(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page ) (Présidence de M. Vervoort, président.)
M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Un grand nombre d'habitants de Gand déclarent adhérer à la pétition des membres du Cercle industriel et commercial de cette ville, relative à la monnaie d'or. »
« Même demande d'habitants d'Aeltre. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Des habitants de Courtrai demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »
« Même demande d'habitants de Chimay, Beaumont, Coxyde, Bisseghem, Anseghem, Avelghem, Heestert Lauwe, Becelaere, Merbes-le-Château et de la chambre de commerce d'Arlon. »
- Même disposition.
« Le sieur Van Lancker, maréchal des logis pensionné, demande qu'il lui soit fait application de la loi du 21 juillet 1860, relative à la pension des gendarmes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Leys, veuve du sieur Jastrzenbski, ancien médecin de bataillon, demande une pension ou un secours annuel. »
M. de Moor. - Je demande que cette pétition, qui est digne de la haute bienveillance du gouvernement, soit renvoyée à la commission, avec prière de vouloir bien faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« M. Allard, obligé de se rendre à Tournai, à cause de la mort d'une de ses tantes, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi portant interprétation de l'article 87 de la loi du 8 mai 1848. »
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau la rapport de la section centrale qui a examiné le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1861.
- Impression et distribution.
M. le président. - Messieurs, je propose à la Chambre de mettre ce budget à l'ordre du jour à la suite de la discussion du budget du ministère des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. Orban. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur le contingent de l'armée pour 1861.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
MM. de Boe, Van Volxem, Savart et de Paul déposent successivement, sur le bureau, des rapports sur des demandes en naturalisation.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Beeckman. - Messieurs, tous les orateurs que nous avons entendus hier dans la discussion du budget des travaux publics doivent avoir été enchantés de la manière franche et loyale avec laquelle M. le ministre des travaux publics leur a répondu. Pour ma part, je m'associe entièrement à ce sentiment. Je me permettrai, cependant, de demander à l'honorable ministre, qui n'a pas répondu sur ce point à l'honorable M. Landeloos, si nous pouvons espérer de voir le chemin de fer de Diest, dont a parlé mon honorable collègue, compris dans le projet de travaux publics dont la Chambre, d'après la déclaration de M. le ministre, sera saisie après les vacances de Noël. Je désire que M. le ministre des travaux publics donne à la Chambre quelques renseignements à cet égard.
Pendant que j'ai la parole, je demanderai à M. le ministre des travaux publics, s'il est vrai qu'il a mis à la disposition des ingénieurs du Limbourg les fonds nécessaires pour faire l'étude définitive d'un embranchement du canal de la Campine vers Diest.
Je crois que tout le monde comprendra la nécessité de l'exécution de cet embranchement de canal. Je crois que le bassin houiller de Liège surtout est intéressé à cette construction.
En effet, depuis un temps infini, Diest a toujours été le marché où venaient s'approvisionner tous les habitants de la Campine, surtout de la Campine brabançonne.
Qu'est-il arrivé aujourd'hui par suite de l'établissement de ce canal ? C'est que les rôles ont été tout à fait intervertis.
Au lieu que la Campine s'approvisionne à Diest, c'est la ville de Diest qui s'approvisionne dans la Campine.
Voilà la position qui nous est faite aujourd'hui.
Eh bien, je ne pense pas que cet état de choses puisse continuer. Je désire donc que M. le ministre fasse examiner cette affaire, et comme on m'a dit que les études sont terminées ou sur le point d'être terminées, j'espère qu'il donnera, dans tous les cas, des ordres pour les faire continuer, et que dans l'un ou l'autre projet qu'il présentera à la Chambre, ce projet sera compris.
M. Notelteirs. - Je lis dans le rapport de la section centrale à l'article 13 :
« La troisième section a exprimé le désir de connaître les intentions du gouvernement concernant les barrages qu'il paraît indispensable de construire dans la Grande-Nèthe pour pouvoir maintenir la navigation da cette rivière.
« En réponse à cette question, la section centrale a reçu de M. le ministre des travaux publics la communication suivante :
« L'établissement d'une dérivation à l'ouest de la ville de Lierre, en suivant l'ancien fossé de la place, est le premier travail que l'Etat ait entrepris, avec le concours de la province d'Anvers, des communes et des propriétaires intéressés, dans le but d'améliorer le régime de la Grande-Nèthe, au double point de vue de l'écoulement des eaux et de la navigation.
« En opérant ainsi, le gouvernement a eu égard à la nécessité qu'il y a d'augmenter les débouchés, à l'aval avant d'exécuter à l'amont des travaux qui auraient pour effet de faire arrivera Lierre, dans les crues de la Grande-Nèthe, une quantité d'eau plus considérable que celle qui y afflue aujourd'hui dans les mêmes circonstances.
« Sous la date du 27 avril 1860, le département des travaux publics a approuvé le projet des travaux à entreprendre pour compléter ceux qui ont été adjugés le 6 avril 1859 dans le but d'ouvrir, à l'ouest de la ville de Lierre, la dérivation dont il s'agit.
« Le projet approuvé comprend la construction d'un barrage à poutrelles en maçonnerie à établir dans la dérivation, près de sa réunion à la Nèthe inférieure.
« C'est à ce barrage sans doute que fait allusion la question posée. S'il en est ainsi, la réponse du gouvernement peut consister à dire que le barrage dont on demande l'établissement sera entrepris cette année. »
Non, messieurs, ce n'est pas à ce barrage que fait allusion la troisième section. Ce barrage est destiné, avec celui du Moll, à entretenir la navigabilité en amont de Lierre dans la Petite-Nèthe canalisée jusqu'à la première écluse, et dans la Grande-Nèthe, jusqu'à une distance de quelques kilomètres seulement.
Aussi l'honorable ministre des travaux publics ajoute-t-il immédiatement : s Des études qui restent à faire feront connaître s'il y a nécessité d'établir d'autres ouvrages en cours de la rivière ; c’est à ces ouvrages que la troisième section fait allusion.
(page 210) Je recommande à M. le ministre les travaux déjà arrêtés ou en voie d'exécution et ceux qui sont encore à l'étude ; et ce sous le double point de vue de l'écoulement des eaux et de la navigabilité.
Il y a, pour cela, deux motifs graves : l'intensité du mal causé par les inondations et la circonstance exceptionnelle que non seulement la province, mais aussi les communes et les propriétaires riverains ont été appelés à concourir aux Irais des travaux à faire, par la loi de 1858. Je ne veux pas revenir ici sur les principes adoptés par cette loi, seulement je rappelle que la province d'Anvers n'a donné son assentiment à ce concours extraordinaire qu'à cause de l'intensité du mal causé par les inondations et de l'urgence d'y porter remède, et j'en conclus que la demande d'une bonne complète et prompte exécution, en est d'autant plus fondée.
Un mot sur la Petite-Nèthe canalisée. Cette canalisation est, si je ne me trompe, l'œuvre de l'honorable M. Rogier, alors gouverneur de la province d'Anvers. Elle fut entreprise pour opérer la jonction de la Meuse à l'Escaut par le Rupel. Depuis l'établissement du canal direct d'Herenthals à Anvers, la Petite-Nèthe canalisée me paraît un peu trop négligée et me semble n'attirer l'attention sérieuse du département des travaux publics que, lorsque par suite d'accidents fréquents au canal d'Herenthals à Anvers, la Petite-Nèthe canalisée redevient momentanément la seule voie de jonction de la Meuse à l'Escaut par le Rupel. J'appelle l'attention spéciale de M. le ministre sur la requête votée à ce sujet par le conseil provincial d'Anvers, dans sa dernière session.
Il est en effet nécessaire de mettre un jour la dimension des écluses de la Petite-Nèthe, en rapport avec celle des écluses du canal de la Meuse à Anvers. Il est également nécessaire d'améliorer l'écoulement des eaux de la vallée de la Petite-Nèthe.
Depuis 25 ans les prairies étendues qui bordent cette rivière souffrent énormément des inondations d'été. Ces inondations résultent et du surcroît d'eau provenant des irrigations de la Campine et de la suppression des écoulements directs dans la Petite-Nèthe depuis sa canalisation. Les nouvelles issues procurées à la vallée ne suffisent pas pour la débarrasser des eaux pluviales et de celles provenant artificiellement des irrigations.
L'on a fait, je me plais à le reconnaître, quelque chose depuis un certain nombre d'années, à peu de frais, sous la conduite intelligente de M. Lummen, employé résidant à Lierre, mais il paraît que depuis peu ces travaux d'amélioration se trouvent suspendus ou au moins restreints, faute de crédits suffisants.
J'appelle l'attention de M. le ministre sur ces intérêts légitimes et si longtemps en souffrance.
M. David. - Je commence par remercier M. le ministre des travaux publics des mesures qu'il a prises pour la mise en adjudication prochaine de la dernière section de la route de Stavelot entre Werbomont et Vieuxville.
Cette route a été décrétée en 1822. Un commencement d'exécution a eu lieu en 1835. Il est temps qu'elle s'achève. Il ne reste plus que sept kilomètres de route à exécuter, et j'espère que M. le ministre voudra bien pousser l'adjudication de manière que ce tronçon de route soit promptement achevé.
Je me permettrai maintenant, à l'exemple de mes honorables collègues, de faire quelques recommandations d'intérêt plus ou moins local concernant mon arrondissement.
Il en est cependant dans le nombre qui intéressent le commerce et l'industrie du pays en général, entre autres en ce qui concerne l'augmentation du matériel du chemin de fer.
Si je suis bien informé, l'augmentation du matériel du chemin de fer pour le transport des marchandises consisterait principalement dans la construction de waggons, pouvant porter 10,000 kilog.
S'il en était ainsi, l'amélioration ne serait que partielle et pour certains établissements elle serait presque nuisible si l'on ne maintenait pas ou si l'on n'augmentait pas également le nombre de waggons de 5,000 kilog.
Les établissements charbonniers, par exemple, n'ont pas toujours affaire à de très grands établissements, usant de grandes quantités de charbons.
Une partie de l'écoulement du charbon se fait pour la consommation des foyers domestiques des particuliers.
Il est aujourd'hui entré dans les habitudes, les usages lorsqu'un particulier demande du charbon à une société houillère, qu'il commande un wagon de 5,000 kilog.
II ne pourrait, pour ainsi dire, pas en être autrement ; le particulier le plus souvent n'a pas d'emplacement pour remiser une quantité plus forte.
S'il n'y avait plus que des waggons de 10,000 kilogram., de pareilles expéditions seraient impossibles.
II faudrait donc que deux particuliers s'associassent pour commander un wagon de 10,000 kilogr. et le partager à l'arrivée, chose bien difficile, si pas impossible.
Je recommanderai donc à M. le ministre des travaux publics de vouloir examiner la question de nécessité, non seulement de conserver ce que nous avons de wagons de 5,000 kilogr., mais aussi celle de continuer la construction des wagons de 5,000 kilogr.
M. le ministre des travaux publics a bien voulu dire que les constructions du nouveau matériel consisteraient en wagons de 7,500 kilog. sur lesquels on pourrait, à l'occasion, charger 5,000 kilog. ; mais vous conviendrez, messieurs, que, quand il se présentera en même temps des chargements de 7,500 et de 5,000 kilog., l'administration donnera la préférence à la personne .qui demandera à faire un chargement de 7,500 kilog., et celle qui aura 5,000 kilog. seulement à transporter devra attendre, et souvent très longtemps ; donc l'inconvénient persistera quand bien même on aura construit les waggons de 7,500 kilog.
Depuis plusieurs années, l'honorable M. de Renesse et moi, nous entretenons la Chambre de la route de Visé vers Aix-la-Chapelle. Cette route est aujourd'hui achevée jusqu'à Hagelsteen, elle doit passer par Hombourg pour se rendre à Aix-la-Chapelle ou Waels.
Il paraît que la commune de Waels est parfaitement disposée à remplir les conditions exigées pour que la route débouche chez elle ; je prie M. le ministre de prendre des mesures pour que cette route, si nécessaire pour le pays qu'elle doit traverser, puisse être mise en adjudication le plus tôt possible. La section centrale a également recommandé cette construction à l'attention de M. le ministre.
A plusieurs reprises la Chambre a voté les fonds nécessaires pour" l'achèvement et l'élargissement de la station de Dolhain.
Cette station est la quatrième en ligne dans la province de Liège quant aux produits en marchandises et en voyageurs ; la somme touchée par l'Etat à Dolhain est annuellement, je crois, de 100,000 francs, et en y ajoutant le produit des expéditions de fer, plomb, filatures, minerais, etc., qui sont fort considérables, vous pourrez arriver à 150,000 francs ; vous voyez que cette station est par elle-même assez importante ; elle est la première à l'intérieur du territoire en arrivant de la Prusse, elle devrait être un peu élégante.
Eh bien, elle est dans un état de délabrement tel, que les maisonnettes en bois qui déjà plusieurs fois ont été replâtrées, au premier coup de vent pourraient bien descendre du grand remblai sur lequel elles sont construites.
Le moment est opportun pour entreprendre ces constructions, car 500 ouvriers environ sont là qui ont perdu leur travail par suite de l'incendie d'une filature de laines très considérable, qui a éclaté il y a deux mois à peu près.
Il y a en outre la mise hors feu d'un haut fourneau qui employai t 250 ouvriers, si aux ouvriers proprement dits du haut fourneau on ajoute les mineurs, les voituriers, etc.
Les plans sont arrêtés depuis longtemps. D'après ce qui précède donc, il serait convenable de commencer cette construction le plus tôt possible ; on donnerait ainsi, en ce moment de malaise, du travail à une quantité d'ouvriers, tout en exécutant des constructions qui devront toujours se faire prochainement.
Je recommanderai aussi à M. le ministre des travaux publics une pétition qui lui a été adressée le 2 novembre 1859 par les administrations communales de Cornesse et de Fraipont.
Ces administrations communales réclamaient l'établissement d'un bac pour passage d'eau, sur la Vesdre. Avant la construction du chemin de fer, il y avait un bac en cet endroit, mais les propriétés sur le bord desquelles le bac fonctionnait ont été emprises par le chemin de fer ; il n'y a plus moyen d'aller d'un côté de la rivière à l'autre ; les voitures passaient par le gué, mais ce gué est devenu impraticable par suite des affouillements qu'ont amenés les constructions des travaux d'art du chemin de fer en cet endroit appelé Goffontaine.
Les piétons de leur côté sont journellement obligés de passer sur le pont n°8 du chemin de fer, pont très étroit, que l'on ne traverse qu'au risque de sa vie ; et il est véritablement dans l'intérêt des nombreuses populations qui ont des relations très fréquentes avec les deux rives de la Vesdre qu'un bac soit promptement rétabli. J'engage également M. le ministre des travaux publics à examiner (page 211) cette question de très près et à lui donner bientôt une solution favorable.
Voilà, messieurs, les quelques observations que j'avais à soumettre à M. le ministre des travaux publics ; j'espère qu'il les prendra en sérieuse considération.
M. de Naeyer. - Messieurs, j'aurai quelques observations à présenter sur les explications que M. le ministre des travaux publies a données hier quant au projet de canalisation de la Dendre. Mais je crois plus convenable d'ajourner ces observations jusqu'à la discussion des articles. C'est sur une autre question que je me propose de parler en ce moment.
Un honorable député de Bruxelles a soulevé hier la question du rachat des chemins de fer concédés. Je crois pouvoir conclure des renseignements qui ont été donnés par l'honorable ministre des travaux publics, que cette idée a peu de chances de réalisation, et je vous dirai franchement que, quant à moi, je n'en suis pas fâché.
Je crois que si cette mesure devait s'exécuter un jour, elle serait désastreuse sous plusieurs rapports et surtout au point de vue des finances de l'Etat ; j'approuve donc beaucoup le gouvernement de ne pas se montrer trop désireux de reprendre ou de racheter les chemins de fer concédés.
Ainsi que M. le ministre des travaux publics l'a fort bien dit, on est peu disposé à abandonner au gouvernement les bonnes lignes. Mais ce qu'on voudrait bien, ce serait de lui céder les lignes médiocres et surtout les lignes mauvaises, et Dieu sait à quelles conditions !
Il est positif que si un jour on s'occupe du rachat des chemins de fer concédés, on fera sonner bien haut ce qu'on appelle la valeur d'avenir. C'est chose très élastique ; et je pourrais même dire que l'expression est très bien trouvée, car cette valeur d'avenir reste presque toujours en route, ce qui fait qu'elle est toujours à venir et qu'elle ne vient jamais.
Je suis, quant à moi, effrayé de la pression excessivement active, de la pression excessivement opiniâtre, très adroite et souvent peu délicate des intérêts privés se trouvant aux prises avec le trésor public, et je crains fort que si des négociations de ce genre pouvaient un jour aboutir, il y aurait pour les sociétés et les compagnies les belles réalités, et pour le gouvernement les apparences brillantes, mais ce serait à peu près tout.
Messieurs, j'admets que la coexistence des lignes concédées à côté du réseau de l'Etat présente certains inconvénients, au point de vue surtout de l'unité du service, et même, si vous le voulez, de la régularité du service. Mais je pose en fait qu'avec de la bonne volonté de part et d'autre, ou plutôt avec une véritable intelligence des intérêts engagés dans la question, on peut faire disparaître en très grande partie ces inconvénients.
D'ailleurs, disons-le, il n'y a rien ici-bas qui soit exempt d'inconvénients. Mais je crois qu'à côté de ces inconvénients, il y a aussi des avantages dans l'état actuel des choses. Remarquez que les grandes lignes, les lignes principales sont aujourd'hui entre les mains de l'Etat, et qu'en général ce ne sont que des lignes d'une importance secondaire, qui sont exploitées par les compagnies.
Ainsi, sous ce rapport le système actuel satisfait complètement à ce qu'on a appelé les exigences politiques, c'est-à-dire que le gouvernement est ainsi suffisamment armé pour empêcher que l'entreprise des chemins de fer, livrée aux mains de particuliers, ne puisse acquérir en Belgique une importance trop prépondérante.
Le système qui a été pratiqué jusqu'ici présente évidemment cet avantage incontestable, qui consiste à créer une certaine rivalité, une certaine émulation, une certaine concurrence qui sont éminemment propres à stimuler et les compagnies et le gouvernement dans la voie du progrès. Je crois que c'est à cet état de choses que nous devons en grande partie toutes les améliorations qui ont été introduites, depuis quelque temps, dans le service de nos chemins de fer.
J'ai entendu dire quelquefois que si l'exploitation des lignes concédées se faisait par l'Etat, il en résulterait une notable économie.
Je crois, messieurs, que l'on se fait à cet égard une complète illusion, car je me rappelle qu'un jour, en section centrale, ayant à nous occuper de concession de chemin de fer, M. le ministre des travaux publics, qui avait bien voulu venir prendre part à nos délibérations, nous a donné des renseignements, d'où il résulte qu'il y a des lignes que les compagnies exploitent à raison de 5,000 francs par kilomètre, tandis que la moyenne des frais d'exploitation par l'Etat est, si je ne me trompe, de (erratum, page 259) 20,000 francs par kilomètre. Mais voici comment on se fait illusion : il est positif que si vous considérez l'exploitation par le gouvernement dans son ensemble, le produit net est beaucoup plus favorable que celui des chemins de fer concédés, en général. A quoi cela tient-il ? A ce que le gouvernement exploite réellement presque toutes les meilleures lignes, les lignes réellement productives.
Ainsi, par exemple, détachez du réseau de l'Etat la belle ligne de Bruxelles à Anvers, celle de Bruxelles à la frontière française, et vous verrez si vous obtenez encore un résultat aussi brillant. L'expérience a prouvé que l'exploitation de lignes mauvaises ou seulement médiocres se fait à perle par le gouvernement aussi bien que par les compagnies.
Je crois, d'ailleurs, que quand on parle du rachat des chemins de fer concédés on ne se fait pas une idée exacte de l'importance de ces chemins de fer. Ainsi, à l'heure qu'il est, les lignes concédées en exploitation ont un développement de plus de 1,200 kilomètres ; tandis que l'ensemble des lignes construites par l'Etat n'a en tout qu'une longueur de moins de 550 kilomètres. Et remarquez, messieurs, que dans ces 1,200 kilomètres de lignes concédées, je ne comprends pas celles qui sont déjà concédées, mais encore celles qui sont en voie d'exécution.
Ainsi, je ne compte pas la ligne de Hainaut et Flandre ; je ne compte pas la ligne de Gand à Eecloo ; je ne compte pas la ligne de Namur à Givet, ni celle de Morialmé à Givet.
En outre il y a d'autres lignes qui ne sont pas encore définitivement concédées, mais dont la concession n'est pas douteuse, d'après les explications mêmes qui nous ont été données par le gouvernement. Je citerai, entre autres, la ligne de Louvain à Herenthals ; celle de Tongres, qui doit nécessairement se faire, car il est temps d'en finir avec cette question ; celle de Braine-le-Comte à Gand, qui se fera également, nous en avons aussi la conviction, probablement cette année ou tout au moins dans un avenir prochain ; celle de Landen à Namur et bien d'autres encore.
De manière que, assez prochainement, au lieu de 1,200 kilomètres de chemins de fer concédés, nous en aurons peut-être 1,800.
Vous voyez donc, messieurs, que pour réaliser l'idée du rachat, il faudrait dépenser des sommes énormes, ou prendre des engagements très considérables.
Il ne suffirait pas de doubler le capital qui est aujourd'hui engagé dans l'entreprise des chemins de fer. Eh bien, messieurs, ne verriez-vous pas à cela des inconvénients, des dangers même dans certains moments critiques. Malheureusement les crises politiques ne sont pas devenues impossibles ; or, leur effet le plus immédiat et le plus certain, c'est de déprimer considérablement le revenu des chemins de fer.
A cet égard, j'en appelle à M. le ministre des travaux publics, au commencement de la guerre d'Italie, il a pu constater l’influence très nuisible que cet événement exerçait sur les produits du railway. Mais si les crises dépriment les revenus du trésor, elles n'affranchissent pas l'Etat des engagements qu'il a contractés. Vous voyez donc, messieurs, qu'il y aurait là un danger très grave qui peut se résumer ainsi : moins de ressources dans les moments les plus difficiles. Et quels seraient après tout les avantages de cette combinaison ? Mais le réseau des chemins de fer qui sillonnent la Belgique ne serait pas augmenté d'un seul kilomètre ; il n'y aurait que cette seule différence que le gouvernement serait substitué aux compagnies. Je crois que cet avantage est de trop minime valeur pour être mis en regard du danger que je viens de signaler.
Il est une autre considération, messieurs, qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est la vieille maxime : Qui trop embrasse mal étreint. Nous voyons cela particulièrement en agriculture : il est certain que la production agricole augmenterait considérablement si l'on pouvait guérir les cultivateurs de la déplorable manie d'étendre toujours le domaine de leur exploitation au lieu de concentrer leurs capitaux et toutes leurs ressources et toute leur activité pour rendre leur culture aussi intensive et aussi productive que possible.
Cela n'est pas sans application aux chemins de fer. Aujourd'hui l'exploitation des lignes de l'Etat est déjà une entreprise très vaste, extrêmement compliquée, qui peut être difficilement bien gérée et bien surveillée dans ses détails si multiples. Ne verriez-vous pas un grand inconvénient à rendre cette entreprise encore plus colossale, à la tripler peut-être ?
Je reconnais que des améliorations très considérables ont été introduites dans l'exploitation de nos chemins de fer, et l'honorable ministre actuel des travaux publics peut revendiquer une bonne partie de ces améliorations ; mais il conviendra avec moi que tout n'est pas fait, (page 212) qu'il reste encore beaucoup à faire, surtout pour mettre nos lignes internationales à la hauteur de leurs magnifiques destinés. Telle est avant tout la mission du gouvernement.
Messieurs, quand on considère dans leur ensemble les chemins de fer qui sillonnent aujourd'hui l'Europe, la Belgique peut être fière de la position qu'elle occupe. Elle est placée au centre du cœur d'un beau et magnifique monument, elle est placée entre l'Angleterre et l'Allemagne, entre la France et le nord de l'Europe, et c'est par la Belgique que le courant entre ces divers pays existe aujourd'hui en grande partie. Mais je n'hésite pas à ajouter que nous devons faire de grands efforts pour conserver cet avantage, pour ne pas déchoir de notre rang. Il y va de nos intérêts les plus chers, je dirai même qu'il y va de notre honneur national.
Messieurs, si nous examinons, à ce point de vue, notre réseau du chemin de fer, nous constatons facilement qu'il y a trois grandes lignes qui méritent d'attirer une attention spéciale. Ces lignes sont celles d'Ostende à Herbersthal, celle de Quiévrain à la frontière hollandaise, et celle de Lille encore une fois à la frontière prussienne.
Eh bien, parmi ces trois lignes si importantes, qui ont en quelque sorte une mission européenne, il en est une seule qui soit établie aujourd'hui dans des conditions un peu convenables : c'est celle d'Ostende à Herbersthal.
Voilà une belle ligne ayant, si je ne me trompe, un développement de plus de 50 lieues, sans solution de continuité, avec une direction généralement régulière. Dans ma manière de voir, elle présente cependant un défaut, c'est de ne pas passer par la capitale.
Les deux autres lignes que je viens d'indiquer passent par la capitale ; cet avantage est loin de racheter les défauts très sérieux, très graves, dont elles sont affectées. Mais ces défauts, fort heureusement il est possible de les corriger.
Parmi ces défauts, je range avant tout la solution de continuité qui existe à Bruxelles, Il y a une chose qui m'a souvent étonné : c'est qu'on ne soit pas plus pénétré de la gravité de cet inconvénient. Pour moi, c'est un vice essentiel, un vice capital qui frappe au cœur notre railway.
Messieurs, tout le monde connaît nos deux lignes les plus productives, ce sont celle d'Anvers à Bruxelles et celle de Bruxelles à Mons, vers la frontière française. Ces deux lignes rapportent une grande partie de nos recettes. Eh bien, Bruxelles est le trait d'union de ces deux lignes ; par la solution de continuité, le trait d'union est rompu, il n'existe réellement pas.
En envisageant la question à un autre point de vue, cette solution de continuité équivaut à un allongement de parcours au moins de 12 lieues. Or, ce vice si grave existe précisément là oh les chemins de fer ont le plus d'importance, là où le mouvement est le plus intense, là où l'activité est la plus forte et la plus considérable.
Ainsi, par exemple, faisons application de ce que je viens de dire à la ligne de la frontière française à la frontière hollandaise. Cette ligne a un développement de 154 kilomètres ; eh bien, en laissant subsister la solution de continuité à Bruxelles, vous allongez la ligne de 60 kilomètres, vous en faites une ligne de 210 kilomètres ; ce qui revient à dire que si l'on exécute le travail qui a été indiqué par plusieurs députés de Bruxelles et par l'honorable M. Magherman, vous raccourcirez de 30 p.c. une de nos deux lignes les plus importantes.
Or, il est un principe qui est en quelque sorte acquis aujourd'hui par l'observation des lois qui président au mouvement des chemins de fer : c'est qu'un raccourcissement qui se fait dans une proportion arithmétique, donne lieu à un accroissement de mouvement dans une proportion à peu près géométrique.
Maintenant, cet inconvénient ne se fait pas sentir seulement pour les relations internationales de France vers la Hollande, et plus tard probablement vers une grande partie du nord de l'Allemagne, mais il se fait encore sentir très vivement et avec un très grand préjudice pour les relations intérieures du pays, pour les relations de notre métropole commerciale, notamment avec la province la plus riche, avec la province de Hainaut.
Cette considération s'applique également à la ligne internationale de Lille vers la frontière allemande. Encore une fois, la solution de continuité produit toutes ses mauvaises conséquences.
Mais cette ligne exige, en outre, aussi des redressements, des rectifications considérables, si vous ne voulez pas que le courant qui a existé et qui existe encore en partie à notre profit soit entièrement détourné. La ligne dont je parle a un développement réel de 287 kilomètres ; encore une fois, en laissant subsister la solution de continuité, vous allongez cette ligne, vous faites en sorte que, comme ligne de voyageurs, elle équivaut à un développement de 347 kilomètres.
Maintenant, vous pouvez opérer ici d'autres améliorations. Vous pouvez rectifier entre Bruxelles et Louvain, entre Tournai et Lille, entre Ath et Bruxelles ; ces rectifications, faites dans des conditions convenables, vous donneraient encore un raccourcissement de 30, 45 et 50 kilomètres.
Voilà donc une des lignes les plus importantes que vous pouvez améliorer sous le rapport du parcours ; ce parcours est aujourd'hui de 347 kilom. ; par les améliorations que j'ai indiquées vous pouvez le réduire de 35 p. c ; vous pouvez en faire une ligne de 245 kilom. tout au plus.
Vous voyez donc que si l'on veut engager des capitaux plus considérables qu'aujourd'hui dans l'entreprise des chemins de fer, il y a là des travaux éminemment utiles, je dirai même indispensables à exécuter, pour que nous puissions conserver la bonne position que nous avons eue jusqu'ici, et il est évident que cela vaudrait infiniment mieux que de racheter les chemins de fer concédés. Je crois inutile pour le moment de traiter toute ces questions avec tous les développements dont elles sont susceptibles.
Je tenais surtout à attirer l'attention de M. le ministre des travaux publics sur toute la gravité de la question relative au rachat des chemins de fer concédés ; je tenais en même temps à lui faire remarquer que je ne puis partager entièrement sa manière de voir en ce qui concerne son appréciation de l'utilité d'une ligne de raccordement destinée à faire disparaître la solution de continuité qui existe aujourd'hui à Bruxelles. Je crois que c'est là un des travaux les plus indispensables. Je dois répéter ce que je disais tout à l'heure : je ne puis assez m'étonner qu'on soit si peu frappé de l'inconvénient que présente la situation actuelle.
Je ne puis attribuer cela qu'à cette circonstance, que l'habitude finit par rendre l'homme insensible aux grandes merveilles de la nature, comme aussi aux inconvénients les plus réels qui peuvent se présenter dans la vie sociale. (Interruption.)
En présence des avantages réels que j'ai eu l'honneur d'indiquer, les deux ou trois millions qu'il faudrait dépenser sont une somme insignifiante. D'ailleurs, de l'aveu du gouvernement, la dépense devra se faire un jour, et plus vous attendrez, plus la dépense sera forte, parce que les terrains situés autour de Bruxelles augmentent chaque jour de valeur, et parce que (erratum, page 258) l'expansion de l'agglomération bruxelloise augmente aussi constamment les obstacles, à la construction de la ligne de raccordement dont il s'agit.
M. Jamar. - Messieurs, l'honorable M. Beeckman disait tout à l'heure que tous les membres de la Chambre qui avaient présenté des observations dans la séance d'hier, avaient lieu d'être satisfaits des explications que M. le ministre des travaux publics leur avait données dans son discours d'hier.
Je suis médiocrement satisfait, pour ma part, des explications que M. le ministre des travaux publics a données à propos de la création de bureaux de postes dans les communes qui avoisinent Bruxelles.
M. le ministre des travaux publics a dit qu'il restait encore un grand nombre de communes rurales qui n'étaient pas desservies.
Je ne m'oppose pas, quant à moi, à ce qu'on desserve ces communes, et je suis disposé à voter des fonds pour créer les bureaux de poste nécessaires ; mais je crois que ce qui se passe dans les faubourgs de Bruxelles est une injustice qu'il s'agit de réparer.
Quelle marche a-t-on suivie jusqu'ici pour la création de nouveaux bureaux de poste ?
On a considéré l'importance des relations, la multiplicité des rapports et leur produit.
Je suis convaincu qu'en Belgique aujourd'hui il n'est pas une agglomération de 4,000 à 5,000 habitants qui n'ait son bureau de poste.
Or, Ixelles, qui a une population de 20,000 habitants, n'a pas de bureau de poste.
Saint-Josse-ten-Noode, qui a une population de 18,000 habitants, n'a pas de bureau de poste.
Molenbeek-St-Jean, qui a également une population de 18,000 habitants, n'a pas de bureau de poste.
Je suis convaincu que si M. le ministre des travaux publics pouvait consacrer 2 ou 3 heures à voir par lui-même l'importance industrielle de Molenbeek-St-Jean et de St-Josse-ten-Noode, il reconnaîtrait à l'instant même l'injustice qu'il y a à obliger les industriels habitant ces (page 213) communes à faire souvent une lieue de chemin pour affranchir un imprimé, charger une lettre, ou remplir toutes les formalités qu'entraînent l'envoi ou la réception de fonds par la poste.
Il y a des chiffres qui seront peut-être plus éloquents pour M. le ministre des travaux publics que tous les raisonnements.
L'agglomération bruxelloise compte 350,000 habituas et elle n'a qu'un seul bureau de poste.
Paris a 20 bureaux. Londres en a un dans chaque quartier. Edimbourg en a 10 ou 12.
Munich, qui n'a qu'une population de 130,000 habitants, a 2 bureaux de poste.
Je crois que ces chiffres sont d'autant plus concluants qu'à Paris et à Londres il est beaucoup moins utile qu'à Bruxelles d'avoir un aussi grand nombre de bureaux puisque en France et en Angleterre le système de l'affranchissement des imprimés par un timbre spécial existe depuis longtemps.
J'ai également des observations analogues à présenter quant à l'établissement d'un bureau central de correspondance télégraphique non seulement à Bruxelles, car je ne crois pas ces bureaux nécessaires seulement à Bruxelles, mais dans toutes les grandes villes de la Belgique.
M. le ministre des travaux publics disait hier que ce bureau central n'aurait pas une grande utilité parce qu'il entraînerait la nécessité d'une double transmission ; mais cette double transmission existe aujourd'hui dans les bureaux de la station du Midi et de celle du Luxembourg.
Il est d'autant plus nécessaire de créer des bureaux de ce genre non seulement à Bruxelles, mais aussi dans tous les grands centres du population et d'industrie, que c'est en mettant à la portée du public toutes les facilités possibles pour user de ce moyen de communication qu'on augmentera le nombre des personnes qui s'en servent aujourd'hui. On arrivera ainsi à une somme plus considérable de produit dans cette branché de service qui, je le reconnais du reste, sous beaucoup de rapports, mérite l'approbation sans réserve de la Chambre.
Messieurs, je vous citais tout à l'heure, à propos des bureaux de poste, l'exemple de la France et de l'Angleterre.
Je puis également citer l'exemple de l'Angleterre à propos de l'organisation que je préconise d'un bureau central.
A Londres, par exemple, il y a deux compagnies, dont l'une a 22 bureaux, l'autre 12.
Je pourrais vous citer également et surtout l'exemple de la Suisse où le service télégraphique est merveilleusement organisé et où ce moyen de correspondance a si bien pénétré dans les habitudes de la population que par la multiplicité des dépêches on a pu abaisser à un franc la taxe qui est de 1 franc 50 en Belgique.
Je suis convaincu que l'établissement d'un bureau central télégraphique dans les grandes villes de la Suisse a eu la plus heureuse influence sur le développement de la correspondance télégraphique en ce pays, et j'invite de toutes mes forces M. le ministre des travaux publics à accorder à l'organisation de ces bureaux l'attention qu'elle me paraît mériter.
M. Deliége. - Le conseil provincial de Liège, dans sa dernière session, tout en protestant contre la marche donnée aux travaux de canalisation de l’Ourthe, a demandé à adresser à M. le ministre des travaux publics les trois demandes suivantes :
1° De faire constater par l'ingénieur en chef si le canal commencé n'a pas la profondeur suffisante ;
2° Dans ce cas, de faire cesser la perception du péage qui devient illégal ;
3° De mettre la société en demeure d'approfondir et d'achever le canal jusqu'à Laroche ou de voir déclarer sa déchéance.
Les riverains de l'Ourthe et le commerce de la province de Liège qui se dirige du côté du canal de l’Ourthe jouent vraiment de malheur.
Il y a un quart de siècle que la canalisation de l'Ourthe est décrétée et commencée, et jusqu'à présent elle n'est pas encore finie.
Des plaintes très graves se sont élevées. Elles ont été confirmées par une protestation énergique du conseil provincial de Liège dans sa dernière session.
Je demanderai que M. le ministre des travaux publics intervienne le plus tôt possible pour faire cesser ces plaintes qui me paraissent fondées.
Les riverains de l'Ourthe, comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, souffrent depuis longtemps. Cette partie du pays a été privée de la juste part qu'elle devait avoir dans les grands travaux d'utilité publique. J'espère que M. le ministre des travaux publics se rendra enfin à leurs justes sollicitations.
Il y a un autre point sur lequel j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics et je l'ai déjà fait dans les sessions précédentes, c'est l'état de souffrance où se trouvent également les usines placées dans les communes riveraines de la Meuse, en aval de Liège, qui ne peuvent plus se servir de la Meuse, à défaut d'eau et qui ne peuvent arriver au canal.
Un projet de travaux publics va être présenté. Je n'en dirai donc pas davantage. La position où se trouvent les usines de cette partie du pays est constatée par le travail de l'ingénieur en chef de la province de Liège.
J'espère que ce travail sera compris, comme celui qui concerne le restant de la Meuse, dans le projet de loi que l'honorable ministre nous présentera.
M. B. Dumortier. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable membre dire que la province de Liège avait toujours été privée de sa juste part dans la répartition des travaux publics.
M. Deliége. - Je n'ai pas dit cela.
M. B. Dumortier. -Quand j'ai entendu cela, j'ai cru rêver.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez rêvé en effet.
M. Deliége. - J'ai dit la partie de la province que traverse l'Ourthe.
M. B. Dumortier. - J'avais parfaitement compris. Vous avez dit qu'un fragment de la province de Liège avait été privé de sa juste part dans les grands travaux d'utilité publique. En entendant ces paroles, je le répète, j'ai cru rêver. Comment ! la province de Liège a été privée de sa juste part dans les travaux publics ?
Comment ! cette province, qui a attiré vers elle les dépenses les plus considérables que nous ayons faites... (Interruption.) Vous riez ! Quand par exemple on a fait le chemin de fer...
M. David. - Il devait bien passer quelque part.
M. B. Dumortier. - Pourquoi a-ton pris la direction de la Vesdre qui a coulé 30,000,000, tandis qu'on pouvait prendre celle de Visé qui eût coûté infiniment moins ? N'était-ce pas pour vous ?
Quand on est venu demander la création du canal latéral, pour qui était-ce ? N'était-ce pas pour vous ? Quand on est venu demander le prolongement du canal de la Campine afin de permettre une navigation régulière entre Liège et Anvers, n'était-ce pas pour vous ? Et quand on est venu nous demander la dérivation de la Meuse, pour qui était-ce ? Etait-ce pour nous, députés des Flandres ? Non, messieurs, la dérivation du trésor public vers la Meuse, voilà la règle. (Interruption.)
M. Deliége. - Je demande la parole.
M. B. Dumortier. - Je crois, messieurs, que, s'il existe des parties du pays qui ont toujours été privées de toute part dans les travaux publics, c'est bien l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.
- Voix à gauche. - Ah ! ah !
M. B. Dumortier. - Si l'honorable préopinant a l'intention de me répondre, je le prierai de vouloir bien nous dire quels sont, à part quelques petits bouts de pavés qu'on fait du reste dans tout le pays, les travaux publics qui auraient été votés par des lois spéciales en faveur de l'arrondissement de Roulers.
Quels sont, je le lui demande, les travaux pour lesquels l'État a jamais dépensé un centime pour cet arrondissement ? Il ne saurait pas nous le dire ; je lui en porte le défi. Car, messieurs, nous n'avons pas le bonheur d'être sur les bords de la Meuse et d'attirer à nous toutes les faveurs du trésor public ; et parce que nous ne savons pas nous plaindre, nous n'obtenons rien du tout.
Il est évident cependant que la justice distributive devrait présider à la répartition des fonds du trésor ; et lorsqu'on vient ici pousser le gouvernement à accorder encore de nouveaux subsides à une province qui a été déjà, sans conteste, la plus largement dotée du pays, je dis que nous, qui représentons une partie déshéritée de la Belgique, nous avons le droit d'élever la voix pour réclamer en faveur du district qui nous a envoyé dans cette enceinte.
Nous sommes, il est vrai, les députés du pays ; mais nous avons aussi, chacun de nous, un mandat spécial, celui d'exposer ici les besoins du district que nous représentons particulièrement. Eh bien, messieurs, le canal qui doit réunir la Lys à Roulers et probablement à la mer est un des travaux les plus importants non seulement dans l'intérêt de la Flandre (page 214) occidentale, mais encore dans l'intérêt de la]Belgique tout entière. Comment ! voici une de vos principales villes manufacturières, une ville où règne la plus grande activité, et elle n'a aucune espèce de voie de communication économique pour le transport de ses produits !
A-t-elle besoin des produits d'Anvers ? Elle doit les faire venir par chemin de fer. A-t-elle besoin de houilles du Hainaut ? Elle doit les faire venir par chemin de fer. A-t-elle besoin de fer, de fonte, de pierres de Tournai ? Elle doit les faire venir par chemin de fer. Tout doit y arriver par chemin de fer, et par un chemin de terre qui n'a pas coûté un centime à l'Etat, qui a été construit par des particuliers sans aucune espèce de garantie de minimum d'intérêt.
Si donc quelqu'un est en droit de réclamer ici pour être traité d'après les principes d'une véritable justice distributive, c'est certainement le district que j'ai l'honneur de représenter et qui n'a jamais rien obtenu en fait de travaux publics, à part quelques bouts de pavés que, je e répète, on accorde à toutes les parties du pays.
Maintenant, une considération très puissante milite en faveur de la demande que je réitère en ce moment et que je ne cesserai de reproduire aussi longtemps qu'on n'y aura pas fait droit.
On ne peut se dissimuler, messieurs, que les bassins houillers du Hainaut sont exposés à une perte notable de leurs produits. Vous ne l'ignorez pas, autrefois le Hainaut était en position de livrer la houille à tout le Nord de la France.
Dans ces dernières années, on a découvert une continuation des veines de houille dans le département du Nord, dans le Pas-de-Calais et dans la vallée de la Scarpe. Il y a cinq à six ans, on n'extrayait guère de ces mines que 2 millions d'hectolitres par an. L'an dernier, on en a extrait 6 millions d'hectolitres ; cette année l'extraction s'élèvera à 8 millions ; et bientôt elle atteindra le chiffre de 15 à 20 millions d'hectolitres.
Or, n'est-il pas évident que tout ce que ces mines fournissent à la consommation française vient en déduction de ce que la Belgique peut être encore appelée à exporter sur le marché français ? Il faut donc créer de nouveaux débouchés à cette industrie ; il est impérieusement nécessaire d'éviter qu'une industrie aussi importante que celle du Borinage vienne à décroître. Eh bien, le moyen le plus efficace c'est de créer un mode de transport plus viable pour conduire jusqu'au centre de la Flandre Occidentale, les houilles du Hainaut qui aujourd'hui n'y parviennent que par chemins de fer.
Ce n'est pas tout, messieurs, ; n'est-il pas indispensable de mettre le chef-lieu de la Flandre occidentale, cette grande ville industrielle, cette ville de Gand si puissante par son industrie, en rapport par eau avec la ville de Roulers ? N'est-il pas indispensable pour tout le pays, de mettre en communication, par eau, toute la Belgique occidentale avec un pareil centre manufacturier ?
Je dis qu'avant de jeter des millions dans la canalisation de l'Ourthe...
M. Deliége. - Il ne s'agit pas de cela !
M. B. Dumortier. - Il est indispensable de s'occuper d'abord de la Flandre, de cette partie déshéritée du pays.
Maintenant, messieurs, puisque j'ai demandé la parole, je dirai quelques mots relativement à quelques points qui ont été traités dans la séance d'hier.
Un honorable député de Soignies est venu presser vivement le gouvernement de faire ce qu'on appelle la canalisation de la Dendre et la jonction de la Dendre avec l'Escaut
M. de Naeyer. - C'est décrété.
M. B. Dumortier. - Pas la jonction, car il s'agit ici du canal de Blaton. C'est là un point, messieurs, sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics, car il soulève une des questions les plus graves, je veux parler de la nécessité d'empêcher que des entraves ne soient apportées à la navigation de l'Escaut. Vous le savez, messieurs, la navigation du haut Escaut est la plus importante navigation fluviale non seulement de la Belgique, mais peut-être de toute l'Europe. Or, de quoi se compose l'Escaut à son entrée en Belgique ? Il se compose de l'Escaut proprement dit et de la Scarpe. Mais dans ces dernières années le gouvernement français, pour avoir de l'eau en abondance dans la ville de Lille, a détourné les eaux de la Scarpe qui, aujourd'hui, n'arrivent plus à Tournai, Audenarde et Gand. C'est là un fait excessivement sérieux pour notre propre navigation, pour cette navigation qui est le principal élément du commerce dans le bassin du Hainaut. Pendant l'hiver, cela est sans importance, l'Escaut a toujours de l’eau en abondance et la navigation ne court jamais risque d'être interrompue ; mais quand vient l'été, quand la sécheresse arrive, si vous enlevez à ce fleuve la moitié de son contingent en eau, il est évident que la navigation, si elle n'est pas complétement empêchée, ne peut plus se faire qu'avec d'immenses difficultés.
Aussi, messieurs, je n'hésite pas, en présence de cette situation, de reprendre une proposition qui a été indiquée à la séance d'hier. On veut, dit-on, réunir la Dendre au canal de Pommeroeul au moyen du canal de Blaton. Or, ce canal suivrait un plan incliné des plus considérables ; il faudrait donc des prises d'eau pour alimenter ce canal, car au point le plus élevé, il n'existe pas de cours d'eau suffisant pour l'alimenter.
C'est donc dans les eaux destinées à l'Escaut, qui se déversent dans l'Escaut, qu'on viendra puiser les eaux nécessaires pour alimenter le canal ; on diminuera encore le volume des eaux du fleuve qui doit arriver à Anvers, et on rendra la navigation impossible ; c'est un fait excessivement sérieux sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics.
Je demeure convaincu qu'il suffit que je lui en fasse l'observation pour que M. le ministre des travaux publics en comprenne toute l'importance. Je ferai remarquer que le canal de Bossuyt, quand il sera exploité, sera aussi alimenté par l'Escaut, vous allez rendre la navigation excessivement difficile, or c'est un point d'une très grande importance pour le pays de conserver à cette grande artère fluviale la destination que lui a donnée la nature.
Laissons agir la nature, dit M. le ministre. Sans doute, mais aussi ne la contrarions pas, et c'est la contrarier que d'enlever au fleuve ses eaux pour les déverser ailleurs.
Un autre point, c'est l'écluse à faire en aval de Tournai. Je conçois que la ville de Tournai ait un intérêt quelconque à tenir les eaux de son bassin à une certaine élévation, mais je prendrai la confiance de rappeler que les eaux de l'Escaut sont excessivement limoneuses ; quand leur course est libre, elles entraînent le limon, mais quand elles sont retenues par un barrage elles le déposent ; de sorte qu'en établissant des barrages permanents, il est à craindre qu'on ne rende le lit de l'Escaut tellement élevé que la navigation ait à en souffrir. Cela est très grave.
Qu'est-il arrivé à Gand ? Des moulins ont été établis qui ont formé des barrages presque permanents ; il en résulte une surélévation du lit du fleuve à plusieurs lieues en amont de Gand. Ce sont là des choses excessivement dangereuses ; j'engage M. le ministre des travaux publics à s'entourer de renseignements avant de prendre aucune résolution ; il ne faut pas créer à Tournai les inconvénients qu'on a créés à Gand, inconvénients dont on voudrait se débarrasser, mais qu'il est impossible de faire disparaître.
D'un autre côté, je suis de l'avis de M. le ministre des travaux publics, quant à la question qu'il a traitée hier, de l'établissement d'une station centrale au milieu de la ville de Bruxelles ; je ne vois pas l'avantage qu'on trouverait à cela ; ce serait une dépense énorme sans aucun fruit.
On a parlé de Francfort, de Cologne, de Strasbourg, d'Aix-la-Chapelle. Je sais que dans ces villes on a fait des ponts pour traverser des fleuves, mais je n'avais pas encore entendu dire d’Aix-la-Chapelle, Cologne, Strasbourg fussent des capitales. Qu'on examine ce qui existe dans toutes les grandes capitales de l'Europe, on y verra une station à une extrémité de la ville une autre station à l'autre extrémité avec un chemin de ceinture pour les réunir ; mais vous ne voyez pas de station centrale.
La construction d'une station semblable à Bruxelles entraînerait une dépense exorbitante qui ne profiterait à personne ; quant aux marchandises, elles empruntent le chemin de ceinture ; pour les voyageurs ils traversent la ville comme à Paris, à Londres et dans toutes les capitales importantes.
Une autre question a été traitée hier, question que j'avais soulevée moi-même dans une séance précédente ; je veux parler des atterrissements qui se forment dans le bas Escaut. Cette question est digne de toute votre sollicitude ; j'ai entendu avec bonheur les explications qu'a données hier M. le ministre des travaux publics.
Je persiste à croire que l'achat d'un bateau dragueur par le gouvernement serait une chose très utile en suivant, dans l'emploi qu'on en ferait, la direction que la nature indique ; en draguant dans la passe même que la nature crée, on la faciliterait, sans la contrarier ; ce qui contrarie, c'est d'établir des pieux de distance en distance.
Les travaux hydrauliques sont très délicats. Je partage parfaitement l'opinion du ministre quand il dit qu'en cette matière, le premier maître c'est la nature. Autre chose est ce qui peut contrarier la nature et ce qui peut faciliter son action.
(page 215) L'an dernier j'avais demandé que le gouvernement fît l'acquisition d'un bateau dragueur.
Je crois que c'est indispensable. Par cette acquisition, on rendra d'immenses services à la navigation du fleuve ; je verrais voter avec peine le budget s'il ne comprenait pas un crédit pour l'acquisition d'un bateau dragueur ; je désire que, dans le cours de ce débat, il fasse une proposition à ce sujet. M. le ministre a envoyé des agents à l'étranger, en Angleterre pour connaître le prix de la dépense ; il a maintenant tous les rapports en main, il serait sage de ne pas laisser passer le budget de l'exercice prochain sans pourvoir à ce besoin. Un bateau dragueur servirait non seulement à améliorer la navigation de l'Escaut, mais à améliorer la passe de Nieuport et d'Ostende, il servirait à tous nos ports ; c'est un instrument qui nous manque et que nous devons nécessairement avoir.
M. Deliége. - Je n'ai pas l’habitude de jeter un coup d'œil jaloux sur les autres arrondissements ; je ne ferai pas le compte de ce qu'a eu, dans les travaux publics exécutés aux frais de l'Etat, l'arrondissement de Roulers, et surtout l'Escaut ; nous serions loin de compte si la Meuse avait à compter avec l'Escaut.
Vous le savez tous, messieurs, la province de Liège a été longtemps déshéritée ; elle possède un grand fleuve qu'on avait laissé arriver à l'état sauvage ; elle possède deux rivières dont l'une la Vesdre était navigable sur une grande partie de son parcours et ne l'est plus aujourd'hui ; l'autre, l’Ourthe, est dans un état pire qu'elle n'était autrefois par suite des péages très élevés perçus sur cette rivière.
Quant aux grands travaux exécutés à la Meuse, ils ont coulé huit millions sur plus de 100 millions de travaux publics.
Il est évident que la province de Liège n'a pas eu plus que sa part et encore ville et province ont-elles contribué, ce qui n'a pas eu lieu ailleurs, la ville pour un million et la province pour une somme considérable aussi. J'ai donc raison de dire que la province de Liège n'a pas été mieux traitée que les autres parties du pays.
L'honorable M. Dumortier, fidèle à son habitude d'attaquer la province de Liège, est venu vous dire que j'avais demandé des millions pour l'Ourthe, comme il a dit plusieurs fois qu'on avait jeté des millions dans la Meuse. Il s'est trompé complètement ; j'ai demandé justice pour le canal de l'Ourthe, j'ai demandé que la convention faite avec la société fut exécutée. Les travaux de canalisation ne se font pas par le gouvernement, ils sont concédés. J'ai démontré que la société concessionnaire ne remplit pas ses obligations.
L'honorable M. Dumortier, qui est, comme moi, député de la Belgique entière, aurait dû se joindre à moi pour demander l'exécution d'un travail qui devrait être fait depuis un quart de siècle.
Quant à la Meuse, vous savez tous qu'une partie de la province de Liége en aval de cette ville jouissait de la navigation sur la Meuse.
Aujourd'hui, dans ces localités, la Meuse se trouve à peu près sans eau, et elle forme barrage. Les nombreuses usines qui se trouvent sur la rive droite ne peuvent pas arriver au canal. Je crois qu'on doit également justice à cette partie du pays.
M. de Naeyer. - Je crois devoir répondre deux mots aux observations présentées par l'honorable M. Dumortier, relativement à la canalisation de la Dendre. Ces observations d'abord sont réellement tardives, ou plutôt je pourrais dire que l'honorable membre n'a fait que répéter ce qu'il avait déjà dit antérieurement trois ou quatre fois. L'honorable M. Dumortier a développé toutes ces considérations au long et au large lorsqu'il s'est agi de la canalisation de la Dendre. Ces considérations très longuement exposées par l'honorable membre, avec le talent qui le distingue, n'ont pas empêché la Chambre de décréter la canalisation de la Dendre et d'autoriser le gouvernement à concéder le canal de la Haine vers Ath.
Maintenant l'honorable membre se trompe évidemment. Il ne fait pas attention qu'il s'agit d'un canal à bief de partage. La crête entre Ath et la Haine ne peut être franchie autrement. Par conséquent, le canal dont il s'agit enverra nécessairement des eaux à la Haine, car le bief de partage, situé à je ne sais combien de mètres au-dessus de la Haine, sera alimenté, en grande partie, par des eaux autres que celles de cette rivière.
M. B. Dumortier. - Il n'y en a pas.
M. de Naeyer. - C'est une erreur, et dans tous les cas, les eaux ayant servi à alimenter le bief de partage doivent s'écouler vers la Haine. Cela est clair comme le jour. Evidemment, ici l'honorable M. B. Dumortier a eu le tort, ce qui lui arrive très rarement, de se placer un peu à côté de la question, en perdant de vue le véritable caractère du canal dont il s'agit.
M. Muller. - L'honorable M. B. Dumortier emploie un singulier procédé pour recommander au gouvernement les intérêts de l'arrondissement qu'il représente ; c'est de se montrer agressif envers les autres arrondissements, c'est d'attaquer ses voisins et surtout la Meuse et la province de Liège. Il semble réellement que l'honorable membre ait, pour cette Meuse, pour cette province, une aversion profonde et qu'il ne puisse pas s'en guérir. C'est peut-être la vingtième fois que, dans cette Chambre, il dénonce les sommes prétendument énormes que la dérivation de h Meuse a absorbées ; à l'en croire c'est le trésor public que l'on aurait fait complètement dériver dans notre fleuve ! Cela peut se dire comme plaisanterie, mais cela n'a rien de sérieux ni d'exact.
On oublie, au surplus, la haute importance que l'on doit attacher à la Meuse, qui traverse le pays dans toute son étendue du nord au sud. On oublie qu'on n'a pas le droit de considérer comme attribuées à une localité spéciale, fût-elle la ville de Liège, les dépenses qui sont nécessaires pour entretenir ce fleuve dans un bon état de navigabilité.
Mon honorable collègue, M. Deliége, vous a rappelé que la Meuse avait été abandonnée trop longtemps à l'état sauvage. Le fait n'est malheureusement que trop bien constaté. Eh bien, en nous plaçant sur un terrain véritablement national et pratique, en ne consultant que l'intérêt de la généralité du pays, demandons-nous si les dépenses jusqu'ici consacrées à la restauration d'une bonne navigation sur la Meuse, et à préserver les riverains d'inondations désastreuses, ont été si bien conçues, si bien exécutées.
La preuve la voici : C'est que la province de Namur, dont les, représentants ne me démentiront pas, réclament pour eux la continuation de ce grand travail d'utilité publique, et il en est de même de la province de Limbourg. Pour moi, je ne comprends pas qu'au point de vue de la prospérité nationale, lorsque nous possédons deux grands fleuves qui peuvent vivifier notre pays, on vienne marchander la dépense nécessaire pour leur faire remplir utilement la destination que Dieu leur a assignée, et qui consiste en partie à servir de voie d'écoulement facile et économique aux produits de l'industrie, du commerce et de l'agriculture.
A part ces considérations, qu'a donc coûté jusqu'ici la dérivation de la Meuse à l'Etat ? L'honorable M. B. Dumortier vous prédisait, il y a plusieurs années que la dépense irait de 18 millions à 20 millions. Ces chiffres qu'il hasardait sont inscrits, sont au Moniteur. Or, le trésor public a déboursé de ce chef 8 millions, pas davantage.
La province et la ville de Liège, on vous l'a dit tantôt, ont contribué ensemble, exemple bon à citer, pour 1,400,000 francs. Maintenant j'en appelle à tous les industriels intéressés de plusieurs provinces, à tous les hommes compétents. Est-ce que tous ne se félicitent pas du travail dû à l'honorable M. Kummer ? N'en reconnaissent-ils pas l'efficacité et les avantages ?
Messieurs, avons-nous, au surplus, eu seuls notre part au budget de l'Etat ? Savez-vous ce que les Flandres ont absorbé ? Ce n'est pas un reproche que je leur adresse ; car je voterai toujours les dépenses nécessaires pour les travaux hydrauliques de toutes les parties du pays. Les deux Flandres ont absorbé, de ce chef, au-delà de 20 millions ; le canal, de Schipdonck a coûté 12 millions ; le canal de Zelzaete près de 5 millions ; le canal de Bruges à Ostende 4millions ; le port d'Ostende, près de 3 millions ; voilà des chiffres irréfutables.
Quand donc, sur d'autres points de la Belgique, un fleuve exige des réparations considérables pour être mis dans un bon étal de navigabilité, l'honorable M. Dumortier n'a pas bonne grâce à ressasser son ancien thème sur les prodigalités imaginaires dont la Meuse aurait été l'objet, et, à propos de dérivation, il serait désirable qu'il apportât quelque variante, un léger dérivatif à sa manière d'attaquer constamment notre province comme ayant une part démesurée dans l'intervention pécuniaire de l'Etat.
Les préoccupations de l'honorable membre, dans son hostilité contre nous, sont telles, qu'il a été jusqu'à nous reprocher une dépense de 30 millions qu'a dû coûter la ligne ferrée de Liège à Verviers.
Messieurs, l'honorable M. de Naeyer vous faisait tantôt l'éloge du railway de l'Etat, et voici que l'un de ses collègues s'avise d'inscrire au compte de la ville de Liège, ou tout au moins de la province, ce qui a été dépense pour la partie qui nous a unis à la Prusse.
On pouvait, a-t-il dit, écarter Liège et Verviers, et passer par Visé !
Mais, lui répondrai-je, lorsque vous avez une cité importante, qui est au second rang, au troisième, si vous voulez, des villes du pays, auriez-vous pu par hasard, sans vous nuire à vous-mêmes, sans nuire à la Belgique tout entière, la priver de chemin de fer ? Il faudrait être déraisonnable pour soutenir une pareille thèse.
(page 216) Quant à la section de Liège à Verviers, qui a englouti tant de millions que regrette l'honorable représentant de Roulers, elle donnait une satisfaction légitime à une ville manufacturière qui, si elle n'a qu'une population de 35,000 âmes, est en première ligne, par son industrie, qui a acquis une renommée européenne et dont tous nous devons être fiers.
Elle a une activité vivace et durable, ses produits se répandent sur tous les continents du globe, et, chose remarquable, cette industrie ne demande de protection à personne, elle réclame uniquement l'égalité de traitement international, la liberté des échanges.
J'arrive au canal latéral, c'est encore un autre grief dans la bouche de l'honorable M. Dumortier. A l'en croire, il a été évidemment construit pour l'usage exclusif de la ville de Liège ! que dis-je ? Le canal de la Cantine lui-même n'a pas d'autre destination ! L'élargissement des écluses, également ! Il semble que la province de Luxembourg, que la province d'Ainvers n'aient pas un intérêt quelconque à se relier avec nous, à multiplier leurs rapports commerciaux !.
Cela est-il sérieux ? Non, messieurs, et ce qui est beaucoup plus vrai, c'est que différentes autres provinces, celle de Namur par exemple, profitent de ces artères fluviales et de ces canaux, qui servent à transporter leurs produits.
Après avoir protesté, comme c'était mon devoir, contre les attaques injustes de l'honorable M. Dumortier, je le prie de croire que, suivant de tout autres inspirations, les représentants de la province et de la ville de Liège sont résolus, comme ils l'ont toujours fait, à ne jamais se montrer systématiquement hostiles à aucun des arrondissements du pays ; je volerai, par exemple, de très grand cœur la ligne d'un chemin de fer de Tournai à Lille.
M. B. Dumortier. - On ne vous demandera pas un sou pour ce travail.
M. Muller. - Si vous ne demandez pas un sou au trésor, Tournai, votre ville natale, n'en aura pas moins une nouvelle voie ferrée qui sera très productive et d'une haute importance. Heureux ceux qui peuvent obtenir des travaux publics sans avoir besoin de venir frapper à la caisse du trésor !
Un mot, en terminant, sur la question de l'Ourthe. Messieurs, on ne demande jusqu'ici aucune intervention pécuniaire du gouvernement pour cette rivière.
Voici la position : en 1827 ou en 1829, la canalisation de l'Ourthe a été concédée à une société ; nous sommes aujourd'hui en 1860 et cette canalisation est bien loin d'être achevée, et sur les parties où elle est exécutée, on se plaint avec vivacité, mais avec beaucoup de raison, que la société ne remplisse pas ses engagements les plus précis et les plus formels.
La canalisation est vicieuse, incomplète, les péages sont exorbitants ; les conditions ne sont pas remplies, et l'ancienne rivière n'est plus navigable parce que son régime a été bouleversé. On demande donc que le gouvernement sorte de son inaction, qu'il use de ses droits pour forcer la société concessionnaire à tenir ses engagements sous peine de déchéance. Quand d'aussi légitimes réclamations s'élèvent au sein de cette Chambre, elles devraient y trouver de l'écho et, surtout ne pas rencontrer l'hostilité de l'honorable M. Dumortier, qui a répondu aujourd'hui à tout autre chose que ce qu'avait dit et demandé mon honorable ami M. Deliége, et cela, pour avoir écouté peu attentivement ses paroles.
M. B. Dumortier (pour un fait personnel). - Messieurs, il y a une chose intolérable dans cette enceinte, c'est que des membres viennent lancer des personnalités à leurs collègues, s'érigent en censeurs de leurs collègues. J'ai présenté des observations, c'était mon droit et mon devoir ; mais ce qui n'était ni votre droit ni votre devoir, c'est de dire des personnalités et de censurer vos collègues ; il n'y a que M. le président qui ait la police de l'assemblée.
Vous parlez de manie, sont-ce là des expressions parlementaires ? Si je voulais employer de semblables expressions, je pourrais parler de votre manie de tout accaparer pour Liège, de votre manie d'incriminer les paroles de vos collègues et de vous ériger en censeur de l'assemblée.
Après tout, de quoi s'agissait-il ? Il s'agissait de savoir si après toutes les énormes dépenses faites pour Liège...
M. le président. - M. Dumortier, vous vous écartez du fait personnel.
M. B. Dumortier. - C'est vrai, M. le président. Je reprendrai la parole tout à l'heure.
M. Muller. - Je n'ai adressé aucune personnalité à l'honorable M, Dumortier ; j'ai rappelé les actes parlementaires de l'honorable M. Dumortier ; j'ai dit qu'il s'était toujours montré hostile aux travaux de la Meuse et je persiste dans cette opinion.
En dernier lieu, et pour ce qui concerne l'Ourthe, j'ai fait remarquer au représentant de Roulers qu'il n'avait nullement compris ce qu'avait dit l’honorable M. Deliége, faute de l'avoir écouté attentivement.
Voilà, messieurs, le langage que j'ai tenu ; il ne renferme pas l'ombre d'une personnalité. Encore moins, me suis-je permis d'usurper les pouvoirs de M. le président ; je ne m'établis pas le censeur de mes collègues ; mais j'ai, à coup sûr, le droit de repousser d'injustes attaques, et j'ai obéi à mon devoir en défendant ma province, et surtout l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte.
M. le président. - Je n'ai remarqué aucune personnalité dans le discours de M. Muller ; sans cela je l'aurais interrompu ainsi que le règlement m'en donne le droit et m'en impose le devoir.
M. J. Jouret. - L'honorable M. Dumortier a cité spécialement le représentant de Soignies qui a parlé dans la séance d'hier.
Je suis donc forcé à mon tour de lui répondre quelques mots. L'honorable M. de Naeyer dit déjà ce que j'ai répondu moi-même tout à l'heure en interrompant l'honorable M. Dumortier, c'est qu'il a déjà présenté ces observations précédemment et notamment dans la discussion même de la loi de 1859, et que la Chambre n'y a eu aucune espèce d'égard, et a passé outre au vote de l'article qui concernait l'ensemble des travaux à exécuter à la Dendre.
L'honorable M. Dumortier semble avoir perdu complètement de vue ce qui s'est passé dans la Chambre, lors de la discussion de la loi de 1859.
L'amendement qui joignait aux travaux de la Dendre ceux du canal de Blaton n'a nullement été présenté par un représentant de Soignies, il a eu pour auteurs les honorables députés de Mons. Mais j'ai trouvé que ce travail était loin d'être nuisible à ceux décrétés pour la Dendre, et je me suis bien gardé de m'y opposer.
Toutefois, j'ai formellement interpellé M. le ministre des travaux publics sur le point de savoir si les 2,500,000 francs restaient acquis à la Dendre, et l'honorable ministre des travaux publics m'a fait une réponse positive dont j'ai même donné lecture dans la séance d'hier et d'où il résultait que les fonds votés restaient affectés par privilège aux travaux à exécuter à la Dendre.
Je ne comprends donc pas pourquoi l'honorable M. Dumortier a cité à cet égard le député de Soignies, qui n'a pas provoqué cette mesure, mais n'a fait eu quelque sorte que la subir.
Quant à la question que l'honorable M. Dumortier a traitée également, de savoir quelles eaux doivent servir à l'alimentation du canal de Blaton, j'avoue qu'elle m'est complètement étrangère et que je suis forcé, par conséquent, d'en laisser la solution au gouvernement et aux hommes compétents sur cette matière.
A cet égard je me bornerai dire à l'honorable M. Dumortier qu'il est fâcheux, quand un homme de sa valeur traite au sein de cette Chambre une question de cette importance, de s'entendre dire par un ami politique aussi justement considéré ici que l'honorable M. de Naeyer, que l'on s'est mis complètement à côté de la question.
M. B. Dumortier. - Nous allons voir si je me suis mis à côté de la question.
La question dont l'honorable membre vient de parler est celle-ci : en supposant qu'on exécute, comme il le demande, le canal de Blaton, prendra-t-on, oui ou non, des eaux dans l'Escaut ? Si je voulais dire que mon honorable ami s'est mis à côté de la question, cela me serait bien facile, car il s'est mis à côté de l'endroit où l'eau doit se prendre.
L'honorable membre prétend qu'on ne prendra pas les eaux dans l'Escaut, parce qu'il y a un bief de partage ; mais oui, il y a un bief de partage ; or, il faut fournir de l'eau à ce bief de partage. Où prendrez-vous cette eau ? J'ai parcouru cent fois ce pays, et je puis en parler d'une manière certaine : irez-vous, par hasard, prendre les eaux nécessaires à un canal de grande navigation, dans la petite Dendre qui passe à Leuze ? Mais, messieurs, et je vous demande pardon de la comparaison, on peut la sauter à pieds joints ; ce n'est pas là que vous irez chercher l'eau nécessaire. Il n'y a qu'un seul moyen d'alimenter ce canal de grande navigation : c'est l'Escaut.
Or, j'appelle l'intention de M. le ministre des travaux publics sur ce point. On a créé le canal de l'Espierre, on l'alimente au moyen des eaux de l'Escaut ; on a créé le canal de Bossuyt, on l'alimente au moyen des eaux de l'Escaut ; la France a dérivé les eaux, de la Scarpe pour les porter (page 217) à Lille. Troisième dérivation des eaux de l'Escaut. Il s'agirait maintenant d'une quatrième prise d'eau dans l'Escaut au profit de la Dendre.
Je demande si ce n'est pas là une question qui mérite un examen sérieux. Est-ce que par hasard cette navigation si importante de l'Escaut qui se traduit par un mouvement hebdomadaire de 100 navires chargés chacun de 200 tonneaux de marchandes, ne constitue pas un fait de nature à être pris en sérieuse considération ?
L'honorable M. Henri Dumortier, qui habite souvent les bords de l'Escaut, me disait tout à l'heure qu'il y a aujourd'hui tellement peu d'eau dans l'Escaut qu'on passe la rivière à gué.
Eh bien, toutes ces prises d'eau dans l'Escaut finiront par rendre la navigation impossible.
Je crois que cela est plus sérieux qu'en ne pense et que cela mérite autre chose que de superbes dédains ou des plaisanteries. (Interruption.)
Je ne dis pas des plaisanteries, je signale un fait des plus sérieux, en avançant qu'il ne s'agit de rien moins que de compromettre une des navigations les plus importantes du pays.
On a parlé de la Meuse ; mais qu'est-ce que la navigation de la Meuse à côté de celle de l'Escaut ? Elle n'en est pas même l'ombre.
Or, une artère aussi importante, la première artère navigatrice du pays, vous ne pouvez pas la rendre infructueuse, la stériliser en la privant de l'élément nécessaire pour la navigation.
Maintenant, je répondrai deux mots aux honorables députés de Liège.
La question, messieurs, est bien simple. « L'honorable M. Deliége, me dit-on, n'est venu demander que l'exécution du contrat. » Je le sais, mais l'honorable membre a ajouté que cette partie du pays a toujours été oubliée dans le partage des travaux publics. Voilà, messieurs, tout le système : Faites exécuter le contrat ; on sait bien qu'il ne sera pas exécuté, et on dira alors au gouvernement : « Faites-le vous-même. » Et voilà l'Etat engagé dans de nouvelles dépenses.
Et l'honorable membre le comprend très bien, puisqu'il est venu dire aussi que lorsqu'on a exécuté le canal latéral à la Meuse, il fallait donner également au côté opposé un travail à faire aux frais du trésor public. Voilà donc deux demandes coup sur coup en faveur de cette malheureuse province de Liège, si pauvre, si déshéritée, et qui ne tend jamais la main pour avoir quelque chose !
Eh bien, c'est pour moi tout l'opposé. Quand j'envisage la manière dont les travaux publics ont été répartis depuis bien des années, je dis que la part la plus large a été affectée, comme je le disais tout à l'heure, à la Meuse... (Interruption) et aux côtes.
L'honorable M. Muller a parlé d'Ostende, j'en ai parlé avant lui. Il est incontestable qu'on a fait des travaux considérables aux côtes. Mais que feriez-vous, si vous n'aviez pas Anvers, et Ostende ? (Interruption.) Comme le dit l'honorable M. Loos, on n'a rien dépensé pour la navigation d'Anvers.
- Un membre. - Cela viendra.
M. B. Dumortier. - J'ai voté contre les fortifications d'Anvers ; eh bien, je déclare que si l'on venait demander des fonds pour faire des travaux au port d'Anvers, je les voterais, parce que, dans mon opinion, le pays ne peut pas exister sans Anvers ; qu'Anvers est la plus belle perle de la couronne de Belgique.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de savoir à quoi on appliquera les fonds du trésor. De tous les points du pays on réclame l'exécution de travaux. Or, il est évident que si encore une fois on va dépenser des millions du côté de la Meuse, les travaux urgents qui sont demandés par les autres provinces seront encore écartés. Réclamez, m'a-t-on dit ; nous sommes prêts à voter toutes les dépenses que vous proposerez.
Je le crois bien, parce que dans toutes les lois de travaux publics, vous avez la plus grosse part, et que nous autres, nous n'y figurons jamais.
Cela prouve une seule chose : c'est que personne ne mange mieux que celui qui a bon appétit.
Je dis qu'on a fait énormément pour Liège et que le jour est venu de songer aux autres districts du pays pour lesquels on n'a jamais rien fait.
L'honorable membre me dit qu'en pourrait faire le compte de ce qu'on a dépensé pour le district de Roulers. Je l'engage beaucoup à faire ce compte ; je crois que ce compte comprendra un chiffre unique, et que ce chiffre unique sera zéro.
Seulement, le district de Roulers a reçu quelques petites routes pavées ; mais la province de Liège a été dotée de pareilles routes en bien plus grand nombre, Il en est de même du Luxembourg.
Je répète qu'il est temps de songer au reste du pays. Vous avez dépensé bien des millions pour la dérivation de la Meuse, pour le chemin de fer qui passe par Liège et qui ne devait pas y passer, mais qui devait passer à Visé d'après le projet primitif présenté par l’honorable M. de Theux. Cela est tellement vrai que lors du traité du mois de novembre 1831, c'est-à-dire il y a 29 ans, on a fait faire les études du chemin de fer par Visé.
Si on l'a fait passer par Liège, c'est uniquement dans l'intérêt de cette ville. Cela a coûté 30 millions à l'Etat, Et quand on a déjà obtenu tant d'avantages, est-on fondé à venir toujours réclamer, comme si on existait seul en Belgique ? Allons, messieurs, faites preuve de sentiments de fraternité envers des districts qui n'ont encore rien obtenu ; montrez-vous justes et équitables à leur égard, alors surtout qu'ils ne demandent qu'une bagatelle.
M. le président. - La parole est à M. Goblet.
M. Goblet. - Je ne crois pas, messieurs, devoir intervenir pour discuter une question tout à fait générale, dans un débat aussi animé et plein d'intérêt ; je céderai donc mon tour de parole à l'honorable M. Loos, pour qu'il puisse répondre à l'honorable M. Dumortier.
M. Loos. - Messieurs, lorsque j'ai entendu l'honorable M. de Naeyer, dans sa dissertation sur les chemins de fer en Belgique, vanter l'admirable position du pays, situé entre l'Angleterre et le nord de l'Allemagne, et nous recommander de faire ce qui dépendait de nous pour ne pas perdre les avantages de cette situation, pour la développer au contraire, je n'ai pu m'empêcher de témoigner le désir de prendre la parole pour constater qu'au lieu de chercher à développer cette situation avantageuse, nous la contrarions tous les jours et par nos lois fiscales et par nos tarifs de transport.
Plus d'une fois déjà je suis venu entretenir la Chambre de la situation qui se présentait pour le pays en fait de transports.
J'ai constaté que l'important commerce de transit entre la Belgique et l'Allemagne se perdait tous les jours de plus en plus.
Nous sommes venus demander, pour réparer ce tort, qu'on fît un chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne plus droit que celui qui existe afin de diminuer la distance et conséquemment le prix de transport.
On a répondu que ce chemin était impossible à raison du peu de produits qu'il donnerait.
On nous a cité un chiffre qui malheureusement était exact. On a dit qu'on ne transportait entre Anvers et l'Allemagne qu'une quantité peu importante de tonneaux de marchandises ; mais on a oublié du dire que ce chiffre était celui du moment, mais qu'il avait été deux ou trois fois plus fort auparavant.
Comment le chiffre des transports a-t-il diminué ? C'était précisément parce qu'un port rival, celui de Rotterdam, avait trouvé à établir au taux plus modique de transport vers l'Allemagne et s'était emparé de tous les avantages que présentait notre heureuse situation, c'est-à-dire que toutes les marchandises transportées de l'Angleterre vers le Nord de l'Allemagne débarquaient autrefois à Anvers et qu'elles vont depuis lors par Rotterdam.
Ainsi par exemple, notre commerce de transit, qui en 1854 était encore de 107,000 tonneaux, est tombé en 1858 et c'est l'année, je crois, à propos de laquelle on a répondu que les transports n'étaient pas suffisants pour établir une ligne directe de chemin de fer, est tombé, dis-je, en 1858 à 79,000 tonneaux.
Depuis lors, messieurs, ce commerce de transit n'a fait que déchoir ; et comment voulez-vous qu'il en soit autrement quand toutes les lois fiscales du pays viennent contrarier les avantages de notre position ? Comment voulez-vous que nous en tirions le parti que le commerce devrait pouvoir en tirer ? Voilà pour les transports.
Mais la navigation reste grevée chez nous d'un droit de tonnage important qui a été supprimé en Hollande.
Voulez-vous savoir quelle est l'importance de ce droit ?
Un navire de 500 tonneaux paye 1,100 francs à l'Etat en Belgique, il ne pave rien à Rotterdam.
Comment voulez-vous que, dans des conditions pareilles, le port d'Anvers puisse tirer parti de sa position ? Vous reconnaîtrez que cela est impossible.
Pour ce qui concerne les transports vers l'Allemagne, de Rotterdam vers le Rhin on paye 10 francs, d'Anvers vers le Rhin 17 fr. 20 c.
Encore une fois, comment, dans ces conditions, voulez-vous qu'Anvers tire parti de son admirable position ? C'est impossible.
Quand j'ai dû reconnaître avec M. le ministre que les transports (page 218) entre Anvers et le Rhin n'étaient plus assez importants pour justifier l'établissement d'une ligne directe, j'ai proposé un autre moyen de vaincre cette difficulté.
J'ai dit : Abaissez le tarif ; au lieu de construire un chemin de fer direct pour les marchandises vous pouvez y suppléer en abaissant vos tarifs, en prenant la distance à vol d'oiseau pour base de vos tarifs. En appliquant nos tarifs de cette manière, c'est comme si vous aviez, quant au transport des marchandises, une ligne directe de chemin de fer vers le Rhin.
Le gouvernement paraissait vouloir approuver cette combinaison. Je suis malheureusement au regret de devoir constater qu'on en a bien parlé, mais qu'on n'a rien fait.
Dans ces derniers temps le très regrettable fonctionnaire que nous venons de perdre m'avait dit qu'il avait soumis au ministre des travaux publics un projet de tarif réduit, non pas le tarif des distances à vol d'oiseau, mais un tarif réduit dans des proportions bien plus grandes, de 50 p. c.
Je ne sais ce qui en est, mais en réduisant le tarif de 50 p. c. vous mettriez le port d'Anvers en position de pouvoir lutter, quant au prix du transport vers l'Allemagne, avec la Hollande.
Resterons toujours les frais importants dont la navigation est grevée et qui ne seront pas peu de chose, puisque, sur un navire de 500 tonneaux, les droits sont de 1,100 fr.
Et ne croyez pas que les dépouilles du port d'Anvers n'aient pas été recueillies par la Hollande. Voyez sous ce rapport la situation de 1854 à 1858. Le trafic entre la Hollande et le Rhin a augmenté de 41 p. c., il a donc presque doublé. Eh bien, messieurs, ce sont là les dépouilles du port d'Anvers.
Si la Hollande n'avait pas profité des pertes d'Anvers, le mouvement aurait néanmoins, j'en conviens, augmenté pour la Hollande, comme il a augmenté généralement, excepté d'Anvers vers le Rhin.
Nous voyons, en effet, le chiffre de nos transports vers le Rhin diminuer de jour en jour, et pour peu qu'on persiste dans le système qui existe aujourd'hui, je puis dire que les 79,000 tonneaux de 1858 vont se trouver réduits à très peu de chose avant peu de temps, car on perfectionne les transports de marchandises en Hollande par la création de nouvelles lignes.
Je ne puis donc qu'insister auprès de M. le ministre des travaux publics pour qu'il prenne des mesures pour parer à cette situation fâcheuse.
M. Goblet. - Messieurs, l'honorable M. de Naeyer a vivement attaqué une proposition que j'ai émise quelque peu incidemment dans la séance d'hier. Il a cru devoir combattre l'idée que j'avais émise du rachat possible des chemins de fer concédés.
L'honorable membre, pour soutenir son argumentation, a commencé par prêter à mes intentions et à mes propositions un absolutisme que je n'avais pas le moins du monde compté y mettre.
Je n'ai jamais songé qu'on puisse racheter en une seule fois tous les chemins de fer concédés.
C'est une question, je le sais, où l'on rencontrera de grands obstacles, non seulement à cause de la difficulté de fixer la valeur des chemins de fer, mais encore, comme l’a dit l'honorable M. de Naeyer, à cause des intérêts privés qui y sont engagés.
Mais que l'affaire soit de longue haleine, ce n'est pas une raison pour ne pas commencer.
Je ne crois pas que le rachat des chemins de fer concédés soit une question d'argent aussi considérable que veut bien la représenter l'honorable M. de Naeyer.
Il est évident que les chemins de fer concédés rapportent. Il est évident, pour moi, que quand on leur accorde une rente comme condition de rachat, leur rapport couvrira bientôt et au-delà le payement de cette rente.
Messieurs, l'économie de l'exploitation d'un chemin de fer ne consiste pas à savoir si l'on paye les employés plus ou moins ; si l'on entretient la voie plus ou moins bien ; si l'on fait, en un mot, les choses d'une manière bien parcimonieuse ; l'économie véritable de l'exploitation du chemin de fer, c'est de faire les transports dans les meilleures conditions possibles.
Eh bien, vous ne ferez jamais de transports avantageusement, si vous ne pouvez pas les faire sur de longues distances moyennes. Leur peu d'étendue a tué l'exploitation des chemins de fer concédés en Belgique ; c'est aussi ce qui rend les chemins de fer de l'Etat moins productifs qu'ils ne devraient être.
Les wagons reviennent à vide, les locomotives font des retours infructueux ne traînant rien après elles.
C'est là une perte et une grande perte ; c'est si vrai que l'honorable M. de Naeyer l'a constaté en réclamant une chose juste, la cessation de la séparation des deux grandes lignes de Mons vers Bruxelles et de Bruxelles vers l'Allemagne.
On augmente les frais naturels par ceux de changements de lignes, de transbordements.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il n'y a pas de transbordement.
M. Goblet. - Je parle en thèse générale, je dis que les chemins de fer concédés perdent beaucoup de temps ; la plupart du temps, les waggons reviennent à vide.
Maintenant si vous vous placez... (Interruption.) Je n'ai pas les chiffres ici ; je ne comptais pas m'étendre sur cette question ; si j'avais pu le prévoir, j'aurais apporté des chiffres irréfutables à l'appui de ma thèse. Par exemple si vous chargez à Charleroi du fer ou du charbon pour Anvers, vos waggons reviennent sans chargement, ce qui n'arriverait pas si tous les waggons appartenaient à la même administration.
Il est évident qu'en se plaçant au point de vue fiscal cette question doit être résolue contre mes principes ; mais le chemin de fer de l'Etat ne doit pas être considéré comme une source de revenus, mais il doit être exploité au profit de la société belge ; il faut donc tout d'abord qu'il soit un service rendu.
Avant un certain temps vous arriverez nécessairement en Belgique, l'honorable M. Loos vient de toucher cette importante question, à modifier les tarifs des transports de marchandises, si vous voulez que votre commerce et votre industrie puissent lutter avec le commerce et l'industrie étrangère. Si vous n'abaissez pas vos tarifs, si vous ne réduisez pas presque à rien le transport de vos marchandises, vous ne pourrez plus soutenir la concurrence avec l'Angleterre pour vos produits pondéreux. Vos charbons et vos fers du bassin de Charleroi pour aller du lieu d'extraction sur le marché d'exportation où on les consomme payent 8 fr. de transport par tonne, tandis qu'en Angleterre on les embarque au lieu même d'extraction et la navigation peut sans transbordement les déposer au lieu de consommation.
Avant un certain nombre d'années vous devrez aviser au moyen de réduire dans une proportion considérable, je le répète, les frais de transport. Si vous n'avez pas pris des mesures à l'avance pour organiser le rachat des lignes concédées, ce rachat vous coûtera bien plus cher alors qu'il sera inévitable, tandis qui si vous vous y préparez, si vous l'entreprenez petit à petit vous l'opérerez à des conditions bien meilleures.
Les compagnies ont des cahiers des charges et des contrats d'exploitation, vous ne pouvez pas les obliger à abaisser leurs tarifs.
Leur exploitation se fait au point de vue fiscal, elles n'ont fondé leur entreprise que pour gagner ; ce n'est plus là un service public.
Je ne veux pas, messieurs, abuser de l'attention de la Chambre. Il me resterait encore beaucoup de choses à dire dans cette question qui n'est pas encore, j'en conviens, arrivée à maturité complète, et que je n'ai nullement eu la prétention de résoudre ex abrupto dans cette enceinte, mais j'attendrai une autre occasion pour m'étendre davantage sur ce sujet.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur m'informe que dimanche, 10 décembre, à 2 heures, un Te Deum sera chanté dans l'église de SS. Michel et Gudule à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Sa Majesté.
L'année dernière, la Chambre a assisté en corps à celle cérémonie, entend-elle y assister également cette année ?
- Un grand nombre de voix. - Oui ! oui !
M. le président. - La Chambre assistera en corps à la cérémonie.
(page 219) M. Vermeire. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable député d'Anvers développer cette thèse que le gouvernement devait prendre des mesures promptes et efficaces, de nature à pouvoir lutter pour le transport des marchandises dirigées vers l'Allemagne et les Pays-Bas.
L'honorable M. Loos, pour atteindre plus facilement le but, demande qu'on construise un chemin de fer direct d'Anvers vers l'Allemagne ; il croit que ce serait là le meilleur moyen pour soutenir avantageusement la concurrence.
Je suis d'accord avec l'honorable membre sur l'utilité de ce moyen ; mais en attendant que celui-ci soit pratiqué, il me semble que le gouvernement pourrait, dès aujourd'hui, obtenir un résultat satisfaisant en faisant subir quelques modifications au tarif d'exploitation du chemin de fer.
Notre tarif, tel qu'il est conçu, est trop compliqué, nous l'avons démontré bien des fois dans d'autres discussions ; ensuite l'heure étant très avancée, nous n'y reviendrons pas aujourd'hui.
Mais je ne puis cependant m'empêcher d'appeler l'attention spéciale de l'administration des chemins de fer sur la nécessité d'organiser des convois complets pour le transport des matières pondéreuses avec une réduction de prix assez notable pour soutenir la concurrence.
Pour avoir des convois réguliers et presque toujours complets, il faut que le matériel soit suffisant pour répondre à toutes les demandes qui pourront être adressées à l'administration.
Or, qu'arrive-t-il aujourd'hui ? c'est que du moment que les canaux sont fermés pour cause de réparation ou de gelée, et que les transports de charbon et d'autres matières encombrantes se dirigent vers le chemin de fer, le matériel fait immédiatement défaut.
Des calculs que j'ai présentés à la Chambre, à d'autres époques, prouvent, à toute évidence, que le coût de l'unité du trafic diminue à mesure que la quantité à transporter augmente, et que cette différence est produite, non pas dans une proportion arithmétique, mais dans celle d'une progression réellement étonnante. C'est donc vers l'atteinte d'un résultat pareil que nous devons diriger nos efforts, c'est-à-dire, autant qu'il est possible de le faire, user du matériel ; en avoir en quantité suffisante pour remplir tous les besoins, réduire le prix de transport à mesure que le prix du coût diminue ; alors tous les intérêts seront saufs ; les capitaux engagés dans la construction rapporteront davantage, parce qu'une plus grande activité régnera sur la voie, et le trésor comme les particuliers y trouveront leur profit.
Je me résume en ces mots ; convois de marchandises complets ; réduction des prix de transport ; conditions égales pour toutes les parties du pays qui se servent du chemin de fer.
De cette manière on obtiendra beaucoup de recettes et on rendra de grands services au commerce et à l'industrie.
Dans ce système il resterait à examiner si l'application d'un tarif à vol d'oiseau ne remédierait point, en grande partie, aux nombreux détours que, pour satisfaire à de plus grands besoins, la ligne de l'Etat a été obligée de faire.
L'application de ce système produirait immédiatement les bons résultats signalés par l'honorable M. Loos, et principalement ceux qui concernent les transports d'Anvers vers l'Allemagne.
(page 218) - La séance est levée à 4 heures et demie.