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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 mars 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 835) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal à 3 heures et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Scholberg prie la Chambre de s'occuper de la note qu'il lui a adressée touchant l'abandon qui aurait été fait de la mine de Moresnet au profit de la Vieille-Montagne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Euben, ancien militaire pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Givry demandent la construction du chemin de fer grand central franco-belge d'Amiens à Maestricht, qui est projetée par le sieur Delstanche. »

- Même renvoi.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. David. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit de 15 millions au département de la guerre, pour la transformation du. matériel de l'artillerie et la démolition de certaines places fortes.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A quel jour la Chambre veut-elle fixer la discussion ?

M. David. - Le rapport sera distribué demain soir.

M. Rodenbach. - On pourra fixer l'ordre du jour après que nous aurons reçu le rapport. C'est un projet très important ; il s'agit de 15 millions et demi ; il faut que nous ayons le temps d'examiner.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le rapport sera distribué demain soir. Nous demandons la mise à l'ordre du jour pour un des premiers jours de la semaine prochaine. (Interruption.)

Quand le rapport sera distribué, la Chambre ne sera pas réunie. Nous demandons qu'on inscrive dès maintenant le projet de loi à l'ordre du jour de mercredi ou de jeudi prochain.

M. Coomans. - Nous ne pouvons pas convenablement fixer le jour de la discussion d'un rapport que nous n'avons pas lu, dont nous ne pouvons pas encore mesurer l'importance. Le règlement porte à ce sujet des dispositions dont je demande le maintien et le respect.

M. le président. - Le règlement exige que le rapport soit distribué deux jours avant la discussion.

M. Magherman. - La Chambre a l'habitude de se séparer à la fin de la semaine prochaine.

Fixer cet objet pour mercredi prochain, c'est ne pas permettre une discussion suffisamment approfondie.

Il restera deux jours pour la discussion, c'est évidemment trop peu pour un pareil projet. Je crois qu'il vaudrait mieux fixer l'ordre du jour après la distribution du rapport.

M. Van Overloop. - Je comprends qu'il faut voir le temps d'examiner le rapport ; mais il est incontestable aussi que ce projet est de la plus haute urgence, et je crois qu'il doit être discuté avant que nous entrions en vacances. (Interruption.)

C'est mon opinion. Mon opinion est que ce projet est de la plus haute urgence et que par conséquent il importe au pays qu'il soit discuté le plus tôt possible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce projet de loi est important, nous ne le nions pas. Il est déposé depuis deux mois, la Chambre a pu l'étudier ; la presse s'en est occupée beaucoup. Nous demandons un intervalle de trois à quatre jours entre la distribution du rapport et la discussion, il me semble que ce n'est pas être exigeant.

En quatre jours, on peut fort bien lire le rapport de l'honorable M. David.

Nous demandons que la discussion commence à temps pour que la Chambre puisse se prononcer sur le projet de loi, avant de se mettre en vacances.

C'est pourquoi j'ai demandé mercredi. Si l'on n'a pas terminé en quatre jours, la Chambre continuera.

Mais je constate que le projet de loi est déposé depuis deux mois.

Nous insistons donc pour que la discussion commence avant les vacances de Pâques.

M. Goblet. - Messieurs, je conçois que l'on ait hâte de discuter l'importante question qui a été débattue pendant deux mois dans les sections et dans la section centrale ; mais si la question a été agitée pendant deux mois, ce n'est pas une raison pour que la discussion publique soit écourtée.

Le rapport ne sera distribué que demain, et il serait fort difficile à la-Chambre d'apprécier aujourd'hui la durée probable de la discussion, sans avoir examiné le rapport.

Il me semble que si l'on veut absolument fixer l'ordre du jour avant de se séparer, on ne peut le faire que mardi ; le projet soulève des questions multiples ; est-il certain que la Chambre pourra discuter ces questions en deux ou trois jours ? C'est encore un point qu'il est impossible d'apprécier sans avoir pris connaissance de tous les éléments du débat.

Je demande que ce projet soit mis en tête de l'ordre du jour de la première séance qui suivra la rentrée après les vacances.

M. Hymans. - Je propose de mettre le projet à l'ordre du jour lorsque le rapport sera distribué. J'admets l'urgence de la discussion, mais quelque urgente qu'elle soit, ce ne sont pas huit jours de plus ou de moins qui feront quelque chose à l'affaire.

La question, comme on vient de le dire, est compliquée, elle a été discutée pendant deux mois et même plus dans les sections. Si mes renseignements sont exacts, nous n'aurons pas seulement le rapport de la section centrale, nous aurons encore un rapport de la minorité ; nous aurons donc à examiner le pour et le contre.

Deux considérations me portent à demander que la discussion ne soit mise à l'ordre du jour que lorsque le rapport sera distribué, c'est que depuis quinze jours il est arrivé plusieurs fois, que des rapporteurs en déposant leur rapport, venaient dire qu'il serait distribué le soir même, le lendemain ou le surlendemain et qu'il n'était distribué que 8 ou 10 jours plus tard.

Nous ne pouvons pas être responsables des retards que l'imprimeur apporte à son travail, (Interruption.)

Si vous voulez fixer la discussion trois jours après la distribution du rapport, je me rallie volontiers à cette proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il était bien entendu dans ma proposition que si le rapport n'était pas distribué demain soir, la discussion ne commencerait pas mercredi. Je me rallie à la proposition de M. Hymans de fixer la discussion trois jours après la distribution du rapport.

J'ajouterai un mot pour ceux qui voudraient postposer la discussion après Pâques.

Je m'étonne que l'opposition à la discussion viennent de ceux qui se proposent de combattre le projet. Le gouvernement a hâte de pouvoir fournir des explications, de pouvoir défendre devant le parlement un projet de loi qui a donné lieu, en dehors de la Chambre, à toute espèces d’attaques.

Eh bien, messieurs, dans cette situation, je crois que même les adversaires d. projet de loi ne doivent pas interdire au gouvernement les moyens de venir défendre devant la Chambre le projet de loi, projet à l'égard duquel on lui a reproché de ne pas fournir de renseignements. Eh bien, le gouvernement a hâte de fournir ces renseignements, de jeter la lumière sur cette question.

M. Guillery. - Messieurs, j'avoue que les paroles de M. le ministre de l'intérieur m'étonnent encore beaucoup plus que ne peut l'étonner l'opposition qui est faite à sa proposition. Le gouvernement a hâte de fournir les renseignements que la section centrale lui a demandés deux fois et qu'il a refusé de lui fournir...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne s'agit pas de cela.

M. Guillery. - Pardon ; il s'agit de cela, car M. le ministre de l'intérieur vient de dire qu'on a reproché au gouvernement de ne pas fournir des renseignements et qu'il a hâte de les fournir ; ce qui signifie, sans doute, que les renseignements qu'on a considérés comme (page 836) trop confidentiels pour être fournis à la section centrale, ne sont pas assez confidentiels pour ne pas être communiqués à la Chambre.

J'abandonne à l'assemblée l'appréciation des paroles de M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai rien dit de semblable.

M. Guillery. - Je rapporte les paroles de M. le ministre de l'intérieur telles qu'il les a prononcées.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous les avez mal comprises.

M. Guillery. - M. le ministre de l'intérieur a dit : « Je suis étonné que ceux qui font de l'opposition au projet de loi ne veuillent pas que la discussion commence immédiatement ; je suis étonné qu'alors qu'on a reproché au gouvernement de ne pas fournir des renseignements, on veuille l'empêcher de les fournir à la Chambre. » Voilà ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur.

Eh bien, de deux choses l'une, ou les renseignements que vous voulez donner à la Chambre sont les mêmes que ceux qui ont été fournis à la section centrale, ou ils sont autres ; s'ils sont les mêmes, à quoi bon ? S'ils sont autres, ce sont ceux que le gouvernement a refusé de fournir à la section centrale.

Pour moi, je ne m'étonne pas de l'opposition qui est faite à la discussion immédiate du projet de loi, non par les adversaires, comme on l'a dit, du projet de loi, mais par une notable partie de la Chambre, qui a fait entendre des réclamations.

II y a pour cela plusieurs motifs. D'abord, nous sommes occupés à discuter le Code pénal. M. le ministre de la justice a déclaré, dans une séance antérieure, qu'il s'opposerait à ce qu'on discutât un autre objet avant que le Code pénal fût terminé ; il a dès lors demandé qu'on mît à la suite du titre du Code pénal actuellement en discussion le titre sur lequel l'honorable M. Carlier a fait rapport, et tous les articles renvoyés à la commission, afin de continuer la discussion sans désemparer.

Je demande qu'à cet égard la décision de la Chambre soit maintenue. Rien n'est plus difficile pour ceux qui veulent prendre une part active à nos travaux que d'avoir à étudier à la fois des questions d'un ordre aussi différent.

Nous avons un grand nombre d'objets à l'ordre du jour. Je demande à tous ceux qui ont seulement jeté un coup d'œil sur nos bulletins de convocation s'il est bien facile d'étudier à la fois toutes les questions qui y sont indiquées.

Je demande donc que la discussion du Code pénal continue, comme la Chambre l'a décidé.

Quant au rapport qui vient d'être déposé, je demande si en trois jours les membres de la Chambre qui n'ont pas fait d'études préparatoires, peuvent se mettre en état de discuter un projet qui soulève les questions les plus graves, qui a été examiné par la session centrale pendant 13 séances ; et moins on a fourni d'éclaircissements à la session centrale, plus nous avons de peine à recueillir officieusement les renseignements qu'on n'a pas voulu nous donner officiellement.

Je crois que le projet de loi doit être discuté sérieusement ; et pour qu'il puisse être discuté sérieusement, il faut que la Chambre ait eu, pendant un certain temps, le rapport sous les yeux, et qu'elle ait pu se rendre compte des débats qui ont eu lieu dans le sein de la section centrale, des questions qu'elle a soumises au gouvernement et des réponses que le gouvernement y a faites.

Il serait vraiment étrange que sur une question aussi importante, dans laquelle il s'agit d'une somme bien supérieure à aucun de nos budgets, sauf celui de la guerre, on voulût nous faire discuter pour ainsi dire au pas de course.

Où est donc la si grande urgence ? Est-ce que c'est du jour au lendemain qu'on va fondre les canons dont il s'agit ?

Il s'agit d'un crédit réparti sur plusieurs années et sur lequel la Chambre doit délibérer mûrement parce qu'elle doit voir où peuvent l'entraîner les dépenses qu'on lui demande.

Elle ne doit pas seulement examiner le projet de loi en lui-même, mais les conséquences qu'il peut avoir.

Je demande que pour une question si grave la Chambre prenne le temps de délibérer, qu'on laisse à ceux qui combattent le projet si vous le voulez, mais à tout le monde le temps de se préparer aux discussions.

Dans toutes les discussions importantes qui vous ont été soumises, lorsque la minorité a réclamé un délai, on le lui a toujours accordé. Je fais appel à cet égard à tous les précédents de la Chambre. N'y eût-il qu'un seul membre qui vînt dire qu'il n'est pas prêt à la discussion et qu'il demande un délai pour s'y préparer, si son allégation est reconnue fondée, ce délai devrait lui être accordé, parce qu'il ne doit pas y avoir un seul membre nui puisse sa trouver forcé de voter un projet de loi sans le connaître.

Cette théorie n'est pas de circonstance pour moi. Lors de l'affaire de Louvain, j'ai demandé qu'on laissât à la minorité le temps qu'elle réclamait pour étudier la question.

Je ne comprends pas la précipitation dans les grandes questions qui touchent à tant d'intérêts.

Or, messieurs, mettre cette question à l'ordre du jour à la veille des vacances de Pâques, alors qu'il ne reste plus que deux ou trois séances, c'est, selon moi, étouffer la discussion.

Je demande donc formellement que le projet de loi soit mis en tête de l'ordre du jour après les vacances de Pâques.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mes discours ont un certain privilège c'est d'étonner l'honorable membre.

Cette fois-ci je dirai que l'honorable membre s'étonne de lui-même ; car le discours qu'il me prête, c'est lui qui l'a fait.

Je n'ai pas dit à la Chambre que le gouvernement fournirait en séance publique les renseignements qu'il a refusés à la section centrale.

J'ai dit que M. le ministre de la guerre avait hâte de s'expliquer devant la Chambre, de fournir des renseignements et des explications sur un grand nombre de griefs articulés contre son projet et contre lui-même en dehors de la Chambre.

Voilà ce que j'ai dit, et je n'ai pas dit autre chose.

Maintenant, messieurs, nous semblons vouloir presser la Chambre, l'empêcher de discuter avec connaissance de cause.

Je rappelle qu'il y a deux mois que le projet a été présenté à la Chambre, et l'on nous accuse d'être pressés et de vouloir faire coïncider la discussion avec les approches des vacances de Pâques.

Est-ce notre faute si la section centrale a retenu le projet en discussion pendant un mois ?

M. Guillery. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ne pourrions-nous pas à notre tour reprocher aux membres opposés à la loi d'avoir fait en sorte de retarder la discussion du projet de loi ?

- Une voix. - C'est une accusation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne fais que me défendre. Vous reprochez au gouvernement de faire coïncider la discussion du projet de loi avec l'époque des vacances, et moi je vous reproche d'avoir retenu le projet de loi en section centrale pendant un mois.

M. H. Dumortier. - C'est un reproche immérité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il a été retenu pendant un mois.

M. H. Dumortier. - Ce n'est pas noire faute.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous vous en expliquerez devant M. le ministre de la guerre qui dira, lui, à la Chambre pourquoi il a refusé certains renseignements à la section centrale. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On se borne à constater un fait.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je constate que le projet a été discuté en section centrale pendant un mois.

M. H. Dumortier. - Ce n'est pas notre fume,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne dis pas par la faute de qui ce fait est arrivé, je me borne à le constater.

Donc nous croyons rester dans notre droit, rester dans l'observation des convenances parlementaires, en demandant qu'un projet de loi présenté il y a deux mois et dont le rapport vient d'être déposé soit discuté trois jours après la distribution du rapport.

Messieurs, après les vacances de Paquet, il est très probable que la Chambre aura à délibérer sur d'autres projets de la plus haute importance.

M. Hymans. - Lesquels ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis que cela est probable. Je suppose qu'un traité avec une puissance voisine soit signé, soit présenté à la Chambre ; ce traité exigera une discussion immédiate.

M. Devaux. - Il y a encore le projet de travaux publics.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est encore un projet impôt tant à discuter. Nous avons dont des motifs sérieux de ne pas ajourner la discussion du projet de loi de crédit de 13 millions jusqu'après les vacances de Pâques. Cette résolution, au contraire, pourrait avoir de graves inconvénients, attendu que la discussion courrait le risque d'être (page 837) interrompue pour faire place à la discussion d'un objet plus urgent encore. Nous demandons, en conséquence, que la Chambre ne se donne pas de vacances avant d'avoir délibéré sur le projet sur lequel le rapport est fait.

M. le président. - M. Goblet vient de déposer la proposition suivante :

« Je propose que la discussion du projet de loi relatif à la modification du matériel de l'artillerie soit mise, comme premier objet à l'ordre du jour de la Chambre, à la rentrée des vacances après Pâques. »

M. B. Dumortier. - Il me semble que nous faisons des progrès en matière de discussion ; il y a ici des adversaires et des partisans du projet de loi. Je déclare que je ne suis ni l'un ni l'autre jusqu'à présent ; je ne le connais pas, je ne puis pas me prononcer d'avance sur le vote que j'émettrai. Mes sympathies pour tout ce qui touche à la défense nationale, sont bien connues. Mais je désire aussi examiner ce qu'on nous propose.

M. de Mérode-Westerloo. - C'est notre droit.

M. B. Dumortier. - C'est non seulement notre droit, mais encore notre devoir.

Maintenant, j'entends avec surprise, je dois le dire, M. le ministre de l'intérieur lancer ce qu'on appelle une accusation contre la section centrale.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a constaté un fait, rien de plus.

M. Guillery. - Il l'a formellement avancé.

M. B. Dumortier. - Il a dit que les membres de la minorité de la section centrale avaient empêché que le rapport ne fût présenté plus tôt.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Du tout !

M. Guillery. - Nous l'avons tous entendu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est vous qui avez accusé le gouvernement de vouloir précipiter la discussion.

M. B. Dumortier. - J'avais cru jusqu'à présent, d'après la Constitution, que c'étaient les Chambres qui mettaient les ministres en accusation. Il paraît maintenant que ce sont les ministres qui accusent les Chambres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Encore une fois une violation de la Constitution !

M. B. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'il n'y a personne ici à accuser. Les membres de la section centrale ont fait leur devoir.

Si la section centrale avait pu déposer son rapport plus tôt, elle l'eût fait bien certainement.

Un membre de la section centrale, qui siège derrière moi, me dit qu'on n'a mis que 24 heures à prendre les résolutions consignées au rapport, dès que la section centrale a été mise en possession de tous les renseignements qu'elle avait demandés. Que vient-on nous demander ? De fixer la discussion à mardi prochain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Trois jours après la distribution du rapport.

M. B. Dumortier. - On a commencé, si vous désirez que je m'exprime autrement, par demander que la loi dont il s'agit fût mise à l'ordre du jour de mardi ou de mercredi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a dit mercredi parce qu'on avait annoncé l'impression du rapport pour demain soir.

M. B. Dumortier. - Oui, ce sont les variations des églises protestantes, comme disait Bossuet. Maintenant, on nous dit que le rapport sera distribué demain soir et l'on demande la discussion pour mercredi. Eh bien, quelles sont les habitudes de l'assemblée ? Depuis que la Chambre ne tient plus de séance le lundi, les membres de la Chambre ont l'habitude de rentrer chez eux le samedi soir et de passer le dimanche et le lundi dans leurs familles.

Le règlement l'autorise, et on compte ces jours où nous serons dans nos familles comme des jours pendant lesquels nous pourrons étudier le projet de loi ; nous n'aurons pas même le temps de l'examiner. D'autre part il est douteux que beaucoup d'entre nous puissent avoir le rapport avant mardi au matin, quand ils reviennent pour la séance.

J'entends des membres de la section centrale dire que le rapport est très volumineux, qu'il soulève un grand nombre de questions, qu'il y a non seulement le rapport de la majorité, mais encore, comme cela se pratique dans les questions ardues et difficiles, le rapport de la minorité ; nous devrions discuter tout cela sans avoir examiné. Pour moi, je désire pouvoir donner mon vote à ce projet, et M. le ministre de l'intérieur le sait bien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'en sais rien.

M. B. Dumortier. - Eh bien, l'expérience vous dira comment je voterai.

J'ai dit que j'étais disposé à voter toutes les dépenses ayant pour objet la défense nationale. Je crois que mes précédents le prouvent, mais je veux examiner si la dépense est justifiée. Nous sommes prêts à faire de grands sacrifices pour la défense nationale, mais ce n'est pas à dire pour cela que je veuille jeter l'argent par portes et fenêtres. Je ne veux pas voter, à moins qu'il me soit démontré qu'elle n'est pas inutile, une dépense de 15 millions, dépense qui dépasse le montant de tous les budgets, sauf celui de la guerre.

Si on veut se livrer à un examen sérieux, on ne peut rien trouver de déraisonnable à la proposition de M. Goblet. Quand il s'agit de questions difficiles, délicates, plus vous donnerez de temps pour les examiner, plus vous gagnerez de gens disposés à voter le projet ; vous laisserez le temps de former leur conviction à beaucoup de membres qui auraient désiré voter pour le projet et qui voteraient contre parce qu'ils n'auraient pas pu en faire un examen suffisant.

Je crois que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'adopter la proposition de M. Goblet.

M. Goblet. - J'ai demandé à l'honorable M. Coomans de vouloir bien me céder son tour de parole, parce que j'ai hâte de protester de toutes mes forces contre l'accusation portée contre les membres de la minorité de la section centrale.

Je n'ai proféré aucune accusation contre le gouvernement ; mais faisant partie de la minorité de la section centrale, je suis atteint tout aussi bien que ceux qui pourraient lui avoir adressé une accusation quelconque.

Nous avons en section centrale obéi à notre conscience ; chargés par nos sections d'intérêts difficiles à débattre, de questions multiples excessivement compliquées, nous avions le droit de les discuter librement dans la mesure et l'étendue de nos moyens.

Le gouvernement a cru devoir répondre dans différentes circonstances, qu'il ne répondrait pas aux demandes que nous lui adressions ; il a rendu par là notre tâche plus difficile encore.

Ce n'est pas quand la section centrale a eu de fréquentes séances qui ont duré jusqu'à quatre heures, qu'on peut l'accuser de vouloir retarder la discussion par esprit d'opposition.

Vous m'accusez de ne pas vouloir du projet de loi ; mais n'ai-je pas le droit, si je n'en veux pas, de fortifier ma conviction par l'étude ? Ne fût-ce que pour justifier vis-à-vis de moi-même mon opposition à un projet auquel je ne suis pas sympathique, quand surtout il touche aux intérêts les plus graves et les plus légitimes du pays !

Ne puis-je pas employer tous les moyens de recherches possibles pour établir que M, le ministre de la guerre était, selon moi, dans l'erreur.

Certes, messieurs, la discussion dont il s'agit est une des plus sérieuses, qui puissent occuper le parlement belge. Non seulement la proposition du gouvernement est excessivement grave par elle-même ; elle se rattache à la défense du pays, à notre système financier ; mais encore elle soulève des questions des plus importantes sous le rapport de la dignité parlementaire. Nous avons cru que le pouvoir exécutif exagérait son droit ; nous avons proposé une mesure d'enquête parlementaire qui n'a été repoussée en définitive par la section centrale, que par parité de voix.

Je suis donc fondé à dire que la section centrale et la minorité de la section centrale n'ont fait que scrupuleusement leur devoir en étudiant la question de la manière la plus attentive et la plus scrupuleuse.

Je comprends d'autant moins l'insistance du gouvernement alors qu'il s'agit d'un projet de loi qui, il l'avoue lui-même, éveille des inquiétudes dans le pays.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas du tout.

M. Goblet. - Est soumis dans le pays à des accusations qu'il vous plaît de dire erronées.

Messieurs, il est tout naturel que dans le pays l'on se préoccupe vivement de cette grave mesure, qui touche à tous nos intérêts ; il me semble que ceux mêmes qui veulent l'adoption du projet de loi doivent désirer que le pays puisse être parfaitement instruit aussi bien au préalable par une étude approfondie que par une discussion publique suffisante. Si la Chambre admettait la proposition du ministre de l'intérieur, la discussion commencée vers le milieu de la semaine prochaine serait forcément écourtée, Le samedi arrivera sous qu'elle puisse être épuisée (page 838) et le pays aura la conviction que la question n'a pas été élucidée par la discussion publique d'une manière convenable.

Ceci, messieurs, a un côté extrêmement grave que n'aurait pas dû méconnaître le gouvernement.

Il ne s'agit pas seulement de voter des canons pour nous défendre. Il s'agit aussi de faire comprendre au peuple belge qu'il peut avoir confiance dans l'armement de son armée, qu'il peut avoir la confiance la plus absolue dans les mesures qui sont prises pour défendre la nationalité.

Il ne faut pas imposer les canons prussiens à la Belgique, il faut les lui faire accepter par de bons raisonnements, concluants et décisifs.

Voilà pourquoi j'ai proposé la remise de la discussion après les vacances de Pâques.

Vous dites que vous avez hâte de discuter pour faire disparaître des assertions erronées, des accusations illégitimes.

Mais en définitive, les attaques contre les projets du gouvernement ne sont pas toujours et à chaque occasion des accusations.

Ce sont des questions que l'on débat et sur lesquelles chacun émet son opinion. Il est permis d'avoir des opinions opposées sans porter d'accusation contre personne.

Quel inconvénient présente un retard de huit ou quinze jours ? Il n'y a pas de péril en la demeure. Il reste des fonds disponibles pour l'artillerie sur le crédit de 9 millions, qui se répartit que sur trois exercices dont le dernier est 1861. Il reste des fonds disponibles sur le transfert que nous avons voté en décembre dernier ; il est résulté de plus de la discussion en section centrale que toutes les mesures d'expérience, que toutes les mesures de précaution que le ministre de la guerre a dû prendre pour préparer l'adoption de son système, ont été soldées et peuvent encore se solder sur ces crédits qui ne proviennent pas de la loi que nous allons examiner. Il n'y a donc aucun motif pour hâter cette discussion ; et si j'étais le gouvernement, de crainte de me voir reprocher d'avoir voulu étouffer la discussion publique, de vouloir imposer par surprise au pays ma manière de voir, je donnerais avec bonheur les mains à une proposition qui donne tout le temps nécessaire aux investigations légitimes et justes de la législature, sans avoir le moindre inconvénient réel.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il semble que l'on soumette à la Chambre une question d'Etat, une affaire de la plus haute gravité, en demandant que l'on discute tel projet plutôt que tel autre.

On attache à ceci une importance qui me paraît réellement fort exagérée. Je ne comprends rien à l'opposition si vive qu'on manifeste.

Que dit-on, en définitive ? On n'aura peut-être pas le temps de discuter, si l'on commence mercredi ou jeudi ; la Chambre se séparera samedi. Mais pourquoi la Chambre se séparera-t-elle samedi ?

M. de Mérode-Westerloo. - C'est son habitude.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ne discutons pas maintenant si c'est l'habitude de la Chambre de se séparer huit jours avant Pâques ou si quelquefois elle a eu l'habitude de se séparer le jeudi suivant et si même c'était autrefois l'habitude constante de la Chambre. Ne discutons pas ce point. Mais je suppose que ce soit l'habitude de la Chambre. Pourquoi ne pourrions-nous pas déroger à cette habitude et continuer à siéger quelques jours de plus pour discuter le projet de loi ? cette discussion peut se prolonger cinq, six, sept ou huit jours. Quelle difficulté y a-t-il à cela ?

M. de Naeyer. - Cela ne se fera pas, vous le savez bien.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela peut se faire, et par conséquent l'objection n'a aucune valeur.

Lorsqu'un projet de loi a été présenté il y a plus de deux mois, lorsqu'il a été soumis à un examen approfondi dans les sections, lorsqu'il a été discuté avec passion au dehors, qu'il a été l'objet de toutes les investigations possibles dans la presse, qu'il est resté un mois dans les mains de la section centrale, que celle-ci s'est entourée de tous les renseignements qu'elle a jugé à propos de réclamer, qui ont pu ne pas la satisfaire, mais le gouvernement s'expliquera à cet égard, je ne comprends pas les motifs qui peuvent porter à éloigner la discussion de ce projet.

M. de Mérode-Westerloo. - Au 9 avril.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, mais vous savez que la session sera courte, que la Chambre doit se séparer en mai, et vous avez encore à vous occuper de projets de lois que vous ne pouvez ajourner ; vous avez un projet de loi relatif à des travaux publics considérables présenté dans la séance d'hier ; vous avez des projets de loi auxquels a fait allusion mon honorable collègue de l'intérieur ; vous avez beaucoup plus de projets à l'ordre du jour qu'il n'en faut pour arriver au terme de la séparation obligée de la Chambre. Maintenant je donnerai aussi un motif personnel.

Notre honorable collègue M. le ministre de la guerre n'est pas dans un état de santé fort satisfaisant. Il sera obligé de s'absenter immédiatement après le vote du projet de loi. Reporter la discussion à une époque aussi éloignée ; c'est le priver sans nécessité d'un repos qui lui est prescrit. Voilà le motif qui nous fait insister aussi pour une prompte discussion, Je sors de chez mon collègue M. le ministre de la guerre. Il est indisposé ; il n'a pu se présenter et venir lui-même demander la mise à l'ordre du jour ; c'est en son nom que je prie la Chambre de statuer sans nouveaux retards sur le projet de loi qui lui est soumis.

M. Coomans. - Je vais m'expliquer très franchement, comme d'habitude, et dire pourquoi je m'oppose de toutes mes forces à ce que la discussion de ce projet de loi ait lieu mercredi ou jeudi, et même vendredi de la semaine prochaine. C'est que Pâques tombe le 31 mars, et qu'il ne faut pas commencer le 27 ou le 28 la discussion d'un projet de loi de cette importance, discussion qui doit forcément finir le 23, puisque notre constante habitude est de nous séparer 8 jours avant Pâques. (Interruption.)

Nous savons tous que la Chambre ne siégera pas après-demain en huit ; nous ne pouvons pas vouloir limiter ainsi d'avance la discussion.

J'ai de la mémoire, et je me rappelle que tous les grands projets de lois, tous les projets difficiles à faire voter par la Chambre sont venus fatalement ou habilement à une certaine date, sont venus toujours ou à la fin d'une session, ou à Pâques ou à Noël. Ce sont des dates fatales, néfastes, désastreuses pour les finances publiques. (Interruption). La Noël et Pâques, messieurs, sont politiquement des dates désastreuses, pour nos finances. J'en ai peur dans la Chambre ; ces dates offrent l'immense avantage de permettre de limiter le débat.

L'honorable ministre de l'intérieur protestait tout à l'heure contre cette interprétation de sa pensée que la discussion devrait commencer mardi ; je suis sûr que l'honorable ministre aimerait mieux vendredi ou même samedi, car ce serait le dernier jour.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous savez fort bien que nous ne reculons pas devant les discussions.

M. Coomans. - Nous savons tous, messieurs, que dans la pensée du gouvernement ce projet doit être voté samedi, et samedi de bonne heure ; or il n'est pas conforme à la dignité de la Chambre de limiter ainsi d'avance la durée de ses débats sur des rapports qu'elle n'a pas encore examinés. Non seulement cela ne serait pas digne, mais cela ne serait pas généreux, et j'avoue que plus on insiste, plus, en conscience, je crois devoir m'opposer à la proposition du gouvernement.

L'honorable ministre de l'intérieur ainsi que son honorable collègue des finances déclarent que le gouvernement a hâte de répondre aux accusations injustes dont il a été l'objet en dehors de cette Chambre ; c'est évidemment à la presse qu'ils font allusion ; eh bien, cette accusation dirigée par le gouvernement contre la presse est parfaitement injuste ; la presse belge, non pas en général, mais à l'unanimité, est animée du plus pur patriotisme, et s'il y a eu, de la part de quelques-uns de ses organes des critiques assez vives, tous étaient inspirés par un honorable sentiment, par le désir d'éclairer la Chambre sur une des questions les plus graves que nous ayons eu à examiner depuis 1830.

Or, si nous devons apprécier ainsi le rôle que la presse belge a joué envers les canons rayés, c'est un motif de plus pour reculer la discussion, non pas indéfiniment, comme l'a dit M. le ministre des finances, mais de quinze jours ou trois semaines.

Il n'est pas mauvais que la presse belge ait aussi le temps d'examiner le rapport.

Il n'est pas mauvais que quelques hommes spéciaux qui ont voulu regarder de près les choses, les observer, les contrôler, puissent, après la lecture du rapport, nous présenter leurs observations. Aussi, messieurs, là où le gouvernement trouve un motif d'urgence, je trouve, moi, un motif de ne rien précipiter.

Mais, dit le gouvernement, on nous a accablé d'accusations injustes, nous avons hâte d'y répondre.

Eh, messieurs, qui vous empêche d'y répondre ? Si vous voulez répondre aux journaux vous en avez un aussi ; insérez votre réponse si urgente dans le Moniteur, la presse belge l'accueillera avec intérêt, j'en suis convaincu. Soyons de bonne foi, ce qui est urgent, messieurs, la seule chose qui presse aux yeux du ministère, c'est d'avoir les 15 ou 16 millions demandés. Quant à la conscience du gouvernement, je crois qu'elle est très tranquille.

S'il avait désiré que l'occasion se présentât plus tôt de répondre (page 839) aux accusations dont il a été l'objet, la section centrale aurait été mise à même depuis un mois de présenter son rapport et la discussion aurait pu commencer il y a trois semaines, mais alors nous étions trop éloignés du 31 mars, je veux dire des vacances de Pâques qui commencent le 23.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais ce n'est pas de la discussion, c'est de la tactique. Ce sont des accusations.

M. Guillery. - Vous avez attaqué la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sont des insinuations indignes.

M. Coomans. - Aucun gros mot ne me fâchera de votre part, vous m'y avez si bien habitué.

Je suis étonné que l'honorable ministre, qui ne s'est pas fait scrupule d'accuser la minorité de la section centrale d'avoir manœuvré de manière à faire ajourner le dépôt du rapport, que l'honorable ministre trouve mauvais qu'on émette des doutes véhéments sur le désir que peut avoir eu le gouvernement de faire discuter le projet trois semaines plus tôt.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est absurde, puisque le projet est présenté depuis plus de deux mois.

M. Coomans. - Le gouvernement n'a pas répondu aux questions posées par la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a été répondu dans les trois jours.

M. Guillery. - C'est inexact.

M. Goblet. - C'est inexact.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans les trois jours.

M. Guillery. - C'est faux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a été répondu incontinent.

M. Guillery. - Cela n'est pas vrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en avez menti.

- Plusieurs voix. - A l'ordre ! à l'ordre !

M. le président. - J'invite M. le ministre des finances à retirer la parole qu'il vient de prononcer. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous prie, M. le président, de vouloir bien m'écouter. (Interruption.)

M. le président. - Vous avez la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai le droit d'être entendu. Il s'agit de savoir si les membres de la Chambre peuvent insulter dans cette assemblée les ministres et si les ministres doivent accepter sans les relever toutes les injures qui leur sont adressées ici. Voilà la question.

Messieurs, au moment où je disais que le gouvernement avait fourni à la section centrale les renseignements, aussitôt qu'elle les lui avait demandés, j'ai été interrompu par l'honorable M. Guillery qui m'a dit : » Cela n'est pas vrai » J'ai répondu à cette parole par une même parole, et je maintiens ce que j'ai dit.

- Des membres. - A l'ordre !

M. le président. - Que l'honorable M. Guillery retire la parole qu'il a prononcée et qui est la même que la mienne et alors je retirerai les mots que j'ai dits.

- Des membres. - Non ! non !

- D'autres membres. - Si ! si !

M. le président. - Vous refusez de retirer vos paroles ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, je ne les retirerai pas tant que M. Guillery n'aura pas retiré les siennes.

M. le président. - M. le ministre des finances, je vous rappelle à l'ordre.

- Dès Membres : Très bien !

M. Allard. - Et M. Guillery ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole sur le rappel à l'ordre.

Je pense, M. le président, que le rappel à l'ordre que vous venez de prononcer est injuste ; parce que vous avez atteint par ce rappel à l'ordre la réponse faite à une provocation dans des termes identiques, et que vous avez toléré que ces paroles fussent maintenues, acceptant ainsi l'agression et n'acceptant pas la défense.

Je demande que la Chambre, conformément au règlement, soit consultée sur le rappel à l'ordre qui vient d'être prononcé.

M. le président. - J'ai entendu M. Guillery dire : « Cela est inexact.» Je n'ai pas entendu les autres paroles qu'il a pu prononcer après.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a dit : « Cela n'est pas vrai. »

- Des membres. - Il l'a dit.

- D'autres membres. - Il ne l'a pas dit.

M. le président. - Dans tous les cas, je ne puis pas admettre qu'on réponde à ces mots-là par ceux-ci : «. Vous en avez menti. »

M. Guillery. - Messieurs, il faut être juste avant tout. Il est très exact que j'ai prononcé les paroles que M. le ministre des finances m'attribue : et voici ce qui y a donné lieu.

M. le ministre de finances avait dit que le gouvernement avait fourni dans les trois jours à la section centrale les renseignements qu'elle avait demandés ; moi qui ai fait partie de la section centrale, et qui me trouvais devant cette affirmation, j'ai dit : « C'est inexact ; » et sur une réponse de M. le ministre des finances, excessivement désobligeante quant au ton, j'ai répliqué : « Cela n'est vrai. » Voilà ce que j'ai dit.

Quant au fond, il y a ici un fait personnel et une affaire personnelle. Le fait personnel viendra plus tard, il ne concerne pas la Chambre. Quant à l'affaire parlementaire, je ne crois pas, quant à moi, que dire : « Cela n'est pas vrai » soit dire ce qui m'a été répondu par M. le ministre des finances.

M. de Theux. - Messieurs, j'ai suivi avec une grande attention tout ce qui s'est dit dans cette séance. Il est très exact que l'honorable M. Guillery a répondu à M. le ministre des finances par les mots : « Cela n'est pas vrai » et que M. le ministre des finances lui a répliqué par les mots : « Vous en avez menti. »

Eh bien, l'appréciation de la première phrase n'est qu'une question d'intention.

L'honorable M. Guillery a-t-il voulu dire à M. le ministre des finances : « Vous en avez menti ? »

En cas d'affirmation, la réplique de M. le ministre des finances aurait été défensive, quoique très inconvenante, à mon avis.

La dignité du gouvernement exige que ses organes s'expriment autrement.

Mais je trouve une différence énorme entre dire : « Cela n'est pas vrai » et dire «Vous en avez menti, » parce qu'on peut très bien dire à quelqu'un : « Cela n'est pas vrai » sans qu'on lui dise : « Vous en avez menti. »

- Un membre. - C'est la même chose.

M. de Theux. - M. le ministre des finances affirme ce qui s'est passé dans la section centrale ; l'honorable M. Guillery dit que cela n'est pas vrai ; cela peut signifier : « M. le ministre des finances est dans l'erreur. » Mais les mots : « Vous en avez menti » ne sont susceptibles de recevoir aucun adoucissement.

Maintenant je m'en rapporte à l'honorable M. Guillery sur son intention : a-t-il voulu imputer à M. le ministre des finances, d'avoir dit sciemment ce qui n'était pas ? Voilà la question.

M. le président. - Au moment où l'incident a éclaté, il régnait un grand bruit dans l'assemblée ; aussi n'ai-je pas entendu M. Guillery dire : « Cela n'est pas vrai. » Ce sont les termes dont il a déclaré s'être servi ; quelque fâcheux, que soit l'emploi de ces paroles, il n'y a pas de similitude à établir entre les mots : « Cela n'est pas vrai » et les mots : « Vous en avez menti. »

M. Devaux. - Messieurs, je demande formellement le rappel à l'ordre de M. Guillery.

Les paroles qu'a prononcées M. Guillery, avec le ton qu'il y a mis, signifient exactement la même chose que ce qu'a dit M, le ministre des finances...

- Des membres. - Non ! non !

- D'autres membres. - Oui ! ouï !

M. Devaux. - Quant de ce ton on dit à quelqu'un : « Cela n'est pas vrai, » et que la personne interpellée de la sorte, répond : « Vous en avez menti, » je dis qu'à part toute distinction subtile, les deux assertions veulent dire exactement la même chose ; et si l'une est un peu moins vive dans la forme, c'est qu'elle n'était pas provoquée, tandis que l'autre, plus vive, répondait à une provocation.

Je demande donc formellement qu'à raison des paroles prononcés par M. Guillery, à raison du ton qu'il y a mis, et à raison même de l'incident que ces paroles ont provoqué, l'honorable membre soit rappelé à l'ordre.

M. de Brouckere. - Je reconnais, comme l'honorable M. Devaux, que les paroles de l'honorable M. Guillery, qui out amené ce fâcheux incident, sont à peu près les mêmes que celles dont s'est servi M. le ministre des finances. Il est évident que si les mots : « Cela n'est pas vrai » étaient venus après ceux-ci : « Vous en avez menti,» ils eussent été beaucoup moins répréhensibles, mais ayant été dits avant la réplique de M. le ministre des finances, ils doivent, à mon avis, être placés sur la même ligne.

Je ne veux pas prolonger un si fâcheux incident. L'honorable M. Guillery, après avoir eu un tort, a montré une grande loyauté en déclarant lui-même qu'il s'était servi des mots inconvenants : « Cela n'est pas vrai, » mots qui n'avaient pas été entendus par M. le président ; et bien, l'honorable M. Guillery n'a plus qu'un pas à faire.

(page 840) Qu'il retire les mois qu'il reconnaît lui-même être peu convenables que M, le ministre des finances retire les siens, et passons outre, messieurs. (Interruption.)

M. le président. - M. Guillery je vous invite à retirer les paroles dont vous vous êtes servi.

Je n'ai pu les apprécier immédiatement, ne les ayant pas entendues.

Ceci, messieurs, prouve combien il est important de garder le silence lorsqu'un orateur se fait entendre.

Si, pendant que le président prête son attention à l'orateur auquel a donné la parole, des interpellations s'échangent dans la partie opposée de la salle, il n'est nullement étonnant qu'il n'en saisisse pas tous les détails

Je viens d'être renseigné sur la portée des paroles prononcées par l'honorable M. Guillery et surtout sur le caractère que leur donne le ton dont on prétend qu'elles ont été dites.

Certes de pareilles interruptions peuvent être de nature à porter atteinte à la dignité de la Chambre.

J'invite encore l'honorable M. Guillery à retirer ses paroles.

M. Guillery. - Messieurs, rien ne peut plus me coûter que de retirer les paroles que j'ai prononcées parce qu'elles partaient d'une conviction.

Il y a des positions pour un homme de cœur où il est cent fois plus pénible d'avoir à donner la main même à un homme pour lequel il n'a que de l'estime et de la sympathie, que de maintenir une parole qui a pu le blesser.

Mais par déférence pour la Chambre et pour un homme dont j'honore, dont j'admire les travaux, les services rendus au pays, il n'est rien que je ne fasse, et pour ceux qui me connaissent, j'en donne au jourd'hui la preuve la plus éclatante en retirant mes paroles et en lui tendant la main.

M. le président. - M. Guillery, vous vous êtes conduit noble ment en cette circonstance. Vous voyez que la Chambre vous en sait gré.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il ne me reste qu'à remercier l'honorable M. Guillery des paroles qu'il vient de prononcer et des sentiments qu'il a exprimés en ce qui me concerne.

Il va de soi que je retire de grand cœur l'expression que j'avais employée également en m'adressant à lui.

M. le président. - Par suite des déclarations qui viennent d'être faites, je retire le rappel à l'ordre que j'avais prononcé contre M. le ministre des finances.

Messieurs, je fais un appel au calme et à la modération.

Nous voyons où conduisent ces expressions passionnées qui ne répondent pas aux sentiments de ceux auxquels elles échappent.

En arrivant aux lèvres elles mettent le trouble dans les discussions et peuvent dénaturer les rapports qui règnent entre les membres de l'assemblée.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Dumortier, je vous prie de ne pas prolonger ce débat.

M. B. Dumortier. - Oui, M. le président, mais la dignité du parlement ne permet pas de pareilles expressions.

M. le président. - Elles sont retirées.

M. Coomans. - Je disais donc qu'il est évident que la Chambre n'a pas le temps, avant nos vacances de Pâques, de discuter d'une manière sérieuse, approfondie, l'important projet qui nous est soumis.

Nous ne recevrons le texte du rapport de la section centrale que dimanche, si toutefois nous l'avons alors. Nous ne pourrons donc en prendre connaissance que lundi ou mardi.

Ce n'est pas trop de deux ou trois jours pour lire ce long rapport.

Le règlement porte que tous les rapports, les plus importants comme les moins importants, doivent être distribués trois jours avant la discussion.

Si le règlement a donné cette garantie aux membres de la Chambre pour les projets de loi les moins importants, il est certain que les projets qui, de l'aveu de tous sont très importants, comme celui qui nous occupe, doivent pouvoir être étudiés pendant trois jours au moins. C'est un minimum que le règlement a sagement fixé.

Il est impossible que la discussion commence avant jeudi. D'autre part, il est certain qu'elle finira samedi. Voilà donc un délai fatal assigné à nos débats.

Mais, ainsi que l'a fait remarquer M. le ministre de l'intérieur, nous pourrions bien, vers la fin de la semaine prochaine, recevoir d'autres projets importants qui pourraient aussi nous prendre un jour ou deux.

Si j'ai bien compris l'honorable ministre, il a fait allusion à un traité de commerce.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai fait allusion à la rentrée après les vacances.

M. Coomans. - Il n'est pas sérieux de supposer que la Chambre ne s'ajournera pas à l'époque ordinaire. (Interruption.)

Mais, messieurs, remarquez-le bien, beaucoup d'entre nous, sachant de temps immémorial qu'ils ont une quinzaine de jours de repos vers les Pâques, ont pris des arrangements de manière à s'absenter pendant ce temps-là. (Interruption.) Cela me paraît évident.

Ce ne serait qu'en cas de nécessité absolue, si la patrie était en danger, que la Chambre consentirait à renoncer à ses vacances de Pâques ; mais Dieu merci, nous n'en sommes pas là. J'apprécie les faits ; ils sont tels, je pense, que je les définis. Nous ferions donc bien d'admettre la proposition de l'honorable M. Goblet. Je désire que nous n'examinions qu'après les vacances de Pâques le projet de loi qui nous est présenté.

S'il n'en était pas ainsi, si l'on s'obstinait à emporter de force le vote de ce projet de loi, je le déclare, pour ma part, et plusieurs de mes honorables collègues m'autorisent à le dire en leur nom, nous ne prendrions pas part à un pareil débat qui ne serait certainement ni digne ni sérieux.

M. Devaux. - Messieurs, je croirais manquer à mes devoirs si je votais pour la remise de cette discussion après Pâques.

Le projet de loi dont il s'agit a un caractère urgent, on ne peut le nier, urgent par la matière à laquelle il se rapporte, urgent par les circonstances, dans lesquelles se trouvent la Belgique et les pays qui l'environnent.

Si ce n'est pas l'opinion de quelques membres de cette Chambre, c'est au moins celle du gouvernement qui a la responsabilité de la mesure, et cette opinion est respectable.

Si, examen fait, le projet ne convient pas à la Chambre, il est évident qu'il doit être immédiatement remplacé par un autre. Il est présenté depuis la fin du mois de janvier.

Il n'a pu l'être au commencement du mois de janvier parce que la Chambre se trouvait en vacance.

Voilà donc deux mois qu'il est déposé et l'on propose d'ajournez encore la discussion pendant un mois.

- Une voix. - Jusqu'au 9 avril.

M. Devaux. - Jusqu'à la rentrée après les vacances.

M. Coomans. - Abrégez les vacances, cela vaudra mieux.

M. Devaux. - Abrégeons-les au commencement au lieu de les abréger à la fin, M. Coomans.

On nous annonce une discussion assez longue ici, mais il y aura aussi une discussion au Sénat.

Tout compte fait, il faudra 5 ou 6 mois à une loi urgente pour traverser la discussion législative.

Le pays, dont on vient de parler, n'a-t-il pas le droit de demander que ses représentants prennent plus vivement à cœur les questions qui intéressent autant son indépendance.

Depuis quelque temps on semble chercher à introduire dans la Chambre des habitudes d'atermoiement, on met des mois à examiner des lois en section centrale et puis on vient encore demander des délais de plusieurs semaines après que l'examen de la section centrale est achevé. La Chambre ne connaissait pas ces habitudes jusqu'il y a peu de temps. Excepté les lois organiques, je connais peu d'exemples de projets de loi qui soient restés pendant deux mois en section centrale et dont on ait encore demandé l'ajournement pendant un mois après le dépôt du rapport.

Je connais peu de projets aussi à l'égard desquels les membres qui y ont fait opposition pendant deux mois en section, viennent eux-mêmes demander l'ajournement de la discussion, comme si eux-mêmes n'étaient pas instruits, comme s'ils ne devaient pas être pressés de faire connaître les motifs de leur opposition en section centrale.

M. de Gottal. - Ils sont consignés dans le rapport.

M. Devaux. - Je ne comprends pas que quand on a une opinion formée contre un projet de loi, on recule en quelque sorte le moment où on s'en expliquera publiquement et qu'on vienne dire encore une fois, comme on l'a déjà fait dans d'autres occasions, qu'on n'est pas prêts.

Voyez, messieurs, ce qui se passe dans d'autres parlements. Pour les réformes les plus importantes, huit jours d'examen préalable y paraissent beaucoup, et ici l'on vous demande un mois pour étudier un rapport lorsque le projet de loi est connu depuis deux mois !

(page 841) Cela est-il sérieux ? Quel est le membre de cette Chambre qui doive consacrer un mois à l'étude du rapport ? Trois jours, voilà le délai prévu par le règlement, c'est ce que le gouvernement demande, et il est probable que pas un seul d'entre nous ne s'occupera du rapport pendant plus d'un jour.

Si on commence la discussion le 20, comme on le propose, on a certainement tout le temps désirable pour la terminer avant Pâques. Ecoutons donc l'intérêt du pays ; le patriotisme nous défend de nouveaux délais.

M. Van Overloop. - Tout ce qui intéresse la défense du pays offre un caractère incontestable d'urgence, surtout dans les circonstances actuelles.

Le projet de loi qui nous est soumis concerne évidemment la défense du pays, par conséquent, il revêt le caractère de la plus haute urgence.

Maintenant, faut-il, parce que des projets ont ce caractère, ne pas donner aux membres de la Chambre le temps de les examiner ? Evidemment non.

Mais ce temps on l'aura en commençant mercredi ou jeudi ; et il suffira que nous ne nous séparions pas samedi pour que le projet puisse être mûrement discuté.

Ce à quoi je tiens, c'est à ce que ce projet, qui est de la plus haute importance au point de vue de la défense nationale, soit discuté sans retard afin que le pays sache à quoi s'en tenir.

Comme l'a très bien dit l'honorable M. Devaux, le projet sera adopté ou rejeté ; mais quelle que soit la résolution de la Chambre, il faudra nécessairement que des mesures soient prises pour mettre notre artillerie et notre armée en état de parer à toutes les éventualités qui peuvent se présenter.

- Voix nombreuses : L'appel nominal !

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Goblet, tendante à renvoyer après les vacances de Pâques la discussion du projet de loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a une autre proposition.

M. le président. - Oui, M. le ministre de l'intérieur a demandé que la discussion ait lieu trois jours après la distribution du rapport. Je mets d'abord aux voix la proposition de M. Goblet.

- Voix nombreuses. - L'appel nominal !

Il est procédé à l'appel nominal.

78 membres y prennent part.

49 adoptent la proposition.

29 le rejettent.

En conséquence, la discussion du projet de loi est renvoyée après les vacances de Pâques.

Ont voté pour la proposition : MM. Magherman, Mercier, Moncheur, Mouton, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Savart, Snoy, Tack, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Renynghe, Vermeire, Wasseige, Carlier, Coomans, Dautrebande, de Baillet-Latour, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Goblet, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Landeloos, Laubry et le Bailly de Tilleghem.

Ont voté contre la proposition : MM. Moreau, Muller, Orban, Rogier, Saevman, Tesch, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Overloop, Verwilghen, Van Volxem, Allard, David, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, de Renesse, de Rongé, de Smedt, Devaux, Frère-Orban, Grandgagnage, Hymans, M. Jouret, J. Lebeau et Vervoort.

- La séance est levée à 5 heures.