(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 263) (Présidence de M. Vervoort, président.)
M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces parvenues à la Chambre.
« Des habitants de Liernu demandent la construction du chemin de fer Grand-Central Franco-Belge partant d'Amiens et aboutissant à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »
« Même demande d'habitants de Marbais et d'Aische en Refait. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Saint-Génois demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces à l'appui, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Louis-Hubert-Joseph Fuchs, architecte de jardins à Ixelles. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Goblet. - Messieurs, je demanderai d'abord à M. le ministre des affaires étrangères si, en présence de la mesure qui vient d'être prise par le gouvernement français et le gouvernement anglais, il se préoccupe aussi de la suppression facultative des passeports.
Je crois que l'interpellation qui a eu lieu lors de la discussion du budget des voies et moyens a été exclusivement opportune, et nous ne pouvons pas rester en arrière, sous le rapport du libéralisme, des voisins qui nous entourent.
Le budget des affaires étrangères pour 1862, qui est soumis à la discussion, contient des augmentations et des réductions.
Je n'ai que des éloges à donner à l'augmentation qui concerne les consulats. Je crois qu'il importe à la Belgique de développer nos relations, et je crois que le meilleur moyen, c'est de donner à nos consulats une importance relative plus considérable.
M. le ministre, en entrant dans cette voie, peut, je crois, être certain d'être soutenu par la Chambre.
D'un autre côté, il y a une diminution de 25,000 fr. qui concerne la marine.
Cette diminution, messieurs, je ne puis l'approuver. Je la désapprouve, parce que je la considère comme un indice déplorable. Elle indique la volonté du gouvernement de maintenir plus longtemps encore l'état de choses existant.
Or, messieurs, la question de la marine doit être vidée une bonne fois, et les atermoiements dont on se sert continuellement ne sont pas dignes du gouvernement belge.
Si cette économie sur la marine est destinée à nous faire prendre patience, je crois que le ministre aurait beaucoup mieux fait de le dire franchement, carrément, et de nous demander 200,000 fr. de moins c'est-à-dire de supprimer tout bonnement ce qui existe.
Soulever une question de marine militaire dans cette enceinte, c'est amener le sourire sur les lèvres de la plupart des membres de la Chambre. Cependant, messieurs, cette question est très grave, parce qu’elle intéresse non seulement des personnes qui on, toujours rendu à la patrie de bons et de loyaux services et de dévouement, mais encore parce qu'elle intéresse l'honneur de notre pavillon.
Il ne faut pas, quelque petite, quelque insignifiante que soit notre marine, elle puisse être la risée du premier matelot qui passe à Anvers.
Depuis 1855, je ne parle pas depuis 1836, c’est remonter trop haut, mais depuis 1855 la question de la marine a été à différentes reprises soulevée dans cette enceinte, et la nécessité d’une réforme immédiate de l'état de choses existant a été considéré comme indispensable, non seulement par la Chambre, mais aussi par les divers ministres qui se sont succédé au pouvoir depuis cette époque.
En 1855, pressé par la Chambre, le gouvernement institua une commission devant laquelle on a posé la question de la marine militaire.
Il a été reconnu par tout le monde, messieurs, et je ne vous fatiguerai pas de citations du Moniteur, que l'état de choses existant ne devait pas durer plus longtemps, qu'il fallait créer une marine militaire respectable, ou la supprimer complètement.
La commission assemblée vota comme nécessaire une marine qui devait coûter d'abord sept millions ; plus trois millions annuellement. L'honorable M. Vilain XIIII, alors ministre des affaires étrangères, avait l'intention de continuer la tâche qu'il avait entreprise et de présenter au parlement un projet de loi destiné à fonder une marine militaire. J'en ai la preuve dans un fait qui a passé quelque peu inaperçu. C'était l'abstention de toute demande de crédit pour le Duc de Brabant et la Marie-Louise dans le projet de budget de 1856.
Mais, d'un autre côté, si une commission de marine avait décidé qu'il fallait un capital d'environ 80 millions (car 7 millions et 3 millions de rente annuelle font un capital de 80 millions) pour la création d'une marine, d'autres commissions, parmi lesquelles se trouvaient des commissions du ministère de la guerre, avaient décidé aussi qu'il fallait une marine fluviale destinée à défendre le port d'Anvers et les côtes de l'Escaut. Non seulement il fallait demander 80 millions ; mais il fallait encore demander d'autres millions pour cette marine fluviale.
L'honorable M. Vilain XIII recula, et en 1857 il demanda le maintien du statu quo en présentant son budget.
Le ministère tomba, et l'honorable M. de Vrière, en prenant le portefeuille des affaires étrangères, eut soin de se maintenir dans les mêmes errements et de continuer aussi à demander le statu quo.
Au Sénat, en 1859, le ministre fut interpellé. Le Sénat demandait une solution et M. le ministre des affaires étrangères se retranchait devant la nécessité d'attendre la solution de la question de la défense nationale pour ne rien faire et pour maintenir ce qui existait.
En 1860, nouvelle réclamation dans les sections à propos du budget des affaires étrangères. Que nous a-t-on dit ? Votez encore cette année et vous allez avoir un projet de loi qui va modifier l'état déplorable des choses et qui vous permettra de voter l'allocation nécessaire pour la marine.
Tel est l'historique des péripéties qu'a suivies ce malheureux projet de la construction de navires à vapeur présenté d'abord inopinément par voie d'amendement dans les sections, le million primitivement demandé est retiré, parce que le ministre reconnaît lui-même que ce qu'il demande par amendement est irréalisable. Il reparaît sous forme de crédit spécial et en quinze jours il est augmenté de 500,000 fr., et cela pourquoi ? Pour remplacer deux navires pourris qui ne peuvent plus servir que de girouette, qui indiquent aux Anversois la hauteur de la marées et la direction des vents, et pour remplacer ces deux bâtiments on demande la création de deux navires à vapeur qui en définitive seront chose parfaitement inutile dans la pratique, qui ne sont réclamés par aucune commission, et que l'on pourrait qualifier de joujoux chinois.
Messieurs, la question de la défense nationale est décidée. Il s'agit aujourd'hui non pas de la discuter, mais de la rendre complète. A ceux qui ont voté un système aussi absolu, aussi développé, incombe la responsabilité de poursuivre leur œuvre, et s'il faut une marine pour défendre le pays, il faut que ceux qui ont voulu que la défense du pays soit à Anvers, sachent nous dire aujourd'hui quelle est la marine qu'il nous faut. Car en définitive, faut-il une marine militaire fluviale, faut-il une marine militaire de mer ? Ne faut-il pas de marine ? Telle est la question. Nous sommes dans une incertitude complète. Nous ne savons pas s'il faudra voter des millions pour la marine, outre tous les millions que nous avons votés pour l'armée. C'est une question que le gouvernement doit connaître, et qui, je crois, doit nous être soumise dans le plus bref délai.
Peut-on supposer que le gouvernement attende l'occasion favorable, une fin de session pour venir encore arrachera la Chambre un vote sans discussion ?
Ne vaut-il pas mieux pour le pays que nous puissions examiner à fond cette question ?
Il faut en finir. Je ne suis pas partisan de la marine militaire, mais personne ne peut nous accuser de refuser au gouvernement de prime abord les moyens qu’il juge nécessaires pour défendre le pays.
Si, pour compléter le système de défense qu'on a adopté, il faut cinq vaisseaux à vapeur et 15 canonnières, qu'on vienne nous démontrer cette nécessité et qu'on vienne nous dire franchement : Il faut encore (page 264) autant d'argent. Mais qu'on ne laisse pas cette question dans l'incertitude. Nous faut-il une marine ? C’est une question ; nous faut-il une marine fluviale et une marine militaire ? C'est une deuxième et une troisième question ; et ces questions, le gouvernement devrait les soumettre immédiatement à la législature.
En perpétuant l’état de choses qui existe, le gouvernement ne comprend pas ses devoirs.
Depuis 1855, le Duc de Brabant et la Louise-Marie sont hors d'état de rendre le moindre service, si depuis 1857 seulement on avait supprimé ces navires, tout en prenant des mesures pour sauvegarder la position des officiers, on aurait réalisé une économie de 600 à 700 mille francs.
Les autorités maritimes ne font aucune opposition à cette mesure, les officiers demandent la suppression du Duc de Brabant et de la Marie-Louise, ils rougissent de voir le pavillon belge attaché à ed pareils sabots, ils sont convaincus que s'ils devaient faire un kilomètre loin des côtes, ils sombreraient. Cet état de choses ne peut pas continuer plus longtemps, et je le répète, messieurs, il est grand temps d'y mettre un terme.
M. Coomans. - Messieurs, deux raisons m'engagent à revenir sur la question des passeports : d'abord parce que je n'ai pas eu le plaisir d'entendre l'opinion de M. le ministre des affaires étrangères sur cette question, ensuite parce qu'un fait très important qui vient à l'appui de la thèse que j'ai pris la liberté de soutenir devant vous, vient d'être posé par un gouvernement voisin.
Le gouvernement français vient de décréter que les Anglais pourraient désormais entrer et voyager en France sans passeport ; cette mesure est de la plus haute importance, aussi bien en elle-même que pour les conséquences inévitables qu'elle entraîne après elle. lI vous semblera évident, comme à moi, que la suppression des passeports au profit des touristes anglais équivaut à la suppression pour les Français ; il serait étrange que les nationaux fussent moins bien traités que les étrangers.
J'applaudis de toutes mes forces à cette mesure et j'espère que le ministère belge tiendra à honneur, si non pour lui du moins pour la Belgique, d'élever son libéralisme à la hauteur de celui du gouvernement français.
Il paraît que la première fois que je me suis occupé de cette question, je me suis incomplètement exprimé, car plusieurs personnes ont conclu de mon langage que je demandais la suppression du passeport même. On se trompe. Je reconnais que le passeport doit être maintenu pour les amateurs, les collectionneurs d'autographes, les personnes qui peuvent en avoir besoin dans certains cas.
Il est certain que le passeport peut être utile et que le devoir du gouvernement belge sera toujours d'en délivrer, soit pour l'extérieur soit pour l'intérieur. Messieurs, le passeport est indispensable au voyageur qui a à se rendre dans les pays où l'exhibition des passeports est obligatoire. Le passeport est indispensable, au moins utile aux voyageurs qui ont à établir à l'étranger leur identité soit pour des opérations de commerce, soit seulement pour retirer des lettres poste restante.
Dans beaucoup de localités, par une mesure de prudence que je ne blâme pas, on exige la présentation du passeport pour la délivrance d'une lettre chargée et même, dit-on, pour la délivrance de lettres non chargées. Ainsi donc, il n'a pas pu entrer dans ma pensée de demander la suppression des passeports ; ce que j'ai demandé et ce que, je continue à demander, c'est que le gouvernement belge n'exige plus l'exhibition des passeports ni des étrangers ni des Belges, avec ou sans réciprocité.
J'ai demandé aussi et surtout que le gouvernement belge donnât des ordres à ses agents à l'étranger pour qu'ils ne se permettent plus de rançonner les voyageurs belges, pour que nos agents diplomatique et consulaires, qui sont vraisemblablement établis et payés par nous pour nous rendre service quand nous allons à l'étranger, visent gratis le passeport. Du reste, messieurs, la question du visa est susceptible d'une solution très simple ; ce serait de ne plus en exiger.
Je me suis souvent demandé à quoi sert le visa à l'étranger.
A quoi sert-il d'avoir un passeport avec 30, 40 ou 20 signatures, alors que deux ou trois valent toutes les autres ?
A quoi sert-il que des agents inférieurs appliquent leur nom sur le passeport et donnent un certificat de vertu ou autre au voyageur, lorsque le passeport porte déjà la signature du ministre des affaires étrangères ou de celui qui le remplace, d'un ambassadeur ou de quelque autre personnage d'un rang élevé.
A quoi bon tous ces visas ? On m'a dit, mais j'en doute encore un peu, on m'a dit que ce n'est pas là une question d'argent. Soit. Mais s'il n'y a pas là de question d'argent, il me semble qu'il n'y a pas de question de tout. A quoi servent les visas ? Je le demande encore une fois. Y a-t-il un voyageur qui désire certifier son arrivée dans une ville, dans un port, d'une manière authentique, il s'adressera au consul qui apposera gratuitement son visa sur le passeport.
Ensuite, messieurs, je voudrais que le passeport fût au moins une chose sérieuse, bien autrement sérieuse qu'il ne l'est aujourd'hui. Le passeport n'établit pas l'identité, d'abord parce que les signalements sont la plupart du temps si triviaux qu'ils ne prouvent rien, ensuite parce que beaucoup de passeports ne portent pas de signalement du tout.
Pourquoi ne remplacerait ou pas le passeport, qu'il est souvent difficile de déployer, par une petite photographie bien faite ? (Interruption.) Ne rions pas du progrès ; messieurs, il ira plus loin que nos passeports et nos photographies. Je le repète, ne pas remplacer le passeport, qui ne prouve rien, par une photographie bien faite, sous laquelle ou derrière laquelle le ministre des affaires étrangères apposerait sa signature ?
Une photographie de ce genre coûterait un franc et demi, et pourrait durer aussi longtemps que la ressemblance du porteur.
Encore une fois, - il est vrai que je pose beaucoup de questions, mais je cherche à m'instruire - encore une fois, pourquoi le passeport ne dure-t-il qu'un an ? Si je suis assez honnête pour que vous me fassiez la gracieuseté de me délivrer un passeport, il est très vraisemblable que je le serai pendant plus d'une année.
Je dis que le gouvernement belge doit, dans tous les cas, délivrer un passeport à qui le demande : en effet, il ne peut pas refuser un passeport à un honnête homme, et il ne doit pas non plus en refuser un au fripon ; au contraire ; tant mieux, si beaucoup de malhonnêtes gens s'expatrient.
Ainsi donc il n'y a pas raison pour que le passeport ne dure qu'un an ; il y a, au contraire, une foule de raisons pour qu'il dure aussi longtemps que la photographie dont le voyageur est porteur peut constater son identité.
Le voyageur mettra cette photographie dans son portefeuille ; elle ne le gênera pas ; et si des gouvernements étrangers maintenaient le passeport, on attacherait la photographie à un livret ou papier où les agents diplomatiques auraient assez d'espace pour apposer leur siganture. Ils s'amuseront à cela, puisqu'ils ont du temps de reste.
J'ai demandé aussi que le passeport fût délivré gratuitement, puisque la question fiscale y était étrangère. Il va sans dire que la photographie dont je parle serait acquise par le voyageur à ses frais. Le gouvernement pourrait indiquer un photographe ayant sa confiance, et qui se chargerait de ce travail, à prix fixe.
Messieurs, je n'ai pas eu l'occasion, l'autre jour, vu l'heure très avancée de la séance, de réfuter une doctrine très sévère, soutenue par l'honorable M. Tesch. Je me borne aujourd'hui à faire toutes mes réserves à cet égard. Je n'admets pas du tout avec M. le ministre de la justice, qu'un Belge puisse être arrêté en Belgique, mis au violon, comme il l'a dit, parce qu’il ne serait pas porteur d'un passeport. Je ne connais pas de loi qui oblige un Belge, dans son pays, à être porteur d'un passeport ; s'il est des lois ou des règlements pareils, on devrait, ce me semble, les laisser tomber en désuétude et s'abstenir, en 1860, de les invoquer dans une chambre belge.
En attendant que M. le ministre de/affaires étrangères s'explique sur les passepors, j'en resterai là sur ce point.
Messieurs, je m'associe, dans leur ensemble, aux réflexions que l'honorable M. Goblet vient de présenter sur la marine militaire.
J'ai lu dans les journaux et même dans le Moniteur, que la Sublime Porte vient de supprimer plusieurs de ses légations en Europe.
Je ne lui en fais pas un crime, au contraire. J'y vois un progrès, et je suis satisfait de voir la Turquie en faire à son tour, si peu que ce soit.
Bien que je n’aime pas les économies de bouts de chandelle qui sont hélas' ! souvent la dernière ressource des gouvernements qui n'ont pas l’intelligence d'en faire d’autres, bien que je n'aime pas les économies de bouts de chandelle, j'approuve fortement l'idée d'avoir supprimé ces légations dans plusieurs Etats, et je voudrais que le gouvernement belge imitât sur ce point la Sublime Porte, comme je ne puis qu'engager également notre gouvernement à suivre l'exemple qui lui est donné par le gouvernement français à l'endroit des passeports.
(page 265) Mais, messieurs, j'espère que l'intention de M. le ministre des affaires étrangères n'est pas de maintenir une légation belge à Constantinople alors qu'on n'use pas de réciprocité à notre égard.
C'est en matière diplomatique surtout que la réciprocité doit être invoquée, ce me semble.
J'ai vu avec beaucoup de surprise que, loin de saisir cette belle occasion de faire une économie de 33,00 0fr. sur le chapitre de la diplomatie, M. le ministre des affaires étrangères demande ou laisse demander par la section centrale, pour notre légation à Constantinople, une augmentation nouvelle de 7,000 francs.
Je dis « nouvelle » parce que depuis 12 à 13 ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, on a maintes fois augmenté le traitement de nos agents diplomatiques en général et de nos envoyés à Constantinople en particulier.
On nous a fait beaucoup de promesses, d'économie depuis 12 ans, surtout en 1848. (Interruption.) Eh ! je le sais bien, nous vivions alors dans une atmosphère toute autre, on nous promettait alors de grosses économies sur le budget des affaires étrangères ; ou en a réalisé quelques-unes, je le reconnais.
M. d’Hoffschmidt. - On en a réalisé pour 600,000 à 700,000 fr.
M. Coomans. - C’était parfaitement bien, M. d'Hoffschmidt, je le reconnais ; par malheur on n'a pas persévéré dans cette bonne voie ; on n'a pas maintenu toutes les économies faites, on s’est hâté de les supprimer ; on a eu tort je pense. Je suis aujourd'hui du même avis qu'en 1848. Nous avons fait des progrès en arrière. Pour ma part il m'est impossible, surtout après la mesure qu'a prise la Sublime Porte, de voter quoi que ce soit pour le maintien d'une mission diplomatique à Constantinople.
En général, mais ici encore je paraîtrai peut-être trop progressiste et je m'en console, je n'aime pas qu'un petit Etat comme le nôtre ait une diplomatie aussi forte que nous l'avons. Je dis forte surtout par le nombre.
Il me semble que nous pourrions très bien nous contenter de bons consuls à l'étranger.
Les consuls rendent des services, de véritables services. Plusieurs ne sont pas assez rétribués, d'autres ne le sont guère, et il en manque dans beaucoup de places de commerce où le besoin de ces agents se fait sentir.
Si donc nous marchions sincèrement, franchement dans la voie des réformes, au lieu d'augmenter les traitements des agents diplomatiques proprement dits, nous les diminuerons et, pour mieux faire, nous les supprimerions çà et là comme le Grand Turc nous en a donné le bon exemple, et nous distribuerions ces fonds entre les agents consulaires, lesquels au moins rendent des services et des services sérieux.
Je me réserve de répondre aux observations qu'on me fera sans doute l'honneur de me présenter.
M. Savart. - J'avais demandé la parole pour appeler l'attention du gouvernement sur la nouvelle mesure qui vient d'être prise par la France à l'égard des Anglais qui voyagent dans ce pays.
Il me semblait qu'il y avait là le commencement d'un système qui tendait à se généraliser et que quand d'autres marchaient en avant nous ne pouvions rester en arrière.
Mais le sujet ayant été traité par l'honorable M. Coomans, je crois devoir renoncer pour le moment à la parole.
Je me réserve de répondre aux explications qui seront fournies par M. le ministre des affaires étrangères, s'il y a lieu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, le gouvernement est entièrement disposé, à entrer dans la voie préconisée par les honorables orateurs qui viennent de parler eu ce qui concerne le régime des passeports.
Nous n'avons pas attendu, messieurs, que l'exemple nous fût donné par les puissances voisines pour nous préoccuper de cette question.
La correspondance de mon département prouve que, dès le 9 août, il s'est engagé entre mon département et celui de la justice une correspondance à ce sujet.
Mais, messieurs, il ne suffit pas de décréter qu'il n'y aura plus de passeports pour supprimer tous les inconvénients qui résultent du régime des passeports.
Nous eussions pu très facilement décider que dorénavant ni les Belges ni les étrangers se seraient plus soumis à la formalité du visa et à celle de l'exhibition des passeports à la frontière, mais cette mesure n'eût aucunement exempté nos nationaux de ces mêmes formalités dans les autres pays.
C'eût été une mesure entièrement favorable à l'étranger et qui n'eût eu aucune espèce d'avantage pour les Belges.
Il s’agissait donc, messieurs, d'examiner ce qu'il y avait à faire de pratique pour remplacer le système actuel par un système qui ne présentât pas les mêmes inconvénients, qui ne soumît pas les Belges à des formalités gênantes, à des dépenses, à des pertes de temps et qui cependant maintînt pour eux et pour tout le monde les avantages qu'offre un titre de voyage, pour celui qui en est pourvu.
L'honorable M. Coomans a tout à l'heure lui-même démontré à la Chambra la nécessité de conserver un certain document au moyen duquel chaque individu puisse à l'étranger constater son identité.
Il vous a dit qu'on peut à chaque heure se trouver dans la nécessité de prouver qui l'on est, soit pour toucher des valeurs, soit pour recevoir de lettres, soit pour réclamer des bagages dont on n'était pas accompagné. On peut se trouver dans une émeute, dans une bagarre, dans une foule de cas où l'on doive recourir à la protection des autorités et où l'on ait besoin de prouver, par une pièce quelconque, qui l'on est.
Eh bien, messieurs, cette correspondance engagée entre mon département et celui de la justice tendait à rechercher un moyen pratique de conserver ces avantages et qui fût à la fois économique et facilement accessible à tout le monde par un document délivré par une autorité à laquelle on pût recourir à toute heure du jour, par un document qui fût de longue durée, qui ne coûtât pas cher et qui pût être respecté à l'étranger.
Voilà, messieurs, les réserves que nous avons faites et je ne doute pas que nous n'aboutissions très prochainement.
C'est une erreur de croire que dans tous les pays où l'on n'exige plus l'exhibition d'un passeport, les étrangers ne soient plus soumis à aucune formalité gênante. On a cité la Prusse et la confédération germanique ; effectivement les passeports sont supprimés de fait en Prusse, mais quand un étranger réside dans une ville quelconque de ce pays au-delà de 3 jours, il doit se munir d'une carte de séjour. (Interruption.)
Il m'est difficile de croire que l'honorable membre qui m'interrompt soit mieux informé de ce qui se passe en Prusse que le baron Nothomb qui me donne ce renseignement. (Interruption.)
Voici ce que nous écrit notre ministre à Berlin. Quand on arrive dans une ville, au bout de 3 jours il faut se procurer un permis de séjour, ce permis et souvent soumis à une rétribution qui s'élève quelquefois à 20 grossehen ; il faut en outre l'emploi d'un commissionnaire qui ne prête pas ses services gratis.
En général ce permis n'est pas refusé, mais la police est par là autorisée à faire des questions et même des perquisitions, le voyageur perd le sentiment de sa sécurité.
M. Coomans. - Cela ne se fait pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - De ce que cela ne se fasse pas, il ne résulte pas que cela ne peut pas se faire, et c'est pour cela que je me suis mis en communication avec les gouvernements de l'Allemagne pour que conventionnellement il fût établi que cela ne se ferait plus. Il ne suffit pas qu'une chose existe de fait, il faut qu'elle existe de droit pour présenter un avantage sérieux.
C'est ainsi qu'on a cité la Suisse ; eh bien, à, certaine frontière de la Suisse on demande des passeports, à d'autres on n'en demande pas, de même ici on fait payer, là on ne fait pas payer. En France j'ai vu qu'une espèce de cartel était intervenu entre l'Angleterre et h France à ce sujet, mais j'ignore comment ce cartel sera exécuté, je ne sais pas de quelle manière un voyageur anglais entrant en France constatera sa nationalité.
Il faut quelque chose, il faut l'indication des mesures d'exécution que nous ne connaissons pas encore. Je me suis enquis de ces moyens. On ne sait même pas si les Français eux-mêmes seraient exemptés de l'obligation de se munir de passeports. (Interruption.)
Un journal français faisait hier à ce sujet une plaisanterie qui prouve que des doutes existent à ce sujet, il y demandait pour les Français le régime de la nation la plus favorisée.
Quoi qu'il en soit, je déclare de nouveau que le gouvernement est décidé à entrer dans cette voie aussi largement que possible. Nous n'attachons aucune importance aux passeports au point de vue de la police, nous n'y attachons également aucune importance comme ressource fiscale. Ce que le gouvernement veut, c'est assurer à ses nationaux les avantages que leur donne le titre de voyage appelé passeport.
J'ajouterai un mot en réponse à une observation faite par l'honorable M. Coomans, qui constitue une erreur involontaire de sa part, c'est que (page 266) nos agents ne profitent aucunement des visas des passeports ; il y a un tarif consulaire, d'après lequel les visas et autres formalités sont soumis à des droits dont il est rendu compte au trésor.
M. Coomans. - Les consuls non plus ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Les consuls non plus.
Messieurs, l'honorable M. Coomans a aussi conseillé au gouvernement de retirer sa légation à Constantinople, par la raison que la Porte Ottomane a supprimé sa légation à Bruxelles. Je dirai d'abord que d'après la communication qui nous a été laite par le gouvernement ottoman, la suppression de la légation n'est que momentanée.
Mais n'en fût-il pas ainsi, dans mon opinion, opinion qui j'espère sera partagée par la Chambre, chaque gouvernement en cette matière doit consulter les intérêts du pays. Quand un gouvernement retire la légation qu'il entretient près d'un gouvernement ou près d'une cour par des motifs politiques, il y a pour cette cour ou pour ce gouvernement une raison déterminante, pour retirer aussi sa légation ; il y a alors rupture des relations diplomatiques.
Mais quand des raisons politiques n'existent pas, quand aucun motif n'a troublé les bons rapports entre les gouvernements, que la mesure prise n'a eu qu'un motif d'économie, par exemple, il n'y a pas de raison pour user de réciprocité, chacun alors agit selon son intérêt.
Eh bien, notre légation de Constantinople est une de celles qui sont le plus nécessaires, au point de vue des intérêts qui touchent le plus l'honorable M. Coomans, les intérêts commerciaux.
Nous avons à Constantinople toute une colonie de Belges à laquelle notre légation est appelée à rendre des services journaliers.
Vous savez que les étrangers vivent en Orient sous un régime particulier, ils jouissent de privilèges résultant de capitulations et de traités, ils sont soumis à la juridiction des représentants de leur pays ; par conséquent, celle-ci est une protectrice nécessaire, indispensable dans ces pays.
Quant aux affaires commerciales, nous avons à Constantinople et dans l'Orient un mouvement tellement croissant, que la légation est appelée, à ce point de vue, à rendre de jour en jour des services plus importants ; et ces services sont reconnus par tout le commerce, par toute l'industrie ; il n'est pas de semaine, pour ainsi dire,, que je ne reçoive des demandes, soit pour appeler l'attention de l'agent du gouvernement à Constantinople sur un intérêt belge, soit pour le charger de faire une réclamation qui intéresse notre commerce.
L'honorable M. Coomans nous a reproché d'avoir augmenté les frais de cette légation. Nous ne les avons pas augmentés au point de vue politique, c'est dans un intérêt purement commercial que nous avons demandé cette augmentation. Le gouvernement d'ailleurs n'a pas même le mérite de l'initiative de cette proposition dont il reconnaissait pourtant la haute utilité.
Mais, c'est peut-être une faiblesse, je le reconnais, j'avais reculé devant une nouvelle demande de crédit, lorsque la section centrale est venue appeler mon attention sur cet objet.
L'honorable M. Coomans fait un signe qui me fait voir qu'il se trompe.
M. Coomans. - Cela m'arrive quelquefois.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je suis fâché que cela vous arrive, lorsque vous semblez douter de la loyauté de mes paroles.
M. Coomans. - Du tout, je tiens à dire que vous ne m'avez pas compris. Je faisais signe que l'initiative avait été prise probablement par l'honorable M. Van Iseghem.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Ce qui ferait croire qu'il y avait intelligence entre le rapporteur de la section centrale et le ministre.
M. Coomans. - Du tout.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je demande excuse à l'honorable M. Coomans ai telle n'a pas été sa pensée. L’initiative vient de la chambre de commerce de Liège et c'est l'honorable membre de cette province qui a pris cette initiative dans la section centrale. Voilà la vérité.
M. Muller. - C'est moi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je crois avoir suffisamment établi l'utilité de la mesure proposée, dans les documents que j’ai soumis à la section centrale et que l’honorable M. Coomans aura probablement pris la peine de lire. Je ne crois pas devoir, à moins qu'il ne le désire, entrer dans des explications sur ce point.
Le service du drogmanat est extrêmement complexe et exige un travail très laborieux. Nous n'avons qu'un seul drogman, C'est un jeune homme qui reçoit un traitement de 3,000 fr. Il possède la langue anglaise, la langue hollandaise, la langue persane, la langue arabe et la langue turque.
Or, ce jeune homme, qui nous sert depuis quelque temps, nous ne pouvions avoir l'espoir de le conserver à notre service, si nous ne lui donnions une augmentation de traitement, et cependant nous n'aurions pas pensé à la lui donner actuellement, si le commerce n'avait réclamé la nomination d'un second drogman, qui pût être spécialement attaché au tribunal de commerce. Vous savez que ce tribunal de commerce est un tribunal mixte, où sont portés les litiges entre les étrangers et les Turcs.
En accédant donc au vœu qui nous avait été exprimé de nommer un second drogman, nous avons dû augmenter nécessairement le traitement de notre drogman actuel sous peine de perdre un jeune homme qui nous rendait les plus grands services. Il eût été peu sage de nous priver des services d’un agent aussi utile pour une somme aussi faible que celle de l'augmentation proposée.
Maintenant, si l'on veut voir si, en cette matière, nous sommes économes, je demanderai la permission de dire ce qui se passe ailleurs.
Je ne parle pas des grands pays. Je ne vous dirai pas que la Russie a six drogmans qui ont 16,000, 12,000, 8,000 et 6,000 fr. Je ne vous dirai pas que l'Angleterre en a sept qui reçoivent depuis le minimum de 5,000 francs jusqu'à 23,750 francs. Je ne vous citerai que les pays qui peuvent être comparés à la Belgique.
La Suède a, à Constantinople, un drogman qui est paye 10,870 francs. En outre, il reçoit sur les firmans (ce que, d'après les principe que j'ai énoncés tout à l'heure, ne reçoivent pas nos agents) environ 9,000 piastres. En outre les frais de bateau qui sont très considérables à Constantinople, ainsi que les frais de chevaux lui sont remboursés,
Les Pays-Bas ont trois drogmans dont le premier est payé 14,350 francs, le second 6,650 francs et le troisième, qui n'est qu'un aide, 4,100 francs.
La Prusse en a également trois qui sont payés, le premier 16,250 fr., les deux autres 6,700 fr.. et 5,000 fr.
La Sardaigne en a deux, payés 13,000 et 9,700 francs.
La Grèce en a quatre et en outre trois élèves drogmans.
L'Autriche en a également un grand nombre.
Voilà de quelle façon les légations étrangères à Constantinople sont organisées sous le rapport du drogmanat. J'ajouterai ceci : c'est que nous avons eu le bonheur de trouver, pour nous servir, des jeunes gens instruits connaissant les mœurs de l’Orient, et connaissant les lois, les coutumes, les pratiques commerciales, possédant en outre plusieurs langues, pour une somme infiniment restreinte, tandis que d'autres puissances non seulement payent à des prix beaucoup plus élevés les mêmes services, mais consacrent des sommes énormes pour former des élèves drogmans. Il y a, dans plusieurs pays, des écoles qu'on appelle orientales, où le gouvernement entretient des professeurs nombreux, des professeurs de chacune des langues orientales, pour former des élèves drogmans.
Ce sont des établissements complets ; et cela parce qu'il est extrêmement utile au commerce et aux relations en général de posséder des agents capables, des agents instruits et en même temps des agents dont on soit sûr.
Messieurs, l'honorable membre auquel je réponds vous a dit qu'il n'aimait pas les économies de bouts de chandelle. Je crois l'avoir complètement satisfait, en lui démontrant que c’en serait une que de faire l'économie qu'il vous a demandée.
L'honorable membre a profité de l'occasion pour faire une petite sortie très spirituelle à l'adresse de notre corps diplomatique qu'il a déclaré fort par le nombre. Messieurs, c'est un genre d'épigrammes que j'ai souvent entendu lancer contre le corps diplomatique. Mais je m'étonne vraiment de la trouver dans la bouche d'un homme aussi sérieux et qui s'est appliqué avec autant de zèle et de talent aux affaires du pays.
Le corps diplomatique évidemment, aux yeux du vulgaire, est un corps privilégie, couvert de broderies, chargé de décorations, et d'une utilité très contestable ; ce sont des gens qui dînent bien et qui n'ont rien à faire. Dans tous les vaudevilles ou trouve cela et pis encore. Mais d’où cela vient-il ?
C’est que malheureusement le corps diplomatique ne peut pas étaler ses services, les crier sur les toits pour revendiquer ses titres à la reconnaissance du pays. Il n'en est pas de même des autres parties de l'administration du pays. Tout le monde connaît les actes que chacune d'elles a posés.
(page 267) Que le génie civil fasse un pont, tout le monde le voit. On dit : C'est un pont bien fait, ou c'est un pont mal fait ; mais nos pauvres diplomates...
M. Coomans. - Ils ne sont pas pauvres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Si l’honorable M. Coomans regrette qu'on ait augmenté leurs traitements, eh bien, il a tort, car il ne tient pas compte de cette circonstance qu'aujourd'hui les traitements de notre diplomatie soit infiniment plus réduits qu'ils ne l'étaient avant 1848, malgré les augmentations admises par la Chambre, il y a deux ans ; l'honorable M. Coomans voudra bien reconnaître que les conditions de la vie ne sont plus les mêmes qu'avant 1848. Ainsi tout le monde sait que dans certaines capitales un diplomate, quelque bien payé qu'il soit, doit consacrer la moitié de son traitement à son habitation.
Le corps diplomatique ne peut pas être comparé aux autres corps, au point de vue de la palpabilité des services, mais tous ceux qui ont été mêlés au courant de nos affaires politiques savent que la diplomatie belge a rendu les plus grands services au pays, qu'elle est constamment attentive à tout ce qui peut nuire au pays, à tout ce qui lui être utile.
Je fais un appel ici à tous les membres de la Chambre qui ont participé à la direction des affaires étrangères de la Belgique ; ils diront comme moi que notre diplomatie a rendu les plus éminents services au pays, et je puis ajouter que le corps diplomatique belge a la réputation en Europe d'être composé d’hommes extrêmement distingués ; peu de pays peuvent se vanter de réunir dans cette carrière un aussi grand nombre d'hommes d'intelligence et de savoir.
J'arrive à l'observation faite par l'honorable M. Goblet. L'honorable membre se plaint des atermoiements du gouvernement dans la question de la marine ; il s'étonne que le projet qui a été soumis à la Chambre n'ait pas été produit plus tôt. Messieurs, si ce projet n'a pas été déposé plus tôt par le gouvernement, la raison en est dans l'historique même que l'honorable M. Goblet a fait à la Chambre et par lequel nous avons vu, messieurs, que des commissions diverses ont été nommées et que ces commissions ont soumis au gouvernement des plans entièrement différent ; le gouvernement par cette raison seule ne pouvait pas se presser de prendre que détermination.
Mais il avait un autre motif que l'honorable membre a indiqué lui-même, c'est que, avant de décider ce qu'il était indispensable de faire pour la marine, il fallait que la question de la défense du pays fût décidée, il fallait que la question d'Anvers fût décidée.
Il est évident que la question d'une marine dans quelque proportion qu'on veuille l'établir, se rattache intimement à la question de la défense de notre premier port, de notre première place de guerre. Maintenant si la question n'a pas été portée à l'ordre du jour, ce n'est aucunement la faute du gouvernement.
L'honorable membre a semblé le croire, car il a fait dans le temps une interpellation à ce sujet. Voici, messieurs, la vérité ; j'ai prié dans la dernière-session l'honorable président de la section centrale de suspendre pour quelques jours seulement, l'examen de cette question, parce que je venais de recevoir certaines observations qui me faisaient penser qu'il y aurait peut-être quelques changements à apporter au projet, mais quelques jours après j'ai écrit à l'honorable président qu'il n'y avait plus de motifs pour que l'affaire ne fût pas examinée. Depuis lors, messieurs, j'ai désiré que la question fût décidée le plus tôt possible. Je regrette avec l'honorable membre que l'incertitude se soit prolongée si longtemps et je demande que la Chambre veuille bien mettre la question de la marine à l'ordre du jour, dans le plus bref délai.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsqu’il était question des passeports. J’ai appris avec plaisir que M. le ministre de la justice et M. le ministre des affaires étrangères vont s'en occuper. Il est réellement nécessaire de modifier la loi. En vertu de la loi actuelle, si vous quittez votre canton sans passeport, un gendarme ou un garde champêtre peut vous arrêter et, comme l'a dit M. le ministre de la justice, vous mettre en prison.
Je sais bien qu'on n'exécute plus cette loi, mais c'est une preuve de plus de la nécessité de la modifier.
Si je suis bien informé, les passeports ne rapportent en tout que 61,000 francs, et c'est pour un si faible produit que les voyageurs sont soumis à tant de désagréments ! Il y a, par exemple, des ouvriers qui résident sur la frontière et qui vont travailler en France, on en compte environ 100,000. '
- Plusieurs membres. - Ils sont sans passeport.
M. Rodenbach. - Oui, ils sont sans passeports. Mais, comme le disait M. le ministre de la justice à l'honorable M. Coomans, ils ne sont pas en règle et dès lors passibles de la peine en question. Lorsqu'ils demandent un certificat d'indigence, (erratum, page 276) ils doivent souvent attendre. Il faut que l'homme qui voyage et surtout le pauvre puisse obtenir gratuitement les pièces dont il a besoin. (erratum, page 276) Pourquoi faire payer 8 ou 10 fr. au particulier et le faire attendre plusieurs jours ? Je dis qu'il faut supprimer ces rétributions onéreuses et ces lenteurs. Il en est de même du visa, qui est complètement inutile.
J'espère, messieurs, que cette question sera examinée dans le plus bref délai possible ; c'est une formalité embarrassante, et je puis dire inutile, parce que son utilité est très contestable dans les cas qui sont censés lui donner des motifs d'existence. D'ailleurs, la suppression des passeports est avec l'abolition des octrois un progrès dont nous n'aurions pas dû laisser la gloire à nos voisins, nous qui avons donné, depuis la création de notre nationalité, aux grands peuples de l’Europe, l’exemple du véritable progrès, c’est-à-dire l’adoption de mesures qui doivent favoriser les arts, le commerce et l’industrie. En effet, et nous pouvons en être fiers à juste titre, c’est nous qui avons les premiers établi les chemins de fer sur le continent.
Maintenant qu'il me soit encore permis d'appuyer vivement une généreuse idée que j'ai rencontrée en parcourant le budget nés affaires étrangères et à laquelle on donnera bonne suite, j'espère ; il s'agit d'allouer un crédit à l'effet de créer des bourses aux jeunes gens qui se distinguent dans le commerce. J'approuve beaucoup cette allocation, et j'accorderais volontiers des sommes plus considérables encore, si le gouvernement jugeait à propos d'en demander. On donne pendant quatre ans un subside de 2,500 francs aux lauréats en peinture, sculpture et musique, afin de leur laisser compléter leurs études.
Je suis loin d’être l'adversaire de ces encouragements, mais on reconnaîtra avec moi qu'il faut songer à l'utile avant l'agréable. Il est hors de doute que la littérature, les beaux-arts doivent donner en grande partie au pays son éclat et sa gloire ; et ils méritent toute la sympathie, toute la sollicitude du gouvernement, ceux qui, en dotant leur pays de monuments de tous genres, contribuent à sa gloire et ajoutent à la considération que lui donnent les autres peuples. Mais qu'on n'oublie pas non plus que la prospérité commerciale et industrielle forme la vie d'un peuple, et que les arts ne prennent un véritable développement que lorsque la vie matérielle est assurée, et que le peuple par son travail a donné à sa richesse un caractère de stabilité. Or, quand nous voyons, par exemple, la seule ville de Hambourg faire annuellement pour (erratum, page 276) plus d'un milliard d'exportations ; quand nous voyons le mouvement commercial de la seule ville de Londres atteindre une importance de plus de deux milliards ; l'industrie de Paris un milliard et demi, je me demande si les encouragements précites que l'on veut donner au commerce ne deviennent pas une nécessité.
Je sais que l’Angleterre dispose de capitaux immenses, mais il faut reconnaître aussi que de même qu'en Allemagne et en Suisse, on y développe l'esprit commercial par tous les moyens possibles ; les Allemands, les Suisses et les Anglais vont établir des maisons de commerce à l'étranger, et par là rendent des services signalés à l'industrie de leurs pays respectifs.
Or, nous n’avons nulle part de maisons de commerce ; eh bien, il s'agit de combler cette lacune regrettable ; il faut encourager les jeunes Belges instruits et capables à voyager dans un but commercial, à rechercher les moyens d'ouvrir de nouveaux débouches aux produits de notre industrie.
J'applaudis donc vivement aux bourses que le gouvernement propose d'instituer à cette fin ; je voudrais même que le nombre de ces bourses fût plus considérable ; le développement de nos relations commerciales ne pourrait qu'y gagner.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, je viens confirmer les paroles qu'a prononcées tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères. Voici ce qui s'est passé dans le sein de la section centrale : Un honorable député de Liège, membre de cette section centrale, qui défend toujours avec le plus grand zèle les intérêts du commerce liégeois, avait demandé, sur des réclamations faites par la chambre de commerce de Liège, qu'un deuxième drogman, à attacher spécialement au service de notre consul général, fût nommé à Constantinople. Nous avons réclamé des renseignements auprès du département des affaires étrangères, et les informations que la section centrale a reçues l'ont engagée à proposer à la Chambre de concert avec M. le ministre une augmentation de 7,000 fr. à l'article 20, pour porter le traitement du drogman actuel de 3,000 fr. à 5,000 fr. et pour payer le traitement d'un deuxième drogman (5,000 fr.)
(page 268) Les intérêts que nous avons en Turquie sont beaucoup plus nombreux et plus importants que ne peuvent l'être ceux de Turquie en Belgique. Il n'y a même aucune comparaison à faire, nous avons des relations très importantes avec l’empire ottoman. Nous avons donc trouvé que la demande était pleinement justifiée. La section centrale est toujours très heureuse de pouvoir soumettre à la Chambre des propositions en faveur du commerce et de la navigation du pays, et elle pense qu'il faut avant tout soigner à ce que les affaires de nos concitoyens en Turquie ne souffrent pas de retard.
M. Coomans. - Je viderai d'abord l'incident personnel.
Quand l'honorable ministre des affaires étrangères a déclaré que l'augmentation proposée pour la légation de la Sublime Porte venait de l’initiative de la section centrale, j'ai dit : « Oui, l'honorable M. Van Iseghem y siégeait. » L'honorable député d'Ostende vient de dire que l'initiative de cette proposition était venue, non pas de lui, mais d'un honorable député de Liège, soit ; mais j’étais bien convaincu que M Van Iseghem étant membre de la section centrale, ne pouvait pas être complètement étranger à une demande de ce genre. Mon intention a donc été mal saisie par M. le ministre, dont je n'ai pas songé à révoquer en doute la parfaite sincérité.
Puisque M. le ministre des affaires étrangères a insisté particulièrement sur la question de la diplomatie, j'en parlerai d'abord.
Je doute que M. le ministre des affaires étrangères soit aussi mécontent de mes paroles qu'il en a l'air, puisque je lui ai fourni, sans le savoir, sans le vouloir, à coup sûr, l'occasion de répéter la brillante apologie de rigueur que nous entendons a peu près chaque année, de la bouche de tous les ministres des affaires étrangères.
Du reste, ai-je donc si gravement manque à la diplomatie ? Qu'ai-je dit ? Quelle était très forte, trop forte, surtout par te nombre. Mais ai-je révoqué en doute son honorabilité ?
Pas le moins du monde ; et puisqu'on m'y force, je dirai que je fais preuve d'un très grand désintéressement personnel, en demandant la suppression de notre légation à Constantinople, car l'honorable M. Solvyns, qui en est le chef...
- Des membres. - Il n'y est plus.
M. Coomans. - Il n’y est plus, me dit-on. J'en suis fâché pour nos résidents à Constantinople. Quoiqu'il en soit, je continue ma phrase ; car l'honorable M,. Solvyns est un de mes amis les plus instruits et les plus intelligents, ce qui n'est pas peu dire... (Interruption.) Ici je place mes devoirs, mes convictions et ce budget au-dessus de mes amis.
De même, on a cité l’honorable M. Nothomb pour me combattre. Eh/ bien, je ferai le même éloge de l'honorable M. Nothomb. Si M. le ministre des affaires étrangères désire que je loue encore d'autres diplomates, bien qu'ils n'aient pas besoin de mes attestations et que je sois peu propre à ce rôle, je suis prêt. Est-ce que je ne pousse pas loin la bienveillance ?
Messieurs, je me suis borné à dire qu'un petit pays comme le nôtre ne doit pas avoir une diplomatie aussi nombreuse, et que nous n'avons à chercher nos exemples à cet égard ni en Russie, ni en Angleterre, pays qui ont peut-être d'excellentes raisons pour être forts sur le Bosphore ; que nous avons à nous comparer à des Etats de notre taille ; qu'il n'y a pas beaucoup de petits Etats qui dépensent autant d'argent que nous pour la diplomatie. Notre diplomatie et notre armée dépassent nos ressources, c'est mon opinion ; qu'on la combatte, je le veux bien, mais qu'on ne m'en fasse pas un crime.
Si nous avons demandé que notre diplomatie politique ne fût pas si nombreuse et si coûteuse, nous avons été unanimes, ou à peu près, pour reconnaître qu'il fallait renforcer le corps consulaire belge, et nous avons voté, à diverses reprises, et j'étais du nombre, des augmentations dans ce but.
Ainsi, si je suis un peu sévère à l'égard de la diplomatie politique, dont, à tort ou à raison, je conteste les immenses services qu'on vante, je suis à coup sûr bien généreux à l'égard de notre diplomatie consulaire, puisque je suis prêt à voter en sa faveur des sommes nouvelles, mais à condition que l'on ne surcharge pas le budget. Je voudrais accorder à notre diplomatie commerciale une bonne part des allocations dont jouit notre diplomatie politique.
Quant aux titres de noblesse et aux décorations dont cette diplomatie est si riche, et dont M. le ministre des affaires étrangères a même parlé, comme pour insinuer que j'en serais jaloux, je dirai que ce sentiment d'envie, très déplacé, n'est jamais entré en moi, et que le plus beau jour de ma vie sera celui où je verrai tous les Belges, tous décorés et anoblis ; et certainement je verrai ce jour-là, du train dont on y va.
Pour en revenir à la mission de Constantinople, il y a d’abord une question de dignité nationale à ne pas maintenir des diplomates auprès d'un gouvernement étranger qui refuse d'accréditer les siens auprès de nous.
Mais comme je ne me sens guère piqué de ce côté-là et qu'il ne faut pas suivre les règles d'une logique scrupuleuse ni envers les Turcs ni envers l’étiquette, je considère surtout la question d’économie, et j'aurais voulu que nous eussions saisi cette occasion pour faire une bonne économie. Vous dites que notre commerce va toujours en croissant chez les Turcs, j'en suis charmé ; eh bien, messieurs, fortifiez -y votre représentation commerciale ; j'y applaudirai. Quant aux agents politiques, je ne sais véritablement quels si grands services ils peuvent rendre à la Belgique, lorsqu'il y a à côté d'eux des consuls capables et zélés pour tant d'autres agents diplomatiques de puissances qui ont à leur service de grandes armées et beaucoup d'argent.
Messieurs, si l'honorable ministre a été long et péremptoire, du moins à son point de vue, au sujet de la diplomatie, il a passé assez légèrement sur la question des passeports ; je veux dire qu'il ne m'a pas donné toute la satisfaction que j'attendais de lui.
Le gouvernement est disposé, on nous le répète, à faire quelque chose à cet égard, mais il doit d'abord étudier et négocier.
Eh bien, messieurs, franchement je crois que les études et les négociations à ce sujet sont très inutiles.
Commencez par supprimer chez vous les passeports, et ce sera la meilleure de toutes les négociations pour atteindre le but que nous avons tous en vue.
N'est-il pas clair que, puisque le gouvernement français parle de la réciprocité à l'égard des Anglais pour supprimer l'exhibition des passeports des Anglais en France, il ne pourrait nous refuser à nous le même avantage.
Déclarons demain que les Français entrant en Belgique n'auront plus de passeport à exhiber et j’espère qu’après-demain vous lirez dans le Moniteur universel à notre adresse une note semblable à celle qui m'a réjoui.
Ne résulterait-il pas de cette mesure un grand avantage gour la Belgique ? N'avons-nous pas des relations nombreuses et journalières avec la France ?
N'engagerait-elle pas beaucoup de Français, surtout ceux de la frontière, à venir plus fréquemment en Belgique quand ils seront affranchis de cette formalité ridicule ?
Ne faciliterait-elle pas également les relations des Belges avec la France quand ils n'auront plus de passeport à montrer en France ?
En fait de progrès, messieurs, les paroles ne signifient rien, il faut marcher, marchons. Supprimons ce que nous considérons comme inutile, comme absurde même, et espérons que les gouvernements étrangers auront assez d'intelligence et de loyauté pour nous suivre.
Je suis obligé de revenir sur le traitement qui est fait en Allemagne aux étrangers, puisqu'on s'obstine à me donner, à cet égard, une sorte de démenti.
J'ai déclaré l'autre jour à la Chambre que, pendant deux mois de séjour dans plusieurs villes de l'Allemagne, on ne m'avait pas demandé de passeport. Pas un seul agent officiel, pas un seul agent de police pas un seul aubergiste ne m'a demandé quelque papier que ce soit.
Je déclare qu'un agent officiel prussien m'a dit en personne à la frontière qu'il ne fallait plus de passeport pour entrer en Prusse. J'ai trouvé la même tolérance établie dans les autres Etats du Zollverein.
Sur ce on exhibe des pièces diplomatiques ; je les respecte beaucoup, mais M. le ministre ne trouvera pas mauvais que je croie plutôt ce que j'ai vu de mes yeux que ce qu'il me montre.
M. David. - Je demande la parole.
M. Coomans. - En fait, le passeport est aboli en Allemagne. Qu'il ne le soit pas en principe, peu importe, cela aura lieu plus tard.
Je m'occupe du fait, et je dis que si le gouvernement déclarait aujourd'hui que l'exhibition du passeport ne sera plus exigée en Belgique et que les étrangers pourront se promener librement chez nous aussi longtemps qu'ils se montreront inoffensifs, ce bon exemple serait bientôt imité. (Interruption). Je dis qu'évidemment la réciprocité nous serait bientôt accordée.
Du reste, vous partez tant de réciprocité ; mais mettez-vous donc d'accord avec vous-mêmes.
Les Belges entrant en Angleterre n'ont pas de passeport à montrer. Pourquoi en demandez-vous aux Anglais entrant en Belgique ?
Si vous tenez tant à votre principe de réciprocité, appliquez-le, ne demandez plus de passeport aux Anglais.
( page 269) Je demande pour la seconde fois aujourd'hui avec une certaine humiliation, que le gouvernement belge ordonne à ses agents consulaires à l'étranger de viser gratuitement les passeports, surtout les passeports belges.
- Un membre. - Pas les passeports étrangers.
M. Coomans. - Si. Notre intérêt est d'attirer en Belgique le plus d'étrangers possible, pour diverses raisons, dont la première est que nos chemins de fer, nos hôteliers, etc., profitent de leur arrivée parmi nous.
L'honorable ministre, si j'ai bien entendu m'a répondu, je crois que ce droit de visa n'était pas perçu au profit des consuls, qu'il l'était au profit du trésor belge et qu'il figurait au budget des voies et moyens, sous la rubrique de « revenus consulaires. »
J'ai cherché l'article et je ne l'ai pas trouvé.
Je continue donc à croire, jusqu'à preuve, du contraire, que ce sont les consuls qui empochent cette rétribution, et je ne serais pas étonné qu'il en fût ainsi malgré les doutes exprimés par M. le ministre des affaires étrangères, qui n'est peut-être pas plus fort que moi en matière de finances ; les finances, du reste, ne sont pas son affaire ni la mienne.
Messieurs, laissez-moi m'asseoir avec l'espérance que la cause des passeports facultatifs est gagnée et que bientôt nous verrons dans le Moniteur belge quelque chose de semblable à ce qui figurait l'autre jour dans le Moniteur universel.
Je tiens à ce que notre Moniteur soit, en fait de libéralisme, au moins à la hauteur de l'autre. Me trouverez-vous encore trop exigeant ?
M. Goblet. - Messieurs, L'honorable ministre des affaires étrangères a répondu en fort peu de mots aux paroles que j'avais prononcées. Il a cru que je m'étais plaint de la tardivité du projet de loi qui a été transmis l'année dernière aux délibérations des sections et qui n'a jamais eu l'honneur d'arriver en section centrale.
J'ai indiqué la présentation de ce projet de loi sur le crédit de 1,500,000 francs de toute la marine comme un incident ; M. le ministre des affaires étrangères tout le premier sait très bien que ce n'est pas là la solution de la question de la marine militaire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Attendez-la.
M. Goblet. - Attendez-la, dit M. le ministre, et en attendant on vous fera voter dos choses tout à fait inutiles, qui ne cadreront nullement avec le projet de loi définitif de la marine dont la présentation même reste éventuelle.
Si je consulte les opinions de trois membres qui siègent an banc ministériel, je dois croire que le gouvernement ne sait pas trop ce qu'il veut en fait de marine militaire, et ce n'est certes pas à la Chambre de lui indiquer ce qu’il doit faire.
J'ai d'abord l'opinion de M. le ministre actuel sur la question, répondant à une interpellation de M. le comte de Robiano au Sénat.
Pour M. le ministre des affaires étrangères, la question de la marine dépend entièrement de la défense du pays et du lieu qui servira de point central à cette défense.
Voici les paroles de l'honorable baron de Vrière :
« Messieurs, je désire que le Sénat sache que ce n'est pas par oubli de mes devoirs que le gouvernement n'a pas pris de résolution à l'égard de marine. Depuis trois ans, la marine était réduite à des proportions telles, qu'elle n'était plus en état de rendre les services qu'on pouvait en attendre...
« Des travaux des commissions, il résulte en principe qu'une marine militaire était jugée nécessaire. Lorsque je suis arrivé au ministère, vous savez, messieurs, que la grande question de la défense du pays était à l'examen. Le projet de loi présenté n'a pas eu l’approbation de la Chambre et la question de la défense du pays est ainsi restée dans une de ses parties non résolue jusqu'à présent. Vous comprendrez, messieurs, que la question de la mariée militaire se rattache naturellement à celle de la défense du pays, «t que les éléments dont devra se composer cette marine, quelles que soient ses proportions, devront nécessairement être différentes selon que la place d'Anvers sera ou non désignée pour devenir le centre de nos opérations militaires. »
En attendant cette solution, ne pourrait-on pas toujours faire 600,000 francs d'économie en supprimant ce qui existe, ce qui est déclaré inutile depuis cinq ans ?
Ainsi donc la question de la marine militaire pour M le ministre des affaires étrangères dépend complètement de la question de la défense nationale.
L'honorable M. Chazal, en réponse à des interpellations de la section centrale nous dit ; « La question de la marine militaire est tout à fait indépendante de la question des fortifications d'Anvers. » Ainsi donc, d'après cet honorable ministre, en 1859 on pouvait résoudre cette question puisqu'elle ne dépendait pas de la question des fortifications d'Anvers, tandis que, d’après M. le ministre des affaires étrangères, elle en est la conséquence nécessaire ; de son côté M. le ministre de l'intérieur, dans une discussion sur une pétition d'habitants des environs du fort Sainte-Marie, a dit : La défense des rives de l'Escaut est également indépendante de celle d'Anvers ; mais pour défendre les rives de l'Escaut il faut une flottille de canonnières qui viennent en aide aux batteries des forts.
Il est impossible, vous le voyez, de savoir ce que veut le gouvernement. Croit-il que la question de la marine militaire se borne à la construction de deux bâtiments pour remplacer le Duc de Brabant et la Louise-Marie ; croit-il que cette question se complique de la création d'une marine militaire fluviale ? C'est ce que nous ne savons pas. Si I e gouvernement croit que la question doit se compliquer d’une marine fluviale, qu'il le déclare à la Chambre. Si on croit devoir saisir la Chambre d'une partie du projet, pourquoi ne pas le dire ? Si au contraire la création d'une marine militaire doit former un tout complet, qu'on vienne le soutenir. Le gouvernement doit avoir une idée arrêtée en cette matière.
La défense du pays est arrêtée ; si on ne veut pas une marine complète, qu'on s'explique, qu'on nous dise si on abandonne la partie du projet relative à la marine militaire fluviale ou la partie relative à la marine militaire destinée aux expéditions lointaines, ce qui ne me paraît pas probable. Dans tout état de choses il est parfaitement inutile de demander la continuation de ce qui existe. Les paroles mêmes du ministre constatent que depuis cinq ans on pouvait supprimer le brick le Duc de Brabant et la corvette la Louise Marie.
La marine militaire n'a plus d'organisation actuellement en Belgique ; les officiers sont restés en quelque sorte en disponibilité ; le cadre des marins n'existe plus et la maistrance n'est plus qu'un nom.
Rien n'empêche donc le ministre de la marine de nous présenter 200,000 francs d'économie au lieu de 25,000.
Je dis que la question de la marine doit être décidée d'une manière rationnelle ; il n'est pas convenable qu'on vienne successivement demander des crédits sans qu'on sache où l'on veut arriver, sans qu'on connaisse le projet d'ensemble que le gouvernement veut réaliser. Il en serait de la marine militaire comme il en a été pour le navire le Duc de Brabant ; on a demandé d'abord 45 mille fr. et en définitive il a coûté 450,000 fr.
On demande aujourd'hui 1,500 mille francs, ils serviront à faire deux navires, et ensuite on vous demandera les fonds pour faire 5 avisos et 15 canonnières ; on dira : Vous avez voté les premiers fonds, vous ne pouvez pas vous dispenser de voter le complément. Aujourd'hui on prétend que ce n'est que pour remplacer les deux bâtiments qui pourrissent dans le port et dont nous rougissons.
Les services rendus par ces navires quels sont-ils ? Depuis cinq ou six ans, ils demeurent immobiles dans l'Escaut ; est-il nécessaire de faire une dépense de 1,500,000 francs pour les remplacer ? Si cette dépense est démontrée inévitable, ce ne peut être évidemment que comme partie intégrante d'une marine militaire complète.
Et si cette dépense est partie intégrante d'un projet de marine militaire, nous ne devons la voter qu'après une discussion approfondie d’un tout parfaitement raisonné et après que le gouvernement nous aura expliqué complètement son projet général et ses intentions futures.
M. David. - J'ai demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Coomans qui vous a dit qu'il avait voyagé en Allemagne et qu'on ne lui avait jamais demandé d'exhiber son passeport. Je ne sais si l'honorable-membre a meillure mine que moi, mais je dois dire que dans plusieurs voyages que j'ai faits, je n'ai pas été si bien traité que lui. Je parle d'après une expérience récente ; voici ce qui se passe.
Quand vous ne faites que traverser et que vous ne vous arrêtez pas huit jours dans un endroit, on ne vous demande rien ; mais si, fût-ce même à la campagne, vous séjournez huit jours, l'aubergiste vous demande votre passeport qu'il dépose, et contre lequel on vous remets une carte de séjour ; vous êtes obligé d'indiquer le temps pendant lequel vous voulez séjourner dans la localité ; après l'expiration du terme, vous devez renvoyer votre carte à la police pour en avoir une autre ; cela coûte de 15 à 20 silbergros dans certains endroits, et 15 à 20 kreutzer dans d'autres.
Il y a quelque temps, j'ai mis mon neveu en apprentissage commercial à Cologne ; au bout de huit jours, on lui a demandé son passeport, (page 270) il n'avait qu'une déclaration du bourgmestre ; il a dû demander un passeport pour pouvoir séjourner à Cologne. Voilà ce qui confirme les renseignements données au commencement de la séance par le ministre des affaires étrangères.
A propos des cartes de séjour, on vous demande le but de votre voyage, ce que vous venez faire dans le pays, on fait des investigations sur les projets que vous pouvez avoir en vous rendant dans telle ou telle localité.
(page 275) M. Loos. - Messieurs, il m'a toujours paru que, dans cette enceinte et même au dehors, on rencontrait peu de partisans de la création d'une marine de l'Etat ; il faut donc quelque courage et une conviction profonde pour plaider la cause contraire à cette opinion. Pour ma part, je déclare que je suis partisan d'une marine de l'Etat. Mais que cela n'effraye personne ; je ne demande pas la création d'une flotte, mais d'une marine proportionnée au pays et à ses ressources.
Ce n'est pas la première fois que, dans ces proportions, je prône la création ou le maintien d'une marine. Bien composée, employée d'une manière intelligente, la marine rendrait des services éminents au pays. Qu'on ne perde pas de vue qu'un pays comme le nôtre, qui possède des côtes fort étendues et une marine marchande qui n'est pas sans importance, mais qui sans doute pourrait en avoir davantage ; qui possède un grand nombre de consuls à l'étranger dont on fait l'éloge, qu'on propose de multiplier en augmentant le nombre de ceux qui sont rétribués, où l'on vante les services que pourraient rendre au pays les Belges émigrant pour s'établir à l'étranger, une marine militaire est indispensable. Tant que vous n'en aurez pas, vous aurez beau établir des consuls, leur faire exécuter des voyages, vous ne parviendrez pas à former des comptoirs dans certaines contrées, si à des époques déterminées le pavillon belge ne s'y montre pas.
A la côte d'Afrique on avait commencé à établir des relations qui déjà offraient un débouché assez important aux produits de nos manufactures.
Au bout de quelque temps, la marine, dans le triste état où elle se trouve, n'a pu s'y rendre. Qu'est-il avenu de vos établissements sur cette côte ? Ils n'existent plus. Vos relations y ont diminué à tel point qu'elles sont pour ainsi dire nulles aujourd'hui.
Il n'y a pas longtemps il s'est présenté une circonstance où bien certainement vous avez pu reconnaître tous de quelle utilité aurait pu être pour le pays une manne de l't at. Diverses nations de l'Europe ont envoyé des missions en Chine, et surtout au Japon, pour faire des traités de commerce sans lesquels on n'est pas admis dans ce dernier pays. Quelques nations ont pensé que cela n'était pas rigoureusement nécessaire ; elles y ont dirigé des cargaisons ; ces cargaisons n'ont pas été admises.
Il faut donc un traité avec le Japon pour avoir des relations avec ce pays. Comme nous ne pouvions convenablement, comme nous ne pouvions décemment, dirai-je, mettre notre envoyé à bord d'un navire sous pavillon étranger, nous avons dû nous passer de traité, et à l'heure qu'il est un navire belge n'est pas encore admis au Japon, pays où bien certainement nous trouverions un débouché important, où d'autres nations ont établi des relations très fructueuses.
J'ai, quant à moi, profondément regretté de voir le pays se trouver dans cette position de ne pas pouvoir, faute de ressources en fait de marine, nouer des relations avec un pays où tout le monde reconnaît qu’il est important d'avoir des relations.
J’ai donc entendu avec satisfaction l’honorable ministre des affaires étrangères nous déclarer qu'il ne demandait pas mieux que de voir la question d'une marine militaire traitée par la Chambre, qu'il espérait qu'elle pourrait être examinée dans la session actuelle ; j'en accepte l'augure.
Je ne veux pas, messieurs, n'ayant pas les connaissances suffisantes à cet égard, m'immiscer dans la question de ce qui convient pour la défense du pays. Mais je sais que, dans l’intérêt de notre industrie et de notre commerce, il est important que le pays possède une marine peu étendue, mais plus importance que celle qui existe aujourd’hui. J’appelle de tous mes vœux le moment où la Chambre discutera cette importante question, et j’espère qu’alors les besoins quant à la défense du pays étant exposés, les besoins au point de vue du commerce et de l’industrie seront aussi soumis à la Chambre et soutenus par le cabinet.
Messieurs, puisque j'ai' la parole, j'ajouterai quelques mots sur un point qui a d'ailleurs quelque analogie avec celui que je viens de traiter.
Je vois avec plaisir multiplier le nombre de nos consuls dans les pays étrangers. Seulement je me demande quelle différence il existe, à l'heure qu'il est, entre les consuls rétribués et les agents diplomatiques. Je me demande si les uns ont reçu une éducation plus spéciale que les autres, pour être ainsi utiles au commerce.
Je sais, messieurs, que nos agents diplomatiques doivent faire preuve de certaines connaissances, qu'ils passent un examen, et que ce n'est qu'après avoir été employés d'abord, en qualité d'attachés, ensuite en qualité de secrétaires, que finalement ils occupent un poste diplomatique. Cela me donne, quant à moi, des garanties suffisantes de leurs capacités.
Mais pour, les consuls il n'en est pas de même, et je demande quelles spécialités on a choisies comme consuls rétribués dans les divers pays.
Messieurs, quand il s'est agi de fonder l'institut supérieur du commerce à Anvers, j'avais soumis à cet égard au cabinet d'alors quelques considérations que je vois avec plaisir fructifier à l'heure qu'il est. J'avais proposé au gouvernement d'accorder des bourses de voyage aux jeunes gens qui, par un examen, auraient fait preuve des connaissances nécessaires, c'est-à-dire qui auraient obtenu un diplôme de grande distinction témoignant des études les plus fructueuses. Mus à ces bourses de voyage j'attachais une organisation. Je demandais que ces jeunes gens diplômés avec la plus grande distinction reçussent le titre d'élèves consuls ; qu'ils pussent choisir le pays où il leur conviendrait de résider, mais que pour ce qui concernait l'emploi de leur temps et leur conduite, ils fussent sous la surveillance des consuls ou des missions belges existant dans ces pays, pour que le pays fût convaincu que les bourses qu'il accordait étaient de l'argent bien employé. Car il peut se trouver que des jeunes gens, ayant témoigné de beaucoup d'intelligence dans leurs études, aillent à l'étranger, y prennent les goûts du pays, ne travaillent plus, emploient mal leur temps. Je voulais que, dans ce cas, le gouvernement pût retirer la bourse.
J'aurais voulu ensuite que ces élèves consuls pussent, tout en étant employés dans des maisons de commerce, s'initier au travail du consulat, afin que plus tard le gouvernement trouvât dans ces jeunes gens des garanties de connaissances pratiques et commerciales pour pouvoir les employer, s'ils ne s'établissaient pas pour leur compte comme négociants, comme consuls servant les intérêts du commerce et de l'industrie.
Aujourd'hui que la question des bourses est traitée dans le budget des affaires étrangères, c'est-à-dire qu'on met en pratique ce que j'avais conseillé d'abord, je voudrais que ces postes ne fussent donnés qu'à bon escient, c'est-à-dire à ceux qui auront fait preuve, au point de vue commercial de connaissances pratiques. Il est possible que tous ceux qui occupent le poste de consul présentent des garanties suffisantes pour les fonctions qu'ils remplissent. Mais a-t-on à cet égard des garanties suffisantes ?
Ils ne passent pas d'examen, et j'en connais peu qui aient été en position de bien apprécier les besoins de l'industrie et du commerce.
Je parle ici des consuls rétribués. La plupart des autres sont des négociants qui traitent leurs affaires et sont initiés à toutes les questions commerciales.
Je vois dans le projet qui nous est soumis qu'on exigera, pour la collation des bourses, un examen de capacité, qu'un jury sera institué et qu'aussi bien les élèves de l'institut que les élèves de n'importe quel établissement pourront se présenter à l'examen. Je suis parfaitement d'accord sur ce point avec le gouvernement. Seulement je voudrais qu'il n'y eût qu'un seul et même jury pour tous, c'est-à-dire qu'il n'y (page 276) eût pas un jury pour examiner les élèves de l'institut supérieur du commerce et un autre jury pour examiner les élèves libres ou sortant d'établissements libres. Je voudrais qu'il n'y eût qu'un seul jury devant lequel les uns et les autres eussent à faire preuve des connaissances exigées. Si l'on agit autrement, il en résultera que vous aurez d'un côté la garantie d'études fortes et d'aptitudes réelles, et que d'un autre côté l'on ne constatera que certaines connaissances qui ne forment pas, selon moi, tout ce que nous devons exiger de nos agents commerciaux à l'étranger. J'espère que, dans l'application du principe qui est déposé dans le budget, on aura égard aux considérations que je viens de faire valoir.
(page 270) M. de Montpellier. - Messieurs, j'ai lu dans le remarquable discours que S. A. R. monseigneur le Duc de Brabant a prononcé hier au Sénat, (L'orateur donne lecture de ce passage.)
Tout en partageant les regrets de l'auguste sénateur, je ne puis partager ses espérances, au moins si mes renseignements sont exacts.
D'après ces renseignements, voici ce qui eè serait passé. Notre ministre près les cours de Danemark et de Suède, frappé de cette observation judicieuse que nos produits s'ils pouvaient être connus sur les marchés du Nord, y obtiendraient de grands développements et de grands succès, avait entamé des négociations avec les gouvernements auprès desquels il est accrédité, pour obtenir des locaux afin d'y faire une exposition, ces locaux furent mis à sa disposition et il fit des démarches auprès du département des affaires étrangères qui répondit qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à cette affaire.
On donna probablement pour raison qu'il n'y avait pas de fonds alloués au budget pour une semblable entreprise.
Il en résulta que les Anglais s'emparèrent, des locaux qui nous étaient destinés, et quand nous arriverons l'année prochaine il sera trop tard.
Il me semble que le ministère des affaires étrangères, sans demander des fonds à la Chambre, aurait pu fort bien indiquer aux industriels belges qu'il y avait là des locaux à leur disposition, et ceux-ci en auraient profité, il n'y a pas de doute.
Je prie M le ministre de vouloir bien me dire ce qu'il y a d'exact dans les renseignements que je viens de communiquer à la Chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, à la suite de l'assurance que j'avais donnée àa la Chambre que je désirais vivement voir discuter le projet de loi relatif à la marine, j'espérais que l'honorable M. Goblet aurait bien voulu attendre la discussion de ce projet pour examiner les diverses questions qui peuvent s'y rattacher. L'honorable membre a cru devoir entrer, dès à présent, dans le débat.
Il nous a dit que ce projet n'est pas une solution, qu'il y a lieu d'examiner s'il faut ou s'il ne faut pas une marine complète. Il a prononcé à ce sujet beaucoup d'observations dont je reconnais le mérite ; mais je me permettrai de lui dire que la solution aux yeux du gouvernement est dans le projet de loi que j'ai déposé, et en cela le gouvernement reste conséquent avec lui-méme.
L'honorable M. Goblet semble croire qu'il y a contradiction entre les paroles prononcées par M. le ministre de la guerre lors de la présentation du projet de loi sur les fortifications d'Anvers et les déclarations que j'ai faites au Sénat. Messieurs, cette contradiction n'existe pas : l'honorable ministre de la guerre a dit à la section centrale, si je ne me trompe, qu'une marine militaire existant ou n'existant pas, les fortifications d'Anvers n'en étaient pas moins nécessaires ; mais j'ai dit, moi, que la décision à prendre quant au nombre et à l'espèce des navires à construire dépendait du lieu où serait placé le point central de la défense du pays. Qu'y a-t-il, messieurs, de contradictoire en cela ?
Les fortifications d'Anvers étaient combinées de manière à assurer la défense de cette place, indépendamment du secours que pouvait lui apporter une force maritime. La question de la marine était donc jusqu'à un certain point étrangère au débat lorsqu'il s'agissait de discuter le plan des fortifications d'Anvers ; mais alors qu'il s'agissait de modifier dans une mesure quelconque l'état de notre marine, même sans augmenter son importance, il était indispensable pour le gouvernement de savoir si c'était Anvers ou si ce n'était pas Anvers, si c'était un port ou si ce n'était pas un port qui deviendrait le point centrale de la défense du pays.
Je disais, messieurs, que le gouvernement avait été conséquent avec lui-même ; en effet, il a déclaré, dans la discussion qui vient d'être rappelée, que dans sa pensée il ne fallait pas à la Belgique une marine militaire proprement dite, une marine de combat ; qu'il suffisait, selon lui, d'utiliser et de compléter les éléments dont il disposait.
Eh bien, messieurs, le projet de loi qui nous est soumis n'a pas d'autre portée.
Si l'honorable membre pense que les intérêts du pays réclament une marine établie sur des bases plus larges, une véritable marine de guerre, une marine de combat, cette question pourra être examinée à l'occasion de la discussion que soulèvera le projet de loi.
Quant à présent, je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'en occuper.
J'ajouterai, comme point de détail, que l'honorable M. Goblet s'est trompé, lorsqu'il a pensé que l'intention du gouvernement était de feindre des économies pour solliciter en quelque sorte la patience de la Chambre. L'économie de 23,000 fr. qui figure au budget, ne porte pas sur la marine militaire ; ce crédit a été porté au budget de 1860 pour réparations à faire au bateau de passage de la Tête de Flandre ; il n'a pas été nécessaire de le reproduire pour 1861. Voilà, messieurs, le motif de ce changement de chiffre que l'honorable membre a signalé.-
Messieurs, si le gouvernement avait cru possible de le faire, il n'eût pas manqué depuis plusieurs années de proposer des économies sérieuses au budget de la marine.
II ne s'est pas dissimulé qu'il était pénible de devoir maintenir une dépense en quelque sorte stérile, relativement aux services que l'institution pouvait rendre.
Mais il en est de la marine comme des forces de terre : il est indispensable d'y maintenir les cadres. On n'improvise pas une marine en un an ou en deux ans ; il y a des éléments précieux à conserver.
Voilà pourquoi le gouvernement a maintenu, jusqu'à un certain point cependant, les charges de la marine, telles qu'elles existaient depuis plusieurs années.
Messieurs, je dois un mot de réponse à l'honorable M. Coomans qui a persisté à croire que la dignité du pays était engagée dans la question du maintien de notre légation à Constantinople.
Je persiste, de mon côté, à croire qu'il faut établir la distinction que j'ai posée tout à l'heure, c’est-à-dire que chaque gouvernement doit considérer ses intérêts, les intérêts de son commerce et ceux de sa politique, lorsqu'il n'y a pas de raisons politiques qui aient déterminé un autre gouvernement à rappeler sa légation.
Les faits qui se passent chez nous confirment que c'est là le sentiment de toutes les cours.
Ainsi, à l'heure qu'il est, nous n'avons pas de légation ottomane à Bruxelles, tandis que nous avons une légation belge à Constantinople ; en revanche nous avons à Bruxelles une légation de Naples, tandis que nous ne sommes pas représentés d'une manière permanente près du roi de Naples. Nous avons à Bruxelles un ministre plénipotentiaire du Chili ; nous n'avons pas d'agent diplomatique au Chili. Nous avons un ministre de Bavière ; nous ne sommes pas représentés en Bavière d'une manière permanente ; c'est notre ministre à Francfort qui est accrédité à Munich, comme notre ministre à Rome l'est à Naples. Nous avons un ministre plénipotentiaire du Mexique, et nous n'avons pas d'agent politique au Mexique. Enfin, nous avons un agent politique de Suède, et nous ne sommes représentés en Suède que par notre ministre de résidence à Copenhague.
Messieurs, l'honorable M. Coomans m'a reproché d'avoir passé légèrement sur la question des passeports.
Je croyais, au contraire m'être étendu longuement sur cet objet ; je croyais que l'honorable membre pouvait se rasseoir, comme il l'a dit, dans la plus parfaite confiance que les passeports seraient, supprimés, attendu que j'avais déclaré formellement que c'était là l'intention du gouvernement.
Je me borne donc à lui répéter cette assurance, et à le rassurer complètement aussi quant à ce qu'il a appelé les négociations que je poursuis à cet égard. Je le dis encore une fois, j'ai écrit à nos agents diplomatiques pour avoir des informations et pour appeler l'attention des gouvernements étrangers sur l'utilité réciproque qu'il y aurait à supprimer toutes ces formalités.
Voilà le but de mes démarches, et je ne pense, pas qu'on puisse, me les reprocher ; je ne pense pas non plus que la chose soit tellement urgente qu'on ne puiss, pas retarder, même de quelques jours, la mesure qu'il s'agit de prendre lorsque ce retard a pour objet de mieux servir l'intérêt qui est en cause.
Messieurs, avant de terminer, je dois rectifier en toute humilité une assertion que j'ai émise tout à l'heure, en réponse à l'honorable. M. Coomans, quant aux frais du visa donné par les agents consulaires. L'honorable M. Coomans avait raison, et c'est moi qui me trompais. Effectivement les agents consulaires perçoivent les frais du visa à leur profit, contrairement à ce qui se pratique pour les agents diplomatiques ; (page 271) mais je dois ajouter que les agents consulaires doivent faire les frais de l'impression des pass-ports, et de plus que les passeports belges ne sont pas assujettis au visa.
Du reste, cette question n'a plus d'intérêt, puisque le visa sera supprimé en même temps que le passeport.
L'honorable M. Loos s'est occupé, messieurs, des bourses de voyage, et il a bien voulu donner son assentiment le plus complet à cette innovation. Seulement il a appelé l'attention du gouvernement sur l'utilité qu'il y aurait de conférer aux élèves qui sortiraient de l'institut supérieur d'Anvers, avec un diplôme de premier rang, le titre d'élève consul, afin de les associer peu à peu aux travaux de nos consuls, et de s'assurer de cette manière que leur expatriation sera profitable au pays.
Messieurs, le gouvernement est déjà entré pratiquement dans cette voie. Partout où il l'a pu, il a nommé consuls ou agents consulaires des jeunes Belges capables, fixés à l'étranger ; partout nous avons cherché à associer à notre politique commerciale des maisons belges établies à l'étranger ; nous continuerons à marcher dans cette voie.
Quant aux autres points sur lesquels l'honorable membre a fait des observations, je lui ferai observer que l'allocation des bourses de voyage sera subordonnée à des conditions qui seront déterminées dans un règlement d'administration, règlement qui sera arrêté de concert avec le département de l'intérieur, et après avoir entendu les chambres de commerce.
L'honorable M. de Montpellier m'a fait aussi une objection qu'il a puisée dans le discours prononcé hier au Sénat par monseigneur le duc de Brabant.
Je regrette que l'honorable membre n'ait pas lu la réponse que j'ai faite à S. A. R. ; il y aurait vu que monseigneur le Duc de Brabant n'avait pas été parfaitement renseigné.
En effet, notre ministre à Copenhague, messieurs, sans doute par un zèle très louable, avait demandé au gouvernement danois et en même temps au gouvernement suédois et à la ville de Hambourg de pouvoir disposer de locaux afin de faire une exposition de produits belges. Il ne s'agissait pas, comme semble le croire l'honorable M. de Montpellier, de faire une exposition où chaque industriel aurait pu isolément envoyer ses produits ; il s'agissait d'une exposition générale des produits belges.
Or, les démarches qu'il a fallu pour cela ont été assez longues, et il en est résulté que cette exposition, qui devait avoir lieu, je pense, au mois de juin ou d'août, ne nous a été annoncée que trois mois auparavant.
Or, il était impossible de songer à réaliser une chose aussi difficile qu'une exposition générale dans un délai aussi rapproché.
Tout le monde sait que quand il s'agit d'expositions, les fabricants doivent prendre sur leurs occupations ordinaires le temps nécessaire pour travailler aux objets qu'ils veulent exposer.
M. de Montpellier. - Comment se fait-il que les Anglais l'aient fait ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je crois que l'honorable membre est mal informé ; je n'ai pas appris qu'une exposition quelconque ait eu lieu dans les villes dont s'agit.
J'ajouterai que, dans ce projet, il ne s'agissait pas de faire une exposition dans un seul de ces pays, mais bien d'en faire trois.
Cela m'a paru impraticable.
Je prie l'honorable membre de croire que si la chose avait été considérée comme utile pour notre industrie, je n'aurais pas eu le moindre scrupule, en l'absence des fonds nécessaires au budget, à demander un subside spécial à la Chambre.
C'est, du reste, un projet qui, revu, mieux étudié, pourra être représenté plus tard.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
M. le président. - M. d'Hoffschmidt a la parole.
M. d’Hoffschmidt. - Je parlerai sur l'article « consulats ». De cette manière on pourra clore la discussion générale aujourd'hui.
- La discussion générale est close et l'on passé à celle des articles.
« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 114,491. »
- Adopté.
« Art. 3. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 2,800.
- Adopté.
« Art. 4. Secours à des fonctionnaires et employés, à leurs veuves ou enfants, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,500.
- Adopté.
« Art. 5. Matériel : fr. 37,600.
- Adopté.
« Art. 6. Achat de décorations de l'Ordre de Leopold, sans que l’on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 8,000.
- Adopté.
« Art. 7. Autriche : fr. 48,000. »
-Adopté.
« Art. 8. Confédération germanique : fr. 35,000. »
-Adopté.
« Art. 9. France : fr. 53,000. »
-Adopté.
« Art. 10. Grande-Bretagne : fr. 65,000. »
-Adopté.
« Art. 11. Italie : fr. 39,000. »
-Adopté.
« Art. 12. Pays-Bas : fr. 43,000. »
-Adopté.
« Art. 13. Prusse : fr. 43,000. »
-Adopté.
« Art. 14. Russie : fr. 65,000. »
-Adopté.
« Art. 15. Brésil : fr. 20,000. »
-Adopté.
« Art. 16. Danemark, Suède et Norwège, etc. : fr. 17,000. »
-Adopté.
« Art. 17. Espagne : fr. 20,000. »
-Adopté.
« Art. 18. Etats-Unis : fr. 20,000. »
-Adopté.
« Art. 19. Portugal : fr. 17,000. »
-Adopté.
- Adopté.
« Art. 20. Turquie ; fr. 33,000. »
M. le président. - Il y a une augmentation de 7,000 fr. proposée de commun accord par le gouvernement et la section centrale.
M. Muller. - L'honorable M. Coomans s'est trompé lorsqu'il a cru que le second drogman réclamé pour Constantinople devait servir à la partie diplomatique du corps qui nous représente.
M. Coomans. - Je n'ai pas pu dire cela, je n'en sais rien.
M. Muller. - Je ferai remarquer, pour donner tous ses apaisements à l'honorable M. Coomans, que c'est précisément pour la partie commerciale, pour le service du consul belge à Constantinople que le rétablissement de cette place d'un second drogman a été réclamé tant par la chambre de commerce de Liège que par les industriels de Verviers et des autres parties du pays.
La Chambre s'est toujours montrée favorable à tout ce qui est relatif à la propagation de nos relations commerciales proprement dites.
Il n'y a aujourd'hui qu'un seul drogman tant pour le chef de la légation que pour le consul général.
Celui dont on réclame maintenant le rétablissement sera, comme avant 1849, spécialement attaché à la partie commerciale de nos relations avec la Turquie.
(page 272) M. Coomans. - Je ne me suis pas expliqué sur l'application de la dépense.
Je me suis borné à constater qu'une augmentation de 7,000 fr. est demandée et qu'elle ne l'avait pas été par l'initiative du gouvernement.
Je crois, en thèse générale, qu'il est très désirable, très prudent de laisser, surtout en matière de diplomatie, le gouvernement prendre l'initiative d'augmentation de dépenses.
Je maintiens, quant au reste, mes observations, et mon vote, dût-il être seul, sera négatif sur ce chapitre.
M. Thibaut. - Je désirais présenter quelques observations dans la discussion générale, mais comme d'autres se sont proposés de parier sur d'autres articles du budget, je demanderai la remise à demain.
M. de Boe dépose le rapport de la commission des naturalisations sur la demande de naturalisation du sieur Yanni Isaac, vice-consul de Belgique à Tripoli.
- Impression et distribution.
La séance est levée à 5 heures.