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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 581) (Présidence de M, Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart, et lit le procès-verbal de la séance du 9 février.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Du Pont présente des observations sur le mode suivi par la commission des pétitions dans la répartition de son travail. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Herchies demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité, et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants de Bruxelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi, relative a la monnaie d'or.


« Le sieur Grégoire, maréchal des logis de gendarmerie pensionné, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relative à la pension des gendarmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Renlies demandent une loi qui autorise l'acceptation de la monnaie d'or française dans les caisses de l'Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi.


« Des habitants de Beaumont demandent la construction d'un chemin de fer de Peissant ou de Thuin à Beaumont et Momignies. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Petit-Enghien demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, ou du moins l'exécution de la ligne de Haï à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles, »

M. Allard. - La Chambre a déjà renvoyé à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport, des pétitions ayant le même objet que celles dont on vient de faire l'analyse.

Le conseil communal de Tournai nous a également envoyé une pétition demandant l'exécution de ce chemin de fer.

Je demande que la pétition que l'on vient d'analyser ainsi que celle du conseil communal de Tournai qu'on va analyser, soient renvoyées à la commission des pétitions avec prière d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs de Pitteurs-Hiegaerts et Le Docte, président et secrétaire du conseil de la société centrale d'agriculture de Belgique, prient la Chambre de maintenir aux budgets futurs l'allocation d'un million de francs qu'elle a votée au budget de 1861 pour l'amélioration des chemins vicinaux. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur pour l'exercice 1862.


« Des habitants de Koewacht demandent que le concessionnaire d'un chemin de fer de Malines vers Breskens soit tenu d'établir une station sur le territoire de la commune de Stekene, au hameau dit : les trois Cheminées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Boisschot prie la Chambre d'imposer aux concessionnaires d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals le tracé par Heyst-op-den-Berg et Boisschot et la construction d'un embranchement partant du chemin de fer de l'Etat à Malines et allant rejoindre la voie principale à la hauteur d'Heyst. »

- Même renvoi.


« Le sieur Viggria, combattant de 1830, demande un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Salomon demande une récompense honorifique pour actes de dévouement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Aernout, ancien maréchal des logis au premier régiment de lanciers, prie la Chambre de lui faire payer les arrérages, jusqu'en 1845, de la pension dont il jouit, depuis cette époque, en qualité de décoré de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Herck, milicien de la levée de 1839, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir son congé définitif. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Noël prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une récompense. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Tournai demande la construction, soit par l'Etat, soit par voie de concession, d'un chemin de fer direct d'Ath à Hal et d'une ligne directe de Tournai à Lille. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Burdinne demandent la construction d'un chemin de fer Grand-Central franco-belge, partant d'Amiens et aboutissant à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »

« Même demande des membres du conseil communal de Saint-Amand. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Blankenberghe prie la Chambre d'appuyer les propositions qui lui seront soumises par le gouvernement en faveur du port de cette ville. »

M. Rodenbach. - La pétition dont on vient de faire l'analyse vous a été adressée par le conseil de régence de la ville de Blankenberghe. Ce conseil de régence nous dit qu'un projet de loi va être présenté qui proposera la création d'un port de refuge dans cette ville.

J'ai déjà eu l'occasion d'appuyer ce projet, je demande que le ministère veuille bien nous présenter le projet annoncé aussitôt que possible, afin que nous puissions le discuter et le voter avant la fin de la session.

M. le président. - Demandez-vous un prompt rapport ?

M. Rodenbach. - M. le ministre des travaux publics me dit à l'instant même qu'il va présenter sous peu de jours ce projet de loi. Je ne demande donc pas un prompt rapport.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.


« Un grand nombre de commerçants et industriels à Gand prient la Chambre de rapporter la loi du 28 décembre 1850 et de remettre en vigueur celle du 5 juin 1852, quant à la fabrication des monnaies nationales d'or et d'argent, et l'admission, dans les caisses de l'Etat, des monnaies étrangères de même valeur, titre et module. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.


« Les sieurs Daumerie et Le Docte, président et secrétaire de la société centrale d'agriculture, demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »

- Même décision.


« Les secrétaires communaux du canton de Landen demandent qu'il soit pris des mesures pour améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires à Anvers réclament contre l'application de l'article 5 du règlement communal du 18 octobre 1851. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 12 février, M. le ministre de la justice informe que le sieur Constantin Sonval, demeurant à Marchienne-au-Pont, a renoncé à sa demande de naturalisation. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre, par M. Jules Rancelot, d'Anvers, de 116 exemplaires d'une brochure qui traite de la décadence du commerce et de la marine en Belgique. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


(page 582) « M. De Fré, obligé de s'absenter, pour aller témoigner en justice, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.


« M. le ministre de l'intérieur transmet avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux ; des opérations électorales qui ont eu lieu, à Liège, le 15 de ce mois, pour l'élection d'un représentant. »

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

- Il est procédé au tirage au sort d'une commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Braconnier-Lamarche ; elle se compose de MM. Goblet, de Renesse, Lebeau, Van Dormael, de Naeyer, de Rongé et Neyt.

Interpellation

M. Coomans. - Je m'attendais à ce que d'honorables collègues prissent l'initiative d'une interpellation sur les travaux militaires d'Anvers. Mais puisqu'ils ne demandent pas la parole, je m’exécute.

Depuis quelques jours, des bruits qui touchent à de grands intérêts nationaux, à l'intérêt de la défense de la Belgique et à la dignité de la Chambre, sont mis en circulation. On dit que le gouvernement a modifié sensiblement l’exécution du projet de loi qu’il nous a présenté et que nous avons voté au sujet des fortifications d'Anvers.

Je m'informe de la vérité.

On prétend, d'une part, que ces modifications ont été inspirées par un désir d'économie, par le désir de ne pas recourir à des crédits supplémentaires

D'autre part, on prétend qu'elles seraient l'effet d’une sorte de repentir, du besoin de changer les plans primitifs, et que l'on aurait reconnu que les travaux en exécution n'étaient pas propres à atteindre le but qu'avaient en vue ceux qui les ont proposés. Quant à moi, messieurs, je ne me prononce pas, je ne donne pas des renseignements ; je n'en ai point ; j'en demande.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Avez-vous prévenu M. le ministre de la guerre de votre interpellation ?

M. Coomans. - Je reconnais que si l'interpellation regardait uniquement l'honorable ministre de la guerre, j'aurais dû attendre sa présence ; mais des faits pareils à ceux auxquels on fait allusion ne se posent pas, s'ils sont vrais, sans que le cabinet s'en soit occupé, et dès lors je ne crois pas être indiscret en formulant mon interpellation devant les trois ou quatre ministres qui sont à leur banc. Du reste, je puis, à la rigueur, attendre jusqu'à demain si MM. les ministres n'en savent pas plus que moi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est fort probable que la réponse de l'un des ministres présents ne satisferait pas l'honorable M. Coomans et qu'il demanderait à entendre le ministre compétent, Mais rien n'empêche qu'on prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien se rendre à la séance. Je suis convaincu qu'il lui sera très facile de donner des explications dont la Chambre sera complètement satisfaite.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

M. Royer de Behr. - Messieurs, la question qui nous est soumise soulève de justes et de légitimes préoccupations. Les nombreuses pétitions adressées à la Chambre pour demander le cours légal de l'on français, les associations formées en vue de stimuler ce pétitionnement, les meetings, les discussions dans la presse, les avis différents des chambres de commerce et enfin, pour couronner cet ensemble, le rapport de la section centrale, décidant en principe qu'il y a lieu de modifier notre système monétaire, tout démontre que l'état de choses est devenu intolérable et que la législature doit y porter un remède prompt et efficace.

Le projet de loi de l'honorable M. Dumortier remédiera-t-il à la situation ?

Ce projet de loi n'entraîne-t-il pas de graves inconvénients ?

Je déclare, messieurs, pour mon compté, pouvoir dès à présent m'y rallier ; non pas à cause des motifs présentés par l'honorable membre, mais par des considérations puisées dans un tout autre ordre d'idées.

A mon sens, l'introduction de l'or dans notre système monétaire ne présente aucun péril ; car, s'il est vrai que le prix des choses se règle sur la monnaie, celle-ci, en se dépréciant, ne peut jamais occasionner qu'une hausse nominale dans les prix des marchandises.

Mais si l'avenir n'est pas compromis, s'ensuit-il qu'il faille adopter la proposition radicale de l'honorable membre ? Et si le rapport existant entre l'or et l'argent n’est plus le même qu'en l'an XI, c'est-à-dire si un kilogramme d'or ne paye plus aujourd'hui 15 kilog. et demi d'argent, les personnes, ayant traité sous l'empire de la législation actuelle, ne seront-elles pas lésées dans leur intérêts ? En d'autres termes, permettre la libération des créances au moyen d'une monnaie dépréciée, n'est-ce pas là une atteinte sérieuse portée au droit de propriété ?

Telle est, selon moi, la question dominante. Je l'examinerai dans la suite de mon discours.

Je ferai un peu, très peu de théorie, le moins possible. Il faut bien se laisser guider par quelques principes dans ce dédale monétaire, où tant d'hommes éminents s’égarent quelquefois et où tant d'autres se perdent souvent.

Il est permis de supposer un état social dans lequel la monnaie serait complètement inconnue, inusitée. Cet état social a dû exister ; peut-être existe-t-il encore chez quelques peuplades sauvages. Dans cette situation, les échanges se traitaient en nature, de produits à produits. Mais la civilisation, en se perfectionnant, engendre des besoins nombreux ; les transactions se multiplient, et bientôt le troc simple, tout au plus réalisable dans la sphère la plus restreinte, devient une véritable impossibilité. De là dérive l'usage de la monnaie.

En effet, nous voyons tous les peuples civilisés recourir à des monnaies pour faciliter leurs échanges, recourir à une marchandise servant d'intermédiaire dans les transactions, et pouvant en même temps servir d'unité pour comparer la valeur de tous les produits et de ces nombreux services que les hommes réunis en société se rendent réciproquement.

Dès la plus haute antiquité, les métaux précieux remplissent cette fonction intermédiaire des échanges. Je ne fatiguerai pas la Chambre, en lui en exposant les motifs ; ces motifs ne sont ignorés de personne ; je constaterai simplement, parce que cela sera nécessaire à ma démonstration, je constaterai qu'une des causes de cette préférence si universelle accordée aux métaux précieux, est leur double valeur, la valeur qu'ils puisent dans leur utilité monétaire proprement dite et la valeur ayant son origine dans leurs emplois industriels.

Les métaux précieux s'emparent légitimement du rôle d'intermédiaire dans les échanges en circulant, d'abord à l'état de lingots dont chacun apprécie le titre et le poids. L'honorable auteur du projet de loi ne contestera pas, je ne pense pas même qu'il puisse contester, qu'à l'origine les monnaies aient circulé à l'état de lingots.

S'il le contestait, je pourrais lui citer des preuves historiques à l'appui de mon assertion, mais ce fait est incontestable.

L'empreinte sur la monnaie fut un véritable progrès, imaginé tout simplement pour éviter aux particuliers le pesage et la constatation du titre des lingots.

Si les princes, au moyen âge, ont abusé du droit exclusif qu'ils s'attribuaient en se réservant le monopole du monnayage, c'est qu'ils ont cru que l'empreinte, et non l'utilité du métal, était la raison d'être de la valeur monétaire.

Mais, à toutes les époques, les faits ont condamné cette doctrine, dont les conséquences étaient de jeter le trouble et l'indécision dans tous les rapports commerciaux et de conduire en même temps aux altérations les plus scandaleuses de la monnaie.

Les populations ne s'y trompaient pas, et quand, sous Louis XIV, dit un historien, les écus d’une once furent réduits à une demi-once, ils n'achetèrent plus que 30 livres de froment au lieu de 60, qu'ils achetaient auparavant, et lorsque Philippe le Bel proclamait cet impudent mensonge que ses émissions d'espèces étaient de la même valeur que celles du roi Louis, les populations lui appliquaient le surnom mérité de faux monnayeur, et Dante, dans son poème de l’Enfer, flétrissait la cupidité de ce prince.

L'empreinte constate donc purement et simplement le poids et le titre du métal. Elle n’est qu'un certificat et n'enlève utilement à la pièce de monnaie sa qualité de marchandise.

Le mot franc n'est qu'un mot réveillant l'idée d'un petit morceau de métal, d'un petit lingot du poids de 5 grammes à 9/10 de fin et personne ne s'y tromperait si, au lieu d'employer les dénominations usitées, on disait des pièces de 5 grammes à 9/10 de fin, comme autrefois, on se servait des mots livre et marc d'argent.

L'honorable M. Dumortier que soutient-il ? Que le lingot est une véritable marchandise, mais que, dès l’instant que cette marchandise est ornée de l'effigie d'un souverain quelconque, elle changé de nature, et acquiert alors une valeur immuable, invariable.

L'honorable membre se trompe, et ce n'est pas par des considérations semblables qu'il justifiera sa proposition ; celle-ci se justifie par l'absence de monnaie d'argent et par l'invasion de l'or.

L'honorable membre ne peut soutenir une contradiction.

Comment ! Quand je pèserai moi-même un petit lingot de 5 grammes à . 9/10 de fin, il me dira : C'est une marchandise dont la valeur est variable (page583) comme celle de toute autre marchandise ; mais dès l'instant que M. le ministre des finances ou ses agents auront orné ce disque de métal d'une empreinte quelconque, l'honorable M. Dumortier ajoutera : Oh ! c'est une monnaie invariable, dans tous les temps, peut-être même dans tous les lieux.

Eh bien, c'est là une contradiction, et il faut, pour émettre de semblables doctrines, ne pas se rendre compte de ce que signifie le mot : valeur. (Interruption.) J'ai dît que je ferais un peu de théorie ; j'arriverai bientôt à la pratique.

Je dis donc qu'il ne faut pas se rendre compte du mot « valeur » pour exposer des théories ou des pratiques semblables à celle de l'honorable membre.

Le mot « »valeur » ! mais ce mot n'exprime jamais que l'idée d'un rapport. Et quel rapport ? Le rapport entre nos besoins et les moyens d'y pourvoir ; c'est-à-dire le rapport entre deux éléments essentiellement mobiles, essentiellement variables. Il faudrait prouver, pour démontrer que la valeur des monnaies est invariable, que nos besoins de monnaie ont constants et que la quantité de monnaies existante ne change pas. Or, c'est là une démonstration radicalement impossible.

Messieurs, j'ai cherché à expliquer en aussi peu de mots qu'il m'a été possible, que l'or et l'argent, à l'état de monnaie, sont de véritables marchandises variables, comme toutes les autres.

Résulte-t-il, de ma démonstration, le rejet du cours légal de l'or ? Non, messieurs, elle implique nécessairement la conséquence d'un seul étalon.

L'or et l'argent varient de prix sous l'impulsion de diverses causes. En ce moment l'or diminue de prix par suite des importations ; et l'argent augmente de prix par suite des exportations.

Les deux métaux servant généralement de monnaie produiront donc des résultats différents : l'abondance de l'or déterminera une hausse nominale dans le prix des choses commerçables ; tandis que la rareté de l'argent produira une baisse factice.

Eh bien, dans ces circonstances, admises par tout le monde, est-il possible de prétendre maintenir le rapport fixé par la loi de germinal ?

Messieurs, cela n'est pas possible, et la proposition de l'honorable M. Dumortier, si, elle est adoptée, comme je le crois, amènera forcément l'étalon d'or, c'est-à-dire, la législation admise par l'Angleterre en 1816.

« Deux métaux, a dit un savant écrivain, tels que l'or et l'argent ne peuvent servir au même moment dans le même pays, de mesure dans les échanges, parce qu'il faut que celle mesure soit perpétuellement la même, et reste dans la même proportion de valeur. Prendre pour mesure de la valeur commerciale des choses, des matières qui n'ont pas entre elles de rapport fixe et invariable, c'est comme si l'on choisissait pour mesure de la longueur un objet qui fût sujet à s'allonger ou à se rétrécir. Il faut qu'il n'y ait dans chaque pays qu'un seul métal qui soit la monnaie de compte, le gage des conventions et la mesure des valeurs.

Remarquez, du reste, messieurs, que le franc d'or vaut moins que le franc d'argent ; par conséquent, vous ne pouvez pas soutenir que le kilogramme d'or vaut encore 15 1/2 kilog. d'argent. Cela n'est pas soutenable. Mais, diront les partisans du double étalon, si le rapport n'est plus exact, modifiez-le, rétablissez-en l'exactitude. Dès lors, nous nous heurtons contre un autre écueil : notre système cesse d'être en harmonie avec celui de la France. Et si nous battons des pièces d'or de 20 fr. valant exactement 20 francs d'argent, n'en résultera-t-il pas, comme conséquence, que nos pièces d'or fuiront avec la même rapidité que nos pièces d'argent ?

Je me déclare partisan d'un seul étalon, de l'étalon d'or et de la proposition de l'honorable M. Dumortier, parce que, en fait, elle aboutira à ce résultat. Où est le danger, messieurs, d'une semblable réforme ?

En fait n'est-il pas accompli ? L'or français n'a-t-il pas envahi la circulation ? Qui pourrait le contester ? Personne, je crois. Si j'ai bonne mémoire, l'on prétend que le capital monétaire en Belgique est de 400 à 500 millions. Eh bien, je crois que maintenant nous avons en Belgique plus de la moitié de notre capital en or. Un fait encore : nous sommes dans l'impossibilité de battre de la monnaie d'argent, parce que cette monnaie ne tarderait pas à s'exiler ; le commerce réclame cependant de la monnaie légale, pouvez-vous lui en refuser ?

Si je puis avoir foi dans une assertion exprimée dans une brochure traduite de l'allemand en 1859, par M. Malou, l'Angleterre, l'Amérique du Nord, la France, la Suisse, presque toute l'Italie, le Portugal, Brème, la Russie, et, dit l'auteur s'il ne se trompe, toute l'Amérique centrale et méridionale, et l'Espagne, ont à présent la monnaie d'or.

La Belgique doit-elle s'isoler ? doit-elle chercher à opposer une digue à un semblable torrent ? en a-t-elle les moyens, y a-t-elle quelque intérêt ? Ne voyez-vous pas, messieurs, qu'elle s'épuiserait en efforts inutiles ? Mettez donc en balance les inconvénients sérieux, très sérieux, je le reconnais, de la perte de la monnaie d'argent, mais mettez aussi en balance les inconvénients

Et puis, en adoptant l'or, ne ferons-nous point un pas immense vers cette belle idée considérée comme l'idéal de la civilisation et du progrès ; ne marchons-nous pas, avec les plus puissantes nations du monde, vers la conquête d'une monnaie uniforme et universelle, grande et généreuse pensée digne d'un peuple libre, digne du peuple belge !

Je me suis demandé au début de mon discours si les créanciers ne seraient pas lésés dans leurs intérêts par le droit attribué aux débiteurs se libérer en monnaie d'or.

Je ne fais aucune difficulté de résoudre affirmativement cette question. Mais il n'y a là, selon moi, aucune atteinte à la propriété. Quand des conventions sont stipulées en argent ou en or, les créanciers et les débiteurs supportent dans une égale ou inégale proportion, peu importe, supportent les chances de hausse ou de baisse des agents monétaires.

Admettez, par hypothèse, que l'or et l'argent ont diminué de valeur, par rapport aux objets qu'ils achètent ; cela n'a rien d'improbable. Je tiens avant tout à le justifier : je dis que le fait est probable. En effet, si nous examinons la valeur des monnaies, par rapport à tous les objets qu'elles peuvent acheter, nous voyons qu'il en coûte beaucoup plus pour vivre qu'il y a quinze ou vingt ans ; un revenu de 5,000 fr., par exemple, n'achète plus ce qu'il achetait il y a quinze ou vingt ans.

Serait-ce que la population ayant augmenté a déterminé une demande plus vive des produits, et par suite un renchérissement de tous les objets nécessaires à la vie ? Mais non ; car les statistiques nous enseignent que la population, en France comme en Belgique, ne s'est pas accrue au point d'exercer une semblable influence..

Serait-ce que la production a diminué ? Il serait absurde de le prétendre en présence de l'immense développement de l'industrie et de l'admirable développement des moyens de transport.

Quelle est donc la cause de ce renchérissement des prix ? Je crois que cette cause est la surabondance de tous les agents monétaires, car les besoins et tes besoins du luxe n'ont pu avoir assez d'intensité pour exercer une réaction aussi puissante sur les prix des choses. En un mot les faits qui se passent actuellement sont presque identiques avec ceux qui ont eu lieu après la découverte du nouveau monde. Un auteur très estimé rapporte en quelques mots les faits de l'époque dont je parle.

« On remarquait à cette époque qu'à mesure que la masse du numéraire augmentait, le besoin s'en faisait plus vivement sentir ; des transactions qui avaient été jusque-là très difficiles ou même impossibles en employaient une quantité plus considérable et l'empêchaient de baisser de prix dans la même proportion que son abondance était accrue. Les économistes ne sont pas d'accord sur l'augmentation qui résulte de cette baisse de prix de l'argent dans le prix des marchandises. Adam Smith ne l'évalue qu'au triple, tandis que le marquis de Garnier estime qu'elle fut douze fois plus considérable. »

Ces faits coïncidant avec les actes des souverains augmentant artificiellement la valeur des monnaies, il en résulta, ajoute l'auteur que je viens de citer, que les denrées de consommation parurent coûter dix ou doute fois plus cher qu'auparavant.

Mais, comme le dit encore le même écrivain, « une telle métamorphose ne pouvait s'opérer sans douleur ; les premiers moments furent rudes à tous ceux qui vivaient d'un revenu fixe ou d'un salaire limité, avant que la hausse du fermage ou du salaire se fût mise en harmonie avec l'élévation du prix des choses. »

Cette observation, messieurs, me ramène à la position des débiteurs vis-à-vis des créanciers. Si les deux métaux ont diminué de valeur, soit dans d'inégales proportions, soit en conservant toujours le rapport de 1 à 15 1/2, l'Etat se croira-t-il obligé de compenser la perte qui en résulte pour tous les porteurs de monnaie, pour tous ceux qui ont un revenu fixe et invariable ? Mais non, je ne réfuterai pas une semblable doctrine, elle se réfute d'elle-même.

Eh bien, si l'argent, quoique ayant diminué de valeur par rapport aux objets qu'il achète, vaut néanmoins plus que l'or, l'Etat ne doit aucune compensation légale à personne.

(page 584) Pas plus qu'il ne la devrait à tout le pays s'il y avait une dépréciation générale des monnaies. Encore une fois le rôle de l'Etat en matière de monnaie se borne à constater le titre et le poids du métal. Il ne peut pas aller au-delà ; il ne peut fixer la valeur, élément nécessairement aléatoire et mobile.

Je terminerai par quelques considérations puisées dans un autre ordre d'idées.

Si, au point de vue de la science économique pure, la solution proposée par l'honorable M. Dumortier peut laisser à désirer, n'y a-t-il pas des considérations supérieures qui doivent déterminer l'admission de cette proposition ?

Un économiste éminent, qui fut en même temps un homme d'Etat remarquable et professa l'économie politique au Collège de France avant M. Michel Chevalier, divisait la science en deux parties distinctes : l'une purement théorique, l'autre toute d'application.

Il disait que « quand on passe de la science à l'art, il faut tenir compte des circonstances qui doivent modifier les principes dans leurs applications ; » il ajoutait « que l'économie politique donne des conséquences des principes économiques, et que c'est aux applicateurs de tenir compte de tous les autres principes qui doivent concourir, pour que la solution de la question soit conforme aux intérêts les plus chers de la nation et des individus ; que la morale, la politique, les influences de temps, d'espace, de nationalité, interviennent nécessairement dans la solution des questions sociales. »

Eh bien, messieurs, n'y a-t-il pas lieu, dans la circonstance actuelle, d'appliquer cette doctrine ?

Dans notre système de gouvernement représentatif, la Constitution accorde une place très large à l'opinion publique. Celle-ci se manifeste par le droit de pétition.

Jamais, je le pense, à aucune époque, ce droit n'a été exercé avec plus d'énergie que dans ce moment. Car si j'aperçois un grand nombre de pétitions réclamant le cours légal de l'or français, je n'en vois aucune demandant le maintien de la législation de 1850.

On ne pourrait pas, je pense, en citer une seule. Les partisans de cette législation sont, du reste, en présence d'un argument irrésistible. Ils se condamnent eux-mêmes en avouant qu'ils sont dans l'impossibilité de frapper de la monnaie d'argent et que la monnaie d'or fait successivement disparaître le peu d'argent qui nous reste.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'avoue pas cela du tout.

M. Royer de Behr. - Je vois M. le ministre des finances faire un signe de dénégation.

J'aurai recours, s'il le faut, au rapport de la section centrale que nous n'avons pas eu le temps d'examiner peut-être suffisamment ; car il ne nous a été distribué qu'hier soir. Mais cela est dit tout au long dans ce rapport. Il constate qu'il nous reste 15 p. c. de monnaie nationale.

Tous les publicistes, du reste, qui ont fait une étude approfondie de la question dans la presse, ont exprimé l'opinion que j'admets ici. La voici exprimée à peu près dans les mêmes termes par un journal spécial :

« Cet état de choses est déjà fort désavantageux ; mais ce qui l'est encore plus, c'est la condition dans laquelle se trouve la monnaie d'argent, seule admise dans les rapports des contribuables avec les caisses publiques, la banque et le trésor. La monnaie d'argent se compose, en Belgique, pour 13 p. c. de pièces nationales, et pour 87 p. c. de pièces françaises, usées, rognées, rebut du triage des changeurs, n'ayant plus le poids, et dont la valeur intrinsèque est inférieure à la valeur nominale dans une mesure plus forte que la prime dont l'argent jouit dans le commerce. »

Le système de l'honorable M. Dumortier ou tout autre système ayant la faveur du public, parce qu'il repose sur le principe de l'admission de l'or, est-il mauvais ? Mais je vous dirai, à vous qui voulez conserver à l'argent ses prérogatives souveraines, à vous qui êtes partisans de l'état de choses actuel, qu'il fallait faire pénétrer d'abord vos idées dans l'esprit des populations. Que ne suivez-vous la méthode appliquée en Angleterre, où l'on connaît si bien la pratique du gouvernement représentatif ? Que faisaient les promoteurs de la liberté commerciale quand ils réclamaient l'abrogation des lois céréales, cette clef de voûte de l'édifice de la protection ?

Ils cherchaient d'abord à populariser leurs idées de liberté dans les masses. Ils usaient de tous les moyens légaux de propagande, de persuasion ; ils cherchaient ensuite à modifier la majorité du parlement, et c'est seulement lorsque l'opinion publique se fut déclarée avec énergie que Robert Peel prit l'initiative de la réforme. Or, dans les circonstances présentes, ainsi que le disait un orateur dans un récent meeting, si le peuple se trompe, le peuple a le droit de se tromper, parce que c'est le peuple qui paye ; je rappellerai en outre cette parole d'un grand orateur de la première révolution française : « Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison. »

L'opinion publique, messieurs, mais c'est la puissance constitutionnelle devant laquelle vous vous inclinez forcément. En voulez-vous la preuve ? Que signifient vos arrêtés de dissolution des Chambres ?

Lorsque vous croyez que la majorité de la Chambre ne répond plus à l'opinion publique, c'est à l'opinion publique que vous en appelez.

Vous avez toujours égard à l'opinion publique, dans toutes vos déterminations.

Pourquoi l'honorable ministre des finances n'a-t-il pas présenté jusqu'à présent la réforme douanière ? Probablement parce qu'il la juge inopportune, mais tel n'est pas mon avis.

Pourquoi l'honorable ministre de l'intérieur a-t-il dit, au début de la session, qu'il ne nous soumettrait pas cette année le projet relatif aux fraudes électorales ? Parce que cette présentation serait inopportune.

Pourquoi le ministère ne présente-t-il pas une loi politique qui figure à son programme, la loi relative à l'instruction primaire ? Encore une fois parce qu'elle serait inopportune.

Dans toutes les circonstances, vous avez égard à l'opinion publique, et vous avez mille fois raison.

Dans la circonstance actuelle, si vous faites une loi à rencontre du sentiment public, vous aurez fait une loi mauvaise, car elle sera inexécutable. La résistance s'organisera, et vous, gouvernement, vous serez obligé de recevoir les pièces de 20 fr. dans les caisses publiques, car on ne vous offrira rien autre chose et vous ne pourrez exproprier tous les contribuables. Vous reculerez devant une semblable extrémité et vous aurez raison. Car pour faire prévaloir l'idée économique que vous croyez juste, je n'en doute pas, vous aurez porté un coup fatal à un principe de moralité et d'ordre social, vous aurez appris à nos populations à ne plus respecter les lois.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. de Naeyer fait rapport, au nom de la commission qui a été chargée de vérifier les opérations électorales de l'arrondissement de Liège. La commission propose l'admission de M. Braconnier-Lamarche.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Braconnier Lamarche prête serment.

Interpellation

Réponse à l’interpellation de M. Coomans

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je viens d'apprendre que l'honorable M. Coomans a adressé une interpellation au gouvernement, au sujet des travaux d'Anvers. Je suis à la disposition de la Chambre pour donner toutes les explications qu'elle voudra bien me demander. Si la Chambre permet que je réponde maintenant, je prierai l'honorable M. Coomans de vouloir bien répéter son interpellation et je le remercie de l'avoir faite aujourd'hui, car j'avais hâte de trouver l'occasion de faire connaître la vérité.

M. Coomans. - J'étais bien sûr de ne pas être désagréable à l'honorable ministre de la guerre en faisant mon interpellation. Je le remercie de s'être rendu immédiatement à la séance et d'avoir ainsi rendu hommage à une prérogative parlementaire des plus précieuses.

Messieurs, vous n'ignorez pas que ces jours-ci un assez grand nombre de journaux, appartenant à différentes opinions, se sont beaucoup occupés des fortifications d'Anvers ; ils ont prétendu et prétendent encore chaque matin que le gouvernement a sensiblement modifié les projets et plans soumis à la Chambre et votés par elle, soit dans un esprit d'économie dans le but de ne pas devoir recourir à des crédits supplémentaires, soit pour remédier à des défaut» qui auraient été constatés ultérieurement.

J'ai déclaré dans ma première interpellation et je renouvelle cette déclaration, que je ne connais absolument rien de cette affaire. Je n'ai donc ni à louer, ni à critiquer la conduite du gouvernement ; mais je pense qu'il convient et au gouvernement et à la dignité de la Chambre que nous soyons les premiers instruits de ce qu'il pourrait y avoir de vrai dans une affaire d'une importance aussi majeure.

(page 585) M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Puisque l'interpellation qui m'est adressée a été provoquée par des articles de journaux, permettez-moi, messieurs, de dire quelques mots au sujet de la fortification polygonale qui a été attaquée et qu'on prétend avoir été imposée par moi.

Lorsque le gouvernement s'est décidé à présenter le projet de loi relatif à l'agrandissement et aux fortifications d'Anvers, il a fait établir un avant-projet pour déterminer l'importance du crédit à demander à la législature.

En dressant les plans de cet avant-projet, on a tenu compte des progrès accomplis dans les fortifications et l'artillerie ; c'est ce qui a engagé la commission chargée d'examiner le système de défense du pays à préférer la fortification polygonale à la fortification bastionnée.

Vous vous rappellerez, messieurs, que dans cette commission, composée de vingt-six membres, figuraient plusieurs de nos sommités militaires et la plupart des officiers qui s'étaient occupés officiellement ou même à titre particulier, de la question de la défense nationale.

Un journal a avancé qu'un général étranger qui est venu remplir, en Belgique, une mission de courtoisie auprès du Roi, avait passé une inspection des travaux d'Anvers ; qu'à la suite de cette inspection il s'était rendu à Laeken, pour déclarer à Sa Majesté que ce système polygonal que nous avions adopté, était absurde et que tous les travaux exécutés jusqu'à ce jour n'avaient pas le sens commun.

Il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela. L'honorable général, bien loin d'inspecter les travaux d'Anvers, ne les a pas même visités. Il est allé simplement passer quelques heures à Anvers pour voir les monuments et le musée. Il est ensuite monté sur la tour pour se faire une idée du pays. A son retour il m'a fait l'honneur de me dire, en présence de M. le ministre de Prusse, qu'il trouvait la position militaire magnifique et les fortifications parfaitement conçues, à en juger par les plans qu'il avait vus et qui se vendent dans le commerce.

L'honorable général a tenu le même langage à d'autres personnes. Sans parler de l'invraisemblance manifeste des faits rapportés, comment peut-on admettre qu'un général prussien critiquerait le système polygonal en pays étranger, alors que la Prusse a construit toutes ses nouvelles fortifications d'après ce même système ?

Le même, journal ajoutait qu'ensuite de cette déclaration du général, le Roi avait convoqué à Laeken des officiers du génie attachés aux travaux d'Anvers, et que tous avaient déclaré à Sa Majesté, l'inspecteur général en tête, qu'ils étaient opposés à ces travaux et qu'ils protestaient contre leur exécution imposée par le ministre de la guerre.

Ai-je besoin de dire que tout cela est aussi faux que le rôle qu'on a fait jouer à un général étranger ?

Aucun officier du génie n'a été appelé par le Roi. Sa Majesté connaît, aussi bien que personne, ce qui se passe sur les travaux d'Anvers.

Rien ne s'y fait sans qu'il en soit rendu compte au Roi, qui porte un trop grand intérêt à une entreprise aussi importante, pour qu'elle ne soit pas l'objet de sa constante sollicitude.

Tout à l'heure, messieurs, je vous ai parlé des avant-projets. Permettez-moi de vous donner encore quelques explications à ce sujet.

Les avant-projets ne sont pas des plans définitifs, des plans d'exécution, ils représentent le type de la fortification adoptée.

Ils doivent être remaniés par les officiers chargés de la conduite des travaux, de manière à se plier, à s'adapter aux exigences des localités, aux mouvements et à la constitution des terrains.

Les modifications de détail apportées jusqu'ici à ces plans primitifs n'en altèrent aucunement le caractère, et rentrent dans la catégorie des changements que nécessitent tous les travaux du même genre.

Ainsi, lors de la confection des plans primitifs, on savait qu'il était possible d'atteindre des murs d'escarpe en faisant plonger les boulets au-delà des masses couvrantes. Mais la grande quantité de projectiles pleins qu'il fallait dépenser, ainsi que le peu d'importance des brèches produites, n'avaient pas encore fait redouter ce mode d'attaque.

Les expériences de tir en brèche à distance qui ont été faites récemment dans quelques pays, avec l'artillerie rayée contre des revêtements en maçonnerie, ont démontré à l'évidence qu'il faudra renoncer désormais à revêtir les escarpes des ouvrages précédés de larges fossés.

Les nouveaux boulets creux ne se brisent pas comme les anciens obus contre la maçonnerie ; ils y pénètrent profondément et y éclatent en produisant des entonnoirs considérables.

Dès que ces faits ont été constatés, j'ai ordonné de nouvelles études et j'ai approuvé les modifications de détail, proposées pour remédier aux inconvénients signalés.

Ces modifications n'apportent aucun changement au tracé général, ni au système adopté. Elles n'ont donné lieu à aucune fausse manœuvre.

Bien loin d'occasionner des dépenses nouvelles, elles permettront de réaliser d'importantes économies tout en améliorant le système de défense.

Ce qu'on a dit de contraire à ce que je viens d'avancer, est complètement inexact.

Ai-je besoin d'ajouter que ces changements et améliorations de détail ont été prévus en principe, comme ils le sont toujours dans les grands travaux de fortification, et que c'est pour s'assurer la possibilité de les exécuter que l'entreprise a été adjugée à bordereau de prix et non pas à forfait ?

Il n'y a pas d'exemple de grands travaux exécutés où l'on n'ait été obligé de modifier les avant-projets. Cela s'est produit dans tous les temps et dans tous les pays.

Je n'en citerai qu'un exemple qui vous rassurera, je crois, sur nos travaux d'Anvers.

Les ingénieurs anglais remanient les projets et les travaux commencés des forts de Portsmouth. Eh bien, chose significative, les changements qu'ils ont admis et qu'ils opèrent ont pour objet de se rapprocher plus étroitement des types adoptés pour les forts du camp retranché d'Anvers.

Je pourrais vous citer des faits analogues qui prouveraient qu'en Allemagne et en France on apporte des modifications à des fortifications à peine élevées, et cela par suite des progrès introduits dans l'artillerie.

Et l'on vient me faire un reproche à moi d'apporter des modifications de détail dans les plans, avant l'exécution des travaux ! Aimerait-on mieux que je les fisse après ?

Tout se borne aujourd'hui à changer quelques coups de crayon. Voudrait-on, au lieu de cela, s'exposer à devoir faire plus tard une dépense considérable ! Durant le cours d'exécution des travaux d'Anvers, je chercherai à introduire dans le système toutes les améliorations et toutes les économies possibles.

L'obligation que je me suis imposée de créer une place irréprochable et de rester dans la limite des crédits alloués, me fait un devoir de rechercher tous les perfectionnements que la science moderne réalise, depuis quelque temps, et tous les moyens d'éviter des dépenses inutiles.

Je continuerai donc à marcher résolument dans cette voie et je crois que la Chambre ne m'en blâmera pas.

- Des membres. - Bien au contraire.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis, à propos des travaux d'Anvers, l'objet de toutes les attaques imaginables. Je ne sais qui peut fournir aux journaux les renseignements complètement erronés qu'ils publient. Les membres de la Chambre qui voudraient se renseigner ont un moyen bien simple. C'est de visiter les travaux d'Anvers ou de venir chercher des explications au ministère, où je serai toujours à leur disposition.

N'a-t-on pas été jusqu'à publier que, sur quelques points, on enterre des masses de maçonnerie pour dissimuler des fautes de construction, et que sur d'autres on démolit des travaux à peine commencés ?

Le fait est qu'on n'a pas déplacé une seule brique, et qu'on n'a pas enterré une seule partie de maçonnerie.

Je me suis creusé l'esprit pour découvrir ce qui avait pu donner lieu à ces bruits étranges, à ces rumeurs malveillantes.

Voici peut-être ce qui les explique : Dans les travaux de fortification comme dans tous les travaux de maçonnerie on doit faire des fondations. Dans le seul fort où l'on ait commencé des maçonneries, on a fait l'an dernier les fondations des batteries hautes, qui doivent être établies sur le terre-plein des remparts. Cette année on élève les remparts et on enterre forcément les fondations de ces batteries qu'on ne pourra construire que lorsque les remparts seront élevés.

Le simple bon sens expliquait cette manœuvre inévitable.

Voici le second fait qui a pu donner lieu au bruit de la démolition de maçonneries commencées.

Nous avons entrepris de former à Anvers des maçons militaires. Nous avons eu deux motifs pour cela.

Lorsqu'on emploie les troupes aux travaux publics, il y a un avantage incontestable à leur faire exécuter des travaux d'art de préférence à des travaux de terrassement. Il en résulte une économie pour le trésor, puisque les travaux d'art se payent beaucoup plus cher que les terrassements, et que les soldats reçoivent le même supplément de solde, qu'ils exécutent l'un ou l'autre travail.

Le second avantage qui résulte de l'emploi des maçons militaires, c'est que nous apprenons à nos jeunes soldats un métier lucratif, et que, (page 586) leur terme de service expiré, ils auront des moyens d'existence assurés et pourront rendre de grands services à leurs communes respectives.

Pour donner cette instruction à nos jeunes miliciens, j'ai fait mettre à la disposition d'un de nos officiers les plus dévoués quelques milliers de briques et les matériaux nécessaires à la construction des différentes maçonneries en usage dans la fortification.

A l'aide de ces matériaux, on a fait élever à nos apprentis maçons quelques voûtes, quelques embrasures, quelques créneaux dans un lieu spécialement choisi pour donner cette instruction.

Les travaux terminés, on les fait démolir et recommencer. On continue et on continuera encore, pendant plusieurs mois, ces leçons éminemment utiles.

Est-ce là ce qui a pu donner lieu à l'étrange supposition de la démolition de nos travaux de maçonnerie ?

Je puis vous affirmer qu'il n'y a pas eu d'autres démolitions.

Voilà, messieurs ; tout ce que j'ai à répondre à l'interpellation de M. Coomans. Si d'autres membres de cette assemblée avaient de nouvelles explications à me demander, je me ferais un devoir de les fournir à l'instant même.

- Une voix. - On a aussi parlé de canons.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Dans peu de jours, je l'espère, nous aurons à examiner le projet de loi relatif au crédit que j'ai demandé pour la transformation de notre artillerie. Je donnerai alors toutes les explications qu'il me sera possible de fournir à la Chambre, et je suis certain que toutes les erreurs qu'on a propagées à ce sujet s'évanouiront comme viennent de s'évanouir, je le pense, celles qu'on a répandues au sujet des travaux d'Anvers.

M. Coomans. - Messieurs, il est bien entendu, j'espère, que ce n'est pas à moi que s'adresse l'honorable ministre de la guerre, quand il se plaint des reproches qui lui auraient été faits d'améliorer les fortifications d'Anvers et d'avoir apporté des économies dans l'exécution de ce projet ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Evidemment non.

M. Coomans. - Je vois avec plaisir, d'après les paroles de l'honorable ministre, que ces reproches portent contre d'autres que moi ; j'ai à peine besoin de le dire, je désire vivement que de révision en révision, le gouvernement en arrive à diminuer de plus en plus la dépense votée pour Anvers.

Je laisse au gouvernement, pour atteindre ce but, la partie belle ; je lui donne carte blanche.

Il n'aura pas, pour se justifier à cet égard, à entrer dans des détails spéciaux et des démonstrations savantes. Je ne lui demande, sous ce rapport, qu'un chiffre, le chiffre définitif de la dépense qui sera présenté à la Chambre.

Un point encore.

Je n'ai jamais cru l'historiette de M. le général de Bonin, aussi n'y ai-je pas fait allusion.

Cette historiette était si contraire à la dignité de la Belgique et du gouvernement, que j'aurais cru manquer aux convenances en en occupant la Chambre.

Je déclare que je suis provisoirement très satisfait de l'ensemble des explications données par l'honorable ministre de la guerre.

Il y a un point, cependant, que j'ai oublié dans mon interpellation et sur lequel je désirerais un mot de réponse, un oui ou un non de la part de l'honorable ministre.

Est-il vrai que, par suite des changements ou améliorations apportées par le gouvernement, il y aurait un procès avec la compagnie qui exécute les travaux ?

Ce point me paraît beaucoup plus intéressant que l'historiette du général de Bonin.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il n'en est nullement question ; je n'en ai pas entendu parler.

M. Coomans. - Tant mieux.

- L'incident est clos.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

M. le président. - Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or. II n'y a plus d'orateurs inscrits.

M. Jamar (pour une motion d’ordre). - Je crois que beaucoup d'orateurs auront pensé, comme moi, que la distribution tardive du rapport aurait fait exécuter l'article 55 du règlement et que la discussion serait remise probablement à demain.

M. Vermeire. - Je n'ai pas eu le temps de lire le rapport de la section centrale, que je n'ai trouvé que ce midi à ma rentrée en ville. Il me semble que la question qui est soumise actuellement à la Chambre est assez importante pour que nous la discutions à fond et après mûr examen.

Pour le moment, il mènerait très difficile de répondre d'une manière convenable, au discours qui vient d'être prononcé sur cette question.

Je proposerai donc de remettre cette discussion à demain ou après-demain.

M. le président. - Je ferai remarquer que c'est, d'après le vœu de la Chambre que la discussion a commencé aujourd'hui. Maintenant veut-on en renvoyer la suite à demain ?

- Plusieurs membres. - Non ! non ! continuons.

M. Vermeire. - Si l'on ne veut pas remettre la discussion à demain, je présenterai quelques observations très courtes.

L'honorable préopinant a envisagé la question monétaire, en ce qui concerne les relations à l'intérieur, mais je crois qu'il n'a pas abordé la question, dans ses rapports avec nos relations de l'étranger.

Ainsi, messieurs, je me demande, tout d'abord, quel est le rôle que la monnaie joue dans les transactions actuelles, telles qu'elles sont constituées en Europe.

Est-il de l'intérêt général, pour faciliter la circulation, que nous ayons une monnaie, universelle, qui a tant été prônée par l'honorable préopinant ; ou serait-il préférable que chaque pays eût une monnaie à lui, afin que l'étranger ne pût nous l'enlever aussi facilement qu'il peut le faire dans l'état actuel de la situation ?

Lorsque le gouvernement des Pays-Bas a été créé, la première, chose qu'il a cru devoir faire, c'était d'établir un système monétaire en opposition avec celui de la France, parce que, disait-on à cette époque, il faut qu'un pays ait une monnaie qui lui soit propre, pour avoir une circulation abondante, Il faut encore qu'une monnaie, quelle qu'elle soit, représente une valeur intrinsèque égale à celle pour laquelle elle est acceptée.

Je crois que, sous ce dernier rapport, nous sommes parfaitement d'accord avec l'honorable membre qui vient de parler.

Les combats qui se sont livrés entre l'or et l'argent me paraissent à peu près finis.

En 1850, nous avons pris l'argent pour étalon monétaire, parce que nous trouvions beaucoup d'inconvénients dans l'étalon d'or, et ces inconvénients, il ne faut par les chercher dans les théories, il faut voir seulement si, en admettant l'or comme type monétaire, on peut avoir une monnaie divisionnaire, telle, qu'il soit possible de faire les petits payements et les appoints.

Supposons que l'or et l'argent aient une valeur à peu près équivalente comme c'est le cas actuellement, car la différence est de 4 cent., par pièce de 20 francs contre 4 pièces de 5 francs. Cette différence, il faut bien le dire, n'est pas assez importante, pour qu'on insiste tant sur cette question.

Elle est insignifiante, et depuis quelque temps l'argent commence à arriver en assez grande abondance pour que les inconvénients qui avaient été signalés à plusieurs reprises n'existent plus un même degré.

J'ai vu encore dans un journal que le gouvernement français venait de faire un échange avec le gouvernement russe pour une somme importante et qu'il avait reçu de l'argent contre une valeur équivalente d'or.

M. Vilain XIIII. - C'est le contraire.

M. Vermeire. - Quand même je me serais trompé et que j'eusse interverti l'ordre de l'échange, il n'en résulte pas moins que, comme je viens de le dire, la valeur relative des deux métaux est, à peu, près, la même.

Maintenant, toute la question se résume à ceci : Faut-il donner à la monnaie une valeur nominale supérieure à sa valeur intrinsèque ? En second lieu : Quel est, dans l'état actuel des choses, le métal qui peut le mieux servir les intérêts généraux ? Quand tout le monde est d'accord, a-t-on dit, un seul ne doit pas prétendre contredire l'opinion générale. C'est possible ; mais il importe, avant tout, d'examiner où est la justice et ce que commande l'intérêt général.

Ainsi, par exemple, si vous changiez immédiatement votre système monétaire et si vous substituiez l'or à l'argent, vous provoqueriez instantanément un change très défavorable pour la Belgique

Toutes les transactions, tous les payements que vous aurez à faire à l'étranger subiront nécessairement l'influence du prix des métaux aussi longtemps qu'il existera une différence quelconque entre la valeur nominale et la valeur intrinsèque des monnaies. C'est ainsi qu'autrefois le change sur Paris et Amsterdam par rapport à Bruxelles et Anvers se maintenait à peu près toujours dans la même proportion. Aujourd'hui qu'on paye en or à Paris et en argent à Amsterdam, il y (page 587) a perte sur Paris et agio sur Amsterdam ; et la perte et le gain sont à peu près d'égale importance.

Je pense, messieurs, que, si l'on donne cours légal à l’or français, il faudra nécessairement adopter, en même temps, une monnaie divisionnaire ayant exactement la même valeur intrinsèque et nominale que l'or ; sans cela vous tomberez dans des embarras inextricables.

Avec quoi, en effet, payerez-vous vos ouvriers ? Sera-ce avec votre monnaie de nickel qui n'a pas, à beaucoup près, sa valeur intrinsèque ? sera-ce avec la monnaie de cuivre française qui nous est importée de France et qui vaut à peine 50 p. c. de sa valeur nominale ?

- Un membre. - Que fait-on en Angleterre ?

M. Vermeire. - En Angleterre, messieurs, on paye généralement par quinzaine ; et l'ouvrier de fabrique surtout y reçoit non pas 7, 8, 9 ou 10 francs, mais 40, 50 et jusqu'à 50 francs et même davantage, de sorte qu'on peut faire le payement en or et parfaire les sommes dues au moyen d'une monnaie divisionnaire, qu'on a le droit de n'accepter que dans une certaine proportion.

Est-il possible, messieurs, qu'il en soit ainsi en Belgique ? Evidemment non. Et l'industriel, réglant le salaire de l'ouvrier par huitaine, est quelquefois obligé de payer soit en cuivre, soit en nickel, et de donner ainsi une monnaie de mauvais aloi bien au-dessous de sa valeur réelle, en échange du travail qu'il a obtenu et pour lequel il était convenu en monnaie effective, c'est à-dire en monnaie ayant sa valeur intrinsèque.

Il faudrait donc, pour être juste, établir à côté de la monnaie d'or une monnaie divisionnaire à un titre équivalent, au moyen de laquelle l'industriel pourrait se libérer envers son ouvrier, sans que celui-ci fût obligé de recevoir un équivalent bien inférieur en titre à celui pour lequel il a contracté.

Mais, je le répète, en agissant de la sorte, le change sur la Belgique sera d'autant plus onéreux que la valeur de la monnaie, dans laquelle on pourra se libérer, aura diminué davantage.

Examinons un instant cette question, messieurs, et tâchons d'établir approximativement le montant de la perte que la Belgique subirait de ce chef.

Si ma mémoire est fidèle, nous importons, annuellement, pour 500 à 600 millions de marchandises pour lesquels on fournit des traites. En établissant la défaveur du change à 1/4 p. c. seulement, la différence ou la perte réelle pour le commerce serait d'un million deux cent cinquante mille francs à un million et demi.

On nous dit encore : En donnant le cours légal à l'or, vous marchez à l'égal des grands pays avec lesquels vous commercez et vous ne subirez plus de pertes sur les sommes que vous aurez à recevoir ou à payer. Ce raisonnement est spécieux, parce que le prix de la marchandise à recevoir de l'étranger ou à envoyer à l'étranger ne se règle point sur la dénomination que vous donnez à votre unité monétaire, mais bien sur la quantité de métaux précieux qu'elle contient, car l'empreinte apposée par le gouvernement sur les pièces de monnaie n'est que la garantie de la quantité d'or ou d'argent que celles-ci contiennent.

Il est incontestable, messieurs, qu'il y a quelque chose à faire, et on pourrait peut-être prendre une mesure avec d'autant plus de facilité aujourd'hui que, comme je l'ai dit tantôt, la différence entre la valeur de l'or et celle de l'argent n'est que de 4 centimes sur 20 francs. Mais, je le répète encore, si l'on veut adopter l'étalon d'or, il faut nécessairement adopter aussi une monnaie divisionnaire ayant relativement la même valeur que l'or ; sans cela nous nous trouverons bientôt devant des embarras bien plus grands que ceux dont nous voulons sortir.

Un mot encore, messieurs ; on nous dit dans certaines brochures que nous devons suivre l'exemple des grands pays qui nous avoisinent ; que nous devons calquer notre système monétaire sur le leur. Je ne suis nullement de cet avis.

Je crois, au contraire, que nous devons avoir un système monétaire qui nous soit propre, et que, en adoptant ce système, nous ne fassions pas comme les barons du moyen âge qui trouvaient tout naturel de donner à leurs monnaies une valeur intrinsèque de beaucoup inférieure à la valeur nominale.

D'ailleurs, supposez qu'à la suite d'une révolution dans un pays voisins on fût obligé d'y abaisser encore le titre de la monnaie ; suivrez-vous ce pays dans une pareille voie ?

Que la France, par exemple, substitue tout à coup à sa monnaie actuelle les assignats, comme en 1793, sera-t-on encore d'avis que nous devions agir de la même façon ?

Evidemment non, messieurs, personne ne songerait à nous donner un tel conseil ; par conséquent, si nous voulons conserver à la Belgique cette réputation de loyauté qui constitue en quelque sorte la base de son existence, nous ne devons pas engager le gouvernement à suivre, dans la question qui nous occupe, l'exemple de ce qui se pratique dans des pays voisins. On a dit encore que les billets de banque étaient en quelque sorte l'équivalent des assignats...

M. Royer de Behr. - Je n'ai pas dit cela.

M. Vermeire. - Je ne prétends nullement que ce soit vous ; mais on l'a dit et même dans cette enceinte ; je pourrais, si on le désirait, citer l'auteur de cette opinion. Eh bien, messieurs, cela est complètement inexact, car on peut toujours obtenir à la Banque nationale l'équivalent en argent des sommes pour lesquelles les billets de banque sont émis.

Je regrette, messieurs, de devoir parler dans les conditions désavantageuses dans lesquelles je me trouve, n'étant point suffisamment préparé. Si je n'avais dû parler que demain, j'aurais présenté des arguments plus concluants en faveur de la thèse que je défends et qui se résume à donner, à la monnaie, la valeur réelle de son titre, que l'on prenne pour sa base soit l'or, soit l'argent.

En terminant j'insiste encore sur la nécessité de créer une monnaie divisionnaire pour que les intérêts de l'artisan et de l'ouvrier ne soient lésés, d'autant plus injustement que le titre de la monnaie dans laquelle on les payerait serait plus bas, car n'oublions pas, messieurs, que les échanges s'opèrent sur la valeur réelle des objets offerts en troc, et que l'on reçoit d'autant moins de pain ou d'autre denrée que la valeur effective dans laquelle on paye, est moindre.

En ce qui concerne la monnaie de nickel, j'espère que la réprobation générale avec laquelle elle a été accueillie n'engagera pas le gouvernement à en continuer l'émission ; car si celle-ci devait suivre son cours, au lieu d'avoir un bon système monétaire, nous en aurons créé un qui sera tout bonnement absurde et ridicule.

On a agité la question de savoir si la Belgique ne devrait point battre monnaie. Je me demande quel avantage elle y trouverait dans l'état actuel de la situation ? Si nous maintenons le système français, la monnaie de ce pays suffira à notre circulation. Si nous battions une monnaie à un titre plus élevé, elle serait bientôt enlevée. Si nous en battions à un titre plus bas, nous verserions dans les difficultés et les embarras que je viens de signaler.

Donc dans aucune hypothèse, je ne vois la nécessité de battre une monnaie belge si nous conservons le système français. Serait-ce, peut-être, pour avoir une monnaie à l'effigie de notre Roi bien-aimé plutôt qu'à celle d'un souverain étranger ? Je pense, messieurs, que cette considération, basée sur l'amour-propre, n'est point suffisante pour adopter cette mesure.

Je dois encore émettre une autre considération qui est plus sérieuse, à savoir qu'en prenant l'or pour base de notre système, nous encourageons les faux monnayeurs. En effet, le bénéfice que ceux-ci pourraient faire serait bien plus considérable en agissant sur un métal de grande valeur comme l'or, qu'en trafiquant sur un métal de moindre valeur comme l'argent ou le nickel.

Aussi était-ce la plaie d'autrefois lorsque les louis d'or de bon aloi pouvaient difficilement se distinguer des louis de fabrique.

Or, ce qui est arrivé en d'autres temps, pourrait bien se renouveler aujourd'hui. A côté des napoléons de bon aloi, pourraient circuler des napoléons faux ; et si, malheureusement, il devait en être ainsi, la fin serait pire que le commencement.

Je me réserve, messieurs, de reprendre ultérieurement la parole, si je le juge être nécessaire.

Pour le moment, je conclus que si le cours de l'or français était décrété, il serait nécessaire de le compléter dans le sens que j'ai indiqué, c'est-à-dire en créant une monnaie divisionnaire dont le titre serait en rapport avec celui de l'or et qui servirait aux petits payements et aux appoints.

M. de Haerne. - J'avais demandé la parole pour appuyer la proposition qui avait été faite par un des membres qui siègent à côté de moi, de remettre la discussion à demain, pensant qu'il était convenable, le rapport n'ayant été distribué que ce matin, de laisser aux membres qui n'avaient pas pu le lire, le temps d'en prendre connaissance et de se préparer.

La discussion est renvoyée à demain.

- La séance est levée à quatre heures.