(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 791) (Présidence de M. Dolez.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Maeseyck prie la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Bilsen à Liège ou du moins de donner la priorité du tronçon de Bilsen à Tongres. »
M. Vilain XIIII. - M. le ministre des travaux publics ayant déclaré qu'il était dans l'intention de s'occuper de l'objet de cette pétition, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission avec invitation de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les secrétaires communaux du canton de Lennick-Saint-Quentin prient la Chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des réclamations des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse de prévoyance en faveur des secrétaires communaux.
« Le sieur Bernier demande que les biens possédés par des Belges à l'étranger ne soient pas soumis à l'impôt sur les successions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Ces secrétaires du canton de Westerloo demandent une loi qui fixe le minimum de leur traitement et qui leur accorde un subside sur les fonds du trésor. »
- Même renvoi.
M. le ministre de la justice adresse à la Chambre les pièces de l'instruction relative à la demande en naturalisation ordinaire du sieur Quering J.-B., fabricant de gants à Bruxelles. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
Il est procédé au tirage au sort des sections pour le mois de mars.
La discussion continue sur l'article 420.
M. le président. - La parole est à M. Carlier.
M. Carlier. - Comme je me propose de prendre la parole en faveur de l'amendement de M. Orts, si quelques-uns des membres étaient disposé à le combattre, je crois qu'il serait plus convenable d'en entendre un et que je prisse la parole ensuite.
M. le président. - Jusqu'ici les orateurs inscrits n'ont pas fait connaître le sens dans lequel ils se proposaient de parler.
M. Guillery. - Je me propose de parler en faveur de l'amendement de M. Orts.
M. Ch. de Brouckere. - J'ai demandé la parole pour le combattre.
M. le président. - La parole est à M. Ch. de Brouckere.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, l'orateur qui a pris le premier la parole dans cette discussion a dit qu'il était inutile d'être juriste pour apprécier et discuter les dispositions de l'article 420 du Code pénal et des articles 56 et 57 du Code civil qui s'y rattachent. D'après lui tout homme, quelque ignorant qu'il soit du droit, peut prendre part au débat. Je le remercie de cet encouragement. Mais il a ajouté que c'était une question qui devait se résoudre par la raison et par le cœur. Je crois que le cœur n'a rien à faire dans ce débat, et qu'il vaudrait beaucoup mieux appeler à notre aide l'expérience, c'est-à-dire l'observation de faits permanents, réguliers et pour ainsi dire journaliers.
Or nos adversaires se sont étayés de quelques faits tout à fait exceptionnels que leur réputation d'hommes de talent et d'hommes habiles à probablement jetés sous leurs pas ; ils ont appliqué leur raison au petit côté de la question, sans la voir telle qu'elle se présente dans la société.
Ainsi on vous a parlé des adultérins, on a cherché à vous apitoyer sur le sort de leurs mères. Mais, comme l'a dit l'honorable rapporteur, ou n'est pas présumé adultérin : tout enfant né dans le mariage est enfant légitime, jusqu'au jour où le fait de la naissance adultérine a été prouvé.
Mais, s'écrie-t-on, vous voulez donc perpétuer les procès scandaleux en désaveu ? Oui. Aimez-vous mieux qu'après la mort du mari la femme vienne effrontément placer dans la famille l'œuvre de sa culpabilité, et enlever aux enfants légitimes un tiers ou la moitié de la fortune de leur père ? Cela est-il plus moral ?
On vous a parlé de l'opinion de l'empereur Napoléon Ier, on a rapporté qu'il avait dit que l’Etat n'avait pas d'intérêt à ce que la filiation des enfants naturels fût connue et l'on vous a entretenus de la valeur d’un homme en 1804 et de la valeur d'un homme en 1810.
Nous sommes loin du temps où les enfants trouvés étaient considérés comme les enfants de la patrie, où le septième fils de famille était de droit le filleul du souverain !
Vous me permettrez d'ailleurs de croire que le législateur qui a fait le Code civil et qui a notamment introduit dans ce Code toutes les dispositions relatives à l'état civil, a eu pour but principal de ramenée l'ordre et la moralité dans la société et dans la famille. Nos honorables collègues veulent nous ramener au désordre, à l'anarchie en matière d'état civil.
On vous a parlé encore de l'opinion publique et l'on vous a dit : Si vous consultiez le public, tout entier il serait avec nous. Oui, certainement si vous vous adressez simplement à ses sentiments, à son cœur, il répondra oui avec vous.
Mais, si auparavant vous appreniez au public les conséquences de votre doctrine, si vous lui disiez : Tous ces enfants sans nom, c'est vous qui les élèverez ; c'est vous qui les nourrirez aux dépens de vos propres enfants, personne dans le public ne resterait avec nos adversaires.
Enfin, on prétend que la mère nommée ne constitue pas une filiation.
Cela est très vrai ; mais la mère une fois nommée, la reconnaissance s'obtient toujours sans la moindre difficulté, sans la moindre objection. Je l'établirai par des faits.
Messieurs, sortons des exceptions pour rentrer dans le vrai. Vivons dans le monde réel. Voici quelques chiffres que j'ai extraits de l'état civil de la ville de Bruxelles.
Les mêmes faits doivent se reproduire dans toutes les autres grandes communes du royaume.
En 1857, il y a eu 627 mariages, Il est né 5,600 enfants, dont 1,486 naturels et 17 enfants trouvés. Il en a été légitimé, dans le courant de l'année, 524.
En 1858, il y a eu 1,562 mariages, 5,562 naissances, parmi lesquelles 1,380 enfants naturels dont 441 ont été légitimés, plus 11 enfants trouvés.
Enfin en 1859, il y a eu 1,639 mariages, 5,302 naissances, dont 1,379 enfants naturels, parmi lesquels 522 ont été légitimés. Il n'y a eu que 3 enfants trouvés.
Ainsi en moyenne et en nombres ronds, il y a, année commune, l,600 mariages, 5,650 naissances, parmi lesquelles 1,410 enfants naturels, dont 500 sont légitimés, et il n'y a que 10 enfants trouvés.
En d'autres termes sur 160 mariages, il y a 5 légitimations et sur 5 enfants naturels il y en a plus d'un qui est légitimé.
(page 792) Veut-on déplacer ces nombres ? Veut-on substituer aux enfants naturels, des enfants trouvés ? Veut-on nous ramener, nous qui avons aujourd'hui au maximum dix enfants trouvés, au temps où nous en avions annuellement 300 à 400 ? Veut-on rendre les légitimations impossibles ou au moins difficiles et rares ? Veut-on rétablir plus que l'équivalent des tours qui ont été supprimés dans un grand nombre de villes ?
Et ici, messieurs, je demanderai la permission de faire une digression. Un orateur hier, à propos de Bruxelles, a prétendu que la question des enfants trouvés n'avait été étudiée nulle part. Il me permettra de lui répondre que, pour ma part, il y a plus de quarante ans que je me préoccupe du sort des enfants trouvés ; que dès 1823 j'ai puissamment contribué à la suppression d'un tour et que pendant les sept années subséquentes, j'en ai suivi toutes les conséquences dans leurs plus petits détails. Je crois, messieurs, que nous sommes plutôt ici pour éclairer de nos lumières les questions qui sont à l'ordre du jour, que pour faire la guerre à l'ignorance ou aux connaissances de nos collègues sur des questions étrangères au débat.
Messieurs, d'après le système qu'on préconise, les enfants naturels n'auraient pas de nom. Si les enfants n'ont pas de nom, comment ces 500 enfants qui sont légitimés annuellement deviendront-ils des enfants légitimes ?
Comment pourra-t-on les reconnaître ? On se fatiguera des difficultés, des ennuis, de l'argent qu'il y aura à dépenser et l'on passera outre. Ou bien on trouvera un officier de l'état civil peu scrupuleux et qui sur la simple déclaration d'une femme quelconque, admettra la reconnaissance d'un enfant dont le nom n'a aucun rapport avec le sien.
Et alors l'enfant changeant de nom, il faudra l'intervention de la justice, un jugement qui accorde le changement de nom, et puis la légitimation pourra suivre. Plus tard les procès fourmilleront. Les enfants nés en légitime mariage rechercheront l'origine de ceux qui auront été légitimés. Il en résultera des procès beaucoup plus scandaleux que les procès en désaveu.
J'ai dit que les enfants trouvés deviendraient la règle et que les enfants naturels deviendraient l'exception, et j'invoque, à l'appui, des faits pertinents.
Autrefois, se laissant aller au sentiment, n'écoutnt que le cœur, l'administration des hospices de Bruxelles avait ouvert la maternité à tout venant. Toute femme qui était dans son neuvième mois de grossesse entrait à l'hospice de la maternité, et il était défendu au directeur et aux préposés de lui demander son nom, sa qualité, son origine. A peine était-elle accouchée, que, sous prétexte de prévenir les maladies qui, je le reconnais, se présentent de loin en loin dans les maternités, on enlevait l'enfant à la mère, on lui donnait une nourrice. Et puis au bout de neuf jours, la mère sortait seule. Elle ne réclamait pas un enfant qu'elle n'avait jamais recueilli et cet enfant allait aux enfants trouvés.
Plus tard et successivement ces dispositions ont été modifiées. D'abord on n'a admis personne à la maternité (sauf péril) sans connaître bien son identité par ses nom et prénoms, par son domicile, par son lieu de naissance, par sa profession.
Ensuite, autant que possible, on a encouragé le recueillement. La mère recueille son enfant, et quand elle l'a recueilli, elle demande à le nourrir et toutes les fois qu'il n'y a pas de cause médicale qui s'y oppose, il est satisfait à cette demande naturelle. Aussi jamais plus la mère n'abandonne son enfant ; elle sort avec lui ; on l'aide s'il faut l'aider, mais enfin l'enfant n'est pas privé des soins de sa mère ni de son état civil.
Bien plus, on exige que la femme ait habité Bruxelles assez longtemps pour qu'on ait la certitude qu'il n'y a pas calcul de sa part, qu'elle n'ait pas prémédité le délaissement de son enfant.
Il est résulté de ces mesures qu'au lieu de 1,400 naissances, il n'y en a plus que 300 par année dans l'hospice, sans qu'aucune des prévisions de ceux qui avaient ordonné les mesures nouvelles dans l'intérêt même de l'humanité aient été déçues ou amoindries.
Mais, messieurs, à côté de la maternité, il y avait un inconvénient bien plus grave ; il y avait les maisons d'accouchement. Je ne les confonds pas toutes dans ma manière de voir, mais la plupart de ces maisons ne sont que des autres de vice et d'immoralité.
Là, messieurs, le nom de la femme n'est pas un secret pour ceux qui tiennent la maison ; il ne l'est pas davantage pour les domestiques, pour les autres pensionnaires, ni pour les nombreux visiteurs qui fréquentent la maison.
Le nom est connu de tout le monde, l'accouchement est public, il est dérobé seulement à l'autorité pour se donner la faculté d'abandonner l'enfant, d'en faire un enfant trouvé.
Oui, c'est sous le prétexte de secret que les matrones venaient déclarer un faux nom à l'état civil ; ou, ce qui était beaucoup plus simple, qu'elles allaient déposer l'enfant au tour. Je connais des femmes qui déposaient jusqu'à 8 ou 10 enfants dans un mois au tour.
Grâce à l'amendement, les maisons d'accouchement reprendront leur ancienne vogue. Il n'en sortira que des enfants trouvés.
Bien plus, les filles-mères accoucheront chez elles et feront déclarer leurs enfants sous des noms de fantaisie à l'état civil. Encore une fois, elles feront des enfants trouvés.
Mais la connaissance du nom de la mère n'établit pas la filiation. Eh bien, le nom entraîne nécessairement et volontairement la reconnaissance. Bien des fois j'ai été moi-même à la maternité pour demander aux femmes qui s'y trouvaient : « Est-ce votre enfant ? Voulez-vous le reconnaître ? Avez-vous une objection quelconque ? » La réponse était toujours satisfaisante et la reconnaissance se faisait sur les registres de l'état civil, jamais je n'ai entendu une objection de la part d'aucune mère contre la reconnaissance de son enfant.
Messieurs, dans le système de nos adversaires, il y aura beaucoup plus d'enfants légitimes dépouillés de leur qualité, qu'il n'y aura de mères victimes de la publicité. Ces dernières seront extrêmement rares ; tandis que le nombre des enfants légitimes qui deviendraient enfants trouvés sera relativement assez considérable.
J'ai eu l'honneur de vous parler d'un établissement dont je me suis préoccupé dès 1823 ; eh bien, j'ai acquis la preuve évidente qu'un grand nombre d'enfants légitimes se trouvaient dans cet établissement. Aussi je le dis à regret, dans les familles peu morales et à ressources bornées on trouvera dur d'élever un quatrième, un cinquième ou un sixième enfant ; la mère quittera le domicile conjugal, elle ira accoucher çhez un tiers, et, sous le prétexte du secret, l'enfant n'aura pas de nom et l'on en fera un enfant trouvé.
Si je n'avais pas eu chez moi cent fois des parents qui m'ont demandé à pouvoir déposer leurs enfants à l'hospice des enfants trouvés, je n'oserais pas employer un pareil argument ; si je ne savais pas que dans les classes les plus déshéritées on est d'une habileté extrême à disséquer nos lois, quand il y a pour elles un intérêt en jeu, je ne parlerais pas encore de la sorte.
Il n'y a pas un seul pauvre, par exemple, qui ne connaisse mieux que vous toutes les dispositions relatives au domicile de secours ; ils savent tous comment et quand on acquiert un nouveau domicile ; ils commentent les dispositions de la loi, ils recherchent les moyens de l'éluder. Eh bien, ils sauront également qu'il n'y a plus de nécessité de déclarer les enfants sous leur nom à l'état civil, qu'il y aura des moyens de se soustraire aux obligations de la nature ; vous verrez derechef pulluler les enfants trouvés ; vous verrez mettre en action le système : Croissez et multipliez per fas et nefas.
Messieurs, je me préoccupe peu de rares exceptions qui peuvent compromettre une famille par suite d'une faute ; mais je me préoccupe beaucoup des faits qui se produisent journellement ; je viens de vous en donner la preuve pour une seule commune, où nous avons 1 1/2 enfant naturel par jour.
Je me préoccupe aussi de la société, de l'ordre que l'état civil y a établi, de la moralité et de l'union dans la famille.
Il reste une question à examiner, c'est celle des médecins : « On veut, dit-on, transformer les médecins en agents de police. »
Dieu nous en garde ! le médecin consciencieux, le médecin honnête homme dira à sa cliente : Voici ma position ; je ne puis pas vous accoucher et garder le secret ; de deux choses : où il faut aller ailleurs ; ou, si vous voulez de mon ministère, il faut que je fasse la déclaration.
Mais si un cas d'une gravité extrême se présentait, le médecin ferait ce que fait le prêtre in extremis ; le prêtre marie in extremis, quoiqu'il sache qu'il doit encourir une pénalité.
Eh bien, le médecin accouchera en gardant le secret à la mère et il encourra la pénalité ; ou bien encore il donnera un conseil à sa cliente ; il lui dira : « Allez à quelques lieues d'ici, dans une commune où votre nom est ignoré, et votre nom sera inscrit à l'état civil, sans que personne en ait jamais la moindre connaissance. »
Toutefois, j'aurais voulu un amendement ; mais c'est un amendement qui n'est pas en discussion.
J'aurais voulu que toutes les fois que la femme accouche hors de son domicile, la première personne, tenue de faire la déclaration, ne fût ni le médecin, ni la sage-femme, mais le locataire principal de la maison ou de l'appartement que la femme occuperait. De cette manière, je mettrais un terme au scandale des maisons d'accouchement. Je voterai contre l'amendement, objet du débat.
page 797) M. Carlier. - Messieurs, je désirerais restreindre l'amendement de l'honorable M. Orts. Je voudrais qu'il ne put s'appliquer qu'aux femmes qu'un instant d'égarement a entraînées à commettre une faute, et dont la réputation devrait être inhumainement sacrifiée dans le système du gouvernement ; je désirerais au contraire en enlever le bénéfice aux femmes perdues de mœurs et de réputation, qui ne font mystère ni de leur honte ni de leur grossesse et qui en cachant leur nom à l'état civil n'ont d'autre but que de mettre à la charge de la bienfaisance publique les malheureux êtres auxquels elles donnent le jour.
Mais cet amendement s'harmonise si parfaitement avec toute l'économie de notre loi civile ; il forme une conséquence tellement logique et tellement inévitable des règles pratiquées en matière de reconnaissance des enfants naturels ; que cet amendement doit rester entier et qu'il faut le voter dans son ensemble à peine de manquer de logique et de créer une antinomie véritable entre le Code civil et le Code pénal.
L'honorable préopinant l'a parfaitement compris, et tout en s'opposant à l'admission de l'amendement, il vient de signaler l'une des meilleures raisons qui puissent le faire admettre. Pour compléter l'article 420, a-t-il dit, il faudra modifier le Code civil.
La preuve de la logique parfaite de l'amendement que j'appuie est facile a fournir ; il ne faut pour la produire ni se placer au petit côté de 1« question, ni recourir à une dialectique bien habile ; il suffit de savoir lire les articles 334 et 336 du Code pénal.
Toute la question est une question de texte, notre argumentation n'interprète pas, elle se contente de citer.
Eh bien, la lecture de ces deux articles prouve à toute évidence que la désignation du nom de la mère, sans sa reconnaissance et sans son aveu, dans l'acte même de l'état civil ou dans un acte authentique, n'a aucun effet à l'égard de la mère ; qu'elle n'a créé aucun lien légal, aucune filiation utile entre la mère et l'enfant ; qu'en un mot, et pour en revenir à l'expression si vraie de notre honorable président, l'acte qui contient cette déclaration n'est qu'un chiffon inutile dont l'enfant ne pourra jamais se prévaloir.
Mais si, dira-t-on, la recherche de la maternité est permise, et l'acte qui indiquera le nom de la mère sera un commencement de preuve qui facilitera à l'enfant cette recherche et la preuve qu'il est né de la femme à laquelle son acte de naissance l'attribue.
Nullement, voyez les articles 341 et 1347 ; pour ces règles encore ne faites que lire, n'interprétez pas, et vous reconnaîtrez que l'acte auquel la mère n'aura pas prêté son concours ne pourra même pas servir pour le commencement de preuve par écrit, impérieusement exigé pour l'admissibilité de la preuve de l'accouchement de la mère et de l'identité de l'enfant.
La déclaration, la dénonciation même, que le nouvel article exige n'aura donc aucune valeur, aucune utilité légale ; elle ne donnera pas une mère au nouveau-né ; elle ne lui donnera pas non plus le moyen de reconnaître sa mère ; cette déclaration sera donc infructueuse, stérile et elle ruinera sans profit, per fas et nefas, l'honneur et la réputation des familles.
Le système de l'amendement est donc bien logique, bien d'accord avec notre législation civile, il faut l'admettre tout entier, et son rejet pour l'admission de l'article 420 du projet du gouvernement n'aboutirait qu'à une inutile antinomie.
Mais puisque l'on nous accuse de ne voir que le petit côté de la question et de délaisser les intérêts si considérables de la société au profit d'une mesquine question de droit, ou d'un sentiment exagéré de commisération ; examinons si le système de l'honorable M. Orts sera si funeste aux graves intérêts que cette question met en jeu.
La plus grande intéressée, je le reconnais, c'est la société, et son mobile est double, triple même.
Mais son premier devoir, c'est d'assurer, de protéger l'existence des citoyens. Primo vivere ! Dans le système du projet, l'existence de deux personnes sera mise en péril ; dans notre système, ces existences seront protégées.
Et en effet, si la mère est l'une de ces malheureuses femmes qu’un instant d’égarement a entrainées, mais qui ont conservé assez de pudeur et de vertu pour vouloir cacher leur déshonneur ; elle poussera le courage jusqu'à risquer sa vie et celle de son enfant plutôt que de n'obtenir des secours qu'au prix d'une révélation qui achèverait de la stigmatiser.
Permettez au contraire à l'homme de l'art de conserver le secret que la malheureuse sera forcée de lui confier, et les jours de la mère et les jours de l'enfant seront protégés et sauvés.
Que l'on ne dise pas que l'adoption de l'amendement facilitera les infanticides. Jamais on ne voit l'infanticide se produire après que la mère a reçu les secours de l'homme de l'art. Quand il se commet, c'est dans le secret et dans l'ombre, et la funeste pensée de cacher la honte ou le crime naît, hélas ! dans le cœur de la mère et se consomme par ses mains.
Quand l'homme de l'art est appelé à l'accouchement, l'idée de l'infanticide ou n'existe pas ou a disparu.
Ce n'est pas de notre temps que le crime oserait effrontément réclamer le concours d'un honnête homme. Ce n'est pas de notre temps qu'il oserait affronter le regard de celui-ci, alors même que la loi rigoureuse du secret lui assurerait l'impunité. A ce point de vue notre système mérite la préférence.
Le second mobile qui doit pousser la société, c'est d'assurer l'ordre social même et pour cela de donner aux enfants un état social.
Mais en ceci encore, le projet du gouvernement n'assure rien, j'ai prouvé tout à l'heure que la déclaration du nom de la mère sans l'aveu, sans la reconnaissance de celle-ci, était inopérante.
Aucun de nos adversaires ne pourra combattre cette idée ; tous devront reconnaître l'inanité juridique de la déclaration du nom de la mère sans la participation de celle-ci ; pourquoi dès lors exiger cette déclaration inutile ; pourquoi l'exiger, même au prix de la honte et de l'infamie ?
Certes si cette déclaration devait assurer l'état civil de l'enfant, il faudrait la vouloir et l'ordonner ; mais tandis que cette déclaration sera impuissante, elle ne sera qu'une cruauté sans profit.
La société a un troisième motif de rechercher la reconnaissance des enfants. En les reconnaissant, les parents s'engagent à pourvoir à leurs besoins ; le défaut de reconnaissance au contraire les laisse à la charge de la bienfaisance publique.
Cela est vrai.
Mais observez, messieurs, que l'obligation que la loi impose à cet égard aux parents, ne commence qu'avec la reconnaissance de l'enfant, et comme je crois vous avoir démontré que la déclaration du nom de la mère n'équivalait nullement à une reconnaissance ; qu'elle n'établissait entre la mère et l'enfant aucun lien légal ; que partant cette déclaration n'obligerait nullement la mère à nourrir et à soigner son enfant, il est certain que cette déclaration n'apporterait aucun soulagement aux établissements de bienfaisance chargés de recueillir les enfants trouvés ou abandonnés.
L'honorable préopinant nous disait tout à l'heure, que de la déclaration du nom à la reconnaissance de la mère il n'y a qu'une bien faible distance et qu'à la maternité de Bruxelles les femmes dont le nom était déclaré ne faisaient aucune difficulté de reconnaître leurs enfants.
Cela ne prouve absolument rien contre nous. D'abord les femmes qui veulent cacher la honte d'une grossesse illégitime ne vont pas s'afficher dans les salles d'un hospice ; ensuite les femmes qui veulent reconnaître leurs enfants ne demandent pas que leur nom soit tenu secret, et il ne s'agit que de celles-là dans l'amendement.
Après l'intérêt de la société, vient celui de l'enfant.
Est-il bien de son intérêt de connaître le nom de sa mère quand celle-ci veut le cacher ? De deux choses l'une, l'enfant est naturel ou adultérin ; on ne cache pas son nom à son enfant légitime, ceci n'a pas besoin de démonstration.
L'enfant est donc adultérin ou naturel. S'il est adultérin et que la déclaration fasse connaître son adultérinat, l'officier de l'état civil devra la repousser, il lui est défendu de l'admettre ; la déclaration sera donc inutile.
Si au contraire elle ne fait pas connaître l'adultérinat, la femme dont il sera question ne cachera pas son nom ; elle ne sera donc pas protégée par l'amendement qui encore une fois n'a lieu que quand la femme veut cacher son nom et demande le secret ; mais dans ce cas, la déclaration de l'enfant sous le nom du mari trompé introduira un bâtard adultérin dans la famille légitime ou forcera le mari à une action en désaveu, à un scandale et à des conséquences bien plus funestes pour l'enfant que celles qui résulteraient du silence gardé sur le nom de sa mère.
On nous parlait hier de la honte que les enfants trouvés éprouvaient en avouant leur état ; la honte de l'enfant désavoué et chassé de sa famille, serait-elle moins grande ?
Si l'enfant est simplement naturel, la déclaration du nom de sa mère et la reconnaissance de celle-ci le rendront incapable de recevoir des legs ou des donations, si ce n'est dans les limites étroites fixées par le Code ; selon certains jurisconsultes, elles le priveront même du bénéfice de l'adoption.
Il y a bien là autant de raisons pour l'admission de l'amendement, que l'on a pu vous en donner d'ailleurs pour son rejet.
J'en viens, messieurs, au troisième intérêt mis en jeu.
Celui de la famille ; celui de la mère. Encore une fois je reconnais que si la déclaration du nom de la mère devait donner à l'enfant un état civil incontestable, fermant nos cœurs à la pitié, mettant par-dessus toutes considérations les intérêts puissants de la société et de l'enfant, nous devrions exiger la déclaration du nom de la mère ; mais cette déclaration sera stérile ; elle plongera inutilement d'honorables familles dans la honte et dans la désolation ; je ne puis accepter cette rigueur stérile et je voterai l'amendement.
(page 793) M. Tack. - Messieurs, convient-il d'obliger les déclarants aux actes de naissance, quels qu'ils soient et dans toutes les hypothèses, à faire connaître non seulement le fait de la naissance, mais encore à indiquer le nom de la mère ? Telle est la question que vous avez à résoudre, posée dans toute sa généralité.
La commission chargée d'élaborer l’avant-projet du Code pénal, le gouvernement, la commission que vous avez nommée dans votre sein pour examiner le projet de loi, répondent oui. D'après l'amendement présenté par l'honorable M. Orts et sous-amendé par l'honorable M. Guillery, cette réponse devrait être négative.
Tous les législateurs modernes ont reconnu la haute importance qu'il y avait tant au point de vue de l’intérêt social qu'au point de vue de l'intérêt privé, à ce que l'état civil des personnes fût nettement défini, clairement prouvé, mis à l'abri de tout doute ; et plus spécialement ils ont eu soin d'entourer d'une protection tout à fait particulière l'état civil de l'enfant qui vient de naître.
Les législations anciennes laissaient sous ce rapport énormément à désirer. Ainsi à Rome, on avait des registres de naissances rédigés dans des vues politiques et qui formaient une espèce de statistique et rien de plus.
(page 793) Mais les actes de l'état civil y étaient inconnus.
Et comment à Rome l'autorité eût-elle pu songer à veiller sur le berceau de l'enfant là où le père avait droit de vie et de mort sur sa progéniture, là où l'esclave était non pas une personne, mais une chose, où les masses ne pouvaient par conséquent pas même avoir d'état civil ? Il a fallu que des sentiments d'humanité, l'idée de l'égalité de tous devant la loi, vinssent faire table rase de ces absurdes et brutales distinctions admises par l'antiquité, peur restituer à chacun les droits qu'il tient de sa propre dignité, de sa seule qualité d'homme.
Aussi le grand principe qui domine toutes nos lois, c'est le principe de la protection pour tous, mais avant tout, de la protection pour l'être faible et sans défense, pour l'enfant qui vient de naître, qui, lui, est dépourvu de tout appui, qui est exposé aux atteintes du crime, aux calculs de l’égoïsme et de l'intérêt.
Quels sont, messieurs, les précédents dans la matière ? Une loi de 1792 a réglé pour ainsi dire tout ce qui concerne l'état civil et tout ce qui a rapport aux actes de l'état civil. Elle a servi de type, de modèle aux dispositions du Code civil et à celles du Code pénal.
D'après cette loi de 1792, les témoins de l'accouchement, le père d'abord, et à son défaut ou lorsque la mère ne fut pas mariée, les sage-femmes, les accoucheurs étaient obligés de faire la déclaration de la naissance ; et cette déclaration devait contenir non seulement l'indication du fait de la naissance, mais aussi le nom de la mère, sous peine d'un emprisonnement de deux mois.
Ce sont ces dispositions qui ont été reproduites dans le Code civil, sous forme de simples conseils, d'obligation morale ; ou avait supposé que cela suffirait pour faire obéir à la loi. On s'était trompé et deux ans plus tard on fut obligé de rétablir dans le Code pénal la sanction qui existe dans la loi de 1792 tout en mitigeant pourtant la peine.
Telle a donc été la sollicitude du législateur au point de vue de l'état civil de l'enfant, que non seulement il a cru devoir punir les faits positifs, et entre autres la suppression et la substitution de part, le recel, l'exposition, mais encore la simple omission, l'incurie de la part de celui qui, pouvant assurer l'état civil de l'enfant, lui fût-il étranger, négligeait de le faire.
Il y avait pour cela d'excellentes raisons.
En effet, qu'y a-t-il de plus important, de plus capital que l’état civil des personnes, tant au point de vue de la société qu'au point de vue des particuliers.
L'état civil, c'est-à-dire le mode légal d'être dans la société et dans la famille, n'est-ce pas là l'origine, la source de tous les droits, de tous les devoirs, de toutes les capacités, de toutes les aptitudes ? A l'état civil et aux actes qui le constatent se rattachent la nationalité, le droit que nous avons de participer à la puissance publique, le droit d'électeur, le droit d'être éligible, le droit d'exercer des fonctions publiques. Et au point de vue de l'intérêt privé, la qualité de père, la qualité d'époux, la qualité de fils, la qualité d'enfant, ne sont autre chose que l’état civil même. Tous les faits donc qui se rattachent à l'état civil, en d'autres termes tous les faits constitutifs de la famille, appartiennent à un ordre supérieur d'idées.
Méconnaître l'immense intérêt qu'ont à la fois la société et les particuliers à ce que l'état civil des personnes soit convenablement constitué est chose impossible.
On n'attaque pas le principe même de l'article en discussion, mais on dit : Autour de ces intérêts si élevés, dont vous vous prévalez, sont groupés d'autres intérêts, tout aussi respectables ; l’honneur, la réputation de la mère, le repos, la paix, la tranquillité de la famille demandent d'être ménagés. N'est-il pas cruel de forcer la mère à cette alternative terrible ou de dévoiler sa honte ou de renoncer aux secours de l'art, au risque d'exposer la vie et celle de son enfant ? N'est-il pas imprudent au moins de l'astreindre à une pareille nécessité ? Vous provoquez à l'infanticide, à l'avortement.
Ne voyez-vous pas que vous allez à rencontre du but que vous vous proposez ? Vous voulez protéger l'enfant et vous compromettez son existence. Enfin viennent les considérations morales ; il est peu rationnel, dit-on, d'obliger le médecin à dévoiler un fait qui lui a été confié sous le sceau du secret ; c'est le dépouiller de la confiance dont il a besoin d'être entouré.
Mais, messieurs, d'abord en ce qui concerne la réputation de la mère, la paix, le repos de la famille, l'honorable M. Pirmez l'a fait observer avec beaucoup de raison, est ce que d'habitude la loi recule devant des considérations de cette espèce ? Est-ce que la loi s'abstient de punir les contraventions, les délits, les crimes, parce que cette punition peut porter atteinte à l'honneur du coupable ou porter la désolation au sein de sa famille ? Non.
Messieurs, toute la question est ici de savoir s'il y a réellement en jeu un grand intérêt social qui ne permet pas de respecter le secret de la mère, qui ne souffre pas que la femme qui accouche puisse priver son enfant de ce qui est son droit sa propriété : le nom de sa mère. Sans doute il est pénible de contraindre la mère à dévoiler aussi sa faute, mais je ne puis m'empêcher de voir toujours à côté d'elle son enfant qui, lui, est sans défense, qui n'est point en faute et, parce qu'il est faible et sans appui, est d'autant plus digne de sollicitude.
Certainement il faut plaindre, cette mère dont parlait l'honorable (note du webmaster : Il y a un hiatus dans le texte d’origine</>) promesses, et il serait humain de se montrer indulgent à son égard. Mais en assurant d'avance à la mère le secret de sa faute, ne poussons-nous pas à la dissolution des mœurs ? Si l'amendement de M. Orts est adopté, toute femme, fût-elle perdue de mœurs, s'abstiendra désormais de faire connaître son nom. Elle imposera le secret à l'homme de l'art.
Vous aurez, messieurs, infailliblement, une foule de déclarations incomplètes, de déclarations inopérantes.
Et puis cette grande facilité donnée à la mère, de faire disparaître, toute trace de son accouchement, cela aurait évidemment peur conséquence de faciliter une foule de délits tels que les suppressions départ, le recel, l'exposition d'enfant.
On redoute les infanticides, mais l'expérience est là pour faire voir que ces craintes sont exagérées.
Je ne pense pas que les infanticides soient plus fréquents en Belgique qu'ils ne le sont en France et cependant il existe en France depuis quelques années une interprétation du Code différente de celle qui a été sanctionnée par la cour de cassation de Belgique.
On faisait, messieurs, autrefois, la même objection contre la suppression des tours ; eh bien, le nombre d'infanticides a-t-il augmenté depuis que les tours ont été supprimés ?
L'honorable M. de Brouckere vient de nous édifier à cet égard.
La certitude du secret absolu que veulent introduite nos adversaires, serait bien plutôt un stimulant à l'infanticide, à cause de l'espoir qu'elle procure à la mère de voir son crime enseveli dans l'ombre du mystère.
On parle de la confiance dont le médecin a besoin d'être entouré. Evidemment si le médecin, par légèreté, dans le dessein de nuire, dévoilait un secret qui lui a été confié, il serait coupable, il serait indigne de la profession qu'il exerce,
Aussi abstraction faite des prescriptions du Code pénal, la discrétion est un devoir que le corps médical a toujours compris et toujours respecté.
Mais, si dans un intérêt social, par des considérations majeures, dam l'intérêt du droit sacré de I enfant, la loi interdit au médecin de porter le secours de son art à la femme qui prétend lui imposer le secret, en quoi aura-t-il manqué aux sentiments de la délicatesse, en quoi aura-t-il blessé les lois de l’honneur ou forfait à son devoir ? en quoi aura-t-il abusé de la confiance qu'on doit trouver en lui, s'il n'a fait qu'obtempérer à la loi ?
Au surplus, messieurs, ce ne sera que très exceptionnellement que l'accoucheur se trouvera dans le cas de devoir révéler le nom de la mère ; car enfin le médecin n'est appelé qu'en sous-ordre pour faire la déclaration de naissance. Il vient après le père et après la personne chez qui l'accouchement a lieu, si elle est présente. En pratique les choses se passeront de manière que l'accoucheur pourra presque toujours échapper à toute responsabilité.
Mais, direz-vous, puisque l'intervention du médecin sera si rarement nécessaire pour les déclarations de la naissance, pourquoi voulez-vous lui imposer l'obligation de faire connaître le nom de la mère ? C'est qu'il ne faut pas créer pour la femme la possibilité légale de se cacher, grâce à l'intervention de l'accoucheur.
N'exagérons donc pas, messieurs, cette prétendue fausse position où se trouvera le médecin et surtout gardons-nous de faire comprendre que si, éventuellement, la Chambre votait la disposition présentée par le gouvernement, le médecin serait en droit de ne pas s'y conformer.
Le médecin pas plus que tout autre n'a le droit de se mettre au-dessus de la loi. Le médecin, comme tout autre, doit avant tout obéir à la loi.
Que signifierait une déclaration où l'on se bornerait à énoncer le prénom, le sexe de l'enfant, le lieu et l’heure de sa naissance ? Comment pourrait-on constater pins tard, à l'aide d'un pareil document, l'identité de cet enfant ? Voyez quelle confusion naîtrait de ce système !
L'honorable M. de Brouckere nous a présenté à cet égard des considérations extrêmement importantes et des renseignements très précieux.
On vous a dit, messieurs, eue l'indication du nom de la mère n'ajoute rien à lacté de l'état civil, au point de vue des droits de l'enfant, ben entendu, quand il s'agit d'un enfant illégitime, d'un enfant naturel. Cette mention, a-t-on ajouté, ne donne pas à l'acte la valeur d’un simple chiffon.
Mais, messieurs, si l'acte de l'état civil qui comprend l'indication du nom de la mère, est un chiffon, j'ai le droit de dire que celui dont vous retranchez le nom de la mère porte chaque fois plus encore le cachet d'un chiffon.
Pourquoi, dit-on, attachez-vous tant d'importance à l'indication du nom de la mère puisque cette indication né sert à rien pour établir la filiation ?
Cela est vrai, messieurs, l'acte de naissance d'un enfant naturel, illégitime, ne lui sert pas pour établir sa filiation ; mais au moins c'est un acheminement vers une preuve ; l'enfant trouvera dans la mention du nom de sa mère un indice qui le mettra peut-être sur la voie de la preuve.
Comme on vous l'a fait observer avec raison, n'est-il pas évident que (page 794) reconnaître plus tard son enfant ; mais si le nom n'y figure pas, il est évident qu'ayant la conviction que l'accouchement est resté secret, elle ne sera pas tentée de reconnaître son enfant, elle sera plutôt disposée à l'abandonner complètement pour ne pas se compromettre.
Mais, dit-on, et c'est un argument qui a été présenté par l'honorable M. Savart, dans la séance d'hier, et que l'honorable M. Carlier a répété aujourd'hui, vous faites une mauvaise position à l'enfant ; car s'il n'est pas reconnu, la mère pourra faire des legs, des donations plus considérables en sa faveur que s'il était reconnu.
Messieurs, c'est là tout bonnement une fraude à la loi ; c'en le renversement des dispositions du code en matière de succession. L'argument prouve contre ceux qui l'invoquent, c'est une raison de plus pour faire adopter le projet du gouvernement.
Voyez les cas graves qui peuvent se présenter : Une veuve ayant un enfant de son mariage, donne ensuite naissance à un enfant naturel ; si la mère reconnaît l'enfant naturel, en droit elle ne pourra donner à l'enfant que le tiers de ce qu'il aurait eu s'il avait été enfant légitime, c'est-à-dire le douzième de sa fortune.
Mais si l'enfant n'est pas reconnu, la mère pourra lui faire un legs ou une donation de la moitié, de tout ce qu'elle possède. Elle trouve ainsi moyen de frustrer son enfant légitime des cinq douzièmes de son patrimoine. Voilà les conséquences auxquelles aboutit ce défaut de déclaration du nom de la mère, de l'aveu de nos adversaires.
Ce qu'on semble surtout avoir en vue, ce sont les accouchements clandestins que les femmes mariées ont intérêt à cacher à leurs maris. Si on voulait restreindre à ce cas-là l'amendement qui est présenté, j'ai la conviction que la Chambre éprouverait une répugnance bien vive à le voter. Au reste, eu égard à ces sortes d'accouchements, l’amendement est encore un moyen de frauder la loi, car il renverse les dispositions du Code civil, en matière de désaveu, et enlève à l'enfant né en légitime mariage la présomption que la loi consacre en sa faveur. « On veut, dit-on, éviter le scandale. » Je préfère le prévenir.
Fortifierez-vous les mœurs ? resserrerez-vous le lien du mariage ? inspirerez-vous la confiance aux maris ? Leur ôterez-vous tout prétexte de soupçon et de jalousie en assurant d'avance à la femme adultère l'impunité de son crime ? Non sans doute ? vous aurez obtenu un résultat contraire.
Faites comprendre à la femme qu'il sera difficile pour elle de cacher sa turpitude et peut-être la détournerez-vous du désordre et du crime. Mais n'allez pas, au moyen de la loi, lui fournir le moyen de violer impunément la foi conjugale.
Messieurs, je voterai contre l'amendement ; il me paraît inadmissible, parce qu'il est un danger pour la morale publique, parce qu'il est en contradiction avec notre droit civil et qu'il n'offre de garanties suffisantes, ni pour les droits de l'enfant, ni pour les droits de la société.
M. Guillery. - Messieurs, l'honorable préopinant vous dit en terminant son discours que l'amendement de l'honorable M. Orts serait un danger pour la morale ; il aurait pour conséquence de couvrir des actes qu’il faut dévoiler dans l’intérêt de la société.
Je crois qu'à cet égard l'honorable préopinant, comme plusieurs autres orateurs qui ont parlé dans le même sens que lui ont singulièrement exagéré la portée de l'amendement.
Réclamons-nous un ordre de choses nouveau ? Demandons-nous qu'au régime auquel sont soumis les registres de l'état civil, on vienne substituer un régime nouveau, sorti de l'imagination de l'un de nous ? Non, nous demandons que ce qui a été exécuté, observé en France depuis cinquante ans, sans soulever aucune réclamation, soit appliqué en Belgique. Enfin, nous demandons le Code impérial de 1810 : notre libéralisme ne va pas au-delà.
Plusieurs honorables membres ne se sont pas rendu compte de la portée de la proposition qui vous est soumise. J'ai même entendu dire qu'elle avait été interprétée dans ce sens qu'il ne serait plus nécessaire la naissance d’un enfant. Il importe donc d’entrer à cet égard dans quelques explications. Voici quelle est la législation qui régit la matière.
D’après l'article 55 du Code civil, les déclarations de naissance doivent être faites dans les trois jours de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu de la naissance. Voilà le principe. Quelles sont les personnes qui sont tenues de faire ces déclarations ?
L'article 56 les énumère ; ce sont le père, ou, à défaut du père, les docteurs eu médecine ou en chirurgie, les sage-femmes, les officiers de santé ou les autres personnes qui ont assisté à l'accouchement, et si l'accouchement a eu lieu hors du domicile de la mère, la personne chez qui elle est accouchée. L'article 57 indique quelles sont les énonciations que doit contenir l'acte de naissance.
Vola la législation qui régit les actes de l'état civil ; obligation de déclarer l'accouchement dans les trois jours, obligation imposée au père, ou, à défaut du père, aux autres témoins de déclarer l'accouchement.
L'article 346 du Code pénal punit l'inobservation de cette prescription législative ; mais cet article 346 punit-il l'omission de déclarer la naissance, ou bien l'omission de déclarer une des circonstances qui, d'après l'article 57, doivent se trouver contenues dans l'acte de naissance ?
En d'autres termes, suffit-il de déclarer pour ne pas encourir l'application du Code pénal, de déclarer qu'à tel jour et à telle heure une femme est accouchée d'un enfant de tel sexe ? Faut-il encore y ajouter le nom de la mère ?
Eh bien, la jurisprudence française, la jurisprudence constante, car la cour de cassation n'a jamais varié sur ce point, déclare qu'il suffit que les témoins de l'accouchement, les médecins, etc., fassent la déclaration du fait de la naissance et du sexe de l'enfant.
Telle est la législation qui régit la France. J'irai plus loin que M. Orts, j'irai jusqu'à demander purement et simplement le maintien de l'article 346 du Code pénal ; en d'autres termes, que cet article continue à être conçu dans les mêmes termes qu'aujourd'hui et ne se réfère qu'à l'article 56 du Code civil et pas à l'article 57, comme le propose le gouvernement. En Belgique, je le sais, la jurisprudence a varié, elle est généralement contraire au système que je défends, la question a été vivement controversée, il y a dissidence entre certains tribunaux.
Mais comme disait très bien un orateur à la précédente séance, il ne s'agit pas pour nous d'interpréter une loi, mais de la faire. Si je fais un appel à la jurisprudence française, c'est que voulant invoquer la législation française, il faut que j'examine comment elle est appliquée.
Ainsi viennent à tomber toutes les prévisions sombres, désolantes, dont on a menacé la Belgique future, si l'amendement de M. Orts était adopté, car nous serons soumis à la législation qui régit la France depuis 50 ans et qui nous régirait si nos tribunaux, si les jurisconsultes qui les composent, avaient eu la même opinion que la cour de cassation de France.
J'ai tort de dire si l'amendement de M. Orts était admis, je devrais dire si la proposition que je fais était adoptée, si l'article 346 était appliqué à l'article 56 et qu'on supprimât la mention de l'article. 57 dans le but d'interpréter la loi comme on l'interprète en France.
La commission de la Chambre des représentants chargée d'examiner ce point avait soutenu le système que l'honorable M. Savart a défendu dans la séance d'hier ; elle avait proposé que les médecins fussent dispensés de révéler le nom de la mère alors qu'elle leur avait imposé le secret.
L'honorable M. Orts a été plus loin ; il a dit : Ne dispenser que les médecins de l'observation de révéler le nom de la mère, ce n'est pas assez ; dans cette position, la femme n'a pas seulement besoin de l'assistance du médecin, elle a besoin d'autres secours ; si vous admettez le secret de la part du premier, il faut l'admettre également de la part des autres personnes auxquelles la mère aura imposé le secret.
La commission à qui on a renvoyé cet amendement est revenue sur sa première décision et au lieu de faire un pas en avant vers M. Orts, elle a fait un pas en arrière : elle est revenue au projet du gouvernement. Si nous succombions dans ce débat, nous aurions le regret d'avoir voulu plus que ce que n'accordait la commission, de n'avoir pas accepté comme transaction ce qu'elle proposait.
On a considéré l'amendement comme constituant un privilège exorbitant en faveur des médecins, qui, dit-on, ne peuvent pas se mettre au-dessus de la loi, qui doivent l'exécuter comme tout le monde.
Mais l'article 378 du Code pénal punit la révélation des secrets de la part des personnes qui sont dépositaires de secrets nécessaires imposés par la profession : telles que médecins, chirurgiens, avocats et autres personnes qu’on n'énumère pas, telles que les confesseurs.
Quand on demande une dispense pour le médecin de désigner le nom de la mère, on ne demande qu'une chose, c'est que le médecin puisse accomplir la mission que lui impose son devoir, la nature de ses fonctions, la morale comme la loi.
La question est bien plus grave qu'où n'a semblé le comprendre : remarquez, messieurs, que tous les dépositaires de secrets sont placés sur la même ligue par le Code ; il n'y a pas que le médecin qu'on fasse appeler dans ce moment suprême ; la femme assiégée par des terreurs, par de funestes pressentiments, peut appeler le prêtre comme consolateur, ou comme confesseur.
Il sera témoin de l'accouchement, dépositaire du secret. Voulez-vous lui imposer l'obligation de révéler un nom qu'on lui a déclaré sous le sceau de la confession, ou qu'il connaissait d'avance ? (Interruption.) Si vous rejetez l'amendement, je vous défie de trouver dans la législation une disposition qui le dispense de révéler le secret dont il est dépositaire.
Ne perdez pas de vue, messieurs, que je me place dans l'hypothèse où la Chambre n'admettrait pas le système que j'ai présenté en premier ordre : les articles 55 et 56 du Code civil combinés avec l'article 346 du Code pénal ; c'est-à-dire l'obligation de faire la déclaration de la naissance et du sexe de l’enfant et des noms qu'on lui donne, sans plus. Je suppose que la Chambre, rejetant ce système, dise qu'il faut déclarer non seulement le fait de la naissance, mais le nom de la mère, alors vous devez admettre l'exception formulée par l'honorable M. Orts en faveur des personnes auxquelles on en a confié le secret ; si vous n'admettes pas ces personnes au bénéfice de l'article 378 du Code pénal actuel, si vous ne les admettez pas à ne pas révéler le secret qui leur a été confié, le médecin comme le prêtre, comme l'avocat, devront révéler les confidences reçues à raison de leur profession.
La loi ne reconnaît au prêtre le caractère de dépositaire des secrets qui lui sont confiés qu'à raison de ses fonctions, et au même titre que 'es autres personnes énumérées dans l'article 378.
(page 795) En France, le Code pénal a été révisé en 1832. La jurisprudence qui avait accordé aux personnes désignées dans l'article 378 le privilège (si l'on peut parler ainsi), ou plutôt qui leur avait imposé le devoir de ne pas révéler ce qui leur avait été confié dans l'exercice de leurs fonctions, cette jurisprudence était carrément établie. La cour de cassation avait proclamé, d'une manière générale et absolue, que les avocats, les médecins, les prêtres n'étaient jamais tenus, même en justice, de révéler les secrets qui leur étaient confiés.
Et la cour de cassation de France considérait cette obligation comme étant tellement d'ordre public, qu'elle n'admettait pas qu'un client pût en relever son avocat. Elle pensait que l'avocat ne doit compte qu'à sa conscience des motifs de son silence et qu'il est seul juge de ce qu'il peut révéler. Voilà la jurisprudence, telle qu'elle était établie par nombre d'arrêts en 1832. Les articles 378 et 346 sont restés ce qu'ils étaient.
La législature a confirmé l'interprétation des tribunaux ainsi que les sentiments et les principes qui l’avaient inspirée. Doit-on s'en étonner ? Doit-on s'étonner qu'on n'ait pas voulu changer des principes d'un ordre aussi élevé, qu'on n'ait pas voulu, au contraire, déclarer que l'avocat, le médecin, le confesseur, dépositaires d'un secret qu'on avait été obligé de leur confier pour obtenir les conseils nécessaires fussent tenus de le révéler ?
Je crois qu'aucun membre de cette Chambre ne présenterait un amendement en ce sens. Or, contre l'intention de ses auteurs, l'article du gouvernement et de la commission conduirait là, parce qu'il renferme un principe qui est la sauvegarde des intérêts de l'ordre social comme de l'intérêt des particuliers,
Viendra-t-il, par exemple, à l'idée de quelqu'un de dire que l'avocat qui vient à la Cour d'assises pour assister l'accusé, pourra être arraché de son banc pour déposer de ce que son client lui a confié dans l'intérêt de sa défense ?
Eh bien, cela ne serait pas plus grave que de forcer le médecin à déclarer le nom de la mère. C'est là une dénonciation imposée à celui qui vient pour secourir et pour consoler. Permettez-moi, messieurs, de citer un exemple.
Je suppose que, pour une maladie grave, dangereuse, on trouve un remède souverain qui doit nécessairement la guérir, un remède à la portée de tous, dont on puisse se servir sans indication de médecin, est-ce que vous ferez une loi, une ordonnance de police qui défendra de se servir de ce remède parce qu'il n'est pas accompagné du médecin ? Est-ce que vous ne laisserez pas entrer le remède sans dénonciateur ? Par votre loi vous faites cela. Vous ne voulez pas laisser entrer le remède sans le dénonciateur, puisque vous empêchez celui qui vient pour guérir, pour consoler, de n'être que médecin, que consolateur.
Ce principe est contraire à l'ordre social. Le nôtre défend la morale et l'ordre social.
On s'est livré, à l'égard des conséquences de notre amendement, à des suppositions toutes de fantaisie. Pour répondre, il me suffirait de dire : Voyez ce qui se passe dans un pays voisin qui a la même législation, la même civilisation que nous. Vous niez le mouvement : voilà des gens qui marchent, voyez s'ils s'en trouvent mal.
On nous dit que nous empêchons la reconnaissance des enfants naturels et que nous introduirons toute une série de procès plus scandaleux que les procès en désaveu.
En quoi une seule reconnaissance d'enfant naturel sera-t-elle empêchée par l'amendement ?
L'honorable M. Ch. de Brouckere vous a fait le tableau des réformes opérées par l'administration des hospices de Bruxelles. Y a-t-il une seule de ces réformes qui disparaisse, un seul règlement, un seul article de règlement qui doive être effacé ? Vous ne voulez recevoir les femmes à la maternité qu'en leur demandant leurs noms et prénoms, leur profession, leur domicile. Faites votre règlement. Vous êtes libre de régir votre hospice comme vous l'entendez. Il ne s'agit pas d'une personne dépositaire par profession d'un secret qui lui a été confié. Il s'agit d'une femme enceinte qui demande à entrer dans votre hospice. Réglementez votre hospice, nous n'y touchons pas.
L'honorable membre nous a dit qu'il avait souvent demandé à des femmes de la maternité : « Voulez-vous reconnaître votre enfant ? » et que jamais elles n'avaient fait d'opposition. Qui l'empêchera de continuer ? Est-ce qu'une seule femme de la maternité refusera de reconnaître son enfant à cause de l'amendement ?
Ainsi donc vous continuerez à faire vos règlements, et une femme ne pourra entrer à la maternité qu'en donnant ses nom et prénoms, sa profession, son domicile. Vous pourrez demander à cette femme de reconnaître son enfant, vous pourrez le lui demander encore lorsqu'elle le nourrit depuis plusieurs jours, et elle y consentira.
Cela se fera encore, il n'y aura rien de changé par l'amendement. Ce n'est pas que j'approuve, quant à moi, le système mis en pratique par l'administration des hospices de Bruxelles, mais ce système n'est pas en discussion. Il continuera à être appliqué, quoi que j'en puisse dire ; l'amendement n'y touche en rien : Je tiens à le faire observer.
L'honorable membre nous dit encore que nous allons substituer les enfants trouvés aux enfants naturels, que nous allons introduire tonte une série d'enfants trouves. Cette création d'enfants trouvés, vous y avez mis un terme en supprimant le tour à Bruxelles. Lorsque la mère pouvait déposer son enfant au tour, l'obligation de déclarer le nom de la mère était une lettre morte, car on trouvait beaucoup plus simple de confier mystérieusement un enfant à l'hospice que d'aller faire une déclaration complète. Vous avez mis un terme à cela.
Aujourd'hui, lorsqu'une femme est reçue dans une maison d'accouchement, l'enfant reste à charge de la mère. Si elle veut se débarrasser de cet enfant, le tour ne lui en offre plus le moyen ; on ne s'en charge pas dans la maison où elle se trouve : aussi la mère emporte son enfrnt. C'est exactement la même chose avec ou sans l'amendement.
Si l'on fait une fausse déclaration à l'état civil, on encourt la peine du faux.
Il n'y aura donc d'obstacle ni à l'entretien de l'enfant par la mère, ni à la reconnaissance. L'honorable membre prétend que si l'amendement est admis, un officier de l'état civil complaisant pourra se prêter à la reconnaissance d'enfants naturels par d'autres que leur mère véritable. Mais, complaisant ou non, l'officier de l'état civil doit toujours recevoir une déclaration de reconnaissance.
C'est un acte unilatéral, et il n'est pas permis au bourgmestre de Bruxelles de refuser de recevoir une reconnaissance d'enfant naturel, sous prétexte que tels et tels noms ne cadreraient pas. Il ne lui est pas même permis de se préoccuper de la différence des âges, et la jurisprudence a été jusque-là, que l'on peut reconnaître un enfant plus âgé que soi. A cet égard, l'officier de l'étal civil n'a qu'à consigner ce qu'on lui déclare, le nom n'y fait rien... (Interruption de M. Ch. de Brouckere.) Je puis vous reconnaître demain, si je le veux, l'officier de l'état civil n'a rien à voir là-dedans.
L'honorable membre dit aussi : Les conséquences de notre système ne sont pas aussi désastreuses que vous le pensez. Les médecins y mettront de la prudence ; ils y mettront de la ruse. Ils diront aux mères : Allez accoucher ailleurs ; ne me déclarez pas votre nom. Mais qu'est-ce que cette loi qui est faite pour n'être pas exécutés, que vous dites vous-même devoir être fraudée, et que vous enseignez vous-même à frauder ? (Interruption.)
Vous avez dit : Le médecin, au besoin, encourra la pénalité. Donc vous commencez par approuver vous-même un homme qui encourt une pénalité ; vous l'approuvez et vous le punissez.
Il dira à la mère : Allez à quelques lieues d'ici, où votre nom est inconnu et déclarez votre enfant ; voilà la publicité évitée.
On reconnaît que dans certains cas le médecin devra encourir la pénalité. Eh bien, je ne comprends pas qu'on fasse une loi qui devra être appliquée, alors même qu'on approuverait la conduite de celui qu'on condamnerait. Les lois doivent être conformes à la morale. Il faut que les actes punis par elle soient des actes repréhensibles ; sans cela les lois sont sans force, elles sont sans prestige. Si l'on approuve la conduite du prévenu, on ne doit pas le condamner ; il faudrait au moins laisser au juge le droit d'apprécier si, dans l'espèce, h médecin est excusable d'avoir agi comme il l'a fait.
Mais, messieurs, je me demande quel est l'intérêt que l'on défend dans le projet du gouvernement ? Je viens de démontrer que tout le régime de la maternité, que le régime des enfants trouvés, que le régime des tours, ne sera affecté en quoi que ce soit par notre système. Il n'y aura pas un enfant trouvé de plus ; il y aura, dans certains cas exceptionnels, des médecins dispensés de déclarer le nom.
Mais je suppose que le système contraire soit adopté, l'honorable M. de Brouckere vous la déjà dit, le médecin encourra la condamnation dans certains cas.
Mais il aura un autre moyen ; il dira à la mère : Ne me déclarez pas votre nom. La mère, elle pourra déclarer un faux nom au médecin ou au propriétaire de la maison, sans encourir la peine du faux. Car ce n'est pas elle qui fait la déclaration authentique. Le médecin non plus ne pourra encourir de peine, puisqu'il sera de bonne foi. Voilà une ruse à laquelle on recourra en présence du grave intérêt que l'on a à défendre.
Voilà pour l'intérêt de la société.
Quant à l’intérêt de la femme, il n'est pas douteux. Il s'agit de savoir si, oui ou non, vous voulez qu'une femme, ayant besoin des secours de la médecine, se trouve dans l'alternative ou de se passer de ces secours que l'humanité vous fait un devoir de ne pas lui refuser, ou de se mettre en présence d'un dénonciateur. Voulez-vous, oui ou non, placer une femme dans cette alternative ? Il ne me paraît pas que l'humanité puisse le permettre et que l'ordre social puisse le commander.
On se préoccupe beaucoup de l'intérêt de l'enfant ; mais son premier intérêt, c'est que l'accouchement se fasse régulièrement. Son premier intérêt, c'est de vivre. Vous placez une femme non pas seulement entre le crime et le déshonneur ; il y a bien autre chose que cela. La plupart des infanticides, et tous ceux qui ont la pratique des affaires judiciaires le savent, sont commis par la mère, par suite de l'absence de secours.
La mère, dans cette situation, est souvent incapable de savoir ce qu'elle fait. La plupart du temps, elle n'a pas l'expérience nécessaire pour se conduire, et si elle n'a pas un homme de l'art pour la secourir, il y a homicide par imprudence.
Vous exposez donc les jours de l'enfant qui, neuf fois sur dix, périra par imprudence et qui, une fois sur cent, c'est supposer bien peu, périra (page 796) par un crime. Vous mettez la mère dans cette affreuse position où jette sa crainte du déshonneur dans un moment où elle peut à peine écouter la raison, avoir conscience de ce qu'elle fait.
Sous prétexte donc d'améliorer la tenue des registres de l'état civil, on arrive à exposer la vie de l'enfant ; sous prétexte de lui assurer un état, on compromet la vie et on vous a parfaitement démontré tant hier qu'aujourd'hui, qu'on ne lui assure rien du tout. Si vous supposez que la mère ne veut pas reconnaître son enfant, qu'elle n'a pas continué à le soigner, et remarquez qu'elle continuera tout aussi bien à le soigner lorsqu'il ne portera pas son nom, à quoi servira la déclaration du nom de la mère ?
Si c'est la crainte du déshonneur qui l'a engagée à abandonner son enfant, pourquoi voulez-vous qu'elle le soigne, parce qu'il possède un chiffon de papier avec son nom ? Ce sera souvent un motif pour la mère de le repousser.
Si elle ne veut pas reconnaître l'acte de naissance que vous procurez à l'enfant et que vous obtenez par des moyens terribles, en compromettant l'honneur d'une femme, en compromettant la dignité du corps médical, en compromettant des intérêts de l'ordre le plus élevé, en compromettant la vie de l'enfant, cet acte obtenu à un pareil prix n'aura aucune espèce de valeur.
Je crois donc, messieurs, que l'intérêt social comme l'intérêt de l'enfant et de la mère exigent l'application du principe consacré aujourd'hui par la législation française. Nous ne demandons, je le répète, que le maintien de ce qui a été en vigueur depuis cinquante ans dans un pays voisin qui a la même législation, la même civilisation que nous. Cette législation, par conséquent, a fait ses preuves, tandis que celle que l'on propose n'a fait ses preuves nulle part, puisqu'elle n'a jamais été admise sans conteste chez nous. Il est vrai que deux arrêts ont condamné les médecins. Mais si le magistrat a appliqué la loi, l’homme l'a condamnée.
Pendant que le magistrat appliquait votre article 426 du Code pénal, il condamnait à une amende de 15 francs ; c'est-à-dire qu'en appliquant une loi, il disait : « Ita durum, sed ita lex,» il reconnaissait que l'homme qu'il condamnait avait fait ce que tout homme d'honneur doit faire.
M. B. Dumortier. - Messieurs, si l'article du Code pénal actuellement en vigueur et dont l'honorable préopinant demande le maintien, si cet article n'avait pas été contesté dans cette enceinte, s'il avait été soumis à notre vote sans discussion, je concevrais qu'on peut l'adopter ; mais après la discussion qui vient d'avoir lieu, après le discours de l'honorable ministre, discours d'où il résulte que si cet article est maintenu, toutes les femmes qui commettent des désordres au sein de leur famille trouveront dans la loi des facilités pour couvrir leurs fautes, d'où il résulte que la loi tuerait la moralité de la famille ; après cette discussion, après ce discours, il m'est de toute impossibilité de donner mon assentiment à l'article.
L'honorable membre a dit que la jurisprudence, en France, est unanime pour ne point exiger l'indication du nom de la mère ; des jurisconsultes m'assurent que deux arrêts de la cour de cassation de France ont statué dans ce sens, mais que plusieurs cours d'appel ont statué en sens contraire.
En Belgique, la cour de cassation s'est toujours prononcée contre le système de l'honorable préopinant,, et je pense que l'interprétation de notre cour de cassation est la plus favorable à la moralité publique et au bien-être des familles.
Les orateurs qui combattent le projet du gouvernement ont toujours parlé de deux choses : l'honneur de la femme et l'avenir de l'enfant. Vous avez entendu tout à l'heure M. Carlier dire que le plus grand intérêt de la société, c'est de protéger la femme et l'enfant.
Je pense, messieurs, que le plus grand intérêt de la société, c'est de conserver le lien sacré de la famille. Toute la société repose sur le lien de la famille ; la société tout entière n'est qu'une grande famille dont le Roi est le père.
Ce que nous devons surtout chercher, nous législateurs, c'est de maintenir intacte la famille.
Or, messieurs, l'amendement tel qu'on le propose aurait pour résultat inévitable de couvrir l'immoralité de la femme au détriment du mari et à laisser introduire dans la famille des enfants adultérins.
Il rendrait inopérantes toutes les dispositions du Code relatives au désaveu ; ce serait la destruction de tous les articles du Code pénal destinés à sauvegarder la famille et surtout la destruction du principe du désaveu.
Une fois que la femme mariée peut accoucher hors du domicile conjugal sans que son nom soit connu, comment le mari pourrait-il user de son droit de désaveu ?
On a dit que le désaveu est un scandale ; Ce qni est un scandale à mes yeux, c'est la conduite de la femme adultère.
Le mari est juge et bon juge du point de savoir s'il doit dévoiler au public l’infidélité de sa femme, et il est des circonstances où c'est pour lui un devoir sacré de le faire. Comment ! la loi excusé le mari qui donne la mort à sa femme en cas de flagrant délit d'adultère et vous trouverez mauvais que le mari usât de son droit de désaveu !
Voilà une femme qui accouche à l'étranger d'un enfant adultérin ; le mari ne sait rien et par conséquent il ne peut pas exercer son droit de désaveu, et après sa mort, grâce à certaines mesures prises par la femme, cet enfant pourra entrer dans la famille comme enfant légitime. Voilà où conduit l'amendement, et l'interprétation qu'on voudrait donner à la loi. Je dis qu'un pareil système ne peut avoir qu'un seul résultat, c'est de favoriser les désordres de la femme et de jeter le déshonneur dans les familles.
Il est bien certain que si la femme sait que la faute qu'elle commettrait sera connue, il y aura là un frein puissant. Ce frein, nous devons bien nous garder de le faire disparaître, si nous voulons conserver les liens sacrés de la famille.
L'honorable préopinant dit que tous ceux qui auront assisté à l'accouchement et, par exemple, le prêtre qui aurait été appelé en cas de danger de mort, que toutes ces personnes seront tenues de déclarer la naissance et le nom de la mère. Mais je n'ai jamais ouï dire que les prêtres fussent accoucheurs. Je crois que la loi n'exigera la déclaration que de l'accoucheur.
M. Guillery. - Vous n'avez pas lu l'amendement.
M. B. Dumortier. - Je vais vous le lire.
M. Guillery. - Lisez-le pour votre compte.
M. B. Dumortier. - Vous ne l'avez pas lu et je pourrais vous dire : « Monseigneur, vous n'avez pas lu votre amendement. »
Il n'y a, messieurs, aucune espèce de similitude entre la position du prêtre et la position de l'accoucheur. Le prêtre, s'il est appelé, c'est pour entendre la confession de la femme ; il reste complètement étranger à l'accouchement ; le médecin, au contraire, fait l'accouchement.
C'est donc un moyen qu'on cherche à mettre en avant pour faire passer une disposition que je regarde, quant à moi, comme très mauvaise.
Je ne puis me rallier à un amendement dont la portée serait infailliblement d'encourager au désordre les femmes et surtout les femmes mariées, de briser le lien sacré des familles, d'introduire plus tard dans la famille des enfants que le père n'aurait pas reconnus.
Messieurs, ce que nous avons de mieux à faire, c'est de maintenir la moralité dans les familles par nos lois ; or le meilleur moyen de maintenir la moralité dans les familles, cest d'admettre la disposition qui nous est proposée par le gouvernement ; pour mon compte, je la voterai de grand cœur, et je remercie M. le ministre de la justice de l'avoir présentée.
- La Chambre remet la suite de la discussion à demain à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures 3/4.