(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 375) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Tervueren demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »
« Même demande d'habitants de Saint-Hubert, Soignies, Wyngene, Neufchâteau, Châtelineau, Renaix, Gosselies, Gand, Dînant, Bossière, Meulebeke, Petit-Rœulx, Tubise, Saint-Trond, Braine-l'Alleud, Wauthier-Braine, Genappe, Gembloux, Aerseele, Ostende, Marche, Hasselt, Menin, Chimay, Bruxelles, Bruges, Audeghem, Wevelghem, Emelghem, Cachtem, Pitthem. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Des fabricants de tissus de coton à Renaix demandent la révision de la loi du 6 avril 1823, en ce qui concerne leur industrie, ou du moins l'application modérée de la loi. »
M. Magherman. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants de Hal demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, ou du moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles. »
« Même demande d'habitants de Ghislenghien. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Saint-Jean-Geest demande que la compagnie concessionnaire exécute le chemin de fer de Tamines à Landen avec embranchement de Perwez à Tirlemont par Jodoigne. »
« Même demande des conseils communaux d'Orp le Grand, Huppaye, Marilles et Enines. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Noël fait hommage d'une nouvelle poésie et prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir une récompense honorifique. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Macorps et Ansiaux, président et secrétaire général de la société horticole et agricole de l'arrondissement de Huy, demandent la suppression du péage des barrières. »
- Même renvoi.
« La veuve du sieur Remich, gendarme pensionné, demande un secours. »
- Même renvoi.
« M. le baron Cogels fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'une nouvelle brochure qu'il vient de publier sur la question monétaire. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. H. de Brouckere, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Hymans. - Messieurs, je partage sur beaucoup de points les opinions qui ont été exprimées par l'honorable M. Dechamps dans la séance de samedi, avec l'éloquence qui lui est habituelle. Je crois avec l'honorable M. Dechamps que le rétablissement du grade d'élève universitaire exercera une assez médiocre influence sur le niveau des études, surtout dans les conditions où l'on propose de le rétablir, c'est-à-dire avec le maintien des cours à certificats et avec le maintien du système actuel d'examen. Je crois, en outre, que si l'abaissement du niveau des études était réel, il faudrait l'attribuer à des causes beaucoup plus sérieuses que la suppression d'un examen, dont en définitive, on s'est très bien passé jusqu'en 1849.
Je voterai cependant en principe le rétablissement du grade ; je dirai tout à l'heure pour quelles raisons.
Mais d'abord j'éprouve le besoin de protester de la façon la plus énergique contre cette manie qui paraît s'être emparée de quelques honorables membres de cette Chambre, esprits très éclairés d'ailleurs, manie qui consiste à prétendre que le niveau intellectuel et scientifique s'est abaissé depuis 1830.
C'est, je le répète, une véritable manie. Nous disons, dans cette Chambre, que le niveau scientifique a baissé ; hors de la Chambre, ceux que nous accusons, prennent leur revanche et disent que c'est le niveau parlementaire qui baisse.
D'après moi, ces lamentations ne reposent sur aucun fondement sérieux. Si on voulait s'en donner la peine, il serait facile de démontrer que le niveau intellectuel de la Belgique, au lieu d'avoir baissé depuis 1830, s'est, au contraire, considérablement élevé.
Mon honorable ami, M. de Boe, dans le remarquable discours qu'il a prononcé au début de la discussion, disait que les progrès intellectuels et scientifiques qu'avait faits le monde depuis le commencement de ce siècle, s'étaient produits surtout pendant la période de 15 ans qui succéda à la pacification de l'Europe, après la chute du premier empire.
J'admets très volontiers que le mouvement de réveil des esprits se manifesta, à cette époque, d'une façon plus sensible et plus marquée que dans la période suivante. Il est certain que la renaissance des arts et des lettres, la révolution accomplie dans les études historiques, la fondation du régime parlementaire dans une grande partie de l'Europe, que la fondation d'une liberté sage et pratique dans presque tous les pays de l'Occident placent cette époque au niveau des siècles les plus célèbres de l'histoire.
La Belgique même a dû à cette période, trop peu étudiée aujourd'hui, qui s'étend sur les 15 années qui séparent 1815 de 1830, de précieux, d'incontestables bienfaits.
Ainsi le clergé catholique se ralliant franchement, à la veille de la révolution de 1830, à tous les principes de 1789, après avoir en 1814 et 1815 jeté l'anathème sur toutes les libertés modernes, faisait évidemment preuve d'un esprit que n'était plus celui de l'ancien régime. La philosophie de ce siècle l'avait éclairé et converti.
Le peuple qui a fait la révolution de 1830, le congrès qui l'a organisée, les législateurs qui l'ont fécondée, n'étaient pas davantage les hommes de 1814, c'était une génération nouvelle, nourrie de fortes études, ayant à cœur le triomphe du droit, de la vérité, de la justice et du progrès.
Mais de ce que nous ayons recueilli tous ces fruits de la période de 1815 à 1830, faut-il conclure que le mouvement intellectuel, scientifique, littéraire se soit arrêté en Belgique ?
Le prétendre, messieurs, se serait calomnier la liberté. Et en définitive où sont donc les symptômes de décadence ? Les trouvez-vous dans le peuple ? Les trouvez-vous dans les régions supérieures de la société ? Si je les y trouvais, si je les constatais au moindre degré, je considérerais comme de bien vaniteuses faiblesses toutes ces manifestations enthousiastes que nous faisons en Belgique pour célébrer le retour de chacun des glorieux anniversaires de notre existence depuis 1830.
Il faut bien se garder, messieurs, de se laisser aller sur cette pente trop glissante d'un découragement qui pourrait devenir contagieux. Il a été de mode, il n'y a pas bien longtemps, dans certaines régions de prétendre que la Belgique était fatiguée de ses institutions, qu'elle n'était plus digne de ce beau régime, de cette charte admirable que le monde lui envie. Il a été de mode aussi de prétendre que la Belgique n'était pas en état de défendre sa frontière, qu'elle devait abandonner sa nationalité à tous les hasards des circonstances.
Je dis que ceux qui propagent de pareilles doctrines à la légère se font involontairement les complices de nos plus cruels ennemis.
(page 376) Je ne trouve pas que nous ayons dégénéré ni en patriotisme, ni en lumières, ni surtout en bonne volonté. Nous n'avons dégénéré ni eu matière d'art, ni en matière de littérature. L'honorable ministre de l'intérieur vous signalait l'autre jour en passant les splendeurs de l'art belge depuis 1830, splendeurs que nous méconnaissons quelquefois et que l'étranger sait fort bien apprécier.
Et si les lettres belges ne sont pas encore arrivées à la hauteur des lettres françaises, il faut leur admettre qu'il s'est opéré un véritable réveil dans cette voie et que nous avons franchi, depuis 1830, sur le terrain littéraire une distance énorme, incommensurable.
Si maintenant je me renferme dans un cadre plus restreint, si je ne considère que l'enseignement qui fait aujourd'hui l'objet de notre examen, si j'examine l'enseignement à tous ses degrés, je demanderai à quelle époque de notre passé vous avez vu une plus grande somme de connaissances répartie sur toutes les classes de la population, et soyez-en bien persuadés, l'étranger qui visite notre pays, Anglais ou Américain, l'habitant de n'importe lequel de ces pays dont on est venu ici nous faire un si triomphant éloge, quand il voit nos écoles, nos musées, nos conservatoires, nos usines, les grands travaux que nous avons accomplis sur tous les points de la Belgique, s'en va sans avoir un seul instant l'idée de dire aux autres ou de se dire à lui-même que sur ce pays plane le fatal présage d'une décadence prochaine.
On nous dit que les études classiques ont diminué, que le niveau des études classiques a baissé. Cela est possible, messieurs, mais c'est un signe du temps ; c'est le résultat de l'influence plus grande des préoccupations matérielles. Et puis, il ne faut pas l'oublier, c'est aussi un peu le résultat d'une petite croisade contre l'enseignement des lettres classiques, c'est le résultat d'une croisade précitée par une partie du clergé contre l'antiquité profane ; c'est le résultat d'une croisade précitée par une certaine école économique contre les lettres classiques, parce que ces partisans du laisser faire, du laisser passer, du libre examen, de la non-intervention en toutes choses, voyaient dans l'antiquité le germe des doctrines socialistes et communistes qui avaient failli compromettre la nationalité française en 1848.
Mais, sous ce rapport, messieurs, nous avons beaucoup gagné depuis quelques années. La partie la plus éclairée du clergé français et je dirai la presque totalité du clergé belge a protesté contre les doctrines qui ont été émises par l'abbé Gaume et ses amis.
Les études classiques ont trouvé de nouveaux partisans ; et nous les reverrons fleurir par degrés, à la condition qu'elles retrouvent le patronage des hommes éclairés. En attendant, messieurs, je le répète, ne nous décourageons pas ; et ne parlons pas surtout de l'abaissement du niveau des études, sans savoir ce que c'est.
J'ai cherché, pour ma part, la définition de ce que l'on entend par cet abaissement et je ne l'ai pas trouvée ; du moins dans les Annales parlementaires. Veut-on prétendre que le niveau de la science a baissé ? Cela ne me paraît pas sérieux ; cela me paraît absurde, et je partage complètement, sous ce rapport, l'opinion exprimée dans une très intéressante brochure qui a paru il y a quelques jours, et dont l'auteur est un jeune médecin des plus distingués de l'armée belge, noauri des plus fortes études classiques, M. le docteur Van Esschen.
« Comment voulez-vous, dit-il, que la science ait reculé depuis trente ans ? Elle possède un capital primitif ; elle y a ajouté de gros intérêts ; ses richesses anciennes se sont accrues de productions de tout genre. La science est un rosier dont chaque jour voit éclore un bouton et dont aucune fleur ne se fane. »
Donc, la science n'a pas rétrogradé ; cela me paraît clair, limpide et concluant.
Mais l'enseignement est en progrès à tous les degrés 1 Si je compare les programmes actuels à ceux d'il y a 30 à 40 ans, je dois bien reconnaître qu'on enseigne plus, et je n'hésite pas à dire qu'on enseigne mieux.
Dans nos universités les chaires occupées par de jeunes professeurs ne sont assurément pas les plus mal remplies ; et si la routine se perpétue dans nos universités, ce n'est pas dans leurs mains, et si la science est dédaignée, ce n'est point certainement par eux.
Mais, et je vais me trouver d'accord avec les honorables membres que j'ai combattus jusqu'à présent ; il y a un vice, à mon sens très mal défini et pourtant incontestable : c'est l'encombrement des professions libérales.
A force de voir des avocats sans cause, des médecins sans malades, des savants sans emploi, une foule d'individus déclassés, qui viennent frapper aux portes de l'administration pour demander à l'Etat ce que la société ne peut pas leur fournir, on est tenté d'attribuer à l'insuffisance du mérite un fléau qui n'a d'autre cause que l'exagération du nombre.
Nous fabriquons trop d'avocats et trop de médecins.
M. Rodenbach. - Pas trop de médecins ; beaucoup de localités en manquent.
M. Hymans. - Les professions libérales ont exercé de tout temps un prestige invincible sur les masses ; nous vivons encore à cet égard sous l'empire des vieux préjugés. Un économiste célèbre, M. Courcelle-Seunuil l'a dit en termes très nets :
« Chacun aspire aux professions libérales, non qu'elles soient plus lucratives que les autres et plus utiles. Mais dans l'antiquité, ces professions seules étaient jugées dignes des hommes libres et nobles, tandis que les professions industrielles étaient dévolues aux esclaves, aux affranchi, aux étrangers domiciliés.
« De là un préjugé séculaire qui attribue à la profession des armes, aux fonctions publiques, aux travaux du barreau et des lettres une considération que rien ne motive plus.
« On recherche ces carrières pour s'élever à un certain niveau social, on ne s'aperçoit guère que les bases de la société ont changé, qu'elle repose désormais sur le travail, et l'on agit en vertu de préjugés dont l'origine remonte à plusieurs milliers d'années. »
Voilà la vérité ; autrefois tout marquis voulait avoir des pages, aujourd'hui tout bourgeois veut avoir un fils avocat ou médecin ; on l'envoie au collège, on le montre à dix ans ou douze ans, et l'on dit : Dans dix ans il sera médecin, il sera avocat, qu'il ait une vocation ou qu'il ne l'ait pas.
Et en effet peu importe, cet enfant deviendra médecin ou avocat.
Pour cela il s'agit de passer au plus vite ses examens ; c'est une course au clocher, un steeple-chase après les diplômes ; il s'agit de franchir au plus vite la barrière de l'examen ; peu importe qu'on arrive, qu'on atteigne le but écloppé, fourbu, incapable de fournir une course nouvelle.
Cette déplorable tendance, la loi l'encourage, l'exagère d'abord par le trop grand nombre d'universités ; en second lieu, par la faiblesse de l'enseignement, dont les cours à certificats sont une des principales causes, et enfin par l'existence des grades académiques.
Quatre universités en Belgique, je dois le dire, j'ai toujours considéré cela comme un luxe impossible à justifier. Qu'on développe l'instruction primaire à l'infini, qu'on fasse comme la ville de New-York qui consacre à l'enseignement primaire une somme plus considérable que tout notre budget de l'instruction publique ; rien de mieux, tout homme a le droit et le devoir de s'initier aux premières notions des connaissances humaines.
L'homme qui ne sait ni lire ni écrire n'est pas un citoyen ; je dis plus, dans la société actuelle, ce n'est pas un homme.
J'irai plus loin, j'admets qu'on développe l'enseignement moyen jusque dans les plus petites localités, afin que chaque citoyen acquière un degré de science suffisant pour occuper un rang honorable dans la société ; nos efforts doivent tendre là, mais ces deux étapes franchies, je me demande si l'intérêt social présente encore les mêmes exigences.
Quand tout le monde sait lire, écrire et calculer, quand presque tout le monde connaît les éléments des sciences les plus essentielles, quand un citoyen possède les notions générales de l'histoire de son pays et de l'histoire du monde, quand il a des notions élémentaires de droit public, quand il sait enfin ce qui lui est indispensable pour jouer son modeste rôle dans la société, y a-t-il encore une nécessité absolue, y a-t-il encore même un intérêt social à pousser la foule vers des régions dans lesquelles il n'y a que des déceptions, que des désillusions à recueillir ? Pour ma part, je ne le crois pas et le gouvernement ne le croit pas non plus ; car il limite le nombre des élèves qu'il admet dans ses écoles spéciales, parce qu'il n'a qu'un certain nombre de places à donner, et il fait très bien.
Pourtant, vous avez là quatre universités, c'est-à-dire quatre fois quatre facultés, ouvertes à tout le monde, dans lesquelles on entre sans peine, que l'on traverse sans douleur et dont on sort avec le droit que l’honorable ministre de l'intérieur appelait, l'autre jour, je ne sais trop pourquoi, un privilège, le droit de mourir de faim. Jamais, en aucune matière, le proverbe : « Beaucoup d'appelés et peu d'élus », n'a trouvé une plus juste application.
A ce point de vue, messieurs, je voterai le rétablissement du grade d'élève universitaire. Je le voterai le plus compliqué, le plus difficile, le plus hérissé d'obstacles qu'on voudra nous le proposer, parce que je voudrais établir une barrière, une haute barrière à l'entrée des universités et appliquer ce vieil adage qui est ici parfaitement de saison : Principiis obsta.
(page 377) Encore, le gracie d'élève universitaire rétabli, aurons-nous une assez mince garantie. Qu'arrivera t-ti ? Les universités libres feront ce qu'elles ont fait à l'époque où l'on avait établi pour la première fois le grade.
Elles écriront sur leur enseigne : Ici l'on forme des gradués en lettres, et vous arriverez à ce beau résultat qu'on sautera de la troisième ou de la quatrième à l'université sans passer par la rhétorique ou même la seconde.
Pour en revenir à la question des universités, du nombre des universités, il va sans dire que l'existence de deux universités de l'Etat offre, au point de vue de la force de l'enseignement, un vice sérieux.
Pour remplir convenablement toutes les chaires, il faut un nombre considérable de professeurs, à qui l'on ne peut accorder un traitement en harmonie avec la fonction élevée qu'ils occupent.
L'honorable M. Jacquemyns a dit à cet égard d'excellentes choses. Ce n'est d'ailleurs là qu'un détail d'un immense problème, qu'il faudra bien résoudre un jour. Tous les esprits sérieux, aujourd'hui, sont convaincus que tous les fonctionnaires sont trop peu payés en Belgique, et il faudra bien tôt ou tard entrer en campagne contre les vieux préjugés d'économie et donner à chacun ce qui lui revient, ce que l'Etat lui doit en échange de ses services.
Avec un peu moins d'économie, les professeurs seraient mieux rétribués ; l'organisation de l'enseignement serait plus forte.
Et en fait, la réalisation de cette idée ne serait pas difficile. On pourrait maintenir à Gand une université de l’Etat complète, et réunir à Liège toutes les écoles réunies en une école polytechnique. Tout le monde serait satisfait, y compris le budget. C’est en partie l’idée qu’émettait dans cette Chambre l’honorable M. Rogier en 1835. Je regretterai toujours qu’elle n’ait pas été adoptée, et je constate en passant qu’elle n’a été rejetée que par une majorité de 5 voix.
Avec une seule université, vous auriez moins d'étudiants, faisant des études plus sérieuses, et incontestablement de meilleurs professeurs. Seulement, il faudrait encore, pour que l'enseignement se maintînt à un certain niveau, ou se relevât, une condition préalable, et sur celle-là, je ne transige pas, c'est la suppression immédiate des cours à certificats ; sous ce rapport, il y a unanimité aussi bien dans le monde professoral que dans le monde des étudiants.
Je dois le dire, je n'ai jamais pu m'expliquer comment il a pu venir à l'esprit d'hommes sérieux d'établir un pareil système. Les cours à certificats, mais, messieurs, c'est l'humiliation de la science. Ils assignent à toute une catégorie de professeurs une position subalterne, contraire, évidemment à la dignité du savant.
Je sais bien qu'on a dit, à l'appui des cours à certificats, de très bonne foi, que les professeurs chargés de cours à certificats chercheraient à rendre l'enseignement plus attrayant afin de forcer les élèves à les écouter. Ce raisonnement est un peu spécieux : il faut, en ceci comme en toutes choses, tenir compte de la nature humaine ; nous savons bien ce que sont les étudiants ; nous l'avons tous été ; les étudiants, sauf de rares exceptions, vont aux cours parce qu'on les force ; mais on ne les force pas d'écouter.
Le professeur essaye pendant quelque temps de vaincre leur indifférence, il se lasse et, en définitive, il prêche, comme saint Jean, dans le désert. Que voulez-vous que deviennent dans un pareil système l'émulation du professeur et le zèle de l'élève ? Vous tuez l'amour de la science, et pourquoi ? Pour arriver au plus déplorable de tous les résultats, lâ facilité des examens. Vous dites que le niveau des études baisse, et par les cours à certificats vous l'abaissez constamment davantage.
Et quels sont les cours que vous sacrifiez ? Sont-ce des cours peu importants ? Tout au contraire ; dans la faculté de droit, vous sacrifiez l'encyclopédie du droit, l'introduction à l'histoire du droit civil, le droit naturel, l'histoire politique, le droit commercial, l'économie politique, le droit public, deux sciences de première nécessité dans les pays libres. Voilà les cours à certificat !
Si encore le certificat prouvait que l'élève a suivi les cours avec fruit ! Mais vous n'avez pas même cette faible garantie.
On constate que l'élève est présent ; peu importe qu'il soit éveillé ou endormi, c'est son cadavre qui est là et non pas son intelligence !
Reste encore à savoir comment les certificats se délivrent.
Je n'en sais rien ; je suis convaincu qu'on les délivre de la façon la plus loyale, la plus désintéressée ; mais je sais que, s jus le gouvernement hollandais, il y avait un seul cours à certificat, le cours de médecine légale, et que le professeur faisait délivrer les certificats par sa cuisinière.
Messieurs, c'est assez vous dire que je voterai l'amendement de M. Van Humbeeck, qui tend à la suppression des certificats. Je crois que sans cette garantie, il n'y a pas d'enseignement sérieux possible et que les efforts des professeurs sont d’avance frappés de stérilité
Il me reste maintenant quelques mots à dire sur la question des grades académiques.
L'honorable ministre de l'intérieur disait, dans la séance de samedi, que soutenir que l'instruction des jurys avait contribué à l'abaissement des études, c'était non seulement injuste, mais absurde. Je ne suis pas éloigné de partager cette opinion.
La composition des jurys est, à mon sens, une chose assez indifférente ; j'en juge d'après l'expérience.
Le législateur a essayé de tout. On a d'abord établi un jury central ; on a ensuite institué des jurys combinés ; on a créé un jury sédentaire, puis un jury ambulant ; d'abord, des jurys nommés par la Chambre ; puis des jurys nommés par le gouvernement ; et tout a été trouvé mauvais.
L'honorable M. Dechamps disait samedi que les jurys actuels sont des jurys politiques.
Je regrette que l'honorable membre ne soit pas présent pour pouvoir lui rappeler, sans médire des absents, que, si quelqu'un dans cette Chambre a défendu le système des jurys politiques, c'est bien l'honorable membre, lui qui à l'époque où son honorable collègue du ministère, M. Nothomb, venait proposer à la législature de conférer la nomination des jurys au gouvernement, avec l'avis préalable des administrateurs et inspecteurs des universités de l'Etat, et des chefs des universités libres, quittait le banc ministériel pour aller combattre le projet de son honorable collègue, et ne venait s'y rasseoir que lorsque le projet eut été rejeté. Cela se passait en 1844.
Que maintenant on prétende que les jurys actuels, nommés par le gouvernement, sont ou ne sont pas des jurys politiques, peu m'importe ; je constate et j'ai le droit de constater que jusqu'à présent tous les systèmes qu'on a essayés ont été trouvés détestables. Je suis à peu près certain que si on venait proposer le rétablissement du jury central... (Interruption.)
Oui, l'honorable M. Van Humbeeck a proposé le rétablissement du jury central ; eh bien, je suis convaincu que cette proposition a peu de chance de succès, et pourquoi ? Parce que, eu égard au nombre des matières d'examen, et surtout au nombre considérable des récipiendaires, il faudrait que le jury central siégeât au moins pendant trois mois, à moins de décomposer le jury en plusieurs chambres comme un tribunal.
Le jury combiné, qu'est-ce ? On dit, d'un côté, que c'est un échange de bons procédés, de l'autre, que c'est un échange de mauvais procédés d'une université à l'autre ; en tous cas les garanties d'impartialité sont peu sérieuses.
Nous avons encore le système d'un jury étranger à l'enseignement. Celui-là présente peut-être des avantages ; mais on pourrait craindre qu'il ne se tînt pas constamment au niveau de la science.
Nous avons des systèmes par douzaines ; nous avons le système de M. Orts, le système de M. Roussel, le système de M. Spring, le système prussien, le système de M. le ministre des finances, auquel je donnerais volontiers la préférence, mais je constate que tous ceux dont on a fait l'expérience ont donné des résultats déplorables.
On a essayé de toutes les garanties, de tous les obstacles, de toutes les entraves ; tout a été trouvé mauvais. Il n'y a qu'un seul système dont on n'ait pas fait l'expérience ; c'était cependant le plus simple, celui qui se présentait le premier à l'esprit : c'est la liberté.
Je me place ici au point de vue des principes, et je me suis demandé souvent, je l'avoue, si les examens, considérés d'une manière abstraite, ne constituent pas une légère violation de la Constitution.
La Constitution garantit la liberté de manifester ses opinions en toutes matières. L'examen, sous ce rapport, a peut-être bien quelque chose d'inconstitutionnel.
La Constitution interdit toute mesure préventive. N'y a-t-il pas quelque chose de préventif dans l'examen ?
La censure ne peut être rétablie. L'examen, dans beaucoup de circonstances, n'est-il pas une véritable censure ?
Un professeur distingué de l'université de Bruxelles, M. Tarlier, a publié sur ce point quelques pages très remarquables ; et voici un passage de son opuscule, qui mérite d'être signalé à l'attention de la Chambre,
« Dans mon intime conviction, dit M. Tarlier, le principe de la liberté d'enseignement est inconciliable avec l'obligation de subir des épreuves légales pour être admis à exercer la profession d'avocat ou de (page 378) médecin. Prétendre que la Constitution permet d'exiger un diplôme de l'avocat ou du médecin, lorsqu'elle défend d'en demander un au prêtre et à l'instituteur, c'est faire une supposition injurieuse pour notre pacte fondamental, c'est l'accuser de se montrer plus soucieux des intérêts pécuniaires d'un citoyen que ses besoins moraux, plus inquiet de la santé du corps que de la vie de l'esprit. »
Evidemment cela mérite de très sérieuses méditations ; et l'on peut se demander encore si la liberté absolue ne donnerait pas de meilleurs résultats.
La question n'est pas neuve ; elle a été traitée en Belgique et en France par des publicistes éminents, et notamment en Belgique, par un des membres les plus distingués de cette Chambre.
M. Castiau, en 1836, a publié un travail fort intéressant en faveur de la suppression des grades académiques, au nom même de la liberté d'enseignement.
En France, un économiste illustre, Bastiat, a défendu les mêmes idées. M. Castiau disait :
« Aujourd'hui, chacun, dans ce pays, peut, sans autorisation, élever une tribune de législation et de droit, et réunir de nombreux auditeurs pour expliquer et commenter devant eux la loi, au risque de semer dans les esprits des notions fausses et incomplètes, de compromettre, par d'imprudents conseils, les intérêts privés, de diviser les familles, et d'apprendre à la cupidité l'art de frauder les lois et de s'affranchir des engagements contractés. Ainsi encore, chacun peut dresser des tréteaux, même sur la place publique, je pense, ou monter sur une borne de la rue, pour enseigner à la foule la médecine et la chirurgie, passer en revue les maladies et les accidents, indiquer et analyser les remèdes, et apprendre à l'auditoire émerveillé, en lui révélant le secret de la composition des spécifiques, le moyen de se passer des conseils des docteurs de la Faculté. Et vous voudriez que ces enseignements qu'on a le droit de fournir dans la rue ou sur une place publique, on ne pût les continuer à la barre d'un tribunal, ou au chevet du lit d'un malade ! »
M. Bastiat ne comprenait pas davantage qu'on osât parler de la liberté des études dans un pays comme la France, où tout citoyen, pour être admis à l'exercice des professions libérales, devait d'abord s'étendre sur le lit de Procuste du gouvernement, rendre compte de ce qu'il avait appris et de la façon dont il l'avait appris. Personne ne contestera qu'au point de vue des principes, ces hommes de science, ces économistes n'aient parfaitement raison ; je me demande si en pratique ils n'ont pas peut-être autant raison que ceux qui n'admettent pas le système de la liberté absolue ; car enfin toutes les garanties qu'on a voulu prendre, n'ont pas empêché l'encombrement si désolant des professions libérales ; et l'on peut se demander si cette foule si âpre à la curée des diplômes, parce qu'ils mènent à tout, parce qu'ils sont un passeport commode dans la vie, s'en montreraient aussi avides, si la science sérieuse était le seul titre qu'on pût avoir à l'estime publique et le seul brevet dont on pût se munir en entrant dans les carrières libérales.
Si nous jetons un coup d'œil en arrière, nous pourrons nous demander : Y avait-il des examens, des diplômes dans l'antiquité ? Est-ce que ceux qui ont inventé la science du droit étaient des docteurs en droit ?
Je voudrais bien qu'on me fit une statistique pour me prouver si la mortalité était plus grande à l'époque où les médecins ne passaient pas d'examens.
Je ne crois pas que la mortalité soit, relativement, plus grande aux Etats-Unis qu'ailleurs. (Interruption.)
Elle est plus grande parce qu'il s'y commet beaucoup de meurtres, mais évidemment l'absence d'examens n'en est pas la cause.
Ah ! je sais qu'il y a, à ce système de la liberté absolue des professions libérales, de formidables objections.
Je vois d'ici le barreau livré aux agents d'affaires, comme s'il n'y avait pas d'agents d'affaires aujourd'hui. Je vois la santé publique livrée à des charlatans, comme s'il n'y avait pas aujourd'hui beaucoup de charlatans diplômés et beaucoup d'assassins parfaitement légaux. Mais je répondrai à cela qu'on doit faire des lois répressives aussi sévères que possible, mais qu'on n'a pas le droit, aux termes de la Constitution, de faire des lois préventives en matière d'enseignement. Au reste, nous sommes incompétents en cette matière. Nous n'avons jamais fait l'épreuve de la liberté complète.. Nous avons la liberté d'enseignement la plus large, mais nous ne possédons pas la liberté des études.
Je ne fais ici, messieurs, qu'émettre des idées spéculatives. Je sais que si j'avais l'audace de présenter mon système à la Chambre, il n'y rencontrerait pas l'appui de deux voix.
M. Coomans. - Deux certainement !
- Plusieurs membres. - Si ! si !
M. Hymans. - Je suis heureux de constater ce progrès, et je ne désespère pas de passer un jour par le système de l’honorable ministre des finances, lequel sera un acheminent vers le système de la liberté absolue. Je ne désespère pas de voir un jour abolir les diplômes comme j’ai vu abolir les octrois.
Mais pour rentrer dans un ordre de choses pratiques, je dirai que pour moi d'ici là toute la question de l'enseignement réside dans les professeurs.
Sur ce point je suis complètement d'accord avec la plupart des orateurs qui ont parlé jusqu'ici, avec l'honorable M. Tack, avec mes honorables amis, MM. de Gottal, de Boe, Jacquemyns, en un mot avec tous ceux qui ont pris la parole.
Il est évident qu'il ne faut pas seulement que le professeur soit un homme instruit, un homme capable, un homme exact ; il faut surtout qu'il apprenne à l'étudiant à aimer la science ; c'est là son principal devoir.
Il ne faut pas qu'une fois son cours donné le professeur croie sa mission finie.
Dans les universités d'Allemagne, où l'on dit que les études sont si fortes, le professeur vit avec l'élève hors de l'école comme dans l'école.
En Angleterre, dans les collèges si célèbres d'Eton, de Harrow, de Rugby d'où sont sortis tant d'hommes illustres et qui servent de pépinière aux universités de Cambridge et d'Oxford, on apprend beaucoup plus dans des promenades et des parties de campagne que sur les bancs de l'école.
La solidarité existe entre le professeur et l'élève, et si je voulais en Belgique chercher des exemples à l'appui de l'opinion que je défends, je montrerais du doigt à Gand et à Bruxelles, à Gand surtout que je connais plus particulièrement, les hommes d'élite qui ont passé par l'enseignement de certains professeurs, enseignement commencé le malin à l'école et continué le soir au foyer domestique.
La solidarité entre l'élève et le professeur, voilà ce qui fait en réalité la force de l’enseignement.
En France, il y a un autre élément qui rencontre encore peu d'approbateurs dans cette enceinte et au dehors ; c'est la publicité.
La France, pour l'enseignement, c'est Paris. Il n'y a pas un homme supérieur en France dans les carrières littéraire et scientifique qui ne soit venu se perfectionner à Paris.
C'est ce concours de monde qui envahit les amphithéâtres de la Sorbonne, du Collège de France, du Jardin des plantes,, de l'Académie de médecine qui électrise le professeur, qui l'inspire et qui place l'enseignement au niveau des progrès de la science.
L'honorable M. de Boe et moi nous avons demandé la publicité des cours, et nous avons peu de chance de l'obtenir.
Je le crois bien ; on a consulté le corps professoral, et la publicité ne convient pas à la majorité des professeurs.
La publicité est un moyen de contrôle, le plus efficace de tous.
Nous nous sommes probablement mal expliqués l'année dernière, moi du moins, mais on a cru que par la publicité des cours nous voulions arriver à attirer la foule dans l'enceinte des universités. Ce n'était pas du tout là notre but. Peu nous importe qu'il y ait des auditeurs, mais il nous importe qu'il puisse y en avoir et que le professeur soit exposé à avoir un jour ou l'autre, à son cours, un auditeur incommode qui l'oblige à maintenir toujours son enseignement au niveau de ce qu'il doit être.
Aujourd'hui le gouvernement n'a aucune espèce de moyen d'exercer un contrôle sur l'enseignement dans les universités.
Autrefois, sous le régime de 1835, il y en avait un : c'était l'inscription isolée.
L'étudiant prenait une inscription pour le cours qui lui paraissait utile. Il n'allait pas aux autres et les mauvais professeurs professaient devant les banquettes
Quelques-uns s'adressaient, dit-on, au poêle, et l'appelaient : Messieurs. (Interruption.)
Aujourd'hui on est obligé de se faire inscrire à tous les cours, et par suite l'Etat ne peut plus savoir comment l'enseignement se donne.
Je puis citer un exemple, je ne nommerai personne, mais je donne la chose comme certaine ; un professeur d'une des universités de l'Etat a donné son cours à certificats jusqu'à la veille du jour où il a été placé (page 379) dans une maison de santé comme atteint d'aliénation mentale. Il y avait plusieurs mois que les médecins avaient constaté son état.
Le gouvernement n'en savait rien, les élèves ne le savaient pas davantage.
II est vrai que ce professeur enseignait la philosophie. (Interruption.)
Messieurs, je n'ai plus que peu de mots à dire. J'ai parlé à propos de la loi plutôt que sur la loi. Ce n'est pas ma faute si un projet très simple en lui-même soulève des questions extrêmement graves, et je demande pardon à la Chambre si j'ai abusé de son attention.
Je me résume. Nous avons deux choses à faire. D'abord maintenir ou relever, comme vous voudrez, le niveau des études classiques.
En second lieu il faut remédier à l'encombrement des professions libérales.
Pour le premier résultat il faut chercher le remède dans l'amélioration de l'enseignement moyen, dont le grade d'élève universitaire rétabli sera le couronnement.
Il faut, en outre, supprimer les cours à certificat, et de cette manière stimuler le zèle des professeurs et en même temps l'émulation des élèves.
Quant au deuxième point, diminuer l'encombrement des professions libérales, la Chambre en fera ce qu'elle voudra quand elle sera appelée à se prononcer sur cet objet. Quant à moi, je n'ai de confiance absolue, complète, que dans la liberté. Multipliez tant que vous voudrez les obstacles, vous n'arrêterez pas le courant de l'ambition, de la vanité humaine ; vous n'atteindrez votre but que le jour où le talent seul sera un titre à la confiance publique ; et la liberté, une fois de plus en cela comme en toutes choses, sera la lance d'Achille ; elle servira de remède à ses propres blessures ; elle saura guérir les plaies qu'elle aura faites et corriger les abus qu'elle entraîne après elle.
(page 384) M. de Boe. - En prenant l'autre jour la parole, je me suis donné la très ingrate mission de dire à la génération nouvelle : vous n'avez plus les hautes aspirations intellectuelles de vos devanciers ; aux orateurs d'aujourd’hui : vous n'avez plus l’éloquence d'autrefois ; aux écrivains : vous n'avez plus les grandes traditions du style.
L'honorable M. Hymans, beaucoup plus habile que moi, s'est donné le rôle agréable de dire à cette génération : Vous êtes supérieure à vos devanciers ; ce sont des esprits chagrins et maussades qui disent le contraire.
Je me suis donné, dis-je, une mission ingrate, et l'honorable membre aggrave encore ma position en exagérant d'une manière notable ce que j'ai dit dans cette enceinte.
J'ai dit qu'il y avait baisse du niveau des études et que l'esprit littéraire se perdait dans la société. Je n'ai parlé ni de décadence intellectuelle, ni d'affaiblissement au sens moral chez nos contemporains.
La baisse du niveau des études, je ne l'ai pas constatée par moi-même mais par les documents officiels. Je parle sur des preuves fournies par d'autres. Quant à la baisse de l'esprit littéraire dans la société, je crois être compétent pour la constater. A cet égard, je maintiens ce que j'ai dit.
L'honorable membre lui-même ne vient-il pas d'en fournir la preuve quand il vous a dit que, dans ces dernières années, une campagne en règle avait été ouverte contre l'étude des classiques de l'antiquité païenne. Un économiste distingue, M. Bastiat, dans une brochure célèbre intitulée Baccalauréat et socialisme, s'est élevé en effet contre ce qu'il appelle la gréco-romanomanie ; selon lui, l'abus des études classiques constitue le vice de l'enseignement de l'Etat et du clergé. M. l'abbé Gaume a vu dans l'enseignement classique le ver rongeur de la société européenne. Et en 1852, dans un discours de réception à l'Académie française, un sincère ami des lettres, un homme ayant le culte des intérêts moraux, M. le comte de Montalembert disait que la renaissance du XVIème siècle a été un des grands fléaux de la société moderne. Il y a vingt ou trente ans, de telles paroles n'eussent certainement point été prononcées devant l'Académie française. Ce fait ne prouve-t-il pas qu'il peut y avoir décadence de l'esprit littéraire en Europe ?
J'ai dit que le gouvernement français a obligé les étudiants en droit à suivie les cours de la faculté des lettres. S'il a cru devoir prendre cette mesure, c'est qu'assurément il a constaté que les aspirations intellectuelles des jeunes avocats, du barreau français, célèbre par la forme littéraire de ses plaidoyers, ne sont plus ce qu'elles étaient jadis.
J'ai ajouté qu'en Angleterre on a également reconnu une certaine baisse de l'esprit littéraire au barreau ; j'aurais pu ajouter que de bons observateurs oui cru voir que le talent oratoire n'était plus à son ancien niveau dans la chambre des communes que la grande éloquence parlementaire du règne de Georges III et de Georges IV avait en partie disparu.
Quels sont les hommes qui dirigent les affaires de ce pays ? Ce sont encore aujourd'hui les hommes de 1830. Quels sont les orateurs qui se sont élevés à côté d'eux ? Je n'en vois guère, du moins dans le parti whig, toujours prompt à recruter les hommes de mérite et à les introduire au parlement. Je ne veux pas insister davantage sur ce point, sur lequel je m'estimerai heureux d’avoir tort ; la discussion est extrêmement avancée, et il me semble qu'il importe de commencer l'examen du système de l’honorable M. Van Humbeeck, sur la composition des jurys d'examen.
Ce système, messieurs, vous est présenté comme la combinaison du principe de l'égalité de représentation des universités libres et de l’enseignement privé, telle qu'elle se trouve inscrite dans la loi de 1849, avec le principe de centralisation formulé par la loi de 1835.
J'ai en vain cherche dans la première de ces lois le principe de la représentation des universités libres dans les jurys d'examen, je ne l'y ai pas trouvé. J'ai trouvé le principe de la représentation des universités libres dans l'arrêté royal pris en exécution de la loi de 1849, comme dans l'arrêté royal pris en exécution de la loi de 1857 ; c'est-à-dire que le droit de représentation des universités libres existe dans un acte du gouvernement, mais non dans un acte du parlement ; jamais les Chambres n'ont reconnu l'existence légale des universités libres. Du reste, je vais prouver immédiatement l'abus que l'honorable M. Van Humbeeck fait de cette reconnaissance qu'il voudrait voir inscrite dans la loi.
je repousse le système de l'honorable membre sur la composition des jurys d'examen pour deux motifs : d'abord, parce que, sous prétexte de garantir la liberté des études, il crée pour ceux qui ont fait des études privées, une situation véritablement dérisoire ; parce qu'il diminue les garanties d’impartialité déjà bien faibles dont ils jouissent en vertu des lois existantes. Je repousse ensuite l'amendement de l'honorable membre, parce que, au nom de l'égalité devant la loi, il tend à établir le monopole et le privilège des quatre universités belges en matière d'enseignement ; qu'il leur donne le droit exclusif de la collation des grades ayant une valeur légale. c'est-à-dire, des grades qui seuls ouvrent l'accès aux professions libérales et à certaines fonctions publiques.
Je dis que le système de l'honorable membre diminue les garanties dont jouissent ceux qui ont fait des études extra-universitaires, soit au foyer domestique, soit à l'étranger, et je le prouve.
Lorsque, sous l'empire des arrêtés royaux que l'honorable membre modifie par ses amendements, un jeune homme qui a fait des études extra-universitaires aspire à entrer dans les fonctions publiques pour lesquelles un grade est exigé, ou à exercer la profession d'avocat ou de médecin, il peut se présenter devant un jury central, lequel comprend, d'une part, un représentant de chacune de nos quatre universités ; et d'autre part, cinq membres pris en dehors de ces établissements, membres dont l'un est nécessairement président de droit. Il a donc dans ce jury une majorité qui est censée y sauvegarder ses intérêts et ses droits. Dans le jury de l’honorable membre, qu'est-ce qu'il trouvera ? Des représentants de chacune des universités belges, d'une part, et un seul membre, de l'autre, remplaçant les cinq personnes dont je viens de parler. C'est-à-dire que la majorité qui lui est assurée dans le jury central en vertu des arrêtés royaux se trouve transformée en une minorité vraiment dérisoire.
Je dis que je voterai contre sa proposition, parce que, sous prétexte de sauvegarder l'égalité devant la loi, il tend à introduire un privilège, un monopole en faveur des quatre universités en matière de collation de grades. Et, en effet, le gouvernement aura bien toujours, dans ce système, le droit de déterminer le programme des examens, mais qui sera chargé d'examiner, de donner ou de refuser les diplômes ? Les quatre universités. Je ne pense pas que l'on considère comme un membre sérieux et appelé à exercer une certaine influence l'humble représentant des études privées, sur la nomination duquel le récipiendaire n'exercera aucune influence.
Pour subir devant un pareil jury l'épreuve avec la certitude du succès, il faudra, ce que je ne tarderai pas à prouver, qu'il commence par se conformer à la science, telle qu'elle est enseignée dans les universités en Belgique ; c'est-à-dire qu'il n'y aura plus absolument aucune liberté des études, plus aucune indépendance d'enseignement en dehors de ces établissements scientifiques.
L'honorable M. Dechamps, dans le discours qu'il a prononcé samedi, a, du reste, par un oubli peut-être involontaire, parfaitement bien jugé ce mode de composition du jury ; lorsque, oubliant cet humble représentant des études privées, il vous disait qu'il pouvait y avoir coalition de trois universités contre une seule. Il considérait donc ce cinquième membre comme si peu de chose qu'il n'en tenait aucun compte.
L'honorable M. Van Humbeeck nous dira-t-il que l'intérêt des universités libres et celui de l’enseignement privé extra-universitaire sont identiques.
Lors de la discussion en section centrale du projet de loi de 1856, dont la proposition de M. Van Humbeeck n'est que la reproduction, la minorité craignit en effet que par suite d'une coalition des universités libres et du représentant de l'enseignement prive, les représentais de l'enseignement de l'Etat ne fussent en minorité. Cette crainte fut si vive, que la section centrale la partagea et rejeta pour les études privées le droit de représentation.
Cette crainte, .M. Van Uumbeeck ne paraît pas la partager, et il constate la divergence d'intérêts, puisqu'il admet des organes distincts pour les universités libres et pour l'enseignement privé.
L'honorable comte de Theux, rapporteur du projet de loi de 1856, fut du même avis lorsqu'il dit qu'il n'y avait pas identité d'intérêt entre les universités libres et l'enseignement privé.
Le système de l'honorable M. Vau Humbeeck confère donc la collation exclusive des grades aux quatre universités, c'est-à-dire le monopole de l'enseignement. M.Thiers, dont les paroles ont été rapportées par l’honorable M. Dechamps, a dit que lorsqu’on est maître de la collation des grades, on est maître de l'enseignement. Si le mot est vrai dans une certaine mesure lorsque le droit en est exercé par l’Etat, il l’est à bien plus forte raison lorsqu’il l’est par des établissements scientifiques.
J'ai dit que les garanties offertes aux études privées par les lois (page 385) actuelles sont déjà bien faites. puis même dire que, jusqu’en 1852, les études faites à l'étranger n'en avaient guère. J'en ai fait une expérience personnelle. Et si la Chambre veut bien avoir l'extrême indulgence de m'autoriser à me mettre pendant quelques instants personnellement en cause, j'espère lui montrer d'une manière, rapide et claire, l'imperfection des lois à cet égard.
J'ai fait mes études à l'étrange et j'y ai pris mes grades. Rentré en Belgique, je demandai l'autorisation de m'inscrire au barreau ; on me répondit que, pour exercer la profession d'avocat, il fallait avoir été reçu docteur en Belgique ; que, pour passer l’examen de candidat en droit, il fallait être reçu au préalable candidat en philosophie et lettres ; enfin, pour être admis à passer l’examen de candidat en philosophie et lettres, il fallait posséder depuis un an le grade d’élève universitaire. On me répondit en un mot qu’il me fallait passer par la filière de tous les examens.
Il y avait dans la loi de 1849 un article 66 qui donnait au gouvernement le droit d'accorder, sur un avis conforme du jury, des dispenses d'examen aux étrangers munis d'un diplôme de licencié ou de docteur conféré par une faculté ou une université étrangère.
Un Belge, sous l’empire d’une constitution proclamant la liberté de l'enseignement, la liberté des études, ne pouvait, me semble-t-il, être moins favorablement traité, dans son propre pays, qu'un étranger.
La question fut soumise au jury qui décida que l'article était sans application possible dans l’espèce.
Décidé à subir les épreuves, je recourus à l'obligeance d'un membre du jury pour savoir quels auteurs j'aurais à consulter pour m'y préparer. Voici sa réponse. :
« La science qu'il vous faut, monsieur pour passer des examens devant le jury central, c'est la science des professeurs belges ; oubliez vos cours et vos diplômes, procurez-vous les cahiers des professeurs, ou bien inscrivez-vous aux cours d'une université et ensuite présentez-vous aux examens.
« Mais, dis-je, messieurs, à quoi donc sert le jury central institué pour les études privées et les études faites à l'étranger, à quoi sert la liberté des études proclamée par la Constitution qui permet au Belge d'étudier où et comme il le juge convenable, sans que. du chef de l'exercice de cette liberté il puisse lui être apporté aucune entrave dans l'exercice des professions libérales ?
«Vous m'avez, me répondit-il. demandé un conseil ;je vous le donne ; suivez-le ou ne le suivez pas. cela vous regarde. »
J'ai pu changer les termes de la conversation, mais, quoiqu'elle ait eu lieu il y a bien longtemps elle fit une si vive impression sur mon esprit que le sens n'en a point échappé à ma mémoire.
L'opinion de l'honorable juré est du reste partagée par un homme bien compétent, par un membre du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur.
Voici ce qu'il écrivait en 1854 :
« La liberté pour l'élève d'aller s'instruire comment et où il le veut, paraît bien compatible, en théorie, avec le système du jury d'examen ; mais considérez les faits. Malheur à cet élève si, dans toutes ses études, il ne prend pas pour guide exclusif les exigences du jury d'examen, et s'il ne suit pas exactement l'ordre imposé par loi ! Je le demande à toutes les personnes au courant de la question universitaire, un élève ayant fait ses études à Paris, à Berlin, à Gœttingue, peut-il réellement se flatter d'être reçu devant un jury d'examen belge, sans s'être préalablement procuré les cahiers des professeurs belges et les questionnaires que des esprits pratiques et intéresses ont recueillis au jury d'examen, et qui sont devenus l'objet d'un trafic peu édifiant ? Convenons-en, en réalité, la liberté des études n'existe pas plus que celle des programmes et des méthodes. » (La Liberté de l'enseignement, la science, et les professions libérales, par un membre du conseil de perfectionnement de l’enseignement supérieur.)
La loi du 12 avril 1852, prorogeant les effets de l'article 40 de la loi de 1849, sur le mode de formation des jurys chargés des examens, décida par son article 2 que l'article 66, dont j'ai parlé plus haut serait applicable aux Belges qui justifieraient de l'impossibilité où ils se seraient trouvés, de faire leurs études m Belgique.
Le jury impose généralement au récipiendaire qui invoque le bénéfice de cet article une épreuve sur les matières exigées par le programme des deux examens du doctorat belge ou sur des matières équivalentes, de telle sorte que le diplôme de licencié ou de docteur délivré par des universités ou des facultés étrangères se trouve assimilé à un diplôme de candidat en droit en Belgique, c'est à-dire qu'un Belge qui a obtenu ses grades à l’université de Berlin, après quatre années d'études. ou qui aura été reçu docteur en droit à la faculté de Paris, après quatre et même cinq années d'études de droit et après avoir passé des examens sur toutes les matières du programme de l'enseignement, se verra assimilé, à son retour, à un candidat en droit qui peut fort bien, en vertu des dispositions sur les cours à certificat, ne savoir autre chose que les Institutes de Justinien.
Je vous le demande, quel est, sous l'empire d'une pareille législation, le Belge assez amoureux de la science pour quitter les bancs de nos universités, faire ses études à l'étranger, et y conquérir, après plusieurs années d’études, un diplôme, équivalent à un grade qu'il peut obtenir en Belgique au bout d'un an et après un examen portant exclusivement sur la partie du droit romain dont je viens de parler ?
Et l'on enseigne dans notre pays l'économie politique, la théorie de la liberté des échanges, on bat journellement en brèche le système protecteur. Qu'est-ce donc que la législation sur l'enseignement, sinon une législation protectrice de nos établissements académiques ?
Avant de demander la libre circulation des produits de l'industrie et de l'agriculture, il faudrait décréter la libre circulation des idées et de la science.
Il résulte de ce système qu'il y a dans notre pays des jeunes gens appartenant à des familles commerciales et industrielles, qui vont faire leurs études à l'étranger : nous en avons à Anvers ; qu'il y a dans notre pays des jeunes filles que l'on envoie en Angleterre, en Allemagne, et que nous n'avons guère de jeunes gens qui vont faire leurs études humanitaires ou leurs études universitaires à l'étranger.
On a souvent parlé de la vitalité des universités du moyen âge et de la force des études en Allemagne. L'honorable M. de Decker disait, dans la discussion de la loi de 1857, qu'au XIIIème siècle il y avait une somme d'intelligence égale à celle dont nous nous glorifions aujourd'hui, que seulement elle était autrement répartie.
M. de Decker. - C'est M. Guizot qui l'a dit.
M. de Boe. Je ne le conteste pas. L'allégation me paraît d'autant plus fondée. Le XIIIème siècle fut un siècle de renaissance artistique littéraire et scientifique et l'un des plus brillants de l'histoire européenne au point de vue du mouvement des esprits. Cet état de choses fut en grande partie le résultat de l'activité de la vie universitaire, entretenue par l'extrême facilité qu'avaient les étudiants de parcourir toutes les universités de l'Europe et de pouvoir, en rentrant chez eux, pratiquer librement toutes les professions et être admis aux fonctions publiques sans avoir à produire de licences nationales.
Deux hommes marquants du XVIème siècle, deux hommes qui ont joué le plus grand rôle dans l'histoire de. notre pays, Viglius d'Aytta et le cardinal Granvelle, avaient étudié le premier à Paris, à Louvain, à Padoue, le second à Dôle, à Paris, à Padoue et à Louvain.
Les jeunes gens ne se bornaient pas, comme aujourd'hui, à faire leurs études complètes dans une seule université.
Cet état de choses, extrêmement favorable, au développement des intelligences, cessa à partir de la réforme. A cette époque, il y eut une séparation complète entre le Nord et le Midi de l'Europe, entre les pays protestants et les pays catholiques, et cette séparation fut rendue plus tranchée encore par l'établissement successif des églises gallicanes. Philippe II, voulant détourner les jeunes gens du pays wallon d'aller faire leurs études à Paris, créa l'université de Douai en 1559. Le duc d'Albe, prenant des mesures p'us radicales, interdit d'une manière absolue les études dans les universités étrangères. Un édit rendu par Charles II, en 1695 décida que nul ne serait admis aux charges publiques pour lesquelles on exigeait des licences d'université, ou à la profession d'avocat, à moins d'avoir étudié pendant 4 ans dans une université de l'Etat.
Il y avait, semble-t-il, en vertu de cet édit, une certaine liberté, puisque l'on avait la faculté d'aller étudier dans les divers Etats de la monarchie espagnole, en Italie et en Espagne. En 1731, parut une ordonnance du roi Charles VI, elle décidé que les Belges pouvaient tout aussi bien faire leurs études à l'université de Louvain qu'ailleurs, que l'usage où étaient quelques-uns d'entre eux, notamment ceux du Tournaisis, de suivre les cours d'universités étrangères, faisait sortir du pays une quantité considérable l'argent et tendait à propager dans les pays de funestes idées, qu’en conséquence les licences de Louvain seraient seules valables pour l’admission à certaines fonctions publiques et à l’exercice de la profession d’avocat.
(page 386) Ce monopole donné aux universités nationales leur fut funeste. Un ordre rival, qui sut donner à l'enseignement une forme extrêmement attrayante, ne tarda pas à leur faire une rude concurrence, du moins dans les pays catholiques, je veux parler de la corporation des jésuites, dont la base d'enseignement fut toujours l'étude des classiques.
Le genre de vie nomade des étudiants du moyen âge existe encore aujourd'hui en Allemagne. Il y a une loi de la confédération qui permet aux étudiants de prendre leurs diplômes, certificats ou preuves d'études dans les diverses universités de l'Union germanique.
La plupart des cours y ont une durée semestrielle, de sorte que tous les six mois les jeunes gens peuvent se rendre dans une autre université sans que leurs études en souffrent ; ils étudient telle branche de la science à l'université de Berlin, telle autre à l'université d'Heidelberg ou de Bonn. Ce système est considéré comme très favorable à l'esprit scientifique et littéraire.
Le gouvernement belge lui-même reconnaît du reste les avantagés de ce système. Lorsque des jeunes gens ont passé leurs examens avec distinction, ils obtiennent des bourses de voyage qui leur permettent de parcourir les facultés ou les universités étrangères pendant un an ou deux.
Nos lois sont contraires à cette liberté de vie universitaire, et le système de l'honorable M. Van Humbeeck, en restreignant les garanties que donne aujourd'hui le jury central, est de nature à porter encore une atteinte plus grave à cette liberté.
Quelle est donc la solution de la question en cette matière ?
Il me répugne d'introduire un nouveau système après tant d'autre. Mais j'ai, jadis, soutenu quelques idées à cet égard, et je dirai que le principe de réforme existe déjà dans nos lois, notamment dans l'article 66 de la loi de 1849, dans la loi de 1852 dont je vous ai parlé et enfin dans la loi de 1847 qui autorise le gouvernement à accorder des dispenses d'examen aux Belges diplômés de l'université de Bologne. Je pensai alors et je pense encore aujourd'hui que tout ce que peut exiger le gouvernement de l'aspirant à l’exercice des professions libérales, c'est qu'il soit capable au point de vue pratique et, si l'on veut, au point de vue scientifique. Lorsqu'on se présente muni de diplômes étrangers en Belgique, le jury examine leur valeur scientifique et le gouvernement, sur un avis conforme, peut dispenser le diplômé de tout examen. Il y a là une solution de la question, qui n'est autre que le système développé par l'honorable M. Frère-Orban dans la discussion de l857. Il tend à enlever aux diplômes universitaires belges leur valeur légale, à en faire des éléments de preuve de capacité, à leur donner la valeur qu'ont actuellement chez nous les diplômes de la faculté de Paris, de l’université de Berlin, conformément aux lois et aux articles dont je viens de parler, lois et articles refondus dans la législation sur l’enseignement de 1857.
Une commission, prise dans les cours judiciaires, serait chargée de faire l'appréciation des diplômes de droit : de faire subir un examen complet à ceux qui n'en présenteraient point et un examen complémentaire à ceux qui en présenteraient d'insuffisants. La magistrature est habituée à la plus sévère impartialité dans l'administration de la justice. Elle apporterait cet esprit dans la commission d'examen, de telle sorte que tous les intérêts en cause, se trouveraient garantis.
Quant au système soutenu par l'honorable M. Hymans, à la fin de son discours, je crois que, pour le moment, il n'est pas appelé à un bien grand succès. Mais si un jour il doit triompher, je crois que le système que je viens de reproduire et qui compte déjà dans cette enceinte de nombreux adhérents, constitue un heureux mode de transition de la réglementation actuelle vers la liberté absolue sinon de toutes, au moins de quelques-unes des professions libérales.
Telles sont les idées que j'ai cru pouvoir émettre sur cette question.
Revenant à mon point de départ, je conclus en disant que le jury d'examen tel que propose de le composer l'honorable M. Van Humbeeck offre aux études libres extra-universitaires moins de garanties qu'elle» n'en ont aujourd'hui. Il crée, en quelque sorte le monopole des quatre universités belges. Comme je ne veux aucune restriction à ces garanties et comme je ne veux pas de monopole en matière d'enseignement, je ne saurais l'accueillir favorablement.
(page 379) M. le président. - M. Julliot demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
M. De Fré. - Messieurs, je rentrerai pas dans des considérations générales ; après les discours que vous venez d'entendre, je me bornerai à faire quelques observations sur la loi de 1857.
Je n'examine pas la question de savoir s'il serait bon d'abolir les examens, c'est là une question de vérité absolue ; la vérité relative c'est que les examens ont toujours existé et existent encore et que jusqu'ici aucun ministre en Belgique n'a osé formuler cette vérité absolue dans un projet de loi.
Je pars donc de cette vérité relative et je dis à la Chambre que lorsque, en 1855, on a aboli le grade d'élève universitaire et lorsque, en 1857 on a aboli l'examen par écrit et qu'on a créé les cours à certificat, on ne s'est nullement occupé de la question de savoir de quelle manière l'enseignement aurait été le plus fécond ; on s'est préoccupé exclusivement des moyens de rendre l'examen le plus facile possible. On a voulu épargner à l'élève l'étude, le travail, la lutte, c'est-à-dire qu'on a cherché par tous les moyens possibles à empêcher qu'il ne devînt un homme. Sans la lutte, sans le travail opiniâtre, il n'y a pas d'hommes forts.
Aujourd'hui on revient sur ce système.
Les autorités compétentes sont venues se plaindre. Elles ont dit que l'abolition du grade d'élève universitaire produit dans les études un grand abaissement ; on voit, en effet, des élèves quitter la 5ème d'athénée et aller directement à l'université. Il arrive qu'il y a un plus grand nombre d'examens, mais que les examens sont faibles, que les études littéraires manquent et que le jury est obligé d'admettre avec le grade de candidat en philosophie les élèves qui, autrefois auraient été ajournés ou rejetés.
On rétablit le grade d'élève universitaire à l'effet de réparer le mal fait précédemment, mais, messieurs, cela ne suffit pas. Il ne suffit pas de rétablir le grade d'élève universitaire, il faut encore rétablir l'examen écrit ; il faut encore abolir les cours à certificat.
Messieurs, lorsque, en 1857, on a créé les cours à certificat, ni les professeurs ni les élèves n'avaient réclamé cette innovation dans le régime universitaire.
Les professeurs ont été étonnés de cette innovation, les élèves, les bons surtout et c'est de ceux-là que vous devez vous préoccuper, les bons élèves se sont sentis humiliés de cette sollicitude trop paternelle. Je regrette que la loi sur les incompatibilités ne permette pas aux professeurs des universités de venir démontrer ici quelles ont été les humiliations des élèves et quelle a été l'inégalité froissante que ce régime a créée dans le corps professoral.
Vous avez créé les cours à certificat pour rendre l'examen plus facile parce que, ayant moins de matières, l'élève peut passer de meilleurs examens ; voilà quel a été votre raisonnement.
Eh bien, messieurs, que répond le corps professoral ? Le corps professoral nous dit : Avec moins de matières à étudier, l'élève est moins fort qu'autrefois. Voilà la vérité, je n'ai personnellement pas d'expérience en cette matière, je n'enseigne pas plus que les autres membres de cette assemblée, mais je suis autorisé à énoncer ici cette vérité.
Maintenant qu’avez-vous fait en abolissant l'examen écrit ? Vous avez ôté aux élèves un mode de travail salutaire, vous avez ôté aux professeurs un moyen de vérification. Il n'y a personne dans cette enceinte qui conteste que le travail de plume, l'étude à la plume est l'étude la plus féconde. Lire, c'est bien ; mais faire des analyses écrites après les lectures est un travail toujours fécond.
Lorsque l'examen écrit existait, l'élève, en vue de cet examen, traitait chez lui les questions, il acquérait ainsi une déduction logique ; il faisait ce que la simple lecture ne donne pas, la gymnastique intellectuelle la plus utile, la plus fortifiante : la rédaction de ses propres pensées, sorties de ses méditations sur les leçons de ses professeurs et dont les bienfaits se conservent toute la vie.
Eh bien, vous n'avez plus voulu que les élèves se livrassent à cet exercice, vous avez aboli l'examen écrit.
Et qu'arrive-t-il ? C'est que le professeur consciencieux - et ils le sont tous - qui ne demande pas mieux que de trouver sous la main des élèves capables, qui n'ont pas passé inutilement leur temps sur les bancs de l'école, le professeur, dis-je, n'a plus ce moyen de vérification ; à l'élève, paralysé par l'émotion qui le domine, et qui l'empêche de répondre oralement d'une manière satisfaisante, à cet élève, il restait la contre-épreuve, l'épreuve écrite ; eh bien, cette épreuve écrite, vous l'avez supprimée : les bons élèves le déplorent ; ils demandent qu'on leur rende ce moyen certain de se faire valoir devant le jury ; ils demandent qu'ils puissent exposer par écrit, devant le jury, les connaissances qu'ils ont acquises.
Maintenant vous avez créé les cours à certificat, c'est-à-dire que vous avez réduit les matières à examen. L'honorable M. Frère-Orban disait, à la séance du 14 janvier 1857 :
« Supprimer les cours ou exiger des certificats qui ne seront pas la preuve qu'on a fait des études, c'est absolument la même chose. »
A quoi l’honorable M. Orts répondit : « Il y a la différence qu'il y a entre la vérité et le mensonge. »
J'examinerai tout à l'heure la nature des cours que vous avez supprimés.
Voyons, au point de vue du développement de l'élève, quelle a été la conséquence de la création des cours à certificat.
Un jeune homme veut étudier le droit. Il est extrêmement important que la science du droit se révèle à l'élève par des côtés différents, de différentes manières. Le droit, comme la médecine, a des manifestations multiples ; vous avez le droit civil, le droit criminel, le droit public, le droit commercial. Voilà déjà quatre faces différentes de la science du droit. Or, il y a tel élève qui sera entraîné à l'étude du droit par telle partie de la science du droit plutôt que telle autre ; telle matière aura plus d'attrait pour lui que telle autre. Pourquoi ? Parce que telle partie de la science du droit sera plus en harmonie avec son organisation.
Et dès lors qu'arrive-t-il ? C'est qu'à raison de l'amour spécial qu'inspire à l'élève la culture de telle branche déterminée il sera entraîné vers l'étude de la science tout entière. Ainsi, tel élève sera porté vers l'étude du droit en général, parce que l'étude du droit criminel trouvera dans son organisation une satisfaction plus grande ; tel autre sera attiré vers l'élude du droit par l'économie politique ; un autre y sera attiré par l'étude du droit commercial. Or, si vous biffez de votre encyclopédie juridique ces matières, la nature de l'élève restant inerte, ne se réveillant plus, il arrive que c'est un homme perdu pour la science.
Voilà donc ce que vous faites : c'est qu'en supprimant une partie des matières, vous rendez, pour beaucoup d'élèves, la science moins attrayant ; elle ne leur parle pas, elle ne leur dit rien.
Ceci me semble capital ; car il faut tenir compte de la variété des organisations humaines, et lorsque vous mettez un jeune homme devant une science quelconque, il faut faire en sorte que cette science puisse parler à son intelligence avec le plus de voix possible, qu'elle s'adresse chez lui au plus grand nombre de ses facultés. Or, qu'est-ce qui arrive aujourd'hui ? Toute votre science du droit est réduite au Code civil, aux pandectes et au droit criminel.
Eh bien, il y a des élèves sur l'esprit desquels ces branches peuvent (page 380) ne pas produire tout d'abord un grand effet ; il leur faut d'autres matières pour les entraîner vers les études juridiques. Ceci est conforme à la nature de l’homme.
Il arrive que tel jour, à tel moment donné, un homme entre dans une assemblée, il y entend discuter certaines questions qui s'harmonisent avec telle faculté prédominante chez lui
Eh bien, en donnant un enseignement incomplet, comme vous l'avez fait par la création des cours à certificat, vous empêchez l'éclosion de certaines vocations scientifiques, vous empêchez que des hommes se révèlent à la vie scientifique.
Messieurs, je vous ai parlé de l'élève ; je veux maintenant vous parler du professeur.
Je demande si le professeur n'ayant devant lui qu'un élève répondant sur les pandectes, sur le droit civil et sur le droit criminel, a, pour apprécier la valeur scientifique du récipiendaire, autant de moyens de vérification que si l'élève se présente devant lui pour subir un examen sur un plus grand nombre de matière ?.
Messieurs, ce. que le jury doit constater avant tout, c'est le développement scientifique de l'élève ; il ne s'agit pas tant de savoir si l'élève connaît bien ses définitions, s'il connaît, par exemple, les conditions pour acquérir, les conditions pour faire un testament, les conditions pour faire une donation ; mais il faut, que le jury constate si l'intelligence de l'élève a mûri, si je puis m'exprimer ainsi, à ce travail persévérant et fécondant de la méditation.
Il ne s'agit pas pour l'élève de faire entrer dans son cerveau bon gré mal gré des solutions incomprises par lui qui ne seraient pas digérées ; il s'agit de faire entrer dans la circulation intellectuelle de l'homme, si je puis m'exprimer ainsi, des idées nouvelles. Il s'agit de voir si l'élève a une méthode, s'il sait développer ce qu'il possède, s'il comprend.
Pour cela le professeur doit avoir le plus de moyens de vérification possible.
Tel élève peut fort bien, sur telle matière, répondre d'une façon incomplète, et sur d'autres matières, qui ont plus d'attrait pour lui, répondre avec succès ; le professeur qui ne demande pas mieux que de faire passer l'élève et de constater que l'enseignement universitaire lui a profité, sera très heureux de pouvoir déclarer devant la société que l'élève a profité de l'enseignement universitaire ; mais, par la création des cours à certificat, le professeur n'a pas de moyens suffisants pour faire cette vérification.
Messieurs, lorsqu'on a créé les cours à certificat, on n'a songé qu'à l'élève. On a dit : Ces pauvres fils de famille, il faut leur rendre la vie facile, il faut qu'à la fois ils puissent passer leurs examens et s'amuser le mieux possible dans le monde. (Interruption.) C'est ainsi !
Mais ce dont on n'a pas eu souci, c'est des professeurs. Car le professeur a été humilié, le professeur a été découragé par cette innovation dans le système d'enseignement supérieur, et voici, messieurs, ce qui est arrivé.
Autrefois, tous les professeurs étaient égaux. Tous donnaient un cours qui était nécessaire à l'élève. Chaque professeur enseignait une matière que l'élève était obligé de connaître. Le professeur qui avait donné son cours arrivait devant le jury et là il trouvait ses élèves, de sorte qu'il existait entre tous les professeurs une égalité complète.
Aujourd’hui qu'arrive-t-il ? L'élève n'est pas interrogé sur les cours à certificat, de sorte que ces cours sont considérés par l'élève comme une chose inutile, comme une perte de temps.
Est-ce que dans de pareilles circonstances un professeur est encouragé ? Quel effet voulez-vous que le professeur produise sur un élève qui peut lui dire : Nous sommes ici malgré nous, vous donnerez votre cours comme vous l'entendrez, mais nous n'avons pas besoin de vous écouter.
Je vous le demande, messieurs, pour un homme qui étudie et qui a des vérités à développer, quelle position humiliante ?
Y a-t-il dans le barreau, dans la Chambre, dans un enseignement quelconque, un homme qui veuille subir cette position, se disant, je parle ici devant des gens qui ne doivent pas m'écouter, qui ne doivent pas me répondre et qui n'ont pas besoin de savoir ce que j'enseigne, et je dois parler, et je dois enseigner ? Je crois que personne dans cette Chambre ne voudrait accepter un rôle pareil.
Messieurs, lorsqu'on a créé les cours à certificat, on a dit qu'on voulait revenir à l'ancien système, qu'on voulait établir ce qui existait avant 1835, tant sous la législation française que sous le régime du roi Guillaume,
Messieurs, c'est là une erreur. D'après le décret du 22 ventôse an IV, qui institue les écoles de droit, tous les cours enseignés à l'école droit de Bruxelles, faisaient l'objet d'un examen.
Quelles étaient les matières de ces cours ?
Voici ce que porte l'article 2 du décret du 13 mars 1804 :
« On y enseignera :
« Le droit civil français, dans l'ordre établi par le code civil, les éléments du droit naturel et du droit des gens, et le droit romain dans ses rapports avec le droit français, le droit public français, et le droit civil dans ses rapports avec l'administration publique.
« La législation criminelle et la procédure civile et criminelle. »
Une partie de ces cours ne fait plus l'objet de l'examen devant le jury.
Le décret qui a organisé cette matière porte : que l'élève sera examiné sur toutes les matières qui sont enseignées dans l'école ; et après cet examen il y avait ce que le décret qualifie d'acte publie. Voici les articles 37 à 49 du décret du 21 septembre 1804.
« Art. 37. Les étudiants qui aspireront au grade de bachelier devront faire deux ans d'études.
« La première année, ils suivront le cours sur le droit civil et le cours de droit romain.
« La seconde, ils continueront le cours sur le Code civil et ils suivront le professeur de législation criminelle et de procédure criminelle et civile.
« Art. 38. Après la première année d'études, sur les certificats de quatre inscriptions et d'assiduité aux leçons des deux professeurs qu'ils auront suivis, ils seront admis à un premier examen, qui sera fait en latin et en français sur les matières qui leur auront été enseignées.
« Art. 39. Après la seconde année, en justifiant de huit inscriptions et de leur assiduité aux leçons qu'il leur est prescrit de suivre, ils seront admis à un second examen, après lequel, s'ils sont trouvés capables, il leur sera délivré un diplôme de bachelier, conformément à l'article 9 de la loi du 22 ventôse.
« Art. 40. Les examens sur le baccalauréat seront faits par trois professeurs ou suppléants.
« Art. 41. Ceux qui aspireront au grade de licencié, feront une troisième année d'études, pendant laquelle ils termineront le cours sur le Code civil, et suivront en outre, à leur choix, un professeur de l'une des deux premières années du cours sur le Code civil, ou le professeur de droit romain.
« Art. 42. En représentant le certificat de douze inscriptions, leur diplôme de bachelier et le certificat d'assiduité aux leçons des professeurs qu'ils auront suivis pendant la troisième année, ils seront admis aux examens pour la licence.
« Art. 43. Les examens seront faits par quatre professeurs ou suppléants ; l'un de ces examens portera sur le droit romain, et sera fait en latin, l'autre embrassera toutes les matières enseignées dans l’école.
« Art. 44. Si le résultat des examens est favorable aux aspirants, ils seront admis à soutenir un acte public, d'après lequel ils obtiendront le diplôme de licencié, s'ils sont trouvés capables.
« Art. 45, Une quatrième année d'étude sera exigée pour le doctorat.
« Les aspirants devront suivre, dans cette année, le professeur de droit romain et deux des professeurs du Code civil.
« Art. 46. En justifiant de leur assiduité aux leçons qu'ils auront dû suivre, de leur diplôme de licencié, et de seize inscriptions, ils seront admis à subir deux examens, l'un sur le droit romain, et qui sera fait en latin, l'autre sur toutes les matières enseignées à l'école.
« On exigera dans cet examen des connaissances plus approfondies que dans les examens précédents.
« Art. 47. Les examens pour les doctorats seront faits par cinq professeurs ou suppléants.
« Art. 48. Après ces examens, l'aspirant, s'il est trouvé capable, soutiendra l'acte public, qui embrassera toutes les matières de l'enseignement du droit, de la législation et de la procédure.
« Art. 49. A la suite de cet acte, il recevra le diplôme de docteur en droit. »
Vient maintenant le règlement sur l'organisation de l'enseignement supérieur dans les provinces méridionales du royaume des Pays-Bas du 25 septembre 1816. Il exige l'examen de toutes les matières enseignées.
« Art. 37. Pour l'examen doctoral dans le droit on exigera :
« 1° Un examen en droit moderne, civil et criminel, de même qu'en droit canon et ecclésiastique ;
« 2° Une explication de deux passages, un du droit romain et un du droit moderne, lesquels seront indiqués par la faculté, après que le (page 381) candidat aura satisfait à l'examen précédent. Cet examen aura lieu le lendemain du premier.
« 3° La preuve qu'en outre on a fréquenté avec succès les leçons sur les pandectes, le droit public, la statistique du pays, l'histoire politique de l'Europe, la médecine légale et sur le style et l'éloquence hollandaise.
« Art. 38. Dans la faculté de médecine, on exigera pour le grade de candidat :
« 1° Un examen sur l'anatomie, la physiologie, la pharmacie, et la matière médicale.
« 2° Une démonstration anatomique.
« 3° La preuve qu'on a fréquenté en outre avec succès les leçons d'histoire naturelle et d'anatomie comparée.
« Art. 47. Celui qui demandera ce grade, pour obtenir ensuite celui de docteur dans les lettres, subira :
« 1° Un examen sur la théorie des langues grecque et latine, sur les antiquités grecques et romaines, l'histoire générale et la logique ;
« 2° Il fournira la preuve qu'en outre il a fréquenté avec succès les leçons de mathématiques, de physique expérimentale et de littérature hollandaise.
« Art 48. Celui qui demandera le même grade pour passer aux études de jurisprudence subira :
« 1° Un examen sur les langues grecque et latine, sur les antiquités romaines et sur l'histoire générale ;
« 2° Il produira la preuve qu'en outre il a fréquenté avec succès les leçons de mathématiques et celles de logique ;
« Art. 49. Pour obtenir le grade de docteur dans les lettres qui confère le titre de philosophiez theoreticœ magister literarum humaniorum doctor, on subira :
« 1° Un examen sur la haute grammaire grecque et latine, sur l'histoire ancienne, la métaphysique et l'histoire de la philosophie ancienne ;
« 2° On expliquera deux passages obscurs, ou l'on corrigera deux passages corrompus, l'un tiré d'un auteur grec et l'autre d'un auteur latin.
« 3° On fournira la preuve qu'en outre on a fréquenté avec succès les leçons sur les institutes, l'histoire du droit romain, l'histoire du pays, et l'astronomie physique. »
Après venait la promotion et la thèse publique.
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le cours à certificat est une innovation récente.
Ainsi, messieurs, quand on a prétendu qu'en créant les cours à certificat on revenait à l'ancien état de choses, on a avancé un fait qui est contredit par la législation ancienne. Aujourd'hui, le professeur n'a pas le droit de demander à l'élève s'il a fréquenté ces cours avec succès, tandis que, sous la législation française comme sous la législation hollandaise, il fallait avoir fréquenté avec succès.
Autrefois, on était interrogé sur toutes les branches qui s'enseignaient à l'université ; aujourd'hui on n'est plus interrogé que sur la moindre partie de ces cours. Ainsi, en philosophie sur huit cours on n'est plus interrogé que sur quatre ; pour la candidature en droit, sur cinq cours, on n'est plus interrogé que sur un seul ; pour le doctorat en droit sur huit cours quatre seulement font partie de l'examen.
Mais, messieurs, y a-t-on songé ? Quels sont les cours supprimés ? Vous supprimez, pour la candidature en philosophie, l'histoire de votre pays ! Vous voulez que l'on sache toutes les histoires du monde sauf celle de la patrie. De sorte que nous sommes inondés de livres écrits par des étrangers qui ne connaissent pas notre histoire, et vous ne voulez pas que la jeunesse belge la sache !
L'enseignement de l'histoire, pour un pays comme le nôtre, avec ses libertés si souvent menacées, est une chose fondamentale : il faut avant tout que chaque citoyen sache quels ont été ses ancêtres, qu'il soit fier des traditions historiques du pays.
Et comment voulez-vous que l'on aime son pays si l'on ne connaît pas même son histoire ? Je me demande si l'on y a bien songé.
Vous supprimez le droit public. Je comprends qu'en Russie, en Autriche on supprime le droit public ; mais en Belgique, dans un pays où chaque citoyen peut avoir sa part dans le gouvernement soit comme électeur, soit comme éligible, dans un pays d'institutions si éminemment démocratiques, chacun doit posséder la connaissance de ces institutions ; et il ne suffit pas d'enseigner ces institutions, il faut, ne fût-ce que pour rendre hommage à notre Constitution, imposer à chaque étudiant le devoir de l'apprendre et de bien la connaître en l'inscrivant parmi les matières à examen.
En créant ces cours à certificat, on a été guidé par autre chose que par une pensée élevée, par une pensée scientifique, par une pensée nationale.
Eh bien, au nom de la science et au nom de la patrie, revenez sur un passé contre lequel protestent à la fois et la jeunesse studieuse et les professeurs des universités.
Pour ce qui concerne le grade d'élève universitaire, je crois qu'en chargeant le rétablissement de ce grade de matières trop difficiles, on n'arrivera pas à une transition convenable et que, de plus, on créera peut-être contre le rétablissement de ce grade certaines hostilités qu'il faut prévenir. Pour ce motif, je ne voterai pas le n°3 des amendements de l'honorable M. Van Humbeeck.
Mais en ce qui concerne les matières à certificat, je voterai en faveur des amendements de l'honorable membre. Je supplie la Chambre d'effacer de la loi de 1857, ce vice capital, les cours à certificat qui sont une humiliation et pour l'élève et pour le professeur.
Nous qui sommes et voulons rester fiers de nous-mêmes, nous qui soutenons que le niveau intellectuel n'a point baissé, ne donnons pas de nous à l'étranger une si triste idée : lorsqu'il voit diminuer successivement les matières qui font l'objet de l'examen, il pouvait se dire que chez nous les cerveaux se rétrécissent et que nous n'avons plus cette force morale d'autrefois qui, quoique petits, nous méritait l'estime des grands.
M. le président. - La parole est à M. Devaux.
- Plusieurs membres. - A demain.
- La séance est levée à quatre heures et demie.