(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 613) (Présidence de M. Vervoort)
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Borgerhout demande la révision de la loi sur les servitudes militaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Pry prient la Chambre d'annuler l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial de Namur, en date du 23 novembre dernier, qui a validé les opérations électorales de cette commune, ainsi que l'arrêté de la députation en date du 6 septembre précédent et la délibération du conseil communal du 29 mai 1860 relatifs à la formation de la liste électorale. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Charleroi èt des communes circonvoisines demandent l'augmentation de la gendarmerie dans ce canton et prient la Chambre d'examiner s'il ne conviendrait pas de fusionner un régiment de cavalerie dans ce corps dont la solde pourrait être augmentée. »
M. Ch. Lebeau. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Félix Armand Léopold (manque quelques mots)$ ligne, demander à recouvrer la qualité de Belge qu’il a perdue, en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Van Linthout propose d'abolir le franc de 5 grammes d'argent à 9/10 de fin et de le remplacer par une autre unité monétaire se fractionnant en centimes, à laquelle on appliquerait une diminution quelconque et qui ne pèserait plus que 4 1/2 grammes d'argent au même titre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Le sieur Declerck, caporal au 6ème de ligne, demande d'être admis à la pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Roulers demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »
« Même demande d'habitants de Cortil-Noirmont. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Des habitants de Marchienne-au-Pont demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges que l'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité, et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »
- Même dépôt.
« Des habitants de Bruxelles proposent la construction d'un chemin de fer destiné à relier Bruxelles et Louvain en passant par Tervueren et Auderghem avec raccordement vers le Nord. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Conrad-Gustave Pastor, directeur d'établissements industriels à Seraing, né à Borcette (Prusse), demande la grande naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Bruxelles proposent la construction d'un chemin de fer destiné à relier Bruxelles et Louvain, èn passant par Tervueren et Auderghem, avec raccordement vers le Nord. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
(page 614) « Le sieur Goossens demande une indemnité pour pertes essuyées par suite des événements de guerre en 1830. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire adressée par le sieur Vanderwier, Gérard, sabotier et cabaretier à Richelle. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président. - Messieurs, M. Moncheur, forcé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours.
Il ajoute : « Je le regrette d'autant plus, que j'aurais voulu appuyer de mon vote tout système propre à donner à l'or un cours légal en Belgique. »
- Le congé est accordé.
M. Pirmez. - Messieurs, il y a, dans la discussion qui occupe la Chambre depuis quelques jours, un fait qui me frappe : c'est la divergence profonde d'appréciations et de principes entre les orateurs qui soutiennent la proposition de loi. Chacun d'eux, en se levant, paraît plus préoccupé de combattre les arguments présentés par d'autres, à l'appui de cette proposition, que ceux qui sont dirigés contre elle.
M. Royer a parlé le premier : la tâche qu'il s'impose est, avant tout, de rétablir les principes économiques méconnus dans les développements du projet de loi.
Aussi, si la loyauté de l'honorable membre n’eût été pour moi au-dessus d'un doute, j'eusse cru, en l'entendant, que c'était un adversaire déguisé se plaçant à côté de M. Dumortier pour mieux démolir ses idées et son système.
M. Royer expose avec une clarté parfaite toutes les vérités monétaires, mais quand il les a bien fait ressortir, il les abandonne ; pourquoi ? Il le confesse : uniquement parce qu'il cède au flot, le courant de l'opinion l'entraîne, et il préfère, en définitive, avoir tort avec tous que raison tout seul.
Cette manière de voir n'aura pas séduit la Chambre, et pour moi quand je suis avec la vérité je m'estime en assez bonne compagnie,
Aussi M, Snoy n'y manque pas, et dans les quelques paroles qu'il prononce, il proteste contre les idées de M. Royer, il les retranche en quelque sorte du discours de M. Royer, en sorte que, de par M. Snoy, l'un des signataires de la proposition, il ne reste de ce discours qu'une victorieuse réfutation des principes qui ont présidé à la rédaction de cette proposition.
Le discours, écouté à si juste titre, de mon honorable ami, M. Sabatier, succède, si je ne me trompe, à celui de M. Snoy.
Un des arguments que l'on a le plus répétés en faveur du cours légal de l'or français, c'est Je nous montrer les pertes que le commerce belge subit en recevant de l'étranger des pièces qu'il ne peut remettre en circulation à leur valeur nominale.
M. Sabatier pense si peu à invoquer ces pertes, qu'il s'efforce de démontrer qu'il n'y a aucun profit pour les industriels à faire venir de l'or français, et il nous explique très bien qu'il doit entrer dans la circulation belge pour ce qu'il vaut réellement.
M. de Haerne vient à son tour.
M. Sabatier avait montré la possibilité d'une baisse de l'argent par l'introduction de perfectionnements chimiques dans le traitement de ce métal.
M. de Haerne, qui place la question en Chine et dans l'Inde, s'empresse de signaler une demande énorme d'argent, un courant irrésistible qui l'entraîne vers l'extrême Orient ; le pays est à la veille de manquer de ce métal qui va être très rare et par conséquent augmenter beaucoup de valeur, et M. de Haerne se livre à de longs calculs pour réfuter mon honorable collègue.
Mais M. de Haerne a-t-il pensé être le dernier à soutenir la proposition de loi ? On serait tenté de croire qu'il a craint de ne pas trouver la main amie d'un partisan du projet pour démolir ses arguments, et pour ne pas avoir à envier le sort de ses devanciers, il démolit lui-même ses propres raisonnements.
L'honorable M. de Haerne est plus radical, il va bien plus loin que l'honorable M. Dumortier.
Non seulement il propose le cours légal de l'or français, mais il voudrait dès maintenant billonner les pièces d'argent, du moins les pièces de 2 francs, d'un franc et de 50 centimes. Et savez-vous pourquoi il propose ce changement radical ? Messieurs, si nous ne l'avions tous entendu je craindrais de le dire, c'est parce qu'il faut attendre, c'est parce que nous sommes dans l'incertitude d'une période de transition pendant laquelle il ne faut rien compromettre. Nous ignorons en effet ce que feront nos voisins du Midi.
Et c'est ainsi que, parce qu'il faut attendre, parce qu'il convient de ne pas se prononcer définitivement, que M. de Haerne veut tout changer. Temporisons, dit-il ; mais pour temporiser il détruit radicalement le système qui nous régit depuis un grand nombre d'années, et il y substitue un système complètement nouveau qui est l'antipode du système actuel.
Singulière manière de temporiser, on en conviendra ! Après ces concluants arguments, l'honorable M. de Haerne termine son discours par une invective à l'adresse de la théorie.
On a beaucoup parlé de la théorie ; on l'a beaucoup attaquée ; et quand un argument se montre d'une attaque un peu difficile, on a parfois recours à cette ressource facile, de ne pas l'aborder parce que c'est de la théorie.
Il n'est pas hors de propos de dire un mot de la théorie, et avant tout de se demander, car il importe de bien s'entendre sur la signification des termes qu'on emploie, de se demander : Qu'est-ce qu'une théorie ?
Pour moi, je ne considère la théorie que comme l'étude des faits au moyen du raisonnement. Je ne conçois pas que la théorie soit autre chose. S'il en est ainsi, reprocher à quelqu'un de faire de la théorie, c'est exactement lui reprocher d'émettre une opinion raisonnée et raisonnable.
Il est au monde une théorie peut-être plus vaste que toutes les autres, parce qu'elle embrasse un plus grand nombre de faits ; elle est la généralisation la plus étendue peut-être qu'ait produite l’esprit humain, parce qu'elle s'attache pour ainsi dire à tous les actes de l'homme, qu'elle porte sur tous et les juge tous ; c'est le droit.
Si la théorie est mauvaise, c'est celle-là surtout qu'il faut craindre. Mais, est-il un adversaire si déclaré de la théorie qu'il voulût conseiller à M. le ministre de la justice par exemple de n'investir des fonctions judiciaires que des hommes bien purs de cette théorie et des études où on la puise ?
Que nos tribunaux seraient bien composés s'ils ne comptaient plus que des magistrats n’ayant pas l’esprit infesté de ces idées théoriques du droit, et ne jugeant que d'après les idées que les faits feraient naître tout d'un coup chez eux et se gardant surtout de recourir jamais à ce qui a été acquis par l'expérience et par la science des siècles !
La théorie n'est pas autre chose que l'étude des faits par le raisonnement.
Ceux qui ne veulent pas de théorie se trouvent ainsi placés entre ces deux propositions : ou ils ne raisonnent pas et alors ils veulent que nous adoptions leurs idées sur leur parole, d'après leur autorité ; ou bien ils raisonnent, et alors ils font de la théorie exactement comme ceux qu'ils combattent.
Leur théorie sera plus ou moins bonne, plus ou moins discutable ; mais s'ils raisonnent, ils font une théorie quelconque, et ils tombent dans le mal qu'ils reprochent à d'autres.
Au surplus dans la matière qui nous occupe, la science est bien simple, et l'on ne me reprochera pas de complications abstraites.
Je ne demande qu'une chose, c'est qu'on réponde par une définition à cette simple question : Qu'est-ce qu'un franc ? Voilà la chose qu'il faut d'abord savoir. Nous n'entendons parler que du franc, et le moins que nous puissions exiger, c'est que nous ayons une idée juste de ce qu'est Je lranc.
Eh bien, c'est sur ce point que la désunion est complète.
Pour nous, cette définition est simple ; le franc est tout simplement cinq grammes d'argent ; ce n'est pas autre chose.
- Un membre. - Quatre grammes et demi.
M. Pirmez. - Sans doute ; quatre grammes et demi d'argent fin, ou cinq grammes à neuf dixièmes de fin ; cela revient au même, et nous sommes d'accord.
Mais cela posé, toutes ces questions de savoir si l'argent se produit chèrement ou non, est abondant ou rare, s'il a augmenté ou baissé de valeur, sont indifférentes, le franc est toujours cinq grammes d'argent, que l'argent soit rare ou abondant, comme 100 kilogrammes de fer sont toujours 100 kilogrammes de fer qui se vendent 10, 12 ou 15 fr.
Pourquoi se perdre dans des calculs sur la valeur possible de l'argent ?
L'étalon monétaire n'est pas une valeur fixe, mais une chose invariable qui sert de mesure à la valeur. C'est cette chose qu'il faut conserver (page 615) toujours sans la changer, parce que c'est celle qui détermine les droits et les obligations dans les contrats.
Est-il rien au monde de plus simple ? Et cette définition, l'intelligence de ce qu'est le franc est cependant le fondement même de tous les principes monétaires.
A côté de cette notion facile à saisir, on vient présenter un système d'une abstraction des plus difficile à saisir ; je voudrais qu'on me donnât la définition du franc. Dans le système de l'honorable M. Dumortier sur la monnaie de compte, le franc est quelque chose qui n'existe pas, c'est une idéalité que le législateur matérialiserait comme il veut suivant sa fantaisie, et c'est de cette fantaisie que doit dépendre l'exécution de tous les contrats.
MM. Jamar et de Roe ont déjà démontré les fâcheuses conséquences qu'a produites ce système.
La Chambre me permettra de lui citer encore un fait digne de son attention.
On sait que tous les peuples anciens ont fait d'abord leurs contrats en pesant le métal que l'on donnait en payement. Ce n'est que pour éviter les opérations de pesage que l'on a fait des lingots de poids égaux, certifiés par une empreinte de l'autorité ; ces lingots ont été les monnaies ; aussi chez toutes les nations, le nom de la monnaie a été l'expression d'un poids ; le talent et la drachme chez les Grecs, l'as chez les Romains et depuis la livre chez les Français sont des désignalions pondérales qui sont devenues des désignations monétaires.
En France la livre qui a eu cours jusqu'à la révolution, était sous Charlemagne une livre pesant d'argent, c'est-à dire un peu moins qu'un demi-kilogramme.
En conformité des idées soumises à la Chambre par les auteurs de la proposition de loi, on ne s'est pas fait faute de diminuer successivement la livre, si bien qu'à la révolution française, elle était descendue à la 80ème partie de son poids primitif.
Pour les partisans du système de la monnaie de compte, il n'y a là rien d'extraordinaire, ils doivent soutenir que les créanciers qui en 1789 recevaient une petite pièce du poids de notre franc recevaient une valeur égale à une livre pesant d'argent. C'est toujours en effet la même monnaie de compte. C'est la même livre ; seulement le métal a été réduit, un peu à la fois de siècle en siècle.
Mais comme la monnaie n'est nullement une marchandise, et que le métal est indifférent, les créanciers auraient eu fort mauvaise grâce de se plaindre. Avaient-ils pensé stipuler un poids d'argent ?
Ces diminutions se sont faites successivement, mais de tous les rois de France, celui qui s'est le plus distingué dans cette réduction du poids des monnaies, c'est Philippe-Auguste. Dante l'a mis en enfer, nous a rappelé M. Royer ; l'honorable M. Dumortier aurait dû le mettre en Paradis.
En effet, d'après les idées de l'honorable membre, il a fait un très grand bien.
M. B. Dumortier. - Ne me faites pas dire des choses ridicules. Dites-les pour votre compte, mais pas pour le mien.
M. Pirmez. - Je ne vous fais rien dire. Je vais démontrer...
M. B. Dumortier. - Vous ne démontrerez rien. (Interruption.)
M. Pirmez. - Je vais démontrer quelles sont les conséquences de vos principes et vous ne m'empêcherez pas de démontrer où conduisent vos principes. Singulière discussion, si l'on ne pouvait démontrer qu'une proposition de loi roule sur de faux principes !
Il y a, dans l'exposé des motifs de l'honorable M. Dumortier, deux idées que l'on peut juger en les appliquant à ce qu'a fait Philippe le Bel.
La première, c'est qu'il y a un grand avantage pour l'Etat à avoir, au point de vue de la dette publique, une monnaie qui coûte peu à fabriquer.
Ainsi l'on nous démontre très bien que l'Etat gagnera 837,000 fr. par an en payant en monnaie d'or au lieu de payer en monnaie d'argent.
Mais Philippe le Bel, qui a diminué la monnaie dans des proportions bien plus grands, a fait aussi une bien meilleure opération financière encore.
Je ne connais pas quelle a été au juste la diminution des monnaies ; mais je sais qu'elle a été considérable et que, ne pouvant plus faire de pièces assez petites, il avait fait des pièces en cuir et planté un clou d'argent au milieu.
Avec ce système n'a-t-il pas singulièrement diminué ses dettes, et n'est-ce pas un exemple à suivre ?
Mais à un autre point de vue, les résultats ont encore été meilleurs.
L'honorable M. Dumortier vous démontre très bien les immenses avantages pour le pays à avoir une monnaie peu chère. Ainsi, nous dit-il, si nous devons employer une monnaie de haute valeur, lorsque nous payerons nos ouvriers, la dépense sera plus grande et nous ne pourrons lutter avec l'Angleterre, par exemple, qui paye ses ouvriers avec une monnaie de moindre valeur. Mais reconnaissons alors le bien immense qu'a fait Philippe le Bel. Il a donné à son pays une monnaie à très bon compte, de sorte que l'on pouvait payer le travail moins cher et que l'on pouvait lutter avec toutes les autres nations, puisque le prix de revient était moins considérable.
M. B. Dumortier. - C'était une monnaie, cela ?
M. Pirmez. - Plaît-il ?
M. B. Dumortier. - Un cuir avec un clou ! (Interruption.)
M. Pirmez. - Pour les théoriciens ce n'était pas une monnaie, mais pour les hommes pratiques, pour les partisans de la monnaie de compte, c'était une monnaie aussi bonne qu'une autre.
Voilà, messieurs, les conséquences du principe.
Mais je suis très surpris que l'on ne pousse pas les conséquences de ce principe un peu plus loin. Si les idées d'où l'on part sont vraies, il est loisible aux partisans de la proposition d'enrichir tous les Belges. Rien de plus simple que cela.
Comme marchandise, une pièce de 20 francs ne vaut pas quatre pièces de 5 francs ; mais l'Etat peut leur donner cette valeur. Voilà la thèse admise ; mais si l'Etat a ce pouvoir, pourquoi ne pas en élever la valeur à 21 fr., à. 30 fr., à 40 fr. et beaucoup plus haut encore ?
Ce sera toujours de la monnaie de compte ; ce sera toujours la même chose, et tous les Belges qui recevront des pièces de 20 fr. de France recevront un produit double ou triple de ce qu'ils reçoivent aujourd'hui. Quand on pose des principes, on devrait vouloir les appliquer, de manière à en tirer des conséquences aussi favorables.
Je sais bien que ces principes sont faux et qu'on recule devant les conséquences de principes faux. Je sais très bien que parmi les partisans du projet, il en est qui répudient ces principes. Mais il ne faut pas qu'ils se le dissimulent, la proposition de loi elle-même dérive en ligne droite de ce principe. Prendre le projet sans les principes, c'est prendre les conséquences sans les prémisses, c’est vouloir une chose rationnellement impossible. Approuver les conséquences, c'est approuver les principes.
Si vous admettez que le franc ne soit pas un poids fixe d'argent, vous pouvez prendre l'or ; mais si vous admettez que le franc soit toujours 5 grammes d'argent à 9/10 de fin, alors vous ne pouvez pas prendra la pièce de vingt francs.
Messieurs, il a été démontré à l'évidence dans les dernières séances que la proposition de loi causerait un préjudice aux créanciers parce qu'on leur donnerait une valeur moindre que celle à laquelle ils ont droit. Il en est de même des fonctionnaires publics qui subiront ainsi une diminution de leur traitement. Que répond-on à cela ?
L'honorable M. Royer de Behr, le seul, si je ne me trompe, qui ait traité cette question, a répondu :
C'est chose peu importante, il n'y aura qu'un nom de changé ; les choses se vendront encore à leur prix ; seulement comme la valeur intrinsèque da la monnaie sera moindre, il faudra un plus grand nombre d'unités pour payer la même chose. Cela est très vrai.
Mais remarquez bien que les rentiers et les fonctionnaires qui ont un revenu fixe, ne recevront jamais que le même nombre d'unités. Or, si le rentier ou fonctionnaire doit donner pour son loyer, pour son vêtement, pour sa nourriture un plus grand nombre d'unités, il n'y a pas le moindre doute qu'il ne se trouve plus pauvre.
M. Royer de Behr. - J'ai résolu la question de la même manière.
M. Pirmez. - Vous devez reconnaître alors qu'il y aurait perte pour cette catégorie de personnes.
C'est absolument comme si on établissait des impôts sur les rentes et sur les traitements.
Mais la justice défend le premier, et qui proposera le second, alors que l'on reconnaît unanimement que les traitements ne sont que trop peu élevés ?
La proposition de loi, messieurs, nous conduit tout droit au double étalon et on ne se le dissimule pas. Que répond l'honorable M. Royer de Behr à cette objection ? Sans doute, dit-il, nous admettons les deux étalons dans la loi, mais en fait il n'y en aura qu'un seul, ce sera l'étalon d'or.
Mais, messieurs, n'est-ce pas une singulière manière de raisonner que (page 616) de dire : Je veux les deux étalons parce que nous n'en aurons qu'un seul. (Interruption.) Tout à l'heure je traiterai la question de l'usure des monnaies, nous verrons où cela conduit.
Il y a d'autres personnes qui veulent le double étalon, mais qui cependant ne se font pas faute de critiquer, je dirai de flétrir toutes les spéculations sur les monnaies.
A celles-là je dirai : Si vous voulez organiser l'agiotage sur les monnaies, si vous voulez organiser les crises monétaires qui l'amènent, prenez deux étalons, prenez pour mesure de valeur deux choses de valeur essentiellement variable entre elles.
Si le métal qui circule devient moins cher relativement que celui qui ne circule pas, celui-ci se substituera au premier ; tout le numéraire du pays est alors livré en pâture à l'agiotage, et ce n'est pas sans une gêne sensible que l'on passe d'un état monétaire à l'autre.
La disparition de tout le numéraire argent de la France, les embarras que la Banque éprouve encore pour son encaisse, sont des faits qui prouvent que le double étalon conduit précisément au mal que l'on veut éviter.
Hier, M. Sabatier, pour faire équilibre aux craintes qu'inspire une baisse de l'or, nous a indiqué le danger de la baisse de l'argent. Mais lorsqu'on admet le double étalon, éloigne-t-on le danger de la baisse de l'argent ?
Evidemment, non ; seulement on y ajoute les risques d'une dépréciation de l'or.
Tout le monde reconnaît que la principale qualité du système monétaire est d'avoir un élément de valeur aussi peu variable que possible. Voilà un point sur lequel tout le monde semble être d'accord.
Comment dès lors admettre le double étalon ?
Mon honorable ami entrevoit, et redoute sans doute, une baisse de l'argent ; mais on accordera bien que l'or peut baisser aussi ; et à la première chance de baisse on ajouterait la seconde.
Messieurs, je constate donc ce point très important dans la discussion, je constate que le double étalon doublera forcément la chance de baisse, de préjudice pour les fonctionnaires et pour les rentiers ; cela n'est pas contestable, et cela me dispense évidemment d'entrer dans l'examen du point de savoir si l'or ou l'argent baissera ; toutefois je ne puis m'empêcher de répondre un mot aux observations de l'honorable M. de Haerne.
L’honorable député de Courtrai nous dit : « L'or n'a pas baissé, c'est l'argent qui a haussé. » Mais je ne puis m'empêcher de trouver les raisons données par l'honorable membre très singulières. Il reconnaît que la production de l'or a augmenté dans une proportion immense, et que la production de l'argent ne s'est pas faite dans une proportion moindre que par le passé ; dans cet état de choses, le bon sens nous dit que c'est l'or qui doit, en fléchissant de valeur, avoir produit l'écart.
Mais, messieurs, l'honorable M. de Haerne dit : « L'or a trouvé un placement facile dans les entreprises, dans les affaires de toute sorte dont le nombre a augmenté dans des proportions très considérables ; il a fallu plus de monnaie, et par conséquent la dépréciation de l'or a été conjurée.
Mais l'honorable M. de Haerne a oublié que, plus il se fait d'affaires moins il faut de numéraire. Je sais qu'à la première vue cela paraît un paradoxe. Rien cependant n'est plus certain.
Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer la situation monétaire de deux grandes nations voisines, la France et l'Angleterre.
D'après les estimations les plus justes, l'Angleterre n'a jamais eu qu'une circulation de monnaie d'environ 1 milliard 200 millions, tandis que.la France, qui en a infiniment moins, avait une quantité de numéraire plus que double.
Rien, du reste, ne s'explique mieux.
Quelle est la condition du grand nombre d'affaires ? Le crédit, Le crédit est la base des entreprises du commerce et de toutes les négociations.
Mais si le crédit donne donc une impulsion puissante aux affaires, il a, pour conséquence, de rendre inutile une quantité considérable de numéraire ; les billets, les traites, les virements de comptes le remplacent.
Le crédit produit ainsi des conséquences inverses sur les affaires et sur la monnaie : il développe les premières en diminuant la quantité de monnaie circulante.
L'augmentation du commerce ne peut donc avoir empêché une baisse de l'or ; elle l'eût plutôt augmentée.
L'honorable M. de Haerne me paraît s'être également trompé quand il veut prouver la hausse de l'argent par les relations commerciales avec l'extrême Orient.
Il prend là un effet pour une cause.
Tout le monde sait que par suite de l'abondance de l'or et la législation française admettant le double étalon, il y a eu pour les spéculateurs un profit très appréciable à remplacer dans la circulation l'argent par de l'or.
Il y avait en France 2 1/2 ou 3 milliards d'argent qui avaient un placement dans la circulation et dont la plus grande partie a pu recevoir une autre destination.
Cette destination on l'a cherchée dans l'extrême Orient où l'argent a, relativement à l'or, plus de valeur que chez nous.
On se convaincra du reste facilement que le courant que l'on signale vers l'Inde et la Chine, est bien la conséquence et non la cause des faits monétaires qui se passent on France et par contre-coup dans notre pays.
S'il en était autrement, pourquoi la Hollande et l'Allemagne conserveraient-elles si facilement leur circulation d'argent ?
S'il en était autrement, pourquoi nous procurerions-nous aussi facilement que jamais les services de table et tous les autres ustensiles en argent qui sont en usage dans les ménages ?
Viendra-t-on dire qu'il y a aujourd'hui moins d'argenterie dans les maisons privées en Belgique qu'il y a 10 ou 20 ans ?
M. Coomans. - Oui.
M. Pirmez. - Je fais la Chambre juge de l'assertion de l'honorable M. Coomans. Je crois qu'il sera seul de son avis.
Mais je suppose qu'il soit vrai qu'un courant violent entraîne l'argent vers l'Inde, de sorte que nous soyons exposés à perdre la plus grande partie de ce métal. On ne méconnaîtra pas cependant qu'il ne soit utile d'en conserver.
Eh bien, c'est précisément parce qu'on craint de le voir partir qu'on propose le moyen le plus infaillible d'exiler la dernière pièce de 5 fr. N'est-il pas évident que si la proposition de loi était admise il n'y aurait bientôt plus une seule pièce de 5 francs dans le pays ?
C'est un résultat incontestable, et si l'on veut en avoir la preuve il suffit de voir ce qui se passe en France.
Si ce que l'honorable M. de Haerne dit est vrai, les créanciers qui, nous l'avons plusieurs fois répété, ont droit à être payés en argent, seraient surtout lésés, si les faits étaient tels qu’il les expose.
Si nous sommes exposés à voir l'argent devenir de plus en plus rare, sa valeur ne peut qu'augmenter. Et l'on viendrait dire aux créanciers : L'argent auquel vous avez droit, va avoir une valeur plus grande ; il sera plus rare, vous devez désirer davantage être payé en ce métal, c'est pour cela que vous n'en aurez pas.
Je ne prétends pas qu'il n'y a pas une gêne dans le pays, par suite de la situation monétaire, j'admets volontiers que la substitution d'étalon qui s'est faite dans un pays voisin, nous cause des embarras sérieux. Mais le remède proposé me paraît pire que le mal, c'est ce qui me fait le repousser.
Je crois qu'il y a moyen de parer, au moins en partie, à la position dont on se plaint si vivement par une proposition toute différente de celle qui est soumise à la Chambre. Je vais l'indiquer.
Je suppose que nous ayons besoin de tirer du numéraire d'Allemagne, de Hollande ou d'Angleterre. Y a-t-il quelqu'un qui sérieusement pourrait venir dire : Donnez cours légal au thaler qui vaut fr. 3-75 pour 4 fr., donnez cours au florin de Hollande qui vaut 2 fr. 10 c. pour fr. 2-20, donnez cours à la guinée anglaise qui vaut 25 fr. 32 c. pour 26 fr.
C'est là une chose inadmissible et ce serait causer le plus grand préjudice à nos nationaux que de permettre aux étrangers de venir les payer avec des valeurs inférieures à celles auxquelles ils ont droit.
Une proposition dans ces termes serait repoussée à l'unanimité par la Chambre, mais, si l'on veut un instant ne pas se laisser tromper par un vain nom la proposition de loi qu'on vous fait est exactement le même.
Les pièces d'or françaises ne valent pas plus 20 francs que le thaler ne vaut 4 francs et l'on veut cependant nous les faire admettre pour 20 francs.
Voulez-vous l'or français ? Mais prenez-le pour ce qu'il vaut.
L'or français n'a pas vis-à-vis de notre argent une valeur plus fixe que les autres marchandises, aujourd'hui il vaudra moins, demain plus, personne ne peut fixer avec précision sa valeur à l'avance ; on ne peut donc l'admettre que pour sa valeur qui est nécessairement variable.
Mais cela posé, rien n'empêche évidemment d'accueillir l'or français.
Voici la proposition que MM. Jamar, de Boe et moi avons l'honneur de soumettre à la Chambre.
(page 617) « Les pièces d'or françaises de 20 francs seront reçues dans les caisses de l'Etat au taux que le gouvernement fixera tous les six mois.
« Le taux pourra toujours être modifié dans l'intervalle des fixations périodiques.
« Il sera déterminé d'après le cours des bourses belges. »
Je crois, messieurs, que cette proposition présente de grands avantages. En la faisant surtout, nous avons à cœur de conserver la liberté des transactions.
Je sais que quand il y a gêne on est tenté de s'adresser au gouvernement et de lui demander d'obliger les autres à faire ce que l'on désire, on tend ainsi presque toujours à une restriction de liberté.
Nous voulons au contraire maintenir le système de liberté.
Tous ceux qui voudront prendre les pièces de 20 francs pour leur valeur nominale devront être libres de le faire, mais je demande qu'on ne force pas ceux qui ont le droit de ne les prendre que pour leur valeur réelle à les accepter pour une somme plus élevée.
Si les rentiers et les fonctionnaires ont droit de recevoir un revenu ou un traitement, donnez-leur réellement ce revenu ou ce traitement.
Si un homme a droit à 100 francs ne lui donnez pas quatre pièces de 20 francs si ces pièces n'en valent que 99, mais ajoutez-y un franc en argent pour parfaire la somme.
(page 621) Je voudrais attirer l'attention de la Chambre sur un autre côté de la question.
La Chambre se rappelle peut-être que la commission monétaire qui a été instituée en 1858 par M. le ministre des finances et dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur, a examiné la question très compliquée, très difficile, de savoir ce qu'il y a à faire pour remédier à l'état de notre circulation monétaire qui renferme un grand nombre de pièces usées.
Elle s'est arrêtée au système qui est en vigueur en Angleterre et en Hollande et qui consiste à couper les pièces trop légères.
Ce système a été l'objet des critiques les plus vives et personne, je crois, ne l'a critiqué avec plus de vivacité, avec plus d'énergie que les partisans du cours forcé de l'or français.
Dans presque tous les écrits en ce sens, que j'ai lus, j'ai vu attaquer très vivement le système auquel la commission s'est arrêtée. Je ne viens pas défendre ce système qui a ses inconvénients et qui n'est pas ici en question, mais je viens constater que les partisans de l'or français seuls ne devraient pas le critiquer, parce qu'ils y arrivent nécessairement dans les conditions les plus difficiles, les plus désastreuses.
Messieurs, il n'y a rien de plus simple que de dire : Les pièces sont usées ; que l'Etat en fasse d'autres.
Mais avec notre circulation actuelle, savez-vous à quoi ce système conduirait ?
D'abord à mettre à la charge de l'Etat belge l'usure de toutes les pièces de cinq francs qui auraient circulé en France et pour l'utilité de la nation française, ce qui serait faire un cadeau et un cadeau très considérable à la France qui ne nous en saurait aucun gré, et ensuite à permettre d'user frauduleusement des pièces et de les faire changer ensuite à leur taux légal.
Faire reprendre les pièces usées par l'Etat c'était donc mettre à sa charge une somme importante que les contribuables devaient, sous une forme ou sous une autre, supporter.
On oublie trop souvent que l'Etat n'est pas une individualité ayant des ressources autres que celles des particuliers ; et que demander que l'Etat paye, c'est demander de payer.
Il fallait donc trouver un moyen d'éviter que la dépense de ce remonnayage ne portât sur tout le numéraire français.
La commission a examiné les législations étrangères et elle a vu qu'en Angleterre et en Hollande les particuliers payaient directement les conséquences du frai. Elle a pensé que, par ce moyen, elle éviterait l'entrée dans le pays des pièces usées, parce qu'on aurait intérêt à ne pas les accepter.
Comme on voit, toute la différence entre ce système et le précédent, c'est que dans celui de la commission, la somme à payer devait être infiniment moindre, et que la somme nécessaire à cette dépense se percevait par une espèce d'impôt direct ayant une destination spéciale.
On a reproché à ce système d'être injuste, et sans doute si on ne considère qu'une seule personne venant apporter une seule pièce usée à la Banque, il y a injustice à faire supporter par ce dernier détenteur l'usure de cette pièce de monnaie pendant qu'elle a circulé. Mais c'est là un étroit aperçu de la question qu'il faut compléter, en remarquant que cette personne use certainement beaucoup de pièces dont elle ne payera pas le remonnayage.
Il y a seulement là un impôt qui frappe tous ceux qui apportent des pièces de monnaie à la banque, de sorte qu'en réalité, chacun supporte sa part d'usure dans la circulation monétaire, en proportion aussi juste que possible de la jouissance qu'il en a. Mais si l'on trouve ce système injuste, je ne crois pas que l'on trouvera plus juste de mettre un impôt sur les sucres, sur les bières, sur la propriété foncière et sur autre chose, pour réparer l'usure de pièces de cinq francs qui jamais n'ont passé dans les mains de ceux qui payent.
On doit rendre à ce système cette justice qu'il avait le très grand avantage de faire connaître la destination même de l'impôt perçu ; il n'y a pas d'impôt meilleur que celui qui permet au contribuable de savoir ce qu'il paye et pourquoi il paye.
Ainsi, chez les deux nations dont les idées économiques sont le plus avancées, en Angleterre et en Hollande, ce système fonctionne sans difficulté ni gêne et l'on s'en trouve très bien.
Mais je me hâte de le dire, je ne pense pas que ce système soit admis en France et cela parce que les masses y connaissent moins les exigences des faits économiques et les nécessités des gouvernements.
On y considère trop l'Etat tout à la fois comme une puissance tutélaire qui peut remédier à tout, et comme un adversaire à qui il faut éviter de payer.
Mais peut-on espérer qu'en revanche le gouvernement français entretiendra les pièces d'or que l'on propose d'adopter ? Tout le passé répond négativement. La France n'a pris aucune mesure pour remédier au frai, elle n'en prend pas encore.
Messieurs, les pièces d'or sont neuves aujourd'hui, il n'y a donc pas de difficulté pour le moment ; mais d'ici à 20 ans, par exemple, il y aura évidemment des pièces usées ; que ferez-vous alors ? Comment entretiendrez-vous votre circulation de pièces d'or à leur poids légal, à leur valeur normale ? Sera-ce l'Etat belge qui devra se charger de la perte résultant de la circulation de toute la France ? Comme on ne cessera pas d'ici à cette époque de fabriquer des pièces d'or, vous auriez probablement à payer une somme énorme.
Vous n'avez pas aujourd'hui dans la circulation de pièces de cinq francs antérieures à 1850. (Interruption.) Quand je dis qu'il n'y en a pas, j'entends dire qu'il n'y en a pas une quantité appréciable commercialement parlant. D'un autre côté, l'or s'use six fois plus vile que l'argent. Les expériences, en effet, ont constaté les résultats suivants.
Une pièce de 8 fr. perd, par an, 1/6200 de son poids, tandis que la guinée anglaise perd environ 1/1050.
On parle beaucoup du mauvais état de notre circulation monétaire ; nous venons de voir que les pièces ne sont pas bien anciennes cependant, et qu'elles s'usent lentement ; dites, que ferez-vous lorsque vous aurez admis, chez vous, des pièces s'usant six fois plus vite ?
Les ferez-vous entretenir par l'Etat ? Mais quels dangers avec la monnaie d'or pour l'usure artificielle des pièces ! Et qui, d'ailleurs, osera proposer cet impôt au profit de la France ?
Les ferez-vous couper ? Non, dites-vous, ce système vous répugne ; mais en avez-vous un autre ? Et, si vous n'en avez pas, il faudra forcément le subir dans des conditions bien plus dures qu'avec le numéraire argent.
Mais non, vous éviterez cette double alternative.
Non, on ne fera ni l'un ni l'autre, on laissera aller les choses ; les pièces s'useront ; on les laissera s'user ; la fabrication deviendra impossible, parce que la présence des pièces frustes fera disparaître les autres, et alors il faudra en revenir à l'expédient toujours ancien et toujours nouveau : faire de plus petites pièces qui puissent lutter avec les plus usées de la circulation.
Il faut y penser sérieusement et il est plus facile de montrer les vices des remèdes que d'en indiquer de bons. Quand vous aurez admis, sans traité et sans engagement, cette communauté monétaire avec la France, on peut le dire avec assurance, vous ne serez plus maîtres de votre circulation, vous n'aurez plus qu'à suivre les errements de ce pays, en un mot, vous aurez une annexion monétaire complète.
(page 622) Si la Chambre adopte la proposition que nous avons l'honneur de lui soumettre, tout se concilie parfaitement : nous laisserons les pièces françaises s'user tant qu'elles voudront ; seulement quand elles seront usées, nous ne les accepterons que pour une valeur inférieure à leur valeur actuelle. (Interruption.)
Comme le taux d'admission est variable, le gouvernement le tiendra en rapport avec la valeur intrinsèque des pièces, et les créanciers de toutes les catégories recevront toujours ce à quoi ils ont droit.
D'un autre côté, vous pourrez par ce moyen réaliser probablement sous peu la réforme de notre circulation d'argent ; vous le pourrez ; parce que le système s'appuiera sur la valeur intrinsèque des pièces ; l'exactitude de l'étalon argent rétablie, on sera rentré dans la vérité des choses et des principes.
Messieurs, je ne me dissimule pas que la proposition que nous soumettons à la Chambre ne satisfera pas tous les vœux et ne calmera pas toutes les plaintes. Si je pouvais exprimer un désir plus dans notre intérêt que dans celui de la cause que nous défendons, ce serait de succomber dans le débat.
Dans un avenir peu éloigné on déciderait si nos prédictions étaient ou non fondées et si nous avions mal fait de résister au courant de l'opinion publique.
Ce qui arrive aujourd'hui est très naturel : quand il y a gêne, on s'en prend à ce qu'on voit sans songer à porter ses regards en arrière ; on s'attaque à ce qui paraît être la cause du mal, à ce qui frappe le plus les yeux. Mais on n'a que trop souvent à regretter de n'avoir cherché un remède qu'en restreignant la liberté d'autrui, quand la législature permettait à chacun de se protéger lui-même.
Je repousserai de mon vote, messieurs, la proposition de M. Dumortier.
En votant ainsi, je devrai dire à un certain nombre de mes commettants : Je n'ai pas fait ce que vous avez voulu. Mais j'aurai la satisfaction plus noble de pouvoir dire : J'ai fait ce que j'ai dû.
(page 618) M. le président. - Voici l'amendement déposé par MM. Pirmez et Jamar ;
« Les pièces d'or françaises de vingt francs seront reçues dans les caisses de l'Etat au taux que le gouvernement fixera tous les six mois.
« Ce taux pourra toujours être modifié dans l'intervalle des fixations périodiques ; il sera déterminé d'après les cours des bourses belges. »
M. Carlier. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission du Code pénal sur le titre X et dernier du livre II de ce code.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour démontrer l'exactitude d'une assertion que j'ai introduite dans le discours de l'habile orateur qui vient de se rasseoir.
J'ai dit qu'il y avait aujourd'hui moins de vaisselle et d'argenterie en circulation en Belgique qu'il y a vingt ans ou vingt-cinq ans.
Il me serait impossible, je l'avoue, de démontrer la vérité de cette assertion, il serait tout aussi difficile à M. Pirmez de démontrer le contraire, les éléments d'appréciation nous manquent ; il n'y a pas moyen d'établir de théorie là-dessus.
J'ai émis une opinion qu'il ne croit pas pouvoir partager, je ne demande pas mieux que de la trouver fausse ; je ne demande pas mieux que d'apprendre que toutes les pièces d'argenterie de parade que j'ai'vues dans maintes maisons ne sont pas du Christophle ou du Ruolz, mais de l'argent pur.
Je souhaite que M. Pirmez ait parfaitement raison.
Il m'a semblé qu'on s'était beaucoup trop préoccupé de mon honorable ami M. Dumortier dans ce débat. Il ne s'agit pas de donner cours légal à M. Dumortier, mais de donner cours légal à l'or français.
C'est là la question. Quand même vous parviendriez à démonétiser M. Dumortier, ce qui ne sera pas facile, vous n'auriez pas remédié au mal dont la Belgique souffre et se plaint.
J'avais préparé un très long discours sur l'or, la matière y prête, on l'a bien prouvé depuis un an ; réflexion faite, j'ai remplacé ce long discours par un tout petit que je trouve bien meilleur, et que je vais prononcer après deux courtes observations sur le discours de M. Pirmez.
L'honorable membre signale les inconvénients de l'or et les avantages de l'argent ; soit, je crois qu'en théorie et même en pratique, ce qui vaut autant, il serait difficile de prouver le contraire.
Mais alors donnez-nous la conclusion de la théorie, elle est demandée à grands cris par le public à qui le choix entre l'or et l'argent est indifférent et qui vous dit : Donnez-nous de l'argent.
Aussi longtemps que les partisans de la monnaie d'argent se borneront à nous donner des paroles, leurs théories, quelque belles qu'elles soient, ne satisferont pas le public qui veut du positif ; le public respecte les théories, mais il veut qu'on les mette d'accord avec les faits de manière à ne pas le gêner dans ses intérêts.
Il vous dit : Vous avez raison.
Vive l'argent, mais donnez-nous de l'argent.
M. le ministre des finances ne veut pas nous donner de la monnaie d'argent ; je crois qu'il a d'excellentes raisons pour cela. (Interruption.) Je crois qu'il a d'excellentes raisons pour ne pas nous donner de l'argent, je ne lui en fais pas un reproche, car faire de la monnaie d'argent maintenant serait une faute qui mériterait le nom de duperie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On en fera très bien...
M. Coomans. - En ferez-vous ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faudrait savoir, quand on parle de monnaie, que ce n'est pas le gouvernement, mais le public qui donne l'argent.
M. Coomans. - Ne jouons pas sur les mots ; quand je dis que le gouvernement fait de l'argent, on sait bien que je veux dire que le gouvernement frappe de la monnaie d'argent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement constate le poids et le titre de la monnaie d'argent que le public fait frapper.
M. Coomans. - On en frappe sous sa garantie... (Interruption.
Je voulais faire un petit discours, vous allez me forcer à en faire un long.
Est-ce que M. le ministre de la justice ne me ferait pas emprisonner si j'en faisais ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous seriez obligé d'aller à l'hôtel de la monnaie pour y faire constater le titre et le poids de votre marchandise ; le gouvernement ne fait absolument rien d’autre dans cette affaire ; il vous dispense de peser et de vérifier le titre, c’est le public qui donne l’argent.
M. Coomans. - Je sais bien que le gouvernement ne donne pas d'argent, puisqu'il ne fait qu'en prendre ; je sais que c'est toujours le public qui fournit l'argent, soit au gouvernement, soit à la monnaie.
Mais c'est le gouvernement qui émet la monnaie, c'est lui qui propose les lois en vertu desquelles la monnaie est fabriquée, c'est lui qui la garantit. Si ce n'est pas le gouvernement qui fait la monnaie, voilà encore une théorie à laquelle je n'entends rien.
J'avais cru jusqu'ici que le gouvernement seul faisait de la monnaie ; c'est si vrai qu'il qualifie de faux monnayeur le monnayeur marron qui veut faire de la monnaie.
Je répondrai à M. Pirmez que je suis tout prêt à lui accorder que, pour les cinq ou six raisons qu'il a dites et pour d'autres encore, la monnaie d'argent est supérieure à la monnaie d'or ; mais alors M. Pirmez doit nous donner de la monnaie d'argent. (Interruption.)
Permettez au public de faire de la monnaie d'argent dans de bonnes conditions. (Interruption.) C'est impossible ? C'est ce que je veux dire ; vous n'êtes pas en état de mettre en circulation en Belgique le capital argent nécessaire au peuple pour faire ses affaires ; voilà donc la contradiction que je signale dans le discours de M. Pirmez comme dans d'autres prononcés dans le même but.
La seconde contradiction est celle-ci : l'honorable membre préfère l'argent à l'or, parce que l'argent offre le précieux avantage de varier moins que l'or.
M. Pirmez. - Je veux surtout n'avoir qu'une monnaie, parce qu'une monnaie varie moins que deux.
M. Coomans. - Soit. Et quelle est la conclusion de l'honorable membre ? Il nous propose une monnaie qui variera tous les six mois, et il nous propose ce deuxième étalon dont il ne veut pas. Il ne veut que de la monnaie d'argent, parce qu'elle est la plus fixe et qu'elle est préférable à l'or ? Il nous accorde de l'or, mais à la condition que la monnaie d'or ne soit point fixe, que la valeur varie tous les six mois.
Je respecte beaucoup la théorie ; j'en fais quelquefois ; elle est indispensable. Je crois que la définition qu'en a donnée l'honorable M. Pirmez est très bonne. Mais il m'accordera qu'il y a de mauvaises théories, aussi, appliquées à des faits mal vus, mal observés.
Je vous ai dit qu'au long discours que je vous épargne, j'avais substitué unp etit, bien meilleur à mon sens. Le voici :
Tout peuple civilisé a besoin d'une monnaie commerciale.
Il est du devoir du gouvernement d'en fabriquer une ou d'en mettre une à la disposition des citoyens à qui il est défendu d'en battre.
Or le gouvernement belge ne peut pas ou ne veut pas fabriquer ou laisser fabriquer en son nom une monnaie commerciale.
Donc il doit accepter celle de ses voisins et de préférence celle des voisins avec lesquels nous avons le plus de relations d'affaires. Donc encore il doit admettre le cours légal de l'or français.
M. Janssens. - Messieurs, je ne viens point me poser en économiste. Je viens moins encore faire le procès à l'économie politique. Cependant lorsque les raisonnements qui nous sont présentés au nom de cette science aboutissent à des conséquences qui me semblent contraires au bon sens, je me permets de croire que les savants se trompent, c'est-à-dire que la science qu'ils professent est incomplète ou qu'ils en sont sortis.
Et l'expérience n'autorise-t-elle pas ce soupçon ? Ne nous avait-on pas assuré que la loi de 1850 aurait pour effet de nous garantir une circulation d'argent, de faire affluer l'argent vers la Belgique, et cette prophétie ne se trouve-t-elle pas démentie par les faits ?
Aujourd'hui je ne puis admettre qu'au nom d'une science quelconque la Belgique doive être privée d'une monnaie légale et réelle. C'est ce qu'elle n'a pas, c'est ce qu'elle nous demande et c'est ce qu'elle a le droit de nous demander. Et ici, messieurs, je me trouve entièrement d'accord avec mon honorable ami M. Coomans.
Nous avons une monnaie légale ou plutôt nous devrions l'avoir en argent ; mais personne ne peut nier que cette monnaie n'existe pas en quantité suffisante pour satisfaire aux besoins du commerce.
(page 619) Nous avons une monnaie de fait qui est l'or, mais celle-là n'est pas légale.
Eh bien, le pays a le droit de nous demander de deux choses l’une, ou bien qu'on lui donne de cette monnaie d'argent qui seule est légale, ou bien que vous déclariez légale cette monnaie d'or que vous ne pouvez pas remplacer.
Il est impossible que l'on persiste à refuser à la lois ces deux choses.
Quoi ! quand nous demandons de l'argent, on nous dit : C'est impossible, l'argent est à un taux trop élevé. Et quand nous demandons de l'or, on nous répond : C'est dangereux, l'or est trop déprécié. Et nous devrions ainsi rester sans monnaie légale parce que l'argent est trop cher et l'or pas assez ! Messieurs, si c'est là le dernier mot de la science, je fais trêve à mon admiration et je me passerai pour cette fois de ses conseils.
Mais je me hâte de le dire, je n'accuse pas la science, on doit l'avoir mal appliquée. Permettez-moi de faire une comparaison.
Je suppose que vous ayez fait une opération de mathématique qui vous conduise à un résultat absurde et qu'un homme de bon sens, peu instruit du reste, vous en fasse l'observation.
Qu'y a-t-il à faire ? Devez-vous maintenir le résultat de vos calculs et dire : Cela est chiffré ? Certainement non.
Et l'homme sans instruction a-t-il le droit de se moquer des mathématiques ? Pas davantage.
Il y a à chercher l'erreur qui a été commise, à moins que la question ne soit assez simple pour la résoudre sans opération scientifique.
Voilà à peu près dans quel état se présente à mes yeux la question dont nous sommes saisis.
Je n'ai pas la prétention de réviser les travaux, remarquables à beaucoup d'égards, présentés par d'honorables collègues qui ont fait de la question une étude profonde et consciencieuse et qui ont abouti à un résultat que je ne puis admettre.
Cette tâche, je le reconnais, serait au-dessus de mes forces. Je me permettrai seulement de communiquer à la Chambre quelques réflexions que j'ai faites à propos de ces études.
J'ai cru remarquer d'abord qu'on n'avait pas tenu compte de toutes les données du problème et ensuite que l'on appliquait comme axiomes des propositions qui ne sont pas d'une vérité absolue.
Ceux qui ont fait la loi de 1850, et qui s'opposent aujourd'hui au cours légal de l'or, n'ont pas, je pense, tenu suffisamment compte de l'influence que doit nécessairement exercer, sur notre circulation monétaire, celle de la France. En 1832, quand il s'agissait de créer un régime monétaire pour la Belgique, on aurait pu l'isoler si on avait voulu. On a pensé qu'il valait mieux avoir le même système qu'un grand pays voisin, et l'on a adopté celui de la France. Ce fait posé, on s'est, à mon avis, trompé en supposant, en 1850, qu'on pouvait se soustraire à une partie de ce système, qu'on pouvait conserver la même unité monétaire, le même étalon d'argent, mais repousser la monnaie d'or. On devait nécessairement être entraîné, et il n'y a pas moyen de nier qu'on l'a été.
Mon honorable ami M. Vermeire n'admet pas cette conséquence fatale et il se demande si nous serions encore condamnés à suivre la France si elle battait de fausses monnaies, si elle émettait des assignats. Non, vous auriez alors le devoir de ne pas la suivre et vous en auriez en même temps le pouvoir, parce que la différence qui s'établirait entre votre système et le sien serait brusque et sensible, que tout le monde la comprendrait ; mais telle n'est pas la différence qui s'est produite par cette faible et lente dépréciation de l'or. Je crois donc que la communauté de notre unité monétaire avec celle d'un grand pays voisin a une grande importance qui a été trop négligée. Ce fait me semble encore perdu de vue par ceux qui, tout en reconnaissant la nécessité de donner cours légal à l'or, voudraient en même temps supprimer l'étalon d'argent. Quant aux conséquences immédiates, elles sont les mêmes, que vous mainteniez ou que vous supprimiez l'étalon d'argent, l'honorable M. Royer de Behr l'a reconnu ; mais j'ajoute que dans l'avenir les conséquences seront encore les mêmes. En effet, ce sera de deux choses l'une ; ou bien c'est l'or qui restera au-dessous du pair, eu bien c'est l’argent qui descendra au-dessous du pair ; j'appelle le pair le rapport établi par la loi française.
Si c'est la première hypothèse qui se réalise, nous n'aurons que de la monnaie d'or, que l'étalon d'argent soit conservé ou non dans la loi.
Si la seconde hypothèse devient vraie, si l'argent baisse, vous verrez reparaître en France la monnaie d'argent, et vous en aurez en Belgique, que vous en ayez ou non maintenu l'étalon dans votre loi. L'argent alors entrera illégalement dans le pays comme l'or y est entré illégalement, et l'or disparaîtra comme l'argent a disparu, un peu plus vite encore, parce que l'or semble toujours plus prompt à disparaître.
La seule différence qu'il y aurait dans la supposition de la baisse de l'argent, c'est que si vous avez supprimé l'étalon d'argent vous aurez à le rétablir et à faire l'inverse de ce qu'on vous demande aujourd'hui, tandis que si vous l'avez conservé, la même loi pourvoit aux deux éventualités.
C'est encore en m'appuyant sur cette communauté de circulation monétaire et sur les conséquences qui en résultent, que je crois inopportune la création d'une monnaie divisionnaire à plus bas titre ; mesure qui au fond ne me répugne pas.
Si la baisse de l'or ne devient pas plus grande, les monnaies divisionnaires ne seront point enlevées dans une très forte proportion, parce qu'elles ont généralement trop perdu par le frai pour offrir de l'avantage à la fonte. Si l'or subit une forte dépréciation, la France éprouvera comme nous le besoin d'une nouvelle monnaie divisionnaire, et il nous est avantageux, ce me semble, d'attendre et d'observer les actes qu'elle posera.
La circulation monétaire de la France exerce donc sur celle de notre pays une influence très grande ; on l'a parfois oublié et c'est peut-être une des conséquences erronées auxquelles on a abouti.
Je dirai encore que je ne puis admettre comme absolument vrais certains principes sur lesquels on se fonde.
Ainsi lorsqu'on soutient que la monnaie n'est qu'une marchandise, j'ai grand-peine à m'incliner et à croire que c'est vrai.
Certes, je crois bien moins ceux qui affirment que la monnaie n'est que le signe représentatif de la valeur, et s'il n'y avait qu'à choisir entre les deux propositions, je choisirais sans hésiter la première, comme se rapprochant le plus de la vérité. Mais si les métaux précieux sont des marchandises comme les autres, il est évident qu'en passant à l'état de monnaie ils acquièrent des propriétés particulières et que, par contre et peut-être pour les mêmes motifs, ils sont soustraits, dans une certaine mesure, aux conditions des marchandises ordinaires.
Quelle est cette mesure, c'est ce qui est fort difficile à indiquer ; ce qui me paraît hors de doute c'est que la différence existe. Quand même on parviendrait à démontrer que la différence n'est due qu'à un préjugé populaire, encore soutiendrai-je qu'elle existe, qu'elle existera toujours et qu'il en faut tenir compte.
Et si jamais on parvenait à soumettre dans le commerce les monnaies aux mêmes nécessités de contrôle et de supputation de valeur que les autres marchandises, on aurait enlevé aux monnaies une partie de leur utilité.
Mais lorsque en présence des pétitions nombreuses qui nous arrivent revêtues des signatures de presque tous les commerçants belges, j'entends l'honorable M. de Boe nous dire : Il est si peu de personnes qui connaissent le rôle que jouent les monnaies !, je suis tenté de lui répondre : Le commerce connaît le rôle des monnaies ; beaucoup de négociants, sans avoir à ce sujet une bien vaste érudition savent très bien leur faire jouer ce rôle, ressemblant un peu à ce personnage de Molière qui faisait de la prose sans le savoir.
Pour moi, messieurs, je crois que s'il y a, quant à la nature des monnaies, des préjugés à combattre, c'est aller au-delà de la vérité que de dire que ce sont simplement des marchandises et qu'en érigeant cette proposition en axiome quelques économistes ont pu être conduits à des conséquences fausses.
Messieurs, la question se pose devant nous dans des termes tels, que le simple bon sens me paraît en indiquer la solution.
Je l'ai déjà dit en commençant, il faut au pays une monnaie légale et réelle. Puisque vous ne pouvez rendre réelle celle qui serait légale, rendez légale celle qui est réelle.
Ceux qui nous tracent un tableau effrayant des conséquences que peut amener dans l'avenir la monnaie d'or, oublient que ces conséquences nous les subirons dans tous les cas, puisque déjà la très grande partie de notre circulation se fait en or, si l'or continue à baisser, notre monnaie d'argent continuera à émigrer, et ainsi, en fin de compte, si toutefois une grande baisse arrive, nous la subirons tout entière. Et si la baisse ne continue pas, quel est le danger ?
Nous pourrions peut-être nous soustraire à toutes les conséquences de la baisse en changeant notre unité monétaire ; mais ose-t-on, veut-on cela ?
Pour quel motif donc laisser au commerce cette gêne et ces petites pertes continuelles qu'il subit ? Il est vrai qu'à côté de chacune de ces pertes il y a un bénéfice correspondant ; en effet, si l'or donne une perte aux uns, il doit donner un bénéfice aux autres ; mais il n'y a point là de compensation.
(page 620) Il n'y en a pas pour les individus, car ce sont presque toujours d'un côté les mêmes qui perdent et d'un autre côté les mêmes qui gagnent. Il n'y a pas non plus de compensation pour la société, car les pertes sont presque toujours à charge des faibles, et les bénéfices sont souvent peu honnêtes. Il faut les flétrir, dit l'honorable M. Jamar. Sans doute ; mais j'aime mieux encore les empêcher.
C'est parce que je tiens à couper court à ce mal que je ne puis accepter le remède proposé comme transaction, la tarification de l'or. Je crains bien que ce remède ne soit point accepté, point compris par le pays et qu'après l'adoption de cette mesure, les monnaies d'or ne soient données tantôt au prix de la cote, tantôt à la valeur nominale. Cette crainte ne se réalisât-elle pas, j'aurais encore celle de mettre les détenteurs d'or dans des conditions inégales à la veille des modifications de tarif. Les uns pouvant mieux que les autres prévoir quelle serait la cote nouvelle pourraient diriger leurs spéculations en ce sens. Il s'en trouverait même qui par certaines manœuvres pourraient agir sur cette cote. Ce système, messieurs, n'a pas, je pense, de grandes chances d'obtenir vos suffrages.
On a fait contre le cours légal de l'or cette objection qu'en le décrétant on diminue la valeur de toutes les créances, et que par conséquent on nuit aux créanciers. Cette objection a été, je pense, suffisamment réfutée. Elle m'avait toujours paru théorique plutôt que pratique. Ce qui contribuait à me rassurer, c'était de voir que la plupart de ceux qui veulent tirer parti de cet argument, ne l'ont pas produit à propos des effets de la loi de 1850. Celle-là a modifié aussi la position respective du débiteur et du créancier et cette fois en limitant les droits des premiers. Il y avait donc chance de rendre leur position moins avantageuse.
On a dit que la rareté de l'argent semble diminuer, qu'une certaine réaction se fait sentir, que par conséquent la loi que l'on demande devient moins nécessaire. Si réellement cette situation se produit, alors aussi les objections que l'on pouvait faire contre la loi diminuent. Et puisque nous avons pu reconnaître les inconvénients de la loi de 1850, on devrait être heureux d'en pouvoir revenir dans un moment où le changement s'opérera sans secousse sensible.
J'ai eu l'honneur tantôt d'exprimer cette opinion que notre unité monétaire, commune avec celle de la France, nous entraînerait à toutes les conséquences que peut avoir dans ce pays le double étalon monétaire. Permettez-moi en finissant de dire un mot de ce système considéré en lui-même.
Messieurs, tant et de si grandes autorités ont demandé la condamnation définitive du double étalon que j'éprouverais quelque embarras à plaider devant vous ne fût-ce que la circonstance atténuante. Et pourtant je me demande si l'on n'a pas exagéré le mal que ce système occasionne ; si l'on a tenu compte du bien qui peut en résulter.
Certes, si la loi qui crée le double étalon avait la prétention de fixer d'une manière constante le rapport de valeur entre deux choses différentes, elle décréterait une absurdité, et cette absurdité ne serait pas encore d'un très grand danger, puisque c'est en même temps une impossibilité, et que celui des deux métaux qui a à se plaindre de la comparaison conserve toujours la faculté de s'en aller s'il a mieux à faire, et cette faculté nous voyons qu'il en use.
Mais est-ce bien ainsi qu'il faut comprendre la loi ? Ne se borne- t-elle pas à donner le choix d'acquitter une somme donnée moyennant tel poids de tel métal ou bien tel autre poids de tel autre métal ? Ces conditions étant connues de tous ne peuvent constituer d'injustice à l'égard de personne. Et remarquons que les deux métaux monnaies ne se maintiennent ensemble dans la circulation que tant que le rapport inscrit dans la loi reste vrai ; alors certainement le système ne soulève aucune critique. Si le rapport change, le métal le moins cher se maintient seul et la loi fonctionne comme s'il n'y avait qu'un seul étalon. Quel est le -mal ?
C'est, dit-on, le manque de fixité. Je crois que c'est là une erreur et que c'est en cela qu'on méconnaît le bon côté de ce système. Cette fixité, cette stabilité que l'on doit désirer consiste-t-elle à avoir toujours la même somme représentée par le même poids du même métal, ou bien consiste-t-elle à maintenir le rapport le plus constant possible entre l'unité monétaire et les autres objets ? Evidemment c'est ce dernier but que l'on doit poursuivre. On ne peut jamais prétendre atteindre et jamais non plus on ne pourrait vérifier s'il est atteint, attendu qu'il n'existe aucun point de comparaison fixe.
Mais pour se rapprocher le plus possible de ce but, il me semble utile que l'étalon variable soit adopté dans plusieurs pays ; ceux-là se serrent toujours pour l'usage de la monnaie du métal offert en plus grande quantité et par contre ils abandonnent au commerce général celui des deux métaux qui est le plus rare.
M. le baron Cogels, dans une brochure, dit que si l'or n'a pas subi une baisse plus grande, on le doit au système monétaire français ; que la circulation d'argent en France offrait un grand réservoir dans lequel on a puisé pour les besoins d'argent qui se faisaient sentir, et qu'ainsi l'on a trouvé un grand vide à combler. Et, messieurs, ce fut un grand service que le double étalon a rendu en diminuant d'un côté les conséquences de la rareté de l'argent et de l'autre côté celle de l'abondance de l'or.
N'avons-nous pas tous les motifs de croire que si la France et les pays qui suivent son système avaient eu l'argent pour étalon unique, l'argent serait aujourd'hui renchéri de beaucoup et l'or bien déprécié.
Si tous les pays avaient un étalon monétaire unique et invariable, les quantités de métaux précieux exigés pour les besoins de la circulation seraient bien moins variables et, par conséquent, les changements dans les conditions de production exerceraient une influence bien plus prompte et plus marquée sur les prix des métaux et sur la valeur des monnaies.
Ces considérations, messieurs, ont fait disparaître en grande partie la répugnance que j'aurais pu éprouver à replacer le pays sous un régime auquel nous avions essayé de nous soustraire.
L'essai, du reste, a été infructueux et il devait l'être.
On n'a pu éloigner ce qu'on redoutait, et, en retournant au régime de 1832 nous n'aurons que des facilités en plus.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ? (Silence dans l'assemblée.)
- Plusieurs membres. - Et l'auteur de la proposition ?
M. B. Dumortier. - Je serais désireux de pouvoir parler. Mais vous reconnaîtrez combien je me trouve dans une position difficile pour le faire.
J'ai fait, quant à moi, mon plaidoyer, comme on le dit au barreau, j'ai donné mon exposé des motifs. J'espérais que M. le ministre des finances nous déclarerait s'il se rallie à ma proposition ou s'il la combat. S'il s'y rallie, la solution de la question est bien facile ; s'il la combat, je serais charmé d'entendre ses raisons.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jusqu'à présent tous les orateurs qui se sont levés ont combattu les motifs donnés par l'honorable M. Dumortier à l'appui de sa proposition. J'attendais qu'il voulût bien la défendre pour savoir si je puis m'y rallier ; mais lorsqu'elle est combattue par tout le monde dans tous ses motifs, que pas un seul orateur ne s'est associé aux idées émises par l'honorable membre, je suis assez peu disposé, quant à présent, à me rallier à sa proposition.
M. B. Dumortier. - Je crois que c'est une plaisanterie que de dire que tous les orateurs ont combattu ma proposition.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit : les motifs.
M. B. Dumortier. - Le fait est que sur dix orateurs il en est trois, je crois, qui l'ont combattue. Tous les autres se sont prononcés pour l'adoption.
- Plusieurs membres. - A demain.
- D'autres membres. - La clôture !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble que, dans une pareille question, il est impossible de clore sans entendre le gouvernement, et je ne puis guère commencer à parler à quatre heures.
M. le président. - Nous pourrions remettre la discussion à demain.
- Plusieurs membres. - A demain.
- D'autres membres. - A mardi,
- La question de savoir si la séance sera remise à mardi est mise aux voix.
L'épreuve étant douteuse, il est procédé à l'appel nominal.
95 membres sont présents.
13 se prononcent pour la remise de la séance à mardi.
82 se prononcent contre.
En conséquence, la séance est remise à demain.
Ont répondu oui : MM. Thibaut, Thienpont, Van Dormael, Van Overloop, Wasseige, Beeckman, de Naeyer, Devaux, B. Dumortier, Neyt, Notelteirs, Nothomb et Sabatier.
Ont répondu non : MM. Snoy, Tact, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, (page 621) Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Allard, Coomans, Crombez, Dautrebande, David, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechamps, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, De Lexhy, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Magherman, Moreau, Mouton, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Saeyman, Savart et Vervoort.
M. Sabatier. - M. le président, je demanderai l'impression de la proposition qui a été déposée par MM. Pirmez et collègues.
M. le président. - C'est de droit. La proposition sera, conformément au règlement, imprimée et distribuée.
- La séance est levée à 4 heures.