(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 745) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« La veuve du sieur Mollié demande un congé pour son fils, soldat au régiment des grenadiers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Janssens demande des modifications aux lois sur la police du roulage. »
- Même renvoi.
« Le sieur Eug.-J.-A. Lalieux, demeurant à Ixelles, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
(page 757) M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Petit-Enghien, le 9 janvier 1861, les membres du conseil communal de Petit-Enghien demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, ou du moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles.
Par pétition datée de Tournai, le 27 juin 1860, l'administration communale de Tournai demande la construction d'un chemin de fer direct de Tournai à Lille.
Par pétition datée de Tournai, le 16 février 1861, le conseil communal de Tournai demande la construction soit par l'Etat, soit par voie de concession, d'un chemin de fer direct d'Ath à Hal, et d'une ligne directe de Tournai à Lille.
Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de présenter des rapports sur des pétitions relatives à ces chemins de fer. Voici ce que je disais dans mon rapport du 24 janvier dernier :
« C'est une des plus utiles et des plus nécessaires de toutes les demandes qui ont été présentées jusqu'à présent.
« Votre commission, pénétrée des grands avantages qu'offrirait la construction de ce chemin de fer, a l'honneur de vous proposer le renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics, en lui recommandant cette affaire de la manière la plus pressante. »
Je n'ai rien à ajouter, messieurs, à ces considérations. Comme elle l'a fait précédemment, votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
(page 745) M. J. Jouret. - Messieurs, il est à remarquer que les signataires de la première des pétitions qui font l’objet du rapport de l’honorable M. Vander Fonckt, paraissent avoir la certitude que le projet du chemin de fer de Bruxelles à Louvain fera nécessairement partie du projet de travaux publics qui sera présenté sous peu à la Chambre. Je désirerais vivement que leur opinion fût fondée, mais d’après les renseignements que j’ai reçus, je crains qu’iol n’en soit pas ainsi.
Cependant, messieurs, toutes les considérations sur lesquelles les pétitionnaires se sont appuyés pour faire comprendre leur position à la Chambre subsistent et elles méritent au plus haut degré qu'on y ait égard. Il est plus que temps de tirer la ville d'Enghien et les populations environnantes de l'état d'isolement où elles se trouvent.
J'ai pris la parole pour engager le gouvernement à comprendre, si c'est possible, et j'ai tout lieu de croire que cela le sera, dans son projet de travaux publics, l'un ou l'autre des chemins de fer transversaux qui sont depuis si longtemps à l'étude, ceux notamment de Braine-le-Comte vers Gand, ou de Braine-le-Comte vers Courtrai, à présenter l'un ou l'autre de ces projets de chemin de fer, soit à l'aide de la garantie d'un minimum d'intérêt, soit à l'aide de l'exploitation par l'Etat, afin de tirer ces populations de la malheureuse position où elles se trouvent.
J'ai dit précédemment que la position de la ville d'Enghien était en quelque sorte analogue à celle de la ville de Tongres, j'ai déclaré que j'étais disposé à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour tirer cette ville de sa fâcheuse situation.
II est tout naturel que je porte un intérêt bien plus vif à la position de la ville d'Enghien, et je saisirai toutes les occasions qui se présenteront pour mettre un terme à cette position tout exceptionnelle.
Cela n'empêche pas que si le projet de chemin de fer direct de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française pouvait être présenté, nous nous montrerions tout aussi favorables à la construction de ce chemin de fer qui produirait également les plus grands avantages au pays.
M. Crombez. - Messieurs, je viens appuyer les pétitions du conseil communal de Tournai qui demande la construction de chemins de fer directs de Tournai à la frontière française, d'Ath à Hal par Enghien, et de Bruxelles à Louvain.
Ces redressements ont pour but de satisfaire, non seulement à des intérêts locaux très considérables, mais aussi aux intérêts généraux du pays, et à ces différents titres, ils méritent toute l'attention du gouvernement et de la législature.
Comme d'honorables collègues vous l'ont souvent démontré dans cette enceinte, le redressement de la grande ligne de Louvain à la frontière française est nécessaire, si nous voulons conserver le transit de l'Allemagne vers l'Angleterre par Calais.
De plus, c'est un acte de justice et de réparation que les pétitionnaires réclament en faveur des villes de Tournai, d'Enghien et de Louvain.
Il est évident que si, dans le principe, on avait pu prévoir l'extension que prendrait le réseau du chemin de fer, nous aurions eu immédiatement des tracés directs de la capitale vers les chefs-lieux des provinces et vers les villes qui, comme Louvain et Tournai, ont une importance aussi considérable que les chefs-lieux.
Ainsi, en ce qui concerne la province de Hainaut, au lieu d'avoir une ligne se dirigeant vers Jurbise et bifurquant de là vers Mons et vers Tournai, on aurait eu une ligne directe vers Mons et une ligne directe vers Tournai passant par Enghien.
Pour la ville de Tournai surtout, la ligne par Jurbise présente un grand détour et occasionne une grande perte de temps et d'argent. J'appelle donc toute l'attention du gouvernement sur les redressements dont il s'agit. Je reconnais que les recettes des chemins de fer de l'Etat en souffriront un peu dans le commencement, mais il faut savoir faire un sacrifice momentané pour obtenir plus tard une plus grande somme de revenus et une augmentation de la richesse publique.
- Personne ne demandant plus la parole, le renvoi à M. le ministre des travaux publics, tel qu'il est formulé par la commission, est mis aux voix et adopté.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition, datée de Mertenne, le 27 janvier 1861, des habitants de Mertenne demandent que ce village soit séparé de Castillon, pour former une commune distincte.
La commission se borne à proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec prière d'examiner jusqu'à quel point sont fondés les motifs allégués par les pétitionnaires.
- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est ordonné.
(page 745) M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Charleroi, le 6 février 1861, des habitants de Charleroi et des communes circonvoisines demandent l'augmentation de la gendarmerie dans ce canton, et prient la Chambre d'examiner s'il ne conviendrait pas de fusionner un régiment de cavalerie dans ce corps, dont la solde pourrait être augmentée.
Messieurs, les pétitionnaires s'attachent à signaler la position précaire dans laquelle ils se trouvent. Ils vous disent que leurs personnes et leurs propriétés ne sont plus en sûreté, que les actes de dévastation et de brigandage ont lieu à des jours très rapprochés dans ce canton encombré d'une population flottante et nomade, très nombreuse.
Ce canton mérite spécialement l'attention du gouvernement. Il y a lieu de prendre des mesures exceptionnelles, pour pouvoir y exercer une répression convenable et y faire respecter la police comme elle devrait l'être, surtout dans le temps où nous vivons, et comme elle l'est dans toutes les autres localités.
Dans l'arrondissement de Charleroi, il semble que l'impunité soit assurée aux hommes mal intentionnés, qui semblent s'y être donné rendez-vous.
Votre commission, messieurs, s'est oernée à vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l'intérieur, de la justice et de la guerre.
(page 745) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je crois que les pétitionnaires auraient mieux à faire que de s'adresser à la Chambre.
Je suis convaincu que les pétitionnaires devraient commencer par s'adresser à leurs autorités locales. C'est là, je crois, messieurs, qu'il faut d'abord chercher le remède à la situation qui existe dans l'arrondissement de Charleroi.
M. Nothomb. - De quoi s'agit-il ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il s'agit d'une pétition d'habitants de l'arrondissement de Charleroi qui demandent la création de nouvelles brigades de gendarmerie.
Vous n'ignorez pas, messieurs, qu'il est deux espèces de polices : la police administrative ou préventive, comme on l'appelle, et la police répressive. La première est, d'après nos lois, dans les attributions des autorités locales ; la seconde est dans les attributions du gouvernement spécialement des autorités judiciaires.
Vous n'ignorez pas non plus, messieurs, qu'en ce qui concerne la police préventive les agents sont les uns au choix des communes, les autres à leur présentation, de sorte que l'action du gouvernement est tout à fait restreinte et pour ainsi dire nulle. (Interruption.)
Vous n'ignorez pas enfin que ce sont les communes qui fixent les traitements et que de l'élévation des traitements dépend à un haut degré le choix des agents qu'on peut avoir.
La vérité c'est que la police administrative sans laquelle la police répressive ne peut jamais agir en quelque sorte avec efficacité, c'est que la police préventive dans la plupart des communes de l'arrondissement de Charleroi n'existe à aucun degré. Cette police n'existe pas et quand (page 746) la police répressive veut agir, quand elle recherche les éléments nécessaires pour arriver à la découverte des crimes et délits, elle se trouve complètement impuissante.
Ainsi, messieurs, vous avez dans l'arrondissement de Charleroi des communes qui comptent de 12,000 à 15,000 âmes de population, dont une grande partie est flottante sans domicile fixe.
Pensez-vous, messieurs, qu'il y ait là seulement un registre de population convenablement tenu ? Pas du tout.
Il y a des gens qui séjournent dans ces communes pendant six mois, une année et qui ne figurent pas même sur les registres de la population.
Or, quand un crime ou un délit se commet, lorsque la justice se présente, le premier élément d'information est de savoir au moins quels sont les habitants de la commune, quels sont les habitants qui à raison de leurs antécédents, de leur manière de vivre, peuvent être soupçonnés d'avoir commis les crimes et les délits ; quels sont les antécédents surtout des individus qui constituent la population flottante de la commune.
Eh bien, tous ces renseignements manquent complètement aux parquet 'et ceux-ci sont dans l'impossibilité absolue de diriger les poursuites avec quelque espoir de réussir.
Voilà, messieurs, où est le défaut, où est le vice, et ce n'est pas par l'établissement de quelques brigades de gendarmerie de plus qu'on y remédiera.
On n'y remédiera qu'en établissant d'abord des registres de population parfaitement tenus, surtout en ce qui concerne la population flottante, et, ensuite, en instituant une bonne police administrative qui puisse renseigner toujours l'autorité judiciaire sur les antécédents, la manière de vivre, les relations des habitants de la commune. Quand cela sera fait, dès qu'un crime ou un délit sera commis, la police répressive, la gendarmerie, les parquets auront les éléments nécessaires pour arriver à la découverte dos coupables et à la répression des crimes ou des délits.
On se plaint, messieurs, de ce que, dans certaines localités et notamment dans les grandes villes, les habitants sont beaucoup plus à l'abri de faits de la nature de ceux qui se sont produits dans l'arrondissement de Charleroi.
Mais ou oublie les sacrifices que font les habitants de ces localités pour assurer leur sécurité.
Ainsi, prenons Bruxelles pour point de comparaison ; c'est la ville où la police coûte le plus cher. Eh bien, la police à Bruxelles coûte 2 fr. 60 par tête d'habitant.
La moyenne des dépenses faites par les villes du pays pour la police, se monte à environ 1 fr. 20 par tête d'habitant. Si maintenant je prends la dépense faite pour la police par les communes de l'arrondissement de Charleroi, par Jumet et par Gilly, par exemple, où ont été commis le plus grand nombre de crimes et de délits depuis deux ou trois ans, voici ce que je trouve :
La commune de Gilly, qui compte une population de 12,666 âmes, dépense pour sa police 2,500 francs par an, soit environ 19 centimes par tête d'habitant ; la commune de Jumet, dont la population s'élève à 12,964 âmes, dépense 2,000 francs pour sa police, c'est-à-dire 15 centimes par tête d'habitant.
Voilà, messieurs, la somme des sacrifices que font ces communes dans l'intérêt de leur sécurité ; tandis qu'à Bruxelles, je le répète, la police coûte fr. 2-60 par tête d'habitant. Il faut être juste ; si l'on veut jouir d'une sécurité complète, il faut s'imposer les sacrifices nécessaires.
D'un autre côté on ne peut pas priver le gouvernement de toute espèce d'action, on ne peut pas le priver du droit de faire la police préventive et en même temps le rendre responsable. On ne peut pas non plus faire faire la police aux frais des contribuables dans certaines communes par des agents payés par l'Etat dans certaines autres. Cela serait souverainement injuste.
Je le répète, ce qu'il y a à faire d'abord et, sous ce rapport, depuis plusieurs mois je suis en correspondance très suivie sur tous les faits qui se passent dans l'arrondissement de Charleroi, avec mes honorables collègues de l'intérieur et de la guerre ; la première chose à faire, c'est d'établir dans les communes populeuses de l'arrondissement de Charleroi une bonne police administrative, et en même temps de tenir des registres de population d'une manière convenable, afin de procurer à la police répressive les éléments qui lui sont nécessaires pour arriver à la répression des crimes et délits.
(page 757) M. Vander Donckt, rapporteur. - Votre commission, messieurs, s'est spécialement occupée de cette pétition et dans le sein de la commission on a agité la question de savoir si ce qui est arrivé dans l'arrondissement de Charleroi n'est pas un des plus forts arguments qui militent en faveur des mesures à prendre pour introduire, dans la réorganisation judiciaire que nous attendons depuis un grand nombre d’années, des mesures, dis-je, qui investissent les commissaires de police chargés des fonctions judiciaires auprès des tribunaux de paix, d’un pouvoir non pas communal mais cantonal, comme on le proposait dans le projet de loi qui a été élaboré par M. Faider et présenté par l’honorable M. Nothomb où il était question de créer une espèce de substitut de procureur du roi dans les communes qui correspondraient avec les procureurs du roi et entretenir une correspondance suivie et exacte afin de faire respecter les lois et arrêtés dans ces localités, et donner à ces agents plus de facilité pour découvrir et poursuivre les délits qui s’y commentent.
Nous croyons qu'il y a quelque chose à faire, que la police dans nos campagnes en général est très mal faite, qu'il faudrait absolument prendre des mesures.
Tout en rendant justice aux observations judicieuses de M. le ministre sur la police administrative, je pense qu'il y a autre chose à faire ; c'est de faire une loi qui institue les commissaires de police, des agents ayant une surveillance non pas bornée à la circonscription de la commune, mais s'étendant à tout le canton.
Car quand un crime est commis dans une commune et qu'il faut en poursuivre les auteurs dans une commune voisine, l'action de la justice est entravée.
Ce n'est que là que gendarmerie peut faire quelque chose, car c'est surtout dans les petites communes qu'une surveillance active fait défaut et c'est là que les malfaiteurs se cachent de préférence pour éviter cette surveillance.
Il faudrait que M. le ministre s'engageât à examiner cette question dans le projet d'organisation judiciaire qui nous sera soumis prochainement.
(page 746) M. Rodenbach. - Je suis de l'opinion de M. le ministre de la justice ; dans les communes bien organisées, il y a des registres pour la population ; j'en sais quelque chose ; dans la commune que j'habite, il y a des registres parfaitement en règle ; quand il nous survient des hommes suspects, la police les surveille ; on sait qui vient prendre domicile dans la commune.
Dans les villes de cinq mille âmes et par cinq mille âmes de population il doit y avoir un commissaire de police.
Dans des communes de l'arrondissement de Charleroi ayant une population de 12 à 15 mille âmes, il n'y a qu'un commissaire de police, tandis que dans les grandes villes de 20 mille âmes, il y a des commissaires de police adjoints que la commune doit payer.
Pour la police agricole on sait qu'elle est faite par les gardes champêtres. Dans l'arrondissement de Charleroi, il y a des communes rurales de 15 mille âmes qui n'ont que deux gardes champêtres.
La commune propose les candidats et c'est le gouverneur qui nomme ; si, au lieu de deux on en avait trois ou quatre, on aurait une bonne police, en y joignant la gendarmerie.
Quant à ce qu'a dit l'honorable rapporteur, qu'on devrait avoir des commissaires de police cantonaux, le gouvernement devrait participer à la dépense.
Aujourd'hui quand un délit, quand un vol se commet dans la banlieue, dans les communes circonvoisines, le commissaire de police se rend avec le garde champêtre sur les lieux ; il se joint aux autorités, et on se prête mutuellement du secours. On fait des recherches partout. Cette police se fait très bien.
On pourrait peut-être augmenter le nombre des gardes champêtres. Mais si, comme M. le ministre l'a dit, la police dans l'arrondissement de Charleroi n'est pas suffisante, c'est aux communes à faire des sacrifices, à organiser leur police. Ce sont les communes qui sont en défaut. C'est un excès d'économie, pour ne pas l'appeler autrement, dont elles doivent porter les conséquences. Il est peut-être trivial de le dire, mais elles ont de la police pour leur argent.
M. H. Dumortier. - Ce qui se passe depuis quelque temps dans l'arrondissement de Charleroi a attiré à juste titre l'attention du public et doit avoir attiré l'attention du gouvernement.
L'honorable ministre de la justice, ainsi que vient de le dire l'honorable M. Rodenbach, a grandement raison de dire qu'avant de recourir au gouvernement, il faut que les communes aient rempli tous leurs devoirs.,
Mais si les administrations communales ne remplissent pas leur devoir, on a oublié, me semble-t-il, de dire qu'il y a quelqu'un qui peut et qui doit les y rappeler, et ce quelqu'un, c'est le gouvernement.
L'article 93 de la loi communale porte que le collège des bourgmestre et échevins est chargé de la tenue des registres de l'état civil.
Tout le monde sait quels sont les efforts qui ont été faits depuis longtemps par le gouvernement pour que les communes aient leurs registres de population parfaitement tenus.
Eh bien, si, dans le canton de Charleroi, les administrateurs communaux ne veulent pas se soumettre et à la loi d'abord et à tous les avertissements qui leur ont été donnés, il y a dans la loi communale un autre article qui dit que le Roi peut, pour inconduite notoire ou pour négligence grave, suspendre ou révoquer les bourgmestres après les avoir préalablement entendus, et je crois que, dans ces circonstances où des faits graves viennent alarmer à tous moments les populations, si, comme le dit M. le ministre de la justice, les autorités communales se refusent à remplir leur devoir, c'est au ministre de l'intérieur à agir. Je crois qu'il y a là quelque chose à faire, sans attendre la réorganisation judiciaire qui pourrait encore être ajournée pendant quelque temps. Ces faits sont trop graves pour qu'on ajourne les mesures à prendre.
J'engage donc vivement M. le ministre de l'intérieur à agir très sévèrement à l'égard des administrateurs communaux qui se refuseraient à remplir leur devoir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis parfaitement de l'avis de l'honorable préopinant, qu'il y a quelque chose à faire sans attendre la loi sur la réorganisation judiciaire qui sera, je le dis en passant, présentée dans le courant de cette session, et je n'ai pas attendu jusqu'à présent pour me concerter avec mon collègue M. le ministre de l'intérieur, qui, de son côté, a appelé la sérieuse attention des autorités provinciales sur la situation dont nous nous occupons.
La grande objection en général que l'on rencontre, quand il s'agit d'organiser la police et d'augmenter le personnel des bureaux des administrations communales pour qu'il soit en rapport avec les besoins, est tirée du défaut de ressources.
(page 747) Aussi dès que la loi sur les octrois a été votée, loi qui mettait à la disposition des communes de nouvelles et grandes ressources, je me suis adressé à mon collègue de l'intérieur, l'engageant à profiter de ces circonstances pour faire organiser la police et à faire en sorte que les communes appliquent à cet objet une partie des fonds que la loi relative aux octrois met à leur disposition. Il est urgent de créer dans l'arrondissement de Charleroi une police qui puisse en définitive prévenir les crimes et les délits que nous voyons tous les jours s'y commettre. Je pense que le gouverneur et la députation permanente du conseil provincial ne perdront pas cet objet de vue et qu'au besoin ils imposeront d'office aux communes les obligations que la loi met à leur charge.
Ainsi, messieurs, sans entendre le moins du monde amoindrir les devoirs du gouvernement en ce qui concerne la sécurité publique, je désire que les communes remplissent elles-mêmes les obligations que la loi leur impose et je suis heureux de cette discussion qui apprendra aux communes quelle est leur véritable position ; quant à moi, je déclare que c'est sur les communes que retombe la plus grande partie de la responsabilité de la situation qui existe dans l'arrondissement de Charleroi.
M. de Theux. - En présence de ce que vient de dire M. le ministre de la justice, j'aurais pu, messieurs, me dispenser de prendre part à la discussion.
Je crois qu'en étudiant bien les lois et toutes les ressources que les ministères de la justice et de l'intérieur ont à leur disposition , n parviendra à organiser une bonne police.
Je comprends que dans les temps de calme parfait on se relâche un peu des lois de police, mais dès que les contraventions, les délits et même les crimes se multiplient, les mesures de police constituent l'obligation la plus impérieuse de toutes.
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'approuve en beaucoup de points ce qu'a dit l'honorable ministre de la justice. Je pense, comme lui, qu'il est indispensable que les communes fassent d'abord les dépenses nécessaires pour leur police. Je pense, comme lui, qu'il faut des registres de la population parfaitement tenus. Mais quand M. le ministre vient dire que c'est sur les communes que retombe en grande partie la responsabilité des crimes qui se commettent dans l'arrondissement de Charleroi, alors je ne puis plus partager sa manière de voir.
Je crois, messieurs, qu'il y a dans les pétitions quelque chose qui mérite un sérieux examen ; il est de fait que des crimes déplorables se commettent dans l'arrondissement de Charleroi. C'est réellement une honte pour le pays. Vous avez vu la maison de M. Hannotiau, cernée pendant la nuit, exactement comme au temps des chauffeurs, une maison prise d'assaut, un homme assassiné dans sa chambre à coucher ; tous les abords de la maison étaient gardés et on tirait des coups de fusil aux personnes qui voulaient seulement lever la fenêtre dans les maisons voisines pour voir ce qui se passait.
Ce sont là des faits dont la responsabilité ne peut, certes, retomber sur les communes. Je dis que le gouvernement a aussi sa part de responsabilité, et pour mon compte, je me demande si à raison de l'accroissement considérable qu'ont pris les communes des environs de Charleroi, accroissement tel qu'on a augmenté de deux députés la représentation de cet arrondissement, ce qui représente 80,000 habitants et plus, je me demande si le nombre des gendarmes attribué aux communes dont il s'agit est bien proportionné à leur population actuelle.
Ainsi d'ordinaire il doit y avoir une brigade de gendarmerie dans chaque canton. Eh bien, la commune de Jumet et la commune voisine ont chacune plus de 12,000 habitants, ensemble 25,000, il faut convenir que le chiffre de la gendarmerie dans ces localités n'est pas en rapport avec une population si considérable. C'est là le point principal de la réclamation ; les pétitionnaires demandent précisément qu'on augmente la gendarmerie.
Il y a encore un motif qui me semble de nature à engager le gouvernement à accueillir cette demande ; c'est qu'il y a dans l'arrondissement de Charleroi une population flottante des plus considérables, population qui se recrute principalement de gens condamnés dans d'autres provinces. Ces gens, qui trouveraient difficilement du travail chez eux, vont en chercher dans l'arrondissement de Charleroi. (Interruption.)
En présence de ces faits, je crois que M. le ministre de la justice ferait bien de provoquer la demande d'une légère augmentation de crédit qui permette d'envoyer 10 ou 12 gendarmes de plus dans l'arrondissement de Charleroi.
- Un membre. - On ne peut pas avoir de gendarmes.
M. B. Dumortier. - En les payant bien, on en aurait.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La gendarmerie a été augmentée dans l'arrondissement de Charleroi.
M. B. Dumortier. - M. le ministre a donc été au-devant de mes observations, je l'en remercie.
La discussion actuelle prouvera aux communes qu'elles doivent aussi faire quelque chose, car il y aurait culpabilité de leur part à négliger cette partie si importante de leurs obligations. De son côté le gouvernement doit faire tous ses efforts pour prévenir ces crimes déplorables qui seraient véritablement une honte pour le pays si l'on n'y mettait promptement un terme.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, ce qui se passe dans l'arrondissement de Charleroi constitue, il faut le dire, une exception dans le pays, mais une exception déplorable, une exception qui serait de nature à porter atteinte à l'honneur des habitants, si on pouvait leur imputer les crimes qui se commettent dans leur pays ; mais on sait que le district de Charleroi est en quelque sorte un district américain par le grand développement de son industrie et le grand développement de sa population, formée en partie d'émigrants. Avant ce grand développement, la province de Hainaut était une de celles où l'on constatait le moins de crimes. Avant 1830, le Hainaut se distinguait entre toutes les provinces par le petit nombre de crimes qui s'y commettait. Il y a donc là, messieurs, une exception fâcheuse, qui porte en quelque sorte atteinte à la considération de cette partie de la province.
Cet état de chose a éveillé l'attention du gouvernement ; la Chambre n'en doute pas ; les départements de la justice, de la guerre et de l'intérieur s'en sont préoccupés ; nous avons fait ce que notre devoir nous commandait de faire. Nous avons prescrit la tenue sévère des registres de la population ; nous avons rappelé aussi les dispositions de la loi communale qui remettent au gouvernement les moyens de faire ce que les communes se refuseraient à faire. Nous avons décidé l'établissement d'une brigade de gendarmerie dans l'importante commune de Gilly et plus récemment encore j'ai demandé que l'on augmentât le nombre des gendarmes dans l'arrondissement de Châtierai.
Voici comment les choses se sont passées, car il faut tenir compte des faits. L'arrondissement de Charleroi a pris un développement très considérable ; des communes qui ne comptaient qu'une population de 2,000 âmes, il y a quelques années, ont aujourd'hui une population de 12,000 habitants ; mais elles sont restées à peu près organisées telles qu'elles l'étaient lorsqu'elles n'étaient que de petites communes ; la police locale n'a pas été augmentée proportionnellement à la population. Il faut cependant que la police locale s'accroisse en même temps que la population, et nous savons de quels éléments se compose cette population. Il en est de même de la gendarmerie : elle est restée aussi à peu près ce qu'elle était en 1830 ; il aurait fallu augmenter le nombre des gendarmes, alors que la population s'accroissait.
J'ai sous les yeux un tableau qui prouve que l'arrondissement de Charleroi n'a pas un contingent de gendarmes en rapport avec sa population.
Il est donc juste que le gouvernement y augmente autant que possible le nombre des gendarmes. M. le ministre de la guerre ne demande pas mieux que de renforcer ce nombre. Mais le corps se recrute avec difficulté.
Dans beaucoup d'arrondissements, on réclame une augmentation de gendarmerie ; le département de la guerre ne peut suffire à toutes les demandes qui lui sont faites.
Nous avons aussi rappelé les prescriptions de la loi, au sujet des patrouilles de nuit. Il faut que les habitants se protègent aussi eux-mêmes : c'est la conséquence de la liberté.
La garde civique est tenue de faire des patrouilles de nuit. Ce service a été organisé et paraît avoir déjà produit certains résultats.
Quant aux gardes champêtres, le personnel, il faut le dire, laisse en général à désirer.
- Des membres. - C'est vrai.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quand nous parcourons les tableaux qui nous sont envoyés périodiquement au sujet du service des gardes champêtres, nous y voyons figurer malheureusement un assez grand nombre de communes qui sont mal partagées.
Il y a des vieillards de 75 à 80 ans ; un assez grand nombre ne se distinguent pas non plus par une excessive sobriété. On invoque en leur faveur leurs anciens services, leur état de faimme.
(page 748) Les administrations communales, il faut le dire, ne sont pas en général très énergiques vis-à-vis de leurs subordonnés. Dans beaucoup de communes, un garde champêtre est un personnage qu'on ménage ou qu'on redoute plus ou moins pour telle ou telle éventualité.
Généralement on se montre peu sévère dans les communes pour les agents communaux. Il serait à désirer que sous ce rapport il s'introduisît dans les communes une réforme indispensable. Les communes ont acquis aujourd'hui des ressources nouvelles ; elles sont à même d'accorder une pension aux gardes champêtres dont la pension pourrait égaler le traitement, sans ruiner les communes.
Nous nous préoccupons tellement de l'arrondissement de Charleroi, que le gouvernement, bien qu'il lui répugne d'en venir à de pareilles extrémités, n'a pas hésité, dans une circonstance assez récente, à conseiller à Sa Majesté de ne pas user d'un droit que le Roi a généralement à cœur d'exercer, de ne pas user du droit de grâce ; et malheureusement l'exemple qui a été donné n'a pas suffi pour prévenir d'autres crimes.
Mais je dis avec M. le ministre de la justice que la situation peut changer par l'attitude plus énergique des administrations communales et des populations elles-mêmes ; car il est intolérable pour des populations, d'ailleurs si courageuses, si énergiques au travail, de se voir livrées en quelque sorte à une poignée de criminels qui viennent les atteindre dans leurs personnes et dans leurs biens ; il faudrait qu'il se manifestât au sein de ces populations une résistance plus énergique et que chacun s'empressât de payer de sa personne pour faire cesser de pareils brigandages.
Sous ce rapport, je ne puis assez recommander aux chefs de la garde civique de ces communes de continuer les patrouilles de nuit. J'espère que d'ici à peu de temps, l'état de choses dans l'arrondissement de Charleroi aura cessé ; il n'est pas possible que cet état de choses continue. Nous faisons un appel, sous ce rapport, à l'énergie des administrations communales. Quant au gouvernement, il a fait son devoir, et il continuera à le faire.
M. Ch. Lebeau. - Messieurs, je félicite le gouvernement des mesures qu'il a prises et provoquées dans l'intérêt de la sécurité des personnes et des propriétés dans les communes de l'arrondissement de Charleroi. Il y a quelque chose à faire par les administrations communales, mais il y a aussi quelque chose à faire par le gouvernement, et il l'a tellement compris que tout récemment il a, par un arrêté royal, placé une brigade de gendarmerie dans une des communes les plus importantes de l'arrondissement, dans la commune de Gilly.
Le gouvernement devrait prendre une mesure analogue à l'égard d'autres communes tout aussi populeuses.
Ainsi qu'on vous l'a dit, les communes qui entourent la ville de Charleroi renferment, outre les habitants qui y sont nés, une nombreuse population flottante, composée d'étrangers qui viennent y chercher du travail qu'ils ne trouveraient pas ailleurs. Ces étrangers ont souvent des antécédents fâcheux et exigent une très grande surveillance. C'est pourquoi j'estime avec M. le ministre de la justice que les administrations communales devraient renforcer le personnel de la police et tenir d'une manière très régulière le registre de la population, afin de s'assurer d'une manière exacte de la résidence réelle des personnes qui viennent habiter les communes.
Mais, d'autre part, il y a des malfaiteurs qui s'organisent par bandes dans certaines communes ; et ce ne serait pas la police locale qui pourrait empêcher les désordres déplorables que nous avons vus se commettre tout récemment. Il faut tout naturellement des visites, des rondes de nuit, des patrouilles, et vous comprenez que ces charges très lourdes ne peuvent être imposées aux habitants.
Il me semble que dans ce cas le gouvernement peut faire quelque chose pour la surveillance des propriétés et des personnes dans ces communes où il y a une population flottante composée d'étrangers, et c'est pour ce motif, je pense, que M. le ministre a placé une brigade de gendarmerie dans la commune de Gilly.
Je pense qu'il devrait en faire autant pour d'autres communes du même arrondissement telles que Jumet, Montigny et d'autres.
M. de Haerne. - Messieurs, je ne parlerai pas des mesures de police qui regardent la répression des crimes et délits dans l'arrondissement de Charleroi, mais je veux attirer l'attention de la Chambre et du gouvernement sur l'état de l'instruction dans cet arrondissement par rapport à la population flamande.
Comme on l'a fort bien dit tout à l'heure, il y a dans la population de cet arrondissement un grand nombre d'étrangers et parmi eux il y a, je crois, beaucoup de Flamands. Or, si je suis bien informé (mes renseignements datent de quelque temps), l'instruction ne serait pas assez bien organisée en ce qui concerne les enfants des ouvriers flamands qui se trouvent dans l'arrondissement de Charleroi.
- Une voix. - Il y a des écoles flamandes.
M. de Haerne. - Oui, mais je crois que l'organisation n'est pas complète. Si ce qu'on m'a assuré est exact, il y a là une lacune regrettable que le gouvernement devrait s'efforcer de combler.
L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit tout à l'heure qu'il y a dans cet arrondissement des villages quasi américains.
Cette comparaison peut être plus ou moins juste, mais j'en ferai une autre.
Vous savez, messieurs, qu'il y a des milliers d'ouvriers flamands dans les départements du Nord. Cependant, il n'y existe pas d'écoles flamandes. Il en résulte que les enfants de ces ouvriers sont élevés à peu près comme des sauvages et que la population étrangère qui va s'établir dans le département du Nord a une très mauvaise réputation en France
Il n'en est pas tout à fait de même, je le sais, dans le district de Charleroi ; mais on m'a assuré qu'il y existe des lacunes sous ce rapport.
Je crois donc qu'il serait extrêmement utile d'organiser l'instruction pour la population flamande, dans les communes de l'arrondissement de Charleroi, qui n'ont pas encore d'institutions qui puissent suffire à ce besoin. J'espère que l'observation que je me permets de faire aura pour effet d'attirer l'attention du gouvernement sur les mesures à prendre pour ériger de nouvelles écoles flamandes, surtout des écoles propres aux ouvriers et connues sous le nom d'écoles d'adultes, là où le besoin s'en fait sentir.
M. Goblet. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer le gouvernement dans les mesures qu'il compte prendre à l'égard des communes pour les amener à prendre une part sérieuse dans la surveillance et la défense des personnes et des propriétés dans l'arrondissement de Charleroi.
Je crois, messieurs, que s'il importe à la société belge tout entière de voir disparaître des désordres tout à fait exceptionnels, il importe encore plus que les communes dont il s'agit sauvegardent la sécurité de leurs habitants puisque ce sont elles qui en définitive profitent de l'accroissement extraordinaire de leur population.
Ainsi ces communes qui de communes rurales d'un ordre très secondaire sont devenues presque des villes, devraient se mettre sur le pied où se trouvent les grandes communes urbaines, organiser une police sérieuse et ne pas se contenter de maintenir l'organisation d'une police rurale telle qu'elle existait à l'origine de leur existence.
Il est évident, messieurs, que si ces communes se sont accrues dans les proportions qu'on vous a citées, elles se sont enrichies dans la même proportion et qu'elles peuvent faire des sacrifices en rapport avec l'augmentation de leur bien-être et de leur population.
Il est une chose remarquable, c'est que le grand accroissement de la population de ces communes provient d'étrangers qui sont venus y demander du travail.
Ce sont, en résumé, les communes elles-mêmes qui profitent de cet accroissement de leur population.
Il est donc tout naturel que le gouvernement soit excessivement exigeant à l'égard de ces localités et demande qu'elles participent dans une grande mesure à la répression des délits qui s'y commettent.
J'ai toujours été favorable, messieurs, à l'augmentation de la gendarmerie.
Dans une circonstance récente encore je me suis opposé à un transfert destiné primitivement, dans la volonté de la Chambre, à accroître d'une manière plus rapide le corps de la gendarmerie.
J'insiste encore de nouveau pour que le gouvernement et plus particulièrement M. le ministre de la guerre emploie tous les moyens possibles pour augmenter encore la gendarmerie.
Il ne suffit pas de dire qu'il y a des difficultés à obtenir le recrutement des gendarmes. Il y a une raison essentielle pour que l'ordre public ait des défenseurs, il faut donc en trouver, coûte que coûte, pour compléter les cadres et se mettre en mesure de maintenir l'ordre public partout où cela est nécessaire.
.M. Dechamps. - Je n'ai que quelques mots à ajouter à ce qui vient d'être dit.
J'adhère, pour ma part, à l'observation que M. le ministre de l'intérieur a faite.
(page 749) On a cherché sur qui il fallait faire peser la responsabilité du mal dont on se plaint.
Je crois que la cause de ce mal échappe à la responsabilité des communes et du gouvernement.
La cause, c'est l'immense développement industriel qui s'est produit dans l'arrondissement de Charleroi depuis dix ans.
Ce développement industriel a amené le manque de bras. On a fait un appel aux populations des autres provinces pour satisfaire à cette insuffisance de bras et ce sont les populations flamandes qui ont répondu en général à cet appel.
Qu'est-il arrivé ? C'est que c'est l'écume de la population flamande qui a fourni les éléments de cette émigration.
Je ne sais pas si M. le ministre de la justice connaît le chiffre des repris de justice qui figurent parmi cette population ; probablement ce chiffre est très considérable.
M. le ministre de la justice a bien voulu nous apprendre que les repris de justice ont été expulsés. Je remercie le gouvernement de cette utile mesure, mais il n'en résulte pas moins que c'est parmi cette population flottante formée par l'écume des autres provinces, que les criminels ont été trouvés.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur.
.M. Dechamps. - Je ne le pense pas, mais peu importe, et je dis que la cause du mal dont on se plaint se trouve dans ce développement rapide de la population industrielle où les notions morales ne sont pas suffisamment enracinées.
Je suis complètement de l'avis qu'il faut que les communes remplissent tous leurs devoirs, et ces devoirs sont graves assurément ; mais, comme l'a fait remarquer l'honorable ministre de l'intérieur, ces communes qui il y a quelques années n'avaient qu'une population ordinaire et normale et qui ont vu accroître cette population d'une manière tout à fait extraordinaire n'ont pas organisé les moyens de police locale d'une manière correspondante à cet accroissement anomal de la population.
Mais si les communes ont des mesures plus énergiques à prendre, le gouvernement n'en a pas moins à adopter.
Je suis charmé d'avoir à appuyer l'opinion de M. le ministre de l'intérieur favorable à l'augmentation du corps de la gendarmerie ; le remède surtout est là.
Ainsi dans tel canton du Luxembourg, par exemple, où très peu de crimes se commettent, où il n'y a qu'une population de 5,000 âmes, il existe une brigade de gendarmerie.
Il est évident que pour des cantons comme ceux qui constituent l'arrondissement de Charleroi et qui se composent d'une population très considérable, de 25,000, de 30,000 ou de 40,000 âmes, une brigade de gendarmerie ne suffit pas.
Amélioration dans les moyens d'organisation de la police locale, renforcement du corps de la gendarmerie, et, comme l'a très bien dit l'honorable chanoine de Haerne, développement de la bonne et religieuse éducation du peuple, voilà les remèdes à un mal qui est commun en Belgique, comme en France et en Angleterre, à tous les grands centres industriels,
M. Orts. - Je suis parfaitement d'avis que, s'il y a possibilité d'augmenter la gendarmerie, il faut l'augmenter. Mais je reconnais aussi toutes les difficultés qui entourent les conditions de recrutement de ce corps, et ces difficultés ont été plus d'une fois signalées à l'attention de la Chambre. Pour sortir de cette situation, je me permettrai d'indiquer au gouvernement un remède qui fonctionne dans un autre pays et que j'ai eu déjà l'occasion de signaler, il y a quelque 8 ou 10 ans, à l'attention de M. le ministre de la guerre de cette époque. Il y aurait là, peut-être, un moyen de se procurer des gendarmes en nombre suffisant sans qu'il en coûte grand-chose au trésor.
Dans une partie très considérable du royaume des Pays-Bas, la gendarmerie n'existe pas. Il n'y a de gendarmerie en Hollande que dans le Brabant septentrional et dans une ou deux autres provinces qui ont été soumises avant 1815 au régime français et qui ont conservé de ce régime l'organisation d'un corps de gendarmerie.
Mais dans les provinces du Nord et de l'Est, il n'y a point de gendarmerie ; et, pour subvenir aux besoins de la police, voici ce qui se pratique, et j'ajoute qu'on s'en trouve parfaitement bien.
Chaque année, à l'entrée de l'hiver, le département de la guerre met à la disposition des autorités provinciales dans chaque province un certain nombre d'hommes choisis parmi les meilleurs soldats des régiments de cavalerie et que l'on réunit par groupes équivalents en force à nos brigades de gendarmerie.
On place à la tête de ces brigades les sous-officiers les plus intelligents, les plus instruits, les plus propres à remplir les fonctions d'officiers de police judiciaire ; puis on cantonne ces cavaliers dans certains villages où ils font le service de la gendarmerie à cheval depuis le commencement de l'hiver jusqu'au retour de la belle saison.
La Hollande se trouve tellement bien de ce système, qu'elle le pratique depuis de longues années ; et à l'ouverture de chaque hiver, nous voyons annoncer, par les journaux hollandais, la mise à la disposition des autorités provinciales de brigades provisoires ainsi organisées.
La Hollande se trouve bien de cette mesure même sous le rapport militaire. Elle habitue les hommes et les chevaux à vivre, en campagne, à supporter les intempéries et les rigueurs des saisons ; les sous-officiers et les soldats acquièrent une instruction spéciale qui se rapproche beaucoup plus de celle qui leur serait utile en temps de guerre que de l'instruction et de la vie de caserne : les sous-officiers surtout apprennent à commander et à se diriger par eux-mêmes. Ils gagnent en initiative et en influence sur leurs subordonnés.
Peut-on appliquer ce système en Belgique ? C'est une question à examiner par le département de la guerre et que je ne veux pas trancher. Mais s'il était praticable, ce système aurait l'avantage de coûter beaucoup moins qu'une augmentation permanente du corps de gendarmerie, dont le recrutement est déjà si difficile dans l'état actuel des choses. D'un autre côté, notre armée se montrant utile à un nouveau point de vue ne pourrait que gagner en popularité dans l'esprit du pays.
M. Muller. - On parle de l'augmentation du corps de gendarmerie. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'augmenter ce corps, et voici pour quels motifs : c'est que notre budget contient une allocation de beaucoup supérieure à la dépense qu'absorbe la gendarmerie. Si je ne me trompe, il y a actuellement encore un déficit considérable dans le nombre d'hommes, malgré les moyens auxquels on a recours pour faciliter les enrôlements. Je pense qu'on doit aller un peu plus loin que ne l'a fait jusqu'à présent le département de la guerre.
L'allocation qui figure au budget est donc suffisante pour accroître considérablement le corps de gendarmerie.
Cela est tellement vrai qu'on a pu transférer une partie de cette allocation pour d'autres objets.
Maintenant, il ne faut pas perdre de vue, puisqu'on a parlé des obligations des communes et de l'Etat, qu'il faut faire intervenir aussi l'obligation qui incombe aux provinces.
Vous ne pouvez pas établir une brigade de gendarmerie dans une commune, sans qu'il y ait une caserne pour la loger ; et aux termes de la loi c'est aux provinces qu'incombe l'obligation d'établir ces casernes.
Ainsi, j'attire l'attention du département de la guerre et de l'intérieur sur l'opportunité qu'il y aurait actuellement à se mettre en rapport avec la députation permanente du conseil provincial du Hainaut pour qu'à la session prochaine du conseil provincial des fonds puissent être votés pour l'établissement d'une caserne nécessaire au logement d'une brigade de gendarmerie.
Il ne me semble point douteux que le conseil provincial n'accorde ces fonds, car il est impossible d'admettre qu'une localité de 12,000 à 15,000 âmes ne soit pas l'objet d'une surveillance suffisante de la part de la gendarmerie.
M. Nothomb. - J'ai demandé la parole, messieurs, pour faire des réserves relativement au système que l'honorable M. Orts vient d'exposer et qui consisterait à détacher de l'armée un certain nombre de cavaliers pour les mettre en cantonnement dans les communes rurales et y faire le service de la police,
Je fais ces réserves parce que je ne pense pas que ce système soit bon, et je me bornerai à en indiquer deux raisons pour ne pas prolonger un débat en ce moment peu opportun.
On se tromperait grandement, messieurs, si l'on croyait qu'on improvise un véritable gendarme. Il faut du temps, de l'étude, de l'expérience et une instruction toute spéciale, pour faire un bon gendarme, c'est-à-dire pour être à même de devenir en quelque sorte officier de police judiciaire.
Or, je le demande, des soldats que vous prenez dans des régiments de cuirassiers ou de chasseurs auront-ils, avec toute la moralité et toute l'intelligence voulues, l'instruction requise du gendarme ? Evidemment non.
Ils manqueront d'apprentissage, d'expérience et de connaissances spéciales. Si vous laissez ces mêmes soldats cantonnés pendant longtemps, ils perdront insensiblement leur caractère de soldat et ils finiront par devenir de mauvais cavaliers sans devenir de bons agents de police.
Si vous ne les laissez pas le temps suffisant en cantonnement, ils (page 750) n'acquerront pas cette habileté, cette instruction journalière toute particulière qui a pour objet la recherche des crimes et des délits, vous n'aurez que de très médiocres gendarmes ; de sorte en définitive que vous aurez désorganisé votre armée sans avoir organisé un bon corps de gendarmerie.
Un moyen analogue a été tenté, je crois, jadis, sous le gouvernement des Pays-Bas, sur certaines frontières pour la répression de la fraude et je tiens que cet essai n'a eu que de déplorables résultats à plus d'un égard et que je me dispense de signaler ici.
Je me borne, messieurs, à ces courtes réflexions ; je les crois suffisantes pour justifier mon opposition au système que l'honorable préopinant vient de signaler à la Chambre. J'en ai plus d'une autre à présenter ; j'attendrai le moment favorable, je les résume en un mot : la gendarmerie doit être et rester un corps spécial avec des règles, des avantages particuliers, des conditions d'avancement, de recrutement, même de discipline, toutes spéciales. Hors de là elle ne vaudra rien. Je me réserve de développer ce système plus tard.
M. Carlier. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir nous a dit avec beaucoup de raison qu'il est assez difficile d'improviser une gendarmerie.
La démonstration en est, non seulement dans les paroles fort judicieuses qu'il a prononcées, mais encore dans les efforts inutiles faits par le département de la guerre pour chercher à augmenter cette espèce de milice.
Il existe, je pense, un moyen de parer à cet inconvénient. Je ne sais pas quel est actuellement le nombre de nos gendarmes ; mais je sais qu'une grande partie d'entre eux font un service qui pourrait très bien être confié à des agents qui ne réunissent point les conditions de validité, de vigueur et de capacité qu'on doit réclamer des gendarmes.
Je veux parler du service des audiences des cours d'assises, des tribunaux de police correctionnelle, des parquets, des juges d'instruction, etc. Ce service absorbe une grande partie du personnel et du temps de la gendarmerie et l'enlève ainsi à des fonctions actives beaucoup plus utiles qu'elle pourrait exercer dans nos communes rurales et surtout dans les communes industrielles importantes du pays. A Charleroi, il y a 15 gendarmes, ou du moins il y en a 15 de résidence à Charleroi.
De ces 15 gendarmes je pose en fait que le tiers est constamment appliqué au service des audiences, des cours et tribunaux et des parquets ; cela fait un tiers de cette force armée qui est enlevé au service utile qu'elle peut rendre dans l'arrondissement de Charleroi en recherchant les malfaiteurs qui s'y trouvent.
Dans d'autres localités une partie notable du même corps est appliquée au même service et détournée non pas de sa destination, mais de l'utilité plus grande qu'on pourrait en tirer.
J'appelle sur cet objet l'attention du ministre de la justice ; je le prie d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de créer deux catégories de soldats de gendarmerie, l'une réunissant la jeunesse, la vigueur, la capacité qu'on exige de tous les gendarmes ; mais pour la seconde catégorie on serait moins rigoureux.
On pourrait prendre des vétérans, des personnes qui n'auraient pas besoin d'être assez lettrées pour dresser des procès-verbaux, on les emploierait au service des cours d'assises, au transport des prisonniers, au service des parquets.
On augmenterait ainsi le service utile de la gendarmerie en réduisant peut-être la dépense, car sans constituer complètement ce corps, on pourrait en tirer une utilité plus grande et atteindre les résultats qu'on cherche à obtenir.
M. Coomans. - Les gendarmes sont devenus des huissiers.
M. de Theux. - Je demande si en présence de la gravité du mal dont on se plaint, il n'y a pas utilité à avoir des réunions des autorités administratives et judiciaires pour rechercher les moyens de prévenir les crimes et de découvrir les auteurs de ceux qui peuvent avoir été commis. Ces conférences sont employées dans d'autres cas ; au point de vue de la sûreté des individus et des propriétés, ces conférences pourraient amener de bons résultats.
Par le concert dans les mesures on arriverait à des résultats plus prompts et plus certains.
- Le renvoi aux ministres de la justice, de l'intérieur et de la guerre est ordonné.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le Roi m'a chargé de présenter le projet de loi suivant : (Nous publierons ce projet de loi,)
- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Le sieur Haeck demande que le gouvernement prenne les mesures nécessaires pour forcer la Banque Nationale à se contenter de la rémunération de ses services et qu'il recoure au droit qu'il tient de l'article 24 de la loi du 5 mai 1850.
M. Jamar. - Dans une des dernières séances consacrées aux prompts rapports, un membre de cette assemblée appelait l'attention de la Chambre sur la nécessité d'apporter plus de réserve dans les renvois de pétitions aux divers départements ministériels,
M. le ministre de l'intérieur insistait de son côté sur les inconvénients que ces renvois présentaient, parce qu'aux yeux des pétitionnaires, disait-il, ces renvois impliquent une approbation ou une recommandation de la Chambre.
Je tiens à ne pas donner, par le renvoi au ministre des finances de la pétition dont il s'agit, une apparence de valeur aux allégations du pétitionnaire contre lesquelles je proteste, au contraire, en proposant le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements.
Au milieu des théories fausses ou dangereuses sur le crédit, consacrées trop souvent par le silence et quelquefois même par l'assentiment des meilleurs esprits, il n'en est pas de plus fâcheuses que celles à l'aide desquelles on cherche à représenter les banques et les institutions de crédit en général comme des instruments de spéculation établis au profit de quelques-uns et au détriment des masses, prélevant un impôt inique sur le travail de production et d'échange du pays.
C'est méconnaître les notions les plus élémentaires des lois qui régissent le crédit, que d'accuser la Banque Nationale d'avoir élevé le taux de son escompte en vue d'augmenter les profits de ses actionnaires.
En effet, messieurs, les intérêts de la Banque et ceux du commerce sont si étroitement liés, qu'aucune mesure fâcheuse ne saurait atteindre le commerce sans que la Banque en ressente immédiatement le contre-coup. L'élévation de l'escompte, loin d'augmenter les bénéfices de la Banque, les compromet ; car le résultat inévitable de cette mesure est d'apporter dans toutes les transactions commerciales une perturbation qui se traduit, pour la Banque, en une réduction des escomptes, et par conséquent des profits qu'elle en retire.
La Banque ne se décide donc à prendre des mesures de ce genre qu'en présence d'une nécessité rigoureuse, absolue.
Je déplore, quant à moi, les conséquences qu'elle produit pour le commerce ; mais si j'examine de bonne foi quelle sont les causes qui ont provoqué ces mesures, je ne puis m'empêcher de reconnaître que cette mesure, contre laquelle le pétitionnaire s'élève avec tant de vivacité, était commandée par la situation monétaire des marchés français et anglais.
Je regrette très vivement que le pétitionnaire n'ait pas indiqué comment il entendait l'intervention du gouvernement qu'il demande aux termes de l'article 24 de la loi du 5 mai 1850, et surtout qu'elle était la mesure contraire à la loi, aux statuts ou aux intérêts généraux du pays à laquelle le gouvernement devait s'opposer.
Si, dans sa pensée, l'intervention du gouvernement pouvait avoir pour objet d'empêcher l'élévation du taux de l'escompte, la réalisation de cette mesure serait un danger pour le commerce, si la loi en donnait la faculté au gouvernement.
L'argent que la Banque prêterait à 5 p. c. irait trouver un loyer de 7 à 8 p. c. à l'étranger et l'encaisse métallique serait bien vite épuisé. La Banque devrait alors non plus élever ses escomptes, mais les suspendre complètement et déterminerait ainsi la crise qu'elle cherche à conjurer en ce moment comme elle a pu conjurer celle de 1857.
Voilà la véritable cause de la mesure prise par la Banque, et dont s'empare le pétitionnaire pour dresser contre elle un acte d'accusation.
Cette cause, le pétitionnaire la connaît aussi bien que vous, mais il se dispense, dit-il, de discuter devant vous, messieurs, le peu de valeur des prétextes mis en avant par l'administration de la Banque pour colorer devant le public, d'une teinte d'intérêt général ou national, ce système d'exploitation.
(page 751) Je regrette profondément pour ma part que le pétitionnaire professe ce superbe dédain pour les prétextes de la Banque, car en vérité il eût rendu un véritable service au pays en démontrant le peu de valeur des arguments de la Banque et surtout en indiquant les moyens d'empêcher que l'argent prêté par la Banque Nationale à 5 p. c. ne sorte du pays chercher un intérêt de 7 à 8 p. c.
C'eût été, je l'avoue, la partie substantielle de cette attaque si âpre contre un établissement qui a rendu de véritables services au commerce, en maintenant pendant dix ans à peu près le taux moyen de son escompte à 3 ou 3 1/2 p. c, et en prêtant surtout un concours énergique à ces associations qui, sous le nom d'Unions de crédit, font circuler dans les rangs des plus modestes travailleurs, des plus humbles industriels, les sources vivifiantes du crédit.
Je croirais en vérité, messieurs, abuser des moments de la Chambre, si je discutais plus longuement les faits contenus dans cette pétition, Il a suffi à chacun de vous de la lire, pour comprendre que tout cet échafaudage de calculs repose sur une base radicalement fausse. La circulation de la Banque est garantie par le capital social, par le fonds de réserve et surtout par les valeurs du portefeuille qui, aux termes de la loi, doivent être facilement réalisables.
Le pétitionnaire change tout cela et affirme hardiment que l’encaisse du trésor public sert de garantie au payement à vue des billets au porteur. Il change ainsi pour les besoins de sa cause le rôle de l'Etat et en fait cet actionnaire sacrifié qui reçoit 8 p. c. tandis que les autres actionnaires reçoivent 91 p. c.
Mais en restituant aux faits leur véritable caractère, on voit s'anéantir ces chiffres fantasmagoriques qui ont ébloui un moment la commission des pétitions et l'ont engagée à demander pour cette pétition la publicité des Annales parlementaires, publicité que, pour ma part, je ne regrette en aucune façon.
Ce n'est pas, au reste, la première fois que ces attaques passionnées contre les Banques se produisent, dans cette enceinte. Elles n'ont pas changé de forme ; on accuse toujours le capital d'être, non l'auxiliaire mais le dominateur du travail. On veut délivrer les travailleurs du joug que ce tyran leur impose comme si, dans l'ordre naturel des choses, il n'existait pas entre le capital et le travail une solidarité et une harmonie que ces déclamations sont heureusement impuissantes à troubler en Belgique.
Est-ce à dire que dans ma pensée la Banque Nationale soit l'expression du meilleur système pour développer toutes les ressources du crédit ? En aucune façon.
Pour moi, je l'avoue, en principe l'idée d'un monopole ou d'un privilège amène immédiatement l'idée d'un progrès, et ce progrès, c'est le régime de liberté auquel ce monopole ou ce privilège apporte presque toujours des entraves fâcheuses.
Les banques écossaises, celles de l'Amérique du Nord même, avec leurs vices et leurs dangers, nous offrent d'utiles exemples des avantages qu'un pays peut trouver dans la pratique intelligente de la liberté du crédit.
La Banque Nationale prépare merveilleusement l'avènement en Belgique de cette ère nouvelle de la liberté du crédit.
Et le pays, selon moi, a retiré de très grands avantages du privilège accordé à la Banque.
Il est impossible de ne pas arriver à cette conclusion, si l'on examine la situation actuelle de la Banque Nationale et la situation des établissements qui, au moment de la création de la Banque, avaient la faculté d'émettre des billets au porteur.
La Société générale escompte, en 1850, 48,000 billets d'un import total de 80 millions de francs. Le taux de l'intérêt, de 1845 à 1847, varie de 4 1/2 à 5 p. c. et reste invariablement à 5 p. c. pendant 1848 et 1849.
La Banque de Belgique escompte 74 mille billets d'un import total de 78 millions de fr. Le taux moyen de l'escompte est de 4 1/2 à 5 p. c.
La Banque Nationale, en 1860, escompte 382,831 effets s'élevant ensemble à 757 millions, et le taux moyen de l'intérêt, de 1850 à 1860, ne dépasse pas 3 1/2 p. c.
Je dis, messieurs, que ces chiffres ont plus d'éloquence que tous les raisonnements possibles et sont la réfutation la plus complète des chiffres contenus dans la pétition.
Qui donc aujourd'hui encore, en établissant le bilan de nos merveilleuses voies de communication, négligerait d'indiquer comme leur plus brillant résultat, cet accroissement de la prospérité générale et de la fortune publique auquel elles ont si largement concouru ?
Il en est de même du bilan de la Banque Nationale. A côté des profits des actionnaires, l'homme de bonne foi, l'observateur judicieux voit l'impulsion féconde donnée à toutes les branches du commerce et de l'industrie par cet immense développement du crédit en Belgique dont le pays tout entier a recueilli les fruits.
M. Goblet. - Je ne viens nullement contredire l'honorable M. Jamar dans ce qu'il a pu constater, de la situation favorable de la Banque Nationale ; je ne le contredirai pas non plus lorsqu'il constate que la Banque Nationale a rendu des services au pays et en rend encore.
Mais, pour moi, la pétition en discussion en ce moment révèle un fait qui, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Jamar, n'est nullement légitimé, et ce fait intéresse au plus haut point le commerce et l'industrie de tout le pays ; c'est l'élévation extraordinaire à 5 1/2 p. c. du taux de l'escompte de la Banque Nationale.
L'honorable M. Jamar nous dit que le motif de cette élévation du taux de l'escompte provient des marchés anglais et français, qui, si nous n'avions pas pris des précautions défensives, nous auraient bientôt enlevé tout notre numéraire et tout l'encaisse de la Banque Nationale.
Messieurs, le marché anglais, le marché français nous imposent-ils donc leurs conditions, nous imposent-ils ces conditions d'une manière tout exceptionnelle, alors qu'ils ne les imposent pas au marché hollandais, au marché allemand ? Lorsque l'escompte de la Banque Nationale était à 5 1/2 p. c., il était à 2 1/2 à Amsterdam, à 3 p. c. à Hambourg.
Je sais qu'on viendra m'objecter que les relations de ces pays avec la France ne sont pas aussi considérables que les nôtres. Mais, on nous a dit dans une discussion toute récente que c'était grâce à l'espèce de monnaie qui avait cours dans ces pays que l'escompte était maintenu aussi bas.
Dès lors, nous qui jouissions aussi de l'étalon d'argent, nous devions nécessairement nous trouver dans les mêmes conditions que ces pays qui conservaient un escompte inférieur, grâce à cet étalon ; si cette raison était la véritable.
S'il est vrai que le marché anglais et le marché français ont une influence prépondérante sur notre marché, s'il est établi que les besoins de ces pays réagissent sur les capitaux de la Banque Nationale au point de les absorber, il me semble que le taux de l'escompte ne peut pas être le seul moyen que l'on puisse employer pour les empêcher d'attirer à eux les fonds de la Banque. Il y a évidemment d'autres moyens de restreindre l'exportation de notre numéraire, et ce qui s'est passé en différentes circonstances le prouve. Dernièrement le taux de l'escompte montait encore de 1 p. c. à Londres, tandis que l'on trouvait bon de le descendre de 1 p. c. à Bruxelles.
Il est évident que si nous avions dû subir l'influence absolue du marché français ou du marché anglais, que si c'était là la cause unique de l'élévation du taux de l'escompte, la Banque Nationale aurait dû suivre ce mouvement au lieu de faire un pas rétrograde.
Mais, messieurs, je crois qu'il est facile, avec l'organisation de la Banque Nationale et le contrôle qu'elle exerce sur le papier qu'elle reçoit, de savoir parfaitement à quelle destination va l'argent qui est pris dans ses caisses.
Elle peut donc très bien, en restreignant l'usage de ses capitaux au commerce local, maintenir, l'escompte à un taux de beaucoup inférieur à celui des pays qui ont des besoins autres que les nôtres et qui sont agités par les crises financières d'une toute autre nature. Si la Banque ne recevait pas d'une manière directe ou indirecte le papier étranger et ne facilitait pas ainsi les spéculations sur les places étrangères avec l'argent du pays, elle n'aurait pas besoin d'élever le taux de son escompte pour se défendre contre l'exportation de ses capitaux.
Il y a des exemples de banques locales qui ont parfaitement résisté aux crises sans élever leur escompte au-delà du taux normal. Pourquoi ? Parce que ces banques restreignaient leurs opérations aux besoins des localités où elles se trouvaient.
L'honorable M. Jamar a demandé ce que le gouvernement aurait à faire dans la Banque Nationale, quant à présent, et quelles étaient les mesures qu'il pouvait lui appliquer en vertu de l'article 24.
Il est évident pour moi que la Banque Nationale ne peut élever d'une manière abusive le taux de l'escompte sans obtenir en quelque sorte la ratification du gouvernement.
J'ai dit, messieurs, que l'élévation du taux de l'escompte ne suffit pas pour empêcher l'exportation de nos capitaux, qu'il faut d'autres moyens, et je vous ai cité l'abaissement du taux de l'escompte à Bruxelles, alors qu'il s'élevait encore à Londres.
(page 752) Vous avez eu, il y a dix-huit mois, un fait bien plus palpable ; c'est que lorsque le taux de l'escompte était à 10 à Londres, il restait ici à 6. La loi belge défendait de prêter à un taux plus élevé. S'il avait été si facile d'enlever les capitaux, on serait venu à la Banque chercher de l'argent à 6, pour l'escompter à Londres à raison de 10. Si cela n'a pas eu lieu, c'est que la Banque Nationale était parfaitement à même de l'empêcher par d'autres moyens, tout en continuant à rendre des services et à conserver son encaisse.
Je crois donc, messieurs, qu'en soutenant que la Banque Nationale était dans son tort en élevant intempestivement le taux de l'escompte à 5 1/2, le pétitionnaire avait raison.
Quant à moi, je crois que dans une question qui intéresse autant le commerce et l'industrie belges, l'on ne saurait prendre assez de précaution pour arrêter des mesures qui demandent avant tout d'être parfaitement légitimées par les exigences de la nécessité.
M. Prévinaire. - Messieurs, la question qui est soulevée est une de celles qui, en général, sont de nature à passionner les esprits. Rien n'est, en effet, plus populaire, plus séduisant que de venir soutenir la possibilité de mettre à la disposition du grand nombre des capitaux à bon marché.
En ce qui me concerne, j'ai toujours fait tous mes efforts pour obtenir sous ce rapport tout ce qui était possible, mais il faut bien que l'on se place au point de vue de ce qui peut être réalisé par les institutions de crédit. En 1850 qu'avons-nous voulu faire ?
Nous avons voulu organiser une banque sur les bases de celles qui existent à Londres, à Paris, à Amsterdam, nous avons voulu créer une banque d'après les principes réputés jusqu'ici les meilleurs, les seuls praticables, à savoir une circulation fiduciaire garantie par l'escompte d'effets de commerce d'une réalisation prompte et assurée sans un nouveau recours au crédit.
Ce système offre en effet une garantie sérieuse que l'établissement de crédit pourra faire face aux engagements qui résultent de sa circulation de billets toujours échangeables à vue contre du numéraire.
Jusqu'à présent tous les hommes qui se sont occupés de ces questions considèrent cette base comme essentielle.
Je sais qu'il existe une école qui a préconisé le système de Banques organisées par l'Etat, administrées par l'Etat, ayant des billets à cours forcé, mais jusqu'à présent ces théories, quelque séduisantes qu'elles soient, sont restées et resteront vraisemblablement encore longtemps sans application.
Tous les hommes d'expérience et de science l'ont repoussée comme impraticable. D'un autre côté je ne pense pas qu'il soit possible de créer des établissements de crédit qui puissent se soustraire aux lois générales du crédit : lorsque les demandes de capitaux excèdent les capitaux disponibles, quel est le moyen généralement usité, celui qui fonctionne toujours régulièrement ? C'est l'élévation de l'escompte.
Ce moyen est appliqué par la Banque d'Angleterre, la Banque de France, la Banque d'Amsterdam, comme par la Banque Nationale. L'élévation du taux de l'escompte provoque, en effet, le concours des capitaux particuliers, et tend à ramener l'abondance des capitaux.
Aussi longtemps que les Banques de circulation disposent de capitaux abondants, leur rôle est inverse ; leur intérêt les porte à utiliser ces ressources, et il en résulte une concurrencé qui abaisse le loyer des capitaux et pousse les capitaux privés dans une autre direction.
Ces capitaux recherchent alors des produits plus avantageux même au prix de l'immobilisation.
Ils se placent en fonds publics, en actions industrielles, en obligations, en prêts hypothécaires, et pour les ramener dans une circulation plus active, il faut faire cesser la cause qui les avait éloignés de l'escompte ; mais avant que ce nouveau mouvement se soit produit, les établissements de crédit voient souvent leurs ressources s'épuiser et les mesures restrictives sont indispensables pour les maintenir dans les conditions que prescrivent leurs statuts et qui sont précisément la condition essentielle de leur crédit. Vous n'ignorez pas, messieurs, que l'une des principales ressources des établissements de crédit consiste à recevoir en compte courant les fonds momentanément sans emploi ; eh bien, lorsqu'il y a raréfaction des capitaux, ces fonds sont en grande partie retirés. Voilà l'état de choses qui se produit souvent même en dehors de la situation des capitaux sur les marchés extérieurs.
Mais alors même que la situation intérieure n'éprouverait aucune tension, il n'en faut pas moins tenir compte de la situation des marchés extérieurs, parce que celle-ci exerce nécessairement une influence invincible sur la situation intérieure par l'appât qu'elle offre à l'exportation des capitaux. La facilité des communications a rendu le transport des capitaux beaucoup plus facile, beaucoup plus rapide, et par conséquent la solidarité des situations s'étend chaque jour.
Quoi qu'en ail dit l'honorable préopinant, la Banque Nationale est impuissante à empêcher l'exportation des capitaux, autrement qu'en leur offrant un placement plus utile dans le pays.
Quand un marché extérieur offre aux capitaux un loyer plus avantageux, vous voyez le papier sur ces places devenir plus recherché, ce qui est une preuve évidente que les capitaux prennent cette direction.
Pourquoi le change sur Londres s'élève t-il ? C'est parce que cette lettre de change est un moyen de se procurer un capital sur la place de Londres et que ce capital offre à l'acheteur un avantage qui lui permet de payer un prix plus élevé.
Au lieu de s'acquitter par une remise en espèces, comme on le faisait avant l'invention de la lettre de change, on achète une lettre de change, mais le prix de celle-ci s'élève en raison du produit que l'on peut retirer du capital cédé, à raison de la situation du loyer des capitaux.
Il en est absolument de même lorsque, au lieu d'un payement à faire, on désire exporter un capital pour le faire fructifier. Alors même que la Belgique, s'abstiendrait de la manière la plus complète d'escompter une valeur étrangère, la situation ne serait pas changée, On viendra escompter chez elle des créances sur la Belgique, en vue de rentrer dans un capital que l'on veut appliquer ailleurs.
Pour entraver ces opérations faites en vue de profiter d'une différence d'intérêt, il n'est qu'un moyen, c'est celui qui consiste à offrir en Belgique une rémunération plus grande, ou qui réduit le bénéfice de l'écart de l'intérêt.
Les opérations dont il s'agit se trouvent singulièrement favorisées lorsque deux pays ont une monnaie identique ou une monnaie dont le rapport de valeur est fixe. En effet, celui qui exporte un capital peut toujours le récupérer à un taux minimum déterminé. Le cours aléatoire du change au moment où il voudra défaire son opération ne doit pas le préoccuper.
Prenons un exemple :
Je suppose qu'en vue de profiter du taux d'intérêt de 8 p. c. qu'on obtient en ce moment, on veuille y envoyer un capital. Il suffit d'acheter une lettre de change que l'on payera aujourd'hui 25,30 par liv., l'intérêt étant à. 4 p. c. en Belgique, le capital appliqué à Londres produira en 3 mois 1 p. c. de plus qu'en Belgique. Si l'on réfléchit 'aux variations subites qui se produisent parfois dans le change, on peut se demander si ce bénéfice d'un pour cent ne sera pas absorbé par une perte égale ; ce qui serait le cas, si au moment de la réalisation de l'opération on devait tirera 25,05 par exemple, et remarquez-le bien, la raison qui déterminera un individu à rappeler son capital, agira d'une manière générale et déterminera un abaissement du change. On pourra hésiter à exporter son capital ; mais supposons une monnaie identique aux deux pays, et l'exportateur sera certain de récupérer son capital en souverains anglais ; c'est aussi ce qui sera le cas lorsque la monnaie d'or de France circulera en Belgique, car le souverain se trouve dans un rapport de valeur fixe avec cette monnaie, ce rapport est 25.20.
Ces circonstances favoriseront donc les exportations de capitaux en limitant les chances aléatoires qui résultent du change, et pourront dès lors réagir sur le taux de l'intérêt.
Maintenant un mot sur une observation qui a été faite. On a dit : « Vous avez l'étalon d'argent en Belgique, et la Hollande a également l'étalon d'argent. »
« D'où vient que la Banque Nationale a dû élever l'intérêt jusqu'à 5 1/2 p. c, tandis que la Banque d'Amsterdam a pu maintenir l'intérêt au taux invariable de 3 p. c ? »
Messieurs, la raison de cette différence est bien simple : les conditions ne sont pas du tout égales.
La circulation de la Banque d'Amsterdam est de 90 millions de florins ; je ne me rappelle pas bien le chiffre de son portefeuille, mais je puis affirmer qu'il est considérablement inférieur au chiffre de sa circulation.
Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir quelle est, à cet égard, la situation de la Banque Nationale ?
Jusqu'en 1856, la situation de la Banque Nationale a été dans des rapports à peu près semblables, c'est-à-dire que la circulation de la Banque s'est trouvée considérablement plus élevée que le chiffre de son portefeuille.
A partir de 1858, cette situation s'est complètement transformée. Je prends la date du 31 décembre, pour avoir des termes de comparaison ! (page 753) eh bien, au 31 décembre 1858, le portefeuille s'élevait à 119 millions, et la circulation n'était plus que de 118 millions ; tandis que jusque-là la différence avait varié entre 10 et 20 millions en faveur de la circulation.
Au 31 décembre 1859, la circulation se réduit à 113 millions, et le portefeuille s'élève à 123 millions. Au 31 décembre 1860, la circulation s'élève à 117 millions, et le portefeuille à 148 millions.
Ces chiffres que vous pouvez contrôler, messieurs, constatent que le développement de la circulation n'a pas eu lieu d'une manière proportionnelle à celui du portefeuille et cette demande progressive de crédit témoigne de l'avantage qu'offrent les conditions de la Banque, et de la concurrence qu'elle fait aux capitaux privés.
A la Banque d'Amsterdam, au contraire, la circulation laisse une somme disponible considérable. Ce seul rapprochement explique pourquoi la Banque Nationale n'a pu offrir au public les conditions offertes par la Banque d'Amsterdam dont la circulation atteint près de 200 millions de francs.
Si la Banque Nationale n'avait pas appliqué à l'escompte la presque totalité de son capital, si elle n'avait pas eu à sa disposition des dépôts considérables en comptes courants, elle eût inévitablement dû élever son escompte par suite de l'insuffisance de ses ressources. Il importe donc au pays que le crédit de la Banque s'élargisse progressivement. On a dit : « Mais la Banque Nationale escompte des valeurs étrangères. »
Messieurs, qu'on me permette de le dire : c'est là une accusation véritablement banale ; vous avez tous sous la main le rapport sur les opérations de 1860, il nous prouvera ce que vaut cette allégation.
Le pétitionnaire fait allusion au relèvement d'escompte qui a eu lieu dans les premiers jours de janvier ; à cette époque la Banque ne possédait que quelques centaines de mille francs à valeur de change sur l'étranger.
Ainsi que l'a dit mon honorable ami, M. Jamar, la Banque Nationale a tout intérêt à escompter au meilleur marché possible ; par conséquent elle n'est pas du tout disposée à porter des capitaux sur des places étrangères à meilleur compte qu'on pourrait les utiliser en Belgique.
En fait, au 31 décembre, le portefeuille de la Banque (le rapport vous a été communiqué) ne contenait aucune valeur étrangère que l'on puisse citer. Ce ne sont pas 300,000 ou 400,000 francs qui sont un reliquat d'opérations qu'on pourrait considérer comme des valeurs étrangères absorbant les ressources de la Banque.
Mais cette observation est réellement incompréhensible dans un pays qui fait un commerce d'exportation considérable.
Ainsi, adressez-vous, s'il vous plaît, au pays de Charleroi et au Hainaut. Quel est le grief du Hainaut contre la Banque Nationale dans ce moment-ci ? C'est de ne pas prendre le papier sur Paris. Que vous disent les exportateurs de charbon ? Mais pour l'amour de Dieu, prenez-nous donc le papier sur Paris !
Que vous disent les exportateurs sur Londres ? Mais pour l'amour de Dieu, prenez donc le papier sur Londres !
La Banque comprend qu'elle rendrait, en agissant ainsi, un service très grand, mais en principe, elle doit laisser aux banquiers une place à côté d'elle ; l'intérêt du pays l'exige. Et puis n'est-elle pas renfermée dans un cercle infranchissable, celui de ses statuts ? Obligée de rembourser ses billets à bureau ouvert, elle doit renfermer ses opérations dans les limites qui lui sont imposées, elle ne peut indistinctement à escompter toutes les valeurs, alors qu'elles seraient solidement garanties ; elle doit tenir compte de la nature même du papier ; son crédit est ce prix, et le pays tout entier est intéressé au développement de ce crédit.
Tels sont les principes qui ont servi de base à l'institution que vous avez fondée en 1850. Il est donc impossible de changer le caractère de l'institution, comme le voudrait le pétitionnaire.
Il faut avant tout que le pays soit bien pénétré de cette pensée que la Banque veille à ce que la nature de ses escomptes offre les ressources nécessaires à la convertibilité de ses billets.
Vous avez reçu, messieurs, le rapport de la Banque et vous avez pu voir l'importance des billets échangés dans les quatre dernières années.
Cette importance a dû frapper vos yeux. Ces échanges dans les agences de province seules se sont élevées à 350 millions de francs.
Certes c'est bien là la preuve que le pays, tout en ayant une très grande confiance dans la Banque, aime aussi à pouvoir convertir ses billets en écus.
C'est une des conditions essentielles, de sorte que ce chiffre-là renverse en fait tous les systèmes qui s'appuieraient sur la non-convertibilité des billets.
La convertibilité des billets serait mise en péril si la Banque immobilisait ses capitaux au lieu de ne les appliquer qu'à l'escompte d'effets qui représentent des opérations de commerce réelles et qui ne nécessitent pas de nouveau recours au crédit ; si elle appliquait ses ressources d'une autre manière, elle créerait un danger sérieux pour ceux-là mêmes qui obtiendraient du crédit.
On croit avoir tout dit, quand on a dit : Une Banque prend des effets à trois signatures ; elle ne court aucun risque, ces effets sont garantis. Il suffit de créer une administration quelconque composée de personnes honorables et tout est fini. C'est ce que dit l'honorable M. Haeck dans sa pétition. Une Banque, dit-il, c'est une administration qui prend des billets, qui encaisse des effets, peu importe la nature de ces effets.
Messieurs, c'est la plus grave des erreurs.
Il faut avant tout qu'on précise la nature et la valeur des signatures parce que c'est dans cette condition que réside toute la solidité de l'établissement.
Messieurs, il m'est impossible, puisque j'ai la parole, de ne pas dire un mot du texte même de la pétition.
Comme mon honorable ami, M. Jamar, je me félicite de la publicité donnée à la pétition.
J'aime la libre discussion, j'ai discuté ailleurs cette question avec l'honorable pétitionnaire, je trouve qu'il faut mettre tout le monde à même d'apprécier ce qu'il y a de vrai et de faux dans la pétition qui nous occupe.
Si j'ai une crainte, c'est que le grand jour ne soit un péril pour le système du pétitionnaire.
Il y a dans la pétition des erreurs de fait et des erreurs d'appréciation sur lesquelles il est impossible de passer, et puisque en définitive nous l'avons tous reçue, vous êtes tous en mesure de suivre l'exactitude de mes observations.
D'abord le pétitionnaire parte de privilèges mais il est inexact.de dire que la Banque ait le privilège de l'émission des billets de banque.
Deux établissements jouissent de cette même faculté, ce sont la Banque de Liège et la Banque de Flandre.
Qu'a-t-on fait lorsqu'on a organisé la Banque Nationale ?
- Un membre. - La Banque de Flandre n'a plus le privilège d'émettre des billets.
M. Prévinaire. - Elle l'a encore, elle a simplement traité avec la Banque Nationale pour y renoncer moyennant d'autres avantages.
M. Vermeire. - Elle a vendu son privilège.
M. Prévinaire. - Mais le jour où la Banque Nationale voudrait lui retirer les avantages qu'elle lui a faits, la Banque de Flandre rentrerait en possession de son privilège. Elle ne l'a donc pas vendu, mais seulement suspendu.
Il n'a a donc pas en réalité de privilège pour la Banque Nationale.
Mais rappelons-nous donc quel a été un des grands points de départ de l'organisation de la Banque Nationale.
Contrairement à l'opinion émise tantôt par l'honorable M. Jamar, qu'avons-nous voulu faire en 1850 ?
Nous avons voulu réaliser l'unité dans la circulation, parce que l'expérience acquise jusqu'alors par nos établissements belges et par d'autres établissements à l'étranger avait démontré que l'unité de circulation était la condition première pour donner une base stable à la circulation financière.
En voulez-vous un exemple ? Vous savez tous ce qui s'est passé en Amérique, vous savez tous combien les établissements de banque d'Amérique ont de perturbations à subir et quel a été le remède dans la dernière crise.
Le remède, ç'a été l'union, la fusion.
Les établissements qui avaient chacun leur circulation propre se sont réunis pour condenser en une seule masse toutes leurs ressources et offrir par conséquent une garantie à leur circulation en billets.
Ceci est une simple observation à ceux qui sont partisans de très bonne foi du système de liberté en matière de banque.
La liberté en matière de banque c'est l'organisation du système de défiance et par conséquent une diminution du crédit.
Voilà ma manière de voir.
Je reviens au texte de la pétition.
(page 754) « La Banque Nationale, vous le savez, MM. les représentants, dit le pétitionnaire, opère non avec les fonds versés par ses actionnaires, mais avec la circulation de ses billets pris en payement par tout le monde et avec l'encaisse du trésor public, lequel encaisse sert à la Banque de réserve métallique pour l'échange à vue de ses billets. »
Eh bien, messieurs, dans ce peu de mots il y a une double erreur.
D'abord tout le monde ne prend pas les billets de la Banque.
Le fait n'est pas le droit, mais on voudrait induire du fait de la circulation, que celle-ci est invariable et que la convertibilité n'est qu'une vaine théorie : on en viendrait dès lors à cette conséquence que le cours forcé n'est qu'un fantôme et serait sans grands inconvénients.
Quant à l'encaisse de l'Etat, vous savez parfaitement bien que la loi de comptabilité impose à la Banque des obligations qui, loin de lui permettre de faire servir l'encaisse de l'Etat à la garantie de ses billets, la placent dans des conditions de responsabilité toutes spéciales envers l'Etat. Le compte courant de l'Etat est privilégié. Quant au système de concours financier inventé par le pétitionnaire, me plaçant un instant au point de vue de son hypothèse, je dois relever une erreur bien étrange de la part d'un homme qui depuis huit ans scrute scrupuleusement et consciencieusement, j'aime à le croire, tous les chiffres de notre établissement.
Il dit : La Banque a deux natures de ressources : l'une fournie par son capital ; l'autre par le pays. Veuillez remarquer que le capital de la Banque est un capital immobilisé dans ses affaires, qui ne peut en être distrait et qui grandit par l'accumulation annuelle d'une partie de ses bénéfices au fonds de réserve. Ce capital est donc d'une nature bien déterminée.
Eh bien, je le demande, est-ce sincèrement qu'on peut dire que celui qui accepte un billet de la Banque Nationale fournit un capital à cette Banque pour l'aider dans ses opérations ?
Est-ce là un concours véritable, quelle analogie existe-il entre cette ressource et celle fournie par les actionnaires ; le détenteur d'un billet ne peut-il pas à chaque heure du jour retirer la contre-valeur et que signifie un concours de cette nature pour l'escompte de valeurs à cent jours de date ?
Dès lors peut-on sérieusement établir une assimilation entre les ressources que la Banque tient de ses actionnaires, et ce prétendu concours financier du pays ? Cela n'est réellement pas sérieux. Le pétitionnaire commet donc de ce chef une erreur d'appréciation, il en commet une de fait, que voici : il fait une supputation très exacte, je le reconnais, de ce qu'il appelle la composition de ce concours financier du pays.
Il se compose, dit-il, des fonds versés en compte courant et de la circulation. Cela est très juste ; les chiffres additionnés par le pétitionnaire sont parfaitement exacts ; mais il a oublié une chose, c'est que sur les 147 millions qu'il indique comme constituant le concours financier moyen des huit dernières années, il faut déduire la somme que la Banque doit immobiliser sous forme de réserve métallique et qui représente le tiers de ces 147 millions, soit la bagatelle de 49 millions ; d'autre part le pétitionnaire en supputant le capital fourni par les actionnaires, a oublié de tenir compte de la réserve qui porte aujourd'hui le capital à plus de 30 millions.
Je vous signale ces petites rectifications aux chiffres du pétitionnaire pour montrer qu'il est loin d'être infaillible.
Enfin, il oublie de mentionner à côté des bénéfices directs que retire l'Etat, les bénéfices indirects. L'Etat payait à la Société Générale 300,000 fr. par an, pour le service de caissier. La Banque fait ce service pour 100,000 fr., donc pour l'Etat un bénéfice de 200,000 fr. ; la patente de la Banque s'élève à 65,000 fr. environ, le timbre de ses billets usés à 25,000 fr. par année : ce sont là autant de bénéfices indirects qui représentent, pour les 10 années, quelque chose d'assez important à ajouter aux chiffres du pétitionnaire.
Aujourd'hui que dix années se sont écoulés depuis que la Banque a été instituée, beaucoup de choses ont été oubliées, qu'il est bon de remettre en lumière.
M. le ministre des finances nous a dit un jour qu'il avait dû forcer la combinaison de la Banque. Et en effet, la Banque a été fondée par la Société Générale et par la Banque de Belgique. Ces deux établissements ont respectivement renoncé à leur circulation de billets octroyée pour un grand nombre d'années ; ils ont renoncé à l'escompte, on a détaché de chacun d'eux le département de l'escompte et le département de l'émission pour les transférer à la Banque Nationale, en vue surtout de réaliser l'unité de circulation.
La loi et les statuts du nouvel établissement l'ont renfermé dans des conditions extraordinaire» de prudence ; les actions ont été réparties entre les deux établissements fondateurs.
Eh bien, on a dû contraindre ces deux établissements à cette combinaison ; la position dans laquelle ils se trouvaient alors en raison du cours forte donné à leurs billets leur a imposé l'obligation de l'accepter, et alors tout le monde déclarait que la Banque Nationale n'était pas née viable et qu'elle ne couvrirait pas ses frais. Prenez le rapport de l'honorable M. Tesch, rapporteur de la section centrale, quelle était la perspective la plus étendue ouverte à la circulation ?
Elle ne devait être que de 45 millions dans un avenir très lointain.
Si, messieurs, je ne faisais point partie de l'administration de la Banque Nationale, je dirais que c'est en grande partie a la confiance que ses administrateurs ont inspirée au public qu'elle doit son développement.
Or, pour que cette confiance se maintienne, il ne faut pas laisser s'accréditer des erreurs comme celles que je viens de relever. La prospérité du pays est intimement liée à celle de la Banque, parce que le pays recueille les bienfaits du développement de sa prospérité.
II ne faut point perdre de vue que la Banque pour tirer parti des ressources de son crédit doit faire concurrence aux capitaux particuliers, que c'est là la plus sûre garantie que l'on ait qu'elle offrira au commerce les conditions les plus favorables.
Remarquez du reste qu'un taux élevé d'escompte écarte du portefeuille de la Banque les meilleures valeurs, qui trouvent ailleurs des preneurs.
Je vous ai montré tout à l'heure le développement progressif du portefeuille ; ce développement est tel, que nous avons lieu de nous en effrayer, et, je le répète, si la circulation de la Banque ne prend pas un nouvel essor, l'escompte s'élèvera parce que la demande de capitaux est plus considérable que les ressources et qu'il n'y a rien à faire à cette situation si ce n'est de provoquer le concours des capitaux particuliers.
Il est un fait qui ne peut être contesté ; c'est que le taux moyen d'intérêt perçu au profit de la Banque n'a pas atteint 3 p. c. par an, si ce n'est en 1856 et 1857 lorsque l'escompte était à 10 p. c. à Londres. Le pétitionnaire qui discute la Banque depuis longtemps, ce dont je ne me plains pas, a eu soin de choisir le moment où il croyait le public impressionné par l'élévation successive de 2 p. c. que la situation avait forcé la Banque à décider ; comme je l'ai dit, c'est une corde sensible, mais comme le pétitionnaire n'a pas seul la parole et qu'il s'adresse à un public qui comprend, je doute fort qu'il fasse prévaloir sa théorie de banque d'Etat, sa panacée du taux d'intérêt fixe et réduit. Sans doute la Banque réalise de grands profits, mais tous les établissements similaires se trouvent dans ce cas et comme en fait le taux d'escompte perçu au profit de la Banque a été peu élevé, les bénéfices se mesurent à l'étendue des services.
Je vous ai dit tantôt, messieurs, que le pétitionnaire se trompait quand il parlait de la garantie que l'encaisse de l'Etat donnait aux porteurs de billets.
Il répète cette allégation et dit encore quelque part dans sa pétition :
« Est-ce qu'enfin l'encaisse du trésor public ne sert plus de garantie au payement à vue des billets au porteur ? »
Le pétitionnaire est trop intelligent pour ignorer que c'est là une allégation inexacte ; je ne me l'explique que par la disposition d'esprit du pétitionnaire, qui prend une fiction de son système pour la réalité.
Je n'en dirai pas davantage sur toute cette pétition, mais je vous demande, dans l'intérêt moral de la Banque, de ne pas renvoyer la pétition au ministre des finances. Il faut que la Chambre fasse quelque chose de sérieux. Un renvoi au ministre aurait une signification ; cela voudrait dire que la Chambre croit qu'il pourrait bien y avoir quoique chose à faire ; ce serait jeter un jour défavorable sur une institution qui n'a pas mérité qu'on jette du blâme sur ses opérations.
La question du taux de l'intérêt de l'escompte pour les hommes qui veulent raisonner est très claire ; il ne dépend pas de la Banque d'avoir des ressources indéfinies, et pour avoir un taux d'intérêt invariable, il n'existe que deux moyens : le cours forcé des billets ou la loterie entre les demandeurs d'escompte ; quand elle a 100 millions à offrir pour l'escompte, comment faire si on lui en demande 150 ? Il n'y a pas d'autre moyen, je le répète, que de décréter le cours forcé ou d'établir par voie de tirage au sort la répartition des ressources disponibles. Vous (page 755) repousserez ces deux moyens. J'appuie le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
(page 757) M. Vander Donckt, rapporteur. - L'honorable M. Jamar vient de proposer le dépôt au bureau des renseignements. C'est sur cette proposition que je demande à dire deux mots.
C'est, dit-il, faire trop d’honneur au pétitionnaire que de proposer le renvoi au ministre des finances.
Cette proposition, selon moi, n'est pas faite pour faire honneur au pétitionnaire et le rapport que j'ai eu l'honneur de vous faire n'explique nullement que la commission ait adhéré aux observations insérées dans la pétition ; au contraire elle a dit qu'elle voulait éclairer les membres de cette Chambre ; à cet effet elle a demandé l'insertion de la pétition au Moniteur, afin que chacun de vous pût en prendre connaissance.
MM. Jamar et Prévinaire se sont félicités de cette insertion, car elle a eu pour effet d'éclairer la Chambre et c'est le seul but que la commission s'était proposé.
Le renvoi au ministre n'implique nullement une adhésion et le dépôt au bureau des renseignements, quand il s'agit d'une question qui intéresse à un haut degré le commerce et l’industrie, me paraît très peu convenable ; je pense qu'en y réfléchissant la Chambre adoptera les conclusions de la commission.
(page 755) M. Vermeire. - Je ne veux pas rentrer dans ce débat ; il y a à peine deux jours que j'ai parlé de la Banque Nationale. M. le rapporteur propose le renvoi de la pétition au ministre des finances ; je me demande ce que M. le ministre des finances, après avoir examiné la pétition de M. Haeck pourrait proposer, puisque le pétitionnaire ne conclut pas et qu'il se borne à demander des réductions de l'escompte, à vouloir que le taux n'en soit pas augmenté alors même que des considérations de nécessité prises dans l'intérêt public feraient un devoir à la Banque d'en agir ainsi.
D'après ses statuts la Banque reste maîtresse de fixer le taux de l'escompte, dans les limites tracées par la loi, comme elle l'entend ; et comme c'est une société agissant en vertu des statuts qui lui ont été octroyés, comment le gouvernement pourrait-il la forcer à établir son escompte a un taux plutôt qu'à un autre ! (Interruption). Qu'est-ce que le gouvernement lui dira ?
M. Vander Donckt, rapporteur. - Il ne lui dira rien.
M. Vermeire. - Alors pourquoi renvoyer la pétition au gouvernement puisqu'il ne peut rien faire ; puisque vous n'avez rien à en attendre ; et qu'il ne peut point intervenir pour prendre une décision quelconque ?
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
- La discussion est close !
M. le président. - Deux propositions sont faites : le renvoi au ministre des finances par la commission et le dépôt au bureau des renseignements par MM. Jamar et Prévinaire.
- Le dépôt au bureau des renseignements est mis aux voix et prononcé.
« M. de Moor, retenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
La séance est levée à 4 3/4 heures.