(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 1021 (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)
M. Hymans procède à l'appel nominal à deux heures et demie.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des secrétaires communaux dans les cantons de Quevaucamps et de Chièvres prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des membres de l'administration communale, des industriels, commerçants, propriétaires et autres habitants de Jemmapes, demandent que l'or français ait cours légal en Belgique et qu'il soit frappé des pièces d'or au même titre que les pièces françaises. »
- Même renvoi.
« Des secrétaires communaux dans les cantons de Quevaucamps et de Chièvres prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Tournai demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »
- Même renvoi.
« Le sieur Zilbach, ancien officier du premier ban de la garde civique, demande une récompense pour les services rendus en 1831. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles déclarent adhérer à la pétition de l'association générale ouvrière, demandant l'abrogation pure et simple de toute loi sur les coalitions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II, du Code pénal.
« Des habitants de Reckem demandent qu'il soit donné cours légal aux pièces décimales françaises en or, ou que ces monnaies soient reçues pour leurs valeurs nominales dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre, pour son compte et pour le compte des particuliers, des monnaies d’or belges, de même valeur, titre et module que l'or français. »
« Même demande des habitants de de Luingne et d'Ostende. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles déclarent adhérer à la pétition de l’association générale ouvrière demandant l'abrogation pure et simple de toute loi sur les coalitions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du titre V, livre II du Code pénal.
M. Janssens. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un rapport sur le bureau au nom de la commission permanente de l'industrie, sur une pétition qui demande un droit d'entrée sur les moules.
- Impression, distribution, et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Rodenbach. - Messieurs, la chambre est dans l'habitude de se donner un congé d'une quinzaine de jours, à l'occasion de la fête des Pâques. Jat l'honneur de proposera la Chambre de s'ajourner jusqu'au 17 avril prochain. Il est bien entendu que l'importante question des coalitions sera préalablement résolue.
- La proposition de M. Rodenbach est mise aux voix et adoptée.
M. Tack. - Messieurs, il y a une dizaine de jours, on nous a distribué le projet de loi relatif à l'abolition des octrois communaux.
Déjà antérieurement, plusieurs documents officiels très importants sur cette matière ont été publiés, et entre autres, le rapport fait en 1845 par M. Nothomb, celui de la commission nommée par le gouvernement en 1847, et dont le rédacteur est l'honorable M. Ch. de Brouckere enfin le rapport rédigé en 1856, au nom de la commission de la Chambre, par M. A. Vandenpeereboom.
Plusieurs exemplaires des rapports de 1848 et 1856 se trouvent à la bibliothèque de la Chambre et sont à notre disposition.
Mais le rapport fait à la demande du gouvernement n'ayant jamais été imprimé comme document parlementaire, il n'en reste qu'un seul exemplaire à la bibliothèque.
Le rapport fait par l'honorable M. Ch. de Brouckere est un travail fort remarquable, que la plupart des membres de cette Chambre désireront consulter ; ce sera chose impossible, car l'œuvre faite par M. Ch. de Brouckere, au nom de la commission de 1847, n'existe pas dans le commerce, et le seul exemplaire qui se trouve à la bibliothèque ne pourra être en même temps entre les mains de tout le monde. Je viens donc demander à la Chambre d'en ordonner l'impression et la distribution à domicile, pendant les vacances.
M. Allard. - Mais si on va réimprimer tous les documents dont vient de parler l'honorable M. Tack, la Chambre devra dépenser une somme très considérable.
M. Tack. - M. Allard n'a pas compris la portée de ma proposition ; j'ai fait allusion aux documents de 1845 et de 1856, mais non pas pour en réclamer l'impression ; je n'y ai pas un instant pensé.
Ma proposition se borne à demander l'impression du rapport présenté au nom de la commission instituée en 1847 par l'honorable M. Ch. de Brouckere, ce qui est tout différent ; ce document n'est pas volumineux et les frais qui résulteront de sa publication seront insignifiants.
J'aurais désiré adresser une demande à M. le ministre des finances. Je regrette qu'il ne soit pas à son banc ; je présenterai cependant mes observations, l'honorable ministre les trouvera consignées dans les Annales parlementaires.
Les annexes qui accompagnent le projet de loi sur l'abolition des octrois communaux, sont peu nombreuses et même incomplètes. Je présume qu'on nous en communiquera d'autres, ainsi que cela arrive souvent, quand nous avons à discuter un projet de loi important.
Si mes prévisions sont exactes, je voudrais qu'on accélérât autant que possible les documents supplémentaires qu'on nous destine et qu'on les envoie à domicile.
Ce sera le moyen de simplifier la besogne qui doit se faire en sections et d'éviter les correspondances inutiles entre celles-ci et le département des finances. Nos travaux préparatoires seront de cette manière activés, et nous réaliserons une économie de temps.
Quant aux tableaux statistiques qui nous ont été remis, je voudrais qu'ils fussent complétés. En ce qui concerne l'annexe portant le littera B, je demande que l'on indique séparément le produit total des taxes communales perçues sur la fabrication intérieure des bières et des boissons distillées et sur les bières et boissons distillées à l'importation dans les villes.
Il aurait été utile que dans l'annexe C on nous eût fait connaître non-seulement la consommation, par habitant, des vins, des boissons distillées, des bières et des sucres, pendant l'année 1858 dans les communes à octroi ; mais encore les quantités consommées dans ces communes de même que dans les communes rurales aussi approximativement que possible.
L'annexe D est intitulée : « Spécimen de répartition entre les communes du royaume du revenu normal de 14,000,000 de francs ; » or ce qui fait défaut dans cette annexe, c’est tout juste la répartition ; la colonne 9° qui devrait la comprendre est restée en blanc. J’insiste ici spécialement pour que cette colonne soit remplie ; ce que je voudrais obtenir, c’est un spécimen de répartition établie en conformité du paragraphe premier de l’article 3 et sans égard au minimum dont il est question dans le second paragraphe de l’article 14.
Je reconnais que l'annexe D comprend les éléments nécessaires pour calculer la répartition d'après la triple base admise par le projet de loi, mais c'est là un calcul long qui a nécessairement été fait au département des finances et dont il est juste qu'on nous évite la peine, puisqu'il est si facile de le faire.
M. le président. - Il y a deux choses dans la motion de l'honorable membre, une demande d'impression et une invitation adressée au gouvernement. L'impression du document indiqué par M. Tack est ordonnée. Le cabinet sera invité à satisfaire à la seconde demande de M. Tack.
M. Muller. - Je suppose qu'il est bien entendu que la distribution les documents qu'on vient de réclamer ne fait pas obstacle à ce que la Chambre commence le 18 avril l'examen en sections du projet de loi relatif à la suppression des octrois.
Je rappelle ce vote antérieur pour qu'il soit bien convenu que le 18 nous commencerons l'examen en sections.
M. Rodenbach. - Je demande que le rapport de la commission dont M. de Brouckere a été le rédacteur et dont l'impression vient d'être ordonnée nous soit envoyé à domicile ; pour résoudre une question aussi importante, nous ne pouvons nous entourer de trop de lumières.
M. le président. - Si l'impression du document dont il s'agit peut avoir lieu avant la séparation de la Chambre, il sera distribué aux membres avant leur départ.
M. le président. - La parole est continuée à M. Pirmez.
M. Pirmez. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai eu l'honneur d'indiquer d'abord à la Chambre les principes que sa commission a consacrés dans la parue générale des dispositions relatives aux coalitions. Elle a rempli ce double devoir qui incombe au législateur pour respecter la liberté : permettre tous les actes qui ne portent pas atteinte au droit ; proscrire tous ceux qui peuvent diminuer la liberté d'autrui.
(page 1022) Abordant ensuite la partie spéciale du projet, j'ai pu constater combien nous sommes d'accord sur les principes avec M. de Naeyer ; l’honorable membre, se montant courtois adversaire, n'a pas voulu attaquer le projet de la commission avant d'avoir mis hors de combat les adversaires qu'il avait rencontrés jusque-là.
Je commençais à répondre au discours de l’honorable membre quand la séance a été levée.
M. de Naeyer a parfaitement établi quelle est la base du droit de punir et jusqu'où va le droit de punir pour la société. La répression absolue, la punition de tout ce qui est mal n'appartient qu'à Dieu ; mais la société peut punir les actes mauvais quand la peine est nécessaire pour sa défense.
Tels sont les principes fondamentaux de la loi pénale.
Qu'un acte soit mauvais, injuste, coupable, s'il n'est pas dangereux la société n'a pas à le réprimer. Il lui échappe, non pas parce qu'il n'a pas mérité un châtiment, mais parce que le pouvoir humain n'est pas compétent. Pour la société le droit de punir n'est pas seulement de la justice, mais encore de la défense.
Il faut donc que nous soyons en présence d'un acte injuste pour que la peine puisse être légitime.
Est-ce le cas de l'article 346 du projet ? Nous sommes encore d'accord avec M. de Naeyer pour le reconnaître. M. de Naeyer a insisté avec énergie sur l'immoralité, sur la culpabilité de l'acte qui nous occupe. Il est incontestablement digne de punition ; il comprend non seulement la violation de la foi donnée, mais encore le concert prémédité pour attenter par cette violation au droit d'un tiers ; pour définir en un mot cet acte, c'est l'organisation de la mauvaise foi.
Messieurs, quand j'entends nos contradicteurs se constituer ici les défenseurs des ouvriers et nous dire que nous violons leurs droits, que nous les sacrifions, je crois que je puis leur répondre que bien involontairement, sans doute, ils commencent, en parlant ainsi, par calomnier ceux qu'ils prétendent défendre.
L'honorable M. de Naeyer a porté hier bien haut la moralité de nos classes ouvrières ; mais s'il en est ainsi, les engagements doivent être parmi elles chose sacrée. Comment donc les frapperions-nous en masse en édictant une peine contre ce que je viens d'appeler l'organisation de la mauvaise foi ? C'est rabaisser les ouvriers que de réclamer pour eux la faculté de manquer aux contrats.
Messieurs, j'ai indiqué hier, en terminant, le but que nous nous proposions par la disposition de l'article 346. Ce but est d'avoir un moyen de séparer, pour ainsi dire, toutes les coalitions stériles des coalitions qui peuvent avoir un résultat. Nous voulons qu'un entraînement passager, qu'une irritation momentanée ne puisse jamais être la seule cause d'une coalition.
Je le répète à mes honorables contradicteurs, de deux choses l'une : ou la coalition a une cause ou elle n'en a pas. Si elle n'a pas de cause elle doit échouer après un temps plus ou moins long ; elle ne peut produire que mal, que perte, que déception, que misère pour ceux qui y sont entrés. Si elle a une cause, cette cause ne disparaîtra pas en quelques jours ; elle existera après l’expiration du délai d'usage. La coalition pourra commencer alors et atteindre son but.
Ainsi qu'on le remarque bien, avec notre système, vous n'empêchez aucun des effets utiles d'une coalition ; jamais, si elle a une cause juste, elle ne verra ses effets échouer à cause de notre article. Mais si la grève n'a pas de raison d'être, nous avons l'espoir que la réflexion, dont nous donnons le temps à l'ouvrier, l'empêchera ; on évitera ainsi des désastres. Ce sont les coalitions irréfléchies, sans motif sérieux, qui les produisent, parce que le changement auquel elles tendent, étant impossible, elles ne peuvent se terminer que par un abandon toujours retardé des prétentions qui y ont donné lieu.
Mais, d'après le système de l'honorable M. de Naeyer, ce résultat avantageux, à lui seul, ne peut suffire pour que nous édictions une peine.
Voyons maintenant si les résultats mauvais de l'acte ne doivent pas nous y forcer.
Messieurs, on suppose ordinairement qu'une coalition d'ouvriers ne lèse qu'une personne, le maître.
Sans doute c'est déjà beaucoup. Si, par un concert frauduleux, on arrive à ruiner un industriel, à le forcer à ne pas payer ses créanciers et à subir peut-être la dure loi de la contrainte par corps, il semble que ce concert frauduleux est bien digne d'une peine.
L'honorable M. de Naeyer, qui nous a parlé si bien hier de la responsabilité des actions, devait appliquer ici son principe.
En vertu de cette responsabilité, il doit faire peser le châtiment sur celui qui est cause de dommages et non sur celui qui le subit...
M. de Naeyer. - Je ne punis pas le maître.
M. Pirmez. - Ainsi d'après ce principe de la responsabilité, ce n'est pas le maître innocent, ce n'est pas la victime qui devrait avoir le fardeau de la peine à supporter, mais bien ceux qui ont été cause de ce mal par la violation de leurs engagements.
L'honorable M. de Naeyer manque complètement à ce principe de la responsabilité en exemptant de la peine le fait qui en est véritable cause du mal.
L'honorable membre a, d'autre part, établi cette doctrine si belle, si vraie, de la distinction entre la justice absolue et la justice de la société.
Mais je demande si quand un maître a été ruiné par un acte aussi odieux que celui que nous punissons, la justice humaine n'a rien à y voir et si nous devons nous borner à attendre les arrêts de la justice divine ?
Poser la question c'est la résoudre.
Mais le maître, que d'ordinaire on voit seul, n'est pas exclusivement en cause. Presque toujours des ouvriers sont les principales victimes de la coalition.
Voici comment :
Quand on lit l'histoire, si juste et si pleine d'enseignements, des coalitions anglaises, un fait frappe. C'est que les coalitions les plus désastreuses n'ont commencé que par l'union d'ouvriers employés à un travail spécial, mais indispensable pour la marche totale de l'usine. Ainsi dans toutes les grandes coalitions, notamment dans celle de Preston, les ouvriers fileurs se sont mis d'abord en grève. Ces fileurs ne forment que la dixième partie du nombre total des ouvriers, mais il suffit de la grève de ces fileurs pour que tous les autres ouvriers soient forcés de rester sans travail.
Celte circonstance a été mise à profit non seulement par les fileurs eux-mêmes, mais par ceux qui dirigeaient la grève. Les fileurs recevaient tous les secours, et ils étaient encore dans l'abondance quand la misère avait déjà visité les autres ouvriers.
Et cependant le travail ne pouvait recommencer, parce qu'un des éléments essentiels de ce travail manquait, parce que l'absence d'un rouage de la machine l'empêchait de fonctionner.
Eh bien, quand une partie des ouvriers d'un vaste établissement manque à ses engagements, en privant aussi de leurs salaires les autres ouvriers, ils commettent un acte odieux que, dans l'intérêt de la masse des ouvriers, il faut réprimer.
L'honorable M. de Naeyer contestera-t-il qu'il y a là un fait dont la responsabilité est immense ? Soutiendra-t-il que nous ne devions pas nous occuper des conséquences désastreuses que peuvent avoir les coalitions partielles et que nous n'avons rien de mieux à faire qu'à déclarer qu'elles ne nous concernent pas, et que les auteurs du fait ne sont justiciables que du tribunal de Dieu !
Messieurs, il y a une autre considération qu'il ne faut pas perdre de vue, qui nous regarde tout spécialement et qui touche à l'essence même de la défense des sociétés.
Je sais bien que quand on veut se figurer que tout est bien, que tout est parfait dans les rapports du maître et de l'ouvrier, quand on prend quelques établissements modèles, ainsi que l'a fait l'honorable M. Jamar, on peut trouver que les peines sont inutiles. Mais, remarquez-le bien, messieurs, les ouvriers ne sont pas toujours, pas plus que les maîtres, et sages et prudents. Ils cèdent souvent à des excitations dangereuses.
Toujours, de tous temps les ouvriers ont été en butte à de stériles agitations ; on leur a montré un avantage au bout d'une grève, un avenir brillant après une résistance.
Et pourquoi fait-on cela ? Est-ce bien dans leur intérêt ? Non, mais c'est parce qu'il se présente toujours des chefs pour diriger cette force sociale, non pas pour leur faire obtenir ce qu'ils veulent, mais pour jouer un rôle, pour avoir une importance quelconque, quand ce n'est pas pour des desseins plus coupables. Eh bien, si vous permettez la désertion soudaine de l'atelier malgré les conventions, au jour où la tranquillité publique sera compromise, les meneurs jetteront des centaines, des milliers d'ouvriers dans les rues de vos populeuses cités et alors n'aurez-vous pas à vous repentir, si notre système n'était pas adopté, de ne pas voir conservé une garantie pour l'ordre public ?
Mais, nous dit-on, vous avez l'action civile contre les ouvriers.
Messieurs, je. demande si, sérieusement, on peut considérer l'action civile comme un frein à la grève subite, comme une sanction suffisante des engagements.
Mais, messieurs, voilà le propriétaire d'une usine qui aura vu éteindre son haut fourneau par une violation de contrat sur lequel il pouvait compter ; voilà le maître d'une verrerie qui, revenant d'un voyage, trouve ses fours éteints ; voilà un filateur de coton qui avait accepté une commande importante et qui se trouve, parce que les contrats de travail sont violés, dans l'impossibilité de la remplir ; et vous croyez qu'avec votre action civile, vous allez remédier à cela ?
- Un membre. - Est-ce que vous y remédiez avec la prison ?
M. Pirmez. - Vous reconnaissez donc que l'action civile est ici complètement impuissante, et si la loi civile est impuissante, j'ai le droit de lui donner le renfort d'une disposition pénale.
Mais remédierez-vous à ces faits, nous dit-on, par l'emprisonnement ?
Ah ! la peine a son utilité toute spéciale dans la matière qui nous occupe. Messieurs, les mesures préventives proprement dites sont mauvaises ; il ne faut pas empêcher des actes justes pour prévenir des actes coupables ; mais il est une sorte de système préventif qui est irréprochable, c'est celui qui résulte de la menace de la sanction pénale, il ne faut pas que la peine soit appliquée pour produire un effet utile ; par l'intimidation qu'elle exerce, elle prévient les excès. Cette intimidation écarte les dommages que l'action civile n'empêcherait ni ne réparerait.
L'action civile est une dérision dans la matière qui nous occupe et j'aime tout autant que l'on déclare que les ouvriers n'ont à répondre (page 1023) des actes qui nous occupent que devant le tribunal de Dieu, que de ne me permettre de les astreindre que devant la juridtc ion civile.
L'action civile est tellement impuissante, que déjà de toutes parts on parle de nouvelles mesures à prendre. Ici on réclame des modifications à la loi sur les livrets. Là on parle de retenues sur le salaire à faire par les maîtres ; ailleurs on veut rendre le maître juge des dommages-intérêts qui lui sont dus, et après avoir ainsi érigé une partie en juge, on lui permettrait d'exécuter son jugement en touchant le salaire de l'ouvrier chez son nouveau maître !
Et vous appelez cela un régime de liberté et d'égalité ! Mais si vous êtes conséquents dans votre système de parfaite égalité, donnez des livrets au maître, imposez-lui des retenues au profit de l'ouvrier, et faites aussi quelquefois de celui-ci un juge ?
Ah, messieurs, cet aveu qu'il faut un chargement à la loi des livrets, c'est la condamnation du système de l'honorable M. de Naeyer, parce que c'est la preuve de l'impuissance de l'action civile.
Si M. de Naeyer a renversé complètement les arguments de M. Jamar, M. Jamar, en parlant des mesures nouvelles à prendre pour garantir les contrats de travail a rendu à M. de Naeyer sa politesse.
Mais, nous dit-on, l'Angleterre ne punit pas la violation des contrats même lorsqu'elle a lieu par suite de concert ou de coalition.
Voyons ; la législation anglaise que l'on nous présente comme le modèle à suivre, comme faisant contraste avec le projet, perdra beaucoup aux yeux de nos contradicteurs quand ils la connaîtront.
Messieurs, la législation anglaise se compose de deux parties : il y a ce que l’on appelle la loi générale, qui s'applique à toute espèce de matières ; il y a la loi spéciale aux coalitions.
En 1824, la loi générale avait été abrogée quant à la matière qui nous occupe ; elle a été rétablie en 1825.
Ainsi depuis 1825, il y a, d'une part, la loi générale et, d'autre part, le statut de 1825. En outre un acte du parlement de l'année dernière, explique des points douteux de ces deux lois.
Voilà l'état des pièces de la législation anglaise.
Que porte la loi générale ? Voici ce que je lis dans l'article publié dans la Revue de législation, par M. Wolowski.
(L'orateur lit un extrait de cet article duquel il résulte que la loi générale soumet au jury avec commination d'emprisonnement et d'amende, tout concert dans un but illicite ou par un moyen illicite qui porte préjudice à autrui ou à la chose publique, disposition s'appliquant même à des faits irréprochables, quand ils sont faits isolément et notamment à la cessation simultanée de travail.)
Voilà une disposition de la législation anglaise. Eh bien, je le demande, le fait que nous punissons par l'article 346, et avec celui-là, beaucoup d'autres encore, ne sont-ils pas compris dans la disposition de la loi générale ?
En doutez-vous ? J'en ai dans l'acte de 1859 une preuve évidente.
Mais, messieurs, avant de parler de l'acte de 1859, et pour que cet acte de 1859 soit mieux compris, permettez-moi de vous donner lecture des dispositions principales de l'acte de 1825.
Vous allez voir quelle étendue a, sous ce rapport, cette législation ; combien cette législation est plus rigoureuse que la disposition de notre article 348 :
« Quiconque par violence contre les personnes ou les propriétés, par menace on intimidation, en molestant ou empêchant un autre, forcera ou tentera de forcer les ouvriers ou autres personnes louées ou employées dans une manufacture de quitter leur travail ou emploi, ou empêchera ou tentera d'empêcher tes ouvriers ou autres personnes non employées d'accepter de l'ouvrage ou de l'emploi de qui que ce soit ; quiconque usera de violence envers les personnes ou les propriétés ou d'intimidation, molestera qui qui ce soit d'une manière quelconque... »
Je constate que le fait le plus inoffensif, dès qu'il a pour but de forcer, tombe sous le coup de la loi. (Interruption.)
Nous verrons tout à l'heure quelle étendue on a donnée au mot « molester. »
Je continue :
« Quiconque molestera qui que ce soit d'une manière quelconque, pour le forcer de s'affilier à un club ou association ou, de contribuer à un fonds commun ou de payer des amendes ou pénalités, ou pour avoir refusé de faire l'une de ces choses ou de s'être refusé de se conformer à des règles résolutions ou règlements fais en vue d'obtenir des augmentations ou réductions du taux des salaires, de modifier les heures de travail, de réduire la quantité d'ouvrage, ou de réglementer l'exercice d'un commerce ou d'une fabrication ; quiconque, par violence envers les personnes ou les propriétés, par intimidation ou par autre contrainte, forcera les manufacturiers à modifier les règlements de leurs manufacturas ou le nombre de leurs ouvriers, apprentis, employés ; quiconque agissant ainsi ou y contribuant, s'il est convaincu, comme il est dit ci-après, sera soit emprisonné simplement, soit emprisonné avec travail forcé, pour trois mois au plus. »
Voilà la législature spéciale.
En 1859, il a été nécessaire de modifier ces deux lois ; la loi générale que j'ai fait connaître d'abord, et la loi dont j'ai donné lecture à la Chambre.
Or, vous allez voir par l'interprétation restrictive admise l'année dernière, quelle étendue on avait donnée à ces dispositions. Acte du 19 avril 1859.
« Nul ouvrier ou autre personne, qu'il soit ou non actuellement employé, ne pourra, soit pour le simple motif qu'il a conclu une convention avec un ou plusieurs autres ouvriers, dans le but de fixer ou de chercher à fixer le taux des salaires moyennant lesquels ils travailleront, soit pour le simple motif qu'il s'efforcera pacifiquement et d'une manière raisonnable, sans menace ni intimidation directe ou indirecte, d’engager d'autres à cesser ou s'abstenir de travailler en vue d'obtenir la modification du taux des salaires ou des heures de travail suivant ce qui a été ou devra être convenu, être réputé coupable de molestation ou agression dans l'acception de l'acte de la 6e année de Georges IV, et il ne pourra être passible d'aucune poursuite du chef de complot. »
Ainsi, nous voyons qu'on avait pensé que, d'après les dispositions dont j'ai eu l'honneur de donner lecture, le fait d'engager un ouvrier à quitter le travail constituait un délit. La nouvelle loi déclare que, dans ce cas, il n'y aura pas de délit. Mais écoutez maintenant la réserve qui est faite :
« Il est bien entendu que ce qui précède n'autorise en rien l'ouvrier à rompre des contrats ou à s'y soustraire, ni n'autorise aucune tentative tendant à induire un ouvrier à rompre des contrats ou à s y soustraire. »
M. de Naeyer. - Nous disons la même chose.
M. Pirmez, rapporteur. - Vous prétendez qu'il est permis d'engager l'ouvrier à quitter le travail auquel il s'est obligé par contrat.
M. de Naeyer. - Non ! Le fait n'est pas prévu par la loi anglaise.
M. Pirmez, rapporteur. - Comment ! le fait n'est pas prévu par la loi anglaise !
M. de Naeyer. - Où est la peine ?
M. Pirmez. - Je la trouve dans la loi générale.
L’honorable membre n'a pas fait attention à cette loi ; Car, sans cela, son jugemet si droit ne se serait pas trompé.
Rappelons-nous bien que la loi générale prononce une peine contre tout concert ayant un but illicite, c'est-à dire incontestablement contre le fait qui nous occupe.
Dans l’acte de 1859, il ne s'agissait pas de prononcer de nouvelles pénalités ; cet acte n'a pour but que de déclarer que certains actes ne tombent pas sous l'application de la loi générale ou de la loi spéciale.
Ainsi, dans le premier paragraphe de l'acte de 1859, on déclare que les faits indiqués, commis sans violence, ne sont pas passibles de la peine ; mais dans le dernier paragraphe, il est fait une exception à l'exception : il est dit que l'exemption prononcée par le premier paragraphe ne s'étend pas aux faits qui tendraient à rompre un contrat.
Ainsi ces faits sont exclus de l'exemption de peine, et partant ils sont encore punis.
Voilà donc la loi anglaise. Comparez maintenant cette législation avec notre loi, et je ne doute pas qu'en examinant froidement les deux lois, on ne trouve que la nôtre est de beaucoup plus libérale.
Messieurs, quelle objection fait-on encore à l'application d'une peine dans la matière qui nous occupe ?
« La conséquence de l'emprisonnement, nous dit-on, c'est de dégrader celui qui le subit, de l'exposer à de nouvelles fautes ; vous allez démoraliser l'ouvrier, l'amoindrir à ses propres yeux ; gardez-vous donc de prononcer la peine d'emprisonnement. »
Je puis répondre, par le même argument, pour une foule d'autres dispositions du Code pénal. Le Code prononce l'emprisonnement pour des cas bien moins graves.
Dérober quelques fruits, donner des coups sans importance, exposent à cette peine, et ici où la mauvaise foi doit être organisée, où un dommage grave et irréparable, presque toujours doit être produit, vous dites qu'il ne faut pas d'emprisonnement !
Et ne croyez pas que la peine puisse avoir la fâcheuse conséquence qu'on a indiquée en passant, messieurs, d'irriter l'ouvrier, au lieu de l’amender. Le sens de nos populations est trop droit pour que cet effet soit à redouter. Ce qui irrite, c'est une peine dont on ne comprend pas la moralité, la juste. Mais pour tous ceux qui ont des sentiments d'honnêteté, qui comprennent le devoir (et c'est le grand nombre chez nous) la peine prononcée pour la rupture concertée du contrat ne sera jamais une peine irritante parce que sa justice apparaît clairement.
Et, messieurs, pour montrer les inconvénients de notre loi quels cas a-t-on cités ?
L'honorable M. Jamar a dû avoir recours à un fait complétement chimérique ; il a supposé une crise alimentaire, qui rendrai impossible la continuation du travail. Vous savez tous quelle est la durée des engagements d'usage dans notre pays. Je demande si dans ce court délai pendant lequel nous demandons l'exécution des engagements, peut survenir une crise alimentaire qui rende un changement de salaire d'une impérieuse nécessité ? Et ne l'oubliez pas, nous ne punissons pas même la désertion isolée de l'atelier.
Mais il est un autre reproche, reproche plus grave, que plus que les autres il importe de faire disparaître, c'est le reproche d'inégalité, c'est (page 1024) cette accusation qu'on nous lance de sacrifier les ouvriers aux maîtres, le travail au capital.
Ah ! ici, je dois protester de toutes mes forces. C'est avec des arguments de cette espèce qu'on excite les masses. J'ai été étonné de la voir présenter hier d'une manière aussi catégorique et en même temps aussi injuste.
Le travail est ici en présence du capital, nous dit-on, et vous sacrifiez le travail.
Voyons quelle est la législation du capital et quelle est la législation du travail.
Et d'abord je ne parle pas de l'égalité qui existe dans nos articles mêmes et qui consiste à frapper le maître comme l'ouvrier et même le maître dans plus de cas que l'ouvrier. Je veux faire une large concession à nos adversaires, et supposer que ces articles ne s'appliquent qu'aux engagements de l'ouvrier.
Je dis encore que l'égalité n'est pas rompue contre l'ouvrier.
Comment, en général, sont garantis les engagements du capital et du travail ?
Quant au capital, ils sont sanctionnés par la contrainte par corps.
La contrainte par corps en droit n'est pas une peine, mais en fait elle est une peine bien rigoureuse.
Une longue détention sert de contrainte à l'exécution des engagements du maître vis-à-vis de l'ouvrier.
On va nous dire : La contrainte par corps n'est une peine, et ce que vous prononcez est une peine. Je demanderai qui, non dans les idées du droit, mais dans la réalité, est le plus puni, de celui qui passe pour dettes 5 ans en prison ou de celui qui paye une légère amende, ou même un emprisonnement de quelques jours ou de quelques mois ?
Ainsi voilà un premier point acquis : contrainte par corps contre le capital, pas de contrainte par corps contre le travail.
La législation va plus loin.
Quand le capital n'exécute pas ses engagements, quand il ne paye pas le travail, une faillite s'ouvre et le failli peut commencer par être emprisonné.
Le maître failli a-t-il fait des dépenses excessives qu'il ne peut pas payer, il tombe en banqueroute et il encourt une pénalité de deux ans d'emprisonnement. Oseriez-vous proposer deux ans de prison contre l'ouvrier qui n'a pas été assez économe et qui ne satisfait pas à ses engagements ?
Ce n'est pas tout ; le maître est condamné aux travaux forcés si, étant tombé en faillite, il cache une partie de son actif, ou en d'autres termes s'il se dérobe de mauvaise loi à l'exécution de ses engagements. Or, ce que nous punissons ici, c'est la banqueroute frauduleuse de l'ouvrier qui volontairement ne satisfait pas à ses engagements et qui concerte cet acte de mauvaise foi avec d'autres de manière à lui faire porter les fruits les plus désastreux.
La banqueroute frauduleuse du capital est punie des travaux forcés, tandis que la banqueroute frauduleuse du travail est frappée de quelques mois d'emprisonnement.
Si donc il y a inégalité, c'est en faveur de l'ouvrier ; l'ouvrier est épargné, c'est le maître qui est sacrifié.
Je termine mes observations, messieurs. J'en ai la conviction, en votant le projet vous voterez une loi juste et morale ; elle ne frappe que la mauvaise foi, vous voterez une loi utile, nécessaire même, parce qu'en nous donnant les avantages de la liberté elle écartera les désastres de la licence.
Qu'on ne perde pas de vue que la coalition est une arme puissante, mais dangereuse, qui ne peut être mise qu'aux mains d'une nation adulte, capable de s'en servir avec prudence et avec modération. Si je ne croyais pas notre pays arrivé à un degré de maturité suffisant, je me garderai de lui confier cette arme, parce que, chargée avec excès ou sans précaution, elle doit éclater et faire pour premières victimes ceux qui s'en servent.
- M. Orts remplace M. Dolez au fauteuil.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je rends hommage au talent dont l’honorable préopinant vient de donner une nouvelle preuve à la Chambre. Aussi j'éprouve, à la fois, un regret de ne pouvoir partager son opinion, etun véritable embarras à prendre la parole immédiatement après lui.
Je voulais simplement motiver mon opinion, montrer que j'étais resté fidèle à mes vieilles convictions, que rien n'était venu dans les faits les amoindrir ; et me voici contraint d'aller plus loin, de relever quelques erreurs, d'indiquer quelques sophismes qui ont aidé à la conclusion de mon adversaire.
Je reconnais volontiers que le livre du Code pénal qui est soumis à la Chambre est marqué au coin du progrès, qu'il contient d'excellentes réformes : mais le progrès est-il partout, et spécialement dans la partie qui fait l'objet du débat ? Je n'hésite pas à répondre négativement.
Je ne m'arrête pas aux amendements de MM. Sabatier et Muller ; ils n'ont, selon moi, aucune portée, ne modifient en rien la portée des propositions de la commission ; celui de M. Muller a cependant le mérite de mettre en évidence l'injustice des propositions.
En fait, l'honorable rapporteur a saisi au vol une division imaginée par un de ses contradicteurs. Ainsi, dans le système de la commission, il y aurait une partie générale et une partie spéciale qui se divisent encore.
Je ne puis pas le suivre dans ces subtilités. J'ai devant moi deux articles du Code : l'un a pour objet de remplacer les article 414, 415 et 419, l'autre est substitué à l'article 416.
Je ne m'occupe pas de ce dernier ; mais malgré la touchante unanimité qu'on a rappelée hier deux fois pour proscrire les dispositions du Code de 1810, je le dis hautement, l'article 346 est plus mauvais pour les ouvriers que les article 414, 415 et 419 anciens, il y a, je vous demande pardon de l'expression, de l'hypocrisie à répudier ceux-ci pour exalter celui-là.
Le rapporteur a judicieusement établi la distinction qu'il y a entre le système préventif et le système répressif, mais cette distinction n'a rien à faire ni à voir ici. Il y a, d'après lui, deux espèces de coalitions : les bonnes et les mauvaises. En théorie je l'admets, en pratique je conteste cette distinction.
Toutes les coalitions, sans exception, appartiennent à celles que l'honorable M. Pirmez a qualifiées de mauvaises. Avons-nous jamais, en aucun temps, vu ou entendu parler d'une coalition non seulement prévue, mais encore dénoncée aux patrons un mois, quinze jours d'avance ? Non, jamais.
On nous demande de soumettre à une sanction pénale les coalitions qui seront faites en violation de conventions ne consacrant pas des engagements pour un terme contraire aux pratiques de l'industrie.
Voyons donc ce que sont ces conventions.
D’abord il n'y a jamais, que je sache, de conventions écrites entre patrons et ouvriers, rarement une convention verbale.
L'ouvrier est, le plus souvent, présenté par un camarade qui l'a mis au courant de la manière d'être et de vivre dans l'atelier ; il connaît, presque toujours, le mode de payement et la quotité du salaire ; il dépose son livret, est inscrit et installé. S'il y a un règlement, il est affiché et peut être lu par ceux qui ont quelque instruction.
La condition tacite ou écrite de l'engagement varie suivant les lieux et les industries. Tantôt l'engagement est de 15 jours, tantôt d'un mois, parfois de trois mois.
Mais les engagements de quinze jours peuvent lier l'ouvrier pour un mois et plus, parce que, dans beaucoup d'industries, la quinzaine se compte seulement du jour du payement des salaires pour simplifier les écritures des patrons.
Ainsi l'ouvrier ne peut pas dénoncer son engagement tous les jours ; il doit attendre le jour de paye pour annoncer qu'il quittera le travail quinze jours plus tard.
Les coalitions cependant se produisent ou parce que les ouvriers se croient molestés, ou parce que soit par un changement de matière première, soit par des difficultés imprévues dans le travail, le salaire aura diminué. L'ouvrier ne peut apprécier l'influence des faits qui se seront produits qu'au moment du payement du salaire ; il ne peut communiquer son mécontentement, ses plaintes, ses mécomptes qu'après avoir touché le salaire ; l'entente, la coalition ne peut se produire au plus tôt que le lendemain ; mais la quinzaine est commencé, il faut attendre quatorze, treize longs jours pour dénoncer le parti de quitter le maître et attendre quinze jours pour être libre.
Si, comme dans les fabriques de fer, l'ouvrier est payé au mois, son engagement est d'un mois. Si c'est un ouvrier de verrerie, l'engagement est pour toute une campagne, c'est-à-dire pour toute une saison.
En résumé, dans le cas le plus favorable, l'ouvrier devra souffrir pendant six semaines. Quinze jours pour savoir qu'il y a mal-paye, quinze autres pendant lesquels se fait la coalition, enfin quinze jours après avoir dénoncé la cessation du travail.
Je le répète, les coalitions arrivent, ou patce que l'ouvrier est molesté ou se croit molesté, parce que le salaire est diminué par un incident quelconque, parce qu'il s'est présenté dans le travail quelque fait imprévu ou parce que la matière première remise à l'ouvrier est plus dure à travailler, l'ouvrier se sent froissé ; il se révolte et quitte son maître. Voilà comment se font les coalitions, il n'y en a pas d'autres.
On nous a cité l'Angleterre. Mais, messieurs, nos mœurs n'ont rien de commun avec les mœurs anglaises et je crois que les coalitions anglaises ne peuvent en aucune manière nous faire apprécier ce qu’une coalition peut devenir dans notre pays.
Avons-nous eu des coalitions depuis trente ans ? Je crois qu'on pourrait les compter une à une. Quels effets ont-elles produits ? Désastreux pour l'ouvrier, et voilà tout.
Quand se produisent les coalitions ? Dans les moments de prospérité de l’industrie ; jamais dans les moments de chômage. Quand l’industrie périclite, l'offre du travail abonde. Il se présente deux ouvriers pour un ; ils sont à la discrétion du patron. Mais quand l’industrie est prospère, quand le travail est abondant, quand le travailleur manque, alors il y a des coalitions et alors les coalitions n'ont pas le même danger, parce qu'elles se présentent précisément dans les moments de prospérité pour les patrons.
(page 1025) Mais on vous dit, et l'honorable préopinant a terminé ainsi son discours, on se prévaut de l'égalité, et il y a une inégalité, une inégalité choquante, au préjudice du patron.
Messieurs, je ne vais parcher, en fait de travail, les inégalités dans les relations commerciales, dans des banqueroutes, dans des suspensions de payement. Je les trouve dans les rapports qui existent entre le maître et l'ouvrier. Or je le répète, d'après moi, la loi qui nous est proposée est faite pour les patrons contre les ouvriers.
Et en effet nous supprimons l'article 419 du Code pénal. Le patron a maintenant deux moyens de maîtriser les ouvriers, par la coalition sur les choses et par la coalition contre les personnes, deux moyens que votre loi n'atteint ni l'un ni l'autre.
Ainsi, par exemple, dans un bassin houiller, il conviendra à tous les propriétaires de charbonnages de déterminer un prix pour le charbon, que leur laissera, je suppose, 20 p. c. de bénéfice. La demande de charbon augmente ; on pourrait en débiter moitié plus.
Mais en débitant moitié plus on ne gagnerait plus que 10 p. c. Les patrons maintiendront autant qu'ils le pourront la coalition ; ils y ont un avantage réel, mais aux dépens des ouvriers, aux dépens du travail.
Je parle d'un bassin houiller, j'aurais pu vous parler, et êtee d'accord avec les faits, des coalitions de fabricants de cuivre. On sait quelle est la quantité de cuivre qui se consomme annuellement en Europe ; eh bien, les fabricants se réunissent et assignent à chaque producteur un contingent en proportion du nombre de ses cheminées et l'on règle le prix de vente en commun. On rend ainsi le métal rare, on est maître du prix. On gagne plus et l'on donne moins de travail. Je pourrais vous citer des fabricants d'autres métaux qui font encore aujourd'hui la même chose.
Voilà un moyen de peser sur les salaires, en voici un autre.
D'après la loi, le patron même, dit l'honorable M. Muller, quand il sera seul, quand il sera seul, quand il n’y aura pas coalition, ne pourra renvoyer d’un coup tous ses ouvriers en violation des contrats sans être passible d’une peine. Mais le patron n’a pas besoin de renvoyer tous les ouvriers. Que trois ou quatre grands fabricants se réunissent et congédient le dixième de leurs ouvriers, voire même le vingtième, et immédiatement ils sont maîtres de toute la population ouvrière. Ils font ce qu’ils veulent.
Si un fabricant est seul dans sa localité, quelque peu d'ouvriers qu'il congédie, il est le maître, à la quinzaine suivante, de fixer le salaire comme il le veut.
Ainsi le patron peut peser immédiatement de deux manières sur la quantité et par conséquent sur l'offre de travail, tandis qu'il faut à l'ouvrier six semaines pour agir sur la demande de travail. Est-ce là de l'égalité ?
Du reste, messieurs, d'après moi, le patron peut prévenir, peut conjurer presque toujours les coalitions ; qu'il traite bien ses ouvriers ; que seulement il traite bien les ouvriers capables, les ouvriers d'élite, les ouvriers distingués, et la coalition dans les rangs infimes n'est jamais redoutable.
Je viens d'examiner les faits.
J'avoue qu'il est très difficile pour moi d'aborder le point de droit. Je ne suis pas jurisconsulte, et cependant, malgré l'exemple qu'a cité hier l'honorable M. de Naeyer, il m'est impossible de faire entrer dans mon cerveau que deux faits qui, chacun sont licites aux termes de la loi pénale, combinés entre eux deviennent un crime. Je ne puis pas concevoir qu'une convention purement civile, qu'une convention tacite même que nous avons faite librement, puisse donner lieu à une sanction pénale. Je ne puis comprendre qu'un fait civil change de nature et devienne un fait criminel. Quoi ! des ouvriers vont contracter librement avec un maître qui contracte aussi librement avec eux ; ils rompent le contrat ; ils avaient un lien civil, les poursuiviez-vous civilement ? Mais jamais je ne comprendrai que cela puisse devenir une action criminelle. Pour moi, pour qu'il y ait crime, il faut qu'il y ait dol, fraude, violence ou lésion pour la société. Or, je ne vois dans la coalition aucun des caractères qui peuvent constituer la criminalité.
Mais, dit l’honorable membre, le vol d'un mouchoir n'intéresse pas la société, et cependant il peut être puni de cinq ans de prison. Ce sont les expressions de l'honorable rapporteur.
Eh bien, alors vous êtes illogique, vous prétendez que la coalition est un attentat au d droit dont la société peut souffrir, et vous la punissez d'une amende ou de huit jours de prison, et le vol d'un mouchoir dans ma poche, qui n'intéresse nullement la société, vous le punissez de cinq ans de prison. Mais c'est parce que vous sentez vous-même que votre argumentation pèche, qu’elle est insoutenable, que vous avez recours à de pareils moyens.
Messieurs, je laisse de côté toutes ces distinctions auxquelles, je le répète je suis à peu près étranger, et j'admets le principe posé par MM. Pirmez et de Naeyer. J'admets avec eux que la violation du droit peut être passible d'une peine, quand il y a nécessité de la pénalité. Reste à prouver qu'il y a nécessité. Or, pour qu'il y ait nécessité de punir, il faudrait qu'en premier lieu, les coalitions se renouvelassent souvent dans notre pays. Nous en sommes pour ainsi dire exempts. Pour qu'il y ait nécessité, on devrait nous apporter la preuve que la loi civile a été insuffisante.
M. H. de Brouckere. - Nous avons une loi pénale.
M. Ch. de Brouckere. - Vous avez une loi pénale qui défend les coalitions, c'est vrai, mais vous voulez punir les coalitions qui ont précisément le caractère de celles qui ont lieu aujourd'hui. Il ne s'en fait jamais d'autres que celles que vous atteignez. Il n'y a jamais eu de coalition qui ait été prévue un mois, deux mois, trois mois d'avance. Cela n'existe pas ; vous êtes complètement dans le faux sous ce rapport.
Mais, dit-on, la loi civile sera insuffisante, parce que l'ouvrier n'est pas solvable.
Je ne répéterai pas toute l'argumentation de l'honorable M. de Naeyer, qui n'a pas été réfutée par l’honorable rapporteur. Mais je dirai qu'à côté de la loi civile il y a une autre pénalité, une pénalité p'us réelle que toutes celles que vous pouvez infliger. La coalition est un acte public. Les fauteurs, les auteurs d'une coalition sont connus de tout le monde. Eh bien, non seulement, comme le disait l’honorable M. de Naeyer, l'ouvrier traînera un boulet après lui, il aura une dette qui l'empêchera de jamais rien acquérir. Il aura de plus un stigmate qui l'empêchera de travailler. Jamais un patron ne prendra un ouvrier qui a été le fauteur d'une coalition désastreuse ou méchante.
Dès lors, vous avez naturellement une pénalité bien plus forte que toutes celles que vous pouvez infliger par vos lois : c'est l'ouvrier mis au ban des ouvriers, au ban des patrons par le fait même de la coalition.
Messieurs, on vous a parlé tout à l'heure de nouveau de la législation anglaise. Ce que j'ai compris de la législation anglaise, c'est l'utilité de l'article 348 ; or, je ne la conteste pas le moins du monde, je suis prêt à le voter tel qu'il est. Ce que je demande purement et simplement, c'est la suppression de l’article 346.
Messieurs, depuis trente ans, nous avons prouvé au monde que nous étions dignes de la liberté. Eh bien ! je crois qu'il ne faut pas abandonner une voie qui fait à la fois la force et l'honneur de la Belgique ; je suis persuadé que nous pouvons, sans rien compromettre, sans aucun danger pour l'ordre social, faire un progrès de plus en effaçant de nos Codes l'article 346.
M. Muller. - Messieurs, l'honorable M. de Naeyer disait hier que les ouvriers n'ont pas de représentants directs dans cette enceinte et que c'était là un motif impérieux pour ne pas décréter les lois contre eux. L'honorable M. de Brouckere a ajouté tantôt que le projet que nous discutons, tel que l'a proposé la commission, était dirigé exclusivement contre les ouvriers.
Je ne puis, messieurs, admettre la justesse de cette observation, ni même m'abstenir d'y reconnaître un caractère d'imprudence. Il y a deux manières différentes de comprendre et de servir les intérêts des classes ouvrières : c'est, d'abord, d'adopter le principe qu'elles peuvent seules bien apprécier ce qui leur convient, et cela conduit indirectement à satisfaire à tous leurs désirs, cette satisfaction dût-elle tourner à leur préjudice. Une autre manière de faire preuve de sollicitude envers les populations laborieuses, consiste à examiner sérieusement, sans faiblesse et en conscience, ce qui peut leur être utile et ce qui doit leur être nuisible. C'est à ce dernier point de vue exclusivement que je me suis placé pour former ma conviction, et, à cet égard, qu'il me soit permis de faire remarquer que l'honorable M. Jamar se livrait à une argumentation peu concluante lorsqu'il invoquait, en faveur de son système, les protestations des ouvriers contre le principe de répression pénale inscrit dans la disposition que nous sommes occupés à discuter. A ces protestations, vous a-t-il dit, sont venus se joindre les avis du comité houiller de Mons et de la chambre de commerce de Liège ; donc, les deux classes de citoyens intéressés dans la question s'élèvent contre votre œuvre !
Je ferai observer en passant que ces deux dernières autorités dont on s'étaye sont en minorité et en contradiction avec la plupart des autres qui représentent les intérêts de l'industrie.
Mais en fût-il autrement, quelle que soit la déférence que nous inspirent les avis d'un comité houiller et d'une chambre de commerce, nous devons surtout dans une question, si diversement débattue, examiner et peser avec une entière liberté les raisons produites de part et d'autre, et nous rallier à la solution qui nous paraîtra devoir être la plus utile à la cause de l'intérêt public et social, dont je ne sépare pas celle des ouvriers qui a trouvé ici des défenseurs généreux n'écoutant que les premiers élans du cœur.
Messieurs, j'aborde maintenant quelques objections que l'on a soulevées en y insistant à plusieurs reprises contre le système de répression que la commission propose, lorsque les grèves sont le résultat d'une coalition faite en violation des contrats. Ainsi l'on s'est plaint d'une violation d'un principe, prétendument admis dans toutes les législations, à savoir que les infractions à des contrats civils et privés ne peuvent et ne doivent pas donner lieu à l'application du code pénal ! Et cependant, à ce prétendu principe que l'honorable rapporteur a eu raison de contester, on peut opposer plus d'un acte du législateur qui le détruit, Ainsi, je citerai l'exemple de la faillite, qui expose à des peines lors même qu'on n'a manqué qu'à des engagements privés.
Et à propos de faillite, puisque j'en parle, j'y trouve aussi la réfutation de ce que vient de dire l'honorable M. de Brouckere, qui ne peut s’imaginer ni comprendre à propos de violation, de contrats, soumises à (page 1026) l'action pénale, lorsqu'elles ont été concertées, comment plusieurs faits de même nature peuvent donner lieu à une répression, tandis que le même fait, pris isolément, y échappe.
Voyons donc ; de quelle manière traite-t-on le failli, lors même qu'il a été de bonne foi dans tous ses actes, lorsqu'il a pris toutes les précautions imaginables pour bien conduire ses affaires ? S'il n'a pas manqué à la généralité de ses engagements, la loi civile, qui est appliquée dans ce cas par la juridiction commerciale, est seule à l'atteindre ; mais s'il a laissé en souffrance un assez grand nombre d'engagements pour devoir suspendre ses payements, il et déclaré en faillite, et par ce seul fait de la déclaration de faillite, il tombe sous l'action pénale.
M. Guillery. - C'est une erreur.
M. Muller. - Je ne ferais pas de digression sur ce point ; c'est un incident que M. Guillery n'a pas de motif de mêler au débat ; je me borne donc à faire remarquer que la loi a été comprise et appliquée avec cette portée rigoureuse. Modérez-en la signification, soyez d'avis qu'il faut pour qu'un failli subisse la prison que des fautes lui soient imputables, vous n'en voyez pas moins la loi pénale atteindre des infractions à des contrats privés, et ne les atteindre pour en faire un délit que quand elles sont multipliées.
S'est-on récrié contre l'injustice flagrante de la loi qui frappe le commerçant malheureux à propos de contrats privés ? A-t-on d'un autre côté soutenu qu'un fait qui n'est pas un délit, s'il reste isolé, ne peut en prendre le caractère par la réunion d'autres faits de même nature, ou des circonstances qui l'accompagnent ?
L'article proposé porte atteinte à la liberté des ouvriers ; il constitue une violation de ses droits ; il le place dans une condition d'inégalité, contre laquelle il a droit de protester ! Voilà le grief que nous avons entendu répéter, et, chose étrange, par des orateurs qui comprennent comme nous, tout ce qu’il y aurait de dangereux dans l'impunité absolue qui serait accordée à la violation des contrats.
Comme l'a si judicieusement fait observer tantôt l'honorable M. Pirmez, on repousse systématiquement l'action de la loi pénale, même dans le cas de coalition, parce qu'on ne veut pas de mesures exceptionnelles, dit-on, contre les ouvriers, et en même temps on nous en propose qui porteraient les atteintes les plus graves au droit commun et à leur liberté.
Ainsi, messieurs, qu'est-ce que ce système eu vertu duquel un maître qui renvoie son ouvrier peut, en inscrivant de sa propre autorité, sur son livret, la mention que l'ouvrier lui est redevable de telle somme, contraindre celui qui lui succédera, comme maître, à retenir sur le salaire des journées qui seront consacrées à son profit la même somme pour lui servir de gage de créance et lui être remise ?
Voilà messieurs, ce que je ne crains pas de qualifier de dérogation exorbitante au droit commun et aux garanties civiles dont l'ouvrier doit jouir, à l'égal de tous les citoyens.
- Un membre. - Cela existe déjà aujourd'hui.
M. Muller. - Pas du tout, c'est une erreur. Au surplus rappelons ce qui a été fait lorsque la Chambre a voté la loi sur les conseils des prud'hommes ?
Mon Dieu, elle a comminé des peines spéciales contre les ouvriers ; seulement, comme le mot « emprisonnement » pouvait effaroucher les susceptibilités, on y a substitué la mise aux arrêts et nous n'avons pas vu alors s'élever des réclamations semblables à celles qui se font entendre depuis quelques jours.
Datas la question qui s'agite actuellement, au contraire, il m'est impossible de découvrir la moindre atteinte portée à l'égalité des positions sociales devant la loi répressive, et c'est pour répondre à un reproche de cette nature, que me semblait encourir légitimement la première rédaction de l'article proposée par la commission, c'est quand j'ai entendu dire : « Les ouvriers qui se coalisent pour violer les contrats seront frappés par la loi, tandis que les maîtres qui, en violation de ces mêmes contrats, renverraient tous leurs ouvriers, jouiront de l'impunité devant la juridiction répressive : » c'est alors que j'ai cru devoir, au point de vue de la justice, présenter un amendement destiné à faire disparaître ce grief.
Ou a dit et l'on répète que ma disposition additionnelle est dérisoire ; on a même insinué, si j'ai bien compris, qu'elle serait empreinte d'un cachet d'hypocrisie.
Je n'ai pas besoin, je pense, de défendre la loyauté de mes intentions ; mais je tiens à démontrer que la punition du maître sera tout aussi possible et réelle que celle de l'ouvrier, si c'est lui qui provoque la grève en violation des conventions.
Sur quoi s'est-on fondé pour prétendre qu'elle serait illusoire ? On s'est emparé de la remarque faite par l'honorable rapporteur, qu'il y aura rarement lieu à la poursuite d'un chef d'industrie foulant aux pieds les engagements qu'il a contractés avec les ouvriers. Mais, messieurs, l'égalité devant la loi consiste-t-elle en ce qu'il devrait y avoir présomption de rencontrer autant de coupables dans une catégorie de citoyens que dans une autre ? Ou, bien plutôt, l'égalité devant la loi ne réside-t-elle pas dans la juste appréciation de faits semblables et identiques, et dans l'application impartiale de la même peine pour les réprimer s'ils sont répréhensibles ?
Moi aussi je pense que peu de maîtres donneront le triste exemple de violations de contrais, à la suite desquelles tous leurs ouvriers seraient jetés sur le pavé.
J'espère de même que, grâce à la moralisation croissante des classe inférieures, il y aura désormais moins de cas d'application des dispositions frappant les coalisas d'ouvriers. A coup sûr, il ne faut pas conclure de là que toute répression est inutile. En agissant ainsi, le législateur serait imprévoyant.
Ou a souvent invoqué dans ce grave débat, messieurs, l'exemple d<el'Angleterre, pour laisser impunies toutes coalitions, quelque dangereuses qu'elles soient.
En voyant dérouler le tableau des effets de cette liberté, qui est absolue et indéfinie, selon certains orateurs, qui a son frein pénal selon les autre, je me suis demandé si cette Grande-Bretagne, pays de liberté et d'indépendance, où domine, dit-on, le respect des lois, doit nécessairement nous prêter et nous transmettre ses usages et toutes ses pratiques, surtout en présence des résultats déplorables des coalitions anglaises qui n'ont toutes abouti qu'à accroître les souffrances et les misères des ouvriers, qui en ont toujours été les premières et les plus tristes victimes.
Vous ne trouveriez pas, du reste, dans notre pays, des éléments de garantie pour empêcher qu'on n'y arrive à une situation pire que celle qui résule des coalitions en Angleterre ; vous n'y trouveriez point, par exemple, de caisses de prévoyance contre les grèves concertées, richement dotées par les retenues des classes ouvrières ; vous n'y trouveriez pas enfin, et je ne parle pas seulement ici des classes ouvrières mais de tous les citoyens, le même respect de l'autorité et des lois, la même patience dans les crises.
Il faut tenir compte des caractères différents des peuples ; et si l'on voulait en venir à l'application complète de tout ce qui se fait en Angleterre, nous serions conduits à des résultats parfois bien déplorables pour la Belgique.
L'honorable M. de Brouckere a fait tout à l'heure des calculs sur la nature habituelle des engagements soit d'usage, soit contractuels, qui ont lieu entre maîtres et ouvriers de nos différentes industries, calculs dont je ne puis admettre en tout la justesse.
Ainsi, l'honorable M. de Brouckere, pour vous convaincre que le délai après lequel l’ouvrier sera maître de se retirer sans violation de son contrat sera toujours très long, est parti d'une base qui n'est pas, à ma connaissance, communément adoptée dans les établissements industriels de ma province. L'orateur a dit : « Un ouvrier entre chez moi, sans savoir au juste ce qu'il doit gagner par jour. »
Mais, messieurs, dans les rapports que j'ai pu avoir avec plusieurs de nos chefs d'industrie, j'ai appris que l'ouvrier entre dans une usine après être convenu du prix de la journée ou de ce qu'il obtiendra en travaillant à la pièce.
Telle est, je pense, la coutume, et s'il en est ainsi, je m'explique difficilement que M. de Brouckere a trouvé que le terme pendant lequel l'ouvrier devra rester attaché à l'usine qu'il veut quitter, pour ne pas violer les usages conventionnels des lieux, sera toujours très long, et en quelque sorte dérisoire.
Or, le jour de la paye le samedi, quoi qu'en ait dit l'honorable bourgmestre de. Bruxelles, l'ouvrier pourra comme tout autre jour, comme la veille, dénoncer sa volonté de quitter son maître après le délai qui doit suivre l'avertissement.
Quant aux coalitions de chefs de certains établissements dans lesquels s'exercent les mêmes industries, coalitions fondées sur ce qu'ils connaissent l'importance de la production totale en Belgique, je répondrai à l'honorable M. de Brouckere qu'elles ne sont pas dirigées contre les ouvriers, mais bien contre les consommateurs, en vue de faire hausser les prix. Pour ne parler que des coalitions des fabricants de cuivre, des exploitants de fonte et de houille, auxquelles on a fait allusion, vous n'en rencontrerez pas qui aient pour but de réduire d'autant le salaire des ouvriers de ces usines similaires. Or, ce n'est pas de ce genre de coalitions qu'il peut s'agir dans la discussion actuelle.
Pour prouver que le maître ne sera prétendument jamais frappé, on a dit qu'il aurait toujours moyen, même en s'abstenant de renvoyer tous ses ouvriers, de se concerter avec d'autres exploitants pour exécuter des renvois partiels.
D'abord, messieurs, c'est un cas extrême qu'on imagine, afin de faire supposer l'inefficacité complète de la proposition de lac ommission.
C'est une hypothèse, si pas d'une réalisation impossible, du moins hérissée des plus graves difficultés d'exécution. Ainsi, ce n’est pas dans les grandes industries, qui emploient des milliers d'ouvriers et dont nous devons surtout nous préoccuper, que l'on a à redouter cette espèce de coalition de maîtres, forçant un nombre restreint d'ouvriers, contrairement aux contrats, à se retirer avant terme ou à subir une baisse injuste de salaire. Ai-je besoin d'ajouter, messieurs, que les maîtres feraient une détestable spéculation, puisqu'ils seraient attraits efficacement devant la justice civile ?
Je me résume, messieurs. Le principe d'égalité du maître et de l'ouvrier devant la loi, que j'ai proposé à la commission de consacrer, a été accueilli favorablement par elle, et si j'ai pu avoir d'abord quelque crainte, la confiance y a succédé. Après les débats approfondis auxquels nous venons d'assister, j’ai la conviction que la majorité de la Chambre sera d'avis qu'il y a nécessité de punir les coalitions et les renvois d'ouvriers qui ont lieu en violation de contrats. Ce ne sont pas seulement des intérêts privés, isolés, qui sont engagés dans cette question ; mais (page 1027) dans les circonstances parfois déplorables où la loi peut être appliquée, c'est l'ordre public lui-même qui peut être compromis et qui l'est, lorsque, de mauvaise foi et avec immoralité, les ouvriers quittent en masse leurs chefs, ou que les chefs renvoient leurs ouvriers.
Je termine par une considération que je crois puissante à l'appui du principe que je défends. Si la coalition, en violation de contrats, est permise, je demande comment, par exemple, une administration de chemin de fer quelconque pourrait marcher en Belgique, s'il dépend des chauffeurs, des conducteurs de locomotives de se coaliser au mépris de leurs contrats, et s'il n'y a pas de peine pour un fait qui compromettra l'ordre public, l'existence de la compagnie et d'immenses intérêts engagés dans les transports du chemin de fer ; je demande si l'exemple que je cite n'est pas la preuve évidente que la coalition, résultant d'une violation de contrats doit être atteinte par la loi.
Je crois avoir servi, moi aussi, les véritables et les plus chers intérêts de la classe inférieure, que je fais consister dans la régularité du travail et dans les habitudes d'ordre. Il ne faut pas que les bons ouvriers payent et souffrent pour les mauvais ; il ne faut pas que ces derniers en faisant des victimes, jouissent d'un droit d'impunité, lorsqu'ils entraînent et forcent en quelque sorte à une violation des engagements pris ceux qui, au fond, sont attachés à leurs maîtres, ceux qui sont honnêtes et satisfaits de leur salaire.
M. de Theux. - Messieurs, l'amendement de la commission me paraît entaché de deux vices considérables. Le premier, c'est le vague de la rédaction ; le second, c'est qu il poussa nécessairement à des contrats à long terme : résultat que la commission elle-même entrevoit et qu'elle considère comme mauvais, mais conre lequel elle n'a pas trouvé un moyen de prévention.
Je crois, cependant, qu'on aurait pu obvier à ces deux inconvénients, c'eût été de stipuler dans la loi la durée des contrats dont la violation aurait pu donner lieu à l'application de la pénalité, par exemple, le délai de 15 jours, qui est le délai le plus généralement usité dans l'industrie, délai qui devient considérable dans la pratique, ainsi que l’a expliqué l’honorable M. Ch. de Brouckere, qui a une très grande pratique des affaires industrielles.
Si cependant il était démontré qu'un délai plus long fût nécessaire pour quelques industries spéciales, il y aurait encore le moyen d'indiquer ces industries et leurs similaires comme exceptées de la règle générale de 15 jours.
Voici les avantages immenses que me semble renfermer la limitation des contrats à 15 jours comme pouvant donner lieu à des poursuites correctionnelles : c’est, d'une part, une garantie de justice dans ces contrats ; c'est d'autre part pour obvier aux inconvénients qui peuvent se produire par suite de changements survenus pendant la durée d'un contrat plus long ; c'est pour sauvegarder davantage la liberté de l'homme. C'est là, il faut le dire, la tendance générale de l’époque : l'opinion publique répugne à des engagements personnels de longue durée. Avec les dispositions du projet de la commission, on pourrait amener les industriels à créer des engagements qui, par leur durée, seraient en opposition avec une époque de civilisation avancée.
Un autre avantage de la limitation de la durée des contrats au point de vue pénal, serait de favoriser de plus en plus le développement des bons rapports qui tendent à s’introduire dans la pratique entre les maîtres et les ouvriers.
La loi doit favoriser cette tendance et non la contrarier ; or, le projet de la commission la contrarie en ce sens qu’elle tend à faire des engagements de longue durée et à soumettre l’ouvrier pendant un terme trop long à la puissance de son maître.
Je regrette qu'ayant consulté les chambres de commerce et le conseil supérieur de l'industrie, on ne les ait point consultés sur les usages quant à la durée des engagements ; la question eût été mieux appréciée par les Chambres.
Plusieurs d'entre nous ne connaissent pas ces pratiques de l'industrie et il est très peu de membres qui pourraient affirmer les connaître pour la généralité du pays. Les procès-verbaux du conseil supérieur de l'industrie ne donnent aucun éclaircissement sur ce fait si important.
Je disais que les mots « la pratique » sont des mots très vagues, exprimant des choses qui varient à l'infini et que les tribunaux pourraient être tous les jours embarrassés sur l’appréciation vraie de cette pratique a un point suffisant pour prononcer une condamnation, tandis que si les engagements avaient un terme précis, les tribunaux n'éprouveraient pas d'embarras et les ouvriers ne seraient pas exposés à tomber sous l’application de la peine, dans l'ignorance des cas auxquels cette peine peut être appliquée.
Il y a deux ordres d'idées engagés à ce que le travail ne cesse pas instantanément dans les grands centres d'industries avec agglomérat de nombreuse d'ouvriers, c'est l'intérêt privé et l'ordre public. Tout le monde convient que quand il n'y a pas de contrat, la Constitution s'oppose à tc que les ouvriers ne puissent pas s'entendre entre eux pour cesser l'ouvrage ; cependant l'ordre public peut être compromis dans ce cas tout aussi bien qu'en cas de violation de contrat. Le danger des nombreuses grèves dont on a cité l’exemple en Angleterre ne résidait pas dans la violation des contrats, mais dans les grèves elles-mêmes qui s’étendent quelquefois d'une industrie à l'autre. Or, en supposant l'admission du projet de loi de la commission, il reste toujours la possibilité de la cessation de travail dans plusieurs établissements considérables contre laquelle vous êtes impuissants à porter une loi en présence de notre Constitution. Quand il y a contrat il y a tout à la fois danger pour l'ordre public et violation de l'intérêt privé, si le travail cesse instantanément.
L'intérêt privé mérite d'être respecté quand des contrats existent. Mais pour que la loi pénale prête appui à ces contrats, garantisse le droit que l'industriel s'est créé par ces contrats, il fuit que le contrat soit en harmonie avec la situation sociale, avec les intérêts réciproques des maîtres et des ouvriers, harmonie qui ne peut exister que dans la courte durée des engagements Dans la supposition de l'insertion dans la loi de la limite de la durée des contrats, j'aurais pu donner mon approbation au projet de la commission ; mais sans cette garantie ou une autre qu'on pourrait présenter dans le cours de la discussion, li me serait impossible de l'admettre.
Dans cette situation je voterai pour l'amendement afin qu'entre les deux votes on ait le temps de mûrir la question et de présenter une solution qui permette l'adoption de l’article par une grande majorité, chose très désirable dans une question de cette nature.
de me borne à ces observations, je n'ai combattu d'une manière absolue aucun des deux systèmes, je ne me suis prononcé pour aucun, parce qu'aucun ne me satisfait. Je voterai l'amendement pour que nous ayons un second vote, et une discussion plus approfondie et que nous puissions recueillir des faits qui pourront nous éclairer. (Interruption.)
Ou me demande de quel amendement je veux parler, c'est l'amendement de M. Nothomb et autres. Je voterai cet amendement ; parce que c'est, selon moi, le seul moyen d'arriver à une étude plus approfondie de la question et à une solution qui puisse réunir une très grande majorité.
M. Beeckman. - Messieurs, si je prends la parole dans cette discussion, ce n'est pas comme jurisconsulte, mais comme constructeur qui ai été en cot'act depuis 25 ans avec les ouvriers, et c'est afin de faire comprendre à la Chambre que depuis que j'ai entendu tous les habiles discours du savant rapporteur et de tous les partisans du projet de la commission, ma conviction, plus forte que jamais, est qu'il faut accorder à l'ouvrier la plus grande liberté.
En effet, qu'avons-nous entendu dans ce débat de la part des partisans du projet de la commission (et qu'l's me pardonnent de le leur dire en passant, ils ne connaissent pas l'ouvrier) ? Une crainte exagérée de lui accorder la liberté de quitter le travail, l'atelier ou la fabrique le jour où il ne sera plus satisfait des procédés ou du salaire de son maître.
Eh bien, messieurs, cette crainte peut être juste pour l'industriel qui veut profiter de sa position vis-à-vis de l'ouvrier, mais elle n'est pas à craindre de la part de ceux qui se considèrent comme les protecteurs de leurs ouvriers.
Messieurs, permettez-moi d'invoquer mon expérience personnelle. J'ai pendant plus de dix ans dirigé ou exécuté de grands travaux publics en Belgique (par exemple, les fortifications de Diest) ; comme tel, j'ai eu à faire continuellement à plus de 400 à 500 ouvriers. Je puis assurer à la Chambre que pendant tout ce temps, jamais je n'ai eu la moindre coalition, même jamais la moindre petite difficulté.
On me répondra peut-être qu'à cette époque on n'exécutait pas d'autres grands travaux en Belgique et que les ouvriers étaient heureux d'accepter les conditions. C'était le contraire, messieurs, car à cette époque ou construisit toutes nos grandes lignes ferrées et les ouvriers étaient très recherchés.
Pour moi, messieurs, qui ai suivi et continué à suivre les exemples que j'avais devant moi, j'ai la conviction et je puis déclarer à la Chambre que du moment que l'ouvrier reçoit un salaire convenable il ne quitte pas son patron.
J'ai des ouvriers qui sont chez moi depuis plus de vingt ans sans engagement, et à qui on a offert plus d'une fois un salaire supérieur à celui que je leur paye, ils n'ont cependant pas accepté ces offres et le motif en est tout simple, c'est qu'ils préfèrent le certain à l'incertain.
Messieurs, l'ouvrier qui s'aperçoit que son patron ne le rétribue pas en proportion de la somme qu’il lui fait gagner, doit avoir le droit de le quitter quand il le voudra et dans ce cas il a parfaitement raison, car généralement le patron diminue le salaire quand il y a perte à fabriquer.
Je le répète, messieurs, depuis 25 ans que je dirige des ouvriers, j'ai remarqué, et je le remarque encore tous les jours, que l'ouvrier ne quittera jamais son chef du moment qu'il est traité d'une manière équitable.
Messieurs, si dans cette discussion je consultais mes intérêts personnels, je me rallierais immédiatement aux articles de la commission, lesquels donnent positivement un privilège au chef sur l'ouvrier ; mais, messieurs, je crois qu'il est de notre devoir de soutenir les intérêts généraux et de placer chefs et ouvriers sur la même ligne, c'est-à-dire sur le pied de l’égalité.
Ce sont ces motifs qui me feront voter en faveur de l'amendement des honorables MM. Nothomb, Vermeire, Thibaut et de Montpellier.
(page 1028) M. Goblet. - Au début de la séance, le remarquable discours de l'honorable M. Ch. de Brouckere a réduit à leur juste valeur les arguments de l'honorable M. Pirmez ; il a prouvé d'une manière toute pratique qu'on pouvait parfaitement mettre en usage, dans notre pays, le système de la liberté absolue.
L'honorable rapporteur s'adressant particulièrement à moi, a communiqué à la Chambre l'impression qu'il avait éprouvée en voyant l'accueil fait par cette assemblée au projet qu'il soutient avec tant de talent.
Après avoir indiqué toutes les réformes opérées par le travail de la commission dans le Code pénal de 1810, réformes dont je me plais à reconnaître le côté utile et pratique, il est venu nous dire qu'il s'étonnait de voir dans cette enceinte les objections qui o.t été présentées contre le système de la commission sur les coalitions. Nous avons, a-t-il dit, en adoptant ce projet de loi pour la suppression des articles 414, 415 et 416 du Code pénal de 1810, nous avons cru faire une œuvre éminemment libérale en remplaçant cette législation par l’article 346, que nous devions trouver des contradicteurs, non pas dans ceux qui sont favorables à l'application des principes de liberté, mais bien dans ceux qui défendaient la répression à outrance.
Je suis tout le premier à rendis justice à l'habileté, au talent, aux facultés exceptionnelles de l'honorable rapporteur. Il a l'art de bien dire, il a une dialectique puissante, il plaide éloquemment ; mais je dois l'avouer, je ne m'attendais pas à trouver en lui autant de naïveté. Il comptait que son projet serait acclamé par tous ceux qui affirment les principes libéraux, il se présentait comme réformateur progressiste, et après cette déclaration l’honorable M. Pirmez reconnaît que ses propositions ont été accueillies par des contradicteurs plus libéraux que lui. Cela prouve une fois de plus qu'il ne suffit pas d'un beau talent pour avoir gain de cause ; il faut encore, pour triompher, être dans le vrai et ne pas défendre quand même des principes illogiques. Certes les désillusions de l'honorable rapporteur doivent être complètes.
Les honorables MM. Sabatier et Muller, bien que partisans du système de la commission, sont venus prouver qu'ils voulaient quelque chose de plus libéral que ce système ; et ils ont présenté des amendements qui en ont tempéré la rigueur, qui ont tenté de rétablir l'égalité qu'avait exclue la commission.
L'honorable M. Jacquemyns qui défend aussi avec une grande énergie le système de la commission, conséquent dans la voie qu'elle lui indique, en arrive naturellement aux conclusions inévitables des prémisses posées et veut que l'on édicte des peines contre toutes les violations de contrats, lorsque même il n'y a pas de coalition.
Enfin des membres de cette Chambre, en grand nombre, trouvent que dans l'application des véritables principes libéraux, il faut ne pas avoir deux poids et deux mesures, et ils réclament le droit, l'usage du droit commun pour tous.
L'honorable rapporteur m'a reproché d'avoir hésité avant de prendre la parole pour combattre le projet de la commission ; il trouve étrange que la discussion m'ait éclairé ; il croit que j'aurais beaucoup mieux fait de m'incliner devant la lumière qu’il daignait nous apporter.
Il me permettra de ne pas être de son avis, et de lui dire que toute discussion peut et doit éclairer.
Il1 ne faut pas que l'on arrive dans cette enceinte avec des idées préconçues pour les défendre malgré tous les arguments, envers et contre tous.
Pour prouver ce qu'il avait avancé, l'honorable rapporteur m'a prêté des idées que je n'avais pas émises, des propositions que je n'avais pas soutenues. Il m'a reproché d'avoir fait un tableau de fantaisie de l'état social anglais, de la situation de l'Angleterre industrielle, et pour m'accabler, il a cité M. Léon Faucher.
Je n'ai pas dit que depuis 1825 il n'y avait pas eu de coalitions violentes en Angleterre. J'ai dit, et je le maintiens, que depuis que l'Angleterre, si pratique en politique, avait appliqué ses principes de liberté aux coalitions, la classe ouvrière avait fait des progrès intellectuels remarquables.
L'esprit d'association pénétrant partout et sous toutes les formes a rendu chaque jour moins défiantes et moins irrégulières les relations entre les deux grandes classes laborieuses, entre les patrons et les ouvriers.
Comment ! vous venez ici nous parler de violence, de pillage, d'associations organisées pour l'assassinat et l’incendie ; comment ! vous dépeignez les ouvriers anglais agités par les passions les plus odieuses et les plus coupables et cela pour conclure contre l'usage de la liberté que je défends !
Permettez-moi de le répéter une fois de plus, ici encore vous êtes illogique. Si vous avez la conviction d'avoir affaire à des bêtes fauves, à des gens sans foi ni loi ! oh ! alors n'hésitez pas et ne faites pas de sacrifice à la divinité farouche qui produit tant de maux ; faites ce que vous a dit l'honorable M. de Brouckere, rétablissez le Code pénal de 1810 dans toute sa rigueur ; vous ferez là un acte de courage, un acte de bon citoyen.
Vous ferez ce qu'a fait l'homme que vous avez cité pour défendre votre thèse, vous ferez comme M. Léon Faucher qui, à l'assemblée législative française, parlait et votait contre tout esprit de modification des articles de 1810, relatifs aux coalitions, quelque bénigne, quelques douces qu'elles fussent.
On accuse les partisans de la liberté absolu de ne pas présenter de système. On leur a dit : Que voulez-vous donc et de quel droit venez-vous combattre des dispositons que vous ne remplacez pas ?
Mais à cela, messieurs, la réponse est bien facile. Le système que je défends est tout un ; il laisse à chacun la liberté de débattre ses intérêts, donne à tout individu le droit à ses risques et périls de gérer son bien ou son travail et demande le droit commun pour tous. Dans ce système il n'y a pas de délit nouveau à inscrire dans la loi, et d'une violation de contrat civil on ne fait pas un crime exceptionnel. La violence et l'intimidation sont punies et l'amendement de l'honorable M. Guillery à l'article 348 donne la preuve que nous aussi nous admettons la répression, quand elle est juste et rationnelle.
L'honorable M. Sabatier nous a accusé de nous mettre martel en tête pour trouver les moyens de rendre plus précaire encore la position de l'ouvrier. C'est là, messieurs, une conclusion que je repousse. Ainsi parce que nous voulons que l'ouvrier soit libre, qu'il ne subisse pas le sort d'un être soumis à des lois d'exception, nous sommes hostiles à son bien-être ! Ce raisonnement est de la même nature que ceux que l'on emploie contre l'instruction et cela en faveur de l'infaillibilité de l'autorité, de la même espèce que ceux qui veulent justifier le servage des paysans russes, en les déclarant plus heureux parce qu'ils n'ont rien à prévoir, rien à penser.
A en croire nos honorables contradicteurs, il semblerait que nous apportons ici des propositions hasardées, un système tout nouveau, tandis que, uniquement avec nos maîtres en politique et en industrie, nous ne faisons que demander ce que l'on a heureusement appliqué ailleurs, au moment où l'on a admis le droit pour tous de se coaliser.
Les partisans du système de la commission s'appuient surtout, dans leur argumentation contre le système de ja liberté absolue, de l'impossibilité de poursuivre civilement les ouvriers, de l'inanité de ces poursuites. Ils disent que, par suite de cette inanité, les infractions aux contrats, blâmées par tous, resteront complètement impunies.
Je ne répéterai plus ici, messieurs, les nobles et chaleureuses paroles de l'honorable M. de Naeyer, les arguments sans réplique de l'honorable M. de Brouckere. Mais permettez-moi de vous rappeler une des conditions d'existence de l'ouvrier dont on a fait peu mention dans cette enceinte.
N'avons-nous pas le livret, ce moyen si sûr de faire la police parmi les ouvriers, ce moyen si certain d'empêcher l’individu de se dérober aux conséquences de la faute ? Le livret est pour l'ouvrier un passeport ; seul il lui donne le droit de bourgeoisie dans l'atelier, et alors que le patron a dans les mains le livret où il peut inscrire jusqu'aux dettes de l'ouvrier, croyez-vous que celui-ci puisse se soustraire complètement à toute répression ?
Je crois, messieurs, que quand il s'agit des ouvriers et que l'on s'occupe de réprimer leurs écarts, on se laisse dominer trop complétement par un principe tout à fait faux. On admet tout d'abord que l'ouvrier est ignorant et indiscipliné, qu'il est enclin au mal.
Pour moi, je préfère voir l'ouvrier comme le voient l'honorable M. de Brouckere, et l'honorable M. Jamar. Je préfère dire que s'il est devenu mauvais, que s'il est indiscipliné, la faute n'en est pas toujours à lui, et je préfère voir en lui un homme dont on peut tout obtenir par les bons procédés, résiste bien rarement quand il est persuadé qu'on le traite avec impartialité et avec justice.
Ce qui amène souvent des désordres dans l'usage de la liberté, a dit l'honorable rapporteur, c'est que l'usage de la véritable liberté est ignoré par beaucoup d'entre nous. Et pour nous montrer la différence qu'il y a entre un peuple qui sait ce que c'est que la liberté réelle et un peuple qui méconnaît ses lois, l'honorable rapporteur nous a cité l'exemple de deux nations voisines. Il nous a montré, dans l'une, l'autorité, quand elle veut réprimer les délits, entourée des défiances de la foule, suspecte aux citoyens ; et dans l'autre, les citoyens tout prêts à aider l'autorité à l'appel du moindre de ses agents.
Mais, messieurs, si ces faits sont invoqués pour nous prouver combien l'usage de la liberté est parfois mal apprécié, ils sont beaucoup plus éloquents encore en faveur de l'usage de la liberté dans les gouvernements.
En France, l'autorité, alors même qu'elle veut réprimer les délits, est toujours suspecte aux citoyens, suspecte de vouloir abuser de sa puissance dans un but de répression tout à fait personnel ou mesquin, tandis qu'en Angleterre, l'autorité, solidaire des droits de tous, a persuadé à tous qu elle ne veut jamais que protéger la liberté d'un chacun.
Comme en Angleterre, il faut qu'en Belgique l'action de l'autorité, l'action du gouvernement soit restreinte aux strictes limites. Nous avons depuis longtemps l'habitude de la liberté. Evitons donc tout ce qui pourrait en dénaturer les véritables lois, et nous trouvons dans l'esprit qui anime nos populations, quoi qu'on en ait dit, tout le respect nécessaire pour établir les rapports réguliers et multiples qu'elle engendre.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai la remise de la discussion à demain. On me remet à l'instant même une nouvelle rédaction que je dois examiner.
M. Pirmez. - Je demande que la commission se réunisse demain matin et qu'elle entende l'honorable M. de Theux. Il est possible que l'on puisse tomber d'accord pour réaliser l'idée de l'honorable membre.
(page 1029) M. Vermeire. - L’honorable M. de Theux ayant présenté son amendement, il est inutile de l'entendre. Il a prononcé son discours.
M. le président. - Si la commission désire entendre M. de Theux, la Chambre ne peut s'y opposer, sauf à M. de Theux à voir s'il veut répondre au désir de la commission.
M. Thienpont. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur la demande du sieur d'Omon, sous-lieutenant au premier chasseurs à cheval, qui prie la Chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel se trouve assujettie h naturalisation qui lui a été conférée, ou du moins de lui accorder une prolongation de délai pour lui faciliter le payement de ce droit.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
La Chambre fixe la séance de demain à une heure.
La séance est levée à 4 heures et demie.