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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 février 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 671) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pétitions suivantes :

« Des habitants de Termonde réclament l'intervention de la Chambre pour faire abolir l'impôt sur la mouture qui est perçu dans cette ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Foucart propose des dispositions ayant pour objet d'assurer la sincérité des élections. »

- Même renvoi.


« Le sieur Castermans, ancien soldat congédié pour infirmités contractées au service, demande une pension ou un secours. »

- Même renvoi.

« M. Julliot demande un congé pour cause d'indisposition. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1860

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Article 99

M. le président. - La discussion continue sur l'article 99 et l'amendement y relatif.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne sais s'il est nécessaire de motiver l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter, d'accord avec mes honorables amis MM. Orts et Muller ; mais, pour être fidèle aux usages de la Chambre, je dirai quelques mots. Les discours qui ont été prononcés hier me permettront d'être très bref.

Messieurs, moi aussi je ne suis pas un partisan de la révision de la loi de 1842 ; je l'ai dit plusieurs fois et je l'ai même écrit.

Il y a, je le reconnais, de graves motifs de justice pour changer la loi ; mais il y a aussi des motifs pratiques pour tirer d'abord de la loi tout ce qu'on en peut tirer.

Or, je pense qu'il ne faut modifier une loi que lorsqu'elle est impuissante pour opérer le progrès, et si avec la loi existante vous pouvez opérer le progrès, je ne vois pas grand besoin de la changer en courant risque de rencontrer de graves difficultés dans quelques parties du pays. Il en serait autrement si, par une conduite imprudente, on nous provoquait à cesser d'être patients et généreux.

Eh bien, je dis que de la loi de 1842, on n'a pas tiré tous les avantages qu'on nous avait promis, et c'est pour e la que nous avons proposé notre amendement comme un encouragement au gouvernement actuel, dans l'accomplissement de ses utiles desseins.

Messieurs, il ne faut pas le perdre de vue, la loi de 1842 était essentiellement une loi de transaction.

L'honorable M Nothomb, ministre de l'intérieur de cette époque, a défendu cette loi avec un admirable talent, il faut lui rendre cette justice, même quand on n'approuve pas son opinion ; il a tenu, si on peut le dire, en respect les deux partis, par une opposition en quelque sorte intermédiaire ; faisant des concessions aux uns, et donnant des promesses aux autres. Les concessions, qu'il a faites aux uns, ont été acquises ; les promesses, qu'il avait faites aux autres, pouvaient être regardées comme certaines ; parce que, vis-à-vis d'une Chambre, un gouvernement ne prend pas d'engagements, sans que ces engagements fassent, pour ainsi dire, un des éléments de la loi.

On n'a voté la loi que parce qu'on a fait ces promesses ; ces promesses doivent être tenues, parce qu'elles ont été faites par le chef du gouvernement et que c'est uniquement à cette condition que la loi a été admise. Nos adversaires ne doivent pas perdre de vue cette position respective des partis et des intérêts. C'est une affaire de bonne foi. Messieurs, il ne me sera pas difficile de prouver que les engagements pris par le gouvernement à l’égard d'un plus grand nombre d'écoles normales primaires laïques, l'ont été d'une manière tellement précise, qu’on ne peut les contester.

Messieurs, pour s'en convaincre, il suffit de lire la discussion de la loi. Le chapitre des écoles normales a fait l'objet des préoccupations de beaucoup de membres et surtout de ceux de nos amis politiques qui siégeaient alors à la Chambre ; il était évident, pour eux, que deux écoles normales étaient insuffisantes, vis-à-vis des écoles normales du clergé, telles qu'elles existaient alors ; or, le nombre de ces dernières écoles a augmenté depuis ; tandis que les écoles normales laïques, au lieu d'augmenter, ont diminué en nombre. Eh bien, c'est là tout le contraire des engagements formels pris par M. le ministre de l'intérieur, dans la discussion de l'article relatif aux écoles normales.

Pour en fournir la preuve il me suffira de lire quelques-uns des passages du duscours du ministre de l’intérieur de cette époque. Je les tire du livre ayant pour titre : Discussion de la loi de l’instruction primaire, d’après le Moniteur belge (Bruxelles, 1843.)

L'honorable ministre de l'intérieur actuel avait présenté un amendement ; cet amendement consistait à dire qu'immédiatement il serai établi, par les soins du gouvernement, deux écoles normales pour l’enseignement primaire ; puis que le gouvernement pourrait créer successivement d'autres écoles normales...

M. Nothomb, ministre de l'intérieur en 1842. répondait à l'honorable membre : « L'amendement présente par l'honorable M. Rogier est une précaution extraordinaire, que nous prendrions pour l'avenir. Cette précaution, faut-il la prendre ? C'est ce que nous allons examiner ; il faut vous demander jusqu'à quel point les deux écoles normales et les institutions existantes, qui ont plus ou moins le même but, suffiront pour ce qu'on peut appeler le recrutement des écoles primaires.

« C'est, messieurs, une question de fait, une question de chiffre. J’ai proposé la formation de deux écoles normales du gouvernement ; et, de plus, j'ai demandé, pour le gouvernement, l'autorisation d'annexer à l'une des écoles primaires supérieures, par province, des cours normaux. » (p. 745.)

Et plus loin : « Vous voyez comment je suis amené à demander, à la fois, la création de deux écoles normales et l’autorisation d'annexer des cours normaux à l'une des écoles primaires supérieures, par province, (p. 745).

Voilà un premier engagement, et il me semble formel.

La discussion continue ; on discute encore cette convenance, et l’honorable ministre, M. Nothomb, après avoir exposé, par des chiffres, quels peuvent être les besoins de l’enseignement, comment peut se recruter le personnel de l’instruction primaire, dit : « Je pense, messieurs, avoir établi par des chiffres, que nous faisons assez en autorisant le gouvernement, d'une part, à créer deux écoles normales spéciales ; et, d’autre part. à annexer des cours normaux à neuf écoles d'enseignement primaire supérieur. » (p 746.)

Voilà donc, encore une fois, neuf cours normaux promis ; un par province ; avec les deux écoles normales, cela fait onze. Deuxième engagement du ministre de cette époque. Les membres libéraux ont eu la bonne foi d'y croire, et voilà comment s'est établie la transaction.

Voici le troisième engagement.

« M. Nothomb, ministre de l'intérieur. L'honorable M. Devaux a supposé, messieurs, que les deux écoles normales spéciales formaient seules des instituteurs. Mais le gouvernement possédera neuf écoles primaires supérieures auxquelles peuvent être annexés des cours normaux. » (p. 752 )

Le ministre supposait aussi que les particuliers auraient établi de pareilles écoles, ce qui n'a pas eu lieu.

Un peu plus loin, M. Nothomb disait encore : « On dit qu'il faut laisser la question ouverte ; mais, messieurs, c'est précisément nous qui proposons de laisser la question ouverte, surtout depuis que j'ai proposé d'ajouter le mot immédiatement.... car c'est dire implicitement que, si l'expérience démontre que deux écoles normales ne suffisent pas, il en sera établi un plus grand nombre. » (p. 765.)

Messieurs, avant ces assurances, que, dans le cours de la discussion, M. Nothomb donnait à l'assemblée, il avait, dès le début, montré à la Chambre, dans un discours remarquable, par lequel il ouvrait la discussion, dans quel esprit de transaction et de conciliation il voulait entrer ; il disait « : A la droite, je donne ceci ; et vous, membres de la gauche, vous pouvez espérer ce qui découlera naturellement de la loi. » Il s'engage à remplir ces promesses.

Voici comment il s'exprimait au début de la discussion :

« Je m'arrête à ces traits généraux du projet ; quel que soit le résultat de cette discussion, je me félicite de l'avoir amenée. Cette loi sera un des plus puissants instruments de véritable civilisation et d'ordre public ; votée sans avoir fait naître des débats trop irritant, exécutée avec loyauté, elle deviendra, dans l'état actuel des esprits, un moyen de concorde et peut-être une occasion de réconciliation. (p. 91).

Vous voyez donc, messieurs, que, dès le début, M. le ministre de l'intérieur disait qu'on pouvait compter sur l’exécution loyale de la loi. Or l'exécution loyale de la loi, suivant nous, c'était précisément d'augmenter le nombre des écoles normales dépendantes du gouvernement, ou sous le patronage direct du gouvernement.

Il y avait donc lieu d'espérer que le nombre de ce genre d'écoles augmenterait, et au lieu d'augmenter, il a beaucoup diminué. En effet, le gouvernement a aujourd'hui deux écoles normales proprement dites à lui, Nivelles et Lierre. Il a deux écoles accessoires, Bruges et Virton, et je vous dirai tout à l'heure de quelle importance est celle de Bruges. Mais il y avait des écoles normales à Liège, à Gand, à Bruxelles, et ces cours normaux ont été supprimés ; par conséquent, je suis en droit de dire que les promesses faites par le ministère de 1842 n’ont pas été réalisées. Un tel mécompte doit être redressé ; il y va de l'honneur de la parole gouvernementale, engagée sur ce point.

Messieurs, l'amendement que nous avons proposé est conforme à ce texte de la loi et il est conforme aussi aux engagements pris à l'époque du vote de la loi. En effet, dans le projet primitif l'article 35 ne donnait pas au gouvernement l'autorisation d'établir d'autres écoles que les deux qui étaient désignées. Ce n'est qu'à la suite de la discussion et des engagements pris par le gouvernement qu'on a inséré dans l'article un second paragraphe dont vous avez tous connaissance.

Dans le projet primitif, il était dit : « Il sera établi immédiatement (page 672) par le gouvernement deux écoles normales pour l’enseignement primaire, l'une dans les provinces flamandes l'autre dans les provinces wallonnes.

A la suite de la discussion, on a ajouté : « Dans chaque province, des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures (paragraphe 2 de l'article 35).

Eh bien, c'est précisément la portée de notre amendement ; c'est l'application qui pourra être faite du principe que nous vous demandons de consacrer.

Il est vrai, messieurs, que la lettre précise de la loi ne pourra pas être suivie, en ce qu'il n'y a plus d'écoles primaires supérieures. Par la loi de 1850, vous avez transformé ces écoles en écoles moyennes.

Mais elles n'ont fait que changer de nom et il est permis au gouvernement, en vertu même de la loi, d'appliquer à ces écoles le second paragraphe de l'article 35.

Cela est si vrai, qu'il y a, je pense, près de ces écoles moyennes des cours préparatoires soumis au régime de la loi de 1842. Et, en fait, il y a des cours normaux près de l'école moyenne de Bruges. Pourquoi Gand et Liège n'auraient-ils pas le droit de posséder ce que Bruges possède légalement ?

Messieurs, a-t-il nécessité d'augmenter le nombre des écoles normales ? On vous a cité, hier, la différence qu'il y avait non seulement entre le nombre des écoles normales du clergé et le nombre des écoles normales du gouvernement, mais entre les produits de ces écoles. On vous a établi que la part des écoles du clergé était des 3/5 et celle des écoles du gouvernement des 2/5.

Quant à l’importante des écoles, on pourrait dire que le gouvernement a quatre écoles ; mais il y en a deux qui ont peu d'importance. Ainsi celle de Bruges, qui n'est qu’une école secondaire, a, dans ses trois cours, 15 à 16 élèves, tandis que dans la même province, le nombre des élèves de l’école de Thourout est de 98. Je ne me plains pas de cette différence.

Si dans les écoles nouvelles qui seront établies il y a moins d'élèves que dans les écoles du clergé, ce sera l'effet de la concurrence. Notez aussi qu'à Bruges les professeurs non spéciaux de cette école n'ont qu'une indemnité de 800 fr. pour eux tous.

Messieurs, rappelons-nous bien que cette loi est une loi qui a été faite pour établir l’enseignement public organisé par l'Etat. Si nous ne voulons pas écraser, comme on l'a dit hier, nous voulons être, du moins, sur le pied de l'égalité.

Nous ne voulons pas dominer, nous ne venons pas demander d'avoir 14 à 20 écoles normales ; mais nous demandons la réalisation des promesses qui ont été faites. A ceux qui, sur nos bancs ou sur d'autres bancs, veulent le maintien de cette loi, je me permettrai de dire que, pour atteindre ce but, il ne faut pas fausser la loi, il ne faut pas tout attirer d’un seul côté ; il faut laisser la loi produire ses effets pour l'un parti comme pour l'autre. Si vous avez pour vous la liberté, laissez-nous aussi user de tous les droits qui ont été donnés aux pouvoirs publics.

Je le répète, c'est une loi qui a été faite non pour favoriser la liberté d'enseignement, mais pour établir l'enseignement donné aux frais de l'Etat. Non seulement par cette loi on a ménagé la liberté, mais on l'a favorisée ; et c'est là de quoi se plaignent quelques-uns de mes amis. Eh bien, si vous ne voulez pas de représailles, laissez faire la justice, laissez établir l'égalité, ou la presque égalité ; permettez que la stricte lettre de la loi soit mise en pratique. C'est le moins que nous puissions demander.

Messieurs, je ne sais pas s'il faut vous parler de la nécessité de former des instituteurs nouveaux, en plus grand nombre et plus capables. Vous ne pouvez pas nier que beaucoup d'instituteurs nommés depuis la loi, sont devenus d'un grand âge et que tous n'étaient pas parfaitement capables. Il s'agit de les remplacer convenablement, et réellement, il y a souvent manque d'instituteurs, je ne dis pas d'instituteurs tels quels, mais d’instituteurs capables, au moins s'il faut tirer une induction de nos statistiques.

II y a dans le province de Luxembourg, si je ne me trompe, deux écoles normales, Virton et Carlsbourg ; et dans la Flandre orientale, il n'y a qu'une école normale, celle de St-Nicolas. Or, je lis dans les statistiques qui établissent le degré d'instruction des miliciens, que, dans le Luxembourg il y a 8 3/4 p. c. de miliciens qui ne savent pas lire, et dans la Flandre Orientale, je le dis à regret, car je représente cette province, il y en a 65 p c. qui ne savent ni lire ni écrire.

£h bien, je suis en droit de dire qu'il y a manque d'instruction dans cette province ; or, il n'y a pas de bonne instruction sans bons instituteurs.

Mais ce que je dis pour les provinces en général, je puis le dire, en particulier, pour les villes.

Je prétends que les instituteurs des villes doivent être formés sur d’autres règles que les instituteurs du plat pays ; les aptitudes des jeunes gens doivent recevoir une autre direction dans les villes que dans les campagnes ; et il est évident qu'un bon instituteur de campagne ne serait pas toujours un bon instituteur dans une grande ville.

Or, messieurs, savez-vous quelle somme la ville de Gand consacre, chaque année, à l'enseignement primaire ? Elle dépense de ce chef 120,000 fr. ; et l'année prochaine, elle portera 140,000 fr. à son budget. Eh bien, je dis qu'une ville qui fait de pareils sacrifices a le droit d’avoir une école normale pour former des instituteurs et surtout des institutrices.

Elle le fait déjà, avec des résultats admirables, pour cette dernière catégorie ; mais je veux qu'elle le fasse en vertu de la loi, et avec l'aide de la loi. C'est pour cela que j'ai proposé l'amendement avec mes honorables amis, MM. Orts et Muller.

Je ne veux pas insister, messieurs, parce que notre honorable président a déjà donné d'avance les motifs de notre amendement, mieux que je n'ai pu le faire.

Mais, je vous en prie, dans la discussion qui va s'élever, considérez bien que nous sommes dans la lettre de la loi, et qu'en ne demandant pas autre chose que ce que nous a promis la loi, nous sommes parfaitement dans notre droit. N'oubliez pas que la loi de 1842 est une loi de transaction ; que ses principaux avantages sont pour vous. Si vous voulez éviter de légitimes représailles, ne nous refusez pas notre droit, laissez s'accomplir les promesses faites solennellement au nom d'un gouvernement qui représentait vos intérêts et qui s'est sacrifié pour vous.

M. de Theux. - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable ministre de l'intérieur a exprimé en quelque sorte le regret que la Constitution n'ait pas permis d'adopter quelques mesures préventives pour écarter de l'enseignement primaire certains instituteurs qui ne peuvent que nuire à l'enseignement et à l'intérêt des familles. Certes, messieurs, dans ces limites le regret de l'honorable ministre peut être justifié ; mais il ne faut pas perdre de vue que si l'on agissait ainsi à l'égard des autres libertés, il n'en est pas une seule qui put subsister, et certes la presse serait la première de toutes...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas exprimé de regret, j'ai constaté un fait.

M. de Theux. - N'exprimons pas de regrets de ce que le Congrès national a fait en consacrant soit la liberté de l'enseignement, soit la liberté des cultes, soit telle ou telle autre liberté. Ces regrets, messieurs, qu'on exprime dans cette Chambre doivent produire dans le public une impression désavantageuse, surtout lorsqu'ils sont exprimés par un homme faisant partie du gouvernement et un ancien membre du Congrès.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Respectez la Constitution autant que nous, et personne n'aura rien à craindre.

M. de Theux. - Je respecterai toujours et je serai toujours prêt à défendre la Constitution. Je le ferai aussi longtemps que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte.

Messieurs, une première question à examiner au sujet de l'amendement proposé par trois honorables membres, c'est de savoir s'il y a insuffisance de candidats pour les places d'instituteurs vacantes ; s il est vrai que le choix des communes en dehors des élèves diplômés est nécessité par le manque de candidats ; s'il n'est pas plutôt occasionné par d'autres circonstances locales que j'exposerai plus loin.

Nous croyons que le nombre des candidats instituteurs diplômés est plus que suffisant pour pourvoir à toutes les places vacantes.

Je trouve dans le rapport de la section centrale quelques chiffres dont le sens ne me paraît pas clair, D'après le rapport, les établissements normaux du pays ont formé jusqu'ici 1,770 instituteurs.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il s'agit d'instituteurs en place, ou si ce chiffre représente le total des élèves qui sont sortis des écoles normales avec un diplôme.

La question est importante pour apprécier l'utilité de l'amendement qui nous est proposé.

Je sais que, dans deux provinces, les écoles normales adoptées par le gouvernement fournissent plus de candidats instituteurs qu'il n'y a de places vacantes ; je crois qu'il doit en être ainsi pour les autres écoles normales.

S'il est vrai que les candidats sont en nombre suffisant ; s'il est vrai que beaucoup de jeunes gens, ayant reçu un diplôme d'instituteur, sont obligés de chercher d'autres carrières pour ne pas perdre le fruit de leurs études, je ne vois réellement pas à quelles fins l'amendement qui nous est proposé pourrait être adopté.

Evidemment on ne contestera pas aux élèves diplômés leur capacité d'instituteur. La preuve de cette capacité résulte des études qu'ils ont faites et des examens qu'ils ont à subir. Leur aptitude est encore constatée par les inspections régulières qui sont faites par les inspecteurs cantonaux et provinciaux. Cette aptitude est enfin entretenue par les conférences des instituteurs et excitée par l'espérance d'emplois plus lucratifs qui viennent à vaquer de temps en temps dans des communes plus importantes.

Messieurs, il y a deux modes de formation des élèves instituteurs. Le mode, généralement reconnu comme le plus utile, c'est celui des écoles normales.

Vient le second mode qui est indiqué dans la loi de 1842 ; je veux parler des cours normaux annexés aux écoles primaires supérieures. Le gouvernement n'a organisé de semblables cours normaux que dans deux localités. Pourquoi s'est-il borné à cela ? C'est parce que l'expérience a confirmé cette opinion, que les écoles normales l'emportent de beaucoup sur tout autre système pour la formation d'instituteurs ayant toutes les qualités requises pour bien remplir cette utile mission.

L'honorable M. Nothomb, auteur de la loi, avait cru qu'il y aurait une distinction à faire entre la formation des instituteurs pour les villes, et la formation des instituteurs pour les campagnes.

(page 673) D'après les discours que j'ai relus aujourd'hui même, il disait que ce serait surtout dans les cours normaux, attachés aux écoles supérieures, que se formeraient les instituteurs pour les villes.

Cela a été une erreur d'appréciation. Il est évident que dans les conditions où les écoles normales sont organisées, il peut en sortir des élèves parfaitement aptes à donner l'instruction primaire dans les villes. Et voilà pourquoi les cours normaux ont été jugés inutiles, d'un côté, et moins avantageux que les écoles normales, d'un autre côté.

S'il était démontré qu'une troisième école normale aux frais de l'Etat, fût nécessaire, je n'hésiterais pas un instant à la voter, parce que ces établissements, tels qu'ils sont actuellement organisés, offrent toutes les garantes que nous désirons ; mais il faudrait établir d'abord la nécessité, ou du moins l'utilité de cette troisième école.

Messieurs, si les chiffres cités dans le rapport de la section centrale signifient que sur les 1,770 instituteurs, il en est 1,058 qui sont sortis des écoles normales épiscopales, et que les instituteurs restants sont sortis des écoles normales de l’Etat, il n'y aurait à cela rien d'étonnant.

D'abord, les unes sont en nombre supérieur ; ensuite, elles sont d'une création antérieure ; les écoles normales du gouvernement n'ont été créées qu'en 1844 ; Les évêques en avaient créé 7 antérieurement. Or, des 1,058 instituteurs qui sont sortis de ces sept écoles, il y en avait évidemment qui avaient fait leurs études avant que les écoles de l’Etat fussent organisées.

Une autre cause de la différence qu'on signale, c'est que beaucoup d'aspirants instituteurs, formés dans les écoles normales de l'Etat, préfèrent embrasser des carrières plus lucratives.

Un troisième motif, c'est que les communes ont le choix libre entre les candidats-instituteurs diplômés. Nous ne pouvons pas peser sur leurs choix. Tantôt elles nomment des aspirants-instituteurs formés dans les écoles normales du clergé ; tantôt elles nomment des candidats formés dans les écoles normales de l'Etat ; elles agissent en cela selon leurs convenances.

Mais il y a plus : il est bon nombre de communes où il n'y a pas d'instituteur diplômé. Pourquoi ? Parce qu'il se trouve, dans la commune ou dans les environs, des jeunes gens qui remplissent toutes les conditions requises pour être instituteurs. Ainsi, lorsqu'on a discuté la loi de 1842, des membres ont dit : L'établissement des écoles normales est un privilège ; nous voulons, nous, que les communes puissent choisir en dehors des élèves formés dans les écoles normales.

C'est pour satisfaire à cette observation qu'on a inséré dans la loi une disposition aux termes de laquelle les conseils communaux peuvent, avec l'autorisation du gouvernement, nommer des candidats autres que ceux formés dans les écoles normales. Je pourrais citer plusieurs communes qui ont fait de pareils choix et qui n'ont qu'à n'en féliciter. Pourquoi, par exemple, un fils d'instituteur, qui a aidé son père, qui a fait des études supérieures à celles qui sont requises d'un bon instituteur, qui a fréquenté les cours d'un collège ; pourquoi ne pourrait-il pas être nommé instituteur ? Cette nomination ne serait-elle pas la récompense des services rendus par le père et du mérite éminent du fils ?

Je le répète, je pourrais citer plusieurs communes qui ont choisi des instituteurs en dehors des candidats diplômés et dont le choix a été parfaitement justifié ; mais il ne s'ensuit pas que les instituteurs diplômés manquent. Partout où il y a une place d'instituteur vacante, qui offre des avantages réels, les candidats diplômés se présentent en foule. Voilà une assertion que je crois pouvoir avancer avec certitude ; il ne manque pas de candidats pour les emplois vacants.

L'on a dit, dans la séance d'hier, que l'honorable M. Nothomb avait affirmé que les deux tiers des places d'instituteurs communaux devraient être naturellement affectées aux élèves sortis des écoles de l'Etat ; j'ai relu le passage du discours de M. Nothomb relatif à et objet et je me suis assuré qu’'il ne disait cela en aucune manière.

Il dit que ce serait très large d'admettre que ces écoles pourraient fournir les deux tiers des instituteurs ; mais il ne pouvait pas dire que les deux tiers des places vacantes seraient destinées aux élèves sortis des écoles du gouvernement, puisqu'il abandonnait par son projet le choix des instituteurs aux commutas. Il eût dit une chose absurde s'il avait affirmé cela.

Messieurs, peu doit nous importer la source où les candidats instituteurs ont puisé leur science et les conditions d'éducation nécessaires pour faire un bon instituteur.

La source est indifférente. Le principe a été consacré dans la loi sur l’enseignement supérieur de 1835, il a été rappelé dans les lois subséquentes. C'est un principe admis dans notre droit public, qu'on n'a pas à voir où l'on a puisé la science, mais seulement si on la possède.

Une autre considération, c'est que partout où il y a liberté, l'action centralisante du gouvernement n'opérera pas sur des bases si larges que la liberté.

Voyez ce qui est arrivé pour les chemins de fer. Les premiers ont été construits aux frais de l'Etat ; pendant plusieurs années on a hésité à laisser faire des chemins de fer par des compagnies. Mais au bout de quelques années, la liberté a prévalu, des concessions ont été accordées, et aujourd'hui, pour 567,000 mètres de chemins de fer construits par l’Etat, on en compte 1,124,609 construits par les compagnies.

Vous voyez que la liberté l’emporte sur l'Etat dans la proportion des deux tiers.

Si je prends l’enseignement, la comparaison sera plus directe ; je trouve que les deux universités libres de Bruxelles et de Louvain comptent plus d'élèves que les établissements de l'Etat ; il en est de même pour l'enseignement moyen, il y a beaucoup plus d'élèves dans les établissements libres que dans les établissements du gouvernement ; il en sera toujours ainsi, quand la liberté et l'action centralisante du gouvernement se trouveront en concurrence.

Vous remarquez que, dans l'étal actuel, chaque province a une école normale sans concurrence dans la même province. La province d'Anvers et la province de Brabant ont chacune une école appartenant au gouvernement, dans chacune des autres provinces il y a une école normale.

M. le ministre de l’intérieur nous a annoncé, dans la séance d'hier, le projet de doubler le nombre des élèves aux écoles de Lierre et de Nivelles. S'il le croit utile, qu'il le fasse, au lieu de créer de nouveaux établissements ; ces établissements sont organisés depuis longtemps ; leur direction paraît devoir répondre à l'attente du gouvernement ; il vaut mieux augmenter le nombre des élèves dans ces établissements que de créer des établissements nouveaux ; ce sera moins d'embarras pour le gouvernement, moins de dépense et plus d'émulation.

J'ajouterai cependant cette observation qu'il ne faut pas accumuler dans un même établissement un trop grand nombre d'élèves internes dont la surveillance serait difficile. C'est une considération que je recommande à la sagacité de M. le ministre de l'intérieur.

Voilà un moyen pratique qui atteindrait le but qu'on se propose si réellement le nombre des candidats instituteurs est insuffisant ; mais si le nombre est déjà plus que suffisant aujourd'hui, plus vous étendrez, plus vous multiplierez les établissements normaux, plus vous augmenterez le nombre des élèves, plus vous nuirez à l'enseignement parce que beaucoup d'élèves y entreront moins en vue de devenir instituteurs, que de suivre une autre carrière ; ils se diront : Nous aurons un enseignement gratuit ou à peu près gratuit ; et à notre sortie de l'école, au lieu de la carrière de l'enseignement, nous en prendrons une autre, soit libre, soit publique.

Une autre observation pratique sur laquelle j'appelle votre attention, c’est qu’il n'est pas bon qu'un long intervalle s'écoule entre la sortie de l'école et la pratique de l'enseignement.

Si les candidats instituteurs devaient attendre à tour de rôle une dizaine d'années avant d'être placés, ils auraient perdu en grande partie l'aptitude d’enseigner qu'ils ont acquise dans les écoles normales. Si l'on veut réfléchir à l'utilité pratique de cette observation, aux bons résultats qu'on peut obtenir de l'enseignement primaire, résultats sur desquels nous devons être d'accord, on fera moins d'innovation à ce qui existe, car on arriverait à des résultats contraires à ceux qu'on désire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L’honorable M. de Theux a commencé son discours par une observation qu'il m’est impossible de laisser sans réponse. L'honorable membre a dit que j'avais regretté que la Constitution ne permît pas d'apporter certaine restriction à la liberté d'enseignement ; et il est venu défendre la Constitution contre les atteintes dont je l’aurai menacée par mes désirs ou mes regrets.

Qu'ai-je dit ? Que la liberté d'enseignement, qu'on disait menacée, existait pour tout le monde, qu'il appartenait au premier venu d'ouvrir une école, sans qu'on puisse lui opposer de mesures préventives.

J'ai dit qu'il était regrettable, je ne pense pas que personne puisse nier ce fait qu'un criminel, un homme condamné pour vol, pour viol, pour immoralité, puisse ouvrir une école, répandre l'enseignement dans la société. Je crois que ce fait est regrettable. Est-il quelqu'un qui pourrait soutenir que cela soit bon ? Je dis que c'est un fait regrettable.

Maintenant est ce que, pour cela, j'ai attaqué le principe même ? Est-ce que j'ai dit qu'il était regrettable que la Constitution eût proclamé la liberté d'enseignement ? Il faut en finir de toutes ces accusations. Il me semblait, si j'ai bonne mémoire, que les libertés politiques introduites dans la Constitution étaient d'origine toute libérale. (Interruption). Je croyais que les libertés politiques, contre lesquelles le chef de l'Eglise a protesté quelques années après, n'avaient pas d'autre origine qu'une origine libérale et qu'à ce titre nous avions mission particulière de les défendre, attendu qu’elles sont notre œuvre.

- Plusieurs membres (à droite). - Et la nôtre !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je m'étonne que quelques membres de la droite prennent sur eux de défendre les libertés politiques, la Constitution, comme si elles étaient leur propriété propre. Mais si les libertés politiques, si la liberté de la presse, si la liberté d'enseignement, si la liberté d'association, la liberté des cultes, la liberté de conscience, si toutes ces libertés sont entrées dans la Constitution, elles y sont entrés de par l'opinion libérale. Elles sont d'origine libérale. (Dénégations à droite.)

M. Rodenbach. - Elles sont dues à l'union.

M. H. Dumortier. - Etiez-vous en majorité au Congrès ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, sans doute, elles ont fait partie du programme de l’union catholico-libérale. Mais par qui ont-elles été portées dans le programme ? Par l'opinion libérale. C'était le contingent de l'opinion libérale.

(page 974) Si vous le niez, reportez vos esprits partout ailleurs qu'en Belgique. Que s'est-il passé ici ? Il s'est passé un fait particulier, un fait spécial qui a caractérisé la révolution belge, c’est l’union des libéraux et des catholiques.

- Plusieurs membres. - Ah ! ah !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne le nie pas, j'y applaudis. Mais vous reconnaîtrez avec nous que les libertés politiques y ont été portées par l'opinion libérale.

- Plusieurs membres. - Non ! non.

M. de Haerne. - Et par nous.

M. Rodenbach. - Par les deux opinions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Par les deux opinions, soit. Il s'est formé, vers l'année 1826 ou 1827, car vous ne remontez pas plus haut, il s'est formé, grâce à quelques esprits d'élite, à quelques esprits élevés, à quelques esprits plus ou moins révolutionnaires, il s'est formé élans l'opinion catholique une secte libérale. Mais ne niez pas les faits. Dites-moi dans quel pays d'Europe l'opinion catholique, maîtresse de la politique, a introduit les libertés politiques.

M. de Haerne. - Nous sommes en Belgique.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Est-ce que la liberté de religion, la liberté des cultes (et celle-ci est bien d’origine libérale) avait été adoptée par les catholiques dans la loi fondamentale des Pays-Bas ? Evidemment non. Elle a été formellement repoussée de la loi fondamentale des Pays-Bas par les évêques et par les notables, précisément à cause de l'article qui consacrait la liberté des cultes.

M. Rodenbach. - Nou ! non !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous voulez tout nier.

C'était avant 1830. Après 1830, est-ce que la liberté des cultes a été acceptée par les encycliques ? La liberté des cultes a été condamnée à Rome après la Constitution.

Maintenant les catholiques belges ont admis cette liberté, ils l'ont admise de bonne foi, de concert avec les libéraux, mais lorsqu'ils viennent aujourd'hui et à chaque instant se poser comme les défenseurs exclusifs des libertés constitutionnelles, qui seraient menacées par l'opinion libérale, je dois repousser de pareilles prétentions, et je puis parfaitement opposer l'opinion constante des libéraux, en ces sortes de matières, à ces opinions de circonstance qui ont entraîné une partie des catholiques belges à accepter ces libertés, qu'ils sont encore, je le veux, disposés à défendre. Mais les défendre contre qui ? On parle toujours de libertés menacées. Par qui nos libertés sont-elles menacées : Par qui nos libertés sont-elles entamées ?

En matière d'instruction publique, pour en venir à l'objet de la discussion, voilà que la liberté d'enseignement sera menacée, parce que l'Etat aura trois ou quatre cents élèves normalistes dans ses écoles au lieu d'en avoir deux cents.

M. de Theux. - Pas le moins du monde. Je vous engage à les faire entrer dans vos écoles, si cela est utile.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). -L'honorable M de Theux nous engage à les faire entrer dans nos écoles, tout en combattant l'amendement, et hier l'honorable M. Dumortier a crié au secours de la Constitution, a crié qu'on violait la liberté d'enseignement.

Messieurs, la liberté d'enseignement est inscrite dans la Constitution. Personne n'y touche. Chacun est libre en Belgique d'ouvrir une école, un collège, une université. Mais il y a dans la Constitution autre chose, et on le perd souvent de vue ; il y a l’enseignement donné aux frais de l'Etat. Cet enseignement est primaire, moyen, supérieur.

L'enseignement primaire donné aux frais de l'Etat, aux frais de la commune, est régie par la loi. Chaque fois que l'Etat, que la commune, que le pouvoir public intervient, il a certes le droit et le devoir de prendre certaines précautions, de s'assurer certaines garanties. Il faut que l'argent des contribuables soit utilement dépensé.

Qu'est-ce qu'est que les écoles normales fondées par 1’Etat ?

Ce sont des écoles dans lesquelles on s’assure que des jeunes gens qui se destinent à donner l’enseignement primaire payé par l’Etat remplissent toutes les conditions voulues.

La loi d'enseignement primaire a établi deux écoles normales.

Que demande l'opinion libérale ?

Outre les deux écoles normales, M. le ministre de l'intérieur d'alors (et je crois qu'il avait l'intention de réaliser ce qu’il avait promis, il a sans doute rencontré des obstacles) avait promis d'organiser aussi des cours normaux près d'une école primaire supérieure dans chacune de nos provinces. A cette époque, on reconnaissait donc l'utilité qu'il y aurait à avoir plus de deux écoles normales.

Mais les évêques possédaient alors des écoles normales dans lesquelles ils formaient des élèves pour l'enseignement libre. Qu'a fait le gouvernement ? Il a adopté ces écoles telles qu'elles étaient organisées, et aujourd'hui ces écoles sont encore adoptées et fournissent un nombre d'instituteurs deux ou trois fois supérieur au nombre des instituteurs fournis par les écoles normales de l'Etat.

Pourquoi ces écoles fournissent-elles plus d'instituteurs que celles du gouvernement ? Je l'ai dit hier, elles fournissent plus d'élèves, parce qu'elles sont plus nombreuses, 7 contre 2. Mais il y a une autre cause sur laquelle je n'ai pas assez insisté : c'est que l'admission et la sortie dans ces écoles y sont beaucoup plus faciles que dans les écoles de l'Etat. Dès lors qu'arrive-t-il ? C'est que des jeunes gens, repoussés des écoles normales de l'Etat, se présentent aux écoles normales du clergé et y sont reçus. C'est absolument comme si les universités de l'Etat, assujettissant leurs élèves à des examens d'entrée et de sortie très sévères, enrichissaient, des élèves repoussés, les universités libres.

Et voici ce qui se passe, messieurs, dans les écoles normales du clergé. Le programme d'entrée est très facile, le programme de sortie très facile. Le diplôme est délivré par qui ? Par les professeurs de l'école, interrogeant leurs propres élèves sous la surveillance de deux inspecteurs civils, absolument comme si une université libre délivrait à ses propres élèves qu'interrogeraient les professeurs, des diplômes de médecin ou d'avocat.

M. de Decker. - Réformez cela. D'autres l'ont essayé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cet état de choses paraît tout à fait exorbitant. C'est un privilège que l'on repousserait, si quelqu'un s'avisait, par exemple, de proposer ce système pour les universités.

Eh bien, en fait, les écoles normales du clergé délivrent des diplômes qui donnent l'aptitude nécessaire pour devenir instituteur communal.. Voilà le privilège qui existe aujourd'hui.

L'honorable M. de Decker vient de dire que ce privilège, je ne l'ai pas fait cesser. C'est vrai ; c'est ce que j'ai constaté hier. L'honorable M. de Decker a voulu le faire cesser. Il a reconnu, lui ministre, lui représentant de l'Etat, qu'un pareil privilège ne pouvait pas durer. Il a dit : Il faut que les écoles normales du clergé soient placées sur la même ligne que les écoles normales de l’Etat ; cela est indispensable, cela est requis par la justice, et cela est parfaitement constitutionnel, attendu que la Constitution n'admet pas de privilèges. Eh bien, l'honorable M. de Decker n'y est pas parvenu.

M. de Decker. - La négociation devait se continuer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'affaire était terminée en ce qui concerne la négociation.

M. de Decker. - Pas tout à fait. Je m'expliquerai là-dessus.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La commission dont faisaient partie les délégués de MM. les évêques et les délégués du gouvernement, s'était mise d'accord sur le règlement général à appliquer à toutes les écoles. Ce programme a été remis à l'honorable M. de Decker. Il n'a pas été donné suite aux conclusions de la commission parce qu'il y a eu des objections. Eh bien, ce que l'honorable M. de Decker n'a pas pu obtenir, je ne sais pas si je puis me flatter que je l'obtiendrai. Jusqu'ici je n'ai pas réussi, et l'état de choses que je signale dure toujours.

Mais chacun reconnaîtra qu'il serait de toute convenance que les écoles adoptées, qui sont en outre subsidiées par l'Etat, fussent soumises au même régime que les écoles normales de l'Etat, que les élèves n'y jouissent pas d'un véritable privilège, quant aux examens d'entrée et quant aux examens de sortie.

Voilà ce qu'on demande : le même régime, l'égalité, pas de privilège. Je crois que cela est parfaitement constitutionnel. Eh bien, c'est ce que nous n'obtenons pas jusqu'ici.

Messieurs, je désire beaucoup que tout à l'heure ou demain on ne vienne pas dire que j'ai exprimé l'intention de supprimer les écoles normales épiscopales. Je désire beaucoup qu'on ne le dise pas dans cette enceinte. Que les écoles normales épiscopales ne jouissent pas d'un privilège, qu'elles soient mises sur le même ligne que les écoles normales officielles ! Voilà ce que je veux.

M. de Decker. - Cela est indépendant de la proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je vais venir à l'amendement ; mais l’autre question a été agitée hier et j'ai dû en dire quelques mots.

Toutefois, cette première question est indépendante de la seconde jusqu'à certain point ; car je présume que les auteurs de l’amendement, lorsqu’ils invitent le gouvernement à créer soit une école normale nouvelle, soit des cours normaux annexés à une école moyenne, entendent bien que ces écoles ou ces cours seront soumis au même règlement que les deux autres écoles normales, qu’elles ne jouissent d’aucun privilège.

M. E. Vandenpeereboom. - Evidemment, c'est en vertu de la loi qu'ils seront établis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute, sur ce point nous sommes d'accord ; cette école ou ces cours normaux seront soumis au même régime que les deux écoles normales existantes.

Voici la portée que je donne à l'amendement qui nous est soumis.

J'ai déjà exprimé l'intention de favoriser le développement de l'enseignement normal dans quelques provinces qui en manquent. Ainsi pour toute la Flandre orientale, il n'y a qu'une seule école normale épiscopale. Pour la Flandre occidentale, il n'y a qu'une seule école normale épiscopale et des cours normaux annexés à l'école moyenne de Bruges. Ces cours normaux, j'ai tâché de les développer depuis mon entrée aux affaires, et aujourd'hui ou y compte une douzaine d'élèves. (page 675) C'est trop peu pour les deux Flandres que les deux écoles normales adoptées.

On parle toujours des écoles primaires au point de vue des garçons. Il y aussi les écoles primaires pour les filles. Les jeunes filles ont aussi besoin d'enseignement primaire. Elles forment la moitié de la population qui a besoin d'enseignement. Eh bien, j'ai introduit l'enseignement primaire normal pour les filles. Aujourd'hui, on a organisé dans toutes les provinces, de concert avec le clergé, au moins il n'y a pas fait opposition, des écoles normales où l'on forme des institutrices.

II y a encore là, messieurs, quelque chose à faire. Les écoles normales, telles qu'elles sont instituées, ne fournissent pas assez d'institutrices. Les écoles normales pour garçons fournissent un plus grand nombre de sujets, mais elles n'en fournissent pas assez. MM. les inspecteurs de l'enseignement primaire sont d'avis qu'il y a urgence d'établir 367 nouvelles écoles. Eh bien, il faut des instituteurs et des institutrices, si nous voulons, je ne puis trop le répéter, si nous voulons propager l'enseignement primaire, le rendre accessible au plus grand nombre possible, il faut aussi multiplier les instituteurs ; car le même homme ne peut pas suffire à une population qui serait doublée ; si le nombre d'élèves augmente il faut que le nombre d’instituteurs augmente. Or, il y a encore un très grand nombre d'enfants qui manquent d'enseignement primaire.

Il y a beaucoup de communes où les locaux font défaut, où les locaux ont besoin d'être agrandis. Chaque fois qu'une école nouvelle s'ouvre, immédiatement elle se remplit d'élèves. Cela se manifeste dans toutes nos villes.

Messieurs, l'amendement qui est proposé n'a donc rien qui doive surprendre le gouvernement.

Il le considère comme un encouragement à persévérer dans la voie que je viens d'indiquer ; sous ce rapport je me rallie à cet amendement.

Ce n'est pas à dire, messieurs, que nous allons multiplier les écoles normales sur toute la surface du pays.

Je pense, avec l'honorable M.de Theux, qu'il serait préférable d'avoir une école normale nouvelle ; cela vaudrait mieux que d'amener une population trop grande dans les écoles normales actuelles. 180 élèves c'est peut-être beaucoup ; mais enfin il n'est pas impossible de surveiller efficacement 180 élèves.

Sans multiplier outre mesures les écoles normales dans le pays, on doit vouloir que les écoles normales de l'Etat fournissent au moins la moitié des instituteurs, je pense que ce n'est pas trop. L'honorable M. de Theux dit que l'un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Nothomb ne l'a jamais dit...

M. de Theux. - II n'a jamais dit que cela dût être.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il était dans les prévisions de l'honorable M. Nothomb que les écoles normales de l'Etat dussent fournir les deux tiers des instituteurs.

M. de Theux. - Des candidats.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà ce qu'il a dit, voilà ce qui entrait dans ses prévisions. L'honorable M. de Theux trouve-t-il que l'enseignement donné dans les écoles normales de l'Etat ne vaut rien ?

M. de Theux. - Non, certainement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne veux pas attribuer à l'honorable M. de Theux des opinions qui ne seraient pas les siennes ; je lui demande seulement s'il trouve que l'enseignement est mauvais dans les écoles normales de l'Etat ?

M. de Theux. - Non.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, si l'honorable membre trouve que l'enseignement se donne dans de bonnes conditions, il ne doit pas repousser l'extension de cet enseignement, il ne doit pas éprouver de répugnance à l'étendre dans les provinces où il est insuffisant.

Nécessairement, messieurs, ce n'est pas une somme de 12,000 francs qui suffirait pour organiser l'enseignement normal partout où il doit l'être, mais le gouvernement trouvera des ressources au budget, et si une augmentation était nécessaire ultérieurement, il viendrait faire une demande à la Chambre.

J'accepterai donc l'amendement comme une adhésion à la marche déjà suivie et que l'administration continuera à suivre en ce qui concerne l'enseignement normal ; comme une adhésion à la résolution prise par l’administration d'organiser l'enseignement normal sur de plus larges bases.

M. Muller. - Messieurs, chaque fois que l'opinion libérale a cru devoir, dans cette enceinte, réclamer, en faveur de l'Etat, le libre exercice de ses droits et l'accomplissement de devoirs impérieux qui lui incombent, elle s’est vue invariablement accusée de commettre je ne sais quels attentats contre la liberté. C'est toujours au nom de la liberté, que nul de nous ne cherche à compromettre, que l'on essaye de restreindre, quand on ne peut les annihiler, les prérogatives et les obligations sociales du gouvernement.

Messieurs, ce qui se passe aujourd'hui dans ce débat n'est qu'une répétition : nous avons vu la même tactique mise en usage, lorsqu'il s'agissait d'organiser l’enseignement universitaire de l'Etat.

Nous avons entendu soulever la même objection, le même grief, à l'époque où l'on discutait la loi relative à l'enseignement moyen.

On prétendait, quant à l'enseignement universitaire, que l'article de la Constitution qui proclame l'existence d'un enseignement public donné aux frais du l'Etat, ne conférait à ce dérider qu'une simple faculté dont il pouvait user ou s'abstenir selon les circonstances ; qu'en un mot les universités officielles devaient ou pouvaient n'avoir qu'une durée limitée, qu'une vie éphémère, et cela pour ne pas, prétendument, opprimer la liberté !

Lorsque en 1850 on a organisé l'enseignement moyen, on a prétendu, de même, qu'on voulait étouffer l'instruction libre, en lui suscitant une ruineuse concurrence.

Ces prédictions ne se sont pas réalisées, et nul ne pouvait y croire sérieusement ; les dangers que devait courir la liberté de l'enseignement privé, cette thèse qu'on invoquait, c'était tout bonnement un moyen d'assurer la prédominance presque exclusive de l'enseignement du clergé : au nom et sous la forme de la liberté, on visait au monopole.

Messieurs, je comprends que ce genre d'opposition à l'accomplissement des devoirs les plus sacrés de l'Etat ait pu paraître, dans les commencements, avoir un caractère sérieux ; qu'il ait fait un certain nombre de dupes parmi les hommes de bonne foi qui n'en découvraient pas la source et le mobile ; mais, aujourd'hui, pour avoir quelque chance de succès dans leur hostilité contre l'enseignement de l'Etat, le thème de nos adversaires devrait être quelque peu modifié.

Qu'a répondu l'honorable M. de Theux aux motifs si plausibles que mon honorable ami M. E. Vandenpeereboom a exposés à la Chambre pour justifier l'amendement dont nous sommes les signataires ? L'honorable M. Vandenpeereboom vous avait démontré, pièces en mains, en lisant les passages textuels de l'opinion émise non pas une seule fois, mais à plusieurs reprises, par M. Nothomb, l'ancien ministre de l'intérieur, qu'il y avait engagement formel pris par le gouvernement d'organiser, indépendamment des deux écoles normales de Nivelles et de Lierre, des cours normaux dans toutes les provinces.

Ce n'est que sous la foi de cette promesse solennelle que l'on est parvenu à rallier, dans la discussion, la plus grande partie des membres de la gauche au système d'une loi que, pour mon compte, je condamne aujourd'hui comme je la combattais alors. Et je le fais avec d'autant plus de conviction que je la juge d'après ses œuvres, d'après les plaintes légitimes que son application a soulevées de la part des libéraux qui l'avaient acceptée dans un but de conciliation.

Quoi qu'il en soit, le moment ne serait pas opportun pour reprendre ici le débat sur la question de la révision de la loi de 1842. Sur nos bancs les uns la veulent, et je suis du nombre ; les autres ne la jugent pas indispensable ; mais un point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est que cette loi doit donner aujourd'hui à notre opinion, qui veut un enseignement normal de l'Etat proportionné aux besoins moraux du pays, tout ce que nous sommes en droit d'exiger, tout ce qu'on nous avait promis et que nous n'avons pas obtenu. Nous ne voulons plus qu'elle continue à créer des privilèges exorbitants en faveur des établissements du clergé, et qu'elle soit en partie illusoire pour l'Etat, dont les écoles restent dans un état déplorable d'infériorité numérique, et sont loin de pouvoir fournir assez d'instituteurs pour les communes auxquelles elles inspirent seules confiance.

De bonne foi, quelle objection sérieuse a-t-on pu faire à un amendement qui rentre complètement dans l'esprit de la loi, tel que le définissait M. Nothomb, comme dans les vues exposées hier par le gouvernement ?

Cet amendement a un but significatif, que nous n'avons pas à dissimuler : il tend à solliciter l'adhésion de la Chambre en faveur des déclarations libérales et satisfaisantes qui ont été émises au nom du cabinet. Pour les combattre, on a été réduit à prétendre que les candidats instituteurs ne manquaient, pas aux communes. Voilà le grand motif de l'opposition de l'honorable M. de Theux qui consentirait, nous a-t-il dit, à la création d'une troisième école normale de l'Etat, comme à voir s'accroître le nombre des élèves de chacun des deux établissements actuels, si la nécessité lui en était démontrée, ce qu'il conteste formellement. Franchement, je considère cela comme un ajournement indéfini, comme un expédient de rejet dont il ne peut pas supposer que nous puissions être satisfaits.

En effet, il est évident qu'il y a dès maintenant une nécessité urgente d'avoir de nouvelles écoles normales, ou tout au moins des établissements dans lesquels des cours normaux soient donnés. La preuve, je la puise dans ce qui se passe tous les jours.

Pour pallier ce qu'elle a d'irrégulier et de nuisible, l'honorable représentant de Hasselt vous a cité un cas exceptionnel de sujet capable qui serait choisi comme instituteur sans être diplômé : c'est l'exemple d'un fils dont le père exercerait lui-même cette profession, qui aurait aidé son père dans la tâche laborieuse de l’enseignement primaire ; mais une exception aussi rare doit-elle renverser la règle du bon sens et le principe de la loi ?

(page 676) Est-il désirable que l’enseignement primaire communal puisse être livré fréquemment à des individus qui n'ont pas fait preuve de capacité ? (Interruption.) Non, n'est-ce pas ?

Eh bien, ces cas fâcheux, nous avons à les constater beaucoup trop souvent, tellement il est vrai que les deux écoles normales de l'Etat, en y ajoutant même les 7 établissements épiscopaux, ne suffisent pas à tous les besoins.

Et à ce propos, je m'exprimerai vis-à-vis de nos adversaires politiques avec une entière liberté en leur disant : Vous avez des écoles normales épiscopales ; si vous les trouvez suffisantes, c'est que vous voudriez que toutes les places d'instituteur fussent occupées par des jeunes gens sortant de ces pépinières. Pour nous qui avons confiance dans l'enseignement de l'Etat, contrôlé par les pouvoirs publics, nous avons d'autres préférences, et il n'est que rationnel et juste qu'il y ait à cet égard au moins pondération et égalité. Il vous est libre d'user de votre influence pour faire nommer par les conseils communaux des hommes sortant de vos établissements ; mais ces derniers ne doivent pas être réduits à les prendre : il leur faut aussi la latitude de choisir des sujets sortant des écoles de l'Etat.

Pour apprécier le mobile qui guide le parti de la droite en matière d'enseignement normal primaire, rappelons-nous que c'est lui qui présida à la loi de 1842, et qui le premier l'a appliquée au pouvoir, et voyons ce qu'il a fait pour organiser, en vertu de cette loi, l'enseignement des institutrices. Rien, car il n'avait rien prévu, ni voulu prévoir ; l'instruction des filles devait ainsi être livrée aux établissements du clergé. Mais j'en rends grâce à M. le ministre de l'intérieur actuel, il a compris cette déplorable lacune, et pendant la durée de son avant-dernier ministère, eu 1849, il a établi cet enseignement normal que les populations réclamaient, parce qu'il est indispensable.

Nous demandons aujourd'hui l'extension de l'autre, de celui qui s'applique aux instituteurs, et quand on nous objecte que le besoin ne s'en fait pas sentir, je l'ai dit et je le répète, ou est très mal renseigné. C'est ainsi que depuis plusieurs mois, car je pense que cette situation dure encore, la ville de Liège ne peut pas trouver un nombre suffisant d'instituteurs capables, lui offrant des garanties, et certes on ne prétendra pas qu'elle soit tenue d'aller les chercher là où elle n'a nulle velléité de les prendre et de les accepter de la main des évêques.

Vous parlez de la liberté d'enseignement que, prétendument, on opprimerait ; mais cette liberté que vous défendez, ne la voulez-vous que pour vous seuls ? En-ce un monopole que vous prétendez exercer ? Soyez libres dans vos établissements ; que les élèves qui les fréquentent soient soumis aux mêmes conditions d'admission et de sortie que ceux des autres établissements ; voilà votre droit. Aller au-delà, réduire et limiter celui du gouvernement pour le rendre impuissant, c'est une prétention qu'il serait impossible de justifier constitutionnellement, et contre laquelle plus d'un ministre a dû lutter.

La loi de M. Nothomb aîné vous avait déjà fait la part trop belle, et cependant on a trouvé qu'elle n'allait pas assez loin dans votre intérêt, et on l'a faussée dans son application. Aussi, je ne m'associerai pas à l'éloge que j'ai entendu faire du talent avec lequel ce ministre l'a soutenue devant le parlement et de la chance qu'il a eue de la faire adopter. Ce n'est pas tout de présenter une loi de condition, il faut l’exécuter loyalement.

Or, pour vous faire apprécier dans quel esprit cette loi a été immédiatement appliquée, je vous rappellerai ce qui s'est passé à Liège. Cette ville, d'accord avec l'administration provinciale, avait un enseignement normal organisé, à l'époque de la mise en vigueur de la loi de 1842. Cette école était prospère ; divisée en deux sections, elle était fréquentée par de nombreux élèves de l'un et de l'autre sexe.

De là sont sortis les meilleurs instituteurs que nous comptons dans la province si nous considérons leurs âges respectifs.

Ecoutez maintenant : au lendemain de la publication de la loi, avant que l'Etat eût organisé son enseignement normal, c'est-à-dire longtemps avant que les écoles de Nivelles et de Lierre eussent été ouvertes, un arrêté royal cassa une délibération du conseil communal de Liège qui maintenait provisoirement ses cours normaux, et força la ville à les supprimer brusquement, de manière qu'on la laissait sans aucun enseignement normal autre que celui de l'épiscopat.

En vain, Liège sollicita un répit ; on fut inexorable envers elle. Dans sa sollicitude éclairée pour l'enseignement primaire, elle adressa au gouvernement une autre requête. Puisque vous me déniez, lui dit-elle, le droit de jouir de la liberté qui eût accordée à tous les citoyens, je demande à pouvoir, comme vous le faites vous-même, subsidier une école privée qui sera soumise au régime de la loi.

M. Nothomb a encore déclaré que ce serait illégal, tandis qu'il n'y avait, à coup sûr, d'illégalité que dans sa réponse. Dans son système il y a une catégorie de parias ; ce sont les communes et les provinces ; car on leur interdit de subventionner d'autres établissements privés que ceux qui sont dirigés par l'épiscopat. En faveur de ces derniers, liberté complète de fournir des fonds ; il y a plus : on les y engage, on désire notamment qu'ils soient subsidiés au moyen de bourses !

Eu présence de tels faits, je demande à ceux qui sont de bonne foi de quel côté est la pratique de la liberté et de quel côté sont les vices d'oppression.

Ah ! si l'on veut examiner impartialement tout ce qui s'est fait depuis la loi de 1842, on ne conclura que si à cette époque on n'a compté que trois opposants à la loi, et parmi eux se trouvait mon honorable et regretté prédécesseur, c'est que la gauche ne prévoyait pas l'application abusive et peu loyale qu'on en a faite, et depuis lors il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on ait vu singulièrement s'accroître le chiffre de ses adversaires convaincus.

C'est dans votre intérêt, réfléchissez-y bien, vous disait tantôt l'honorable M. Vandenpeereboom, que nous vous demandons une satisfaction juste, que vous ne pouvez pas refuser, puisqu'elle ne s'écarte pas de l'esprit et des termes de la loi.

On la réclame en exécution des engagements pris par M. Nothomb ; on la désire immédiate, sans ajournement ni retard, parce qu'il y a urgence de combler les lacunes regrettables de l'instruction primaire ; parce que l'on ne persuadera pas au pays et surtout aux grandes villes qu'il ne manque pas d'instituteurs convenables.

Et puisque je m'occupe ici de cette catégorie d'instituteurs, je rappellerai que l'honorable député de Gand vous a fait remarquer avec raison qu'il faut posséder des aptitudes spéciales et quelque peu différentes, pour donner avec fruit l'éducation et l’instruction primaire à des enfants appartenant, les uns aux populations agricoles, les autres aux centres industriels. La manière d'enseigner, les notions scientifiques doivent être plus ou moins restreintes ou développées.

Et, par exemple, vous admettrez, sans me taxer d'esprit de parti, que l’enseignement donné aux écoles normales du clergé répond plutôt aux exigences de certaines populations rurales qu'à celles des villes.

Vous admettrez aussi que, lorsque partout nous entendons réclamer la simplification des branches d'enseignement, l'art de fabriquer des cierges et celui qui tend à faire de bons sacristains ferait perdre inutilement un temps précieux aux aspirants instituteurs qui se destinent à professer dans les villes.

A ce propos, qu'il me soit permis de répondre quelques mots à ce qu'a dit hier l’honorable M. B. Dumortier. D'après lui, il est désirable que les instituteurs soient en général sacristains pour qu'ils puissent toucher un supplément de traitement de ce chef.

Or, j'ai une opinion diamétralement opposée, et je trouve que cette espèce de cumul est profondément regrettable.

J'aime beaucoup mieux que l'Etat, la commune et la province donnent des traitements suffisants aux instituteurs que de les voir placés dans une position de dépendance, peu digne, peu convenable, que de les voir transformés, en définitive, en instruments et agents subalternes du curé de la paroisse.

Eh bien, tel serait le résultat inévitable d'une semblable position.

Je me résume. Mes honorables collègues et moi, nous n'avons pas ignoré, et nous ne voudrions pas qu'on se méprît à cet égard, que le chiffre de 12,000 francs que nous proposons de porter au budget pour création de nouveaux cours normaux là où cet enseignement est réclamé, serait tout à fait insuffisant, s'il s'agissait actuellement de pourvoir à toutes les nécessités reconnues. Mais vous ne perdrez pas de vue qu'il s'agit du budget de 1860, exercice dans lequel nous venons d'entrer ; et que, d'un autre côté, comme l'a fait remarquer l'honorable ministre de l'intérieur, il a aussi des fonds à sa disposition, pour une destination analogue, sur l'article suivant. Ce n'est donc pas la somme minime que nous proposons aujourd'hui qu'il s'agit de considérer ; c'est une question de principe et d'équité, c'est l'accomplissement d’une promesse, qui sont soumis à l'appréciation de la Chambre, et nous avons l'espoir et la confiance d'obtenir d'elle une solution favorable.

Rapports de naturalisation

M. Savart. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.

M. de Paul. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes semblables.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1860

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Article 99

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai été surpris d'entendre l’honorable membre dire dans cette enceinte où le Congrès a siégé, que ceux qui soutiennent les traditions de cette assemblée ne veulent que le monopole de l'enseignement en faveur du clergé ! C'était aussi le système des orangistes en 1828 et 1819 quand ils luttaient contre les patriotes.

Je sais que c'est au moyen de ce système qu'ils parvenaient à dénier la liberté de l'enseignement et s'opposaient à rétablissement des écoles libres.

Mais ce système, c'est le système de ceux qui veulent pratiquer l’oppression sous le manteau de la liberté ; c'est celui qu'avant 1830 nous avons combattu.

L'honorable M. Rogier a commencé par dire que les libertés de la Constitution étaient dues aux libéraux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'elles étaient d'origine libérale.

M. B. Dumortier. - Cela n'est pas exact. Elles ne sont pas d'origine libérale. Elles sont le résultat de l'oppression orangiste sur les libéraux sincères. Dans l'union qui s'est faite, l’honorable (page 677) membre doit le savoir, car il y a pris une grande part, et c'est une des plus belles pages de sa vie ; le nombre des libéraux était bien peu considérable à côté de celui des catholiques. Il n'y avait qu'un petit nombre de libéraux sincères qui fissent partie de l'union, et encore étaient-ils bafoués, honnis, par ceux qui tenaient à l'orangisme, par ceux qui tenaient à la compression des libertés publiques.

Je sais que vous, mon honorable collègue, vous avez rendu d'immenses services à la patrie ; je ne l'oublierai jamais, et je vous en féliciterai toujours. A ce côté de vous, d'autres honorables membres ont rendu de grands services, M. Devaux, M. J. Lebeau. Chacun se rappelle le beau travail que M. Devaux a publié sur le pouvoir royal. Chacun se rappelle les grands services que vous avez rendus. Mais vous n'étiez pas seuls, il y avait à côté de vous des hommes d'une autre opinion que la vôtre. Vous n'étiez que de rares exceptions parmi les hommes de votre opinion. Et il vous a fallu une grande dose de courage et d'énergie pour lutter contre les attaques des partisans de la compression, des orangistes qui voulaient détruire l'œuvre du Congrès, comme on veut la détruire aujourd'hui.

C'est à la compression hollandaise que la Belgique est redevable de ses libertés publiques.

Le clergé catholique a été un des premiers à se rallier à la liberté des cultes, ainsi qu'à la liberté de la presse ; parce qu'il avait été fustigé et traqué de toutes les manières, parce qu'il savait très bien qu'après la foi il n'y a rien de plus sacré pour un peuple que la liberté ; parce qu'il savait que la liberté en Belgique est d'antique existence, et que le despotisme n'y était que récent. Ce sont eux qui, unis aux libéraux sincères, ont inscrit dans la Constitution ces magnifiques dispositions qui ont fait et qui font encore l'admiration de l'Europe. L'opinion catholique qui formait la majorité de la nation, a formé aussi la majorité du Congrès. C'est à elle plus qu'à d'autres que la Belgique doit ses libertés. Cela est historique, cela résulte de tous les actes !

Mais, dit l'honorable ministre de l'intérieur, où, dans quel pays l'opinion catholique a-t-elle introduit la liberté ? Il suffit d'ouvrir an hasard les pages de l'histoire pour voir que partout la liberté, celle qui repose sur l'ordre, et non pas sur les mauvaises passions, lui a été due.

- Un membre. - La liberté politique ?

M. B. Dumortier. - Oui, la liberté politique. Ouvrez l'Histoire de la papauté de Rancke, et vous connaîtrez les immenses services que la papauté a rendus à la liberté en Allemagne.

Presque toutes les grandes libertés sont nées de l'opinion catholique Ce ne sont pas seulement les barons, ce sont aussi les abbés qui ont signé la charte de Canterbury. En Angleterre, quelle est la première signature que nous trouvions sur la charte des communes ? C'est la croix d'un archevêque. Et l'on voudrait contester l'influence du principe religieux sur la liberté ! Je sais bien que vous trouvez la liberté de l'autre côté, mais quelle liberté ? La liberté de 1789, et qu'a-t-elle produit ? Elle a produit du sang et des échafauds, et elle a fini sous le sabre de Napoléon Ier.

Nous aimons tous ces libéraux sages qui ont fait la Constitution. Ces libéraux siégeaient dans nos rangs ; l'honorable ministre de l'intérieur y siégeait entre autres ; il était alors la gloire et l'orgueil de notre parti et nous lui prêtions notre appui. Mais quand les libéraux ont-ils été coupables ? Je vais vous le dire.

C'est quand, à la faveur des libertés qui avaient été données, ils ont déclaré une guerre acharnée à la foi et au principe religieux, sans lequel un peuple ne peut exister.

Je l'ai dit bien souvent dans cette enceinte, et je ne saurais assez le répéter. Un peuple ne peut aspirer à l'honneur d'être libre que par sa soumission aux lois de la morale. Plus un peuple est soumis à ces lois, plus il est digne de la liberté.

Si l'on persécute la religion, c'est-à-dire la morale, la liberté est en péril. N'est-ce pas ce qui est arrivé en France ? Les doctrinaires ont voulu nier le principe religieux ; ils ont voulu établir un enseignement d'école en opposition avec la religion.

La révolution de 1848 est venue, et le souffle révolutionnaire a balayé les chambres et le gouvernement. Et qu'a-t-on vu alors ? On a vu presque tous les anciens élèves de l'école normale devenir les chefs du gouvernement socialiste dans toute la France. (Interruption.) M. Thiers l'a constaté le premier à la tribune française. Tous ces hommes formés à un enseignement en opposition avec le principe religieux, tous ces hommes auxquels on avait voulu apprendre à saper la religion au nom de la philosophie, ont renversé le gouvernement, ont renversé la liberté.

Je regarde la foi comme aussi importante que la liberté. Je reconnais qu’un homme d'une haute instruction peut se contenter de la philosophie pour guide dans la vie, mais les principes de la philosophie ne suffiront jamais pour conduire un peuple.

Je crois que c'est M. Lebeau qui a dit qu'un bon curé valait mieux dans un village qu'une brigade de gendarmes. Ces paroles sont de la plus exacte vérité ; et jamais elles ne sont sorties de ma mémoire, parce qu'elles prouvent une connaissance parfaite de l'esprit populaire.

Si vous voulez qu'un peuple soit libre, ne cherchez pas à lui enlever le sentiment religieux, et ne dites pas que la liberté, c'est le monopole au profit du clergé.

Si les établissements religieux reçoivent un grand nombre d'élèves, qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve que le clergé a la confiance des parents ; si ses établissements sont florissants, cela prouve que le peuple veut de son enseignement.

D'ailleurs il y a bien des hommes.de l'opinion contraire qui confient leurs enfants au clergé, tant eux-mêmes ils sont pénétrés de la nécessité et de la bonne influence de l'éducation religieuse.

M. Orts. - Il y a des fils de catholiques à l'université de Bruxelles.

M. B. Dumortier. - Je ne dis pas le contraire, mais il y a beaucoup plus de fils de libéraux dans les collèges des jésuites, par exemple.

Les établissements du clergé, ce sont les catholiques qui les payent ; mais vos établissements, vous les fondez avec les deniers de l'Etat, avec les deniers des catholiques.

Eh bien, si vous voulez fonder des écoles, si vous voulez faire la concurrence, si vous voulez lutter, ouvrez votre bourse, et ne venez pas prendre l'argent des catholiques pour faire vos écoles.

Voilà votre liberté ! C'est la liberté de puiser dans le trésor public pour faire des écoles à votre image et à votre ressemblance !! C'est là ce que vous appelez de la liberté ! Je dis, moi, que c'est du monopole. C'est le monopole du trésor public en faveur d'un parti, c'est le monopole du trésor public en faveur d'une opinion. C'est un monopole odieux !

Et qu'est-ce après tout que l'enseignement primaire ? L'enseignement primaire est communal. Et vous vous imaginez que vous allez forcer les communes à prendre des instituteurs qui sortent de telle ou telle école, si cela ne leur convient pas ? L'honorable membre auquel je réponds se plaint que, dans certaines communes, on prenne des instituteurs qui ne sortent pas des écoles normales. Mais c'est là un hommage rendu à la liberté. Depuis quand voulez-vous asservir les Belges à subir l'enseignement normal pour devenir instituteurs de village ? Je reconnais que le gouvernement, que la commune ont raison d'exiger des examens, d'exiger des preuves de capacité. Mais une fois les examens subis, la commune est en droit, sa liberté l'exige ainsi, de prendre l'instituteur où elle veut, qu'il sorte d'une école normale du gouvernement ou qu'il n'en sorte pas, qu'il sorte d'une école normale du clergé ou qu'il n'en sorte pas, qu'il soit libre ou qu'il ait été élevé dans sa famille.

Ce serait une forfaiture à la liberté que de vouloir qu'il eût passé par une école quelconque. Ainsi l'exige la liberté, elle exige que tout homme qui a donné des preuves de capacité, puisse être admis comme instituteur. Eh quoi ! s'il prenait fantaisie à l'honorable M. Muller de devenir instituteur de campagne, il devrait, lui homme capable et émanent, se mettre d'abord sur les bancs de l'école ? Je dis que l'honorable M. Muller, dont je connais les capacités, serait aussi propre que le premier élève sorti de vos institutions normales, d'enseigner dans une école.

J'en viens à la disposition en discussion. De quoi s'agit-il ? L'amendement présenté contient deux choses. Il propose une augmentation de crédit en premier lieu pour les cours normaux et en second lieu pour subsidier les communes et les provinces qui voudraient établir des écoles normales.

Si l'amendement se bornait aux cours normaux, je n'aurais à y faire que cette seule objection que j'ai faite hier. Car, hier on disait déjà que ce qu'on voulait, c'était établir la suprématie des écoles normales de l'Etat, et c'est ce qui m'avait engagé à prendre la parole.

Mais on veut aussi accorder des subsides aux provinces et aux communes pour la création d'écoles normales. Or, la loi le défend. Vous voulez refaire la loi par un vote au budget. Vous ne le pouvez pas.

Que porte la loi à cet égard ? « Il sera immédiatement établi par le gouvernement deux écoles normales pour l'enseignement primaire, l'une dans les provinces flamandes, l'autre dans les provinces wallonnes.

« Dans chaque province, des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures. »

Voilà la loi.

La loi a donc limité à deux écoles et à des cours normaux à adjoindre à des écoles primaires, l'enseignement normal aux frais de l'Etat ; et l'honorable M. Nothomb n'a fait qu'appliquer la loi lorsqu'il a supprimé l'école normale de Liège. L'honorable M. Muller s'est fortement élevé contre cette suppression. On nous a, dit-il, traités en parias ! Messieurs, voilà d'étranges parias qui voulaient se mettre au-dessus de la loi ! La loi a admis deux écoles normales pour le pays.

M. Muller. - Elles n'existaient pas alors.

M. B. Dumortier. - La loi était faite ; par conséquent elle était en vigueur. Mais quoi ! la ville de Liège voulait faire une école normale pour son compte. Mais qui donc aurait décerné les diplômes ?

Est-ce que la ville de Liège aurait décerné ces diplômes, aurait-elle créé des instituteurs ? C'est là une étrange prétention, et je ne comprends pas que l'honorable membre puisse la soutenir. La loi sur l'instruction primaire est communale ; mais elle ne donne nulle part à la commune le droit de faire un établissement normal pour le pays. De quel droit donc les élèves sortant de ces écoles auraient-ils pu se présenter comme instituteurs ? Ce droit n'existe nulle part, et certes l'honorable M. Nothomb avait parfaitement raison, quand il a supprimé une école qui se trouvait en dehors de la loi, aussitôt que la loi a été faite.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est la liberté.

M. B. Dumortier.—Je le veux bien. Mais admettriez-vous qu'une ville fondât une université ? Je suppose que la ville de Tournai voulût demain fonder une université, admettrez-vous son budget ? Tournai (page 678) avait une faculté de philosophie à son athénée, on lui a ordonné de la supprimer.

- Un membre. - La ville de Bruxelles a fondé l'université libre.

M. B. Dumortier. - L'université libre n'a pas été fondée par la ville de Bruxelles ; elle a été fondée par des particuliers ; elle reçoit seulement un subside de la caisse communale.

M. Muller. - Et on refuse à la ville de Liège de subsidier une école normale privée !

M. B. Dumortier. - La loi ne le permettait pas. Je le demande encore une fois, qui aurait donné les diplômes ? M. Nothomb n'a fait qu'exécuter la loi qui porte : Il sera établi immédiatement deux écoles normales pour l'enseignement primaire.,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les écoles normales privées ?

M. B. Dumortier. - On n'en a pas parlé. Il n'y a pas d'article qui autorise une commune à établir une école normale. Je le répète, si une ville voulait demain fonder une université, je dis que le gouvernement le défendrait, et j'en apporte la preuve, c'est que l'athénée de Tournai avait une faculté de philosophie et qu'on l'a supprimée, comme on a supprimé l'école normale de Liège.

Je dis donc, messieurs, que la partie de l'amendement qui est relative à la création de cours nouveaux dérive de la loi et que nous pouvons le voter ; mais que quant à l'autre partie, elle ne tend à rien moins qu'à refaire une loi organique par le budget. Or, je sais que les honorables membres auxquels je réponds en ce moment ont toujours fait une vive opposition à toute modification des lois organiques par la voie du budget, bien plus encore par un simple article de dépense, il est évident que si un pareil système pouvait être admis, il n'existerait plus de loi organique qui ne pût être remise en question à chaque discussion du budget. Les lois organiques sont quelque chose de sérieux, auquel on ne doit pas toucher légèrement ; et certes si une loi organique marche parfaitement bien dans notre pays, c'est la loi sur l'enseignement primaire.

Il est vrai que cette loi n'a pas l'assentiment de l'honorable M. Muller, mais je crois qu'elle a l'assentiment de l'immense majorité de la Chambre et de l'immense majorité du pays.

Je pense donc qu'il n'est pas possible d'admettre l'amendement qui nous est présenté, parce qu'il aurait pour effet direct de modifier la loi d'enseignement primaire par un article de budget, ce qui est contraire à tous les précédents de l'assemblée et ce qui poserait un précédent fort dangereux pour l'avenir.

M. de Theux. - Je désire donner quelques explications en réponse au discours de M. le ministre de l'intérieur.

Il a attribué à l'opinion libérale toutes nos libertés constitutionnelles et il a attribué au contraire à l'épiscopat l'opposition à ces libertés.

Je crois, messieurs, qu'il n'est pas inutile de rappeler quelques faits qui appartiennent aujourd'hui à l'histoire.

La charte de 1814 avait proclamé la liberté des cultes ; quelques doutes surgirent sur le point de savoir si les catholiques pouvaient en sécurité de conscience prêter serment à une loi qui renfermait cette disposition, et voici, messieurs, les motifs de ces doutes. Les opinions philosophiques prétendaient que tous les cultes avaient devant Dieu exactement la même valeur. Cette opinion, dogmatiquement parlant, au point de vue catholique, est condamnée. On a cru que la charte avait résolu la question dogmatique. Le roi Louis XVIII déclara qu'il ne s'était en aucune manière immiscé dans une question de dogme, qu'il n'avait entendu résoudre qu'une question pratique de gouvernement, la tolérance de fait.

La même question a été soulevée dans le royaume des Pays-Bas. Les principaux articles de la loi fondamentale avaient été arrêtés à Londres ; on disait : « Ces articles ont été arrêtés par les puissances protestantes et ils renferment le principe de la tolérance dogmatique. » Il en est résulté que les évêques se sont prononcés contre la loi fondamentale. Plus tard, la question a été déférée au pape, et après un certain laps de temps, le roi Guillaume a déclaré qu'il n'entendait en aucune manière que le serment de fidélité à la loi fondamentale constituât une adhésion théorique ou dogmatique, que l'article de la loi fondamentale relatif à la liberté des cultes ne proclamait qu'un fait, un droit civil, la libre pratique des différents cultes. Dès lors la cour de Rome fit connaître à tous les catholiques qui avaient manifesté des craintes à cet égard, qu'ils pouvaient sans aucune difficulté prêter serment de fidélité à la loi fondamentale.

Mais, en réalité, messieurs, la liberté pratique des cultes est admise depuis longtemps dans les Etats catholiques. C'est ainsi que vous avez vu en France l’édit de Nantes. C'est ainsi que dans les Etats pontificaux plusieurs cultes s'exercent librement. Le pape exerce en même temps le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, et, comme chef politique, il tolère la pratique de cultes qu'il condamne comme chef de l'Eglise.

Voilà, messieurs, à quoi se réduit toute cette affaire de l'opposition du pape aux libertés que nous avons juré de maintenir.

Remarquez, messieurs, que c'est là un droit nouveau en Europe, je dirai même que c'est un droit nouveau dans le monde, car on sait que jadis la tolérance pratique n'existait nulle part ; elle n'est pas même admise aujourd'hui dans plusieurs Etats protestants.

C'est dans les Etats catholiques qu'elle a pris naissance, et elle n'existe réellement en Angleterre que depuis la révocation du fameux bill sur le serment. C'est, en effet, au moyen du serment qu'on écartait les catholiques de toutes les fonctions publiques. Ainsi l'Angleterre, ce pays si libéral, n'est venu qu'à la suite de pays catholiques en ce qui concerne la pratique de la liberté des cultes.

Il y a un pays où la liberté des cultes existe dans toute sa plénitude depuis la fin du dernier siècle. Ce sont les Etats-Unis d'Amérique. Cette liberté n'existe pas encore dans quelques Etats protestants ou dans les Etats non chrétiens : dans les autres, la liberté pratique des cultes est absolue. Mais s'ensuit-il que les catholiques approuvent les principes du culte juif, que les juifs approuvent les principes du culte catholique, que les catholiques adoptent les principes du culte protestant et que les protestants adoptent les principes du culte catholique ? En aucune manière. Cela n'a rien de commun avec les doctrines religieuses, c'est une affaire purement politique et de droit public.

II n'est donc pas étonnant, messieurs, que nous ayons tous adhéré à notre Constitution ; et, pour ma part, bien longtemps avant que la Constitution fût faite, mon opinion était complètement formée à l'égard des libertés qu'elle a consacrées.

Encore quelques mots, messieurs, sur la question de l'enseignement primaire. L'honorable M. Muller reprochait à M. J.-B. Nothomb d'avoir violé la liberté en fermant une école normale que la ville de Liège avait créée. L'honorable membre est dans l'erreur.

Il n'a qu'à consulter le rapport qui a été fait sur l'enseignement primaire, en 1846 ; il y trouvera les motifs de la décision prise par M. Nothomb, ministre de l'intérieur.

Cette décision a été rendue publique dans les premiers temps, elle a été rendue publique par le rapport que j'ai fait à la Chambre et il ne s'est manifesté dans la Chambre aucune espèce d'opposition contre la décision prise par M. Nothomb, parce qu’elle était conforme à la loi. Voilà la vérité.

On a, messieurs, semblé critiquer que dans les écoles normales des évêques on donne quelques instructions sur la profession de sacristain. Eh bien, messieurs, en Prusse tous les sous-instituteurs, sans exception, sont sacristains. .

Je ne vois à cela aucune difficulté. Cela pourrait présenter des inconvénients pour les instituteurs en chef dans les grandes communes, parce que l'instituteur pourrait être détourné de ses fonctions ; mais dans une foule de communes ce cumul ne donne lieu à aucune espèce d'inconvénient.

M. Orts. - Je n'ai pas critiqué cela. J'ai dit que cela m'était parfaitement égal.

M. de Theux. - Je pense que M. Muller l'a critiqué.

M. Muller. - Oui, sans doute.

M. de Theux. - Eh bien, cette critique est mal fondée ; elle est condamnée par l'exemple de la Prusse, où l'organisation de l'enseignement primaire est très ancienne et où le cumul dont il s'agit produit de très bons résultats, au moins en ce qui concerne les sous-instituteurs.

Du reste, je pense qu'il faut l'autorisation du gouvernement pour pouvoir cumuler d'autres fonctions avec celles d'instituteurs.

Messieurs, on a parlé des écoles normales d'institutrices. Les premiers actes relatifs aux institutrices ont été posés par l'honorable M. Nothomb.

.Je me suis également occupé de cet objet en 1846 et en 1847.

Je ne blâme pas, messieurs, d'une manière absolue, les institutions laïques ; au contraire, dans beaucoup de communes, elles rendent de très grands services ; mais je dis aussi que c'est une institution qui n'est pas sans de graves inconvénients ; l'expérience en a déjà révélé et elle en révélera bien davantage. Quand les institutrices cherchent à s'établir, quand elles s'établissent en effet, quand elles deviennent mères de famille, comment peuvent-elles concilier les devoirs de leurs fonctions avec ceux que leur nouvelle position leur impose ?

En France, on prend généralement des institutrices religieuses et je puis citer entre autres un ordre dont la maison-mère a été approuvée en France en vertu d'une loi. C'est l'ordre des filles de la Sagesse.

Eh bien, dès 1857, cet établissement avait fourni à la France 2,400 institutrices qui ont été accueillies dans toutes les communes avec la plus grande faveur. Je pourrais citer beaucoup d'autres établissements.

Il en est de même des Frères de la doctrine chrétienne qui sont demandés partout en France, même à Paris, et qui aujourd'hui sont systématiquement repoussés de toutes les écoles communales en Belgique.

Il serait très utile de revenir sur cette interdiction, notamment dans les grandes communes industrielles. Ainsi, dans le Hainaut, où certes les administrations communales et les populations ne manquent pas d'aspirations libérales, on voit se manifester très souvent le vif désir d'avoir des frères comme instituteurs communaux.

On fait une objection ; elle consiste dans l'absence d'examens ; mais elle peut être facilement résolue. Si une religieuse ou si un instituteur de l'ordre des Frères de la doctrine chrétienne avait une fois constaté son aptitude à l'enseignement primaire, cette preuve, une fois fournie, devrait suffire pour toutes les positions du même genre auxquelles il pourrait être appelé ultérieurement.

Il est nécessaire quelquefois de faire changer ces religieuses et les frères de résidence ; eh bien, avec le système qui consiste à exiger, chaque fois, un examen, il est impossible de satisfaire au vœu des communes. A mon avis, les communes devraient être libres d'admettre soit (page 679) une religieuse, soit un frère de la doctrine chrétienne comme institutrice on instituteur, une fois que l’aptitude de la personne a été dûment consacrée. A cet égard, le gouvernement pourrait établir quelques règles, et je crois qu'il en résulterait un grand bien pour le pays. Pourquoi cette exclusion systématique ?

Mon honorable, ami M. Dechamps, qui a été rapporteur de la loi de l'instruction primaire, est d'avis que cette manière d'agir est contraire à la loi et aux discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre.

L'intention de l'honorable membre était d'entretenir l'assemblée de cette question : c'est ce qu'il m'avait encore affirmé hier ; mais malheureusement il s'est trouvé indisposé aujourd'hui, et il a été dans l'impossibilité d'assister à la séance.

Certainement, cet honorable membre, qui a fait preuve d'un si grand talent dans la discussion de la loi de 1842, et dont l'éloquence a été si souvent applaudie par la Chambre, eût apporté, dans cette question, de vives lumières qui eussent fait de l'impression sur vos esprits ; je regrette donc particulièrement l'indisposition qui le tient éloigné de la Chambre.

Pour en revenir, en terminant, sur l’objet qui est spécialement en délibération, je dirai que jusqu'ici la nécessité de l’établissement d’une troisième école normale de l’Etat ou même d’une extension des deux écoles normales de Lierre et de Nivelles ne me paraît pas démontrée. Si M. le ministre de l'intérieur pense que cette nécessite existe, qu'il fasse une proposition à la Chambre, en l'appuyant de calculs statistiques ; la mesure une fois parfaitement justifiée, nous n'y ferons pas de l'opposition, nous la voterons. J'ai dit.

- La suite de la discussion est remise à demain.

Rapports de naturalisation

M. de Boe. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 4 heures et demie.