(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 693) (Présidence de M. Orts.)
M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse des pétitions suivantes :
« Le sieur Falkembergh prie la Chambre de s'occuper du projet de loi relatif à l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi.
« Le sieur I.-B. Somigliana, demeurant à Capryçk, né à Come-de-Torno (Italie), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« L’'administration communale de Namur adresse à la Chambre 116 exemplaires d'un mémoire signalant les inconvénients que présente la navigation de la Meuse entre Chokier et la France. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« Le comte Arrivabene et autres membres de la société centrale d'Agriculture demandent des modifications à la loi sur les barrières. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la révision des états de classification des communes.
M. Jamar. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant une nouvelle répartition des conseillers provinciaux.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
« Art. 100. Traitements de disponibilité pour des professeurs des écoles normales de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 101. Dépenses variables de l'inspection et frais d’administration. Commission centrale. Matériel et dépenses diverses de l'école normale de l'enseignement moyen du degré inférieur et des écoles normales de l'Etat. Ecoles normales adoptées. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale ; subsides aux communes ; constructions, réparations et ameublement de maisons d'école ; encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres, aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; subsides aux caisses provinciales de prévoyance ; encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire ; subsides pour la publication d'ouvrages destinés à répandre l'enseignement primaire ; secours à d'anciens instituteurs (article 54 du règlement du 10 décembre 1852) ; frais des conférences agricoles des instituteurs primaires ; subsides à des établissements spéciaux ; salles d'asile et écoles d'adultes, etc. : fr. 1,773,689 49. »
M. J. Jouret. - Je saisis l'occasion du libellé de l'article 101, subsides pour la publication d’ouvrages destinés à répandre l'enseignement primaire, pour faire au gouvernement, à M. le ministre de l'intérieur, quelques observations sur la convenance, sur l'utilité qu'il y aurait à remplacer dans les écoles primaires, les livres édités en France par des productions d'auteurs indigènes et éditées en. Belgique.
La Chambre comprendra qu’en ne considérant pas même cette question sous son rapport le moins important, sous le rapport des avantages que des industries telles que la typographie, la librairie et la fabrication du papier peuvent trouver dans la mesure que je réclame, cet objet présente sous un autre rapport une grande importance, en ce qu'il est bon de faire en sorte que les idées nationales soient encouragées, soient propagées le plus possible parmi notre jeunesse belge.
Messieurs, à la session de 1855 à 1856, à propos de la discussion du budget de l'intérieur, des observations dans ce sens ont été faites déjà par l'honorable M. Verhaegen, ancien président de cette Chambre.
Voici quelques-unes des observations extrêmement judicieuses, selon moi, que faisait l'honorable M. Verhaegen à cette occasion :
« Les ouvrages français sont admis depuis longtemps dans nos établissements d'enseignement moyen. Ils y ont été admis sans contrôle et ils y restent de même, tandis qu'on ferme la porte à la production des auteurs et des éditeurs belges.
« En effet, pour y être introduit, il faut à ces derniers l'approbation du conseil de perfectionnement. Or, ce conseil a été institué depuis plusieurs années et jusqu'à présent le gouvernement n'a pas jugé à propos de lui soumettre les nombreux ouvrages qui lui ont été adressés. On dit qu'il y en a plus de 600 déposés au ministère de l'intérieur. Ce n'est qu'avec beaucoup de peine et après beaucoup de démarches personnelles que, sous le ministère de l'honorable M. Piercot, on est parvenu à en faire examiner et approuver deux : ce sont la rhétorique de M. Baron et l'histoire de M. Bormin, qui, nous le disons avec orgueil, font honneur à la Belgique.
« Ainsi, tandis que l'étranger est maître de la place, nous-mêmes nous ne permettons pas à nos compatriotes de l'en déloger. »
Ces observations furent accueillies avec infiniment de sympathie par M. le ministre de l'intérieur de cette époque, l'honorable M. de Decker ; l’honorable M. de Decker promit formellement de faire tous ses efforts pour qu'il fût remédié à cet état de choses. Cependant si les renseignements qui me sont donnés sont exacts, et j'ai tout lieu de croire qu'ils le sont, ces promesses n'ont abouti à aucun résultat. En effet, dans h plupart des écoles primaires, les ouvrages belges ont continué à être mis systématiquement de côté, pour être remplacés par des ouvrages édités en France.
Cela est tellement vrai, qu'un éditeur de Paris a publié, il y a quelques années, sur l'enseignement de ta langue française, plusieurs petits ouvrages dont la collection est assez chère. Ces ouvrages étaient à peine connus qu'ils étaient imposés dans la plupart de nos établissements d'instruction primaire ; vous comprenez que les instituteurs ont eu et ont encore infiniment de peine à les faire adopter par les élèves des écoles rurales dont les parents, d'habitude, ne sont pas dans une position fort aisée.
Voilà ce qui arrive pour les livres dont on fait usage dans les écoles primaires et moyennes.
II en est de même des livres destinés aux distributions de prix dans les établissements d'instruction moyenne et primaire.
Dans une circulaire à MM. les gouverneurs de provinces, en date du 9 août 1850, l'honorable ministre de l'intérieur actuel, M. Rogier, évaluait à plus de 60,000 les ouvrages donnés en prix dans les établissements d'instruction primaire et moyenne.
Si vous ajoutez à cela la valeur beaucoup plus grande que représentent les livres en usage dans les écoles primaires, on peut, sans exagération, évaluer à une somme de plus de 400,000 francs, la somme dépensée, en Belgique, pour l'acquisition d'ouvrages français, somme qui pourrait être très avantageusement consacrée à l'achat de livres belges.
Ce n'est pas seulement dans les écoles primaires que cet abus existe ; il existe encore dans les écoles annexées aux prisons, dans lesquelles on exclut systématiquement les ouvrages belges, au profit des ouvrages français... M. le ministre de la justice me fait un signe négatif, je dirai que des personnes bien informées m'affirment que le fait est exact.
Si l'on objecte que la plupart des ouvrages français sont d'un mérite supérieur, je dirai que des personnes parfaitement à même d’apprécier cette chose sont d'un avis contraire, (interruption.) Ce ne sont pas des personnes intéressées, mais des personnes qui s'intéressent à l’instruction primaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Aucune réclamation ne m'a été adressée à cet égard.
M. J. Jouret. - Dans la session de 1855-1856, comme je viens de le dire, cette réclamation nous a été adressée dans cette enceinte, elle a obtenu la sympathie de M. le ministre de l'intérieur, et a été appuyée par M. B. Dumortier et M. Coomans.
On a, à cette époque, fait la promesse formelle de remédier à cet état de choses.
Ainsi, si on prétend que les livres français sont meilleurs, je résoudrai que cela n'est pas exact. La preuve en est que dans les écoles réglementaires les ouvrages belges ont la préférence sur les ouvrages français.
Il est évident que si les ouvrages classiques belges sont préférés dans les écoles régimentaires où le programme des études doit être au moins égal à celui des écoles de l'instruction primaire, ils peuvent servir également dans ces écoles.
Je n'ai pas besoin de dire, messieurs, que mon intention n'est pas de me poser en détracteur des idées françaises. Je suis le premier à reconnaître que, malgré l'infériorité actuelle des institutions politiques de la France, ce grand pays n'a pas cessé de marcher à la tête de la civilisation et du mouvement des idées dans le monde.
(page 694) Mais je fêtai observer que ce n'est nullement de cela qu'il s'agit ; sans faire sortir cette question du cadre restreint où je l'ai placée, cette question qui n'est pas neuve, puisqu'elle a été soulevée dans la session de 1855-1856, mérite d'être prise en sérieuse considération par M. le ministre de l'intérieur, et je pense qu'il est d'un grand intérêt qu'il soit fait usage, dans l'instruction primaire et moyenne, de livres belges, autant que possible, livres à bon marché, dont le mérite ne puisse être contesté, et qui ne fassent pas passer dans nos populations, qui ne laissent pas s'infiltrer lentement dans l'esprit de nos populations, comme le disait l'honorable M. de Decker, des idées étrangères en opposition très souvent avec «os mœurs nationales.
Je crois que, dans ces limites, je puis avec utilité recommander cet objet à l'attention de M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est pour la première fois que cette réclamation me parvient. Quant à la supposition qu'on exclurait systématiquement les livres belges pour donner la préférence à des livres étrangers, il n'y a pas ombre de vraisemblance. Je ne pense pas que le gouvernement puisse être accusé d'accorder la préférence aux livres étrangers, il a toujours apporté la plus grande bienveillance à examiner et à subsidier les ouvrages belges.
Je crois d'ailleurs qu'on a raison de préférer les bons ouvrages et de les prendre partout où ils se trouvent.
Il est possible que les éditions françaises soient à meilleur marché.
M. J. Jouret. - C'est le contraire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce genre de réclamation provient parfois d'auteurs dont on aura exclu l'ouvrage parce qu'il présentait des imperfections.
Mais il ne faut pas faire d'un grief personnel un grief général.
Du reste je prendrai en considération les observations de l'honorable député de Soignies ; et si par hasard il y avait quelque injustice à réparer, ce que je ne pense pas, il sera fait droit aux observations.
M. Deliége. - Je crois que l'honorable M. Jouret est complètement dans l'erreur. J'ai administré une commune de la province de Liège pendant 34 ans, de 1822 à 1855, et je puis dire que jamais aucun gouvernement, à aucune époque, n'a donné la préférence aux livres français sur les livres belges.
C'était une commune assez importante ; j'étais en relations continuelles avec les instituteurs, et jamais il n'est entré dans l'idée des administrateurs de la province de Liège d'accorder la préférence dont on parle.
Quant à l'intérêt de la librairie, c'est là le petit côté de la question.
Messieurs, je n'ai jamais, pour moi, craint les idées françaises. Je suis Belge avant tout, mais je ne connais pas des idées belges et des idées françaises.
Je ne connais que les idées à inculquer à la jeunesse et je puis dire qu'en général les idées qu'on inculque à notre jeunesse sont des idées de liberté et des idées de patriotisme.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 102. Subsides en faveur d'établissements de sourds-muets et d'aveugles : fr. 16,000. »
- Adopté.
« Art.103. Subsides et encouragements ; souscriptions, voyages et missions littéraires, scientifiques ou archéologiques ; fouilles et travaux dans l'intérêt de l'archéologie nationale ; sociétés littéraires et scientifiques ; dépenses diverses ; secours à des littérateurs ou savants qui sont dans le besoin ou aux familles de littérateurs ou savants décèdes ; subsides aux dames veuves Weustenraad, Van Ryswyck, Vankerckhove et Gaucet ; subsides à des élèves de l'enseignement supérieur libre ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1845 et du 6 juillet 1851 ; publication des Chroniques belges inédites ; table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés, concernant l'histoire de la Belgique ; publication de documents rapportés d'Espagne ; exécution d'une description géographique et historique du royaume de Belgique : fr. 85,400.
« Charge extraordinaire : fr. 12,400. »
- Adopté.
« Art. 104, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; publication des anciens monuments de la littérature flamande et d'une collection des grands écrivains du pays : fr. 40,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 105, Observatoire royal ; personne : fr. 18,020. »
- Adopté.
« Art 106. Observatoire royal ; matériel et acquisitions : fr. 7,500. »
- Adopté.
« Art. 107. Bibliothèque royale ; personnel : fr. 27,360. »
- Adopté.
« Art. 108. Frais de la fusion des trois fonds de la bibliothèque royale et frais de la rédaction du catalogue général ; charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 109. Bibliothèque royale ; matériel et acquisitions : fr. 33,320. »
- Adopté.
« Art. 110. Musée royal d'histoire naturelle ; personnel : fr. 10,220. »
- Adopté.
« Art. 111. Musée royal d'histoire naturelle ; matériel et acquisition : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 112. Subside à l'association des bollandistes pour la publication des Acta Sanctorum ; charge extraordinaire : fr. 6,000. »
M. le président. - J'ai reçu à un de ces articles un amendement ainsi conçu :
« Les soussignés proposent de supprimer le crédit de 6,000 fr. pour, la publication des Acta Sanctorum et de consacrer cette somme à encourager la publication des livres populaires de droit constitutionnel, d'économie politique industrielle et d'agriculture. »
La parole est à M. Hymans pour développer cet amendement.
M. Hymans. - Messieurs, la section centrale a demandé au gouvernement où en était la publication des Acta Sanctorum.
Le gouvernement a répondu à la section centrale qu'il en avait paru trois volumes, et qu'un quatrième était sous presse.
Ces quatre volumes, en supposant que le quatrième paraisse cette année, auront coûté à l'Etat 130,000 fr., soit 32,500 fr. par volume. En effet, le premier subside aux révérends pères jésuites, a été accordé en 1837, par 1 honorable comte de Theux. Il était compris à cette époque dans les encouragements aux lettres : Il n'a été libellé au budget qu'en 1840, alors que les lettres étaient une dépendance du département des travaux publics.
Le gouvernement a appris, en outre, à la section centrale, que le révérends pères jésuites appelés bollandistes, comptent publier encore 18 volumes, et que chacun de ces volumes coûtera quatre années de travail, de sorte que nous devons nous attendre à une dépense, ultérieure de 432,000 francs, et si les révérends pères jésuites tiennent fidèlement leurs engagements, l'Etat aura eu à supporter une dépense de 570,000 francs pour l'achèvement de leur œuvre.
Messieurs, quel que soit mon respect pour les saints et pour la science, je ne puis m'empêcher de trouver cette dépense exorbitante et injustifiable ; je crois de mon devoir de ne pas la voter, et c'est pour cela que je viens, d'accord avec mon honorable ami M. Jacquemyns, vous proposer de supprimer le crédit et de consacrer les 6,000 francs dont il s'agit, à encourager la publication de livres populaires de droit constitutionnel, d'économie politique et industrielle et d'agriculture.
Messieurs, je ne me dissimule pas que je rencontrerai dans ce débat une vive opposition, d'énergiques contradicteurs, même parmi mes honorables amis. On invoquera contre mon opinion des autorités puissantes ; on viendra me dire qu'un illustre savant français, M. Guizot, a exprimé jadis le vœu de voir achever l'œuvre des bollandistes. On viendra m'opposer peut-être un vœu exprimé par l'Institut de France sous l'empire.
Mais je ne crains pas la discussion, et cela parce que j'ai fait ma conviction sur pièces ; parce qu'à l'opinion des historiens, je suis en mesure d'opposer l'histoire ; parce qu'à des réclames pompeuses je suis en mesure d'opposer des faits ; et je n'hésite pas à le dire, je ne désespère pas, quel que puisse être en ce moment le sentiment de l’assemblée, de rallier un nombre considérable de suffrages.
Je crois rendre un service au pays en l'éclairant sur le caractère de cette dépense ; le temps et l'opinion feront le reste, et je suis persuadé que si vous votez encore le crédit cette année, vous ne le voterez plus l'année prochaine.
Et d'abord, il y a quelque chose d'étrange, de tout à fait injustifiable dans la position de l'Etat vis-à-vis des révérends pères jésuites appelés bollandistes. Tandis que la législature se montre économe, pour ne pas dire avare, des deniers du trésor envers les lettres belges, tandis qu'elle n'a jamais négligé de réclamer du gouvernement les explications les plus complètes, les comptes rendus les plus détaillés, lorsqu'il s'agit d'un crédit alloué aux beaux-arts, elle se montre, à l'égard des révérends pères bollandistes, d'une générosité, d'une confiance sans précédents dans ses annales.
L'Etat accorde aux révérende pères jésuites un subside annuel sans leur demander aucun compte de l'emploi qu'ils en font. L'Etat leur laisse l'exploitation d'une œuvre lucrative, je vous le démontrerai tout à l'heure ; consent à acheter lui-même les volumes des Acta Sanctorum qu'il place dans ses bibliothèques et dont il paye la traduction et l'impression. En un mot il accorde aux révérends pères jésuites une latitude qu'il ne laisse à personne, alors qu'il pourrait tout au moins déterminer (page 695) le prix de chaque volume, leur payer une somme fixe par volume publié, en vue de hâter ainsi l'achèvement de l'ouvrage.
C'est ce que disait en 1845, dans cette enceinte, un honorable membre dont personne ne contestera le mérite ni la compétence, l'honorable M. de Bonne.
A l'époque où l'honorable M. de Bonne faisait cette observation, un seul volume des Acta Sanctorum avait paru et ce volume avait coûté 54,000 fr. Depuis lors, les révérends pères jésuites ont continué à toucher leur rente et je crois que M. le ministre de l'intérieur serait fort embarrassé de nous dire ce qu'elle a produit. Deux volumes de plus ont paru ; la dépense s'est accrue de 84,000 fr., nous le savons, M. le ministre le sait aussi. Mais je doute fort que l'honorable M. Rogier soit plus édifié que moi sur la nécessité, sur l'utilité du crédit considérable que tous les ans les Chambres ont sanctionné, je ne dirai pas par leur vote, mais par leur silence.
Jusqu'ici je ne prétends pas que les Acta Sanctorum soient une œuvre inutile ; cela ne me regarde pas. Je dis simplement que les bollandistes peuvent parfaitement continuer cet ouvrage sans le concours de l'Etat. En effet, à une époque où l'impression typographique coûtait beaucoup plus cher qu'aujourd'hui, où les recherches étaient plus difficiles, le débit des livres plus restreint, les Acta Sanctorum rapportaient à leurs auteurs un bénéfice très raisonnable. Ainsi, jusqu'en 1688, alors que depuis 40 ans ils travaillaient à cette œuvre (et notons, en passant, que pendant ces 40 ans, où ils n'ont pas été subsidiés, ils ont publié 19 volumes, c'est-à-dire un volume à peu près tous les deux ans), jusqu'en 1688, les révérends pères jésuites n'ont demandé aucun subside au gouvernement, qui était cependant fort orthodoxe. Et lorsque l'ordre des jésuites fut supprimé, en 1773, par le pape Clément XIV, les bollandistes possédaient an capital de 158,000 fr. de Brabant, qui leur donnait un revenu annuel de 9,135 florins 18 sous 1 denier, revenu que le débit des Acta Sanctorum augmentait, en moyenne, de 2,400 florins. Ils étaient propriétaires d'une magnifique maison à Anvers ; ils possédaient une bibliothèque sans rivale et une imprimerie qui travaillait exclusivement pour eux.
La publication des Acta Sanctorum n'était donc pas une si mauvaise affaire.
Et, messieurs, cela n'est pas étonnant.
La publication des Acta Sanctorum fut à son début une œuvre essentiellement politique ; ce fut un des puissants moyens employés par l'Eglise catholique pour raviver la piété des fidèles au lendemain des luttes religieuses du XVIème siècle, en même temps qu'une protestation énergique contre la renaissance des lettres classiques. En voulez-vous la preuve ? Voici ce que disait à ce sujet le révérend père Rosweyde, précurseur de Bollandus, le véritable fondateur des Acta Sanctorum :
« Bonnes gens vraiment, belli homines, qui étalent sur leurs rayons les parchemins pourris d'un Pétrone et qui, fiers de cet étalage, se gardent eux-mêmes les ténèbres et les flammes éternelles ! » Pétrone, à qui l'on réservait ici l'anathème qu'il pouvait mériter seul, n'étail-il point placé là pour l'antiquité classique ?
« La compagnie de Jésus, dit un autre écrivain, le R. P. dom Pitra, veillait sur la glaire posthume des Saints. Qui mieux qu'elle pouvait être conviée à ce patrimoine, mère, en moins de trois générations, de neuf saints nouveaux, et appelée à inscrire en trois siècles, à différents titres, plus de 90 noms dans les fastes sacrés, sans y comprendre ses martyrs innombrables de Chine et du Japon. »
C'est donc de la compagnie de Jésus, introduite en Belgique par le prince de Parme, ce conquérant le disait lui-même : « Pour achever le succès remporté, par ses armes, » c'est-à-dire, pour compléter l'asservissement du pays, c'est de la compagnie de Jésus, bannie successivement de tous les Etats de l'Europe, au XVIIIème siècle, supprimé en 1773 par le pape lui-même, que nous publions les fastes aux frais du trésor belge.
Les fastes des jésuites, oui, messieurs ! Lisez la vie de sainte Thérèse. Cette sainte femme a été accusée d'avoir calomnié les jésuites. « Le bollandiste, nous dit encore le révérend père Pitra, le bollandiste restitue à l’ordre de saint Ignace son innocence, » et cela, messieurs, aux frais de l’Etat, qui relève de ses mains généreuses ce trophée, je cite encore, qui rend aux saints leur splendeur, une arme qui, pour des combats imminents sera plus nécessaire que jamais.
Nous forgeons donc, au XIXème siècle, des armes pour la guerre religieuse. Ce sont les amis des bollandistes qui nous l'apprennent.
Maintenant, j'ai entendu dire que le concours de l'Etat s'explique et se justifie par la nécessité ou se trouvent les révérends pères de réunir de nouveaux matériaux pour composer leur œuvre, j'ai entendu dire que, sans le concours de l'Etat, l'œuvre des bollandistes serait complètement impossible.
Eh bien, je tiens beaucoup à rassurer la Chambre sur ce point. La bibliothèque des bollandistes ne fut pas du tout dispersée et détruite par la révolution française.
La précieuse bibliothèque des bollandistes fut recueillie à l'abbaye de Tongerloo et mise en lieu de sûreté par ses moines.
En 1827, le rot Guillaume acquit cette bibliothèque à beaux deniers comptants, et fit transporter les livres à la Haye. Quant aux manuscrits qui formaient la partie la plus importante de la collection, ils furent déposés à la bibliothèque de Bourgogne, à Bruxelles.
En 1828, deux fonctionnaires qui sont encore aujourd’hui au service de l'Etat, M. Dugniolle, alors secrétaire général au département de l'intérieur, et M. Gachard, archiviste du royaume, furent chargés, aux frais de l'Etat, de ranger en bon ordre les manuscrits qui devaient servir plus tard au travail des bollandistes, et M. Gachard nous apprend, dans le rapport qu'il adressa à la commission d'histoire le 3 avril 1835, que ces documents avaient été catalogués et rangés par lui dans un ordre parfait, jour par jour, du 1er octobre au 31 décembre ; et c est pour la simple publication, la simple mise en œuvre de ces documents qui sont classés aux frais de l'Etat, catalogués aux frais de l'Etat, que le trésor belge doit payer aux révérends pères bollandistes la somme d’un demi-million !
Maintenant, messieurs, de quelle façon en en-on arrivé à accorder aux révérends pères jésuites ce subside qui promet de s'éterniser avec les saints du calendrier, car on canonise de nouveaux saints tous les faits et quand on sera arrivé au 31 décembre on reprendra au 1er janvier.
Les bollandistes devaient à leur ordre, devaient à la gloire de leurs prédécesseurs d'achever les Acta Sanctorum. Les anciens bollandistes avaient publié 53 volumes (du 1er janvier au 14 octobre.) Les nouveaux bollandistes avaient à leur disposition tous les matériaux des anciens.
L'Institut de France avait émis le vœu de voir continuer l'œuvre des Bollandistes ; ce vœu avait été renouvelé sous la monarchie de juillet, mais évidemment on n'entendait pas que ce fût aux frais de l'Etat belge ni aux frais d'un Etat quelconque ; sans cela rien n'eût été plus facile à M. Guizot, que de continuer la publication aux frais du trésor français.
Maintenant, si j'en crois toujours le révérend père Pitra, les bollandistes à l'origine, et cela leur fait honneur, ne demandèrent absolument rien à l'Etat pour continuer leur œuvre ; ils demandaient du temps et le libre accès aux bibliothèques publiques ; mais voici ce qui se passa :
En 1834, la commission royale d'histoire, en entrant en fonctions, avait décidé qu'elle continuerait la publication des Acta Sanctorum Belgii selecta que Marie-Thérèse avait fait extraire, par l'abbé Ghesquière, de l'immense collection des bollandistes.
Ces actes choisis des saints belges sont un livre intéressant au point de vue de l'histoire du pays et son achèvement aurait coûté le quart.
- Un membre. - Le dixième.
M. Hymans. - Ou le dixième de ce que coûtent les Acta Sanctorum. Ce travail fut confié à M. de Ram aujourd'hui, recteur magnifique de l'université de Louvain et alors simple professeur au séminaire de Malines. Mais le révérend père Pitra nous apprend que c'est sur la proposition de M. de Ram que l'honorable M. de Theux accorda un subside aux révérends pères bollandistes pour continuer les Acta Sanctorum.
C'est ce qui nous a valu trois volumes de cette collection et nous les aurons tous les 80, car les révérends pères jésuites ont répondu que toute réduction de leur travail est impossible ; à toutes les objections qu'on leur a faites ils ont répondu invariablement : Non possumus.
Mais, direz-vous, la réduction d'une œuvre pareille ce serait une mutilation, ce serait un sacrilège. Il sera donc utile de vous dire, messieurs, que de tout temps des esprits distingués et parfaitement orthodoxes, ont protesté contre le développement exagéré donné à l'œuvre des révérends pères bollandistes.
En 1773, M. le comte de Neny, président du conseil privé de Marie-Thérèse, proposa au provincial de l'ordre des jésuites, en Belgique, de réunir en deux volumes in-folio tout ce qu'il y avait d'intéressant dans les Acta Sanctorum en ce qui concernait l'histoire, la chronologie et l'archéologie de la Belgique. La lettre de M. de Neny est aux archives du royaume. Je n'irai pas l'y chercher, elle est reproduite dans le Messager des Sciences historiques de Gand de 1835, page 208 ; voici ce qu'elle porte :
« Le père provincial m'a dit que la vie de saint Bavon seule remplira tout un volume. Je lui ai répondu que je respectais beaucoup les saints, mais que je ne prévoyais pas que j'aurais jamais ni l'envie, ni le temps de lire la vie de saint Bavon. Ainsi le plan arrangé par la société ne s'accordait pas avec mes idées qui ne tendaient qu'à faire répandre de nouvelles lumières, dirigées par la critique, sur ce qu'il y a de véritablement intéressant dans l'histoire, et dont l'accomplissement aurait fait beaucoup d'honneur aux jésuites flamands. Le père provincial m'assura que sa façon de penser s'accordait avec la mienne, mais qu'il n'avait pas été le maître de la faire adopter ; à quoi je répliquai qu'il fallait donc les laisser faire.
Toujours non possumus.
L'année suivante, Charles de Lorraine, ayant institué un comité pour s'occuper des affaires relatives à la suppression de l'ordre des jésuites, consulta ce comité sur l'utilité de l'œuvre des bollandistes, et le comité répondit que « l'ouvrage des bollandistes ne paraissait point propre à étendre les lumières et à propager les connaissances humaines ; que son objet avait déjà été rempli avec succès tant par les savantes recherches des bénédictins français que par l'excellente histoire de l'abbé Fleury qui était entre les mains de tout le monde, tandis que l'ouvrage excessivement volumineux des bollandistes ne pouvait convenir qu'à des bibliothèques publiques, où peu de gens y avaient recours et où tout au plus quelques savants le consultaient de temps en temps.
(page 696) En 1788, un autre corps, la commission ecclésiastique et des études émit l'opinion suivante :
« L'ouvrage des bollandistes est loin d'être achevé et l'on ne peut se flatter d'en voir la fin. Cet ouvrage n'a d'autre mérite que celui d'un répertoire historique, surchargé de détails énormes et qui auront toujours peu d'attraits pour de véritables savants. Il est étonnant que lors de l'abolition de l'ordre jésuitique, on soit parvenu à intéresser le gouvernement dans un pareil fatras. Il est plus que temps d'y mettre fin. »
Et les mêmes hommes disaient encore le 21 janvier 1789 : « La commission est bien éloignée de partager la prétendue vénération profonde dont l'Europe savante serait imbue à l'égard des Acta Sanctorum. Si cette immense collection renferme quelques monuments historiques qui pouvaient être précieux, ils sont noyés dans une multitude de faits peu intéressants pour tout savant profane, et le temps qu'il faudrait perdre à faire le dépouillement de la partie utile qui se trouve fondue au milieu de tant de volumes, ne serait pas le moindre des inconvénients qu'y trouverait tout homme de lettres.
Messieurs, je vous donne ces opinions pour ce qu'elles valent. On m'opposera des autorités. C'est pourquoi j'ai cru devoir me munir des miennes. Je crois pourtant qu'elles méritent quelques égards.
Après cela, je ne dirai pas avec le prince de Kaunitz, qui pourrait être accuse d'être un infâme voltairien ; je ne dirai pas avec le prince de Kaunitz que les bollandistes prolongent leur œuvre à plaisir pour jouir plus longtemps du subside. Mais je puis me rallier sans crainte à l'opinion d'un autre ministre de Marie-Thérèse, qui accordait un subside aux bollandistes sous la condition :
« 1° De se contenter d'une seule version de la vie d'un saint, au lieu d'en donner une foule ; 2° d'élaguer tous les détails inutiles ; 3° de supprimer les saints apocryphes ; 4° de laisser de côté les miracles douteux. »
Malheureusement, je le répète, et je fais ici de l’histoire, cette réduction, aux yeux des révérends pères jésuites, était considérée comme impossible. Voici pourquoi :
Les jésuites déclaraient que la réduction ne pouvait porter que sur quatre points.
1° Sur le nombre des saints, ce qui serait peu orthodoxe ; 2* Sur les actes sincères, ce qui serait agir en iconoclaste. 3° Sur les actes douteux, ce qui serait au détriment de la critique ; 4° Sur les commentaires, ce qui serait mutiler l'œuvre bollandienne.
Vous voyez donc qu'il faut accepter tous les saints douteux, les miracles apocryphes, les détails inutiles, et si vous voulez juger ces saints douteux, ces miracles apocryphes, ces détails inutiles, je vous engage à aller à la bibliothèque, et à y parcourir les trois volumes de la Collection qui s'y trouvent.
Je vais vous surprendre peut-être ; j'ai parcouru ces volumes ; je dirai même que j'en ai lu une grande partie. Et cela n'est pas difficile ; il suffit de suivre l'analyse qui se trouve sur les marges, en s'arrêtant, pour lire le texte, aux endroits importants. Que se trouve-t-il dans ces trois gigantesques in folio ? Voilà toute la question !
Et cela est plus important que les pompeux éloges adressés aux anciens bollandistes, éloges dont je ne conteste pas le fondement ; mais ne sera-t-il pas permis de dire que s'il existe encore des bollandistes, l'esprit de Bollandus malheureusement n'existe plus ?
Le 55ème volume de la collection contient la vie de 89 saints, pour les deux jours d'octobre. Le plus important de ces saints, celui dont la vie occupe 200 pages du volume, cest saint Jambon : Beatus sanctus Jambonus.
M. B. Dumortier. - Beatus sanctus Joannes Bonus ; voilà le texte ; vous en faites Beatus sanctus Jambonus ; je vous en fais mon compliment.
M. Hymans. - Il n'y a pas grand mérite à comprendre le latin de cuisine.
M. B. Dumortier. - Je ne puis pas permettre qu'on tourne en ridicule des choses aussi sérieuses.
M. le président. - Quoi qu'il arrive, ce n'est pas une raison pour interrompre l'orateur.
M. Hymans. - Que l'honorable M. Dumortier, ait un peu de patience ; il aura tout le loisir de m'écraser tout à l'heure.
Je sais que d'après certains biographes le saint dont il s'agit, se nomme Joannes Bonus ; mais les plus anciens l'appellent Jambonus. Je vous renvoie à la page 748 du volume, à partir de là le saint n'a plus d’autre nom.
Sa vie occupe 200 pages de cet in-folio. Cette vie, je l'ai lue et je me fais fort de la résumer en trois pages, sans en retrancher aucun détail de quelque valeur ; seulement, je le déclare à l'avance, je ne l'écrirais pas en français, car si le latin dans les mots brave l'honnêteté, il brave quelquefois le sens commun, du moins dans la vie de saint Jambon ; le français est plus délicat ; je n'oserai pas traduire ces biographies en français, je défie le gouvernement d'oser le faire.
Messieurs, comme je dois vous convaincre, je vais avoir l'honneur de vous lire la presque totalité du sommaire de la vie de sain Jambon ; je ne vous lirai pas le texte latin, au risque d'être accusé de ne pas savoir le latin de cuisine.
« Conversion et pénitence du bienheureux Jean, né à Mantoue. Erreur de plusieurs biographes au sujet de sa mort. Cremensis, Calepinus, etc. Dissertation de plusieurs pages sur ce point. Dans sa jeunesse il se consacre à l'art de la comédie jusqu'à l'âge de 40 ans et, en qualité de bouffon, voyage en Italie, etc. Conversion du bienheureux Jean. Il n'est pas certain qu'au commencement de sa vie nouvelle, il ait habité hors des murs de Sainte-Agnès. Double thèse de Marquesi et des auteurs qui l'ont suivi sur le temps de sa conversion. Examen de cette thèse (6 pages). Notice sur la ville de Cesena.
« Il vit quelque temps inconnu dans un désert, ainsi qu'il résulte de la procédure de canonisation. Sa cellule distante de l'habitation dés autres frères. Elle est située près de l'église ; il entendait de là le service divin. Il sort rarement de sa cellule. Description de ladite cellule. La vie qu'il y mène. Empreintes qui sont restées dans le sol par suite de la fréquence de ses prières.
« Planche qui lui sert de lit. Lits de pénitence. Description de ces lits, dont l'un est en branches de houx, l'autre garni de clous. Fosse de pénitence dans laquelle il se précipitait, la tête en bas. Pointes de roseau qu'il se mettait sous les ongles. Pas de feu dans sa cellule. Il y prenait sa nourriture, malade il mangeait des œufs, jamais de viande, ne prenait jamais de médecine, d'après l'exemple de sainte Agathe. Quantité de nourriture qu'il prenait pendant le carême ; il mangeait un seul pain pendant ce temps ; sa vie se prolonge par miracle. Son costume. Ses habitudes de silence ; de la foi de saint Jean Bonus (4 pages). Son zèle contre les excommuniés, partisans de l'empereur Frédéric II. Miracles du saint. Leur multitude. II assiste tous les jours à la messe et tous les dimanches à communion. Son don de verser des larmes. Zèle du bienheureux. Des hommes innombrables vont à lui. Empire de sa parole. Ils ne peuvent se rassasier d'être avec lui. Vertus religieuses. Il se confesse fréquemment. Aux premiers siècles de l'Eglise les moines ne se confessent pas pour les péchés véniels, ou bien ils le font ad libitum.
« Du lieu de la confession. Le saint se confesse journellement, et au premier prêtre qu'il rencontre. Sa chasteté, sa pénitence héroïque pour la conserver, sa pauvreté volontaire, son humilité, etc. »
Tout cela ne prend pas moins de 54 pages in-folio. Puis vient la vie du même saint, extraite de la chronique de saint Antoine, évêque de Florence ; puis une autre version, par Ambroise Calepin.
Le deuxième livre contient les miracles accomplis par le saint pendant sa vie. Quoique illettré, il défend la vérité contre un jurisconsulte dans un procès. Une louve lui obéit ; il guérit une maladie articulaire, l'épilepsie, chasse le démon et autres maux. Guérit un ulcère à la cuisse, une fistule, chasse le démon. Prédit l'avenir. Cancer guéri, amandier planté et produisant instantanément des feuilles ; item un morceau de bois à demi consumé. Il guérit un ulcère au tibia, un ganglion à la gorge. Un oiseau lui obéit. Une jeune fille aveugle recouvre la vue, un rameau desséché refleurit ; il prédit qu'un frère quittera le couvent.
« Il guérit son propre doigt d'une coupure, Il délivre le père Martin d'une arête qu'il a dans la gorge. Il se guérit lui-même d’une tumeur au ventre. Il fait fleurir un figuier en novembre. Il guérit une femme de l’hydropisie, un enfant aveugle, le frère Bonaventure de la fièvre. Bona de cécité, etc... »
Le troisième livre est intitulé : Miracula post mortem. Il contient encore le récit détaillé de quarante miracles.
Vient ensuite la procédure de canonisation, 115 pages in-folio .
Là se trouvent les témoignages à l'appui des miracles susdits, et quelques nouveaux, entre autres le saint fait cesser instantanément la pluie de tomber, et a allumé par un geste un candélabre chargé de cierges.
Voilà ce que contient la biographie et pas un mot de plus.
Vous avez entendu le sommaire de 200 pages ; je vous le demande, quel rapport cela a-t-il avec l'histoire ou l'archéologie ?
Je prends un autre saint. Ne soyez pas effrayés, je ne vous lirai plus de sommaire. Le bienheureux, comme saint Liévain et saint Denis, emporta sa tête bous son bras. C'est saint OElbertus, né aux environs de Breda, et par parenthèse, voici le seul fait qui concerne de près ou de loin les Pays-Bas ou la Belgique ; le biographe constate, à propos de ce saint, qu'il n'est connu de personne. Je demande s'il est nécessaire que l'Etat paye la biographie d'un saint que l'on ne connaît pas.
Autre saint et à propos de celui-là, une controverse s'élève, je le reconnais.
Il s'agit de savoir, j'ai honte de le dire, si oui ou non saint Jérôme de Garibe portait des chaussures. « An calceis usu sit. Si audiamus Jopsum, narratur de eo quod nunquam calceis usus sit ; sed refragatur Maraglia ; non nudibus pedibus inquiem, ut aliqui opinantur, sed calceis adhibit, semper existere visus est » c'est-à-dire qu'il ne marchait pas nu-pieds comme on le prétend, mais qu'il portait des sandales.
Il y a donc controverse sur ce point.
Je demande s'il est un seul membre de cette Chambre, à quelque parti qu'il appartienne, qui ose dire qu'il faut consacrer l'argent du trésor à publier de pareilles niaiseries, et le mot de fatras employé par la commission de. 1788, ne serait-il pas ici bien à sa place ?
(page 697) Ah ! les anciens bollandistes, je le reconnais, ont publié des œuvres remarquables. Ainsi jadis la vie de saint Amand, fut la révélation de tonte une époque inconnue de l'histoire de France.
Prenons la vie de sainte Thérèse d'Avila, celle-ci remplit tout un volume.
Je sais que les théologiens professent un profond respect pour cette illustre femme dont Bossuet a traité la doctrine de céleste. Sa biographie sera donc intéressante ; mais de quoi se compose-t-elle ? Pour la plus grande partie, de la réimpression de lettres qui ont été publiées en Belgique, en espagnol en 1675 par le général de l'ordre des Carmélites, puis en français à Paris.
Nous avons ensuite la réhabilitation des miracles de la sainte, que des savants français, à la honte de notre époque incrédule et railleuse, n'ont pas craint de traiter de cataleptique.
Mais, direz-vous, quelle brillante occasion pour l'historien de traiter l'histoire de cette grande époque ; santé Thérèse fut contemporaine de Sixte V, de Philippe II, de Henri IV. Le révérend père Pitra...
M. B. Dumortier. - Il n'y a pas de révérend père Pitra. .
M. Hymans. - Huissier, portez ce volume à M. Dumortier. Il se convaincra de la vérité de ce que j'avance.
M. B. Dumortier. - Vous prenez un bénédictin pour un jésuite.
M. Hymans. - Le révérend père Pitra dit donc que ce serait une bien belle occasion de faire l'histoire et ce grand siècle, et de montrer la part que prit sainte Thérèse à la civilisation du globe ; mais il ajoute aussitôt : ‘Vous ne trouverez rien des tout cela dans cette vie, rien de ce qui tient à l'histoire, à la philosophie, au système, au drame, au roman intime. »
Je le crois bien ; c'est que dans un pareil ouvrage, critique, philosophie, histoire, tout cela est impossible ; quelle critique voulez-vous chercher dans un recueil de récits merveilleux, dans un recueil de légendes, dans ce roman d'un autre âge ?
Quelle critique peut-il y avoir dans un pareil travail ? L'histoire et la philosophie n'ont rien à voir dans ces matières, et en vérité je crois que l'on ferait aussi bien de consacre un subside à la publication de quelques-uns de nos vieux contes flamands qui sont de véritables chefs-d'œuvre d'esprit et de bon sens et qui seraient lus avec autant de fruit et plus d'agrément par nos populations.
Pour moi je ne veux pas souscrire à ce que les fonds de l'Etat soient consacrés à subsidier une œuvre que l'Autriche, il y a 60 ans, a refusé de patronner.
Quand je considère de quelle façon d'ordinaire nous encourageons les lettres, je ne puis me défendre, en présence de cette dépense exorbitante d'un profond sentiment d'amertume. Quoi ! faute d'un patronage efficace, nous avons été ou nous sommes encore les tributaires de l'étranger pour la restauration de nos plus belles gloires !
C'est la France qui a publié les œuvres de Froissart et de Comines, deux Belges qui ont été les créateurs des lettres françaises ; c'est à la France que nous devons d'avoir un livre sur la grande époque des ducs de Bourgogne ; il y a quelques mois à peine qu'un Belge, au prix de grands sacrifices, nous a donné le droit de dire qu'il y a une autre histoire du Gantois Charles-Quint que celle de l'Ecossais Robertson.
Et quand un écrivain belge publie un de ces ouvrages qui font l'honneur d'une époque, que lui donnez-vous ? L'Etat souscrit pour vingt-cinq exemplaires. Qu'avez-vous fait pour le magnifique Répertoire du droit administratif, de M. Tielemans, qui est un chef d'œuvre d'érudition, de science et de critique.
Ah ! oui, le gouvernement a donné trois mille francs, jadis pour une histoire du Congrès National, d'un livre qui devrait être dans toutes les mains, et je me rappelle le déchaînement d'injures que provoqua dans cette Chambre et au-dehors contre l'honorable M. Rogier, cette dilapidation des deniers publics. Mais sainte Thérèse d'Avila et saint Jambon, c'est autre chose ; qui oserait placer Froissart et Comines à côté de Bollandus. L’Etat marchande à l’Académie son concours pour une histoire de l’art belge, mais que sont Rubens et Van Dyck à côté du R ? P. Papebroeck ?
Je termine, et je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je ne conteste pas le mérite de Acta Sanctorum, je laisse à qui veut le droit de les admirer. Mais je n'admets pas que nous achevions les monuments des jésuites aux frais du trésor.
Je crois que l'église est assez riche pour payer sa gloire. J'ai donc l'honneur de proposer la suppression de ce crédit de 6,000 fr. alloué jusqu'ici aux bollandistes et d'employer cette somme selon le libellé que M. le président vous a fait connaître.
Eu Belgique où tous les cultes sont égaux devant la loi, il n'appartient pas à l’Etat d'accorder des subsides pour des œuvres de pitié.
Et, pour ma part, je crois que le pays n'attend pas de nous que nous subsidions un monument à la gloire des jésuites qui depuis trois siècles ont employé leur zèle et mis leur honneur à combattre la liberté et à livrer aux flammes tous les plus beaux monuments de la science et de la philosophie modernes.
M. B. Dumortier. - J'éprouve une profonde douleur... (Interruption.)
Vos chicaneries ne m'empêcheront pas de dire la vérité.
Oui, j'éprouve une profonde douleur d'avoir entendu le discours agressif qui vient de sortir de la bouche de l'honorable préopinant.
J'éprouve cette douleur, et comme ami des lettres, et comme député d'un pays catholique. Je n'aurais jamais cru que, dans cette Chambre, dans ce sanctuaire des lois, il se levât un homme qui a des prétentions à la littérature, un homme qui se dit professeur d'histoire, et qui vint ridiculiser l'œuvre qui fait la plus grande gloire littéraire du pays. (Interruption.) Vous le verrez tout à l'heure, et soyez assuré que votre intolérance sera écrasée sous les témoignages que je lirai.
Je n'aurais jamais cru que le seul dissident de croyance qu'il y ait dans cette enceinte, vînt ainsi déverser l'outrage, le ridicule sur l'objet de la foi de tout le peuple belge.
Il est de ces choses que tout homme doit respecter et la religion du pays avant tout. Mais quand on est entré dans cette Chambre par la petite porte, quand on est le seul qui ne partage pas les croyances du pays, il est des convenances qu'on ne devrait jamais oublier... (Interruption.)
Messieurs, je respecte la croyance de l'honorable membre, mais qu'il respecte aussi la nôtre ; qu'il ne vienne pas outrager et ridiculiser nos croyances.
M. Guillery. - C’est là ce que vous appelez la liberté des cultes ?
M. B. Dumortier. - J'entends mieux la liberté que vous, car je ne veux pas qu'elle dégénère en licence. Or, la liberté, comme vous l'entendez, c'est la licence ; votre tribune n'est plus une tribune politique, c'est un prêche de protestants.
Nous sommes ici pour faire de la politique et non pour déverser l'outrage sur ce qu'il y a de plus sacré dans le pays.
- un membre. - Comme saint Jambon.
M. B. Dumortier. - Pouvez-vous vous étonner de l'aversion de l'honorable membre pour saint Jambon. Est-ce que le jambon ne lui est pas justement odieux ? (Nouvelle interruption.)
M. le président. - Je prie l'honorable membre de retirer cas dernières paroles. Elles ne sont dignes ni de cette Chambre, ni de la tribune.
M. B. Dumortier. - M. le président, je n'ai rien dit de mal. Si vous avez quelque chose à faire retirer, c'est le discours de l'honorable M. Hymans, discours dans lequel il a déversé le ridicule sur tout ce qu'il y a de plus sacré en Belgique sur les croyances du pays.
M. le président. - M. Hymans a présenté à la Chambre des appréciations littéraires, philosophiques et historiques. Il n'a critiqué ni censuré les croyances d'aucun membre et je demande que vous ayez pour les siennes le même respect.
M. B. Dumortier. - Il n'a fait que cela pendant tout son discours.
M. le président. - Si l'orateur avait attaqué une croyance quelconque, je ne l'aurais pas toléré.
Votre intention est-elle de donner une leçon au président ? Je consulterai la Chambre.
M. B. Dumortier. - Non, M. le président. Je n'incrimine en rien les intentions de président ; mais j'ai mon appréciation. Ce n'est pas une leçon au fauteuil que j'entends faire ; je ne lui en ai jamais fait. Mais j'ai le droit de m'élever contre le discours de l'honorable membre, dont le seul but a été de déverser le ridicule sur les choses sacrées, auxquelles nous, catholiques, nous croyons sincèrement.
M. le président. - Je répète que M. Hymans n'a présenté à la Chambre que des appréciations auxquelles il pouvait se livrer sans offenser personne, taudis que les observations que vous venez de faire ne sont ni dignes de cette Chambre ni dignes de la tribune.
M. B. Dumortier. - Qu'est-ce que l'honorable membre a fait ici ? Un mauvais calembour. Comment ! l'honorable membre qui se flatte de savoir le latin et d'être professeur d'histoire ne sait pas que Joannes Bonus signifie Jean le Bon ! Il aura fait un mauvais calembour et il ne me sera pas permis de lui en renvoyer un.
M. le président. - Si vous n'avez entendu faire qu'un calembour, je vous laisse l'appréciation de vos paroles. Continuez.
M. B. Dumortier. - Je m'occuperai d'abord de la partie scientifique du travail.
L'honorable membre est venu représenter l'œuvra des Bollandistes comme un fatras. Il a dît qu'il ne concevait pas comment on payait de pareilles niaiseries.
M. Hymans. - Les volumes que j'ai lus.
M. B. Dumortier. - Ce sont vos expressions. Eh bien, je maintiens que ca fatras et ces niaiseries sont précisément l’œuvre qui fait le plus de gloire à la Belgique.
Messieurs, à la suite de la renaissance des lettres, chaque pays a fourni en Europe, dans les derniers siècles, une grande collection littéraire qui fait sa gloire. La France a fourni les œuvres des Bénédictins dans lesquelles vous trouvez des vies des saints comme celles qu’on vous a lues tout à l'heure. L'Angleterre a four ni sa grande collection de Records, l'Allemagne a fourni ses monumenta de Perths et ses collaborateurs.
(page 698) L’Italie a fourni la collection des Muratori. La Belgique a fourni une autre collection, ce sont les Acta Sanctorum.
Chaque pays n'avait fourni que des collections locales, des collections relatives à l'histoire de son territoire. La Belgique seule a eu la gloire en Europe de fournir une collection qui se rapporte à l'histoire non seulement de notre pays, mais du monde entier.
Aussi il n'est personne qui s'occupe sérieusement d'histoire, il n'est aucun historien, aucun savant digne de ce nom, qui n'estime les Acta Sanctorum comme la publication la plus importante de toutes celles qui existent, de toutes celles qui aient été faites.
Il y a plus. Les personnes qui ne lisent pas dans ces livres, mais qui voient seulement les catalogues des libraires, peuvent savoir que de tous les ouvrages publiés, celui qui se vend le plus cher et qui par conséquent est le plus recherché, est précisément celui qui a l'honneur des critiques si acerbes de l’honorable membre.
L'honorable M. Hymans vous a parlé tout à l'heure du révérend père Pitra comme d'un jésuite. C'est encore là une preuve de l'ignorance qu'il a montrée dans toute cette affaire. Il n'existe pas de révérend père Pitra chez les jésuites ; le religieux qu'on vous représente ici comme un jésuite et que j'ai l'honneur de connaître, est dom Pitra, bénédictin de Solesmes, celui qui a publié le Spicilegium solemnense, cet ouvrage si remarquable qui lui fait tant d'honneur. Mais il n'existe pas de révérend père Pitra.
M. Hymans. - Le mot est sur le livre.
M. B. Dumortier. - Le mot n'est pas sur le livre. Il y a sur le livre Don Pitra, qui est un bénédictin.
M. Hymans. - Le révérend père Pitra.
M. le président. - N'interrompez pas.
M. Hymans. - Je ne puis permettre qu'on me donne ainsi un démenti en pleine Chambre. Que M. Dumortier lise ce qui se trouve sur le livre.
M. B. Dumortier. - Il y a sur le livre : le révérend père dom Pitra. (Interruption.) Mais vous avez tronqué la phrase en donnant un autre caractère à la personne.
Vous avez représenté, dans tout votre discours, dom Pitra comme un jésuite, et ce n'était pas un jésuite, c'était un bénédictin. Ce sont les jésuites que l'on désigne par les mots de révérends pères.
Or, que dit dom Pitra, cet homme si savant, ce bénédictin si savant dont la France se glorifie' ? Il dit à l'endroit que cite l’honorable membre, que les bollandistes actuels se sont montrés dans leurs publications les dignes successeurs de leurs devanciers.
Voilà l'opinion de ce savant que vous citait tout à l’heure l'honorable membre. Mais il s'est bien gardé de vous lire son opinion.
Tous les savants qui ont écrit au sujet des Acta Sanctorum des Bollandistes partagent la même opinion. Je me bornerai à une seule citation sur l'œuvre des Bollandistes modernes, et celle-là, je crois que l'honorable membre ne la contestera pas. C'est l'opinion d'un protestant.
Chacun connaît l'opinion de Leibnitz sur l'œuvre des Bollandistes ?
M. Hymans. - Des Bollandistes anciens.
M. B. Dumortier. - Nous allons voir les nouveaux.
Voici d'abord ce que disait Leibnitz : « La vaste étendue, ces fruits inappréciables de l'œuvre que vous avez entreprise, l'immense progrès que vous avez fait faire à cette publication, tout cela est connu du monde entier et personne n'est assez étranger aux lettres pour l'ignorer. ». Excepté M. Hymans.
Voilà l'opinion de Leibnitz, cette grande gloire de l'Allemagne littéraire. Voyons maintenant ce qu'écrivait, il y a très peu de temps un des hommes les plus marquants du parlement anglais, un protestant, Rambler, qui rédige, comme vous le savez, la revue historique d’Angleterre, cet homme que ses talents scientifiques et littéraires ont porté au parlement anglais. Voyons comment il s'exprime sur ces nouveaux volumes qui viennent d'être l'objet de la critique de l’honorable M. Hymans sur l'œuvre des bollandistes modernes :
« Il est facile de voir par telle analyse, dit Rambler, à quel genre de livres appartient cet ouvrage. Ce n'est pas une théorie historique a priori et à paillettes brillantes, mais une comparaison laborieuse et détaillée d’une masse de documents historiques, recueillis avec une patience immense, et mises ensemble avec une sagacité et un jugement vraiment remarquables. Un tel ouvrage n'est pas destiné à fournir matière à de pieuses méditations, mais c'est un répertoire des historiens du Vème siècle.
« La façon libre et en même temps respectueuse avec laquelle dans ce travail des traditions insoutenables sont discutées, est une leçon et un modèle pour d'autres écrivains ; et nous ne pouvons nous empêcher d'exprimer notre admiration pour la manière avec laquelle, dans cet écrit, la vérité historique est mise en lumière aux dépens de toute sorte de préjugés enracinés et de traditions chéries. Naturellement un tel travail ne s'adresse point à la multitude des lecteurs, mais aux savants qui savent que des faits positifs valent mieux que des théories sans fondement et pleins de fantaisies. »
Voilà, messieurs, l'opinion de Rambler, opinion qui se trouve imprimée dans sa Revue historique, tome X. C'est un protestant qui parle, et ce protestant ne peut témoigner assez d'admiration pour l'ouvrage dont il s'agit, pour l'ouvrage qu'on vient de critiquer ici d'une manière si amère et si inconvenante, celui qui s'intitule professeur d'histoire.
Messieurs, quelle est donc l'origine du crédit qui vous est demandé ? quelle est l'origine de la continuation des Acta Sanctorum ?
Les Acta Sanctorum, loin d'être considérés par les savants comme par l'honorable M. Hymans, comme un fatras ne contenant que des niaiseries, avaient fixé, dès l'époque qui a suivi la révolution française, l'attention du premier corps savant de la France, l'attention de l'Institut de France. L'empereur Napoléon Ier n'était encore que consul, que déjà l'Institut de France faisait la demande de voir continuer les Acta Sanctorum. Et pourquoi ? Parce qu'à travers tous ces miracles peu certain dont parle l'honorable membre, à travers ces narrations qu'il faudrait, dit-il écarter, se trouve toute l'histoire du moyen âge.
Le moine qui écrit la vie d'un saint pourra très bien croire à un miracle auquel nous ne croyons pas.
On veut l'écarter : mais c'est précisément cela que le savant recherche ; parce qu'en narrant ce miracle, l'écrivain vous donne tous les détails de la vie populaire de cette époque, qu'il vous initie à tous les secrets de la société d’alors, et que vous n'avez absolument que cela pour connaître le moyen-âge.
Les Acta Sanctorum, savez-vous ce que c'est ? C'est l'âme de l'histoire et hors de là, il est impossible d'écrire l'histoire.
Ouvrez les grandes chroniques de Saint-Denis, des chroniqueurs de Grégoire de Tours. Vous n'y trouvez que des histoires de guerres et de batailles ; mais pas un mot du peuple. C'est dans la vie des saints que vous trouvez ce qui concerne la vie de la société, que vous trouvez l'organisation sociale, les mœurs, les coutumes des peuples. Ces détails que critique l'honorable membre et dont il n'a pas compris la portée sont pour l'historien les documents les plus importants de la publication.
Les Acta Sanctorum, c'est la véritable histoire de l’humanité depuis la décadence romaine.
Ce n'est donc pas sans motif que ce grand corps savant, l'Institut de France, venait demander au premier consul la continuation de Acta Sanctorum. L'institut de France, composé des premiers savants de l'époque, comprenait l'impossibilité d'écrire l'histoire sans posséder cette collection, et c'est pour cela qu'il en réclamait la continuation.
En 1801, M. d'Herbouviile, préfet du département des Deux-Nèthes, préfet d'Anvers, fit par ordre du premier consul, des recherches pourvoir s'il ne serait pas possible de reconstituer les Bollandistes. La France à moitié révolutionnaire, sous le premier consul, la France scientifique et littéraire comprenait la nécessité de reconstituer les bollandistes pour continuer cette importante publication. Aucun résultat ne fut obtenu.
En 1802, seconde démarche de l'Institut de France pour demander la continuation des Acta Sanctorum.
En 1810, troisième démarche. M. de Montalivet, ministre de l’intérieur, écrit à Bruxelles et à Anvers pour tâcher de découvrir s'il existe encore des bollandistes, afin de continuer celle publication dans l'intérêt des sciences et des lettres.
Malheureusement on ne savait ce qu'étaient devenu les manuscrits. On ignorait où ils étaient allés. Les manuscrits avaient été transportés à l'abbaye de Tongerloo ; ils s'étaient égarés. Ce n'est qu'un peu avant la révolution belge que ces manuscrits furent retrouvés dans un grand nombre de caisse.
Après noire révolution, on exhuma ces caisses qui s'étaient trouvées sous un hangar, et on les transporta à la bibliothèque de Bourgogne.
Le bruit de la trouvaille des anciennes notes et des anciens manuscrits des bollandistes fut très grand dans le monde littéraire, et un homme, un protestant encore, dont vous reconnaîtrez le haut mérite, les immenses connaissances, M. Guizot, cet homme si éminent sous tous les rapports, voulait faire entreprendre par la France la continuation des Acta Sanctorum.
M. Hymans. - C'est inexact.
M. B. Dumortier. - C'est très exact. M. Guizot voulut faire reprendre par la France, la continuation des Acta Sanctorum.
M. Hymans. - C'est vous qui le dites.
M. B. Dumortier. - Votre dénégation ne vaut pas mieux que toutes vos allégations. Des prêtres français vinrent en Belgique pour demander au gouvernement h communication des manuscrits inédits des bollandiste, afin de continuer en France cette magnifique publication, à laquelle M. Guizot avait promis l'appui du gouvernement français.
Qu'arriva-t-il alors ? Il s'éleva dans cette Chambre une voix unanime pour demander qu'un pareil titre de gloire littéraire ne fût pas ravi au pays, pour demander que la continuation de cette publication eût lieu en Belgique, pour demander qu'on rétablît en Belgique les bollandistes comme on voulait le faire en France, et c'est ainsi que fut reconstituée l'association des bollandistes.
D'abord, messieurs, qu'est-ce que les Bollandistes ? Beaucoup d'entre nous l'ignorent. Ce sont quatre personnes qui s'occupent exclusivement de la publication dont il s'agit. Ces quatre personnes reçoivent de l'Etat un subside de 1,500 francs chacun pour travailler du matin au soir à cette publication ; c'est le salaire d'un huissier.
Je sais fort bien que de pareils travaux ne se font pas avec la facilité avec laquelle on fait une cantate pour une fête.
Il faut là des recherches un peu plus considérables que pour dire : « Sonnez, clairons ; Battez, tambours. »
Quiconque s'est adonné aux œuvres d'érudition n'ignore pas (page 699) combien sont longues et nombreuses les recherches qu'exigent de semblables travaux. L'honorable membre nous a parlé de la vie d'un saint, dont il ferait facilement la réduction en trois pages, et au nombre des objets qu'il a critiqués il a cité la procédure de canonisation.
M. Hymans. - Elle est la même pour tous les saints.
M. B. Dumortier. - Ce que vous ignorez peut-être, c'est que cette procédure du XIIIème siècle constitue le plus curieux document primitif que nous possédions sur la procédure romaine. Pour quiconque recherche les origines du droit, ce document et de la plus haute importance.
M. Hymans. - Elle date de 1500.
M. B. Dumortier. - Vous la citez sans l'avoir lue. Elle est de 1200. C'est la procédure la plus ancienne que l'on connaisse, et il est impossible d'écrire sur le droit ancien sans la consulter.
Je sais que l'honorable membre préfère des contes mis en vers, des contes populaires. A chacun son goût. Pour moi je préfère les œuvres sérieuses qui font la gloire du pays, à tout ce fatras si cher à l'honorable membre et dont le pays n'a que faire.
Mais, dit l'honorable membre, l'œuvre des bollandistes a été entreprise pour compléter l'asservissement du pays. Il cite un passage d'un père jésuite dans lequel il serait question de la préférence à donner aux œuvres sérieuses, sur les écrits de Pétrone.
Je doute, messieurs, que l'honorable membre ait jamais lu ces écrits, car l'ouvrage de Pétrone est bien l'œuvre la plus immonde, la plus abjecte, la plus corrompue qui ait été publiée à cette époque si corrompue.
L'ouvrage de Pétrone est de l'immoralité la plus scandaleuse, et vous préférez cela à une œuvre qui fait l'honneur et la gloire littéraire du pays ! De deux choses l'une, ou bien vous avez lu Pétrone, ou bien vous ne l'avez pas lu.
Si vous l'avez lu, vous avez eu grand tort de préférer une publication aussi immonde à une œuvre qui reflète des sentiments honnêtes ; si vous ne l'avez pas lu, de quel droit venez-vous le citer dans cette enceinte ?
Et l'on vient nous dire, messieurs, que quand on condamne Pétrone, on condamne toute l'antiquité classique !
Comment ! l'homme qui a scandalisé l'antiquité classique, qui en est la honte, vous voulez le faire considérer comme en étant le représentant !
J'ai la plus haute vénération pour la littérature classique, mais ne venez point parler de la littérature classique quand vous avez de pareils noms à la bouche.
Maintenant, messieurs, que nous importe l'opinion de M. de Neny, que nous importe l'opinion de la commission, instituée pour révoquer les bollandistes, pour faire cesser le travail des bollandistes, que nous importe cette opinion en présence du témoignage de tous les savants, en présence du témoignage de l'Institut de France ?
Certes vous ne contesterez pas la valeur de l'Institut de France en matière littéraire, et quand le premier corps savant du monde s'adresse à plusieurs reprises à l'empereur pour demander la continuation de l'œuvre des bollandistes, je m'étonne qu'on vienne dire dans cette enceinte qu'elle ne contient que du fatras et des niaiseries.
Cela ne prouve qu'une chose, messieurs, c'est qu'on apporte dans cette affaire de la passion haineuse contre le sentiment religieux et non pas un esprit de justice, un esprit d'équité et moins encore un sentiment littéraire.
Il n'est pas un homme s'occupant de la littérature ancienne qui ne voit avec satisfaction et avec respect la publication en Belgique, avec le concours du budget belge, de l'œuvre des bollandistes.
Et en définitive, messieurs, où est le corps en Belgique où la pensée scientifique est mieux comprise que dans l'association des bollandistes ? Il est incontestable qu'il existe là des travaux qui feraient le plus grand honneur à un historien, qui suffiraient pour établir la réputation d'un historien. Et ce sont ces écrivains modestes, qui vivent inconnus dans la société mais qui apportent les pierres les plus solides dans la construction de l'édifice historique du moyen âge, ce sont ces hommes que l'on vient traîner dans la boue, que l'on vient accuser de ne publier que des niaiseries et du fatras. Je dis que cela n'est pas digne de la tribune belge, que cela n'est pas digne d'une assemblée d'hommes honorables, d'hommes inspirés par l'amour de la patrie. Je dis qu'au lieu de déverser le ridicule sur de pareils écrivains, nous devrions les entourer de nos respects, car ils honorent le pays aux yeux de l'étranger.
Ce ne sont pas seulement les artistes et les poètes qui jettent de la gloire sur un pays, ce sont les grands écrivains, les écrivains consciencieux et infatigables dont les ouvrages sont consultés par les savants de tontes les nations.
Je ne doute pas que la Chambre, qui a voulu que la continuation de l'ouvrage des bollandistes restât une œuvre nationale, ne repousse à l'unanimité la proposition des honorables membres.
Maintenant, messieurs, est-ce qu'en France le gouvernement n'encourage pas de pareilles publications ?
Mais des publications d’un tel ordre ont besoin des encouragements de l'Etat ; elles ne peuvent se faire sans l'aide de l'Etat. Oh ! les bollandistes ne vous demanderaient rien, s'ils avaient conservé leurs anciennes propriétés, leurs anciens domaines, leurs anciennes fondations, ; mais on s'en est emparé, et puisqu'ils continuent leur œuvre, rien n’est plus juste que de leur accorder la faible indemnité qui figure au budget, indemnité qui, je le répète, n'équivaut qu'à celle que vous donnez à un simple huissier.
Quand des hommes consentent à se livrer, pendant les 365 jours de l'année, à un travail qui n'a pas un moment de repos, pour continuer une publication qui honore le pays, est-ce donc trop que de leur donner un traitement annuel de 1,500 francs ? Je demande s'il n'y a pas à en rougir, de voir proposer la suppression d'un pareil crédit !
L'honorable membre ignore sans doute combien de semblables recherches sont laborieuses ; il ignore combien seulement pour la vie d'un saint qui doit se trouver dans un volume, l'éditeur de cette légende doit faire de recherches ; combien il doit souvent attendre pour obtenir des renseignements de l'étranger.
Si je me trouvais dans une assemblée qui ne fut pas politique, je pourrais vous citer des actes de saints, qui sont de véritables chefs-d'œuvre, et qui ne cèdent en rien à ce que nous ont laissé les anciens bollandistes ; les travaux des bollandistes ne prouvent qu'une chose : C’est que le Belge n'a pas dégénéré ; que ceux qui écrivent aujourd'hui s'élèvent à la hauteur de ceux qui écrivaient autrefois ; et c'est dans un moment où cette publication reçoit les hommages de l'étranger que l'on cherche à jeter le ridicule et le discrédit sur une pareille œuvre ! Messieurs, vous ne vous associerez pas à de pareils sentiments, car vous aimez trop votre pays, vous aimez trop ce qui peut honorer et glorifier la Belgique à l'étranger.
M. le président. - La parole est à M. Hymans pour un fait personnel.
M. Hymans. - Messieurs, je me renfermerai strictement dans le fait personnel.
Je m'attendais à toutes les attaques, à toutes les contradictions de l'honorable M. Dumortier, mais, je dois le dire, je ne m'attendais pas à ses injures.
Je ne m'attendais pas à ses injures, parce que je m'étais étudié à être extrêmement circonspect.
L'honorable membre a d'abord voulu s'amuser à mes dépens, il a parlé de mon ignorance, il a dit que je n'étais pas aussi savant que Bollandus.
Mon Dieu, c'est là une méchanceté fort inoffensive. Si j'avais voulu être désagréable à M. Dumortier, j'aurais pu, moi aussi, puisqu'il m'en donnait l'occasion en m'interrompant, lui adresser de pareils reproches ; je ne l'ai pas fait ; j'aurais pu lui dire qu'il n'a pas toujours professer une égale admiration pour toutes les gloires nationales, qu'il n'a pas eu, par exemple, pour Simon Stevin la même révérence que pour Bollandus.
M. B. Dumortier. - Simon Stevin a été traître à la patrie.
M. Hymans. - J'aurais pu dire en outre. Que jadis un écrivain anonyme, mais dont le nom n'est un mystère pour personne, un homme dont la science est reconnue par tout le monde, dans cette Chambre, s'est permis de parler avec assez peu de respect de la science de l'honorable membre, et de traiter son ignorance en termes beaucoup plus énergiques que ceux dont il s'est servi à mon égard, mais je dois l'ajouter, en termes beaucoup plus convenables.
Cet auteur écrivait donc que : « M. Dumortier connaissait aussi peu la littérature orthodoxe que les lettres profanes, qu'il connaît aussi peu la philosophie que l'histoire... »
Qui m'empêchait de rappeler à M. Dumortier ces attaques qui lui ont été fort sensibles ?
Mon Dieu ! je n'ai pas voulu et je ne veux pas encore m'appuyer sur un pamphlet, pour dire à M. Dumortier, pour qui j'ai une profonde estime, des choses désagréables ; il pourrait donc se montrer plus juste à mon égard.
Que m'a opposé encore l'honorable M. Dumortier ? Ma religion. Ah ! j'aurais dû m'y attendre. Je ne suis pas catholique ! En vérité, le reproche, avouez-le, messieurs, est bien misérable ; et si je puis m'affliger de quelque chose, c'est de l'entendre formuler dans cette enceinte. Comment ! depuis 30 ans, depuis que je suis né, je traîna avec moi dans la vie, ce vice rédhibitoire ; et jamais personne, ni sur les bancs de l'école, ni sur les bancs du collège, ni sur les bancs de l’université, n'a osé me reprocher ce crime.
Il a fallu attendre que j'eusse l'honneur de siéger dans cette Chambre pour m'entendre accuser de la sorte, par M. Dumortier aujourd'hui ; mais la première fois par un ministre de Dieu, par un apôtre de paix et de tolérance, par un prêtre, par M. le chanoine de Haerne.
Eh bien non ! je ne suis pas catholique. Pourtant je ns suis pas juif, comme vous l'avez fait entendre, comme vous l'avez dit, et je n'ai rien de commun avec le petit Mortara.
Je suis protestant, mais je suis bien bon, en vérité, de vous dire ce que je suis ! Si vous me demandez quelles sont mes croyances, j'ai le droit de vous répondre que je suis mahométan ! Et que me répliquerez-vous ? Ce droit je le possède en vertu de cette liberté religieuse que vous vous vantez tous les jours, que vous vous vantiez hier encore d'avoir proclamée en 1830 !
(page 700) Ah !'cette liberté, je l'admire ; je vous remercie de l'avoir donnée à la Belgique, je vous en suis reconnaissant ; mais ne diminuez alors pas tous les jours le prix du bienfait, en le jetant comme un reproche et un outrage à la face de ceux qui en jouissent. Surtout ne croyez pas, M. Dumortier, c'est à vous que je m'adresse, à vous qui m'avez interpellé ; ne croyez pas que vous m'amènerez jamais, comme certains hommes que je méprise, à vouloir me faire pardonner mes croyances.
Entré ici par la petite porte ou par la grande, je ne les renierai pas. Le faire, ce serait une lâcheté, et si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que j'en suis incapable.
M. B. Dumortier, pour un fait personnel. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir m'accuse de lui avoir reproché ses croyances religieuses. Je repousse de toute les forces de mon âme une pareille accusation et je la lui renvoie. En respectant les convictions religieuses de tous, j'ai le droit, comme citoyen, comme Belge, de critiquer l'usage qu'on peut en faire contre sa conviction. Lorsqu'un seul membre de la Chambre professe une religion dans laquelle je le respecte, mais une religion étrangère à celle de cette assemblée, et qu'il vient déverser l’outrage sur nos croyances…
M. le président. - Je dois vous interrompre, M. Dumortier ; je ne puis pas permettre que, prenant un langage parfaitement inconstitutionnel, vous disiez que la Chambre a une religion plutôt qu'une autre.
M. B. Dumortier. - J'ai voulu parler de la religion des membres de la Chambre.
M. le président. - Chaque membre a sa croyance, mais la Chambre, comme corps, n'en professe aucune, et n'en peut professer.
M. B. Dumortier. - J'ai dit qu'on n'avait pas le droit d'insulter aux croyances des autres...
M. le président. - Si quelqu'un a insulté aux croyances d'un membre, ce n'est pas M. Hymans.
M. B. Dumortier. - Mais tout ce que l'honorable membre a dit tendait à jeter du ridicule sur les miracles et les légendes des saints ; c'est une insulte à nos croyances.
M. le président. - Je ne permettrai pas que le débat dévie. M. Hymans a parlé de miracles douteux ou apocryphes et il a cité, en leur empruntant ces qualifications, des paroles d'hommes dont le respect pour les croyances catholiques n'a jamais été mis en doute.
M. B. Dumortier. - Tout le discours de l'honorable membre a été une satire contre nos croyances....
M. le président. - Je n'ai pas fini. Je répète que si une allusion blessante quelconque à une croyance religieuse était faite, je rappellerais à l'ordre celui qui se la permettrait.
M. B. Dumortier. - Alors il fallait rappeler à l'ordre toute allusion aux croyances religieuses de la grande majorité de cette Chambre.
M. le président. - Ne me faites pas regretter mon indulgence. Ce n'est pas M. Hymans qui en a profité. Je vous répète qu'il est inconstitutionnel de due que la Chambre a une croyance....
M. B. Dumortier. - Mais les membres de la Chambre en ont une.
M. le président. - Continuez, M. Dumortier. J'invite tous les membres à s'abstenir d'interrompre l'orateur.
M. B. Dumortier. - Je repousse de toute l'énergie de mon âme le reproche que m'a adressé l'honorable membre d'avoir attaqué ses opinions religieuses ; je ne froisserai jamais les convictions religieuses
L'honorable membre a dit que si je défendais sainte Thérèse et saint Jambon, j'avais combattu l'érection d'une statue à Simon Stevin.
Oui, j'ai combattu la proposition d'élever une statué à Simon Stevin, c'est un des plus beaux actes de ma vie ; Simon Stévin était un grand mathématicien, je le reconnais, mais c'était un traître à la patrie ; il avait trahi la patrie, il était passé dans le camp du prince d'Orange pour nous combattre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il combattait les Espagnols.
M. B. Dumortier. - Il combattait l'armée belge ; c'était un traître. Je n'aime pas les traîtres, et toujours je combattrai les projets de rendre des honneurs à des hommes qui ont trahi la patrie.
M. Goblet. - Est-ce que la patrie était dans le camp espagnol ?
M. B. Dumortier. - La patrie était dans le camp que le traître combattait.
On dit que quand nous soutenons nos croyances contre d'odieuses attaques, nous portons atteinte à la liberté d'autrui, à la liberté de conscience. Ne sont-ce pas ceux qui prennent ici l'initiative de venir jeter le blâme sur la croyance d'un grand nombre de leurs collègues, qu'on peut, avec raison, accuser de porter atteinte à la liberté ? Ne font-ils pas d'une tribune politique un prêche pour des doctrines d'une autre époque, et vous n'occasionnerez pas nos réponses que le droit de légitime défense nous commande et auxquelles jamais nous ne ferons défaut.
M. de Haerne. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, vous comprenez que j'ai le droit de dire quelques mots pour un fait personnel ; c'est bien au point de vue de mon caractère, de mes principes, de mes antécédents, que j’ai été attaqué. J'ai dû chercher dans ma mémoire pour me rappeler le fait auquel l’honorable membre a fait allusion. Je pense qu'il s'agit de cette séance où il a interpellé le gouvernement au sujet des scandales qui avaient eu lieu dans une prison, et a adressé à certains frères des reproches extrêmement durs. Comme dans son discours il généralisait ses accusations, j'ai été étonné du ton qu'il prenait et de l'odieux qu'il jetait sur le corps auquel j'ai l'honneur d'appartenir.
Les attaques auxquelles il se livrait me paraissaient inexplicables. Voulant rechercher la cause de son ton et de son animosité, et croyant qu'ils provenaient de son ignorance, j'ai voulu me rendre compte de cette ignorance.
Je n'ai pas fait un reproche à l'honorable membre de ses convictions, je n'ai fait que les constater, et j'ai dit, en m'appuyant sur quelques-unes de ses paroles, « qu'il n'avait rien de catholique » et qu'il devait, comme appartenant à une autre opinion que la plupart des membres de cette assemblée, user de plus de réserve dans ces sortes de questions. •
Je répète que la liberté, dont on parle, je l'ai toujours respectée ; j'ai voté au Congrès national pour toutes les libertés ; je n'ai pas besoin qu'on me fasse de leçons sous ce rapport. Ce que je ne puis comprendre, ce que je ne puis laisser passer sans protestation, c'est qu'on veuille se faire de la liberté un piédestal, pour s'élever contre les croyances du pays et insulter à ceux qui osent les défendre.
M. Hymans. - J'accepte les explications et l'amende honorable de l'honorable membre.
M. de Haerne. - Je proteste contre votre assertion. J'ai rétabli mes paroles, que vous aviez dénaturées ; rien de plus.
M. Tack. - Les questions personnelles étant épuisées, j'aborde l'amendement de MM. Hymans et Jacquemyns, et je viens le combattre.
Vous avez entendu l'honorable M. Hymans déverser d'acerbes critiques, d'amères ironies sur l'œuvre des bollandistes ; comme l'honorable M, Dumortier, je n'aurais pas cru qu'un membre de cette Chambre aurait eu le courage de ravaler ici, je ne dis pas assez, de ridiculiser une œuvre si éminemment nationale. Au reste je ne crains pas de prédire à l'honorable membre que, si acérés que soient ses traits, ils n'effleureront pas même l’impérissable renommée acquise à l'œuvre bollandienne.
Est-il vrai que l'œuvre des bollandistes ne soit qu'un ridicule fatras de légendes plus absurdes les unes que les autres ? Non, les Acta Sanctorum ont été entrepris tout juste dans le but de discerner, dans les légendes populaires, la réalité de la fiction, de dégager la vérité de ce qu'il pouvait y avoir de faux.
Voilà le premier but, le but essentiel de la rédaction des Acta Sanctorum. Pour discuter les légendes il fallait bien les citer. Est-il étonnant dès lors qu'on y rencontre les appréciations naïves et les exagérations que fournit la tradition populaire ?
D'après l'honorable membre, l'œuvre des bollandistes ne serait qu'une simple hagiographie ; ne contiendrait presque exclusivement que des biographies de saints personnages. Erreur ! Les Acta Sanctorum, malgré leur titre sont une vaste conception historique, une œuvre immense, une publication aussi remarquable par son étendue que par son importance.
Dans l'œuvre des bollandistes sont traités d'une manière approfondie bien des questions épineuses d'histoire, bien des points controversés de géographie ancienne, de chronologie, de paléographie ou de diplomatique.
L'honorable membre tout en se donnant l'air de réserver sa critique pour les travaux des bollandistes modernes, tout en reconnaissant certain mérita aux travaux des anciens bollandistes, s'est plu à déprécier autant qu'il lui a été possible ces derniers. N'a-t-il pas en effet pris un malin plaisir à citer l'opinion du comité ecclésiastique institué par Joseph II ? Il ne s'agit pourtant pas là des bollandistes modernes. Cette manière d'agir prouve assez ce que veut l’honorable membre.
Messieurs, l'œuvre tout entière fait le plus grand honneur aux lettres belges ; tous les savants protestants, catholiques, philosophes, libres penseurs sont unanimes pour reconnaître le mérite littéraire et scientifique des Acta Sanctorum.
L'honorable M. B. Dumortier a cité avec beaucoup de raison l'opinion de Leibnitz. Je viens l'invoquer à mon tour.
Leibnitz disait, en parlant de l'œuvre des bollandistes, que si les jésuites n'avaient jamais fait autre chose que de publier les Acta Sanctorum, leur ordre, au point de vue de la science bien entendu, car je ne veux pas qu'on tronque mes paroles, serait immortel.
Leibnitz entretenait une correspondance très suivie avec les bollandistes et l'on peut voir, par cette correspondance, combien il portait haut, combien il estimait la compagnie savante et quelle grande idée il avait de leurs travaux.
Voici ce qu'il écrivait, le 24 mai 1686 :
« Votre œuvre a toujours excité au plus haut point mes sympathies ; si je puis vous être de quelque utilité, vous pouvez compter sur la promptitude que je mettrai à répondre à votre appel. »
Ainsi Leibnitz se mettait à la disposition des bollandistes pour collaborer en commun avec eux à leur œuvre immortelle.
Dans une autre lettre en date du 11 juillet 1706, adressée à l'un d'eux, il disait : « Je vous confond tous dans une même lettre. N'est-on pas habitué à vous confondre dans cette mène renommée que (page 701) l'importance de votre grande œuvre vous assure ? Les sentiments que j'exprime ici vous concernent tous ; j'aime à dire combien je vous estime et vous honore. J’espère dorénavant recevoir plus fréquemment des nouvelles de votre œuvre, c'est toujours pour moi un avantage et un bonheur. »
A ces citations de Leibnitz, je pourrais ajouter celle dont l'honorable M. B. Dumortier vous a communiqué un extrait et qui se termine par ces paroles remarquables : « L'histoire presque tout entière est de votre domaine, et dans vos archives on trouve la clef des annales de presque tous les siècles. »
Le philosophe Bayle, de même que les auteurs de l'Encyclopédie, ne tarissent pas en éloges sur le mérite littéraire et scientifique de l'œuvre des bollandistes.
Voici ce qu'on lit dans Camus, commissaire au Directoire :
(Voyage fait dans les départements réunis, tome II page 50) ; « Rappelons-nous d'abord que presque toute l'histoire de l'Europe et une partie de celle de l'Orient depuis le septième siècle jusqu'au treizième est dans la vie des personnes auxquelles on donnait lors le titre de saints. Il n'y a pas d'événement de quelque importance, dans l'ordre civil, auquel un abbé, un moine, un saint n'aient part. C'est donc un grand service rendu par les jésuites connus sous le nom de bollandistes, à ceux qui veulent écrire l'histoire, d'avoir formé l’immense collection, aujourd'hui (1803) de 52 volumes in-folio, comme sous le nom d'Acta Sanctorum.
« La même collection a eu un autre avantage : elle a donné le signal de cultiver la science qui est la principale base de l'exactitude en fait d'histoire, savoir la diplomatique plus communément appelée de nos jours Paléographie (palxios) ou l'art de discerner entre les monuments écrits, chartes, diplômes, traités, etc., ceux qui sont sincères et authentiques et ceux qui n'ont pas ces qualités.
« Les notes et les dissertations des bollandistes ont été des modèles de critique sur des points d'antiquité, d'histoire, de géographie. Il n'est personne parmi les savants qui ne s'intéresse à la continuation des Acta Sanctorum. »
Vous le voyez, messieurs, par le témoignage de Camus, il ne s'agit pas seulement de saints dans l'œuvre des bollandistes, il s'agit aussi d'histoire, d'antiquités, de geographie.de paléographie. Et à propos de paléographie, puisque l'honorable M. Hymans a semblé trouver plaisant le nom de Papebroeck, il n'est pas inutile de faire observer que le premier écrivain qui a fait un traité sur la paléographie, c’est le bollandiste Papebroeck lui-même.
Je pourrais ajouter à toutes ces autorités d'autres témoignages. Je n'aurais pour le faire que l’embarras du choix. Ainsi, je pourrais citer Muratoiî, Valois, Bossuet, Usher le grand évêque protestant d'Angleterre et parmi les modernes, Pertz, l'auteur des Monumenta Germaniae, Augustin et Amédée Thierry ; Bethmann le collaborateur de Pertz qui n'a pas dédaigné de venir tout récemment de Berlin à Bruxelles afin de travailler en commun avec les bollandistes modernes, pour lesquels l'honorable M. Hymans montre tant de mépris.
L'honorable M. Dumortier vous l'a rappelé, et je n'ai pas besoin de revenir là-dessus, l'Institut de France a fait faire des démarches réitérées auprès du gouvernement français pour déterminer Napoléon Ier à faire continuer l'œuvre des Bollandistes, et Napoléon lui-même, à deux reprises, a fait faire des démarches en Belgique par l'intermédiaire de ses préfets, auprès des bollandistes encore survivants à cette époque.
Voulez-vous, messieurs, le témoignage d'un auteur belge ? Consultez M. Gachard, dont l'autorité sans doute ne sera pas suspecte. M. Gachard dit que l'œuvre des bollandistes est une entreprise littéraire qu'aucune autre n'a surpassée ni en grandeur, ni en difficultés vaincues.
M. Hymans. - Les anciens.
M. Tack. - Les modernes les valent ; vous n'avez pas épargné vos critiques aux anciens.
L'honorable M. Hymans vous a parlé de la vie de sainte Thérèse. Il vous a dit que tout un volume était consacré à la vie de cette sainte. Mais la vie de sainte Thérèse ne mérite-t-elle donc pas de place à côté de celle des autres saints ; n'est-elle point assez remarquable pour faire l'objet de quelques développements, alors même qu'elle semblait n'avoir pas de contact immédiat avec l'histoire profane ?
Messieurs, ces attaques dirigées par l'honorable membre contre les croyances de la majorité des Belges, sont de nature, me semble-t-il, à ébranler la foi de nos populations, et, selon moi, c'est un mal.
L'honorable M. Hymans n'a rien trouvé, dit-il, dans le 9ème volume que des dissertations sur la vie de saint Jean-le-Bon, qu'il a transformé en Jean Bon pour avoir le plaisir de faire un calembour ; je ferai remarquer qu'à l'occasion de la publication de cette vie, les bollandistes ont découvert un manuscrit précieux déposé dans les archives di Mantoue et qui pourra plus tard fournir d'amples données à celui qui voudra écrire l'histoire de la procédure de ce temps. Ce manuscrit, comme l'a fait observer l'honorable M. B. Dumortier, est analysé dans le 9ème volume.
Mais il n'y a pas seulement, en fait de procédure, ce monument dont s'occupe le 9ème volume. Pour la première fois on y expose et on y explique d'une manière très nette et très précise l'histoire du Plaid de Digne en Provence, qui eut lieu en 800 et fut présidée par les missi dominici de Charlemagne. Dans ce même volume encore, il y a une dissertation très approfondie et très curieuse sur la marche d'Attila à travers les Gaules. Et l'honorable M. Hymans n'y a trouvé que des niaiseries !
Au demeurant si la Chambre pouvait douter de la valeur de l'œuvre des bollandistes, nous avons des juges compétents en Belgique. Qu'on consulte l'Académie. Elle pourra vous dire son opinion et nous départager.
On marchande aux bollandistes la dotation de 6,000 fr. qui leur est allouée par le budget. Quelle était leur position anciennement ? Et comparons cette position à ce qu'elle est aujourd'hui.
L'honorable M. Hymans a eu soin de vous le dire lui-même, Les bollandistes avaient autrefois un capital de 270,000 fr., capital qu'ils avaient acquis au moyen des largesses des princes, au moyen de dons particuliers et au moyen de legs qu'ils avaient faits à leur propre œuvre.
Ils avaient à leur disposition une bibliothèque complète et une imprimerie parfaitement montée. Leurs revenus s'élevaient à 20,000 fr.
Si nous comparons ce que 20,000 fr., à cette époque vaudraient aujourd'hui, nous ne serions pas éloignés d'atteindre le chiffre de 30,000 à 40,000 fr.
Aujourd'hui de quoi disposent les bollandistes ? D'une somme de 6,000 fr. Et quel est le personnel ? Comme vous l'a dit M. B. Dumortier, quatre hommes érudits, quatre savants, quatre hommes qui consacrent leur talent et leurs veilles, qui sacrifient jusqu'à leur santé, travaillant sans discontinuer à l'œuvre, du premier au dernier jour de l'an.
Mais messieurs, connaissez-vous les frais qu'ont à supporter les bollandistes ? Ce sont des correspondances incessantes avec tous les savants, avec toutes les académies, avec toutes les sociétés scientifiques, avec toutes les universités de l'Europe. Ils ont à payer de fortes sommes rien que pour se procurer les extraits et les copies de documents et de manuscrits qui se trouvent à l'étranger. Ils sont obligés de faire des voyages, d’aller fouiller dans les bibliothèques de tous ces pays. Croyez-vous que tout cela n'exige pas des sacrifices considérables ?
Voulez-vous, messieurs, la preuve que l'œuvre des bollandistes modernes est appréciée au-dehors, vous la trouverez dans ce fait que la collection qui jadis pouvait s'obtenir pour 1,200 francs, vaut aujourd'hui 3,500 fr. Qu'est-ce à dire ? C'est que le travail nouveau a sa valeur, c'est que la continuation de l'œuvre a un mérite réel, quoi qu'en dise l'honorable M. Hymans.
Ce qui prouve encore ce mérite, messieurs, ce sont les encouragement que les bollandistes reçoivent des gouvernements étrangers.
Ce n'est pas, dit-on, une œuvre nationale. Messieurs, vous le savez, l'œuvre des bollandistes renferme une foule d'indications très précieuses sur l'histoire de la Belgique.
L'honorable M. Hymans a été obligé d'en convenir et il nous a dit qu'on a eu l'intention d'extraire de cet ouvrage tout ce qui intéresse particulièrement la Belgique. C'est une œuvre, d'ailleurs, qui est exclusivement composée par des Belges.
Nous venons de voter, il n'y a qu'un instant, un crédit de 5,000 fr. pour la publication d'une collection d'auteurs belges ; s'agit-il là seulement d'œuvres historiques ? Evidemment non, mais de toute sorte d'œuvres qui peuvent contribuer à la gloire littéraire du pays, quel que soit leur objet. .
Messieurs, les bollandistes ont-ils rempli leurs obligations ? Oui, ils ont publié non pas 3 volumes, mais 3 tomes, formant 4 volumes ; le cinquième est actuellement sous presse ou va être mis sous presse incessamment.
Les bollandistes ne sont pas engagés à faire davantage, et cela paraît assez, car il faut ben se rendre compte de ce que sont ces volumes ; chacun équivaut à 10 volumes in-8° de 500 pages chacun,
M. B. Dumortier. - A 20 volumes in-8°.
M. Tack. - On vous a dit, messieurs, que cette publication a coûté 130,000 fr. ; mais il ne faut pas perdre de vue que des ouvrages de cette nature ne sont pas accessibles à tout le monde. Ils ne se trouvent pas dans la bibliothèque des particuliers, ils ne garnissent que les rayons des grandes bibliothèques, des bibliothèques des compagnies savantes et des bibliothèques publiques.
Il en est ainsi des œuvres historiques qui se publient en Angleterre. Pour ne citer qu'un exemple, les œuvres de Thomas Hearne n'ont été tirées qu'à 100 exemplaires. De semblables publications entraînent des frais immenses. Les 4 volumes publiés par les bollandistes leur ont coûté 75,000 fr. Ceci m'amène à la lettre que nous a adressée l’ancien éditeur des Acta Sanctorum. Je ferai remarquer d'abord que cet éditeur, M. Greuze, n'a jamais rien eu de commun avec la Chambre.
La Chambre n'a jamais rien accordé à M. Greuze, elle a alloué un subside aux bollandistes, et si M. Greuze a des griefs à faire valoir, qu’il s’adresse aux tribunaux, comme il l’a fait à l’égard d’autres. Mais il ne le fera pas. M. Greuze a été intégralement payé. Qu’est-ce en définitive que M. Greuze ? C’est un éditeur mécontent, froissé parce que les bollandistes se sont adressés à un autre, l’on abandonné. M. Greuze n’est pas en cause dans ce débat.
C'est une très singulière pièce que cette lettre de M. Greuze ; ce n’est pas une pétition, il ne demande rien ; ce n'est pas une réclamation, il ne réclame rien ; c'est une prétendue justification, qu'il croit avoir besoin de faire devant le public qui prétend, au dire de M. Greuze, qu’il (page 702) se roule dans l'or du gouvernement. Ce sont ses expressions. Au fond la lettre de M. Greuze est une dénonciation voilée, remplie d'insinuations peu bienveillantes. Ce n'est d'ailleurs, d'un bout à l'autre, qu'un jeu de mots, qu'une équivoque. M. Greuze vient vous dire qu'il n'a pas touché un centime sur les 80,000 fr. alloués aux bollandistes pour la publication des 8 volumes dont il fait mention. Il est clair que M. Greuze n'a pas reçu un centime de ce chef et qu'il ne pouvait rien recevoir.
Si les bollandistes lui avaient donné une part quelconque de ce subside, cette part aurait été détournée de sa destination. Vous eussiez eu le droit d'en faire des reproches aux bollandistes. En effet, il faut savoir, messieurs, que lorsque l'œuvre des bollandistes fut reprise, il y avait deux éditions, l'édition originale publiée en Belgique et une contrefaçon publiée à Venise ; l’édition belge était arrivée au 53ème volume, l'édition de Venise au 45me ; le 53ème volume de l'édition belge avait été enlevé et détruit en partie à la suite de la révolution française. M. Greuze a cru bon de rééditer ce 53ème volume et a réussi dans cette spéculation qui le concernait personnellement.
II publia ensuite les 7 ou les 8 volumes qui manquaient à l'édition de Venise et il fit en ceci une mauvaise spéculation, du moins il l'insinue dans sa lettre ; il a, dit-il, dépensé 68,000 fr. à cette entreprise, mais qu'est-ce que cela prouve ? 68,000 fr. pour une simple réimpression, non pas pour composer une œuvre, l'imprimer sur manuscrit, mais la rééditer. (Interruption.)
Puisque la Chambre paraît n'attacher aucune importance à la lettre de M. Greuze, je passerai outre. Seulement j'ajouterai, quant aux volumes publiés par les bollandistes modernes, que M. Greuze a été dûment payé par ceux-ci, et que c'est là chose indépendante des spéculations qu'il a pu faire à part lui, en son propre nom, à ses risques et périls.
Messieurs, depuis 20 ans vous avez accordé un subside à l'œuvre des bollandistes, dès le principe vous avez su quelles conséquences cela devait entraîner. Mais y a-t-il eu contrat pour l'avenir ? On viendra dire non. Nos devanciers n'ont pu nous lier, je le veux bien ; cependant il y a eu au moins une espèce d'engagement moral qu'il convient de respecter.
Si les bollandistes avaient manqué à leurs obligations, je comprendrais que vous privassiez le monde savant de la continuation de leurs publications ; vous trouveriez là une excuse.
Mais ils ont rempli tous les engagements qu'ils avaient contractés ; ce serait, selon moi, une lésinerie impardonnable et indigne de la Chambre, de supprimer le subside.
On nous dit : Il s'écoulera 50, 60 ou 70 ans avant que la publication soit complète.
Eh bien, vous aurez 50, 60 ou 70 ans pour payer. Est-ce que nos pères reculaient devant des considérations tirées de ce qu’l fallait des siècles pour achever nos cathédrales, nos hôtels de ville, nos beffrois et tous ces monuments que nous montrons encore aujourd'hui avec orgueil à l'étranger.
Est-ce que sous tous les régimes, la France n'a pas secondé et encouragé l'œuvre des bénédictins. Est-ce que sous le règne de Louis-Philippe on n'a pas voté 700,000 francs pour aller faire des fouilles dans l'extrême Orient, ùà orsabad, village dépendant de l'ancienne Ninive ?
Et la Belgique hésiterait, tarderait lorsqu'il s'agit d'une somme annuelle de 6,000 francs destinée à encourager une œuvre que l'étranger nous envie !
Savez-vous, messieurs, comment l'impartiale histoire a jugé l'acte posé par Joseph II ? Ecoutez M. Gachard dans son mémoire historique sur les bollandistes et leurs travaux, lu en séance de la commission royale d’histoire :
« Le 16 octobre 1788 le conseil du gouvernement notifia à la cour des comptes qu’il avait résolu de faire cesser le travail des bollandistes et des historiographes et qu'en conséquence à partir du 1" novembre suivant on devrait se bornera payer aux abbés Debye, Debue, Fonson, Ghesquière et Desmet leur pension annuelle de 800 florins. Ainsi fut consommée sous le règne d'un monarque qui prétendait à la gloire de régénérer ses peuples en les éclairant, une œuvre de parcimonie mesquine, disons mieux, de véritable vandalisme, car les deux établissements qu'il supprimait n'étaient pas à charge du trésor, il les avait trouvés dotés de fonds plus que suffisants pour leur entretien. Quelque jugement que l'on porte sur Joseph II, sa conduite dans l'affaire des bollandistes sera une tache éternelle à sa mémoire. »
Messieurs, la Chambre belge est trop éclairée, trop juste, trop au-dessous des petites passions pour s'exposer à attirer sur elle une sentence aussi sévère, et je dirai aussi justement méritée que celle que je viens de vous rappeler.
M. Jacquemyns. - Messieurs, je ne puis pas juger du mérite des Acta Sanctorum, et je n'ai garde de les critiquer.
Mais j'ai vu avec regret une allocation aussi considérable pour une seule publication, alors que quand on demande au gouvernement d'encourager des publications utiles de divers genres, le gouvernement se trouve constamment obligé de répondre : Je n'ai pas de fonds.
C'est ainsi que le gouvernement se trouve généralement dans le cas de devoir congédier les écrivains qui désirent obtenir des encouragement pour la publication d'ouvrages utiles.
Mon honorable collègue et ami, M. Hymans, vient de dire comment on encourage ces œuvres. C'est en souscrivant pour un certain membre d'exemplaires. Il faut que l'écrivain fasse d'abord les frais d'études, de publication, et lorsque tous les frais sont faits, alors le gouvernement vient en aide, en souscrivant pour un certain nombre d'exemplaires. Telle n'est pas la conduite du gouvernement envers les bollandistes.
Je dois avouer que j'étais déjà membre de cette Chambre, avant de savoir ce que sont des bollandistes, et je pense que, dans cette Chambre et dans le pays, beaucoup de personnes l'ignorent. Les bollandistes actuels sont quatre membres de l'ordre des jésuites ; Ils appartiennent aux jésuites établis à Bruxelles, ce qui veut dire qu'ils sont copropriétaires des deux collèges de St-Michel qui constituent une propriété d'une valeur très considérable. Ils appartiennent à ces jésuites qui possèdent également une grande et belle maison, dans le voisinage de la porte de Schaerbeek, laquelle a été payée 250,000 fr., si je suis bien informé. A cette propriété, il a fallu en ajouter une autre qui a été payée 90,000 fr.
L'honorable M. B. Dumortier nous a dit que ces hommes modestes vivent dans la retraite pour apporter une pierre à ce bel édifice qui fait notre gloire nationale. Mais, messieurs, ces hommes modestes ne sont pas pauvres que je sache ; ils ont maison à la ville et maison à la campagne, à Bruxelles et à Jette-Saint-Pierre, de belles et bonnes propriétés, et le gouvernement vient à leur secours au moyen d'un subside annuel de 6,000 fr. !
Ce subside appartient-il exclusivement, personnellement aux bollandistes ? Je ne le pense pas.
Du reste, on sait que les révérends pères bollandistes remplirent toutes les fonctions qui incombent à leur ordre, en même temps qu'ils s'occupent des études auxquelles ils se sont engagés.
Ainsi, ils entendent la confession. Naturellement, ils ne peuvent se soustraire aux obligations de leur ordre, obligations qui prennent un temps assez considérable.
Maintenant, comme on a voulu l'insinuer dans la discussion, le gouvernement a-t-il suivi en ceci la ligne de conduite des gouvernements antérieurs ?
Messieurs, pour savoir ce qui en est, prenons la note que l'honorable M. de Theux a communiquée à la Chambre dans la séance du 24 décembre 1846, qui se trouve page 426 des Annales parlementaires du deuxième semestre de 1846.
On y lit que les bollandistes s'étaient adressés à l'empereur Léopold pour obtenir un subside en faveur de leurs travaux ; ils promettaient de dédier les volumes à des membres de sa famille et de mettre le portrait en tête des volumes ; en compensation de cette promesse l'empereur accorda un subside ; mais le subside ne fut pas payé ; quelque temps après on le réclama, il fut encore accordé, mais on ne le paya pas encore ; si le gouvernement veut promettre et ne pas payer, je ne trouverai pas la chose très loyale, mais je n'aurai pas les mêmes motifs pour faire de l'opposition.
Du reste, le gouvernement hollandais qui nous a précédés, d'après la même notice, a obtenu la propriété de la bibliothèque des bollandistes. Il y avait certainement des conditions, car les bollandistes n'auraient pas donné cette bibliothèque gratis. Et cependant, le gouvernement hollandais ne donna pas de subside aux bollandistes. Le gouvernement belge se trouve propriétaire de la bibliothèque, il la met à la disposition des bollandistes et depuis 1837 le gouvernement alloue annuellement une pension de 6,000 francs aux révérends pères bollandistes ou à l'ordre des jésuites, pour la publication des Acta Sanctorum. Une première fois on a réduit le subside à 5,000 francs.
- Plusieurs voix. - A 4 mille fr.
M. Jacquemyns. - Je lis 5 mille, mais cela ne tient pas à mille francs.
J'ai supputé ce que chaque volume coûte à l'Etat ; cela revient à une quarantaine de mille fr. Maintenant je comprends très bien que les révérends pères bollandistes ont de grandes dépenses à faire pour la publication de ces volumes, ils ont des manuscrits et des renseignements à se procurer. Mais quand ils rendent compte de l'emploi qu’ils font du subside ils ont grand soin d'insister sur les dépenses qu'il faut pour leur entretien personnel, de sorte qu'ils entendent bien vivre du trésor public et mettre à sa charge les frais qu'ils font ; mais les manuscrits qu'ils acquièrent, les donations qu'on leur fait, est-ce que cela devient la propriété de l'Etat belge ? Pas le moins du monde.
Nous avons payé 130 mille fr. aux bollandistes ; depuis cette époque ils ont vécu en Belgique, mais qui les empêchera un jour d'aller se fixer à l'étranger, si cela leur convient, en d’emporter tous les documents qu’ils ont recueillis ? Le gouvernement n'aurait rien à y voir. Il y a plus, si quelque membre de cette Chambre voulait consulter ces riches archives, consulter cette bibliothèque qu'ils ont formée et qu'on estime à 300 mille fr., ils seraient en droit de dire : Cela nous appartient ; c’est à nous, vous n'y entrerez qu'avec notre bon plaisir.
Les anciens bollandistes n'avaient guère de subside du gouvernement, car ils n'en ont eu des gouvernements précédents que pendant une dizaine d'années ; ils avaient toutefois réalisé des bénéfices sur leurs volumes, dont la vente leur rapportait annuellement 2,400 florins de Brabant ; ils avaient reçu des cadeaux, des marques d'intérêt, si bien qu'ils avaient acquis une propriété qui rapportait neuf mille florins, soit probablement environ 17 mille francs.
(page 703) Ils ont perdu ce revenu à la révolution française. Mais es- ce au gouvernement belge à indemniser les nouveaux bollandistes de ce que leurs prédécesseurs avaient à cette époque ? Depuis lors, l'empire a passé sur la Belgique, ainsi que le Royaume des Pays-Bas, et on nous demanderait d'indemniser les bollandistes de la fortune qu'ils ont perdue sur la fin du dernier siècle ! Des considérations de ce genre nous conduiraient à épuiser en totalité le trésor belge.
Maintenant on alloue six mile francs aux bollandistes. J'accorde qu'ils publient des choses intéressantes, mais je ne crois pas que ce soient les plus intéressantes qu'on ait à publier en Belgique.
Quelle garantie le gouvernement belge a-t-il que les bollandistes s'occuperont avec activité, avec zèle, de cette publication ?
D'après les indications qui se trouvent dans le travail que j'ai en mains, ils comptaient publier tous les deux ans un volume ; ils expriment, le 15 décembre 1846, la confiance qu'ils pourront publier un volume tous les deux ans et qu'ils publieront encore 20 à 25 volumes.
Il n'a paru que deux volumes dans les quatorze années qui viennent de s'écouler, depuis la date de ce rapport dans lequel on promettait un volume tous les deux ans, et cette année on vient nous dire que les bollandistes publieront un volume tous les quatre ans. L'ouvrage, pour être complet, exigera encore 17 à 18 volumes, si bien qu'il faudra encore 68 à 72 ans. »
Il y a ici deux considérations à noter.
La première, c'est que les matériaux se multiplient en quelque sorte sous la plume des bollandistes. Car il n'y a eu que 51 volumes pour neuf mois et demi. Cela représente à peu près cinq volumes par mois ; et pour deux mois et demi, il faut encore vingt volumes.
D'un autre côté, est-ce que la publication sera finie là ? La cour de Rome canonise de temps à autre. Ainsi, dans ces derniers temps, nous avons vu canoniser saint Labre et saint Cubertin.
D'autres miracles se font. Il faudra donc des suppléments. De cette manière on ne voit pas à quelle époque cette œuvre sera finie. Les matériaux se multiplient tous les jours, et les bollandistes ne peuvent dire à quel nombre de volumes ils se borneront.
Lorsque le gouvernement donne un subside à un corps savant, à une institution quelconque, il est en droit d'exiger des garanties ; il est en droit de faire des stipulations quelconques. Mais ici il n'en est rien. Ces messieurs publieront, quand ils seront prêts, quand cela leur conviendra et ils publieront aussi longtemps qu'ils voudront. Voilà la position du gouvernement. Elle est sans garantie et sans aucun moyen d'action.
Si nous admettons que les pères bollandistes exécutent leur promesse de publier un volume tous les quatre ans, le volume reviendra à 24,000 francs.
C'est moins que les volumes publiés depuis 1847 ; ils coûtent, ceux-là, de 40,000 à 45,000 fr. le volume.
Qu'arrivera-t-il si l'on supprime le subside annuel de 6,000 fr. ? D'abord il est à remarquer que la position de l'ordre des jésuites s'est beaucoup améliorée en Belgique, depuis l'époque où l'on a alloué le premier subside. Ainsi tout le monde sait que l'ordre des jésuites, qui possédait peu de propriétés eu Belgique en 1839, en possède aujourd'hui de très importantes. Les pères bollandistes entrent pour leur part dans la propriété de ces immeubles considérables. Leur position s'est donc améliorée.
Les anciens bollandistes avaient réalisé des économies notables sans le secours du gouvernement.
La position des bollandistes actuels sera meilleure que celle de leurs devanciers alors même que le gouvernement ne viendra plus à leur secours.
Les œuvres des anciens bollandistes ont obtenu deux éditions, l’une d'Anvers, l'autre de Venise.
Les villes qui possèdent la collection des œuvres des anciens bollandistes, tiennent à compléter cette collection, et c'est à ce point que l'empereur des Français a envoyé une médaille d'or de plusieurs centaines de francs de valeur à l'éditeur M. Greuze, pour avoir publié une nouvelle édition de quelques volumes qui manquaient aux bibliothèques françaises.
Les pères bollandistes, lorsqu'ils publient de nouveaux volumes, ont donc pour souscripteurs tous les propriétaires des deux anciennes éditions. Les volumes qui paraissent se vendent, d'après le prospectus que je tiens en main, de 55 à 70 francs ; un volume tous les quatre ans, c'est une somme de 15 à 20 francs qu'il faut sacrifier chaque année pour compléter cette collection à laquelle on attache tant d'importance Eh bien, peut-on douter que ceux qui possèdent déjà cinquante et des volumes reculeront devant une contribution de 15 à 20 francs par an, pour compléter leur collection ? Evidemment non. Cela est si vrai que les Acta Sanctorum sont tirés à 400 ou 500 exemplaires.
Le volume, d'après l'éditeur, revient tous frais compris à une quarantaine de fr., et il reste de 20 à30 fr., que les bollandistes économisent sur chaque volume de leur publication. Ils se trouvent donc dans une position favorable. D'un côté, ils n'ont pas à se préoccuper des nécessités de la vie. Ils appartiennent à un ordre important qui est loin d'être dans le besoin. D’un autre côté, ils sont sûrs de vendre constamment leurs publications avec un bénéfice notable.
Ce sont ces considérations qui m'ont engagé à me joindre à mon honorable ami M. Hymans pour proposer la suppression du subside alloué depuis vingt-trois ans pour la publication de l’œuvre des bollandistes, et pour demander que cette même somme soit consacrée à la publication d'ouvrages populaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je tâcherai de restreindre autant que possible ce débat, qu'il n'a pas dépendu de moi de ne pas voir s'élever. Si j'avais été consulté, j'aurais donné aux honorables membres quelques raisons qui les auraient engagés, je pense, à ne pas faire leur proposition ; quant à moi, je ne puis pas m'y rallier, ni mes collègues non plus.
Voilà 22 ans, messieurs, qu'un premier subside a été porté au budget de l'intérieur pour encourager une publication des plus importantes : nous n'avons pas à nous transformer ici en académie ni en concile pour apprécier cet ouvrage au point de vue littéraire ou au point de vue théologique ; nous devons, je pense, nous placer à un point de vue plus général.
Il s'agit d'un ouvrage infiniment respectable par son âge et par son importance. Il date de plus de 200 ans ; il remonte à 1643 et sauf une interruption de peu d'années, il a été continué avec une persévérance que je dois appeler bien louable. Il a été repris depuis notre émancipation politique, en 1837, sous le ministère de l'honorable M. de Theux. Depuis lors l'allocation a été portée chaque année au budget sans débat sérieux.
En 1848, lorsqu'on opérait des réductions sur tous les services publics, j'ai proposé moi-même de réduire le subside de 6,000 à 4,000 fr. Ce dernier chiffre a été maintenu pendant trois ans, puis, un de mes successeurs a rétabli le chiffre de 6,000 fr., et je vous avoue que je n'ai pas eu le courage de proposer de nouveau une réduction de 2,000 fr.
Messieurs, les Acta Sanctorum sont un ouvrage belge, d'origine belge, rédigé par des écrivains belges. Quelque valeur historique ou scientifique qu'on leur attribue, on ne peut nier que c'est un ouvrage de longue patience, de grand labeur et de grande originalité.
C'est aussi un ouvrage écrit par des hommes modestes, laborieusement modestes. On dit qu'ils sont riches, je n'en sais rien, mais fussent-ils riches, ce ne serait pas un motif pour ne pas leur donner une marque de sympathie, alors qu'ils s'occupent de longs et sérieux travaux. Lorsque nous encourageons des écrivains soit par des souscriptions, soit par des achats, nous ne leur demandons pas quel est leur état de fortune.
Messieurs, j'ai été en rapport avec un des auteurs actuels des Acta Sanctorum et je lui ai fait une observation qu'il a trouvée fondée. Lorsque le gouvernement accorde un subside à un auteur quelconque, une des conditions du subside c'est que l'auteur fournisse un certain nombre d'exemplaires que le gouvernement répartit entre les diverses bibliothèques du royaume. Eh bien, j'ai pensé qu'il serait juste que les auteurs des Acta Sanctorum, en échange du subside qu'ils reçoivent du gouvernement, remplissent aussi cette condition.
Ce serait une innovation qui pourrait jusqu'à un certain point satisfaire les auteurs de la proposition.
Aujourd’hui, indépendamment du subside de 6,000 francs, le budget paye encore les exemplaires que les bollandistes fournisse ni à l'État ; il faudra que ce deuxième subside cesse et que ces exemplaires soient fournis sans rétribution. Je ne doute pas que les bollandistes n'adhèrent à cette condition.
Il semble, d'autre part, que les auteurs des Acta Sanctorum pourraient imprimer à leur œuvre une plus grande activité. A diverses époques, on leur a reproché de ne pas publier les volumes à plus court intervalle ; ils avaient promis jadis de publier un volume tous les deux ans.
On en compte un maintenant au plus tous les 5 ans. Sur ce pied, s'il reste vingt volumes à publier, nous en avons pour un siècle ; cela paraît effrayer l'imagination. Mais, messieurs, si nous avions à allouer pendant un siècle un subside de 6,000 francs pour un ouvrage d'une vaste érudition et d'un intérêt sérieux, je ne vois pas qu'il y eût là un motif de se récrier. A ce compte on pourrait multiplier par un siècle toutes les autres dépenses du budget et jugez à quelle somme colossale nous arriverions !
Ce n'est pas, messieurs, le seul grand ouvrage que nous encouragions et je vous avoue que. pour mon compte, j'ai une tendance toute particulière à encourager les ouvrages de longue haleine, qui exigent beaucoup de science et beaucoup de labeur ; c'est vers de semblables ouvrages que je dirige avec le plus de plaisir les subsides de l'Etat.
On a fait allusion à un grand ouvrage administratif qui, d'abord entrepris par deux auteurs, est resté aujourd'hui aux mains d'un seul.
Je ne pense pas que, dans les circonstances actuelles, on puisse accuser le gouvernement de manquer de sympathie pour l’auteur ni pour l'ouvrage lui-même.
Nous accordons, d'une manière permanente, à la publication des chroniques belges un subside de 10,000 fr., ce chiffre a été voté sans observations.
Nous accordons pour la description géographique et historique de la Belgique 6,000 fr., le crédit a été proposé par l'honorable M. de Decker, L'ouvrage exigera 8 ou 10 ans.
(page 704) La publication des anciens monuments de la littérature flamande est dotée d'un subside de 5,000 fr. Je ne sais pas quand finira cette publication, du reste fort importante, qui comprend les œuvres d'un grand nombre d'écrivains.
Voilà, messieurs, tous subsides que je considère comme très utiles et comme très légitimement acquis quand souvent les subsides s'éparpillent sur une fol e d'ouvrages peu importants. Quant à moi, je me prononcerai toujours en faveur de publications qui supposent de longues recherches, de fortes études, un travail consciencieux.
Messieurs, j'espère qu'en présence de ces explications, les auteurs de la proposition voudront bien ne pas y insister.
L'opinion à laquelle ils appartiennent ne doit pas se montrer et ne se montre pas exclusive ; elle ne doit pas être animée d'un esprit trop difficile à l'égard de travaux qui, en définitive, méritent le respect de tous les amis de la science et du pays.
Sans doute, si on apprécie ces longs et vieux récits, on trouvera beaucoup à reprendre.
On rencontrera, dans les légendes des anciens temps, je ne dirai pas des niaiseries, mais beaucoup de naïvetés caractéristiques des époques mêmes auxquelles elles remontent.
Il ne faut pas les juger trop sévèrement comme on jugerait une œuvre moderne. Il faut se placer au point de vue du temps où les héros, qui sont devenus des saints, ont vécu et agi.
Si les Acta Sanctorum peuvent être blâmés par quelques-uns, ce recueil a reçu, d'un autre côté, l'approbation d'un grand nombre de juges très compétents, appartenant à toutes les opinions. Je ne me permets pas de juger l'ouvrage ; je ne l'ai pas lu ; je ne puis l'apprécier que d'après des autorités, et qui, je dois le dire, ne concordent pas avec l'opinion professée par le premier orateur.
Voilà pourquoi je suis d'avis de laisser au budget le crédit entier de 6,000 francs qui y figure depuis bientôt 23 ans. Nos arrière-neveux en feront ce qu'ils voudront. Mais quant à nous, nous croyons qu'il faut persévérer dans la voie suivie jusqu'ici.
(page 719) M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, il me semble qu'il y a des doutes chez les membres de la Chambre sur l'utilité ou l'inutilité du maintien du crédit de 6,000 fr. ; la question est soulevée à l'improviste, et beaucoup de membres ne savent quelle décision prendre. Nous ne sommes pas suffisamment éclairés.
Je proposerai en conséquence à la Chambre de voter cette année le crédit demandé au budget, et je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien nous soumettre, à l'occasion du budget de 1861, un rapport qu'il rédigerait après avoir pris l'avis des savants indigènes et étrangers sur l'utilité de l'œuvre des bollandistes.
On me dit qu'un membre de l'Institut de France, qui s'est beaucoup occupé de science religieuse, et qui récemment encore était l'objet d'attaques très vives de la part de l’Univers, M. Ernest Renan, en fait un grand éloge.
Une pareille autorité est d'un grand poids dans la question qui nous est soumise. C'est pourquoi j'inviterai la Chambre à allouer pour cette année le crédit demandé.
(page 704) M. Hymans. - Je demande la parole simplement pour dire que je me rallie à la proposition de l'honorable M. de Boe.
M. le président. - L'amendement de MM. Hymans et Jacquemyns est retiré.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je m'engage volontiers à faire un rapport spécial sur l'œuvre des bollandistes. Il figurera au budget de 1861, en même temps que d'autres renseignements et documents administratifs à l'appui des demandes de crédits.
- La discussion est close.
L'article 112, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
La suite de la discussion est remise à mardi 14 février, à deux heures.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.