(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 647) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 4 février.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
« Les sieurs Gislain et Mahy appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité de modifier la législation concernant l'administration des biens des fabriques d'église. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles et de Molenbeek demandent des modifications aux articles du Code pénal relatifs aux coalitions. »
- Renvoi à la commission du Code pénal.
« Le sieur Beckers demande que le projet de loi concernant la suppression d'un droit d'enregistrement contienne une disposition qui rapporte celle de l'article 28 de la loi du 31 mai 1824. »
- Renvoi a la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.
« Des cultivateurs à Grammont demandent qu'il soit pris des mesures pour que leurs récoltes ne soient plus ravagées par les lapins tenus dans une propriété qu'ils avoisinent. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des distillateurs à Hasselt présentent des observations sur la question du chemin de fer liégeois-limbourgeois et prient la Chambré de décréter la construction d'un chemin de fer de Liège à Hasselt par Tongres et Cortessem et de décider que la ligne d'Ans à Tongres sera exécutée avant celle de Tongres à Hasselt par Cortessem. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion, du rapport sur les pétitions relatives au chemin de fer de Bilsen à Tongres.
« Des ouvriers et indigents malades prient la Chambre de discuter le projet de loi relatif à la police et à la discipline médicales. »
- Renvoi à la section centrale chargée de ce projet de loi.
« Le sieur Joseph Bennert, négociant à Anvers, né à Materborn (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Chrétien-Frédéric Schneider, employé à la station du chemin de fer hollando belge, né à Luzein (Suisse), demande la naturalisation, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Par dépêche du 3 février, M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel de 1860. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Par dépêche du 3 février, M. le ministre de la justice informe la Chambre que le sieur Lejeune, Jean-Hubert, demeurant à Herstal, a déclaré renoncer à sa demande de naturalisation. »
- Pris pour information.
« L'administration du Progrès international adresse à la Chambre 120 exemplaires de ce journal contenant un article intitulé : « De la nécessité d'une union du crédit des communes en Belgique et de la facilité de sa fondation. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Muller, retenu à Liège pour une affaire importante, demande un congé d'un jour. »
- Ce congé est accordé.
« Art. 74. Traitement des vérificateurs : fr. 53,400. »
- Adopté.
« Art. 75. Frais de bureau et de tournées : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 76. Matériel : fr. 2,000. »
- Adopté.
M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a cru devoir appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le point de savoir s'il n'y aurait pas lieu de rétablir l'examen d'élève universitaire et d'inscrire, au programme des examens des universités, les matières qui en ont été élaguées par la loi de 1857.
Vous le savez, ce fut en 1855 que l'examen d'élève universitaire fut aboli. La loi de 1857 maintint cette suppression et rendit complètement libre l'accès des universités. Seulement elle disposa que pour pouvoir passer les premiers examens de l'enseignement supérieur, celui de candidat en philosophie, celui de candidat en sciences, l’étudiant serait tenu de fournir un certificat d'assiduité aux cours de l'enseignement moyen, jusques oe y compris le cours de rhétorique, et qu'à défaut de ce certificat il devrait subir une épreuve préparatoire portant sur les principales matières de cet enseignement.
Cette même loi de 1857 supprima des examens universitaires un grand nombre de matières et décida que, de même que pour les cours de l'enseignement moyen, l'étudiant serait tenu de fournir un certificat d'assiduité aux cours y relatifs, ou à défaut, de passer sur ces branches de la science un examen sommaire.
Telle est en deux mots la loi de 1857 relativement à la question sur laquelle nous avons appelé l'attention du gouvernement.
Comme vous vous le rappellerez, messieurs, le but de la suppression de l'examen d'élève universitaire et la simplification des examens des universités fut de relever les études supérieures et les études d'enseignement moyen. On avait cru remarquer que par suite du grand nombre de matières qui figuraient au programme des examens, les élèves ne se livraient plus à une étude approfondie de la science ; que, pour eux, la préparation de l'examen était devenue une simple question de mémoire, une simple question de mnémotechnie.
Quant à l'examen d'élève universitaire, on avait cru remarquer que, depuis son établissement, les élèves négligeaient les classes de poésie et de rhétorique, qui sont le couronnement de l’enseignement moyen, sans lesquelles cet enseignement n'existe pas, et qu'ils se préparaient exclusivement à cet examen en se livrant à un travail de pure mémoire.
Telles furent les raisons principales qui déterminèrent le législateur à supprimer l'examen d'élève universitaire et à simplifier les matières d'épreuve pour les grades académiques supérieurs.
Le but qu'on cherchait à atteindre à cette époque semble ne pas avoir été atteint. Au lieu de relever le niveau des études, il semble résulter de l'expérience qu'on l'a abaissé. Les espérances qu'on fondait sur ce système ont été déçues. C'était une réaction complète contre celui qui avait prévalu lors des premières années de la constitution du royaume de Belgique.
Si vous vous rappelez les dispositions de la loi de 1835, vous serez convaincus qu'à cette époque on croyait que plus les examens étaient difficiles, et plus ils étaient surchargés, plus le niveau de la science devait s'élever. En 1857, la révolution d'idées est complète, on suppose que plus les examens sont simples et moins ils renferment de matières, plus le niveau de l'enseignement doit s'élever. On espère, en faisant de certaines branches de la science des branches secondaires, en exigeant pour ces branches un simple certificat, que l'élève aura plus de temps pour approfondir les matières que l'on maintient au programme des épreuves.
On croyait que, sur ces matières, ils fourniraient une science plus approfondie, ils donneraient des preuves de plus d'intelligence.
L'expérience a prouvé que dans ces rares matières maintenues au programme des examens, l'élève ne fournit pas une science plus approfondie, ne prouve pas plus d'intelligence qu'il ne le faisait jadis ; comme les cours à certificat ne sont pas des cours suivis d'une manière sérieuse, comme la présence de l'élève y est purement matérielle, qu'en conséquence ces cours sont en quelque sorte élagués de l'enseignement, il s'ensuit que le niveau des études a baissé de toutes les matières élagués du programme en 1857.
Les rapports des présidents des jurys constatent de plus que, de la part des étudiants, il y a une insuffisance complète d'études humanitaires. Le» étudiants, disent-ils, n'ont pas plus, depuis la loi de 1857 (page 648) appris à penser et à exprimer leur pensée qu'ils ne le faisaient auparavant. Les études littéraires leur font défaut.
Et en effet comment pourrait-il en être autrement ?
Pour obtenir aujourd'hui le grade de docteur en droit, en Belgique, il suffit d'avoir passé un examen sur le latin. On n'exige plus d'examen ni sur la langue grecque ni sur la langue française. On comprend qu'avec un pareil système, l'abaissement du niveau des études universitaires doive être considérable.
Permettez-moi, en présence de cette situation, de mettre en regard ce qui s'est fait en France dans les dernières années. Là aussi on avait constaté que les jeunes gens qui plaidaient devant les tribunaux, qui entraient dans la magistrature, n'avaient pas des notions littéraires suffisantes. On remarquait que l'expression de leur pensée, que leur diction, que leur style laissaient à désirer, et voici ce qu'on fit en 1852, sur le rapport de M. Fortoul.
On obligea les étudiants, pendant les trois années d'enseignement du droit, nécessaires pour obtenir en France le grade de licencié qui ouvre le barreau et la magistrature, à suivre deux cours de la faculté des lettres de Paris. Il est vrai qu'on ne les obligea pas à subir un examen sur ces cours ; il suffit que l'étudiant établisse, à l'aide d'un certificat qu'il les a suivis assidûment. Mais lorsqu'on sait la manière distinguée dont ils sont donnés, lorsqu'on sait qu'ils sont professés par des hommes tels que M. St-Marc Girardin pour la littérature française, Patin pour la littérature latine et Egger pour la littérature grecque, on comprend que le législateur n'ait pas cru nécessaire de faire subir un examen sur ces cours.
On a supposé que l'attrait seul de ces cours où se presse un public nombreux suffirait pour les faire suivre avec fruit.
Ainsi, en France, pour obtenir le grade de licencié en droit, il faut, indépendamment des études juridiques, avoir fait des études approfondies sur la littérature française, la littérature latine et la littérature grecque. Voilà le moyen qu'on a employé dans ce pays pour relever le niveau des études littéraires pour les membres du barreau et de la magistrature.
Eu Belgique, comme je viens de vous le dire, d'après les rapports des présidents des jurys d'examen, le résultat qu'on a atteint est diamétralement opposé. De simples certificats, ou, au besoin, une épreuve préparatoire ont remplacé l'examen d'élève universitaire. D'après l'article 2 de la loi de 1857, il suffit que la présence des élèves aux cours de l'enseignement moyen ait été purement matérielle ; il n'est pas nécessaire qu'ils aient suivi ces cours avec fruit, pour qu'ils soient en droit de les obtenir. C'est ainsi que la loi a été interprétée et qu'elle devait l'être, car c'est dans cet esprit qu'elle a été votée.
II suffit donc que l'élève ait matériellement suivi ces classes de l'enseignement moyen, pour que non seulement il soit admis à entrer à l'université, mais pour qu'il soit admis à passer ses examens universitaires.
Quelles sont, messieurs, les conséquences d'une semblable législation ? Elles sont dignes de remarque à tous égards : tant que l'élève n'est pas en rhétorique, le professeur a sur lui une action, il peut l'obliger d'étudier, il peut l'obliger de suivre les cours avec fruit, parce qu'il a le droit de lui interdire le passage d'une classe inférieure à une classe supérieure ; mais lorsque l'élève est arrivé en rhétorique, le professeur n'a plus sur lui une semblable action ; rien ne peut interdire à l'élève l'accès de l'université ; qu'il ait bien ou mal fait sa rhétorique, qu'il ait, oui ou non, suivi les cours avec fruit, le professeur ne peut l'empêcher d'entrer à l'université.
Dans l'enseignement moyen, les diverses classes se tiennent entre elles de la manière la plus intime, de telle sorte que les premiers mois d'enseignement d'une classe supérieure sont, en quelque sorte, une répétition de celui de la classe inférieure. Il en résulte que l'élève qui s'est peu appliqué dans une classe, peut avec du travail et de l'intelligence regagner le temps perdu.
Or ce lien intime qui existe entre les diverses classes de l'enseignement moyen, n'existe pas entre la rhétorique et les premières études faites à l'université. Quand on n'a pas bien fait sa rhétorique, ou ne peut pas à l'université regagner le temps perdu. La classe de rhétorique est donc celle que l'élève devrait pouvoir quitter le moins facilement sans une instruction suffisante, et l'effet de la loi nouvelle a été de lever toute barrière entre elle et les premières études de l'université.
Ainsi la suppression de l'examen d'élève universitaire, bien loin d'amener des études plus suivies, plus approfondies en rhétorique, a eu, au contraire, ce résultat que beaucoup d'élèves négligent les études de cette classe. Ceux qui ne peuvent fournir le certificat sont tenus de passer par une épreuve préparatoire sur les principales branches de l'enseignement moyen.
La loi a voulu que ceux qui produisent des certificats et ceux qui n'en produisent pas fussent mis sur la même ligne ; elle n'a pas voulu que les derniers fussent traités avec plus de sévérité que les autres ; elle a voulu que l'épreuve préparatoire fût en quelque sorte la constatation d'une force d'études égale à celle prouvée par le certificat, que l'épreuve préparatoire donnât autant de garanties et pas plus de garanties que celui-ci. Si donc le certificat prouve des études sérieuses, l'épreuve devra être sérieuse ; si, au contraire, les certificats constatent des études faibles, l'épreuve préparatoire devra être moins sérieuse, afin que l'égalité que la loi a voulu établir entre les deux classes d'aspirants fût parfaite.
Or, messieurs, il résulte des rapports du jury chargé de l'examen des certificats qu'ils ne les considère pas comme sérieux, et comment le pourraient-ils alors que des professeurs de rhétorique affirment que les deux tiers des élèves auxquels ils sont obligés de délivrer des titres d'assiduité ne sont pas capables de subir l'épreuve préparatoire ?
Par une conséquence nécessaire de cet état de choses, l'épreuve préparatoire est devenue extrêmement facile. Des élèves, aujourd'hui, peuvent sauter la rhétorique, se présenter à l'examen préparatoire, le subir avec plus ou moins de succès et se soumettre au premier examen universitaire.
Il en est même, dit-on, qui sautent non seulement la classe de rhétorique, mais encore la classe de poésie. Ce système facile d'escamoter les deux dernières années d'études moyennes semble, aujourd'hui, pratiqué sur une grande échelle. En 1857, le nombre d'élèves qui se présentent à l'épreuve préparatoire est de 12 ; en 1858 il monte à 26 et en 1859 il s'accroît d'une manière extraordinaire ; il y en a jusqu'à 57 qui se soumettent à cette épreuve, ce sont des jeunes gens qui ne peuvent fournir des certificats d'études moyennes complètes, qui n'ont sans doute pas fait de rhétorique et peut-être pas même de poésie.
Telles sont les graves conséquences de la suppression du grade d'élève universitaire. Comme vous le voyez, le but qu'on se proposait d'atteindre, en l'abolissant et en simplifiant les matières des examens, ce but n'a pas été atteint.
Le niveau des études de l'université ne s'est pas relevé ; le niveau des études de l'enseignement moyen ne s'est pas relevé davantage.
Si on rétablissait purement et simplement le système de la loi de 1849, quant aux examens supérieurs et quant à celui d'élève universitaire, on n'aurait pas résolu la difficulté qui se présentait à cette époque.
Les examens étaient trop surchargés, et ils le seraient encore.
Autre chose est de savoir d'une manière absolue, et autre chose est de savoir, pour passer un examen. Il faut, pour subir cette épreuve avec succès, une promptitude d'intelligence et de mémoire très grande, qualités secondaires que des jeunes gens très instruits peuvent ne pas posséder.
Si les examens sont surchargés, et ils le sont, ces qualités sont indispensables ; vous courez grand risque devoir des élèves très forts ne pas réussir.
Le problème consiste donc à simplifier les examens, tout en maintenant le caractère sérieux d'enseignement et d'études de toutes les branches de la science qui font l'objet des cours.
Eh bien, il me semble que la loi de 1849 avait en quelque sorte indiqué la solution de ce problème. Comme vous vous le rappellerez, messieurs, sous l'empire de la loi de 1835, les matières du doctorat faisaient l’objet d'un examen unique ; et de l'avis de tous les professeurs, comme de l'avis de tous les élèves, la grande difficulté de cet examen consistait en ce que le nombre des matières sur lesquelles portait cette épreuve unique était trop considérable.
La loi de 1849 dédoubla cet examen, et on en fit deux épreuves qu'on devait subir, la première après avoir fréquenté les cours de la première année du doctorat, l'autre à la fin de la seconde année.
On procéda de même pour l'examen de candidat en philosophie et lettres, examen qu'on subissait antérieurement en une seule fois ; on détacha de son programme certaines matières qu'on inséra dans le programme de l'épreuve nouvelle qu'établissait cette loi, l'examen d'élève universitaire.
Eh bien, je m'étonne et je regrette qu'en 1857 lorsque l'attention de la Chambre a été appelée sur ce point, on n'ait pas persévéré dans cette voie, c'est-à-dire que pour l'enseignement supérieur on n'ait pas établi un examen de plus ; que, pour l'examen d'élève universitaire, au lieu d'exiger une épreuve portant presque sur l'ensemble des connaissances acquises dans l'enseignement moyen, on ne l'eût pas restreint à ce que l'élève apprend en poésie et en rhétorique.
Je crois que, dans de pareilles conditions, l'examen d'élève universitaire est un examen très utile, qu'il relèverait les études des deux dernières années de cet enseignement, c'est-à-dire les études littéraires, l'art d'apprendre à penser et à exprimer sa pensée. Les élèves étudieraient avec fruit et ne se borneraient pas à une assiduité mécanique, parce qu'ils sauraient qu'en faisant bien leur poésie et leur rhétorique, ils sont certains d'acquérir leur diplôme sans grands efforts.
Quant aux études supérieures, je viens de dire qu'il serait utile qu'il y eût un examen de plus.
A l'appui de cette opinion, je puis invoquer mon expérience personnelle. Pour obtenir en Belgique le grade de docteur en droit, on doit avoir fait trois années d'études de droit, pour lesquelles on ne subit que trois examens. Pour obtenir en France le grade de licencié qui donne accès au barreau et à la magistrature, il faut, de même, avoir fait trois années d'études ; or, le grade de licencié, en France, suppose cinq examens passés avec succès.
Après la première année, dans laquelle on enseigne le premier tiers du Code, civil, les institutes de Justinien et le cours d'introduction générale au droit, un cours à certificat qui n'est pas suivi plus sérieusement à Paris qu'ailleurs, on subit une épreuve sur les deux branches de la science que je (page 649) viens d'indiquer. La seconde année d'études comprend le second tiers du Code civil, les successions et les obligations, le droit criminel, la procédure civile et les pandectes. Pourtant le second examen ne porte que sur les trois premières branches. Les pandectes forment à elles seules l'objet d'un examen que l'étudiant subit pendant la troisième année de l'enseignement juridique, après laquelle il subit deux nouvelles épreuves, dont l'une, la thèse, porte sur l'ensemble de l'enseignement de la faculté.
Dans de pareilles conditions, les examens sont faciles à aborder et toutes les sciences professées figurent, sauf une, à leur programme. Je signale ce système à l'attention de M. le ministre de l'intérieur. Je sais que la question des examens est entourée, chez nous, de nombreuses difficultés ; mais il vaut mieux affronter ces difficultés quelles qu'elles soient et les vaincre que de maintenir le système qui nous régit. Telles sont les quelques considérations que j'ai cru devoir invoquer à l'appui de l'opinion émise par la section centrale et sur laquelle elle a provoqué l'attention de M. le ministre et de la Chambre !
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'entends toujours depuis longtemps soutenir cette même thèse que le niveau des études est baissé en Belgique. Cela a été répété souvent sous le régime des lois que le préopinant voudrait ramener. C'est pour sortir de l'ornière dans laquelle on se trouvait que l'on a modifié la législation sur la proposition de l'honorable M. Devaux dont certes personne ne contestera l'aptitude et les lumières en cette matière.
Pour ma part, je considère cette réforme comme excellente, comme devant être maintenue. Je sais qu'un grand nombre de professeurs ont été mécontents ; c'est un malheur ; je sais qu'un grand nombre de ceux dont les cours devenaient des cours à certificat ont été mécontents de ce changement ; il fallait opter entre deux choses, se résigner à mécontenter les professeurs à certificat ou continuer à marcher dans une ornière qui n'avait conduit qu'à des résultats déplorables.
Quelle était la situation ? Sous l'action de très grands, très dignes, d'excellents professeurs, on était arrivé à ce résultat, permettez-moi de faire cette comparaison que je prendrai la confiance de vous présenter, que les professeurs n'étaient pas faits pour les élèves, mais que les élèves étaient faits pour les professeurs.
En 1834 quand nous faisions pour la première fois une loi sur l'enseignement, on a dit : Il faut faire les cours obligatoires en grand nombre, sans cela les professeurs n'auront pas d'élèves ; c'était donc pour donner de nombreux élèves aux professeurs que des cours de sciences accessoires ont été déclarés obligatoires en matière d'examen ; on est arrivé à ce résultat à peine croyable que la candidature en philosophie comprenait quinze matières d'examen. Il fallait qu'un jeune homme ayant fait sa philosophie répondît au gré des membres du jury sur quinze matières d'examen.
Je le demande, cela cst-il possible, cela est-il exécutable ? Je dis que si on avait retourné la table et que l'élève eût interrogé les professeurs, pas un seul n'eût été capable de subir l'examen qu'on faisait subir aux élèves.
La conséquence de ceci, quelle a-t-elle été ? Les candidats, pour passer leurs examens, tachaient de se procurer des cahiers et apprenaient ces cahiers par cœur.
On en était arrivé à un examen de récitation. On s'envoyait des cahiers d'une université à l'autre ; on savait quels étaient les examinateurs qui devaient diriger l'examen ; on étudiait les cahiers de ces examinateurs ; on les apprenait par cœur, et vous étiez arrivés à avoir des docteurs et des candidats en récitation.
Eh bien, savez-vous ce que cela amenait ? Cela amenait le résultat le plus funeste, cela amenait parmi la jeunesse le dégoût des études.
Les jeunes gens fatigués, épuisés des efforts de mémoire qu'ils avaient dû faire pour subir leur examen, finissaient leurs études avec un dégoût profond. Au lieu de rendre les études aimables, de les rendre chères à la jeunesse, car sur les bancs on n'apprend qu'à apprendre, ce n'est que lorsqu'on est sorti des bancs qu'on apprend sérieusement ; au lieu de rendre les études attrayantes, de renvoyer les élèves avec l'amour des études, on les renvoyait avec le dégoût des études.
C'était une véritable calamité ; et les faits l'ont bien démontré ; dans toute la série qui s'est écoulée sous ce régime, bien peu de jeunes gens ont continué à cultiver les lettres ; ceux qui l'ont fait ne sont que les rares exceptions.
C'est à quoi on a voulu remédier. On a dit : Diminuez les matières d’examen ; mais soyez d'autant plus sévères sur les matières sur lesquelles on conserve l'examen.
Voilà la base du projet qui a été présenté par l'honorable M. Devaux, projet que je le remercie vivement, au nom des lettres, au nom des sciences, d'avoir présenté, que j'ai appuyé et que j'appuierai toujours chaque fois qu’il sera remis en discussion. Ce système était un système essentiellement logique, essentiellement rationnel ; on exigeait des jeunes gens de fortes études dans les matières auxquelles ils se destinent et puis de passer un peu plus légèrement sur les matières accessoires.
Eh bien, ce système qui a eu l'accueil général, on s'en plaint, on voudrait déjà le réformer. Il existe à peine depuis 2 à 3 ans et déjà on voudrait en revenir aux anciens errements. Je ne trouve pas, pour mon compte, qu'il ait été prouvé que ce système était mauvais.
Je vois bien qu'il y a eu des réclamations des professeurs à certificat. Je le déplore. Je voudrais que leurs cours fussent exactement suivis. Mais j'aime beaucoup mieux ne pas épuiser la jeunesse, ne pas l'élever en serre chaude, ne pas la forcer, la contraindre, ne pas étioler les intelligences, que de donner aux professeurs un grand nombre d'élèves. Les intelligences que vous forcez en serre chaude, savez-vous ce qu'elles deviennent ? Elles deviennent des intelligences abruties, des intelligences qui ont jeté tout leur feu, qui n'ont plus de force, plus de courage pour continuer les études, tandis qu'un travail modéré vous donne le goût, vous donne l'amour des études, vous donne la force de les continuer.
L'homme peut savoir beaucoup. L'intelligence humaine peut être forte sur un grand nombre de matières. Mais c'est à une condition unique, c'est d'étudier ces matières successivement et non cumulativement. Vous ne pouvez étudier cumulativement et d'une manière approfondie beaucoup de choses. Ce que vous obtiendrez avec ces études cumulatives, ce sont des esprits superficiels. Ce n'est qu'en étudiant successivement ces matières, que vous pouvez les approfondir. Lorsqu'une matière est bien connue, vous passez à une autre et cette autre, vous l'étudierez avec facilité. Mais étudier à la fois une foule de branches différentes, cela peut faire de très jolis esprits de salon, mais jamais cela ne fera des savants, des philosophes.
Je dis que le régime inauguré il y a trois ans est excessivement heureux pour le pays. Il avait d'ailleurs fait ses preuves. Ce régime, quel est-il ? C'est, à peu de chose près, celui qui était suivi sous le gouvernement des Pays-Bas. Eh bien, veuillez remarquer, dans toutes les personnes que vous connaissez, combien d'hommes de mérite sont sortis des anciennes universités des Pays-Bas.
Et je puis en parler à mon aise, puisque j'admire ceux qui en sont sortis et que je n'y ai jamais mis les pieds. Vous avez un grand nombre de ces hommes dans cette assemblée : Vous en avez vu dans toutes les assemblées délibérantes. Vous en trouverez partout sur notre territoire.
Ce système a donc fait ses preuves. Il a fourni des hommes qui avaient l'amour, qui avaient l'énergie de la science. Je trouve qu'il faut en rester à ce régime, qu'il est suffisant.
Maintenant le niveau des études a baissé. Il y a du vrai dans ce qu'a dit à cet égard l'honorable préopinant, surtout quant à l'enseignement moyen. Oui, je le reconnais, le niveau des études a baissé dans l'enseignement moyen. Mais est-ce la loi dont nous parlons qui en est cause ? En aucune manière. L'abaissement des études, dans l'enseignement moyen, ne vient que d'une seule cause ; c'est qu'on a voulu apprendre aux élèves trop de choses à la fois.
On a voulu donner des cours trop multipliés, et la multiplicité de ces cours enlève aux matières essentielles, enlève aux humanités une partie du temps qui leur était destiné dans les études d'autrefois, dans les études qui se faisaient sous le gouvernement précédent, par exemple ; on n'a plus assez d'heures à donner aux humanités pour faire de bons humanistes. L'étude de la langue latine est une étude excessivement importante, qui exerce une influence sur toute la vie du citoyen. C'est la base première de la langue qu'on parle dans plusieurs de nos provinces, de la langue qui se parle dans cette Chambre, du français. Ensuite la possession parfaite du mécanisme d'une langue est d'un avantage extrême pour l'étude de toutes les autres langues.
La connaissance de la langue latine permet de lire tous les grands écrivains qui ont écrit et ceux qui écrivent encore dans cette langue. Elle met à même de comprendre ces grands philosophes, ces grands penseurs, ces grands écrivains de l'antiquité, où il faudra toujours aller chercher ses modèles, quand on voudra écrire dans sa propre langue.
Eh bien, c'est précisément au détriment de cette branche d'étude que l'on oblige les jeunes gens à étudier beaucoup d'autres branches qui sont profondément accessoires, telles que la géographie, des histoires de toute espèce, et une foule de sciences accessoires. Or, on ne peut étudier toutes ces branches et consacrer à la langue latine, aux études humanitaires proprement dites, le temps nécessaire. On a dû réduire le nombre d'heures consacrées aux humanités, et les études s'en sont ressenties.
Voilà l'unique origine de l'affaiblissement des études. Si vous voulez relever le niveau des études, rendez aux humanités le temps qui leur était précédemment accordé ; et alors vous arriverez facilement à relever le niveau des études que nous devons désirer de voir reprendre ce rang élevé qu'il avait autrefois dans notre pays.
Je pense donc qu'il n'y a rien à faire qu'à laisser agir la loi actuelle. Quant à ce qu'a dit l'honorable membre du rétablissement du grade d'élève universitaire, il a fait simplement la guerre aux jurys d'examen. Que les jurys chargés d'examiner les élèves qui ne fournissent pas des certificats suffisants, les interrogent sur les matières de rhétorique purement et simplement, et tout sera dit.
Vous prétendez que des jeunes gens sortant de la troisième se présentent devant le jury. Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que vous trouvez dans les jeunes gens des intelligences supérieures, qui ont compris la langue avant d'avoir fait sept années d'études.
M. de Haerne. - Ils ne peuvent plus le faire ; cela n'est pas permis devant le jury. .
M. B. Dumortier. - Que cela soit ou ne soit pas, je n'en sais rien. Mais je sais très bien que si un jeune homme de 14 ans voulait (page 650) apprendre la langue latine, il n'aurait pas besoin de sept années pour faire ses humanités ; il pourra apprendre le latin en trois ou quatre ans. Si des jeunes gens ont passé de la troisième à l'université, cela prouve qu'il s'est trouvé des esprits supérieurs qui comprenaient plus vite que d'autres, et je ne suppose pas que l'honorable membre croie qu'il faut laisser croupir dans les classes inférieures les intelligences vives et promptes qui savent saisir du premier jet les difficultés que d'autres saisissent avec peine.
Il est évident que ce système a amené des résultats très heureux. Il serait fâcheux d'y introduire des modifications avant qu'il ait fait son temps d'épreuves. On a laissé pendant plus de vingt ans, au régime antérieur, le temps de faire ses preuves. Ces preuves ont été mauvaises. Laissons aussi un certain nombre d'années au régime actuel que j'appuie de tous mes moyens.
M. Guillery. - Il me semble que l'honorable préopinant s'est mis un peu en contradiction avec lui-même en voulant réfuter le discours de l'honorable rapporteur de la section centrale. Il a fait des humanités un éloge bien juste, bien mérité, et comme conséquence de cet éloge, il ne veut pas qu'on rétablisse le grade d'élève universitaire ; c'est-à-dire que, parfaitement d'accord avec la section centrale sur le principe, il diffère quant aux moyens d'application.
La section centrale nous dit : Si nous voulons avoir un enseignement moyen sérieux, ayons un examen d'élève universitaire et faisons-le porter exclusivement sur l’enseignement des humanités.
L'honorable M. Dumortier ne veut pas de la science de serre chaude, il ne veut pas de la science apprise par cœur, il ne veut pas qu'on arrive à l'université sans rien savoir. Mais il ne veut pas non plus qu'il y ait un examen qui garantisse les connaissances qu'il désire. Il me semble qu'il y a là un défaut de logique, alors qu'il y a logique parfaite dans le système de la section centrale.
Le niveau des études, selon l'honorable préopinant, n'a pas baissé. Je crois que c'est une grave erreur.
M. B. Dumortier. - J'ai dit le contraire ; j'ai dit que le niveau des études humanitaires avait baissé fortement, le jury est là pour le dire.
M. Guillery. - Oui, le niveau des études humanitaires, mais pas des études universitaires. Le jury est là pour nous le dire, d'après M. Dumortier.
Eh bien, je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de bien vouloir nous communiquer les rapports des présidents des jurys envoyés cette année. Si ces renseignements nous sont communiqués et si je n'ai pas été induit en erreur sur ce qu'ils contiennent, ils constateront un abaissement continu des études. Ils constateront qu'il y a des élèves qui passent un examen de docteur et qui font des fautes de grammaire, qui, en écrivant dix mots de latin, font au tant de fautes que de mots. (Interruption.)
Un jury ne peut pas faire les études. Un jury doit prendre une sorte de moyenne parmi les élèves qui se présentent. Il ne peut pas refaire une organisation universitaire.
Si .l'enseignement des humanités a baissé, comme vient de le constater l'honorable M. Dumortier, il faut tout faire pour le relever. Il faut empêcher qu'on ne fasse des humanités sérieuses. Il faut empêcher qu'on passe d'une classe de troisième à une université, ou qu'on passe à l'université d'une classe de rhétorique qui ne vaut pas une classe de troisième. Il faut empêcher que, par une mauvaise loi, on ne favorise les établissements où l'on enseigne mal et où les études de rhétorique ne valent pas quelquefois les études de troisième d'un bon établissement.
Voilà le système que je défends. C'est celui de la section centrale, et je crois, de toutes les personnes qui veulent efficacement relever le niveau des études.
Un des grands vices de l'enseignement supérieur provient de ce qu'on entre aujourd'hui beaucoup trop jeune aux universités. Ce n'est pas à 14 ou 15 ans qu'un jeune homme peut faire sa philosophie ou sa rhétorique. Rien ne peut remplacer les années consacrées à l'étude des classiques latins, étude qui aujourd'hui est beaucoup trop superficielles.
Et ici je me rallie parfaitement à la critique qu'a faite l'honorable Mo Dumortier de cette multitude de sciences qui font obstacle à un enseignement sérieux et complet, à un enseignement raisonné, médité ; parce qu'il n'y a enseignement que là où il y a médiation, que là où l’on expose aux jeunes gens des choses simples qui leur permettent de réfléchir, de méditer sur les sujets qu'on leur enseigne.
Ainsi, on enseignait autrefois dans les établissements d'instruction moyenne les humanités, et pas autre chose.
On croyait avoir tout fait, lorsqu'on avait amené les jeunes gens à se livrer, pendant tout le temps de l'âge adulte, à l'étude des chefs-d'œuvre de la littérature latine et de la littérature grecque. On croyait qu'un jeune homme qui a traduit Cicéron, Tacite, Tite-Live, César, savait ce qu’on doit savoir d’histoire latine, d'histoire grecque, de philosophie. Aujourd'hui on fait de tout cela des branches spéciales. Il y a un cours d’histoire romaine, un cours d'histoire grecque, un cours d’histoire du moyen âge, un cours d'histoire moderne et un cours de géographie. On fait de tous ces cours des spécialités.
Ce que le professeur chargé du cours des humanités enseignait de la matière la plus agréable, la plus séduisante, par la traduction des chefs-d'œuvre de la littérature ancienne, qui leur donnait les préceptes en leur montrant des exemples, fait aujourd'hui l'objet d'études pénibles, que l'on puise dans des manuels, dans des livres secs et arides, sans saveur et sans nourriture, parce qu'ils ne revêtent aucune espèce de forme active, aucune de ces formes que les auteurs anciens ont su donner à leurs œuvres.
Je crois donc que si l'on veut arriver à un système d'études fructueuses, il faut d'abord, dans l'enseignement moyen, supprimer toutes le branches accessoires qui ne font que détourner les jeunes gens de l'étude fondamentale.
Autrefois un jeune homme sortait de la rhétorique à 20 ou 21 ans et il avait appris à connaître les chefs-d'œuvre de la littérature ancienne, c'est-à-dire qu'il avait reçu la plus belle éducation qu'un jeune homme puisse recevoir.
N'eût-il pas appris le français pas plus que Racine et Voltaire ne l'ont appris au collège, il l'apprenait plus tard, parce que celui qui à une connaissance approfondie des classiques apprend toujours facilement sa langue maternelle, apprend à l'écrire et à la parler parfaitement.
Aujourd'hui c'est à peine si l'on traduit une ode d'Horace ou un discours de Cicéron. On n'a pas eu le temps de rien approfondir. On n'a pas le temps de se pénétrer de la saveur de la science. Et cependant on a des leçons depuis le matin jusqu'au soir. Je ne comprends pas que les jeunes gens puissent aujourd'hui conserver la santé dans un établissement d'enseignement moyen. Ils sont accablés de travaux et n'ont pas le temps d'apprendre.
Ils arrivent à l'université et là vous avez le même abus à cet égard. Je le répète, je me rallie parfaitement à ce qui a été dit à cet égard.
Sous le gouvernement hollandais l'examen portait sur les Institutes de Justinien. Evidemment celui qui connaît parfaitement les Institutes de Justinien sait tout ce que doit savoir un candidat en droit. L'examen de docteur portait sur les Pandectes. Après cela, messieurs, apprendre le droit particulier de tel ou tel pays, ce n'est plus qu'une question d'application, de pratique.
Aujourd'hui, au lieu d'apprendre la philosophie dans les Offices de Cicéron, dans les œuvres de Tacite, on apprend l'anthropologie, on apprend une masse de logies dont j'ai oublié les noms, et je m'en félicite ; on apprend beaucoup de mathématiques, de chimie, de physique, d'histoire naturelle ; on enseigne une foule de choses que, fort heureusement, les enfants n'écoutent pas, je l'espère, car s'ils les écoutaient, ils risqueraient beaucoup de devenir fous.
Je voudrais bien savoir quel est l'homme qui consentirait à passer un examen sur les matières qui font l'objet de l'enseignement moyen.
J'appuie donc les conclusions de l’honorable rapporteur de la section centrale, qui demandent le rétablissement de l'examen d'élève universitaire, portant exclusivement sur les humanités.
Je voudrais qu'au lieu d'interroger l'élève sur une foule de choses, on s'assurât s'il sait le latin, s'il est à même de traduire à livre ouvert, par exemple, Tacite.
Il prouverait par là qu'il possède cette belle littérature de l'antiquité qui jette un reflet sur l'existence de ceux qui ont eu le bonheur de l'étudier dans leur jeunesse, dont l'absence dans l'éducation est un mal irréparable.
M. B. Dumortier. - Vous venez d'entendre, messieurs, combien notre manière de voir, celle de l'honorable préopinant et la mienne, combien elles se rapprochent ; mais je suis très étonné d'entendre l'honorable membre dire qu'il y a, dans ma conclusion, un défaut de logique. Il me semble, au contraire, que le défaut de logique est plutôt du côté de l'honorable membre, qu’il me permette de le lui dire ; car s’il est vrai, comme il le dit, qu'il faut simplifier les matières d'enseignement il n'est pas raisonnable de maintenir l'examen ; c'est là qu'est le défaut de logique.
Messieurs, j'ai été un des plus grands partisans de l'examen d'élève universitaire, et savez-vous ce qui m'a fait revenir de cette opinion ? C'est bien simple : il y a quelques années un jeune homme se présente au jury d'examen pour le grade d'élève universitaire ; il échoue, il est refusé ; à huit jours de distance, sous la présidence de M. le ministre de l'intérieur, on distribue les prix aux élèves de l'enseignement moyen ; on appelle un jeune homme auquel on donne le premier prix de tous les collèges de la Belgique, et ce jeune homme était précisément celui à qui l'on avait refusé, huit jours avant, le diplôme d'élève universitaire. Il était couronné comme premier en rhétorique parmi tous les élèves du royaume.
Quand j'ai vu cela, je n'ai pas hésité à condamner le système de l'examen pour le grade d'élève universitaire.
Messieurs, le remède à l'affaiblissement des études, je le trouve, moi, dans la simplification des matières, et je partage entièrement les opinions que l'honorable membre a exprimées sous ce rapport.
Il est certain que dans l'enseignement classique, latin et grec, von apprenez tout ce qui est nécessaire ; quand on se renferme dans cet enseignement ,on rend l'étude attrayante et le jeune homme sort du collège avec une éducation parfaitement faite. Dans le système actuel, au contraire, à force d'accumuler les matières les unes sur les autres, on étouffe l'intelligence de l'élève. Voilà le système déplorable auquel on est arrivé en voulant améliorer. Ce qui prouve une fois de plus que « mieux est l'ennemi du bien. »
(page 651) Je craindrais, messieurs, qu'on ne commît la même faute en rétablissant le grade d'élève universitaire, et je pense que, sous ce rapport, il vaut beaucoup mieux laisser les choses comme elles sont.
M. de Boe. - Je partage entièrement l'opinion de MM. Guillery et Dumortier sur la nécessité de relever le niveau des études humanitaires. Ce sont elles qui forment le jugement et rendent facile l'acquisition de toutes les sciences.
En Angleterre, pays éminemment pratique, la part faite à ces études est considérable.
Les jeunes gens qui sortent des grands établissements qu'on appelle Eton Harrow et Trinity collège ont reçu une éducation presque exclusivement littéraire, ce qui ne les empêche pas d'être promptement des hommes d'affaires et des administrateurs.
C’est à cette éducation que l'on doit en grande partie d'entendre tant ce citations grecques et latines au parlement anglais, c'est à elle que l'on doit de voir le chancelier de l'échiquier du cabinet actuel, M. Gladstone, écrire des critiques littéraires remarquables sur l'Iliade et l'Odyssée ; un banquier de Londres, un homme pratique absorbé tout le long du jour par des affaires arides publier sur l'histoire de la Grèce, un des meilleurs ouvrages qui aient vu le jour jusqu'ici. Cet exemple, ainsi que les considérations que j'ai invoquées me font insister sur la nécessité de relever les études littéraires dans l'enseignement belge.
L'honorable M. Dumortier a dit que le niveau en a baissé, et il semble avoir affirmé qu'il n'en est pas de même de l'enseignement supérieur. Ces deux allégations se contredisent.
Il est difficile, en effet, que le niveau des études ait baissé dans l'enseignement moyen et qu'il se soit maintenu dans l'université ; qu'il n'ait pas, par une conséquence logique, baissé dans l'enseignement supérieur. Evidemment, si en poésie et en rhétorique le niveau des études a baissé, il doit avoir baissé aussi dans les classes de philosophie et des sciences de l'université. (Interruption.)
Si le professeur de l'université reçoit dans son cours des élèves qui n'ont pas fait une bonne rhétorique, il est obligé d'abaisser le niveau de son enseignement pour qu'il soit à la portée de son intelligence peu formée et mal instruite.
En demandant le maintien du système, et en le soutenant par cette considération que l'enseignement est surchargé, l'honorable membre confond deux choses, les matières enseignées, et les matières qui figurent au programme des examens. S'il y a trop de cours, qu'on en supprime, qu'on réalise légalement ce qui existe en fait. J'ai dit qu'en fait les cours à certificat n'existant plus, que le certificat ne prouve absolument rien ; que la présence des élèves aux cours des professeurs est une présence purement matérielle ; qu'ils n'écoulent pas les cours, qu'ils ne les suivent pas avec fruit ; j'ai conclu de là que, par cela même, ces matières avaient en quelque sorte disparu de l'enseignement.
Eh bien, je pense que les matières d'enseignement, telles qu'elles figurent au programme des universités de Belgique, ne sont pas trop nombreuses, que l'élève peut très bien les étudier tous les jours, et que s'il a agi ainsi, il peut, au bout de l'année académique, se livrer à un travail de répétition sur la majeure partie d'entre elles pour l'examen.
Si les matières enseignées sont trop nombreuses pour qu'il puisse toutes les produire à un seul examen, pourquoi ne pas créer une nouvelle épreuve, lui laisser un certain répit, comme on le fait en France pour le cours de pandectes ?
En ce qui concerne les cours, ils ne me semblent pas trop nombreux, au moins pour ceux de l'université : il n'a en moyenne que 3 heures de leçons par jour aux universités.
Je suis d'accord avec M. Dumortier pour ce qu'il dit de la surcharge de l'enseignement moyen.Il1 n'y a aux universités que trois heures de leçons par jour, qui n'imposent pas un travail trop considérable à l'étudiant. (Interruption.) Si les cours durent plus de 3 heures, c'est un vice, et cela tient à une cause dont je parlerai tantôt. Sous la loi de 1835 non seulement on exigeait trop de science pour un seul examen, mais encore on enseignait un trop grand nombre de matières. Mais parce que l'examen de candidats en philosophie portait sur 15 branches, est-ce une raison pour le simplifier, comme on le fait aujourd'hui, pour ne demander à un candidat en philosophie qui pourra devenir docteur en droit qu'un examen littéraire portant sur la langue latine ? On enseigne la littérature française, c’est vrai, mais elle ne figure pas au programme de l'examen.
Je le répète, le système des certificats a eu pour effet d'élaguer presque complètement de l'enseignement les matières qui en sont l'objet et autant vaudrait les supprimer tout à fait. Eh bien, je ne pense pas qu’on veuille ou qu'on puisse entrer dans cette voie.
Il est des cours dont l'étude est excellente et que l'étudiant devrait être tenu de suivre avec fruit. Tel est, pour n'en citer qu'un, le cours dans lequel on expose les principes généraux du droit civil, sur lesquels il devrait être tenu de fournir des notions de science sérieuse.
Il me semble que la question du niveau des études ne relève pas uniquement de celle des examens ; je crois qu'il y a quelque chose à faire dans l'enseignement lui-même. A mon avis, il existe un grand vice dans l'instruction supérieure en Belgique. Ce vice se trouve dans des « cours dictés ». On a prétendu que les cours dictés s'étaient introduits, surtout depuis l'institution des jurys combinés à la suite de la loi de 1849 ; on a dit que le professeur, avant tout, cherchait à faire passer l'examen à ses élèves de la manière la plus brillante ; que, par conséquent, il s'évertuait à leur inculquer une science en quelque sorte toute faite.
Quoi qu'il en soit, ce système de dictée est funeste et pour l'étudiant et pour le professeur. Pour l'un et pour l'autre, c'est un travail presque mécanique. Au point de vue de la science à donner et de la science à acquérir, je crois qu'il est nécessaire que le professeur fasse ses cours oralement, que l'élève écoute, prenne des notes et recompose le cours chez lui.
A la faculté de droit de Paris, à la fin de chaque leçon, quelques professeurs font connaître aux élèves la matière sur laquelle portera la leçon suivante ; dans l'intervalle, l'élève en fait l'objet d'une étude préparatoire, au cours il prend quelques notes et rédige à domicile.
Une seule leçon fait donc l'objet d'une triple étude, non seulement l'élève apprend la science, mais par le cours oral du professeur, par la rédaction écrite qu'il fait lui-même sur ses notes, il apprend à développer une théorie, à classer ses idées, ses arguments, en un mot à raisonner et à discutér.
A cette première cause de faiblesse s'en joint une autre. Il est très difficile qu'un enseignement s'élève à une certaine hauteur, lorsque le nombre des auditeurs auxquels un professeur est chargé de parler, n'est pas considérable. Nous avons en Belgique un grand nombre d'universités, dont chacune ne peut avoir qu'un nombre restreint d'élèves. Jadis lorsque l'enseignement universitaire jetait un grand éclat, les universités que comptait l'Europe étaient extrêmement peu nombreuses ; vous n'aviez alors, dans le nord-ouest du continent, qu'une seule université ; les cours étaient nombreux, et le nombre des auditeurs était considérable.
A leur contact, le professeur pouvait s'échauffer, acquérir de l'éloquence, inculquera ses élèves l'amour, je dirai même l'enthousiasme de la science. C'est en partie grâce à ce concours nombreux de spectateurs que la France doit les cours remarquables professés par M. Guizot, par M. Villemain, par M. Cousin à la Sorbonne.
Si ces illustres professeurs n'avaient pas trouvé un écho sympathique dans l'auditoire qui se pressait autour d'eux, il est possible que ces leçons remarquables n'eussent jamais vu le jour avec l'éclat et la chaleur qu'elles possèdent. N'y aurait-il pas moyen de vaincre les difficultés matérielles qui s'opposent à ce qu'on décrète la publicité aux cours des facultés dans les universités de l'Etat, de leur assurer ainsi un public plus nombreux que celui de 20 à 15 élèves qui y a assistent aujourd'hui ?
Je crois que ces exemples réagiraient sur les universités libres et que l'enseignement supérieur en général s'élèverait d'une manière notable.
J'en trouve une preuve dans ce qui s'est passé en France vers 1853 ou 1854. A cette époque, quelques jeunes gens qui suivaient les cours de la Sorbonne et de la faculté des lettres de Paris, recueillirent ces cours et les firent imprimer.
Au public auditeur se joignit le public lecteur ; ce nouveau mode de propagande des systèmes et des idées émises au cours eut sur le niveau littéraire et scientifique des facultés la plus heureuse influence.
Quant à l'opinion émise par l'honorable M. B. Dumortier, que cet enseignement aurait baissé, surtout depuis la loi de 1835, je suis extrêmement étonné que l'honorable membre vienne faire l'éloge du système universitaire du gouvernement précédent. Je crois que l'abaissement des études tient à des causes très diverses, surtout à cette grande cause que, pour ma part, je ne désire pas voir reparaître : c'est que sous le régime hollandais, dans notre pays, et sous la restauration, en France, les facultés et les universités étaient, en quelque sorte, des corps politiques.
A cette époque, toutes les grandes questions politiques, toutes les grandes institutions constitutionnelles et parlementaires étaient mises en discussion ; les étudiants s'occupaient alors de ces débats et suivaient le mouvement. Quand on devenait docteur en droit on avait beaucoup lu, on aimait la science. C'est à ces docteurs, disait l'honorable M. Devaux dans la discussion de 1857, que l’on doit la Constitution belge.
Telles sont, je pense, les principales raisons pour lesquelles aujourd'hui le niveau de l'étude des sciences et des lettres a baissé dans nos universités.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). Messieurs, je ne puis m'empêcher, en commençant, d'adresser mes félicitations aux orateurs qui viennent de prendre la parole ; ils ont élevé le débat, et tous ont dit d'excellentes choses.
Messieurs, on ne peut plus mettre en doute que le niveau des études humanitaires et universitaires ait baissé en Belgique. A moins de supposer que tous les hommes qui prennent part aux examens des élèves se trompent, il faut bien le constater avec eux : le niveau des études en Belgique a baissé. Les présidents des jurys, dans la dernière session, ont constaté ce résultat ; ils ont été unanimes pour proposer au gouvernement le rétablissement du grade d'élève universitaire. Le conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur et le conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen en ont délibéré l'un et l'autre, et l’un et l'autre ont été d'avis qu'il y avait lieu de rétablir le grade d'élève universitaire. J'ai été heureux de rencontrer, dans les deux (page 652) conseils, cette adhésion unanime à une opinion que j'avais toujours défendue, et que je me proposais de faire prévaloir dans la loi, quand je serais rentré au gouvernement.
En conséquence nous proposerons aux Chambres de rétablir le grade d'élève universitaire, mais nous le proposerons de manière à écarter les inconvénients qu'on a signalés ; nous le proposerons avec un programme moins chargé que précédemment.
Le conseil de perfectionnement attache une si grande valeur à l'institution du grade d'élève universitaire, que non seulement il propose le rétablissement du grade, mais il veut en outre, pour échapper aux inconvénients qu'on a signalés tout à l'heure, qu'on puisse s'assurer que lez élèves qui se présentent à l'examen ont terminé toutes leurs études humanitaires, qu’ils sont porteurs des certificats qui le constatent ; on ne verra plus, dès lors, le grade d’élève universitaire ambitionné par des jeunes gens qui ne faisaient pas de différence de passer par-dessus la poésie et la rhétorique pour se présenter à l’examen.
Voilà le système qui a été présenté par les hommes compétents que j'ai cru devoir consulter.
La dernière loi d'enseignement universitaire qui a coûté tant de travaux, tant de discussions aux Chambres, ne date que de trois ans. En quoi consiste le système de cette loi ? Pour ne nous arrêter qu'aux généralités, elle a modifié sur trois points important la législation antérieure. D'abord elle supprime le grade d’élève universitaire. On a invoqué l'autorité de mon honorable ami, M. Devaux quant à la suppression du grade d'élève universitaire ; je ferai observer que mon honorable ami a voté et a parlé en faveur de l'ensemble de la loi, mais la suppression du grade d'élève universitaire a été combattue par mon honorable ami.
Restent deux autres modifications importantes qui ont été introduites dans la loi de 1857, à savoir la suppression de matières d'examen qui ont été remplacées par les certificats de fréquentation, puis la suppression de l'examen écrit.
Voilà les deux grandes modifications introduites dans le système de 1857. En ce qui concerne les certificats d'études substitués aux examens, MM. les présidents des jurys, d'accord en cela avec les professeurs, ne s'applaudissant pas de cette innovation, presque tous constatent que la seule obligation de faire acte de présence à un cours ne suffit pas pour faire acquérir la science.
Quant à la suppression de l'examen écrit, presque personne n'en réclame le rétablissement. Lorsqu'on a proposé la substitution du certificat à l'examen, on a été dirigé par une pensée utile et élevée ; on a d'abord voulu autant que possible soulager, délivrer l'élève de ce grand nombre de matières sur lesquelles il avait à se préparer en présence des examens. On a voulu, en outre, c'est le grand côté de cette réforme, on a voulu jusqu'à certain point émanciper le professeur, on n'a pas voulu l'astreindre à se renfermer dans les limites étroites d'un programme imposé.
Ces cours à certificat devaient être des cours de luxe, de ces leçons où le professeur pourrait sortir de temps en temps de ces limites étroites, de ces chaînes dans lesquelles on le relient quand on lui impose un programme précis ; pouvant donner tous les développements qu'il juge convenable à sa pensée, pouvant sortir d'un programme trop restreint, il a mille occasions de développer dans l'esprit des élèves le goût des études et l'amour de la science.
Si au contraire il est réduit à traiter toujours dans les mêmes termes la même matière, s'il donne ses leçons d'une manière monotone et que d'autre part l'élève a la certitude de n'avoir pas besoin de faire preuve de connaissance dans la science qu’on lui enseigne, pour obtenir son certificat, il va de soi que de pareils cours finiront par devenir insignifiants.
Je ne nie pas les résultats fâcheux du certificat d'études substitué à l'examen. Beaucoup de professeurs se plaignent de ce que des élèves faisant acte de présence matérielle, n'écoutent pas les leçons et se livrent même à des lectures qui y sont étrangères.
Mais il me semble qu'il dépend aussi du professeur d'attirer l'attention, de provoquer la sympathie par l'ascendant de la parole ; cela appartient au professeur. On accuse successivement tous les systèmes dans lesquels on s'efforce d'introduire des améliorations sans réussir ; ne faut-il pas aussi quelquefois adresser des observations aux professeurs ? Avant tout, la première condition d'un bon enseignement, c'est un bon professeur.
Avec des professeurs éloquents, pénétrés de la hauteur de leurs fonctions, animés du sentiment si beau de répandre les lumières de la science, les idées saines, généreuses, ne verrait-ou pas le niveau des études s'élever ?
Quoi qu'il en soit, nous considérons comme indispensable au succès les études humanitaires, le rétablissement du grade d'élève universitaire. Je ne puis que féliciter M. B. Dumortier des termes si convenables dans lesquels il a rendu hommage aux études humanitaires, à ces classiques qu'une école moderne, étroite et grossière, a voulu, dans ces deniers temps, ravaler d'une façon si dédaigneuse et si misérable. J'ai été heureux d'entendre de la bouche de l'honorable M. Dumortier la réhabilitation des classiques.
Voilà ce que nous proposerons à la Chambre, le rétablissement du grade d'élevé universitaire.
Quant aux autres innovations du système de 1857, nous n'y toucherons pas pour le moment Nous croyons que cette loi n'a pas subi une épreuve assez complète, qu'elle n'a pas eu une durée assez longue. En cela nous avons pour nous l'avis du conseil supérieur de l'enseignement. Nous devrons réviser cette loi cette année, attendu d'après l'article 60 la formation des jurys n'a été autorisée que pour un terme de trois ans. A cette occasion, nous reviendrons sur un autre point, en vous proposant le rétablissement du grade d'élève universitaire ; quant au reste, nous maintenons la loi telle qu'elle est, parce que nous croyons qu'on n'a pas fait du nouveau système une épreuve assez complète pour le juger définitivement.
Voilà ce que j'avais à répondre aux honorables préopinants.
L'honorable M. de Boe, dans les deux remarquables discours qu'il a prononcés a mis en avant une idée qui me paraît mériter attention, celle de donner la publicité aux cours des professeurs. Il croit que la publicité, la présence d'un public nouveau, se renouvelant chaque jour, d'un public curieux et difficile seraient pour le professeur un stimulant qui donnera plus de vie et d'éclat à son enseignement.
Il n'y a pas dans la loi d'obstacle à ce que les cours des professeurs soient rendus publics.
Il demeure entendu, cependant, que les élèves qui voudront suivre les cours pour arriver à un grade, pour obtenir un diplôme, devront remplir certaines conditions, se faire inscrire, et notamment payer une rétribution ; car il faut bien que les professeurs reçoivent des minervales, puisque leurs traitements ne sont pas suffisants. Si l'on supprimait les minervales, il faudrait augmenter les traitements des professeurs. Si nous voulons relever les études, il faut absolument que nous relevions les traitements des professeurs ; car ce n'est que par des traitements élevés que l'on peut attirer et conserver dans l'enseignement des hommes d'une haute capacité. Il faut aussi que l'on puisse aller dans les pays étrangers chercher au besoin des spécialités.
Il serait désirable sous ce rapport que l'esprit belge fût plus cosmopolite, et que si le gouvernement découvrait à l'étranger une illustration scientifique, et était assez heureux pour l'attirer en Belgique, il pût le faire sans les récriminations des intéressés, et des amis des intéressés. Il faudrait pouvoir confier l'enseignement à des hommes illustres et d'une haute capacité, et leur allouer, non pas 6,000 francs, mais 15,000 et 20,000 francs. Vous donnez bien 30,000, 40,000 et même 60,000 francs à un artiste, à un danseur, à un chanteur, sans compter les recettes extraordinaires.
M. Hymans. - Ce n'est pas l'Etat qui les donne.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non, ce sont les entrepreneurs. Mais enfin ; le chanteur n'en gagne pas moins des sommes considérables. Il me semblé qu'un grand professeur, une grande illustration scientifique valent bien un grand violoniste, un grand violoncelliste ou un grand chanteur.
Je dis cela en passant. Je sais que ces grandes illustrations, ces hautes capacités sont rares partout, et que là où elles se trouvent, elles sont assez bien traitées pour ne pas désirer de changement. Mais quand le gouvernement découvre quelque part une de ces grandes capacités, il devrait être encouragé par la voix unanime du pays intelligent à lui confier un cours et à le rétribuer dignement.
Voilà ce que j'avais à répondre aux observations des honorables préopinants. Je tiendrai compte d'ailleurs de ce qui m'a été dit relativement à la publicité des cours.
M. Hymans. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de la promesse qu'il vient de nous faire de mettre à l'étude l'organisation de la publicité à donner aux cours de l'enseignement supérieur. J'avais demandé la parole pour appuyer de tout mon cœur cette proposition faite par mon honorable ami, M. de Boe, dans le but de relever le niveau des hautes études. Je crois que mon honorable ami, en signalant les avantages de la publicité, a mis le doigt sur la plaie.
On a dit bien souvent dans cette enceinte qu'il y avait un abaissement du niveau des études ; quel que fût le système de jury en vigueur, les plaintes étaient toujours les mêmes, et c'étaient toujours ces malheureux examens que, comme l'âne de la fable, on rendait responsable de tout le mal. Or, messieurs, si les examens y ont une grande part, il faut bien avouer qu'en les accusant exclusivement, on s'arrête à une cause secondaire, on met en réalité la charrue devant les bœufs.
Il faut, d'après moi, pour trouver le vice de l'enseignement supérieur, remonter jusqu'à l’enseignement lui-même, et vous constaterez un vice radical, le manque d'émulation parmi les professeurs.
Ce n'est pas à moi de m'ériger en juge des hommes éminents qui furent nos maîtres. L'enseignement supérieur compte évidemment un grand nombre d’hommes remarquables. Mais le plus grand vice, je le répète, c'est le manque d'émulation parmi les membres du corps enseignant. Si l'élève étudie en vue de diplôme, le professeur enseigne en vue de l'examen, et il n'a pas d'intérêt à faire autrement. Il parle devant des auditeurs obligés, bien souvent devant des banquettes.
Parfois il compte trois ou quatre élèves dans les vastes salles de nos universités ; n'y a-t-il pas là de quoi glacer l'imagination et l'éloquence de l'orateur le plus éminent ? Si MM. St-Marc-Girardin, Villemain, Guizot, dont l'honorable M. de Boe a rappelé les cours au Collège de France et à la Sorbonne, s'étaient vue condamnés à parler dans les salles désertes de nos écoles, auraient-ils trouvé ces accents avec lesquels ils ont à longtemps ému et charmé leur auditoire ?
(page 655) L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit qu'il se rallierait à la publicité des cours pourvu qu'elle ne fût pas de nature à diminuer les minervales des professeurs. Ce danger n'est pas à craindre. En France d'après le règlement de 1825 sur la discipline des facultés, des cartes d'admission aux cours des diverses facultés sont donnés à toutes les personnes qui en demandent.
Ces cartes, délivrées gratuitement, sont retirées dès l'instant où celui qui en est porteur trouble, d'une façon quelconque, la leçon à laquelle il assiste. Pour le reste, l'étudiant qui n'est pas auditeur bénévole, et qui veut obtenir son diplôme, paye son inscription dans la faculté, et plus tard, en se faisant inscrire pour l'examen, paye les cours Il n'y a donc aucune espèce de crainte à avoir au sujet de la diminution du revenu des professeurs, du chef de la publicité des cours ; et l'on peut introduire cette réforme, telle que l'a demandée l'honorable M. de Boe, sans produire aucun trouble, sans, même soumettre cette question à une longue étude, sans la renvoyer à des commissions qui l'examineront pendant deux ou trois ans, pour y trouver des difficultés.
Quel sera le résultat de cette publicité ? Le résultat sera de stimuler le professeur, de le forcer à se tenir au courant des progrès de la science, ce que malheureusement il n'est pas obligé de faire aujourd'hui. Je ne crains pas d’affirmer et d'autres membres de cette assemblée pourront confirmer ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre, qu’en Belgique, dans les universités, non seulement les cours sont dictés, que non seulement certains professeurs dictent des cahiers, mais encore qu'ils dictent les mêmes cahiers pendant dix et vingt ans ; c'est-à-dire qu'à bien des cours, l'élève a déjà sous les yeux, usés par deux ou trois générations d'étudiants, les cahiers que le professeur lui dicte à la leçon.
Eh bien, la publicité des cours aura pour, résultat de corriger ce vice déplorable, ce vice radical de l'enseignement supérieur. Le cours étant public de droit ou de fait, le professeur sera obligé de se tenir au courant de la science et l'on arrivera à raviver l'amour de la science chez lui-même et chez l'élève.
En France, cet amour de la science est entretenu surtout par la publicité des cours. Grâce à elle, il règne dans tes cours de toutes les facultés, aussi bien de la faculté de médecine que de la faculté des lettres, aussi bien de la faculté de droit qu'à la Sorbonne ou au Collège de France, une atmosphère vivifiante dans laquelle l'élève respire en quelque sorte les émanations de la gloire des écoles passées.
En Allemagne, on n'a pas la publicité absolue des cours. Il existe bien à l'université d'Heidelberg, à l'université de Berlin et ailleurs, quelques cours facultatifs que le professeur qui est obligé de donner devant quatre ou cinq élèves et sont publics. Mais il y a autre chose en Allemagne, l’amour de la science y est entretenu par le caractère tout spécial des universités. L'étudiant immatriculé dans l'université, devient l'élève d'une grande famille. Il est l'enfant de l'université, il est suivi et soutenu par le maître, hors des bancs de l'école. Il est l’héritier de traditions qu'il garde avec orgueil ; il rencontre partout une direction, une sollicitude paternelle. Le professeur le fait venir chez lui, l'interroge, entretient avec lui des rapports constants. C'est ainsi que l'amour de h science, ce foyer presque éteint dans nos écoles, est conservé en Allemagne.
J'ai, pour ma part, une grande confiance dans la publicité ; je demande de nouveau à M. le ministre de l’intérieur de s'occuper à l'introduire en Belgique, et je crois qu'il suffit, à cet effet, d'inscrire dans la loi belge, l'article de la loi française.
M. de Haerne. - Tout le monde semble d'accord pour reconnaître que le niveau des études a baissé en Belgique. Mais on n'est pas d’accord sur les causes qui ont amené cet état de choses. Vous venez d'entendre encore l’honorable préopinant qui a parlé d'une nouvelle cause, le manque d'émulation, et qui nous propose d'autres moyens de remédier au mal.
Je crois qu'il y a quelque chose de vrai dans les différentes causes qu'on a indiquées pour expliquer cette décadence. Mais il y a d'autres causes encore, dont on n'a pas parlé et dont je désire dire un mot. Je crois que l'instabilité de nos institutions en matière d'enseignement est pour beaucoup dans cet abaissement du niveau des études et je crois aussi que, pour l'expliquer, il ne faut pas oublier l'esprit industriel qui domine aujourd'hui en Belgique comme dans la plupart des autres pays de l'Europe, et qui, il faut bien l'avouer, domine chez les jeunes gens comme il domine, à leur insu, chez les professeurs et chez les parents.
Ce sont là des considérations d'un ordre général, mais qu'on ne peut pas négliger eu cette matière.
Je suis complétement d'accord avec plusieurs honorables préopinants quant à ce qu’ils ont dit des études littéraires de l'étude des classiques anciens, j'applaudis à ce qu'ont avancé à cet égard l'honorable M. Guillery, l'honorable M. Dumortier et à ce que vient de dire l'honorable ministre de l'intérieur.
J’ajouterai que j’ai été partisan du grade d’élève universitaire, que je suis venu l’appuyer dans cette enceinte ; et lorsque plus tard j’ai renoncé, avec la grande majorité de cette assemblée, à ce système pour adopter celui qui est aujourd’hui en vigueur, je l’ai fait parce que l’expérience me semblait avoir faire connaître les défectuosités de ce système.
Maintenant que le système nouveau a fonctionné pendant quelques années, on veut à son tour le mettre de côté, et cela dans un but très louable, dans un but que j'approuve, je viens de le dire, dans le but de faire revivre les études littéraires de l’antiquité.
J'appartiens de cœur et d'âme, je dois le rappeler, à cette école de l'antiquité classique, et pour eu donner la conviction à ceux qui seraient tentés d’en douter, je dirai que cette école de Cicéron et de Démosthène, de Virgile et d'Homère a été l'objet de l'admiration des Chrysostome, des Basile, des Grégoire, de Nazianze, que Cicéron et Virgl e ont été applaudis par les Augustin, par les Léon, par les Ambroise, qui toutefois ont corrigé ces auteurs par l'esprit chrétien dans l'application. J'appartiens à cette école ancienne, à l'école classique et chrétienne, et si depuis quelque temps on a vu surgir un système puritain en cette matière, cela fait exception dans le monde littéraire. Ce système est tellement inconnu dans l’enseignement en Belgique, que je puis vous assurer que je ne connais pas, parmi le nombreux personnel avec lequel je suis en rapport en matière d'enseignement, un seul professeur qui accepte ce système opposé aux classiques. Pour être conséquents, les adversaires des classiques devraient rebuter presque tous les auteurs du siècle de Louis XIV, ils devraient répudier les classiques français aussi bien que ceux de l'antiquité.
Voilà ce que je crois pouvoir dire à la Chambre ; et à cet égard permettez-moi une digression. Je me trouvais un jour en présence d'un prélat éminent de France qui partage l'opinion que je soutiens. Il me demanda ce qu'on pensait en Belgique de cette dispute entre les classiques ci les partisans exclusifs de la littérature moderne, qu'on prétend être la seule conforme à l'esprit chrétien. Je lui dis qu'on n'y avait pas fait attention, qu'on avait laissé passer la doctrine.
- Vous avez bien fait, me répondit-il.
Je me trouvais une autre fois, c'était à Rome, avec un autre personnage distingué qui a brillé d'abord dans la capitale du monde chrétien et qui jouit aujourd'hui d'une grande réputation à Paris ; celui-là professait une opinion contraire à la mienne, je lui fis remarquer qu'il avait publié de magnifiques ouvrages en langue latine et que nulle part dans les écrits latins modernes, je n'avais rien trouvé qui se rapprochât plus du style de Cicéron que ses ouvrages. Il fut un peu interdit de mou observation et je triomphai.
Cela vous prouve que les hommes qui professent cette opinion font exception, et j'ajoute que jamais elle n'a été défendue en Belgique.
Je suis donc grand partisan des études littéraires de la Grèce et de Rome, et je dirai que c'est là qu'il faut chercher les vrais modèles.
Je vais plus loin et j'ose dire que l'étude de ces deux belles langues est ce qu'il y a de plus propre à former le jugement, parce que ce sont des langues savantes, des langues à inversions, dont l’étude exerce, par conséquent, d'une manière incessante l'intelligence ; le jugement de l'élève et du professeur. Voilà, messieurs, la haute importance que j’attache aux études classiques.
Ainsi, à cet égard, je suis d'accord avec tous les honorables préopinants, et je dis qu'on ne saurait, faire trop d'efforts pour restaurer les bonnes études anciennes en Belgique. Mais la difficulté se trouve dans le choix des moyens à employer à cet effet. Il est certain que l'on s'est écarté sous ce rapport, de la bonne voie ; tantôt on voulait le grade d'élève universitaire ; il fallait, disait-on, examiner l'élève non seulement sur Cicéron et Démosthène, sur Horace, Virgile, Homère et Xénophon ; mais encore sur ce qui a rapport à l'histoire, à la géographie, aux mathématiques, à la physique, à la chimie, enfin à toutes les branches qui entrent depuis assez longtemps dans l'enseignement moyen.
Tel était le système, et c’est ainsi, comme le disait tout à l’heure l’honorable M. Dumortier, qu’on a porté jusqu’à quinze le nombre des branches sur lesquelles les élèves étaient examinés. C’était évidemment trop ; on étouffait l'intelligence des jeunes étudiants sous un fardeau scientifique et littéraire. J'ai cru moi-même pendant un certain temps que ce système était bon : je me disais : Puisque les habitudes ont fait entrer tant de branches dans l'enseignement moyen, il n'y a pas, après tout, d'inconvénient à ce qu'on examine les élèves sur des branches qu'ils doivent forcément étudier.
Mais, messieurs, l'expérience a prouvé que je m'étais trompé. En effet, lorsqu'il faut subir un examen sur différentes branches, il faut une préparation spéciale pour chacune de ces branches, et voilà comment la force intellectuelle s'épuise. Comme il faut réussir dans les examens ou se jette sur toutes les branches qui exigent de la mémoire, pour obtenir le plus grand nombre de points possible, et on néglige les plus belles qualités de l'homme, l'intelligence et le jugement, l'imagination et le sentiment.
Comme la littérature est une chose assez vague, on se persuade facilement qu'on se tirera d'affaire sur la littérature ancienne, on se flatte aisément de traduire à livre ouvert Homère ou Sophocle, voire même Thucydide ; on croit qu'on pourra expliquer Virgile, Cicéron et même Tacite. On se dit en même temps qu'on ne pourrait pas aussi facilement satisfaire à l'examen sur l'histoire, sur la géographie, sur les mathématiques, sans avoir dans ces matières des connaissances positives, et on se livre sur ces branches a des exercices continuels, qui sont exclusivement des exercices de mémoire.
Voilà comment on a fait tort aux bonnes études, aux études classiques, à l'étude de l'antiquité profane, dont les défauts se corrigeât facilement dans l'enseignement chrétien, et l'animent même par la réflexion qu'ils suggèrent sans cesse. C'est là une des principales causes qui ont amené l'abaissement du niveau des études.
(page 654) On a élargi la mémoire, mais on a rétréci l'intelligence, on a étouffé l'imagination, on a étouffé le sentiment. On a écrasé l'homme moral. On a ôté au jeune homme l’initiative, la confiance dans ses propres forces, la confiance en lui-même. On a perdu de vue la grande règle de Platon : Gnoths seauton, on a négligé de faire travailler les jeunes gens par eux-mêmes, d'après le précepte d'Horace : Connais-toi toi-même. Versate diu quid ferre récusent, quid valcant humeri.
Messieurs, on citait tout à l'heure l'exemple de l'Angleterre, et j'avoue que cet exemple est admirable au point de vue du développement de l'intelligence et des facultés qui constituent l'homme, des facultés qui forment surtout l'homme éminent, l'homme de lettres, l'homme politique.
L'Angleterre a donné, sous ce rapport, de grands exemples, et comme le disait très bien l'honorable M. de Boe, ces exemples se rencontrent dans tous les rangs de la société. Les Anglais tiennent à la tradition presque en toutes choses et ils ont su conserver les anciennes traditions dans les études. On ne peut trop les en féliciter. Mais je m'étonne qu'après cela on se montre si absolu en faveur du rétablissement de l'examen d'élève universitaire, qu'on veuille systématiquement rétablir cet examen sans attendre au moins quelque temps, jusqu'à ce qu'on ait été mis à même de bien juger les résultats de ce système. Nulle part, messieurs, les choses ne se passent d'une manière aussi simple qu'en Angleterre. Il ne s'agit pas là de l'examen d'élève universitaire, il n'y a là que quelques examens professionnels, et ce système a certainement contribué beaucoup à développer cette hante intelligence qui caractérise, qui distingue d'une manière si remarquable la grande nation anglaise. Un tel résultat ne saurait être obtenu par des examens, par des moyens matériels et artificiels ; on ne les obtient qu'en donnant un libre cours à l'intelligence ; on ne les obtient que par la liberté ! En Angleterre, messieurs, la liberté existe en toutes choses et les institutions anglaises sont admirables à l'intérieur du pays aussi bien en matière d'enseignement qu'en toute autre matière.
Elles consacrent partout le libre essor du génie de l'homme.
Ce qu'on propose ici tend au contraire à gêner la liberté,
Dans tous les cas je crois que le moment n'est pas arrivé d'introduire des changements dans le système actuel, qui n’a pas fonctionné assez longtemps pour qu’on puisse l’apprécier à sa juste valeur.
Permettez-moi messieurs, de vous arrêter encore un instant sur cette question, sur laquelle je regrette d'avoir déjà trop longtemps occupé l'attention de la Chambre.
Messieurs, je veux parler de l'immense inconvénient qu'entraînent pour les études ces projets successifs de changements dans les examens. Ces projets viennent remuer toutes les populations collégiennes. Après demain, tous les collèges seront instruits de nos débats ; les élèves vont demander avec anxiété aux professeurs : « Devons-nous encore étudier telles ou telles matières pour les prochains examens ? Nous examinera-t-on sur telle ou telle branche ? » Les professeurs devront répondre : « Que savons-nous ? Cela dépend d'un vote ; une voix de majorité peut en décider ! » On est donc dans une incertitude qui paralyse, qui arrête l'élan. Innover sans cesse dans des matières aussi délicates, c'est porter un grave préjudice aux études.
Messieurs, comme je l'ai déjà dit, pour expliquer l'abaissement du niveau des études, qu'on ne saurait contester, il y a une cause générale qui se rattache à la marche de l'esprit humain vers le progrès industriel. Il ne faut pas redouter cela ; il ne faut pas arrêter le progrès. On ne saurait le faire d'ailleurs ; les besoins de la société sont là ; on est entraîné par la force des choses.
Messieurs, il y a un moyen de tout concilier : ce moyen consiste à laisser de la liberté aux études, pour que les vocations puissent se faire jour. Arrivé dans une certaine classe, on commence à se connaître, et alors on étudie avec plus d'attention les branches qu'on préfère, et on en néglige d'autres dans une certaine mesure. Avec un pareil système, on fournit aux goûts, aux vocations l'occasion de se développer.
Messieurs, on l'a si bien compris en France, qu'on y a établi une bifurcation, à partir de la troisième, entre les études littéraires et les études scientifiques.
Arrivé en troisième, on se décide pour les branches que l'on veut étudier désormais. Se destine-t-on à la philosophie, à la médecine ou à la jurisprudence, on continue les études littéraires dans le collège proprement dit. Se destine-t-on à l'industrie, au génie civil ou militaire, à l’école militaire, on entre dans la section scientifique ou à l'école militaire.
Voilà ce qui est établi en France ; mais pour introduire cette méthode dans tous les établissements, cela serait difficile, à moins d'augmenter considérablement le personnel enseignant. L'élève, on le sait, est souvent, pendant un certain temps, dans l'incertitude sur la profession qu'il embrassera, et voilà pourquoi une certaine latitude est très bonne, afin que le jeune homme, aussi longtemps qu'il est dans le doute sur la carrière qu'il compte suivre, puisse au moins étudier à fond les branches pour lesquelles la nature lui a donné le plus d'aptitude.
De cette manière, on atteint le double but, du moins autant qu'on peut l'atieindie.vu l'entraînement du siècle vers l'application des sciences, entraînement qu'on ne saurait arrêter.
Je conclus de là qu'il y aurait danger à innover de sitôt, alors que la loi dont il s'agit n'a pas encore produit tous les résultats qu'on en peut attendre.
Puisqu'on invoque ici les classiques, permettez-moi, messieurs, d'adresser à ceux qui veulent de nouveaux changements, le reproche d'Horace :
Diruit, aedificat, mutat quadrata rotundis.
On détruit pour réédifier, on substitue sans cesse aux formes existantes des formes nouvelles.
Au milieu de tout ce mouvement, les professeurs et les élèves se découragent, ne sachant plus à quoi s'en tenir. On leur donne le vertige.
Puisqu'on veut réhabiliter les classiques, on devrait imiter leur régularité. En s'attachant au classicisme en littérature, on ne devrait pas faire du romantisme en législation.
Il est vrai qu'on invoque des autorités d'après lesquelles il semblerait qu'on pût déjà innover. Mais on perd de vue ce qui se passe en réalité. Et ici j'ai encore à présenter deux observations qui n'ont pas été faites.
On s'imagine qu'avec le système du jury actuel on peut arriver trop facilement aux universités en sortant des classes. Il n'en est rien. Le jury central, chargé d'apprécier la valeur des certificats d'humanités, est, je dots le dire, très sévère.
Il faut fournir des certificats constatant qu'on a fréquenté toutes les classes. J'ai connu des élèves qui ont été refusés par le jury, pour n'avoir pas produit des certificats satisfaisants. Il est arrivé que des jeunes gens, ayant fait leurs études, en partie en France, et en partie dans notre pays, et n'ayant pas fourni un certificat satisfaisant, ont été repousses par le jury central.
Je puis affirmer qu'il est peu d'années où il n'y ait des ajournements ; bien des contestations n'ont été soumises à moi-même ; il arrive parfois que ces difficultés ont leur source dans un défaut de rédaction du certificat ; .lors on entend ordinairement, dans ses explications, le directeur du collège qui a délivré le certificat ; mais, je le répète, le jury se montre très sévère pour l'admission des certificats.
Messieurs, un autre point qu'on semble avoir perdu de vue, c'est que le jury exige qu'on ait suivi toutes les branches exigées dans chaque classe ; et sous ce rapport, le jury a une règle dont il ne s'écarte pas.
Or, cette règle est celle qui lui est tracée par le projet du gouvernement ; le jury n'exige pas qu'on étudie toutes les branches d'après les auteurs qui sont mentionnés dans ce programme ; mais il exige que l'on constate avoir étudié convenablement toutes les branches du programme. Veut-on donner plus d'importance à la littérature ancienne ?... Je crois qu'on fera bien ; mais il suffit pour cela de modifier le programme du gouvernement. Qu'on n'oublie pas que le certificat doit constater qu'on a suivi tous les cours. Sans cela, on n'est pas admis...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce programme, c'est le programme de la loi.
M. de Haerne. - Oui ; enfin, c'est le programme officiel...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). Qu'on suit pour tout le monde.
M. de Haerne. - Sans doute ; et lorsqu'on ne peut pas prouver, par le certificat, qu'on a fréquenté les six classes d'humanités et suivi toutes les branches de ces classes, on n'est pas admis, à moins de subir l'épreuve préparatoire prévue par la loi.
Messieurs, je vous prie de remarquer que l'examen, quel qu'il soit, n'empêcherait pas l'inconvénient dont on se plaint et qui consiste à ouvrir les portes de l'université à des étudiants qui n'ont pas fait un cours complet d'humanités. Cela s'est vu sous le régime du grade d'élève universitaire ; il s'ensuit que le rétablissement de ce grade n'empêcherait pas le mal.
Il est une dernière objection qui n'a pas été faite non plus et qui me paraît assez importante : elle fait voir que les inconvénients qu'on signale dans le système actuel ne sont pas aussi grands qu'on voudrait le faire croire. C'est que dans l'examen de philosophie qu'on doit subir aujourd'hui à l'université, il y a des branches littéraires. Ainsi la littérature n'est pas complètement négligée ; l'examen sur cette branche, n'est qu'ajourné.
En résumé, messieurs, je crois que c'est surtout par la liberté qu'il faut relever le niveau des études. C'est le système anglais, dans lequel nous sommes entrés, au moins en partie, il y a trois ans ; et vu le grand inconvénient que présente l'instabilité des institutions, en matière d'enseignement, je crois vraiment que le moment n'est pas arrivé d'introduire une innovation dans le système actuel, pour revenir à un régime qui, dans le temps, a soulevé plus de plaintes que celles qu'on fait entendre aujourd’hui contre une institution qu'on n'a pas encore pu bien apprécier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas une innovation, c'est le retour à l'ancien régime.
M. De Fré. - Messieurs, tous les orateurs qui ont pris la parole ont été d'accord pour reconnaître qu'il y a eu un abaissement dans les études. Plusieurs causes ont été indiquées. On a cherché des remèdes pour faire cesser un pareil état de choses. Y a-t-il des remèdes qui seront efficaces ? Je l'espère ; mais il y a une cause de l'abaissement des études, surtout dans le haut enseignement, qu'il sera très difficile de faire disparaître : c'est l'existence de quatre universités dans un petit pays comme la Belgique. Il faut que le pays fournisse, pour chaque branche des sciences humains, quatre hommes distingués.
La jeunesse studieuse se divise en quatre groupes, or, vous ne pouvez pas avoir dans chaque branche quatre hommes éminents et chaque professeur n'a qu'un nombre restreint d'élèves.
(page 655) Le roi Guillaume avait créé un haut enseignement sur une base solide, et il n'y avait que trois universités ; c'était un premier avantage que le gouvernement du roi Guillaume avait, en matière d'enseignement, sur le gouvernement de 1830.
Il y avait un autre avantage ; c'est que le roi Guillaume cherchait à l'étranger, dans tous les pays, partout où il pouvait les trouver, les hommes les plus capables. Quelle doit être la qualité principale du professeur ? Ce n'est pas tant de faire connaître les éléments de la science, niais d'inspirer l'amour de la science, d'attirer la jeunesse vers la science, vers l'étude et le travail.
Pour cela il ne faut pas un homme ordinaire ; il faut que le professeur se distingue par de grandes, de brillantes qualités ; par ces qualités qui produisent. chez l'élève, par suite du prestige que le maître exerce sur lui, l'amour de la science.
Je regrette qu'en 1835 quand on a voté la loi d'enseignement supérieur, on n'ait pas adopté l'amendement de M. Rogier ; cet amendement consistait à centraliser à Louvain, au centre du pays, le haut enseignement qui est le sommet de la pyramide dont l’enseignement primaire est la base. L'enseignement primaire dans chaque commune, l’enseignement moyen dans les chefs-lieux d'arrondissement, et au centre, au sommet de la pyramide, l'enseignement supérieur.
L'amendement de M. Rogier avait pour but d'appeler au centre du pays sur les mêmes bancs de l'école, flamands et wallons et de donner au pays une plus grande unité ; il y avait cette autre pensée de faire rayonner d'une manière plus éclatante le haut enseignement et en troisième lieu d'épargner au pays une dépense stérile de plusieurs millions. Aujourd'hui vous êtes obligés, pour une même branche de science, de payer deux professeurs, d'acheter eu double les appareils de physique et de chimie ainsi que les collections scientifiques.
On a préféré mettre aux deux confins du pays deux universités, trop faibles pour prospérer grandement, et incapables d'un grand rayonnement scientifique qui doit caractériser une université. Voilà une des causes principales que le temps m'empêche de développer, qui ont fait baiser le haut enseignement en Belgique depuis Guillaume.
J'engage le gouvernement, chaque fois qu'une chaire universitaire sera vacante, à user autant que possible de la loi qui lui permet de chercher à l'étranger les hommes les plus capables.
Les professeurs doivent former des hommes, faire éclore des intelligences ; il faut pour cela avoir reçu de la nature une organisation spéciale. Quand un homme capable d'inspirer l'amour de la science vous est signalé, M. le ministre, cherchez-le afin que, par son enseignement, il élève et fortifie la jeune génération, afin que le pays grandisse que tous nous désirons voir grandir.
- La discussion est close.
« Art. 77. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur : fr. 4,000. »
- Adopté.
La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.