(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 525) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy procède à l'appel nominal à une heure et un quart, et lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Tamise prie la Chambre d'accorder à la compagnie Bouwens la concession d'un chemin de fer de Malines vers Terneuzen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des négociants à Liège et dans les environs demandent une loi qui oblige tout patron, maître d'usine, etc., à faire une retenue aux ouvriers pour assurer le payement des marchandises qu'ils auraient achetées à crédit. »
- Même renvoi.
« Des élèves de l'université de Bruxelles prient la Chambre de rétablir la session de Pâques pour tous les examens universitaires. »
- Même renvoi.
« M. de Ruddere de Te Lokeren demande un congé, d'un jour pour affaires de famille. »
- Accordé.
M. Allard. - Messieurs, la Chambre se sépare ordinairement pour quelques jours à l'époque du carnaval ; dans une de nos dernières séances nous avons mis la discussion de la question de l'or, à l'ordre du jour du mardi 19 ; si la Chambre se réunit à la fin de la semaine prochaine pour la discussion du Code pénal, cette discussion sera interrompue. Je propose en conséquence à la Chambre de s'ajourner au mardi 19 de ce mois.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai, en même temps qu'on mette la discussion du Code pénal à l'ordre du jour, immédiatement après celle qui doit s'ouvrir sur la question de la monnaie d'or.
- Ces deux propositions sont successivement mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 31 janvier 1861, le sieur Bouré, combattant de 1830, ancien sergent de la garde bourgeoise, demande une pension.
Messieurs, d'après la discussion qui a eu lieu il y a peu de jours, au sein de la Chambre, la commission aurait été amenée à vous proposer l'ordre du jour ; mais comme cette pétition a été appuyée par d’honorables membres dans le sein du parlement qui l'ont spécialement recommandée à la sollicitude du gouvernement, nous avons l'honneur, messieurs, de vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition du 31 janvier 1861, les membres du conseil communal de Thollembeek se plaignent d'une violation de la loi communale, à l'occasion des élections du 30 octobre dernier.
Messieurs, des électeurs et le conseil communal de Thollembeek signalent à la Chambre un fait qu'ils considèrent comme une violation de la loi communale. En présence des termes si formels de l'article 46, la commission croit que la pétition mérite l'attention la plus sérieuse du gouvernement et de la Chambre.
Messieurs, le conseil communal de Thollembeek a vu les élections de cette commune se passer d'une manière assez irrégulière, dans le sens des pétitionnaires.
Mais la veille du délai fatal fixé pour les réclamations, deux électeurs de cette commune seront adressés à la députation permanente pour demander l'annulation des élections, La députation permanente, en présence de cette réclamation, a pris un arrêté provisoire afin d'empêcher la prescription.
Or, il résulte des renseignements que la commission des pétitions a tâché de réunir, que c'est là un usage reçu dans presque toutes les députations permanentes. Quand il est difficile de se prononcer immédiatement sur des questions aussi graves, la députation prend un arrêté provisoire et ordonne une enquête.
C'est ce qui a eu lieu pour la commune d'Oostacker, dans la Flandre orientale et c'est ce qui a encore eu lieu pour la commune de Thollembeek, mais avec cette différence que cette dernière commune n'a pas respecté l'arrêté provisoire de la députation permanente, prétendant que les élections ne pouvaient plus être annulées après les 30 jours, même en présence de l'arrêté interlocutoire.
La députation permanente a désigné un employé du gouvernement provincial pour procéder à l'enquête. On a également contesté à la députation le droit de désigner un fonctionnaire public pour faire cette enquête.
Messieurs, votre commission n'a pas jugé à propos de se prononcer sur le fond de laà question, et vous le comprendrez facilement, si vous vous rappelez la discussion qui a déjà eu lieu dans une séance précédente ; elle se borne à exposer l'affaire à la Chambre, et à demander le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur. La Chambre jugera, après la discussion, s'il y a lieu de modifier ces conclusions.
M. le président. - Je rappellerai à la Chambre qu'elle a discuté, il y a 15 jours, deux autres pétitions, relatives à la même question ; l'une émanait d'électeurs de la commune d'Oostacker ; l'autre, d'électeurs de la commune de Doel. L'assemblée, sur la proposition de M. de Theux, a remis la suite de ce débat à quinzaine. Il entre sans doute dans les intentions de la Chambre d'étendre la discussion à la fois aux trois pétitions ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. B. Dumortier (pour une motion d'ordre). - Messieurs, la pétition dont il s'agit soulève des questions d'une telle gravité, qu'il me paraît difficile d'engager ce débat en ce moment, alors que la Chambre n'est déjà plus en nombre...
M. le président. - La Chambre est en nombre.
M. B. Dumortier. - Nous ne sommes que 53 dans la salle.
- Un membre. - Nous sommes 64 membres présents.
M. B. Dumortier. - Il est possible qu'il y ait encore des membres dans la salle de lecture ; mais nous ne sommes pas ici 64 membres présents.
M. le président. - Il se peut que tous les membres qui se sont présentés depuis l'heure de l'ouverture de la séance ne soient pas dans la salle des délibérations, mais la Chambre est en nombre.
M. B. Dumortier. - Je me borne à signaler le fait et en le faisant je suis dans mon droit ; s'il y a des membres dans la salle de lecture, mes yeux ne percent pas les murailles pour les distinguer.
Je disais donc que la pétition soulève des points de droit d'une importance telle, qu'il ne me paraît pas possible d'engager la discussion qui, peut-être, prendra plusieurs séances.
M. Moreau. - Nous sommes en ce moment au moins 59 dans la salle.
M. B. Dumortier. - Je demande à la Chambre de faire imprimer les pièces relatives à l'affaire et d'examiner cette question le jour même de la rentrée.
Il me semble, je le répète, impossible de commencer un pareil débat en ce moment, car, si à la fin de la séancevyous arriviez à avoir un vote, vous ne serez plus en nombre.
Quand une fois la Chambre a fixé son congé habituel, il arrive que beaucoup de membres partent pour prendre les convois du chemin de fer et qu'ainsi l'on ne se trouve plus en nombre à la fin de la séance.
Je demande donc l'impression des pièces et que la question soit examinée au moment de notre rentrée avant ou après la question de l'or.
Je pense qu'on peut employer d'ailleurs la séance à l'examen des autres pétitions qui n'ont pas le même caractère d'importance.
M. le président. - Je dois faire remarquer à l'honorable M. Dumortier qu'il y a plus de soixante membres dans la salle.
Messieurs, l'honorable membre propose l'impression des trois pétitions et l'ajournement de la discussion.
Cette proposition est-elle appuyée ?
- La proposition est appuyée.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Je comprendrais les observations de l'honorable membre, si elles tendaient à demander des (page 526) explications à M. le ministre, mais je prévois que, dans la position actuelle de la question, les pétitionnaires s'étant adressés, en même temps, au ministre et à la Chambre, toutes les pièces les plus importantes ayant été envoyées à son département ; je prévois qu'immédiatement après la discussion, on se bornera à proposer le renvoi à M. le ministre avec demande d'explications.
Pourquoi ne pourrait-on pas le faire dès à présent ? IL y a déjà eu deux remises pour Doel et Oostacker, à quoi bon une nouvelle remise ?
Lorsque M, le ministre aura eu le temps d'examiner l'affaire, il pourra donner ces explications, et dès lors la Chambre discutera en connaissance de cause.
Il me semble que c'est là la marche la plus régulière qu'on puisse adopter sur cette pétition.
M. le président. - L'honorable rapporteur propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crois que le renvoi au ministre de l'intérieur avec demande d'explications peut être parfaitement accepté par tout le monde. Rien ne presse, d'ailleurs, dans la solution de cette question.
Elle peut offrir de l'intérêt au point de vue théorique.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais en fait, elle en offre peu ; car les cas sont extrêmement rares où une députation porte un arrêtée interlocutoire et remet sa décision au-delà des 30 jours fixés par la loi.
Donc en fait, la question n'a pas d'importance ; mais en droit, elle présente de l'intérêt, bien qu'à ce point de vue elle n'ait pas non plus une très grande importance.
On discutera aujourd'hui ou dans quinze jours ; pour ma part, je suis prêt ; mais si l'on veut renvoyer la pétition au ministre, avec demande d'explications, je donnerai des explications.
Le gouvernement est complètement désintéressé dans cette question. Ce sont des difficultés qui se présentent entre les communes et les provinces.
Donc, nous pourrons aborder cette question avec un parfait désintéressement de part et d'autre.
J'appuie donc la proposition de renvoi au département de l'intérieur avec demande d'explications.
La question donne lieu à des controverses, elle soulève des opinions divergentes ; il est donc utile que mes explications puissent être communiquées avant qu'une discussion sérieuse s'engage sur le fond.
M. le président. - La Chambre a fixé au jour de sa rentrée la discussion de la question de la monnaie d'or, puis celle du Code pénal ; ce n'est donc qu'après ces deux objets que pourrait venir la discussion du rapport de la commission des pétitions dont il est maintenant question.
M. B. Dumortier. - J'ai commencé par formuler une motion d'ajournement ; cette question doit, avant tout, être vidée ; car si ma motion n'était pas adoptée, je me réserve de prendre la parole sur le fond même de la question.
M. Muller. - Soit, mais attendez la décision de la Chambre.
M. B. Dumortier. - Sans doute, mais êtes-vous bien certain que nous serons encore en nombre à quatre heures ? (Interruption.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons encore deux heures devant nous.
M. le président. - Une telle considération, d'ailleurs, ne peut pas arrêter les débats de la Chambre.
M. B. Dumortier. - Je crois que le plus sage c'est d'ajourner tout débat. Maintenant cependant je dois ajouter un mot encore : il est bien vrai que jusqu'ici le gouvernement n'a posé aucun acte qui le mêle directement à cette question, mais c'est une erreur de prétendre qu'elle ne présente aucun intérêt sérieux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit, au contraire, qu'elle était très intéressante au point de vue théorique.
M. B. Dumortier. - Permettez, la question touche à tout ce qu'il y a de plus sacré dans la loi communale, à l'une des obligations les plus importantes qu'elle impose. Or, je demande s'il est possible que la solution d'une question de cette importance soit abandonnée au gré des députations permanentes sans qu'un autre pouvoir puisse faire respecter la loi. Pour mon compte, je dois le dire, il y a bien longtemps que je n'ai vu la Chambre saisie d'une pétition ayant une telle importance. Et ici, permettez-moi de le dire, les diverses pétitions sur lesquelles il est question de faire porter la discussion ne se ressemblent point ; elles signalent des faits qui diffèrent complètement.
Il est bien vrai que la commune d'Oostacker s'est résignée et a convoqué les électeurs en exécution de l'arrêté de la députation permanente de la Flandre occidentale ; mais il est également vrai que la commune de Thollembeek n'a pas cru devoir agir de même et qu'elle s'est refusée à exécuter l'arrêté de la députation permanente, arrêté qu'elle a considéré et que je considère, moi, comme illégal.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas aux conseils communaux qu'il appartient de réformer les arrêtés des députations permanentes ; la résolution de cette commune sera annulée.
M. B. Dumortier. - C'est ce que nous verrons !
M. le président. - Ne vous écartez pas, je vous prie, de la motion d'ajournement.
M. B. Dumortier. - Si le gouvernement annule la décision de la commune de Thollembeek, par ce fait même il se mettra en cause, et nous aurons le droit de discuter la résolution qu'il prendra.
Et puisque M, le ministre de l'itlérieur annonce qu'il annulera la décision du conseil communal de Thollembeek, il importe que la discussion s'ouvre immédiatement, et je déclare retirer ma motion d'ajournement.
M. le président. - Reste donc la proposition de M. Valider Donckt, à laquelle M. le ministre de l'intérieur s'est rallié. La discussion est ouverte sur cette proposition.
M. Julliot. - Messieurs, cette pétition soulève une question de droit politique et administratif de premier ordre.
Chaque fois qu'il surgit une question où se trouve mêlée une députation permanente, il m'est difficile de ne pas prendre part à la discussion.
Des souvenirs de quatorze années passées dans ces fonctions me commandent de ne pas y rester indifférent.
La question soulevée dans la commune de Thollembeeck va-t-elle devenir politique ? Je ne le sais. Je ne connais pas la couleur de ces campagnards. Mais ils m'intéressent beaucoup, parce qu'ils ont le courage de résister à l'exécution d'une mesure qu'ils envisagent comme illégale et arbitraire, et je les en félicite au point de vue du respect à nos institutions.
Ce que je sais, c'est que le respect de la loi est la sauvegarde de la liberté, que la loi doit être respectée toujours, et surtout la loi communale, parce qu'en Belgique la commune est la base de notre édifice social.
Aucune considération politique ne me fera dévier de l'application vraie et sincère de la loi, et je n'hésite pas à le dire, celui qui, par le désir de satisfaire à ses penchants politiques ou à d'autres considérations, ferait sciemment bon marché de la loi, n'est ni un libéral ni un conservateur constitutionnel, mais c'est un hypocrite le constitutionnel qui s'accommoderait de tous les régimes pourvu qu'ils flattent ses passions ou ses faiblesses.
La députation permanente du Brabant est trop haut placée dans le pays pour qu'elle ne soit pas impartiale et que toujours elle ne fasse prévaloir la raison et le droit contre la passion et l'arbitraire.
Mais en dehors de cette députation, il est des politiques égoïstes, tour à tour partisans du pouvoir fort quand leur parti est au pouvoir, partisans de la liberté quand ils sont dans l'opposition, cherchant à emprunter le bras du pouvoir pour faire leurs affaires ; ces politiques je les combats dans tous les camps quand j'éprouve le déplaisir de les rencontrer.
Examinons donc ce qui s'est passé.
Le 30 octobre 1860, le conseil communal de Thollembeek est renouvelé pour une moitié.
Une réclamation contre cette élection est adressée à la députation permanente, par deux électeurs, le 8 novembre.
Dix-neuf jours après cette réclamation, le 29 novembre 1860, la veille de l'expiration du délai fatal consacré par l'article 46 de la loi communale, la députation permanente prit une décision interlocutoire, tendante à ordonner une enquête sur la manière dont il a été procédé aux élections de Thollembeek, et par le même arrêté, le sieur Fortin, chef de bureau au gouvernement provincial, est délégué ad hoc. Quinze jours après, les 13 et 14 décembre, ce fonctionnaire se rendit à Thollembeek pour remplir sa mission ; puis le 19 décembre, 30 jours après l'élection, la députation prononce, par un arrêté, la nullité de l'élection de Thollembeek.
Puis connaissance officielle de cet arrêté a été donnée au conseil communal, le 9 janvier 1861.
(page 527) 527
Ce conseil communal, dans sa séance du 9 janvier, a refusé de recourir à une nouvelle convocation d'électeurs.
Et dans la séance du 31 janvier il a persisté dans sa résolution.
Je me demande d'abord ce que la députation a fait entre le 8 novembre, jour de la réception de la réclamation, et le 29 novembre, jour de la prise de sa décision interlocutoire pour instruire cette affaire qui avait pour délai fatal les 30 jours de l'article 46 de la loi, et le dossier n'en dit rien.
L'article 46 de la loi communale dispose que :
« La députation peut dans les 30 jours, à dater de l'élection, soit sur réclamation, soit d'office, annuler par arrêté motivé l'élection pour irrégularité grave ; passé ce délai, l'élection est réputée valide. » Ce qui veut dire, d'après le dictionnaire de l'Académie, qu'elle est valide.
Puis l'article ajoute :
« En cas de réclamation de la part des intéressés ou d'opposition de la part du gouvernement, la députation est tenue de prononcer dans le même délai de 30 jours. »
Ainsi, la loi est claire et pertinente ; si dans les 30 jours l'élection n'est pas invalidée par la députation, il y a forclusion pour la députation, et si elle statue après le délai des 30 jours expirés, sa décision est nulle et sans valeur.
Pour combattre ce principe il faudrait pouvoir exciper d'une disposition législative en désaccord avec le principe ou capable de faire naître des doutes sur la volonté absolue et déterminée du législateur ; mais rien de pareil n'existe ni dans la loi communale ni dans toute autre
On a cru devoir mêler à cette procédure purement administrative une formule judiciaire qui y est déplacée. Sans avoir la conscience de ce qu'on allait violer la loi, on a lancé un arrêt interlocutoire, c'est-à-dire qu'on a laissé passer le terme légal pendant lequel on pouvait agir, et cela pour interloquer à son aise des gens qui ne sont pas obligés de répondre.
Je me demande sur quel article d'une loi quelconque on s'appuie pour baser cette mesure de fantaisie juridico administrative. Rien de pareil dans nos lois. Quel est le professeur de nos universités qui oserait l'enseigner ? Nommez-le.
Quel est le commentateur qui a osé l'admettre ? Quelle est la loi qui le dit ? Personne ; le professeur, les commentateurs et la loi disent le contraire. Tous, ils enseignent que le délai prescrit dans nos lois électorales est fatal et sacramentel quand la loi elle-même ne fait pas d'exception.
Vous en trouvez la preuve convaincante dans l'article 88 de la loi provinciale où le Roi a 40 jours pour invalider une résolution du conseil provincial et où le chef de l'Etat, pour obtenir un nouveau délai, a dû le demander à la même loi qui dit que le Roi est autorisé à prendre un nouveau délai par arrêté motivé et que, ce délai expiré, le gouvernement doit à ce sujet présenter un projet de loi.
Ainsi, dans cette matière si délicate, si nationale, de liberté communale et provinciale, la députation sera plus puissante que le chef de l'Etat.
Le Roi doit demander à la loi tout prolongement au délai fatal, mais la députation permanente a le privilège de se donner, par son proprio motu des attributions en dehors de la loi, et que le Roi n'obtient que par la loi.
Cette position est trop élevée pour les députations, elles s'exposent à des éblouissements et je les engage à descendre de ces hauteurs dangereuses et escarpées pour éviter une chute.
Cependant, dit-on, deux députations ont cru pouvoir allonger ce délai à leur convenance, et sans autre limite que leur bon vouloir, donc cela se pratique ainsi.
Je me réserve de m'expliquer à cet égard, si on discute la question de fait.
On objecte encore que les gouverneurs près ces députations n'ont pas pris leur recours au Roi dans la huitaine contre ces décisions posthumes, déjà tuées par le temps, et je le comprends.
Ces fonctionnaires auront, eux-mêmes, envisagé ces décisions comme tardives et nulles, et on ne se pourvoit pas contre ce qui n'existe pas ; c'est ainsi que procède un homme d'esprit.
Et, en effet, le gouvernement, déjà, a été consulté sur ce cas, plus d'une fois, et sa solution a été conforme au principe que je défends.
Voulez-vous savoir à quelles conséquences destructives pour nos institutions conduirait le système opposé, vous allez le voir.
Le principe du délai fatal est la clef de voûte de la loi électorale, communale et provinciale, c'est le principe régulateur, c'est le principe d'ordre écrit dans la liberté politique et communale du citoyen. Ce principe d'ordre, vous ne pouvez pas plus le modifier que vous ne pouvez modifier le principe de liberté qui préside à ces lois.
Les articles 14, 15, 16, 17 et 18 placent les ayants droit à être électeurs vis-à-vis le conseil communal dans la même position où se trouvent les conseillers communaux nouvellement élus envers la députation permanente.
En effet, le collège échevinal forme d'office la liste provisoire ; il peut en effacer ou négliger d'y porter qui bon lui semble ; il n'y a pas de pénalité contre sa négligence ; celui qui est rayé ou oublié peut réclamer près du conseil communal et tout est réglé par un délai fatal appliqué à chaque opération ; le conseil doit arrêter la liste définitive dans un délai fatal ; la députation comme le conseil communal ont les même attributions ; sauf les degrés dans les positions, leurs fonctions sont identiques et les mêmes lois les régissent.
Si la députation peut escamoter le délai fatal par une décision interlocutoire à terme indéfini pour mieux se renseigner sur la validité d'une élection, le conseil communal doit pouvoir en faire autant pour mieux se renseigner sur les droits de réclamants, soit comme héritiers, soit pour identité de noms ou autres raisons spécieuses, et pendant qu'on s'occupera de cette mesure interlocutoire, la liste des électeurs sera définitivement arrêtée et les droits des réclamants seront reconnus plus tard, mais en attendant ils resteront à la porte pendant une année entière. Voilà où conduit ce système, c'est-à-dire que les conseils communaux, à l'aide du régime des décisions interlocutoires, pourront se perpétuer dans leurs fauteuils en laissant à la porte ces figures électorales qui leur déplaisent.
Je dis donc : Avant de voter des lois contre les fraudes électorales, commençons par respecter les lois qui empêchent les fraudes nouvelles.
Le système que je combats conduit à un règne arbitraire et de bon plaisir que nul de nous ne peut vouloir ; ne renions pas les bienfaits de la révolution, nous passerions pour des orangistes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous accusez les députations provinciales.
M. Julliot. - Pas du tout.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous parlez de fraude, les députations provinciales sont de bonne foi.
M. Julliot. - Je porte trop de respect aux députations permanentes pour en douter. Je me trouve trop honoré d'avoir appartenu aux députations permanentes pendant 15 ans pour ne pas porter très haut la confiance qu'elles méritent ; c'est un des corps les plus respectables et les plus utiles qui figurent dans nos institutions ; mais tout le monde est exposé à se tromper.
Eh bien, messieurs, la décision dont il s'agit est une des énormités que quiconque ayant l'usage de la loi ne peut pas défendre. Il n'est pas un homme, ayant fait une étude sérieuse de nos institutions, qui pourra défendre une pareille mesure.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en a quelques-uns.
M. Julliot. - Je conclus, et je dis : La vie communale est la base de nos droits et de nos libertés, la commune est notre foyer que nous sommes prêts à défendre.
Quand la loi communale est claire et précise, respectons-la dans tout son développement.
Je dénie à toute autorité constituée le droit de violer la loi, parce que ses convenances le lui demandent ; cela n'est pas admissible.
Si le délai de trente jours est insuffisant, prolongez-le par la loi, mais respectez-Ia en attendant et ne la remplacez pas par votre arbitraire.
Si au bout du délai fatal une députation doute encore de la validité d'une élection, qu'elle l'annule, c'est son droit ; mais je nie qu'elle puisse substituer ses convenances à la loi.
J'espère que les élus de Thollembeek, aidés par le gouvernement, qui en a le devoir, feront respecter la loi.
Voilà, messieurs, pour la question de droit.
Quant à la question de fait, de pratique comme on le dit, je regretterais de la voir poser, elle me conduirait à un examen que je désire éviter si possible, mais devant lequel je ne reculerai pas si on le provoque.
Quand une question de droit est précise et bien définie comme dans l'espèce, que le sens littéral de la loi est évident, il n'y a pas place pour une question de fait qui contrarie le droit.
Cela peut servir tout au plus à une discussion d'amateurs ayant la parole facile et une pléthore de discours. Mais on ne peut ici opposer le fait au droit.
(page 528) Pour compléter cet exposé, je demande ce que doit devenir une décision d'une députation qui ne sera pas exécutée, C'est au gouvernement à le savoir et j'engage le gouvernement à nous donner l'exemple du respect à la loi. J'attends.
Quant à Oostacker, je n'ai rien à dire ; la double élection du conseil doit être valide aux yeux des orthodoxes constitutionnels comme aux yeux des protestants constitutionnels qui pourraient se trouver en dehors de cette enceinte.
Je propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications. J'ai dit.
(page 533) M. Nothomb. - Il y a quinze jours, messieurs, vous avez renvoyé à une autre séance pour être l'objet d'un débat plus approfondi les questions soulevées en ce moment. J'ai cru pour ma part que c'était un devoir pour quiconque s'intéresse à ces questions de les étudier sérieusement.
Je me suis livré à cet examen, et si la Chambre veut m'écouter je lui en soumettrai sommairement le résultat.
La question d'ailleurs vaut bien la peine de fixer votre attention ; elle est non seulement intéressante, comme le dit M. le ministre de l'intérieur, mais d'une réelle gravité. La sincère application de nos lois organiques et surtout de la loi communale a une importance que personne dans cette assemblée ne peut méconnaître.
Le discours si concluant que vient de prononcer l'honorable M. Julliot abrégera beaucoup ce que j'avais à dire.
Il a fait ressortir d'une manière péremptoire, selon moi, que devant le texte de l'article 46 qu'il vous a lu, il n'y a pas d'hésitation possible.
Ce texte est clair, net et précis ; à le lire sans aucune espèce de prévention, le doute ne me semble pas permis. Nous nous trouvons ainsi placés devant la première des règles en matière d'interprétation, la plus élémentaire comme la plus tutélaire de toutes ; où le texte est clair, il ne faut jamais distinguer ni discuter.
M'appuyant du texte de l'article 46, je vaux me renfermer sans faire allusion aux faits, je veux me renfermer dans une pure question de droit, à savoir si le délai de l'article 46 est un délai de rigueur limitatif ou simplement un délai indicatif. Tel est, dans ses termes les plus simples, le point juridique en discussion. A côté d'un texte aussi formel, nous avons à nous demander quel est l'esprit et quel a été le but de la loi ; ils me paraissent évidents ; c'est, avant tout, la volonté de conserver intact le respect dû à la souveraineté électorale.
En second lieu, ce but a été de mettre un frein aux agitations et aux discordes intestines qui ne manqueraient pas de surgir si l'on prolongeait outre mesure les contestations relatives aux élections. C'est la paix civique en quelque sorte que le législateur a voulu sauvegarder.
En troisième lieu, le législateur a dû vouloir et a voulu constituer dans le délai le plus bref possible le pouvoir communal. Il n'a pas voulu que le pouvoir communal pût rester intérimaire, qu'il y eût un interrègne communal, résultant de ce que, pendant un délai trop long, on n'aurait pas statué sur la validité des élections.
Ainsi donc, messieurs, tenant compte du texte de la loi et de son esprit, je crois qu'il est incontestable que le délai de l'article 46 doit être un délai de rigueur, un délai limitatif.
Après avoir examiné le texte, j'ai voulu savoir quelle est la doctrine des commentateurs relativement à l'article 46. Eh bien, les recherches que j'ai faites, à cet égard, m'ont montré que tous les commentateurs, au moins ceux que j'ai parcourus, sont unanimes à reconnaître que ce délai est un délai limitatif.
Permettez-moi, messieurs, de vous lire, à cet égard, quelques extraits.
Voici ce que je trouve d'abord dans le Répertoire de jurisprudence de M. Tielemans, au mot « Elections » :
« La députation permanente doit statuer sur la validité des élections dans les 30 jours de l'élection. Passé ce délai, l'élection est réputée valide ; ainsi, l'élection faite le 1er et qui n'a pas été annulée le 31 est valide. »
Voici ce que dit feu le savant M. Delebecque :
« Remarquons, au surplus, que la députation permanente n'a pas même 22 jours à employer à ces sortes d'examen, car la déclaration peut avoir été fournie le 11ème jour, à compter du jour de l'élection, et il a fallu le temps nécessaire pour l'expédition de cette pièce par le bourgmestre. »
Un autre commentateur, M. Delcour, émet la même opinion. « L'annulation doit être prononcée, dit-il, dans les trente jours à dater de l'élection : le délai est le même soit qu'il y ait réclamation ou opposition formée par le gouverneur : passé ce délai, l’élection est réputée valide. »
Lorsqu'il y a des réclamations ou opposition du gouverneur, la loi veut qu'il intervienne un jugement de la députation. L'obligation de prononcer dans ce cas lui est imposée par la loi, et le motif en est que le législateur n'a pas voulu qu'une députation pût, par son inactivité, valider, en ne se prononçant pas, une élection qu'il lui répugnerait d'approuver par jugement motivé. La négligence des autorités provinciales ne peut devenir une fin de non-recevoir (article 46). Il y aurait déni de justice à ne pas statuer dans le délai légal.
Vous le voyez, messieurs, la doctrine d'auteurs justement estimés est d'accord avec le texte et avec l'esprit que j'ai tout à l'heure assignés à la loi.
Je ne me suis pas borné là. J'ai voulu savoir en outre quelle a été la jurisprudence même du département de l'intérieur et j'y ai trouvé la confirmation éclatante de l'opinion que je soutiens en ce moment.
En effet, peu de temps après la promulgation de la loi et alors que l'administration était encore, si.je puis parler ainsi, sous le souffle vivant de la discussion parlementaire, le ministre de l'intérieur de cette époque, l'honorable comte de Theux, a adressé une circulaire aux gouverneurs des provinces qui porte la date du 25 avril 1836 et où je lis ce qui suit :
« Le paragraphe premier de l'article 46 semble accorder à la députation un pouvoir facultatif d'annuler l'élection soit d'office soit sur réclamation : mais le paragraphe suivant détermine le sens de cette disposition, en imposant formellement à la députation permanente 1’obligation de prononcer dans un délai déterminé, lorsqu'il y a eu réclamation de la part des intéressés, ou lorsque le gouverneur a formé opposition au maintien de l'élection. Il n'est pas moins évident que c'est un devoir d'annuler l'élection d'office s'il y a lieu, lors même qu'il n'a pas été fait de réclamation.
(page 534) « Le délai sera dans tous les cas de 30 jours à partir de celui de l'élection, mais vous remarquerez que, dans le fait, ces trente jours sont réduits à vingt-deux par l'article 43 qui accorde huit jours au bureau électoral pour adresser à la députation des Etats les procès-verbaux d'élection.
« Ce délai étant assez court eu égard à la multiplicité des élections qui auront lieu la première fois, il devra être procède avec toute la célérité possible à la vérification des procès-verbaux d'élection.
« Il vous appartient, M. le gouverneur, de prendre à l'avance, à cet égard, les mesures que vous jugerez le plus convenable, pour éviter qu'à défaut d'un examen suffisamment approfondi, des élections entachées d'irrégularités graves soient validées ou que des élections valides soient infirmées. »
Telle était, messieurs, l'opinion du chef du département de l'intérieur à une époque si rapprochée, j'insiste sur ce point, de la promulgation de la loi. Il déclarait formellement que le délai fatal, le délai de rigueur ne pouvait être, en réalité, que de 22 jours. Cette circulaire interprétative de la loi de 1836 a reçu l'approbation des commentateurs de l'article 46 et spécialement de M. Tielemans qui, dans son Répertoire, cite la circulaire et semble la faire sienne dans les termes suivants ;
« D'après l'observation du ministre de l'intérieur, dans son instruction du 25 avril 1836, les 30 jours dans lesquels doit statuer la dépuration permanente sont dans le fait réduits à 22 par l'article 43 qui en accorde 8 au bureau électoral pour adresser à la députation les procès-verbaux d'élection... »
Je conclus de tout ceci, messieurs, qu'en consultant le texte de la loi, en tenant compte de son esprit, en la rapprochait de la doctrine et de la jurisprudence administrative du département de l'intérieur, l'on ne peut conserver sérieusement aucun doute, au point de vue juridique, que le délai de 30 jours ne soit un délai limitatif, un délai fatal ; d'où la conséquence que si la députation permanente laisse écouler ce délai sans se prononcer définitivement, la validation du résultat des élections proclamé par le bureau électoral sera un fait irrévocablement' acquis.
J'ai enfin voulu connaître, messieurs, quelles étaient sur la question qui nous occupe, la législation, la doctrine et la jurisprudence françaises. J’ai examiné la loi sur le régime municipal, sous la monarchie constitutionnelle de 1830, c’est celle du 21 mars 1831 ; elle est conçue dans beaucoup de ses dispositions en termes presque identiques à ceux dont se sert la loi belge.
La Chambre pourra s'en convaincre si elle me permet de lui lire les articles qui se rapportent à la question.
« Art. 50. Le bureau juge provisoirement les difficultés qui s'élèvent sur les opérations de l'assemblée.
« Art. 51. Les procès-verbaux des assemblées des électeurs communaux seront adressés par l'intermédiaire du sous-préfet au préfet, avant l'installation des conseillers élus.
« Si le préfet estime que les formes et conditions légalement prescrites n'ont pas été remplies, il devra déférer le jugement de la nullité an conseil de préfecture dans le délai de quinze jours à dater de la réception du procès-verbal. Le conseil de préfecture prononcera dans le délai d'un mois.
« Art. 52. Tout membre de l'assemblée aura également le droit d'arguer les opérations de nullité. Dans ce cas si la réclamation n'a pas été consignée au procès-verbal, elle devra être déposée dans le délai de 5 jours à compter du jour de l'élection au secrétariat de la mairie : il en sera donné récépissé et elle sera jugée dans le délai d'un mois, par le conseil de préfecture…
« S'il n'y a pas eu de réclamation portées devant le conseil de préfecture ou si le conseil a négligé de prononcer dans les délais ci-dessus fixés, l'installation des conseiller élus aura lieu de plein droit. »
Vous l'entendez, messieurs, c'est bien là l'équivalent adouci même des mots si énergiques de notre article 46, quand il dit : « Passé le délai l'élection sera réputée valide. »
Je constate ainsi que le texte des deux lois est au fond le même. Voyons maintenant quelle a été la doctrine et quelle a été la jurisprudence française.
Cette jurisprudence, messieurs, nous la trouvons dans les décisions du conseil d Etat. Elle est constante sans aucune espèce d'interruption, elle a toujours décidé que le délai d'un mois fixé par l'articl 52 est limitatif et de stricte application et vous allez juger tout à l'heure, messieurs, avec quelle sévérité le conseil d'Etat a maintenu ce principe.
Ainsi les questions suivantes ont été agitées :
1_ Les conseils de préfecture doivent-ils statuer définitivement dans le délai d'un mois, sur les réclamations concernant les élections municipales ? Réponse affirmative, arrêts du conseil d'Etat des 18 février 1836, 22 juin 1836, 20 juillet 1836, 20 avril 1838, 13 avril 1842, 29 juin 1842, 16 août 1849.
Une seconde question, messieurs, qui entre au vif dans celle que nous débattons maintenant a été celle-ci :
« Le conseil de préfecture commet-il un excès de pouvoir en statuant sur les réclamations hors des délais fixés par l'articles 52 de la loi du 21 mars 1831 ?
Réponse affirmative.
Arrêts du conseil d'Etat des 26 août 1835, 12 avril 1838, 4 juin 1841, 11 juillet 1844, 14 février 1845, 21 et 28 décembre 1849.
C'est bien la même question, messieurs, que l'on posait tantôt. L'honorable M. Julliot se demandait si la députation ne commet pas un excès, un abus de pouvoir en ne statuant pas dans le délai de 30 jours. Eh bien, la réponse du conseil d'Etat a toujours été affirmative : Oui, dans cette hypothèse il y a excès de pouvoir.
Une troisième question a été celle-ci :
« Lorsque, par suite d'un arrêté pris tardivement par le conseil de préfecture, il a été procédé à de nouvelles élections, y a-t-il lieu par le conseil d’Etat d'annuler ces élections nouvelles et de maintenir les premières ?
Réponse constamment affirmative : Arrêts des 20 juillet 1836, 20 novembre 1856, 7 janvier 1859.
Reste à connaître la doctrine adoptée en France. Je vais vous donner lecture d'un ouvrage très estimé, le Code administratif annoté. L'auteur s'exprime ainsi, pages 54 et 70 :
« Ce terme (d'un mois) est de toute rigueur ; dès qu'il est expiré, le conseil de préfecture est sans droit pour connaître de l'affaire. Cela est si vrai que, lorsque ce conseil n'a pas prononcé dans le mois, le conseil d'Etat ne croit pas pouvoir statuer lui-même pour défaut de pouvoirs... Ces principes sont si absolus, sur ce point, qu'une enquête ordonnée par le conseil de préfecture n'est pas une circonstance propre à prolonger le délai ; il faut toujours que le jugement définitif ait lieu dans le mois. »
Cette opinion, si catégorique, a été confirmée par plusieurs arrêts du conseil d’Etat de France, entre autres l'un en date du 18 février 1836. Ce corps a statué, dans un cas précisément pareil à ceux dont nous nous occupons, et il a décidé que le délai dont il s'agit est limitatif, tellement que le conseil de préfecture ne peut statuer définitivement hors de ce délai, alors même qu'une décision préparatoire aurait été rendue avant l'expiration du délai. Dans ce cas, les élections attaquées se trouvent maintenues de plein droit.
Celte décision me paraît digne de fixer votre attention ; c'est, messieurs, la dernière lecture que je me permettrai de vous faire. Voici l'arrêt : (L'orateur lit ce document.)
Je vous ai mis sous les yeux, messieurs, la manière de voir constante, invariable du conseil d'Etat de France. Et cependant nous savons tous que ce corps ne passe pas pour avoir voulu restreindre dans des limites étroites les pouvoirs des autorités qui sont au-dessus des communes.
C'est la tendance contraire qu'on a reprochée au conseil d'Etat de France, c'est d'avoir souvent exagéré les pouvoirs des conseils de préfecture et de ne s'être pas montré favorable aux franchises communales.
Eh bien, messieurs, faites-y attention, c'est ce même corps, centralisateur à l'excès, qui a constamment décide que le délai d'un mois est de rigueur, que c'est dans les trente jours qu'il faut statuer définitivement sur les réclamations électorales ; et que, passé ce délai, rien ne peut plus être fait par les autorités supérieures.
En résumé donc, à quelque point de vue que l'on se place, soit à celui du texte de la loi, soit à celui de son esprit, de son but, de ses tendances, il me paraît impossible de méconnaître qu'en droit la marche suivie par certaines députations permanentes est irrégulière, illégale et qu'elle ne saurait être maintenue.
Que si l'on me dit que le délai d'un mois est trop court ; que si l'on ajoute, comme l'a fait M. le ministre de l'intérieur, dans la première discussion, que le bon sens doit présider à l'application de cette loi, je répondrai que le bon sens est une excellente chose, que je prise fort, mais que je lui préfère cependant l'application simple et fidèle des lois, que c'est la première des obligations pour tous ceux qui sont chargés de ce soin, et qu'enfin, je ne pense pas que le bon sens et l'application sincère et ponctuelle des lois soient des choses inconciliables.
(page 535) Si, comme on l'a dit précédemment, mais sans le prouver, la loi est mauvaise, défectueuse, changeons-la ; que le gouvernement propose une modification, si elle est nécessaire, la Chambre l'examinera avec maturité et dans toute sa liberté d'action ; mais n'altérons pas par des décisions administratives des lois aussi importantes que la loi communale.
Hors de là, nous dérivons vers l'arbitraire ; le délai fixé par la loi pourra être prolongé d'un mois, de deux mois, que sais-je ? Où sera la limite ? C'est une porte ouverte à des abus de plus d'un genre, à des abus dans lesquels pourront pénétrer les passions politiques.
Eh bien, les passions politiques, l'esprit de parti, dans l'application de l'article 46 de la loi communale pourront donner lieu aux plus funestes conséquences et fausser la sincérité des élections dans leur source première.
Hors de là, où s'arrêtera-t-on ? Où sera le terme, le délai ? Qui en sera le juge ? S'il peut être prolongé, il n’y a plus de droit, plus de garantie pour la commune ; le vœu, la volonté des électeurs manifestée par le scrutin, peuvent devenir lettres mortes, le régime de nos libres communes pourrait être indéfiniment suspendu.
Je dis donc, et je termine par-là, qu'en dehors de l'application fidèle de l'article 46 de la loi communale, il n'y a que confusion et bientôt anarchie, comme c'est déjà le cas dans la commune de Thollembeek, et finalement la confiscation de la souveraineté populaire par laquelle et pour laquelle nous sommes ici.
(page 528) M. Muller. - Messieurs, si je prends la parole sur cette question, ce n'est pas pour méconnaître la légitimité des doutes auxquels elle a donné lieu. Mais reprenant les dernières phrases de l'honorable préopinant, je ferai remarquer qu'on est exposé à compromettre les libertés populaires, l'indépendance communale tout aussi bien dans l'application de l'un des systèmes d'interprétation que dans l'application de l'autre.
Ainsi, messieurs, je suppose qu'une députation permanente, lorsqu'elle est saisie d'une réclamation électorale, s'abstient volontairement de statuer dans le mois, l'élection sera réputée valide, quelque entachée de fraude et de vice qu'elle pût être.
Je dis, messieurs, que s'il en est ainsi et je n'entends pas trancher la question, il y a lieu de réviser la loi, car on peut tout aussi bien favoriser l'intrigue, et faire acte de partialité en refusant, en s'abstenant de prononcer sur les élections dans le -ois, qu'en statuant après ce délai.
L'indépendance communale, les libertés populaires, la souveraineté électorale doivent donc rester tout à fait en dehors du débat, puisque dans l'un et l'autre système elles peuvent être compromises... (interruption.)
Vous le reconnaîtrez avec moi.
Ainsi, je suppose que les griefs les plus graves s'élèvent contre la sincérité d'une élection, et que la députation permanente ne statue pas dans le mois, quoique le second paragraphe de l'article lui en fasse un devoir ; elle aura ainsi, par son inaction, rendu illusoire le droit de réclamation ; j'ajoute qu'elle aura commis un déni de justice.
Il n'en est pas moins vrai que dans le système strict d'interprétation que l'on étaye sur la précision des termes du premier paragraphe de l'article 46 de la loi, et que je ne conteste pas être conforme aux règles juridiques, on peut aboutir à favoriser des excès de pouvoir, d'autant plus dangereux, qu'il n'en resterait d'autre trace que l'absence d'une décision qu'à dessein l'on se serait abstenu de porter.
Je répète donc, messieurs, qu'il ne faut pas attacher à cette question d'autre importance que celle d'une interprétation d'un texte de loi, sur laquelle on peut être en désaccord de très bonne foi, et ce qui prouve que l'on peut hésiter à se prononcer, c'est que la plupart des députations permanentes ont été d'un autre avis que les précédents orateurs.
C'est, au surplus, la première fois que cette question a donné lieu à réclamation devant la Chambre.
M. Nothomb. - Je n'ai pas contesté la bonne foi des députations.
M. Muller. - Mon honorable interrupteur me permettra bien de soumettre une observation à la Chambre.
Je n'ai pas prétendu qu'il avait révoqué en doute la loyauté des députations ; mais puisque l'honorable M. Nothomb m'a interrompu, je lui ferai remarquer que les citations qu'il a empruntées à quelques commentateurs ne portent nullement d'une manière précise sur la question qui est aujourd'hui soulevée ; ils n'ont pas prévu les cas qui nécessitent des arrêtés interlocutoires, et dès lors c'est à tort qu'on invoque leur autorité. (Interruption.)
Vous m'interrompez, messieurs, et cependant je suis dans le vrai, et je vais vous en donner la preuve. L'un des commentateurs que vous appelez à votre aide, l'honorable M. Tielemans, dont on a lu une citation, s'est prononcé, j'ai tout lieu de croire mes informations exactes, pour une interprétation tout opposée à celle que lui suppose le représentant de Turnhout.
Il est d'avis que les députations permanentes, lorsqu'il y a impossibilité de statuer au fond, lorsqu'il y a des motifs graves pour légitimer un arrêté interlocutoire, peuvent ajourner leur décision définitive et ne la rendre qu'après le délai de 30 jours.
J'admets, au surplus, que l'opinion contraire peut s'appuyer sur des raisons sérieuses, je reconnais qu'elle peut tirer argument de l'article de la loi provinciale qui permet au Roi d'annuler les actes des conseils provinciaux dans tel délai, et de ne prolonger ces délais que par arrêté royal motivé, faculté que l'article 46 de la loi communale ne donne pas aux députations permanentes
Il y a encore un article plus favorable à l'opinion que la droite soutient, c'est l'article 88 de la loi communale, d'après lequel le gouvernement doit statuer dans un délai déterminé, sans qu'il lui soit libre de le prolonger.
On peut en inférer, a fortiori, que les députations doivent, à leur tour, annuler les élections communales dans le strict délai de 30 jours.
Quoi qu'il en soit, je me préoccupe des conséquences de l'un et l'autre système et je ne vous dis pas : Il ne faut pas renvoyer au ministre de l'intérieur avec demande d'explications. Je demande au contraire, que la question ne tarde pas à être résolue, soit dans un sens, soit dans un autre, et qu'au besoin l'on comble une lacune qui serait funeste dans notre législation.
L'honorable M. Julliot a dit : Mais les députations doivent statuer dans les 30 jours ; dans le doute, elles doivent annuler.
M. Julliot. - J'ai dit qu'elles peuvent annuler.
M. Muller. - Ce n'est pas là, messieurs, le rôle des députations. Dans le doute, je me demande, moi, que feront-elles ? Ou elles annuleront ou elles n'annuleront pas.
M. de Naeyer. - Dans le doute, elles doivent s'abstenir.
M. Muller. - Si elles sont dans l'impossibilité de statuer au fond, faute de renseignements suffisants, n'cst-il pas indispensable que la loi leur accorde la faculté de prendre un arrêt interlocutoire ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Evidemment. B
M. Muller. - Voici ce qui est arrivé récemment dans la province de Liège, dans mon arrondissement.
Une élection communale a donné lieu à réclamation. Le parquet a été saisi de l'affaire. Il y avait plainte portée du chef de corruption. Qu'a fait la députation permanente ?
Elle a pris un arrêt interlocutoire, sans penser qu'elle se rendait coupable de violation de la loi. Elle n'a pas voulu préjuger la décision que la justice allait rendre. Selon vous, elle devait statuer d'une manière ou de l'autre.
M. Julliot. - Elle pouvait le faire.
M. Muller. - Mais elle aurait donc dû se prononcer en aveugle ? Si la loi a cette portée, je demande qu'elle subisse une modification et qu'on accorde désormais aux députations permanentes, dans des circonstances graves qui motivent leur décision d'ajournement, le droit de s'éclairer ; je le demande dans l'intérêt de l'indépendance de la commune, de la souveraineté électorale et non pour donner un pouvoir arbitraire aux députations permanentes.
Elles n'abuseront pas de ce droit, car elles n'ont aucune espèce d'intérêt à retarder leurs décisions ; mais ce qui serait dangereux, c'est qu'elles pussent, en ne statuant pas dans le délai de trente jours, commettre impunément des dénis de justice : car alors toute fraude qui aurait été ourdie dans les élections communales serait réputée valide de plein droit.
Les réclamations les plus légitimes pourraient devenir vaincs et illusoires. Ce n'est pas ce qu'une bonne loi, ce qu'un bon législateur prévoyant doit admettre.
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'attache un grand prix à ce débat. J'y attache un grand prix, non pas pour les électeurs de Thollembeek que je ne connais point, mais pour le fond de la question ; car ainsi que l'a dît avec beaucoup de raison l'honorable M. Julliot, il s'agit de savoir si chaque délai fatal inscrit dans nos lois organiques constitutionnelles est une chose sérieuse, oui ou non.
Si vous décidez que ce délai fatal n'est pas une obligation impérieuse de la loi pour un point, vous annulez cette obligation pour tous les autres points, toutes vos lois sont bouleversées et je partage complètement, sous ce rapport, l'opinion de l'honorable M. Julliot : au moyen de la suppression du délai fatal dans les lois, il n'y a plus même d'élection possible, puisqu'il suffira que des réclamations soient produites ici par des personnes évincées des listes électorales, là par des personnes qui n'y auront pas été portées, pour que, si tout délai fatal est supprimé, il n'y ait plus même d'élection possible.
Le délai fatal, messieurs, c'est la garantie, la seule et unique garantie que la loi pouvait accorder contre l'inaction des autorités appelées à juger le point dont il s'agit.
Je le répète, si vous admettez que le délai fatal n'est pas de rigueur dans un cas donné, vous décidez par là même qu'il n'y a plus de délai fatal dans aucun cas quelconque.
(page 529) Ce sont donc toutes nos lois électorales, c'en toute notre loi communale, toute notre loi provinciale qui sont intéressées dans la question actuelle.
Maintenant, je me demande : La disposition de la loi communale dont il s'agit crée-t-elle un droit rigoureux, oui ou non ? Evidemment oui, et cela par une raison excessivement simple : quel est le principe en matière d'élection ? Ce principe c'est que chaque corps vérifie les pouvoirs de ses membres. La chambre vérifie les pouvoirs de ses membres ; le sénat vérifie les pouvons de ses membres ; les conseils provinciaux vérifient les pouvoirs de leurs membres ; il est donc rationnel que les conseils communaux enfin vérifient les pouvoirs de leurs membres.
Aussi, remarquez-le bien, la loi communale se garde-t-elle bien de donner à la députation permanente la vérification des pouvoirs des conseillers communaux.
Le projet du gouvernement contenait une disposition en vertu de laquelle les gouverneurs devaient envoyer à chaque élu communal une copie des nomination. Eh bien, la Chambre a retranché cette disposition parce qu'elle a pensé qu'en principe il appartient à chaque corps électif et à ce corps seulement de vérifier les pouvoirs de ses membres.
Mais, d'un autre côté, on a compris que les questions légales sont excessivement irritantes et l'on a voulu, par la loi, limiter la durée de cette irritation dans les communes ; et c'est pour ce motif qu'elle a mis la députation permanente dans l'obligation de statuer dans un délai de rigueur et qu'elle lui a donné le droit d'annuler les élections ; mais seulement pour autant que des réclamations fondées lui aient été soumises ou, d'office, si des abus graves ont été commis.
Voilà, messieurs, le seul droit que la loi ait conféré aux députations permanentes.
Supprimez l'article 46 de la loi communale et la députation permanente est sans droit sur la commune. Quant à la vérification des pouvoirs des conseillers communaux, elle ne peut évidemment appartenir qu'à la commune.
Vous le voyez, messieurs, le pouvoir accordé à la députation permanente est un pouvoir essentiellement exceptionnel ; or, il est de principe que tout pouvoir exceptionnel doit être renfermé dans les limites strictes assignées par la loi. Le délai d'un mois dans lequel la députation permanente doit se prononcer est donc un délai fatal.
Eh, messieurs, s'il pouvait rester le moindre doute sur le sens de la loi communale, il suffirait de recourir au rapport de la section centrale pour dissiper toute incertitude :
« La députation, est-il dit dans ce rapport, est tenue de prononcer dans le délai fixé pour son droit d'annulation. »
Voilà ce que dit la section centrale dans son rapport sur la loi communale ; de manière que si le texte pouvait offrir le moindre doute (et je ne pense pas que personne le soutienne), le rapport de la section centrale suffirait pour découvrir la véritable pensée du législateur de 1836.
Maintenant, est-ce à dire que la députation a ou n'a pas le droit de prendre un arrêté interlocutoire ?
Oh ! mon Dieu, je lui accorde volontiers ce droit ; mais à la condition que, conformément à la loi et à l'explication donnée dans le rapport de la section centrale, la députation se prononce dans un délai déterminé pour user de son droit.
Mais est-il vrai que la députation permanente ait le droit de prolonger l'exercice de ses pouvoirs, de s'attribuer un droit que la loi lui dénie ? Voilà toute la question. Il est évident que ce droit elle ne l'a pas et qu'il n'est pas possible de le supposer.
Supposez qu'une députation puisse s'arroger un droit que la loi ne lui donne pas, que la loi lui dénie ! Mais, messieurs, c'est renverser toutes nos lois organiques ; c'est renverser non seulement le droit de vérification des pouvoirs, mais encore le droit et le devoir de statuer dans un temps donné sur les réclamations électorales.
Mais, si une députation a le droit de prendre un arrêté interlocutoire pour prolonger le délai fatal que la loi lui accorde, pourquoi le conseil communal n'aurait-il pas le même droit ?
Cela est tellement évident, messieurs, que dans la loi communale annotée par M. Bivort, qui est, je pense, secrétaire particulier de M. le ministre de l'intérieur, on lit que, dans tous les cas, la députation permanente doit prononcer dans le délai fixé par la loi.
Maintenant que voyons-nous ? Nous voyons ici une petite commune, quelques paysans qui viennent nous demander de faire respecter la loi ! Eh bien, je dois le dire, je suis fier pour mon pays de trouver dans les rangs les plus infimes de la société ce respect pour nos lois et pour nos institutions !
Je suis fier pour mon pays que de simples paysans, de simples agriculteurs, quittant la charrue, viennent demander le respect à la loi, invoquer notre prérogative pour faire respecter la loi communale ; je dis que cela prouve grandement en faveur de l’état de nos populations, cela prouve combien les mœurs constitutionnelles sont descendues dans les rangs du peuple ; quand je vois le peuple donner une leçon, de constitutionnalité aux grands barons de l’administration, je dis que la Belgique doit être fière d’avoir un tel peuple et qu’un tel peuple saura conserver sa liberté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l’on veut parler de liberté à toute occasion, je ne demande pas mieux ; ce sont de très beaux sujets, mais il faut les mettre à leur place. On vient de parler de liberté électorale, de liberté communale compromise par la thèse soutenue par plusieurs députations : il m’est impossible de voir ici aucune espèce de lésion, d’atteinte à la liberté. Il m’est impossible de m’associer à ce grand élan de patriotisme auquel vient de se livrer M. Dumortier à propos de cette question.
M. B. Dumortier. - Supposez Bruxelles !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C’est une thèse de droit politique, c'est une interprétation pure et simple à donner à une disposition de la loi.
La députation est-elle tenue de se prononcer dans les trente jours, ou bien après un premier jugement, peut-elle ajourner sa décision définitive ?
Voilà la question dans toute sa simplicité : où voyez-vous |a liberté communale mise en question ? Au point de vue du respect de la liberté électorale, c'est la thèse des députations qui me paraît la bonne, votre thèse est contraire.
Elle dit aux députations : Vous aurez à vous prononcer dans les trente jours, ni plus ni moins ; éclairées ou non, que vous ayez besoin de prendre des renseignements ou non, vous devez prononcer ; si vous ne vous prononcez pas, l'élection est valide.
La députation présume que des vices radicaux entachent l'élection, que la fraude et la violence y prit pris part ; elle voudra s'assurer des faits, elle voudra constater si réellement il y a eu fraude et violence, il lui faudra pour cela 32 jours au lieu de 30 ; non, la loi s'y oppose, il faut que la députation se prononce. Si vous supposez la députation animée d'esprit de parti...
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Alors cela n'a pas d'intérêt ; mais s'il en est ainsi, elle se couvrira par l'article 46, elle annulera les élections dénoncées ; elle dira : J'ai été forcée d'annuler, le délai fatal allait expirer, Elle annulera, ou si elle n'annule pas, l'élection se trouvera validée, tant pis pour ceux qui ont été victimes de la fraude ou de la violence, le délai fatal est là.
Voilà la situation qu'on fait aux députations. C'est une bonne position que vous leur faites, si vous supposez ce que vous appelez les hauts barons de l'administration, animés d'un esprit hostile aux communes.
Je reconnais que la question est intéressante au point de vue du droit, mais je ne puis lui reconnaître l'importance politique que veut lui donner M. B. Dumortier.
On a invoqué l'autorité de jurisconsultes ; si nous plaidions, j'opposerais jurisconsultes à jurisconsultes, j'opposerais aux autorisés de MM. Julliot et Dumortier la députation du conseil provincial du Brabant où je vois M. Liedts, homme dont on connaît les lumières, les connaissances en droit, qui est un jurisconsulte pratique.
- Plusieurs voix. - Il n'a pas signé l'arrêté, il était à Paris.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas dans quelle province le fait s'est passé.
- Un membre. - A Thollembeek.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Soit, qu'il se soit passé dans le Brabant ou dans la Flandre occidentale.
- Un membre. - C'est dans le Brabant.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je déclare franchement que je ne connais pas toutes les communes du royaume, j'en fais dans ce moment la pénible expérience.
Je puis, dis-je, opposer aux jurisconsultes qu'on a cités des jurisconsultes considérables ; le gouverneur du Brabant est aussi un jurisconsulte. La jurisprudence qu'on attaque comme si attentatoire à la liberté des communes, est constante dans le Brabant ; je puis citer à l'appui deux autres provinces, deux autres jurisconsultes, des autorités connues, deux anciens ministres.
Nous pouvons aller loin si nous nous plaçons sur ce terrain. Je ne veux pas me placer au-dessus de ces grandes autorités, c'est en (page 530) m'appuyant humblement sur ces autorités que j'ai exprimé une opinion. Jamais cette question n'avait été soulevée, jamais à ma connaissance une commune n'avait réclamé contre la décision de la députation, il a fallu ce magnifique élan des habitants de la commune de Thollembeek, de ces jurisconsultes de village qui sont venus, ils ne sont pas compétents à décider ces questions.
M. B. Dumortier. - Tous les citoyens sont compétents pour réclamer l'exécution de la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voulez-vous que j'admette que les habitants de Thollembeek sont des jurisconsultes, que je m'en rapporte à ces conseillers de village ?
M. H. Dumortier. - Il y a des jurisconsultes de village qui en valent bien d'autres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a des procureurs de village, des politiques de village qui veulent soulever des questions de légalité ; il y en a eu à Thollembeek qui ont cru que la députation permanente avait commis une erreur et ils ont fait un acte dont M. B, Dumortier est fier pour son pays.
J'avoue que je ne puis partager ici l'enthousiasme patriotique de M. Dumortier, auquel j'aime à m'associer dans d'autres circonstances.
J'accepte le renvoi, j'ai offert des explications, j'ai annoncé qu'elles seront données par écrit. Attendez mes explications. Je n'apporte aucune espèce de passion dans cette question ; la députation doit- elle prononcer dans les 30 jours ou après 30 et quelques jours ; qu'est-ce, que cela fait au point de vue de la liberté électorale ? Ce qu'il importe, c'est d'accorder aux députations le temps nécessaire pour se prononcer en connaissance de cause, c'est de ne pas leur forcer la main. Le texte de l'article 16 est-il tellement formel qu'il ne peut donner lieu à aucune interprétation contraire ? Trois jurisconsultes importants, hommes compétents et pratiques, pensant autrement que vous.
Je dis donc, messieurs, que je présenterai un rapport. Je n'apporte aucune espèce de passion dans cette affaire. Si l'on reconnaît que la disposition est formelle, que la prescription est absolue, que la députation doit absolument prononcer dans les trente jours, je crois qu'il y aura lieu de réviser l'article 46. Mais, attendez mon rapport, cette question sera examinée avec la plus grande impartialité.
Le gouvernement, je le répète, n'a d'autre intérêt qu'un intérêt d'ordre public à ce qu'on décide cette question dans un sens ou dans un autre.
M. de Theux. - Je me félicite d'avoir fait la proposition de renvoyer à quinze jours la discussion de cette pétition. Pendant ce délai, on a pu réfléchir, on a pu examiner la loi et les discussions qui l'ont précédée. Quoique mon opinion ne fût pas douteuse à la lecture de l'article, j'ai voulu m'assurer si, dans les discussions, on ne trouverait rien qui pût conduire à l'interprétation contraire du texte. Eh bien, je déclare que je n'ai rien découvert dans les discussions qui pût en aucune manière infirmer la clarté du texte.
Messieurs, ce n'est pas seulement l'article 46 qui est clair, mais il y a encore, l'article 54 et l'article 60. En effet l'article 54 déclare que les conseillers communaux sont élus pour le terme de six années. L'article 60 dit que les nouveaux élus entrent en fonctions le 1er janvier qui suit leur élection.
S'il était permis de proroger les délais, pour annuler une élection, au-delà du 1er janvier, qu'en résulterait-il ? C'est qu'on aurait accordé à la députation ou que celle-ci aurait usurpé le pouvoir de perpétuer l'autorité communale sur le chef des mandataires dont le mandat est expiré ; et que les mandataires vrais de la commune, les nouveaux élus, ne pourraient pas exercer leur pouvoir. Or, c'est là une absurdité qui n'est pas admissible.
Elle n'est pas admissible, car la Constitution déclare que les conseils communaux sont élus directement ; il n'est pas même au pouvoir du législateur de proroger au-delà du terme du mandat les fonctions des conseils communaux.
Messieurs, je dis que l'article 46 est clair et précis dans chacun des quatre paragraphes dont il se compose.
D'après le premier paragraphe, si la députation n'a pas prononcé dans le délai de trente jours, l'élection est réputée valide.
Dans le second paragraphe, la députation est tenue de prononcer, s'il y a réclamation, dans le même délai de trente jours.
Dans le troisième paragraphe, le gouvernement peut, dans les huit jours qui suivront celui de la décision, prendre son recours au Roi, qui statuera dans le délai de quinze jours, à dater du pourvoi.
Messieurs, si, au moyen d'une ordonnance d'enquête, la députation peut proroger ses pouvoirs, le gouverneur pourrait le faire aussi ; car il pourrait vouloir vérifier si les faits qui ont provoqué la décision de la députation sont assez graves pour qu'il puisse s'abstenir de se pourvoir auprès du Roi ; et le Roi lui-même ou M. le ministre de l'intérieur, son délégué, pourrait aussi dire que, dans le délai de quinze jours, il n'a pas eu le temps de statuer et il pourrait porter une décision interlocutoire et prendre aussi un délai pour examiner. Car, chacune de ces autorités a les mêmes prérogatives, les mêmes pouvoirs. L'une ne peut pas plus étendre les délais que l'autre.
Il y a plus ; d'après le paragraphe 4, les électeurs doivent être convoqués dans les quinze jours. On pourrait encore trouver quelque prétexte pour ne pas les convoquer dans les quinze jours.
Ainsi, les quatre dispositions sont précises. Les quatre paragraphes de l'article de la loi communale tombent à rien ; la loi est nulle. En effet, messieurs, si cette loi n'est pas claire, quant à moi, je renonce à coopérer à la rédaction claire et précise d'un texte de loi. Il sera impossible d'y parvenir. On trouvera toujours le moyen d'éluder le texte.
Je demande donc que la loi communale soit respectée dans son texte et dans son esprit. Il ne s'agit pas de savoir si cette disposition est plus avantageuse à la liberté que toute autre disposition. Là n'est pas la question. Nous n'avons à statuer que sur le sens clair et précis de la loi, et ici même pour invoquer l'autorité de la loi, il n'est pas besoin d'être jurisconsulte. Le premier indigent belge a les mêmes droits que celui qui paye les sommes les plus élevées. Nous sommes tous égaux devant la Constitution, devant la loi, et nous n'avons pas à plaisanter sur la condition de ceux qui viennent réclamer notre intervention.
Quant à moi, je ne forme qu'un vœu, c'est que la question puisse venir devant les tribunaux, et je suis certain de la décision judiciaire qui interviendra. Je voudrais que, par un moyen quelconque, les tribunaux pussent être saisis de la question.
Je n'en dirai pas davantage. Les orateurs qui m'ont précédé ont fait valoir des arguments tellement décisifs que je ne sais pas ce que l'on pourrait opposer aux moyens qu'ils ont allégués à l'appui de leur opinion. Je pourrais encore en ajouter d'autres qui n'auraient pas une autorité plus grande. C'est pour ce motif que je borne ici mes observations.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quelles sont vos conclusions ?
M. de Theux. - Mes conclusions sont le renvoi de la pétition au ministre de l'intérieur avec demande d'explications, sauf à discuter ultérieurement les explications qui seront données.
M. Coomans. - Après les observations si décisives que nous avons entendues et la déclaration faite par le gouvernement, il me semble que ce débat peut être suspendu aujourd'hui. Je n'ai qu'un mot à dire. Si j'ai bien entendu l'honorable ministre de l'intérieur au commencement de la séance, la délibération du conseil communal de Thollembeek par laquelle il décide qu'il ne prendra pas part à des élections nouvelles, serait annulée. Or, puisque M. le ministre n'a pas annulé les actes réellement illégaux, selon nous, de la députation permanente, il s'abstiendra, j'espère, d'annuler la délibération parfaitement légale du conseil communal de Thollembeek. Il ne s'agit pas ici de peser les autorités, il s'agit d'être juste. Puisque le conseil communal de Thollembeek s'est appuyé sur la loi, ce qui me semble évident pour tout le monde., il serait inconvenant d'annuler une pareille délibération, alors qu'on n'a pas annulé des délibérations très illégales.
Puisque l'honorable ministre veut garder dans ce débat une sorte de neutralité dont je le loue beaucoup, je l'engage à ne pas donner suite à la déclaration qu'il a faite au commencement de la séance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, si je n'ai pas annulé la décision de la députation permanente, c'est pour deux motifs : d'abord cette décision ne m'a pas été dénoncée comme illégale ; en second lieu si elle m'avait été dénoncée comme illégale, j'aurais eu à examiner si elle l'était en effet. Je n'admets pas d'une manière absolue, comme les honorables membres, que ces décisions sont illégales ; il y a tout au moins doute. Mais la délibération par laquelle un conseil communal se soustrait à une obligation légale doit nécessairement être annulée.
Lorsque la députation ordonne à une commune, en vertu de la loi, de faire telle chose, si la commune peut déclarer qu'elle n'exécutera pas cette résolution, ce n'est pas de l'ordre, c'est de l'anarchie.
Le gouvernement prendra la décision que la loi lui impose, et la (page 531) Chambre ferait de l'administration si elle venait dire au gouvernement : Dans tel ou tel cas vous aurez à annuler ou à ne pas annuler.
Cela n'est pas du ressort de la Chambre. Lorsque le gouvernement a posé un acte qui blesse la Constitution ou la loi, un acte qui sort de ses attributions, la Chambre peut critiquer cet acte, reprocher au gouvernement de l'avoir posé ; mais jusque-là, je n'ai aucune espèce d'injonction à recevoir, ni de la Chambre ni d'aucun membre de la Chambre, en pareille matière.
M. de Theux. - Je ne prétends en aucune manière imposer une décision à M. le ministre de l'intérieur. J'ai dit mon opinion. Mais je rappellerai à M. le ministre de l'intérieur un fait bien important qui s'est passé en France : un arrête du conseil de préfecture avait, après l'expiration du délai, annulé une élection municipale et fait procéder à des élections nouvelles ; cet arrêté fut annulé par le conseil d'Etat qui déclara nulles les dernières élections et valida les premières. J'appelle seulement l'attention du gouvernement sur ce fait très important.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'exemple que cite l'honorable M. de Theux vient à l'appui de ma thèse. Ce n'est pas aux conseils communaux qu'est déféré l'examen, au point de vue de la légalité, des décisions de la députation permanente, c'est au roi. En France c'est au conseil d'Etat, que vient d'invoquer l'honorable M. de Theux. Mais l'honorable M. de Theux peut-il citer un conseil municipal à qui le conseil de département aurait ordonné de faire procéder à de nouvelles élections et qui s'y est refusé ? Je ne le pense pas.
Les élections faites, le conseil d'Etat les a annulées, mais le conseil municipal s'est conformé aux prescriptions du conseil départemental et s'il s'y était refusé, je doute fort que le conseil d'Etat lui eût donné raison.
En un mot, messieurs, les décisions d'un corps supérieur ne peuvent pas être déférées à un corps inférieur ; les décisions de la députation permanente sont déférées par la loi au pouvoir royal, et c'est le pouvoir royal qui prononce sur la légalité ou l'illégalité de ces décisions. Ce n'est pas le conseil communal.
M. Coomans. - Je n'ai fait aucune injonction à l’honorable ministre, d'abord parce que je n'en ai pas le droit et ensuite parce que je ne veux pas me mettre dans la position ridicule d'un homme qui donne des ordres qu'il sait très bien qu'on ne suivra pas.
Je me suis borné à dire qu'il était convenable de la part d'un ministre qui déclare ne pas être assez éclairé sur la question, qui ne connaît pas même la situation géographique de la commune dont il s'agit, qui ne connaît pas l'affaire, je dis qu'il est convenable, de la part de ce ministre, de ne pas annuler la décision du conseil communal dans une matière qui sera plus tard l'objet d'une décision souveraine. Je dis qu'il serait de la plus haute inconvenance d'annuler une décision qui pourrait être reconnue plus tard comme basée sur le bon sens et la justice.
Maintenant l'honorable ministre demande si les corps inférieurs ont le droit de résister aux corps supérieurs. Voici ma réponse, elle est très simple, elle n'est pas anarchique, elle est d'un ami de la liberté et de la légalité : Oui, les corps inférieurs ont le droit de résister aux corps supérieur., lorsqu'ils ont la conviction que les corps supérieurs ne sont pas dans la légalité. Mais j'avoue que chacun agit sous sa responsabilité, seulement je dis qu'il est honorable de la part de citoyens de résister à l'arbitraire, et nous n'avons jamais fait autre chose : les Belges sont habitués à ce régime-là, et j'espère qu'ils ne le désapprendront pas.
M. de Theux. - Chaque fois, messieurs, que la loi donne à une autorité supérieure le droit de prescrire quelque chose à des subordonnés ou à des citoyens quelconques et qu'elle frappe d'une pénalité le refus d'obéissance, la décision de l'autorité supérieure sera respectée ; mais si l'on se trouve en dehors de ce cas et si la prescription est illégale, elle peut ne pas être respectée. Si on admettait la doctrine contraire, on pourrait aller extrêmement loin. Peut-on, dans ce cas-là, rester dans une situation passive et attendre les conséquences de son inaction ?
Voilà la question que les tribunaux auront peut-être à examiner, mais je n'admets d'une manière absolue ni l'une ni l'autre opinion ; l'une pourrait conduire au désordre, l'autre pourrait conduire à l'esclavage.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cette question-ci a beaucoup plus d'importance que l'autre. Elle mériterait une discussion spéciale. Il s'agit de savoir si la loi communale et la loi provinciale recevront une sérieuse application. La députation permanente d'une province prend une décision, elle annule, dit-on, contrairement à la loi, une élection ; les intéresses réclament auprès du gouvernement et le pouvoir royal déclare que la députation a bien jugé. La commune soutient qu'il y a illégalité dans la décision du pouvoir royal qui ordonne la convocation des électeurs, elle ne les convoque pas, elle proteste.
Voilà où conduit le système des honorables membres de la droite. Est-ce ainsi qu'ils entendent l'ordre dans l'administration ? Est-ce ainsi qu'ils entendent la liberté ?
Je prie l'honorable M. de Theux de vouloir bien réfléchir à la doctrine qu'il vient de mettre en avant. Devons-nous provoquer les communes à une pareille résistance ?
- Un membre. Il ne faut pas commettre des abus de pouvoir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui sera juge ? Il plaît à une commune de se déclarer lésée dans son droit, de déclarer que la députation permanente, que le gouvernement ont violé la loi, et se rendant justice elle-même, la commune dit : « Je n'exécuterai pas la loi ; vous aurez beau me donner l'ordre de convoquer les électeurs ; je ne les convoquerai pas. » C'est là de l'anarchie. Quel est le moyen d'y mettre un terme ?
- Un membre. - Il y a un moyen : c'est de faire observer la loi par les députations permanentes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous qui déférez la souveraineté judiciaire à la commune, savez-vous où mène votre système ? Si la commune décide que la députation permanente et le gouvernement ont mal jugé, elle se met à l'état de révolte. (Interruption.)
Je suppose que le gouvernement déclare que la députation permanente a bien jugé et que l'ordre soit donné de convoquer les électeurs, c'est ce qui va arriver, la commune refusera d'exécuter cet ordre et s'appuiera sur l'autorité de quelques hommes du parti conservateur.
Quand ces honorables membres auront réfléchi aux conséquences de leur opinion, je crois qu'ils rabattront un peu de cet ardent amour pour la liberté communale illimitée qui serait une véritable anarchie.
M. de Theux. - Messieurs, je ne pense pas avoir donné lieu, par mes paroles, à l'attaque dont je viens d'être l'objet de la part de M. le ministre de l'intérieur, il soutient son opinion, et moi je soutiens la mienne, et je continuerai à la soutenir, quoi qu'en puisse dire M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre nous demande ce qu'il y a à faire. Je pense qu'il doit connaître, comme moi, la loi communale, puisqu'il a aidé à la faire et qu'il l'a mise en pratique. Or, je trouve dans la loi communale des dispositions précisément applicables au cas dont il s'agit ; la loi permet d'envoyer sur les lieux des commissaires chargés, de faire ce qu'une autorité communale refuse d'exécuter.
Mais il y a une autre question bien plus grave, c'est celle de savoir si une autorité communale, dans un cas comme celui-ci, serait condamnée judiciairement à une peine quelconque pour avoir refusé de procéder à une élection. Je dis qu'elle ne serait condamnée à aucune peine, si les tribunaux appréciaient la loi communale comme nous l'apprécions. Voilà ma manière de voir.
Je dis que nous n'avons aucune loi qui prescrive, sous des peines judiciaires, et dans tous les cas, à une autorité inférieure d'exécuter tel ou tel ordre d'une autorité supérieure ; le refus d'exécution engage la responsabilité de l'autorité inférieure et les tribunaux en sont juges.
M. Nothomb. - M. le ministre de l'intérieur nous demande : « Quel moyen emploierez-vous dans l'affaire de la commune de Thollembeek pour briser la résistance factieuse que l'on y oppose ? »
Je lui réponds : Le Code pénal pourvoit au cas ; il commine une peine et une peine sévère contre les fonctionnaires et membres de l'autorité qui se concertent pour entraver l'exécution des ordres du gouvernement.
Si vous croyez être dans votre droit, si vous croyez être dans la loi, la légalité, essayez du moyen. Les tribunaux interviendront, ils apprécieront la conduite des autorités, petites et grandes, ils jugeront indirectement la question qui nous divise et, pour ma part, je le déclare, je ne redoute pas l'intervention judiciaire. Loin de là, je l'appelle de mes vœux.
m
M. B. Dumortier. - M. le ministre de l'intérieur a placé tout à l'heure la question sur un terrain complètement nouveau. Abandonnant momentanément la question de savoir si la députation permanente a, oui ou, non posé un acte illégal, il dit que, dans tous les cas, ce n'est pas à une commune rurale d'annuler un arrêté de la députation permanente.
La résolution de l'autorité communale de Thollembeek n'annule pas l'arrêté de la députation permanente ; mais, en vertu de l'article 46 de la loi communale, elle se borne à déclarer qu'il n'y a pas lieu de procéder aux élections.
(page 532° « Mais, dit M. le ministre de l'intérieur, c'est de l'anarchie. »
Voyons si c'est de l'anarchie.
Je suppose que la députation permanente du conseil provincial du Brabant, sortant de la loi, comme elle l'a fait dans cette circonstance, prenne un arrêté qui annule le conseil communal de Bruxelles. Eh bien, je demande : Que doit faire alors le conseil communal de Bruxelles ? Je dis qu'il ne se soumettra pas quand la loi a été violée, et dans ce cas, en ne se soumettant pas, il n’aura pas fait de l’anarchie, il aura fait respecter la loi.
La résistance légale aux actes illégaux est un devoir, même pour tous les habitants d'un pays.
Si vous n'admettez pas ce principe, vous arriverez, non pas à ce que vous appelez de l’anarchie, mais au despotisme, à l'annulation de toutes nos institutions libres.
La question est bien claire. La députation permanente a-t-elle pris son arrêté dans le délai légal, dans le délai de 30 jours ? Non ; elle a pris son arrêté 50 jours après les élections ; par conséquent, elle avait perdu le pouvoir limitatif que lui attribue la loi communale.
Son arrêté était dès lors illégal ; et cependant on dit à la commune : « Il faut vous y soumettre. » On tient un pareil langage à des hommes libres, on leur dit, sous un régime de liberté, de se soumettre à l'arbitraire !
Mais c'est là déclarer que nous ne vivons plus sous un régime de liberté !
Lorsqu'une députation permanente quelconque prend un arrêté illégal, loin de dire à ceux qui réclament contre cet arrêté illégal : « Vous devez vous y soumettre, » on doit dire : « Vous devez vous soumettre à la loi. »
Hors de là, vous êtes dans l'anarchie, dans l'anarchie administrative qui ne vaut pas mieux que l'anarchie du peuple.
Il n'y a qu'un seul régime bon pour un pays : c'est celui de la légalité.
Je conjure M. le ministre de l'intérieur de ne pas sortir de la légalité ; il engagerait fortement sa responsabilité, si, dans des circonstances pareilles, il donnait tort à ceux qui respectent la loi, et raison à ceux qui la violent. Je lui tiens ce langage, non comme adversaire, mais comme ancien ami.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, cette discussion m'étonne et m'afflige jusqu'à un certain point. Je ne comprends pas que de pareilles doctrines puissent se faire jour dans cette assemblée et y trouver un seul organe.
On vient de nous recommander de rester dans la légalité. Je fais la même recommandation à l'honorable membre et je l'engage à ne pas faire appel au plus saint des devoirs, à l'insurrection.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de cela. La résistance légale n'est pas l’insurrection.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dernièrement, on faisait une sortie très violente contre les nations qui sortaient de ce qu’on appelle la légalité ; mais ici on défend une thèse contraire.
Pour rester dans la légalité, qu'y a-t-il à faire ?
La députation prend un arrêté qui annule les élections.
Les habitants de la commune trouvent que la députation a eu tort d'annuler.
La loi dit à ces habitants qu'ils peuvent, dans les huit jours, réclamer contre la décision de la députation.
Dans l'espèce, ce qui est assez curieux, c'est qu'il n'y a pas eu de réclamation des habitants de la commune.
M. Thibaut. - Ils n'en ont pas besoin.
M. de Naeyer. - C'est le gouverneur seul qui peut réclamer contre la décision.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'article 46 de la loi communale dit ;
« La députation permanente du conseil provincial peut, dans les 30 jours à dater de l’élection, soit sur réclamation, soit d'office, annuler par arrêté motiver l’élection pour irrégularité grave. Passé ce délai, l'élection est réputée valide.
« En cas de réclamation de la part des intéressés ou d'opposition de la part du gouverneur... » Il ne s'agit pas là du gouverneur seul :
«... La députation est tenue de prononcer dans le délai de 30 jours.»
M. de Theux. - Il n'y a que le gouverneur qui puisse réclamer contre la décision.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Bien, mais les intéressés peuvent réclamer contre la première décision de la dépuration en cas de réclamation de la part des intéressés.
M. Tack. - Contre les élections, mais pas contre la députation.
M. de Theux. - Lisez l'article en entier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'article dit ce que vous lui faites dire, le second paragraphe ne fait que répéter le premier paragraphe, mais l'article n'est pas clair. Il distingue. Vous le verrez par les explications qui seront données.
M. de Naeyer. - Dans le premier paragraphe la députation peut statuer, dans le second elle doit. Voilà toute la différence.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'article n'est pas clair. Dans tous les cas il y a recours contre la décision de la députation.
S'il n'y a pas eu de recours dans les huit jours contre la décision de la députation, cette décision reste inattaquable.
La députation a prescrit des élections nouvelles. La commune se refuse à convoquer les électeurs. La députation dénonce ce refus au Roi. Que reste-t-il à faire au gouvernement ? Annuler la délibération du conseil communal.
Il annule la délibération. De nouveau le conseil communal résiste, et il ne convoque pas les électeurs. Qu'y a-t-il à faire ? Je demande le moyen.
L'honorable M. de Theux m'en a indiqué un, mais je ne sais comment il se concilie avec la parfais liberté électorale et communale, c'est d'envoyer un commissaire, sur les lieux procéder aux élections.
Ce moyen est légal.
M. B. Dumortier. - C'est ce que la députation a décidé dans l'espèce.
M. Coomans. - Elle l'a fait.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce procédé est légal, mais je me demande s'il se concilie parfaitement avec ce grand respect qu’on exige pour les libertés communales.
L'honorable M. Nothomb en a un autre : c'est de traduire l'autorité communale devant les tribunaux.
Eh bien, sans doute, c'est aussi un procédé légal, mais je me demande comment on concilie ce procédé avec le respect de l'indépendance communale.
M. Nothomb. - Vous avez demandé comment il fallait vaincre la résistance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je trouve que ces procédés sont peu conformes aux principes qu'on vient défendre ici avec tant de chaleur.
M. Coomans. - Ils sont légaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quant à moi, j'aime mieux recourir aux simples procéder indiqués par la loi et j'aime mieux ne pas exposer les communes à poser des actes aussi compromettants, car ne voyez-vous pas que si, s'appuyant sur votre opinion, ces conseillers communaux poussaient la résistance à outrance et s'engageaient dans une conduite qui puisse les amener devant les tribunaux, vous auriez rendu un funeste service à ces habitants peu éclairés des communes.
Messieurs, je le répète, la question qui a été soulevée dans cette enceinte peut donner lieu à des divergences d'opinion ; elle peut être très controversée. Je me réserve de m'expliquer définitivement lorsque la question se représentera devant la Chambre. Jusque-là je réserve mon opinion. Je persiste dans celle que j'ai exprimée tout à l’heure, que le gouvernement a le droit d'annuler des décisions des conseils communaux qui sont contraires aux lois.
Je soutiens que les conseils communaux ne sont pas juges de la légalité des décisions des députations ; que c'est au gouvernement qu'appartient l'examen et la décision sur ces questions ; que c'est au gouvernement et non aux conseils communaux que ces questions doivent être déférées.
La Chambre, à son tour, peut être saisie de cette question, elle peut examiner si le gouvernement n'a pas fait un usage illégal de ses attributions, et venir ainsi en aide aux communes comme aux citoyens qui se trouveraient lèses par les décisions du gouvernement. Mais ce n'est ni aux communes ni aux citoyens de se rendre justice à eux-mêmes.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire. J'espère que la Chambre ne continuera pas un débat qui, dans tous les cas, ne peut aboutir à aucune conclusion.
Si une conclusion quelconque était possible, je demanderais aux honorables membres de vouloir bien la formuler ; sinon, nous nous livrerions encore longtemps à des débats plus ou moins théoriques, chacun (page 535) faisant valoir ici son opinion, mais nous n'arriverions à aucun résultat pratique. Lorsque les explications auront été fournies par le gouvernement, lorsque nous aurons examiné de nouveau la question, nous déciderons s'il y a lieu de maintenir la loi communale telle qu'elle est ou s'il y a lieu d'y introduire une modification qui serait reconnue nécessaire.
- Voix nombreuses. - Assez ! assez ! Aux voix.
M. Julliot renonce à la parole.
M. Thibaut. - Dans l'examen auquel M. le ministre de l’intérieur va se livrer, je l'engage très fort à rechercher quelle est l'autorité qui a commis un abus de pouvoir ; et ensuite quelle est l'autorité qui n'a pas fait ce qu'elle aurait dû faire. Selon nous, messieurs, l'autorité qui a commis un abus de pouvoir, c'est la députation permanente, laquelle a prononcé la nullité d'une élection après le délai fatal qui lui est prescrit par l'article46 de la loi communale.
L'autorité qui n'a pas fait ce qu'elle aurait dû faire, selon moi, c'est le gouverneur de la province ; d'après l'article 125 de la loi provinciale, il eût dû prendre son recours près du gouvernement et proposer à M. le ministre de l'intérieur de casser un arrêté que la députation permanente avait pris en dehors de ses attributions, c'est-à-dire après avoir laissé écouler ce délai de 30 jours qui est fixé par la loi. Après ce délai la députation n'avait plus aucune action sur l'élection dont il s'agit, et le gouverneur de la province devait soumettre à la censure du gouvernement l'abus qu'elle a fait de son pouvoir.
J'appelle donc l'attention de M. le ministre de l'intérieur non seulement sur l'article 46 de la loi communale, mais aussi sur l'article 125 de la loi provinciale.
- De toute parts. - Aux voix ! aux voix !
- La discussion est close.
Les conclusions de la commission tendante au renvoi des trois pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications, sont mises aux voix et adoptées.
M. Pirmez. - J'ai l'honneur de déposer un rapport sur les articles du Code pénal qui ont été renvoyés à la commission.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Vander Donckt, rapporteur. - (Nous publierons cette partie de la séance.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)
M. Goblet. - Je pense que la Chambre n'est pas disposée à aborder le débat au fond, à se livrer à une discussion sérieuse ; je demande le renvoi à une autre séance.
- La discussion du rapport sur la pétition du sieur Haeitk est ajournée.
La séance est levée à quatre heures.
La séance publique est remise au 19 de ce mois, à deux heures.