(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 902) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Lepère demande une place de commissaire voyer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Leupeghem demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique aux pièces décimales françaises en or ou que ces monnaies soient reçues pour leur valeur nominale dans les caisses de l'Etat, et proposent subsidiairement que le gouvernement soit autorisé à battre pour son compte et pour compte des particuliers des monnaies d'or belges de même valeur, titre et module que l'or français. »
« Même demande d'habitants de Berlaere, Ardoye, St-Gervais, Gand, Mouscron, Merckem, Wetteren, Eenaeme, Audenarde, Gulleghem, Zele, Lokeren, Vive-St-Eloi, Waereghem. »
- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des négociants, débitants et ouvriers à Quiévrain demandent qu'il soit donné cours légal en Belgique à la monnaie d'or de France. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Savart demande un congé de quelques semaines pour cause d'indisposition. »
- Ce congé est accordé.
M. Hymans. - Mesieurs, je regrette de prendre une seconde fois la parole dans ce débat, mais je le fais en acquit d'un devoir. Connaissant les faits de la cause, je ne puis pas laisser sans réponse les déclamations que nous avons entendues dans la séance d'hier.
La liberté communale n'a absolument rien à voir dans ce qui s'est passé dans la commune d'Etterbeek, et pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je dégagerai cette affaire de tous les détails, je lui en ferai un récit succinct et je suis convaincu qu'après avoir entendu la narration de cette singulière histoire, personne ne songera plus dans cette Chambre à accuser le gouvernement d'avoir violé la liberté quand en réalité il a voulu faire respecter la loi.
Messieurs, le drame ou la comédie, comme vous voudrez, qui vient de se dénouer à Etterbeek, ne date pas d'hier. Cette pièce se joue depuis douze ans. Elle a commencé en 1848, à l'époque où la garde civique a été organisée.
Aux termes de la loi, la commune d'Etterbeek possédant 3,000 âmes, le gouvernement avait le droit d'y organiser une garde civique active. La commune d'Etterbeek s'y est constamment refusée. L'honorable M. Dumortier a dit hier que la garde civique ne plaisait pas à tout le monde. Il a donné cela comme une raison suffisante pour justifier la conduite de la commune d'Etterbeek. Je ne puis pas accepter cette raison comme sérieuse.
Donc, depuis 1848, la commune d'Etterbeek est en insurrection permanente contre l'autorité au sujet de l'exécution de la loi sur la garde civique, insurrection qui s'est traduite tantôt par des résistances actives, tantôt par une force d'inertie qu'il a été impossible de vaincre jusque dans ces derniers jours.
Le gouvernement avait décidé dans l'origine que la garde civique d’ Etterbeek se composerait de trois compagnies : tous ses efforts ne purent aboutir à la faire organiser. Par esprit de conciliation, il consentit à ne former de la garde civique qu'une compagnie unique, et il essaya, une seconde fois, d'organiser cette compagnie, de faire procéder à des élections.
Les élections ne réussirent pas en 1848 ; on ne put réussir à les faire en 1853 lors du renouvellement des élections générales ; on ne le peut pas davantage en 1858.
Voulant cependant faire respecter la loi par les magistrats de la commune, car la commune elle-même n'était nullement solidaire de l'opposition persistante des magistrats communaux, que fit-on ? La députation permanente commença par changer de procéder au recensement des gardes un ancien chef d'un compagnie spéciale de la garde civique de Bruxelles, homme parfaitement honorable, de dispositions extrêmement conciliantes, et l'accueil fait à ce délégué fut tel, qu'il se vit obligé, au bout de quelques jours, d'envoyer au gouverneur sa démission des fonctions dont il était investi.
Que fit-on après cela ? La députation permanente chargea d'organiser la garde civique dans la commune d'Etterbeek, le commissaire d'arrondissement de Bruxelles, homme dont les dispositions conciliantes, le caractère modéré ne seront contestés par personne, et qui, par le mandat dont il était revêtu, se trouvait être l'intermédiaire naturel entre l'autorité provinciale et la commune.
Le commissaire d'arrondissement de Bruxelles se rendit à Etterbeek ; il s'assit au bureau électoral. Personne ne voulut aller s'asseoir à côté de lui comme scrutateur. Les élections furent encore impossibles.
Dans l'espoir d'arriver à un meilleur résultat, on réunit la garde civique d'Etterbeek à celle de la commune d'Ixelles. Cependant, afin de ne pas mécontenter les susceptibles Etterbeekois, on ne convoqua pas les électeurs dans la commune d'Ixelles, on les convoqua dans la commune d'Etterbeek même, afin d'avoir à procéder à la nomination des officiers.
L'ancien colonel de la garde civique d'Ixelles se rendit lui-même a Etterbeek, afin de présider aux élections. Il fut accueilli par des grognements, par des huées, par les démonstrations les plus inconvenantes. L'élection eut lieu, mais savez-vous ce qu'on fit ? Les électeurs d'Etterbeek nommèrent tous les gens difformes de la commune, des bossus, des bancroches, pour officiers.
Après une pareille insulte à la loi, on ne pouvait faire autre chose que de dissoudre la garde civique. D'autres raisons, d'ailleurs, le réclamaient. La garde civique fut dissoute, et c'est à la suite de cette dissolution que nous arrivons au dernier acte de la comédie.
La députation permanente délégua cette fois, pour procéder aux élections, un ancien quartier-maître de la légion de la garde civique, qui se trouvait, par hasard, être un fonctionnaire du département de l'intérieur, mais qui, malgré cela, n'en est pas moins un homme à la loyauté, à la modération duquel tous les partis rendent hommage.
Cet honorable délégué, je le répète, homme parfaitement modéré, connaissant son mandat, incapable d'excéder ses droits, se rendit à Etterbeek et afin de ne pas s'exposer à voir les électeurs refuser de venir s'asseoir auprès de lui au bureau pour remplir les fonctions de scrutateurs, il amena avec lui des gardes de la commune d’Ixelles, espérant qu'ainsi, du moins, les opérations ne seraient plus entravées.
Qu'arriva-t-il ? Le fonctionnaire dont il s'agit avait demandé, huit jours avant l'élection, la maison communale, afin de pouvoir procéder à l'opération. Il ne reçut pas de réponse. L'élection devait avoir lieu le 18 février. L'avant-veille au soir, le président du bureau électoral reçut une lettre antidatée de trois jours et signée du bourgmestre d'Etterbeek, annonçant qu'il devait y avoir le 18 un bal à la maison communale et que par conséquent les élections ne pourraient pas avoir lieu.
Le délégué de la députation permanente conservant tout le sang-froid, tout le calme, toute la modération, qu'on avait attendus de lui et qui avaient été une des principales causes du choix que l'on avait fait de lui, se borna à demander à l'administration communale d'Etterbeek, de mettre un autre local à sa disposition. Le bourgmestre cette fois lui fit l'honneur d'une réponse et mit à sa disposition l'école communale. De nouvelles convocations furent adressées aux électeurs.
Le 18, le délégué se rendit sans aucun appareil de force, sans être accompagné d'aucun agent de l'autorité publique, avec deux scrutateurs, à l'école communale.
Il y trouva le bourgmestre, les deux échevins et des groupes qui paraissaient animés d'intentions assez douteuses et qui stationnaient devant l'école communale. Il s'adresse au bourgmestre et lui demande qu'on veuille bien lui ouvrir l'école communale, afin de procéder aux élections. Le bourgmestre dit d'abord au délégué de ia députation permanente que la clef de 1 école communale est perdue. Ensuite, comme on ne prend pas cette assertion au sérieux, il dit que l'instituteur communal est allé faire une promenade à Isque, avec la clef ; que par conséquent l'élection ne peut avoir lieu.
Que fait le délégué de la députation permanente ? Il se borne à dresser un procès-verbal et à le transmettre à l'autorité provinciale, de laquelle il tient son mandat. Voilà l’intervention calme, légale, constitutionnelle de ce fonctionnaire de l'Etat qui était, je le répète, un simple délégué de l'autorité provinciale.
Le lendemain, après cette rébellion à l'autorité, le conseil communal écrit au gouverneur de la province, une nouvelle lettre dans laquelle il dit que, quoi qu'on fasse, il n'y aura pas d'élections à Etterbeek, attendu qu'il y a dans cette commune une aversion - c'est le mot dont il se sert - trop déclarée contre la commune d'Ixelles, à laquelle celle d'Etterbeek a été réunie pour la garde civique.
Messieurs, je le demande, en présence de ce fait, que devait faire le gouverneur ? Devait-il laisser violer la loi ? devait-il laisser la loi à l’état de lettre morte ? Ne devait-il pas se préoccuper de ce qui arriverait si, au lieu d'élections pour la garde civique, il s'agissait d’élections communales, et que les locaux nécessaires fussent refusés ; de ce qui arriverait si, lors du tirage au sort pour la milice, on refusait d’ouvrir les locaux ?
(page 903) On a beau dire ici que la loi sur la garde civique n’est pas populaire dans le pays, ce que je nie, et ce que, par parenthèse, l'honorable M. Goblet, qui cherche toutes les occasions d'exalter ici la garde civique, ne peut pas dire comme l'a dit l'honorable M. Dumortier.
On a beau prétendre que la loi sur la garde civique n'est pas populaire ; elle ne le serait pas, qu'encore ce ne serait pas une raison pour qu'elle ne fût pas exécutée ; car le gouvernement doit veiller à l'exécution de toutes les lois indistinctement ; il ne peut pas avoir des lois de choix et de préférence, des lois qu'il fait exécuter plutôt que d'autres.
Donc le gouverneur, légalement saisi par son délégué, a fait son devoir, a transmis le procès-verbal-au parquet, qui a fait le sien.
A-t-il excédé ses droits ? Pour moi, je ne le crois pas.
Mais, ce que je sais de la manière la plus positive, c'est que lorsque le département de l'intérieur est intervenu de nouveau, ç'a été, non pas pour aggraver la position du bourgmestre et des deux échevins d’Etterbeek, mais pour atténuer les charges qui pesaient sur eux, pour chercher à étouffer l'affaire, à abréger la détention préventive à laquelle ils s'étaient volontairement exposés et qui résultait pour eux des dispositions de la loi.
L'autorité administrative a donc agi en réalité dans l'intérêt du bourgmestre et des échevins d'Etterbeek après leur arrestation à laquelle le parquet était obligé de procéder, dès l'instant que le gouverneur lui avait transmis le procès-verbal.
Maintenant, on a fait un très grand bruit de cette affaire dans la presse. On a parlé de l'enthousiasme qui avait accueilli à Etterbeek la rentrée de ces trois vieillards ; et par parenthèse je ferai observer qu'il n'y a qu'un seul vieillard, et c'est déjà assez ; les deux autres sont dans toute la vigueur de l'âge et savent parfaitement tirer parti, dans les lieux publics dont ils sont les propriétaires, de l'agitation causée dans la commune ; eh bien, quand ces honorables magistrats dans la personne desquels on avait violé la liberté communale, sont sortis de prison, sur les instances de M. le ministre de l'intérieur, ils ne se sont pas montrés aussi triomphants que pourrait le faire croire l'attitude de leurs défenseurs dans cette enceinte.
On les élargit le jour, ils demandent à ne sortir que le soir ; ils ont fait preuve de sagesse, de tact et de bon goût, il faut leur en savoir gré ; à la brune, ils ont fait venir une voiture et sont rentrés très tranquillement à leur domicile, ne voulant pas même fêter le jour de leur délivrance dans un estaminet voisin de leurs propres établissements.
Mais le lendemain, dit-on, des arcs de triomphe ont été érigés, des bals, des banquets ont été organisés ; demain même, les bourgmestre et échevins doivent rendre cette fête splendide, cette manifestation que l'enthousiasme populaire a improvisée en leur honneur. Tout cela est tout simplement de l'invention, en termes de journalisme un canard. Etterbeek n'a eu ni arcs de triomphe, ni manifestation, ni bal, ni banquet, il n'y a lieu eu que le retour du bourgmestre et des échevins qui sont rentrés chez eux, jurant, mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus.
Il y a eu ceci, qui est beaucoup plus important : les élections qui depuis 1848 n'avaient pu être faites, ont eu lieu très régulièrement, à tel point que sur 78 électeurs gardes inscrits, 76 se sont présentés et les deux absents ont envoyé des certificat de médecin constatant un état de maladie ; on a nommé des officiers sérieux acceptant leur mandats très dévoués à leurs fonctions nouvelles, et je puis dire que, sans l'interpellation de l’honorable M. Goblet, il n'aurait plus été question de cette histoire ici ni ailleurs.
Du reste c'est tout à fait incidemment qu'on s'est occupé de cet objet ; cela prouve la valeur des déclamations que nous avons entendues hier.
M. Goblet. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. - M. Goblet a la parole pour un rappel au règlement.
M. Goblet. - Le règlement dit formellement qu'aucun membre ne peut attribuer à ses collègues de mauvaises intentions ou se servir à leur égard de termes inconvenants. Or, je crois que l’expression « déclamations », dans les termes où s'en sert M. Hymans, est une impertinence à l'égard de ses collègues qui ne partagent pas sa manière de voir. S'il ne rétracte pas cette parole, je prierai à M. le président de lui en demander une explication.
M. Hymans. - Je n'ai aucune explication à donner sur le mot « déclamation », dont je me suis servi et qui a toujours été considéré comme parlementaire. Je dois dire d'ailleurs que les paroles dont je me suis servi n’étaient pas à l'adresse de M. Goblet. Je ne crois pas d'ailleurs devoir les rétracter. S'il y a quelque chose d'antiparlementaire dans ce débat, c’est le mot « impertinence » dont s'est servi bien gratuitement mon honorable collègue de Bruxelles.
M. le président. - Je crois que l'interpellation de M. Goblet n'a aucune portée puisqu’il y a eu malentendu.
M. Hymans. - Je dis que c'est incidemment qu'on a parlé d'Etterbeek dans la séance d'hier ; c'est à propos d'un autre fait que l'honorable M. Goblet a interpellé le gouvernement.
Il s'est plaint de ce que les majors, adjudants-majors et médecins avaient été nommés par les officiers avant le délai expiré pour les réclamations qui pourraient être faites contre leur élection. Je ne veux pas me livrer à l'examen de cette question, n'ayant pas pour cela assez d'expérience en matière administrative.
Je dirai seulement que j'ai toujours cru qu'en cette matière un délai n'est suspensif que lorsqu’il est formellement indiqué comme tel par la loi. La loi sur la garde civique, l'article 52, rappelé par l'honorable membre, ne dit pas que le délai sera suspensif. Or, il faudrait que cela fût dit formellement.
D'ailleurs, l'article 52 dont il s'agit, dit bien que les réclamations contre la validité des élections pourront être adressées à la députation permanente dans un délai de dix jours.
Mais il n'est pas dit par cet article, que la députation permanente est obligée de prononcer dans un délai déterminé. La députation permanente pourrait avoir besoin de deux mois et davantage pour faire connaître son avis ; elle pourrait avor des enquêtes à faire, des décisions interlocutoires à prononcer et dès lors, par le fait de cet article, avec l'interprétation qu'y donne l'honorable M. Goblet, l'organisation de la garde civique deviendrait complètement impossible.
Du reste, messieurs, le système qui a été suivi dans cette circonstance et qui n'a pas reçu, je le constate, l'approbation de quelques membres de cette assemblée et même de quelques membres de la gauche, ce système a toujours été suivi ; il a été suivi depuis 1848 dans toutes les circonstances et sans jamais donner lieu à aucune réclamation ; il a été suivi en 1848, en 1855, en 1858, et jamais aucune réclamation ne s'est produite, et je crois ne rien dire de désagréable à mon honorable collègue et ami, M. Goblet, en rappelant que lui-même, major de la garde civique, il y a quelques années, s'est considéré comme très apte à commander son bataillon quoique sa nomination eût été faite d'après les principes qu'il critique aujourd'hui.
Il n'y a donc au fond de ces réclamations que nous avons entendues hier, rien de sérieux, et comme je le disais hier aussi, je regrette qu'on vienne semer de nouveau des germes de discorde là où l'on avait si heureusement, et après tant d'efforts inutiles, réussi à les étouffer.
Pour ma part, je remercie de nouveau le gouvernement des mesures qu'il a prises, je tiens à l'ajouter, d'accord avec les citoyens les plus honorables de la commune, sur le conseil de magistrats inamovibles, sur l'avis des membres les plus importants, dirai-je, du conseil communal. J'espère que, malgré le bruit qu'on est venu faire dans cette enceinte à propos de la liberté communale qui n'a jamais été en cause, il n'y aura plus, désormais, aux portes de Bruxelles un foyer perpétuel d'agitation et des exemples de violation de la loi, donnés par ceux-là mêmes qui sont chargés de la faire respecter.
M. B. Dumortier. - Je dois d'abord relever une expression sortie de ia bouche de l'honorable préopinant. D'après lui, l'exemple de la rébellion serait donné dans cette enceinte par ceux-là mêmes qui devraient faire respecter la loi.
M. Hymans. - J'ai dit que j'espérais qu'on n'aurait plus aux portes de Bruxelles des exemples de rébellion donnés par ceux-là mêmes qui sont charges de faire respecter la loi.
M. B. Dumortier. - Ceci est donc retiré.
Messieurs, l'honorable membre a prétendu justifier les paroles qu'il avait dites tout à l'heure et qui ont été si justement élevées par mon honorable collègue M. Goblet, en soutenant que ce n'était pas à lui qu'elles étaient adressées, qu'elles s'adressaient à d'autres orateurs. Je ne sais pas quel est l'orateur dont l'honorable membre a voulu parler. Mais ce que je sais parfaitement, c'est qu'en matière de déclamations, il peut se mirer pour se reconnaître lui-même.
M. Hymans. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. B. Dumortier. - Messieurs, l'honorable membre qui semble prendre à tâche de jouer le rôle de ministre de l'intérieur dans ce débat, prétend qu'à la suite de ce qui s'est passé à Etterbeek, le bourg-mcs're et les échevins qui avaient été emprisonnés, sont rentrés chez eux trè.-contrits de ce qu'ils avaient fait Si j'en crois les journaux, ce serait tout le contraire. Des manifestations auraient été organisées en faveur du bourgmestre et des échevins.
Si cela n'est pas exact, soit ; mais ce que je puis dire, c'est que, quelle que soit la situation dans laquelle ils sont rentrés chez eux, cela ne touche en rien à l'acte posé. On a saisi et appréhendé au corps des magistrats communaux, un bourgmestre et des échevins, ou les a mis en prison comme de vils criminels. Je dis que des faits pareils ne peuvent être passés sous silence dans une législature, et l’honorable membre qui aime à citer l'exemple de l'Angleterre, à citer ce qui se passe en Angleterre, devrait savoir que si, en Angleterre, un acte pareil se passait, il se trouverait immédiatement vingt députés, cent députés pour condamner cette atteinte portée aux libertés publiques.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas un.
M. B. Dumortier. - Tous les députés qui ont à cœur la dignité du parlement, qui ont à cœur les libertés publiques viendraient réclamer pour la conservation dans leur intégrité des privilèges du pays. L'Angleterre est un pays de liberté et ce n'est pas là qu'on voit traîner en prison les magistrats comme de vils criminels, uniquement parce qu'une loi n'est pas exécutée, alors que le gouvernement a en main des moyens de la faire exécuter.
Mais, m'a dit M. le ministre de la justice, la doctrine que vous prêchez, c'est l'anarchie.
(page 904) Messieurs, il y a deux espèces d'anarchie, l'anarchie qui vient d'en bas et l'anarchie qui vient d'en haut. Je ne veux ni de l'une ni de l'autre.
Le moyen de ne pas avoir l'anarchie, c'est de respecter nos institutions. L'anarchie du pouvoir est plus dangereuse encore que l'anarchie du peuple. L'anarchie du pouvoir c'est l'absolutisme, et nous ne voulons pas de l'absolutisme.
Comment ! dans un pays de liberté comme la Belgique, dans un pays oh toutes les institutions sont libres, vous ferez appréhender au corps des magistrats communaux comme s'ils avaient commis les actes les plus répréhensibles contre la société tout entière !
L'honorable ministre prétend que les dispositions du Code pénal sont encore aujourd'hui en vigueur, et que la manière dont j'interprète la loi communale, c'est l'autorisation donnée aux magistrats communaux de violer la loi.
Messieurs, je proteste contre cette interprétation. J'ai appliqué le Code pénal au cas actuel, et j'ai examiné si lorsqu'il n'y a pas de résistance active engendrant le désordre, il était possible, en présence de la loi communale, d'emprisonner comme des criminels les magistrats communaux.
Eh bien, je soutiens que la Constitution et la loi communale ont aboli virtuellement les dispositions du Code pénal, en empêchant le gouvernement d'avoir, à l'avenir, une action sur les personnes et en la remplaçant par l'action sur les choses ; ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire hier.
Cette question est une question immense. C'est la première fois qu'un fait semblable se passe depuis 1830 dans le pays. Un cas semblable, vous vous le rappellerez, s'est présenté sous le gouvernement précédent, précisément pour un fait de même nature, pour un fait de milice. L'honorable M. Hennequin, qui a été sénateur de la Flandre occidentale, fut emprisonné par les sbires du roi Guillaume et traduit devant les tribunaux. Il s'est élevé alors un cri d'indignation dans toute la Belgique contre un pareil acte.
Eh bien, ce qui vient de se passer à Etterbeek n'est que la reproduction de ce qui s'est passé dans le temps contre l'honorable M. Hennequin.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si cela n'est pas de la déclamation, je ne sais comment il faut l'appeler.
M. B. Dumortier. - Je sais bien que les citations de faits qui sont contraires au ministère sont pour lui des déclamations. Eh bien, ces déclamations j'entends les continuer ; j'entends user de mon droit de député pour condamner et flétrir des actes aussi contraires à nos institutions, aussi contraires au sentiment national, et si MM. les ministres trouvent que ce sont des déclamations, le pays jugera. Est-il vrai, M. le ministre, que M. Hennequin a été emprisonné sous le gouvernement des Pays-Bas ? Vous étiez alors avocat à Liège ; et vous ne pouvez nier le fait, vous l'avez flétri dans le journal que vous rédigiez si glorieusement à cette époque.
Si le bourgmestre et les échevins d'Etterbeek étaient coupables, il ne fallait pas les relâcher ; il fallait les traduire devant la cour d'assises ; mais le fait de l'élargissement au bout de huit jours prouve qu'il y a eu une arrestation qui ne devait pas avoir lieu.
Mais l'article du Code pénal est-il encore en vigueur ? Que porte cet article ? Il punit, vous l'avez entendu hier, de peines graduées jusqu'au bannissement, les magistrats communaux pour résistance, non seulement aux lois, mais aussi aux ordres du gouvernement.
Eh bien, par votre système, M. le ministre de la justice, vous qui prétendez que cet article est encore en vigueur, vous rétablissez, peut-être sans le croire, le régime de l'empereur, le régime du despotisme impérial, contre lequel la Belgique a protesté, proteste et protestera toujours.
M. Muller. - Il s'agit d'ordres légaux.
M. B. Dumortier. - Qu'est-ce que c'est que des ordres légaux ? Mais c'est élastique comme du caoutchouc ! (Interruption.)
Il n'y a d'ordres légaux pour l'autorité communale que ceux qui font inscrits dans la loi. Avec vos ordres légaux, vous feriez des magistrats communaux de simples instruments du pouvoir, et c'est ce que la Belgique ne peut vouloir, c'est ce qu'elle ne veut pas.
Je suis d'autant plus fondé à parler de la sorte, que l'article du Code a été voté dans cette enceinte, sans que personne au monde pût prévoir qu'il conduirait à de semblables abus. Du reste, le mot « ordres légaux » ne se trouve pas dans le texte de la loi ; il y a ordres et cela se conçoit sous l'Empire : qu'étaient, en effet, les maires sous l'Empire ? C'étaient de simples instruments du pouvoir exécutif. Est-ce là ce que la loi communale a voulu faire des magistrats communaux ?
Peut-on abaisser à ce point nos libres institutions ? Je ne pense pas qu'il entre dans l'esprit de qui que ce soit de faire des magistrats communaux des officiers de la police gouvernementale. Ce serait là dénaturer nés institutions, et certes nous devons faire tous nos efforts pour les maintenir intactes ; on ne s'écarte que trop des vrais principes de 1830.
Messieurs, les articles du Code pénal que l'on invoque sont virtuellement abrogés par une foule de dispositions de la Constitution ; mais on considère le Code pénal comme étant la Constitution elle-même, et on envisage la Constitution comme n'étant que l'appendice du Code pénal,
Je disais tout à l'heure, messieurs, qu'il y a deux anarchies, celle d'en haut et celle d'en bas.
Eh bien, une chose à laquelle je m'opposerai toujours, c'est que toutes les forces de la nation convergent vers le pouvoir ; ce système-là, c'est l'absorption de toute individualité, de toute liberté, par le pouvoir et cette absorption, je l'ai toujours combattue, comme je la combattrai toujours.
Tels sont, messieurs, les motifs pour lesquels j'ai pris la parole dans la discussion qui s'est engagée hier.
Je regarde cette discussion comme très utile, parce qu'elle ouvrira les yeux à tout le monde sur la portée que l'on donne à nos articles du Code pénal qui ne sont pas en harmonie avec nos institutions. Elle fera comprendre à tous que, si le Code pénal a été fait sous l'empire nous ne vivons plus sous l’Empire, et que le Code pénal a été virtuellement modifié par la Constitution et par les lois constitutionnelles, par les lois portées en vertu de la Constitution.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est bien regrettable qu'un honorable préopinant qui se pose ici habituellement et comme par une sorte de privilège, en défenseur de h liberté et de la Constitution, vienne soutenir une thèse que chaque membre de la Chambre, ami ou adversaire, doit considérer comme le renversement de tous les principes constitutionnels.
Sons prétexte de liberté communale, l'honorable préopinant vient de se livrer, non pas seulement à la critique des actes de l'autorité administrative, mais il vient de mettre encause l'autorité judiciaire. Il vient d'accuser non pas l'autorité administrative d'avoir violé la liberté communale, mais il vient d'accuser l'autorité judiciaire dans son indépendance, d'avoir porté atteinte à la liberté communale. A l'avenir, il ne sera plus permis d'exercer des poursuites contre un magistrat communal qui aura violé la loi.
Il ne sera plus permis d'exercer des poursuites judiciaires, de par l'autorité de M. Dumortier, sans se voir exposé à l'accusation de violer la loi communale, de violer toutes nos libertés, de renverser la Constitution ?
Messieurs, j'ai regretté dans la séance d'hier les proportions qu'a prises dans cette enceinte une misérable affaire qui ne méritait pas d'occuper la Chambre pendant 3 minutes. Je croyais qu'on ne reviendrait plus sur cette affaire d'Etterbeek. C'est, à ce qu'il paraît, une bonne aubaine pour l'honorable M. Dumortier que l'arrestation de magistrats municipaux pendant quelques jours.
Vous venez d'entendre l'historique de ce qui s'est passé à Etterbeek. J'en remercie beaucoup l'honorable député de Bruxelles, il était parfaitement renseigné et le ministre de l'intérieur ne pourrait dire ni plus ni mieux que lui.
Mais, en un mot, que s'est-il passé à Etterbeek ? Le bourgmestre et les échevins ont fait obstacle, ont fait résistance à l'exécution de la loi ; est-ce vrai, oui ou non ? Se sont-ils opposés à ce que la loi sur la garde civique fût exécutée dans la commune d'Etterbeek ?
L'honorable M. Dumortier trouve que c'est là la liberté communale.
Je trouve, moi, que c'est l'anarchie communale, c'est de la révolte, sur un petit terrain, mais ce n'en est pas moins de la révolte ; c'est un exemple détestable donné par une administration communale, chargée de faire exécuter la loi. L'affaire n'a pas un caractère très sérieux parce qu'elle s'est passée sur un petit théâtre, mais transportons les faits sur un plus grand théâtre, au sein d'une de nos grandes villes et demandons-nous si les magistrats qui auraient agi comme ceux d'Etterbeek recevraient aussi l'appui de qui que ce soit.
La garde civique n'est pas populaire, dit-on, à Etterbeek, chez les magistrats communaux ; donc ils ont pu s'opposer à l'exécution de la loi sur la garde civique ; ils ont bien fait, la liberté communale est à ce prix.
Messieurs, il peut arriver que la milice aussi ne soit pas populaire dans une commune : viendrait-on glorifier également les magistrats qui, au sein de la capitale, par exemple, se seraient opposés à l'exécution de la loi sur la milice ? Et si d'autres villes, encouragées par cet exemple, se conduisaient de la même manière, je demande si nous ne serions pas en pleine anarchie ?
De pareilles déclamations ne peuvent être prises au sérieux par aucune personne réfléchie, sinon elles sèmeraient dans tous les esprits une véritable anarchie, et cependant elles émanent d'un organe du parti qui continue à se proclamer le parti conservateur.
Le gouvernement, messieurs, a mis dans cette affaire une patience, une résignation dont on pourrait plutôt le blâmer. Il a, pendant des années, assisté péniblement à ce spectacle d'une loi qu'on s'obstinait à ne pas exécuter dans une commune. Je concevrais qu'un ami des lois, un ami de l'ordre vînt reprocher au gouvernement cette inaction, cette sorte d'impuissance, mais lorsque, arrivé à cette dernière extrémité d'un acte matériel de résistance à la loi, le gouvernement ne prend pas même une mesure, mais remet l'affaire à l'autorité judiciaire, ou blâme sa rigueur, on l'accuse de violer la liberté ! L'autorité judiciaire agit dans sa pleine indépendance et voilà qu'on la traduit à la barre ; on traîne devant la Chambre l'autorité judiciaire, comme ayant violé la liberté communale ; voilà les discours d'un prétendu conservateur.
(page 905) Maintenant, je ne parle plus d’Etterbeek. L’affaire est jugée. L'anarchie a cessé. L'ordre légal est rétabli. Je ne sais si, comme le portent les journaux, il y aura de grandes fêtes à Etterbeek ; quant à moi, je m'associerai très volontiers aux démonstrations de joie qui pourront avoir lieu dans la commune, à l'occasion du rétablissement de l'ordre et de l'observation des lois.
Messieurs, il est deux questions plus importantes, sur lesquelles je demande à la Chambre de revenir pour un moment.
Hier, on a accusé le gouvernement d'avoir posé des actes d'illégalité en deux points, dans les élections qui ont eu lieu à Ixelles.
Le gouvernement, dit-on, a violé la loi en faisant procéder à des élections ou à des présentations de candidats successives sans observer les délais fixés pour les réclamations.
D'après les honorables adversaires que je combats en ce moment, voici probablement comment les choses devraient se passer :
Une garde civique est dissoute ; ou bien après la période quinquennale, la garde civique de tout le royaume est renouvelée ; tes gardes sont appelés à nommer leurs officiers ; dix jours leur sont accordés pour faire leurs réclamations ; la députation doit prononcer ; mais dans quel délai ? Sa décision peut se faire attendre pendant des semaines, pendant des mois.
Que doit faire le gouvernement si une réclamation se produit le dixième jour ? Il faudra suspendre les opérations qui doivent suivre les premières nominations ; il faudra attendre que la députation ait prononcé. Lorsque la députation aura prononcé, Dieu sait quand, il faudra un nouveau délai pour convoquer les électeurs. Eh bien, messieurs, je le conçois, je veux bien faire cette concession, et sous ce rapport je me rapprocherais assez de l'opinion exprimée par l'honorable M. Muller ; je conçois que, s'il s'agit d'une élection isolée, de la présentation d'un candidat lieutenant adjudant-major ou d'un lieutenant quartier-maître, le gouvernement, saisi de la proposition, attende dix jours avant d'y donner suite, pour s'assurer qu'il n'y a pas de réclamations, et s'il y a une réclamation, qu'il attende que la députation se soit prononcée. Je ne vois pas d'inconvénient d'attendre, s'il s'agit d'un fait isolé...
M. Muller. - Le gouvernement le doit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne le doit pas ; mais en fait, je n'y vois pas d'inconvénient.
- Un membre. - Cela n'est pas convenable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je le veux bien ; mais cela n'est pas obligatoire. Vous voyez que nous sommes bien près de nous entendre sur ce point...
M. Guillery et M. Goblet. - Non ! non !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, nous ne nous entendrons pas ; mais je crois avoir raison ; la loi est pour moi ; et, dans tous les cas, j'ai la pratique constante de tous les ministres.
Je dis que s'il s'agit d'une nomination isolée, je ne vois pas d'inconvénient à ce que le gouvernement attende que le délai des réclamations soit expiré ci que même la députation ait prononcé.
Mais il en est tout autrement lorsqu'il s'agit du renouvellement intégral de toute une légion, ou du renouvellement intégral de toutes les légions de la garde civique du royaume.
Le renouvellement intégral d'une légion suppose use série d'opérations successives qui se lient l'une à l'autre d'une manière indivisible. Si l’on doit subordonner les opérations qui doivent se succéder aux délais fixés pour les réclamations et à l'examen des réclamations par la députation, ainsi que je l'ai dit hier, vous n'arriverez quelquefois pas en cent jours à poser la dernière pierre de l'édifice de l’organisation de la garde civique, et j'y mets encore de la complaisance ; je suppose que la députation voudra bien faire droit, dans un bref délai, aux réclamations qui auront été présentées ; car s'il lui convenait de retenir l'affaire pendant un temps assez long ; si elle était obligée, par suite de recherches à faire, d'ajourner sa résolution, il arriverait que le gouvernement se trouverait dans l'impossibilité d'organiser la garde civique. Or, est-il de l'intérêt du pays que le gouvernement qui est parfois mis en défiance, notamment en ce qui concerna la garde civique, soit en quelque sorte le maître d'organiser ou de ne pas organiser une garde civique ? La loi sur la garde civique autorise le gouvernement à dissoudre les gardes civiques ; mais elle a pris, à cet égard, certaines précautions ; elle oblige le gouvernement à reconstituer dans un certain délai la garde civique qu'il a dissoute.
Eh bien, dans le système que l'on préconise, un gouverneur qui jouirait d’une certaine influence sur la députation et qui ne serait pas d’avis de procéder à la réorganisation d’une garde civique dissoute, pourrait faire traîner l’affaire en longueur, de manière que cette garde civique pourrait rester dissoute pendant des années.
Voilà un point sur lequel j'appelle l'attention de ceux qui se défient quelquefois de l'action du gouvernement.
Messieurs, lorsqu'il s'agit de la réorganisation de la garde civique on ne peut procéder autrement qu'on n'a procédé à toutes les époques où le gouvernement a fixé les jours où les élections, qui doivent venir les unes après les autres, auront lieu. Voilà en effet comment les choses se sont passées dans la pratique, sans avoir jamais provoqué des réclamations.
En 1848, au moment où la loi venait d'être votée, qu'a fait le gouvernement pour l'exécution de la loi ? Il a fixé les époques auxquelles les élections et les présentations des candidats devraient avoir successivement lieu : le 31 juillet, pour la première nomination ; le 7 août, pour la deuxième ; le 14 août, pour la troisième ; on n'a donc pas mis un intervalle de dix jours pleins entre les diverses élections. Toutes les élections dans le royaume se sont faites sur ce pied-là. Aucune réclamation ne s'est produite alors ; personne alors ne disait que le gouvernement violait la loi, en ne laissant pas un intervalle de dix jours entre deux élections.
En 1853, lorsqu'il s'est agi de renouveler le corps des officiers de la garde civique de tout le royaume, voici les dates qui ont été fixées pour les diverses opérations : le 28 juillet, pour la première nomination ; le 4 août, pour la deuxième ; le 10 août, pour la troisième ; le 12 août, pour la quatrième, et le 14 août, pour la cinquième. Il n'y a donc pas eu non plus un intervalle de 10 jours entre une élection et l'élection suivante.
En 1858, on a suivi la même marche ; jamais on ne s'est arrêté à l'idée de mettre dix jours d'intervalle après chaque élection. Jamais personne n'a réclamé ; jamais aucun officier, nommé dans ces conditions, ne s'est cru investi d'un mandat illégal, et l'honorable M. Goblet pas plus que l'un ou l'autre de ses collègues, n'a pensé que sa nomination avait été illégale.
On a découvert ceci tout récemment ; pourquoi ? parce que malgré notre désir de rétablir l'harmonie dans la commune, il y a eu lutte dans les élections de la garde civique, et le parti vaincu a découvert qu'on avait eu tort de ne pas attendre pour procéder aux élections des officiers supérieurs l'expiration du délai de dix jours accordé par la loi pour les réclamations contre les élections des officiers.
On n'a pas protesté dès le principe contre la convocation à jour rapproché ; ce n'est que par la suite qu'on a découvert que les convocations auraient dû avoir lieu à plus long intervalle.
A moins de vouloir renverser tout ce qui a été fait jusqu'ici, et de frapper d'annulation la garde civique telle qu'elle est constituée, on ne peut pas persister dans la thèse qu'on a soutenue. Voilà pour les convocations.
Une autre thèse qu'on a mise en avant aussi après coup, c'est celle-ci : les officiers nommés avant de procéder à des nominations ou à des présentations devaient prêter serment ; n'ayant pas prêté serment, les élections auxquelles ils ont procédé doivent être frappées de nullité, seconde illégalité.
Ici j'ai d'autant plus lieu de m'étonner, qu'en 1858, la même légion de la garde civique d'Ixelles a porté une réclamation à la députation permanente ayant pour but de faire annuler des élections faites par des officiers non assermentés.
C'est aussi le parti qui avait succombé qui s'était retranché derrière cette prétendue illégalité. La députation a repoussé cette prétention par un arrêté parfaitement motivé.
Pour ne pas prolonger ce débat, déjà trop long, je le ferai insérer aux Annales parlementaires.
(page 906) Cet arrêté et ses motifs démontrent, par des arguments auxquels on ne peut pas répondre, que les fonctions d'officiers ne commencent, comme fonctions officielles que quand ils prennent le commandement ; ce n'est qu'alors que le serment est exigé.
Dans la province de Liège, la question a aussi été soulevée ; la députation, dans un arrêté non moins fortement motivé, a repoussé cette prétention que les officiers pour procéder à des opérations électorales doivent avoir prêté serinent. Je ferai également insérer aux Annales parlementaires la décision et les motifs de la députation permanente de Liège.
Voilà en présence de quels faits le gouvernement s'est trouvé. Je crois qu'ici encore, mes honorables adversaires ne pourront pas persister à soutenir que la loi a été violée, parce que les officiers ont pris part à certaines nominations ou présentations avant d'avoir prêté serment. Jamais cela n'a eu lieu dans les élections précédentes.
En 1848, l'arrêté qui a convoqué la garde civique pour les élections contenait une disposition portant que les officiers nommés prêteraient immédiatement serment, pourquoi ? Parce que nous étions dans des circonstances où il importait que la garde civique pût être mise sur pied le plus tôt possible ; on a fait prêter serment aux officiels, pour qu'ils pussent remplir leur devoir à l'instant même. Dans les autres élections, le serment a toujours été prêté à une époque postérieure aux élections.
Ce n'est qu'après toutes les élections faites qu'on reçoit le serment des officiers, j'en appelle aux membres de cette Chambre qui appartiennent à la garde civique. Ce n'est qu'en 1848 qu'on a reçu immédiatement le serment.
Je crois qu'en présence de ces antécédents j'avais le droit de dire hier que, convaincu d'avoir exécuté la loi suivant son texte et son esprit, je continuerais, malgré les réclamations qui s'étaient élevées, à l'exécuter dans le même sens.
Cette déclaration m'a valu certains reproches auxquels je tiens à répondre en peu de mots.
Personne plus que moi n'accepte la liberté de discussion, je respecte les députés adversaires ou amis qui m'adressent loyalement des observations ; je ne mettrais pas un faux amour-propre à défendre une mesure que j'aurais prise si elle n'était pas conforme à la loi ou même aux convenances ; je ferais volontiers bon marché de mon amour-propre en présence de la loi ; or je désire que mes amis comme mes adversaires ne se méprennent pas si, sur les observations qui me sont présentées empreintes quelquefois d’exagération, je réponds avec un peu de vivacité. Je suis de bonne foi, et convaincu, mais jamais il n'enrie dans ma pensée de vouloir blâmer ceux de mes amis ou de mes adversaires qui, usant de leur droit parlementaire, présentent des observations qu'ils croient fondées.
Mais ils me permettront aussi de répondre quand je suis accusé de violer la loi et de répondre avec une certaine vivacité ; ils doivent même être contents de voir un ministre qui s'émeut devant une accusation d'avoir porté atteinte à la loi.
Après ces explications, l'incident qui a pris un peu de temps à la Chambre, viendra, j'espère, à tomber.
M. Hymans. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, quand je suis entré dans cette enceinte, j'avais pour l'honorable membre auquel je réponds, le plus profond respect ; j'avoue que, depuis, ce respect s'est singulièrement affaibli et ce n'est pas ma faute ; j'avais cru que trente années d'expérience parlementaire devaient être un précieux enseignement pour la jeune génération qui entrait dans cette enceinte. Je déclare que je me suis trompé, que chaque fois que je me suis laissé aller à un écart de paroles, c'a été en suivant l'exemple de M. Dumortier ou en répondant à ses provocations. A en croire l'honorable membre, il n'y a que lui dans cette enceinte qui sache aimer la liberté et qui sache la défendre. Quant à nous, chaque jour, nous confisquons une liberté quelconque ; cela devient une véritable monomanie, if faut en prendre son parti et il est une liberté que personne ne confisquera jamais ; c'est celle que prend l'honorable membre d'arranger à sa guise, à sa mode, les faits et les principes, et de dire des choses déplaisantes à des collègues qui ne l'attaquent pas.
Hier, l'honorable membre a trouvé mauvais que j'intervinsse dans ce débat, probablement parce que le hasard me mettait à même de connaître la question que l'on discutait.
J'ai parlé, à propos de ce qui se passait à Ixelles, des divisions que le gouvernement avait dû faire cesser, et l'honorable membre s'est écrié ; cela ne nous regarde pas ; et comme je citais, à titre de comparaison, deux partis bien connus dans notre histoire, l'honorable membre en a pris texte pour faire une mauvaise plaisanterie à mon adresse, plaisanterie dont la Chambre, du reste, a suffisamment apprécié le bon goût.
Une autre fois, avec un merveilleux aplomb, l'honorable membre est venu soutenir dans cette enceinte, sans qu'on eût le droit de s'en étonner, que toutes les libertés sont dues à son parti, que toutes les libertés sont d'origine catholique, y compris la liberté de conscience sous Philippe II, et la tolérance sous Joseph II.
Une autre fois encore, et ceci m'est tout à fait personnel, l'honorable membre, me répondant dans un débat que j'avais eu le droit de soulever, a inventé pour le besoin de la cause, un auteur dont il est venu se faire une autorité. L'honorable membre, ayant à justifier contre moi les Acta Sanctorum, est venu nous parler de l'opnion d’u savant anglais, d'un protestant que sa science avait porté à la chambre des communes et dont l'enthousiasme, à l'endroit de l'œuvre des Bollandistes, devait donner à la Chambre la mesure de mon ignorance. Le savant M. Rambler a été cité dans cette enceinte par l'honorable M. Dumortier. Or, le savant M. Rambler n'a jamais existé.
M. B. Dumortier. - Je le sais aussi bien que vous.
M. Hymans. - Vous le savez depuis que je vous l'ai appris ; et si vous le saviez le jour où vous avez dit à la Chambre que Rambler existait, je laisse la Chambre juge de la bonne foi dont vous ayez usé dans cette circonstance.
Le savant M. Rambler n'a donc jamais existé. Cela n'empêche pas que l'honorable M. Dumortier ne soit venu nous apporter son opinion.
Certes, après de pareilles erreurs, on devrait être un peu indulgent.
Et puis, il me semble que l'âge, l'expérience, l'autorité que l'on peut avoir dans une assemblée comme celle-ci, doivent être une raison d'indulgence envers de jeunes collègues. Au lieu de cela, l'honorable membre, abusant du privilège de son expérience et de son autorité, tout en vantant bien haut son amour pour la liberté, son amour pour la jeunesse (page 907) et pour tout ce qui s'élève, pour tout ce qui peut contribuer à l'honneur de cette assemblée et à la gloire du pays ; l'honorable membre, dis-je, ne néglige aucune circonstance pour venir ici, au profit de n'importe quel préjugé (car quand il y a un préjugé à défendre, il est toujours sur la brèche), attaquer tout ce qui s'élève et pourrait jeter plus tard une ombre sur sa gloire trépassée.
Certes, après l'exemple que j'ai cité tout à l'heure ; après le fait de M. Rambler qui passera à la postérité, qui sera recueilli sans doute par l'auteur des Supercheries littéraires, par l'illustre Quérard, il n'appartenait plus à l'honorable M. Dumortier de venir me rappeler l'exemple de l'Angleterre.
Quoi ! a dit l'honorable M. Dumortier,- celui à qui je réponds vient ici en toute circonstance, pour défendre les idées de liberté, citer l'exemple de la Grande-Bretagne. Il devrait savoir que dans ce pays qu'il affectionne, dont il admire les institutions et le gouvernement, le ministre qui poserait un acte comme celui qui a été posé à Etterbeek, serait immédiatement renversé, il tomberait sous la flétrissure unanime du parlement.
Eh bien, je dis que si, en Angleterre, le respect et l'amour de la liberté sont grands, le respect et l'amour de l'ordre sont également inscrits, sont également enracinés dans le cœur de tous les citoyens ; et je dis que si, à la tribune anglaise, un membre venait soutenir les principes que l'honorable M. Dumortier a défendus dans cette circonstance, il risquerait très fort, car en Angleterre on n'est pas aussi susceptible en matière de formes et de convenances parlementaires qu'on l'est en Belgique, de s'entendre traiter d'avocat de la révolte et de l'insurrection.
Eh bien, je dis que si, en Angleterre, le respect et l'amour de la liberté sont grands, le respect et l'amour de l'ordre sont également inscrits, sont également enracinés dans le cœur de tous les citoyens ; et je dis que si, à la tribune anglaise, un membre venait soutenir les principes que l'honorable M. Dumortier a défendus dans cette circonstance, il risquerait très fort, car en Angleterre on n'est pas aussi susceptible en matière de formes et de convenances parlementaires qu'on l'est en Belgique, de s'entendre traiter d'avocat de la révolte et de l'insurrection.
M. B. Dumortier (pour un fait personnel). - Messieurs, je crois devoir commencer comme l'a fait l'honorable préopinant. Quand il est entré dans cette enceinte, j'ai vu son arrivée avec satisfaction. Mais je n'ai pas tardé à reconnaître que je m'étais grandement trompé. Tous les discours qu'il a prononcés dans cette enceinte m'ont fait voir qu'au lieu d'un soutien de nos institutions et de la Constitution, nous avions parmi nous un grand agresseur. Presque tous les discours que l'honorable membre a prononcés depuis qu'il est dans cette enceinte, n'ont été qu'une attaque contre la Constitution, une attaque coure tout ce que nous avions de plus cher dans notre opinion et dans nos cœurs.
L'honorable membre n'est-il pas venu exprimer ici ses regrets sur la liberté d'instruction ? N'est-il pas venu exprimer ses regrets sur ce que la suprématie de l'Etat n'existait pas sur les idées religieuses ! N'est-il pas venu attaquer en plusieurs circonstances tout ce que nous respectons ? N'est-il pas venu, dans une autre discussion, vanter ici la suspension de la Constitution et prétendre que nous voterions tous une pareille chose, si elle nous était proposée ?
M. Hymans. - Jamais.
M. B. Dumortier. - Messieurs, quand j'ai entendu l’honorable membre professer de pareilles maximes, émettre des idées aussi opposées à toutes les traditions de la Belgique, aussi opposées à tous les sentiments belges, je me suis dit que ceiui que j'avais vu entrer avec plaisir dans cette Chambre, était une fatalité pour l'assemblée nationale, parce qu'il venait attaquer à chaque instant la bise de ses institutions.
Et lorsque nous entendons toutes ces attaques contre la Constitution, attaques qui jamais n'avaient été proférées avant lui dans cette enceinte, attaques dont il n'y avait pas d'exemple dans nos annales parlementaires, j'aurais dû rester silencieux, j'aurais dû écouter toutes ces choses et ne pas parler. En vérité, c'était trop fort ! [Interruption.)
Ah ! je sais fort bien que quand il s'agit d'une attaque contre les libertés qui touchent de près aux membres qui siègent sur les bancs de la droite, vous riez. Mais nous avons pour nous cette considération, c'est que quand les libertés qui vous touchent sont attaquées, nous ne rions pas, nous sommes avec vous pour les défendre.
Maintenant, l'honorable membre vient nous parler de fautes d'impression qui peuvent se trouver dans le Moniteur. Mais lisez le Moniteur d'aujourd'hui, vous en verrez encore. Je n'ai pas l'habitude, vous le savez, de corriger toutes ces fautes d'impression. Ne me fait-on pas dire qu'il y avait à Etterbeek des moules et des cabillauds ? Cependant ce n'est pas ce que j'ai dit.
Je sais l'on bien, et j'ai toujours bien su qu'il n'y avait pas un M. Rambler. Mais, ce que je sais fort bien, c'est que l'auteur de l'article du Rambler est un membre du parlement anglais, qu'il est protestant, et qu'il a rendu justice et éclatante justice à ces bollandistes que l'honorable membre, qui se dit historien, qui a dit écrivain, est venu ici traîner dans la boue.
J'ai dit que l'auteur de l'article était un membre du parlement anglais.
M. Orban. - Vous avez dit le savant M. Rambler.
M. B. Dumortier. - J'ai dit l'éditeur du Rambler.
M. Muller. - Vous avez dit trois fois M. Rambler et cela se trouve imprimé.
M. B. Dumortier. - Quand cela serait, qu'est-ce que cela prouve ? En supposant qu'il y aurait eu erreur, j'engage l'honorable membre auquel je réponds à ne jamais en commettre d'autres. Je l'engage surtout à ne plus venir attaquer dans cette enceinte nos institutions et tout ee que nous respectons. Alors il redeviendra l'homme que j'estimais auparavant.
M. Goblet. - Après les paroles conciliantes qu'a, prononcées M. le ministre de l'intérieur en terminant son discours, j'aurais mauvaise grâce de prolonger ce débat, si je n'étais convaincu de la vérité de la thèse que je soutiens, si je n'étais convaincu que les arguments que j'ai produits hier restent complètement debout.
On m'a blâmé d'avoir soulevé ce débat. On a prononcé à diverses reprises mon nom dans une réplique méditée. Cela ne m'aurait pas non plus engagé à prendre de nouveau la parole, si l'on n'avait pas encore répété que j'avais développé une thèse inopportune et insoutenable, si l'on ne m'avait pas accusé d'avoir défendu dans cette enceinte la rébellion.
Non, messieurs, je n'ai pas un instant songé à défendre la rébellion. C'est même parce que je n'ai jamais supposé que l'on pût sérieusement me prêter de semblables intentions, que je me crois en droit de déclarer que la violation de la loi, alors qu'elle vient d'en haut, mérite tout autant d'être signalée, que si elle venait d'en bas.
Je blâme de toutes mes forces les magistrats qui ont violé la loi ; mais je blâme avec non moins d'énergie, comme contraires à nos mœurs, à l'esprit de notre Constitution, les moyens que le gouvernement a cru devoir employer, en profitant peut-être d'un texte de loi équivoque.
M. le ministre de l'intérieur, en répliquant aux arguments que j'avais produits hier pour prouver que la loi organique de la garde civique avait été violée, a émis des hypothèses que je ne combattrai pas. Il a répondu à deux objections, mais il a laissé les deux plus graves dans le silence.
M. le ministre de l'intérieur a soutenu que l'article 52 de la loi sur la garde civique donnait bien un délai de dix jours pour réclamer contre les élections, mais qu'il n'y avait pas un texte de loi qui empêchât le gouvernement de nommer avant l'expiration de ce délai ; que, selon lui, en nommant avant que la députation permanente n'eût statué, avant que le délai de dix jours ne fût expiré, le gouvernement était dans son droit.
Ceci est une équivoque. Pourquoi a-t-on inscrit dans la loi un délai pour les réclamations ? C'est pour donner des garanties à l'électeur ; et dans notre système constitutionnel, si vous ne respectez pas tout d'abord les garanties des électeurs, vous sapez par la base le fondement de nos institutions.
Comment ! vous prenez un arrêté royal avant qu'on ait statué sur certaines réclamations, avant que les délais pour les réclamations soient expirés. Et que voulez-vous que la députation permanente fasse en présence d'un arrêté royal ? Cet arrêté royal, viendra-t-elle l'annuler ? Là est l'anarchie, M. le ministre de l'intérieur. Supposez un gouverneur qui, abusant de son influence sur la députation permanente, empêcherait cette députation de prendre une décision, cette hypothèse n'est pas possible. Car ce serait une plus grande anarchie encore, et le ministre qui souffrirait un gouverneur pareil, ne mériterait pas de siéger à son banc.
Quant au serment, c'est vrai, les députations permanentes ont décidé que l'on pouvait successivement procéder aux élections des officiers, sans que les premiers officiers nommés eussent prêtés serment, et que la prestation du serment pouvait se faire en une seule fois, après toutes les élections faites. Mais si un honorable membre a soulevé l'objection de la prestation du serment, ce n'est pas moi.
Maintenant il y a deux faits qui sont des violations graves de la loi, et ces faits, on passe à côté sans y répondre.
M. le ministre de l'intérieur a-t-il expliqué comment il se fait que, dans la même convocation, on a convoqué des officiers de bataillon pour nommer les majors et les médecins, et en même temps pour nommer les candidats lieutenants adjudants-majors et les candidats lieutenants quartiers maîtres. Comment pouviez-vous légalement convoquer ainsi des officiers qui n'existent même pas ?
La loi sur la garde civique dit positivement que les majors et les médecins doivent concourir à l'élection des candidats lieutenants adjudants majors et des candidats lieutenants quartiers-maîtres. Eh bien, quand vous avez fait votre convocation, ni les majors ni les médecins n'existaient ; et dans l'occurrence le fait est tellement patent que les(médecins de bataillon n'ont pas concouru à l'élection des candidats lieutenants quartiers-maîtres et des candidats lieutenants adjudants -majors jet si les majors y ont concouru ce n'est que par l'effet du hasard, parce qu'ils étaient déjà parmi les cadres nommés.
Bien plus, vous avez, dans cette circonstance, violé la loi d'une manière formelle. Vous avez rappelé les précédents, M. le ministre. Mais, qu'avez-vous fait en 1858 ! Vous avez convoqué le 10 août, par l'article 4 de l'arrêté que je vous ai lu hier, les officiers de bataillon pour nommer les majors et les médecins.
Et vous avez dans ce même article, de ce même arrêté fixé l'époque du 18 août, c'est-à-dire 8 jours après, pour la nomination des lieutenants adjudants-majors et des lieutenants quartiers-maîtres, et savez-vous pourquoi vous l'avez fait ? Pour obéir au texte formel de la loi, qui déclare qu'il doit y avoir cinq jours francs entre le jour de la convocation et le jour de l’élection. Dans le cas présent, à Ixelles, vous convoquez pour l'élection des majors et des médecins de bataillon, et le même jour, dans la même séance, vous procédez à l'élection des lieutenants adjudants-majors et des lieutenants quartiers maîtres. Où sont donc les cinq jours francs, exigés par la loi ?
Autre irrégularité, plus grave et dont on ne dit mot. Il y a une réclamation adressée à la députation permanente, les faits sont pertinents ; un officier est admis à voter sans en avoir le droit, car il ne (page 908) faisait pas légalement partie de la garde civique d'Ixelles ; il faisait partie de la garde civique de Bruxelles ; il est inscrit au rôle de la 4ème légion ; il demeure à Bruxelles et il paye la cotisation communale en cette ville.
La loi est formelle, il faut que l'on fasse partie de la garde civique de la commune la plus populeuse de celles où l'on réside, quand on a des résidences dans plusieurs communes. Ici il n'y a pas de doute possible, car cet officier n'habite que Bruxelles. Eh bien, il est nommé à Ixelles, où il ne peut pas légalement être inscrit sur les contrôles de la garde. Maie qu'importe ! c'est un officier bien pensant ; il vote comme on le désire.
Le samedi soir, la veille de 1 élection, le colonel de la 4ème légion reçoit l'ordre du général de la garde civique d'autoriser le détachement de cet officier.
Or, le général lui-même n'avait pas le droit d'autoriser ce détachement et l'officier n'avait pas le droit d'être nommé à Ixelles ni de concourir à la nomination des autres officiers. C'est là un abus de pouvoir des plus graves.
Maintenant M. le ministre invoque encore des antécédents. Qu'a-t-on fait aux élections de1848, aux élections de 1853 et aux élections dz 1858 ?
On a d'abord nommé alors tout l'état-major, et ce n'est qu'après cela qu'on a confirmé les candidats dans leurs fonctions effectives. Pourquoi a-t-on fait ainsi ? Parce qu'il y a une circulaire du ministre de l'intérieur qui porte qu'avant de nommer les lieutenants adjudants-majors et les lieutenants quartiers-maîtres, on nommera les capitaines adjudants-majors et les capi'ames quartiers-maîtres.
Il faut demander l’avis des chefs de corps pour savoir si les officiers, qui dépendent immédiatement d'eux, leur conviennent. A-t-on fait cela à Ixelles ? Non, on s'est empressé de nommer les majors et les médecins de bataillon, puis on a établi dans la même séance la liste des lieutenants adjudants-majors et des lieutenants quartiers-maîtres, sans donner aux derniers officiers nommés la possibilité de jouir de leur droit d'élection.
Ou a beau dire que c'est pour rétablir l'harmonie dans la garde civique. Des élections faites par 9 voix contre 8 et par 8 voix contre 7, ne prouvent pas que cette harmonie soit le moins du monde rétablie. Loin de là. On s'est dit : Nous nommerons le plus vite possible les lieutenants adjudants-majors et les lieutenants quartiers-maîtres. Ces officiers ne nous feront pas défaut lorsqu'il s'agira de procéder à l'élection de> candidats au grade supérieur. Nous avons le choix sur la liste formée par les bataillons et en nommant des hommes dévoués, nous obtiendrons non l'élection définitive, mais un bien plus grand nombre de voix pour le chef de notre choix. Voilà le système de M. le ministre de l'intérieur, voilà la pression.
Vous voyez donc bien, messieurs, que ce système libéral n'en est pas un ; il est tellement peu libéral qu'il n'est jamais entré dans l’esprit d’un ministre de l'intérieur, pas même de l'honorable M. Rqgier, d'en user dans d'autres circonstances.
Je crois en avoir dit assez, et la Chambre est peut-être fatiguée de ce débat. Je terminerai donc en soutenant ce que j'ai avancé, c'est-à-dire que dans les élections de la garde civique d’Ixelles, ni le texte ni l’esprit de la loi n’ont été respectés et que les élections ont été des plus irrégulières.
Ce n’est pas pour défendre une thèse personnelle, ce n’est pas pour défendre la cause d’un individu que j’ai pris la parole, et certes si j’avais voulu défendre la cause d’un individu, j’aurais soulevé le débat plus tôt. J’avais pris la résolution de ne parler des faits qui se passaient aux portes de la capitale, que s'il y avait, selon moi, violation expresse de la loi et j'ai attendu jusqu'à te que la violation se fût produite pour prendre la parole.
On a dit que je saisissais toutes les occasions pour exalter dans cette enceinte la garde civique. Messieurs, je n’ai jamais cherché l’occasion d’exalter une institution à laquelle je m’honore d’appartenir. Elle n’a pas besoin d’être exaltée, c'est une institution qui appartient à notre régime libéral et que chacun doit apprécier d'une manière convenable et digne.
M. Van Overloop. - Je désirerais avoir une réponse de M. le ministre de l’intérieur ou de M. le ministre de la justice sur un doute que soulève en moi l'arrestation du bourgmestre et des échevins de la commune d’Etterbeek.
Je constate d'abord le fait. Le bourgmestre, et les échevins d'Etterbeek ont été arrêtés pour avoir refusé de donner aux délégués de l'autorité administrative accès à l’école communale. Je crois que c'est bien là le fait.
Maintenant je demande si l’autorité administrative supérieure avait bien le droit de disposer de l'école communale ? Je crois que c'est là le vrai terrain de la question.
Il est incontestable que si l'autorité administrative supérieure avait le droit de disposer de l'école communale, on pourrait soutenir que le bourgmestre et les échevins tombent cous l'application de l'article 124 du Code pénal.
Mais si l'autorité administrative supérieure n'avait pas le droit de disposer de l’école communale, pour y faire procéder aux élections de la garde civique, je demande si le bourgmestre et les échevins ne pouvaient pas légalement refuser l'accès de cette école. C'est une question que je pose.
Il est certain que si le bourgmestre et les échevins avaient le droit de refuser l'accès à l'école communale, comme il n'y a pas de droit contre le droit, ils ne pourraient pas tomber sous le coup de l'article 114 du Code pénal.
Je place la question, messieurs comme vous le voyez, sous un tout autre point de vue. Je ne blâme ni n'approuve le gouvernement ; je désire uniquement qu'on fasse disparaître un doute qui est né dans mon esprit.
L'ordre de procéder aux élections dans l'école communale d'Etterbeek, cet ordre était-il légal ? Je voudrais qu'on me fît connaître quelle est la loi en vertu de laquelle l'autorité administrative supérieure a ordonné de procéder aux élections de la garde civique dans l’école communale. Si cette loi n'existe pas, il peut bien y avoir contravention aux ordres donnés par le gouvernement ; mais aujourd'hui, remarquez-le bien, il ne suffit plus que le gouvernement donne un ordre pour que l'autorité communale doive obéir.
Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Muller, il faut aujourd'hui que l'ordre soit appuyé sur la loi.
La seule question est celle de savoir si, oui ou non, l'autorité administrative supérieure avait le droit de donner à l'autorité communale l'ordre de laisser procéder aux élections de la garde civique dans le local de l'école communale. Je désire que le gouvernement s'explique à cet égard. Il y avait, selon moi, un moyen bien simple d« se tirer d'affaire. Que fallait-il pour prévenir les inconvénients dont on se plaint ? Aux termes de l'article 75 de la loi communale, le conseil communal doit délibérer sur tous les objets que le gouvernement soumet à ses délibérations.
Or, le gouvernement ne pouvait-il pas soumettre aux délibérations du conseil communal d'Etterbeek la question de savoir dans quel local de la commune auraientltieu les élections de la garde civique ? Le conseil communal aurait dû nécessairement délibérer ; et, comme la loi sur la garde civique met les dépenses d'organisation de cette garde à la charge des communes, l’autorité communale aurait été incontestablement obligée de fournir un local. Au lieu d'agir ainsi, qu'a-t-on fait ?
On s'est borné à donner l'ordre de procéder aux élections dans l'école communale d'Etterbeek. Avait-on le droit de donner cet ordre ?
Quel est le texte de loi en vertu duquel cet ordre a été donné ? S'il n'existe pas un semblable texte de loi, je dis que le bourgmestre et les échevins d'Etterbeek étaient parfaitement dans leur droit en refusant l'entrée du local de l'école communale.
Eh bien, dans cette dernière hypothèse, si réellement il n'y a pas de texte de loi qu'on puisse invoquer, à quelle conséquence doit-on arriver ? C'est que l'arrestation du bourgmestre est des deux échevins a été véritablement arbitraire, illégale.
Je le répète, je n'approuve ni ne blâme le gouvernement de ce qui s'est fait en cette circonstance ? Je ne connais que par les journaux ce qui s'est passé à Etterbeek.
Je demande une explication.
Il y a une question de liberté communale en jeu, quoi qu'on en dise. Je ne reviendrai pas sur la manière dont on a procédé. Quant à celle-là, je la trouve réellement exorbitante. Ici, je n'incrimine pas le moins du monde l'administration de la justice, mais j’incrimine l'administration proprement dite.
Il est certain qu'un procès-verbal, constatant un crime, a été dressé par l'autorité administrative ; que l’autorité administrative a transmis ce procès-verbal à l'autorité judiciaire, et que l'autorité judiciaire, usant de son droit d'appréciation, a cru qu'il y avait lieu d'agir. L'autorité judiciaire a-t-elle été induite en erreur par l'autorité administrative ?
Mais en tout cas, le point de départ est celui-ci : y a-t-il eu un ordre légal, oui ou non ?
Sous l'Empire, dès qu'un maire recevait un ordre quelconque de l'autorité supérieure, il fallait qu'il obéît ; et s'il n'obéissait pas, il tombait sous l'application de l'article 124 du Code pénal. Mais heureusement nous ne sommes plus sous ce régime : aujourd'hui, il faut que l'autorité supérieure respecte elle-même la loi, si elle veut que ses ordres soient respectés.
En Belgique, le Roi n'a plus d’autres droits que ceux qu'il tient de la Constitution et des lois ; un gouverneur certes n'a pas plus de droits que le chef suprême de l'administration.
En terminant, je demande au gouvernement, comme je l'ai fait en commençant, de fournir quelques explications de nature à dissiper les doutes qui se sont élevés dans mon esprit sur la légalité de l’arrestation du bourgmestre et des deux échevins d'Etterbeek.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, il y a dans cette affaire une confusion continuelle et complète de toutes choses et des autorités qui y sont intervenues, et de la compétence des pouvoirs que, dans la réalité, la chose concerne.
J'ai eu l'honneur de le dire hier à la Chambre ; le gouvernement auquel on impute tous les faits dont on se plaint, n'est même pas intervenu (page 909) dans l'affaire. Comme l'honorable M. Van Overloop et comme mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, je n'ai connu les faits que par les journaux, et cependant aujourd'hui c'est sur le gouvernement que l'on veut en faire retomber toute la responsabilité !
Dois-je répéter ce que j'ai dit hier, dois-je dire de nouveau comment les faits se sont passés et comment ils devaient se passer d'après nos institutions ?
La députation chargée de faire exécuter la loi sur la garde civique, délègue, comme elle en a le droit, une personne pour présider aux élections de la garde civique dans la commune d'Etterbeek ; cette personne se rend dans la commune ; elle y trouve de l'opposition ; elle y trouve un concert de mesures, contraire à la loi ou contre l'exécution de la loi.
Les faits tels qu'ils ont été constatés tombent-ils sous l'application de l'article 123 ou de l'article 124 du code pénal ? Je l'ignore ; mais enfin la loi n'a pu être exécutée.
En a-t-on référé au gouvernement ? Non ; et on ne devait pas en référer au gouvernement. Un procès-verbal constatant les faits a été dressé et transmis à qui ? A l'autorité judiciaire qui existe en vertu de la Constitution, et qui est chargée de réprimer les infractions à la loi.
Si l'on n'avait pas agi ainsi, il y aurait eu intervention abusive de la part du gouvernement. Qu'on ne vienne donc pas convier le gouvernement à faire de la justice une affaire administrative.
L'autorité judiciaire a procédé comme elle procède toujours. Le procureur du roi a fait son réquisitoire.
Le délit a été caractérisé, je pense, de concert contraire aux lois.
Maintenant, quels sont les différents actes qui constituent ce concert ? Je n'ai pas à m'en occuper, ce n'est pas à moi à le décider, cette appréciation appartient au tribunal comme il appartiendra également aux tribunaux de voir si les articles 123 et 124, condamnés par l'honorable M. B. Dumortier, sont abrogés ou non. La même autorité, l'autorité judiciaire aurait à examiner la question soulevée par l'honorable M. Van Overloop. Je ne l'examine pas, je ne la résous pas ; ce sera devant les tribunaux qu'elle devra être portée.
M. Guillery. - Messieurs, je suis parfaitement d'accord avec M. le ministre de la justice, en ce qui concerna l'application de la loi ; nous n'avons pas à nous occuper de cet objet, alors qu'il est soumis au pouvoir judiciaire.
Mais quant à la conduite des parquets, je persiste à croire que le ministre de la justice est responsable ; non pas que j'impute à M. le ministre de la justice d'être pour rien dans ce qui s’est passé ; mais je dis qu’il est constitutionnellement notre adversaire dans cette affaire.
En matière de presse, une circulaire, émanée du département de la justice, enjoint aux parquets de ne pas poursuivre sans en avoir référé au chef de la magistrature debout dans toutes les affaires qui tiennent à la politique, dans les affaires de la nature de celles qui nous occupent, il semble qu'on devrait toujours agir ainsi.
Si la loi qui concerne la détention préventive n'est pas exécutée, à qui devons-nous nous en prendre ? Nous devons nous en prendre, non pas au ministre de la justice personnellement, car plus que personne il a poussé à l'application de la loi ; il n'est peut-être pas un membre dans cette Chambre à qui l'on doive, sous a rapport, plus de reconnaissance ; mais je ne vois pas ici la personne des ministres, je vois le département de la justice ; si la loi ne s'exécute pas, je rends le ministre responsable de cette inexécution.
Or la loi ne s'exécute pas régulièrement dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles ; ce fait a été constaté officiellement dans une note adressée à la section centrale chargée de l'examen du budget de la justice. Il est donc important que la Chambre, soit à l'occasion du budget, soit à l'occasion d'un incident, précise quel a été le vœu du législateur, vœu qui est complètement méconnu.
Dans la pensée du gouvernement et de la législature en 1852, les mandats d'amener devaient été l'exception, même en matière de grand criminel et les comparutions volontaires devaient être la règle.
La loi de 1852 ne s'occupe pas, à la vérité, directement de cette matière ; elle ne s'occupe que de la période de l'instruction qui suit l'interrogatoire de l'inculpé devant le juge d'instruction ; au Sénat M. d'Anethan fit une observation à ce sujet ; il présenta même un amendement qui consacrait le principe que le juge d'instruction, même en matière criminelle, pourrait ne lancer qu'un mandat de comparution et non un mandat d'amener, c'est-à-dire adresser à l'inculpé une sommation à comparaître, mais ne le ferait pas arrêter par la force publique.
D'après l'article 91 du Code d'instruction criminelle, ce n'est qu'en matière correctionnelle que le juge d'instruction peut se borner à sommer l'inculpé de comparaître volontairement ; dès qu'il y a prévention de crime, il doit recourir au mandat d’arrêt.
L'amendement présenté par M. d'Anethan dans la séance du 28 janvier 1852, était ainsi conçu : « Le juge d'instruction pourra ne décerner qu'un mandat de comparution contre l'inculpé domicilié. » Cet amendement avait pour but de tempérer la rigueur de l'article 91 du Code d'instruction criminelle.
M. le ministre de la justice répondit que cet article dans la pratique n'était pas exécuté suivant la lettre, que les juges d'instruction, même en matière de grand criminel, ne décernaient de mandat d'amener que dans des cas graves exceptionnels.
M. d'Anethan répondit à M. le ministre que, vu cette déclaration explicite, l'amendement devenait inutile et qu'il le retirait.
Voilà, messieurs, quelle était l'opinion commune du gouvernement et de la Chambre à l'époque où la loi de 1852 a été votée. Le juge d'instruction, quand il est saisi d'une réquisition du parquet qui par parenthèse n'est pas toujours obligé de requérir quand on lui adresse une plainte et qu'il juge s'il doit mettre eu mouvement l'action publique, le juge d'instruction peut se borner dans tous les cas à une invitation de comparaître.
Lorsque la comparution a eu lieu, lorsque l'interrogatoire est terminé, le juge d'instruction a le choix, d’après les circonstances, ou de délivrer un mandat de dépôt, ou de laisser l'inculpé en liberté, s'il s'agit d'une matière correctionnelle ; et ce n'est même que dans des cas graves qu'il doit recourir à cette mesure, si l'inculpé est domicilié, en matière criminelle, à moins qu'il ne s'agisse de crime emportant la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité. Quand il s'agit de travaux forcés à temps, de réclusion ou de peine simplement infamante, le juge d'instruction peut encore laisser l'inculpé en liberté sur l'avis conforme du procureur du roi, alors que l'inculpé est domicilié.
Ici le ministère public s'est opposé à la mise en liberté ; s'il a requis un mandat de dépôt, le juge d'instruction n'avait pas d'autre moyen que de rendre une ordonnance par laquelle il se refusait à faire droit au réquisitoire du procureur du roi ; cette ordonnance étant frappée d'opposition, l'opposition devait être soumise à la cour d'appel et l'emprisonnement se trouvait prolongé par le fait seul du ministère publie.
C'est donc au parquet que revient la responsabilité de la manière dont la loi est exécutée. Or, je le demande, quand ou a fait une loi aussi équitable que celle de 1852, lorsque les circulaires ministérielles émanées du ministre actuel de la justice ont commenté cette loi, ont fait remarquer aux parquets que la détention préventive devait être l'exception, qu'il ne fallait pas ajouter des rigueurs inutiles aux rigueurs nécessaires de la loi, que la détention préventive n'a pour but que de s'assurer que l'inculpé se présentera devant ses juges, ne quittera pas le pays, qu'il ne préférera pas un exil volontaire à une comparution devant la justice : peut-on emprisonner des hommes domiciliés, prévenus de délits comme celui dont il s’agit et présentant toutes les garanties possibles ?
On a compris cela, on les a relâchés, grâce à l'intervention particulière de M. le ministre de l'intérieur ; je l'en remercie sincèrement au nom de la justice et au nom des principes.
Je ne rends pas les ministres personnellement responsables de ce qui s'est passé, mais je les en rends responsables constitutionnellement, attendu que je ne puis attaquer des personnes qui ne sont pas ici pour se défendre ; je suis obligé de m'adresser au pouvoir exécutif dans la personne de ses représentants.
Je ne veux pas rentrer dans le débat, j'ai voulu seulement, quant à la loi de 1852, préciser son sens et sa portée et engager fortement M. le ministre de la justice à persister dans la voie où il est entré et à amener dans les parquets des trois ressorts de Belgique l'exécution complète de la loi telle qu'on l'a voulue en 1852.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mon opinion sur la détention préventive est parfaitement connue ; j'ai rédigé personnellement la loi de 1852 ; je l'ai présentée aux Chambres, je l'ai défendue. Il ne dépendra pas de moi qu'elle ne soit mise en pratique selon son esprit. Mais je ne puis pas admettre ici les critiques que l'on a faites de l'acte qui a été posé dans la commune d'Etterbeek. Je ne puis accepter pour les magistrats qui sont intervenus les reproches qu'on leur adresse.
La loi de 1852 a maintenu l'arrestation provisoire pour certains cas graves et exceptionnels. La question est de savoir s'il s'agissait à Etterbeek d'un cas grave et exceptionnel. Je réponds : Oui, il s'agissait d'un cas grave et exceptionnel. Comment ! depuis douze ans le gouvernement ne peut pas faire exécuter la loi dans une commune ; le gouvernement y est bafoué, le désordre règne dans cette commune ; on s'obstine dans l'illégalité, et l'on viendra blâmer l'autorité judiciaire d'avoir pris des mesures énergiques !
Je ne suis pas plus que l'honorable M. Guillery partisan des rigueurs inutiles ; mais je ne pense pas que les mesures qui ont été prises aient ce caractère.
II faut que force reste à la loi. La liberté sans le respect de la loi c'est, en définitive, l'état sauvage ; ce n'est pas autre chose. Quand dans une commune ceux qui sont préposés à son administration résistent à la loi depuis 12 ans, il faut bien que l'on fasse cesser un pareil scandale. Je n'aime pas qu'on abuse de la détention préventive, mais s'il y a jamais eu un cas où l'on dût y recourir, c'était bien celui-ci.
Il fallait faire cesser le désordre, et pour atteindre ce résultat arrêter ceux qui l'entretenaient ; une fois la commune rentrée dans l'ordre, dans la légalité, on a pu être indulgent, et on a accordé la liberté provisoire à ceux qui avaient été incarcérés.
Après cela, j'accepte volontiers la responsabilité de l'administration qui m'est confiée, mais je ne puis aller aussi loin que le voudrait l’honorable M. Guillery, c'est-à-dire être responsable des appréciations de tous les procureurs du roi du pays.
(page 910) En matière politique la responsabilité incombe au gouvernement ; mais pourquoi ? Parce que le ministre, d'accord avec la législature, a prescrit aux parquets de n'exercer aucune poursuite en pareille matière sans l'avoir consulté et avoir obtenu son assentiment. Si un agent du ministère public poursuit sans consulter le ministre, et sans avoir obtenu son assentiment, il engage sa responsabilité vis-à-vis du gouvernement. Mais en matière ordinaire, il ne peut pas en être de même.
Comment le ministre accepterait-il la responsabilité des appréciations de tous les procureurs du roi ? Il ne peut pas apprécier ; il ne peut pas contrôler ! Chaque fois que l’on exercera des poursuites à Liège, à Bruges, à Arlon, à Mons, chaque fois qu'il y aura un emprisonnement préventif, comment voulez-vous que le ministre apprécie si le parquet et le juge d'instruction ont eu raison ou tort ? Cela dépend des circonstances, des localités, de mille choses que le ministre, qui est à Bruxelles, ne peut pas juger.
Le système de l'honorable M. Guillery ferait du ministre de la justice le directeur souverain des poursuites exercées pour tous les délits privés. Cela est impossible.
Je le répète donc, j'accepte volontiers la responsabilité de la marche générale des parquets en Belgique. Si continuellement un parquet abusait de la loi sur la détention préventive, je devrais prendre mes mesures ; certainement je serais responsable si je tolérais que systématiquement le procureur du roi méconnaisse l'esprit de la loi.
Je crois que ces observations suffiront, et que tout le monde reconnaîtra qu'elles sont conformes à l'esprit de notre régime constitutionnel et de nos institutions judiciaires.
- La discussion est close.
M. le président. - Il n'y a rien à mettre aux voix ; l'incident est vidé.
- La Chambre fixe sa prochaine séance à mardi à 2 heures.
M. Sabatier, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Morialmé à la frontière de France, dépose le aspport sur ce projet de loi.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - e propose à la Chambre de mettre la discussion de ce projet de loi à l'ordre du jour.
M. Sabatier. - Comme le terme imposé à la compagnie de l'Est expire le 31 de ce mois, je demande à la Chambre d'intervertir son ordre du jour, et de fixer la discussion à mercredi.
M. le président. - Il n'est pas certain que le rapport ait été distribué assez tôt. Le règlement exige trois jours d'intervalle entra la distribution du rapport et l'ouverture de la discussion. La Chambre statuera là-dessus mardi.
M. le président. - La discussion continue sur la pétition du sieur Fafchamps.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai demandé hier la parole, lorsque mon honorable collègue M. Lebeau a cité mon nom et a analysé plusieurs discours prononcés il y a environ quatre ans par MM. Brixhe et Lesoinne, hommes du métier et très compétents ; ces messieurs ont élevé leur voix dans cette enceinte en faveur de M. Fafchamps. Je persiste toujours dans l'opinion que j'ai énoncée il y a quelques années, et je partage toujours le sentiment que M. Fafchamps mérite une récompense nationale, d'autant plus que deux commissions ont été nommées dans le temps par le gouvernement. D'après leurs rapports, l'invention de la machine à traction directe est due à M. Fafchamps.
J'ajouterai que je n'ai pas entendu contester dans cette enceinte que la redevance des mines a été augmentée d'un demi-million par suite de l'invention de cette machine le total des 21/2 p c. sur le produit des mines paraît quintuplé.
Messieurs, après tout ce qui a été dit, il me paraît impossible que nous n'accordions pas à M. Fafchamps une récompense nationale, M. Fafchamps n'est pas seulement un homme de 1830, un homme qui a mérité la croix de Fer, c'est aussi un savant qui a rendu un immense service à son pays. Eh bien ! je crois qu'à cet homme nous devons accorder une pension, non pas une pension considérable, car M. Fafchamps n'a pas de prétention, mais une pension modeste qui témoigne au moins de la reconnaissance nationale. Il faut surtout que cette récompense lui soit promptement accordée ; car, comme on vous l'a dit il ne peut plus attendre longtemps ; il a au-delà de 75 ans.
M. B. Dumortier. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'autre jour contester l'invention si précieuse de M. Fafchamps, et j'ai voulu joindre ma voix à ceux qui réclament en sa faveur. Messieurs, en 1835, c'est-à-dire deux ans avant le brevet de son concurrent, je suis allé chez M. Fafchamps, sur son invitation, voir la machine d'exhaure à traction directe qu'il venait de faire, et qu'il devait envoyer en Russie ; je joins ce témoignage à tous ceux qui ont été donnés dans cette affaire.
M. Fafchamps a rendu des services immenses dans les houillères, et il est regrettable qu'un homme qui a rendu de pareils services et qui est arrivé à un âge très avancé, ne puisse pas jouir de son invention.
J'appuie donc les propositions qui vous sont faites et je me rallie aux honorables membres qui ont parlé dans le sens que j'indique.
M. Allard. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu répéter de nouveau par l'honorable M. Rodenbach que la machine d'exhaure à traction directe, dont M. Fafchamps prétend être l'inventeur, produit au trésor public une somme de 500,000 fr. annuellement, parce qu'il m'est impossible de laisser passer sans la réfuter cette assertion, qui a d'abord été émise par l'honorable M. De Fré.
M. Rodenbach. - Je n'ai pas dit annuellement.
M. Allard. - Les droits fixes et proportionnels sur les mines ont, dit-on, augmenté de 500,000 fr. depuis que M. Fafchamps a inventé sa machine ; c'est une erreur ; toutes les houillères n'emploient pas des machines d'exhaure à traction directe, et cependant je connais tels établissements qui ne s'en sont jamais servis, qui ont vu leurs droits fixe et proportionnel augmenter de 15 à 20 fois ce qu'ils étaient il y a trente ans.
J'avoue franchement que la machine d'exhaure de M. Fafchamps a rendu de grands services à l'industrie houillère ; mais il m'est impossible de lui attribuer des avantages aussi considérables que ceux qui ont été énumérés par l'honorable rapporteur.
C'est ainsi que l'honorable M. De Fré nous a dit, que « lorsqu'on a appliqué la machine de M. Fafchamps, on était obligé de faire des frais considérables de charbon, à l'effet d'extraire l'eau, et que d'un autre côté on était obligé d'employer aux vieilles machines un nombre considérable d'ouvriers, » Erreur, il ne faut qu'un mécanicien pour conduire la machine Fafchamps, comme il n'en faut qu'un pour diriger celles d'un autre système.
« L'ancien système qui était impuissant à faire disparaître l'eau des mines brûlait en pure perte une quantité considérable de charbon ; on économise aujourd'hui ce charbon. » .
Cela est vrai.
« Il résulte des documents fournis à la commission que par l'invention de la machine Fafchamps, les propriétaires des mines ont pu épargner journellement 17,740 ouvriers. »
La machine d'exhaure à traction directe n'épargne et ne peut faire épargner un seul ouvrier. Cette machine, et son nom l'indique assez, sert à l'épuisement des eaux. On n'a jamais employé des ouvriers pour remonter l'eau au jour. Dans certains établissements elle a remplacé des machines d'un autre système, qui, je le répète, n'avaient pas besoin de plus d'hommes pour les conduire, que la machine Fafchamps. Les ouvriers servent à l’abattage de la houille, il n'y a rien de commun entre leur travail et celui de la machine d'exhaure. 17,740 ouvriers supprimés !!! A 3 francs par jour, pour 500 jours de travail par an, voilà près de 16 millions gagnés par an, par les extracteurs par suite de l'invention Fafchamps !! Cela serait magnifique si c'était vrai, malheureusement cela n'est pas.
Puis on lui attribue toute l'augmentation des droits fixe et proportionnel et pour prouver que cette augmentation lui est due, l'honorable M. De Fré a donné un tableau des redevances payées depuis 1823. Si je divise ce tableau en quatre périodes, je vois que de 1823 à 1830, première période, les droits fixe et proportionnel ont varié de 82,000 à 103,000 fr.
Dans la seconde période, de 1831 à 1836 compris, les droits fixe et proportionnel ont diminué. Ils n'ont plus été que de 42,000 à 69,000 fr. malgré la machine Fafchamps.
Dans la troisième période, de 1837 à 1850, ces droits ont varié de 98,000 à 145,000 fr.
Enfin dans la quatrième période, de 1851 à 1859, ces droits ont varié de 195,000 à 665,000 fr.
Mais quiconque se trouve dans l'industrie houillère sait fort bien que, pendant ces quatre périodes, l'industrie a tantôt prospéré, tantôt langui, et que la machine Fafchamps n'a été pour rien dans ces revirements.
Je suis loin de m'opposer à ce qu'on accorde à M. Fafchamps une récompense nationale. Je reconnais, je le répète, que sa machine rend de grands services. Si on nous présente un projet de loi, je le voterai volontiers, si la somme qu'on proposera n'est pas, selon moi, hors de proportion avec le service qui a été rendu.
Je ne discuterai pas si M. Fafchamps est, oui ou non, l'inventeur de la machine d'exhaure. Ce n'est pas mon affaire.
M. De Fré, rapporteur. - J'ai d'abord un mot à répondra à l'honorable M. Allard.
Je me suis basé sur un extrait de la situation de la province de Liège pour 1856. Il résulte de cet extrait que, dans l'espace de vingt années, la production a augmenté considérablement avec des frais d'extraction beaucoup moindres. Cet exposé porte :« Il résulte de ces données que, dans l'espace de vingt ans, de 1835 à 1855, la production a quadruplé. » Et puis l'exposé entre dans de grands détails. Après avoir envisagé quels sont les autres avantages qui ont été introduits dans l'industrie minière, la députation permanente ajoute : « Cette disproportion s'explique par l'adoption du système de machines à vapeur (page 911) d'épuisement dites à traction directe, qui offre de grands avantages, et notamment une économie sensible dans la consommation du charbon. » Or, cette machine est le système Fafchamps.
La députation permanente constate encore que quand la production est plus grande, il y a moins d'ouvriers que lorsque la production est minime.
Voici ce que dit la députation :
Ainsi la production a pu tripler, la valeur quadrupler sans accroître le nombre de sièges d'extraction ; pour obtenir un résultat aussi favorable, il n'a pas été nécessaire de tripler le nombre des ouvriers ; car il était de 6,927 en 1835, de 10,955 en 1845 et de 17,933 en 1855 ; pour arriver au triple de 1835 à 1855, il aurait dû atteindre dans cette dernière année le chiffre de 20,781. Il y a donc une différence en moins, soit une économie de 3,548 ouvriers.
Or, comme les mines de la province de Liège constituent le cinquième des mines du pays, il faut multiplier le chiffre 3,548 par 5 et nous arrivons au chiffre que j'ai indiqué dans mon rapport.
Maintenant la base que j'ai prise pour faire ce calcul se trouve dans un document authentique.
L'honorable M. Allard vient de critiquer ce calcul ; si le calcul est mauvais, c'est que la base est défectueuse ; mais cette base, je le répète, est prise dans un document authentique.
Maintenant, je dois répondre à la proposition de l'honorable M. Van Overloop, qui avait demandé le renvoi à M. le ministre de l'intérieur. L'honorable ministre nous a dit qu'il n'avait pas la certitude que M. Fafchamps fût l'inventeur et qu'il ne croyait pas pouvoir demander pour lui à la Chambre une récompense nationale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans l'état actuel de la question.
M. De Fré, rapporteur. - La commission qui a examiné le rapport, qui en a débattu les motifs, la commission était convaincue de la situation d'esprit du ministre de l’intérieur.
Nous avions un document d'où il résulte que M. le ministre de l'intérieur ne croit pas, tout en respectant l'opinion contraire, saisir la Chambre d'un projet de loi ; dans cet état de choses nous avons préféré proposer le dépôt au bureau des renseignements afin que les membres de la Chambre qui veulent user de leur initiative puissent d'autant mieux le faire.
Nous n'avons pas proposé le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, parce que, pendant que M. le ministre de l'intérieur examinerait la question, il était impossible de saisir la Chambre d'un projet de loi.
Nous avons donc, tout en respectant l'opinion de M. le ministre de l'intérieur comme il respecte la nôtre, nous avons cru devoir, dans l'intérêt de la justice, proposer le dépôt au bureau des renseignements. Pour ces motifs, j'engagerai mon honorable collègue M. Van Overloop a renoncer à sa proposition.
M. Allard. - L'honorable M. De Fré soutient que la machine d'exhaure de M. Fafchamps a fait économiser 17,740 ouvriers. Je soutiens de nouveau que pas un seul ouvrier n'a été économisé. Malgré tous les rapports que nous avons entendus, la machine de M. Fafchamps ne fait que tirer l'eau, il faut tout autant d'ouvriers que précédemment pour extraire la houille, il n'y a rien de commun entre l'épuisement de l'eau et l'abattage de mine.
J'ai dû prendre la parole, messieurs, pour réfuter ces exagérations. Soutenir que la machine de M. Fafchamps a procuré aux exploitants de mines un bénéfice de près de 16 millions, parce qu'elle a fait économiser prétendument 17,740 ouvriers, c'est une exagération qui doit être réfutée, dans l'intérêt même de cet inventeur.
On dit encore que les droits rapportent 500,000 fr. de plus ; mais ces 500,000 fr. de plus représentent 20 millions, puisque l’Etat reçoit 2 1/2 p. c. des bénéfices ; ce serait donc en définitive 36 millions par an que rapporterait la machine d'exhaure de M. Fafchamps !! J'ai bien le droit de dire que ce sont là des exagérations.
M. Van Overloop. - En présence des observations que vient de présenter M. le rapporteur, je retire ma proposition et je me rallie au dépôt au bureau des renseignements afin que nous puissions user plus facilement de notre droit d'initiative et déposer un projet de loi.
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, plusieurs fois, quand de semblables pétitions arrivaient à la Chambre, j'ai eu l'intention d'appuyer la demande de M. Fafchamps ; maintenant, que plusieurs honorables collègues paraissent disposés à déposer une proposition de loi je suis prêt, si le gouvernement ne fait rien, à m'associer à eux ; et je vais en dire brièvement les motifs.
On a peut-être exagéré le mérite de l'invention ; mais il a été constaté, par des hommes compétents qui en avaient eux-mêmes recueilli les bienfaits, que cette invention a été extrêmement utile.
M. Allard. - Cela est vrai.
M. E. Vandenpeereboom. - Tout le monde est à peu près d'accord à cet égard.
Maintenant, je suis convaincu, d'après l'enquête administrative qui a été faite à ce sujet, et d'après toutes les pièces que j'ai eues sous les yeux, que M. Fafchamps est l'inventeur de ce procédé. Mais en supposant qu'il ne le soit pas, il est incontestable pour tout le monde, et je défie qui que ce soit de me contredire, que M. Fafchamps a tout au moins vulgarité l'invention et en a étendu l'application en Belgique.
Cela est démontré par des documents certains, par les brevets que M Fafchamps a obtenus, par les récompenses qui lui ont été décernées dans les expositions. Nier tous ces titres, c'est nier l'évidence.
Je n'ai pas, messieurs, l'honneur de connaître cet honorable inventeur ; mais je prends sa demande fortement à cœur, parce que, dernièrement encore, j'ai parcouru la liste des inventeurs malheureux, et que c'est une histoire à faire pleurer : c'est une véritable liste de martyrs. On venait aussi, de leur vivant, contester leur mérite ; on venait aussi dire qu'ils n'avaient rien dit, et ce n'est qu'après leur mort qu'on leur a rendu justice. Faut-il don»c qu'un homme soit mort pour qu'on ose dire ce qu'il vaut ?
Salomon de Caus invente la vapeur, il meurt pauvre. Philippe de Girard invente la filature mécanique du lin, pour laquelle Napoléon Ier avait promis un million de récompense, il meurt pauvre. Ce n'est que 50 ans après que ses neveux et ses nièces obtiennent des pensions viagères. Jacquard invente son fameux métier, qui a fait gagner des millions à la ville de Lyon et il meurt pauvre. Sauvage invente l'hélice-propulseur. Dallery la locomobile tubulaire et ils meurent pauvres. Le Blanc découvre la méthode pour fabriquer la soude artificielle ; vieux il va se chauffer aux fours de ceux qu'il a enrichis et il meurt pauvre. En y ajoutant un mot, on peut terminer la biographie de ces hommes de génie, par cette formule biblique : Vixit,... annos, et mortuus est... pauper .
D'ailleurs, faut-il nécessairement qu'un homme soit inventeur, pour mériter une récompense nationale ? Non, il suffit qu'il ait vulgarisé une méthode éminemment utile à des industries considérables. Liévin Bauwens n'a rien inventé ; mais il a, au péril de ses jours, tout au moins de sa fortune, importé les premiers métiers à tisser, et la grande ville de Gand bénit le nom et honore la tombe de cet illustre vulgarisateur. S'il vivait encore, qui oserait lui refuser une récompense nationale ?
Dans ce moment même, vous voyez en Angleterre Cobden, ce génie persévérant, grâce à qui un ministre s'est fait un nom immortel, en suivant la voie que Cobden avait tracée ; vous voyez ce grand citoyen être l'objet d'une récompense nationale, pour le dernier service qu'il a rendu à son pays. Une souscription a été ouverte en sa faveur ; une seule personne a souscrit pour 125,000 fr. ; les souscriptions ne peuvent pas être moindres de 12,500 fr., et l'on a déjà réuni un million. Cobden était-il un inventeur ? Non, il a vulgarisé des idées émises par vingt économistes ; il a fait transformer en fait ce qui n'était qu'une doctrine. Certes, c'est là la véritable récompense nationale, le concours de beaucoup d'individualités à une œuvre de reconnaissance commune. Mais, parce que nous n'avons pas encore cet esprit public vigoureux ; parce que chez nous l'initiative des intéressés, je pourrais dire des parties prenantes est plus endormie, faut-il qu'un homme qui a contribué largement au progrès reste sans récompense ?
Armstrong, l'inventeur du canon qui fait à présent l'effroi de ceux qui auront à se mesurer contre cette force nouvelle obtient une récompense du gouvernement britannique, et cependant son invention n'est peut-être que l'application d'un système, employé pour d'autres armes à feu. Il est anobli, pour avoir trouvé le moyen de rendre la guerre plus cruelle ; ci celui qui aurait aidé à rendre la paix plus productive, ne serait pas digne d'obtenir une faible récompense pécuniaire ?
Voyez le réformateur de la poste. Ce n'était pas une grande invention que de dire : Transportez à 10 centimes ce que vous transportez aujourd'hui à 40 centimes. Eh bien, Rowland-Hill a été élevé par son gouvernement aux plus hautes dignités, a obtenu les places les plus lucratives.
Je dis qu'il n'est pas nécessaire qu'un homme soit un inventeur ; il suffit, pour qu'il puisse aspirer à une récompense nationale, qu'il ait fait beaucoup de bien àa son pays ; qu'il ait propagé des méthodes et des procédés utiles ; qu'il ait contribué par là au développement de la prospérité nationale. C'est là une question de fait et non de principe à juger pour ce cas spécial, au point de vue de la convenance et de l'équité. Ce cas-ci ne doit pas faire précédent, pour des demandes qui ne seraient pas identiques.
On a dit : « Est-ce notre faute à nous, si la loi était mauvaise ? ! Non, ce n’est pas votre faute, et vous avez bien fait, en faisant voter une nouvelle loi ; mais il n'en est pas moins vrai que le pétitionnaire a été dépouillé de son invention.
On lui a contesté cette invention ; tous les inventeurs se sont vu contester la leur. A côté de toute abeille qui travaille modestement mais utilement, se trouve un frelon qui fait du bruit et qui pille.
Je pense que le gouvernement pourrait faire quelque chose ; mais si le gouvernement croyait devoir s'abstenir, je m'associerais a ceux de mes honorables collègues qui voudraient user de leur initiative pour déposer un projet de loi, et je leur demanderais la permission de signer ce projet avec eux.
J'ai reconnu qu'il vaut mieux qu'une telle proposition émane du gouvernement ; mais, dans le cas présent, introduite par initiative parlementaire, elle ne saurait être un dangereux précédent. Si beaucoup de pétitionnaires se présentent, ayant les mêmes titres, nous les admettrons avec le même esprit de justice, et à ce métier-là nous ne (page 912 ruinerons pas le pays. Si des indiscrets ou des intrigants nous arrivent, nous leur dirons : Attendez, comme Fafchamps, pendant trente ans, et puis venez nous voir, nous aviserons.
Je pense fermement qu'il y a des motifs graves, pour ne pas laisser sans satisfaction la demande qui nous est faite. De même qu'au palais on dit : Il vaut mieux dix coupables acquittés, qu'un seul innocent condamné ; de même on pourrait dire ici : Il vaudrait encore mieux pécher par trop de générosité, que de s'exposer au reproche odieux d'ingratitude nationale. Je pense que le gouvernement peut faire quelque chose ; s'il croit en conscience ne devoir rien faire, je croirai, moi, en conscience, pouvoir m'associer à mes honorables collègues qui formuleront un projet de loi et je le signerai avec eux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement n'a pas du tout l'intention de se pose, dans cette enceinte, comme un obstacle aux élans de générosité auxquels certains membres veulent se livrer. Au contraire, nous sommes très disposés à nous associer à tous les actes généreux de la législature.
Maintenant, si des membres sont pleinement convaincus que le sieur Fafchamps est véritablement l'inventeur.
- Des membres. - Il a rendu des services.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ah ! nous sommes prêts à nous entendre. Qu'est-ce que j'ai dit dans l'avant-dernière séance ? J'ai dit qu'il n'était pas démontré pour moi d'une manière incontestable que c'était à M. Fafchamps que revenait l'invention du procédé. Maintenant que le sieur Fafchamps ait aidé à l'établissement du procédé, je ne le nie pas et je ne l'ai jamais nié ; et c'est même à ce titre que l'administration s'est intéressée au sort du pétitionnaire.
Il ne faut pas non plus exagérer sa situation. Le pétitionnaire n'est pas réduit à la mendicité ; il ne faut pas venir faire ici des tableaux émouvants et qui ne sont pas exacts.
On a évoqué devant nous tous les inventeurs qui sont morts de misère on a cité notamment un inventeur qui avait été obligé d'aller se chauffer aux fourneaux qu'il avait lui-même inventés.
Messieurs, le pétitionnaire jouit d'une pension comme ancien capitaine, et d'une pension, comme décoré de la croix de Fer ; c'est un titre de plus à mes yeux. A diverses époques, le département de l'intérieur lui a alloué des indemnités plus ou moins considérables ; il y a un an encore, il a obtenu un subside d'un chiffre assez élevé. Nous ne sommes donc pas restés insensibles à la position du pétitionnaire, et nous n'entendons pas être, aux yeux des membres de la Chambre, hostiles à des velléités généreuses. Je n'accepte nullement cette position comme ministre ; je demande que la pétition me soit renvoyée ; je l'examinerai de nouveau ; je prendrai également connaissance du rapport de l'honorable M. De Fré, et si je reconnais qu'il y a lieu de gratifier M. Fafchamps d'un gage de gratitude nationale, je ne me refuserai pas à déposer un projet de loi.
Je demande donc que la pétition me soit renvoyée.
M. Muller. - Messieurs, en présence des intentions bienveillants que vient de manifester M. le ministre de l'intérieur, relativement à un projet de loi qui aurait pour résultat de récompenser M. Fafchamps, soit à titre d'inventeur, soit à titre de propagateur de la machine à traction directe, ou comme ayant rendu des services incontestables ou importants, je demanderai à l'honorable rapporteur de la commission s'il ne conviendrait pas de substituer au dépôt de la pétition au bureau des renseignements le renvoi à M. le ministre de l'intérieur : ce qui n'enlèverait en aucune façon le droit d'initiative aux membres de la Chambre.
C'est une simple observation que je faisais parce que je désirais que l'initiative de la présentation d'un projet de loi fût prise par le gouvernement.
M. E. Vandenpeereboom. - Je n'ai qu'un mot à répondre à M. le ministre de l’intérieur. Si j'ajoutais mon nom à ceux de mes honorables collègues qui se proposent de déposer un projet de loi, en faveur du sieur Fafchamps, je ne croirais pas faire un acte de générosité, je ne suis pas ici pour cela, je n'en ai pas le droit, mais je croirais faire un acte d'utilité publique.
Il y a toujours utilité publique à récompenser les découvertes utiles, car il y a tant de déboires et de déceptions, dans la recherche de procédés nouveaux, que les encourager par des récompenses justement données, c'est faire acte très utile à la généralité de la nation.
En m'associant à un projet de récompense pour le sieur Fafchamps.je ferais un acte de justice, de bonne politique et de bonne administration.
On me dit : Il n'est pas pauvre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit, il n'est pas dans la misère, loin de là.
M. E. Vandenpeereboom. - Mon regret qu'il n'ait pas encore été récompensé serait d'autant plus grand, si je le savais dans un état de gêne.
Quand il serait dans l'aisance, cela n'empêche pas de faire, à son égard, ce qui est juste. J'ai commencé par dire que j'avais attendu pour prendre la parole, dans cette affaire, parce que j'espérais que le gouvernement prendrait l'initiative de proposer quelque chose en faveur du pétitionnaire, et que je pense que, s'il y a quelque chose à faire, il est préférable que la proposition émane du gouvernement. D'après ce que vient de dire M. le ministre, je me joins à l'honorable M. Muller, pour demander qu'on renvoie, à M. le ministre de l'intérieur, la pétition ; sauf à nous, si dans un certain délai M. le ministre n'a rien fait, à mettre enjeu notre initiative.
Il n'est pas nécessaire pour cela de fixer une limite. Nous allons bientôt prendre des vacances. M. le ministre aura le temps de faire examiner l'affaire, si déjà il ne l'a ordonné, et de nous faire une proposition, s'il le juge convenable. S'il n'en fait pas, nous verrons de notre côté ce que nous aurons à faire. De cette manière le gouvernement reste libre de faire ce qu'il veut et les membres de la Chambre aussi.
M. De Fré, rapporteur. - Je demande à la Chambre la permission de répondre deux mots. Je dois dire que si les chiffres qui sont dans le rapport sont élevés, il ne s'ensuit pas qu'ils ne soient pas parfaitement établis ; ils sont puisés dans des documents authentiques.
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Pour ce qui concerne le renvoi au ministre de l'intérieur, je dois déclarer que comme rapporteur de la commission (nous étions 6 membres présents), je dois maintenir sa conclusion.
Voici pourquoi nous avons voté le dépôt au bureau des renseignements ; parce que depuis 1849 les renvois se font au département de l'intérieur, que depuis 1849 M. le ministre a examiné la question et qu'il est arrivé à cette conclusion consignée dans un document que la commission a eu sous les yeux, que dans l'état actuel de la question, il ne pensait pas pouvoir faire quelque chose pour M. Fafchamps. La Chambre doit donc user de son initiative.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De quelle date est ce document ?
M. De Fré, rapporteur. - De 1858.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A cette époque j'ai fait quelque chose.
M. De Fré, rapporteur. - Je parle ici comme rapporteur de la commission ; je dois dire pourquoi la commission a adopté le dépôt au bureau des renseignements, c'est afin de permettre à la Chambre d'agir par elle-même.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La Chambre peut agir comme elle l'entend, mais je ne puis pas laisser supposer que je n'ai rien fait pour le pétitionnaire, j'ai fait à plusieurs reprises comme je pourrai peut-être faire encore.
M. Muller. - Dans l'intérêt du sieur Fafchamps, après les paroles pleines de bienveillance de M. le ministre de l'intérieur qui, je l'espère, seront suivies d'un prompt effet, j'engage la Chambre à voter le renvoi proposé par M. Vandenpeereboom et moi.
- Le renvoi au ministre de l'intérieur est ordonné.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.