(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 825) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« L'administration communale de Mouscron demande que, lors de la réorganisation judiciaire, une justice de paix soit établie dans cette commune. »
M. H. Dumortier. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Ovart, gendarme pensionné, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relative à la pension des gendarmes. »
« Même demande du sieur Smeysters, gendarme pensionné. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Coen demande que M. le ministre de la justice soit interpellé sur une question concernant un refus d'inhumation dans le cimetière commun. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Lokeren prie la Chambre d'accorder aux sieurs de Perre et de Rechte la concession d'un chemin de fer de Terneuzen à Lokeren. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.
« M. d'Hoffschmidt, retenu par la mort d'un parent, demande un congé. »
- Accordé.
M. Sabatier, au nom de la commission d'industrie, dépose le rapport sur une pétition demandant la libre sortie des chiffons.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Nous en sommes arrivés aux amendements qui avaient été renvoyés à la commission et sur lesquels il a été fait un rapport qui a été distribué.
Le premier de ces amendements est celui de M. Nothomb. Il est ainsi conçu :
« Le vol sera puni de la réclusion :
« 1° Si le voleur est un domestique ou un homme de service à gage, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient, soit dans la maison de son maître, soit dans celle où il l’accompagnait : ou, si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou le magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé ;
« 1° bis. Si le vol a été commis par un aubergiste, un hôtelier, un voiturier, un batelier ou un de leurs préposés, lorsqu'ils auront volé tout ou partie des choses qui leur étaient confiées à ce titre. »
La commission est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'adopter cet amendement.
M. Nothomb. - Messieurs, l'amendement que j'ai cru devoir vous soumettre, et dont M. le président vient de donner lecture, est la reproduction textuelle de la disposition du Code actuel.
Si je demande le maintien de cette disposition, ce n'est pas, je sens le besoin de le déclarer, que je désire une sévérité exagérée dans la répression des faits criminels.
Ce n'est pas là le sentiment qui me guide, je crois, au contraire, d'accord en cela avec presque toute l'assemblée, que la meilleure législation répressive est celle qui est le moins sévère, le moins dure ; c'est celle-là aussi qui, dans mon opinion, s'adapte le mieux à la condition, aux mœurs et à la civilisation de la société belge. J'ai voté et j'ai parlé dans ce sens dans la discussion du projet actuel, et si j'osais me citer personnellement, j'ajouterais qui j'ai toujours pratiqué la loi pénale dans ce sens.
Ceux qui m'ont connu dans d'autres positions, et plusieurs membres de cette Chambre sont dans ce cas, savent que j'ai toujours cherché à appliquer la loi pénale dans un sens modéré et humain.
Messieurs, qu'il me soit permis de le dire ici en passant : en avançant dans cette discussion laborieuse, je me prends à douter si la réforme complète du Code pénal, telle que nous l'avons entreprise, est bien la meilleure solution à donner aux difficultés que soulève le Code pénal actuel ; je me demande si une révision partielle du Code ne présentait pas plus d'avantages, bien entendu en s'attachant d'abord et surtout à atténuer le système actuel des peines inscrites dans le Code de 1810, qui montre un caractère de trop grande, parfois d'excessive sévérité, le reconnais.
Outre ce point capital, l'atténuation des peines, il y avait à trancher les doutes que cette législation avait soulevés, ensuite de combler les lacunes que l'expérience et les besoins de la société actuelle avaient révélées ; enfin, c'était de mettre le Code en harmonie, en quelques-unes de ses parties, avec les institutions libérales qu'en 1830 nous nous sommes données.
Je me demande donc s'il n'eût pas mieux valu de conserver l'ensemble de ce grand monument législatif qui date de 1810, le conserver dans sa forme extérieure et, pour autant que possible, dans son ordre numérique.
C'est aussi de cette façon qu'on avait débuté dans la révision, en 1846, du titre concernant les attentats aux mœurs ; on a amélioré, modifié le Code de 1810 sous ce rapport, mais en y intercalant les nouveaux articles en lieu et place des anciens.
En procédant de cette manière, l'on eût conservé, ce que je considère comme une chose de la plus haute importance, l'on eût conservé le fruit d'un demi-siècle de travaux, d'études, d'expérience judiciaires ; l'on eût respecté les traditions de la magistrature, l'on eût enfin consolidé une législature entrés profondément dans nos mœurs ; c'était là, je crois, un grand bien.
Aujourd'hui, mus par le désir de faire mieux, nous faisons une législation nouvelle ; nous modifions l'ensemble de la législation ; c'est une codification tout à fait différente, qui certainement donnera lieu à des difficultés très graves et nombreuses. Nos débats, qui n'en sont que le prélude, ne le prouvent déjà que trop.
La magistrature devra derechef employer 20, 25 ans et peut-être un temps plus long à interpréter ce nouveau texte, à se fixer sur sa portée et sur son sens. C'est un terrain mouvant substitué à un sol que le travail et l'expérience avaient affermi.
Messieurs, j'exprime ceci sous forme d'un regret en quelque sorte posthume, et j'arrive à l'objet qui est en discussion.
Si j'insiste pour que la Chambre adopte l'amendement que j'ai eu l'honneur de lui proposer, c'est que j'ai une conviction, aussi ferme que celle de l'honorable M. Pirmez, au talent et aux travaux remarquables duquel personne ne rend un hommage plus sincère que moi ; c'est que je suis convaincu, dis-je, autant que lui, mais dans un sens contraire, qu'il y a une démarcation profonde, radicale entre les deux catégories de faits que nous discutons, c'est-à-dire le vol commis par les domestiques et par ceux qui leur sont assimilés et le vol simple.
J'affirme qu'en confondant ces deux séries de faits, on méconnaît, d'un côté, la loi morale et l'on porte, de l'autre, une atteinte sérieuse à la répression sociale.
On a critiqué vivement le Code de 1810 à raison de l'incrimination spéciale qu'il a faite du vol domestique. Ce reproche frappe plus haut et plus loin que le Code de 1810.
Presque tous les auteurs et tous les philosophes criminalistes ont fait la distinction.
Toutes les législations on du moins toutes celles que j'ai pu parcourir la font également, c'est-à-dire qu'elles punissent plus rigoureusement le vol commis par les domestiques, les gens à gages ou les personnes qui leur sont assimilées.
C'est ainsi que le Code français révisé en 1832 a maintenu la distinction et l'a même renforcée. Je ne veux cependant pas aller aussi loin.
La plupart des codes de l'Allemagne en font autant, et je crois que le cote prussien, auquel l'honorable rapporteur faisait un emprunt hier l'a également admise.
(page 826) Les codes de Hanovre, de Brunswick, de la Saxe, de la Hesse, de Bade, de Sardaigne et des Deux-Siciles adoptent la même classification, que le code de 1810 et frappent le vol domestique d'une peine spéciale plus rigoureuse que celle du vol ordinaire.
Cette distinction, cette position particulière avaient été également maintenues dans le projet de code pénal nouveau soumis à la législature belge en 1834.
Elle a été maintenue encore dans le projet de M. Haus l'éminent professeur de droit criminel de la faculté de Gand.
Dans le projet de Code qu'il avait élaboré en 1836 et que j'ai devant moi, M. Haus reproduit le texte même du Code de 1810 dans toute sa teneur. Vous le connaissez, je n'ai donc pas besoin de lire le passage.
Cette opinion de l'homme distingué dont je viens d'avoir l'honneur de citer le nom, doit, selon moi, exercer une influence d'autant plus grande, que la part qu'il a prise et qu'il prend encore aujourd'hui à la codification nouvelle est plus importante.
On doit reconnaître, en toute justice, que ce sont les travaux de M. Haus qui sont la base du projet actuel, qui ont guidé et guident encore la commission et le gouvernement.
Je me plais à rendre ce témoignage à mon ancien professeur de droit criminel, et je suis certain que toute la Chambre s'y associera.
L'autorité de M. Haus maintenant la punition spéciale pour le vol domestique a donc pour moi une très grande portée.
Ce n'est pas la seule ; d'autres criminalistes, et si je ne craignais de vous fatiguer, je pourrais en citer beaucoup, expriment la même opinion ; mais puisque l'honorable M. Pirmez m'interrompt, sur ce point, je citerai le nom d'un homme dont la grande autorité en cette matière est incontestée et qui est connu surtout par les efforts qu'il a faits depuis nombre d'années pour adoucir et perfectionner le système pénal dans son pays, je veux parler de M. Bérenger, président de la cour de cassation de France, membre de l'Institut, auteur de l'ouvrage si réputé, intitulé De la répression pénale en France, écrit vers 1855 et qui, si je ne me trompe, a été couronné par l'Académie des sciences morales et politiques.
Après avoir constaté l'augmentation continue et considérable des vols domestiques, M. Bérenger s’écrie : « C'est un démenti douloureux donné à la prévoyance de la loi qui a voulu prévenir par la menace de peines à bon droit plus rigoureuses une nature de détournements aggravés par l'abus d'une confiance forcée. »
Opinion toute récente, messieurs, veuillez-le remarquer, elle date de quelques années à peine. De tout ceci j'ai donc le droit de déduire la conclusion suivante, à savoir que la conscience générale, publique, universelle peut-on dire, met une très grande différence entre les deux ordres d'infractions dont nous parlons. Et en effet, messieurs, les domestiques, l'hôtelier, le commis, le serviteur à gages qui commettent une soustraction ne violent-ils pas un devoir sacré ; celui que leur impose la confiance obligée, nécessaire, que l'on ne peut se dispenser d'avoir en eux ?
On nous répond : Cette confiance n'est pas obligée ; vous êtes libre de choisir ; tant pis pour vous si vous êtes trompé ; vous êtes puni de votre défaut de précaution.
Messieurs, qu'il me soit permis de le dire, cela me paraît un triste jeu de mots. Il est vrai que vous êtes libres avant de choisir, mais du moment que vous avez introduit le domestique chez vous, êtes-vous encore libres ? Cette confiance est forcée ; vous devez l'avoir, vous devez la subir, les circonstances, les nécessités de la vie vous y contraignent ; Vous n'êtes plus maîtres d'avoir où de n'avoir pas confiance dans cet homme ; et la responsabilité de ce serviteur, au point de vue moral, grandit en mesure de la liberté que vous perdez.
Une autre objection que l'on nous fait est celle-ci : Mais la tentation de perpétrer le vol est plus forte, la facilité est plus grande, il faut y être plus indulgent. Voilà, messieurs, en résumé, dans toute sa crudité, l'argumentation qu'on nous oppose. Je n'hésite pas à dire que c'est pour moi une raison péremptoire d'émettre une conclusion diamétralement contraire.
Si cette tentation est plus attrayante, si la facilité est plus grande, c'est pour moi un motif décisif de punir d'une manière plus efficace.
La loi pénale a pour but de punir et de prévoir, de faire expier mais aussi d'intimider. Plus la tentation de commettre un méfait est grande, est puissante, plus aussi est grand le danger social ; et plus les suites d'un méfait sont funestes, plus aussi il faut le réprimer. Et est-il, je vous le demande, un fait qui jette plus de perturbation dans les familles que le vol domestique ? Il n'en est pas qui entraînent avec eux des conséquences plus fâcheuses pour le repos et l'honneur des familles.
Si l'on devait pousser jusque dans ses bornes extrêmes l'objection que je combats en ce moment, mais autant vaudrait dire que le vol d'un million est plus excusable que le vol d'un sou. Car la tentation est aussi plus grande.
Je ne prétends certes pas que telle soit votre opinion ; mais je vous montre où conduit le système que vous développez, le système de la puissance des tentations de la grandeur des facilités. S'il est vrai pour le vol domestique, il doit être vrai aussi pour l'exemple que je viens de choisir, exemple extrême, je le répète, mais qui fait voir jusqu'où devrait aller ce système d'indulgence relative, basé sur l'intensité de la tentation.
Heureusement que vous êtes inconséquents, car vous ne l'appliquez pas aux comptables publics. Cependant la tentation leur est grande aussi. Ils sont devant une caisse remplie d'or. Eh bien, le Code pénal et vous-mêmes vous les punissez avec une grande rigueur et avec raison.
Le détournement d'un centime les constitue en forfaiture. Ils sont condamnés aux travaux forcés pour la moindre infidélité. Cependant pour eux la tentation est terrible, la facilité extrême, bien autrement encore que pour le domestique, car celui-ci doit soustraire d'abord la clef de son maître, pour le voler après, tandis que le comptable public a lui-même la clef en poche.
Se montrer indulgent au crime à raison des tentations plus fortes ou des facilités plus amples, c'est, selon moi, verser, involontairement sans doute, dans une théorie qui me paraît aussi dangereuse que fausse.
C'est une théorie qui conduit à faciliter les chutes morales, à composer avec la conscience et à capituler avec le sens moral.
Cette théorie, ce système, je les repousse énergiquement.
Dans l'objection que l'on élève contre l'amendement que je présente, se rencontre encore une autre singularité que je veux signaler. Vous ne l'avez pas oublié, messieurs, le projet actuel, dans l'article où je propose précisément l'amendement, punit de réclusion le vol commis par le fonctionnaire public, à l'aide de ses fonctions, et soit dit en passant, ce mot « aide » me paraît ici d'un choix peu heureux ; prévoir d'un fonctionnaire qu'il commet un vol à l'aide de ses fonctions me semble assez étrange ; il eût fallu dire par abus de ses fonctions. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, l'aggravation de peine quand le mal est commis par un fonctionnaire s'inspire de la même pensée que celle qui m'a dicté l'amendement.
Ici aussi il y a une question de confiance, confiance moins obligée envers le fonctionnaire que pour le serviteur à gages, mais toujours obligée dans une certaine mesure. Vous punissez le vol commis par le fonctionnaire, en abus de ses fonctions plus sévèrement que le vol ordinaire, et vous avez raison ; mais faites-le donc aussi pour le domestique qui se trouve, au point de vue de l'incrimination morale du fait, dans une position tout à fait semblable.
On nous objecte encore : Vous êtes inconséquent ; vous punissez le vol domestique et vous ne punissez pas de la même peine l'abus de confiance.
Messieurs, je ne crois pas que le Code pénal de 1810 soit en cela si inconséquent : il y a une différence radicale entre les deux ordres de faits.
Le vol suppose la soustraction, la mainmise, l'appréhension, si je puis m'exprimer ainsi, de la chose, tandis que l'abus de confiance ne suppose rien de pareil. Il y a une grande différence dans la moralité comme dans la matérialité des deux infractions.
Le vol est toujours prémédité, il procède toujours d'une pensée préconçue ; il n'en est pas de même de l'abus de confiance. Le voleur enlève, prend la chose, l'auteur d'un abus de confiance se borne à retenir ce qui lui a été confié et, remarquez-le, ce qui lui a été librement confié, car ici on pouvait choisir, on pouvait examiner si la confiance était bien placée. Rien de cela n'existe dans le vol domestique.
Il y a évidemment une perversité moindre dans l'abus de confiance que dans le vol domestique, où l'agent enlève une chose qui était directement, et à raison de sa personnalité même, placée sous sa surveillance.
Je sais qu'en 1832 le législateur français, précisément mû par ces considérations a aggravé la peine contre l'abus de confiance commis par des domestiqua ou des serviteurs à gages. Je ne veux pas aller jusque-là, je demande seulement le maintien du Code actuel.
L'honorable M. Pirmez a critiqué la forme de mon amendement. Vous parlez, nous dit-il, de vol, et il n'y a pas vol dans le sens légal du mot, vous êtes en contradiction avec vous-même. Je réponds que nous ne sommes pas, à coup sûr, en contradiction pour ce qui concerne les (page 827) aubergistes, les hôteliers ; les objets ne leur sont généralement pas confiés ni remis ; ils restent soit dans l'appartement, soit dans les malles de l'hôte.
Lors donc que l’aubergiste prend, enlève la chose il commet un vol même légalement parlant.
En ce qui concerne le batelier, le voiturier, je l'avoue, l'observation de l'honorable rapporteur, pour un partisan fanatique de la forme, serait plus fondée, et si je n'ai pas modifié dans ce sens le deuxième paragraphe de mon amendement, c'est que j'ai voulu conserver la disposition du Code actuel, comprise et consacrée par un demi-siècle d'existence.
Il serait, du reste, facile de faire droit à l'objection ; il n'y aurait qu'à remplacer le « mot » vol par le mot « détournement ».
Au surplus, mettons que ce soit une exception apportée à la terminologie du Code. Le législateur de 1810 l'a bien entendu ainsi : il savait apparemment que l'abus de confiance ne constitue pas, dans l'acception étroite du mot, la soustraction frauduleuse qualifiée vol ; il a cependant employé l'expression pour ne pas séparer dans la forme ce qui est un' dans le fond. Il l'a fait par exception comme vous-mêmes d'ailleurs l'avez fait.
Car n'avez-vous pas, il y a quelques jours à peine, dans l'article qui s'occupe des soustractions commises entre proches parents, appelé vol ce qui n'est pas un vol ? Exception pour exception, je tiens que la nôtre vaut mieux.
Mais, nous dit encore l'honorable M. Pirmez, si vous punissez le domestique, punissez également le maître qui détourne au préjudice de son domestique. Soit, messieurs, car là aussi il y a violation d'un devoir moral plus grand, là aussi il y a un abus de confiance plus coupable et qui, selon moi aussi, mérite une peine plus sévère que le vol ordinaire.
Je ne m'oppose donc nullement à ce qu'il y ait une aggravation de peine pour le vol commis par le maître au préjudice de son domestique.
Je considère en effet comme base fondamentale de toute législation pénale, que toujours la peine soit adéquate à la perversité morale du fait,
Degré dans la peine correspondant au degré dans le mal moral doivent rester choses inséparables.
L'honorable rapporteur nous dit enfin qu'il faut avoir quelque indulgence pour les domestiques eu égard à leur position humble et précaire, et l'on a ainsi singulièrement exagéré l'état de gêne, la misère de nos serviteurs.
Je nie cette misère, et telle qu'on a essayé de vous la dépeindre, c'est une pure figure de rhétorique mise au service d'une thèse que l'on veut à tout prix faire prévaloir.
Le domestique est payé, nourri, soigné, logé, souvent vêtu chez son maître. Cette position ne me paraît pas bien lamentable. J'en sais une plus digne de sollicitude : c'est celle du journalier, de l'ouvrier, de l'artisan qui lutte souvent en vain, par un travail écrasant de tous les instants, contre la misère, qui menace femme et enfants. C'est pour celui-là que je réserve ma pitié, oui, pitié, je ne retire pas le mot, car combien de fois ne m'est-il pas arrivé de me sentir de l'indulgence, le cœur ému en face d'un malheureux, accusé d'un vol commis même avec des circonstances aggravantes, mais auquel l'avaient entraîné la misère, la faim, la détresse de sa famille. Il n'est pas de magistrat, ni de membre du barreau qui n'ait ressenti dans sa vie cette pénible émotion.
Je déclare, sans hésiter, que je comprends et puis partager l'indulgence pour l'ouvrier que des circonstances malheureuses ont pu faire succomber ; oui, j'ai pour lui plus d'indulgence que pour le domestique bien payé, bien logé, bien nourri, sans souci du lendemain et abusant de la confiance de son maître pour le tromper indignement.
Entre les deux, grande est la différence : l'un commit un vol auquel le pousse quelquefois l'extrême besoin ; l'autre vote, n'ayant d'autre mobile que la cupidité.
L'honorable rapporteur a présenté une dernière considération. « Si vous comminez, a-t-il dit, des peines d'une sévérité outrée pour des vols domestiques d'une très minime importance, vous arriverez par là à l'impunité, car le juge criminel n'appliquera pas cette peine sévère de la réclusion pour des vols qui n'ont pas une grande importance. »
L'honorable rapporteur ajoute que le projet consacre un minimum et un maximum, et que cette limite dans la peine est suffisante pour atteindre le coupable.
Messieurs, si cette objection était fondée, elle serait fondée aussi pour d'autres vols que vous qualifiez par des circonstances aggravantes et que vous punissez de la réclusion ; elle serait vraie aussi pour les vols commis à l'aide de simple effraction ; elle serait vraie pour le fonctionnaire qui, par abus de ses fonctions, commet un vol de peu d'importance. Cette objection serait vraie partout, si vous ne considérez que le côté matériel, la valeur de la chose enlevée. L'objection dominerait tout et elle conduirait en dernière analyse à détruire tout à fait la gradation des peines.
On punit les vols, non pas à raison de leur importance, mais, je le répète, à raison de la perversité qu'ils dénotent chez l'agent. N'est-ce pas ici le cas ou jamais ?
L'argument auquel je réponds est donc de ceux qui ne prouvent rien parce qu'ils prouvent trop.
Est-ce à dire cependant qu'en présentant l'amendement, j'entende favoriser soit une punition draconienne dans tous les cas, soit l'impunité ? En aucune façon ; je ne veux certainement pas que la réclusion soit toujours prononcée contre le domestique ou le serviteur à gages qui aura commis un vol ; telle n'est ni ne peut être ma pensée. Mais ce que je veux, c'est la possibilité de prononcer la réclusion pour un vol plus coupable que le vol ordinaire.
Par quel moyen nous mettre d'accord ? Ce moyen existe. C'est le système des circonstances atténuantes qui permet de réduire la peine jusqu'à la plus légère pénalité, jusqu'à un emprisonnement de quelques jours ; qui autorise par la correctionnalisation de renvoyer devant le tribunal correctionnel les prévenus inculpés de faits que le Code punit de la réclusion et même des travaux forcés à temps. C'est à l'aide de ce système que vous corrigerez les excès soit de sévérité, soit d'impunité, dans la répression du vol domestique.
Messieurs, ici je suis obligé de vous parler brièvement du système des circonstances atténuantes, qui se rattache intimement à ma discussion, et dont la Chambre aura bientôt à s'occuper. Et, en effet, il y a lieu de se demander si la matière des circonstances atténuantes est suffisamment réglée par les articles 90 et 95 du premier livre du Code, qui a déjà été voté.
Pour ne pas fatiguer la Chambre, je ne lirai pas tous les textes, mais je constate que dans l'article 90 du livre I, le principe est inscrit de la manière suivante :
« Si l'existence des circonstances atténuantes est constatée en faveur d'un accusé déclaré coupable, les peines sont modifiées comme suit. »
Le projet du gouvernement portait à l'article 110 :
« L'appréciation des circonstances atténuantes est réservée aux cours et tribunaux. »
Et dans l'article 111, il était dit :
« Lorsque la cour d'assises est d'avis qu'il existe des circonstances atténuantes, les peines sont réduites, etc. »
Dans le rapport de M. Roussel sur le livre I, rapport qui a été déposé le 2 juillet 1851, on lit ce qui suit :
« Tout en partageant la conviction des auteurs du projet sur ce point que la vérification et l'appréciation des circonstances atténuantes doivent être réservées aux cours et tribunaux, votre commission n'a pu méconnaître que cette disposition appartient au Code d'instruction criminelle. Afin d'introduire un ordre plus logique dans la codification nouvelle, nous avons l'honneur de proposer la suppression de cet article. »
Lors de la discussion à la Chambre des représentants, M. le ministre de la justice disait dans h séance du 24 novembre 1851 sur l'article 110 :
« Cet article sera mieux placé au code d'instruction criminelle. C'est le seul motif pour lequel je consens à ce qu'on le supprime. C'est l'honorable ministre de la justice actuel qui tenait ce langage.
M. Coomans disait : « Je ferai observer à la Chambre qu'il est très important de savoir à qui l'appréciation des circonstances atténuantes sera réservée.
« Pour ma part je veux bien les admettre, mais à la condition que ce soient les cours et les tribunaux qui les prononcent. Je ne pourrais les admettre si l'appréciation en était de nouveau déférée au jury. II me semble qu'il conviendrait de décider maintenant la question de principe, à moins que nous ne soyons tous d'accord pour admettre le principe que contenait le projet du gouvernement. »
M. le ministre de la justice, répétant sa déclaration, ajoutait : « La Chambre désire-t-elle dès maintenant discuter sur le principe ? Je le veux bien.
« Cela est-il opportun ? Je ne le pense pas, alors que la place naturelle de cette disposition est dans le Code d'instruction criminelle, qui traite de l'instruction devant la cour d'assises, de la position des questions. »
M. Roussel, rapporteur, réitère la déclaration consignée dans son (page 828) rapport que je viens de lire ; M. Delfossc fait des réserves parte que la question lui paraît toucher aux attributions du jury et après quelques explications de l'honorable M. Coomans et de M. le ministre de la justice M. le président dit :
« Tout se borne à des opinions qui sont énoncées. Le gouvernement énonce une opinion, la commission en énonce une. Mais la Chambre ne décide rien. L'article 110 disparaît du projet. »
Voilà, messieurs, ce qui a été fait lors du vote du livre premier.
Le principe est admis dans le nouveau Code, mais sans plus. Le mode d'exécution est ajourné.
C'est une pure théorie qui est dans le projet. C'est une lettre morte, l'instrument manque et voici ce qui est arrivé par la suite :
La commission d'organisation judiciaire eut à s'occuper de la question et dans sa séance du 30 novembre 1853 elle s'est exprimée de la manière suivante. La discussion portait sur l'article 27 du projet soumis à la commission, article ainsi conçu :
« A la cour d'assises seule, sans intervention des jurés, appartient de déclarer l'existence des circonstances atténuantes, dans les cas où la loi en autorise l'appréciation, pour l'application de la peine, dans les affaires portées devant elle. »
Or, voici que la commission déclare ceci :
« La commission décide la suppression de cet article. La disposition qu'il contient et qui n'est que la reproduction de la législation actuelle ne devant pas trouver place dans une loi d'organisation judiciaire, mais au Code pénal. »
Vous voyez, messieurs, la position qui est faite au moyen organique d'appliquer le système des circonstances atténuantes.
La Chambre a renvoyé la disposition au Code d'instruction criminelle, et la commission d'organisation judiciaire la renvoie au Code pénal.
Elle est ainsi ballottée de Code en Code, et n'a trouvé d'asile nulle part.
J'espère bien que le projet actuel finira par lui donner l'hospitalité, m. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On n'a qu'à faire une disposition transitoire.
M. Nothomb. - Parfaitement. Je voulais vous le faire dire. Dans tous les cas, il m'a paru important d'attirer, dès maintenant, l'attention de la Chambre et de M. le ministre de la justice sur un objet d'un si haut intérêt.
Je vous signale une rédaction. Vous la trouvez bonne, mais encore faut-il la mettre quelque part. Et pour moi cette place est le Code pénal, à l'instar de ce qui s'y fait pour les tribunaux correctionnels.
A quoi servirait d'admettre la plus belle théorie dans ce Code si vous n'y placiez pas le mode d'application ?
M. Coomans. - C'est clair.
M. Nothomb. - En résume, pour moi le vol domestique implique, outre la violation d'une loi positive et générale, une violation d'une loi morale, spéciale et particulière à la personne même de l'agent.
Cette démarcation radicale entre la criminalité intrinsèque du vol domestique et celle du vol simple, impose au législateur l'obligation impérieuse de séparer par la peine et la qualification légale, ce que la nature des choses, la conscience universelle, l'accord de toutes les législations existantes ont si profondément distingué.
C'est non seulement un hommage rendu aux lois de la morale, hors lesquelles il n'est pas de bonne loi répressive, c'est encore un élément nécessaire à la sécurité des familles comme à la répression sociale.
Je maintiens mon amendement et je crois en avoir dit assez pour le justifier.
M. Van Overloop. - Je partage complètement l'opinion que vient d'exprimer mon honorable ami M. Nothomb.
Certes, messieurs, il est utile et très utile d'avoir une codification logique ; mais ce qui est nécessaire, ce qui est indispensable, c'est d'établir des peines telles qu'elles puissent être préventives.
C'est là la grande considération que nous devons avoir en vue lorsque nous nous occupons de la réforme du Code pénal.
Or, messieurs, je me demande si la peine du Code actuel qui est celle de la réclusion a exercé un effet préventif tel que les vols domestiques aient diminué.
Je crois pouvoir répondre hardiment que non.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous condamnez tout votre système.
M. Van Overloop. - Les vols domestiques ne font que se multiplier, et ils se multiplient surtout dans les villes. Je lis dans la statistique décennale : « Les accusés des crimes contre les personnes sont répartis entre les villes et les campagnes dans une proportion exacte avec leurs populations. Il n'en est pas de même des crimes contre les propriétés. C'est parmi les habitants des villes qu'on rencontre comparativement le plus grand nombre d'accusés. » Or, ces crimes contre la propriété ce sont les crimes de vol, ce sont surtout, je crois, les vols domestiques.
Et remarquez, messieurs, que la répression est beaucoup plus active dans les villes que dans les campagnes et que par conséquent la prévention est plus grande dans les villes que dans les campagnes, d'où il résulte nécessairement que le nombre des vols dans les villes dépasse considérablement celui des vols dans les campagnes. Cela nie paraît évident.
Ajoutez encore cette circonstance quant au vol domestique, qu'une foule de maîtres, et plusieurs d'entre nous, j'en suis certain, se sont trouvés dans ce cas, plutôt que d'avoir les embarras de devoir comparaître devant une cour d'assises ou devant un tribunal correctionnel, gardent un silence prudent sur les vols qui se commettent chez eux et se contentent de renvoyer leurs domestiques.
Voilà une considération qui ne doit pas être perdue de vue.
Maintenant, messieurs, si la peine actuelle, qui est celle de la réclusion, si la peine que commine le Code de 1810, n'est pas suffisante pour prévenir la multiplication des vols domestiques, qu'arrivera-t-il, je vous le demande, si vous diminuez la peine actuelle !
Je suis presque convaincu que la diminution de la peine prononcée contre le vol domestique aura pour résultat, non pas de prévenir la multiplication des vols domestiques, mais au contraire de multiplier ces vols.
Faut-il nécessairement maintenant que pour cela on réintroduise dans le nouveau Code la peine de la réclusion contre les auteurs de vols domestiques ?
Je ne demande pas cela, je demande simplement qu'on fasse une distinction entre le vol domestique et le vol ordinaire.
Je désire qu'on sache, et en général ceux qui veulent faire des transgressions à la loi ont la précaution de s'informer des conséquences qui peuvent en résulter pour eux, je désire, dis-je, qu'on sache qu'il y a dans le Code pénal une distinction entre le vol ordinaire et le vol domestique.
Remarquez que les vols domestiques sont dans une proportion assez considérable.
La statistique constate encore que de 1840 à 1849, il y a eu de jugés contradictoirement 143 accusés de vol de nuit dans une maison habitée et 5 ont été jugés par contumace, ce qui fait 148 vols de cette nature.
Les vols domestiques pendant la même période ont été de 202, dont les accusés ont été jugés contradictoirement et de 33 dont les accusés ont été jugés par contumace, ce qui fait un total de 235.
Il faut encore ajouter à ce nombre les vols domestiques commis à l'aide d'effraction et de fausses clefs.
Ils ont été pendant la même période de 96 jugés contradictoirement et de 7 jugés par contumace. Total 103.
Il y a donc eu, dans la période indiquée, 338 vols domestiques.
Vous voyez, messieurs, que le nombre des vols domestiques a été très considérable.
Quoi qu'il en soit, je demande simplement qu'on fasse une distinction entre les peines appliquées aux auteurs de vols domestiques et celles appliquées aux voleurs ordinaires, et cette distinction je crois qu'on pourrait facilement l'introduire dans le Code pénal sans pour cela changer considérablement le système adopté par le gouvernement.
Ainsi, messieurs, l'article 34 du livre premier du Code déjà adopté, qui nous est revenu amendé, porte :
« La durée de l'emprisonnement, correctionnel est de huit jours au moins et de cinq années au plus sauf dans les cas exceptés par la loi. »
Eh bien, qu'on fasse un cas exécré par la loi du vol domestique qu'on puisse lui appliquer une peine supérieure à cinq années d'emprisonnement, mon but sera atteint ; celui que se propose mon honorable ami M. Nothomb sera également atteint ; on saura que le voleur domestique est susceptible d'une peine plus grave que le voleur ordinaire ; je crois donc devoir appuyer l'amendement de M. Nothomb, sauf à le modifier dans l'un ou l'autre sens, pourvu qu'il y ait une différence entre la peine comminée contre le vol ordinaire et celle comminée contre le vol domestique.
M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable M. Nothomb a, dans son discours, présenté à la Chambre diverses considérations sur des points complètement étrangers à la question qui nous occupe.
(page 829) Les premières sont relatives à l'utilité et à la convenance qu'il y a de faire un nouveau Code pénal.
Celte question est depuis longtemps jugée : je ne veux pas prolonger les débats de la Chambre peur démontrer toute l'importance de l'œuvre qu'elle élabore depuis si longtemps.
Il me serait cependant aisé d'établir que le replâtrage du Code actuel, préféré par M. Nothomb à un Code nouveau, n'eût pu être qu'une œuvre défectueuse.
Une quantité de lois nouvelles devaient y prendre place, et les changements à apporter à la législature en vigueur étaient tellement grands qu'on n'aurait guère pu conserver que l'ordre suivi par le législateur de 1810. Or, c'eût été travailler à remplir un cadre essentiellement vicieux.
L'honorable membre s'est encore occupé de la matière des circonstances atténuantes ; nous n'avons pas à examiner ce point en ce moment ; il se présentera prochainement devant la Chambre quand elle discutera le livre premier ; les observations de M. Nothomb devront alors être examinées sérieusement, et on avisera au mode de régler la procédure à cet égard.
Arrivant à sa proposition, l'honorable membre prend une position commode ; il se borne à repousser les arguments qui ont été présentés contre cette proposition. Il intervertit ainsi les rôles.
Il s'agit de savoir si le vol domestique doit être rangé dans une catégorie à part.
Nous ne voyons pas une différence assez radicale entre le vol ordinaire et le vol domestique pour en constituer un vol qualifié.
M. Nothomb eût du moins dû indiquer les notes différentielles sur lesquelles repose la classification qu'il présente.
Nous maintenons ce vol parmi les soustractions ordinaires.
Notre position eu ainsi purement expectante, et nous attendons encore les raisons décisives qui doivent faire séparer le vol des domestiques des vols commis par les autres personnes.
L'honorable membre nous cite, il est vrai, des autorités pour justifier la classification qu'il défend.
Mais les autorités qu'il invoque sont bien peu imposantes.
Les lois anciennes ont puni avec une sévérité exceptionnelle le vol domestique, mais elles se rapportent à un état social si différent du nôtre qu'elles ont perdu tout leur poids.
Comment tirer argument de lois fondées sur l'inégalité sociale, pour établir une distinction entre les personnes dans un régime qui a pour base l'égalité, devant la loi, de tous les citoyens ?
La législation n'a que trop longtemps présenté le spectacle de peines différentes pour les mêmes faits commis par des personnes appartenant à des rangs divers dans la société.
Il ne faut plus que ceux qui font la loi la fassent plus sévère pour ceux qui sont au-dessous d'eux que pour eux-mêmes.
L'honorable préopinant nous a présenté les criminalistes comme étant d'accord pour punir les vols domestiques plus sévèrement que les vols ordinaires.
Je consultais hier Filangieri ; il trouve la distinction absurde ; ce sont ses expressions.
M. Nothomb ne me paraît pas, du reste, heureux dans ses citations.
L'autorité de M. Haus, pour laquelle j'ai la plus grande déférence, ne peut guère servir l'amendement.
M. Haus en 1851 l'eût peut-être soutenu ; il le rejette aujourd'hui ; l'opinion qu'il émettait en 1851 consistait à ne pas demander sur ce point de modification au Code de 1810 ; il a reconnu, depuis, les inconvénients de la distinction, il l'a abandonnée.
Ce que dit M. Bérenger me paraît conduire directement à l'abolition de la disposition qu'on propose de maintenir.
M. Bérenger écrit sous l'empire de la loi française qui non seulement a maintenu l'aggravation de peine du Code de 1810, mais y a introduit la circonstance aggravante qui nous occupe, même en matière d'abus de confiance ; or, il constate que les vols domestiques se multiplient toujours.
J'en conclus que la législation est mauvaise et que, si on veut obtenir un résultat différent, il faut la changer.
Il faut, messieurs, dans cette question comme dans toutes les autres de la législation pénale, se placer successivement à deux points de vue : celui delà justice morale et celui de l'obtention de la répression.
Le système qu'a présenté M. Nothomb sur l'appréciation de la criminalité est un système bien dangereux : faire de la peine une compensation du profit que se promet le malfaiteur ; équilibrer par le mal du châtiment le bien attendu de l'infraction ; augmenter ce contre-poids chaque fois que la pente où te trouve l'agent devient plus rapide, telles sont les idées que l'on préconise.
Mais ce système conduirait à punir le vol avec effraction d'une peine moindre que le vol simple, parce qu'il présente des difficultés plus grandes ; en cas de coups et blessures, bien loin de faire une circonstance atténuante de la provocation, il faudrait là regarder comme une circonstance aggravante, n'est-on pas bien plus enclin à des voies de fait quand on est provoqué que quand on ne l'est pas ? Au lieu de voir dans le flagrant délit d'adultère une circonstance atténuante du meurtre commis par le mari sur le complice de sa femme, on devrait punir ce fait non seulement comme un meurtre ordinaire, mais d'une peine plus forte ; les excitations de la colère réclament, comme frein, la perspective d'un terrible châtiment.
Cette doctrine ne sera pas adoptée par la Chambre, elle voudra toujours apprécier le degré de perversité que suppose le fait qu'elle a à punir ; c'est cette perversité qui est la mesure de la criminalité et doit être la mesure de la peine.
Niera-t-on que le crime qui demande de longues méditations, de longs préparatifs, qui se présente devant l'agent entouré de difficultés, que d’astucieuses ou d'audacieuses combinaisons seules lui font vaincre, est celui qui doit être frappé de la peine la plus sévère parce qu'il accuse un plus haut degré de criminalité ?
Rencontre-t-on dans le vol domestique, tel' qu'il se produit d'ordinaire, rien de semblable ?
Pour le domestique la tentation est continuelle, la soustraction se montre sans cesse à lui comme facile et surtout ce qui peut si facilement faire succomber une demi-probité comme présentant un profit sérieux pour lui et n'infligeant qu'une perte insensible à son maître. Quand le serviteur cède à la sollicitation du bénéfice du vol, il commet une infraction très punissable sans doute. Mais ici l'on cherche vainement ce haut degré de perversité qui mérite une peine criminelle.
Est-il bien nécessaire, messieurs, de réfuter cette assimilation que l'on veut établir entre les domestiques et les fonctionnaires publics, entre ceux qui occupent une des positions les plus infimes de la société et ceux qui exercent l'autorité ?
Il y a entre ces deux positions une différence radicale, fondamentale. (Interruption.)
Vous voulez prétendre que la confiance est également forcée à l'égard des fonctionnaires et à l'égard des domestiques.
Mais remarquez donc que le fonctionnaire est imposé par l'autorité et que le domestique est choisi par celui qui l'emploie.
La liberté du choix conserve la liberté de la confiance.
M. Coomans. - Et pour les notaires, vous avez le choix ?
M. Pirmez, rapporteur. - Certainement, vous avez le choix entre un certain nombre de notaires ; mais la liberté n'est pas entière, et vous devez recourir aux notaires nommés par le gouvernement.
Voilà une différence essentielle : vous prenez les domestiques à votre gré, comme vous le voulez, rien ne limite votre choix, vous n'avez qu'à accepter les notaires dont le nombre est très restreint.
Mais, chose étrange, l'honorable M. Nothomb, qui vous a exposé sa théorie sur l'accroissement simultané des peines et des facilités ou de l'attrait des infractions/se hâte de répudier cette théorie.
M. Nothomb considère en principe que plus la tentation est grande, plus il faut punir, parce qu'il faut équilibrer l'espoir du bien par la crainte du mal. Mais en matière de vol et d'abus de confiance, il ne suit pas cette théorie, il nous montre le vol comme plus coupable que l'abus de confiance. Le vol d'ordinaire est prémédité, on doit chercher l'occasion de le commettre ; l'abus de confiance au contraire ne suppose pas un dessein préconçu ; l'agent est légitimement nanti de l'objet et il n'a qu'à continuer sa possession pour que le méfait existe.
Ainsi le vol est plus criminel parce qu'il offre plus de difficultés ; l'abus de confiance est moins criminel parce qu'il offre plus de facilités.
N'est-ce pas exactement le contraire de la théorie qui nous a d'abord été soumise ?
M. Nothomb. - L'abus de confiance est moins coupable, parce qu'il est moins prémédité.
M. Pirmez. - Soit, admettons cette nuance. Attachons la criminalité à la préméditation et jugeons d'après cet clément de criminalité le vol domestique.
Mais c'est précisément dans le cas de vol domestique que vous aurez (page 830) le plus rarement préméditation. Si vous adoptez cette idée que la criminalité gît dans une combinaison préalable, bien loin de frapper le vol domestique plus sévèrement que les autres vols, vous devez le punir d'une peine moindre.
Mais voyez, messieurs, où nous allons arriver avec le système qui est proposé et tel qu'il est proposé.
J'ai déjà indiqué un cas à la Chambre, mais permettez-moi de l'indiquer encore ; car il fait comprendre la conséquence du système.
Si un domestique s'empare de la montre de son maître dans la maison, dans sa chambre, on doit le condamner à la réclusion. Mais si le maître remet sa montre au domestique pour la porter chez un horloger et que le domestique la détourne, il n'encourrait qu'un emprisonnement correctionnel et d'après le Code de 1810 même il ne serait puni que d'une peine de deux ans d'emprisonnement.
N'y a-t-il pas la même criminalité, le même préjudice aussi ?
Ah ! dans votre système il devrait y avoir une différence, mais la sévérité devrait être en sens inverse de celle que vous consacrez.
Vous punissez plus sévèrement, parce que le domestique abuse de la confiance de son maître.
Voilà le caractère distinctif que vous signalez comme devant porter et punir d'une peine plus sévère les vols des serviteurs ; mais dans le cas que je cite, la confiance du maître n'est-elle pas surtout entière lorsqu'il livre lui-même un objet précieux ? Et alors la peine doit être moins forte. Si ce qu'on appelle la confiance forcée est une cause d'aggravation, pourquoi ne faites-vous pas une disposition plus large ?
Pourquoi ne punissez-vous pas d'une peine criminelle les artisans lorsqu'ils se rendent coupables d'abus de confiance ?
M. Nothomb. - Ils ne sont pas au foyer domestique.
M. Pirmez. - Mais le batelier, l'aubergiste ne se trouvent pas non plus au foyer domestique, et vous les punissez d'une peine criminelle.
Cependant tous les artisans auxquels vous êtes obligés de confier des objets pour les travailler, les réparer ; le tailleur qui reçoit du drap, l'orfèvre à qui on remet des bijoux, jouissent de cette confiance, et leur ministère n'est pas moins nécessaire que celui des domestiques.
Mais vous devez reconnaître que vous ne pouvez les punir spécialement comme les fonctionnaires publics, parce que chacun peut choisir celui qu'il emploie.
Mais cela est vrai pour les domestiques ; et il faut admettre le même résultat.
Disons-le donc, la criminalité morale spéciale, nécessaire pour admettre une aggravation de peines, n'existe pas dans la matière qui nous occupe, et ce ne serait que par une théorie conduisant aux plus inadmissibles conséquences qu'on essayerait de l'établir.
Prenons maintenant l'autre face de la question et voyons si la disposition proposée est préférable au projet en ce qui concerne l'obtention d'une répression sérieuse.
Nous avons déjà vu M. Bérenger nous montrant les vols domestiques devenant plus fréquents en France, sous cette législation qu'on cherche à maintenir.
L'honorable M. Van Overloop est venu faire la même constatation en ce qui concerne la Belgique.
Mais j'en conclus qu'il faut changer la législation et je dirai que c'est un singulier argument pour demander le maintien d'une disposition que de prétendre qu'elle a de mauvais résultats.
M. Nothomb. - Dans ce cas, donnez raison à M. Jouret. Supprimez la peine de mort, parce qu'elle n'a pas empêché de nouveaux crimes à Charleroi.
M. Pirmez. - L'honorable M. Jouret a présenté hier des considérations contre la peine de mort. Je ne veux pas discuter la théorie qu'il a soutenue, mais si l'on voulait examiner les faits, on verrait que les crimes ont augmenté, lorsque la peine capitale n'a plus été appliquée, et qu'ils ont diminué lorsqu'on y a eu recours.
M. J. Jouret. - On pourrait prouver le contraire.
M. Pirmez. - Je pourrais citer des périodes où l'expérience a été décisive.
M. J. Jouret. - Je crois que vous êtes dans l'erreur.
M. Pirmez. - Dans les premières années qui ont suivi 1830, on n'a plus appliqué la peine de mort. On a été forcé d'y revenir quelques années après et immédiatement on a observé une diminution sensible dans le nombre des crimes.
Du reste, permettez-moid’exprimer à cet égard d’une manière générale le système que nous croyons vrai.
Dire en général qu'une peine sévère n'empêche pas les méfaits, ce serait une absurdité ; elle prévient les infractions, mais à la condition qu'elle satisfasse sens moral de la population et qu'ainsi elle soit appliquée et qu'elle satisfasse aux sentiments de justice que tout le monde éprouve.
La peine de mort comminée contre l'empoisonnement et l'assassinat n'est pas une peine excessive ; elle ne froisse pas les sentiments de la justice ; dans ces cas le juge ne recule pas devant la peine capitale, elle est ainsi une répression efficace.
Mais ce qui est aussi incontestable, c'est qu'une peine trop sévère pour le fait auquel on veut l'appliquer compromet la répression. En voulant obtenir une répression trop énergique, on arrive à l'impunité.
Mais si vous ne voyez de garantie que dans la sévérité des peines, pourquoi hésitez-vous ? Les vols domestiques croissent en nombre, la réclusion aujourd'hui comminée est donc insuffisante ; aggravez encore la peine !
Mais il serait d'abord très intéressant de connaître combien de vols domestiques ont été soumis au jury et combien ont été correctionnalisés.
Je puis affirmer, et je crois que M. le ministre de la justice a des renseignements précis à cet égard, que presque toutes ces affaires, il n'y a que quelques exceptions, sont aujourd'hui soumises aux tribunaux correctionnels.
Et pourquoi ne les soumet-on pas au jury ? Parce qu'on n'obtiendra jamais du jury des verdicts de condamnation suivis d'une peine dont le minimum est de cinq ans de réclusion pour des vols d'une valeur de quelques francs.
Si les tribunaux reconnaissent constamment qu'une peine est trop sévère et si, en vertu du pouvoir que la loi leur accorde, ils correctionnalisent généralement les affaires pour éviter l'application de cette peine, j'en conclus que la peine est trop sévère, que la pratique la condamne et qu'il ne faut pas la maintenir.
Pour que la répression soit sérieuse, il faut, messieurs, que la peine soit appliquée. C'est bien plus la certitude que la gravité de la condamnation qui constitue la répression. Or, la sévérité de châtiment n'est généralement obtenue qu'aux dépens de la certitude. C'est pour cela qu'une législation trop rigoureuse n'a jamais établi une répression suffisante.
L'honorable membre a reconnu, du reste, ce défaut de son système en invoquant comme remède les circonstances atténuantes.
Il1 ne faut pas oublier, messieurs, que les circonstances atténuantes doivent être l'exception. Nous comminons les peines d'après la valeur ordinaire des faits auxquels elles s'appliquent, et il ne faut pas que les peines soient tellement au-dessus de cette valeur ordinaire qu'on ne puisse les appliquer que dans des cas exceptionnels en les abaissant dans le très grand nombre des faits au moyen des circonstances atténuantes.
D'ailleurs, messieurs, il ne faut pas se méprendre sur la portée des circonstances atténuantes.
En admettant ce tempérament à la rigueur des peines, le législateur n'a pas autorisé le juge à refaire son œuvre, et à mitiger la répression parce qu'il la trouverait au-dessus de ce que mérite le fait.
Il n'y a, dans la vérité du droit, de circonstances atténuantes que quand l'agent trouve une espèce d'excuse dans les faits extrinsèques à l’infraction, et spécialement dans des faits qui lui sont personnels.
Le peu d'importance de l'objet soustrait n'est pas une circonstance atténuante, c'est une cause de prononcer le minimum de la peine.
L'infraction même n'a pas une haute gravité, mais elle n'est pas atténuée.
A part toute autre circonstance, le vol domestique portant sur une valeur insignifiante, ne devrait donc pas être puni de la réclusion.
L'honorable M. Van Overloop a paru comprendre ce qu'il y a d'excessif dans le système de M. Nothomb et il propose un système adouci qui consiste à permettre aux tribunaux d'élever la durée de l'emprisonnement au-dessus du maximum ordinaire. Dans le premier livre du Code, on a admis cette extension de la peine d'emprisonnement, mais elle n'est appliquée qu'au cas de récidive.
Il me paraît qu'il y aurait quelque chose de bien rigoureux, pour ne rien dire de plus, à élever la peine d'emprisonnement pour un premier fait à l’égard des domestiques, alors que pour tout autre coupable non récidiviste l'emprisonnement ne peut jamais excéder 5 ans.
Il ne faut pas oublier d'ailleurs qu'une disposition constitutionnelle soumet toutes les affaires criminelles au jury ; ce ne serait certes pas observer l'esprit de cette disposition que de faire des peines correctionnelles aussi dures que des peines criminelles.
(page 831) On conviendra qu'un emprisonnement de 6 ans par exemple et une réclusion de 6 ans sont des choses fort semblables.
Ces considérations me semblent devoir porter la Chambre à maintenir le projet tel qu'il lui est soumis
M. B. Dumortier. - Messieurs, vous ne vous attendez pas sans doute à ce que je suive l'honorable préopinant dans toutes les dissertations auxquelles il s'est livré. Cela n'est pas de mon domaine. Mais il y a de ces choses que le sens commun fait comprendre mieux que tous les raisonnements. Pour moi, messieurs, je ne puis pas comprendre la logique que voici :
Le vol sera puni, l'abus de confiance sera puni, mais quand il y a tout à la fois vol et abus de confiance, la réunion de ces deux faits ne constitue pas une circonstance aggravante. Si je commet d'une part un vol et d'autre part un abus de confiance, je serai frappé de deux peines, mais si je commets en même temps le vol et l'abus de confiance je n'encourrai que la peine du vol.
Qu'est-ce, messieurs, que le vol domestique ? C'est un vol compliqué d'abus de confiance.
Il est donc juste qu'il soit puni plus sévèrement que le vol simple. On fera de la théorie tant qu'on voudra, mais on ne parviendra pas à me faire croire qu'un vol compliqué d'abus de confiance, c’est-à-dire un vol avec une circonstance éminemment aggravante puisse être puni comme un vol simple.
On objecte, messieurs, que la tentation est très grande ; mais y a-t-il jamais un vol sans tentation ?
Mais tous les voleurs cèdent à la tentation. On est tenté de voler dans un champ, on est tenté d'entrer dans une maison pour y commettre un vol.
La tentation n'est pas une circonstance atténuante, la tentation ne diminue pas la gravité d'un crime.
Mais ici la personne qui succombe à la tentation sait très bien qu'elle est admise dans la famille, qu'elle jouit de la confiance de la famille et elle sait très bien qu'elle abuse de cette confiance.
Comment ! Vous avez chez vous un domestique qui fera faire de fausses clefs par exemple et pénétrera dans votre caisse, et ce domestique ne sera pas puni plus sévèrement que celui qui aura voté dans un marché ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'emploi de fausses clefs est puni par un autre article.
M. B. Dumortier. - Je ne me place pas au point de vue de l'effraction, je me place au point de vue de l'abus de confiance ; je dis que d'après votre propre Code l'abus de confiance entraîne une peine, que le vol entraîne une peine et que par conséquent les deux faits réunis doivent entraîner une peine plus forte que celle qui est comminée contre l'un de ces faits isolé.
Avant tout, messieurs, il faut sauvegarder la moralité publique, et ce n'est pas en réduisant constamment les peines que vous arriverez à ce résultat.
Dans tous le cas je demande au moins que vous ne supprimiez pas l'aggravation de peine que doit entraîner la circonstance aggravante de l'abus de confiance dans le vol domestique ; c'est ce que je ne puis comprendre ; j'avoue que ce serait une chose déplorable et qui serait mal vue de la Belgique entière.
L'honorable M. Pirmez pense que la perversité du voleur domestique est moindre que celle du voleur ordinaire. Mais c'est une grave erreur ; la perversité du voleur domestique est beaucoup plus grande, est d'autant plu 'grande qu'il a abusé de la confiance qu'on lui a accordée.
Ainsi tous les arguments de l'honorable M, Pirmez militent en faveur d'une proposition contraire à son système, en faveur, sinon de la proposition de l'honorable M. Nothomb, au moins du maintien d'une distinction entre le vol domestique et le vol simple.
Je dis que supprimer la disposition qui préserve les familles contre les méfaits auxquels elles sont exposées chaque jour, ce serait aller à rencontre des premiers éléments de la société.
M. Coomans. - Messieurs, le sujet est si grave, que je n'hésite pas à prolonger le débat de quelques instants, malgré le discours si concluant qu'a prononcé l'honorable M. Nothomb ; je dois une réponse à l'honorable M. Pirmez.
L'honorable rapporteur signale des inconséquences dans notre thèse ; peut-être n'est-elle pas parfaite ; mais j'en trouve beaucoup plus dans la sienne. Il proclame en quelque sorte comme un principe que lorsqu'on n'est pas forcé d'avoir confiance dans un individu, il n'y a pas de sa part, en cas de vol, une circonstance aggravante.
Cela n'est vrai ni en principe ni en fait.
L'honorable M. Nothomb a répondu immédiatement que les comptables publics étaient punis beaucoup plus fortement que d'autres citoyens, en cas de malversation.
Cependant, le fait du receveur est bien plus pertinent que celui d'un domestique. S'il est vrai que j'aie la faculté de choisir entre un certain nombre de domestiques, je n'ai pas cette faculté, en ce qui concerne le receveur ou d'autres fonctionnaires qui sont investis du droit de recevoir mon argent ou des dépôts.
A cet argument, il n'y a pas à répondre.
Le fait est que ce n'est pas ce principe qui règle la peine ; ce n'est pas même uniquement la criminalité de l'agent, quoique évidemment le degré de criminalité, d'immoralité du malfaiteur doive influer sur la fixation de la peine ; mais il n'y a rien d'absolu dans nos lois pénales ou civiles.
Nous avons égard aussi à l'intérêt public, à l'intérêt des familles. Si vous punissez plus fortement le notaire et le comptable que d'autres citoyens, c'est qu'il y va d'un intérêt public, d'un intérêt qui sort du cercle individuel, pour ainsi parler ; et chaque fois que la loi peut sauvegarder un grand intérêt public, celui de la famille, par exemple, elle élève le degré de la peine, et elle a raison.
Aux divers arguments présentés par l'honorable M. Nothomb, pour prouver que le domestique doit être puni plus sévèrement que le voleur étranger, j'ajouterai celui-ci : c'est que le domestique voleur compromet des tiers ; il compromet d'autres domestiques, même des enfants ou des parents qui peuvent être soupçonnés injustement.
La loi donc, en punissant exceptionnellement le domestique, sauvegarde également les autres domestiques. Cet homme-là n'a pas compromis sa personne seulement, il en a compromis d'autres, il a compromis un grand intérêt que nous devons sauvegarder, celui de la pureté du foyer domestique.
Il importe que dans une famille où il y a des femmes et des enfants, il n'entre que des domestiques probes, il faut que le domestique sache que s'il est admis au foyer d'une famille, il est obligé à des devoirs plus grands, plus spéciaux que lorsqu'il vit de sa vie propre, isolément.
Voilà donc une des principales raisons, selon moi, qui nous obligent à conserver les différences de pénalité inscrites dans le Code actuel.
L'honorable M. Nothomb semble avoir scandalisé quelques membres de l'assemblée en disant que plus la tentation est grande, plus la peine doit être sévère. Je prétends que ce principe est rigoureusement vrai, mais à cette condition essentielle : qu'il faut distinguer entre les tentations.
Il y a de bonnes tentations et il y en a de mauvaises. Les bonnes tentations sont celles qu'a citées l'honorable M. Pirmez pour détruire les arguments de l'honorable M. Nothomb.
Que disons-nous ? Que le domestique qui abuse de la confiance de son maître, en s'appropriant une partie de son avoir, a obéi à une mauvaise tentation, à une tentation constante, et que par conséquent il faut prémunir la famille contre cette tentation immorale et dangereuse.
Et que nous objecte l'honorable M. Pirmez ? Un individu qu'on provoque est tenté aussi de se venger, de se battre !
Et bien, cette tentation est bonne et généreuse ; si je suis provoqué, insulté, je n'obéis pas à une mauvaise tentation en repoussant une attaque injuste ; j'obéis à une tentation naturelle, honnête ; je pourrai, par là, il est vrai, m'exposer à l'application d'autres articles du Code. Mais cette tentation honnête, il ne faut pas la mettre sur la même ligne que la tentation du voleur.
Second exemple très sophistique cité par l'honorable M. Pirmez.
« Mais, dit-il, le mari qui tue flagrante deliclo l'amant de sa femme, subit aussi une grande tentation ; avec votre système, il faudrait le punir beaucoup plus fortement que l'assassin ordinaire. »
Mais, messieurs, encore une fois la tentation à laquelle obéit le mari est bonne, honnête, vertueuse même ; il peut en abuser, il peut exagérer sa vengeance ; mais cette tentation est très excusable, et la preuve c'est que vous n'auriez que du mépris pour un homme qui, dans une pareille situation, ne serait pas tenté .. je dis tenté de témoigner son indignation.
Messieurs, il ne s'agit que de distinguer, vous le voyez bien. Quand nous invoquons la théorie des tentations, nous distinguons les bonnes des mauvaises. L'honorable M. Pirmez les confond. Il a tort.
Mon honorable ami M. Van Overloop vous a cité des chiffres, desquels il résulte officiellement que le nombre des vols domestiques n'a pas diminué ; au contraire.
(page 832) L'honorable ministre de la justice a interrompu immédiatement l'honorable M. Van Overloop pour lui dire : « Voilà ce qui vous condamnez » et l'honorable M. Pirmez, parfaitement d'accord avec l'honorable ministre de la justice, a développé plus longuement cette interruption et a soutenu que le nombre de vols domestiques augmentant sous la législation différentielle d'aujourd'hui, il fallait diminuer la peine plutôt que de l'aggraver ; car, dit l'honorable membre, puisque avec une peine sévère vous n'êtes pas parvenu à prévenir ces crimes, il faut changer votre législation et diminuer la peine.
Mais, messieurs, ce raisonnement est fort étrange, digne de la théorie du reste.
Si chaque fois que certains crimes se multiplieront vous deviez diminuer la gravité de la peine, et vous devez le faire ou vous êtes inconséquents....
M. Pirmez. - Pas du tout.
M. Coomans. - Voulez-vous vous expliquer ?
M. Pirmez. - Je n'ai jamais prétendu que, chaque fois que certains crimes se multiplient, il faut diminuer la peine. Ce que j'ai soutenu, c'est que la véritable répression consiste dans une juste proportion de la peine avec la criminalité du méfait.
Si la peine est trop faible en égard à l'infraction, il faut l'augmenter ; si au contraire elle est trop rigoureuse pour qu'elle puisse être sérieusement et généralement appliquée, il est nécessaire de diminuer la peine pour obtenir une répression plus certaine.
M. Coomans. - J'avais très bien compris l'honorable M. Pirmez ; je n'ai pas dit aujourd'hui ce qu'il vient de dire, parce que je l'ai dit hier.
J'ai dit hier que je considérais comme la meilleure peine, non pas la plus forte, mais celle qui peut être le plus efficacement, le plus généralement, et le plus inévitablement appliquée.
Voilà les bonnes peines. Ce n'est donc pas sur ce point que nous différons.
Mais il m'avait paru que les deux honorables défenseurs du projet que nous examinons croyaient que lorsque sous une législation pénale les crimes ou les délits augmentaient, c'était la preuve que la pénalité était trop sévère.
Si telle n'était pas la pensée des honorables membres, il ne fallait pas se donner la peine d'interrompre l'honorable M. Van Overloop parce que les chiffres qu'il citait tendaient à cette démonstration-ci : à savoir que le nombre des crimes n'ayant pas diminué, il n'y avait pas lieu de diminuer la peine.
Il ne fallait pas non plus, dès lors, démentir l'autorité de M. Bérenger, président de la cour de cassation de France et lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques.
Du reste, messieurs, si la théorie que je combats en ce moment pouvait être vraie, vous arriveriez de progrès en progrès à supprimer le Code pénal tout entier.
Plus il y aurait de malfaiteurs, moins il y aurait de peines, ou à coup sûr moins les peines seraient élevées.
Si cette théorie avait quelque fondement, il faudrait commencer, cela est clair, par abolir la peine de mort.
A en croire certains théoriciens, on dirait vraiment que l'élévation d'une peine est une sorte d'appât pour les malfaiteurs, de manière que plus les peines sont fortes, plus le nombre des malfaiteurs augmente. Cela doit être vrai ou votre système ne l'est pas. Ce n'est pas la gravité de la peine qui dans aucun cas puisse faire augmenter le nombre des malfaiteurs, c'est l'impunité.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comme conséquence de l'exagération des peines.
M. Coomans. - Voilà ce qui est à démontrer. Nous arrivons au véritable point du débat, mais M. le ministre devrait prouver que l'augmentation du nombre des vols domestiques officiellement constatés dans son département provient de l'impunité relative des auteurs de ces vols.
Je doute que M. le ministre de la justice apporte cette preuve-là.
Je ne crois pas que nos tribunaux considèrent comme trop élevées les peines dont sont frappés aujourd'hui les vols domestiques.
Je bornerai là pour le moment mes observations.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Nothomb a commencé son discours en faisant observer que le projet que nous discutons n'est pas la meilleure solution à donner à la réforme de nos lois pénales.
Je ne sais pas si c'est plus spécialement à moi que s'adresse ce reproche.
M. Nothomb. - Du tout !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il serait peu juste de la part de l'honorable M. Nothomb, qui a lui-même présenté dans le temps, je pense, le premier titre du livre que nous discutons en ce moment.
En tous cas, je ne puis être de son avis. L'honorable M. Nothomb eût voulu que la réforme se bornât à atténuer les peines, à donner une solution aux doutes que le texte actuel peut présenter, à combler toutes es lacunes et à mettre le Coda en harmonie avec nos institutions actuelles.
Du moment qu'il fallait remplir ce programme, il n'y avait pas un seul article du Code pénal auquel il ne fallût toucher ; il y avait donc utilité à présenter un Code nouveau complet ; car on pouvait adopter ainsi une classification plus logique que celle qui est suivie par le Code actuel.
Maintenant, messieurs, j'entre dans le fond du débat qui a un côté moral, théorique, et un côté pratique, celui de la répression.
Je ne m'occuperai pas de la question au point de vue théorique, elle a été épuisée, à mon avis, par l'honorable M. Pirmez.
Me plaçant au point de vue pratique, de la répression, je crois pouvoir démontrer de la manière la plus évidente que l'amendement de l'honorable M. Nothomb aurait les plus fâcheuses conséquences.
La Chambre sait, messieurs, que le Code actuel punit le vol domestique de la réclusion. La Chambre sait aussi que, par une loi de 1838, les cours et les tribunaux ont été investis du droit de correctionnaliser ce crime, de renvoyer les accusés devant les tribunaux correctionnels.
Nous pouvons donc faire une comparaison entre la situation à l'époque où les cours d'assises devaient connaître de ces faits et ce qui se passe depuis que les cours et les tribunaux sont investis du droit de renvoyer devant les tribunaux correctionnels. J'ai examiné cette statistique, et voici ce qu'elle constate :
Pendant les années 1831 à 1838 inclusivement, pendant une période de huit ans par conséquent, avant que les faits ne pussent être correctionnalisés, le nombre des accusés de vol domestique, n'est en moyenne que de soixante et douze par année. En 1838, la loi attribue aux cours et tribunaux le droit de renvoyer le jugement de ces faits aux tribunaux correctionnels, et d'appliquer des peines correctionnelles, et pendant une période de huit ans, de 1840 à 1847 inclus, le nombre des individus poursuivis du chef de vol domestique s'élève, en moyenne, à cent cinquante et un.
Il est évident que la loi de 1838 n'a pas eu pour effet de doubler le nombre des délits, mais il me paraît incontestable qu'en présence d'une juridiction moins élevée et de peines moins sévères, les maîtres se sont décidés à dénoncer les faits dont ils étaient victimes, fait, qui, avant la loi de 1838, restaient pour la plupart cachés à la justice.
Avant 1838, la répression était paralysée, énervée par l'exagération de la peine que prononçait la loi.
D'une part, je viens de le prouver, les faits n'étaient pas portés à la connaissance de la justice, et d'autre part, je vais le démontrer, les acquittements étaient trop nombreux.
Pendant la période de 1831 à 1838, le nombre des acquittements est de 31 p. c. Dans !a période qui suit, de 1841 à 1847, les acquittements descendent à 14 p. c.
Ainsi, vous le voyez, avec une peine moins forte, avec la juridiction correctionnelle, vous obtenez une répression plus sérieuse que quand le fait est de la compétence de la cour d'assises.
Il serait inexact, à mon avis, de dire que le nombre des vols domestiques a augmenté.
Je ne suis pas disposé à le croire ; je suis, au contraire, convaincu qu'aujourd'hui les délits sont non pas commis, mais constatés en plus grand nombre ; la police est mieux organisée, plus active, et en présence de peines moins sévères, les maîtres sont plus disposés à dénoncer à la justice les méfaits dont se rendent coupables les domestiques infidèles.
Si vous admettez l'amendement de M. Nothomb, vous rétablirez la situation d'avant 1838 ; d'un côté les faits ne seront plus dénoncés, et vous vous exposez à voir des acquittements qui produisent le plus pernicieux effet.
L'honorable M. Nothomb nous a dit que la conscience générale, la conscience publique trouvait que la peine de l'emprisonnement prononcée contre le fait du vol domestique était insuffisante. L'honorable M. Coomans vient d'ajouter que les tribunaux en Belgique ne trouvaient pas la peine de la réclusion trop sévère.
M. Coomans. - Avec la faculté de correctionnaliser.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si les tribunaux doivent correctionnaliser tous les faits...
(page 833) M. Coomans. - Pas tous.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - ... il et plus raisonnable de le faire par la loi.
Je dirai que les cours correctionnalisent à peu près tous les faits ; les renvois devant les cours d'assises sont dans une proportion de 2 1/2 p. c. et dans les affaires renvoyées une grande partie des accusés sont récidivistes.
Sur 5,661 accusés depuis 1830 à 1859,145 seulement ont été jugés par les cours d'assises et 5,516 par les tribunaux correctionnels ; je demande si ce n'est pas là la preuve la plus évidente qu'aux yeux de la magistrature la peine de l'emprisonnement est suffisante et en. rapport avec la nature du délit ?
En ce qui concerne les hôteliers, les aubergistes, les voituriers et les bateliers, dont l'honorable M. Nothomb s'occupe dans la seconde partie de son amendement et qu'il veut également punir de la réclusion en cas de vol, la statistique depuis 1840 ne fait pas mention d'une seule affaire qui aurait été renvoyée devant les cours d'assises ; toutes ont été renvoyées devant les tribunaux correctionnels ; voilà donc l'appréciation unanime de la magistrature sur cette partie de la disposition proposée.
M. Nothomb. - Je crois que la loi de 1832 a soumis ipso facto ses faits aux tribunaux correctionnels.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, la loi de 1832 s'occupait du vol commis dans un hôtel par celui qui y était reçu.
Ainsi d'après des faits établis de la manière la plus incontestable, depuis que les vols domestiques ont été généralement renvoyés devant les tribunaux correctionnels, la répression a augmenté.
M. Wasseige. - Les délits ont augmenté.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comment ! voulez-vous prétendre qu'alors que de 1831 à 183S le nombre des délits a été annuellement à peu près le même, la simple disposition de la loi de 1838 qui a donné aux cours et tribunaux le droit de correctionnaliser a eu pour effet de doubler tout d'un coup le nombre des vols domestiques ? Est-ce là ce que vous voulez prétendre ? Je doute fort que personne accepte votre opinion sur ce point, la loi n'a pas pu être un encouragement pour les voleurs qui redoutent plus les tribunaux correctionnels que les cours d'assises.
Je crois que cette question doit surtout être envisagée au point de vue pratique et c'est de ce point de vue que nous devons surtout nous occuper, car il s'agit ici, non pas d'aggraver une peine, mais de la maintenir dans des limites plus douces. .
Je comprends qu'on ne doive pas aggraver une peine simplement au point de vue de l'utilité. Mais lorsqu'il s'agit au contraire de la diminuer, lorsque l'on peut avoir à la fois une peine plus douce et une répression plus efficace, il ne faut pas hésiter.
M. Tack. - Je ne compte pas, pour le moment, rentrer dans le fond du débat. Je veux seulement présenter à la Chambre et à l'honorable ministre de la justice une considération tirée d'un autre ordre de faits.
Je me demande si, en rangeant le vol domestique dans la catégorie des vols simples, en reconnaissant formellement le caractère d'abus de confiance au détournement fait par un domestique, un serviteur à gages, un commis des deniers, effets, objets qui lui ont été confiés par son maître, on a bien songé aux conséquences qui devaient résulter de cette innovation au point de vue de nos lois sur l'extradition.
La corrélation établie entre la loi du 1er octobre 1833 et le Code pénal de 1810, n'est-elle pas entièrement détruite dès qu'on assimile ainsi le vol domestique au vol simple, qu'en outre, contrairement à la jurisprudence de la cour de cassation, on donne le caractère d'abus de confiance à des faits de détournement qu'on avait jusqu'ici coutume d'envisager comme des vols qualifiés ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous ne leur donnons pas ce caractère. On maintient le vol domestique. Une tombe pas sous l'application de l'article qui punit l'abus de confiance.
M. Tack. - Vous lui donnez la caractère d'un délit simple, tandis qu'en vertu du Code pénal en vigueur il avait celui de crime.
Or, remarquez que dans vos conventions d'extradition, notamment dans celle conclue avec la France, le vol qualifié seul peut donner lieu à l'extradition. Il n'en est pas de même du vol simple.
Par conséquent qu'un domestique passe la frontière et se rende en France muni de la caisse de son maître ; que l'employé d'une maison de banque s'empare du portefeuille, ce portefeuille contient-il 100,000 fr., vous ne pourrez faire extrader ce domestique ni cet employé, puisqu'ils n'auront commis qu'un vol simple.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nos traités ne sont pas immuables.
M. Tack. - Je le sais bien, mais voilà pour le moment les conséquences inévitables du principe que vous soutenez.
La loi du 30 décembre 1836 permet d'exercer des poursuites contre le Belge qui s'est rendu coupable, hors du territoire, d'un crime perpétré contre un étranger, seulement lorsqu'il s'agit d'un des crimes spécifiés pur la loi de 1833. Eh bien, supposez un cas analogue à celui que je citais tantôt ; un Belge commis dans une maison de banque en France, par exemple, à Lille, s'empare d'un portefeuille contenant des valeurs considérables rentre en Belgique. Il restera complètement impuni. Vous ne pouvez pas l'extrader, vous ne livrez à l'étranger que des étrangers et non pas des régnicoles ; vous ne pourrez pas non plus le poursuivre en Belgique parce qu'il se sera simplement rendu coupable d'abus de confiance.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous changerez votre loi.
M. Tack. - Ainsi à ce point de vue, le système est défectueux, il laisse à désirer.
On changera la loi, comme le dit M. le ministre delà justice. Changerez-vous vos conventions ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.
M. Tack. - Mais pour cela il faut le consentement des gouvernements avec lesquels vous avez traité. Il s'écoulera peut-être bien du temps et en attendant, de grands coupables auront beau jeu.
Peut-être pour éviter ces conséquences, vaudrait-il mieux de revenir, comme le propose l'honorable M. Nothomb, à la loi de 1810, mais je crois qu'il y aurait lieu de compléter l'amendement de M. Nothomb dans le sens de la loi de 1832, et d'assimiler l'abus de confiance domestique au vol domestique.
J'ai seulement voulu présenter ces considérations pour appeler l'attention du gouvernement sur le point que j'ai signalé, et qui me paraît extrêmement important.
M. Nothomb. - Je ne voudrais dire que quelques mots, messieurs, et je nie renfermerai dans la question pratique qui vient d'être traitée par M. le ministre de la justice.
La principale objection que l'on nous fait, c'est que la sévérité trop grande des peines entraîne la non-application de la loi, l'impunité. Elle serait fondée si le vol domestique devait toujours et quand même aboutir à la cour d'assises, mais les tribunaux usent tous les jours de la faculté que leur donne la loi, elle correctionnaliser les crimes.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Faites-le par la loi.
M. Nothomb. - Vous savez aussi bien que moi qu'en pratique cela est impossible, car si votre objection est fondée, elle l'est pour une foule de cas ; vous punissez de la réclusion je ne sais combien de faits qui certainement n'ont pas la gravité du vol domestique.
Ainsi, et je prends mes exemples dans votre propre projet, la seule circonstance de l'emploi de fausses clefs suffit pour entraîner la réclusion.
Or. je le demande, est-ce que, pour tout esprit non prévenu, le domestique qui abuse de la confiance, qui trahit l'hospitalité qu'il trouve au foyer de la famille, qui répand la contagion du mal dans la maison, qui tient école du crime et pervertit parfois serviteurs et enfants, est-ce que ce domestique n'est pas plus criminel que le voleur ordinaire qui n'a employé qu'une fausse clef ? Vous punissez, plus loin, de la réclusion le vol avec simple menace.
Or, je le demande encore, est-ce que ce vol est plus coupable que le vol domestique ?
Lorsque l'un des voleurs a été trouvé porteur d'armes cachées, même lorsqu'il les portait à l'insu des autres, tous, d'après votre projet, devraient être punis de la réclusion. Cependant des armes cachées n'ont pu effrayer personne, et la différence est vraiment énorme.
Je pourrais, messieurs, si l'heure avancée me le permettait, multiplier les exemples et citer bon nombre d'infractions que vous punissez de la réclusion et qui sont moins graves, moins coupables, moins odieuses que le vol domestique, tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel.
Ai-je besoin d'insister, messieurs, sur ce que nous avons déjà dit, et avec tant de raison, des suites déplorables et souvent sans remède, que le vol domestique produit dans la famille ?
Parlerai-je de la défiance qu'il fait tomber sur tous les autres habitants de la maison, et surtout de la contagion du vice, qui porte souvent si loin ?
Plus d'un parmi nous a pu voir par sa propre expérience les dangers qu'entraînent la présence et l'exemple d'un serviteur infidèle qui (page 834) choisit jusque dans les enfants l'instrument de sa cupidité, leur apprend le vol et en fait ses involontaires complices ! Comme magistrat j'ai constaté de ces faits abominables.
Ainsi ,si l'objection, qui consiste à dire que la sévérité des peines entraîne la non-application de la loi, si cette objection est sérieuse, elle l'est dans tous les systèmes, elle l'est dans le vôtre comme dans celui que nous soutenons.
Je dirai à mon tour à l'honorable M. Pirmez qu'il se rend la tâche très facile : il choisit toujours comme exemple le vol domestique de peu d'importance.
Sans doute, quand vous parlez du vol d'une bagatelle, vous avez parfaitement raison, personne, dans ce cas, ne demande la réclusion ; mais c'est précisément pourquoi nous avons l'expédient de la correctionnalisation et des circonstances atténuantes. Mais à mon tour de vous interroger : Que ferez-vous lorsque le vol domestique portera sur des choses d'une grande valeur, quand il sera exceptionnel de gravité, quand il sera répété ?
Dans votre système ces vols ne pourraient jamais conduire qu'en police correctionnelle, ne pourraient jamais entraîner que cinq années d'emprisonnement, peine assurément insuffisante dans ces cas.
L'honorable ministre vient de parler de 5,000 domestiques renvoyés en police correctionnelle, tandis que-145 seulement ont été renvoyés en cour d'assises.
Or, dans votre système ces 145 voleurs fieffés n'encourront qu'un emprisonnement de 5 ans.
Cependant il a fallu des considérations bien puissantes pour que les tribunaux, si enclins d'après vous à l'indulgence, si débonnaires aux vols domestiques, aient renvoyé ces 145 coquins devant la cour d'assises, il a fallu pour cela qu'ils eussent commis de véritables énormités.
Et n'est-ce donc rien que ces 145 voleurs de première classe ? Dans votre système, bien que d'après votre propre et tacite aveu ils méritent une peine plus forte, ils en seront quittes, leurs imitateurs, pour cinq ans de prison et ils pourront, au bout de ce temps, recommencer leurs exploits !
De pareilles conséquences condamnent le système qui les rend possibles.
Je réduis donc la question à son expression la plus simple : avec le système que je défends, le maintien de la législation de 1810, vous avez la possibilité d'atteindre le vol domestique de peines proportionnées à sa gravité, vous maintenez au vol domestique l'incrimination qu'il mérite, vous maintenez une tradition et un frein salutaire ; une crainte utile continuera de peser sur les domestiques tentés de transgresser leur premier devoir : la fidélité ; vous conservez contre ce vol une très grande précaution : le prestige de la cour d'assises.
Voilà ce que vous aurez dans les cas graves et exceptionnels ; la société sera garantie, mais dans les cas ordinaires, vous aurez le système des circonstances atténuantes, qui permet de correctionnaliser l'affaire, et au juge d'appliquer une peine en rapport avec la nature du fait.
En agissant ainsi, vous obtiendrez ce double résultat qui vous échappe dans le système de nos adversaires : de punir, quand il le faut, un fait conformément à la perversité morale qu'il dénote, et en même temps de ne le punir qu'en proportion du mal qu'il aura pu causer. Dans notre système, il y a équilibre, ce qui veut dire : justice vraie ; il n'y en pas dans celui de nos contradicteurs.
M. le président. - Voici un amendement que M. Moncheur a fait parvenir au bureau.
« Le minimum de l'emprisonnement sera de trois mois si le voleur est un domestique, etc. (Le reste comme à l'amendement de M. Nothomb.) »
- Des membres. - A demain.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la commission qui a examiné le Code pénal et la commission qui a examiné le projet de loi sur la propriété artistique et littéraire doivent se réunir de nouveau demain. Je pense qu'il serait bon que la Chambre ne commençât la séance qu'à 3 heures.
M. le président. - Le bureau doit également se réunir demain.
- La Chambre consultée fixe la séance de demain à 3 heures.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.