(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 481) (Présidence de M. Orts.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le comte Arrivabene et le sieur Le Docte, président et secrétaire du conseil d'administration de la Société centrale d'agriculture, prient la Chambre de porter à deux millions le crédit destiné à la voirie vicinale. »
- Renvoi à la section centrale du budget de l'intérieur.
« Le sieur Labouchière, soldat à la 2ème compagnie sédentaire à Vilvorde, prie la Chambre de lui faire obtenir son congé ou sa rentrée au 2ème cuirassiers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Bourgeois demande à participer aux avantages accordés aux combattants de la révolution. »
- Même renvoi.
« Le sieur Hallet demande que les sous-officiers, brigadiers et gendarmes reçoivent en mains les 20 centimes d'augmentation qui leur ont été alloués sur le budget de 1860. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Ledoux demande la création d'une caisse de pensions eu faveur des veuves et des orphelins des gendarmes. »
- Même renvoi.
« Le sieur Leloux prie la Chambre d'allouer une pension de 250 fr. à tous les décorés de la croix de Fer et une pension de 200 fr. à leurs veuves. »
« Même demande des sieurs Delstanche, Sabeau et de la veuve Grenade. »
- Renvoi à la section centrale du budget du ministère de l'intérieur.
M. Rodenbach. - Il y a dans ces pétitions quelques observations qui méritent d'être examinées attentivement. Les pétitionnaires demandent à être mis sur le même pied que les décorés de la Légion d'honneur. Je propose de les renvoyer à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.
M. le président. - J'ai proposé le renvoi à la section centrale du budget de l'intérieur.
M. Rodenbach. - Je me rallie à cette proposition.
« Des voituriers à Messancy prient la Chambre de réviser la loi sur la police du roulage et demandent notamment que les voitures avec roues à jantes étroites, pour un ou deux chevaux, puissent circuler librement sur les grandes routes de l'Etat et des provinces. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les étudiants des universités de Bruxelles, de Gand et de Louvain, demandent le rétablissement de la session de Pâques pour tous les jurys d »examen ou du moins pour ceux des doctorats. »
- Même renvoi.
« Le sieur Sepulchre, administrateur de la société anonyme de Vezin-Aulnaye, présente un mémoire relatif à la libre sortie de certains minerais de fer et prie la Chambre de décréter le maintien de cette mesure. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le conseil communal de Hasselt présente des observations contre la demande de la ville de Tongres ayant pour objet la construction d’un chemin de fer de Bilsen à Tongres. »
« Les membres du conseil communal de Sluse prient la Chambre d’ordonner la construction d’un chemin de fer de Bilsen à Tongres sollicité par les habitants de cette ville. »
« Même demande des conseils communaux de Werm, ’s Heeren-Elderen, Hoesselt, Bilsen, Rixingen, Mall, Berg, Russon, Overrepen, Membruggen, Hern, St-Hubert, Schalkhoven, Coninxheim et d'autres habitants de cette commune. »
M. de Renesse. - Un certain nombre de communes de l'arrondissement de Tongres s'adressent à la Chambre pour appuyer la demande de cette ville d'être reliée, dans un avenir très rapproché, par un embranchement à une voie ferrée à exécuter entre Bilsen et Tongres.
Je proposerai à la Chambre de vouloir ordonner le renvoi de toutes les pétitions qui ont rapport à ce chemin de fer à la même commission qui est déjà chargée de présenter un prompt rapport sur la pétition de la ville de Tongres, et j'espère que la commission pourra présenter son rapport à la Chambre avant la discussion du budget des travaux publics, qui actuellement est à l'ordre du jour.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Cholet demandent des modifications à la loi du 11 juin 1850 sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Leclercq, ancien clerc de notaire, demande une place. »
- Même renvoi.
« La dame Schoetens demande un secours ou une pension du chef de la perte qu'elle a éprouvée lors de l'écroulement d'une partie du pavillon nord de l'entrepôt d'Anvers. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jean Steinsiepen, armurier à Louvain, né à Werden (Prusse) demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des porteurs de contrainte dans l'arrondissement de Dinant prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jean-Hubert Lejeune, ouvrier meunier à Herstal, né à Fraymonville (Prusse), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des habitants du quartier Nord de Liège présentent des observations à l'appui de leur réclamation contre un établissement de la Vieille Montagne. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition des habitants du quartier Nord de Liège.
« Le sieur Cuyl prie la Chambre de le faire mettre en jouissance de ce qui lui revient dans la succession de ses parents. »
- Renvoi de la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Jesseren demandent la construction d'un chemin de fer direct de Liège à Hasselt par Cortessem. »
« Même demande des membres du conseil communal de Vliermael, Gors-op-Leeuw. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les exploitants des houillères du bassin de Mons prient la Chambre de voter les fonds nécessaires pour augmenter le matériel du chemin de fer de l'Etat, affecté au transport des masses pondéreuses. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics. •
M. H. de Brouckere. - Je demanderai que la commission des pétitions veuille bien se réunir le plus promptement possible pour qu'elle puisse présenter un rapport à la Chambre avant la discussion du budget des travaux publics. C'est une pétition de la plus haute importance.
M. le président. - Le budget des travaux publics est le second objet à l'ordre du jour d'aujourd'hui.
M. H. de Brouckere. - Il n'est pas probable que la discussion s'ouvre aujourd'hui ; je demande que la commission veuille bien se réunir soit aujourd'hui soit demain, et présenter son rapport.
M. le président. - La commission ne pourra se constituer que demain. Je proposerai le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
M. Allard. - Je proposerai le renvoi à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.
M. H. de Brouckere. - Je me rallie à cette proposition.
Le renvoi à la section centrale du budget des travaux publics, avec prière de faire un prompt rapport, est ordonné.
« Les sieurs Philippe réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir des renseignements sur l'existence de leur frère Louis, dont ils n'ont aucune nouvelle depuis qu'il est parti de Rethel, le 4 décembre 1852, pour se diriger sur St-Denis sur Seine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les secrétaires communaux du canton d'Arendonck demandent une loi qui fixe le minimum de leur traitement et qui leur accorde un subside sur les fonds du trésor. »
- Même renvoi.
« Par deux pétitions les officiers des anciens régiments de réserve réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement des sommes retenues sur leur solde. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Louvain présente des observations contre les motifs assignés par le sieur Van Bockel à l'établissement de la bande de sûreté qui a été organisée dans cette ville. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Lodelinsart demandent des modifications aux articles du Code pénal relatifs aux coalitions. »
« Même demande d'habitants de Bruxelles, Mons, Schaerbeek, St-Gilles, Charleroi, Gand, Roux. »
(page 482) - Renvoi à la commission du Code pénal.
« Des officiers et combattants de 1830, demandent à jouir de la pension de 250 francs accordée aux blessés de la révolution qui n'ont pas été décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la section centrale du budget de l'intérieur.
« Des habitants de Remagne demandent la construction d'une route d'Amberloup à Ste-Marie. »
« Même demande des membres du conseil communal de Remagne. »
M. de Moor. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Des industriels en zinc adressent à la Chambre une réponse à la note de MM. Colletet Laport ayant pour but de démontrer l'insalubrité des fabriques de zinc. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition des habitants du quartier Nord de Liège.
« Le sieur de Pénaranda demande un nouvel examen des différentes questions pendantes ou en souffrance relativement à la dette gallo-belge, et transmet 116 exemplaires des considérations qu'il soumet à cet effet à la Chambre. »
- Renvoi à la commission des pétitions et distribution aux membres de l'assemblée.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Par cinq messages en date du 23 décembre 1859, le Sénat, informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :
« Portant révision des évaluations cadastrales ;
« Portant prorogation de la loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages ;
« Qui ouvre des crédits provisoires aux départements des affaires étrangères, de l'intérieur et des travaux publics,
« Et contenant les budgets des ministères de la justice et de la dette publique pour 1860. »
- Pris pour notification.
« Il est fait hommage à la Chambre :
« 1° Par M. le ministre des travaux public, de 115 exemplaires du premier cahier du tome XVII des Annales des travaux publics ;
« 2° Par M. le ministre de l'intérieur de 114 exemplaires de l'Annuaire de l'observatoire royal de Bruxelles pour 1860 ;
« 3° Par une société de médecine d'un exemplaire, du journal intitulé l’Homœopalhe belge.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. le ministre des travaux publics adresse à la Chambre la communication suivante :
« J'ai l'honneur de vous adresser, pour la bibliothèque de la Chambre des représentants, e'tavec prière de vouloir bien les mettre à la disposition des membres de cette assemblée qui désireraient en prendre connaissance, dix exemplaires de chacune des cartes que mon département a fait publier au sujet des sondages opérés dans l'Escaut maritime.
« Ces cartes, qui sont au nombre de cinq, indiquent : La première, la situation du lit de l'Escaut, entre la citadelle d'Anvers et le fort Lillo, constatée sous la direction de l'ingénieur hydrographe Beautemps-Baupré, années VII et VIII de la république française (1798 et 1799) ;
« La deuxième, la situation du lit de l'Escaut, entre le fort Lillo et celui de Bath, constatée sous la direction du même ingénieur et à la même époque.
« La troisième, la situation, en 1830, du lit de la partie de l'Escaut comprise entre la citadelle d'Anvers et le fort Lillo.
« La quatrième, la situation, en 1855 et 1857, du lit de la partie de l'Escaut comprise entre la citadelle d'Anvers et le fort Lillo, et la situation des lieux sur différents points du fleuve, par le reflux de 1831 à 1838, à marée basse en 1830, et par le reflux en 1832, 1833 et 1837.
« Enfin la cinquième, la situation, en 1830 et en 1858, du lit de la partie de l'Escaut comprise entre le fort Lillo et celui de Bath. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics, et ensuite dépôt à la bibliothèque.
« MM. Crombez et Coomans, retenus par une indisposition demandent un congé. »
- Accordé.
Il est procédé au tirage au sort des sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau l'enquête sur les conditions du travail des femmes et des enfants dans les manufactures.
Ce travail a été imprimé d'avance.
M. le président. - Et le bureau l'a fait distribuer pendant les dernières vacances.
- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce rapport.
Il est procédé au tirage au sort pour la formation des sections de janvier.
M. le président. - Le projet primitif comportait un crédit de 126,887 fr. 58 c. La section centrale a été saisie d'un amendement présenté par le gouvernement lui-même, qui tend à élever le chiffre à 128,233 fr. 33 c. Elle propose l'adoption du crédit arrêté à cette dernière somme. En conséquence, la discussion s'ouvre sur le projet de section centrale.
- La discussion est ouverte.
Personne ne demandant la parole, l'assemblée passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Il est alloué au département des travaux publics un crédit de cent vingt-huit mille deux cent trente-trois francs trente-trois centimes (fr. 128,233-33), destiné à solder la somme qui a été allouée transactionnellement au sieur J. Carlier, en vue de mettre fin au procès que celui-ci avait intenté à l'Etat, à raison de ses entreprises des travaux d'établissement de la deuxième section du canal de jonction de Meuse à l'Escaut et de son embranchement vers Turnhout, les intérêts sur cette somme et frais accessoires. »
- Adopté.
« Art. 2. Le montant de ce crédit sera couvert :
« 1° Par voie de transfert, au moyen des sommes de cent vingt-un mille deux cent quatre-vingt-treize francs cinquante-six centime (fr. 121,293-56) et de cinq mille cinq cent quatre-vingt-quatorze francs deux centimes (fr. 5,594-02) qui restent disponibles sur les allocations mises à la disposition du département des travaux publics, respectivement par l'article 2 de la loi du 17 avril 1848 et par l'article 3 de la loi du 15 mai 1847.
« 2° Jusqu'à concurrence de treize cent quarante-cinq francs soixante-quinze centimes (fr. 1,345-75), au moyen des ressources ordinaires du budget. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopté à l'unanimité des 68 membres présents ; il sera transmis au Sénat.
Ont voté pour le projet : MM. Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Saeyman, Snoy, Tack Thibaut, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vande Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Van Volxem Vervoort, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, David de Baillet-Latour, de Boe, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, Deliége, di Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Portemont, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d’Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry» C. Lebeau, Loos, Mercier, Muller, Neyt, Nothomb, Pierre, Pirmez et Orts.
(Requête des habitants du quartier nord de la ville de Liége (établissement de la Vieille-Montagne)
M. de Renesse. - Messieurs, depuis un grand nombre d'années, l'usine de la Vieille-Montagne, établie au faubourg Saint-Léonard, à Liège, a donné lieu à de nombreuses réclamations de la part des habitants du quartier du Nord de cette ville, réclamations reconnues très fondées, non seulement par l'autorité communale, par la députation permanente, mais aussi par les différentes commissions appelées à donner leur avis sur les très graves inconvénients d'un établissement si insalubre et si incommode, situé au milieu d'une population nombreuse et très concentrée.
Pour faire ressortir les différentes modifications apportées à cette usine de zinc, il peut être utile de faire un court résumé historique de toutes les phases de cette affaire, afin que les honorables membres de la Chambre qui n'ont pas assisté aux discussions antérieures sur cette grave affaire, puissent former leur opinion, quant au fondement, des nombreuses plaintes adressées à l'autorité supérieure depuis plusieurs années par des habitants de la partie nord de la ville de Liège.
Depuis 1813, cette affaire n'a cessé d'attirer l'attention publique, et d'abord, il est à remarquer que cet établissement industriel, si préjudiciable jusqu'ici aux intérêts d'un assez grand nombre d'habitants de cette cité, a toujours été maintenu, sans une autorisation légale et préalable du gouvernement, accordée conformément aux lois, décrets et arrêtés sur cette matière.
Il résulte d'un rapport fait, en date du 9 décembre 1853, au conseil communal de la ville de Liège, par un honorable conseiller, « que les propriétaires de cette usine ne fournissent pas la preuve, ni pour l'usine primitive, ni pour les accroissements successifs qu'elle a reçus depuis son origine, d'une autorisation parfaitement régulière donnée conformément aux lois et arrêtés qui ont régi ou qui régissent encore la matière. » Il (page 483) est incontestable que, sous ce rapport, la loi du 21 avril 1810, ainsi que les décrets et arrêtés qui en dérivent, ont été constamment méconnus ; que l’administration supérieure, qui a dans ses attributions la surveillance de ces établissements incommodes et insalubres, a été d’une condescendance très blâmable, en laissant pendant de longues années toute liberté d'étendre l'exploitation de cette usine de la Vieille-Montagne, suivant le bon plaisir de cette puissante société, sans faire appliquer la loi et les arrêtés aux différentes modifications successives que cet établissement, si insalubre et si incommode pour le voisinage, a reçus.
Déjà, dès 1813, une opposition fut formée par des propriétaires voisins de cette fabrique de zinc, contre toute augmentation de cet établissement qui ne contenait cependant alors que 48 creusets, tandis qu'en 1854, d'après les documents officiels, il y en avait 2,160.
En 1826, une nouvelle opposition fut formée contre l'extension de cette fabrication, quoique le nombre des creusets ne fût encore que de 768 ; cette opposition fut fortement appuyée par l'administration communale, et la commission d'enquête, composée d'hommes les plus honorables de la ville de Liége, disait dans son rapport « qu'il a été reconnu, sur les lieux, que les terrains souffrent plus ou moins de la fumée de la fabrique de zinc, et surtout, depuis l'accroissement des fourneaux ; et aussi, la demande d'y établir un laminoir fut-elle rejetée. »
En 1827, l'autorité communale, dans un rapport adressé à la députation des états provinciaux, constatait de nouveau « que l’agrandissement progressif des usines préjudiciait de plus en plus aux propriétés voisines.
« Les émanations de cette fabrique frappent de stérilité, presque entièrement, les propriétés contiguës, et portent un préjudice plus ou moins graves à celles situées à une certaine distance. »
Elle déclarait en outre « qu'on ne peut et qu'on ne doit aggraver la position des habitants du faubourg. » Et cependant cet établissement, si opposé aux intérêts du voisinage, prenait toujours de l'extension, sans aucune autorisation légale, le gouvernement laissant sciemment violer la loi. En 1835, par suite d'une nouvelle réclamation contre cette fabrique de zinc, il fut constaté par la commission médicale dans un rapport à l'administration commerciale de Liège, « qu'il était notoire que les poussières métalliques qui s'échappent des fours de cette manufacture nuisent à la végétation, etc. »
La même année, la députation permanente, dans un rapport au gouvernement pour s'opposer à l’érection d'une usine de zinc à Angleur, près de Liège, et à portée d'une quantité d'habitations et de maisons de campagne, disait : « Il suffit de voir les alentours de la fabrique de zinc établie au faubourg Saint-Léonard à Liège, pour s'assurer de l'influence nuisible du zinc. » Et néanmoins le ministère d'alors poussé par de hautes influences accorda l'établissement de l'usine à Angleur, malgré la vive opposition de la députation, et l'on disait alors que le chemin de fer qui aurait dû passer contre la ville de Liège, en fut écarté pour être dirigé vers l'endroit où la société de la Vieille-Montagne comptait placer sen nouvel établissement de zinc, et aujourd'hui la ville de Liège est encore à attendre une station plus centrale.
La députation permanente constatait en outre que « cette usine existait depuis 30 ans environ, sans qu'elle eût même été autorisée. »
En 1837, lorsqu'il était question de créer un nouveau jardin de l'université de Liège, feu M. le professeur de botanique Morren s'opposait formellement à ce que ce jardin fût placé à proximité de cette fabrique. « Le voisinage de l'usine de zinc, disait-il, est mortel pour un grand nombre de végétaux, sinon pour tous », et, en 1843, de nouvelles oppositions furent formées ; les réclamants, dans leur pétition du 22 septembre 1843, s'exprimaient ainsi : « Nous avons réclamé contre le voisinage infect de la fabrique de zinc, et on a laissé la fabrique de zinc quadrupler le nombre et la puissance de ses fourneaux. » Et, en effet, le Journal de Liège constatait, le 24 octobre 1843, que la fabrique de zinc échappe au contrôle de l'autorité communale.
« Le gouvernement l'a autorisée et l'a tolérée ; c'est contre l'avis formel du collège échevinal que le nombre et la puissance des hauts fourneaux out été quadruplés. »
En 1849, lors de l'invasion du choléra à Liège, la statistique officielle, publiée par l’administration communale, constatait, d'après le tableau comparatif entre les divers faubourgs, que dans le faubourg Saint-Léonard, où est située l'usine de la Vieille-Montagne, il y a eu 0,39 p. c. de la population qui ont été atteints par ce terrible fléau, tandis que dans les autres faubourgs, celui de Saint-Laurent n'en a eu que 0,69 p. c ; celui de Hocheporte 0,90 p. c, et celui d'Amercœur, où il y a une population très concentrée, et un grand nombre de fabriques, en a eu 2,55 p. c. ; ces chiffres sont assez parlants pour que, dans l'intérêt de l'hygiène publique, le gouvernement ne demeure plus indifférent, et dans l’impassibilité blâmable où il n'était resté que trop longtemps jusqu’à l'année dernière, lorsque, surtout, des plaintes si fondées sont produites contre un établissement aussi insalubre qu'incommode, par une nombreuse population qui, depuis de longues années, demande justice et l’exécution de la loi.
En 1853, une réclamation générale et plus énergique fut adressée à l’autorité communale de Liège, et enfin, sur les conclusions formelles et longuement motivées de la députation permanente, le gouvernement intima à la société de la Vieille-Montagne l'ordre de se conformer aux prescriptions de la loi du 21 avril 1810, et de produire une nouvelle demande indiquant « la consistance actuelle de l'usine, dont l'instruction devra se faire comme lorsqu'il s'agit d'une demande en permission pour mettre en activité un établissement nouveau. »
Ce n'est, en effet, qu'en mai 1854 qu'une enquête fut ouverte ; alors un nombre très considérable d'habitants de cette partie de la ville de Liège se rendit auprès de la députation permanente afin de protester personnellement contre les exigences et les prétentions de cette société, dont les travaux avaient pris, dans ces derniers temps, une progression effrayante pour le faubourg Saint-Léonard.
En 1855, le conseil communal de la ville de Liège crut de nouveau devoir s'occuper tout spécialement et à plusieurs reprises de la réclamation si fondée des habitants du quartier du nord ; il fut constaté par ledit conseil :
1° l’intolérabilité de la fabrication actuelle du zinc.
2° l’illégalité de l'usine.
Une proposition fut signée alors par onze honorables conseillers communaux, d'où il résultait que le conseil avait déjà formellement reconnu, par ses délibérations précédentes, 1° « que la fabrication telle qu'elle se pratique à l'usine Saint-Léonard, est devenue intolérable pour les habitants du faubourg ; 2° qu'il n'existe aucune trace d'autorisation, ni pour l'usine primitive, ni pour les accroissements qu'elle a reçus ; 3° que ce fait est, du reste, suffisamment constaté par la demande en permission déposée par la société ;
« En conséquence, le conseil émet le vœu que les lois reçoivent leur exécution envers la Vieille-Montagne comme envers tout autre établissement non autorisé. »
Le conseil communal de la ville de Liège, après une longue discussion, adopta cette proposition à la très grande majorité de ses membres ; il n'y eut que deux opposants et une abstention.
Voilà, messieurs, les différentes phases qu'a parcourues cette malheureuse affaire de cette fabrique de zinc, située au milieu d'un faubourg populeux de cette ville, jusqu'en 1855, où cette grave question fut portée devant la Chambre des représentants. Par l'inspection des pièces officielles, l'on voit, en effet, que depuis 1813, de nombreuses réclamations, appuyées par les autorités locales, n'ont cessé de surgir contre la trop grande extension que prenait la fabrication du zinc à cette usine, surtout sans autorisation préalable de l'autorité supérieure, conformément aux lois et règlements sur cette matière.
Toujours, jusque-là, le gouvernement, probablement influencé par cette puissante société, qui réellement se mettait au-dessus de la loi, était resté plus ou moins indifférent aux nombreuses réclamations contre l'extension illégale de cette fabrique de zinc, et cette société paraissait jouir seule du véritable privilège de pouvoir s'affranchir des prescriptions légales qui régissent tous les établissements insalubres ou incommodes au premier degré et dont l'observation semblait être maintenue pour d'autres usines de la même catégorie. C'est ainsi que l'administration supérieure, dans l'acte de concession de la société de la Nouvelle-Montagne, à Prayon, stipulait que toutes les émanations de l'usine à zinc seraient retenues et condensées de manière à ne nuire aucunement aux propriétés voisines, sous peine de la révocation de la permission, etc.
Les réclamants, après avoir fait de vaines démarches auprès du gouvernement, pour le redressement de leurs nombreux et si anciens griefs, contre l'extension illégale de cette usine si nuisible, si incommode pour le voisinage, s'adressèrent enfin à la Chambre des représentants, par pétition du 7 décembre 1855. Feu notre honorable, si regretté collègue et ami M. Delfosse, demanda, à la séance du 12 décembre 1855, un prompt rapport sur cette requête ; il disait : « Cette pétition est très importante et présente un caractère d'urgence. »
L'honorable M. Lelièvre, en appuyant la demande d'un prompt rapport, ajoutait : « J'engage le gouvernement à ne pas perdre de vue les réclamations vives et pressantes des citoyens lésés par l'état de choses actuel, on ne peut évidemment tarder à y faire droit. » Dans une autre séance, cet ancien et honorable représentant, si zélé défenseur de l'observation des lois, et dont je regrette sincèrement l'absence de la Chambre, sous bien des rapports, invitait encore le gouvernement à statuer sur les nombreuses réclamations qui lui ont été adressées par les habitants de Liège ; il disait, en outre : « L'état de choses existant est illégal, et il y a lieu de le faire cesser. »,
A la séance du 21 décembre 1855, l'honorable» M. Moreau présenta, au nom de la commission des pétitions, un très bon rapport et longuement motivé, d'où il résultait « qu'il n'est pas douteux que la Vieille-Montagne a considérablement augmenté son établissement, sans y avoir été autorisée ; elle a donc contrevenu à la loi, et la commission doit rappeler au gouvernement qu'il ne peut la laisser violer impunément ; elle conclut, en consequence, au renvoi de la requête à M. le ministre des travaux publics. »
La discussion publique sur ce rapport eut lieu à la séance de la Chambre du 18 janvier 1856, avec feu notre honorable collègue et si regrette ami, M. Delfosse, dont nous avons tous déploré la perte si prématurée, si inattendue ; nous appuyâmes de tous nos moyens les justes réclamations des habitants du quartier du Nord de la ville de Liège ; c’est à la demande de feu notre si digne et si loyal collègue, M. Delfosse, que je suis intervenu dans cette affaire, dont, à plusieurs reprises, j’avais (page 484) entendu parler à Liège ; je pensais, avec feu mon honorable ami, que si de pareils griefs étaient dénoncés à la Chambre, il était du devoir de tout représentant, libre de toute influence, désirant avant tout le respect des lois, d'appuyer le redressement de pareils anciens griefs et de demander que les lois, décrets et arrêtés sur les établissements insalubres et incommodes au premier degré reçoivent leur application, aussi bien aux usines de la Vieille-Montagne que pour autre de pareille catégorie.
Nous fîmes ressortir alors les exigences illégales de cette puissante société, et la faiblesse, l'inaction blâmable du gouvernement, en ne faisant pas observer les lois et règlements à l'égard de pareilles fabriques.
L'honorable M. Delfosse, si ami de la justice et de la stricte observation des lois, qui combattait avec raison tous les privilèges, qui voulait avec moi l'égalité de l'application de la loi pour tous, disait alors : « J'engage surtout le ministre des travaux publics à veiller strictement, sévèrement à l'exécution des mesures qu’il croira devoir prendre ; des mesures de ce genre, prescrites à l'établissement d'Angleur, comme le dit mon honorable collègue de Renesse, sont restées inexécutées. »
L'honorable ministre des travaux publics, M. Dumon, déclara formellement à la Chambre « que l'usine ne serait autorisée que s'il y a moyen qu'elle ne nuise au voisinage, etc. »
Le gouvernement reconnaissait donc publiquement devant la Chambre que les usines de la Vieille-Montagne étaient nuisibles et incommodes aux propriétés voisines ; aussi, d'après la promesse faite à la Chambre, l'honorable ministre Dumon fit décréter l'arrêté royal du 31 mars 1856, « pour prescrire à ladite société de pourvoir aux moyens de retenir, autant que possible, dans l'usine même, les émanations nuisibles de ses fours, et de se conformer, à cette fin, à toutes les mesures que le gouvernement jugerait utile de prescrire ultérieurement, etc. »
La société de la Vieille-Montagne refusa d'abord de se soumettre aux prescriptions de cet arrêté royal qui paraissait cependant être d'une grande élasticité en sa faveur, puisqu'il ne lui était ordonné que de retenir les émanations nuisibles dans l'usine qu'autant que possible ; elle notifia donc officiellement au gouvernement qu'elle renonçait au bénéfice de l'arrêté royal du 31 mars 1856 ; elle sollicita un délai d'une année pour fermer son usine ; déjà, antérieurement, en 1852-1853, elle s'était pareillement refusée à faire exécuter les mesures prescrites par un autre arrêté royal, applicables à son grand établissement d'Angleur, près de Liège.
Le temps paraît avoir, toutefois, porté conseil, et la société de la Vieille-Montagne, au lieu de fermer son usine de St-Léonard, se ravisa tout à coup, et parvint par ses hautes influences, à faire changer l'arrêté du 31 mars 1856 après qu'une requête avait été adressée au département des travaux publics, de la part des ouvriers de l'usine et de quelques autres personnes intéressées au maintien de la fabrication du zinc à cet établissement de la Vieille-Montagne.
Le gouvernement fléchit encore devant les exigences de cette puissante société ; il recula de nouveau, comme le disait à la séance du 15 janvier 1856, d'une manière si énergique, feu notre ancien collègue et si regretté ami M. Delfosse, et il ajoutait en outre « qu'il ne faudrait pas que cet acte de faiblesse se renouvelât. » Ce n'est plus en effet le gouvernement qui prescrit les mesures à prendre pour diminuer les graves inconvénients de cette fabrication de zinc au milieu d'une nombreuse population, c'est au contraire la société qui par un nouvel arrêté du 20 mai 1857, obtient la faculté discrétionnaire d'apporter ou de ne pas apporter d'améliorations à cet établissement. Cela résulte évidemment de la protestation de la députation permanente ; elle blâma avec raison le gouvernement dans les termes suivants : « S'en référant à son avis du 15 mai 1854, elle exprime le regret que, contrairement aux convenances et aux règlements administratifs..., ni le conseil communal, ni elle-même n'aient été préalablement consultés sur la question du retrait de l'arrêté royal du 31 mars 1856, et que celui du 20 mai 1857 laisse à la société de la Vieille-Montagne la faculté discrétionnaire d'apporter ou de ne pas apporter d'améliorations à l'usine Saint-Léonard, jusqu'au 31 mars 1859, sans aucun contrôle des agents du gouvernement et des autorités constituées par la loi, pour exercer une surveillance sur les établissements réputés incommodes et insalubres. »
Cet arrêté si extraordinaire, si inattendu, si inqualifiable après la promesse si formelle faite à la Chambre, à la séance du 18 janvier 1856, par l'honorable ministre Dumon, ne paraît avoir été décrété qu'après une enquête faite à la sourdine, sans publicité aucune, par conséquent non contradictoire et non communiquée aux autorités administratives, contrairement aux convenances, et aux règles ordinaires de l'administration pour une affaire aussi importante que celle de la Vieille-Montagne.
Aussi cet acte si occulte du département des travaux publics, dès qu'il fut connu, donna lieu à de nouvelles protestations les plus légitimes ; des pétitions, signées par un très grand nombre d'habitants du quartier du nord de la ville de Liège, furent respectivement adressées aux autorités communales et provinciales, ainsi qu'au conseil des ministres, et, en particulier, à M. le ministre des travaux publics.
Il ne pouvait en être autrement, puisque le gouvernement, par une faiblesse inexplicable, laissait, par cet arrêté du 20 mai 1857, une faculté, pour ainsi dire, discrétionnaire à cette puissante société qui, depuis quelque temps, était réellement devenue un gouvernement dans le gouvernement, puisqu'elle imposait sa propre volonté à celle de l'autorité supérieure du pays ; aussi, les précédents si entiers de cette société devaient faire croire qu'elle voulait traîner cette affaire en longueur et ainsi fatiguer les réclamants ; mais les Liégeois du faubourg St Léonard ne souffrent pas l'arbitraire, de quelque part qu'il vienne, pas plus que leurs pères d'ancienne mémoire, et lorsqu'ils sont imbus de leur bon droit, ils ne se laissent pas si facilement rebuter ; ils viennent donc de nouveau réclamer avec énergie, mais toujours légalement, contre le déni de justice qui froisse tous leurs intérêts et dont ils demandent le redressement. Depuis trop longtemps, ils peuvent prétendre avec droit, que « les lois et règlements sur cette matière reçoivent leur application à cette usine de la Vieille-Montagne, comme à toute autre ; » et cela d'autant plus, qu'ils ont été mystifiés par cette société, lorsqu'elle avait déclaré formellement au gouvernement, qu'elle ne voulait pas se soumettre aux prescriptions légales de l'arrêté royal du 31 mars 1856, dont elle repoussait l'application à son usine, et avait officiellement notifié au département des travaux publics, qu'elle fermerait la fabrique de zinc de Saint-Léonard, après avoir sollicité, à cet effet, le délai d'une année, pour s'y préparer.
Aussi, d'après cette résolution si manifeste de cette société, l'autorité supérieure avait fait savoir aux plaignants, par une lettre de M. le gouverneur de la province de Liège, « qu'il était superflu d'examiner leurs plaintes, le conseil d'administration de cette société ayant décidé la fermeture de cet établissement. »
La société de la Vieille-Montagne après avoir toutefois longuement réfléchi, avant d'entreprendre des essais à l'usine Saint-Léonard, parut avoir changé de résolution, et, avant que le délai fatal du 31 mars 1859, fût expiré, doit avoir fait quelques expériences, afin de rechercher les moyens les plus efficaces pour remédier aux nombreux inconvénients résultant, pour le voisinage, de l'insalubrité et de l'incommodité d'une pareille fabrication de zinc, il a demandé un nouveau délai, pour continuer ses recherches.
Par l'arrêté royal du 21 mars 1859, cette société recevait un nouveau terme de huit mois, à dater du 1er avril de l'année dernière, et qui est expiré le 1er décembre passé, afin de compléter les essais entrepris, depuis quelque temps, « et d’appliquer à ses fours un système convenable de ventilation mécanique, ayant pour bit de soustraire bientôt le voisinage de l’usine à l’influence des émanations incommodes des fours de réduction de la calamine. »
Je crois devoir faire remarquer à la Chambre que déjà, sous le précédent ministère, la société de la Vieille-Montagne, si elle avait montré immédiatement la bonne volonté de faire des recherches afin de remédier aux graves inconvénients pour le voisinage de cette fabrication de zinc, avait obtenu, par les arrêtés du 31 mars 1856 et du 20 mai 1857, des délais suffisants (plus de trois années) pour faire ses expériences ; sous ce rapport, il est à noter que la loi ne permet pas au gouvernement de pouvoir prolonger indéfiniment le provisoire par des prolongations successives qui ont duré plusieurs années ; si l'on prétend que les dispositions de la loi du 21 avril 1810 seraient seules applicables à l'usine Saint-Léonard, il faudrait donc se conformer à cette loi qui n'admet point d'autorisation temporaire ; mais il paraît que, pour la société de la Vieille-Montagne, les lois les plus formelles deviennent d'une application des plus élastiques suivant ses convenances, et c'est ainsi, contrairement à la loi précitée, que le gouvernement stipule successivement plusieurs autorisations provisoires ne pouvant être accordées que par l'application de l'arrêté royal du 12 novembre 1849.
Après cette longue résistance de cette société de se soumettre aux prescriptions légales, les nombreux réclamants contre le maintien d'une usine illégale, si intolérable, si insalubre, située au milieu d'une population très agglomérée, avaient certes droit de prétendre que le gouvernement, mieux éclairé par les différents rapports des autorités administratives de la ville et de la province de Liège, aurait pris toute autre mesure plus énergique que celle décrétée par l'arrêté royal du 21 mars 1853.
Afin de se renfermer strictement dans la légalité, il fallait soumettre la nouvelle demande de la Vieille-Montagne à toutes les formalités de la loi du 21 mai 1810, ainsi qu'aux dispositions des décrets et arrêtés qui régissent cette matière, et cela d'autant plus que ladite société ne peut produire aucune concession légale, ni pour la concession première, ni pour ses accroissements successifs, et n'existe réellement que par une tolérance blâmable ; aussi, notamment depuis quelques années, le conseil communal de la ville de Liège s'étant ému de cette situation illégale, avait cru devoir s'occuper plus sérieusement des réclamations incessantes contre cette usine de zinc, et, à sa séance du 2 juillet 1858, il avait protesté à l'unanimité de ses membres, contre l’illégalité des arrêtés royaux portés jusque-là en faveur de cette société, et demandé, conformément à la loi, la fermeture de cet établissement, déclaré à plusieurs reprises être intolérable et insalubre, non seulement par ledit conseil, mais aussi par la députation permanente.
Il me semble que le gouvernement aurait dû avoir plus d'égard à l'avis si formellement émis par l'unanimité du conseil communal d'une de nos premières cités industrielles, et en tout cas, avant d'accorder un nouveau délai à cette société, il était de haute convenance administrative (page 485) de consulter les autorités locales qui, depuis plusieurs années, n'avaient cessé de présenter des observations très sérieuses au gouvernement sur la position si intolérable de cette fabrique de zinc au milieu d'une population nombreuse, et sur le maintien de cette usine en dehors de toutes les prescriptions légales.
Dans un pays de liberté et de publicité, le pouvoir gouvernemental ne doit pas méconnaître le droit des autorités administratives d'être consultées sur des dispositions à décréter par les départements ministériels, surtout en ce qui concerne les usines incommodes et insalubres, dispositions qui pourraient parfois être en opposition aux véritables intérêts de leurs administrés, et qu'ils ont droit de connaître avant qu'elles deviennent obligatoires ; car, d'après l'instruction du 3 août 1810, relative à l'exécution de la loi du 21 avril 1810, ces autorités doivent donner leur avis sur les modifications à apporter à des établissements de la catégorie de ceux de la Vieille-Montagne.
D'après les considérations que j'ai émises, d'après une conviction consciencieuse, autant dans l'intérêt de la justice que dans celui de la stricte observation des lois qui, dans un pays constitutionnel comme le nôtre, ne doivent jamais être suspendues, surtout dans un intérêt privé ; je crois, avec l'autorité communale de la ville de Liège, avec les commissions des pétitions de la Chambre des représentants des sessions législatives de 1855 et 1859, que les nombreux pétitionnaires du quartier du Nord de la ville de Liège sont en droit de réclamer que la loi reçoive son application aussi bien pour les usines de la Vieille-Montagne que pour toutes les autres de cette catégorie ; que, conformément à l'avis de cette autorité communale du 2 juillet 1858, et à la demande des réclamants, le gouvernement soumette à l'instruction voulue par la loi, la nouvelle demande de cette société ; que pendant l'instruction, l'usine illicite, pour laquelle on ne peut invoquer aucune concession légale, soit fermée ou pour le moins que les fours actuellement en activité d'après l'ancien procédé soient éteints jusqu'à ce que les essais faits depuis peu, et à vérifier par la commission nommée par le gouvernement, aient pu répondre que la fabrication du zinc, d'après le nouveau système appliqué, dans ce moment, à l'usine de Saint-Léonard, n'est plus nuisible au voisinage.
En approuvant, en outre, les conclusions, si bien motivées du rapport présenté à la séance du 24 novembre dernier, par l'honorable comte Goblet, au nom de la commission des pétitions, je ferai observer surtout que, dans un pays de liberté et d'égalité, la loi doit être appliquée d'une manière uniforme.
Il ne peut y avoir de privilège pour personne, par conséquent pas plus pour une société industrielle, quelque forte que soit sa puissance, quel que soit le bien qu'elle procure à la classe ouvrière, dans un pays régi par une Constitution aussi libérale, qui garantit l'égalité des droits à tous, et où est stipulé formellement à l'article 11, « que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité, » il ne peut être permis à une société industrielle, dans un intérêt de lucre, de porter préjudice et de détériorer les propriétés voisines de son usine : tolérer plus longtemps de pareils faits blâmables, ce serait réellement permettre, en partie, l'expropriation de la valeur de ces propriétés, sans indemnité préalable aucune ; ce serait les astreindre à une servitude, ce qui me paraît contraire à nos lois civiles et à notre pacte fondamental.
Il y a donc obligation pour le gouvernement de ne plus admettre de pareilles infractions à la loi, aux décrets et arrêtés qui régissent les établissements insalubres et incommodes.
L'hygiène publique, à laquelle le département de l'intérieur porte, à juste titre, le plus grand intérêt, réclame impérieusement des mesures énergiques pour que la fumée, les émanations malfaisantes de ces sortes de fabriques ne puissent plus porter atteinte à la santé publique ; aussi la commission spéciale, nommée par le département des travaux publics, par arrêté du 12 septembre 1855, déclare formellement dans ses conclusions à la suite de son rapport du 13 janvier 1856, qu'elle a pu constater que l'usine à zinc de St-Léonard dans les conditions où elle fonctionne aujourd'hui, vicie l'atmosphère et nuit au voisinage par l'acide sulfureux, par les compositions zinciques, et par les cendres sulfureuses et autres poussières qui émanent de ses fours.
C'est donc sous le rapport de l'hygiène publique, que j'appuie particulièrement le renvoi de cette requête d'un très grand nombre d'habitants du quartier du nord de la ville de Liège, à l'honorable ministre de l'intérieur qui a dans ses attributions tout ce qui se rattache à la santé publique, espérant que l'administration supérieure prendra les mesures les plus efficaces pour faire cesser, dans un avenir très rapproché, l’intolérabilité actuelle de l'usine St-Léonard, pour le voisinage déclarée telle, à plusieurs reprises, par les administrations de la ville et de la province de Liège, ainsi que par les différentes commissions médicales et autres, chargées d'examiner l’insalubrité et l'incommodité de cet établissement de la Vieille-Montagne, situé au centre d'une très nombreuse population.
(page 538) M. Vander Donckt. - Messieurs, l'opposition et les réclamations contre la société de la Vieille-Montagne sont aussi anciennes que la société de la Vieille-Montagne elle-même. A toutes les époques de son existence, on n'a cessé de réclamer, sans jusqu'ici obtenir le redressement des griefs réels et très fondés que les habitants du faubourg St-Léonard ont constamment fait valoir.
Depuis que le rapport de notre honorable collègue a été connu, on nous a envoyé une véritable avalanche de réclamations, de brochures, de mémoires, d'écrits de journaux de toute espèce et de mauvaises plaisanteries. L'honorable rapporteur et tous les membres de la commission des pétitions ont été en butte aux observations les plus acerbes. On a été jusqu'à accuser la commission des pétitions de ne pas connaître le droit, de n'être pas jurisconsultes, etc., d'ignorance enfin.
Messieurs, la commission des pétitions qui a examiné la pétition contre l'établissement de la Vieille-Montagne était, outre l'honorable rapporteur, composée de MM. Van Renynghe, de Mérode, Sabatier, David et Vander Donckt. La commission comptait dans son sein deux industriels. Il n'y avait aucun membre de la commission directement intéressé, comme il y a en a eu jadis dans la Chambre. La commission a examiné la pétition avec toute l'impartialité possible. Elle a cru reconnaître que les griefs que l'on faisait valoir étaient fondés. Quant à moi, comme président de la commission, j'approuve le rapport de mon honorable collègue et j'en prends toute ma part de responsabilité, quelles que soient les attaques qu'on a dirigées contre lui.
Les pétitionnaires développent des griefs réels que la société a constamment cherché à éluder, et dans ce but elle s'est fait donner des avis de complaisance par des jurisconsultes, pour prouver que les arrêtés royaux et autres dispositions législatives sur l'hygiène et la salubrité publique ne lui étaient pas applicables ; mais prévoyant que ce moyen ne lui réussirait pas et qu'elle n'aurait pas pu se soustraire plus longtemps à l'exécution des mesures prescrites dans l'intérêt de la santé des habitants du voisinage, elle a eu recours aux hommes de l'art et aux chefs d'autres établissements semblables, et elle a fait distribuer une collection de certificats, d'attestations et de déclarations parmi lesquels il y en a qui disent tout le contraire de ce que portaient les déclarations de ces mêmes hommes délivrées en 1854.
Que faut-il conclure de tout cela ? Que c'est une véritable boutique où l'on achète des avis et des certificats à sa convenance, où l’on obtient le pour et le contre comme on le désire. J'ai lieu de croire que la Chambre n'attachera à ces écrits pas plus de valeur qu'ils ne méritent ; au reste, je laisse à ceux qui se sont ainsi contredits le soin de se débrouiller et je ne fais pas ici une injure à MM. les avocats, car tous les jours on plaide le pour et le contre dans des causes qui ne paraissent pas le moins du monde sujettes à controverse.
Messieurs, on est allé jusqu'à vouloir s'efforcer de prouver que les établissements de zinc ne sont pas insalubres ; on a même dit qu'ils sont salubres pour certaines indispositions, pour les maladies des yeux entre autres, puisqu'il est reconnu qu'en médecine on se sert quelque fois d'une préparation de zinc pour guérir les ophtalmies.
Dans les premiers certificats des hommes de l'art, on a déclaré qu'on ne peut pas élever des jeunes chiens dans l'établissement de St-Léonard ; aujourd'hui on donne des certificats où l'on déclare que non seulement les chiens, les chats, etc., mais encore les serins y vivent en très bonne santé.
La Chambre appréciera.
Il me reste, messieurs, comme docteur en médecine, à soumettre quelques observations à la Chambre, afin qu'elle sache à quoi s'en tenir sur les qualités du zinc comme métal et sur les sels de zinc, afin qu'elle ne soit pas induite en erreur par des certificats qui ne sont rien moins qu'impartiaux.
D'abord, messieurs, j'ai examiné la nouvelle pharmacopée de Belgique, et voici ce qu'elle porte à l'article » zinc ».
« Métal blanc, bleuâtre, à cassure lamellaire ; quand on le fond à l'air libre il brûle avec une flamme blanc-verdâtre, très éclatante et il se convertit en oxyde blanc qui s'élève en partie dans l'atmosphère sous forme de flocons blancs très légers, etc., etc. »
Eh bien, messieurs, ce sont précisément ces flocons blancs très légers qui sont emportés avec tant de facilité dans l'atmosphère et qui se répandent sur toute la végétation des environs. Il doit en résulter, à toute évidence, de très graves inconvénients ; la commission médicale a constaté officiellement que du linge se trouvant à la blanchisserie était couvert de paillettes blanches métalliques.
Pour atténuer 1 effet de ces émanations malsaines, on dit : « Oui, cela est nuisible à la végétation, mais cela ne nuit ni aux hommes ni aux animaux. » Il est évident, messieurs, que les sels de zinc sont, par leur nature même, un poison ; cela est tellement évident, que je puise le passage suivant dans une brochure intitulée :
« Protestation collective des principales industries de zinc de la Belgique contre l'accusation erronée d'insalubrité, etc., » page 27 à la fin.
« De tous les poisons minéraux, a dit Orfila, les sels à base de zinc sont les moins dangereux. »
Ainsi, messieurs Orfila, dont on ne récusera probablement pas l'autorité, Orfila, qui était un des premiers chimistes de l'Europe, range le zinc parmi les poisons minéraux, et veuillez remarquer que cela se trouve dans un document fourni par les établissements de zinc.
La pharmacopée vient encore en aide à cette opinion ; et je lis au tableau 5 : « Médicaments dangereux que le pharmacien doit conserver et délivrer avec un soin tout particulier, » et j'y trouve rangé entre autres « le sulfate de zinc, » Et au tableau n° 7 de la même pharmacopée, je trouve encore :
« Parmi les contre-poisons pour le cas d'empoisonnement par les sels de zinc, une prescription pour remédier à cet empoisonnement. »
La pharmacopée range donc les sels de zinc parmi les poisons et elle prescrit le contre-poison.
Messieurs, vous voyez que c'est bien à tort qu'on s'est ingénié par toute espèce de moyens spécieux, par des faux-fuyants, à détourner l'orage qui gronde sur cet établissement pour éviter l'application de la loi sur les établissements dangereux et insalubres.
Notre ancien et trop regrettable collègue, M. Delfosse, l'a dit : « Le gouvernement a reculé devant l'exécution de la loi. » Eh bien, il faut aujourd'hui que le gouvernement ne mérite plus ce reproche, il faut qu'il sache tenir la main à l'exécution de la loi.
Une dernière considération qui me semble péremptoire, c'est celle-ci : Pour moi personnellement, j'ai toujours eu l'opinion la plus favorable, la plus haute idée du caractère franc et loyal des Liégeois ; eh bien, je ne pense pas qu'il y ait à Liège, ni dans les faubourgs, ni dans le quartier du Nord, huit cents personnes assez mal intentionnées et dans le seul but de nuire pour venir demander le redressement d'un grief imaginaire, pour venir signaler des inconvénients chimériques à la charge d'un établissement qui, de son côté, répand les plus grands bienfaits sur une partie de la classe ouvrière de ce faubourg.
Je crois donc que les plaintes articulées dans la pétition sont fondées. On réclame contre un danger réel, contre les émanations malsaines et très insalubres qui s'échappent de l'usine et qui exigent de la part du gouvernement la plus stricte surveillance. J'ose espérer que le gouvernement fera son devoir et qu'il fera exécuter la loi.
J'ai dit !
(page 499) M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, vous comprenez que je ne puis pas suivre l'honorable M. Vander Donckt dans la discussion d'une question purement médicale ; je n'ai pas, d'ailleurs, à discuter cette question. Le gouvernement n’a pas, en effet, à examiner aujourd'hui si l'usine de Saint-Léonard entraîne quelques inconvénients pour le voisinage, et s'il faut ou non chercher à y remédier ; il ne méconnaît pas ces inconvénients ni la nécessité d'y obvier. L'unique question qui se présente en ce moment est de savoir quel est, dans cette affaire, le droit du gouvernement et de quelle manière il a usé de ce droit.
En me plaçant à ce point de vue, je dois déclarer, messieurs, que je ne puis pas accepter les conclusions du rapport de la commission sur la pétition des habitants du faubourg Saint-Léonard.
La commission propose le renvoi de cette pétition aux départements de l'intérieur et des travaux publics.
Le renvoi à mon département, je pourrais l'admettre s'il n'était précédé d'un commentaire dans le rapport, que je me hâte de repousser avec énergie.
En apparence, ce renvoi est proposé d’une manière pure et simple ; mais en réalité, il aurait cette signification que le gouvernement serait invité à rentrer dans la légalité.
Or, je le demande, accepter des conclusions ainsi commentées, ne serait-ce pas s'avouer coupable d'être sorti de la légalité ?
Je proteste contre une pareille accusation. J'ai eu à prendre dans cette affaire certaines mesures et j’ai contresigné des arrêtés que je soutiens être parfaitement légaux dans l'occurrence ; et ce que je soutiens, en ce qui concerne mes actes, je puis le soutenir en ce qui concerne ceux de mes prédécesseurs.
« Il est de toute nécessité, dit le rapport, que les prescriptions du décret de 1810 et de l'arrêté de 1849 soient strictement observées, et qu'une situation prompte, régulière et légale intervienne dans les questions soulevées par l'existence de l'usine de la Vieille-Montagne. »
Mais ce qui divise le gouvernement et la majorité de ta commission et ce qui doit être éclairci dans ce débat, c'est précisément la question de savoir quelles sont les dispositions légales applicables dans l'espèce.
La commission invoque le décret du 15 octobre 1810 et l'arrêté du 12 novembre 1849. J'ai la conviction, au contraire, que la loi du 21 avril 1810 est seule applicable. Il est évident que si nous différons aussi sur les dispositions qui règlent la matière, ceux qui ne partagent pas, sur ce point, l'opinion au gouvernement arrivent facilement à conclure que celui-ci est sorti de la légalité. Mais ils ont, avant tout, à démontrer que les dispositions que la commission invoque sont réellement celles qui régissent notre cas.
C'est le point fondamental que j'ai à débattre avec l'honorable rapporteur de la commission des pétitions, c'est le point qui décide tout.
Je suis forcé d'entrer dans quelques détails sur l'origine de l'usine de St-Léonard. Je dois d’abord constater l’époque de sa création et rechercher quels sont les lois et arrêtés divers qui sont intervenus.
La création de l'usine remonte à 1806. Le 24 mars 1806, le gouvernement a mis en adjudication l'exploitation des mines calaminaires de la Vieille-Montagne.
Le cahier des charges contenait deux articles d'une très grande importance pour apprécier la position de l'usine, les articles 21 et 28.
L’article 21 stipulait que « les concessionnaires seront tenus de faire sur l'avis du conseil des mines, à l’aide de fourneaux appropriés, toutes les opérations nécessaires pour transformer la calamine en métal. »
L'article 28 portait « qu'il y aura lieu à déchéance pour raison d'inexécution des clauses et conditions imposées par le cahier des charges. »
Veuillez bien le remarquer, messieurs, sous peine de déchéance la société devait opérer la réduction du minerai en métal.
M. Dony fut déclaré adjudicataire. Pour se conformer aux articles que je viens de citer, il éleva une usine au faubourg de St-Léonard en 1809 ; la même année, il obtint un brevet d'invention et une exemption du droit d’octroi sur la houille, exemption qui fut confirmée par décision du préfet et du ministre des finances.
C'est dans ces circonstances que fut portée la loi du 21 avril 1810. Le sieur Dony était alors à la tête de l’établissement qu'il avait fondé pour se conformer aux clauses du cahier des charges de sa concession. Or, que porte la loi de 180, dans ses articles 73 et 78 qui règlent, d’après nous, toute la matière ?
La section 4 de la loi du 21 avril 1810 est intitulée « des permissions pour l’établissement de fourneaux, forges et usines. »
En ce qui concerne les usines, la loi distingue deux cas : il s'agit d'établissements à créer ou d'établissements existants. Vous venez de voir que 1'éiablissement de Saint-Léonard était non seulement un établissement existant, mais existant en vertu d'un contrat formel entre le gouvernement et le concessionnaire.
Quant aux établissements à créer, l'article 73 porte :
« Les fourneaux à fondre les minerais de fer et autres substances métalliques, les forges et martinets pour ouvrer le fer et le cuivre, les usines servant de patouillets et bocards, celles pour le traitement des substances salines et pyriteuses, dans lesquelles on consomme des combustibles, ne pourront être établis que sur une permission accordée par un règlement d’administration publique. »
L'article 78, qui concerne les établissements existants, statue comme suit :
« Les établissements actuellement existants sont maintenus dans leur jouissance, à la charge par ceux qui n'ont jamais eu de permission ou qui ne pourraient représenter la permission obtenue précédemment, d'en obtenir une avant le 1er janvier 1813, sous peine de payer un triple droit de permission pour chaque année pendant laquelle ils auront négligé de s'en pourvoir et continué de s'en servir. »
Ainsi la législation en ce qui concerne les établissements existants est parfaitement claire ; ils sont maintenus ; donc l'établissement de Saint-Léonard qui existait (son existence n'a jamais été contestée), était maintenu de par la loi du 22 avril 1810. Quelle diligence la société avait-elle à faire pour faire consacrer sa maintenue ? Elle avait à demander une autorisation pour le cas où elle n'aurait pas été en possession de cette autorisation.
La commission ne semble pas s'occuper de ce point, non plus que de plusieurs autres.
Une première question est donc de savoir si l'établissement n'était pas muni d'une autorisation dès 1810, et par suite s'il n'était pas dispensé, aux termes de la loi du 21 avril, de demander une nouvelle autorisation.
Le département des travaux publics a consulté à cet égard tous ceux auxquels il pouvait raisonnablement s'adresser. Il a consulté entre autres le département de la justice, qui s'est prononcé en faveur des propriétaires de la Vieille-Montagne. Il a consulté aussi M. le procureur général près la cour d'appel de Liège.
D'après cet honorable magistrat, également il y aurait lieu de décider que, en suite des actes intervenus et dont je vais entretenir la Chambre, l'usine de Saint-Léonard était, par le fait, munie de l'autorisation exigée par l'article 78 de la loi de 1810.
Mais je concède un instant qu'il n'y ait pas eu d'autorisation, à quelle obligation l'article 78 de la loi de 1810 astreignait-il l'usine de Saint Léonard ? A la seule obligation de demander une permission ; mais cette permission, le gouvernement ne pouvait évidemment pas la refuser. La maintenue résultait du texte formel de la loi de 1810 ; il n'y avait qu'une simple formalité à remplir.
Eh bien, je concède que cette formalité ait dû être remplie et j'admets, par hypothèse, qu'elle ne l'ait pas été, contrairement à l'avis de M le ministre de la justice et de M. Raikem. A quoi l'usine de la Vieille-Montagne était-elle exposée ? Uniquement au payement d'une amende, uniquement à payer un triple droit pour chaque année pendant laquelle elle aurait été tenue en activité sans la permission dont il s'agit.
Vous voyez, messieurs, que l'article 78 de la loi de 1810 commande au gouvernement d'être extrêmement circonspect.
Vous voyez que l'usine de Saint-Léonard puise son droit à l'existence non pas dans un acte à poser par le gouvernement, mais dans la loi de 1810 elle-même. Or, si le gouvernement contrevenait à la loi de 1810, qu'adviendrait-il ? Il adviendrait qu'il s'exposerait à d'énormes dommages-intérêts. Si le gouvernement, contrairement au droit qu'elle tient de la loi de 1810, voulait supprimer l'usine, comme on le demande, eh bien, le gouvernement serait exposé à une action en indemnité. Voilà où l'on pousse le gouvernement.
M. de Renesse. - Mais la société a considérablement augmenté son exploitation.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je sais parfaitement que la consistance de son usine a été augmentée ; mais ce n'est que dans une faible proportion, eu égard à la consistance de l'usine en 1810. Si vous compariez, sous ce rapport, ce qu'était l'usine en 1810 et ce qu'elle est aujourd'hui, vous seriez étonnés du peu d'importance du développement donné à l'usine. Sans doute, elle a perfectionné sa fabrication, et elle a très bien fait ; mais dès 1810, elle avait déjà une importance considérable dans la mesure, et je répète donc que, en ce qui concerne l'usine de Saint-Léonard, et sa consistance en 1810, le gouvernement n'a plus le droit de lui refuser l'octroi d'une permission.
Il a le droit, je le crois, de lui imposer certaines conditions (nous y reviendrons tout à l'heure), mais, selon moi, son droit ne va pas plus loin.
Je suis fâché de devoir faire de pareilles déclarations ; mais ce n'est pas le gouvernement qui a provoqué ce débat. Ce débat ne peut évidemment avoir d'autre résultat que d'affaiblir la position du gouvernement vis-à-vis de la société de la Vieille-Montagne ; mais, en présence de l'accusation dont il est l'objet, d'avoir posé des actes illégaux, il est bien juste que le gouvernement se défende.
Voilà donc, messieurs, quelle était la position de la Vieille-Montagne en 1810.
En 1810, l'usine de Saint-Léonard a pensé qu'elle était en règle ; que, forte des termes du cahier d'adjudication de 1806, elle n'avait aucune autorisation à solliciter, aucune permission nouvelle à requérir ; et elle s'est abstenue de toute diligence.
(page 500) Depuis, deux actes ont été posés qui prouvent qu'en fait le gouvernement reconnaissait l'existence légale de l'usine de la Vieille-Montagne. Ces actes sont les suivants : l'usine de la Vieille-Montagne a été régulièrement autorisée, d’abord à établir une machine à vapeur, ensuite à introduire annuellement en Belgique une quantité considérable de minerai extrait de la mine de Moresnet.
Il est évident que ni l'autorisation d'établir une machine à vapeur, ni celle d'introduire dans le pays certains produits en franchise des droits de douane, n'auraient pu être accordées à un être qui n'eût pas été reconnu exister. Ainsi, dans la pensée du gouvernement, l'usine de Saint-Léonard avait alors (de 1820 à 1830)) une existence légale ; et l'on s'explique parfaitement comment la société de Saint-Léonard et comment le gouvernement ont pu et dû croire que l'usine était tout à fait en règle au point de vue de la loi de 1810.
Cependant, en 1820 et conformément à un arrêté général intervenu le 16 décembre 1819, l'usine de St -Léonard avait surabondamment formulé une demande en maintenue.
Cette demande avait subi l’instruction ordonnée par la loi de 1810 ; elle avait été affichée pendant le temps voulu ; mais, par des circonstances qu'on ne s'explique pas, l'instruction avait été arrêtée par le fait du gouvernement. Il y avait eu suspension de l'instruction.
Messieurs, il faut encore prendre ce fait au point de vue de la société. Elle avait pris une précaution qu'elle croyait superflue ; mais enfin elle avait pris la précaution de présenter en 1820 une demande en maintenue ; c'était au gouvernement à faire les diligences ultérieures ; s'il n'a rien fait, si l'instruction est restée en suspens ; si les pièces de cette affaire sont restées enfouies dans les cartons de l'administration, la société de Saint-Léonard ne doit évidemment pas en pâtir. Celle-ci avait fait tout ce qu'elle avait à faire, tout ce qu'on pouvait demander d'elle ; c'était au gouvernement d'agir ; s'il ne l'a pas fait, peut-on aujourd'hui interpréter contre elle l'inaction de l'administration ? Il est évident que cela serait aussi faux en droit qu'inique en fait.
L'instruction de la demande de la Vieille-Montagne, déposée en 1820, est restée en suspens jusqu'en 1851.
En 1851 elle fut reprise ; mais, comme vient de le rappeler l'honorable M. de Renesse, la consistance de l'usine avait subi quelques modifications. Aussi, messieurs, que fit le gouvernement ? Il fit savoir à la société que, par le fait que la consistance de l'usine avait subi des changements, la demande de 1820 ne concordait plus exactement avec les faits actuels, et qu'il y avait lieu, de la part de la société, à introduire une demande nouvelle.
Je crois que, sous ce rapport, le gouvernement était parfaitement en règle ; il n'a fait à la société aucune concession. Il s'est borné à lui dire : Vous avez augmenté votre fabrication, vous avez peut-être augmenté le nombre de vos fours ; eh bien, il faut faire une demande nouvelle qui concorde avec le nouvel état de choses.
Mais il y avait quelque chose que le gouvernement ne pouvait pas dénier à la société, c'était le droit qu'elle puisait dans la loi de 1810. Certainement, il y avait lieu, de la part de la société, a demande et à obtention d'une autorisation nouvelle, à raison du développement donné à l’usine ; mais ce qui n'était pas en question, c'était son droit à l'existence. Aussi, le gouvernement fit-il savoir à la société de Saint-Léonard que la demande nouvelle qu'il sollicitait d'elle ne pouvait pas nuire aux droits acquis que la société tenait de la loi de 1810.
Vous voyez donc que si nous prétendons aujourd'hui que c'est la loi de 1810 qui est applicable, ce n'est pas une prétention nouvelle. Vous voyez, au contraire, que le gouvernement n'a jamais varié sur ce point.
Cette nouvelle demande, déposée en 1854, fut encore régulièrement instruite, conformément à la loi de 1810, comme avait été instruite celle qui avait été déposée en 1820.
La demande déposée en 1820 n'avait soulevé aucune espèce d'opposition. Quoi que prétende l'honorable M. Vander Donckt, qu'avec l'usine de Saint-Léonard sont nées les réclamations contre cette usine, qu'on nous permette de le dire, c'est un fait parfaitement inexact. Il est prouvé officiellement que l'enquête faite sur la demande de 1820 n'a pas suscité une seule réclamation.
La demande en maintenue de la société de Saint-Léonard fut donc instruite pour la seconde fois, toujours aux termes de la loi de 1810, et cette instruction nous la maintenons pour suffisante, et nous ne pouvons admettre qu'au lieu des dispositions de cette loi, il fallût en appliquer d'autres, notamment celles des arrêtés de 1824 et de 1849, dont nous parlerons tout à l'heure. Or, quelles étaient les formalités prescrites par la loi de 1810 ? Elles sont définies dans l'article 74 :
« La demande en permission sera adressée au préfet, enregistrée, le jour de la remise, sur un registre spécial à ce destiné, et affichée pendant quatre mois dans le chef-lieu du département, dans celui de l'arrondissement, dans la commune où sera situé l'établissement projeté et dans le lieu du domicile du demandeur.
« Le préfet, dans le délai d'un mois, donnera son avis, tant sur la demande que sur les oppositions et les demandes en préférence qui se seraient survenues. »
Ainsi les formalités prescrites par la loi de 1810, c'est l'affichage, c'est la publicité donnée à la demande et c'est l'avis du préfet sur les résultats de l'enquête ouverte.
Il faut donc le seul avis du préfet, aux termes de la loi de 1810, et que se passa-t-il au sujet de la demande en autorisation de 1854 ?
C'est d'abord la commune qui fut entendue.
Ce fut ensuite la chambre de commerce qui donna son avis sur les démarches du gouverneur de la province.
Enfin, et ceci conformément à l'article 74 susdit, la députation permanente et le gouverneur donnèrent le leur.
Le gouvernement pouvait sans aucun doute prendre une décision définitive à la suite de ces différents avis. Le fit-il ? Usa-t-il de son droit ? Non ! La députation permanente avait insinué qu'il conviendrait de nommer une commission chargée de constater, quant à la salubrité, les effets de la fabrication du zinc à Saint-Léonard. Le gouvernement institua cette commission. Etai- ce un acte de condescendance vis-à-vis de la société ? Evidemment non ; il n'y avait pas là d'acte de condescendance ; il y avait preuve qu'il voulait agir en toute justice vis-à-vis des réclamants contre la société.
Cette commission déposa son rapport le 13 janvier 1856. Quelles en étaient les conclusions ? Que l'on pouvait autoriser l'usine de Saint-Léonard, moyennant telle et telle conditions. La commission recommandait la construction d'un appareil de condensation.
Le principal élément de cet appareil, c'était à construire une immense cheminée.
Le gouvernement, suivant pas à pas la commission instituée sur la prière de la députation permanente, déclara maintenue la société, conformément au texte impératif de la loi de 1810, et lui imposa en même temps l'obligation de mettre en œuvre le système de condensation préconisé par la commission.
Nous voici donc à l'arrêté du 31 mars 1856.
Que fit la société ? Le rapport dit que l'arrêté de 1856 constituait une espèce de privilège pour la société, que c'était un acte de complaisance inouï qu'on posait au profit de la société, au détriment de la santé publique. Eh bien, les conditions imposées par l’arrêté du 31 mars 1856 à la société, furent jugées par celle-ci tellement onéreuses qu'elle ne crut pas pouvoir les accepter, et que, plutôt que de s'y soumettre, en prévision des dépenses énormes qu'elles pouvaient entraîner pour elle, elle déclara préférer fermer l'usine.
Voici une pièce qui n'a pas été livrée à la publicité et dont je veux messieurs, vous donner connaissance. C'est la lettre par laquelle la société dénonce au gouvernement la prochaine fermeture de l'usine. Vous verrez comment elle apprécie les conditions formulées dans l'arrêté du 31 mars 1856.
« Le conseil d'administration a mûrement pesé la portée des conditions d'existence imposées à sa société ; il n'a pu se dissimuler que les principes posés dans les considérants de l'arrêté royal aggravent encore la rigueur des conditions elles-mêmes et ne permettent pas à la société de trouver, dans l'exécution des prescriptions de l'autorité, la moindre sécurité pour l'avenir.
« L'arrêté royal du 31 mars reconnaît à l'usine de la Vieille-Montagne le droit d'existence, consacré du reste par la loi de 1810, par deux décisions royales et par 47 années de possession non interrompue.
« Il impose à la société un sacrifice immédiat de trois cent mille fr. pour l'adoption de disposions dont l'efficacité ne sera jamais absolue et qui n'apportent pas, du reste, la moindre amélioration dans les fabrications elles-mêmes, comme l'expérience de plus d’une année l'a prouvé dans l'usine d'Angleur.
« Il réserve au gouvernement le droit d'imposer à la société dans l'avenir l'emploi de nouveaux procédés de condensation que l'expérience ou la théorie pourrait découvrir ultérieurement.
« Enfin, il entend laisser à la société toute la responsabilité de l'insuccès des mesures préservatrices qui lui seront imposées à toute époque.
« Le conseil d'administration de la Vielle-Montagne, dont je suis le président et qui m'a prié d’être son organe auprès de vous, a pensé, M. le ministre, que de pareilles conditions d'existence ne pourraient être acceptées par lui. »
En effet l'arrêté du 31 mars 1856 était, à cet égard, d'une précision très inquiétante pour la société. Voici comment il s'exprime :
« Considérant que l'adoption des mesures indiquées par la commission spéciale instituée par le département des travaux publics offre la possibilité de remédier tout au moins aux inconvénients les plus graves qu'on attribue aujourd'hui à la fonderie de Saint-Léonard ;
« Considérant qu'il convient de donner à ces prescriptions un caractère de généralité qui laisse au gouvernement sa liberté d'action et à la société impétrante la responsabilité du succès dans l'application des mesures préservatrices ;
« Considérant, au surplus, que le gouvernement se réserve le droit d'ordonner à ladite société l'emploi des nouveaux procédés de condensation plus parfaits et plus énergiques, que l'expérience ou la théorie pourrait découvrir ultérieurement. »
Voilà comment s'exprimait l'arrêté de 1856 ; en d'autres termes, le gouvernement disait à la société de la Vieille-Montagne : Vous commencerez par mettre en œuvre tel procédé de fabrication. Cela vous coûtera 200,000, 300,000, 400,000 fr., je n'en sais rien ; je ne m'en inquiète pap, Le succès vous regarde. Si le succès ne suit pas, je me réserve de (page 501) vous imposer ultérieurement tels travaux que l'expérience ou la théorie pourra suggérer.
C'est à la suite d'indications aussi vagues, de droits aussi absolus réservés par le gouvernement, que la société a dit qu'elle ne trouvait pas dans l'arrêté du 31 mars 1856 des garanties suffisantes quant à son existence dans l'avenir.
Je n'ai pas, messieurs, à me prononcer sur ce point. Je veux simplement faire connaître à la Chambre les pièces du débat ; la Chambre appréciera.
Le gouvernement reçut donc notification de la détermination de la société, de fermer l'usine de Saint-Léonard ; la société demandait un délai d'une année, en ajoutant : « qu'elle s'engageait du reste, pendant ce laps de temps, à ne pas reconstruire de fours neufs et à éteindre successivement ceux qui sont en activité. »
Est-ce qu'alors le gouvernement entra en négociation avec la société ? Nullement. Voici la réponse qu'il fit au président :
« J'ai l'honneur de vous accuser réception de la lettre du 22 mai dernier par laquelle vous me faites connaître que la société de la Vieille-Montagne renonce au bénéfice de l'arrêté royal du 31 mars de cette année, qui maintient en activité les fonderies de zinc de Saint-Léonard, à Liège.
« Je me réserve de faire rapporter ultérieurement cet arrêté par une autre disposition royale. »
(J’appelle l'attention de la Chambre sur ce paragraphe.)
« Tout en regrettant la détermination que vient de prendre le conseil d'administration que vous présidez, je crois devoir acquiescer, eu égard aux motifs que vous faites valoir dans l'intérêt de la classe ouvrière, à la demande du délai jugé nécessaire pour procéder à la fermeture de l'établissement de Saint-Léonard. Il est bien entendu que cette faveur est subordonnée à l'exécution ponctuelle de l’engagement pris par la société de ne pas reconstruire de fours neufs et d'éteindre successivement les fours en activité. >
La Vieille-Montagne éteignit quelques fours et dans l'intervalle qui sépare l'arrêté du 31 mars 1856 de l'arrêté du 20 mai 1857, diverses réclamations surgirent contre la fermeture de l’établissement. La parole avait été à l'opposition avant l'arrêté du 31 mars, mais comme on allait toucher à un état de choses au maintien duquel beaucoup de personnes étaient intéressées, ce fut au tour de celles-ci à élever la voix. C'est alors que parut l'arrêté du 20 mai 1857, prorogeant le délai accordé à la société, pour introduire des améliorations dans ses procédés de fabrication.
M. de Renesse. - C'est un arrêté qui a été blâmé par toutes les autorités.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Nous verrons si ces critiques étaient fondées.
Ceux qui ont blâmé l'arrêté étaient de très bonne foi, mais ils n'avaient pas une connaissance exacte de ce qui s'était passé ; ils ont pu penser que la question ne se présentait pas comme elle se présentait réellement.
Quant à moi, je répète que je me borne à faire connaître à la Chambre les éléments de la question.
Ainsi donc, messieurs, lorsque la société eût fait connaître son intention de fermer, on vint protester contre ce qu'on appelai les exigences de l'arrêté de 1556. Et que s'était-il passé depuis que ce dernier arrêté avait été pris ? C'est que le procédé de condensation imposé à la Vieille-Montagne avait été reconnu détestable. On l'avait appliqué dans les fabriques de produits chimiques de la province de Namur, et on avait reconnu qu'il était beaucoup plus nuisible qu'utile.
Cela avait été si bien constaté, que le gouvernement, d'autorité, avait ordonné aux fabriques de produits chimiques établies dans la province de Namur, de supprimer les grandes cheminées. Pourquoi ? Parce que les résidus qui s'échappent par les grandes cheminées, au lieu de se répandre dans une zone restreinte, se répartissent sur une zone beaucoup plus étendue, et que par conséquent un beaucoup plus grand nombre de personnes ont à en souffrir.
Le mal était si flagrant, que le gouvernement faisait fermer les usines qui n'avaient pas renoncé assez tôt à l'emploi de ces appareils.
Je demande, messieurs, si dans une telle situation le gouvernement pouvait raisonnablement continuer à exiger de l'usine de la Vieille-Montagne, l'emploi de ce qu'il ordonnait de supprimer ailleurs ? Le gouvernement devait bien se rendre à la logique des faits qu'il avait posés lui-même. Il prit donc en 1857 un arrête qui dispensait la Vieille-Montagne de mettre en pratique ces procédés qu'il ordonnait de supprimer dans la province de Namur. L'arrêté de 1857, prorogeant celui de 1856, n'a pas d'autre objet.
Cet arrêté, comme l'a dit l'honorable comte de Renesse, a été beaucoup critiqué.
Eh bien, messieurs, en fait, il est motivé comme je viens de le dire. En droit, devait-on, avant de le prendre, consulter encore les autorités et quelles autorités ? Les autorités indiquées par la loi de 1810 ? Je ne le crois pas. Les autorités indiquées non par la loi de 1810 mais par l'arrêté de 1849 ? Bien moins encore. Par conséquent ni au point de vue du droit ni au point de vue des faits, le gouvernement ne me semble aussi coupable qu'on veut le prétendre.
Remarquez, messieurs, que je défends ces actes avec une parfaite impartialité, ce ne sont pas des actes qui me concernent ; il me serait aussi facile de les attaquer que de soutenir qu'ils ne sortent pas de la légalité. Je dis loyalement ce que je pense d'actes posés par mes prédécesseurs.
Je demande donc, messieurs, si l'on peut prétendre que dans l'espèce pour prendre l'arrêté de 1857, il fallait se conformer non plus aux prescriptions de la loi de 1810, mais aux prescriptions des arrêtés sur les établissements incommodes et insalubres. Je dis que non. Je dis que l'opinion qu'on nous oppose n'est pas soutenable.
On a alors soutenu que par le fait que l'usine de la Vieille-Montagne a renoncé au bénéfice de l'arrêté de 1856, elle s'est mise dans le cas où elle se serait trouvée si elle avait demandé une autorisation nouvelle. En d'autres termes que par suite de sa renonciation au bénéfice de l'arrêté de 1856, elle ne pouvait plus invoquer le bénéfice de la loi du 21 avril 1810. C'est une erreur d'un double chef. D'abord en déclarant qu'elle renonçait au bénéfice de l'arrêté de 1856, elle n'a pas empêché cet arrêté de subsister. Cette déclaration de renonciation n'a pas été au-delà d'une déclaration d'intention, elle n'a pas été suivie d'effet, au moins elle n'a pas été suivie d'une exécution complète.
A la suite de sa renonciation, l'usine, il est vrai, a éteint quelques feux, mais l'établissement n'a pas chômé une heure. Le fait n'est pas contestable ; il est de notoriété publique.
Je répète, messieurs, que l'expression d'une intention non complétement exécutée, est ici sans aucune valeur et que conséquemment l'arrêté a continué d'exister.
Il y a plus : si même il y avait eu chômage complet, je dis que l'arrêté existerait encore. Aussi vous voyez qu'avant que toutes ces difficultés eussent surgi, l'honorable M. Dumon écrivait à la société de la Vieille-Montagne que, conformément à la communication qu'il venait de recevoir, il proposerait le retrait de l'arrêté de 1856.
Il fallait remplacer un arrêté par un autre, il fallait remplacer l'arrêté d'octroi par un arrêté de retrait.
Je suppose que l'arrêté eût été régulièrement retiré ; eh bien, la société aurait demandé une nouvelle permission conformément aux prescriptions de la loi du 21 avril 1810.
Il est vrai que le rapport invoque le décret du 15 octobre 1810 et les arrêtés de 1824 et de 1859 ; mais je vais prouver en deux mots que ce décret et ces arrêtés ne sont pas applicables.
Voyons d'abord le décret de 1810.
Le décret de 1810 partage les établissements dangereux ou incommodes en trois catégories. Les établissements de la première catégorie doivent être nécessairement éloignés des agglomérés de population, et sont autorisés par un décret impérial. Les établissements de la deuxième catégorie ne doivent pas nécessairement être éloignés des agglomérés de population ; ils sont autorisés par un arrêté du préfet. Dans les nomenclatures des divers établissements, les fonderies de métaux sont rangées dans la seconde classe. Donc si le décret du 15 octobre 1810 était applicable à Saint-Léonard, il aurait suffi que cette usine fût autorisée par un arrêté du gouverneur ou de la députation permanente.
Je demande si de cette circonstance il ne résulte pas, à la dernière évidence, que le décret de 1810 traite d'établissements différents de ceux dont s'occupe la loi de 1810. Aux termes de la loi de 1810, l'usine de Saint-Léonard ne pouvait obtenir la permission que par un règlement d'administration générale Or, en vertu des institutions de l'empire, un règlement d'administration générale était un décret impérial délibéré en conseil d'Etat.
La loi du 21 avril 1810 dit qu'il faudra un décret impérial, délibéré en conseil d'Etat, pour autoriser les établissements du genre de ceux dont il s'agit ; et quelques mois après, au mois d'octobre 1810, un décret serait venu donner à un préfet le droit d'accorder l'autorisation qui avait été réservée, par la loi de 1810, à l'empereur lui-même ! Cela n'est pas possible, outre qu'il n'est pas possible qu'un décret soit venu se substituer à une loi.
Mais le décret de 1810 n'est applicable dans aucune hypothèse, car la loi du 21 avril de la même année, article 78, avait déjà statué sur le sort de l'usine de la Vieille-Montagne. Le décret du 15 octobre 1810 a été remplacé par l'arrêté du 31 janvier 1824.
Le Rapport a eu de très bons motifs pour ne pas s'occuper de cet arrêté de 1824 : pourquoi ? Le décret de 1810, comme l'arrêté de 1824, comme celui de 1849, s'occupe exclusivement des établissements incommodes et insalubres, Eh bien, l'arrêté du 31 janvier 1824 est venu remplacer le décret du 15 octobre 1810 ; cela est dit notamment dans l'article 14. Que porte cet article ? « Art. 14. Par suite des dispositions qui précèdent, sont considérées comme annulées celles qui sont contenues dans le décret du 15 octobre 1810 ; et toutes autres qui seraient contraires au présent arrêté. »
Et que porte l'article 13 ?
« Art. 13. En tant que les fabriques ou autres établissements seraient placés sur quelque eau courante, ou auraient pour objet de mettre en œuvre des minerais, on se conformera aux dispositions y relatives, prescrites par notre arrêté du 28 août 1820 (Journal officiel, n°19) et par le titre VII, 4° et 5° divisions de la loi du 21 avril 1810. »
(page 502) Ainsi l'arrêté de 1824 a le même objet que le décret de 1810 ; mais il dit en termes exprès ce que le décret de 1810 dit implicitement, à savoir que les choses qui sont réglées par la loi de 1810 continueront à être régies par la loi de 1810.
L'arrêté du 12 novembre 1849 est venu remplacer à son tour l'arrêté du 31 janvier 1824. Eh bien, je pourrais, par des déductions d'une logique irréfutable, prouver que l'arrêté de 1849 n'a pas le moins du monde la prétention de toucher en quoi que ce soit à la loi de 1810 ; mais eu égard à l'heure avancée de la séance, je me bornerai à vous en donner une preuve directe : c'est l'interprétation donnée à l'arrêté par l'auteur même de l'arrêté. Il me semble qu'il est en bonne position pour savoir au juste la portée de l'arrêté de 1849.
L'arrêté a été contresigné par mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur ; la circulaire ministérielle adressée aux gouverneurs pour la mise à exécution de l'arrête est du 27 septembre 1850 : voici ce que j'y lis comme commentaire de l'article 20 :
« L'arrêté du 12 novembre 1849 remplaçant le règlement du 31 janvier 1824, celui-ci doit être considéré comme étant annulé dans toutes ses dispositions, ainsi que l’arrêté royal du 18 septembre 1815, concernant les établissements de fabrication de poudre à tirer.
« Les règlements pris sur la matière par les administrations communales et provinciales, sont e demeurent également abrogés, le nouvel arrêté devant servir seul de règle pour l'avenir, sauf en ce qui concerne les lois et règlements d'administration générale qui régissent spécialement certaines catégories d'exploitations et d’usines, tels que les hauts fourneaux, les forges et martinets pour ouvrer le fer et le cuivre, les usines servant de patouillets et bocards, celles pour le traitement des substances salines et pyriteuses, etc. »
C’est-à-dire, sauf les établissements spécialement prévus par les articles 75 et 78 de la loi du 21 avril 1810.
Viendrez-vous prétendre, après l'instruction ministérielle déterminant surabondamment l'esprit de l'arrêté de 1849, viendrez-vous prétendre encore que ce n'est pas la loi du 21 avril 1810, mais l'arrêté de 1849, qu'il faut appliquer ?
M. Goblet, rapporteur. - Oui !
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous en avez le droit ; mais le gouvernement de son côté a le droit de considérer comme seuls applicables à l'espèce les articles 73 et 78 de la loi de 1810. La question de légalité étant ainsi décidée, selon moi, reste à savoir l'usage que le gouvernement a fait de son droit, car il peut abuser de son droit.
J'ai rappelé dans quelles circonstances ont été pris les arrêtés de 1857 et de 1859.
L'arrêté de 1857 avait dit à la société : Je vous dispense de faire tels et tels appareils ; je les trouve plus nuisibles qu'utiles ; il avait dit ensuite : Vous aurez du génie, vous inventerez vous-même ce qu'il y a à faire ; je vous donne, pour inventer quelque chose que je puisse adopter, deux ans.
Qu'a fait la société ? Elle a commencé par chercher à appliquer un procédé qu'on lui avait beaucoup vanté ; il consistait à chauffer les creusets par le gaz ; au bout de plusieurs mois d'essai et de dépenses considérables, ce procédé avait encore été reconnu impraticable ; il avait été constaté par la société et par les ingénieurs du département que ce procédé n'avait qu'une valeur théorique et occasionnait une grande dépense ; après son abandon, la société a eu une idée lumineuse, elle a trouvé un moyen que tout annonce devoir être heureux ; avant l'échéance du délai fixé par l'arrêté de 1857, la société avait pu démontrer que son procédé nouveau était efficace.
J'ai à cet égard des documents officiels ; ce sont des rapports des ingénieurs de l'administration. Voici comment ces rapports s'exprimaient sur les procédés découverts par la société de la Vieille-Montagne.
« La société de la Vieille-Montagne poursuivant l'essai infructueux jusqu'à ce jour, de l'appareil gazogène pour le chauffage des fours à réduire les minerais de zinc, s’est occupée de l'essai d'un autre procédé fumivore dont l'efficacité complète est aujourd'hui démontrée et dont je vais avoir l’honneur de rendre compte, l'ayant observé depuis deux mois dans ses moindres détails à l'usine de St-Léonard où il a reçu son application. » Et plus loin : « Le four ayant été chauffé avec précaution d'abord, on a commencé à y donner le vent le 17 octobre courant et j'ai pu m'assurer immédiatement que le but était atteint d'une manière absolue, quant à la suppression de la fumée... Il suffit de voir fonctionner le nouveau four pendant quelques minutes, pour acquérir la conviction résultant chez moi d'un examen attentif et prolongé. »
Un autre officier des mines écrivait : « Il y a lieu d'espérer qu'enfin on touche à la solution tant désirée du grand problème que comporte la recherche des moyens d'assurer l'innocuité des fours à zinc pour le voisinage... »
« Pour ce qui me concerne, j'ai pleine confiance dans le succès de l'épreuve nouvelle que tente aujourd'hui la société de la Vieille-Montagne, et sans aller aussi loin peut-être que M. l'ingénieur... j'ai l'espoir fondé qu'on fera disparaître les principales causes d'incommodité des fours à zinc pour le voisinage. »
Dans un troisième rapport on lisait : « Quant à la suppression des produits nuisibles de la combustion, elle est complète. Le procédé étant ainsi reconnu praticable au point de bue de l’économie industrielle et présentant en outre par sa fumivorité absolue l'avantage d'ôter tout prétexte de plainte, il ne reste plus à expérimenter que quelques détails faciles à déterminer, l'efficacité radicale du principe étant prouvée. »
Si j'avais voulu user de tous mes droits, je pouvais, sur ces rapports, déclarer pratique le procédé découvert, et terminer l'affaire d'emblée en décidant que ce procédé serait appliqué dans un temps donné à toute l'usine. Mais dans sa grande complaisance pour cette société, le gouvernement même après ces rapports si affirmatifs si concluants...
M. Goblet, rapporteur. - De quelle date sont ces rapports ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il y en a plusieurs, je vous communiquerai les originaux ; la date ne se trouve pas sur les extraits que je tiens en mains.
M. Goblet, rapporteur. - Je demande s'ils sont antérieurs ou postérieurs à l'arrêté...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il sont antérieurs à l'arrêté de 1859. Ce que je lis, je le trouve dans une note adressée à la députation du conseil provincial de Liège pour expliquer dans quelles circonstances a été pris l'arrêté du 20 mars 1859 ; Ces rapports sont donc antérieurs à l'arrêté.
Si je n'avais pas voulu agir avec une extrême circonspection et même avec sévérité envers la société, j'aurais donc été autorisé, je le répète, à trancher la question en déclarant satisfaisant le moyen présenté.
Je n'en ai rien fait, tant est grande la condescendance du gouvernement pour la Vieille-Montagne. L'arrêté du 20 mars 1859 a décidé qu'un délai de huit mois serait accordé à la société pour expérimenter en grand le nouveau procédé. La société s'est conformée aux prescriptions du gouvernement ; j'ai fait vérifier les essais, et il a été reconnu que tous les résultats constatés dans le commencement avaient été confirmés.
Ai-je pris alors du moins une résolution ? Non ; toujours dans ma complaisance pour la Vieille-Montagne, j'ai institué une commission chargée de faire les expériences les plus minutieuses ; j'attends son rapport ; c'est à la suite de ce rapport que le gouvernement sera en position de trancher la question, et il pourra se faire en parfaite sécurité de conscience.
(page 485) - La discussion est continuée à demain.