévenus. »

M. Van Overloop. - Messieurs, je ferai remarquer que l'article 236bis devrait être placé dans le Code après l'article 239, parce que ce dernier article prévoit des hypothèses auxquelles l'article 236 bis pourrait être applicable.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'avais prévu l'observation faite par l'honorable préopinant, je pense aussi que l'article 236bis devrait être placé après l'article 239.

Mais la Chambre sait que tout ce qui a rapport au classement des articles a été réservé.

- L'article 236bis est adopté, sauf classement ultérieur.

Articles 236ter et suivant

« Art. 236ter. Tout coupable de faux témoignage ou de fausse déclaration dans une enquête parlementaire, sera puni d'un emprisonnement d'un an à trois ans. »

- Adopté.


« Art... Quiconque ayant été assigné à déposer dans une enquête parlementaire, ne comparaîtra pas sans motifs légitimes, sera condamné à une amende de 26 francs à 200 francs,

« Cette peine ne sera prononcée que sur la plainte de la commission d'enquête après que le témoin défaillant aura été réassigné et entendu par elle.

« Si le témoin fait encore défaut sans motifs légitimes à la seconde assignation, un emprisonnement de huit jours à un mois pourra, en outre, être prononcé.

« Ces peines pourront être prononcées cumulativement ou séparément contre le témoin qui refuserait de déposer. »

M. Van Overloop. - Cet article n'est pas numéroté. Je me demande s'il ne devrait pas trouver place plutôt dans une loi spéciale sur les enquêtes parlementaires. On déroge ici au système qu'on a suivi jusqu'à présent ; on veut faire une codification générale ; mais si vous introduisez cet article dans ce Code, pourquoi ne pas introduire aussi les autres dispositions relatives au même objet et qui se trouvent dans le Code d'instruction criminelle, dans le Code civil ? C'est une simple observation que je fais au point de vue de la régularité.

M. Pirmez, rapporteur. - La commission, en soumettant à la Chambre les articles qui sont maintenant en discussion, a pour but de rendre inutile une loi sur les enquêtes parlementaires qu'on attend depuis 30 ans et qu'on attendrait peut-être longtemps encore.

Pour qu'une enquête parlementaire puisse fonctionner avec la même régularité que les enquêtes judiciaires, il suffit de trois dispositions : donner à la Chambre le moyen de contraindre à comparaître devant la commission d'enquête ; protéger les membres des Chambres dans l'exercice de leurs fonctions et enfin comminer une pénalité contre le faux témoignage.

Avec ces dispositions, les Chambres peuvent organiser des enquêtes et elles peuvent le faire avec la même force, la même autorité que le pouvoir judiciaire.

Tout le reste dépend du pouvoir qu'on les Chambres de régler le mode d'exercice de leurs attributions.

Il est naturel de placer dans ce Code les dispositions pénales relatives à cette matière ; et déjà la disposition assurant une protection sérieuse aux membres de la Chambre qui se livreraient à cette enquête et la disposition relative à la comparution des témoins ont été adoptées.

Quant à la place que l'article en discussion doit occuper dans le Code, c'est une question à décider ultérieurement ; mais il me paraît que cet article doit se trouver au titre III dans le chapitre qui protège les droits des Chambres.

M. Coomans. - Ainsi que vient de le dire l'honorable rapporteur, on réclame depuis trente ans la consécration du principe constitutionnel des enquêtes parlementaires, et l'on fait bien aujourd'hui de combler cette lacune ; mais puisque le gouvernement a jugé convenable d'insérer dans le Code pénal des dispositions relatives aux enquêtes parlementaires, j'ai quelque lieu de m'étonner qu'il n'y ait pas inséré aussi des articles réglant la responsabilité des ministres et d'autres agents du pouvoir. La Constitution a prescrit une loi sur cette matière. Il est vrai qu'elle a prescrit aussi une loi sur l'organisation de l'armée, et que cette prescription constitutionnelle n'a pas été observée non plus.

M. de Brouckere. - Il n'y a pas de loi sur l'organisation de l'armée ?

M. Coomans. - Non, il n'y en a pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) - Ce n'est pas le gouvernement qui a proposé les articles en discussion.

M. Coomans. - Ce n'est pas le gouvernement qui a pris l'initiative de la réforme du Code pénal. Messieurs, ne jouons pas sur les mots ; nous sommes un peu tous du gouvernement. Nous réformons le Code pénal, et il eût été, ce me semble, très régulier, très convenable et surtout très constitutionnel, d'insérer dans le Code pénal, réformé et complété, ou à côté du Code pénal, quelques articles relatifs à la responsabilité ministérielle. Je désire, en tous cas, que M. le ministre de la justice me dise pourquoi on s'obstine à ajourner peut-être indéfiniment un des points prévus et prescrits par la Constitution.

J'ai été interrompu tout à l'heure quand j'ai dit, très incidemment qu'une autre prescription constitutionnelle, celle qui concerne l'organisation de l'armée, est restée également dans l'oubli. Messieurs, il est évident pour tout le monde, que l'armée se compose surtout de soldats.

Vous avez fait une loi pour les officiers et vous avez bien fait, mais vous n'avez pas fait ce que la Constitution exige : vous n'avez pas fait une loi sur l'organisation de l'armée, c'est-à-dire sur la condition des miliciens et le recrutement. Ce n'est pas le moment de traiter ce sujet, mais je réponds à une interruption et je dis que sur ce point la Constitution a été sinon violée du moins négligée.

Quant à la responsabilité ministérielle, il me semble que j'ai bien raison de demander que la prescription constitutionnelle cesse d'être une lettre morte, une vaine enseigne inscrite sur notre charte.

Je désire que le gouvernement me réponde un mot à cet égard ou si le gouvernement prétend que, n'ayant pas pris l'initiative delà réforme du Code pénal, s'il laisse cet honneur à la commission, je demanderai alors à la commission pourquoi la responsabilité ministérielle ne figure pas dans le nouveau Code que nous rédigeons ou dans une loi complémentaire du Code.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable préopinant demandait, en commençant, au gouvernement comment il se faisait qu'ayant introduit dans le Code des dispositions relatives aux enquêtes parlementaires, il n'y avait pas fait figurer aussi des dispositions concernant la responsabilité ministérielle.

Je ferai observer à l'honorable M. Coomans que c'est à la commission de la Chambre qu'est due l'initiative des articles relatifs aux enquêtes parlementaires et non au gouvernement, et il est très probable que l'idée d'introduire ces dispositions dans la loi est née à la suite des faits dont la Chambre a eu s'occuper récemment.

Le gouvernement a donc bien eu l'initiative de la réforme du Code pénal, mais il n'a pas pris celle des dispositions relatives aux enquêtes parlementaires.

M. Coomans. - Peu importe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Peu importé, dites-vous, mais je prends votre argumentation telle que vous l'avez produite, je réponds au reproche d'inconséquence que vous nous adressez.(Interruption.)

Il ne s'agit pas de faire une observation et de la retirer. Les raisons pour lesquelles le gouvernement n'a rien introduit dans le Code pénal sur la responsabilité ministérielle, l'honorable membre n'est sans doute pas à les ignorer.

La loi sur la responsabilité ministérielle est évidemment une loi politique complexe qui ne peut trouver sa place dans le Code pénal. S'il y a un reproche à faire, ce reproche retombe sur les gouvernements qui se sont succédé depuis très longtemps au pouvoir.

Dans mon opinion, au surplus, la meilleure loi sur la responsabilité ministérielle c'est le jeu même de nos institutions, c'est la nécessité pour les ministres de se retirer devant un vote hostile de la Chambre, devant un vote de non-confiance.

M. Coomans. - Une responsabilité morale.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Responsabilité morale, dites-vous, mais il y a là quelque chose de très efficace, car les Chambres peuvent faire tomber un cabinet quand elles désapprouvent sa marche ; cette responsabilité est beaucoup plus sérieuse que celle qu'on pourra inscrire dans la loi. Nous avons, au surplus, une législation provisoire, (page 907) ensuite, dans l’article 134 de la Constitution, qui donne aux Chambres le droit d'accuser les ministres et qui confère à la cour de cassation tout pouvoir pour les juger.

M. Coomans. - Je désire faire remarquer que la réponse que vient de faire l'honorable ministre est moins dirigée contre moi que contre la Constitution même. L'honorable ministre essaye de prouver, si j'ai bien compris, qu'il ne faut pas de loi sur la responsabilité ministérielle, au moins il semble douter beaucoup que nous en ayons jamais une. L'examen de la question de savoir s'il en faut une ou s'il n'en faut pas nous conduirait loin ; je ne m'y engagerai pas ; mais la question de savoir si la Constitution exige qu'il soit fait une loi sur cet objet, est fort simple ; pour la résoudre il suffit d'ouvrir la Constitution et de la lire.

Si l'honorable ministre prétend que le congrès s'est trompé, c'est un autre point ; il n'y a pas lieu de discuter en ce moment.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Usez de votre droit d'initiative.

M. Coomans. - M. le ministre me conseille d'user de mon droit d'initiative. J'ai à cela à faire une réponse que je voudrais que l'on fît aux ministres chaque fois qu'ils nous disent d'user de notre droit d'initiative ; Nous appuyez-vous ?

Il est assez étrange que le gouvernement, représentant d'une majorité, somme une minorité d'user de son droit d'initiative, car c'est ou une raillerie ou une sorte de guet-apens, puisque la minorité ne peut pas faire de loi. (Interruption.)

Maintenant je consens à user de mon droit d'initiative si vous voulez me promettre votre appui ; mais user de mon droit d'initiative, me donner la peine de formuler un projet de loi, de rédiger un exposé de motifs que nous enfermerez dans les bas-fonds du bureau des renseignements, merci, c'est un honneur auquel je ne tiens pas.

Ce n'est pas à moi, d'ailleurs, que le Congrès a intimé l'ordre formel de faire une loi sur la responsabilité ministérielle ; c'est aux Chambres et tout d'abord au gouvernement.

Du reste, messieurs, ma voix serait très faible en cette circonstance pour différentes raisons, mais elle devient très forte quand je lis la Constitution.

C'est la première fois qu'on nous dit, dans cette Chambre, qu'il ne faut pas de loi sur la responsabilité ministérielle.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - Oh ! vous l'avez dit à peu près.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne l'ai pas dit.

M. Coomans. - Vous n'avez pas dit qu'il ne fallait pas de loi sur la responsabilité ministérielle. Soit, mais vous avez dit qu'il était probable qu'il n'en serait pas fait.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -,C'est clair. Vous n'en avez pas fait lorsque vous étiez au pouvoir.

M. Coomans. - Je dis que vous n'avez qu'un moyen de me contredire : c'est de dire qu'il ne faut pas de loi. Car s'il en faut une, vous êtes inexcusable. S'il n'en faut pas, c'est autre chose.

Mais alors vous faites le procès non à ceux qui vous interpellent, mais à la Constitution et à ses vénérables auteurs. Relisons l'article 139 :

« Le congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :

«... 5° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. »

Cela me semble pouvoir se passer de commentaire. (Interruption.) Ah ! Cela n'est pas clair ?

Non seulement le Congrès a cru qu'il fallait une loi sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir ; mais il a dit que cette loi était nécessaire et qu'elle devait être rédigée dans le plus court délai possible. Après avoir lu cela, je crois que je n'ai plus rien à ajouter.

M. J. Lebeau. - Messieurs, la question n'est pas de savoir s'il y a lieu de faire une loi sur la responsabilité des ministres ; il y a plus de trente ans que cela est écrit dans la Constitution. Mais la question est de savoir si, à la différence de ce que la législature a consacré jusqu'ici pour nos lois politiques, pour la loi sur les extraditions, pour la loi sur les expulsion, qui se rattachent directement à la responsabilité ministérielle, le gouvernement doit prendre l'initiative à propos de la loi que nous discutons

La question et de savoir si, à la différence des lois purement politiques, il faut inscrire dans le Code pénal, soumettre à la mesure très difficile de la codification et de la révision des lois générales de répression la loi sur la responsabilité ministérielle.

Je crois, messieurs, que la responsabilité ministérielle doit être l'objet d'une loi séparée. Que nous ayons l'obligation de faire cette loi, soit le ministère, soit les Chambres, cela est évident ; mais on comprend que dans une matière semblable, l'initiative doit plutôt venir de nous que du ministère. Si donc l'honorable M. Coomans a des reproches à adresser à quelqu'un pour la lacune qui existe à cet égard dans notre Code politique, ce serait moins au gouvernement qu'à la législature, qui est plus spécialement chargée de conserver les prérogatives parlementaires.

L'honorable M. Coomans qui a ce droit d'initiative et qui siège ici depuis longtemps, devrait prendre une bonne part de la responsabilité dont il parle en ce moment, au lieu d'accuser l'inertie du ministre.

M. Pirmez, rapporteur. - Je suis étonné que l'honorable M. Coomans, qui invoque l'article 139 de la Constitution, vienne proposer de violer cet article.

Le congrès a décrété : « Qu'il est nécessaire de pourvoir, par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :

« 5° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir.

« 11° La révision des codes. »

Ainsi, messieurs, il faut faire, quant à ces différents points, des lois séparées, et l'honorable M. Coomans nous reproche de ne pas comprendre le tout dans une seule et même loi.

Je ferai, du reste, remarquer à la Chambre que la loi sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir serait une loi pénale seulement dans un très petit nombre de ses dispositions. Il faut par cette loi organiser la responsabilité ; il faut dire quand et comment la responsabilité est engagée, quelle en est l'étendue, quelles en seront les limites, quand et comment la réparation civile est due, et c'est seulement après avoir réglé tous ces points qu'on peut fixer les peines qui seront appliquées pour des faits commis dans l'exercice des fonctions ministérielles ou d'autres fonctions publiques.

Quelle figure ferait, dans un Code pénal, cette loi qui contiendrait un très grand nombre de dispositions politiques ou civiles et seulement un très petit nombre de dispositions pénales ?

M. Devaux. - Messieurs, la Constitution prescrit aux législatures qui la suivront, quelques révisions de lois et quelques lois nouvelles.

Dans ce nombre figure la loi sur la responsabilité ministérielle. Nous n'avons pas épuisé la liste que nous avons à faire en vertu de cet article de la Constitution qui, entre autres, ordonne la révision des codes et nous n'en avons pas encore revu un seul.

A-t-on eu raison de retarder la loi sur la responsabilité ministérielle, de s'occuper d'abord d'autres projets de révision ?

Je crois que oui, par cette première raison que la loi sur la responsabilité ministérielle, l'expérience le prouve, sera d'une très rare application.

Ce n'est pas un motif pour ne pas se conformer aux prescriptions de la Constitution, mais c'en était un pour ne point donner le pas à cette loi sur d'autres qui nous restent à faire en vertu de la même disposition constitutionnelle.

II y a pour cela, d'ailleurs, encore une autre raison, c'est qu'il existe une législation provisoire sur la responsabilité ministérielle et cette législation est beaucoup plus large que tout ce que nous pourrions faire.

La Chambre des représentants a provisoirement un pouvoir discrétionnaire pour accuser les ministres, et la cour de cassation a un pouvoir discrétionnaire aussi pour caractériser le délit et déterminer la peine. Aussi, messieurs, on a tort de faire à cet égard des reproches au gouvernement. Ce n'est pas le gouvernement qui est intéressé à ce qu'il n'y ait pas de loi sur la responsabilité ministérielle ; il est, au contraire, intéressé à ce qu'il y en ait une, car cette loi donnera aux ministres des garanties qu'ils n'ont pas actuellement.

La Chambre n'obtiendra point par cette loi des pouvoirs plus grands ; ses pouvoirs seront au contraire restreints car ils seront plus précis. Ce qui sera augmenté par la loi, ce sont les garanties des agents responsables,

Voilà encore une raison et une raison assez décisive pour ne pas se presser.

Quant à mettre la loi sur la responsabilité ministérielle dans le Code pénal, je crois que, pour ne pas le faire, il suffit du motif donné par l'honorable M. Pirmez, que cette loi ne contient pas seulement des dispositions pénales, mais qu'elle doit contenir toute l'organisation de la responsabilité des agents du pouvoir. Certainement cela ne peut pas trouver place dans le Code pénal. Je sais qu'on pourrait se borner aux pénalités, mais ce serait là organiser très imparfaitement la responsabilité ministérielle. Autant vaut conserver encore la disposition provisoire de (page 908) l'article 134 de la Constitution que l'honorable M. Coomans avait perdue de vue.

Communication du gouvernement

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) dépose les explications que la Chambre a demandées sur l'interprétation et l'application de l'article 46 de la loi communale.

- Ces explications seront imprimées et distribuées.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titres I à IX)

Discussion des articles

Chapitre V. Du faux témoignage et du faux serment
Article nouveau

M. de Theux. - Je ne veux faire qu'une seule observation sur les articles relatifs au droit d'enquête. Je ne sais pas si le gouvernement et la Chambre ont bien réfléchi à toutes les conséquences du principe que l'on pose ; n'est-il pas possible que dans l'avenir des abus très graves résultent de ces dispositions ? Est-on bien d'accord sur le but que l'on veut atteindre ?

On a dit que la Constitution donne d'une manière illimitée le droit d'enquête aux Chambres, que cette disposition constitutionnelle doit avoir sa sanction dans le droit de faire assigner des témoins et de les faire comparaître sous certaines formalités.

Eh bien, messieurs, ces dispositions étant adoptées et les idées si larges du rapport étant admises, il pourra y avoir dans la pratique beaucoup d'abus.

Ainsi, par exemple, l'une des Chambres décide qu'elle fera une enquête à l'effet d'apprécier certains faits posés par l'administration, et elle procède à cette enquête sans le concours d'aucun autre pouvoir ; je ne sais pas où l'on peut aller avec ce système.

Je me borne à appeler sur cette question l'attention du gouvernement et de la Chambre.

Je crois que l'on aurait beaucoup mieux fait de renvoyer ces dispositions à un projet de loi spécial, comme on l'a fait pour la responsabilité des ministres et des agents du pouvoir en général. .

En ce qui concerne la responsabilité ministérielle je sais qu'il y est pourvu provisoirement par un article de la Constitution, plus large que la loi que nous pourrions faire ; les ministres sont placés là dans une position tout exceptionnelle, ils ont moins de garantie qu'aucun autre citoyen, et quant à la responsabilité des employés, je crois qu'on a commencé à prendre quelques dispositions dans le Code pénal, mais ce n'est pas là un système complet, et il serait très difficile, je pense, d'arriver à une loi complète en cette matière, non point pour les ministres en particulier, mais pour tous les agents de l'autorité en général.

Cela mérite certainement une discussion très approfondie et la plus grande maturité ; lorsque l'on aura encore un peu plus d'expérience on pourra s'en occuper plus utilement.

Mais je pense qu'on aurait bien fait aussi de ne pas insérer dès à présent dans le Code pénal des dispositions relatives au droit d'enquête, dont les conséquences ne sont pas encore appréciables aujourd'hui.

M. Pirmez, rapporteur. - Je suis étonné des critiques de l'honorable comte de Theux. Il voit un danger dans l'exercice du droit d'enquête par l'une des deux Chambres sans le concours du gouvernement et de l'autre Chambre.

Mais cette crainte, l'honorable membre devait l'avoir, quand il a contribué à faire le pacte fondamental.

En effet, l'article 40 de la Constitution porte textuellement que chaque Chambre a le droit d'enquête.

Chaque Chambre doit donc être libre de prendre les mesures qu'elle juge convenable pour l'exercice de ce droit.

Trouve-t-on ce droit d'enquête exorbitant ? Mais le moindre juge de paix a le droit d'enquête entier, complet, comme nous proposons de le donner aux Chambres ; vous ne craignez pas de conférer ce droit à tous les magistrats sans exception, et vous craindriez de le conférer aux premiers corps de l'Etat ?

Le danger est, nous dit-on, dans ce que les Chambres sont des corps politiques.

Mais cette objection s'élève non contre ce que nous proposons, mais contre une disposition constitutionnelle.

La Constitution veut (nous n'avons pas à discuter si c'est à tort ou à raison) veut que le droit d'enquête appartienne à chacune des deux Chambres. Elles doivent donc pouvoir l'exercer librement ; mettre des obstacles, des entraves à l'exercice de cette prérogative, par des craintes quelconques, c'est empêcher l'exercice d'un droit constitutionnel.

Je crois donc que si l'honorable M. de Theux veut respecter la Constitution, s'il a à cœur de donner à ces dispositions leur application réelle, de les maintenir dans toute leur force, il doit voter l'article que nous avons eu l'honneur de proposer à la Chambre.

M. Coomans. - Messieurs, on semble croire que je suis indigné de ne pas avoir trouvé dans le nouveau Code des pénalités se rattachant à la responsabilité des ministres. Il n'en est rien. J'ai dit, et je le maintiens, que lorsqu'on règle le droit d'enquête parlementaire par le Code pénal, on pourrait de même régler la responsabilité des ministres.

A cela on a répliqué que je demande une chose inconstitutionnelle, et on a eu la bonté de me rappeler le premier paragraphe de l'article 139 de la Constitution que j'avais lu auparavant. Cet paragraphe dit en effet qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées... Mais, messieurs, faut-il donner à ce texte constitutionnel le sens que lui donnent l'honorable M. Devaux et l'honorable M. Pirmez ? Est-il absolument nécessaire que la responsabilité ministérielle fasse l'objet d'une loi spéciale, distincte, unique ?

Je ne le pense pas ; tel n'est pas évidemment le sens que vous lui donnez vous-mêmes, car vous avez inséré dans vos projets du Code les articles relatifs à la presse ; or, le n°1° de la Constitution porte : « Loi séparée pour la presse. » (Interruption).

Je le répète, vous avez inséré dans votre nouveau Code des articles relatifs à la presse ; je sais bien que vous les avez retirés depuis, plus ou moins constitutionnellement ; vous les avez retirés depuis, mais vous me les avez pas retirés à cause des mots « par des lois séparées. » Vous avez eu d'autres raisons que celle-là.

Je n'insiste pas sur ces raisons, à moins que vous ne le désiriez. Mais je tiens à constater que les mots « lois séparées » ne veulent pas dire ce que vous leur faites dire.

J'ai un second argument ; je vais prouver encore une fois que vous ne croyez pas vous-mêmes ce que vous venez de proclamer.

Effectivement le n°5 de l'article de la Constitution dispose qu'il faut faire dans le plus court délai possible (cela a été dit, il y a 30 ans) une loi séparée sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir. Or, n'avez-vous pas dans votre nouveau Code pénal des articles relatifs aux autres agents du pouvoir ? Oui et plusieurs.

Vous comprenez la portée de mon argument. S'il est vrai que vous faites comparoir la presse dans le nouveau Code pénal, s'il est vrai que vous y mettez les agents du pouvoir, autres que les ministres, il n'est pas vrai que les mots : « lois séparées » signifient ce que vous dites.

Du reste, ceci, au fond, n'est qu'une chicane de mots ; je ne tenais pas le moins du monde à ce que la responsabilité des ministres fût réglée par le Code pénal ; je tenais à ce qu'il y eût une loi sur la responsabilité des ministres ; et pourvu que cette loi fût bonne, je vous aurais laissé le soin de la classification.

Mais cette loi, il faut la faire, d'abord par la raison que vient d'indiquer l'honorable M. Devaux, puis parce que la Constitution nous l'ordonne. (Interruption.)

Je sais très bien que l'article 134 de la Constitution nous permet de mettre en accusation MM. les ministres et donne à la Cour de cassation le pouvoir de les juger. Mais est-ce vous qui devriez me faire cette objection ? N'est-ce pas l'arbitraire ? Et trouvez-vous convenable que les ministres qui peuvent être un jour mes adversaires et un autre jour mes amis politiques, trouvez-vous convenable que les ministres, s'il m'est permis de me servir de cette vieille comparaison, aient l'arbitraire incessamment suspendu sur leurs têtes, comme une épée de Damoclès ? Ce sont les ministres qui devraient prendre l'initiative d'une semblable loi ; je l'ai dit à mes amis politiques, j'ai le droit de le dire à mes adversaires.

Comment ! vous voulez le maintien de l'article 134 de la Constitution. D'abord, je le fais observer de nouveau ; cet argument ne vaut rien, attendu que le Congrès avait fait l'article 134 avant l'article 139 ; le Congrès n'était pas satisfait de l'article 134 ; du moins le trouvait-il très insuffisant, puisqu'il ordonnait de supprimer cet article dans le plus court délai possible. L'argument ne vaut donc rien au point de vue constitutionnel ; mais au point de vue de bonnes théories pénales, votre argument est détestable ; car vous voulez l'arbitraire ; vous dites que l'arbitraire est suffisant et convenable ; vous dites qu'il n'y a pas de raison d’en sortir ; vous allez plus loin ; vous nous donnez à entendre clairement qu’on ne sortira pas de cet arbitraire.

Et qui fait ce raisonnement ? L'honorable ministre de la justice, entre autres, lui qui, l'autre jour, s'était levé avec une grande indignation contre les paroles d'un de mes honorables amis, lui qui pensait qu'il ne fallait pas retourner aux habitudes un peu arbitraires du moyen âge ; l'honorable ministre de la justice a soutenu que le grand vice de toutes les lois du moyen-âge était l'arbitraire. Le Congrès a été aussi de cet avis, puisqu'il a dit que son article 134 ne valait rien, et je suis très surpris que l'honorable ministre de la justice, qui a fait un assez joli (page 909) discours contre l'arbitraire, vienne réhabiliter aujourd'hui l'arbitraire, et énumérer, avec l'assentiment de plusieurs honorables membres, les charmes de l'arbitraire.

Messieurs, je regrette que ce débat ait eu ces proportions ; telle n'était pas mon intention, mais j'ai dû me défendre, je tenais à prouver qu'invoquant un article de la Constitution, je l'avais lu.

M. de Theux. - Je m'étonne que l'honorable rapporteur ait comparé le droit d'enquête dont il s'agit pour les Chambres au droit d'enquête qu'exercent les corps judiciaires. Le droit d'enquête qu'exercent les corps judiciaires est déterminé par les lois, toutes les formes sont réglées, il n'y a pas là de trouble à craindre.

Je dis qu'avec ces articles l'exercice du droit d'enquête sur le simple vote de l'une des deux Chambres jugeant à propos d'en ordonner une, peut conduire à une confusion, à des conséquences qui ne sont pas dans la pensée du gouvernement ni de la commission.

Nous avons des précédents.

Au mois de mars 1831 le congrès ordonna une enquête ; je ne sais pas si cela était bien dans les attributions du congrès, pour rechercher les fauteurs des pillages et ce qui y avait donné lieu ; c'était une cause politique ; la Chambre des représentants en ordonna une autre pour rechercher les causes des désastres du mois d'août 1831.

Il y a eu encore plusieurs autres propositions d'enquête, notamment sur certain marché dit marché Hambrouck ; d'autres tentatives encor e qui n'ont pas abouti.

Ce principe de la Constitution qui doit être respecté, a besoin d'être organisé. Si l'on se borne à ces dispositions qu'on veut introduire dans le Code pénal, on donne aux deux Chambres des attributions des plus arbitraires, qui peuvent amener de grandes perturbations. Le gouvernement n'a pas réfléchi aux conséquences du principe qu'on dépose dans cette loi.

Quant à moi je désirerais que cela fît l'objet d'un examen plus approfondi. D'ici au second vote, nous pourrons examiner plus à fond les dispositions proposées aujourd'hui, nous ne pourrions les voter sans une grave imprudence, car elles peuvent avoir des conséquences que personne ne prévoit.

M. Hymans. - La question est assez grave pour nous occuper encore quelques instants. Le système que vient d'indiquer l'honorable M. de Theux n'aboutirait à rien moins qu'à annuler le droit d'enquête. La Constitution, en accordant ce droit à chacune des deux Chambres, leur a laissé la faculté de régler l'exercice de ce droit comme de toutes ses attributions. Quand il s'est agi l'année dernière de faire une enquête sur les élections de Louvain, pourquoi avons-nous fait une loi ?

Uniquement parce que nous n'avions pas de moyen de contrainte vis-à-vis des témoins ; nous ne pouvions prononcer aucune peine contre les témoins qui refusaient de répondre, il n'y avait pas moyen de punir les faux témoins à moins de faire une loi spéciale.

Maintenant que le gouvernement propose d'insérer dans le Code pénal des dispositions qui punissent les personnes qui refuseraient de répondre comme celles qui feraient un faux témoignage, la position se trouve pour l'avenir considérablement simplifiée ; le droit d'enquête, qui est une des plus précieuses prérogatives parlementaires, trouvera moyen de s'exercer dans toute sa plénitude.

Voyez ce qui pourrait arriver avec le système de M. de Theux. Supposez qu'une enquête soit ordonnée contre le ministère, il vous faut le concours de l'autre branche de la législature et du pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif sera à même d'entraver l'exercice du droit d'une des deux Chambres en ne donnant pas la sanction à la loi votée par toutes les deux.

Que deviendra alors le droit d'enquête ?

En exigeant une loi spéciale, on ne tend ainsi à rien moins qu'à entraver le prérogative parlementaire dans son plus légitime exercice.

Le gouvernement a donc très bien fait, à mon sens, en inscrivant dans le Code pénal ces articles qui permettent désormais à chacune des deux Chambres d'organiser ses enquêtes par la voie réglementaire.

M. E. Vandenpeereboom. - Je dirai en peu de mots pourquoi je voterai les articles proposés par la commission, ou des dispositions analogues. Je ne comprends vraiment pas l'opposition qu'ils soulèvent.

Sans vouloir entrer dans la question mise en avant par l'honorable M. Coomans, je fais remarquer que nos articles sont nécessaires, même pour faire agir le pouvoir qu'a la Chambre de mettre les ministres en accusation.

Ce droit résulte de l'article 90 de la Constitution ; et sans les articles proposés ce droit serait inerte.

En effet, je pense qu'il se présentera peu de cas où l'on puisse accuser un ministre et le traduire devant la cour de cassation, sans s'être enquis sur les faits incriminés.

Or, l'enquête parlementaire n'est pas praticable, si le Code pénal n'y donne une sanction.

Deux articles de la Constitution attribuent aux Chambres le droit absolu d'enquête ; ces articles sont les suivants :

« Art. 40. Chaque Chambre a le droit d'enquête.

« Art. 46. Chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. »

De la combinaison de ces deux articles il résulte que chaque Chambre peut exercer le droit d'enquête, par sa seule volonté et d'après le mode à déterminer par elle, sans que l'autre Chambre ou le pouvoir exécutif doive y intervenir, ou puisse l'empêcher.

Par conséquent, ce droit doit être, dans les mains de chaque Chambre, entier et complet, c'est-à-dire accompagné de mesures d'exécution et de sanction. Si vous demandez à une loi spéciale cette efficacité et cette force, c'est déjà méconnaître le droit absolu d'enquête que possède chaque Chambre ; car, une des Chambres ou le pouvoir exécutif pourrait ne pas accepter cette loi spéciale et faire que les prescriptions constitutionnelles restassent ce qu'elles sont aujourd'hui, un instrument que ne peut pas faire mouvoir celui qui doit en avoir la libre disposition. Dans l'enquête de Louvain, tout en ayant pleinement le droit d'agir comme nous l'avons fait, nous aurions pu en être empêchés.

Je crois donc fermement que les articles proposés, ou des dispositions analogues, sont nécessaires, et qu'en outre ils sont bien placés ; ne pas les accepter, c'est rayer les articles 40 ou 46 de la Constitution, ou les rendre lettre morte.

Il s'agit, dans le Code pénal, de comminer des peines contre ceux qui, d'une manière quelconque, troublent l'ordre social. Il serait exorbitant de donner une sanction pénale à l'action de l'une des deux Chambres, lorsqu'elle a décidé que cette action est nécessaire ou utile à l'intérêt public ! J'ai peine à comprendre une telle doctrine, et à apercevoir les dangers qu'on cherche à nous montrer dans les mesures proposées.

La vérité est que ce qu'on combat, ce n'est pas la sanction donnée au droit d'enquête, c'est le droit d'enquête lui-même. Nous sommes si peu habitués à manier ce solide instrument du régime parlementaire, depuis trente ans, nous l'avons eu à peine trois fois en main, que nous semblons avoir peur de le regarder.

Loin d'en avoir abusé, nous en avons à peine usé. Quand chaque Chambre sera en possession de son droit convenablement organisé ; quand elle pourra en user sans contrôle, comme constitutionnellement elle doit pouvoir le faire, elle n'en usera qu'avec sagesse ; toute responsabilité entraîne avec elle la retenue et la modération.

C'est pour tous ces motifs, que, sauf rédaction, je voterai les articles proposés, que je regarde comme opportuns et nécessaires pour garantir notre droit d'enquête.

M. Van Overloop. - L'honorable M. Lebeau a fait remarquer que les matières politiques sont réglées par des lois spéciales, et il a soutenu qu'il convient de régler également par une loi spéciale tout ce qui se rattache à la responsabilité ministérielle, car ce qui se rattache à cette responsabilité est évidemment politique.

Je suis de l'avis de l'honorable M. Lebeau, et c'est parce que je partage cette opinion, que je trouve les observations de l'honorable M.de Theux parfaitement justes.

En effet, y a-t-il en général rien de plus politique qu'une enquête parlementaire ? Nous avons le droit d'enquête, mais l'exercice de ce droit n'est pas organisé.

Le sera-t-il par cela seul que vous introduirez dans le Code pénal les deux articles dont nous nous occupons ? La preuve que non, c'est que vous avez fait une loi en plusieurs articles pour l'enquête de Louvain.

- Un membre. - Parce que nous n'avions pas les articles qu'on propose aujourd'hui.

M. Van Overloop. - Il y a, outre les articles qu'on nous propose aujourd'hui, plusieurs dispositions que vous avez cru devoir introduire dans la loi faite à propos des élections de Louvain, pour organiser l'exercice du droit d'enquête que consacre la Constitution.

Pourquoi ne pas laisser cet objet en dehors du Code pénal, conformément aux observations si prudentes des honorables MM. de Theux et Lebeau ? Pourquoi ne ferait-on pas une loi spéciale complète sur une matière si essentiellement politique que les enquêtes parlementaires ?

Messieurs, on craint qu'un autre pouvoir n'adopterait pas cette loi. Mais ce qu'il faudrait, ce serait éviter précisément ce qui a eu lieu dans (page 910) l'enquête de Louvain, ce serait éviter de faire croire que l'on a agi sous l'influence de passions électorales, ce serait de faire à froid une loi réglant l'exercice du droit d'enquête parlementaire que les Chambres ont en vertu de la Constitution.

M. E. Vandenpeereboom. - C'est ce que nous faisons.

M. Van Overloop. - Mais ces articles ne suffisent pas ; il faut davantage. Il y a d'ailleurs ici quelque chose d'extraordinaire ; c'est que le cachet politique se trouve dans le paragraphe 2 de l'article en discussion.

L'article porte :

« Quiconque ayant été assigné à déposer dans une enquête parlementaire, ne comparaîtra pas sans motifs légitimes, sera condamné à une amende de 26 fr. à 200 fr.

« Cette peine ne sera prononcée que sur la plainte de la commission d'enquête, après que le témoin défaillant aura été réassigné et entendu par elle. »

Mais qui vous dit que la Chambre consentira à investir la commission de ce droit, que la Chambre ne voudra pas se le réserver ?

M. Pirmez, rapporteur. - Proposez un amendement.

M. Van Overloop. - Je ne dois pas proposer d'amendement, puisque je cherche à établir qu'il convient de régler le droit d'enquête par une loi spéciale, ce qui entraînerait la suppression de l'article.

Je répète que le caractère politique de cette disposition ressort du paragraphe 2 ; je répète qu'il n'est pas certain que plus tard vous trouviez convenable de maintenir à une commission le droit absolu de faire punir les témoins, que vous vouliez en d'autres termes abdiquer d'avance une partie de vos attributions entre les mains de la commission. En effet, il peut convenir à la Chambre de procéder à une enquête tantôt de telle façon, tantôt de telle autre. Tâchons de faire une loi complète ; sinon, qu'arrivera-t-il ?

Lorsque nous voudrons exercer notre droit d'enquête, nous serons arrêtés par l'absence d'une loi organisatrice de ce droit, et forcément nous devrons faire une loi spéciale. Je comprends toutes les difficultés d'une loi complète, réglant tout ce qui concerne l'exercice du droit d'enquête, mais ce n'est pas là un motif suffisant pour se contenter des articles en discussion. Veuillez remarquer que le droit d'enquête est un droit constitutionnel qui appartient à chaque Chambre, que chacune d'elles a le droit de régler les enquêtes comme bon lui semble, et notamment, selon les circonstances, tantôt la Chambre pourra juger convenable d'abandonner à une commission l'initiative des poursuites contre les témoins, tantôt elle pourra juger convenable de se réserver cette initiative.

Je crois donc qu'il serait utile de renvoyer à une loi spéciale les dispositions relatives à l'organisation du droit d'enquête des Chambres.

Il pourrait, d'ailleurs, se présenter d'autres circonstances que l'expérience révélerait, d'autres faits qui, dans la pensée du législateur, devraient être réprimés. Ainsi, je suppose que, dans une enquête parlementaire, la Chambre estime qu'il est nécessaire de faire produire certaines pièces. Quel moyen aurez-vous de faire produire certaines pièces ? Aucun, en vertu des articles qui nous sont proposés. Vous voyez donc que ces articles ne suffisent pas pour donner pleine vie au droit d'enquête consacré par la Constitution.

Ces considérations démontrent, me semble-t-il, qu'il est de la plus haute importance de régler, conformément à nos usages, par une loi spéciale, l'exercice de notre droit d'enquête.

M. De Fré. - Ceux qui attaquent les deux articles en discussion devraient bien se mettre d'accord.

D'un côté on se plaint qu'on n'a pas inscrit dans le Code pénal tout ce qui concerne la responsabilité ministérielle ; et d'un autre côté, l'honorable M. Van Overloop ne veut pas voir inscrire dans le Code pénal ce qui concerne l'enquête parlementaire.

Les uns veulent voir l'organisation de la responsabilité ministérielle dans le Code pénal, parce que c'est une question politique, et les autres ne veulent pas voir inscrire l'organisation de l'enquête parlementaire dans le Code pénal parce que c'est une question politique.

Messieurs, voilà la question ; elle est très simple. Les articles que vous discutez en ce moment sont une garantie pour chaque parti politique, dans tous les temps et dans toutes les circonstances. Si vous vouliez faire une enquête contre le ministère, vous ne pourriez jamais le faire, si vous n'aviez pas dans le Code pénal les dispositions dont il s'agit. Pourquoi ? Parce qu'il faut pour chaque enquête faire une loi spéciale.

Or, la loi n'existe que pour autant que le ministre contre lequel vous voulez faire l'enquête, la promulgue. Eh bien, cela est impossible.

Si vous voulez mettre un ministre en accusation, et si vous voulez commencer par faire une enquête sur les faits dénoncés, qu'êtes-vous obligés de faire ? Vous êtes obligés de faire une loi à l’effet de faire comparaître devant la commission parlementaire les témoins qui doivent déposer sur ces faits. Mais le ministre ne promulguera pas cette loi. Cela est évident.

Vous êtes donc paralysés dans votre action, comme l'a très bien dit l'honorable M. Vandenpeereboom.

Ainsi, par application de ce que je viens de dire, si dans l'affaire de Louvain le Sénat n'avait pas voté le projet de loi que nous avons adopté, l'enquête ne pouvait pas avoir lieu, la Chambre était arrêtée dans ses prérogatives parlementaires et la disposition constitutionnelle inscrite dans l'article 40 restait sans application possible.

C'est pour ces motifs que la commission a mis dans le Code pénal les dispositions dont il s'agit.

L'honorable M. Van Overloop dit que c'est une question politique. Mais il y a dans le Code pénal beaucoup de questions politiques. Ainsi, celui qui empêche un électeur d'exercer ses droits politiques est puni d'une peine, comme le témoin cité qui ne paraît pas devant la commission de la Chambre est puni d'une peine.

Il s'agit, dans l'un comme dans l'autre cas, de questions politiques. L'empêchement produit par quelqu'un à l'exercice d'un droit politique ne doit-il pas être inscrit dans le Code pénal ?

Mais alors vous voudriez faire un Code pénal politique et un Code pénal privé, et cela ne se comprend pas.

Le Code pénal établit la punition de tous les faits qui portent atteinte aux droits d'autrui, quelle que soit la nature de ces droits.

L'honorable M. Van Overloop dit que l'organisation des enquêtes demande autre chose que ce qui est inscrit dans les articles en discussion.

Je voudrais bien savoir quelle est cette autre chose.

Pour organiser une enquête parlementaire, il ne faut pas autre chose que ce qui est là.

Du reste, ce qui est en discussion, c'est la reproduction des dispositions de la loi votée par la Chambre en 1859, lors de l'enquête de Louvain. Il n'y a que cela. Eh bien, quant à moi, je voterai ces articles de grand cœur, parce qu'ils permettent à la Chambre agissant seule et au Sénat agissant seul d'exercer sans la moindre entrave leur prérogative constitutionnelle et sans que dans aucune circonstance possible le gouvernement puisse entraver la décision, soit de la Chambre, soit du Sénat.

M. Pirmez, rapporteur. - Je demande à la Chambre de peser les conséquences du vote qu'elle va émettre. Il y a trente ans qu'on attend une loi sur le droit d'enquête ; les efforts que l'on a tentés à plusieurs reprises pour faire une loi spéciale, ont toujours échoué.

Nous avons maintenant l'occasion de faire cette loi sans difficulté, ne nous exposons pas à attendre encore longtemps peut-être avant de trouver des circonstances aussi favorables de garantir l'un des droits les plus précieux qui puissent exister dans les gouvernements constitutionnels.

L'honorable M. Van Overloop nous reproche d'introduire dans le Code les dispositions relatives au droit d'enquête, il voudrait en faire l'objet d'une loi spéciale, mais les motifs qu'il donne à l'appui de son opinion vont à l’encontre de sa demande.

Il dit qu'une pareille loi doit être faite à froid ; or il n'y a guère de discussion plus froide que celle du Code pénal. Il préfère une loi spéciale, parce qu'elle peut mieux se calquer sur les exigences particulières des enquêtes, mais s'il fallait faire une loi spéciale, prévoyant, comme le dit l'honorable membre, les circonstances de l'enquête que l'on se propose d'ouvrir, alors la loi ne serait presque jamais faite froidement ; cette loi devrait être portée au moment où l'enquête va commencer, et les enquêtes se font le plus souvent sur des questions irritantes.

C'est justement parce qu'une telle loi doit être l'œuvre de la réflexion et non pas de l'entraînement, qu'il importe de faire cette loi d'avance et d'une manière générale sans qu'on ait à se préoccuper d'un cas déterminé d'application.

On nous objecte encore que dans le Code pénal nous n'indiquons pas les pénalités prononcées contre les témoins appelés à déposer devant l'autorité judiciaire et qui font défaut.

Le fait est vrai, mais voici la raison de différence :

On a voulu conférer aux magistrats qui entendent les témoins, le droit de punir eux-mêmes ceux qui refusent de comparaître. La peine est donnée aux magistrats comme une espèce de moyen défensif de leur (page 911) autorité. La non-comparution n'est pas une infraction pénale proprement dite, mais une sorte de lésion des droits des magistrats qu'ils repoussent eux-mêmes. C'est ainsi que tous les tribunaux et même les juges d'instruction prononcent des peines contre les témoins défaillants.

Il ne peut pas en être ainsi pour la Chambre ; la division des pouvoirs s'y oppose ; le pouvoir législatif ne doit pas appliquer des peines, il faut ainsi nécessairement que les peines soient comminées par l'autorité judiciaire.

La non-comparution devient ainsi une véritable infraction dans les enquêtes parlementaires, et la juridiction répressive seule en connaît.

Je maintiens, messieurs, que les dispositions que nous proposons sont complètes.

La loi n'a pas à s'occuper de la réglementation du droit d'enquête ; chaque Chambre (c'est une disposition constitutionnelle) règle l'exercice de ses attributions et par conséquent la manière dont elle entend pratiquer le droit d'enquête ; ce qui en cette matière appartient à la loi, parce qu'une des branches de la législature est impuissante à le faire, c'est de comminer les peines ; or, c'est précisément ce que nous proposons.

Nous respectons donc la Constitution en ne réglementant pas le droit d'enquête par la loi et nous obéissons à son esprit en demandant que l'on garantisse enfin sérieusement l'exercice du droit d'enquête.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je tiens à rectifier ce qui a été dit à plusieurs reprises, c'est que le gouvernement aurait proposé des dispositions relatives au droit d'enquête ; ces dispositions ont été proposées par la commission.

S'il entre dans les intentions de la Chambre de passer aujourd'hui au vote sur ces dispositions, je me réserve de revenir au second vote sur quelques-unes d'entre elles, qui me semblent soulever des questions très g aves.

Est-il bien possible, messieurs, de prendre des dispositions générales pour toute espèce d'enquête parlementaire ?

Est-il possible de comminer des peines contre toutes les altérations de la vérité qui peuvent se produire dans les différentes enquêtes parlementaires auxquelles la Chambre peut être appelée à se livrer ? Je comprends des dispositions générales pour les enquêtes judiciaires, parce qu'il s'agit toujours là d'un ordre de faits nettement déterminés par la loi. Mais il n'en est pas de même des enquêtes parlementaires : les Chambres peuvent faire des enquêtes commerciales, des enquêtes industrielles, des enquêtes sur des faits administratifs, des enquêtes électorales ; pouvons-nous dire que, dans toutes ces enquêtes, les témoins qui ne comparaîtront pas seront punis de telle ou telle peine ?

Pouvons-nous dire que ceux qui, dans l'une ou l'autre de ces enquêtes, donneront de faux renseignements, de fausses indications, seront punis comme faux témoins ? Pouvons-nous soumettre à une pénalité ceux qui ne comparaîtront pas ? Je suppose que, dans une enquête industrielle ordonnée par la Chambre, ou dans une enquête commerciale, un témoin refuse de comparaître, qu'un industriel, cédant à un intérêt personnel, fasse des déclarations inexactes, mettre à une pourrez-vous le faire tomber sous l'application de la loi ?

Je comprends les dispositions proposées lorsqu'il s'agit d'enquérir sur des faits délictueux, mais je le comprends difficilement quand il s'agit de faits commerciaux ou industriels.

.Je me réserve donc formellement, pour le cas où la Chambre voterait aujourd'hui ces articles, d'y revenir au second vote.

Je crois au surplus, en présence des difficultés que font surgir ces dispositions, qu'il serait sage de se donner le temps de réfléchir.

M. Van Overloop. - Je propose de réserver l'article.

M. Pirmez, rapporteur. - Je demande que la Chambre statue aujourd'hui, sauf à y revenir au second vote.

M. Coomans. - Le règlement n'admet pas des votes provisoires ni des votes sous réserve ; il n'admet pas plus les réserves de MM. les ministres que celles d'autres membres de la Chambre. Je sais bien que cela a déjà eu lieu plusieurs fois, mais je le considère comme contraire au règlement.

Le règlement est formel, il ne permet de revenir au second vote que sur les amendements.

- Plusieurs membres. - C'est un amendement.

M. Coomans. - Soit. Mais je tiens à constater que le règlement n'admet ni des votes provisoires ni des votes sous réserve. Ajournons, si nos convictions ne sont pas formées, mais ne votons pas sous réserve de décider demain le contraire de ce que nous aurons décidé aujourd'hui.

Le plus sage et le plus digne c'est de réserver les articles dont il s'agit, à moins qu'on ne les rejette.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Coomans semble croire que je demande quelque chose d'exorbitant, il n'en est cependant rien. J’ai indiqué que les amendements pourraient donner lieu à des difficultés et j'ai prévenu la Chambre que si elle les votait aujourd'hui, je me réservais d'y revenir au second vote, pour qu'on ne vînt pas me reprocher de combattre alors, ce que j'aurais laissé passer aujourd’hui sans opposition.

J'ai le droit, sans faire aucune espèce de réserve, de combattre ces dispositions au second vote, mais j'ai voulu prévenir la Chambre, afin d'éviter ultérieurement tout reproche de me trouver en contradiction avec un vote précédent.

M. Guillery. - Messieurs, je ne vois réellement pas de motif d'ajournement ; l'observation de M. le ministre de la justice est très juste : les articles proposés constituent des amendements, et par conséquent l'on peut y revenir au second vote. M. le ministre indique les difficultés qui peuvent s'élever et fait des réserves qui lui permettent de proposer des modifications au second vote, voilà, je pense, toute la portée de son observation. Eh bien, messieurs, puisque l'on peut y revenir au second vote, c'est une raison de plus pour statuer aujourd'hui.

Nous n'avons pas de raison pour ne pas voter aujourd'hui ce qui nous est soumis aujourd'hui, ce sur quoi nous avons délibéré aujourd'hui. Pour ma part, je regarde ces articles comme excessivement importants ; je les regarde comme la sanction utile d'une de nos plus précieuses prérogatives parlementaires.

Nous avons, d'après l'article 40 de la Constitution, le droit d'enquête. On pourra contester encore, comme on l'a déjà fait, le droit pour la Chambre de prononcer par voie de règlement, des peines, en présence de l'article 8 de la Constitution, et l'objection est des plus graves.

Pour lever toute espèce de doute, le Code pénal commine une peine par une loi générale ; c'est là, je le répète, la sanction d'une de nos plus précieuses prérogatives parlementaires, et je ne comprendrais véritablement pas que la Chambre hésitât un seul instant à lui donner ton approbation.-

M. le président. - Je ferai remarquer que l'un des deux articles est déjà voté.

M. Muller. - Messieurs, je n'ai qu'une seule observation à ajouter à celles qui ont été présentées en faveur de l'adoption immédiate de l'article, c'est que dans les cas d'enquêtes industrielles qu'a cités M. le ministre de la justice, le droit est réservé à la commission d'enquête de porter ou de ne pas porter plainte.

D'ailleurs, pourquoi ne voteriez-vous pas aujourd'hui l'article ? Du moment qu'il doit être soumis à un second vote, quel avantage avez-vous à l'ajourner ? Aucun, si ce n'est de retarder d'une manière indéfinie les moyens d'exécution que la Chambre doit avoir pour exercer sa prérogative parlementaire d'enquête.

M. de Naeyer. - Messieurs, je ne veux pas proposer d'ajourner ces articles pour en faire l'objet d'une loi spéciale ; mais je crois qu'il est prudent de suspendre la discussion, sauf à examiner ultérieurement si ces dispositions doivent être insérées dans le Code pénal. Remarquez que le premier vote, quoique sujet à un nouvel examen, a cependant une valeur : il faut qu'il puisse être émis en connaissance de cause.

Or, je crois que d'après les observations judicieuses présentées par M. le ministre de la justice, il paraît très difficile pour un très grand nombre d'entre nous, de nous prononcer dès maintenant en pleine connaissance de cause. Ainsi, quand une question n'est pas bien éclaircie, ce que la prudence, la logique et le bon sens conseillent, c'est d'ajourner, en attendant un examen plus approfondi.

Du reste, je le répète, je n'entends pas dire que cette disposition ne puisse pas faire partie du Code pénal ; c'est une autre question ; mais ce qui est acquis au débat, c'est que la question discutée en ce moment n'est pas suffisamment éclaircie pour pouvoir faire aujourd'hui l'objet d'un vote de la Chambre, d'autant plus qu'il me paraît douteux que nous soyons en ce moment en nombre pour délibérer.

M. Moncheur. - Messieurs, il me semble que dans l'état où se trouve actuellement la question, le meilleur parti à prendre serait le renvoi des deux articles à la commission.

- Des membres. - Ils en viennent,

M. Moncheur. - Oui, ils en viennent, comme tous les articles sur lesquels nous avons voté aujourd'hui en sont venus. Mais de nouvelles observations se sont produites ; celles que vient de faire l'honorable ministre de la justice ont ce caractère ; il me semble dès lors, (page 912) qu'il serait très rationnel de renvoyer les deux articles à la commission.

Ce n'est pas un ajournement, et c'est cependant un moyen de remettre la question à l'étude ; si le renvoi est prononcé, la commission, après examen, viendra proposer à la Chambre, soit des articles analogues à ceux-là, soit peut-être les mêmes, soit un ajournement complet.

Je demande donc le renvoi des deux articles à la commission.

M. le président. - Je fais observer de nouveau qu'un des deux articles est déjà voté.

M. Guillery. - Messieurs, je comprends le renvoi à la commission, lorsqu'on présente un amendement qu'elle n'a pas examiné ou lorsqu'on fait valoir des objections qu'elle n'avait pas prévues ; mais je ne comprends pas qu'on demande le renvoi à la commission d'articles émanés de la commission, et d'ailleurs d'une question qui est parfaitement étudiée, que nous avons discutée dans cette enceinte, lors de la loi d'enquête votée dans la dernière session.

Le gouvernement, remarquez-le bien, n'a pas demandé le renvoi.

M. Moncheur. - Messieurs, ce à quoi l'honorable préopinant a fait allusion prouve suffisamment qu'il pourrait y avoir lieu à faire une loi plus complète que les deux articles dont je demande le renvoi à la commission.

En effet, on a dit qu'il était nécessaire de faire une loi organique sur les enquêtes parlementaires ; mais cette loi, pour être complète, doit prévoir tous les cas, notamment les cas énumérés par M. le ministre de la justice, et qui sont quelquefois dissemblables entre eux.

Messieurs, bien que la commission ait proposé les deux articles dans le but d'établir déjà un jalon pour la loi à faire sur les enquêtes parlementaires, il n'est pas absolument nécessaire que ce jalon soit posé, attendu qu'on pourra peut-être faire d'un coup la loi tout entière.

Il me semble même que cette manière de procéder serait plus convenable. Chacune des deux Chambres ayant le droit d'enquête, l'une des deux assemblées voudra peut-être l'exercer de telle ou telle façon, l'autre, de telle ou telle autre façon.

Dans tous les cas, puisque des observations nombreuses ont été produit, je pense qu'il serait très utile que la commission, peut-être avec l'intervention de M. le ministre de la justice, soumît la question à un nouvel examen, et nous fît un nouveau rapport.

-La discussion est close.

M. le président. - M. Moncheur demande que les deux articles, dont l'un est déjà voté, soient renvoyés à la commission, à fin d'un nouvel examen.

M. Guillery (sur la position de la question). - Messieurs, je pense que la proposition de l'honorable M. Moncheur doit porter exclusivement sur l'article qui n'est pas voté ; je ne pense pas qu'il soit passible de revenir aujourd'hui sur celui des deux articles que la Chambre a déjà adopté.

M. Moncheur (sur la position de la question ). - Je trouve qu'il serait logique de renvoyer les deux articles à la commission. Cependant, je reconnais que si un membre exige l'exécution stricte du règlement, on ne peut se dispenser de faire droit à sa réclamation.

M. le président. - Il y a de l'opposition à ce que celui des deux articles qui est déjà voté, soit renvoyé à la commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) (sur la position de la question). - Messieurs, la question a assez peu d'importance. Il est certain qu'on ne peut renvoyer à la commission l'article qui est voté, si un membre de la Chambre s'oppose à ce renvoi ; ce qui est certain aussi, c'est que si la commission décide que le second article doit disparaître, l'article qui est voté devra disparaître également au second vote. Si, au contraire, le second article est maintenu, le premier le sera également.

M. Coomans (sur la position de la question. - Messieurs, comme le dit l'honorable ministre de la justice, il importe très peu que les deux articles ou seulement l'un d'eux soient renvoyés à la commission. Le premier article a été voté ; il ne peut donc plus être régulièrement renvoyé à la commission ; mais la commission a évidemment le droit de nous présenter des observations sur le premier article qui n'est voté que provisoirement.

Je demande donc simplement le renvoi de l'article non voté à la commission ; la commission l'appréciera, d'accord avec M. le ministre de la justice

M. le président. - Je mets aux voix la question de savoir s'il y a lieu de renvoyer à la commission le deuxième article relatif aux enquêtes parlementaires.

L'appel nominal a été demandé ; il va être procédé à cette opération.

- Un de MM. les secrétaires procède à l'appel nominal.

M. le président. - Cinquante-cinq membres seulement ont répondu à l'appel. La Chambre n'est plus en nombre.

Les Annales parlementaires mentionneront le résultat de cet appel : Les noms des membres présents, des membres absents avec congé et des membres absents sans congé y seront inscrits.

J'ai fait prévenir les membres qui étaient au Sénat ; pendant que nous votions M. Rogier avait la parole au Sénat.

Etaient présents : MM. de Theux, Devaux, de Vrière, II. Dumortier, d'Ursel, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, J. Lebeau, Lesoinne, Moncheur, Muller, Nélis, Pirmez, Sabatier, Saeyman, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Verwilghen, Allard, Coomans, David, de Boe, de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Terbecq et Vervoort.

Absents par congé : MM. Faignart, Vilain XIIII, de Moor, Mercier, J. Jouret, Carlier, de Florisone et Nothomb.

Absents sans congé : MM. Ansiau, Beeckman, Braconier, Crombez, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Breyne, de Bronckart, Dechamps, de Decker, de Gottal, de Montpellier, de Muelenaere, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, d'Hoffschmidt, Dolez, B Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Janssens, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Neyt, Notelteirs, Orban, Pierre, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Savart, Vanden Branden de Reeth, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Volxem, Vermaire et Wasseige.

La Chambre s'ajourne au 9 avril.

La séance est levée à 3 1/4 heures.