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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1431) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.


M. de Moor présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Les membres du conseil communal de Rothem demandent que le projet de loi relatif aux octrois supprime l'impôt de capitation ou d'abonnement dans les communes rurales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Dickebusch prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif aux octrois. »

- Même décision.


« Des habitants d'Aublain demandent la réforme de la loi du recrutement. »

« Même demande d'habitants de Cerfontaine, Jamagne, Sarl-en-Fagne, Gimnée, Laneffe, Doische, Franchimont, Matagne-la-Petite, Cul-des-Sarts, Omezée, Castllon, Gonrieux, Chastrès, Bruly, Jamiolle, Merlemont, Surice, Romedenne, Pesche, Sournois, Roly, Fagnolle, Mesnil, Frasne, Florenne, Dailly, Matagne-la-Grande, Petigny, Mariembourg, Villers-le-Gambon, Petite-Chapelle, Sautour, Vodecée, Vodelée. »

-- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Landeloos, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1861

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique pour l'exercice 1861.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.


Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de juin.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Henri Dumortier, inscrit sur le projet.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je déclare sincèrement que je suis partisan de l'abolition des octrois ; et en faisant cette déclaration je ne me bornerai à dire que je suis partisan du principe de la suppression des octrois. J'en suis partisan en fait, et disposé à faire des concessions pour obtenir cette mesure, que je regarde comme très utile dans l’intérêt public.

Pour que nous puissions arriver à une solution favorable, à une discussion utile, il importe, messieurs, que nous conservions dans ces débats beaucoup de calme, et surtout que des provocations irritantes ne viennent pas faire dégénérer le débat en question politique. Quoiqu'il semble de mode qu'on ne puisse plus rien discuter ou presque rien sans qu'il n'y entre une certaine dose de clérical et de libéral, je déclare pour ma part que je ne vois pas quel rapport il y a entre la betterave, le genièvre, les gabelous, la bière, le vin, et le clérical et le libéral.

Mais pour que nous conservions cette position, il faut que le ministère et ses amis ne nous lancent pas des paroles provocatrices et irritantes, comme on a déjà commencé à le faire. Dans ces conditions, j'accepte le débat et je tâcherai d'examiner la question avec toute l'impartialité possible.

Messieurs, tout en professant le plus grand respect pour la science, je vous épargnerai un luxe de citations de savants et d'économistes. Je ne vous parlerai pas de M. Say, ni de Mill, ni de Ricardo, ni de Rossi, ni de Michel Cheviller ni de tant d'autres, parce que ces citations ne sont souvent pas faites précisément pour l'espèce qui occupe la Chambre, et qu'on en tire souvent des inductions qui ne sont pas la conclusion logique des prémisses postes par ces auteurs.

Ainsi lorsque j'entends ici souvent citer l'opinion de M. Michel Chevalier, je me rappelle que chaque année, lorsque ce célèbre professeur ouvrait son cours au Collège de France, il avait soin de dire à ses auditeurs : Ne vous y trompez pas ; j'enseigne ici des principes de théorie pure. Grande serait l'erreur de ceux qui dans la pratique, dans les administrations publiques, dans les Chambres, voudraient faire de ces principes une application immédiate et générale, sans tenir compte du temps, ni des lieux, ni des circonstances. Ces principes généraux ne sont en quelque sorte que le fond du tableau ; le temps, les circonstances en sont les détails ; et ceux qui, par un usage trop absolu de ces théories, voudraient les faire pénétrer d'une manière trop radicale et trop prompte dans le domaine des faits, ajoutait M. Michel Chevalier, ressembleraient à ce général qui fait de fort beaux plans de campagne sur le papier et qui, arrivé sur le terrain, s'aperçoit qu'il n'a pas tenu compte des montagnes et des vallées.

Messieurs, je suis sincèrement partisan de l'abolition des octrois, parce que ce sont là des débris d'une époque qui n'est plus dans l'esprit moderne, parce que les octrois sont une entrave au développement de l'industrie et du commerce ; ce sont de vieux monuments que je désire voir, non pas restaurer, mais démolir. On s'est déjà d'ailleurs étendu assez longuement sur ces considérations pour que je n'insiste pas sur ce point.

La réforme des octrois devait nécessairement blesser beaucoup d'intérêts. J'aime à le déclarer, il a fallu quelque courage au ministre qui a entrepris cette réforme, et qui a osé braver les clameurs de tant d'intérêts lésés. Pour ma part, je lui en tiens compte.

Toutefois, parmi ces intérêts il en est un, c'est l'intérêt des communes rurales, qui me semble ici lésé plus fortement que tous les autres, et c'est particulièrement sur celui-là que je vais m'appesantir en présentant à la Chambre quelques considérations.

M. le ministre des finances nous a dit, en nous citant aussi l'opinion des savants, des commissions et du conseil supérieur d'agriculture, que l'abolition des octrois profite non seulement aux villes, mais aussi aux campagnes. C'est une vérité qui, pour moi, n'avait pas besoin de démonstration. Il est évident, sans que le conseil supérieur d'agriculture intervienne dans le débat et sans qu'on me cite les opinions de Turgot et autres, il est évident, dis-je, que la réforme des octrois profitera aux habitants des communes rurales. Cependant, messieurs, n'exagérons pas la portée de la loi sous ce rapport.

Ce serait une erreur de croire que tous les habitants des communes rurales sont de grands fermiers ou des éleveurs, qui envoient constamment leurs denrées ou leur bétail au marché de la ville voisine. Si la loi est favorable aux habitants des campagnes, ce n'est qu'à une certaine partie d'entre eux : ceux qui connaissent ce qui se passe à la campagne savent parfaitement bien que le nombre des fermiers ou des éleveurs, le nombre des personnes en un mot qui envoient des denrées au marché et qui sont exposées à être molestées et rançonnées par l'octroi est relativement assez restreint.

Néanmoins, les trois quarts des autres habitants des communes rurales devront contribuer à la formation du fonds communal par l'augmentation des droits d'accise. C'est une considération que je signale à toute l'attention de M. le ministre des finances.

Messieurs, quant aux vexations sans nombre auxquelles ces personnes, tant paysans que gens de la ville, sont en butte à la porte des villes, j'ai entendu un concert d'imprécations contre l'octroi. C'est une chose abominable, exécrable, on ne trouve pas de termes assez forts pour le flétrir. Tout en combattant le maintien des octrois, nous devons cependant rester dans le vrai. Si les habitants des villes ou une partie des habitants des communes rurales ont évidemment quelque chose à gagner à l'abolition des octrois, il n'est pas exact de dire qu'aux portes de presque toutes nos villes, veille nuit et jour une légion d'espèces de cerbères faisant subir aux gens des traitements qui rappelleraient les tortures de l'inquisition.

Ainsi, messieurs, je m'apitoie très peu sur le sort de ce fermier dont a parlé M. le ministre des finances qui dût retourner chez lui parce qu'il n'avait pas de quoi payer l'octroi sur ses veaux ; ce qui est arrivé à ce fermier peut nous arriver à tous ; si nous nous rendons dans un lieu où il y a à payer et que nous oubliions notre bourse, il faudra bien renoncer à y entrer ou aller chercher de l'argent. Ce ne sont pas des arguments de cette espèce qui exercent de l'influence sur mon esprit.

Il n'est pas exact de dire que les habitants des campagnes sont traités en quelque sorte comme des esclaves, comme des ilotes par les agents des octrois, et il ne faut pas exagérer au-delà de la vérité l'importance du cadeau qu'il s'agit de leur faire.

Toute la question est de savoir si le sacrifice qu'on demande aux populations rurales est en rapport avec le bienfait qui va résulter pour elles de l'abolition des octrois.

Sous ce rapport-là je conserve des doutes très sérieux.

D'abord, comme l'a fort bien fait remarquer l'honorable M. Vander Donckt, non par des citations savantes, mais avec le bon sens pratique qui caractérise ses observations, l'enthousiasme des villes pour envoyer des adresses de félicitation au gouvernement, démontre clairement que les villes trouvent dans la mesure proposée un avantage plus considérable que celui qu’y trouvent les communes rurales.

(page 1432) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a trois fois plus de manifestations de la part des communes rurales que de la part des villes.

M. H. Dumortier. - Vous comptez donc pour rien les démonstrations en sens inverse, et puis il y a 2,500 communes et il n'y a que 78 villes à octroi.

Quand les villes déclarent qu'elles consentent à être exonérées de leur octroi, c'est comme si un propriétaire demandait à son fermier s'il ne trouverait pas mauvais d'obtenir la remise d'une partie de son fermage.

Mais, messieurs, il y a plus encore que les adresses des villes ; nous avons les propositions de la section centrale elle-même et, certes, le gouvernement ne se plaindra pas de la composition de la section centrale ; il n'y a pas rencontré un seul adversaire ; c'est la première fois, comme on l'a dit hier, que pour un projet de loi de cette importance on exclut tellement la minorité, qu'elle ne compte pas un seul membre dans la section centrale.

Eh bien, la section centrale s'est-elle contentée de la proposition du gouvernement ? Nullement ; elle a insisté à l'unanimité pour obtenir une réforme du projet en ce qui concerne la part attribuée par le gouvernement dans le fonds général aux communes rurales. C'est la meilleure preuve que, sous ce rapport, les propositions de M. le ministre des finances ne sont pas de nature à être accueillies par la Chambre. Remarquez d'ailleurs, messieurs, que la part accordée à ces communes rurales n'était pas assurée comme la part accordée aux villes. La part des communes rurales pourra augmenter, il est vrai ; mais elle peut aussi diminuer par suite de certains événements. (Interruption.)

M. le ministre des finances a fait miroiter aux yeux de la Chambre et du pays la part qui serait attribuée aux communes dans le fonds commun ; mais ce qu'il a tenu trop dans l'ombre, c'est la somme des sacrifices qu'il exige d'elles. Je ne veux pas faire d’énumérations ; je ne veux pas fatiguer la Chambre avec des chiffres ; mais il a déjà été démontré que le montant de ces sacrifices va bien au-delà de ce que les communes recevront.

Et puis, messieurs, la répartition du fonds commun n'est-elle pas très inégale ?

Il existe là des chiffres qui prouvent, à l'évidence, que dans les bases admises pour la répartition du fonds communal, il aurait fallu faire entrer d'autres données.

Es- ce la population ? Est-ce la propriété foncière non bâtie ? Je n'en sais trop rien. Mais il y a des résultats tellement choquants, que tout le monde doit avouer que la répartition ne se fait pas dans une juste mesure. On trouve une inégalité singulière entre les provinces. Ainsi, les communes rurales du Hainaut qui payent, en cotisations personnelles, une somme de 258,000 francs, reçoivent une somme de 547,000 francs, tandis que les communes rurales de la Flandre occidentale, qui payent 1,235,000 francs, reçoivent 449,000 francs seulement, c'est-à-dire qu'en présence d'un impôt infiniment plus élevé elles reçoivent moins que les communes du Hainaut.

Les communes du Luxembourg ne payent que 72,000 francs de capitation, et elles reçoivent plus de 100,000 francs...

M. J. Jouret. - Et les centimes additionnels ?

M. H. Dumortier. - J'arriverai tout à l'heure aux centimes additionnels.

Voilà pour ce qui concerne les provinces. Je ne veux pas trop insister sur les détails. Je demanderai cependant la permission à la Chambre de lui présenter encore une comparaison pour ce qui concerne les communes. J’ai pris, au hasard, des indications que j'ai trouvées dans les documents qui nous ont été fournis par M. le ministre de finances.

Voici une commune de la Flandre occidentale, Langhemarck, qui a une population de 5,900 habitants ; je la compare à une commune de la province de Namur, à la commune d'Andenne dont la population est de 5,800. Les contributions payées dans la commune de Langhemark sont de 15,000 francs ; elles atteignent le même chiffre dans la commune d'Andenne.

Voici maintenant à quel résultat on arrive.

La commune de Langhemarck paye un abonnement de 24,000 francs, autant que toutes les communes de la province de Namur réunies, et elle reçoit sur le fonds communal une allocation de 5,900 francs, tandis que la commune d'Andenne, qui ne paye pas un centime de capitation, reçoit 6,700 francs.

Jamais M. le ministre ne pourra me faire comprendre que de pareils résultats ne laissent pas à désirer au point de vue de la justice distributive et de l'équité.

Si on fait la répartition du fonds communal d'après le produit du principal des contributions foncières sur les propriétés bâties, des contributions personnelles et des patentes, on obtient le résultat que voici :

Villes à octroi :

Principal de ces contributions : 9,266,187 fr. 42.

Répartition : 11,625,466 fr.

Moyenne par habitant : 1 fr. 25.

Communes sans octroi :

Principal de ces contributions : 7,487,402 fr. 39.

Répartition : 2,402,117 fr.

Moyenne par habitant : 1 fr. 25.

Répartition d’après la population :

Ville à octroi :

Population : 1,222,991.

Répartition : 11,625,466.

Moyenne par habitant : 9 fr. 51

Communes sans octroi :

Population : 3,400,098

Répartition : 2,402,117 fr.

Moyenne par habitant : 0 fr. 70 c.

Mais, dit M. le ministre, l'habitant des villes consomme plus que l'habitant des campagnes.

Cela peut être vrai pour l'habitant des campagnes pris isolément ; mais pris en masse, in globo, tous les habitants des communes non sujettes à l'octroi consomment évidemment plus que les habitants des villes à octroi. Leur part devrait donc nécessairement être augmentée.

J'ai entendu hier M. le comte de Baillet produire un argument qui m'a fort peu touché.

Vous avez tort, a-t-il dit, de demander qu'on ne favorise pas les villes ; mais plus on favorise les villes, plus on améliore la position des habitants des villes, plus leur consommation augmente, plus ils procurent de bénéfices aux habitants des campagnes qui les approvisionnent.

Cet argument ne me paraît pas sérieux. D'après ce système, il ne s'agirait plus que de donner toute espèce d'avantages exceptionnels aux habitants des villes pour rendre leur position plus belle et plus florissante, et ce seraient en définitive les habitants des campagnes qui profiteraient le plus de cet état de choses, parce que les habitants des villes cherchent à la campagne tout ce qu'ils consomment.

M. de Baillet-Latour. - Vous vous approvisionnez à la campagne.

M. H. Dumortier. - Je passe à des arguments qui résistent mieux à la discussion.

M. le ministre des finances nous a cité comme exemple ce qui se fait dans la banlieue de la ville de Francfort.

Dans des pareilles matières, je me méfie toujours beaucoup des comparaisons entre notre pays et les pays étrangers.

On cherche souvent de prétendues analogies en Angleterre et en Allemagne, et nous ne sommes souvent pas assez bien renseignés pour savoir s'il y a identité entre les situations.

Je ne crois pas qu'il y ait identité entre la situation de la banlieue de Francfort et cette ville d'une part, et celle de nos communes et de nos villes d'autre part.

Quoi qu'il en soit, il résulte de ces calculs qu'à Francfort on avait compté qu'un habitant de la ville valait, sous ce rapport, cinq habitants de la campagne.

Je ne pense pas que les habitants de nos communes rurales acceptent ce tarif.

Cet argument me semble peu concluant.

Messieurs, dès que le projet de loi de M. le ministre des finances fut connu, MM. les bourgmestres de l'arrondissement de Courtrai ont fait parvenir à la Chambre une pétition dont je ne donnerai pas lecture parce que je ne désire pas entretenir la Chambre longuement, mais je demande la permission de lui faire connaître les conclusions de cette requête.

Et remarquez, messieurs, que les signataires de cette protestation ne sont pas seulement des bourgmestres cléricaux ; j'y trouve la signature de plusieurs bourgmestres libéraux extrêmement dévoués au gouvernement et qui, dans bien des circonstances, ont montré beaucoup d'empressement à satisfaire aux désirs du gouvernement.

Voici ce qu'ils disent :

« Forts de nos droits et de la justice de nos représentations, nous venons vous prier de demander pour ces 3,400,000 Belges, dont les intérêts doivent vous être aussi chers que ceux des habitants des villes, un partage équitable du fonds communal, et lorsqu'on sera arrivé aux moyens de réaliser la grande et belle pensée du gouvernement, confondez au moins dans la même réprobation les octrois et les abonnements, parce qu'il y a identité dans leur origine et dans leur but et qu'il n'y a de différence qu'en ce que les derniers sont plus vexatoires que les autres. »

Et, en effet, messieurs, l'honorable ministre des finances n'ignore pas que les rôles d'abonnements ont pris dans la Flandre occidentale un développement extraordinaire. Les chiffres que j'ai cités tout à l'heure le prouvent suffisamment. Vous comprendrez, dès lors, que nous ne pouvions pas nous dispenser de présenter certaines observations critiques sur ce projet de loi et qu'il n'était pas nécessaire d'attribuer ces critiques aux clameurs de l'esprit de parti, comme le disait hier l'honorable M. de Baillet. Il y a ici un intérêt très considérable qui se trouve lésé ; ce serait faillir à notre mandat et d'ailleurs rester sourd à l'appel de l'honorable ministre des finances lui-même que de ne pas présenter toutes les observations de nature à éclairer le débat.

Si, messieurs, vous désirez un témoignage incontestable an sujet de l'élévation des rôles d'abonnements dans la Flandre occidentale ; si vous voulez apprécier à quel point ce genre d'impôt pèse sur 1'agriculture et (page 1433) particulièrement sur les habitants des communes rurales en général, je vous citerai une autorité que M. le ministre des finances ne récusera probablement pas, c'est celle d'un membre du cabinet qui connaît parfaitement la Flandre occidentale, où il occupait, il n'y a pas longtemps encore, les fonctions de gouverneur.

Voici, messieurs, ce que je trouve dans un discours prononcé en 1853 par l'honorable baron de Vrière, à l'ouverture de la session du conseil provincial de la Flandre occidentale. Après avoir indiqué le chiffre qu'avait atteint l'abonnement dans les différentes provinces du pays, l'honorable baron de Vrière continuait en ces termes :

« Ainsi qu'on le voit, les habitants des communes rurales de la Flandre occidentale supportent à eux seuls des charges locales qui atteignent à peu près la moitié du chiffre des mêmes charges réunies des huit autres provinces du royaume, et pour que ces calculs fussent rigoureusement exacts, il faudrait encore porter au compte de cette province la cotisation volontaire pour la distribution de pain aux indigents, véritable impôt consacré par l'usage, la rétribution des wateringues, l'impôt sur les chiens, les centimes additionnels extraordinaires dont le montant n'est supérieur à ceux qui pèsent sur nos communes rurales, que dans une seule province, celle du Brabant. Il semblerait qu'un si lourd fardeau, dont, je le répète, la plus grande part est supportée par l'agriculture, dût n'être qu'un signe incontestable de la supériorité de notre richesse agricole : une pareille appréciation serait malheureusement inexacte. Le tableau joint à l'arrêté royal du 28 juillet 1852, pris en exécution de la loi du 17 décembre 1851, démontre à l'évidence que la propriété rurale, dans la Flandre occidentale, n'a pas accru en valeur dans une proportion aussi forte que dans les autres provinces. »

Un autre fonctionnaire, dont le témoignage ne sera pas non plus suspect au gouvernement, M. le commissaire d'arrondissement de Thielt-Roulers écrivait ceci à la même époque :

A côté des centimes additionnels, figure en recettes, aux budgets communaux, le montant des rôles de la cotisation personnelle, rôles qui sont 15 et 20 fois plus élevés que le produit des centimes additionnels perçus au profit des communes. On serait arrivé à de singuliers mécomptes, si, en abandonnant aux communes la contribution personnelle et les patentes, comme la proposition en a été sérieusement faite au sein de la commission de révision des octrois communaux en 1848, on croyait pouvoir par à supprimer les capitations existant dans un grand nombre de communes rurales, puisque ces capitations dépassent très souvent de la moitié, le montant de la contribution personnelle et des patentes ensemble. »

M. Manilius. - De quelle époque est ce rapport ?

M. H. Dumortier. - De 1855.

Du reste, les commissions qui ont examiné ces questions et où ne se trouvaient guère des représentants directs des communes rurales, ont été unanimes pour demander que l'impôt de capitation fût aboli en même temps que les octrois. Elles ont mis ces deux impôts sur la même ligne.

Mais puisqu'on ne veut pas rembourser intégralement aux communes leur abonnement, je demande pourquoi il faut rembourser aux villes, jusqu’au dernier sou, le montant de leur octroi ; si cette réforme est si importante, si elle doit avoir une si grande influence sur le développement du commerce et de l'industrie, si elle doit être la réforme-monument de la session, pourquoi ne veut-on pas même faire payer un sou aux villes pour obtenir cette grande faveur ? Vous formez, avec le concours des communes rurales, un fonds au moyen duquel les villes payeront jusqu'à des pensions à leurs employés chargés du service des octrois. Cela n'est pas équitable.

L'honorable ministre des finances nous a donné, d'après Turgot, la définition de l'octroi pour faire voir jusqu'à quel point il pèse sur l'agriculture et sur les communes rurales. Je regrette que trop souvent les ministres ne soient pas placés dans un milieu qui leur permette d’apprécier à leur juste valeur la question des abonnements. Il faudrait pour cela avoir habité, comme nous, la campagne.

Je suis sûr que M. le ministre des finances avec son sens droit, avec sa loyauté à laquelle je rends hommage, s'il connaissait comme nous comment on établit et comment on perçoit les abonnements, n'hésiterait pas à nous faire des concessions.

Qu'est-ce que l'abonnement dans les campagnes ? C'est trop souvent pour les partis ou les coteries qui parviennent à triompher dans les élections communales le moyen d'user et d'abuser de leur autorité pour rançonner la minorité : c'est le vae victis !.

Si vous examinez ce genre d'impôt, la manière de le répartir, vous trouvez la plus grande diversité : ici on admet trois bases, là on n'a égard qu'à la fortune du contribuable.

D'après les arrêtés royaux sur la matière il faudrait rigoureusement prendre pour base de la répartition : la fortune présumée, la contribution et la consommation.

Mais dans beaucoup de communes cet impôt est un véritable income tax ; on apprécie à peu près l'ensemble de la fortune, et d'après cela on établit la taxe. Vient ensuite pour l'administration supérieure la difficulté d'apprécier, de juger toutes les réclamations qui s'élèvent.

Comment voulez-vous qu'une députation permanente puisse en pleine connaissance de cause trancher les centaines de réclamations qu'on lui adresse, apprécier la fortune, la position de personnes qui habitent à l'une ou à l'autre extrémité de la province ? Elle n'a pour contrôler ces réclamations que les données que lui fournit le conseil communal, partie en cause, et le rapport du commissaire d'arrondissement, souvent aussi facile à induire en erreur que la députation permanente elle-même.

Ensuite, messieurs, il y a divergence sur plusieurs points dans la jurisprudence des députations permanentes.

Je regrette que l'honorable ministre des finances, dans le discours qu'il a prononcé, ait passé si rapidement sur cette question de l'abonnement.

Y a-t-il similitude complète entre l'abonnement et l'octroi ? Sous certains rapports, non ; au fond, oui. Les conseils communaux, taxant généralement les contribuables surtout eu égard à leur fortune présumée, eu égard à l'ensemble de leur avoir, et l'octroi, pesant sur les objets de consommation qui sont l'indice de la fortune des personnes qui payent l'octroi ; ces impôts peuvent, au fond, être placés sur la même ligne, bien qu'à la rigueur, et en épiloguant plus ou moins, on puisse établir certaines distinctions plus apparentes que réelles. Ces choses se ressemblent tellement, qu'on peut dire qu'en réalité la nature de l'impôt est identique. Aussi les commissions qui ont été nommées pour examiner ces questions, les écrits qui ont paru sur cet objet, ont constamment placé l'abonnement et l'octroi sur la même ligne.

Maintenant faut-il abolir l'abonnement et interdire formellement aux communes la facilité d'en faire usage à l'avenir ? Je veux bien concéder qu'il y aurait certaine difficulté à admettre ce système, et voici pourquoi : c'est qu'à côté des octrois, les villes possèdent encore d'autres sources de revenus que n'ont pas les communes. En abolissant d'une manière absolue l'abonnement, on empêcherait peut-être que dans l'avenir les communes puissent se procurer les ressources nécessaires pour réaliser des améliorations et des travaux utiles.

J

Messieurs, pour cela il faudrait nécessairement augmenter le fonds commun, et c'est une seconde question à traiter que celle de savoir quels sont les voies et moyens à l'aide desquels on peut arriver à ce résultat.

Je n'accepte pas, sous ce rapport, la position qu'on semble vouloir faire ici à ceux qui trouvent quelque chose à redire au projet de loi. On dit : Il ne suffit pas de critiquer, il faut pouvoir indiquer les moyens pratiques d'atteindre le résultat. Je veux bien, nous dit M. le ministre des finances, rembourser les capitations que vous indiquez, mais indiquez-moi les ressources.

Messieurs, vous comprenez parfaitement que dans une question aussi difficile, aussi ardue, lorsque des hommes d'une intelligence aussi élevée que l'honorable ministre des finances et ses prédécesseurs, ayant à leur disposition une armée de fonctionnaires, tous les moyens d'investigation possibles, ont mis tant d'années à étudier ces questions, sans que personne jusqu'ici eût osé présenter un projet de loi sur cette matière, vous comprendrez qu'il nous serait bien difficile d'indiquer d'une manière sûre et certaine les ressources dont pourrait disposer M. le ministre des finances pour augmenter le fonds communal.

Nous remplissons ici avant tout le rôle de juges.

Le gouvernement nous présente un projet de loi ; nous l'approuvons ou nous le rejetons ; nous pouvons émettre des idées générales que nous soumettons à son attention. Mais vouloir que nous apportions ici, dans une matière pareille, un projet complet pour l'opposer au projet ministériel, c'est exiger de nous l'impossible. Nous ne pouvons accepter une pareille position.

Du reste, on n'a pas été sans indiquer quelques objets qui pourraient rapporter au trésor plus qu'ils ne rapportent actuellement. Ainsi on a parlé de la houille. Pourquoi ne pourrait-on pas reporter sur la houille la minime contribution qu'elle paye aujourd'hui à l'entrée des villes ? Pour le vin, M. le ministre des finances a reporté à la frontière ce qu'on paye actuellement à l'octroi, qu'il soit conséquent dans ce système et qu'il reporte sur la houille l'impôt qu'elle paye actuellement lorsqu’elle entre en ville. Il est évident que l'industrie houillère n'en souffrirait pas et que cette redevance produirait un revenu assez considérable.

L'honorable comte de Renesse a appelé sur ce pointât sur plusieurs autres l'attention de la Chambre ; je lui en sais gré. Il est évident qu'avec un peu de bonne volonté, M. le ministre des finances pourrait trouver les moyens d'augmenter encore le fonds communal.

Pour ce qui concerne l'impôt sur le tabac, je regarderais le luxe d'inquisition nécessaire pour exercer un contrôle sérieux sur cet objet, comme une chose qui n'est ni dans nos mœurs, ni dans nos habitudes, qui n'est pas en harmonie avec le caractère de la nation, je ne pourrais que repousser toute proposition qui serait faite pour imposer ce produit.

(page 1434) Je finis donc en demandant avec instance à l'honorable ministre de vouloir nous faire quelques concessions ; de vouloir faire en sorte que l'on ne puisse pas dire que dans un pays comme le nôtre il existe deux poids et deux mesures, je demande que le gouvernement nous fasse des concessions afin que nous puissions voter ce projet de loi à une grande majorité, et afin que nous puissions faire voir à l'étranger que si, dans notre Belgique libre et indépendante, il existe des partis, nous ne sommes cependant pas tellement parqués en deux camps hostiles, que nous ne puissions pas même, dans des questions de ce genre, nous rapprocher et travailler de commun accord au bien-être et à la prospérité de notre chère patrie ! (Très bien, très bien.)

M. de Florisone. - La suppression des octrois communaux est une des mesures les plus utiles qui aient été proposées au parlement belge depuis la constitution de notre nationalité. Poser devant la Chambre un problème aussi difficile est un acte de courage, le résoudre est un des plus grands services qu'un ministre puisse rendre au pays. Aussi, messieurs, j'ai joint mes applaudissements à ceux qui ont éclaté quand l'honorable M. Frère a annoncé du haut de la tribune qu'il allait donner satisfaction au vœu unanime de l'opinion publique. Mais je ne voudrais pas qu'une réforme aussi utile, aussi libérale, devienne une cause de discorde, une source de désunion entre les villes et les campagnes, qu'elle est appelée au contraire à unir davantage. C'est ce sentiment, messieurs, qui me pousse à vous présenter, malgré mon inexpérience de la parole, quelques considérations en faveur des communes sans octroi.

On ne saurait le nier : le campagnard profitera dans une large mesure du renversement des 78 barrières qui divisent le pays. D'autres orateurs vous ont fait une peinture fidèle des ennuis, des tracas, des tribulations de toute sorte qui attendent le paysan aux portes des villes. Je puis vous citer un fait qui montre à quel point le fardeau des octrois pèse sur l'agriculture. A Ypres, où le transit est presque exclusivement agricole, le droit de passe-debout et de laissez-passer s'est élevé à 2 p c. de la recette. Voilà certes un droit que l'octroi prélève sur les populations de la campagne. Mais si le dégrèvement des taxes communales est un bienfait pour elles, le projet de loi laisse subsister un impôt d'une répartition moins juste et plus arbitraire : je veux parler des cotisations personnelles.

Je ne puis mieux les caractériser qu'en vous citant un extrait du rapport de la commission nommée en 1846, pour examiner les questions se rattachant à la suppression des octrois.

« La cotisation personnelle, dit le rapport, est arbitraire dans son principe, arbitraire dans sa répartition. Loin donc d'étendre aux villes le système d'imposition des campagnes, nous demandons que celui-ci soit compris dans la réforme que nous proposons.

« Vous avez depuis longtemps, M. le ministre, dû reconnaître que la présomption du revenu, sans base aucune, était une cause permanente d'injustices et d'animosités, qu'elle était une arme dangereuse aux mains des partis ou des coteries, et vous avez pu vous assurer, par les essais tentés à Arlon et à Gand, de la répugnance profonde que la cotisation personnelle ou la capitation inspire à tous ceux à qui l'apathie ou l'habitude, n'a pas appris à se courber devant l'arbitraire. »

Tous nos honorables collègues qui habitent la campagne peuvent rendre le témoignage que les couleurs de ce tableau ne sont nullement chargées. Souvent la répartition de la capitation est une œuvre de vengeance personnelle, et la députation permanente, dans l'impossibilité de se rendre un compte exact de tous les faits, est impuissante à réprimer les abus.

Les Flandres sont les provinces où les cotisations personnelles pèsent le plus lourdement sur les populations rurales. Elles eurent, il y a quelques années, à subir une crise industrielle et agricole des plus intenses. Forcées de faire d'énergiques efforts pour combattre la lèpre du paupérisme qui envahissait nos belles provinces, les communes se virent dans la nécessité d'augmenter notablement leurs ressources pour parer aux exigences de la situation ; de là la création de ces cotisations élevées que, d'ici à longtemps, il n'y aura pas moyen d'anéantir.

Toutes ces considérations devraient me porter à appuyer l'amendement de l'honorable M. Vermeire, mais je ne le puis pas et pour plusieurs motifs : voter l'amendement de l'honorable député de Termonde, c'est détruire toute l'économie de la loi et amener le rejet du projet du gouvernement que je désire voir réussir. Toutes les capitations ne sauraient être abolies immédiatement : il faudrait pour obtenir ce résultat l'augmentation, outre mesure, du fonds communal ou la création d'un fonds spécial pour les Flandres, et il m'est impossible d'espérer que les autres provinces consentent à ce sacrifice en faveur des communes flamandes ; en second lieu, j'ai des doutes sérieux sur la légalité de la mesure préconisée par l'honorable député de Termonde.

Le gouvernement a bien le droit de vous proposer la suppression des octrois parce que leur maintien gêne la libre circulation des personnes et des choses et lèse l'intérêt général, tandis que la capitation, quoique mauvaise, ne froisse que les citoyens qui sont surtaxés.

Je crois donc que ce serait porter atteinte au droit des communes de s'imposer comme elles l'entendent que de proclamer, en principe, l'abolition des cotisations.

La cause de la juste émotion des communes rurales, c'est l'évidente inégalité de la répartition du fonds commun. Le campagnard craint de payer le luxe du citadin. Il importe, messieurs, de faire cesser ces appréhensions. Le moyen d'y parvenir, c'est d'augmenter le fonds communal.

Que M. le ministre se rallie aux propositions d'augmentation faites par la section centrale, qu'il voie si la situation du trésor ne lui permet pas le sacrifice temporaire de quelques ressources au profit des communes jusqu'à ce que le fonds commun ait atteint certaines limites. Et alors, les communes sans octroi, mises immédiatement en possession d'une somme importante, attendront patiemment que l'augmentation progressive du fonds communal leur permette d'éteindre successivement toutes leurs capitations.

Une seconde cause de mécontentement pour les communes rurales, c'est la situation anomale que les circonstances font à quelques-unes d'entre elles. Je citerai aussi l'exemple pris par l'honorable préopinant. La commune de Langhemarck, situé dans l'arrondissement d'Ypres, a plus de population, paye plus d'impôt au trésor que Nieuport, et cependant la première ne recevra que 5,923 fr., tandis que la seconde aura une dotation annuelle de 26,224 fr. et tout cela parce que Langhemarck n'a pas recouru à un impôt que vous déclarez vicieux et que vous expropriez pour cause d'utilité publique.

Je sais qu'il est impossible d'apporter un remède radical et immédiat à la situation défavorable des communes dont je parle. Mais le gouvernement pourra, dans une certaine mesure, en atténuer l'injustice en distribuant avec plus de libéralité les subsides dont il dispose pour la voirie et l'instruction aux localités déshéritées dans la répartition.

Messieurs, qu'il me soit permis, en terminant, de prier de nouveau le gouvernement de se rallier aux conclusions de la section centrale. Qu'il donne son consentement aux augmentations proposées, qu'il aille même au-delà, si c'est possible, qu'il détruise par cette concession tout germe d'antagonisme et de désunion entre les villes et les campagnes, et je serai heureux de lui donner mon concours pour renverser une institution surannée qui répugne à nos habitudes de liberté et fait tache sur le sol belge.

M. Coomans. - M. le président, voudriez-vous bien donner lecture de l'amendement que j'ai envoyé au bureau ?

M. le président. - J'attendais que votre tour de parole fût venu. Puisque vous le désirez, je donnerai immédiatement lecture de cet amendement. Le voici :

« A partir du 1er janvier 1861, toutes les impositions communales connues sous le noms d'octrois et de capitations seront abolies. »

« Art. 2. Tous les six mois, le gouvernement fera verser dans la caisse de chaque commune, une somme égale au produit net du principal de la contribution personnelle et des patentes perçu sur son territoire.

« Art. 3. A partir du 1er janvier 1861, il sera perçu, au profit du trésor public, dix centimes additionnels sur tous les impôts généraux quelconques, hormis les deux indiqués à l'article précédent, que l'Etat remboursera aux communes, mais qui continueront néanmoins à compter pour la formation du cens électoral. »

M. Coomans développera son amendement, lorsque son tour de parole sera venu.

M. de Naeyer. - Messieurs, mon intention n'est pas, pour le moment, de descendre dans l'examen des détails du projet. J'aurai peut-être occasion de me livrer à cet examen lors de la discussion des articles. Je tâcherai, autant que possible, de rester dans la discussion générale et de me renfermer dans les principes qui dominent toute cette grande et grave question qui fait en ce moment l'objet de nos délibérations.

Je suis d'accord avec le gouvernement et la section centrale sur deux points essentiels.

Je suis d'accord sur la nécessité, je dirai même la nécessité impérieuse d'abolir les octrois que je considère comme une espèce de gangrène dans l'organisme économique du pays.

Je suis encore d'accord sur la possibilité d'opérer cette grande réforme sans augmenter la somme des sacrifices qui sont prélevés aujourd'hui sur les ressources de l'activité privée, sous le nom d'impôts.

D'accord sur ces deux points, je serais excessivement heureux de pouvoir l'être sur le troisième, celui du remplacement des octrois, et je l'avouerai, j'aime à conserver encore l'espoir que, sous ce rapport, le projet subira des modifications qui me permettront de lui donner une adhésion qui serait très sympathique.

Messieurs, quant à la nécessité de l'abolition des octrois, je crois que la démonstration est complète. Je n'ai pas l’intention d'ajouter quelque chose aux considérations péremptoires qui ont déjà été présentées.

Les vices des octrois ont été reconnus depuis longtemps ; ils ont été signalés à différentes reprises. Ils ont fait l'objet de réclamations vives et instantes ; et cependant les octrois sont restés debout.

Messieurs, ce phénomène s'explique d'une manière extrêmement simple, il suffit de faire remarquer que cette institution surannée, vermoulue, débris d'un autre âge, toutes qualifications qui ont été données à juste titre, selon moi, rapporte cependant annuellement 12 millions et même quelque chose de plus dans les dernières années, et que dans ces 12 millions, il y a près de 8 millions au profit de nos quatre grandes villes et 10 millions si vous entendez par grandes villes, les neuf villes les plus peuplées de la Belgique. Je dis que cela s'explique par cette circonstance que ce revenu existe au profit de ces grandes villes (page 1435) qui, dans ma manière de voir, exercent une action trop prépondérante sur la direction de nos affaires.

J’ai entendu souvent retentir à mes oreilles un reproche amer, un reproche bien dur adressé aux campagnards, auxquels j'appartiens et me fais gloire d'appartenir, et par droit de naissance et par les liens du sang.

On nous reproche d'être des retardataires, d'être les demeurants d'un autre âge. Eh bien, je dis que ce reproche, qui part surtout des grandes villes, est au moins étrange, quand depuis soixante ans, au milieu du XIXème siècle, nous voyons les octrois, legs le plus déplorable des temps passés, vivre, se développer, prendre des accroissements épouvantables sur les ailes protectrices de nos grands centres de civilisation et de lumière. Ce qu'on sent aujourd'hui la nécessité d'abolir, messieurs, ce n'est pas l'œuvre de ces campagnards retardataires, c'est l'œuvre de vos grandes villes.

Messieurs, d'où sont venus les grands obstacles, les véritables obstacles à l'abolition des octrois, et d'où viennent-ils encore ? D'une cause unique, dirai-je, que je vais vous indiquer. Ces obstacles viennent de ce que les grandes villes surtout ne remplissent pas l'obligation principale qui leur est imposée, l'obligation de pourvoir à leurs dépenses en s'imposant les sacrifices nécessaires sans blesser l’intérêt général. Les communes rurales ont rempli ce devoir, difficilement, oui ; mais loyalement et honnêtement ; les villes n'en ont pas fait autant. En voulez-vous la preuve ? Mais elle se trouve dans le maintien constant des octrois ; elle se trouve encore dans ces sacrifices énormes, exorbitants qu'on veut imposer aujourd'hui aux campagnes.

La voilà dans le passé, la voilà dans le présent ; puissent ces sacrifices ne pas en être la preuve dans l'avenir et transmettre ainsi aux générations futures un triste monument des exigences exagérées, de la prépondérance despotique que je viens de vous signaler.

Messieurs, les administrations communales n'ont pas cherché, je le sais très bien, à justifier les octrois au point de vue théorique. Au contraire. Elles les ont blâmés. Mais elles ont invoqué à leur appui une considération qui sert de palladium à une foule d'abus. Cette considération, je la caractériserai en ces mots. C'est l'impossibilité administrative de faire autrement. C'est là, messieurs, un terrible adversaire ; car il s'arroge le privilège de répondre par un simple haussement d'épaules aux raisons les plus concluantes. Voici en quoi cela consiste. On trouve qu'une chose est mauvaise en théorie ; mais en pratique elle est utile ; et puis, les hommes pratiques, les administrateurs disent : Impossible de faire autrement.

Voilà, messieurs, ce qui a garanti, protégé en grande partie les octrois. Eh bien, je vous l'avoue franchement ; je n'ai jamais pu comprendre, quant aux octrois, cette prétendue impossibilité de faire autrement ; car enfin je me suis demandé : Est-ce que les octrois font pleuvoir l'argent du ciel ? Est-ce qu'ils ont le pouvoir magique de faire naître, de créer des valeurs qui n'existent pas ?

Il y a un point cependant sur lequel on est d'accord : les octrois sont des impôts. Eh bien, l'impôt ne crée absolument rien. Il a un procédé beaucoup plus expéditif ; il prend les valeurs qui existent dans la poche du contribuable, il met la main dessus ; il dit : Cela est à moi, parce que je m'appelle impôt.

Si l'on voulait donner une définition exacte d'un ministre des finances, on dirait : C'est le chef suprême d'une armée d'employés ci de fonctionnaires chargés, non pas de créer, mais de prendre des valeurs dans la poche des contribuables.

Eh bien, voilà comment procède l'octroi. Maintenant, la question de l'abolition, qu'est-ce que c'est ? Ce n'est qu'une question de forme, une question de mode, une question de procédé. Je me demande donc si les octrois sont une chose si merveilleuse, comme moyen de prendre l'argent dans la poche du contribuable. Or, tout le monde est d'accord pour dire que c'est un moyen vexatoire, tracassier au plus haut degré, puis un moyen brutal qui frappe tout ce qui lui tombe sous la main sans distinguer même entre la nourriture du riche et la nourriture du pauvre.

Voilà un procédé excessivement cavalier, excessivement brutal. Il donne lieu à des frais frustratoires énormes, non seulement des frais en argent, mais des pertes de temps considérables. En présence de ces considérations, il y a évidemment une impossibilité parfaitement démontrée, c'est celle de trouver un impôt plus mauvais que les octrois. Dès lors comment comprendre qu'il n'y ait pas moyen de le remplacer ?

Cependant, messieurs, ce que je viens de dire ne tend aucunement à diminuer, à amoindrir le mérite de M. le ministre des finances dans la présentation de ce projet de loi. Je reconnais volontiers que les considérations que je viens de faire valoir sont théoriques ; or il y a une énorme difficulté, je le reconnais, à faire passer la théorie dans le domaine de la pratique ; cela est vrai, surtout, dans l'administration où il y a une foule de rouages qu'on pourrait en quelque sorte appeler des rouages-obstacles, et je suis intimement convaincu qu'il a fallu à l'honorable ministre une volonté bien énergique, appuyée de l'influence d'un grand talent, pour venir proclamer dans cette Chambre, au nom du gouvernement : Oui il faut que les octrois disparaissent, l'intérêt général l'exige. C'est là un acte de courage dont, loyalement, je lui témoigne une reconnaissance bien sincère.

Je crois que c'est là le coup de mort donné aux octrois ; cette question étant portée à l'ordre du jour du parlement, il est impossible que l'institution surannée dont il s'agit ne disparaisse pas d'une manière ou d'une autre, c'est ma conviction intime.

Messieurs, après les sentiments que je viens d'exprimer et que j'exprime parce qu'ils sont au fond de mon cœur, j'ai une tâche pénible à remplir en venant combattre, non pas l'abolition, mais le système de remplacement des octrois, proposé per l'honorable ministre des finances.

J'ai étudié consciencieusement ce système et je puis déclarer franchement, que je l’ai fait avec le désir bien sincère de pouvoir y donner mon adhésion. Eh bien, messieurs, j'éprouve une impression d'autant plus pénible, après m'être livré à cette étude, d'être obligé de me poser en adversaire du système au lieu d'y donner mon adhésion.

Il m'est impossible, messieurs, d'adopter le système proposé, pour deux motifs, d'abord parce que je suis resté convaincu qu'il est entaché d'une criante injustice à l'égard des communes rurales ; je me réserve de développer cette idée dans l'examen des articles.

En second lieu, le projet consacre une confusion déplorable entre les dépenses générales et les dépenses communales et il porte ainsi une atteinte grave à l'esprit de nos institutions, dont l'autonomie communale forme un des principes les plus essentiels. Les considérations que j'aurai à développer se rattachent principalement à ce deuxième ordre d'idées.

Je le reconnais, messieurs, il serait absurde, je dirai même puéril d'examiner la question de l'abolition des octrois sans se préoccuper des moyens de les remplacer ; toutefois, il est évident que ce sont là deux questions spéciales qui ont des rapports très intimes, mais qui cependant sont complètement distinctes ; on peut être d'accord sur le premier point et différer sur le second.

Evidemment il n'y a qu'une seule manière de supprimer les octrois, c'est de voter leur abolition ; mais il serait absurde de prétendre qu'il n'y a qu'un moyen de les remplacer, et M. le ministre des finances l'a parfaitement compris, car il a reconnu avec une modestie qui relève encore son grand talent qu'il ne considère pas son projet comme parfait, et il a fait un appel loyal à notre concours pour y apporter des améliorations.

On a dit que les octrois ne peuvent pas être abolis sans l'intervention de la législation ; c'est évident, puisque les octrois sont un abus que les administrations communales s'obstineraient, en quelque sorte, à maintenir et qui dès lors ne peut disparaître que par la volonté du législateur, qui apprécie souverainement les questions d'intérêt général. D'ailleurs l'abolition des octrois ne peut répondre aux exigences de l'intérêt public, que pour autant qu’elle soit générale et absolue, appliquée dans tout le pays et sans possibilité de rétablissement, et sous ce rapport encore la question appartient évidemment au domaine législatif.

J'ajouterai qu'aux termes formels de la Constitution c'est au législateur qu'est dévolu Je droit de déterminer les limites dans lesquelles les administrations communales doivent se renfermer d'ailleurs lorsqu'il s'agit d'établir des impositions.

Pourquoi supprime-t-on les octrois ? Mais évidemment à raison de leur incompatibilité avec la liberté individuelle, avec les intérêts du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, en un mot avec l'intérêt général dans son acception la plus large. Sous ce rapport encore la question rentre complètement dans nos attributions, car il appartient à la loi seule de statuer par mesure générale sur des intérêts généraux ; pour les questions de cette nature les administrations communales sont sans mission et sans autorité, bien qu'elles l'oublient quelquefois.

La Constitution se montre même défiante à leur égard chaque fois que l'intérêt général peut être en jeu, car sous ce rapport elle place les administrations communales sous le contrôle permanent, sous la surveillance incessante du gouvernement et de la législature.

Voilà, messieurs, pour la suppression des octrois. Mais en est-il de même des voies et moyens nécessaires pour remplacer le produit de l'octroi ? Il est évident que non.

Ici nous sommes tout à fait sur le terrain communal. Quelle était la raison d'être des octrois ? C'était évidemment de procurer aux communes les ressources nécessaires pour faire face aux dépenses communales. Or, n'est-il pas élémentaire que le soin de créer les voies et moyens nécessaires pour faire face aux dépenses locales rentre entièrement dans les attributions du pouvoir communal ?

Je sais bien, messieurs, que cela est quelquefois difficile, je sais bien que les administrations communales peuvent être portées naturellement à se débarrasser de ce fardeau et qu'elles trouveraient beaucoup plus commode de n'avoir à remplir que le rôle qui consiste à faire des dépenses en laissant au gouvernement et aux Chambres le soin de créer les ressources. Mais il en est de la liberté communale comme de toutes les libertés, elle a ses avantages et ses charges, et quand on n'accepte pas courageusement les charges, je dis qu'on n'est pas digne des avantages, parce que la responsabilité loyalement acceptée et franchement pratiquée est le seul titre légitime à la jouissance de la liberté ; hors de là il n'y a que les enfants gâtés de la liberté, qui sont un grand chagrin et un véritable fléau partout.

Et voilà sous quel rapport la question que nous traitons n'est pas entièrement étrangère à la liberté communale. M. le ministre des finances ne le comprenait pas, disait-il, et il se contentai de répondre par une anecdote sur laquelle il m'a invité à vouloir réfléchir. J'ai réfléchi à l'anecdote :je l'ai trouvée extrêmement spirituelle, parfaite s'il s'agissait d'égayer un moment la Chambre. Mais je n'ai pu comprendre (page 1436) quelle analogie il y avait entre le gouvernement et l'ami de l'honorable ministre des finances. Cet ami, si je me le rappelle bien, faisait un magnifique cadeau à sa commune, en puisant exclusivement dans sa bourse à lui ; or, que fait le gouvernement ? Il puise dans la poche des contribuables de la commune 10 francs, je suppose, pour en verser 4, 5 ou 6 peut-être dans la caisse communale. Je trouve que la conduite de ce personnage vraiment généreux, lié d'amitié avec l'honorable ministre vaut infiniment mieux que le système proposé par ce dernier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ni l'un ni l'autre ne confisquait la liberté.

M. de Naeyer. - Je veux dire que votre ami ne confisquait rien et que vous confisquez quelque chose de très précieux. Je parle de vous comme ministre des finances.

Voire ami améliorait nécessairement la position des contribuables de la commune, tandis que vous gouvernement, qui vous avisez de créer des impôts communaux à la place du conseil communal, que faites-vous ? Vous enlevez aux contribuables une très grande garantie résultant de la liberté communale, la garantie résultant de ce que ces impôts sont décrétés, comme le sont tous les autres impôts communaux, par des hommes sur lesquels ils ont une action beaucoup plus directe que sur un ministre des finances.

Et à cet égard je me permettrai de vous citer, messieurs, l'autorité d'un ancien collègue dont la perte prématurée a excité ici des regrets universels et bien légitimes, mais qui nous a laissé les souvenirs d'une puissante intelligence unie à une prodigieuse activité. Je veux parler de l'honorable Ch. de Brouckere, qui a publié entre autres un ouvrage intitulé : Principes généraux d'économie politique.

Il serait très difficile d'accumuler plus de vérités économiques dans un si petit nombre de pages.

Messieurs, permette- moi de vous donner lecture de ce que l'auteur dit quant aux impôts, à la page 113.

Il commence par établir qu'il y a deux moyens de pourvoir aux consommations publiques, c'est-à-dire aux dépenses de l'Etat, à savoir le domaine et l'impôt ; il dit que les propriétés publiques ou domaniales sont généralement insuffisantes et que le secours de l'impôt est indispensable ; puis il continue en ces termes :

« Le particulier se révolte presque toujours contre l'action du fisc, il paye les impôts avec une certaine répugnance ; d'un autre côté, ceux qui disposent de la fortune de tous pour l'utilité commune ne sentent par l'importance des sacrifices individuels, n'en usent pas avec la même économie que le père de famille apporte à l'emploi de son revenu. »

(Ce sont de belles paroles bien dignes de nos méditations et de celles du gouvernement,)

Il ajoute :

« La société doit s'attacher à diminuer la répugnance de ceux qui payent et à augmenter l'intérêt de ceux qui disposent des impôts, elle atteint ce double but en rapprochant des contribuables l'autorité qui agit et les objets de la consommation publique. »

Le projet de loi du gouvernement fait absolument le contraire. Il éloigne le contribuable de l'autorité qui frappe les impôts.

Continuons :

« n bourgmestre ou un maire qui vit au milieu de la commune, qui est solidaire avec les autres habitants des actes qu'il pose, se rapproche beaucoup plus près du père de famille dans son action publique, qu'un ministre puisant dans le trésor de l'Etat, tiraillé par des intérêts divergents, préoccupé par la politique.

« La centralisation de l'impôt comme de l'administration, est une cause d'injustice, de désordres et de dilapidations permanents. »

Je n'ajouterai rien à ces observations qui semblent avoir été écrites en vue de la question que je viens de traiter.

Mais on me fera une grande objection ; on me dira : « Vous voulez donc que les populations urbaines se conduisent ici comme les campagnards ; quel rapport y a-t-il entre les besoins d'une grande ville, de Bruxelles, par exemple, et les besoins des petites communes ?Cela n'est pas sérieux, »

Oui, messieurs, sous le rapport des besoins, il y a une énorme différence, c'est évident ; mais je dis que cela ne prouve absolument rien. Je vais vous citer un fait qui m'est tout personnel, et vous trouverez qu'il a beaucoup plus d'analogie avec la question que nous examinons, que la conduite de l'ami de M. le ministre des finances n'en a avec le système du gouvernement.

Je réside à Bruxelles dans un quartier où mes voisins en général ont 10,15, 20 peut-être 30 fois plus de dépenses que moi. Croyez-vous que cela les gêne ? J'ai l'intime conviction que lorsqu'il s'agit de liquider ces dépenses, ils ont des facilités prodigieuses que je suis tenté de leur envier.

Je n'ai pas besoin d'en dire la raison. Il y a un proverbe flamand qui dit qu'il ne faut pas être sorcier pour trouver de la laine en abondance quand on a à sa disposition beaucoup de moutons pourvus d'une riche toison.

Certes, il y autre différence énorme entre les besoins ; mais aussi quelle énorme différence entre les ressources ? Quel rapport y a-t-il entre les fortunes colossales, les fortunes de tout genre et de toute couleur que vous trouvez dans une grande ville comme Bruxelles, par exemple, et les quelques minces valeurs que vous trouverez dans un petit village ?

On a cité la commune de Zoetenaey qui compte jusqu’à 29 ou 30 habitants. Et bien, si on pouvait faire miroiter devant ces pauvres campagnards quelques-uns des merveilles que le luxe, que la richesse étalent à Bruxelles, ils en rêveraient toutes les nuits, et en parleraient tous les jours de leur vie.

Mais enfin, me dira-t-on, à l'impossible nul n'est tenu. Or, il est de toute impossibilité que les grandes villes remplacent l'octroi, tel qu'il existe aujourd’hui par des impôts demandés directement aux fortunes ou par d'autres impôts quelconques.

Vous voyez que nous nous trouvons encore devant l'impossibilité administrative. C'est un très terrible adversaire, car aux raisonnements il se borne à opposer des idées fixes.

Cependant, ne nous laissons pas déconcerter trop vite.

On nous dit : Il y a des années qu'on parle d'abolir les octrois ; jusqu'à présent les administrations communales des grandes villes ont fait quelques recherches, mais elles n'ont rien trouvé. C'est parce qu'elles n'ont rien trouvé qu'elles ont maintenu les octrois.

Messieurs, pour trouver, d'abord, il ne suffit pas de quelques recherches, il faut bien chercher, et en général on ne cherche bien que quand on est forcé de chercher. Or, les administrations communales ne seront forcées de bien chercher, que quand vous aurez aboli les octrois. Ce n'est qu'alors qu'elles se mettront sérieusement à l'œuvre.

Je ne m'expliquerais pas cette impuissance absolue dont on parle.

N'auraient-elles pas devant elles les mêmes contribuables avec les mêmes ressources ? Il s'agit donc uniquement de trouver un autre moyen, un autre procédé pour atteindre ces fortunes qui aujourd'hui leur fournissent leurs ressources et cela dans des proportions moindres, car les frais frustratoires seront nécessairement diminués.

Messieurs, examinons un peu les choses en détail, c'est souvent le moyen d'y voir plus clair.

On nous parle toujours de 78 communes qui trouvent aujourd'hui dans les octrois presque toutes leurs ressources. Ce nombre est vraiment effrayant ! 78 communes qui seraient réduites à aller chercher de l'or en Californie ou en Australie. C'est un spectacle désolant.

Voyons cependant comment se décompose ce nombre de 78 commuées. Je trouve qu'en 1858, les octrois ont rapporté 12,116,000 fr. et je crois que l'année dernière, le produit a été encore plus considérable.

Je remarque que sur ces 12 millions et quelque chose, les quatre villes principales de la Belgique ont d'abord retiré 7 1/2 millions à peu près.

Si je recherche quel a été le produit pour les onze plus grandes villes de la Belgique, les onze villes le plus peuplées, j'arrive déjà à peu près à un chiffre de 10 millions.

Maintenant j'ai encore deux catégories qui méritent quelque attention. Il y a d'abord les communes qui trouvent dans les octrois moins de 200,000 francs et plus de 100,000 francs. Elles sont au nombre de 6. Le produit total pour ces villes est de 720,000 francs.

Reste une troisième catégorie. Ce sont les villes qui retirent des octrois moins de 100,000 francs mais plus de 50,000 francs. Elles sont au nombre de 12. Les octrois leur rapportent à peu près 879,000 francs.

Voici le résultat auquel j'arrive. Il y a 29 villes qui trouvent dans les octrois une somme de 11,287,009 francs. Il reste pour les 49 autres communes, quoi ? 829,000 francs, somme ronde.

Divisez cette somme par 49, et vous voyez que cela fait 17,030 fr. par commune.

D'abord, je dis qu'il est impossible de soutenir sérieusement que ces 49 communes ne puissent trouver des ressources dans l'impôt direct. Je vous dirai : Imitez l'exemple des communes rurales. Il y en a dont les cotisations personnelles dépassent 17,000 fr. Je crois qu'a Ixelles la cotisation personnelle s'élève à près de 60,000 fr. Il y a une foute de communes qui retirent de la cotisation personnelle une somme supérieure à celle de 17,000 fr., qui serait la moyenne pour ces 49 villes à octroi.

Quant à l'impossibilité administrative, vous pouvez donc évidemment retrancher ces 49 communes. Restent 28 villes plus ou moins grandes parmi lesquelles les quatre grandes villes. Pour celles-là, on ne peut rien demander à l'impôt direct, absolument rien !

Je vous renverrai encore une fois aux documents distribués par le gouvernement et notamment à l'état indicatif des cotisations personnelles existant dans toutes les communes du pays. Nous y verrons qu'il y a de pauvres communes rurales où les cotisations personnelles s'élèvent à 4 ou 5 fr. par tête ; je crois même qu'on a cité le chiffre de 9 ou 10 fr. mais prenons 4 ou 5.

Agissez un peu de la même manière dans les villes et voyez à quelle somme vous arriverez.

En présence de ces efforts des communes rurales, vous dites que vous ne pouvez rien faire. Je dis que c'est un aveu d'impuissance humiliant pour les villes. C'est une espèce d'outrage qu'on leur fait.

Et puis admettrez-vous que les grandes fortunes en général se sont retirées des campagnes ? Est-ce que le plus simple campagnard ne sait pas que le siège des grandes fortunes est surtout dans les villes ? Là où la matière imposable est plus abondante, vous direz qu'il n'y a pas moyen d'obtenir quelque chose !

(page 1437) Savez-vous ce qui arrivera ? C'est qu'on accréditera dans le pays cette idée déplorable qu'on frappe les petits plus facilement que les grands, qu'il est plus facile d'asseoir des impôts sur les classes inférieures que sur les classes supérieures, et on en tirera cette conséquence logique, qu'au milieu de nos mœurs et de nos institutions profondément démocratiques, il y a cependant une aristocratie nouvelle, l'aristocratie de l'argent qui domine et qui brave l'égalité devant la loi.

M. Guillery. - C'est l'octroi qui frappe les petits.

M. de Naeyer. - Aussi j'en suis l'ennemi déclaré, et je dis que quand vous voulez le remplacer vous ne pouvez suivre les mêmes errements, vous devez frapper les grands mais non les petits.

Il ne s'agit pas de remplacer l'injustice par une nouvelle injustice. Voilà le sens de mes paroles.

Mais il y a des faits plus directs encore. Ainsi aux portes de Bruxelles vous avez 6 communes rurales, 6 communes sans octroi ayant une population de 80,000 âmes. Savez-vous quelles sont les ressources qu'elles trouvent dans la cotisation personnelle ? Jusqu'à 200,000 fr. Ces communes sont : Ixelles, Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek et Anderlecht. Elles ont une population d'environ 80,000 âmes et retirent de la cotisation personnelle près de 20,000 fr.

Je cite cet exemple pour prouver qu'il est impossible de soutenir sérieusement que les villes à octroi, les octrois étant abolis, ne pourraient rien demander à l'impôt direct.

Voilà le sens de mon argumentation.

Maintenant, je citerai un exemple plus direct encore, c'est que parmi les villes à octroi il y en a au moins onze qui trouvent des ressources dans l'impôt de cotisation, et ces ressources s'élèvent jusqu'à près de 200,000 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Toutes sont dans ce cas.

M. de Naeyer. - Pas toutes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande pardon, il y a dans toutes les villes des taxes particulières, des centimes additionnels.

M. de Naeyer. - Je vous parle des cotisations personnelles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis qu'il y a dans les villes à octroi d'autres taxes que les octrois, il y a des taxes de capitation ou des centimes additionnels et des taxes particulières.

M. de Naeyer. - Je répète qu'il n'y a qu'un petit nombre de villes où il existe des capitations ; c'est dans vos propres documents que j'ai puisé ce renseignement.

M. Allard. - Cela existe également à Leuze.

M. le président. - Messieurs, pas d'interruptions, je vous prie.

M. de Naeyer. - L'annexe D qui émane du département des finances et qui a été communiqué à la Chambre prouve l'exactitude de ce que je viens de dire. Il y a dans cette annexe un tableau où je vois ceci.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 177,000 francs dans les parties extra-muros.

M. de Naeyer. - Ainsi, cela ne serait efficace que dans les parties extra-muros de certaines villes ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande pardon. Vous supposez qu'il n'y a que ces localités-là où les cotisations existent ; c'est une erreur : ou ne renseigne que les cotisations dans les parties extra-muros des villes, parce que ce sont les seules que l'on assimile à l'octroi et que l'on fait rentrer dans l'évaluation des sommes à attribuer aux communes. Mais dans la plupart des communes, il y a beaucoup d'autres taxes qui continuent à subsister.

M. de Naeyer. - Lesquelles ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Des taxes considérables.

M. Rodenbach. - Quelles sont-elles ?

M. de Naeyer. - Y a-t-il d'autres taxes à Bruxelles, par exemple ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement, il y a des centimes additionnels.

M. de Naeyer. - Ah ! des centimes additionnels ! mais ils existent également dans les communes rurales.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non ! non !

M. de Naeyer. - Comment, non ? Est-ce sérieux ? Il y a non seulement des centimes additionnels ordinaires, mais encore des centimes additionnels extraordinaires qui s'élèvent quelquefois à 15, à 17 centimes et même plus haut.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans quelles communes ?

M. de Naeyer. - Je vous parle de celles que je connais et je dis qu'il existe des centimes additionnels non seulement dans les villes, mais encore dans des communes rurales.

Mais au-dessus de tout cela vous avez des cotisations personnelles qui n'existent pas en général dans les villes à octroi et qui n'existent que dans des limites très restreintes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si !

M. Allard. - Il y en a à Leuze et elles rapportent 8,000 fr.

M. le président. - Veuillez ne pas interrompre l'orateur.

M. de Naeyer. - Puisque M. le ministre nous parle de cotisations personnelles qui existent dans les villes à octroi, je lui demanderai de vouloir bien nous les faire connaître ; car je désire beaucoup sortir de ce vague qui joue un trop grand rôle dans cette discussion. Donnez-nous des faits précis, que nous puissions apprécier ; car les impossibilités administratives pour les villes à octroi de demander quelque chose à l'impôt direct pour remplacer l'octroi ne me semblent vraiment pas sérieuses.

Il y a même ceci à remarquer, c'est que Bruxelles trouve 60,000 francs de cotisations personnelles perçues sur les seuls habitants du Quartier-Léopold qui compte, si je ne me trompe, une population de 8,000 à 6,000 âmes, ce qui fait au moins 10 francs par tête. En présence de ce fait, l'impossibilité administrative qu'on invoqua n'est-elle pas prise en flagrant délit ? Elle prétend qu'elle n'a pas de jambes pour marcher, et nous la voyons marcher et même d'un pas très ferme.

Il y a, d'ailleurs, cette position spéciale qui est faite aux communes à octroi et dont il faut tenir compte : il est incontestable que, par suite de la suppression des octrois, vous leur accordez un dégrèvement considérable quant à l'impôt. Je sais bien que je me trouve ici en présence de la fameuse question de savoir si c'est plutôt le producteur que le consommateur qui paye l'impôt. Cette question, je ne veux pas l'examiner à fond maintenant.

Je me borne à constater que M. le ministre a dû reconnaître qu'il y avait en tout cas un dégrèvement au moins partiel pour le consommateur ; il est donc dégrevé au moins en partie immédiatement, et je prétends, moi, qu'à la longue, quand la loi aura pu fonctionner quelque temps régulièrement, le dégrèvement profitera entièrement au consommateur. Je ne serais pas embarrassé pour le prouver. Voici un fait qui est de notoriété publique ; c'est que, quand il s'agit pour l'agriculteur de vendre ses denrées, son bétail, tous ses produits enfin soumis aux taxes municipales, il y a pour lui deux prix, selon que la denrée doit être livrée en ville ou extra-muros, et la différence entre ces deux prix, c'est le montant de l'octroi.

- Plusieurs voix. - C'est clair.

M. de Naeyer. - Maintenant on a cité ce fait que, dans les faubourgs, la viande se vendrait à aussi bon compte qu'en ville. D'abord je soutiens que le fait n'est pas établi clairement et d’une manière générale, mais cela ne prouverait absolument rien, et l'honorable M. Ch. de Brouckere a fait complètement justice des arguments qu'on a essayé de tirer de ce fait, dans son mémoire annexé au rapport de la commission d'Etat qui a été instituée en 1847. Ce fait ne prouve rien, parce que les comparaisons entre les prix de deux marchés différents sont toujours fautives. Pourquoi ? Parce que les prix ou, si vous aimez mieux, l'offre et la demande, se déterminent précisément par des circonstances de temps et de lieux et que ces circonstances varient nécessairement d'un lieu à un autre.

Ainsi pour expliquer le fait dont il s'agit, il ne faut pas oublier qu'il y a, entre le producteur et le consommateur un intermédiaire, le boucher qui, dans une grande ville comme Bruxelles, où il peut opérer sur une plus grande échelle, où il trouve un marché plus régulier, peut se contenter d'un bénéfice moindre. Voilà comment s'explique un fait qui paraît si extraordinaire. Je crois que l'honorable M. Royer de Behr a parfaitement prouvé que, contrairement à l'assertion de l’honorable rapporteur de la section centrale, l'impôt, en règle générale, agit, nuit ou profite au consommateur ; mais qu'exceptionnellement et à raison de circonstances temporaires qui tendent toujours à s'effacer, il faut également affecter ce producteur.

M. le ministre ne voit dans tout cela, quant à la fixation du prix, que l'influence de l’offre et de la demande.

Cela est vrai, mais l'offre et la demande ne sont pas des causes premières ; elles sont déterminées à leur tour par d'autres causes dont la principale se trouve dans le prix de revient, dans les frais de production. Et en effet, si vous réduisez les frais de production, qu'arrive-t-il ? C'est que l'offre est plus abondante et que, par conséquent, le prix est plus favorable. Cela a été expliqué non seulement par les économistes étrangers, mais encore par un économiste belge dont la science économique est justement appréciée, non seulement en Belgique mais encore à l'étranger. M. de Molinari formule ainsi la loi économique à laquelle je fais allusion : « Le prix de toute denrée tend incessamment à se mettre au niveau de ses frais de production » et il explique parfaitement cette loi à la page 104 de son ouvrage intitulé : Cours d'économie politique publié en 1855, où il démontre qu'en définitive l'élément pivotant, comme il le nomme, de l'offre et de la demande est tous les frais de production. Or, est-il possible de méconnaître que l'impôt fait partie des frais de production ?

Il faudrait aller jusque-là pour justifier l'opinion de M. le ministre des finances. M. le ministre a cité des passages des délibérations du conseil supérieur d'agriculture ; je n'ai pas remarqué qu'on ait examiné spécialement la question d'influence de l'octroi sur le prix des denrées. On a insisté surtout sur ce que l'octroi est nuisible à l'agriculture ; mais l’octroi peut être nuisible à l'agriculture sans que pour cela il soit supporté par le producteur en tant qu'il affecte le prix des denrées.

Il peut être nuisible et il l'est même à un haut degré, à raison des tracasseries, des vexations qu'on fait subir au cultivateur, de toutes tes atteintes qu'on porte à sa liberté, du temps qu'on lui fait perdre ; mais (page 1438) il n'en résulte aucunement que c'est le cultivateur qui supporte la taxe qui entre dans la caisse communale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a dit le contraire dans le conseil supérieur d'agriculture.

M. de Naeyer. - C'est une question d'appréciation ; je ne pense pas qu'il soit exact d'attribuer un but aussi absolu, aux observations que vous avez citées.

D'ailleurs, j'admets volontiers l’opinion du conseil supérieur d'agriculture, quand il s'agit de questions agricoles proprement dites ; mais les membres de cette assemblée n'exercent plus sur moi la même autorité, quand il s'agit d'apprécier les faits au point de vue économique, et si vous trouviez que ce conseil fût une autorité aussi infaillible, vous lui auriez soumis votre projet dans son ensemble.

Il y a donc ici un point incontestable, c'est qu'il y a un dégrèvement, au moins partiel, pour les habitants des villes. S'il y avait un dégrèvement total au profit des consommateurs, ainsi que cela aura lieu nécessairement quand la loi aura produit tous ses elles, savez-vous ce qui en résulterait pour la ville de Bruxelles, c'est que vous y opéreriez un dégrèvement de contributions d'à peu près deux millions.

Je le prouverai facilement. Ne dites pas qu'en supposant l'impôt supporté par la consommation, la suppression profite spécialement aux classes ouvrières ; mais le vin est considérablement dégrevé, ce n'est pas la classe ouvrière qui le boit ; le charbon est affranchi de tout droit.

Or, la consommation dans les habitations des riches et de la bourgeoisie aisée est certes plus considérable que dans les demeures du pauvre ; pour la viande je fais la même observation, c'est incontestable pour les fourrages, c'est encore vrai ; pour les matériaux à construire, c'est encore la vérité ; ainsi que pour une foule d'autres objets. Additionnez tout cela et vous trouvez un dégrèvement de deux millions environ dont un million et demi au moins pour les classes aisées.

Voulez-vous laisser ce million et demi dans la poche des gens riches pour frapper les campagnards ? Ce serait une cruauté injuste, il est impossible d'admettre qu'il y ait impuissance administrative de la part de l'administration communale à demander quelque chose à l'impôt direct. Vous pouvez demander, sans créer de nouvelles charges, ce qu'on paye aujourd'hui pour consommation ; on le prendrait sous une autre forme, sous forme de centimes additionnels, ou de cotisations personnelles ; quant au mode, les administrations communales ont toute latitude.

Mais, dit-on, les cotisations personnelles, il est impossible de les établir dans les grandes villes ; c'est l'arbitraire le plus absolu. Je ne prétends pas que ce système tel qu'il fonctionne, tel qu'il est pratiqué dans plusieurs localités, soit parfait ; il y a des critiques fondées ; mais le gouvernement a reconnu lui-même que le système n'est pas radicalement mauvais, qu'il est susceptible d'amélioration. Si vous voulez qu'il s'améliore, qu'on fasse disparaître les vices dont il est entaché.

Eh bien, le meilleur moyen c'est de le faire en quelque sorte fonctionner dans les grandes villes, dont les administrations sont composées d'hommes éclairés et intelligents qui ne tarderont pas à apporter les modifications que le système réclame. L'argument qu'on tire de ses vices qu'on reconnaît ne pas être incorrigibles, milite donc en faveur de la thèse que je soutiens. Les pouvoirs des administrations communales ne sont pas limités, quant à la forme, elles peuvent corriger le mode de répartition en précisant certains indices de la fortune, ou de toute autre manière ; il leur est d'ailleurs parfaitement loisible de préférer les centimes additionnels aux cotisations personnelles, proprement dites ; enfin elles jouissent de pleins pouvoirs pour atteindre les fortunés là où les fortunes ont leur siège principal, et néanmoins on les déclare impuissantes, et sous ce prétexte incroyable, c'est le campagnard qu'on veut frapper.

Quel grand mal y aurait-il à ce que la bourgeoisie aisée et les gens riches, payant aujourd'hui plusieurs centaines de francs à l'octroi, payent une somme équivalent sous une autre forme, et pourquoi veut-on les libérer, absolument pour faire peser le fardeau sur les communes rurales, alors qu'il s'agit de dépenses qui leur sont étrangères ; mais les gens riches, la bourgeoisie aisée payant sous une autre forme que l'octroi seraient toujours affranchis d'une foule de formalités gênantes, de démarches désagréables.

Cette nouvelle forme serait ou devrait être plus à leur convenance que la forme détestable qui existe aujourd'hui sous le nom d'octrois, et certes, il n'existe aucun motif raisonnable pour accorder ici une exemption, même partielle, des charges locales.

Messieurs, cependant je crois que passer d'un système à un autre d'une manière trop brusque, pourrait offrir des inconvénients ; je ne voudrais donc pas soutenir que les administrations communales doivent demander à l'impôt direct tout ce qui est nécessaire pour remplacer les octrois.

J'ai tâché de démontrer qu'en réalité il n'y a point là une impossibilité absolue, mais je ne vais pas jusque-là. Je vais indiquer le tempérament que je veux apporter au système, un peu trop absolu peut-être, que je viens d'énoncer.

Il y a aujourd'hui dans le pays deux systèmes de voies et moyens pour faire face aux dépenses locales, le système rural et le système urbain.

Le système rural demande tout à l'impôt direct, l'autre demande une grande partie de ses ressources à l'impôt de consommation. Je trouve que le premier est plus juste et que le second est plus adroit. Ce système d'impôt direct est plus juste parce qu'il est fondé sur ce principe incontestable qui veut que chacun contribue aux charges publiques dans la mesure de son intérêt et de ses moyens ; l'autre est plus adroit, car le véritable contribuable n'est pas en rapport avec les agents du fisc ; celui qui connaît l'agent du fisc sait que ce n'est qu'une avance qu'il fait et qu'on lui remboursera d'une manière déguisée, mais au fond très réelle.

On prend dans la poche du contribuable, sans que celui-ci s'en aperçoive ; en fait d'adresse, c'est en quelque sorte la perfection.

Cependant le système des impôts directs est à mes yeux coupable d'assez grands griefs, c'est à lui que nous devons cette espèce de scandale qui fait qu'on paye le sel quatre fois plus cher que sa valeur réelle.

Voilà un grand grief ; toutefois, il ne faut pas se faire illusion, et espérer que ce système va disparaître brusquement ; il procure environ 45 millions à l'Etat et plus de 12 millions aux villes ; il n'y a pas moyen de faire disparaître d'une manière complète cette injustice. Je crois donc qu'il faut transiger. Je voudrais qu'on demandât quelque chose à l'impôt direct ou plutôt que les communes fussent chargées de le demander et qu'on fasse le fonds commun de ce qu'on veut demander aux impôts indirects.

Veuillez remarquer la véritable raison de ce fonds commun. C'est précisément parce que vous voulez demander quelque chose à l'impôt indirect pour les dépenses locales, après la suppression des octrois.

Les ressources provenant des impositions directes n'ont pas besoin de passer par le fonds commun ; elles peuvent aller directement à la caisse communale. Vous n'êtes obligés de faire un fonds commun que parce que vous frappez des objets de consommation. J'attire votre attention sur ce point.

Je considère comme un point essentiel, de déterminer les principes qui doivent présider à la formation du fonds commun. D'abord il est évident qu'il faut le restreindre de façon qu'il s’harmonise avec les besoins communs des communes en général ; car si vous allez au-delà, suivant les doctrines de l'honorable ministre des finances lui-même, vous supprimez l'autonomie des communes. L'honorable ministre a combattu d'avance l'amendement de M. Vermeire en disant que si, au moyen de l'impôt général on mettait les communes à même de couvrir toutes leurs dépenses sans qu'elles aient à recourir à l'impôt local, l'autonomie communale serait en réalité supprimée.

J'avoue que je ne puis concilier ces paroles avec un autre passage du discours de l'honorable ministre, qui montre qu'il fait précisément ce qu'il blâme, c'est-à-dire que son système doit aboutir au même résultat après quelques années, c'est à-dire qu'il doit avoir pour conséquence la suppression de l'autonomie communale au moins pour un grand nombre de communes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit que ce serait supprimer cette autonomie que d'interdire aux communes de s'imposer ; or nous ne le leur interdisons pas.

M. de Naeyer. - Si-vous leur donnez plus qu'il ne leur faut, vous n'avez pas besoin de leur interdire de s'imposer. L'interdiction va de soi, à moins de supposer que l'impôt local est voté pour le plaisir de le voter. Je me permettrai de lira les deux passages du discours de l'honorable ministre, parce qu'il est curieux de les rapprocher. Voici d'abord ce qui est dit à la page 108 des Annales :

« Il faudrait supprimer en même temps par la loi les capitations communales. D'autres ont dit : Et les centimes additionnels, et d'autres encore ont ajouté : Et les charges pour les chemins vicinaux. Dans ce système il ne reste absolument rien ; dans ce système, on supprime réellement la commune ; la commune n'existe plus ; il n'y a plus d'exception dans le sens déterminé par la Constitution, il n'y a plus d'impôts à voter. »

Ainsi, lorsque la commune aura de quoi satisfaire à ses besoins, il n'y aura pas non plus d’impôts à voter, et l'autonomie communale sera supprimée. « C'est alors, continue M. le ministre, qu'on arrive à ce système détestable dont avait parlé un de nos prédécesseurs, qui a pour effet de supprimer indistinctement toute espèce d'impôt communal pour le remplacer par un impôt général. »

Plus loin l'honorable ministre s'exprime ainsi : « Si l'on trouvait bon de supprimer les capitations, il serait aussi indispensable de supprimer les centimes additionnels. Et, comme je viens de le dire, nous aboutissons à ce résultat de ne plus laisser aucune base d'imposition aux communes, puisqu'il leur serait interdit de se taxer directement ou indirectement. C'est donc la suppression de la commune. » Vous le voyez, c'est écrit en toutes lettres. « Mais, ce n'est pas à dire que nous négocions en fait l’intérêt dont se préoccupe mon honorable interrupteur. En fait nous arrivons au même résultat. » Ainsi donc, vous l’avouez vous-même, le résultat est le même pour un grand nombre de communes ; l'impôt général tel que vous le proposez suffira à tous les besoins, et l'autonomie communale est en réalité supprimée ou plutôt étouffée dans votre système de centralisation.

- Plusieurs membres. - A demain, l'orateur est fatigué.

M. de Naeyer. - Ce sera, messieurs, comme vous voudrez.

-La discussion est continuée à demain.

M. le président. - L'amendement suivant vient d'être déposé (page 1439) par M. H. Dumortier et plusieurs autres membres comme conséquence du discours qu'il a prononcé :

« Il sera accordé aux communes rurales qui ont un rôle d'abonnement, une somme égale au produit de cet abonnement perçu dans l'année 1859.’

Cet amendement sera imprimé et distribué, ainsi que celui qui a été déposée par M. Coomans dans le courant de la séance.

- La Chambre fixe l'heure de sa séance de demain à 1 heure.

La séance est levée à 4 3/4 heures.