(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 877) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal du la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les facteurs ruraux du bureau des postes à Roclenge et à Glons demandent que leurs enfants de 7 à 14 ans puissent être portés sur les listes des enfants à instruire gratuitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Weidisch, maître ouvrier cordonnier au régiment de carabiniers, blessé de 1830, demande la pension de 250 fr. dont jouissent des combattants de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dejaer présente des observations sur les moyens de faire la police dans les campagnes et sur la nécessité d'accorder une indemnité aux commissaires de police faisant fonctions d'officiers du ministère public. »
- Même renvoi.
« Le sieur Masquelier, ancien maréchal des logis de gendarmerie, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relative à la pension des gendarmes. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vander Elst demande que le projet de loi instituant une caisse de prévoyance pour les secrétaires communaux soit rendu applicable aux receveurs communaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« M. Charles Jacquot, membre de la chambre de commerce de Saint-Nicolas, fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'une brochure intitulée : Un mot sur le commerce d'exportation et la marine royale belge. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. le directeur de la Banque de Belgique transmet à la Chambre 150 exemplaires du compte rendu des opérations de la Banque pendant l'année 1860. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.
« Des habitants de Liège prient la Chambre d'affecter une garantie d'intérêt à l'établissement d'un chemin de fer de Liège à Breda, par Herstal, Glons, Tongres et Bilsen. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
« MM. Orban, de Florisone et Nothomb demandent des congés. »
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - Dans la lettre par laquelle M. Nothomb demande un congé, il expose des observations sur plusieurs article de loi qui ont été mis en discussion.
Je pense qu'on pourrait remettre cette lettre à M le rapporteur.
Il est d'usage de donner lecture des lettres lorsqu'elles exposent les motifs d'un vote, mais il s'agit ici d'observations sur des articles en discussion.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qu'on l'insère aux Annales parlementaires, si l'on suppose qu'elle a de l'importance.
- Plusieurs membres. - La lecture !
M. le président. - On demande la lecture. Voici la lettre de M. Nothomb :
« Monsieur le président,
« Obligé de m'absenter subitement pour affaires urgentes, j'ai l’honneur de vous prier de vouloir bien solliciter de la Chambre, pour moi, un congé de quelques jours.
« Si j'avais pu continuer de prendre part à la discussion du projet de Code pénal, j'aurais attiré l'attention de la Chambre sur divers points, et notamment sur celui de l'attribution des amendes prononcées en matière de simple police.
« L'article 466 du Code pénal actuel en attribue le montant aux communes ; d'autre part l'article 57, figurant au projet primitif, livre Ier, et qui attribuait à l'Etat les amendes en toute matière, a été supprimé. (Séance du 2 décembre 1851.)
« D'où il suivrait que les amendes de simple police n'appartiendraient plus à personne.
« C'est un point qui paraît devoir être tranché dans un sens ou dans l'autre.
« J’aurais, sauf discussion, opiné en faveur de l'Etat.
« J'aurais aussi formulé des réserves contre une opinion relative aux arrestations, dites municipales, consignée à la page 12 du rapport n°67 comme émanée d'un ancien et honorable membre de la Chambre.
« Cette opinion trop élastique selon moi, au moins telle qu'elle est énoncée, me paraît peu en harmonie avec la Constitution (article 7) et la loi (article 106, Code instruction criminelle) qui ne reconnaissent comme légale que l'arrestation opérée soit sur ordonnance motivée du juge, soit en cas de crime ou délit flagrant et non de flagrante contravention.
« Agréez, M. le président, les assurances de ma haute considération,
« Alphonse Nothomb.
« Bruxelles, jeudi 21 mars. »
M. le président - Nous avons à nous occuper de l'article 568 qui a été amendé par l'honorable M. Coomans. L'honorable membre propose de dire :« toute espèce de clôture intérieure ainsi que les meubles et armoires, » ait lieu de : « toute espèce de clôture intérieure et notamment celle des armoires et des meubles, etc. »
La commission se rallie à cette proposition.
M. de Naeyer. - Je crois qu'il y aurait lieu de faire subir à cet article quelques autres changements. Ainsi je pense que les mots « après l’introduction dans ces lieux, » devraient être supprimés. D'abord ils ne sont plus en harmonie avec la première disposition de l'article telle qu'elle a été modifiée par la commission.
Dans la rédaction du gouvernement il était dit : « d'une maison habitée ou de ses dépendances, » tandis que dans la rédaction proposée par la commission, on parle non seulement de maisons, mais encore de waggons, de bateaux et de voitures ; or l'expression : « dans ces lieux » ne peut guère s'appliquer ni aux bateaux, ni aux voitures, ni aux waggons.
Ce ne sont pas des lieux, ce sont, au contraire, des choses qui changera constamment de lieu.
Je crois d'ailleurs que ces mots sont complètement inutiles, car enfin pourquoi les emploie-t-on ?
Pour caractériser des infractions intérieures.
De deux choses l'une : ou l'effraction intérieure est impossible sans que le voleur se trouve dans l'intérieur du bâtiment et alors, c'est-à-dire si l'effraction suppose la présence de l'individu, les mots sont inutiles, et si l'effraction intérieure, peut se faire sans la présence effective de l'individu dans le bâtiment, les mots seraient plutôt nuisibles, car il y aurait là, de la part du délinquant, un tour de force qui certainement ne pourrait pas être une circonstance atténuante, et cependant d'après la rédaction proposée, ce tour de force exclurait l'effraction intérieure dans le sens légal.
Je crois que ces mots peuvent être supprimés et je propose de dire simplement :
« L'effraction consiste à forcer, rompre, dégrader, démolir ou enlever toute espèce de clôture intérieure ou extérieure d'une maison, etc.,» comme dans l'article.
Je crois que cette rédaction serait plus claire.
J'ai encore une observation à faire sur la dernière partie de l'article.
Suivant la rédaction proposée pour cette dernière partie de l’article, l'effraction consiste à forcer, rompre, dégrader, démolir, enlever des (page 878) armoires, des meubles fermés destinés à rester en place et à protéger les effets qu'ils renferment.
Il y a ici une redondance de mots qui rend la définition fausse dans certains cas.
Ainsi pour les armoires immeubles, faisant partie des bâtiments, l'expression « enlever » est évidemment impropre, et s'il s'agit d'armoires ou de meubles susceptibles d'être déplacés, l'enlèvement n'est plus une effraction, c'est un vol ; le fait est puni comme tel à l'article suivant.
Ainsi il y aurait une véritable anomalie en ce que le même fait serait qualifié effraction à l'article 568 et dans l'article suivant il serait qualifié vol.
C'est une anomalie qu'on doit faire disparaître.
Je crois qu'en ce qui concerne les meubles et armoires, susceptibles d'être déplacés, le mot « forcer » serait absolument suffisant, car forcer un meuble ou une armoire, c'est évidemment ouvrir violemment ce meuble ou cette armoire, sans faire usage de clefs vraies ou fausses, or, l'effraction n'est pas autre chose, le mot « forcer » suffit donc pour exprimer tout ce qu'on veut dire, en ce qui concerne les meubles et les armoires. Voici donc comment je proposerai de rédiger l'article :
« L'effraction consiste :
« 1° A forcer, rompre, dégrader, démolir, enlever toute espèce de clôture intérieure et extérieure d'une maison, édifice, construction quelconque ou de ses dépendances, ou d'un bateau, d'un waggon ou d'une voiture.
« 2° A forcer des armoires ou des meubles formés destinés à rester en place et à protéger les effets qu'ils renferment. »
Je ferai remarquer que ceci aurait l'avantage de faire mieux ressortir les deux catégories de faits que la commission a voulu considérer comme constituant la circonstance aggravante de l'effraction. Il y a d'abord les faits relatifs à l'effraction de toute clôture extérieure ou intérieure, et, sous ce rapport, la disposition proposée est générale, tandis que pour les meubles et armoires, la commission n'a voulu, et a eu raison de ne vouloir qu'une disposition limitée.
Cet amendement, je le reconnais/vient un peu tard ; mais il n'y aurait aucun inconvénient à l'adopter pour le premier vote ; d'ici au second vote on verra.
M. Coomans. - L'article est amendable dans le sens indiqué par l'honorable M. de Naeyer, mais j'avoue que j'aurais voulu le faire disparaître entièrement. La rédaction est vague, pour ne pas dire fautive. Je ne vois pas en quoi on améliore l'article 393 du Code de 1810, qui dit : « est qualifié effraction, etc. »
L'amendement proposé par M. de Naeyer peut, doit même être adopté, plutôt que celui de fa commission, mais on pourrait simplifier encore la rédaction. Pourquoi dire : « Toute clôture intérieure ou extérieure » ? Supprimez ces deux mots et bornez-vous à dire : « toute clôture. » Les définitions verbeuses sont assez arbitraires. Que signifient les clôtures intérieures et extérieures de maisons, de voitures, de meubles ?
M. de Naeyer. - Il ne s'agit pas de meubles, mais de bateaux, waggons et voitures.
M. Coomans. - II s'agit de cela dans l'article que nous discutons, et non dans l'amendement de l'honorable M. de Naeyer.
Il serait donc, je crois, convenable de conserver la rédaction du Code actuel. Si la Chambre ne veut pas aller jusque-là, elle doit adopter l'amendement de l'honorable M de Naeyer. Mais je reste convaincu qu'en ce point-ci nous n'avons pas amendé le Code actuel, que nous y avons ajouté des mots, que nous n'avons guère modifié les choses. Car il me semble que les waggons et bateaux pouvaient très bien être compris dans la rédaction du Code de 1810.
Cette rédaction est ainsi conçue : « Est qualifié effraction, tout forcement, rupture, dégradation, démolition, enlèvement de murs, toits, planchers, portes, fenêtres, serrures, cadenas ou autres ustensiles ou instruments servant à empêcher le passage, et de toute espèce de clôture quelle qu'elle soit, »
Je le répète, il pouvait être entendu que les voitures, waggons et bateaux étaient compris dans cet article.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, la commission a adopté l'amendement de l'honorable M. Coomans. Il est assez singulier qu'après avoir présenté, dans une séance précédente, un amendement de détail et après que cet amendement a été adopté, l'honorable membre vienne critiquer l'article entier.
II avouera qu'il eût été préférable qu'il présentât dès le principe ses observations tendantes à faire rejeter tout l'article, au lieu de venir présenter une simple observation de forme qui a fait l'objet de l'examen de la commission, et de demander ensuite qu'on n'adopte pas l'article tel qu’il l'a lui-même proposé.
L'amendement de l'honorable M.de Naeyer est la conséquence de celui qu'a proposé l'honorable M. Coomans.
Après le changement de rédaction proposé par ce dernier, il est nécessaire, je le reconnais, de modifier quelque chose aux premiers termes de l'article. Je crois donc que l'amendement de l'honorable M. de Naeyer peut être admis.
Cependant comme il serait difficile de se prononcer sur la valeur d'un texte sans l'examiner à tête reposée, je fais toutes mes réserves quant au second vote. Mais à première vue, il me paraît pouvoir être accueilli.
Il me reste un doute, le voici.
Les premiers mots de l'article qui s'appliquent aux clôtures sont ceux-ci : « L'effraction consiste à forcer, rompre, dégrader, démolir ou enlever. » Il y a là une série de verbes qui ont un sens plus ou moins semblable. On emploie ainsi une série de synonymes ou plutôt de quasi-synonymes en ce qui concerne les clôtures, tandis que, relativement aux armoires et aux meubles fermés, l'honorable M. de Naeyer ne propose qu'un seul terme, celui de forcer.
Si le mot « forcer » est suffisant pour les armoires, n'est-il pas suffisant pour les autres clôtures ?
M. de Naeyer. - Forcer un mur, cela ne peut guère se dire.
M. Pirmez, rapporteur. - C'est un doute que j'énonce. Je crois que l'article peut être adopté comme le propose l'honorable M. de Naeyer, mais sauf à l'examiner de plus près d'ici au second vote.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois faire la même déclaration. A une séance précédente, l'honorable M. de Naeyer m'a montré son amendement, j'en ai pris une lecture assez rapide ; je viens de l'entendre aujourd'hui.
Il me serait également impossible de me prononcer sur l'accueil définitif à faire à cet amendement. Je ne m’oppose pas à ce qu'il soit admis au premier vote, sauf, comme vient de le dire l'honorable M. Pirmez, à l'examiner d'ici au second vote.
Quant à la proposition de l'honorable M. Coomans, qui consisterait à supprimer les mots « extérieures ou intérieures », je ne pourrais en aucun cas m'y rallier ; car il est bien certain que si l'on supprimait ces mots « extérieures ou intérieures » et que l'on dît : « enlever toute espèce de clôture d'une maison, etc. », cela ne s'entendrait plus que des clôtures extérieures et l'effraction des clôtures intérieures ne serait plus punie. Il m'est donc impossible d'admettre ce changement.
M. le président. - M. Coomans, insistez-vous pour l'adoption de votre sous-amendement ?
M. Coomans. - M. le ministre de la justice croit que si l'on supprimait ces mots « extérieures ou intérieures », le bris de clôtures à l'intérieur ne se trouverait plus prévu par l'article. Mais je ferai remarquer à M. le ministre que ma première rédaction ne comprenait pas non plus le dernier de ces mots.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pardon, lisez l'article jusqu'au bout.
M. Coomans. - Du reste, je n'ai pas fait de proposition formelle. Je me suis borné à émettre des doutes sur les termes à employer, et je persiste à croire que, même malgré les améliorations proposées par l'honorable M. de Naeyer, nous aurions mieux fait de conserver la rédaction du Code de 1810.
Un mot de réponse maintenant à l'honorable M. Pirmez qui m'a reproché de n'avoir pas proposé mon amendement lors de la première discussion. Je répondrai d'abord que j'ai fait une observation approuvée par lui sur la rédaction de l'article ; ensuite, que je n'ai pas eu alors la prétention d'améliorer par improvisation tout cet article, prétention que ne doit pas avoir eue l'honorable rapporteur lui-même puisqu'il est encore dans un embarras au moins égal au mien, attendu qu'il ne présente pas une autre rédaction.
M. Pirmez. - Pardon ; voyez mon rapport.
- L'article 568 amendé par-M. de Naeyer est adopte avec la réserve énoncée par M. le ministre de la justice et par M. Pirmez.
M. le président. - Le rapport tient en réserve les dispositions relatives à l'escroquerie. Maintenant vient l'article 592 :
« Quiconque aura trompé l'acheteur, soit sur l'identité de la chose vendue, en livrant frauduleusement une chose autre que celle qu'il a déterminément achetée, soit sur la nature des marchandises, (page 879) en vendant ou livrant frauduleusement une chose d'apparence semblable à celle qu'il a achetée ou cru acheter, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de cinquante francs à mille francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. »
Une discussion a eu lieu sur le mot « déterminément ». M. De Fré a proposé de remplacer ce mot par le mot « spécialement ».
La commission, tout en maintenant sa rédaction primitive, déclare ne pas voir d'inconvénient à la substitution de mots proposée.
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
L'article est ensuite adopté avec la rédaction de la commission.
« Art. 611. Seront punis d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs :
« 1° Ceux qui ayant trouvé ou étant entrés par hasard en possession d'une chose mobilière d'autrui, et ayant eu connaissance de la réclamation du propriétaire, ou étant obligés par leurs fonctions de remettre cette chose à leurs supérieurs, l'auront frauduleusement retenue ou livrée à des tiers ;
« 2° Ceux qui, ayant découvert un trésor, se le seront approprié au préjudice des personnes auxquelles la loi en attribue une partie. »
M. De Fré a proposé de remplacer les mots : « ayant eu connaissance de la réclamation du propriétaire » par ceux-ci : « qui, dans les vingt-quatre heures n'en auront pas averti la police. »
La commission propose de rédiger le numéro 1° comme suit :
« 1° Ceux qui, ayant trouvé une chose mobilière appartenant à autrui ou en ayant obtenu par hasard la possession, l'auront frauduleusement cédée ou livrée à des tiers. »
M. Pirmez, rapporteur. - La nouvelle rédaction proposée par la commission satisfait entièrement M. De Fré.
- L'amendement de M. De Fré est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 611 est adopté, avec la nouvelle rédaction proposée par la commission.
M. le président. - Nous avons reçu aujourd'hui deux rapports ; l'un est relatif aux articles 623 et 659, l'autre concerne les dispositions répressives des fraudes en matière de propriété littéraire et artistique. La Chambre veut-elle passer immédiatement à la discussion de ces rapports ?
M. Hymans. - Pour les articles concernant la propriété littéraire et artistique, Userait bon que M. le ministre de l'intérieur fût présent.
M. le président. - M. le ministre s'est rallié aux différentes propositions de la commission.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est au Sénat, on pourrait le faire prévenir.
« Art. 623. Celui qui aura mis le feu à des objets quelconques, dans l'intention de le communiquer à d'autres choses placées de manière à être incendiées par communication, sera condamné comme s'il avait mis ou tenté de mettre directement le feu à ces choses.
« Lorsque, dans, les cas prévus par les articles précédents, le feu s'est communiqué à d'autres choses placées de manière à être incendiées par communication, le coupable sera aussi condamné comme s'il avait directement mis le feu à ces choses. »
M. le président. - L'honorable M. Van Humbeeck avait pensé que l'article devait être rédigé autrement. La commission propose de ne pas adopter l'amendement de M. Van Humbeeck, de maintenir le premier paragraphe tel qu'il est rédigé ; de rédiger le second paragraphe ainsi qu'il suit :
« Lorsque, dans les cas prévus par les articles précédents, le feu s'est communiqué à d'autres choses, placées de manière à devoir être incendiées par communication, le coupable sera condamné comme s'il avait directement mis le feu à ces choses. »
M. Coomans avait proposé de substituer, dans le premier paragraphe, les mots « pourra être condamné » aux mots « sera condamné ».
La commission, en maintenant la rédaction primitive, rejette par là même cet amendement.
M. Van Humbeeck. -Messieurs, j'adhère à la nouvelle rédaction de la commission, qui fait droit en partie à mes observations.
M. Coomans. - Messieurs, je reconnais, avec l'honorable M. Van Humbeeck, que la nouvelle rédaction proposée par la commission fait droit en partie aux observations que nous avons eu l'honneur de soumettre à l'assemblée.
Ainsi, la commission ne prévoit plus le cas qui nous a justement préoccupés, le cas d'un malfaiteur qui sans avoir la volonté ni l'intention d'occasionner la mort de son semblable, l'occasionne cependant par suite d'un incendie, dont les suites dépassent ses prévisions.
La commission veut, pour que la peine de mort soit appliquée, que les choses incendiées soient placées de manière à devoir être incendiées.
Si je comprends bien la commission, sa pensée est qu'en cas de meurtre, la peine de mort pourra être appliquée, lorsque l'incendiaire a pu raisonnablement prévoir les conséquences du fait qu'il a posé ; en d'autres termes lorsque l'incendiaire n'a pu avoir de doutes sur les conséquences de l'incendie ; c'est, comme je viens de le dire, une concession assez considérable qui nous est faite ; mais elle ne peut me satisfaire.
Le gouvernement se félicitait l'autre jour avec raison d'avoir réduit à un petit nombre de cas, les cas très nombreux de peine de mort prévus par le Code pénal de 1810 ; je crois que la Chambre tout entière est du même avis.
Mais, messieurs, il me semble que l'un des cas prévus par le nouveau Code peut être supprimé ; pour moi, à part certaines attaques volontaires contre les personnes, accomplies dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, à part les actes de brigandage effréné, je ne puis consentir à ce que la peine de mort soit appliquée, lorsqu'il n'y a pas eu de mort, lorsqu'il n'y a pas eu de victime, c'est-à-dire que je ne puis admettre que l'incendiaire qui a mis le feu à un bâtiment voisin de celui auquel le feu s'est communiqué, mais qui y a mis le feu sans l'intention formelle d'occasionner la mort de qui que ce soit, je ne puis pas admettre que cet incendiaire expie ce crime sur l'échafaud ; je ne voterai pas en ce cas la peine de mort, parce que j'ai la conviction que cette prescription du Code resterait lettre morte, c'est-à-dire que le gouvernement n'autoriserait pas l'exécution d'un malfaiteur dans les conditions que j'ai indiquées.
La peine de mort est justifiée, selon moi, lorsqu'il y a eu meurtre ou un crime équivalant.
J'admets la peine de mort contre l'incendiaire qui a occasionné volontairement et sciemment la mort de son semblable.
Je ne crois pas que telle soit l'interprétation que la commission donne à cet article.
La commission, me semble-t-il, et cela résulte des explications qui nous ont été soumises l'autre jour, applique la peine de mort à un individu qui n'a pas voulu occasionner la mort de son semblable.
Le cas que nous avons posé est très clair, c'est celui d'un individu qui veut ruiner un ennemi et met le feu à un four, à une grange plus ou moins éloignés de l'habitation. Le feu de ce four, de cette grange se communique à la ferme. Un enfant, un individu périt dans les flammes.
L'incendiaire sera puni de mort d'après la commission quoiqu'il n'ait pas voulu occasionner la mort de cet enfant, de cet individu.
Dans ce cas je ne puis pas admettre la peine de mort.
Si la commission consentait à ajouter à sa rédaction cette phrase finale : « sans que la peine de mort puisse jamais être appliquée, » je serais de son avis et je voterais l'article.
M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, l'article en discussion a une portée beaucoup plus large que ne paraît le supposer l'honorable M. Coomans.
Il s'applique à tous les cas d'incendie où le feu a été mis à des choses qui n'entraîne pas une peine aussi grave que l'incendie des choses qui ont été brûlées par communication.
Voici, messieurs, quel est le système du projet de la commission.
L'article prévoit deux cas.
Le premier cas est celui où l'agent a voulu que les choses qui ont été incendiées secondairement fussent brûlées ; il n'y a évidemment alors aucune difficulté, et il doit être puni comme si ces choses avaient été directement incendiées.
Sur ce point nous sommes certainement d'accord avec l'honorable M. Coomans.
Le second cas est celui où l'agent a eu pour but l'incendie des choses auxquelles il met le feu, mais où l'incendie se communique à d'autres choses qui sont ainsi brûlées, sans que ce second incendie soit recherché.
Quelle peine doit encourir dans ce cas l'incendiaire ? La commission fait une distinction.
Si, par la situation des lieux, l'agent a dû nécessairement prévoir que par le cours naturel des choses le feu se communiquerait à d'autres choses, il est responsable de ces incendies consécutifs.
Si, au contraire, cette prévision nécessaire n'existe pas chez lui ou si (page 880) les choses sont disposées de telle manière que l'incendie ne doit pas d'après la marche ordinaire des faits se propager, il n'est pas responsable de cet incendie consécutif.
L'hypothèse sur laquelle raisonne M. Coomans n'est qu'un cas d'application de cette disposition générale.
Il peut arriver, bien que très rarement, qu'un individu en mettant le feu à un lieu inhabité qui touche à une maison où il sait qu'il y a des personnes et à laquelle il doit prévoir que le feu se communiquera, cause la mort de l'une de ces personnes.
Dans ce cas, d'après le projet la peine capitale est encourue. Mais remarquez bien que pour cela il faut d'abord que réellement une personne ait péri dans les flammes ; secondement que le feu ait été mis volontairement pour brûler des choses dont l'incendie est un crime ou au moins un délit, et troisièmement enfin que l'incendie subséquent soit une conséquence de l'incendie primitif telle qu'il est impossible de supposer que l'agent n'a pas, sinon recherché, du moins prévu l'incendie.
Nous sommes séparés de M. Coomans par une nuance très délicate. Nous admettons que la peine de mort ne doit être encourue que si la volonté de l'agent a été de causer la mort de quelqu'un, mais faut-il considérer le résultat comme volontaire.
L'honorable M. Coomans suppose qu'il n'y a de volonté que quand un résultat a été recherché, désiré par l'auteur du fait ; il exige qu'il soit voulu comme but.
Nous admettons au contraire qu'il y a volonté criminelle lorsqu'un mal possible a été prévu, et accepté par l'agent ; il est voulu comme conséquence.
Voilà la nuance, elle n'est que là.
Ainsi, si un individu met le feu à une grange uniquement pour incendier cette grange, mais sachant que le feu se communiquera à une maison attenante, il peut ne pas avoir désiré cet incendie subséquent, préférer même qu'il n'ait pas lieu, mais s'il l'a prévu comme conséquence de son fait volontaire, il l'accepte nécessairement ; le mal lui est imputable, et la peine le frappe légitimement.
N'y a-t-il pas dans le fait que nous signalons un fait qui mérite la peine de mort ?
N'oublions pas qu'il ne s'agit que d'un incendie allumé volontairement, méchamment et qui est considéré comme crime ou délit par la loi et commis avec la connaissance parfaite que, d'après l'ordre ordinaire des choses, une maison où il y a des personnes doit brûler, en sorte que l'agent prévoit que de son fait peut résulter et doit résulter, à moins de circonstances exceptionnelles, un homicide se produisant dans les circonstances les plus cruelles.
En d'autres termes, l'agent voit les choses auxquelles il met le feu et il faut que ces biens soient placés de manière (ce sont les termes de l'article) à devoir communiquer le feu aux autres biens dont l'incendie a causé l'homicide des personnes que l'agent savait s'y trouver.
Remarquez, messieurs, que je ne nie pas qu'il n'y ait une différence entre le cas pour lequel l'honorable M. Coomans accepte la peine capitale et le cas pour lequel nous la prononçons.
Certainement il y a encore un degré de perversité, de culpabilité plus élevé quand l'agent a non seulement accepté comme conséquence de son fait l'homicide qui s'est réalisé, mais lorsqu'il l'a recherché, but final de son crime.
Mais, il ne suffit pas qu'on puisse trouver un fait plus criminel, un fait plus grave pour que la peine de mort ne soit pas encourue. Il suffit que ce fait soit assez criminel pour mériter cette peine.
Pour résoudre le peint de savoir si l'article que nous lui soumettons dépasse les bornes d'une légitime sévérité, la Chambre considérera si les conditions que nous exigeons pour la peine capitale doivent être renforcées. Elle se demandera si lorsqu'un homme est mort dans les flammes allumées par méchanceté, lorsque cette mort a été, sinon recherchée, du moins acceptée comme une conséquence de son fait par l'incendiaire, cet événement n'est pas imputable à l'agent et si la cruauté de l'exécution n'est pas une circonstance telle qu'elle doive faire prononcer la peine de mort.
M. Van Overloop. - Si j'ai bien compris l'honorable rapporteur, pour être passible de la peine de mort, il suffit qu'on ait mis le feu à un bâtiment, que l'incendiaire ait dû prévenir que le feu se serait communiqué à un autre bâtiment, et que, dans cet autre bâtiment, une ou plusieurs personnes aient été brûlées.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut encore que ce dernier bâtiment soit une maison habitée et que le coupable l'ait su.
M. Van Overloop. - C'est sur ce point précisément que porte mon observation. Il faut donc que l'incendiaire ait su que la maison était habitée (interruption). Il me semblait que l'honorable rapporteur n'avait pas fait assez ressortir la combinaison des articles 623 et 624.
M. Pirmez, rapporteur. - Nous sommes d'accord au fond avec l'honorable M. Van Overloop ; cependant peut-être l'article 613 rend inutile la recherche du point de savoir si l'agent a eu une connaissance positive, de la présence des personnes lorsqu'il s'agit d'une maison habitée.
M. Van Overloop. - L'article me paraît assez grave pour qu'on s'y arrête encore un instant ; et je ne puis me dispenser de revenir encore sur l'observation qu'il m'a suggérée.
Il est dit à l'article 624 : « Si le crime d'incendie a causé des blessures à une ou à plusieurs personnes qui, à la connaissance de l'auteur, se trouvaient dans les lieux incendiés, au moment du crime, le coupable sera, etc. »
Il ne suffit donc pas que l'on présume ou qu'on ait dû présumer qu'il y avait des personnes dans la maison incendiée pour que la peine de mort doive être appliquée : il faut que l'incendiaire ait su qu'il y avait des personnes dans le bâtiment incendié ; il faut que l'incendiaire par communication ait su que dans la maison incendiée par communication il se trouvait des personnes et qu'elles pouvaient être brûlées ou frappées de mort par suite de cet incendie. Je crois que maintenant nous sommes d'accord avec M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.
M. Pirmez. - Et avec moi aussi.
M. Coomans. - Je demande la permission d'insister sur un point où ma conviction est profonde et réfléchie. Je ne puis pas admettre avec l'honorable rapporteur et avec l'honorable M. Van Overloop, qu'un homme puisse être condamné à mort et nécessairement condamné à mort, alors que l'acte criminel qu'il a posé a eu des résultats non seulement qu'il pouvait ne pas prévoir, mais encore qui ont pu être contraires à sa volonté. (Interruption.)
Mais, messieurs, j'ai eu l'honneur de vous citer plusieurs cas que vous pouvez aisément apprécier. N'est-il pas évident qu'un malfaiteur qui s'introduit dans une maison habitée, qui y assassine de sa main une ou plusieurs personnes, est infiniment plus coupable qu'un autre malfaiteur qui met le feu à un bâtiment voisin de cette maison habitée, bâtiment qui met le feu à la maison habitée ?
Pouvez-vous faire tomber la tête d'un homme qui a pu ne pas croire nuire à la personne même de ses semblables ; qui, non seulement a pu ne pas vouloir occasionner leur mort, mais qui a pu ne pas même leur vouloir le moindre mal ? C'est ce que vous faites : vous forcez les cours d'assises à envoyer à l'échafaud l'individu dont je parle. Je dis que vous ne le pouvez pas en équité ni en logique. Pour moi, je ne veux pas donner à la peine de mort une telle extension. Cet individu a eu certainement une mauvaise et très coupable intention ; mais la mort ne doit être infligée, selon moi, que comme peine du talion. J'engage l'honorable rapporteur à y réfléchir ; car je crois que dans ce cas-ci nous nous trouvons exceptionnellement à des points de vue plus opposés que l'honorable membre ne le pense.
D'après l'explication qu'il vient de donner à l'honorable M. Van Overloop, l'incendiaire aurait pu être condamné à mort même alors qu'il aurait pu ne pas savoir qu'il y avait des personnes dans la maison incendiée.
M. Pirmez. - Je m'étais trompé d'abord.
M. Coomans. - Ah ! je vous demande pardon, et je n'insiste donc pas. Nous sommes par conséquent d'accord sur ce point.
Mais je conjure la Chambre d'y réfléchir et de ne pas prononcer la peine de mort contre un individu très coupable sans doute, contre un lâche incendiaire ; mais qui a pu ne pas vouloir occasionner la mort de son semblable. Je n'admets la peine de mort que pour les attentats contre la vie humaine.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis pas admettre l'argumentation de l'honorable M. Coomans. L'honorable membre nous dit : L'individu qui assassine est plus coupable que celui qui va mettre le feu à des objets pour communiquer l'incendie à un autre bâtiment dans lequel se trouvent des personnes qui périssent. Il a pu ne pas prévoir ce résultat. Cela est possible et je veux bien admettre que l'individu qui assassine directement est encore plus coupable que celui qui commet le fait dont parle l'honorable M. Coomans. Mais cette raison n'est pas suffisante pour modifier la peine que le gouvernement et la commission proposent de comminer contre lui. Ainsi, le parricide est, sans contredit aussi, plus coupable que l'assassinat ordinaire ; s'ensuit-il que l'assassinat ordinaire ne doive pas être puni de la peine de mort ?
(page 881) M. Coomans. - Dans un cas comme dans l'autre, il y a assassinat.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment ; mais nous soutenons, nous, que, dans la réalité, le fait dont vous parlez est un assassinat aussi.
M. de Naeyer. - Je ne puis pas admettre que ce soit un assassinat dans la véritable acception du mot.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'aurais compris la discussion soulevée par l'honorable M. Coomans en présence de la première rédaction ; mais aujourd'hui quelles sont les conditions exigées par la loi pour que la peine puisse être appliquée ?
Elle exige que le feu soit mis à des objets placés de manière à devoir communiquer l'incendie ; voilà la première condition.
Il faut, après cela, qu'une personne ait péri et que l'auteur du fait ait su qu'il se trouvait des personnes dans le bâtiment incendié.
Mais, nous dit-on, l'auteur de l'incendie peut n'avoir pas prévu que le feu s'étendrait au bâtiment.
Non, messieurs, il n'a pas pu ne pas le prévoir ; puisque le feu a dû être mis aux objets placés de manière à devoir communiquer le feu.
Celui qui a mis le feu devait croire que le feu allait se communiquer à un autre bâtiment. La situation des lieux l'indiquait, il doit dans ce cas subir les conséquences de son acte.
M. Coomans propose d'ajouter « sans que la peine de mort puisse être prononcée. »
M. Wasseige. - Je partage complétement la manière devoir de mon honorable ami M. Coomans. Quand il est question d'appliquer la peine de mort, il faut que l'intention d'ôter la vie à son semblable soit bien réelle chez l'auteur du crime ; or la manifestation complète de cette intention ne me paraît pas résulter des explications données par M. le ministre et l'honorable rapporteur. Tout ce qui peut résulter de leurs explications, c'est que l'incendiaire a dû prévoir qu'en mettant le feu il le communiquerait nécessairement à une maison habitée au moment de l'incendie.
Mais de là ne résulte pas l'intention manifeste de donner la mort, il faut que cette intention soit bien évidente pour que l'on ait le droit, à mon avis, d'appliquer la peine de mort.
Et je le répète, je vois bien dans les faits que l'on nous signale l'intention de mettre le feu à une maison habitée, mais non l'intention de donner la mort. Pour le meurtre, alors même que l'intention de donner la mort est évidente, mais qu'il n'y a pas préméditation, on n'applique pas la peine de mort. Dans le délit de coups et blessures, il peut y avoir la crainte d'une mort éventuelle, on peut la prévoir, et si elle arrive, la loi ne punit pas de mort l'auteur du fait, elle ne le punit pas même des travaux forcés à perpétuité.
C'est cependant un cas à peu près identique à celui-ci ; l'auteur s'est livré à un fait criminel, et exerce sur son semblable des violences telles que la mort s'ensuit ; il a pu prévoir que de ces violences résulterait la mort, comme, dans le cas qui nous occupe, l'incendiaire a pu prévoir que l'incendie pourrait aussi amener la mort ; je ne vois pas de raison pour ne punir que de la peine des travaux forcés à temps ou à perpétuité dans un cas, et de la peine de mort dans l'autre.
Les deux faits sont identiques ; dans les deux cas, les auteurs ont pu prévoir qu'ils occasionneront la mort d'individus.
Pourquoi punir plus sévèrement l'incendie que les coups et blessures lorsque les deux faits ont occasionné la mort ?
Dans une circonstance aussi grave, quand il s'agit de la peine de mort, tout me paraît militer en faveur de l'amendement de M. Coomans.
M. Savart. - Messieurs, la peine de mort, si elle est une nécessité sociale, doit être restreinte à l'assassinat.
Cette peine ne doit atteindre que le criminel qui, avec une intention bien arrêtée et préméditée de tuer, donne la mort à son semblable.
Je ne puis confondre avec ce criminel, l'incendiaire qui met le feu à un bâtiment, lorsque ce bâtiment par communication porte l'incendie à d'autres bâtiments où se trouvent des personnes qui peuvent être ou n'être pas atteintes, qui peuvent périr ou ne pas périr par suite de l'incendie.
Dans ce cas le coupable n'a pas nécessairement voulu donner la mort aux personnes qui succombent par suite du fait perpétré.
Il y a des conséquences fatales, mais elles n'étaient pas nécessairement dans la volonté de l'incendiaire. Il n'était pas inexorablement décidé à tuer.
Il suffit que le doute puisse exister pour ne pas appliquer la peine capitale.
Une nuance bien tranchée sépare le coupable qui égorge sa victime et celui qui pose un acte, alors qu'il peut croire ci espérer que personne ne périra.
M. de Naeyer. - La grande considération que l'on fait valoir, c'est que le fait dont il s'agit peut être assimilé à l'assassinat. Il m'est impossible d'admettre cette assimilation.
Dans l'assassinat il y a non seulement volonté bien formelle, mais volonté préméditée, volonté persistante et directe d'ôter la vie à son semblable ; tandis qu'ici il n'y a qu'une intention supposée, et encore on est obligé de faire une double supposition, d'abord la supposition qu'en mettant le feu à un bâtiment où il y avait des personnes, le coupable a voulu porter atteinte à leur vie, et ensuite la supposition qu'il a voulu incendier ce bâtiment, en mettant le feu à des objets placés de manière à devoir le communiquer ; il n'y a donc ici qu'une volonté indirecte, ou, si l'on veut, éventuelle, qui me paraît évidemment insuffisante quand il s'agit de prononcer la plus terrible des peines.
M. Carlier. - Il me semble de toute nécessité que la Chambre se rallie à la proposition de la commission ; elle a voté l'article 622 qui punit de morte celui qui, dans les conditions qu'elle détermine, a causé la mort de son semblable. L'article 623 n'en diffère qu'en ceci, qu'au lieu de mettre le feu à une maison où se trouvaient des personnes, il a mis le feu à un édifice voisin, à un amas de bois sec qui doit nécessairement communiquer l'incendie à la maison où se trouvent ces personnes.
Or, mettre le feu directement à une maison habitée et mettre le feu à un édifice voisin qui doit communiquer le feu à la maison habitée, ces faits présentent une telle identité, que voter en secs contraire dans les articles 623 et 622 serait commettre une contradiction flagrante.
M. de Naeyer. - Il y a entre les deux cas cette différence que dans l'un il y a l'intention formelle et dans l'autre l'intention supposée résultant de ce que le délinquant a pu prévoir ; mais a-t-il prévu ? La volonté formelle résulte d'avoir prévu et non d'avoir pu prévoir.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le premier amendement de M. Coomans.
M. Coomans. - Je retire le premier amendement. Il devient inutile en présence du second.
M. le président. - Le second amendement consiste dans l'addition de ces mots : « Sans que la peine de mort puisse être prononcée. »
- Cet amendement, mis aux voix, n'est pas adopté.
« Art. 659. Quiconque aura sans nécessité tué un animal domestique autre que ceux qui sont mentionnés dans l'article 656, ou qui aura causé une lésion grave, dans un lieu dont celui à qui cet animal appartient est propriétaire, locataire, colon ou fermier, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, et d'une amende de vingt-six. francs à deux cents francs, ou de l'un de ces deux peines seulement.
« La même peine sera encourue, si ces faits ont été commis méchamment sur un animal apprivoisé ou sur un animal entretenu en captivité, dans les lieux où ils sont gardés. »
M. le président. - Deux amendements ont été proposés à cet article, l'un, de M. Nothomb, consiste à effacer les mots : « Dans un lieu dont celui à qui cet animal est propriétaire, locataire, colon ou fermier ; » l'autre, de M. de Naeyer, propose d'ajouter « usufruitier », après : « est propriétaire ».
La commission qui a examiné ces amendements propose de rédiger ainsi le dernier paragraphe de l'article :
« La même peine sera encourue, si ces faits ont été commis méchamment sur un animal apprivoisé ou sur un animal entretenu en captivité dans les lieux où ils sont gardés, ou sur un animal domestique au moment où il était employé au service auquel il est destiné et dans un lieu où son maître avait le droit de se trouver. »
M. Pirmez. - Il n'y a aucune difficulté à ajouter le mot « usufruitier », comme le propose l'honorable M. de Naeyer.
M. Van Overloop. - On doit aussi ajouter le mot « usager ».
- L'addition des mots « usufruitier » et « usager » est adoptée.
L'amendement de M. Nothomb n'est pas adopté.
L'article 659, avec l'addition des deux mots ci-dessus, est adopté.
M. le président. - La commission propose, pour faire droit à des observations de M. Savart, un article 545bis, ainsi conçu :
« Quiconque aura méchamment enlevé, coupé ou détruit les liens ou les obstacles qui retiennent un bateau, un waggon ou une voiture, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux ans. »
- Cet article est adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre le projet de loi suivant :
« Léopold, etc.
« Article unique. Pourra être homologuée, aux termes de l'article 637 du code de commerce, la société à fonder à Verviers pour la construction, l'achat, la vente ou la location d'habitations pour la classe ouvrière. L'homologation aura pour effet de conférer à la société tous les caractères de la société anonyme suivant la législation en vigueur. »
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
M. le président. - Nous arrivons aux articles qui concernent la propriété artistique et littéraire.
M. Hymans. - Je suis obligé de prendre dans ce débat une position assez délicate et qui a besoin d'être expliquée.
Depuis la présentation du projet de Code pénal, qui remonte déjà à plusieurs années, la question de la propriété littéraire et artistique a été l'objet d'études nouvelles, sérieuses et approfondies. Une sorte de mouvement s'est fait dans les esprits, dans différents pays, en France, en Angleterre, en Belgique, en faveur des œuvres de l'intelligence. On a trouvé que la propriété intellectuelle n'était pas suffisamment protégée par les lois existantes, et le gouvernement belge est entré avec un empressement qui l'honore et dont j'ai été chargé de le féliciter au nom de la section centrale, dans la voie libérale où étaient entrés les gouvernements voisins.
On voulait donner, dis-je, des garanties plus sérieuses à la propriété intellectuelle ; on l'a fait de différentes manières. On l'a fait par des conventions internationales. On a convoqué ensuite à Bruxelles un congrès, et à la suite des délibérations de cette assemblée, on a présenté à la Chambre un projet de loi qui n'était que la reproduction des résolutions prises par le congrès où siégeaient beaucoup d'hommes compétents. Ces résolutions toutefois avaient été préalablement soumises au contrôle d'une commission dans laquelle figuraient d'éminents jurisconsultes, entre autres un ancien ministre de la justice, M. Faider, entre autres l'honorable président de cette Chambre, et puis des écrivains, des artistes de mérite.
Quelles étaient, messieurs, les dispositions du projet de loi soumis alors à la Chambre, quelles étaient ces dispositions au point de vue pénal ?
Aux termes du projet, toute reproduction d'une œuvre de littérature ou d'art, au préjudice des droits garantis par la loi soumise à la Chambre, était considérée comme un délit et frappée d'une amende de 50 à 2,000 francs.
Pour se rendre compte de la portée de cette disposition pénale, il faut examiner quels étaient les droits que la loi devait garantir. Ces droits étaient extrêmement étendus ; il n'en existe d'aussi étendus dans aucune législation de l'Europe.
Ainsi, on reconnaissait le droit exclusif de l'auteur sur la publication de son livre pendant toute sa vie, pendant la vie de son conjoint et cinquante ans après. Le droit exclusif de traduction était garanti pendant la même durée. Le droit exclusif du professeur, de l'orateur sur la publication de ses leçons et de ses discours était conservé pendant la même période. Il en était ainsi encore du droit exclusif de représenter des œuvres dramatiques ou musicales.
Le compositeur avait le droit d'empêcher l'exécution même d'un morceau détaché de son œuvre. On reconnaissait au compositeur le droit exclusif de faire arranger sa musique. Enfin la loi garantissait à l'artiste le droit exclusif de faire reproduire par un procédé quelconque son tableau, sa statue, son œuvre quelle qu'elle fût.
Après que le projet de loi eut ainsi déterminé les droits qu'il voulait garantir, l'article 28 disait :
« Quiconque aura reproduit une œuvre de littérature ou d'art, au préjudice des droits garantis par la présente loi, se rendra coupable du délit de contrefaçon, » et aux termes de l'article final de la loi, tous ces délits devaient être poursuivis d'office, par le ministère public.
On constituait le procureur du roi gardien de la propriété des auteurs.
Or, vous le savez, messieurs, la poursuite d'office, en ces matières, est aujourd'hui le droit commun. Le ministère public, il est vrai, ne juge pas nécessaire de poursuivre sans la plainte de la personne lésée ; mais en inscrivant de nouveau ce principe dans la loi, on a voulu donner aux auteurs une garantie plus sérieuse, renforcer à leur profit le droit commun.
Voilà, messieurs, ce que proposait la commission qui avait dirigé le congrès de la propriété littéraire, commission dans laquelle siégeaient, je le répète, un ancien ministre de la justice et l’honorable président de cette Chambre.
Ce projet est renvoyé à la section centrale. La section centrale le trouve exorbitant ; elle trouve qu'il va beaucoup trop loin ; elle exprime la crainte qu'en voulant trop accorder aux auteurs on n'aboutisse à compromettre leur cause ; elle se rappelle ce qui est arrivé en France en I841, lorsque malgré tous les efforts de M. Villemain, qui avait présenté la loi, et de M. de Lamartine, rapporteur de la commission, on aboutit au rejet d'une loi longuement élaborée, précisément parce qu'on était allé trop loin.
La section centrale restreignit donc, assez notablement, les dispositions du projet de loi. Elle ne voulut pas suivre dans toutes ses propositions M. le ministre de l’intérieur. Il en résulta que l'honorable M. Vervoort renonça à ses fonctions de rapporteur, parce que le projet de loi était modifié dans un sens qui ne lui semblait pas assez favorable aux droits des écrivains et des artistes.
Ainsi, messieurs, nous section centrale, nous avons étendu considérablement les droits du domaine public et nous croyons l'avoir fait dans l'intérêt des auteurs.
Nous l'avons fait, précisément pour que dans des matières encore si peu connues, si peu étudiées, on ne vînt pas se prévaloir de certaines susceptibilités, de certaines craintes pour faire rejeter ce qu'il y avait de sérieux, de nécessaire et de raisonnable à établir.
Mais en restreignant les garanties proposées par M, le ministre de l'intérieur nous avons été logiques, et là où nous avons reconnu le droit, nous avons proposé de le garantir par une sanction pénale.
Nous avons trouvé que les privilèges accordés aux auteurs étaient exagérés, mais là où nous admettions le privilège nous avons admis les dispositions pénales propres à le garantir.
Arrive la discussion du Code pénal, et là nous nous trouvons, nous section centrale de la propriété littéraire, en présence de la commission de jurisconsultes dont l'honorable M. Pirmez est rapporteur.
Pour cette commission la contrefaçon devient tout autre chose. L'honorable M. Pirmez ne faisait point partie du congrès, il ne faisait point partie de la commission de la propriété littéraire ; je ne sais pas même s'il admet la propriété littéraire. (Interruption.) Pour cette commission donc il n'y a plus contrefaçon que lorsqu'il y a fraude ; il n'y a plus contrefaçon que lorsqu'il y a reproduction à l'aide d'un procédé mécanique. Ainsi la copie d'un tableau faite à la main, la copie d'une aquarelle, d'un manuscrit précieux, ce ne sont plus des contrefaçons parce qu'il n'y a pas là de procédé mécanique. (Interruption.)
Je sais parfaitement qu'on est revenu en commission sur cette disposition inconcevable, et que, sur ma proposition, on a supprimé les mots « procédé mécanique », mais je veux prouver à la Chambre combien nos points de départ étaient différents ; je fais l'exposé historique de la question, parce que je tiens à expliquer ma position dans ce débat. Nous faisons en ce moment, l'honorable M. Pirmez et moi, l'échange de nos pouvoirs.
Voilà donc, et non sans peine, le mot « mécanique » supprimé. Or, veuillez ne pas l'oublier, en abordant cette question de la propriété intellectuelle, nous avions cru qu'il s'agissait d'accorder aux auteurs des garanties plus sérieuses, des droits plus étendus que ceux des lois existantes, et nous aboutissons au résultat contraire. Je lis dans le dernier rapport de l'honorable M. Pirmez :
« Notre tâche est donc non pas de rechercher et de punir tous les faits qui nuisent à la propriété intellectuelle, mais de déterminer ceux qui ont un caractère de criminalité suffisant pour donner lieu à l'application d'une peine. »
J'y lis ensuite :
« La peine atteindra les plus coupables de ces faits en se référant, quant à l'étendue des droits à protéger, aux dispositions de nature civile que contiendra la loi dont la Chambre aura prochainement à s'occuper. »
Je me demande, moi, ce que c'est, en cette matière, qu’un « caractère de (page 883) criminalité suffisant, et ce que c'est que les plus coupables, et je vais montrer à quelles inconséquences arrive la commission du Code pénal.
Nous sommes d'accord sur la nécessité de l'intention frauduleuse ; nous admettons qu'il doit y avoir eu intention de lucre, une reproduction faite lucri faciendi causa, mais cette intention admise où trouvez-vous le plus ou moins de culpabilité ? Je comprends qu'il y ait plus ou moins de gravité dans le fait commis ; qu'il y ait plus ou moins de préjudice, mais il ne peut pas y avoir plus ou moins de culpabilité dans l'intention. Cette distinction est trop subtile et trop profonde pour moi.
Il est vrai que l'honorable M. Pirmez se charge de nous l'expliquer dans son rapport.
L'honorable membre nous propose de protéger l'auteur d'un vaudeville ; mais il ne veut pas accorder cette protection à l'auteur d'une symphonie ou d'un oratorio ; l'œuvre dramatique la plus vulgaire sera protégée par le Code de l'honorable M. Pirmez ; mais une symphonie de Félicien David, le Désert, Christophe Colomb, ne le sera pas. L'honorable membre dans son rapport nous apprend qu'il veut bien protéger les compositions musicales scéniques, c'est-à-dire qu'il montre une touchante sollicitude pour la mise en scène ; et que les romances chantées dans un établissement public ne seront protégées par la loi, ne seront des œuvres dignes de la sauvegarde du législateur, que si l'on a fait des frais de mise en scène pour les produire devant le public.
Autre preuve de la logique de la commission du Code pénal ; on propose de frapper d'une peine l'individu qui aura gravé un tableau sans l'autorisation du peintre ; mais on ne veut pas accorder la protection formelle de la loi à l'écrivain dont l'œuvre aura été traduite sans son autorisation.
Cependant il me semble que la traduction est au livre ce que la lithographie ou la gravure est au tableau.
Si la traduction exige un effort d'esprit, un travail sérieux, on admettra bien aussi qu'il faut un travail très sérieux pour faire la gravure d'un tableau, qu'il faut beaucoup plus de temps et d'étude, et que les bons graveurs sont généralement plus rares que les traducteurs convenables.
On peut m'objecter, à propos de la traduction, qu'elle est considérée dans certains pays, en Hollande, en Angleterre par exemple, comme tout à fait libre, et que nous ne pouvons pas ériger en délit ce qui ailleurs ne donnerait pas même lieu à une action civile. J'admets l'objection.
Mais, si vous ne reconnaissez pas que la traduction puisse être un délit, vous ne pouvez pas raisonnablement soutenir que la gravure ou la lithographie d'un tableau sans l'autorisation du peintre, puisse constituer un fait punissable.
Messieurs, vous voyez par les exemples que je viens de citer, que nous sommes en quelque sorte dans l'impossibilité de nous entendre, que nous nous lançons nécessairement et fatalement dans une foule de distinctions subtiles qui touchent aux principes mêmes de la propriété littéraire, aux principes sur lesquels repose le projet de loi qui nous a été présenté par M. le ministre de l'intérieur, et nous nous exposons à stériliser ici d'avance, par deux ou trois articles du Code pénal, ce que nous pouvons avoir à faire plus tard, en ce qui concerne la propriété intellectuelle.
L'honorable M. Pirmez m'a répondu sur ce point, en commission : « Nous faisons le Code pénal, sans nous préoccuper du soin d'établir les règles de la propriété littéraire ; nous protégeons la propriété matérielle sans pour cela nous occuper des principes sur lesquels elle repose. »
C'est très bien ; mais vous perdez de vue que la propriété matérielle est réglée par des lois qui sont connues de tous, tandis que jusqu'à présent la propriété littéraire n'est réglée par aucune loi et que précisément le gouvernement nous propose d'en faire une sur laquelle nous sommes très loin d'être d'accord.
Et. savez-vous, messieurs, à quoi l'on arrive avec le système qu'on veut suivre ?
Nous voulons faire une loi pour protéger les droits des auteurs ; quand je dis « nous », je ne parle pas seulement de ceux qui se sont occupés spécialement de la question.
Relisez l'exposé des motifs du Code pénal, présenté par le département de la justice, et vous y verrez que la commission de jurisconsultes qui a examiné le Code, déclare, à chacun des articles concernant la propriété artistique et littéraire, qu'il est nécessaire de renforcer les garanties accordées aux auteurs ; je félicite le gouvernement de s'en être occupé, d'avoir convoqué un congrès, d'avoir soumis ces graves questions à l'examen des hommes compétents ; et l'on propose certaines garanties de plus que celles qui existaient dans le Code pénal de 1810, tandis que le travail de l'honorable rapporteur de la commission du Code pénal tend à diminuer les garanties que donnait ce Code rédigé pourtant à une époque où les principes de la propriété littéraire n'étaient pas consacrés comme aujourd'hui. La commission fait plus ; elle diminue les garanties que donne la loi de 1817, la loi faite par le gouvernement des Pays-Bas, sous laquelle nous vivons encore et sous laquelle j'aimerais beaucoup mieux vivre que sous le régime que nous propose l'honorable M. Pirmez.
Le Code pénal de 1810 commine une amende de 100 fr. à 2,000 fr. contre toute reproduction d'œuvres artistiques et littéraires.
La loi française de 1839, adoptée par la chambre des pairs et qui est venue malheureusement échouer devant la chambre des députés, non pas à cause de ces articles, mais par des raisons dont nous aurons à nous occuper un autre jour ; la loi française frappait la contrefaçon d'une amende de 200 fr. à 2,000 fr. ; en cas de récidive, d'une amende de 600 fr. à 4,000 fr., et d'un emprisonnement qui ne pouvait pas excéder une année.
J'avoue que ces dispositions étaient exorbitantes.
La loi de 1817 établit une amende « qui ne pourra pas excéder la somme de 1,000 florins, ni être moindre de 100 florins au profit de la caisse générale des pauvres. »
Et la disposition que l'on nous présente aujourd'hui après tant d'études et d'efforts, commine une amende de 26 à 200 fr. contre la reproduction frauduleuse.
Ainsi, nous avons fait un congrès pour la propriété artistique et littéraire ; nous avons fait une foule de conventions internationales qui garantissent chez nous de la manière la plus sérieuse et la plus formelle les droits des auteurs étrangers ; nous nous sommes occupés pendant deux ans d'un projet mûrement élaboré sur la propriété intellectuelle ; nous avons convié à ce travail les hommes les plus éminents ; et aujourd'hui pour conclusion un comité de jurisconsultes vient nous proposer d'accorder aux écrivains et aux artistes moins que ne leur accordait le Code pénal de 1810, moins que ne leur donne la loi de 1817. Il faut avouer que nous avons ici un peu l'air de la montagne qui accouche d'une souris.
Messieurs, vous trouverez donc tout naturel que je ne me rallie pas aux propositions qui nous sont faites par la commission du Code pénal. Je ne sais pas ce que fera l'honorable président de la Chambre qui a trouvé que dans la section centrale nous n'accordions pas assez ; je ne sais pas ce que fera M. le ministre de l'intérieur qui nous a présenté un projet de loi que la section centrale elle-même a trouvé trop large, mais, pour ma part, il m'est impossible de me rallier aux propositions qui nous sont faites.
On nous dit ou du moins il a été dit en commission que nous pouvons nous contenter de l'action civile.
Mon Dieu ! l'action civile existe dans tous les cas, et ici encore, soyez-logique.
Si vous trouvez qu'il ne faut pas de répression pénale en cette matière, n'inscrivez pas dans le Code pénal un chapitre relatif aux fraudes concernant la propriété artistique et littéraire.
Si le code civil suffit, ce n'est pas à propos de code pénal qu'il faut soulever ces questions qui n'ont rien de commun avec lui. Il faudrait réserver ces articles jusqu'après la discussion de la loi sur la propriété artistique et littéraire et voir après s'il y a lieu ou non d'établir une sanction pénale.
Cependant, comme M. le ministre de la justice désire que son Code soit complet, qu'il ne soit pas mutilé, et que, pour ma part, je ne veux pas le contrarier sur ce point, je viens offrir à la Chambre le moyen de nous entendre.
Je propose de supprimer la nomenclature toute entière de l'article 602 de la commission du Code pénal et de dire tout simplement ceci :
« Toute reproduction frauduleuse... » j'admets l'épithète de « frauduleuse », proposée par la commission, « entière ou partielle d'une œuvre de littérature ou d'art, commise au mépris des lois relatives à la propriété des auteurs, constitue le délit de contrefaçon. »
De celle manière, toutes les questions de principe sont réservées.
Je ne fais du reste que reproduire, avec une légère modification, le texte du Code pénal de 1810. Au lieu du mot « règlement » je mets le mot « lois. »
Comme il est probable que la loi sur la propriété littéraire sera mise (page 884) en vigueur avant le Code pénal, dont le Sénat doit s'occuper et s'occupera longuement, je crois que ma proposition ne peut rencontrer d'opposition sérieuse dans cette Chambre et que l'amour-propre de l'honorable M. Pirmez ne sera pas offensé de ce petit sacrifice que je lui demande.
De cette manière nous ne préjugions rien, nous laissons la question entière et nous mettons un terme à une discussion que je trouve oiseuse et sans résultat possible dans ce moment.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je partage en très grande partie l'opinion qui vient d'être émise par l’honorable M. Hy-ans.
Je crois que le moment n'est pas venu de s'occuper des dispositions qu'on propose d'introduire dans le Code rénal.
En ce qui concerne la propriété littéraire et artistique, un projet de loi longuement élaboré, que l'on a préparé avec beaucoup de soin, après s'être éclairé de lumières puisées à toutes les sources, est en ce moment soumis aux Chambres. Ce projet a pour but de créer un droit, de déterminer le droit des auteurs. Les dispositions du Code pénal ont pour but de garantir ce droit, de le défendre par des pénalités.
Or, ce droit n'est pas encore créé, n'est pas encore déterminé. De là, messieurs, une espèce de cercle vicieux dans lequel nous allons nous trouver.
Je crains qu'à l'occasion de ces dispositions nous ne soyons lancés dans la longue, difficile et intéressante discussion relative aux droits de propriété des hommes de lettres et des artistes.
Je proposerai donc ou l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Hymans ou la suspension ou si l'on veut, la suppression provisoire des articles en discussion.
- Une voix. - L'ajournement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lorsque nous en viendrons à la discussion de la loi elle-même, lorsque nous aurons déterminé les droits des auteurs, des artistes, non pas seulement la réparation civile, mais aussi la répression publique, alors, messieurs les dispositions pénales pourront passer dans le Code pénal, mais nous saurons ce que nous faisons.
Lorsque nous aurons débattu les droits des auteurs, lorsque nous les aurons déterminés, lorsque nous aurons apprécié la nature des peines qui doivent répondre à certaines infractions, alors nous fixerons ces peines et une fois qu'elles auront été fixées par le législateur nous pourrons si l'on veut les introduire dans le Code pénal qui ne sera pas terminé probablement avant une ou deux sessions.
Le Sénat doit s'en occuper après nous. Le Code pénal dans son ensemble sera encore soumis à un travail de révision considérable, de manière qu'il est probable que la loi sur la propriété littéraire sera votée à temps pour que les dispositions pénales qu'elle portera puissent être comprises dans l'ensemble du Code pénal.
Je demande donc qu'on veuille bien ajourner la discussion relative à ces articles. Sinon, nous serons inévitablement entraînés dans l'examen des principes. Or, la question est assez importante en elle-même pour donner lieu à des débats sérieux, à des débits approfondis.
Nous ne sommes pas aujourd'hui dans un moment, dans une situation à aborder de pareils débats. Si nous nous trouvions devant la clôture de la discussion du Code pénal, je comprendrais qu'on tînt à discuter la question immédiatement, mais nous arons encore beaucoup de temps devant nous.
Je demande donc l'ajournement de cette discussion en ce qui concerne les dispositions pénales concernant les droits des auteurs.
M. le président. - L'amendement de l'honorable M. Hymans consiste à rédiger l'article 602 comme suit :
« Toute reproduction frauduleuse, entière ou partielle, d'une œuvre de littérature ou d'art, commise au mépris des lois relatives à la propriété des auteurs, constitue le délit de contrefaçon. »
- L'amendement est appuyé.
M. ministre de l'intérieur propose l'ajournement.
M. Savart. - La proposition de M. le ministre, de l'intérieur a pour objet le renvoi des articles du Code pénal qui concernent la contrefaçon après l'adoption de la loi sur la propriété artistique et littéraire.
Cette marche me paraît la seule logique. Il faut établir d'abord la propriété et ensuite les peines contre ceux qui commettront des infractions contre cette propriété.
Agir autrement serait, comme on le dit vulgairement, mettre la charrue avant les bœufs.
On pourrait aussi, si l'on veut terminer le Code pénal faire de la loi sur la propriété littéraire une loi spéciale dans laquelle on prononcerait des peines contre ceux qui commettraient des infractions à cette-loi.
Ce sont deux marches différentes. On peut adopter l'une ou l'autre. Pour moi, je donnerais la préférence à une loi spéciale ; mais quoi qu'il en soit, on ne peut s'occuper aujourd'hui de ces infractions, ce serait le faire prématurément.
M. Coomans. - Il me semble difficile de ne pas se rendre aux observations qui viennent de nous être présentées par les trois honorables préopinants.
Évidemment nous ne pouvons avec convenance sanctionner des garanties qui n'existent pas encore, que nous n'avons pas encore définies.
M. Hymans. - Je n'ai présenté mon amendement que parce que je croyais que M. le ministre de la justice ne consentirait pas à la disjonction et à l'ajournement de cette partie du Code ; mais dès l'instant qu'il y consent, je n'ai plus qu'à retirer mon amendement et à me rallier à la proposition de M. le ministre de l'intérieur.
M. Pirmez, rapporteur. - Je crois qu'on se fait une très fausse idée des difficultés que présente le chapitre maintenant en discussion.
Le projet de Code pénal contient un système de pénalités tendant à réprimer les infractions aux droits des auteurs et le projet de loi sur la propriété artistique et littéraire contenait aussi un système de répression.
Il y avait donc une espèce de conflit entre les deux commissions dont l'honorable M. Hymans et moi sommes respectivement rapporteurs. Pour vider ce conflit, les deux commissions se sont réunies et les deux ministres intéressés dans la question ont assisté la réunion de la double commission.
On a examiné la question de savoir dans quelle législation devaient être comprises les pénalités et l'on a reconnu, je crois, à l'unanimité que les pénalités réprimant les infractions à la propriété littéraire devaient être édictées par le Code.
Ce point décidé, les commissions ont discuté en détail nos articles, et, si je ne me trompe, ils ont été admis tels que nous les proposons à l'unanimité des deux commissions... (interruption). M. Hymans, excepté ; j’allais indiquer l'exception.
L'honorable rapporteur m'a demandé l'échange de nos pouvoirs ; j'espère qu'il trouvera que les miens sont en due forme.
Voilà donc des articles qui ont été admis par tout le monde, sauf par notre honorable collègue et sans de bien grandes discussions. (Interruption.) L'honorable M. Coomans, qui manifeste son étonnement, ne sera peut-être plus aussi surpris s'il veut bien examiner quel est le rôle de la peine dans la matière qui nous occupe.
Le Code pénal n'atteint pas indistinctement toutes les lésions faites à la propriété matérielle, il se borne à réprimer les faits les plus coupables, ceux qui ont le caractère le plus marqué d'attentat aux droits.
Quelle est, en matière de propriété littéraire, l'idée dominante des personnes qui croient devoir assurer davantage cette propriété ? C'est, en assimilant de plus en plus la propriété intellectuelle à la propriété matérielle, de donner à la première, de création toute moderne, des garanties semblables à celles que possède la seconde, qui existe dans tous les siècles.
Tout barbare que je puisse être pour n'avoir pas assisté au congrès de la propriété littéraire, je me conforme précisément à cette idée et je demande que l'on se conforme, quant à la propriété intellectuelle, au système suivi pour protéger la propriété matérielle.
Qu'ainsi les faits les plus répréhensibles soient atteints par les peines, que les autres restent dans le domaine d'une poursuite civile.
Nous sommes donc d'accord qu'il y a une propriété intellectuelle et que certains attentats dont elle est l'objet doivent être réprimés.
Sans doute il y a sur la propriété intellectuelle des questions extrêmement délicates : comme toujours elles sont sur la détermination du droit, elles consistent à séparer nettement ce qui est défendu et ce qui est permis.
Là sera la grande difficulté. Mais nous pouvons laisser la réglementation de ces questions à une législation spéciale qui déterminera les limites du droit ; parce que la peine ne doit dans aucun cas atteindre les faits qui sont sur les confins du droit, mais seulement ceux qui d'un aveu unanime constituent une lésion au droit.
L'honorable M. Coomans reconnaîtra donc, ce me semble, que notre tâche réduite à ses vrais termes n'est pas aussi difficile, et qu'au lieu d'avoir à déterminer tout ce qui concerne la propriété littéraire, nous (page 885) aurons seulement à indiquer dans la loi les faits qui constituent nécessairement un attentat aux droits des auteurs.
L'honorable M. Hymans, je dois le reconnaître est d'une logique parfaite, et j'accepte tous les reproches qu'il m'a adressés sur mon manque de logique.
Une seule question bien sérieuse nous divise, la voici :
Jusqu'où il faut réprimer les attentats aux droits des auteurs de compositions musicales ? (Interruption.) Dans quel cas l'exécution de ces compositions doit-elle constituer un délit ?
M. Hymans nous dit : Vous admettez une pénalité pour la représentation d'un opéra sans le consentement de l'auteur, il faut en prononcer une pour l'exécution d'une symphonie ou d'un oratorio ; s'il en est ainsi pour la symphonie ou l'oratorio, pourquoi en serait-il autrement pour le quatuor, et si vous protégez le quatuor pourquoi pas le concerto ; si le concerto, pourquoi pas la simple romance ou le quadrille ?
M. Hymans. - C'est évident.
M. Pirmez. - Oh ! vous êtes parfaitement logique, je l'ai déjà constaté ; mais ne raisonnez-vous pas comme le sophiste qui disait : Voilà un monceau de blé ; j'en enlève un grain, il y aura toujours un monceau de blé ; de même si j'en retire un grain, deux, trois, quatre grains et ainsi de suite, en sorte que, de grain en grain, on arriverait à avoir encore un monceau lorsqu'il n'y aurait plus qu'un seul grain de blé et même plus rien du tout. (Interruption.)
J'ai déjà dit que j'admirais votre logique, et votre fidélité à cette logique me paraît d'autant plus méritoire que l'objet auquel elle s'attache en est moins digne, car la logique qui vous séduit est de pure convention.
Quel est, en effet, le point de départ de l'honorable membre ? C'est que l'infraction existe lorsqu'il y a exécution d'une œuvre musicale entière, qu'elle n'existe pas lorsqu'il n'y a qu'exécution partielle de l'œuvre.
Voyons les conséquences.
Une romance est une œuvre entière ; si on l'exécute en public, infraction ; si un air de danse, œuvre entière, est joué sur une place de village, infraction ; si un orgue de Barbarie joue sur la rue un morceau qui forme un tout quelconque, infraction ; si dans un café un chanteur ambulant chante un air entier qui court les rues, infraction. (Interruption.)
Mais quand l'exécution ne porte pas sur une œuvre entière, tout change.
On chante, dans un concert où l'on paye, le trio de Guillaume Tell ou le duo des Huguenots, pas d'infraction ; la logique conduit là.
M. Hymans. - Je n'ai pas dit cela.
M. Pirmez, rapporteur. - Je ne me trompe pris, votre projet le dit clairement.
M. Hymans. - Je vous répondrai.
M. Pirmez, rapporteur. - L'article 17 de votre projet porte : « N'est pas considérée comme atteinte aux droits de l'auteur d'une composition musicale, l'exécution de morceaux détachés de son œuvre. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est le projet de la section centrale, ce n'est pas le mien.
M. Pirmez, rapporteur. - C'est celui de M. Hymans.
- Un membre. - Votre projet porte aussi reproduction entière et partielle.
M. Pirmez. - Sans doute, quand nous punissons la reproduction du tout, nous punissons la reproduction de la partie. C'est donc l'opposé du projet de la commission.
- Un membre. - Lisez l'article 18.
M. Pirmez. - Le voici :
« Le droit de représenter un ouvrage dramatique déjà représenté, ou d'exécuter une composition musicale déjà publiée et exécutée, existe à charge de payer à l'auteur ou à ses représentants une indemnité à déterminer par les intéressés, et à défaut d'accord entre eux par les tribunaux. »
Lorsque l'autorisation de l'auteur existe il n'y a pas de difficulté, nous nous occupons du cas où cette convention avec l'auteur n'a pas eu lieu.
Ainsi alors la composition entière ne peut pas être exécutée, mais le morceau détaché peut l'être, en sorte que ceux qui exécuteront les plus sublimes créations de Rossini ou de Meyerbeer ne seront pas passibles de la peine, tandis que ceux qui chanteront une romance de mademoiselle Puget ou de Bérat, devront être punis.
Ainsi, qu'on y prenne garde, il y a dans tous les pays des sociétés musicales qui donnent de fréquents concerts, si on veut y exécuter une œuvre de peu d'importance, qui par cela même sera donnée complètement, il faudra s'adresser au compositeur, et si on a négligé de s'adresser à Rome, ou à Naples, ou à Paris, le procureur du roi devra intervenir !
M. Hymans. - Cela se fait ; les auteurs ont des agents pour recevoir ce qui leur revient à raison de l'exécution de leurs œuvres, comme les propriétaires ont des intendants pour toucher leurs fermages.
M. Pirmez, rapporteur. - Je ne conteste pas aux compositeurs le droit d'avoir des agents ; mais je doute fort qu'ils en aient, car je ne sais pas trop ce qu'ils feraient aujourd'hui ; en effet il est permis d'exécuter tous ces morceaux sans s'adresser à l'auteur ou à son receveur.
M. Hymans. - C'est une erreur ; ce n'est pas permis.
M. Pirmez, rapporteur. - Allez dans les provinces, vous verrez si le procureur du roi intente des poursuites contre celui qui aura chanté une romance en public à Bouillon ou à Saint-Hubert.
- Un membre. - Il n'y a pas de pénalité.
M. Pirmez, rapporteur. - Vous voyez qu'en étant très logique, on arrive à des conclusions inadmissibles.
Nous avons pensé que pour éviter de pareils excès de répression il faut chercher à punir les faits les plus graves en laissant à l'action civile le soin de poursuivre les autres actes qui attentent aux droits des compositeurs ; nous ne repoussons pas les dédommagements civils, mais qu'on n'exige pas que le procureur du roi intervienne.
La commission a cherché si on ne pourrait pas tracer une limite à la répression qui, comme toujours, laisserait à désirer pour certains faits exceptionnels, mais qui, pour l'immense majorité des faits, satisferait aux légitimes exigences.
Voici le système qu'elle croit devoir établir.
La reproduction permanente de l'œuvre d'autrui est en général punie.
Quant à la réalisation fugitive de l'idée de l'auteur qui se fait par la voix ou par les instruments, une distinction est admise.
Une pénalité est comminée contre la représentation théâtrale faite sans l'autorisation de l'auteur et laisser la simple exécution à l'abri d'une poursuite pénale.
Cette distinction est-elle fondée en raison ?
On ne doit pas se dissimuler qu'il y a en général une différence immense, essentielle entre une représentation et une simple exécution d'œuvres musicales.
On achète des œuvres dramatiques sans avoir l'intention de les représenter. Vous avez tous dans vos bibliothèques des ouvrages dramatiques sans qu'il soit jamais entré dans votre intention de monter sur les planches pour les représenter. Il y a donc là deux choses distinctes. On achète surtout les tragédies, les comédies pour les lire ; on ne peut donc conclure que l'auteur a cédé, en les vendant, le droit de les représenter.
En est-il de même d'une œuvre musicale ? On achète une œuvre musicale pour l'exécuter.
M. Hymans. - Chez soi.
M. Pirmez, rapporteur. - On l'achète pour l'exécuter ; et vous voyez déjà qu'il n'y a là qu'un seul usage possible de l'œuvre musicale.
Mais il y a plus, si cette œuvre musicale est une grande composition comme le Désert, qui préoccupe l'honorable membre, on ne peut l'exécuter qu'en public. Celui qui achète une symphonie de Beethoven à grand orchestre n'a-t-il pas l'intention de. la faire exécuter en public ? Celui qui achète une messe avec toutes les parties de chant et d'instruments, ne le fait sans doute pas dans le but de la faire exécuter après son dîner. (Interruption.)
Permettez-moi de raisonner sur des faits généraux et non sur des faits exceptionnels.
Je constate que quand on achète ainsi une symphonie ou une messe on contracte avec le compositeur directement ou par un intermédiaire et qu'on lui paye ce qui lui est dû. Il ne s'agit que d'interpréter la portée de la convention intervenue. Or, n'est-il évidemment pas dans l'intention du compositeur et de l'éditeur que l'acquisition confère le droit de tirer de l'œuvre acquise le seul parti qu'on peut en tirer, et d'en faire l'usage naturel qu'il est possible d'en faire ? N’est-il pas dans l'intention de l'acheteur de faire exécuter les compositions musicales dans les lieux où elles doivent être exécutées pour répondre au but de l'auteur ? (Interruption.)
Vous me répondrez, mais on ne niera pas que j'apprécie avec vérité la volonté des parties, et quand il s'agit des grandes compositions (page 886) auxquelles on s'intéresse à bon droit, la vente porte en elle une autorisation d'exécution même publique.
La grande objection de M. Hymans disparaît ainsi. Nous punissons la représentation illégale d'un petit vaudeville, nous ne punissons pas l'exécution d'une symphonie de Beethoven ou de Félicien David, parce que dans le premier cas rien n'a été payé et l'auteur pour un usage de son œuvre tout différent de celui qui est naturellement présent à l'esprit lors du contrat, tandis que le musicien a dû déjà percevoir ce qui lui était dû par la vente de son œuvre que l'on ne pouvait acquérir que pour l'exécuter. Il y a là une différence fondamentale, naturelle, essentielle entre deux espèces de composition dont nous nous occupons.
Mais, d'autre part, y a-t-il bien un danger sérieux de voir l'exécution des grandes œuvres musicales, comme la Création d'Haydn ou le Désert de F. David, dont on parle toujours, se reproduire fréquemment au mépris des droits de l'auteur, lorsque l'action civile existe pour la réprimer ? J'ose dire que non.
L'exécution de semblables compositions demande des préparatifs et des frais considérables, et si vous voulez admettre dans la loi civile le droit, pour l'auteur, de faire saisir le produit, le produit brut de l'exécution si différent du produit net, vous aurez une protection suffisante et qui empêchera l'exécution de pareilles œuvres sans l'autorisation de l'auteur.
Je constate donc que si le fait doit être interdit, il est réprimé d'une manière suffisante, d'une manière très efficace par les moyens civils.
La peine est donc inutile pour les grandes compositions. Voulez-vous aller jusqu'à punir le fait de chanter une petite romance, de jouer un simple air de danse, sans qu'on se soit adressé à l'auteur ? Est-il possible, pour un pareil fait, de prononcer une pénalité ?
Si c'est pour servir les auteurs que l'on suscite de pareilles difficultés, que l'on demande d'entraver ainsi l'exécution des œuvres musicales, je crois que l'on se trompe complètement et que rien n'est plus contraire aux intérêts de l'art que d'empêcher les compositions de sortir par tous moyens de l'oubli.
Nous les servons mieux par un système plus libéral tout en ne nous proclamant pas si haut pour amis des arts.
Ne serait-il pas singulier que lorsque le gouvernement cherche à répandre la musique dans les campagnes, qu'il accorde des subsides, qu'il organise des trains à prix réduit pour transporter les exécutants, nous vinssions, par une disposition d'un esprit tout contraire, empêcher les sociétés de se procurer de la musique, même à une source légitime, pour l'exécuter publiquement ?
Si l'honorable ministre de l'intérieur veut faire ce qu'il a annoncé...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai rien annoncé du tout. J'ai demandé l'ajournement jusqu'à ce que nous ayons discuté la loi sur la propriété littéraire, mais je ne suis pas pour le système que vous combattez. Je n'aime pas la multiplicité des peines.
M. Pirmez. - Je le constate avec le plus grand plaisir. Mais comme vous aviez indiqué tantôt que vous ne partagiez pas la manière de voir de la section centrale qui permet au moins l'exécution partielle...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit un mot du fond.
M. Pirmez. - Vous repoussiez tantôt l'article que je lisais. Je m'étais donc figuré que vous vouliez maintenir votre projet primitif qui va encore beaucoup plus loin. Je suis charmé que non seulement vous soyez revenu de ce projet primitif, mais que vous n'admettriez même pas que l'on aille aussi loin que la section centrale.
En deux mots donc, messieurs, il s'agit simplement de ceci : de prononcer des peines contre les faits les plus graves, contre les faits qui, pour nous tous, ou à peu près, doivent constituer des infractions.
Je demande que nous édictions ces peines, pour ne pas entraver le vote du Code pénal par l'attente d'une législation qui sera adoptée plus tard, si elle demeure dans des termes modérés, mais qui peut-être ne le sera jamais, si l'on veut l'exagérer.
Lorsque cette loi sera discutée, on décidera jusqu'où doit aller le droit de propriété intellectuelle, et l'action civile réprimera les faits que nous n'aurons pas atteints par une peine.
M. le président. - Nous devons d'abord nous occuper de la question d'ajournement.
M. Hymans. - Je n'avais demandé la parole que pour prier la Chambre de se prononcer sur cette question. Si l'on veut ajourner, il n'est pas nécessaire de prolonger ce débat.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - S'il entre dans les intentions de la Chambre de ne pas discuter en ce moment ces articles, je pense qu'il faut prononcer, non pas l'ajournement, mais plutôt le retranchement provisoire. Car la loi sur la propriété littéraire ne sera probablement pas votée dans cette session. J'espère cependant que nous parviendrons à terminer le Code pénal avant la clôture de la session.
Si l'on ne prononçait que l'ajournement, je ne sais pas si le Sénat pourrait être saisi du Code pénal, puisqu'il ne serait pas terminé.
II vaudrait donc mieux détacher provisoirement ces articles, sauf, si la loi sur la propriété littéraire est votée, à les introduire de nouveau dans le Code pénal.
M. le président. - Ainsi M. le ministre de la justice propose de retrancher provisoirement du Code pénal les articles relatifs à la propriété artistique et littéraire. Je mets cette proposition aux voix.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Nous avons à l'ordre du jour de demain les prompts rapports. La Chambre veut-elle les remettre après la discussion du Code pénal ?
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
- D'autres membres. - Non ! non !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande à la Chambre de vouloir bien mettre à l'ordre du jour le projet de loi renvoyé par le Sénat et relatif aux pensions des secrétaires communaux. Il serait à désirer que cette loi fût votée avant les vacances.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, ce projet figurera en tête de l'ordre du jour.
M. Coomans. - Je crois qu'il n'y a pas lieu d'ajourner les prompts rapports, et que le Code pénal n'est pas d'une urgence telle qu'il faille modifier à cet égard les habitudes de la Chambre. Dans ce cas je demande que parmi les rapports sur lesquels il sera discuté demain, on comprenne celui de la commission d'industrie sur les nombreuses pétitions relatives à la libre sortie des chiffons.
Je crois qu'eu égard à l'importance de la question, au nombre des pétitionnaires, nous ferions bien de discuter demain ce rapport.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas que la question des chiffons soit soulevée par les rapports qui sont à l'ordre du jour de demain.
S'il y a parmi les rapports que vous devez entendre demain des objets très urgents, je ne fais pas opposition à ce qu'on suive la marche ordinaire.
Mais je m'oppose à ce que l'on porte à l'ordre du jour un objet qui n'y est pas.
M. Loos. - L'honorable rapporteur sur les pétitions relatives aux chiffons n'est pas présent ; il ne sera peut-être pas ici demain.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je proposerai le maintien de l'ordre du jour tel qu'il est fixé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande que l'on discute avant les vacances Je projet concernant la pension des secrétaires communaux.
M. Coomans. - J'ai recommandé les pétitions qui demandent la libre sortie des chiffons, d'abord parce qu'elles sont très nombreuses, ensuite parce qu'elles se rapportent à un intérêt très important, en troisième lieu parce que, selon moi, c'est là une question des plus intéressantes que nous puissions avoir à traiter à propos de prompts rapports. A mon sens, la législation actuelle sur les chiffons, cette législation qui empêche la libre sortie des chiffons et qui prélève aussi chaque année un million ou deux sur la propriété des pauvres, cette législation est un scandale, et je crois que puisque nous maintenons à notre ordre du jour de demain les prompts rapports, nous ferons preuve de logique et de justice en commençant par l'objet le plus important.
Je doute que l'honorable M. Vander Donckt et ses collègues puissent faire demain rapport sur des questions aussi importantes que celle-là. (Interruption.) Je sais bien que c'est la commission d'industrie qui a fait le rapport sur la libre sortie des chiffons ; mais je dis que ce rapport est le plus important de tous ceux dont nous puissions avoir à nous occuper et que, par conséquent, c'est par celui-là qu'il faut commencer.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La Chambre s'occupe demain des prompts rapports, en vertu d'un usage généralement suivi, mais la proposition de M. Coomans tend à faire décider l'urgence dans une affaire qui dure depuis très longtemps et que la discussion qui pourrait avoir lieu demain n'avancerait en aucune manière. Cette discussion n'amènerait pas le changement de la législation dans 8 jours ou 3 semaines. Il n'y a donc aucune espèce d'urgence.
M. Van Overloop. - M. Coomans n'insiste pas.
- La séance est levée à 4 heures et demie.