(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 1209) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Jacques-Bernard-Hubert Brouwers, maître ardoisier à Achel, né à Thorn, partie cédée du Limbourg, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Cerfontaine demandent qu'il soit donné un cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Hevillers présentent des observations sur le projet de loi qui supprime les octrois. »
« Mêmes observations d'habitants de Boussu-lez-Walcourt, Acoz, Familleureux, Lodelinsart, Solre-Saint-Géry, Trazegnies, Salles, Souvret, Ellezelles, Zele, Beaumont, Quenast, Binche, Virton, Loverval, Millet, Haine-St-Paul, Estinnes-au-Mont, Rivières, Chapelle-lez-Herlaimont, Morlanwelz, Villers-Perwin, Rouveroy, Feluy, Dourbe, Idderghem, Ba-dour, Rance, Forges-lez-Chimay, Morialmé, Soulme, Hansinelle, Olloy, Nismes, Couvin, Gaesbeek, Bois-Seigneur-Isaac, Lombeek-Notre-Dame, Tubize, Elinghem, Leeuw-Saint-Pierre, Boysinghem Lennick-Saint-Martin, Lennick-Saint-Quentin, Tourneppe, Braine-le-Château, Ruysbroeck, Braine-Lalleud, Goyck, Beersel, Castre, Audenaken, Elingen, Berchem-St-Laurent ; des brasseurs, à Dessenbeek, à Harlebe, dans les arrondissements de Bruxelles, Nivelles, Audenarde, et dans les cantons de Peer, Maeseyck, Wavre, Genappe, Perwelz, etc. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
(addendum, page 1213) « Des membres du conseil communal de Blargnies présentent des observations contre le projet de loi qui supprime les octrois. »
« Mêmes observations de membres du conseil communal et d'habitants de Givry, Quevy-le-Grand, Goegnies-Chaussée, Quevy-le-Petit, Havay, Aulnoy, Genly. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants de Marilles prient la Chambre d'adopter le projet de loi relatif aux octrois sans disjoindre la réforme des sucres de la réforme des octrois. »
(addendum, page 1213) « Même demande d'habitants de Ramillies-Offus, Gossoncourt, Cras-Avernas et Piétrain. »
- Même renvoi.
« Des distillateurs d'Ypres présentent des observations sur la partie du projet de loi supprimant les octrois qui est relative aux distilleries et prient la Chambre d'établir une égalité complète entre tous les distillateurs du pays. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Fallais prient la Chambre de rejeter le projet de loi qui supprime les octrois. »
« Même demande d'habitants de Howardries. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Estaimpuis et d'Evregnies prient la Chambre de rejeter la partie du projet de loi supprimant les octrois qui est relative à la brasserie. »
« Même demande d'habitants de Leers-Nord et d'Estaimbourg. »
- Même renvoi.
« Le sieur Klieman, sergent-major au 3ème régiment de ligne, demande exemption du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Des habitants de Lampernisse demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or, ou tout du moins que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l’Etat et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre, pour son compte et pour compte des particuliers, des monnaies d’or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des ouvriers sucriers à Zepperen prient la Chambre de rejeter la partie du projet de loi supprimant les octrois, qui est relative aux sucreries indigènes. »
« Mêmes demandes d'ouvriers sucriers à Anderlues, Ordenge, Solre-sur-Sambre, Guignies. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi.
« Des propriétaires et cultivateurs dans les cantons de Binche et de Fontaine-l'Evêque présentent des observations contre le projet de loi qui supprime les octrois. »
« Mêmes observations de propriétaires et cultivateurs à Ordange, Guignies, Heusies, etc. »
- Même renvoi.
« Le sieur Clerx, distillateur à Queroelt, présente des observations sur le projet de loi supprimant les octrois et prie la Chambre de ramener le nouveau droit pour les distilleries agricoles à 23 fr.80, en portant la remise actuelle de 15 p. c. à 32 p. c. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Hamme demande que le projet de loi supprimant les octrois assimile aux octrois les capitations et les cotisations personnelles et que le gouvernement avise aux moyens de créer des ressources suffisantes pour rembourser toutes les communes indistinctement sur une échelle uniforme. »
- Même renvoi.
« Les chefs de bureau et employés du commissariat de l'arrondissement de Dinant prient la Chambre de voter un crédit pour améliorer leur position ou d'abroger les dispositions des articles 48, paragraphes 44 et 45 de la loi communale et celle de l'art. 40, paragraphe 5, de la loi provinciale. »
- Renvoi a la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Letoret demande la nomination d'une commission d'enquête chargée de juger si le principe de la traction directe était du domaine public quand le sieur Fafchamps s'en est occupé ; si c'est l'appareil du sieur Fafchamps ou le sien qui est employé en Belgique, et quel est celui qui a le plus contribué à faire propager dans le pays la machine à vapeur d'exhaure dite à traction directe. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Berlaere demandent que le projet de loi sur l'art de guérir continue aux médecins des communes rurales le droit de cumuler la pharmacie et la médecine. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« M. de Paul, retenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Le Bailly de Tilleghem, à qui sa santé ne permet pas d'assister aux séances de la Chambre, demande une prolongation de congé. »
- Accordé.
« M. A. Vandenpeereboom, rappelé par des affaires administratives, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. le président. - Le bureau a reçu une lettre de remerciement adressée à la Chambre. Elle est ainsi conçue :
« Bruxelles, le 26 avril 1860.
« Monsieur le président,
« La Chambre des représentants, par ses diverses résolutions, a donné à la mémoire de mon père des témoignages d'estime et d’affection dont nous avons, ma famille et moi, été profondément touchés.
« Veuillez, je vous prie, M. le président, être auprès de la Chambre l'interprète de nos sentiments de vive reconnaissance et agréer t assurance de ma considération la plus haute.
« A. de Brouckere. »
- Pris pour notification.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Beverst, le 21 mars 1860, les membres du conseil communal de Beverst demandent la construction d’un chemin de fer de Bilsen à Liège, ou tout au moins de Bilsen à Tongres.
Même demande d'habitants de Waltwilder, des conseils communanx de Neerrepen, Maertenslinde, Petit-Spauwen, Hoelbeek, Genck, Riempst.
(page 1210) Par pétition datée de Vucht, le 1er avril 1860, le conseil communal de Vucht demande la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Tongres.
Même demande du conseil communal d'Eygenbilsen, Mechelen, Millen, Herderen, Rosmeer, Widoye, Neeroeteren, Reckheim, Otrange et Lowaige.
Par pétition datée de Roclenge, le 31 mars 1860, les conseils communaux de Roclenge, Bassenge, Wonck, Fall et Mheer demandent la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Liège, par Glons et Herstal, ou du moins de la première section de Bilsen à Tongres.
Même demande d'habitants de Herstal.
Par pétition datée du 13 avril 1860, les conseils communaux de Berlingen, Cuttecoven, Gothem, Voordt, Hendrieken, demandent la construction d'un chemin de fer de Liège à Hasselt, par Ans, Tongres et Cortessem.
Même demande du conseil communal de Wellen.
Messieurs, par pétition datée de Berlingen, le 15 avril 1860, cette commune, ainsi que celles de Cuttecoven, Gothem, Voordt et Hendrieken adressent à la Chambre une pétition collective en faveur du tracé par Cortessem, en ce qui concerne le chemin de fer liégeois-limbourgeois en projet, et la commune de Wellen adresse une pétition dans le même sens, en date du 10 de ce mois.
Il est à remarquer qu'aucune de ces communes ne se trouve, proprement dit, sur la ligne ferrée qu'elles réclament ; elles se placent donc en réalité au point de vue de Hasselt, sauf toutefois qu'il est reconnu que, se trouvant plus rapprochées de la ligne qu'elles réclament que de la ligne rivale, de ce chef elles ont un intérêt quelconque à voir donner la préférence à la ligne de Cortessem, ce qui, même, n'est pas exact pour toutes, car la commune de Gothem est plus rapprochée de la station de Saint-Trond que de toute autre qu'on pourrait établir sur la ligne réclamée.
Or, messieurs, ce n'est pas au point de vue des intérêts de la ville de Hasselt que la Chambre se placera pour juger cette question, car cette ville doit être si satisfaite de ce qu'elle a reçu déjà, que ce serait lui faire injure que de supposer qu'elle réclame encore une faveur de plus et au détriment de la ville qui attend toujours le premier acte du gouvernement constatant que la ville de Tongres aussi fait partie de la patrie belge.
D'autre part, les communes de Genck, Riemspt, Otrange, Reckheim, Neeroeteren, Roclenge, Wasseiges, Wonck, Fall et Mheer, Herstal, Widoye, Rosmeer, Hoelbeek, Petit-Spauwen, Martensliede, Neerrepen, WaltVwilder, Herderen, Millen, Eygenbilsen, Vucht, Beverst et Mechelen réclament sous des dates différentes la construction de la ligne ferrée de Tongres à Bilsen, La dernière de ces pétitions, celle de Mechelen, est surtout remarquable par la force de sa logique et par les développements qu'elle présente comme conséquence du principe posé. En lisant ce document on peut se faire, à peu de frais, une idée juste de la situation de cet arrondissement et de ses besoins aussi pressants que réels.
Le chemin de fer liégeois-limbourgeois présente une de ces questions, comme il s'en trouve parfois, où on ne peut rien décider sur la carte au point de vue topographique ou technique. C'est la question économique qui domine tout ici et ni l'ingénieur, ni le topographe n'en savent autant ensemble que le plus modeste négociant de Tongres, aux premiers les théories, et au second les faits et ceux-là sont d'autant plus saisissants pour l'homme qu'ils se touchent de près et créent sa ruine ou son bien-être. Votre rapporteur, messieurs, a dû étudier la question à l'occason des différents rapports qu'il a eu l'honneur de vous présenter pour se pénétrer comme il l'est de l'importance capitale qui s'attache à la direction, qu'on imprimera à la première section de ce chemin de fer, et si la commission insiste près du gouvernement pour voir mener cette affaire à bonne fin, c'est que la commission d'accord avec la Chambre qui s'est déjà exprimée à cet égard, attend de sa bienveillance que le gouvernement vienne en aide à des populations qui n'ont plus le temps d'attendre.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi au ministre des travaux publics.
-Le renvoi est ordonné.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 15 janvier 1860, plusieurs habitants de Bruxelles demandent que l'enseignement homéopathique soit représenté dans les universités de l'Etat ; que les candidats ea sciences, les docteurs en médecine puissent se faire licencier dans la nouvelle doctrine et que les médicaments homéopathiques soient inscrits dans la pharmacopée, belge.
Messieurs, à ce sujet il vous a été distribué une brochure qui abrège beaucoup ma tâche ; vous y aurez vu l'importance qu'a acquise la médecine l’homéopathie en Belgique et surtout à Bruxelles ; les pétitionnaires vous disent que la médecine homéopathique est enseignée publiquement, officiellement en Autriche, dans plusieurs Etats d'Allemagne, dans les Deux-Siciles ; au Brésil et dans trois Etats de l'Amérique du Nord, elle possède des facultés, aussi complètes que le sont celles de Gand, de Liège, de Montpellier ; la législature du Danemark a dernièrement voté l'érection d'une chaire de médecine homéopathique à l'université de Copenhague.
Cinq à six mille praticiens, exclusivement homéopathes, sont répandus dans le monde entier ; des clients innombrables en Angleterre, en Russie, en France, en Espagne, en Amérique, parmi lesquels on distingue des têtes couronnées, des savants, des notabilités de toute espèce, présentent une garantie suffisante pour que les peuples et les législateurs la prennent désormais en sérieuse considération.
Messieurs, pour vous donner une idée de l'importance de cette nouvelle médication, voici la liste des médecins exerçant l'homéopathie à Bruxelles et dans plusieurs villes du pays :
A Bruxelles : MM. Bron, Carlier, membre de l'Académie de médecine, Dillenbourg, Dugniolle, membre de l'Académie de médecine, Herman, Flanon,|Jorez, de Molinari, Moeremans, Ragmey, de Saint-Molin, Vau Meerbeek, Van Vreckom, Varlez, membre de l'Académie de médecine.
A Cerfontaine, M. Cornil ; à Gand, MM. Dumont et Stockman ; à Genappe, M. Brasseur ; à Huy, M. Godin ; à Ham, M. Vandenberghe ; à Liège, M. Brixhe ; à Ninove, M. Bosteels ; à Ternath, M. Verbruggen ; à Thuin, M. Bernard ; à Tournai, M. Dupré ; à Vilvorde, M. Rayé ; à Waerschoot, M. Dobbelaere ; à Ypres, M. Poupart.
Voilà, messieurs, l'importance de cette nouvelle médication établie par le nombre des praticiens qui exercent la médecine homéopathique en Belgique.
La Chambre me permettra de lui donner lecture d'un passage du discours du président de l'Académie de médecine lors du congrès homéopathique qui a eu lieu à Bruxelles.
Voici les paroles prononcées par le docteur Fallot, alors président de l'Académie de médecine :
« Je remercie le congrès de l'invitation qui a été adressée au bureau de la corporation que j'ai l'honneur de présider. Tous nos collègues feront leurs efforts pour répondre à l'appel qui leur a été fait ; car, messieurs, quelles que soient les différences de doctrine et de pratique qui nous séparent, nous n'en poursuivons pas moins tous le même but, la recherche de la vérité. Nous n'avons tous qu'un désir : celui de faire le plus de bien possible. A ce double titre nous applaudirons à vos efforts.
Votre commission ainsi que son rapporteur partagent la manière de voir de l'honorable président de l’Académie de médecine à cette époque ; votre commission, vu l’importance qu'a acquise cette médication en Belgique, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au ministre de l'intérieur.
M. Rodenbach ; - J'appuie le renvoi proposé ; nous ne sommes pas compétents ; mais il s'agit d'un nouveau système. Je suis persuadé que M. le ministre de l'intérieur fera examiner cette question, qui est très sérieuse.
II paraît qu'en Angleterre, en Allemagne et en France des médecins qui ne manquent pas de talent, traitent par le système homéopathique ; nous avons, à Bruxelles même, des médecins en réputation qui sont homéopathes. Ces docteurs homéopathes donnent parfois des recettes, et si j'ai bien compris l'honorable rapporteur, ces médicaments homéopathiques ne se trouvent pas compris dans la pharmacopée. Ces recettes se donnent donc contrairement à la loi.
Il y a, messieurs, en médecine, plusieurs systèmes ; on a des allopathes, des homéopathes, il y a la méthode de Brunn, de Priesniz, etc. L'homéopathie est nouvelle. Mais nous ne devons pas dédaigner les innovations. Nous savons que tout ce qui est nouveau trouve des opposants. L'homéopathie trouve d'ailleurs aujourd'hui de nombreux adhérents. Nous avons eu à Bruxelles un congrès d'homéopathes, présidé par un homme de mérite. Je ne crois donc pas qu'il faille ridiculiser ce système. Il se peut que l'homéopathie soit encore une science conjecturale. Mais elle mérite un examen sérieux.
Je crois donc que M. le ministre de 1 intérieur devrait faire examiner si cette branche de l'art de guérir ne mérite pas d'être enseignée. Pourquoi ne consulterait-il pas l'Académie de médecine ou d'autres corps savants ?
Je me bornerai, messieurs, à ce peu de mots. Je le répète, j'appuie le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, et forme des vœux pour que, dans l'intérêt de la science, on ne repousse point sans examen la méthode du savant et célèbre Hahnemann.
(page 1211) M. Vander Donckt, rapporteur. - Quelle que soit l'opinion que les honorables membres de cette Chambre puissent se faire sué, on ne peut nier qu'elle ait acquis une certaine importance dans le pays, et que, partant, elle mérite au moins un examen. C'est ce qui m'a engagé, dans la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la police et à la discipline médicale, à proposer de faire un examen sérieux de cette question. J'attends le rapport de la section centrale pour voir quelle suite aura été donnée à cette motion. Je crois que nous ne pouvons nous opposer à l'examen de la question. M. te ministre agira comme le conseil.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 22 mars 1860, le sieur Mertens prie la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'autoriser le gouvernement à favoriser le boisement des landes communales.
A ce sujet je ferai une réflexion : c'est que toutes les landes ne sont pas propres à être boisées ; avant donc d'engager le gouvernement à faire des sacrifices, je désirerais que par des expériences sur ces landes mêmes qu'on réduirait en terres agricoles, on vît si elles peuvent produire. Car les terrains vagues qui ne produiraient pas d'autres végétaux, ne sont certainement pas propres à être plantés de bois.
Votre commission conclut au renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de St-Pierre, le 22 mars 1860, les membres du conseil communal de St-Pierre appellent l'attention de la Chambre sur les embarras et les pertes occasionnés aux habitants de cette commune et des communes avoisinantes, par suite de la circulation de l'or français, et demandent qu'il soit pris des mesures pour faire cesser cet état de choses.
Par pétition datée de Tronquoi, le 21 mars 1860, des habitants de Respelt et Tronquoi demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France.
Même demande d'habitants de Pâturages, Straimont, Hamipré, Suxy, Jusseret, Namoussart, Marbais, Offaing, Quaregnon. Grez, Malines.
Par pétition datée de Cortemarcq, le 14 mars 1860, des habitants de Cortemarcq demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or, ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre, pour son compte et pour compte des particuliers des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français.
Même demande d'habitants de Wyngene, Zarren.
Messieurs, cette question est déjà très ancienne ; mais la gêne l'est également. La difficulté que le commerce et l'industrie éprouvent par l'état de choses actuel est telle, qu'on ne cesse de réclamer contre la gêne que rencontrent les transactions.
Il se passe réellement quelque chose de singulier au sujet de cette question.
On a demandé et insisté de toutes les manières pour que le cours légal fût donné à l'or français. Un honorable membre de cette Chambre, fatigué de ce que M. le ministre des finances ne voulait pas donner suite aux réclamations et prendre une mesure dans l'intérêt de l'industrie et du commerce, a dit qu'il userait de son initiative et déposerait un projet de loi. Il s'est écoulé depuis lors un temps moral assez long et l'honorable membre ne présente rien.
Cela fait que la gêne et les difficultés existantes persistent toujours, c'est en quelque sorte une autre fin de non-recevoir, posée cette fois, non par le gouvernement, mais par le défaut d'initiative de l'honorable membre qui s'est engagé à présenter le projet de loi.
Il y a cependant quelques inconvénients que je tiens à signaler à la Chambre dans cet état de choses. Depuis que ces nombreuses pétitions sont arrivées à la Chambre, la Banque nationale a pris une mesure. Au lieu de ne plus recevoir les pièces d'or qu'à raison de 19 fr. 50 c., elle les reçoit aujourd'hui à raison de 19 fr. 85 c. C'est un progrès ; mais cela ne suffit pas. Aux guichets du chemin de fer on refuse encore les pièces d'or ou on ne les reçoit qu'à 19 fr. 50 c. Votre commission a fixé son attention sur ce point. Qui donc réalise ce bénéfice de 35 centimes.
Puisque l'or reçu au chemin de fer est remis à la Banque nationale, comment se fait-il qu'au chemin de fer on ne le reçoit qu'avec une perte de 50 centimes, tandis que la Banque ne fait subir au porteur qu'une perte de 15 centimes ? C'est là, véritablement, un abus auquel le gouvernement devrait obvier, car, indépendamment de la grande gêne qui existe, cela fait crier encore davantage ceux qui sont obligés de voyager et qui n'ont que de l'or pour prendre leurs coupons.
Votre commission, messieurs, attendant toujours le projet qui doit émaner de l'initiative d'un membre de la Chambre, a dû se borner à vous proposer le dépôt au bureau des renseignements, qui a, du reste, été ordonné pour les pétitions précédentes.
M. Rodenbach. - Je regrette, messieurs, que mon honorable collègue et ami M. Dumortier ait été obligé de quitter un instant la salle. Il a dit, en effet, qu'il ferait une proposition ; mais il a ajouté qu'il présenterait cette proposition en temps opportun, c'est-à-dire probablement quand on en aura fini de la grave question des octrois, qui absorbe en ce moment l'attention de tout le monde.
D'un autre côté mon honorable collègue aura vu que les pétitions augmentent de jour en jour, que les trois quarts de la Belgique réclament à grands cris qu'on en finisse avec cette question de l'or ; il aura conçu l'espoir que le ministère, voyant que c'est un vœu général dans le commerce, que les réclamations émanent non seulement du petit commerce, mais du haut commerce, des banquiers, des premiers négociants de la Belgique, des chambres de commerce, qu'en un mot elles sont générales, mon honorable collègue aura espéré qu'en présence de ces réclamations presque unanimes le gouvernement présenterait un projet. Or, il est évident qu'un projet présenté par le gouvernement a toujours beaucoup plus de chance de succès qu'un projet qui émane de l'initiative d'un ou de plusieurs membres de cette assemblée.
Il y a, messieurs, trois ou quatre ans que j'ai demandé qu'on examinât la question ; j'ai dit alors, que, sans être prophète, j'étais convaincu que la force des choses amènerait le ministère à prendre des mesures pour favoriser la circulation de l'or, à y donner cours légal comme on l'a fait pour les pièces de 5 fr.
On a dit, messieurs, que l’or a perdu de sa valeur ; eh bien, il est prouvé par des rapports qu'il y a plus de perte sur l'argent que sur l'or. M. Haeck a fait ressortir ce fait dans un travail des plus remarquables.
Je me plais à croire, messieurs, que l'honorable ministre des finances voyant que tout le pays réclame, ne tardera pas à aviser.
- Personne ne demandant plus h parole, les conclusions de la commission, tendantes au dépôt de ces pétitions au bureau des renseignements, sont mises aux voix et adoptées.
M. Magherman. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la convention conclue par l'Etat avec la province de Brabant au sujet de l'hôtel du gouvernement provincial, situé à Bruxelles, rue du Chêne.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
La discussion continue sur l'article 367 et sur les amendements y relatifs.
M. le président. - La parole est à M. de Boe.
M. de Boe. - Je cède mon tour de parole à l'honorable M. Nothomb qui désire parler aujourd'hui. Je prendrai la parole après l'honorable membre.
M. le président. - La parole est à M. Nothomb.
M. Nothomb. - Messieurs, bien que j'aie déjà assez longuement parlé dans cette discussion, j'espère cependant que la Chambre me permettra de présenter encore quelques observations, en réponse à celles que l'honorable M. Pirmez a faites dans la séance d'avant-hier.
Je suis d'accord avec l'honorable membre sur le terrain du principe ; je n'ai donc pas à débattre contre lui une question théorique. Nous voulons, l'un et l'autre, la liberté dans les conventions relatives aux prêts à intérêt. La dissidence entre nous ne surgit que quant au mode et aux moyens d'arriver à cette liberté.
L'honorable membre la veut immédiate, sans transition ; d'autres honorables collègues et moi, nous la voulons, au contraire, graduelle, ménagée, et avec une transition.
Nous la voulons telle, parce que notre but est de maintenir, à côté de la liberté dans les prêts réguliers, la protection pour le faible, le malheureux, dans les prêts irréguliers, empreints de manœuvres coupables.
Nous avons, l'honorable rapporteur et moi, un point de départ commun : ce sont les essais qui ont été tentés dans d'autres pays et à différentes époques ; mais en partant de ce point commun, nous aboutissons à des résultats quelque peu opposés. Ces essais, sur lesquels je reviendrai tout à l'heure, sont, pour l'honorable rapporteur, un motif péremptoire d'innover radicalement et immédiatement.
Pour nous, au contraire, ils sont précisément une raison pour procéder lentement, avec circonspection et pour attendre qu'ils aient fourni une expérience sérieuse et complète ; nous le demandons d'autant plus, qu'il n'y a pas en réalité urgence de modifier immédiatement d'une façon aussi absolue la législation usuraire.
Ainsi, parce qu'il y a eu des essais tentés récemment ailleurs, l'honorable M. Pirmez veut tout changer ; et nous, à cause même de ces tentatives, nous voulons aller modérément. Qui de nous a raison ? Voilà toute la question
L'honorable rapporteur me paraît traiter assez légèrement et, qu'il me permette l'expression, un peu sans façon, les essais qui ont échoué dans d'autres pays, ils n'accepte ces essais que quand ils viennent servir son opinion, mais lorsqu'ils lui sont défavorables, l'honorable membre nous répond ; Les essais que vous invoquez ne signifient rien, ils ont eu lieu dans des pays entièrement dissemblables du nôtre, ce sont des choses anciennes ; peu s'en faut que l'on ne dise que ce sont des vieilleries.
Je crois qu'en tenant ce langage on n'apprécie pas à leur juste valeur (page 1212) les expériences dont l'honorable M. de Haerne et moi avons parlé, et dont je vais encore entretenir la Chambre. J'ai cité l'essai fait en Autriche et en France en faveur de la liberté illimitée de l'intérêt dans le prêt d'argent.
L'honorable M. Pirmez a répliqué que ces essais avaient eu lieu à une époque où l'éducation économique n’était pas aussi avancée qu'aujourd'hui, et dans des conditions tout à fait différentes de celles dans lesquelles nous nous trouvons actuellement.
Je ne puis être de son avis. Remarquez, messieurs, que les essais faits en Autriche à la fin du siècle dernier ainsi qu'en France, l'ont été à une époque où les doctrines de Turgot étaient parfaitement connues et appréciées.
C'est sous l'empire de ces idées que ces innovations ont été tentées. Turgot écrivait, il y a près d’un siècle, son traité sur le prêt à intérêt. Pour qui a lu ce livre, il est incontestable que tout ce qui est allégué aujourd’hui par les partisans de la liberté illimitée du prêt de l’argent a été dit et absolument tout dit par Turgot en 1769.
J'ai sous les yeux un court résumé de ce livre si remarquable. Ne craignez pas, messieurs, que je vous le lise, permettez-moi seulement de vous en soumettre deux extraits ; vous verrez que ce que je dis est parfaitement exact, et vous apprécierez le parti que j'en veux tirer.
Voici ces deux passages de Turgot :
« D'après les principes abstraits de l'économie politique, l'argent n'étant qu'une marchandise, son prix est nécessairement variable et doit s'élever ou s'abaisser d'après les fluctuations de l’offre et de la demande, et il n'est pas plus juste ni plus logique de lui imposer un maximum qu'à toute autre marchandise. »
Plus loin je retrouve le grand argument des théoriciens absolus.
« La loi, ajoute Turgot, ne doit pas prohiber un contrat libre entre deux parties qui toutes deux y trouvent avantage ; que si, pour l'emprunteur, c'est le besoin qui lui impose la loi du prêteur, il y a encore pour lui avantage de satisfaire ce besoin.
« Les lois contre l'usure ont encore pour conséquence d'anéantir la concurrence que la liberté procure au commerce de l'argent, et par suite de renchérir le taux de l'intérêt. Aujourd'hui, la réprobation de l'usure fait que les capitaux honnêtes désertent ce genre d'industrie et abandonnent le marché à des spéculateurs de bas étage qui, au prix normal de l'intérêt, ajoutent encore la prime contre la honte et risques attachés aux prêts usuraires. »
Vous l'entendez, messieurs, c'est bien l'argumentation d'aujourd'hui, comme c'a été celle de Bentham Or, les hommes qui en Autriche, à la fin du siècle dernier, et en France au commencement de ce siècle, ont voulu maintenir la législation répressive des prêts usuraires connaissaient parfaitement les doctrines de Turgot, et la science économique était aussi avancée sous ce rapport qu'elle peut l'être de nos jours. J'ajouterai que ces mêmes idées ont trouvé des interprètes importants lorsqu'on a discuté le Code civil ; Regnault de St-Jean d'Angély, Treilhard, Bérenger, ont combattu l'article qui porte que la loi déterminera le taux de l’intérêt conventionnel.
Quand il s'est agi de renoncer aux doctrines de Turgot, ou venait d'en faire l'expérience ; elle avait malheureusement prouvé que la liberté illimitée, si séduisante en apparence, engendrait de sérieux abus. Doctrine et expérience avaient parlé : le choix fut donc fait en pleine connaissance de cause. Que si l'on m'objectait, comme fin de non-recevoir, que c'est là un fait déjà ancien, je répondrais qu'en France, à deux reprises distinctes, on s'est occupé de la question, et que l'on y a maintenu la législation contre l’usure, en 1836 comme en 1850.
Il y eut chaque fois une discussion très importante qui a duré plusieurs séances, et à laquelle ont pris part les hommes les plus considérables ; on a non seulement laissé la législation intacte, mais on l'a renforcée à un point de vue que je n'approuve pas.
L'honorable rapporteur nous dit encore que l'exemple de la France est mauvais et ne prouve absolument rien, que dans ce pays on réglemente toute chose, même l'opinion, même la pensée qui y serait asservie. Si l'honorable M. Pirmez a voulu faire une allusion politique, je ne veux pas le suivre sur ce terrain. Il n'y a rien de commun entre la politique et la question économique et juridique que nous examinons en ce moment.
Je me bornerai à faire remarquer que si dans ce pays les institutions parlementaires sont momentanément en retard, si la liberté politique y subit un temps d'arrêt, nous n'avons pas à discuter cette situation ; la France a les institutions qu'elle s'est données et qu'elle a consacrées à diverses reprises par un vote national ; personne, à l'étranger, n'a rien à y redire, pas plus qu'on n'aurait le droit de critiquer les nôtres.
Toutefois, je le répète, je ne puis m'empêcher de trouver l'appréciation de l’honorable membre beaucoup trop sévère à l'égard de cette grande, généreuse et intelligente nation qui s'appelle la France.
En ce qui concerne les idées et la science économique, elle marche aujourd’hui a la tête des nations européennes.
Il suffit de vous rappeler que dernièrement elle a fait vers la liberté commerciale un pas résolu, décisif ; que ce grand acte, qui a arraché ici même au lendemain de son apparition à l'un de nos honorables collègues assurément fort compétent, un cri de si vive admiration, a été salué de la chaleureuse approbation des hommes les plus libéraux de l'Angleterre, les Bright, les Cobden et tant d'autres dont on dit qu'à eux appartient l'avenir de leur pays.
J'ajouterai enfin, messieurs, pour justifier mes réserves contre le langage trop rigoureux, injuste même de note honorable collègue à l'égard de la France, que c'est elle précisément qui nous a donné l'exemple de la révision du Code pénal.
Dès 1832, elle a amélioré sa législation criminelle dans un sens plus libéral, plus humain ; après bientôt 30 ans, nous l'imitons.
J'avais cité, à l'appui de ma thèse, l'exemple de la Norvège, exemple beaucoup plus récent et contre lequel, par conséquent, l'honorable M. Pirmez ne peut élever cette espèce de fin de non-recevoir, tirée du temps écoulé depuis l'essai. Mon honorable collègue m'a répondu que la Norvège étant dans une situation économique tout à fait différente, il n'y a pas à tenir compte de ce qui s'est fait dans ce pays.
L'honorable membre me permettra de n'être pas de son avis. Je crois que partout le capital exerce la mène fonction et a les mêmes tendances. Les besoins et les lois du capital sont aussi partout les mêmes dans une mesure plus ou moins grande, et enfin, et surtout, les passions des hommes sont aussi les mêmes sous toutes les latitudes.
N'importe où vous allez, vous trouverez, chez ceux qui détiennent le capital, la volonté d'en retirer le plus haut bénéfice possible. Il y a donc analogie aussi bien entre la Norvège et la Belgique qu'entre d'autres pays et le nôtre, et on peut à bon droit l'invoquer dans une discussion de ce genre.
N'oublions d'ailleurs pas que la Norvège est un des pays les plus éclairés du monde. Nulle part l’instruction n'est aussi répandue C’est un pays essentiellement démocratique et aussi avancé dans les institutions politiques que pas un ; sous ce rapport encore, il y a analogie entre la Belgique et la Norvège.
Loin donc de rejeter l'exemple pris chez cette nation, il faut en faire grand cas. Et quel a été cet essai ? En 1842, la Norvège a proclamé la liberté du taux de l'argent, et en 1851, j'ai vérifié la date, elle est revenue aux lois antérieures qui la restreignent.
A l'occasion de ce que nous disions, M. de Haerne et moi, de la Suède et de la Norvège, l'honorable M. Pirmez a demandé avec quelque vivacité à l'honorable député de Courtrai : Mais voudriez-vous de l'exemple de la Suède ? faisant sans doute allusion aux lois qui concernent la tolérance religieuse. Et immédiatement après l'honorable rapporteur a cité, comme exemple à suivre, les Etats-Unis d'Amérique. Eh bien, à mon tour je demanderai à l'honorable membre. : Voudriez-vous suivre en tout l'exemple des Etats-Unis ? Sans doute y a, dans les institutions américaines, de très bonnes choses. Mais celle-là nous les avons et nous n'avons plus besoin de les y chercher, mais à côté de ces institutions il y en a de détestables. Qui peut oublier qu'aux Etats-Unis, il y a, à côté de cette marchandise qu'on appelle l'argent, une autre marchandise qu'on appelle l’homme, qu'il y a l'exploitation de la chair humaine ! Qui de vous, messieurs, a oublié que naguère l'on y a vu traîner au supplice le plus ignominieux un vieillard, le malheureux Brown, trouvé coupable d'avoir pensé que des hommes, pour être de couleur noire, sont autre chose que du bétail ! C'est enfin dans ce pays que nous voyons périodiquement se reproduire par l'application de le sinistre loi de Lynch, ces égorgements populaires qui sont la honte et le deuil d'une civilisation chrétienne !
Non, encore une fois non, ce n'est pas aux Etats-Unis que nous devons toujours aller chercher des exemples à suivre !
Voyons maintenant les essais qui ont été tentés en faveur de la liberté complète de l'argent et au nom desquels l'honorable M. Pirmez nous convie d'entrer de plain-pied dans la voie nouvelle.
Il a cité la Prusse ; qu'en est-il ? On y avait suspendu pendant quelques mois les lois restrictives du taux de l'intérêt, lorsque le gouvernement est venu proposer de les abolir. Accepté par la chambre des députés, le projet vient d'être rejeté par la chambre des seigneurs. La mesure a donc avorté, et en fait, il n'y a pas à s'appuyer de l'exemple de la Prusse, puisque le statu quo y est en ce moment maintenu.
Vient le Piémont. L'essai du Piémont date d'hier, il remonte, je crois, à 1857. Dans quelles circonstances a-t-il été fait ? Evidemment dans un moment de crise suprême, lorsque ce pays avait besoin d'attirer chez lui à tout prix des capitaux. A-t-il réussi ? J'en doute et en tout cas, nous ne sommes pas dans cette position.
On cite ensuite l’Espagne : j’ignore, je l’avoue, la date où la mesure y a été prise, mais je suis dans le vrai en disant qu’il est impossible de comparer nos conditions économiques à celles de ce pays ; le crédit y est encore chancelant. On a voulu sans doute, comme au Piémont, essayer de le relever, même par des moyens extrêmes ; et si l’Espagne s'est enfin et glorieusement réveillée de sa longue léthargie, ce n’est pas par ce moyen.
Finalement c'est l'Angleterre, voilà l'exemple qui reste et celui-là, je le dis avec vous, celui-là est bon à imiter.
Qu'a fait l'Angleterre ? Y a-t-on procédé par une mesure improvisée sans transition ? Non, la Chambre le sait. L'Angleterre a mis quarante ans à modifier son système légal sur le prêt à intérêt. Elle a marché par tâtonnements, à pas timides, avec circonspection, en maintenant, toujours des limites, des restrictions.
Elle proclamait une mesure favorable à la liberté du taux de l’argent et elle déclarait eu même temps que cette mesure n'était que provisoire, (page 1213) et après trois ou cinq ans d'expérience, on prorogeait cette disposition. On a procédé ainsi pendant près d'un demi-siècle, et ce n'est que dans ces dernières années que l'abolition des mesures restrictives est devenue définitive.
Mais dans ce même pays, qu'on nous cite sans cesse comme modèle, remarquez, messieurs, qu'on a maintenu, durant toute la période d'épreuve, des restrictions quant aux prêts hypothécaires et spécialement en ce qui concerne les prêts au-dessous de 10 livres. Ces prêts restaient soumis aux prescriptions contre l'usure. Eh bien, c'est la même pensée qui nous inspire, la pensée de la loi anglaise : la protection en faveur du faible, le désir d'empêcher l'abus de la force du capital contre les petits débiteurs. Notre sollicitude est égale à celle de la loi anglaise qu'on nous vante avec raison
L'expérience de la Hollande, que l'honorable M. Pirmez a encore invoquée, est toute récente ; elle remonte à 1858 ou à la fin de 1857 ; elle ne prouve encore rien, et au surplus il est manifeste, qu'entre la Hollande, pays essentiellement commercial, et nous, il y a une différence radicale dans l'assiette économique, différence qui doit affecter le mode d'opérer la réforme.
L'honorable M. Pirmez vous a parlé, dans son rapport et dans son discours, des idées, des doctrines des économistes sur la question que nous agitons. J'en dirai aussi quelques mots.
Déjà l'honorable M. de Haerne a nommé quelques économistes tels que Léon Faucher et Ganith qui, bien que partisans en principe de la liberté complète du taux de l'argent, n'ont jamais été jusqu'à demander cette liberté absolue et immédiate. M. Faucher, cet écrivain d'une si haute portée, parlant pour la liberté du taux de l'argent, mais homme pratique aussi, n'a pas, si je ne me trompe, voté avec les novateurs de 1850 à la constituante de France ; il a voté au contraire le maintien de la loi de 1807.
Voici, messieurs, quelques autres témoignages choisis parmi les autorités les plus respectables.
Nous pouvons citer l'opinion, souvent invoquée eu cette matière, de Montesquieu. Il s'exprime ainsi : « Il faut que l'argent ait un prix, mais que ce prix soit peu considérable. S'il est trop haut, le négociant n'entreprendra rien. »
Je citerai encore l'opinion d'un homme qui est non seulement une des lumières de la science du droit en France, mais un esprit éminent et un économiste distingué, de M. le président Troplong, qui, dans son Traité du prêt à intérêt, déclare qu'à ses yeux, proclamer la liberté illimitée du taux de l'argent, c'est faire plutôt les affaires de l'usure que celles du crédit.
J'ajouterai ce passage d'un autre jurisconsulte, de Duvergier, qui s'exprime comme suit : « Cette situation, où l'un des contractants est en quelque sorte à la merci de l'autre, ne doit-elle pas éveiller la sollicitude du législateur ? On ne doit pas tolérer que l'un des contractants profite de la fâcheuse situation de l'autre, et que le prêteur obtienne un bénéfice énorme, parce qu'un grand malheur menace l'emprunteur. »
C'est exactement le principe qui nous guide dans cette discussion.
Les opinions des économistes allemands concordent avec ce que j'ai l'honneur de vous dire.
Deux d'entre eux, des plus justement estimés parmi les contemporains, Roscher et Rau, partisans décidés de la liberté du taux de l'intérêt, reconnaissent cependant, l'un que l'abolition radicale des lois usuraires n'a pas produit tous les heureux effets qu'on s'en promettait, l'autre, qu'il est prudent de ne pas lever tout d'un coup les barrières légales en cette matière et qu’convient d'employer des précautions.
Dans les écrits d'un autre homme qui a marqué de sa supériorité toutes les sciences auxquelles il a touché, chez Rossi, vous retrouverez les mêmes hésitations.
C'est aussi ce que pensaient les hommes d'Etat anglais, et l'un des plus illustres entre tous, sir Robert Peel, en 1845, déclarait que l'abrogation immédiate des prescriptions contre l'usure serait une mesure précipitée.
Enfin, messieurs, j'ai sous les yeux une brochure des plus intéressantes, qui m'a beaucoup servi et écrite récemment par un des membres les plus distingués du parlement prussien, M. le conseiller de la cour de cassation Pierre Reichensperger, qui s'élève également contre la levée radicales des barrières contre l'usure et insiste pour que l'on combine toute réforme en cette matière avec la création d'institutions de crédit.
Je borne ici, messieurs, ces citations déjà un peu longues, mais elles m'ont paru opportunes, car toutes reflètent l'hésitation ou la crainte devant une réforme trop prompte, trop absolue, dont ces écrivains ou hommes d'Etat n'ont pu se défendre : tous s'accordent à conseiller la circonspection.
Laissez-moi, messieurs, avant de terminer, appeler votre attention sur les avis des corps judiciaires du pays, qui, en très grande majorité, demandent le maintien pur et simple de la loi de 1807. Ce n'est pas que je m'associe à cette demande. J'indique seulement ces dispositions de la magistrature, pour que, immédiatement, sans transition, ou ne passe pas d'un système à l'autre.
Sur 27 tribunaux, dont je trouve les avis au dossier, il y en a 20 qui se prononcent pour le maintien de la loi de 1807 ; il n'y en a que 7 qui se prononcent contre.
Sur les trois cours d'appel, deux se prononcent pour le maintien, une pour la réforme.
Des trois procureurs généraux, un est pour le maintien, deux pour la réforme.
Enfin, parmi les procureurs du roi, seize opinent pour le maintien, sept pour la réforme.
M'éclairant, messieurs, des expériences et fort des leçons du passé, je persiste dans l'opinion que j'ai précédemment émise. L'amendement, tel que je l'ai modifié, me paraît la meilleure des solutions. Je le vote, conséquent avec tout ce que j'ai dit et avec tout ce que je veux. D'un côté, il fait la large et légitime part de la liberté : il abolit les restrictions apportées jusqu’ici aux clauses du prêt dans les transactions honnêtes et régulières. De l’autre côté, il servira de frein ou de punition contre les stipulations irrégulières, immorales, qui ne seraient que l’exploitation de la détresse de l’emprunteur. Il satisfait donc à la fois à la liberté et à la moralité : double et inséparable condition de toute bonne loi en cette matière.
(page 1231) M. de Boe. - Je commence par déclarer qu'il me sera impossible de finir aujourd'hui. Je me bornerai à émettre quelques considérations à l'encontre du discours que l'honorable M. Nothomb vient de prononcer.
Je ferai remarquer à la Chambre que l'honorable M. Nothomb n'a pas émis une seule considération en faveur de l'amendement qu'il nous a soumis, que tous les arguments qu'il a invoqués l’ont été par ceux qui ont examiné la question en faveur du maintien d'un taux maximum pour les prêts à intérêt. Par conséquent, la conclusion logique dos deux discours de l'honorable M. Nothomb devrait être la demande du maintien de la loi de 1807, et non pas son abrogation, non pas la proclamation d'une liberté qui, en vertu de son amendement, ne sera qu'illusoire, comme j'aurai l'honneur de le démontrer demain.
Pour le moment, je me borne à répéter quelques considérations tirées par l’honorable M. Nothomb de divers auteurs ou de législations étrangères, à l'encontre de cette liberté absolue que la commission parlementaire vous propose d'inaugurer.
L'honorable M. Nothomb vous a cité surtout les décisions prises par la chambre des députés de France, en 1836, et par l'assemblée législative en 1850. Il vous a dit qu'à cette dernière époque M. Léon Faucher, qui s’est toujours présenté comme le défenseur de l'abrogation des lois de l’usure, avait demandé que l'on maintînt la loi de 1807.
Le fait est vrai.
M Léon Faucher, dans son discours dans lequel il a combattu les principes sur lesquels se fondent les lois restrictives en matière de prêt à intérêt, est venu déclarer qu'il voterait le maintien de la loi de 1807, et voici ses paroles :
« Dans cette situation, pourquoi ne viens-je pas demander l'abrogation de la loi de 1807 ? Est-ce une inconséquence de ma part ? J'espère vous démontrer le contraire. Je sais, messieurs, que l'on ne gagne rien à faire des lois contre les mœurs ; je reconnais qu'il faut que les lumières d'une époque devancent sa législation, et j'avoue très humblement comme faisant partie du souverain que les lumières ne sont pas encore assez avancées en France pour permettre l'abrogation de la loi de 1807. Il existe à cet égard des préjugés contre lesquels l'expérience a certainement prononcé, mais la démonstration n'est peut-être pas encore assez éclatante. »
Lorsque M. Léon Faucher reculait ainsi devant l'application de ses principes, il cédait non pas à des considérations économiques, mais à des considérations politiques.
L'honorable M. Nothomb n'est pas sans savoir quelle était, à cette époque, la situation de la France, il n'est pas sans savoir quelle guerre incessante et acharnée on faisait alors au capital, au sein même de cette assemblée législative qui, une année auparavant, avait eu à examiner la question des coalitions et qui l'avait résolue dans le sens du Code pénal de 1810 en appliquant cependant ses dispositions aux maires comme aux ouvriers. Dans une pareille situation, en face de passions aussi ardentes, l'assemblée législative pouvait difficilement admettre la liberté du prêt à intérêt que l'on aurait considérée comme un privilège accordé au capital.
Ce fut là la véritable raison pour laquelle M. Léon Faucher se décida de voter contre l'abrogation immédiate de la loi de 1807.
M. Mathieu (de la Drôme) justifiait immédiatement les scrupules de M. Léon Faucher en traçant un tableau passionné de l'usure dans l'Alsace.
Telles sont, messieurs, les raisons qui déterminèrent, en 1850, le vote de l’assemblée législative. Mais le fait que citait M. Mathieu de la Drôme de l'existence toujours persistante de l'usure dans certains départements de France et notamment dans l'Alsace, ce fait n'était-il pas la meilleure preuve que la loi de 1807, édictée sous l'Empire, dus le but de mettre un terme à l'usure, n'avait pas réalisé les espérances qu'on avait fondées sur elle ?
Bien d'autres mesures, messieurs, avaient été prises en France contre l'usure, et je demanderai à l'honorable M. Nothomb d'examiner, à cet égard, le bulletin des lois de l'Empire de 1806.
Il y verra un décret en vertu duquel, dans huit départements riverains du Rhin, l'empereur suspendait les poursuites pour 75 millions de créances. Il y verra encore que, dans ces départements, il était interdit à certaines personnes de faire le commerce sans l'autorisation du préfet.
Quant à la baisse de l'intérêt qui suivit la loi de 1807, eh, mon Dieu ! il suffit de se rappeler les circonstances dans lesquelles cette loi fut portée ; l'empereur avait été chercher la paix continentale jusqu'en Russie ; la paix de Tilsit était conclue ; tout faisait prévoir que la paix maritime ne tarderait pas à suivre, la paix continentale ; la rente française, qui se trouvait à 70 au commencement de cette année, était montée en septembre à 95 ; une prospérité inconnue jusqu'alors régnait en France ; voilà les véritables raisons de la baisse de l'intérêt, et il ne faut pas les chercher dans la loi de 1807, qui n'avait pas plus la puissance de faire baisser le taux de l'intérêt que les lois sur le maximum n'avaient eu la puissance de faire baisser le prix des denrées alimentaires.
Je vous parlais, messieurs, de quelques départements pour lesquels surtout on avait pris les mesures que je viens de citer ; quelques-uns de ces départements font aujourd'hui partie de la Prusse ; or, récemment la chambre des représentants de Prusse a aboli les lois qui restreignaient la liberté du prêt.
Il est vrai que la chambre des seigneurs a maintenu les vieilles lois, mais l'autorité morale, l'autorité de raison que l'on peut tirer d'une disposition législative, n'en existe pas moins. Si un pays eu Europe avait intérêt à maintenir les lois dans la supposition qu’elles fussent efficaces, c'était certainement la Prusse, et cependant la chambre des représentants, la chambre qui est le plus en contact avec les populations, n'a pas hésité à abolir ces lois.
La chambre des seigneurs les a maintenues, mais elle a maintenu bien d'autres lois arriérées. Je devrai entrer dans un autre ordre d'idées qui m'entraînerait loin.
L'heure est avancée, je désirerais continuer dans la séance de demain.
- De toutes parts. - A demain ! à demain !
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.