(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 1487) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)
M. de Moor, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pétitions qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres de l'administration communale de Jambes demandent que la loi permette la réhabilitation d'un individu qui a été condamné à une peine correctionnelle. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les curés du canton de Melreux demandent une augmentation de traitement. »
- Même décision.
« Des médecins à Zele demandent que le projet de loi sur l'art de guérir conserve aux médecins des communes rurales le droit de cumuler la pharmacie et la médecine. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les sieurs Van Staelen et Van Ruckelingen, président et secrétaire d'une société flamande, demandent que la langue flamande soit mise sur le même pied que la langue française dans le projet de loi concernant l'examen et le grade d'élève universitaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« M. le président de la commission provinciale d'agriculture du Limbourg adresse à la Chambre 2 exemplaires imprimés du rapport sur la situation de l'agriculture de cette province en 1859. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. M. J. Jouret. - Messieurs, la suppression des octrois sera, j'aime à le croire, un bienfait pour le pays entier.
Celles des communes sans octroi qui doutent encore apprécieront à leur tour les avantages de cette grande réforme quand l'expérience aura dissipé d'injustes préventions, et surtout quand la part qui leur reviendra du fonds communal aura permis d'abolir la capitation et fait disparaître ainsi une source des plus criantes injustices.
Les taxes communales, nous disait hier l'honorable M. Desmaisières, sont établies au moyen de la division des contribuables en plusieurs classes, en raison de leur consommation présumée en objets et denrées sur lesquels se perçoivent les droits d'octroi. Mais c'est là une erreur de la part de l'honorable membre. Du moins les choses ne se passent pas ainsi dans le Hainaut, où les rôles des taxes communales sont formés par les conseils communaux, qui prennent pour base la fortune présumée.
On ne connaît pas généralement l'arbitraire qui préside parfois à l'assiette de cette taxe ; on ne sait pas avec quelle latitude elle sert, dans quelques communes rurales, d'instrument aux rancunes, aux passions de l'esprit de parti, ou aux calculs intéressés de certains individus omnipotents dans l'endroit.
Le désir de hâter le terme de cet odieux abus est une des considérations qui m'engageraient à appuyer le projet de loi. J'espère, d'ailleurs, que les modifications qu'il recevra dans la discussion me rendront facile le vote que je suis disposé à lui donner.
Toutefois, en parlant de modifications, je n'entends pas faire allusion à des dispositions du projet dont l'adoption me serait personnellement préjudiciable, par exemple l'augmentation de l'accise sur la bière, dont j'aurais peut-être à souffrir comme membre d'une famille de brasseurs ; car je ne suis ici ni le député d'une, famille ou d'une industrie, ni le défenseur d'intérêts privés, mais le représentant du pays ; je ne dois connaître et je ne connais d'autres intérêts que les siens.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai vainement attendu jusqu'à présent la réalisation des promesses que l'opposition, du dehors tout au moins, faisait à l'égard du projet de loi qui nous occupe.
A l'entendre, il semblait qu'il était indigne de vos délibérations. On se persuadait, on essayait surtout de persuader, qu'il renfermait de telles énormités que rien ne serait plus facile que de l'accabler.
Jusqu'à présent, je l'avoue, je n'ai rien entendu, non pas qui ait ébranlé ma conviction, mais qui ait fait naître un doute dans mon esprit.
Le début de la discussion promettait, il est vrai. J'avais à peine fait un appel à l'esprit de modération, à la conciliation, je venais à peine de convier les membres de cette Chambre à aider de commun accord à la solution de ce difficile problème, qu'on me répondait immédiatement par ce mot fatal : « C'est du socialisme ! » Peut-on se commettre jusqu'à chercher à améliorer même une œuvre empreinte de socialisme ?
Mais, l'avouerai-je ? ce mot m'avait réjoui. Il me semblait que j'étais plus jeune de dix ans ; je croyais que nous allions voir reparaître cette époque où toutes les propositions émanées des mêmes hommes qui siègent encore aujourd'hui au banc ministériel, étaient impitoyablement repoussées par ce mot de socialisme !
Hélas ! le mot, je le reconnais, est tombé sans que personne ait songé à le relever. A peine l'honorable M. Pirmez a-t-il fait un petit effort pour le reprendre, mais, je crois, sans le moindre succès.
Ce premier moyen d'opposition manquant, il a fallu en chercher un autre. Un honorable membre a cru découvrir une violation de la Constitution dans le principe qui sert de base au projet de loi ; mais l’hérésie constitutionnelle qu'il voulait faire proclamer, était tellement flagrante qu'on a laissé l'honorable membre dans le plus complet isolement. Je puis donc me dispenser de faire à l'objection l'honneur de la discuter. Seulement l'honorable membre n'a rien trouvé de mieux pour se consoler que d'injurier ceux qui, ayant le malheur de ne point partager son opinion, font acte d'adhésion au projet de loi. Ce sont des gens méprisables ; ils préfèrent l'argent à l'honneur !
Il me semble que le sentiment exprimé partant d'honorables citoyens, non seulement des villes, mais en beaucoup plus grand nombre des communes rurales, méritait un peu plus d'égards, un peu plus de considération.
Il n'est pas, messieurs, jusqu'à cet innocent personnage, ce personne mythique que j'avais fait intervenir dans la discussion, qui, par cela seul sans doute que je l'avais nommé mon ami, a été immédiatement traité, par l'honorable membre, de malhonnête homme.
Je ne signale de pareils écarts, messieurs, que pour montrer jusqu'où la passion peut pousser d'honorables membres et dans quels excès ils tombent pour défendre leurs futiles objections, si faibles, je l'ai ait tout à l'heure, que ces prétendues violations de la Constitution ne trouvent plus personne ici qui consente à les dénoncer.
Mais, je le confesse, à part les honorables membres dont je viens de parler et qui avaient ouvert la discussion, l'opposition s'est maintenue depuis dans des termes fort différents.
Ce n'est pas que j'en induise de sa part un vote favorable au projet de loi. Elle n'attaque plus le projet de loi dans son principe, dans son essence ; elle ne le qualifie plus aussi durement ; elle se borne à soulever des critiques de détail et à proposer certains amendements dont le rejet servira à expliquer un vote hostile.
Cependant, une objection, quoique peu appuyée dans la Chambre, a été faite et on y a persisté. Je suis donc obligé de la rencontrer, ou plutôt je le fais parce qu'elle a été reproduite, en excellents termes, d'ailleurs, par un de nos plus loyaux adversaires, l'honorable M. de Naeyer.
A son avis, le projet de loi porte atteinte à l'indépendance, à la liberté des communes. C'est là, si j'ai bien compris, ce qu'il voit de plus grave dans le système que nous proposons. Or, messieurs, ce reproche est-il fondé à quelque degré que ce soit ?
Quelle est aujourd'hui la situation ?
Une commune ne peut ni s'imposer, ni faire des changement au mode de ses impositions, ni même supprimer des impositions, sans l'intervention de l'autorité royale.
Si l'on part de la supposition d'une pression, d'un moyen de pression laissé au pouvoir exécutif, c'est à ce point de vue que le grief a quelque portée. Le pouvoir exécutif est donc investi d'un moyen d'action puissant, extrêmement énergique sur la commune ! Les communes, d'autre part, la plupart dénuées de ressources, ont besoin de subsides ; ou leur en alloue d'assez importants ; elles sont, sous ce rapport, complètement à la discrétion du pouvoir exécutif.
Voilà la situation actuelle des communes. Quelle est celle que le projet de loi leur prépare ? Il placera les communes dans une situation d'autant plus forte, qu'elles auront plus de ressources, et de ressources qui ne dépendront pas de la fantaisie, du caprice du pouvoir exécutif, mais qu'elles tiendront d'un titre tellement puissant, irrécusable, qu'il donnerait aux communes une action contre le pouvoir exécutif devant le pouvoir judiciaire pour revendiquer leurs droits : La situation nouvelle, bien loin de menacer la liberté des communes, n'aura-t-elle pas, au contraire, pour résultat d'accroître dans une large mesure leur indépendance ?
Pour vous, la commune qui va de porte en porte, de ministère en ministère, solliciter un subside pour l'église, pour les routes, pour les écoles, mettant en mouvement toutes les influences dont elle peut disposer, cette commune qui va ainsi mendiant les faveurs du pouvoir (page 1488) exécutif, c’est la commune indépendante, fière et libre que vous m’accusez de vouloir anéantir ; mais la commune qui trouvera en elle-même des moyens suffisants pour faire face à toutes ses dépenses, la commune qui n’aura pas de faveur à attendre du pouvoir exécutif, c’est la commune qui tombe dans le communisme !
J'avoue qu'une objection de cette nature n'est pas faite pour me toucher. Si l'on veut dire qu'aux avantages que je viens d'indiquer, et qui sont manifestes, incontestables, il eût été désirable d'en joindre un autre encore, celui de voir les communes s'imposer elles-mêmes, créer elles-mêmes leurs ressources, ne pas rendre nécessaire l'intervention de la législature, je reconnais qu'à certains égards, ce système eut été préférable, au point de vue pur des principes.
Je crois que ces objections écartées, nous pouvons en revenir à examiner le principe fondamental du projet de loi. Quel est-il ? Nous disons : Les octrois imposent des charges à la généralité des habitants du pays, les octrois froissent les intérêts généraux ; les octrois pèsent sur l'agriculture dans des proportions que je ne puis pas déterminer, mais dans une mesure réelle, incontestable ; les octrois, gênant la généralité, étant une charge pour la généralité, rien n'est plus juste que d'appeler la généralité à concourir à leur suppression.
Il serait même contraire à l'équité qu'il en fût autrement. Il serait contraire à l'équité que l'on fît disparaître incontinent les octrois en laissant peser sur les villes toutes les charges qui résulteraient de leur abolition.
Mas*, je le reconnais, si les octrois n'intéressent pas la généralité, si les campagnes sont parfaitement désintéressées dans la question, le projet de loi est inique et il faut le rejeter sans pitié. Je convie, à droite et à gauche, tous ceux qui ont cette conviction, à voter contre le projet de loi. Examinons donc si, en effet, les octrois intéressent la généralité.
Or, messieurs, je le demande à tous, n'est-ce pas nier l'évidence que de contester une pareille proposition ? Ne faut-il pas que l'on se condamne aux plus étranges palinodies si l'on veut nier que l'agriculture a un intérêt direct immense, dans la suppression des octrois ?
M. de Naeyer. - Personne ne le nie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne ne le nie.
M. B. Dumortier. - Moi, je le nie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en êtes bien capable.
Ainsi, nous entendons partir des bancs de l'opposition ces opinions différentes : les uns reconnaissent pleinement le principe que je viens d’énoncer, ils reconnaissent que les octrois intéressent la généralité, que l'agriculture a un grand intérêt à leur destruction.
M. H. Dumortier. - Dans quelle proportion ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute c'est la question aussi. Mais il faut commencer par se mettre d'accord sur le principe.
Il y a côté de cela quelqu'un, j'espère qu'il sera seul, c'est l'honorable M. B. Dumortier, qui soutient le contraire..
M. B. Dumortier. - Pardon, je suis d'accord avec vous. Vous avez soutenu dans le temps, je le prouverai quand vous voudrez, que les impôts indirects étaient payés par les consommateurs, exclusivement par les consommateurs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Bien ; nous viendrons tout à l'heure à cette question et nous attendrons vos révélations au sujet des opinions que j'aurais exprimées sur ce point.
Il faudrait donc, messieurs, je le répète. nier l'évidence, nier des faits incontestables, rétracter des longue réclamations, rétracter les plaintes les plus énergiques qui ont été formulées pour obtenir l'abolition des octrois au nom de l'intérêt agricole.
L'honorable M. Vermeire lui-même, esprit modéré, sans nier cet intérêt, l'affaiblissait beaucoup et croyait que nulle part on n'avait réclamé, au nom de l'agriculture, l'abolition de cette mauvaise institution. Eh bien, si je fais appel à la commission d'agriculture de la province de l'honorable membre, j'y trouve, non pas des plaintes anciennes et vagues, mais des plaintes récentes et formelles.
Son dernier bulletin, que j'ai eu sous les yeux, contient les réclamations les moins équivoques à ce sujet. Il insiste pour que l'on débarrasse l'agriculture de pareilles entraves. Ne nuisent-elles pas à la consommation et partant à la production ?
Mais, j'ai ajouté et je maintiens que le producteur était plus directement encore intéressé à l’abolition des octrois ; qu'il lui arrivait de payer parfois cet impôt. J'ai cité des faits. J'ai invoqué des témoignages non suspects, impartiaux. J'ai appelé à mon aide un témoin entendu dans une enquête célèbre sur la viande de boucherie.
L'honorable M. Pirmez a traité avec un grand dédain ce témoin et l'a trouvé un très piètre économiste, un économiste improvisé, qui n'entendait rien à la question qu'il traitait. Et pourquoi cet économiste improvisé n'y entendait-il rien ? Pourquoi ? Parce qu'il a dit : L'octroi joue un rôle insignifiant dans le prix de la viande, et c'est moi qui paye cet impôt. Or, dit l’honorable membre, il est élémentaire que l’impôt s’ajoute au prix de revient, qu'il accroît d'autant ce prix, et il est inadmissible qu'un individu vente au-dessous du prix de revient, il vendra bien temporairement au-dessous du prix de revient, mais c'est un état de choses qui ne peut pas se perpétuer, qui arrêterait bientôt la production.
J'ai fait observer immédiatement à l'honorable membre qu'il jouait sur les mots. Là n'est pas la question. Personne ne soutient le producteur peut vendre à perte et perpétuellement vendre à perte. La question est uniquement de savoir si le bénéfice du producteur peut être réduit par l'impôt, et c'est ce que disait très bien le témoin entendu dans l'enquête.
Cela dépend du taux des droits par rapport à la valeur de la marchandise. On conçoit parfaitement que si le taux était excessif, s'il augmentait dans une proportion extraordinairement notable le prix de revient, il n'aurait pas les mêmes effets dans les fluctuations des prix résultant de la concurrence.
C'est ce qui explique très bien la double réponse que faisait le témoin dans l'enquête dont nous nous occupons. L'honorable M. Pirmez a cru le mettre en contradiction. Il disait d'une part son opinion sur l'impôt de la viande, et il disait d'autre part que le vin à la barrière se vendait 20 c, tandis qu'à l'intérieur, il se vendait 40 c. Vous voyez, dit l'honorable M. Pirmez, que cet homme qui nie dans un cas l'effet de l'impôt, le reconnaît dans l'autre. Il est en contradiction ; c'est un sot et un triple sot.
Eh bien, ce témoin me paraît, au contraire, constater des faits parfaitement vrais et qui s'expliquent.
Encore une fois, cela dépend de la quotité de l'impôt. Il est tout simple que l'impôt sur le vin étant excessif à Paris, étant de près de 400 p. c, il est impossible qu'il y ail la moindre analogie, entre le prix à l'intérieur et le prix à l'extérieur Mais que le droit d'octroi sur le vin à Paris, au lieu d'être de 400 p. c, soit de 10 centimes à l'hectolitre, le prix n'en serait pas moins accru de 10 cent., mais il n'est pas douteux que le prix serait le même à la barrière et à l'intérieur.
M. Coomans. - En y ajoutant pour d'ix centimes d'eau.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On cite des faits analogues à côté de moi. La bière est frappée à Bruxelles de droits d'octroi.
Or, le verre de bière se vend dans l'intérieur de la ville au même prix que dans les cabarets des faubourgs. C'est que l'impôt, quoique supérieur à celui que propose d'établir le projet de loi, est minime et qu'une différence de prix pourrait éloigner l'acheteur.
Mais enfin, messieurs, si l'on ne veut pas admettre ce qui est si raisonnable et si vrai, si l'on ne veut pas admettre que le producteur peut être affecté, qu'il est nécessairement affecté dans certains cas par l'impôt, ce qui explique très bien les plaintes des producteurs dès qu'on veut établir l’impôt, si l'on ne veut pas admettre cela, je ne sais pas ce que signifient les longues discussions auxquelles on se livre quelquefois sur l'impôt direct et l'impôt indirect, sur les impôts de consommation, et les autres impôts. Qu'importe de placer l'impôt à droite ou à gauche ? Dans la société il n'y a que des producteurs et des consommateurs, et si jamais le producteur n'a de peine à récupérer la totalité de l'impôt, si le consommateur le paye toujours, dans toutes les circonstances, - je l'admets en thèse générale, - si cela est vrai, dans tous les cas, comment donc va faire l'ouvrier dont les consommations auront été grevées par l'impôt ? C'est un producteur aussi : il donne du travail ; il reçoit en échange un salaire ; est-ce qu'on augmente son salaire quand de nouveaux impôts sont établis ?
- Un membre ? - A la longue.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh ! sans doute. Mais vous savez en vertu de quelle loi fatale, inexorable, le salaire augmente. C'est lorsque, par des causes naturelles, il y a réduction dans les bras offerts. Voilà quand et à quelles conditions le salaire augmente.
Mais laissons cette discussion qui ne peut guère aboutir. Je concède maintenant et entièrement à mes adversaires la thèse qu'ils défendent.
Eux seuls ont raison, j'ai parfaitement tort : L'octroi est payé exclusivement par le consommateur. Mais vous m'avez fait remarquer que le producteur qui paye les ports de lettres a bien soin de les mettre dans ses frais généraux et de se les faire rembourser par ceux qui achètent sa marchandise. Or, j'imagine que le négociant d'Anvers, qui vend ses denrées coloniales à tout le pays, a bien soin aussi de mettre un peu d'octroi dans l'enveloppe de sa lettre. J'imagine que le fabricant de Gand, qui vend ses calicots dans tout le pays, met également un peu d'octroi dans sa facture ; et, quoi qu'en puisse dire l'honorable M. Tack, je pense que le fabricant de Courtrai opère à peu près de la même manière, en nous vendant ses toiles.
Vous voyez donc, messieurs, que la question, ramenée à ces termes, nous montre qu’il est impossible, quoi qu'on fasse, de nier que les intérêts généraux sont engagés dans la question des octrois.
C'est tout ce que je veux prouver. Les intérêts généraux sont engagés dans la question des octrois ; les octrois grèvent, frappent tout le (page 1489) monde dans une certaine mesure, et par conséquent, il n’y a rien d’illégitime à faire contribuer la généralité à exonérer le pays des octrois.
Cela posé (et la question de la mesure réservée) j'examine les objections qu'on fait à la constitution du fonds communal.
On fait entrer des impôt indirects dans ce fonds communal, nous dit-on ; on donne la préférence à des impôts de consommation. Le système de la commission de 1848 eût été de beaucoup préférable ; mais si nous ne le proposons pas, si c'est à des impôts de consommation que nous avons recours, c'est que nous faisons litière des principes ; nous nous en moquons ; nous pouvons les invoquer à l'occasion, mais nous les rejetons avec mépris, dès qu'il s'agit de les appliquer.
Je conçois que l'honorable membre qui a émis cette opinion et qui tant de fois et pour tant de choses a fait fi de tous les principes successivement arborés, qui a passé du fanatisme de la protection au fanatique du libre échange, - je ne veux pas parler d'autres sujets, - je conçois que l’honorable membre s'imagine qu'on est aussi facilement disposé que lui à abandonner ses principes.
Je crois être toujours conséquent avec les principes que je n'ai cessé de défendre dans cette Chambre et dont je continue à poursuivre l'application.
Nous avons, contre l'honorable membre, malgré l'honorable membre, fait prévaloir dans la législation le principe de la libre entrée des denrées alimentaires.
Nous avons, contre lui et malgré lui, détruit le système des droits différentiels. Nous avons, contre lui et malgré lui, inauguré une politique commerciale nouvelle, adoptée depuis par nos successeurs, par ceux-là mêmes qui l'avaient combattue, et destinée à rester définitivement la politique commerciale de la Belgique. Aujourd'hui, nous venons demander à la législature de proclamer la liberté du commerce à l'intérieur, et je m'aperçois que ce sera encore sans l'honorable membre, si ce n'est malgré lui, que nous aurons fait ce nouveau progrès.
Messieurs, l'honorable membre voit une contradiction en ce que nous faisons un appel à l'impôt indirect.
Et d'abord je n'ai pas cessé de soutenir dans cette Chambre qu'il était impossible de faire face aux dépenses publiques sans un système d'impôts directs et d'impôts indirects, analogue à celui que nous avons. Je l'ai soutenu dans des temps où les impôts directs étaient beaucoup plus en faveur qu'aujourd'hui ; je l'ai soutenu dans cette Chambre en1848. Eh bien, l'opinion que j'ai émise, j'y persiste, assurément. J'ai dit aussi que l'impôt de consommation sur les objets du première nécessité opère comme une réduction de salaire. Cela est indubitable. Mais que fait donc le projet de loi ? Il supprime des impôts sur des objets de première nécessité ou sur des instruments de travail, jusqu'à concurrence d'une somme de 8 à 9 millions, et il les remplace par le produit de la poste, par l'impôt sur le vin, le sucre, l'eau-de-vie, la bière.
Si ce dernier article n'y était pas, incontestablement, il n'y aurait pas l'ombre d'objections possibles dans une pareille transformation. C'est le pain qu'on affranchit ; c'est le combustible, presque aussi nécessaire que le pain, qu'on affranchit ; c'est la viande qu'on affranchit. Ce n'est pas assez. Pour rester plus conséquent avec les idées que nous avons défendues, non seulement nous faisons ce que je viens d'indiquer, mais nous réduisons de 2 millions les impôts de consommation. (Interruption.)
En fait, nous supprimons des impôts de consommation qui donnaient lieu à une perception très onéreuse et qui produisaient plus de 12 millions ; et nous les remplaçons par d'autres pour une quotité moindre d'environ 2 millions ; et, par conséquent, sous le rapport des impôts de consommation, le pays en général trouve, dans le projet de loi même, un allégement de 2 millions.
Mais le grief dans la bouche de l'honorable membre m'a paru véritablement étonnant. L'honorable membre semble avoir oublié, qu'il y a dix ans, dans cette Chambre, j'ai dû, contre lui et contre ses amis, faire des efforts persévérants, énergiques, désespérés, pour arriver à épargner au pays 2 millions d'impôts de consommation, en grevant la propriété de 2 millions.
Ainsi, et je souhaite que l’honorable membre puisse avoir à invoquer devant le pays de tels actes, j'ai épargné au pays, en 1851, 2 millions d'impôts de consommation, grâce à l'impôt sur les successions, et aujourd'hui je viens proposer à la Chambre de dégrever encore le pays de 2 millions d'impôts de consommation.
Mais, dit-on, il n'y a pas de justice dans la manière dont on procède pour la formation et la répartition du fonds communal, par la manière dont on traite respectivement les villes et les campagnes.
Ainsi, nous dit l'honorable M. Vander Donckt, appuyé par l'honorable M. Pirmez, ainsi, on rembourse aux villes leurs capitations : on ne les rembourse pas aux campagnes.
En présence des faits, j’avais, messieurs, deux partis à adopter lorsque je rencontrai, pour certaines villes, des parties extra-muros en dehors de l'octroi qui étaient grevées de capitations ; il me fallait, où bien considérer ces fractions de communes comme des communes rurales, comme des communes sans octroi, ou bien, afin de conserver l’harmonie, considérer ces fractions de communes comme faisant partie de l'agglomération principale.
J'ai adopté le. second système ; mais il paraît que cela cause une peine assez vive à certains membres, qui y trouvent le sujet d'un grief dont la disparition aura probablement pour effet de faire cesser leurs plaintes sur les capitations dans les communes rurales. Eh bien, je ne vois pas grande difficulté à ce qu'on adopta leur manière de voir. Il se peut qu'il y ait quelques communes qui, momentanément, éprouvent de ce chef quelque préjudice ; mais elles auront de larges compensations. Ainsi, je prends Anvers pour exemple ; j'imagine que la section de cette ville extra muros croîtra un peu plus vite que le village de Cruyshautem, et, par conséquent, la quote-part qui devra être attribuée à cette fraction de commune viendra diminuer la quote-part des autres communes sans octroi.
J'ai sous les yeux le chiffre du Quartier-Léopold, et l'honorable membre pourra juger par-là s'il trouve encore à propos de déposer un amendement. Au Quartier-Léopold, la cotisation personnelle est de 59,584 fr. ; si le Quartier-Léopold est considéré comme commune à part, la ville recevra incontinent 70,400 francs et de plus elle aura l'avantage de jouir de l'accroissement des impôts, qui sera très rapide dans ce quartier. Eh bien, c'est parce qu'il m'a paru plus juste de ne pas accorder ce nouvel avantage aux villes, que j'ai considéré les capitations payées comme la représentation de l'octroi. C'est donc au détriment des villes et non pas à leur avantage que cette mesure a été proposée.
Autre grief. Vous accordez, nous dit-on, une garantie illimitée, à toujours, aux communes qui ont des octrois, en prélevant sur le fonds communal une somme de onze millions de francs. C’est là l'objection qui n'a pas cessé d'être répétée. D'abord, messieurs, nous ne garantissons rien ; l'Etat ne garantit rien du tout ; l'Etat crée un fonds au profil des communes et il détermine le partage de ce fonds entre elles, mais de garantie il n'y en a pas.
Il y a le préciput réservé aux communes à octroi ; mais ce préciput est-il donc, comme on n'a cessé de le répéter, est-il fixe, immuable ; va-t-on toujours prendre 11 à 12 millions pour le distribuer aux communes à octroi ? Je suis vraiment étonné que des esprits judicieux comme ceux qui se sont occupés de la question, aient persévéré à répéter une pareille erreur.
Rien de semblable n'existe dans le projet. Cette somme de 11 millions, c'est la somme d'aujourd'hui, ce n'est plus la somme de demain ; aujourd'hui 11 millions, demain moins ; 78 communes ont des octrois qui leur procurent net 11 millions de francs ; mais du jour où l'on applique la loi, le prélèvement n'est plus de 11 millions ; de ce jour, il n'y a plus 78 communes à octroi il n'y en a plus que 70 ; la quotité est déjà moindre que 11 millions ; et à mesure que le fonds s'accroît, le nombre des communes ayant un préciput diminue.
Le fonds pourra augmenter de 2, 3 ou 4 millions, mais la plus grande partie des communes auront cessé d'être dans la catégorie des communes à préciput, des communes à octroi. Et non seulement ce mouvement s'opère ; mais en même temps, il s'opère, par le développement de la richesse et de la population, un autre mouvement qui tend à rapprocher les communes de la quotité légitime à laquelle elles ont droit.
Ainsi, pendant le même temps que le fonds monte par suite de l'accroissement de la richesse et de la consommation, la commune se développe, la population s'accroît, elle s'enrichit, elle paye plus en contribution personnelle et foncière et en droit de patente ; et, par conséquent, l'écart, entre ce que les communes reçoivent aujourd'hui et ce qu'elles auront le droit de recevoir d'après ces trois bases, se réduit successivement.
Ainsi, vous voyez que c'est là une fausse appréciation de la combinaison, du résultat du système. Il est donc absolument inexact de dire que l'on garantit à toujours, à perpétuité, un fonds de 11 millions aux communes à octroi. Cela n'est pas vrai, cela ne le sera plus, même dès le premier jour.
Au fond, et à bien prendre les choses, il n'y aurait qu'une seule question à examiner, celle de la contribution au fonds communal et de la répartition de ce fonds ; et peut-être, pour la bien juger dans son ensemble, faudrait-il passer les choses plus loin, et connaître aussi quelle est la part contributive des habitants des commuées à octroi et des habitants des autres communes dans les impôts généraux.
Je crois, messieurs, que, si l'on allait au fond de cette question, on serait étonné de voir qu’elle est l’énormité des charges qui pèsent sur les villes ; on serait fort étonne de voir que l'ensemble des contributions qui pèsent sur le pays est fourni, dans une proposition énorme, par les habitants des villes. Et, lorsqu'on y réfléchit, on a assez facilement l'explication de la situation qui se présente aujourd'hui.
En 1821 on a établi, d'après des principes généraux, le système d'impositions qui devait être appliqué au royaume des Pays-Bas. Il y avait, d'une part, les contributions directes, la contribution foncière, la contribution personnelle et la contribution des patentes : d'autre part, on avait l’impôt mouture, et l'abattage. Pourquoi l'impôt mouture et l'abattage figuraient-ils dans ce système ?
Parce qu'il y a, au point de vue des impôts directs une très grande inégalité de répartition entre les villes et les campagnes, c'est parce que les campagnes étaient favorisées, qu’on rétablissait l'équilibre avec les deux autres impôts ; ces impôts ont été supprimés ; la position favorable est restée pour les campagnes. Je ne m'en plains pas, j'énonce le fait (page 1490) afin de vous convier à moins de rigueur quand vous appréciez la position respective des villes et des campagnes dans le projet qui vous est soumis.
Mon administration a fait un travail très considérable sur la décomposition des impôts, pour rechercher, d'après des bases certaines, quand elles existent, d'après des bases équitables, quand les bases certaines font défaut, dans quelle mesure les impôts pesaient sur les habitants des villes à octroi et sur les habitants des campagnes.
Vous comprenez que je ne peux pas vous donner les détails de cet immense travail. J'ai fait compulser les 52 volumes comprenant la statistique des propriétaires fonciers en Belgique, que j'ai fait établir en 1850, afin de connaître le domicile des divers propriétaires du sol et constater quels sont les habitants qui payent en réalité l'impôt foncier.
Je vous donnerai les résultats généraux de ce travail, qui a permis de constater que la contribution foncière afférant à des propriétaires appartenant à des villes à octroi, était, pour les propriétés bâties, de 3,006,000 francs et pour les propriétés non bâties 5,578,000 francs ; ensemble 8,584,000 francs.
Pour les propriétaires habitant des communes sans octroi, la contribution sur les propriétés bâties est de 2,592,200 et sur les propriétés non bâties de 7,329,000 fr. ; ensemble 9,921,200 fr.
Si l'on fait le décompte de 105 millions d'impôts divers, on trouve pour les habitants des villes à octroi 52,902,900 fr. ou 51 5/10 p. c. et pour les autres 50,806,000, soit 48 95/100 p. c, C'est-à-dire que la proportion par tête est, pour les habitants des villes à octroi, de 43 fr. 34 et pour ceux des villes sans octroi de 14 fr. 93.
On a ainsi, messieurs, signalé dans notre système d'impôts la répartition inégale des charges entre la propriété mobilière et la propriété immobilière ; plusieurs fois ces plaintes se sont fait entendre ; on les a articulées autrefois, elles ont été répétées de nos jours, j'ai fait publier un travail complet sur cette matière, dans l'introduction à un budget des voies et moyens, celui de 1850, je pense.
Il résulte de ce travail que les impôts qui atteignent la propriété foncière entrent dans l'ensemble des charges publiques pour 39 p. c. et que ceux qui atteignent la propriété immobilière, et la consommation y contribuent pour 61 p. c. Vous le voyez, il n'y a pas cette si grande inégalité de charges entre la propriété immobilière et entre la propriété mobilière.
M. de Naeyer. - Et la consommation seule !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas les chiffres, je crois que c'est 30 et quelque chose pour cent.
M. de Naeyer. - C'est 45 millions, si je ne me trompe.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En y comprenant le produit de la douane.
Je sais que l'on groupe aisément des chiffres, qu'on parle facilement de remplacer les impôts indirects par des impôts directs ; on parle même assez volontiers à droite aujourd'hui de l'impôt sur le riche ; on parle aussi de l'idéal des impôts, du plus juste, du plus agréable, du plus paternel des impôts : de l'impôt sur le revenu. On commet une étrange erreur, on si fait une étrange illusion à ce sujet ; l’income tax est de tous les impôts celui qui a paru le plus insupportable à tous les peuples ; il n'a jamais été accepté que sous des formes assez restreintes, assez réduites ; il n'a été accepté que par nécessité, en présence d'un danger de guerre, d'une situation difficile à l'intérieur, d'un déficit existant dans les finances, impossible à couvrir par d'autres moyens.
Si j'avais une opinion à exprimer sur l’income tax, j'approfondirais ce sujet, mais je veux seulement signaler à voire attention les fausses idées répandues.
On croit généralement que l’income tax est un rapport de quotité qui donne des résultats considérables. On s'imagine qu'avec l'income-tax bien entendu, bien organisé, on arriverait à supprimer tous les impôts.
Voici deux chiffres qui dissiperont bien des erreurs. Les recettes brutes de la Grande-Bretagne sont, pour 1859, de 1,651,761,000 fr. Pour combien croyez-vous que l’income tax figure dans ce budget de 1,600 millions ? Pour 151 millions de francs.
Voilà ce que produit l’income-tax, qui n'est jamais que temporaire, qui n'est maintenu que par exception, voilà ce que produit l’income-tax dans un budget d'un milliard et demi, dans le pays le plus riche du monde et où l'on peut dire que cet impôt est appliqué avec rigueur, appliqué fermement ; et d'ailleurs dans ce pays les dissimulations de revenu sont plus rares que dans d'autres.
Ceux qui en parlent croient à de grandes, à d'immenses fortunes. On croit qu'il y a un très grand nombre de personnes qui peuvent vivre largement des revenus qu'elles possèdent. Il y eu a au contraire très peu, eu égard à la masse totale de la population. C'est insignifiant.
Quant à ceux qui vivent de leurs rentes, qui occupent leurs terres, tout cela est petit dans la masse.
Ce qui est grand et c'est la seule chose grande, c'est le travail, c'est l'échange des services dans la société. C'est à la base que se trouvent les grands revenu. C'est la masse de la population qui les donne.
Quand on est obligé d’exempter, comme en Angleterre, les revenus inférieurs à 100 liv. on arrive à une population imposable presque insignifiante.
Voici, par exemple, pour les revenus industriels et commerciaux de la Grande-Bretagne.
Il y a 388,669 contribuables dans cette catégorie de l’income-tax, ayant ensemble 30 millions de liv. revenu, et dont le revenu individuel ne dépasse pas 200 liv.
Au sommet de l'échelle, je vois d’après le document des taxes locales, que pour 219,113 contribuables, le revenu est de moins de 100 liv., et l'on constate qu'il n'y en a que 40 ayant un revenu de 50,000 liv. Dans cette riche Angleterre, 40 contribuables seulement ayant un revenu de 50,000 liv., parmi ces grands industriels, ces grands négociants, ces grands armateurs, ces hommes qui se trouvent à la tête de ces grands établissements de toute nature !
Vous pouvez juger par-là, messieurs, de ce que rapporterait l’income-tax appliqué à un pays comme le nôtre, de ce que serait ce nouveau genre d'impôt importé chez nous.
Et si l'on se fait, messieurs, des idées aussi erronées sur la fortune, la taxe directe, et l’income tax, on s'en fait de non moins étranges sur la consommation.
J'arrive ainsi, messieurs, à la question peut-être capitale du projet de loi. Je pense que s’il était bien démontré à la Chambre que la part contributive au fonds communal est dans les proportions qui ont été indiquées dans l'exposé des motifs, c'est-à-dire que les communes à octroi contribuent pour 55 p. c. et les communes rurales pour 45 p. c., nous serions bien prêts d'un assentiment à peu près unanime.
On se fait, messieurs, je le répète, une fausse idée des consommations dans les grands centres de population. Rien n'est plus difficile que de trouver quelque fait, quelque élément propre à donner une conviction à ce sujet, et c'est parce qu'on s'est fait ces idées fausses qu'on arrive à une série de calculs, de déductions tout à fait inadmissibles, comme je le démontrerai tout à l'heure.
Voici un fait qui m'a frappé et qui me semble propre à vous donner une idée de l'importance des consommations dans les grands centres.
Si je vous disais que la consommation du vin à Paris est égale, sinon supérieure, au montant des exportations totales de la France sur tous les points du globe, le croiriez-vous ?
Cela est vrai cependant. M. le marquis de Lagrange, alors député de la Gironde, a publié un travail sur les octrois, dans lequel il dit en termes exprès : « La ville de Paris, par son énorme consommation, absorbe une quantité de vin plus considérable que la masse entière de nos exportations dans toutes les parties du globe. »
M. de Naeyer. - C'est prouvé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit ! c'est prouvé ; mais je cite ce fait pour vous préparer à en admettre d'autres aussi.
M. de Naeyer. - Pourvu que vous prouviez, j'admets tout.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais si je n'ai pas de preuves mathématiques, j'ai assez de confiance dans la loyauté de l'honorable membre qui m'interrompt pour être convaincu que des preuves morales lui suffiront dans cette question.
Ainsi donc, voici l'importance de la consommation. Voici, messieurs, quelques erreurs que vous devez facilement constater dans les calculs qui ont été faits relativement à la part contributive de certaines communes ou de certains arrondissements dans le fonds communal.
L'honorable M. Pirmez, rappelant quelques mots de l'honorable M. Royer de Behr, vous a dit : « L'honorable M. de Behr a parlé de l'arrondissement de Charleroi. Il a dit qu’il ne recevrait pas autant qu'il payerait en plus d'après le projet de loi du chef de l'accise sur la bière. »
« Je ne puis donner les chiffres, dit l'honorable M. Pirmez, mais si je me rapporte à la pétition des brasseurs de cet arrondissement, ils payeraient un excédent d'accise de 400,000 francs, tandis que les communes de cet arrondissement administratif ne recevraient que 230,000 francs. »
Remarquez de quelle façon l'honorable M. Pirmez introduit son assertion dans le débat. Il ne la garantit pas, ce sont les brasseurs qui parlent.
M. Pirmez. - Comment voulez-vous que je garantisse ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si l'honorable membre y avait regardé de plus près, il aurait peut-être pu y trouver quelque chose à rectifier, mais enfin, comme on avait produit des assertions à l’extérieur, il fallait bien en produire à l'intérieur.
On avait émis sur ce point-là les chiffres les plus fabuleux, j'avoue que je ne comprends pas qu'on puisse sérieusement les soumettre à l'assemblée. Rien n'était plus facile que de trouver la preuve d'une exagération incroyable qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer.
Les habitants de l'arrondissement de Charleroi sont au nombre de 180,000. Il y existe une population ouvrière considérable. Elle est de 36,138 individus, tant pour les houillères que pour les fabriques de fer et pour les verreries.
Je suis le premier à reconnaître que les populations industrielles consomment dans une proportion plus forte que les populations agricoles, (page 1491) et que les populations urbaines consomment encore beaucoup plus que les populations industrielles.
Mais en tenant compte de cette population de 36,000 ouvriers, qui constitue le cinquième de la population de l'arrondissement, au taux qu'on indique (400,000 fr. de supplément), cela fait 2 fr. 22 c. par tête d'habitant de l'arrondissement de Charleroi.
Si l'on appliquait à l'arrondissement de Charleroi la consommation moyenne générale du pays, ce serait déjà beaucoup.
Pour les 36,000 ouvriers on peut admettre une proportion plus forte que la moyenne des populations rurales ; mais pour le reste c'est inadmissible. Or, on va bien au-delà. Ce n'est pas même la consommation moyenne générale du pays, que l'on attribue aux habitants de cet arrondissement ; la proportion est fabuleusement plus élevée.
On suppose donc que l'impôt nouveau sera en moyenne 2 fr. 22 c ; je puis admettre dès lors aussi que les habitants du pays tout entier contribueront pour une somme égale, villes, campagnes et populations industrielles comprises.
A ce titre-là (c'est pour la bière seulement), combien devrait donner l'impôt sur la bière ? Il suffisait de multiplier par 2 fr. 22 c. le chiffre de la population du pays, soit 1,600,000, et l'on trouve que l'impôt devrait donner 10,212,000 fr.
L'erreur est évidente, elle est palpable, puisque nous demandons en tout 6,100,000 fr., y compris 3,000,000 que donne aujourd'hui l’octroi.
Cela n'est pas soutenable.
L'honorable M. Vermeire a fait des calculs du même genre, quoique beaucoup plus modérés. L'honorable membre en avait produit cependant dans la section où nous siégeons ensemble, qui se rapprochent beaucoup de ceux dont je viens de faire justice ; mais enfin nous sommes arrivés maintenant à une certaine modération.
Le calcul de l'honorable membre n'a pas été difficile à établir.
Les impôts nouveaux doivent produire certaine somme ; la population de l'arrondissement est d'autant d'âmes ; cela fait donc par tête d'habitant une part contributive d'autant.
M. Vermeire. - J’ai pris l'arrondissement dans son ensemble.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne connaissez pas la consommation de l'arrondissement. C'est donc par hypothèse ; mais je dis que vous êtes arrivé à la consommation moyenne générale. Pour que ce calcul soit exact, il faut admettre que chacun des habitants du pays de Waes, consomme autant qu'un habitant de Bruxelles.
M. Vermeire. - Pour la consommation du vin et des spiritueux j'ai pris la moitié de la moyenne consommée dans le pays, et je crois être bien près de la vérité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous arrivez en définitive au résultat que j'indique, vous attribuez une plus faible quantité pour tel objet, mais une plus forte quantité pour d'autres, en somme vous attribuez à ces populations une quotité égale à la moyenne pour tous les habitants du pays.
M. Vermeire. - Pour certains objets seulement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je sais bien que l’honorable membre est persuadé que l'on consomme une bonne partie de la bière du pays dans l'arrondissement de Termonde, et c'est un de ses griefs pour prétendre que les Flamands sont sacrifiés aux Wallons. Mais je ferai remarquer que dans l'arrondissement de Charleroi, l’on prétend en consommer beaucoup plus ; on prétend que cet arrondissement consomme la meilleure partie de la production totale du pays.
M. Sabatier. - Il consomme plus que la moyenne.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La population industrielle consomme plus que la population agricole ; c'est tout ce que je puis concéder.
L'honorable M. Vermeire a donc dit : Il y a 25 communes dans l'arrondissement de Termonde ; elles payeront en plus 195,699 fr. Elles recevront une quote-part de 83,078 fr. Charges nouvelles 112,611 fr.
L'honorable membre a fait intervenir les cotisations personnelles dans ses calculs. Je les mets complètement de côté, parce qu'elles n'ont rien à faire dans, la question. Eh bien, je dis que ce calcul n'a pas été difficile à faire. On a attribué à chaque habitant de l'arrondissement de Termonde une somme à peu près égale à la somme que représente la presque totalité des impôts répartis par tête d'habitant. En effet, d'après le rapport de la population, l’augmentation d'impôts indirects étant évaluée par l’honorable membre à 195,699 fr., correspondrait à une augmentation totale pour tout le pays de 10,002,390 fr., c'est-à-dire, à peu de chose près, la totalité du chiffre demandé aux accises, qui est de 10,500,000 fr.
Eh bien, je répète que, pour justifier ces calculs, l'honorable membre serait condamné à soutenir une proposition que l’évidence condamne ; c'est que chaque habitant des 25 communes de l’arrondissement de Termonde consomme autant de bière, de vin, d'eau de vie, de sucre, que l'habitant de Bruxelles, par exemple. Cela est inadmissible.
M. Vermeire. - La moitié.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, ce n'est pas la moitié ; vous vous êtes trompé.
Messieurs, l'honorable M. Vermeire a appliqué les mêmes calculs aux communes de Zele et de Hamme. Il a supposé, d'après les mêmes bases, que chaque habitant de Zèle et de Hamme consomme à peu de chose près autant qu'un habitant de Bruxelles
L'honorable M. Vermeire aurait dû opérer de la même façon et serait arrivé à des résultats tout à fait différents, s'il avait appliqué aux communes de Zele et de Hamme la moyenne générale pour les habitants des campagnes. Mais lorsqu'il élève cette moyenne à l'aide de l'attribution d'une quotité des habitants des villes, où la consommation est plus forte, il tombe dans l'erreur.
Il est tombé dans une autre erreur, en faisant un double emploi dans ses calculs, en y faisant entrer la cotisation personnelle. Ainsi, il a pensé que les charges des deux communes de Zele et de Hamme seraient augmentées de 37,107 francs pour l'une et de 22,884 francs pour l'autre. L'honorable membre s'est trompé. En admettant ses calculs erronés en ce qui touche la consommation, la commune de Zele payerait en plus 25,731 fr. ; elle recevrait 11,624 fr.
La différence serait de 14,000 fr. Or, que dit l'honorable membre ? Que l'aggravation des charges pour Zele serait de 37,000 fr. Cela n'est pas possible. Pourquoi, dit-il, que l'aggravation serait de 37,000 fr. ? Parce qu'à la somme de 14,000 fr. qui constitue la différence dans sa manière d'opérer, il ajoute les 25,000 fr. de capitation. Mais qu'est-ce que la loi a à faire quant aux capitations ? Elle ne les décrète pas. Qu'on adopte ou qu'on rejette la loi, la situation, quant aux capitations, sera la même.
Ainsi, en faisant entrer, pour la commune de Zele, la capitation dans ses calculs, l'honorable membre a fait double emploi. Et ainsi il a fait pour la commune de Hamme.
Comme ces calculs sont de nature à exercer de l'influence au-dehors, sur les habitants de la Flandre, dans les communes que l'honorable membre représente, j'ai cru devoir insister quelque peu à cet égard, et j'en viens maintenant à la question capitale : quelle est la part contributive des communes rurales et des communes à octroi dans le fonds communal ?
Si nous avions quelques moyens de déterminer ces parts avec une certitude mathématique, la solution des difficultés que nous rencontrons serait bientôt trouvée.
Si nous établissions que cette contribution est dans la proportion que j'ai indiquée, 45 d'un côté, 55 de l'autre, comme cela correspond exactement aux trois bases de répartition inscrite dans le projet de loi, ces bases de répartition seraient du même coup entièrement justifiées.
Eh bien, je dois dire loyalement, complètement, le pour et le contre sur chacune des matières qui doivent faire partie du fonds communal. Je vais dire pourquoi on ne peut arriver à des concluions certaines et comment on a cependant des indices qui permettent d'admettre le système des propositions du gouvernement.
Je prends chacun de ces articles.
C'est d'abord le café.
Le café n'est soumis à des droits d'octroi que dans trois villes : Huy, Spa et Verviers. Ces villes ont une population réunie des 43,081 habitants. On n'y accorde pas de restitution, de décharge à l'exportation. Ainsi les achats pour les villages voisins ne sont pas connus.
D'un autre côté, puisqu’il y a des droits à l'entrée, il est probable qu'il y a fraude. C’est très vraisemblable.
Enfin, on pourrait objecter que l'on ne peut pas, d'après la consommation de trois villes de médiocre importance, eu égard à la population des autres, fixer la consommation de toutes les villes. Les mœurs, les habitudes, le genre d'alimentation, tout varie dans ces localités.
Voilà donc des éléments assez incertains, et pour compliquer la difficulté, la consommation du royaume elle-même ne peut pas être donnée avec certitude ; elle ne peut l'être, parce que nous importons en France par le commerce interlope, une certaine quantité de café, les droits étant beaucoup plus élevés en France qu'ici. Quel rôle joue cette quantité dans la consommation générale ? C'est ce qu’il me serait impossible de déterminer.
Cependant, toutes ces réserves loyalement faites, voici, messieurs, les éléments de conviction que je soumets à la Chambre.
Les quantités mises en consommation dans le royaume, pendant les trois dernières années, sont en moyenne de 20,497,789 kil. ; soit par habitant 4 kil. 434 gr. Les trois villes où le café se trouve soumis à l'octroi ont une population de 43,081 habitants, et la consommation y a été de 469,696 kil., soit 10 kil. 902 gr. par tête. A ce compte, les 1,222,991 habitants des communes à octroi consommaient 13,225,047 kil. tandis que les 3,400,098 habitants des autres communes consommaient seulement 7,274, 741 kil., soit 2 kil. 139 par tête.
Voilà les seuls éléments que je puisse soumettre à la Chambre. En tenant compte de ces diverses raisons de doute que j'ai signalées moi-même, ils ne sont peut-être pas éloignés de la vérité.
(page 1492) En établissant la proportion p. c. des deux consommations on trouve pour les communes à octroi 65 p c. et pour les campagnes 35 p. c.
II n'échappera pas à votre attention que, dans les grandes villes, les consommations sont beaucoup plus fortes. Je ne cesse de le répéter ; nous prenons ici une consommation moyenne qui est singulièrement abaissée au détriment des grandes villes par la participation d'un nombre très considérable de communes à octroi qualifiées villes, mais qui sont d'une très médiocre importance et qui ne pourraient guère représenter, sans cette circonstance, que des villages.
Ainsi nous avons d'un côté 65 p. c., de l'autre 35 p. c.
Pour le sucre, je ne dirai que ce qui est relatif à la consommation. Comment la déterminer ? La consommation du sucre est un des points obscurs de cette question. Ainsi les fabricants de sucre de betterave bénéficient sur le taux de la prise en charge officielle. Ils ont un rendement supérieur d'environ 8 p. c. La canne obtient aussi une petite bonification sur la tare légale ; elle a aussi quelque chose.
Enfin, on ignore le déchet réel au raffinage. Et puis, il se fait une certaine infiltration de sucre sur la frontière de Belgique en France. Ainsi, la consommation générale est très problématique, très difficile à déterminer ; la consommation locale ne l'est pas moins.
Cependant, en considérant les faits officiels, quelles sont les conclusions que nous devons en tirer ?
Le sucre est soumis aux droits d'octroi dans sept villes : Bruges, Liège, Huy, Spa, Verviers, Saint-Trond, Dinant. Quatre de ces villes n'accordent pas de restitution à la sortie, ou en accordent de si insignifiantes qu'on peut admettre que les quantités achetées pour l'extérieur ne sont pas déduites de la consommation.
Ici encore, puisqu'il y a des droits, il est probable que la fraude s'exerce plus ou moins. Voilà donc, messieurs, tout autant de raisons d'hésiter. D'après les évaluations du projet de loi, quant au sucre, la consommation moyenne du pays serait de 15,524,746 kilog., dont il faut déduire, comme n'étant pas soumis aux droits d'octroi, 2,006,555 kil. de sirop. Reste donc pour le royaume 13,518,191 kil. de sucre de l'espèce que l'on soumet aux taxes locales.
La population des villes qui imposent le sucre, est de 203,305 habitants. La consommation officielle accusée est de 1,439,957 kil., soit 7 kil. par tête.
A priori, cette moyenne semble exagérée ; car on comprend dans le calcul des communes qui n'accordent pas de restitution à l'exportation ; mais si on les élimine, le calcul qui se rapproche plus encore de la vérité, devient plus favorable à la consommation des villes. Cette consommation s'élève alors à 7 1/2 kil. par tête.
Il n'y a rien d'exagéré, semble-t-il, en tenant compte de ces divers éléments, d'admettre une moyenne de 7 1/2 kil. pour les villes à octroi, dont la consommation serait ainsi de 9,165,000 kil. Il resterait donc pour les autres communes 4,443,000 kil., soit 1 k. 109 par tête. La proportion pour cent nous donne, dans ce cas, pour les communes à octroi 67 p. c. et pour les communes sans octroi 33 p. c.
Messieurs, pour le sucre comme pour le. vin, dont je vais tout à l'heure m'occuper, il y aurait peut-être à chercher une autre base d'appréciation.
Ainsi, pour ces deux articles on pourrait assez aisément admettre qu'elle est en proportion des impôts sur les objets de luxe dans les divers ménages, par exemple les domestiques et les chevaux de luxe.
Le nombre des domestiques, dans les familles qui en tiennent deux au plus, est de 19,454. Il y en a dans les communes à octroi, 14,606, soit 75 p. c ; et dans les communes sans octroi, 4,848, soit 25 p. c.
Les chevaux de luxe sont au nombre de 3,823 ; dans les communes à octroi on en compte 2,580, soit 68 p. c, et dans les communes sans octroi 1,243, soit 32 p. c.
La moyenne est donc pour les premières, 71 1/2 p. c, et pour les secondes, 28 1/2 p. c. D'après ces bases, c'est sensiblement la même chose, mais ce serait encore plus élevé que d'après les bases de la consommation que nous venons d'indiquer.
Je vais m'occuper du vin.
La moyenne de la consommation pour tout le royaume est de 2 litres 46 centilitres ; de combien est-elle pour les communes à octroi ? Voici ce que les documents officiels répondent : 79 centilitres à Dour, 15 litres à Mons. L'écart, messieurs, est tellement grand, qu'il serait tout à fait impossible d'en tirer une moyenne. Pour le vin il y a fraude à l'entrée, il y en a aussi à la sortie des entrepôts d'octroi. Tout cela est excessivement difficile à apprécier. Mais enfin prenons les documents officiels, voici ce que nous y trouvons.
Les quantités mises en consommation dans tout le royaume s'élèvent à 113,818 hectolitres.
Ce qui donne une consommation moyenne de 2 litres 46 centilitres par habitant.
Les quantités soumises au droit d'octroi sont de 55,001 hectolitres ou 4 litres 50 centilitres par habitant.
Il reste donc pour les communes rurales 58,817 hectolitres ou i litre 75 centilitres par habitant.
Comme je l'ai déjà dit tout à l’heure, l’écart est tel qu'il n'y a guère à s'arrêter aux renseignements officiels ; mais enfin prenons-les tels qu'ils sont ; ils donnent environ 49 p. c. pour les villes et 51 p. c. pour les campagnes.
Nous pensons que cette proportion n'est pas exacte, mais enfin, comme il ne s'agit pas de savoir si dans cette espèce de décompte que nous faisons entre les ville et les campagnes, nous porterons 100,000 fr. de plus ou de moins d'un côté ou de l'autre, il n'y a pas trop à s'arrêter à de semblables incertitudes.
J'en viens à un élément très difficile à apprécier : les boissons distillées. Rien de plus hypothétique qu’un décompte pour cet article. Non seulement le rendement varie selon l'espèce des matières premières employées, mais surtout le rendement est affecté suivant les qualités et suivant les procédés de fabrication. On peut évaluer de sept à douze pour cent de la capacité des vaisseaux imposés, la différence provenant de ces causes.
Ensuite des eaux-de-vie sont importées dans les communes à octroi ; elles sont loin d'être tarifées de la même manière ; il y a une immense difficulté, il y a impossibilité même de connaître les quantités lorsque l'on consulte les tarifs d'octroi. Les droits sont établis d'un côté par hectolitre à autant de degrés centigrades, ailleurs, on compte par degré de Cartier ; ailleurs l'impôt se paye par bouteille, sans distinction de degré.
Puis sur le littoral, le goût des consommateurs exige des eaux-de-vie à un degré beaucoup plus élevé qu'au centre et dans le reste du pays. Enfin la fraude est plus ou moins active à l'entrée des villes et à la sortie. Il y a des communes qui n'accordent pas de restitutions ou n'en allouent que d’insignifiantes. De là, messieurs, viennent les faits constatés par les documents officiels qui ont été mis sous vos yeux, c'est que la consommation serait de 1 litre 21 centilitres à Marienbourg, et de 479 litres 49 centilitres à Hasselt ; c'est-à-dire qu'on n'accorde pas de restitution à Hasselt et que dès lors il y a impossibilité d'évaluer la consommation locale.
Dans cette incertitude je pourrais peut-être fixer ex œquo et bono un peu arbitrairement les quantités, mais je cherche de bonne foi la vérité et je ne veux pas qu'on puisse accuser le gouvernement de négliger un seul moyen propre à éclairer la Chambre. Je vais donc approfondir encore ce sujet.
Il y a dix-huit villes où la décharge à l'exportation est élevée et où l'on peut avoir ainsi une idée plus approximative de la consommation ; ce sont Anvers, Lierre, Turnhout, Bruxelles, Jodoigne, Bruges, Furnes, Menin, Nieuport, Ostende, Ypres, Gand, Mons, Ath, Tournai, Liége, Spa et Arion.
La population est de 687,110 habitants ; la consommation officielle est de 75,481 hectolitres 58 litres, soit par tête 9 litres 53 centilitres. Si on applique ce chiffre à la population des communes à octroi, on trouve pour ces communes une consommation de 115,551 hectolitres, et la consommation totale pour le pays étant de 562.000 hectolitres, il resterait pour les communes rurales 246,449 hectolitres, soit 7 litres 24 centilitres par tête.
De sorte qu'il y aurait 2 litres 29 centilitres par tête de plus pour les villes que pour les campagnes ; ce serait une proportion de 32 p. c. pour les villes contre 68 p. c. pour les campagnes, et si l'on veut équitablement tenir compte des causes diverses que nous avons énumérées, il faudra quelque peu augmenter l'une et réduire l'autre.
On serait peut-être plus près de la vérité en mettant 34 ou 35 d'un côté et 66 ou 65 de l’autre.
Pour les bières trouverons-nous des éléments moins incertains ? Les causes d'incertitude sont également grandes. Ainsi la quantité produite par hectolitre de cuve matière varie de 1 à 4 ; l’écart est même plus grand.
Tel brasseur d'Anvers n'obtient que 75 litres par hectolitre de cuve-matière de bière très fine et forte ; tel autre de Bruxelles obtient 175 où 350 litres, selon qu'il travaille à bras ou à la mécanique. Dans le Hainaut et dans la province de Liége, le rendement en bière légère s'élève à 400 p. c. ; dans le Brabant, la bière d'été qui se vend 16 centimes au cabaret est le produit d'un rendement de 300 p. c.
D'après toutes ces différences, vous voyez que de difficultés il y a pour arriver à une conclusion relative à la consommation.
Dans certaines villes où la taxe communale a pour base la cuve-matière, il y a de tels excédants que certains brasseurs parviennent à faire décharger leur compte d'octroi en exportant seulement une partie de leur fabrication.
Ainsi, la tentative d'évaluer la consommation générale du pays serait vaine, comme la tentative d'évaluer la consommation locale le serait également.
En effet, comment évaluerait-on la consommation des villes, en supposant que la consommation générale fût connue ?
Les documents publiés à l'appui du projet de loi montrent que, d'après la comptabilité des villes à octroi, la consommation à Gheel a été de 27 litres par tête, et qu'elle a été supérieure à 4 hectolitres 59 litres à Quaregnon. A la vérité, dans cette petite ville, il n'y a pas de restitution à l'exportation.
L'honorable M. Pirmez, dont je rencontre ici l'observation, s'est (page 1493) appuyé sur des calculs de l'honorable M. Sabatier qui ont été déduits du tableau des consommations annexé au projet de loi.
M. Sabatier. - Ce tableau nous a été fourni assurément pour que nous nous en servions.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous ai dit et répété en sections et partout quel était le sens de cette communication ; elle ne peut pas en avoir d'autre. Il a fallu supposer une production, et une production étant supposée, on l'a ramenée aux quantités qui sont indiquées dans l'annexe.
Je viens de dire qu'il n'y a pas d'inductions raisonnables à en tirer. Les chiffres de l'annexe ont été calculés d’après le rendement supposé, et seulement pour montrer les variations qui existent dans les consommations. En tout cas, on ne peut prendre le tableau pour base de la répartition.
Messieurs, je vais vous en donner une preuve.
Des communes qui se trouvent dans les mêmes conditions, qui sont situées dans les mêmes contrées, et pour lesquelles il serait impossible de signaler la moindre raison de différence, accusent des consommations fabuleusement disparates.
Par exemple, Tongres nous donne 3 hectolitres 8 litres par tête, et Saint-Trond 1 hectolitre 59 centilitres. Avouez que cela est inexplicable.
Bouillon nous donne 3 hectolitres 22 litres, et Bastogne 47 litres.
Encore une fois, cela n'est pas explicable.
Ces inégalités prouvent qu'il est impossible de tirer une induction raisonnable, radicale et absolue des faits officiels.
Je chercherai tout à l'heure s’il n'y a pas d'autres éléments propres à asseoir une conviction raisonnable.
Je dirai, et ce calcul a été fait par l'honorable M. Sabatier, je dirai qu'il résulte des documents que 58 communes, comprises dans l'annexe C, d'une population de 1,403,000 habitants, ont consommé 2,431,372 hectolitres de bière.
Si l’on déduit (ce que l'honorable M. Sabatier aura fait probablement), l'honorable membre me fait un signe affirmatif ; si l'on déduit cinq communes où l'on ne restitue pas à la sortie et qui accusent une consommation de 865,644 hectolitres, pour une population de 220,000 habitants, il reste 1,565,728 hectolitres pour une population de 883,000 habitants.
Ce qui fait, non pas 1 hectolitre 67 litres, comme l'avançait l'honorable M. Pirmez, mais 1 hectolitre 77 litres par habitant ; ce qui représente, dans cette hypothèse, pour toutes les communes à octroi 2,167,000 hectolitres.
Quelle conclusion peut-on tirer de ces chiffres ? Aucune. Nous en avons donné tantôt les raisons.
Mais n'y a-t-il pas, messieurs, des indices moins trompeurs ? Le commerce des bières dans les communes à octroi avec les autres communes, n'a qu'une importance relative, pour quelques lieux de production seulement ; et il est vraisemblable que l'on ne se tromperait guère si pour l'ensemble, on compensait les exportations par les importations, et ainsi la consommation dis communes à octroi se rapprocherait beaucoup de la fabrication locale.
Voyons ce que peuvent donner ces indices.
Le droit d'accise a rapporté 7,600,000 fr. pour le royaume ; soit par tête, 1 fr. 65 c. Il a été perçu dans les commune à octroi 3,451,624 fr. soit 2 fr. 82 c. par tête.
Dans les communes sans octroi, on a perçu 4,188,001 francs pour une population de 3,400,093 habitants, soit 1 fr. 23 cent, par tête.
Ainsi la proportion serait de 45 p. c. pour les villes et de 55 p. c. pour les communes rurales.
Veuilles considérer maintenant que les droits d'octroi sur les bières ont donné 3 millions de francs ; que lorsqu'ils seront transformés en droit d'accise, il y aura réduction pour certaines villes, augmentation pour d'autres. Le produit nouveau sera sensiblement le même. Il y aura, peut-être, une augmentation de consommation dans les localités qui sont les plus importantes et où il y a une certaine réduction de l'impôt ; mais je n'en tiens pas compte.
Si l’on suppose assez raisonnablement que ce qui était produit par l'octroi, 3,000,000, se trouvera reproduit par la transformation en droit d'accise, on aura 3,000,000 pour les villes, 3,100,000 pour les campagnes, c'est-à-dire 50 p. c. de part et d'autre.
Voilà le second élément qui se rapproche du précédent.
Enfin, cherchons encore un autre indice : la patente des cabaretiers.
La loi des patentes divise les communes en six rangs et les cabaretiers en 14 classes, suivant l'importance présumée du débit.
En faisant le compte de ce qui a été perçu en 1858, à Anvers, Bruxelles, Gand, Bruges et Liège, et puis dans toutes les autres communes, on trouva que dans les villes le produit des droits de patente des cabaretiers réparti sur toute la population donne par tête 12 ½ centimes, et dans toutes les autres communes 5 1/2 c. Multipliez par le chiffre de la population, et vous avez pour les communes à octroi 43 p. c. et pour les communes sans octroi 57 p. c.
Ainsi, qu'on prenne donc l’un ou dans l’autre de ces indices, et l’on arrive à peu près aux mêmes résultats.
Je crois, messieurs, que c'est la proportion qu'on peut raisonnablement admette.
Tous ces éléments réunis donnent pour les campagnes une proportion un peu plus forte que celle de 45 p. c indiquée dans le projet de loi, les uns compensant les autres, et c'est pour cela que l’élément de la poste vient figure dans le fonds communal, parce qu'il rétablit très légitimement l'équilibre.
Pour cet article rien n'est plus facile que d'établir un compte exact.
Quelques honorables membres ont dit : Mais pourquoi cet article vient-il figurer dans le fonds communal ? Qu’on prélève la même somme sur les fonds généraux, le résultat sera le même.
Ce serait la même chose s'il n'y avait pas de décompte, si vous n'étiez pas amenés par la nature des choses à établir un décompte entre les villes et les campagnes. Si, admettant l'hypothèse de l’honorable M. Pirmez, par exemple, à savoir que, pour la consommation générale, les trois bases indiquées dans le projet de loi répondent à la réalité, mais que pour les consommations spéciales elles ne sont pas aussi exactes, et si pour satisfaire à l'objection, proposait de placer dans le fonds communal la somme de 14 millions prise sur les impôts généraux du pays, le décompte ne serait plus nécessaire.
Mais comme on a adopté un autre mode, que l'on compte ce que procurent d'une part les campagnes et de l'autre les villes pour former le fonds communal, il est parfaitement utile que ce décompte soit établi à l’égard de la poste.
Ce que disait à cet égard l'honorable M. Piratez est donc peu fondé.
Je suppose que j'eusse fait figurer les produits du télégraphe dans le fonds communal ; aurait-on dit que les campagnes payaient un impôt de ce chef ? Si j'y avais compris le produit des jeux de Spa, aurait-on dit que les campagnes payaient un impôt de ce chef ? Du même, si nous établissons que le produit net de la poste est donné en totalité par les villes, il est bien clair qu'en toute hypothèse nous pouvons mettre au compte exclusif des villes le montant de ce produit net.
On m'a objecté que les lettres écrites se remboursent, qu'elles sont portées en compte ; on nous a fait faire un petit cours de tenue des livres sous ce rapport. Je l'admets volontiers, oui ! mais encore il faut qu'on écrive. Voilà précisément la question. Il faut d'abord qu'on échange des lettres.
On suppose qu'il y a un échange de lettres considérable entre les villes et les campagnes, un échange considérable de lettres entre les communes rurales. On se trompe du tout au tout. Voici pour les recettes et les dépenses. Nous parlerons tout à l'heure du mouvement de la correspondance.
Les 78 communes à octroi ont produit une recette de 3,498,019 fr., les 2,460 communes sans octroi 1,108,000 francs.
Ces 78 communes ont donné 76 p. c. de la recette, les 2,640 autres 24 p. c.
Les 78 communes, à octroi ont exigé une dépense de 1,316,628 fr., les autres une dépense de 1,683,272 francs.
Ainsi les premières n'ont donné lieu qu'à une dépense de 44 p. c, les autres à une dépense de 56 p. c.
Le service rural est donc en déficit, Il coûte 1,685,272 fr. il rapporte 1,108,000 francs, c'est-à-dire qu'il laisse un déficit de 575 000 francs.
Le service des villes, au contraire, rapporte 3,498,000 fr., et coûte 1,316,628 fr. Il reste net 2,181,000 fr.
Les villes fournissent un bénéfice de 166 p. c., les campagnes laissent une perte de 52 p. c. dans le service.
Voyons maintenant le mouvement de la correspondance. Rien de plus facile à établir. Les facteurs ruraux sont munis d'une feuille de marche qui renseigne toutes les pièces dont ils sont porteurs ; lettres privées, de service, journaux, imprimés, de toutes les pièces qu'ils recueillent dans leur tournée.
Le nombre des lettres transportées a été de 21,529,000 ; les feuilles de marche des facteurs ruraux de 2,267 communes sans bureau de poste et ayant une population de 2,869 246 habitants, constatent qu'on a reçu 5,809,000 lettres pour ces communes, tandis que les villes et les communes ayant un bureau de poste ont produit 15,720,000 lettres.
Ainsi, d'un côté, on trouve 9 lettres par habitant, et de l'autre 2 seulement.
13 communes du pays de Waes, le pays agricole le plus riche de la Belgique, ayant une population de 40,745 habitants desservies par Saint-Nicolas et Termonde, donnent 1 lettre 1/4 par habitant.
12 communes de l'arrondissement de Charleroi, desservies par Charleroi et Châtelineau, donnent 5 1/2 lettres par habitant.
L'échange des correspondances des communes rurales entre elles est tout à fait insignifiant ; des groupes de 7,000 habitants, desservis par un (page 1494) même bureau de poste, n’échangent pas annuellement 700 lettres, c'est-à-dire une lettre par 10 habitants. En ce qui concerne l'importance relative de la correspondance des villes et des campagnes, on trouve qu'à Bruxelles seul, non compris les lettres recueillies extra muros, le nombre des lettres s'élève à 3,214,000, soit une moyenne de 20 lettres par habitant ; pour Anvers, la moyenne est de 15 ; pour Liége de 14 ; pour Gand de 10, etc. Et dans ce nombre, messieurs, combien trouve t-ou de lettres provenant de communes rurales ? Un dixième ! Presque toute la correspondance est adressée aux grands centres de commerce et d'industrie.
Ces chiffres, messieurs, ne s'appliquent qu'aux lettres ; si l'on y comprenait les lettres de service, les circulaires, les imprimés de tout genre, comme cela se fart en Angleterre, où tous ces objets payent comme les lettres ordinaires, on obtiendrait pour nos villes des chiffres qui ne seraient guère inférieurs à ceux de l'Angleterre.
Ainsi, vous le voyez, de quelque façon que l'on envisage la question, il est indubitable que le produit net des postes est donné en totalité par les villes.
Maintenant, résumez les éléments qui vous ont été soumis ; admettez les diverses proportions, raisonnables, je le pense, qui ont été indiquées, et à quel résultat arrivez-vous ? A constater que l'ensemble du fonds communal est formé de 45 p. c. par les campagnes, de 55 p. c. par les villes ; et nous estimons, c'est la justification même du projet, 55 p. c. aux villes, 45 p. c. aux campagnes. C'est ainsi, messieurs, que le projet me semble, sous ce rapport, à l'abri de critiques fondées.
Nous retrouvons dans la proportion que je viens d'indiquer, pour la constitution du fonds, la proportion même suivant laquelle doit se faire la répartition.
Reste le partage transitoire ; je dis transitoire, car le partage définitif, je le tiens pour inattaquable. Eh bien, messieurs, les campagnes fournissant 6.500,000 fr. dans ce fonds commun, combien leur restitue-t-on, d'une part et, de l'autre, quelle est aujourd'hui pour elles la charge des octrois ?
Nous n'avons aucune espèce d'éléments pour apprécier quelle est cette charge, et les controverses sur ce point peuvent se prolonger indéfiniment ; mais, comme nous l'avons dit en commençant, cette charge est réelle, indubitable ; et un honorable membre de l’opposition, essayant d'affaiblir l'importance de ce fardeau, nous a dit : Si vous le voulez, nous l'évaluerons à un cinquième.
J'entends bien qu'il ne s'agit pas seulement du produit des octrois, mais de ce qu'ils coûtent en réalité ; la charge qu'ils font peser sur le pays doit par conséquent être augmentée, comme on l'a dit, de quelques millions. Nous arriverons donc, en admettant ces indications si adoucies, si modelées de l'honorable membre, nous arriverons très facilement à constater que la charge pour les campagnes peut être évaluée au minimum à 5 millions ou 5 millions cinq cent mille francs. Or, si le projet de loi alloue aux campagnes 5 millions d'abord, 4 millions dès que la loi aura fonctionné quelque temps ; et si la charge qui pesait sur elles et dont elles sont exonérées par l'abolition des octrois peut être estimée, comme vous venez de le faire, les campagnes auront donc, dès le début, une complète compensation.
Le jour où la loi sera mise à exécution, la charge ne sera pas plus lourde pour les campagnes qu'elle ne l'est aujourd’hui. Je sais qu'elles continueront à participer aux dépenses des villes, de même que, par les octrois, elles y contribuent aujourd'hui. Mais tous les jours cette situation ira s'améliorant en leur faveur ; tous les jours la réduction de la charge deviendra plus considérable pour les campagnes. De jour en jour, leur participation sera moins grande, tandis que, avec le maintien des octrois, cette charge irait sans cesse grandissant et serait perpétuelle, au grand préjudice des campagnes.
Maintenant, qu'il y ait dans cette répartition un peu plus ou un peu moins ; qu'il s'y soit glissé quelque erreur, je le veux bien ; mais ne pourra-t-en donc jamais corriger ces erreurs ? S'il est démontré ultérieurement qu'il y a quelque chose de défectueux dans l'une ou l'autre des bases du projet, sera-t-on donc condamné à perpétuité à exécuter une pareille loi ? Et si l'on n'est pas arrivé à démontrer qu'il y avait injustice flagrante, comme on le soutenait tout d'abord, à établir la répartition que nous avons indiquée, quel motif, en vérité, je le demande, y aura-t-il de refuser son concours au projet de loi ?
Messieurs, si vous voulez supposer que nous écartions même toute cette question de répartition ; si vous voulez supposer que l’on donne immédiatement aux villes et aux communes leur contingent, 6,500,000 fr., j'y souscrirais vraiment, mais à une condition, c'est que l'on accorde aussi aux villes les subsides que l'on donne aujourd'hui aux campagnes. Or, si vous additionnez les subsides que l'Etal distribue respectivement aux villes et aux campagnes, vous trouverez que lorsque l'Etat distribue 4 il donne 5 aux campagnes et 1 aux villes. Les campagnes coûtent gros à administrer. (Interruption.) Messieurs, ce sont des faits incontestables ; et ils m'autorisent à dire que si vous transportez des unes aux autres ces subsides, la position des villes sera ce que la fait le projet de loi.
Y a-t-il une dépense plus essentiellement communale que l'instruction primaire ? C'est incontestable ; la loi l’a déclarée telle.
M. H. Dumortier. - C'est d'intérêt général.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est clair, il y a un intérêt général à ce que les populations soient instruites ; mais il y a aussi intérêt général à ce que les octrois soient supprimés. Mais remarquez-le bien, la loi a déclaré que l'enseignement primaire est d'intérêt communal.
Quand il y a un million à 1,200 mille francs de subsides pour l’enseignement primaire, combien donne-t-on aux villes, combien donne-t-on aux campagnes ?
On donne cent mille francs aux villes et un million aux campagnes. Ne venez donc pas dire que, dans ce pays, les campagnes sont négligées, sont sacrifiées aux villes ; ne venez pas dire que les projets que nous présentons ont pour résultat de rançonner les campagnes au profit des villes.
Ce qui est constant, c'est que ce sont les villes qui supportent la plus grande part des impôts, et que ce sont les campagnes qui absorbent la plus grande part des subsides.
M. Rodenbach. - La richesse est dans les villes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La richesse est dans les villes, dites-vous, et quand j'invoque la richesse des villes et que je dis qu’on consomme en raison de sa richesse, on me répond : On consomme en raison du nombre.
M. de Naeyer. - Pour le genièvre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que pour le genièvre même on ne consomme pas en raison du nombre, je le dis même pour les objets de toute première nécessité ; il y a une telle distance entre la quantité nécessaire pour subsister et la quantité nécessaire pour se rassasier, que cela fait des différences énormes dans les consommations. Pour le pain, la chose la plus essentielle, la plus indispensable à l’homme, vous trouverez, suivant le degré d'aisance des individus, des différences très considérables dans la consommation.
Je répète donc que le projet de loi, loin de sacrifier les intérêts des campagnes aux intérêts des villes, compromet peut-être les intérêts des villes pour ceux des campagnes.
Si cette loi est adoptée, le gouvernement sera béni dans les campagnes, lorsque déjà les administrations des villes commenceront peut-être, je ne le crains que trop, à regretter l'abolition des octrois.
M. Coomans. - J'aurais peut-être le droit de demander la parole pour un fait personnel, même pour deux faits personnels ; mais je me bornerai à faire observer que cette séance est forcément la dernière à laquelle je puis assister ; on m'envoie aux eaux. Je demanderai à la Chambre de me permettre de parler dix minutes pour qu'on ne m'accuse pas, demain, d'avoir fui la discussion.
Je comprends la défaveur qui m'attend, devant parler après l'honorable M. Frète et à la fin d'une séance.
- Des membres. - Parlez ! parlez !
M. Coomans. - L'honorable M. Hymans m'a formellement accusé d'être en complet désaccord avec moi-même sur la question des octrois. Il vous importe très peu à vous et à moi que cela soit vrai ou non ; heureusement pour mon amour-propre, cela n'est pas vrai.
Je maintiens que tout ce que j’ai dit et écrit sur les octrois, non seulement depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, mais depuis 25 ans, est en parfaite harmonie avec la proposition de loi que j'ai soumise à la Chambre. Je n'en dirai pas davantage à cet égard, je désire que l'honorable député de Bruxelles essaie de justifier son assertion. Il n'en fera rien.
L'honorable M. Frère m'a adressé une accusation plus grave. D'après lui, j'aurais passé du fanatisme de la protection au fanatisme du libre échange. Je crois que toute espèce de fanatisme est mauvais ; je m'en garde autant que possible. A coup sûr, je ne déploierais pas le moindre fanatisme pour l'un ou l'autre système d'économie politique.
L'économie politique est une religion encore mal définie, qui compte plusieurs papes et au sein de laquelle il y a maintes hérésies ; je ne vois pas comment il pourrait être raisonnable de se passionner follement pour l'un ou l'autre système ; je n'ai pas été fanatique de protection comme je ne suis pas fanatique de libre échange. A cet égard, je suis plutôt sceptique et mes adversaires aussi.
L'honorable ministre serait fort embarrassé de justifier son accusation. Je n'ai été fanatique que du seul principe qui domine tout, l'économie politique comme le reste, c'est la justice.
J'ai dit, il y a douze ans, que j'étais très tenté de croire, sans en être bien sûr, que le système protecteur valait mieux que le libre échange ; je n'affirmais pas, mais j'émettais des doutes en présence de ce spectacle des plus grands pays du monde, devenus puissants et riches par le système protecteur ; j'ai dit qu'on avait bien tort de flétrir le système projecteur qui avait fait ce qu'elles sont aujourd'hui l'Angleterre, la France, la Hollande, la Belgique elle-même ; mais quand M. Frère, avec beaucoup d'autres, sont venus combattre le système protecteur existant en faveur de l'agriculture, j'ai dit une chose élémentaire : Soit, va pour le système de liberté en économie politique, je l'aime en toute (page 1495) matière, la liberté ; pratiquement, mais loyalement, équitablement, avec justice ; c’est alors que j’ai sommé l’honorable ministre et toute la chambre de faire, pour toutes les industries, ce qu’on avait fait pour l’agriculture. Mais c'est ce que m'a refusé l'honorable membre, il a maintenu toute la protection industrielle, sous prétexte de régime transitoire ; il paraît que le régime transitoire est quelque chose de très commode, au moyen de quoi on se tire d'affaire dans les circonstances difficiles.
On a dit : Attendez ; dans un court délai nous appliquerons à l'industrie le régime que nous appliquons à l'agriculture. J'ai attendu la réalisation de ces belles promesses, je l'attends encore et je crains fort que l'honorable M. Frère ne songe pas ou n'ose pas songer à exaucer mes vœux et les siens.
Je le demande, y a-t-il le moindre revirement dans mon opinion, quand on se place au point de vue de la justice, point de vue auquel on doit toujours se placer ? Prononcez-vous pour un système ou pour l'autre ; mais n'appliquez pis à certaines industries un régime dont vous ne voulez pas pour les industries que vous favorisez.
L'honorable M. Frère ne m'a pas convaincu, il ne peut pas me convaincre par son argumentation ; je lui donnerais raison sur tous les points qu'il a traités, que cela ne me prouverait rien, à moi, qui me place à un autre point de vue que le sien. J'ai démontré que les impôts en Belgique sont perçus selon le revenu probable des habitants, l'ensemble des impôts tendant à frapper chaque Belge suivant son revenu, ce qui est conforme à la Constitution et au bon sens, que vous n'avez pas le droit d'établir des distinctions et des exceptions dans un cas donné, et de prendre une partie de l'ensemble des revenus pour la distribuer entre quelques parties de la population. Si l'honorable ministre des finances ne me comprend pas, c'est ma faute, car cela me paraît bien évident.
Je reconnais, avec beaucoup d'économistes, que l'impôt le meilleur et le plus juste serait celui qui frapperait dans une égale proportion le revenu de tous les Belges. Cet impôt sur le revenu, je reconnais que vous ne pouvez l'établir, je ne vous en fais donc pas un crime. Mais enfin votre système financier, qui s'est perfectionné grâce aux mesures que vous avez prises, s'efforce d'atteindre à cet idéal de l'impôt sur le revenu ; c'est-à-dire que vous faites payer dans une égale proportion le pauvre et le riche. Plus vous vous rapprocherez de cet idéal, plus vous serez juste. Or, j'affirme, et je défie le ministre des finances de nier que tous les Belges ne payent pas l'impôt proportionnellement à leurs revenus. Si ce n'est pas vrai, vous n’êtes pas dans la Constitution et je vous invite à y rentrer le plus tôt possible. Vous ne serez juste que lorsque vous ferez paver aux Belges une part égale de leurs revenus.
Si ce principe est vrai, et c'est à ce point de vue que je me suis placé, vous ne pouvez pas distraire une part de l'ensemble des impôts, de ce tout qui appartient à tout le monde, en en recherchant l'origine pour la distribuer à quelques individus.
Un exemple me fera mieux comprendre. L'honorable M. Frère, qui avait besoin de faire illusion pour faire accepter ce résultat, au lieu de prendre pour base l'impôt de la poste, et je suis d'accord avec lui sur l'origine de cet impôt, avait pris l'impôt du sel, aurait-il eu bonne grâce à nous engager à en restituer les trois quarts aux villes et un quart aux campagnes ? Non, parce qu'il connaît trop bien la situation des choses pour méconnaître que l'impôt de sel ne soit payé pour la plus grande partie par les campagnes. Ce sont les pauvres des campagnes bien plus que les riches des villes qui payent cet impôt. Le sel est le condiment indispensable aux petits travailleurs. Celui qui n'a qu'un porc et quelques pommes de terre, a besoin absolument de sel. Je demanderai à l'honorable M. Frère pourquoi il n'a pas fait entrer le sel dans la composition de son fonds communal, aussi bien que les bières et les genièvres. Il n'y a pas de raison pour qui cela ne soit pas. M. Frère met dans son fonds communal le produit de la poste, c'est-à-dire une somme fixe, car la poste ne figure là que comme prétexte. Il aurait été tout aussi bien fondé à prendre toute autre base variable comme celle-là.
On a choisi très habilement, très ingénieusement, je le reconnais, et sous ce rapport l'honorable M. Frère n'aura jamais à se plaindre de moi, on a choisi certaines bases, et c'est comme cela qu'on élève la part des villes. Vous n'avez pris le droit de le faire.
Un mot encore à M. Hymans.
L'honorable membre a dit qu'il n'y avait pas de fabrication de sucre de betterave en Angleterre, par suite des droits prohibitifs. Il n'y a pas en Angleterre de droits prohibitifs. Qu'y a-t-il en Angleterre ? Le régime que l’honorable M. Frère veut nous imposer, c'est-à-dire l'égalité. Ainsi donc, M. Hymans reconnaît que l'égalité équivaudrait à la prohibition pour la fabrication de sucre de betterave.
Je néglige une foule de choses pour ne pas abuser de vos moments.
Dans, beaucoup de villes on perçoit un droit de place sur les céréales. Ainsi, le paysan qui dépose un sac de blé au marché, ne fût-ce que pendant quelques secondes, paye 18 centimes, et 18 centimes c'est beaucoup. Je demanderai à l’honorable M. Frère, si dans son système, les droits de place pourront continuer à être perçus, parce que je crains qu’indirectement on ne vienne à rétablir, en partie, les droits d'octroi. Si, par exemple, un bourgmestre aussi habile et aussi ingénieux que l'honorable M. Frère, ce qui est assez rare, voulait indirectement rétablir les octrois, cela lui serait facile, en établissant les droits de place sur le bœuf, la génisse, le porc, les légumes, et tous les produits de la campagne. L’honorable M. Frère se serait borné à affranchir les villes des impôts sur les objets de luxe et l’on continuerait à percevoir des impôts sur les denrées alimentaires.
Il me faut une explication sur ce point. Ce qui me fait craindre qu'il n'y ait là quelque anguille sous roche, c'est que, si je suis bien informé, M. le ministre des finances a écrit aux personnes intéressées que le droit que certaines villes perçoivent à la sortie des vidanges continuerait d'être perçu. Cet impôt produit beaucoup, puisqu'il s'élève, pour certaine ville, jusqu'à 100,000 francs. Mes craintes sont donc fondées. Je veux qu'où abolisse les octrois, mais qu'on les abolisse entièrement. L'observation que je viens de faire s'applique aussi au droit d'abattage.
Un dernier mot. L'honorable M Frère insiste beaucoup sur les avantages que les campagnes retireront de la suppression des octrois, et il a raison. Mais son raisonnement se réduit à ceci, et il est d'une clarté effrayante : que les octrois seront abolis pour les villes, et qu'ils seront maintenus sous une autre forme pour les campagnes. (Interruption.)
Il le faudra bien, puisque vous restituez intégralement aux villes le montant de leur octroi, sans leur imposer une charge équivalente ; et puisque les 3 millions pour lesquels les campagnes concourent au payement des octrois, j'admets votre chiffre, elles continueront à les payer et largement.
Il n'y aura donc pas de suppression des octrois.
Comme je vous l'ai déjà dit, il y a dans tous les calculs, dans toutes les considérations fort ingénieuses d'ailleurs de l'honorable M Frère, une omission fondamentale, L'honorable ministre compte comme consommation des villes toutes les consommations faites par les forains ; or, comme c'est dans les grandes villes que les étrangers abondent, les étrangers à la Belgique et les étrangers aux villes, il est clair que ce concours de gens riches doit augmenter beaucoup la consommation des villes ; M. Frère porte au profit des villes toute la consommation qui s'y fait.
Je finis en répétant cet argument grave, auquel on n'a pas répliqué un seul mot : d'après les études d'hommes considérables, très expérimentés, études corroborées, je puis le dire, par les calculs de l'honorable M. Frère, la ville de Bruxelles, par exemple, la ville proprement dite, la population bruxelloise ne paye dans les 3 millions d'octroi que 2 millions. Les campagnes figurent dans le chiffre au moins pour 600,000 fr., et les étrangers au pays pour 365,000 fr. (Interruption.) S'il n'était pas si tard, j'apporterais, à l'appui de cette allégation, des chiffres et des témoignages que vous ne contesteriez pas.
Vous restituez donc, ou plutôt, vous donnez à la population bruxelloise 33 p. c. de plus qu'elle ne débourse et ces 33 p. c. sont payés par les campagnes. Celles-ci ne payeront pas seulement leur propre part dans le produit de l'octroi, elles payeront en outre pour les étrangers à la Belgique. Or, cela est radicalement injuste.
On a beau me dire : Cela n'est que transitoire. Je demanderai combien votre transitoire durera. Vous n'osez pas fixer de date. Oseriez-vous accepter un amendement qui déterminât votre transitoire à six, ans, à huit ans, à dix ans même ? Vous ne le feriez pas, vous gardez le silence. Eh bien, je dis qu'un transitoire dont personne ne peut prévoir la fin, c'est de la perpétuité, et dans tous les cas, le transitoire même ne peut pas être injuste.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai omis, dans le discours de tantôt, de répondre à beaucoup de choses, notamment à cette allégation produite déjà hier par l'honorable M. Tack, que l'on dégrevait les objets de luxe dans une proportion énorme. Cela vient d’être répété par l'honorable M. Coomans. Sept millions, dit-on dans la brochure où l’honorable M. Tack a puisé l'argument.
M. Coomans. - Ce n'est pas mon chiffre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, mais c'est celui de M. Tack. Si l'honorable M. Tack trouvait 200,000 fr. d'objets de luxe dans les tarifs d'octroi, en y comprenant la volaille et le gibier, je crois qu'il serait au bout.
M. Tack. - J'ai dit que, dans les 7 millions, figuraient beaucoup d'objets de luxe.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit comme la brochure, que l'on dégrevait les habitants des villes de 7 millions d'impôt sur les objets de luxe. Or, je le répète, il n'y a pas, dans les tarifs d'octroi, pour 200,000 fr. d'objets de luxe, en y comprenant le gibier et la volaille, et même les truffes qui rapportent, si je ne me trompe, 195 fr.
M. Tack. - Je considère le vin comme un objet de luxe.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je profite seulement de l'occasion pour dire que, si je n'ai pas répondu à ces erreurs, ce n'est pas que j'entende les admettre.
Je me borne à répondre à la question que m'a adressée l'honorable M. Coomans.
Il a cru qu'il y avait quelque anguille sous roche. Il a dit que je n'avais pas parlé des droits de place et des droits su .les vidanges. S'il avait bien voulu lire le projet de loi, il aurait vu, à l’article premier, une note explicative qui est justement la réponse à la question : « Les octrois ne forment qu'une partie des impositions communales indirectes ; il existe en outre, dans la plupart des villes et dans plusieurs communes, des droits de place aux foires et marchés, des droits de jaugeage, de pesage, (page 1496) de mesurage, de quai, de bassin, de magasin, de minque, de vidange, etc. »
M. de Theux. - Ces droits pourront-ils être augmentés de manière à rétablir indirectement l'octroi ? Voilà la question.
- Un membre. - Sont-ils maintenus ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est clair qu'ils existeront encore. Les impositions connues sous le nom d'octroi sont abolies, mais les autres articles sont maintenus. Nous ne nous occupons que des droits d'octroi proprement dits, c'est-à-dire de ces droits qui ne peuvent être établis que par autorisation royale, et tous les droits dont vous parlez sont des droits qui peuvent être établis avec la simple autorisation de la députation permanente. (Interruption.) Messieurs, libre à vous de modifier, de restreindre les droits des communes. Vous ne défendez plus maintenant leur indépendance et leur liberté. Je le veux bien, mais je me borne à répondre à la question : nous supprimons simplement les droits d'octroi.
- La séance est levée à cinq heures et un quart.